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Université Paul-Valéry Montpellier 3 Service Universitaire de Formation Continue (SUFCO) Diplôme d’Accès aux Études Universitaires – A Enseignement À Distance Année 2013-2014 Cours de Littérature Introduction au XX e siècle & bibliographie Enseignante : Madame Bourjea Fascicule n°12

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Université Paul-Valéry Montpellier 3 Service Universitaire de Formation Continue (SUFCO)

Diplôme d’Accès aux Études Universitaires – A

Enseignement À Distance

Année 2013-2014

Cours de Littérature

Introduction au XXe siècle & bibliographie

Enseignante : Madame Bourjea

Fascicule n°12

Page 2: Cours de Littérature · PDF file1 L’introduction au XXe siècle étant relativement longue, je ne vous propose pas d’extraits commentés, mais une trentaine de textes en annexe,

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L’introduction au XXe siècle étant relativement longue, je ne vous propose pas

d’extraits commentés, mais une trentaine de textes en annexe, dans le fascicule suivant. Je vous signale entre crochets les auteurs concernés par ces renvois. Pour plus de variété et davantage de précisions, je vous renvoie une nouvelle fois aux manuels « classiques » (Chassang-Senninger, Lagarde et Michard…), mais surtout à tous les livres (de poche) que vous pouvez lire, afin d’aborder, non plus des extraits, mais des œuvres complètes…

[Reproductions de couverture et page 3 : Henri MATISSE]

Bonnes lectures !

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SOMMAIRE

Bibliographie indicative page 5 XXe siècle : Tableau synthétique pages 7-9 Introduction au XXe siècle pages 11-25

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BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

* MANUEL : LAGARDE, André et MICHARD, Laurent : Lagarde et Michard XXe

siècle Réédition de 2003 en 4 volumes. Il a longtemps été un grand classique initialement

destiné aux élèves du secondaire, il insiste sur les biographies des principaux auteurs et sur l’étude de nombreux extraits.

* BRUNEL, Patrick : La Littérature française du XXe siècle, Armand Colin, 2002 * VIART, Dominique : – Le Roman français au XXe siècle, Hachette, 1999 / Armand

Colin, 2010. – La Littérature française au présent : héritage et mutations de la modernité (avec

Bruno Vercier), Bordas, 2005, réédition augmentée 2008. Et du même auteur, quelques articles en ligne : – « Ecrire avec le soupçon », Le Roman français contemporain, (2002) :

http://www.culturesfrance.com/adpf-publi/folio/roman/11.html – « La littérature contemporaine à l’université : une question critique » :

http://www.fabula.org/atelier.php?De_la_litt%26eacute%3Brature_contemporaine_%26agrave%3B_l%27universit%26eacute%3B%3A_une_question_critique

– Quel projet pour la littérature contemporaine ? : http://www.publie.net/tnc/spip.php?article75

– sur remue.net : http://remue.net/cont/Viart01sujet.html * JARRETY, Michel : Dictionnaire de poésie de Baudelaire à nos jours, PUF, 2001.

Je vous conseille surtout :

– un manuel scolaire XXe siècle (type Lagarde et Michard) ;

– la lecture de quelques œuvres complètes : il suffit de choisir deux ou trois romans, deux ou trois recueils de poèmes, deux ou trois pièces de théâtre parmi tous les titres

évoqués dans l’introduction à suivre.

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TABLEAU SYNTHETIQUE

1871 - 1940

Troisième République

1899-1906

Loubet

1900 : Connaissance de l’Est, Claudel 1902 : L’Immoraliste, Gide 1911 : Eloges, Saint-John Perse 1911 : Cinq grandes odes, Claudel 1913 : Du côté de chez Swann, Proust 1913 : Alcools, Apollinaire 1913 : Prose du Transsibérien, Cendrars 1917 : La jeune Parque, Valéry 1918 : Calligrammes, Apollinaire 1919 : La Symphonie pastorale, Gide 1919 : 19 poèmes élastiques, Cendrars 1922 : Charmes, Valéry 1924 : Manifeste du Surréalisme, Breton 1924 : Anabase, Saint-John Perse 1925 : L’Or, Cendrars 1926 : La Tentation de l’Occident, Malraux 1926 : Sous le soleil de Satan, Bernanos 1926 : Capitale de la douleur, Eluard 1927 : Le Temps retrouvé, Proust 1927 : Thérèse Desqueyroux, Mauriac 1928 : Nadja, Breton 1929 : Sido, Colette 1929 : Le Soulier de satin, Claudel 1932 : Voyage au bout de la nuit, Céline 1933 : La Condition humaine, Malraux 1933 : La Chatte, Colette 1935 : La Guerre de Troie n’aura pas lieu, Giraudoux 1935 : La Nuit remue, Michaux 1937 : L’Espoir, Malraux 1938 : La Nausée, Sartre 1938 : Le Théâtre et son double, Artaud 1939 : Le Mur, Sartre 1939 : Cahier d’un retour au pays natal, Césaire 1939 : Donner à voir, Eluard

1906-1913

Fallières

1913-1920

Poincaré

1914-1918

Première Guerre Mondiale

1919 Traité de Versailles

1921 Hitler dirigeant du Parti National Socialiste

1922 Création de l’URSS

1929 Krach boursier de New York

1933 Hitler, Chancelier

1936 Front Populaire, Léon Blum premier ministre

1936-1939

Guerre civile d’Espagne

1938 Annexion de l’Autriche par l’Allemagne

1939 Invasion de la Pologne par l’Allemagne

1940 - 1944

Gouvernement de Vichy

1940-1944

- La France est occupée par l’armée allemande - Le maréchal Pétain dirige un gouvernement de collaboration avec l’Allemagne - Le général de Gaulle organise la Résistance depuis Londres (Appel du 18 juin

1942 : L’Etranger, Camus 1942 : Terraqué, Guillevic 1942 : Le Mythe de Sisyphe, Camus 1942 : Le Parti-pris des choses, Ponge 1942 : Le Silence de la mer, Vercors 1942 : Les Yeux d’Elsa, Aragon 1943 : Les Mouches, Sartre 1943 : Le petit Prince, Saint-Exupéry 1944 : Huis-clos, Sartre

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1940) - Juin 1944 : Débarquement des Alliés sur les côtes normandes. Libération de Paris. - 1944-1945 : De Gaulle chef du Gouvernement provisoire français à Alger

1944 : Antigone, Anouilh 1944 : Aurélien, Aragon 1944 : La Diane française, Aragon 1944 : L’Espace du dedans, Michaux

1947 - 1958

Quatrième République

1947-1954

Auriol

1945 : Chants d’ombre, Senghor 1946 : Feuillets d’Hypnos, Char 1947 : La Peste, Camus 1947 : L’Ecume des jours, Vian 1947 : Exercices de style, Queneau 1947 : Le Temps déborde, Eluard 1947 : Les Bonnes, Genet 1948 : Les Mains sales, Sartre 1948 : Fureur et mystère, Char 1949 : Le deuxième sexe, Beauvoir 1949 : La Vie dans les plis, Michaux 1949 : Journal du voleur, Genet 1950 : Un barrage contre le Pacifique, Duras 1950 : La Cantatrice chauve, Ionesco 1950 : Le Fils du pauvre, Feraoun 1951 : Le Rivage de Syrtes, Gracq 1952 : La Rage de l’expression, Ponge 1952 : La grande maison, Dib 1953: En attendant Godot, Beckett 1953 : Les Gommes, Robbe-Grillet 1953 : Du mouvement et de l’immobilité de Douve, Bonnefoy 1956 : La Chute, Camus 1956 : L’Ere du soupçon, Sarraute 1956 : Nedjma, Kateb 1956 : Amers 1957 : La Modification, Butor

