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DE LA THéORIE… De la théorie à la pratique Les monographies s’inscrivent dans le cadre des visées stratégiques du ministère de l’Éducation de l’Ontario, entre autres, l’atteinte de hauts niveaux de rendement des élèves et la réduction des écarts en matière de rendement des élèves. Novembre 2011 Questions principales Si l’apprentissage de la langue des signes québécoise (LSQ) contribue à la construction d’une « identité sourde », est-ce qu’apprendre à lire dans cette langue pourrait venir compléter ce processus de construction identitaire? Qu’observe-t-on dans un cours de SignWriting (SW) conçu comme ajout à la dimension écrite de la LSQ et comme outil de transition vers le français écrit? Comment un élève sourd profond arrive-t-il à construire le sens d’un texte écrit avec l’aide de son enseignante? Selon la recherche Dalle (2003) affrme que les diffcultés scolaires, l’illettrisme ou la maîtrise insuffsante du français écrit, l’absence de diplôme ou de qualifcation et, enfn, les diffcultés de communication ont de fortes répercussions sur l’insertion sociale et professionnelle des adultes sourds. À titre d’exemple, en 1991, l’Offce des personnes handicapées du Québec (OPHQ) rapportait que « seulement 19 % des personnes atteintes de surdité sévère ou profonde âgées de plus de 15 ans et de moins de 65 ans occupaient un emploi » (p. 137). En fait, l’accès au langage (qu’il soit oral, écrit ou signé) est au cœur du processus identitaire de l’élève sourd pour qui les diffcultés de communication entravent la socialisation. La majorité des études portant sur l’apprentissage de la lecture ont été menées auprès d’anglophones et non de francophones. AUTEURES de la recherche Daphne Ducharme est professeure adjointe au programme d’audiologie et d’orthophonie de l’École des sciences de la réadaptation de l’Université d’Ottawa depuis juillet 2003. Elle est responsable des cours de troubles du langage chez l’enfant au sein du programme. Elle s’est intéressée entre autres au problème de l’apprentissage de la lecture chez les enfants et les adultes qui ont un trouble de la communication ou du langage, notamment ceux qui s’expriment en langue des signes québécoise. Isabelle Arcand est candidate au doctorat à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa. Sa thèse porte sur la réussite scolaire et l’expérience universitaire. Outre sa participation au programme de recherche sur l’apprentissage de la lecture chez les élèves sourds, elle a participé à d’autres projets de recherche, notamment sur le thème du développement social positif en milieu scolaire et sur celui de l’engagement au premier cycle universitaire. Julie Chrétien est directrice des ateliers adaptés Stimul’Arts dans l’organisation Regroupement des organismes de promotion de personnes handicapées de Laval (ROPPHL). Monographie n o 15 Apprentissage de la lecture chez les enfants ayant une surdité PREMIèRE RECHERCHE – Le SignWriting (SW) comme outil pour apprendre le français écrit : Une contribution à la construction identitaire de jeunes sourds en milieu francophone minoritaire? SECONDE RECHERCHE – How Do Deaf Signers of LSQ and Their Teachers Construct the Meaning of a Written Text? Cette monographie traite de deux recherches portant sur l’apprentissage des élèves sourds profonds : quelles stratégies d’enseignement sont à privilégier afn d’optimiser leur capacité de faire la transition entre les modes linguistiques (SW, LSQ, français écrit) leur permettant ainsi de pouvoir mieux s’intégrer à la société entendante? La première, une recherche-action collaborative, vise à connaître le rôle que peut jouer le SignWriting (SW) dans la construction identitaire chez l’élève sourd et son apport éventuel comme transition vers le français écrit, moyen de communiquer avec la majorité entendante. Première recherche Stratégie de mise en œuvre Contexte scolaire Le contexte scolaire dans lequel cette recherche a été menée est celui d’une école spécialisée offrant l’enseignement, tant au palier élémentaire qu’au palier secondaire, aux élèves atteints d’une surdité. La langue d’enseignement est la LSQ, associée à la culture sourde; toutefois, la langue écrite est le français, associé à la culture de la majorité entendante. L’établissement dessert une population d’élèves, issus de familles francophones minoritaires, des 12 conseils scolaires de langue française de l’Ontario. Participants Le profl des 10 élèves, atteints de surdité et manifestant des diffcultés d’apprentissage en lecture, varie : en âge de 4 à 13 ans; selon leur niveau de cours LSQ – débutant à très fuide; selon leur apprentissage du français écrit et oral – niveau de lecture inférieur à la 2 e  année. La langue d’enseignement en salle de classe est la LSQ. La recherche-action collaborative (Savoie-Zajc, 1999) permet à l’équipe d’intervenants (enseignante titulaire, deux membres du personnel et un interprète) d’échanger et de revoir leurs expériences en les confrontant à celles des chercheuses de l’Université d’Ottawa (une professeure entendante et une assistante de recherche atteinte d’une surdité légère, ayant une compétence élevée en LSQ) dans un contexte dynamique et collaboratif. Procédure Introduisant le cours de SW en septembre 2007, l’enseignante crée, pendant l’année scolaire, son propre matériel pour l’enseignement de la LSQ d’après des leçons élaborées pour le American Sign Language (ASL) du site Web Sutton’s SignWriting Site (www.signwriting,org). Les activités en cours comprennent : la lecture d’un texte en SW; le décodage en groupe-classe de nouveaux symboles projetés sur un écran; l’enseignement des différentes composantes des symboles et leur correspondance en LSQ; l’enseignement de nouveaux mots de vocabulaire en SW. La Direction des politiques et programmes d’éducation en langue française a pour objectif de fournir aux enseignantes et aux enseignants les résultats de la recherche actuelle sur l’enseignement et l’apprentissage. Les opinions et les conclusions exprimées dans ces monographies sont, toutefois, celles des auteurs; elles ne refètent pas nécessairement les politiques, les opinions et l’orientation du ministère de l’Éducation de l’Ontario.