1948 Début de la guerre froide

1954-1958

Coty

1954 - Fin de la guerre d’Indochine - Début de la guerre d’Algérie

1956 Indépendance du Maroc et de la Tunisie

1957 Traité de Rome: Constitution de la Communauté Européenne

1958 – fin XXe siècle

Cinquième République

1958-1969

Charles de Gaulle

1958 : Un balcon en forêt, Gracq 1959 : Zazie dans le métro, Queneau 1960 : La Route des Flandres, Simon 1961 : Cent mille milliards de poèmes, Queneau 1962 : La Parole en archipel, Char 1963 : Pour un nouveau roman, Robbe-Grillet 1963 : La Tragédie du roi Christophe, Césaire 1963 : La Semaison, Jaccottet 1963 : Gravir, Dupin 1964 : Les Mots, Sartre 1964 : Le Ravissement de Lol. V. Stein, Duras 1964 : Journal d’un animal marin, Depestre 1967 : Vendredi ou les limbes du Pacifique, Tournier 1968 : Belle du seigneur, Cohen 1968 : La Place de l’Etoile, Modiano 1968 : L’œuvre au noir, Yourcenar 1969 : La Disparition, Perec 1969 : La Répudiation, Boudjedra 1969 : L’Embrasure, Dupin 1970 : Le Roi des aulnes, Tournier

1961 Construction du Mur de Berlin

1962 Indépendance de l’Algérie

1968 Evénements de Mai

1969-1974

Pompidou

1974-1981

Giscard d’Estaing

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1981-1995

Mitterrand 1970 : Paysage avec figures absentes, Jaccottet 1972 : L’Arrière-pays, Bonnefoy 1975 : W ou le souvenir d’enfance, Perec 1977 : Du domaine, Guillevic 1978 : La Vie mode d’emploi, Perec 1980 : Désert, Le Clézio 1980 : Femmes d’Alger dans leur appartement, Djebar 1980 : Le Mentir-vrai, Aragon 1980 : En lisant en écrivant, Gracq 1981 : Le Discours antillais, Glissant 1982 : Sortie d’usine, Bon 1983 : Enfance, Sarraute 1983 : La Place, Ernaux 1984 : L’Amant, Duras 1984 : Par des traits, Michaux 1984 : Vies minuscules, Michon 1985 : L’Enfant de sable, Ben Jelloun 1986 : Le Salon du Wurtemberg, Quignard 1988 : Hadriana dans tous mes rêves, Depestre 1989 : Art poétique, Guillevic 1989 : L’Acacia, Simon 1990 : Cahier de verdure, Jaccottet 1990 : Les Champs d’honneur, Rouaud 1991 : Tous les matins du monde, Quignard 1991 : Echancré, Dupin 1991 : Passion simple, Ernaux 1991 : Rimbaud le fils, Michon 1992 : Onitsha, Le Clézio 1992 : Texaco, Chamoiseau 1993 : Écrire, Duras 1994 : Le Sexe et l’effroi, Quignard 1995 : Introduction à une poétique du divers, Glissant 1995 : Les grandes blondes, Echenoz 1995 : Miette, Bergougnioux 1996 : La Mort de Brune, Bergougnioux 1997 : Le Jardin des plantes, Simon 1997 : Traité du Tout-monde, Glissant 1999 : Je m’en vais, Echenoz 2001 : Les Planches courbes, Bonnefoy

1989 Ouverture du Mur de Berlin

1995-2007

Chirac

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INTRODUCTION AU XXE SIECLE

Comme les XVIIIe (1715 : mort de Louis XIV et début de la Régence) et XIXe siècles

(1813 : débat lancé par Mme de Staël ; 1815 : Waterloo), le XXe siècle ne commence pas vraiment à un chiffre rond (1900), mais avec l’événement que constitue la première guerre mondiale. Avec elle, c’est en effet un nouveau monde qui émerge.

L’impact de la première guerre mondiale : La première guerre mondiale marque la fin de la suprématie européenne. Elle

déstabilise l’économie (fin des rentiers, dette de la France envers l’Angleterre et les États-Unis), bouleverse la société (nombreux morts et blessés de guerre, traumatisme de la population, accession des femmes au travail, exode rural, augmentation de la population urbaine, agitation sociale liée à la révolution russe, création du Parti Communiste et d’un syndicat révolutionnaire…) et l’équilibre mondial (suprématie des États-Unis). Mais malgré le lourd tribut que la France paie à la guerre, la société française se reconstitue assez rapidement, se lance dans la production industrielle, puis est gagnée par la frénésie du progrès (automobile, postes TSF…). De plus, la France reste une grande république démocratique et une puissance coloniale à son apogée.

On ne peut cependant ignorer les graves conséquences que le premier conflit mondial eut sur les mentalités et les mouvements littéraires qui surgirent dans l’entre-deux guerres. Entre sentiment de décadence et esprit nouveau, la France des « années folles » voit émerger de grands courants artistiques : l’art abstrait, le cubisme, le dadaïsme et le surréalisme, le jazz, les grands ballets russes, la musique de Stravinsky… L’époque de l’entre-deux guerres est marquée par un grand découragement (la guerre et ses ravages signifient la faillite d’un univers qui s’était construit sur des grandes valeurs généreuses et rationnelles) : les intellectuels vont témoigner de la « grande boucherie » (Louis-Ferdinand Céline, Henri Barbusse) et mettre à mal les idéaux cartésiens de progrès. Le monde apparaît sans signification, dirigé par des incapables, et pire, par des pulsions vitales ou morbides. L’absurde naît des tranchées et la guerre apprend à une Europe jusque-là maîtresse du monde, que les civilisations « sont mortelles » (Valéry).

Parallèlement, l’entre-deux guerres est également un grand moment de création et d’innovation artistique : l’inconscient et l’irrationnel s’emparent de la littérature, on brise les règles de l’esthétique traditionnelle (le surréalisme va s’attaquer au roman au nom de la poésie, le cubisme refuse tout art représentatif, l’art et la révolution se rapprochent…), on s’intéresse à des formes d’art jusqu’alors ignorées ou méprisées (l’art africain, la littérature étrangère et en particulier russe). On assiste également à une libération des mœurs que les romans soulignent, comme Le Diable au corps, de Raymond Radiguet (1923).

En somme, la guerre laisse la France à la fois inquiète et désireuse de nouveautés et

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de mutations et la production littéraire de l’époque s’en fait largement l’écho. L’entre-deux guerres : L’état d’esprit est marqué par l’idée que la première guerre mondiale est la « der des

der ». La France campe derrière la ligne Maginot, développe une politique militaire défensive, multiplie les alliances avec les pays de l’Est de l’Europe mais écrase aussi économiquement l’Allemagne, favorisant ainsi la montée du nazisme. 1932 : la crise financière et économique qui avait touché l’Amérique en 1929 atteint la France. Un an plus tard, Hitler accède au pouvoir en Allemagne. En 1936, le Front populaire arrive au pouvoir et entreprend des réformes de gauche. Il est néanmoins partagé entre ses convictions politiques (défendre la république espagnole contre le franquisme) et son pacifisme. En 1939, la France n’est pas préparée à la guerre et c’est la défaite. Entre temps la vie culturelle aura connu un formidable essor.

À côté de l’esthétisme et de la rigueur classique d’un Paul Valéry [texte 1] (mais Valéry, contrairement à l’opinion la plus couramment répandue, ne se réduit pas à sa production poétique de facture « classique » : il ne faudrait pas oublier – notamment – ses fameux Cahiers, ainsi que ses poèmes en prose), se développe le mouvement surréaliste (qui revendique par ailleurs Guillaume Apollinaire [textes 2, 3 & 4], mort en 1918, comme prédécesseur : Alcools, 1913 ; Calligrammes, 1918) : le surréalisme refuse d’être considéré comme une école et désire davantage fonder une nouvelle esthétique. Le surréalisme se définit ainsi : « Automatisme psychique par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique et morale ».

Il est précédé par un autre mouvement qui s’y apparente : le dadaïsme. Ce mouvement se développe entre 1916 et 1922, sous l’impulsion d’un Roumain, Tristan Tzara. Il surgit du dégoût de la jeunesse à l’égard de la « boucherie » de 14-18 et du sentiment de l’absurde qui l’accompagne : « Que chaque homme crie ; il y a un grand travail destructif à accomplir. Balayer, nettoyer. » (Tzara). Dada regroupe ainsi de jeunes artistes désireux de bouleverser les formes et de privilégier l’originalité et la marginalité créatrice (cubisme, futurisme…). Le mouvement se développe sous la forme de revues et de manifestes qui appellent pour la plupart à la subversion absolue et à la Révolution. Ils défendent des idées nouvelles en matière d’esthétique : le vers libre (ne s’impose pas de règles métriques fixes, privilégie les rapports de sonorités, les effets de sens, la mise en page et le jeu des accents et des rythmes…), la poésie visuelle, la mise en relief de la production du texte poétique plutôt que le résultat même, la violence des sons et des formes plutôt que la recherche traditionnelle d’équilibre et d’harmonie. En 1919, Tristan Tzara arrive à Paris et rencontre André Breton. Les thèses dadaïstes recoupent alors celles de Breton et de ses amis. Les jeunes artistes décident alors de multiplier les provocations et les scandales en éditant des tracts, en faisant des parodies de procès. Mais alors que le dadaïsme se veut gratuit, Breton souhaite donner une orientation et une finalité à l’action artistique : c’est la rupture en 1922 et le surréalisme va surgir de

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celle-ci. Le mouvement surréaliste va être davantage structuré : son « chef » est André Breton

et le mouvement réunit des poètes (Paul Éluard [textes 5, 6 & 7], Louis Aragon [texte 8], René Crevel, Robert Desnos, Philippe Soupault), des photographes (Man Ray) des cinéastes (Luis Buñuel), des peintres (Salvador Dali, Max Ernst). Le principe du mouvement est d’ouvrir des champs inconnus à l’investigation humaine en privilégiant l’inconscient (les travaux de Freud commencent à être connus et fascinent) et l’irrationnel. La doctrine du surréalisme est exposée sous la forme de manifestes : 1924, Manifeste du surréalisme ; 1930, Second manifeste du surréalisme. Le mouvement s’intéresse aux récits de rêves, à la folie et à toutes les manifestations de l’inconscient. Il prend pour modèles de subversion et de création, Sade, Lautréamont et Rimbaud. Les surréalistes sont à la recherche de la signification cachée du monde et privilégient la méthode de l’écriture automatique qui consiste à transcrire tel quel dans son incohérence tout ce qui vient à l’esprit hors du contrôle de la raison. En principe, le texte ne doit pas être retravaillé ni repris ou corrigé. Nommée aussi « pensée parlée » ou « écriture de pensée », l’écriture automatique s’éprouve sans souci de logique ni de censure (grammaticale, morale, esthétique), les phrases « qui cognent à la vitre » s’expriment librement. Le poète se place dans un abandon volontaire et une totale passivité, il n’est plus « qu’un modeste appareil enregistreur du phénomène ». Pour les surréalistes, l’imagination est la faculté principale de création (Baudelaire le proclamait déjà) : dans cette perspective, la poésie surréaliste est une poésie d’images. Elle joue sur les rapprochements entre deux réalités apparemment antagonistes – jeu sur les analogies et les correspondances spontanées qu’on va aussi retrouver dans les collages. Le surréalisme s’intéresse par conséquent au mystère et au fantastique. Ses jeux (dont le plus connu est le « cadavre exquis ») permettent une libération de l’esprit et font advenir des révélations. Cette quête de liberté amène les artistes à refuser les codes traditionnels d’écriture : mépris pour la description romanesque, refus du réalisme ou de l’esthétisme pur. L’émotion est capitale, elle doit être bouleversante et en rapport avec la vie.

Principales œuvres de Breton : 1920, Les Champs magnétiques ; 1923, Clair de terre ; 1928, Nadja ; 1932, Les Vases communicants ; 1937, L’Amour fou ; 1945, Arcane 17…

Mais la personnalité de Breton et les rapports conflictuels du surréalisme avec le Parti Communiste aboutissent à des ruptures et des divergences. Beaucoup d’écrivains seront des compagnons de route du surréalisme et débuteront avec lui, puis s’en dégageront, comme Éluard et Aragon. On a reproché aux surréalistes de n’être que des « révolutionnaires de salon ». Toutefois, dès 1926, les membres du groupe sympathisent avec le parti communiste d’URSS (Breton est un grand admirateur de Trotsky), tout en conservant leurs distances vis-à-vis de l’appareil politique. Le mouvement surréaliste connaît de nombreuses querelles intestines, certains membres en sont exclus (Soupault et Artaud en 1926, parce qu’ils attachaient trop d’importance à la « littérature », d’autres le joignent plus tard (Dali, Buñuel, René Char), surtout après la publication du Second Manifeste, en 1929. En 1933, Breton et Éluard rompent avec les communistes d’URSS, mais le mouvement gagne une audience internationale et Breton voyage beaucoup. Pendant la seconde guerre mondiale, Breton se réfugie aux États-Unis, tandis qu’Éluard

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rejoint la Résistance française, ainsi que René Char. Ce mouvement artistique majeur, dont on peut dater les activités entre 1924 et 1939,

est essentiel pour comprendre tout le XXe siècle : c’est bien souvent avec ou contre lui que s’affirmeront les artistes. Davantage qu’un mouvement, le surréalisme est une « véritable révolution culturelle, puisqu’il nous propose un bouleversement des idées, des images, des mythes, des habitudes mentales qui conditionnent à la fois la connaissance que nous avons de nous-mêmes et notre engagement dans ce monde. » (Robert Bréchon).

Le surréalisme est avant tout une réaction contre la société et ses contraintes qui conditionnent l’existence. La guerre de 1914-18 est perçue comme une faillite de la civilisation occidentale et, plus largement, une faillite du sens : « Par dessus tout, nous étions en proie au refus systématique, acharné, des conditions dans lesquelles, à pareil âge, on nous forçait à vivre. Mais ce refus ne s’arrêtait pas là, ce refus était avide […] ce refus portait […] sur toute la série des obligations intellectuelles, morales et sociales que de tous côtés et depuis toujours, nous voyions peser sur l’homme de manière écrasante. » (André Breton, Qu’est-ce que le Surréalisme ?, 1934).

Cependant, le surréalisme ne surgit pas ex nihilo, il se reconnaît des prédécesseurs, qui ont aussi heurté la culture rationaliste et bourgeoise : le Marquis de Sade d’abord, mais aussi Nerval, Lautréamont, Baudelaire, Rimbaud… Par ailleurs, l’influence de Freud est décisive, par la révélation de l’inconscient, l’importance des rêves et le refoulement des désirs. Les surréalistes reconnaissent encore dans les cultures dites « primitives » (l’Afrique notamment) des inspirations pour retrouver un esprit libéré des contraintes culturelles.

Même s’il subit les attaques des surréalistes, le roman se porte bien dans l’entre-deux

guerres. Il est à la fois marqué par une persistance de la veine psychologique (Raymond Radiguet), autobiographique (Colette) et sociale (Roger Martin du Gard) et par des tentatives de renouvellement du genre (Marcel Proust [texte 9] et André Gide [texte 10]).