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de LA Théorie…

De la théorie à la pratique Les monographies s’inscrivent dans le cadre des visées stratégiques du ministère de l’Éducation de l’Ontario, entre autres, l’atteinte de hauts niveaux de rendement des élèves et la réduction des écarts en matière de rendement des élèves.

Novembre 2011

Questions principales

Si l’apprentissage de la langue des signes québécoise (LSQ)

contribue à la construction d’une « identité sourde », est-ce

qu’apprendre à lire dans cette langue pourrait venir compléter

ce processus de construction identitaire?

Qu’observe-t-on dans un cours de SignWriting (SW) conçu

comme ajout à la dimension écrite de la LSQ et comme outil

de transition vers le français écrit?

Comment un élève sourd profond arrive-t-il à construire le

sens d’un texte écrit avec l’aide de son enseignante?

Selon la recherche Dalle (2003) affirme que les difficultés scolaires,

l’illettrisme ou la maîtrise insuffisante du français écrit, l’absence de diplôme ou de qualification et, enfin, les difficultés de communication ont de fortes répercussions sur l’insertion sociale et professionnelle des adultes sourds. À titre d’exemple, en 1991, l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) rapportait que « seulement 19 % des personnes atteintes de surdité sévère ou profonde âgées de plus de 15 ans et de moins de 65 ans occupaient un emploi » (p. 137).

En fait, l’accès au langage (qu’il soit oral, écrit ou signé) est au cœur du processus identitaire de l’élève sourd pour qui les difficultés de communication entravent la socialisation.

La majorité des études portant sur l’apprentissage de la lecture ont été menées auprès d’anglophones et non de francophones.

AUTEURES de la recherche Daphne Ducharme est professeure adjointe au programmed’audiologie et d’orthophonie de l’École des sciences de la réadaptation de l’Université d’Ottawa depuis juillet 2003. Elle est responsable des cours de troubles du langage chez l’enfant au sein du programme. Elle s’est intéressée entre autres au problème de l’apprentissage de la lecture chez les enfants et les adultes qui ont un trouble de la communication ou du langage, notamment ceux qui s’expriment en langue des signes québécoise.

Isabelle Arcand est candidate au doctorat à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa. Sa thèse porte sur la réussite scolaire et l’expérience universitaire. Outre sa participation au programme de recherche sur l’apprentissage de la lecture chez les élèves sourds, elle a participé à d’autres projets de recherche, notamment sur le thème du développement social positif en milieu scolaire et sur celui de l’engagement au premier cycle universitaire.

Julie Chrétien est directrice des ateliers adaptés Stimul’Arts dans l’organisation Regroupement des organismes de promotion de personnes handicapées de Laval (ROPPHL).

Monographie no 15

Apprentissage de la lecture chez les� enfants ayant une surdité�

Première recherche – Le SignWriting (SW) comme outil pour apprendre le français écrit : Une contribution à la construction identitaire de jeunes sourds en milieu francophone minoritaire?

SecoNde recherche – how do deaf Signers of LSQ and Their Teachers construct the meaning of a Written Text?

Cette monographie traite de deux recherches portant sur l’apprentissage des élèves sourds profonds : quelles stratégies d’enseignement sont à privilégier afin d’optimiser leur capacité de faire la transition entre les modes linguistiques (SW, LSQ, français écrit) leur permettant ainsi de pouvoir mieux s’intégrer à la société entendante?

La première, une recherche-action collaborative, vise à connaître le rôle que peut jouer le SignWriting (SW) dans la construction identitaire chez l’élève sourd et son apport éventuel comme transition vers le français écrit, moyen de communiquer avec la majorité entendante.

Première recherche

Stratégie de mise en œuvre

Contexte scolaire Le contexte scolaire dans lequel cette recherche a été menée est celui d’une école spécialisée offrant l’enseignement, tant au palier élémentaire qu’au palier secondaire, aux élèves atteints d’une surdité. La langue d’enseignement est la LSQ, associée à la culture sourde; toutefois, la langue écrite est le français, associé à la culture de la majorité entendante. L’établissement dessert une population d’élèves, issus de familles francophones minoritaires, des 12 conseils scolaires de langue française de l’Ontario.

Participants Le profil des 10 élèves, atteints de surdité et manifestant des difficultés d’apprentissage en lecture, varie :

en âge de 4 à 13 ans; selon leur niveau de cours LSQ – débutant à très fluide; selon leur apprentissage du français écrit et oral – niveau de lecture inférieur à la

2e année.

La langue d’enseignement en salle de classe est la LSQ.

La recherche-action collaborative (Savoie-Zajc, 1999) permet à l’équipe d’intervenants (enseignante titulaire, deux membres du personnel et un interprète) d’échanger et de revoir leurs expériences en les confrontant à celles des chercheuses de l’Université d’Ottawa (une professeure entendante et une assistante de recherche atteinte d’une surdité légère, ayant une compétence élevée en LSQ) dans un contexte dynamique et collaboratif.

Procédure Introduisant le cours de SW en septembre 2007, l’enseignante crée, pendant l’année scolaire, son propre matériel pour l’enseignement de la LSQ d’après des leçons élaborées pour le American Sign Language (ASL) du site Web Sutton’s SignWriting Site (www.signwriting,org). Les activités en cours comprennent : la lecture d’un texte en SW; le décodage en groupe-classe de nouveaux symboles projetés sur un écran; l’enseignement des différentes composantes des symboles et leur correspondance en

LSQ; l’enseignement de nouveaux mots de vocabulaire en SW.

La Direction des politiques et programmes d’éducation en langue française a pour objectif de fournir aux enseignantes et aux enseignants les résultats de la recherche actuelle sur l’enseignement et l’apprentissage. Les opinions et les conclusions exprimées dans ces monographies sont, toutefois, celles des auteurs; elles ne reflètent pas nécessairement les politiques, les opinions et l’orientation du ministère de l’Éducation de l’Ontario.

 

Procédure (suite) Aux fins de recherche, l’enseignante tient un journal de bord quotidien des actions et des réactions des élèves. Suivant les étapes prescrites d’une recherche-action collaborative, la collecte de données se fait selon un cycle de trois étapes : l’observation, la réflexion et l’action. Au cours de l’année scolaire, ce cycle est répété sept fois, amorcé par l’enregistrement d’une période d’enseignement filmée par l’équipe de chercheuses. Cet enregistrement représente la première étape, l’observation. Une discussion d’environ deux heures, réunissant l’enseignante du cours de SW, les deux assistants du cours, la chercheuse principale et son assistante ainsi qu’un interprète LSQ­français, prend place systématiquement la semaine suivant le tournage : 1. on visionne la bande vidéo pour en analyser le contenu; 2. on discute des perceptions, des interprétations, des préoccupations et des

problèmes vécus par les intervenants quant au changement de pratiques, ainsi que des succès, des progrès et des améliorations perçus;