Avec Les Faux-Monnayeurs (1925) et Le Journal des Faux-Monnayeurs, André Gide (1869-1951) renouvelle le récit romanesque. Il s’agit, pour lui, de purger le roman de tout ce qui l’embarrasse, c’est-à-dire de tout ce qui relève de l’héritage balzacien (dialogues rapportés, description des personnages…) : le roman doit impérativement se débarrasser de toutes ces « scories » afin d’atteindre ce que Gide appelle la « pureté ». Pour ce faire, il multiplie les intrigues et les enchevêtre, joue sur les points de vue narratifs (point de vue à partir duquel l’histoire est racontée) et surtout met en abyme son propre roman. Le texte est à la fois un réquisitoire contre la société bourgeoise de son époque et un texte sur la création et l’écriture d’un roman (« roman du roman »). Il y pose toutes les questions esthétiques et intellectuelles qui le préoccupent : le problème de l’engagement politique, celui de l’adolescence, de la révolte, celui de l’hypocrisie et du mensonge, de la trahison du langage.

Textes de Gide : Paludes, 1895 ; L’Immoraliste, 1902 ; La Porte étroite, 1909 ; Isabelle, 1911 ; Les Caves du Vatican, 1914 ; La Symphonie pastorale, 1919…

À côté de l’entreprise gidienne, il faudrait évoquer l’œuvre romanesque, tout aussi capitale pour la première moitié du XXe siècle, de Marcel Proust (1871-1922). En effet, on

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y rencontre pareillement ces procédés de mise en abyme qui visent, à l’intérieur même du roman, à interroger la place dévolue à l’art. Dans La Recherche du temps perdu (dont la publication, de Du côté de chez Swann au Temps retrouvé, s’échelonne de 1913 à 1927), le peintre Elstir, le musicien Vinteuil et l’écrivain Bergotte viennent, de fait, relayer les réflexions du narrateur en matière d’art. Dans une certaine mesure roman d’analyse psychologique et sociale (Proust démonte les mécanismes de la passion ; observe minutieusement le fonctionnement et les déviances d’une certaine société), La Recherche ne s’ancre pas pour autant dans une optique réaliste : la part de la subjectivité y est trop importante, mais aussi le lyrisme poétique d’une prose qu’informe prioritairement une réflexion profonde sur la dimension psychique du temps (Proust est influencé par les travaux du philosophe Henri Bergson) mais encore sur les pouvoirs de l’art, dimension sur laquelle l’œuvre se clôt magnifiquement.

Dans une perspective différente, Louis-Ferdinand Céline [texte 11] (1894-1961) va lui aussi renouveler le genre romanesque en introduisant la langue parlée dans le livre. Céline prend le réel comme point d’appui ; ainsi fait-il appel à ses souvenirs dans Voyage au bout de la nuit (1932) : il a été soldat pendant 14-18, il a été médecin dans les colonies puis dans la banlieue parisienne, il s’est rendu aux États-Unis… Mais il « transpose », c’est-à-dire qu’il prend ses distances pour interpréter le réel au moyen du style et de la mise en scène. Il s’agit de faire éprouver la scène, de rendre l’émotion et la profondeur de l’être. L’œuvre de Céline est noire, elle remplace souvent le désespoir par l’ironie ou la dérision méchante. La nouveauté esthétique réside dans le langage. Céline introduit le langage populaire dans le roman, brise la syntaxe, travaille la ponctuation afin qu’elle colle à l’expression et rende les sentiments les plus immédiats. Il fait des points de suspension un souffle, une respiration musicale. Il étend le lexique romanesque à l’argot, à tous les registres (sans pour autant éliminer le registre noble). Son désir est de retrouver le vitalité de l’oral et l’émotion du parler dans et par l’écrit. Ses romans sont malgré tout des textes d’intellectuel : si le peuple est décrit, c’est par un écrivain qui n’hésite pas à transposer dans son texte des tableaux et à dialoguer avec ses auteurs préférés (Rabelais, par exemple).

Textes de Céline : Mort à crédit, 1936 ; Bagatelles pour un massacre, 1937 ; L’École des cadavres, 1938 ; Les Beaux draps, 1941 ; Guignol’s band, 1944…

La montée du fascisme entraîne également un renouveau du roman engagé. Compagnon du Parti Communiste, Louis Aragon entreprend la rédaction d’un grand roman réaliste, Les Cloches de Bâle, qui paraîtra en 1934. Il construit ensuite un vaste ensemble de romans intitulé « Le Monde réel ». Dans cette même perspective, on constate un regain d’intérêt pour le roman fleuve, roman qui s’étend sur une très longue période et qui tente de montrer l’écoulement et le passage du temps à travers la destinée d’un personnage ou d’une famille entière : Jean-Christophe, de Romain Rolland ; Les Hommes de bonne volonté, de Jules Romain ; Les Thibault, de Roger Martin du Gard ; Chronique des Pasquier, de Georges Duhamel.

Corollaire de la montée de l’influence du Parti Communiste dans l’entre-deux guerres, on voit apparaître des romans populaires, des romans du peuple ou « populistes ». Déjà au XIXe siècle, des écrivains comme Émile Zola, Eugène Sue,

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Aristide Bruant, avaient utilisé l’argot dans leurs textes ; au XXe siècle, la peinture du monde ouvrier ou paysan se fait de l’intérieur par ceux qui l’ont fréquenté. Il s’agit d’un refus de l’imposture qui consiste à décrire la vie du peuple en étant un bourgeois avec la langue du bourgeois et ses préjugés. Du coup, les romans populistes (ou populaires) se détachent de l’intrigue bourgeoise et préfèrent évoquer des tranches de vie prises sur le vif : Louis Guilloux, La Maison du peuple, 1927 ; Eugène Dabit, L’Hôtel du Nord, 1929 ; Francis Carco, La Rue, 1930… On retrouvera chez Jean Giono la tentation similaire d’un roman paysan mais nettement plus reconstruit et poétisé : Colline, 1929 ; Un de Baumugnes, 1930 ; Regain, 1930 ; Le Chant du monde, 1934 ; Que ma joie demeure, 1935…

Avec François Mauriac, Georges Bernanos, Antoine de Saint-Exupéry, André Malraux [texte 12] ou Albert Camus [texte 13 : extraits], se développe une forme de roman éthique. Si les deux premiers écrivains orientent leur réflexion en fonction de leur croyance en Dieu alors que les trois suivants sont athées, leurs œuvres ont en commun la même conscience aiguë de l’absurdité d’un monde et d’une existence une fois constatée la disparition de Dieu (cf. le mot de Nietzsche : « Dieu est mort »). Pour Malraux comme pour Saint-Exupéry ou Camus, le monde est absurde, il n’a plus de sens depuis que le fondement supérieur qui justifiait tout sacrifice, toute injustice, s’est effondré. La mort de Dieu ôte ainsi toute signification à une vie désormais vouée à la mort et irrémédiablement rendue dérisoire parce que barrée par le néant. L’interrogation de Malraux et de Camus est métaphysique, même si ces écrivains ne peuvent se résoudre à croire en Dieu. Ils adoptent une position agnostique : ils ne peuvent croire en Dieu mais sont convaincus de la nécessité pour l’homme de la transcendance (ce qui dépasse l’être humain). Malraux et Camus ne peuvent en rester à cette position nihiliste qui rend vaine toute action, toute résistance et toute vie. Si on ne peut fonder les valeurs sur Dieu, il faut trouver ou réinventer des valeurs nouvelles qui s’appuieront sur l’homme. Malraux fonde ainsi un « humanisme tragique » : rien n’empêchera la mort, mais il est possible de vivre dignement et dans la lucidité de la condition humaine. C’est justement parce que l’homme meurt et que l’univers est indifférent à sa détresse que le moindre acte de générosité, de don, ou de résistance est héroïque et devient un « anti-destin ». Malraux parie sur l’action historique puis sur la création artistique ; Camus définit le concept positif de « vie révoltée » pour dégager la grandeur humaine malgré sa précarité et ses faiblesses. Dans cette perspective, les deux écrivains (tout comme Saint-Exupéry) s’engagent dans les combats du siècle (la décolonisation, la guerre d’Espagne, l’antifascisme, la Résistance, l’aviation) et offrent à leurs lecteurs des œuvres à l’image de leurs vie : des romans métaphysiques qui parlent de la condition humaine sur fond d’aventures, de révolutions, d’allégories.

Textes de Malraux : Les Conquérants, 1928 ; La Voie royale, 1930 ; La Condition humaine, 1933 ; L’Espoir, 1937…

Textes de Camus : L’Étranger, 1942 ; Le Mythe de Sisyphe, 1942 ; La Peste, 1947… Textes de Saint-Exupéry : Vol de nuit, 1931 ; Terre des hommes, 1939 ; Le Petit prince,

1943… Mauriac et Bernanos sont profondément croyants et ils affrontent eux aussi la

question de l’absurdité de la condition humaine. Mais au lieu de trouver dans l’orgueil

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d’être homme la nouvelle source de l’existence, ils parient, à l’image de Blaise Pascal (XVIIe siècle), dont on redécouvre en ce début de XXe siècle les Pensées sur Dieu et en particulier sur le sacrifice christique. Le Christ est celui qui a tout subi et souffert avant les hommes, celui qui a été le plus humilié et celui qui est sorti grandi de l’épreuve. Les personnages de Mauriac, aussi méprisables soient-ils, aussi criminels ou faibles qu’ils paraissent, ont tous droit à la rédemption et au pardon s’ils parviennent à découvrir au fond d’eux les traces de l’amour divin (voir Thérèse Desqueyroux, 1927 ou Le Nœud de vipères, 1932). Les personnages de Bernanos sont souvent des prêtres (Journal d’un curé de campagne, 1936 ; Sous le Soleil de Satan, 1926) qui sont confrontés à la présence du Mal sur terre et à l’avilissement du Christ en chaque homme. Bernanos propose des romans qui sont à la fois fantastiques (on y rencontre concrètement Satan et le mystère s’y éprouve tout comme la grâce) et métaphysiques (il s’agit d’y résoudre l’éternelle question de la salvation de l’homme et de son rapport angoissé à la mort). Ces questions paraissent éloignées de l’engagement politique de l’entre-deux guerres, mais il faut savoir que, comme pour Malraux ou Camus, la conscience et la responsabilité sont indispensables pour Mauriac et Bernanos qui entendent faire vivre concrètement le message christique. Bernanos assistera à la prise de pouvoir de Franco aux Baléares et en tirera un pamphlet sans concessions : Les grands cimetières sous la lune. Mauriac sera l’un des premiers intellectuels français avec Malraux à critiquer le pronunciamento et s’engagera aux côtés de De Gaulle dans la Résistance.

Parallèlement, les années trente marquent aussi la faveur du « roman cyle », une formule littéraire expérimentée plus tôt par Zola (Les Rougon-Macquart), Proust (À la Recherche du temps perdu) et Romain Rolland (Jean-Christophe, 1904-1912). Mais cette formule se poursuit avec Jacques Chardonne (Les Destinées sentimentales, 1934-1936), Georges Duhamel (La Chronique des Pasquier, 1933-1941), Roger Martin du Gard (Les Thibault, 1922-1940) et surtout Jules Romains (Les Hommes de bonne volonté, 1932 à 1947).

L’entre-deux guerres est enfin une période où le théâtre connaît une profonde

mutation. Si la tradition du théâtre de Boulevard se perpétue – non sans conservatisme (vaudeville, situations conventionnelles, intrigues bourgeoises) –, on remarquera le succès de Sacha Guitry et de Marcel Pagnol. Néanmoins, on observe l’émergence de volontés de renouvellement : en marge du théâtre de Boulevard, des dramaturges cherchent une vérité psychologique plus convaincante, quitte à mettre en scène des situations plus réalistes et violentes. D’autres comme Jean Cocteau (Parade, 1917), Jules Romains (Knock, 1923), intègrent à leurs pièces les résultats de leurs recherches esthétiques dans les domaines romanesque et poétique. Jean Anouilh et Jean Giraudoux vont renouer (tout comme Sartre dans Les Mouches en 1943) avec les pièces mythologiques et renouveler le genre en adaptant les « intrigues » à la situation actuelle. Giraudoux reprend ainsi plusieurs mythes germaniques, bibliques ou antiques (Amphitryon 38, 1929 ; La Guerre de Troie n’aura pas lieu, 1935 ; Électre, 1937) et leur donne une dimension humaniste. Ses pièces sont l’occasion de réfléchir sur le rapport de l’homme à l’Histoire, à l’engagement ou à la vérité. Chaque personnage devient un symbole ou un type et illustre l’universalité des questions humaines : La Guerre de Troie

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n’aura pas lieu fait ainsi référence à la montée des périls dans les années 30. Enfin la mise en scène évolue avec les avancées de Jacques Copeau qui dirige le

théâtre du Vieux-Colombier à Paris. Copeau dénonce le théâtre traditionnel trop occupé à satisfaire le public et corrompu par l’argent. Ce sont toujours les mêmes décors, les mêmes intrigues, les mêmes types de personnages. Copeau désire un théâtre plus pur, moins tributaire du décor et mis au service du texte. L’accent est mis sur l’écriture théâtrale ; l’acteur doit servir le texte ; la mise en scène est dépouillée. Dans cette perspective, des dramaturges créent le « Cartel » : ils proposent des représentations plus spontanées et travaillent sur les techniques de jeu qui mettront en valeur le sens du texte (Louis Jouvet). En 1938, paraît enfin Le Théâtre et son double, d’Antonin Artaud. Ce texte, qui est celui d’un ancien surréaliste, défend l’idée d’un art violent, quasi magique, qui donne comme essentielle la catharsis (purgation des passions du public pendant la représentation) et prône un retour aux origines du théâtre (libération des pulsions dans des rituels collectifs). L’ouvrage d’Artaud aura une grande influence sur la mise ne scène et l’écriture modernes.

La seconde guerre mondiale : La seconde guerre mondiale et, en France, la scission entre les partisans de

collaboration (régime de Vichy) et les Résistants, vont profondément et durablement marquer les Lettres. Les écrivains vont, d’une part, être partagés entre ceux qui ont collaboré et ceux qui ont résisté et, d’autre part, développer une conscience politique qui va beaucoup jouer sur la création littéraire.

Sous Vichy, la production littéraire est sous contrôle. Restriction du papier et de l’encre, censure créent cependant un besoin et une envie de lire chez les Français. Paradoxalement, alors que la production est très surveillée, on voit paraître de nombreux livres de qualité : Aragon, Char, Sartre, Éluard… L’occupation fait néanmoins le partage entre les collaborateurs qui se réclament de l’idéologie fasciste comme Pierre Drieu La Rochelle, Jacques Chardonne ou Robert Brasillach ; ceux qui sont nettement antisémites (Céline) ; ceux qui sans être pétainistes acceptent d’être publiés dans des organes de la collaboration (Marcel Aymé, Pierre Mac Orlan, Jean Anouilh qui publiera en 1944 son Antigone, symbole de celle qui résiste à la raison d’État) ; ceux qui résistent par leurs œuvres qu’ils font éditer légalement (Les Mouches, de Sartre) et ceux qui publient de façon clandestine aux éditions de « Minuit » (Vercors, Le Silence de la mer, 1942 ; François Mauriac, Le Cahier noir, 1943). La littérature collaborationniste a pour grands thèmes : la défaite de l’armée française, la régénération morale, l’anticommunisme, les valeurs paysannes et populaires, l’antisémitisme, la fascination pour la force et l’héroïsme. La littérature résistante se développe tout d’abord par le biais de la poésie : René Char, Fureur et mystère, 1948 ; Louis Aragon, « La Rose et le Réséda »…