3. on fait le bilan de l’expérience d’enseignement du SW pour reformuler les objectifs des périodes d’enseignement ultérieures, amorçant ainsi un nouveau cycle d’observation, de réflexion et d’action.

résultats Au cours de l’analyse collaborative, on décèle quatre grands thèmes : 1. les apports du SW; 2. l’organisation de l’enseignement et des contenus, des activités, des démarches

suivies; 3. les questionnements et les défis de l’apprentissage du SW; 4. les difficultés liées au contexte d’enseignement. La présentation et l’interprétation de ces quatre thèmes permettent, d’abord, de découvrir ce qui se passe lorsque des élèves reçoivent pour la première fois un enseignement du SW; puis, d’explorer et de discuter du SW comme outil de construction identitaire chez les élèves.

Apports du SignWriting Les élèves sont motivés, très actifs et attentifs au point où leur intérêt pour le

SW persiste jusqu’à la fin du projet. Les élèves communiquent davantage entre eux et avec les enseignantes et les

enseignants, s’exprimant de façon plus vive et même, à l’occasion, en défendant leur point de vue.

À maintes reprises, et quel que soit le niveau des élèves, on remarque que l’apprentissage du SW facilite l’apprentissage de la LSQ.

Puisque la LSQ est une langue signée et que, par conséquent, elle n’a pas de version écrite, les élèves s’entendent, en discutant, sur la façon de produire un signe : dans ces conditions, les échanges entre eux sont optimisés.

Les intervenants remarquent que l’apprentissage du SW favorise l’acquisition des compétences linguistiques.

Pour les enseignantes et les enseignants, le SW constitue un outil d’évaluation, tant des pratiques linguistiques que dans le dépistage des difficultés chez les élèves.

Stratégies d’enseignement Dès le début du projet, le cours de SW se fonde sur un manuel d’unités d’apprentissage de SW : l’enseignante présente systématiquement les différents éléments constituant les symboles de SW. Le groupe-classe procède à l’élaboration du sens des symboles en faisant un travail collectif. Il s’agit d’une méthode de travail à l’aide de laquelle les élèves réussissent, progressivement, à approfondir leur compréhension du SW. À ce stade, le français est introduit pour faciliter la compréhension à l’aide de l’orali­sation. Une enseignante déclare : « On montre d’abord le symbole de SW et ils ne comprennent pas, même avec le signe en LSQ. On écrit les mots en français au tableau et on oralise, puis ils arrivent à comprendre et font le lien avec le symbole SW. »

Questionnements et défis de l’apprentissage du SW La plupart des difficultés rencontrées au cours du projet sont d’abord et avant tout liées à la maîtrise de la LSQ et, particulièrement, à l’hétérogénéité du groupe quant au niveau de compétence de la LSQ. De plus, les problèmes survenant pendant l’apprentissage du SW découlent principalement d’un manque de pratique; toutefois, les élèves observés dans cette étude en sont encore au tout début de leur apprentissage du SW. Dans l’apprentissage du SW, un troisième défi réside dans la transition entre les modes linguistiques de la LSQ, du SW et du français.

Difficultés liées au contexte d’enseignement Les intervenants s’entendent pour dire que les différences mentionnées ci-dessous nuisent à l’apprentissage : l’écart entre l’âge des élèves; l’écart entre le niveau de compétence linguistique du groupe­

classe (LSQ, français). Pour dissiper ces préoccupations, les élèves sont regroupés selon leur compétence en LSQ, et l’on adapte l’enseignement du SW selon les habiletés des groupes : la différenciation pédagogique! Demeure le fait qu’en général les élèves ont des lacunes en ce qui a trait à la compétence linguistique de la LSQ et du français.

Seconde recherche

Cette recherche, de nature exploratoire, vise à cerner, au cours d’une tâche, le comportement des utilisateurs de la LSQ ayant une surdité profonde et celui de leurs enseignantes pour comprendre la signification d’un texte.

Stratégie de mise en œuvre

Contexte scolaire/Participants Trois adolescents ont été sélectionnés dans une école résidentielle pour enfants sourds offrant un programme bilingue et biculturel de l’apprentissage en français de la LSQ. Un diagnostic de surdité profonde à la naissance a été établi chez ces adolescents. Leur mode de communication est la LSQ et leur langue à l’écrit est le français. Les élèves participant sont :

Justin (14 ans) qui requiert une aide accrue pour lire un texte de niveau de 2e année; Dominic (17 ans) qui requiert une certaine aide pour comprendre un texte de niveau de 3e année; Richard (18 ans), étant le lecteur le plus autonome des trois, performant à un niveau de 4e année.

Issus d’un milieu familial francophone minoritaire dans une province majoritairement anglophone, ils sont placés en situation de « double minorité », étant sourds parmi une majorité entendante. Deux enseignantes engagées et disponibles sont aussi choisies étant donné que leurs stratégies d’enseignement diffèrent l’une de l’autre :

une enseignante entendante, Carrie, qui donne le cours de français aux trois adolescents. Sa langue maternelle est le français et sa langue seconde est la LSQ. une enseignante sourde, Melissa, qui travaille dans l’école depuis plusieurs années. S’occupant aussi d’activités parascolaires en art dramatique, elle a la chance d’interagir avec les trois lecteurs.

Procédure À tour de rôle, tantôt avec l’aide de l’enseignante entendante, tantôt avec l’aide de l’enseignante sourde, Justin, Dominic et Richard lisent un texte narratif tiré d’un cahier de lecture coté à leur niveau. Ensuite, chacun raconte le récit qu’il a lu, en le « signant tout haut ». Chaque groupe (élève et enseignante) est filmé sur vidéo pendant la lecture du texte et l’interaction entre les deux personnes pour comprendre le sens du texte. L’activité de lecture dure environ 30 minutes et se termine lorsque l’élève et l’enseignante s’entendent pour dire que le texte est compris. Ces exercices de lecture sont suivis, dans l’espace des trois jours suivants, d’une activité de rappel pour identifier les stratégies qu’a employées l’élève pour comprendre le texte, ainsi que les stratégies qu’a utilisées l’enseignante pour l’amener à construire le sens du texte écrit. Pendant l’exercice de rappel, enseignantes et élèves sont isolés dans le but de connaître, indépendamment, leurs impressions à l’égard de l’expérience de lecture. Ces exercices sont facilités par la présence d’un assistant de recherche formé et d’un interprète de la LSQ en français.

de la théorie à la pratique Cette monographie est affichée dans le site Web du ministère de l’Éducation de l’Ontario au lien suivant : www.edu.gov.on.ca/fre/teachers/studentsuccess/results.html.

de la théorie à la pratique

Procédure (suite) Les stratégies privilégiées par les lecteurs ou les enseignantes sont classées en deux catégories (Padden et Ramsey, 1998) :

Compréhension axée sur les mots (accent sur le mot isolé)

• Dessin : pour comprendre un mot. • Écriture : l’enseignante écrit un ou plusieurs mots pour

aider l’élève à mieux comprendre un mot ou à cerner le sens d’un mot difficile à comprendre.

• Épellation digitale : l’enseignante épelle un mot en utilisant la langue des signes.

• Jeux de rôle : l’élève ou l’enseignante joue le rôle d’un personnage du récit.

• Lecture labiale : l’élève ou l’enseignante prononce un mot avec ses lèvres pour aider à comprendre ce mot.

• Logique : l’élève ou l’enseignante se sert du raisonnement logique ou de la cohérence d’un texte pour expliquer la signification d’un mot.

• Mot de la même famille : pour déduire le sens du mot. • Réponse en LSQ : l’enseignante indique à l’élève la

signification du mot en LSQ pour lui faire comprendre qu’il connaît le concept et qu’il peut en comprendre le sens.

• Synonyme : ou mot ayant la même signification. • Décodage (phonétique ou visuel) : l’élève ou l’enseignante

fait appel à la correspondance lettre et son ou à l’aspect visuel d’un mot.

• Apprentissage du vocabulaire : stratégies qui aideront l’élève à apprendre un nouveau vocabulaire.

Recherche du sens global (accent sur la phrase ou le paragraphe)

• Analogie : faire une analogie entre deux mots. • Contexte : l’élève ou l’enseignante se fonde sur

l’information concernant un mot (tiré d’une phrase ou d’une illustration) pour créer le récit.

• Expérience de vie : se réfère à ses connaissances antérieures – souvenirs, expérience, connaissances.