L’après-guerre :

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Au sortir de la guerre, c’est le mouvement incarné par Jean-Paul Sartre [texte 14], l’existentialisme, qui domine la scène culturelle : mouvement parisien qui embrasse la philosophie, le théâtre et le roman, il a pour inspiratrices la philosophie du danois Kierkegaard (1813-1855) et celles de Heidegger et de Husserl (la phénoménologie). On distinguera l’existentialisme chrétien (Gabriel Marcel) de l’existentialisme athée (Sartre). Le maître mot de cette philosophie est « l’existence précède l’essence ». Autrement dit, il n’y a pas de nature humaine préexistante, il n’y a pas de définition préétablie de l’homme, de la nature ou de Dieu. L’homme existentialiste se définit lui-même, il s’édifie dans sa relation au monde et dans son rapport à l’expérience. Conscient de son pouvoir de construction, mais aussi de l’aliénation que constitue la présence nécessaire des autres, l’homme doit fonder sa propre liberté en situation, c’est-à-dire dans une réalité donnée et assumer ses actes (responsabilité et engagement). Camus fait lui aussi partie des existentialistes – du moins au début de la création du mouvement. Il se heurte très vite à Sartre, à la fois pour des raisons personnelles (l’un est philosophe professionnel, l’autre non, différences d’origine sociale, de rapport au monde) et rompt avec lui. L’apport de l’existentialisme est fondamental : il a permis d’établir un lien durable et riche entre la littérature, la vie et la philosophie.

Textes de Sartre : La Nausée, 1938 ; Le Mur, 1939 ; L’Être et le néant, 1943 ; Les Chemins de la liberté, 1945-1949 (trilogie) ; Les Mots, 1964… / Théâtre : Huis-clos, 1944 ; Les Mains sales, 1947…

À l’opposé, certains écrivains vont refuser cette politisation extrême de la littérature et surtout cet engagement des Lettres aux côtés du Parti Communiste. Les « Hussards » (Roger Nimier, François Nourissier, Françoise Sagan) vont se réclamer de Stendhal et renouer avec le mythe d’un héros romantique, tragique, extrémiste, centré sur l’épanouissement de son moi. La littérature pour eux est moins le lieu d’un engagement que celui de l’épanouissement du style et de la verve. Plutôt de droite, les hussards refusent le mouvement d’épuration des Lettres qui a mis Céline et Morand au ban au détriment de la valeur de leur œuvre. Ils réagissent contre Sartre et le sérieux de son engagement au nom d’un certain retour à une tradition classique de la fête, du plaisir et de la légèreté.

Dans une perspective similaire, d’autres écrivains se proposent de mettre davantage l’accent sur la recherche littéraire et sur les jeux d’écriture. En réaction contre la pesanteur de la philosophie de Sartre, on voit apparaître des œuvres parodiques (voir, en 1947, L’Écume des jours, de Boris Vian, où un des personnages collectionne les « vomis » de Jean-Sol Partre) ou des œuvres de recherche dans le cadre du mouvement de l’OULIPO. L’oulipo (ouvroir de littérature potentielle) est un mouvement créé par Raymond Queneau (Exercices de style, 1947 ; Zazie dans le métro, 1959 ; Les Fleurs bleues, 1965…) et François le Lionnais. Il s’agit pour ces écrivains (rejoints par Perec, par des mathématiciens ainsi que les membres du Collège de Pataphysique) de renouveler la création littéraire en partant du principe que la contrainte littéraire est indispensable. Toutes les grandes œuvres sont nées de contraintes (les trois unités, les règles de la métrique…) ; pour renouveler la création, il faut donc proposer des contraintes et travailler les textes afin que de l’arbitraire de cette exigence initiale surgisse une

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véritable œuvre. Souvent de nature mathématique, ces contraintes vont effectivement donner lieu à

des œuvres remarquables : celles de Perec sont peut-être les plus éblouissantes. La Disparition (1969) se présente ainsi comme un lipogramme en E, autrement dit dans ce roman de 300 pages la lettre E n’est pas utilisée une seule fois. Cela pourrait paraître n’être qu’un jeu gratuit : il n’en est rien. La Disparition raconte la quête de la lettre perdue, ce E qui n’existe pas en hébreu (Perec est juif), ce E qui renvoie aux parents de l’auteur disparus en camps de concentration. Et c’est encore à E que Perec dédie son livre en partie autobiographique W ou le souvenir d’enfance, 1975 : E pour EUX qui sont morts en Pologne, E pour Esther, sa tante qui l’a élevé à la place de ses parents, E pour le W couché qui renvoie simultanément à une partie du récit qui raconte la vie de sportifs sur une île nommée W, qui se révèle être un camp de concentration et qui renvoie aussi au symbole du travail (W), le travail de recherche du souvenir enfoui de la mort des parents et de l’absence qui fait l’objet du livre. On voit ainsi comment Perec utilise la contrainte et les échos mathématiques pour faire jaillir le sens et jouer en même temps avec le matériau de l’écriture, le seul qui lui permette de retrouver ce qu’il a perdu. Voir aussi La Vie mode d’emploi, 1978.

Les années 50-60 voient surgir un mouvement de renouvellement du roman : le nouveau roman. Alain Robbe-Grillet (Les Gommes, 1953 ; Le Voyeur, 1955 ; La Jalousie, 1957…), Claude Simon (Le Vent, 1957 ; L’Herbe, 1958 ; La Route des Flandres, 1960 ; La Bataille de Pharsale, 1969 ; Géorgiques, 1981 ; L’Acacia, 1989 ; Le Jardin des plantes, 1997…), Marguerite Duras [texte 15] (Un Barrage contre le Pacifique, 1950 ; Les Petits chevaux de Tarquinia, 1953 ; Moderato Cantabile, 1958 ; Le Ravissement de Lol V. Stein, 1964 ; Le Vice-consul, 1966 ; La Maladie de la mort, 1982 ; L’Amant, 1984 ; La Douleur, 1985… / Théâtre : Le Square, 1955 ; L’Amante anglaise, 1967-1968 / Films : India Song, 1973 ; Détruire dit-elle, 1969…), Michel Butor (Passage de Milan, 1954 ; L’Emploi du temps, 1956 ; La Modification, 1957…), Nathalie Sarraute (Tropismes, 1939 ; L’Ère du soupçon, 1956 ; Le Planétarium, 1959 ; Les Fruits d’or, 1963 ; Enfance, 1983… / Théâtre : Le Silence, 1964 ; Pour un oui ou pour un non, 1982), Robert Pinget (Le Fiston, 1959 ; Clope au dossier, 1961 ; L’Inquisitoire, 1962 ; Cette Voix, 1976 ; L’Ennemi, 1987…) font partie du mouvement qu’on a appelé le « nouveau roman ». Cette tendance est nommée d’après un article d’Émile Henriot dans le journal Le Monde en 1957 et un recueil d’articles d’Alain Robbe-Grillet, intitulé « Pour un nouveau roman » (1963). Elle regroupe en fait des individus au style différent (Alain Robbe-Grillet, Michel Butor, Claude Ollier, Nathalie Sarraute, Robert Pinget, Claude Simon, Marguerite Duras) mais qui publient chez le même éditeur parisien, Les Éditions de Minuit, et dont le directeur, Jérôme Lindon, joue dans les lettres françaises un rôle comparable à celui naguère joué entre les deux guerres par Gaston Gallimard ou Jacques Rivière (éditions Gallimard).