• Représentation visuelle (élève) : se fait une représentation visuelle de ce qui est écrit dans le texte.

• Sens global : l’ensemble du texte ainsi que les connaissances antérieures pour décoder le sens du mot ou de la phrase.

• Structure grammaticale : se reporte aux caractéristiques grammaticales du français ou de la LSQ pour établir le sens d’une phrase.

• Vérification de la compréhension : l’enseignante interroge l’élève pour vérifier sa compréhension d’une phrase, d’un paragraphe ou du récit.

• Explication en LSQ (enseignante) : l’information est transposée en LSQ pour aider l’élève à mieux saisir un nouveau concept, puisqu’il ne connaît ni le mot ni le signe rattaché au nouveau concept.

• Guider : l’enseignante donne un exemple, un indice ou une réponse pour aider l’élève.

• Comprendre le sens par soi-même (élève) : l’élève essaie de comprendre par lui-même.

• Mime : l’élève ou l’enseignante fait des gestes pour illustrer une action.

• Questionnement : l’enseignante interroge sans cesse l’élève jusqu’à ce qu’il comprenne.

• Référence aux illustrations du récit : l’élève pointe ou mentionne des illustrations du texte pour expliquer sa compréhension du texte.

• Référence à la LSQ : l’élève ou l’enseignante utilise les règles de syntaxe et de morphologie pour définir le sens d’un texte.

résultats À la suite de l’analyse des activités de rappel, les figures et les tableaux ci-après illustrent les résultats :

Stratégies employées par Justin Stratégies employées par Dominic Figure 1 – Avec Melissa (enseignante sourde) Avec Carrie (enseignante entendante)

Justin 2e année en

lecture

Nbre de stratégies employées

14 14

Strat

égies

privi

légiée

s

Recherche du sens global (50 %) • Comprendre le sens par soi-même

(6 x) • Contexte (5 x) • Référence aux illustrations du récit

(4 x) • Référence à la LSQ (3 x)

Recherche du sens global (38,2 %) • Contexte (8 x) • Référence à la LSQ (7 x) • Comprendre le sens par soi-même

(3 x)

Compréhension axée sur les mots (50 %)

Compréhension axée sur les mots (61,8 %)

• Décodage (phonétique ou visuel) • Décodage (phonétique ou visuel) (13 x) (13 x) • Logique (5 x) • Lecture labiale (11 x) • Lecture labiale (3 x) • Logique (4 x)

Figure 2 – Dominic

3e année en lecture

Avec Melissa (enseignante sourde) Avec Carrie (enseignante entendante)

Nbre de stratégies employées

17 17

Strat

égies

privi

légiée

s

Recherche du sens global (52,4 %) • Représentation visuelle (2 x) • Référence à la LSQ (2 x) • Comprendre le sens par soi-

même (3 x)

Recherche du sens global (68,4 %) • Comprendre le sens par soi-même

(8 x) • Représentation visuelle (5 x) • Référence à la LSQ (3 x)

Compréhension axée sur les mots (47,6 %) • Décodage (phonétique ou visuel) (5 x) • Synonyme (1 x)

Compréhension axée sur les mots (31,6 %) • Décodage (phonétique ou visuel) (5 x)

Stratégies employées par Richard Figure 3 –

Richard 4e année en

lecture

Avec Melissa (enseignante sourde) Avec Carrie (enseignante entendante)

Nbre de stratégies employées

12 12

Strat

égies

privi

légiée

s

Recherche du sens global (81 %) • Référence à la LSQ (8 x) • Comprendre le sens avec l’enseignante (5 x) • Comprendre le sens par soi-même (2 x)

Recherche du sens global (85,7 %) • Référence à la LSQ (12 x) • Comprendre le sens avec l’enseignante (9 x) • Comprendre le sens par soi-même (3 x)

Compréhension axée sur les mots (19 %) • Décodage (phonétique ou visuel) (2 x) • Lecture labiale (1 x) • Synonyme (1 x)

Compréhension axée sur les mots (14,3 %) • Décodage (phonétique ou visuel) (2 x) • Raisonnement logique (2 x) • Lecture labiale (1 x)

Stratégies employées par les deux enseignantes

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90 Enseignante sourde Enseignante entendante