Ces écrivains se réclament de Joyce, de Kafka, de Proust et de Flaubert et remettent en cause la conception traditionnelle du roman. Il s’agit de concevoir le roman comme le lieu d’une recherche esthétique continue. Il ne s’agit plus de raconter une histoire, de créer un personnage avec un passé, un nom ou un destin. Le nouveau roman n’est pas une école mais correspond davantage à un ensemble d’œuvres publiées en France à

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partir des années 50 qui ont en commun le refus de s’assujettir aux règles et catégories propres au genre romanesque, à savoir : l’intrigue, le personnage et sa psychologie, le réalisme, bref le roman à la Balzac fait d’analyses psychologiques ou de grandes passions. C’est précisément au nom de la réalité et de la vérité que les nouveaux romanciers cherchent à pénétrer dans les méandres de la conscience ; ils veulent dire la complexité de la conscience, interroger notre rapport au temps, aux souvenirs, au monde. Leur désir est de montrer le monde tel qu’il est et non tel que nous nous projetons sur lui ; ils en passent par l’objectivité et l’absence d’émotion ou de projection sentimentale. Le monde est là sans signification et doit être décrit comme tel, c’est-à-dire dans son opacité et sa présence brute. Les choses n’ont plus de secret mais sont pesantes et ne peuvent être interprétées ; d’où l’importance fondamentale accordée à la description. Le refus de l’intrigue renvoie de même à la volonté de concevoir une œuvre par la force de son style et non par la qualité de son histoire ou de l’anecdote qu’elle narre. L’accent est mis sur l’écriture qui est le point central du roman. Le mouvement aura beaucoup de succès aux États-Unis et trouvera des applications au cinéma avec Alain Resnais (L’année dernière à Marienbad, 1961). Les nouveaux romanciers mettent l’accent sur la recherche formelle car il s’agit pour eux de mettre au point de « nouvelles formes romanesques capables d’exprimer de nouvelles relations entre l’homme et le monde » (Robbe-Grillet) : travail sur les points de vue, descriptions très précises au point de détruire ce qui est décrit, grossissement des objets, mise en abyme du roman en train de s’écrire, retranscription de voix, de bribes de conversations, vues partielles… L’intrigue est souvent inexistante et elle n’est jamais linéaire. Elle se dissout dans des impressions, il n’existe pas de fin ni de commencement. À l’univers structuré du roman qui privilégie l’écriture de l’aventure d’un personnage, les nouveaux romanciers opposent « l’aventure d’une écriture » (Ricardou), qui est avant tout une recherche sans finalité, une exploration de l’inconscient, dans laquelle le sujet (personnages, intrigue, situations) se dilue. Le roman devient ainsi une écriture dont l’objet est l’acte d’écrire, un acte qui vise finalement le langage.

On notera toutefois que la grandeur de ces « nouveaux romanciers » se mesure à l’évolution de leur conception du romanesque : les recherches formelles (formalistes) cèderont le pas, chez Duras, Sarraute ou Butor notamment, à la construction d’une œuvre singulière, protéiforme, dont le nouveau roman n’aura jamais constitué qu’une étape. On ne saurait en effet réduire leurs œuvres à une étiquette qu’ils n’ont jamais revendiquée.

Après les années 70, le mouvement perd de son souffle au profit d’un renouveau du roman traditionnel. Il n’avait du reste pas complètement disparu, si l’on songe, par exemple, à l’œuvre d’un Blaise Cendrars [textes 16, 17 & 18], qui délaisse la poésie de sa jeunesse (« Les Pâques à New York », 1912 ; « Prose du transsibérien et de la petite Jeanne de France », 1913 ; « Le Panama ou les aventures de mes sept oncles », 1918…) – poésie au départ influencée par celle d’Apollinaire –, au profit, notamment, d’un genre romanesque « cosmopolite » (mais cet esprit éclectique s’intéressera aussi bien au cinéma, à la radio…) : L’Or, 1925 ; Moravagine, 1926 ; Les Confessions de Dan Yack, 1929 ; Rhum, 1930 ; L’Homme foudroyé, 1945 ; La Main coupée, 1946 ; Bourlinguer, 1948 ; Le

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Lotissement du ciel, 1949… On peut ainsi noter que Marguerite Yourcenar fait paraître en plein essor du nouveau

roman, en 1968, L’œuvre au noir, qui est un roman de facture classique (intrigue chronologique, personnages caractérisés, contexte historique…), qui obtient un large succès. On évoquera également l’œuvre d’Albert Cohen, publiée dès les années 1930 (Solal, 1930 ; Mangeclous, 1938), mais qui atteint, après une longue éclipse, une force inattendue : Belle du seigneur, 1968 ; Les Valeureux, 1969. C’est à ce moment-là que commencent à publier Michel Tournier (Vendredi ou les limbes du Pacifique, 1967 ; Le Roi des Aulnes, 1971 ; Les Météores, 1975…), Jean-Marie Gustave Le Clézio [texte 19 : extraits] (Le Procès Verbal, 1963 ; Désert, 1980 ; Le Chercheur d’or, 1985 ; Onitsha, 1992 ; La Quarantaine, 1995…), Pascal Quignard, Jean Échenoz, Pierre Michon, Pierre Bergougnioux etc.

Dans le domaine du théâtre, on retrouve la même volonté de contestation et de

remise en cause des canons esthétiques traditionnels. Jean Vilar crée le Théâtre National Populaire (T.N.P.) dans le quartier Latin, puis le festival d’Avignon. Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud jouent Genet et s’appuient sur la ferveur du public. Parmi les exigences esthétiques de ce théâtre populaire, on trouve : le désir de renouveler le langage pour que puisse s’accomplir la communion magique entre les acteurs et le public, le refus de la psychologie (les personnages sont arbitraires, énigmatiques et imprévisibles), l’exigence de révolte et d’engagement (le public est déstabilisé et mis à contribution, c’est la « distanciation » ou « Verfremdungseffekt » chez Brecht), le théâtre devient le lieu de la révolte contre les idées et le monde bourgeois, il est vecteur de contestations sociales (Jean Genet : les Bonnes, 1947 ; Les Nègres, 1959 ; Les Paravents, 1961), il use de symboles et d’allégories (la faille dans le mur qui grandit pour signifier la mort du roi dans Le Roi se meurt, de Ionesco).

Le théâtre de l’absurde est représenté par Eugène Ionesco [texte 20] et Samuel Beckett [texte 21]. Leurs pièces mettent en scène la crise vécue par l’époque moderne : crise de l’individu et du moi face à un monde et une société qui manifestent de façon criante leur absurdité. Du coup, c’est l’existence même et l’identité de l’être humain qui vacillent. Il n’y a plus aucune valeur à laquelle on puisse se rattacher et c’est le langage même qui finit par être miné par l’absurde. Platitudes, jeux de mots absurdes, cris, bégaiements, renvoient au dérisoire d’une langue qui perd son assise et sa signification. Mettant en scène la mort, le théâtre de l’absurde aboutit au silence.

Textes de Ionesco : La Cantatrice chauve, 1950 ; La Leçon, 1951 ; Les Chaises, 1952 ; Rhinocéros, 1960 ; Le Roi se meurt, 1962…

Textes de Beckett : En attendant Godot, 1953 ; Fin de Partie, 1957 ; Oh ! les beaux jours, 1963…

Vers la poésie contemporaine. De même que le théâtre et le roman cherchent chacun

à leur manière à renouer avec l’essentiel, la poésie tente de retrouver, par-delà la « mort de Dieu » annoncée par Nietzsche un siècle plus tôt, mais aussi par le poète allemand Hölderlin (« Et pourquoi, dans ces temps d’ombre misérable, des poètes ? »), un rapport

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originel et sacré avec le monde. Elle devient ainsi pour beaucoup de poètes (René Char, Saint-John Perse, Henri Michaux [textes 22 & 23], ou, plus près de nous, Yves Bonnefoy) le seul moyen offert à l’homme pour renouer avec l’Être. Alors que les explications scientifiques échouent finalement à répondre à la question du sens de l’existence, et malgré le mot du philosophe allemand Adorno selon lequel « la poésie n’est plus possible après Auschwitz », la poésie se présente comme un lieu d’interrogation et de révélation (provisoire, fragile, certes) de la vérité. Elle est salut et équivalent moderne, pour certains poètes, de la transcendance perdue avec la mort de Dieu. Pour d’autres, elle est le lieu lucide de l’interrogation (du monde, de soi, de la langue), qui n’aboutit cependant à aucune révélation. Elle est avant tout travail sur/de la langue. On s’interroge également sur les objets, le mystère que cèle en la dévoilant leur muette opacité (Francis Ponge [textes 24, 25, 26 & 27]).