Avec Melissa (enseignante sourde) Avec Carrie (enseignante entendante) (Total de 20 stratégies 227 fois) (Total de 27 stratégies 356 fois)1

Compréhension axée sur les mots (15,9 %) Compréhension axée sur les mots (33,4 %) • Écriture (0 x) • Écriture (30 x) • Réponses en LSQ (17 x) • Réponses en LSQ (7 x) • Mot de la même famille (1 x) • Mot de la même famille (20 x) • Raisonnement logique (5 x) • Raisonnement logique (18 x) • Synonyme (4 x) (le plus souvent avec Justin, le • Synonyme (13 x)

moins souvent avec Richard)

Recherche du sens global (84,1 %) Recherche du sens global (66,6 %) • Explication en LSQ (42 x) • Guider l’élève (78 x) • Guider l’élève (38 x) • Explication en LSQ (46 x) • Questionnement (37 x) • Questionnement (36 x) • Référence à la LSQ (16 x) (seulement avec Justin) • Référence à la LSQ (5 x) • Vérification de la compréhension (20 x) • Vérification de la compréhension (19 x)

Figure 4

1 Ce sont, dans l’ordre, les résultats de l’étude de Ducharme et Hurst (2009) au cours de laquelle l’enseignante entendante utilise plus de stratégies (12 stratégies différentes) que l’enseignante sourde (8 stratégies différentes) auprès d’un lecteur sourd de 2e année.

monographie no 15

 

conclusions

Première recherche Les intervenants relatent que les élèves ayant pris part à la recherche sont engagés et animés par le cours de SW, même s’ils se sont opposés, au tout

début, à son enseignement. Cette motivation peut-elle s’expliquer du fait qu’ils s’approprient avec aisance le SW comme mode d’expression écrite de la langue signée?

En ce qui concerne la LSQ, elle devient un sujet d’étude par l’intermédiaire de sa représentation par le SW : effectivement, les élèves en discutent et arrivent à mieux la comprendre pour mieux se l’approprier. Se bâtissent-ils, sans s’en rendre compte, une identité propre?

Il est évident que les défis que rencontrent les élèves de la recherche sont grands quant à l’écriture du français, une langue orale; en situation minoritaire en Ontario, ils en sont encore plus détachés. De l’autre côté, le SW est en totalité « naturel ».

L’enseignement du SW permet de relever certaines difficultés que rencontrent les élèves en LSQ parce que ce mode de communication écrit est facile et qu’il leur permet de parler de thèmes communs.

Seconde recherche La présente analyse indique que chaque élève a son style et ses préférences en matière de lecture. Justin, le plus faible et le moins autonome en lecture de tous les élèves, a utilisé plus de stratégies, plus souvent avec l’aide des deux enseignantes. Justin a utilisé des stratégies de recherche du sens global 50 % du temps avec l’aide de Melissa et 38,2 % du temps avec l’aide de Carrie. Lors d’une

étude antérieure (Ducharme et Hurst, 2009), un élève de 2e année avait utilisé des stratégies de recherche du sens global 36,4 % du temps avec l’aide de Melissa et 13,2 % du temps avec l’aide de Carrie. Les résultats des deux études sont conformes. Les deux études font état de l’utilisation accrue de stratégies de recherche du sens global avec l’aide de l’enseignante sourde.

Melissa avait clairement tendance à utiliser davantage les stratégies de recherche du sens global (84,1 %) comparativement à Carrie (66,6 %). Cette observation est conforme à ce que l’on avait observé dans une étude antérieure (Ducharme et Hurst, 2009), c’est-à-dire que l’enseignante sourde avait davantage utilisé les stratégies de recherche du sens global que l’enseignante entendante (74 % du temps comparativement à 34,4 %).

Carrie a utilisé les stratégies de recherche du sens global 57,9 % du temps avec Justin, le moins autonome des trois élèves, 69 % du temps avec Dominic, un autre élève peu autonome, et 80 % du temps avec Richard, le plus autonome des trois. En d’autres mots, plus l’élève est autonome, plus l’enseignante a recours aux stratégies de recherche du sens global, sans aucune préférence pour une stratégie donnée. Cela laisse entendre que l’enseignante adapte son style d’enseignement aux habiletés de l’élève en matière de lecture.