Cette fonction nouvelle de lucidité et, parfois, de révélation du mystère de la vie et de l’homme (la poésie surréaliste ayant contribué à valoriser cet aspect), s’effectue par le biais d’un renouvellement des formes – révolution largement amorcée dans le dernier tiers du XIXe siècle, via les œuvres de Charles Baudelaire (Petits poëmes en prose, 1869), d’Arthur Rimbaud (Une saison en enfer, 1873 ; Illuminations, 1886), ou encore de Stéphane Mallarmé. Le poème, libéré des anciennes contraintes métriques, se fait plus court et, souvent, gagne le terrain de la prose : poèmes en prose, fragments, paroles minimalistes (le mouvement d’une poésie dite « minimaliste » est représenté par les œuvres de Eugène Guillevic, André du Bouchet ou encore Claude Esteban dans sa première production), éparpillées – « en archipel » pour Char –, aphorismes) ; il se fait parfois lyrique ou incantatoire (les versets de Saint-John Perse ou Aimé Césaire sont cependant différents de celui jadis inauguré par Paul Claudel dans ses Cinq grandes odes, 1905-1910) – quoique la deuxième moitié du siècle élise plus volontiers des formes brèves et volontairement « littéralistes », « dés-affectées ».

Ce faisant, et dénouant alors bien souvent le lien qu’elle avait encore jusque-là avec le sacré, dans un mouvement auto-réflexif, auto-référentiel (mais déjà Baudelaire : « La poésie n’a pas d’autre but qu’elle même »), la poésie se définit elle-même au cœur du poème. Fréquemment, le texte se fait le récit de la vision poétique ; il s’offre comme le reflet de la révélation, ou du travail, qui se donne à voir (ou se cherche) en texte. L’écriture se centre alors sur les images et les métaphores, qu’un rythme nouveau, fait de ruptures et de blancs, ou alors de subtiles « correspondances » (Baudelaire) sonores et visuelles (assonances, allitérations, disposition du vers sur la page…) vient relayer.

Autres perspectives essentielles pour aborder la littérature contemporaine… L’une des caractéristiques de la littérature contemporaine en France est qu’il est

difficile d’identifier des courants, ou des écoles, comme l’histoire de la littérature depuis le début du XIXe siècle en avait proposé. Les écrivains aujourd’hui sont plus des individus que des représentants d’une tendance, et encore moins d’une école. Toutefois, il est indéniable que, depuis les années 1980, le roman est retourné au romanesque, l’autobiographie (et l’autofiction) sont très présentes, l’analyse psychologique des

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personnages a été remplacée par une plus grande neutralité, tandis que la poésie, elle, oscille sans choisir entre un « lyrisme critique » (Jean-Michel Maulpoix) et la littéralité (Jean-Marie Gleize).

La littérature francophone : les littératures de langue française (le pluriel est là pour

insister sur la plurivocité d’une littérature traversée par des langues, des histoires et des cultures très différentes) constituent aujourd’hui un véritable vivier de créateurs à l’étranger (anciens pays colonisés ou non), comme en France. Les « pères » en poésie de la littérature francophone sont Aimé Césaire [texte 28] et Léopold Sédar Senghor.

À ses début, la littérature d’expression française se consacre surtout à la dénonciation de la colonisation (1921 : René Maran, Batouala), mais très vite se constitue un groupe d’étudiants désireux de défendre et d’illustrer la culture africaine. Césaire, Senghor et Damas fondent le mouvement de la « négritude ». Si chaque écrivain a sa propre conception de la négritude, ils se retrouvent dans l’idée qu’il faut souligner les apports culturels de la culture nègre à l’humanité. Les poèmes de Senghor (Chants d’ombre, 1945) montrent la beauté de l’Afrique et introduisent la notion de rythme dans la prosodie. Ce rythme, loin d’être régulier comme dans la poésie classique, se structure à partir d’infimes différences, de variations et de battements irréguliers, donnant à la poésie de Senghor une dimension orale et musicale. Chez Césaire, la dimension du combat politique est plus marquée : dans Cahier d’un retour au pays natal (1939), il montre les ravages de la colonisation en Martinique, et dans La Tragédie du roi Christophe (1963), il révèle les difficultés des Africains à assumer leur liberté après la colonisation et à écrire leur propre histoire (dans sa pièce, Césaire utilise les chants et le créole).

Dans la lignée de ces deux écrivains, d’autres créateurs vont émerger, dont les œuvres et la réflexion sont aujourd’hui essentielles : René Depestre, Édouard Glissant, Raphaël Confiant, Patrick Chamoiseau, Ahmadou Kourouma, Mongo Beti, Sembene Ousmane…

Les années 50 ont également vu le développement de la littérature maghrébine pour qui se pose aussi la question douloureuse de l’emploi de la langue française : comment, en effet, revendiquer une littérature (africaine ou) maghrébine dans une langue qui est celle du colonisateur ? Au fil du temps, ce double héritage est vécu avec de plus en plus de sérénité jusqu’au bilinguisme. Voir Mouloud Feraoun, Le Fils du pauvre, 1950 ; Mohammed Dib, La Grande maison, 1952 ; Kateb Yacine, Nedjma, 1956 ; Rachid Boudjedra, La Répudiation, 1969 ; Assia Djebar, Femmes d’Alger dans leur appartement, 1980 ; Tahar Ben Jelloun, L’Enfant de sable, 1985 ; La Nuit sacrée, 1987…

La littérature policière et de science-fiction : avec l’édition en feuilletons au XIXe

siècle (Les Mystères de Paris, d’Eugène Sue) puis la naissance du livre de poche au XXe siècle, s’est développée une littérature populaire à grand succès. De marginale, cette littérature est devenue incontournable et étudiée pour elle-même.

Le roman policier se présente tout d’abord comme un roman à énigme dont le lecteur est censé trouver la solution à l’image du détective (Maurice Leblanc et les Arsène Lupin, créé en 1907 ; Gaston Leroux et Rouletabille, créé en 1907). Ce roman favorise la

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création d’atmosphères noires et angoissantes : voir Fantômas, créé en 1911 par Souvestre et Allain, et les romans de Boileau et Narcejac. Mais très vite les romanciers comprennent tout l’intérêt qu’offre le roman noir : ils privilégient, comme Georges Simenon (Maigret), les atmosphères et l’évocation de milieux variés. C’est alors l’aspect psychologique et humain qui est amplifié (veine qu’exploite notamment le roman policier contemporain).

Dans le roman noir, on trouve l’évocation de milieux interlopes et la recréation d’atmosphères violentes et réalistes. Véritable miroir sociologique, le roman noir met en scène le peuple, les petits brigands, utilise l’argot, conteste l’institution, fait de la noirceur tragique une source de poésie.

Quant à la science-fiction (Barjavel, Brussolo, Klein, Sternberg…), elle connaît de même un formidable essor depuis Jules Verne et les romans et nouvelles fantastiques du XIXe siècle qui l’avait annoncée (Prosper Mérimée, Théophile Gautier, Guy de Maupassant...).

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