À LA PrATiQUe… recommandations L’analyse des deux recherches amène les auteures à faire certaines recommandations.

Première recherche Les intervenants conseillent de n’avoir recours à la langue française qu’au regard du vocabulaire au cours de l’apprentissage initial du SW. L’emploi d’applications informatiques, tels le clavier et les logiciels d’écriture, ne peut qu’aiguiser ce goût d’apprendre le SW. Le SW constitue une solution viable, permettant d’offrir à chaque élève sourd, quel que soit son âge, ses difficultés et ses particularités, une langue

dans laquelle il peut se développer tout en bénéficiant d’un pont vers l’apprentissage de la langue orale dominante dans sa modalité écrite. Une fois la compétence linguistique acquise, les jeunes sourds seraient plus réceptifs à l’apprentissage du français écrit. Ce faisant, le

SignWriting (SW) contribue à réduire les difficultés sociales qu’entraîne l’illettrisme dont souffrent historiquement les jeunes sourds francophones.

Seconde recherche On a demandé aux élèves ayant pris part à l’étude d’indiquer les stratégies qui les ont aidés à comprendre le sens du texte. Cet exercice a eu pour

effet de les sensibiliser à leur personne. Réfléchir au processus de lecture a été une expérience d’apprentissage en soi. L’observation des trois élèves ayant pris part à l’étude laisse entendre que l’utilisation des stratégies de recherche du sens global augmente selon les

habiletés en lecture de l’élève et, inversement, que l’utilisation des stratégies de compréhension axée sur les mots diminue. Cela laisse entendre que l’enseignement devrait cibler les stratégies de recherche du sens global à mesure qu’augmentent les habiletés en lecture des élèves. Toutefois, il y aurait lieu de poursuivre la recherche, puisque l’échantillon utilisé (trois élèves) est beaucoup trop petit pour généraliser les résultats de la recherche.

Ce projet s’est inspiré de l’étude portant sur la catégorisation des stratégies de lecture visant les élèves sourds de Padden et Ramsey (1998). Toutefois, l’étude actuelle permet de dresser une liste de stratégies proposées, d’augmenter cette liste et de l’adapter à un contexte bilingue et biculturel spécifique (LSQ en français). Dès lors, les présents travaux apportent une contribution appréciable à l’étude des besoins des élèves sourds, comme ceux des Canadiennes françaises et des Canadiens français sourds qui vivent une situation de double minorité et qui sont largement sous­représentés dans la recherche.

N. B. Il n’existe aucun programme visant l’enseignement de la LSQ dans les écoles. Un projet subventionné par le ministère de l'Éducation de l'Ontario est en cours et vise le développement d’un tel programme.

références DAIGLE, D., and F. ARMAND, (2008). “Phonological sensitivity in severely and GAUCHER, C. (2009). Ma culture, c’est les mains. La quête identitaire des sourds au Québec, profoundly deaf readers of French”, Reading and Writing, 21, p. 699-717. Québec, Presses de l’Université Laval. DUCHARME, D. A., and I. ARCAND (2009). “Using Noldus Observer XT for research Noldus Information Technology (2009). Behavioral Research Software and Observation on deaf signers learning to read: An innovative methodology”, Behaviour Research Labs [Computer software], www.noldus.com/human-behavior-research/products/the-Methods, 41, p. 833-840. observer-xt. DUCHARME, D. A., et L. HURST (2009). « Être sourd et apprendre à lire. Une étude de SHERIDAN, M. (2008). Deaf adolescents. Inner lives and lifeworld development, cas des stratégies de lecture d’un élève de 14 ans », Revue du Nouvel Ontario, 34, Washington, D.C., Gallaudet University Press. p. 145-173. WANG, Y., B. J. TREZEK, J. L. LUCKNER and P. V. PAUL (2008). “The role of phonology DUCHESNEAU, Y. (2008). Jeunes adultes ayant une surdité et des parents entendants : entre and phonologically related skills in reading instruction for students who are deaf or hard identité familiale et identité culturelle, Mémoire déposée à l’École de service social, Ottawa, of hearing”, American Annals of the Deaf, 153, p. 396-407. Université d’Ottawa.

Une série de monographies produite par la Direction des politiques et programmes d’éducation en langue française en collaboration avec le Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques.

© CFORP, 2011 ISBN 978-2-89581-921-9