dick wenceslas-eugene - le roi des etudiants

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BIBEBOOK WENCESLAS-EUGÈNE DICK LE ROI DES ÉTUDIANTS

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  • BIBEBOOK

    WENCESLAS-EUGNE DICK

    LE ROI DESTUDIANTS

  • WENCESLAS-EUGNE DICK

    LE ROI DESTUDIANTS

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-0509-5

    BIBEBOOKwww.bibebook.com

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    Sources : Saint-Henri, Dcarie, Hbert & cie Bibliothque lectronique dubec

    Ont contribu cee dition : Gabriel Cabos

    Fontes : Philipp H. Poll Christian Spremberg Manfred Klein

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  • CHAPITRE I

    Silhouettes dtudiants

    C chambre de douze pieds carrs au plus, rueSaint-Georges, bec.Ils taient l quatre, buvant, fumant, chantant, riant. . . que c-tait plaisir voir. Le cliquetis des verres, le choc des bouteilles, les clatsde voix, les notes plus ou moins fausses de quelque chanson grillarde, lebruit des pieds baant le parquet ; tout cela se combinait adorablementpour former le plus dlicieux tintamarre du monde.

    Comment en et-il t autrement ?Ce quatuor bruyant reprsentait la ne eur de lcole de mde-

    cine : Desprs, le roi des tudiants tapageurs, lorganisateur par excel-lence de joyeuses quipes, le meilleur buveur de lUniversit ; Cardon,pass matre dans lart dobtenir de la boisson crdit ; Laeur, qui faisaitdix areux calembours entre chaque rasade quil ingurgitait et Dieu saitsil en ingurgitait, des rasades ! enn, le petit Caboulot, le rat de lcole,intelligent comme un diablotin, mais plus grouillant, plus tourdi, plus

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  • Le Roi des tudiants Chapitre I

    lger quun papillon.Rien dtonnant donc ce que quatre lurons de cee trempe, arro-

    ss de whisky, ssent un charivari broyer le tympan dune escouadedartilleurs !

    Tout coup, le bruit cessa pendant une dizaine de secondes ; la portesouvrit, et un cinquime personnage entra.

    Alors, ce fut une tempte. Bonsoir, Champfort !e tu arrives bien, Champfort ! Viens prendre un coup, Champfort ! Champfort, pas dtude ce soir ! Au diable la pathologie ! Mort la matire mdicale ! Aux gmonies les maladies des yeux ! Et celles des oreilles, donc ! e la vre quarte toue Virchow, Kasper, Claude Bernard. . . et

    mme monsieur Koshlako, de Saint-Ptersbourg !e Satanas torde le cou feu Galien ! Et donne le coup de grce ce bon monsieur Hippocrate. Laeur !. . . Cardon !. . .Le nouvel arrivant, tiraill droite, tiraill gauche, assassin dapos-

    trophes aussi vhmentes, ne pouvait placer un mot et se contentait desourire.

    L ! l ! mes amis, t-il enn, ne parlez pas tous la fois : quy a-t-il ? Il y a que nous bambochons ce soir. a se voit. Et que nous voulons nous administrer une cuite tout casser. . . Tais-toi, le Caboulot, laisse parler le grand monde.Tiens ! faut-il pas avoir six pieds, par hasard, pour quon se permee

    de parler devant monsieur ! Silence ! intervient Desprs. Je vais texpliquer la chose, Champfort ;

    assieds-toi. Lorsque Dieu cra le monde. . . Passe au dluge ! interrompit Laeur. Monte sur une chaise ! glapit le Caboulot.

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  • Le Roi des tudiants Chapitre I

    Pas de discours ! grogna Cardon. Laissez-moi faire : a ne sera pas long.Champfort stait assis, aendant patiemment la n de la bourrasque. Lorsque Dieu cra le monde, reprit imperturbablement Desprs, il

    travailla, comme tu le sais, pendant six jours. . . Cest connu, a ! t la voix te du Caboulot. Pas assez ! rpliqua gravement lorateur.Puis il poursuivit :Mais le septime, il lemploya se reposer, laissant ainsi lhomme,

    quil venait de former son image, un enseignement plein de sagesse.Or. . .

    Ergo ! Or, nous avons travaill toute la semaine comme des ngres. Nest-

    il pas juste que nous prenions cee soire, cee nuit mme, sil le faut,pour laisser un peu se dtendre larc de nos centres nerveux ?

    Bien parl ! Puissamment raisonn ! Dune logique irrfutable ! Mais, sans doute, mes trs chers, rpondit en riant Champfort. Et

    je songeais si peu me mere en dsaccord avec cee sage rgle, queje venais vous prier dtudier sans moi, ce soir. Je ne suis pas dans monassiee et nai aucune disposition pour le travail.

    Bravo ! Hourra pour toi, Champfort ! Vive le whisky, le tabac et les chansons !Et Desprs, de cee voix lente et mesure qui lui tait habituelle, se

    mit chanter, tout en saisissant une bouteille de la main droite et un verrede la main gauche :

    tudiants, tudiantsChantons, rions sans cesse ;e ltude et lallgresseSe partagent nos instants.De son ct, le Caboulot hurlait :Pourquoi boirions-nous de leau,Somm nous des grenouilles ?

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  • Le Roi des tudiants Chapitre I

    Cardon, lui, proclamait moins haut la chose, mais la meait conscien-cieusement en pratique.

    ant Laeur, il nest pas ncessaire de chercher ce quil turlutaitde sa voix enroue ; ctait toujours la mme rengaine :

    Cest notre grand-pre No,Patriarche digne,e lbon Dieu nous a conservPour planter la vigne.Il ne fallait pas lui demander autre chose que cela : cet t peine

    perdue. Mais, en revanche, toutes les cinq minutes, lternel couplet luirevenait dans le gosier, avec le nom du respectable grand-pre No, auteurde la premire bamboche dont parle lhistoire.

    Laissons Laeur redire, en quinze couplets, les mrites et les exploitsdu grand-pre No, et esquissons la hte le portrait du nouvel arrivant.

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  • CHAPITRE II

    Paul Champfort

    P C un grand et beau garon de vingt-deuxans.Sa gure franche et ouverte plaisait au premier abord. Cheveuxchtains, longs et boucls ; front large, il brun, la prunelle hardie,bouche aux lvres sympathiques, quombrageait une petite moustache demme nuance que les cheveux : tte charmante, en un mot.

    Il avait lhumeur joyeuse, la parole facile, colore, doucement railleuse,mais toujours bienveillante. On laimait beaucoup, parmi les universi-taires, tant cause du cachet de sympathique distinction dont toute sapersonne tait empreinte, que par la bont de son caractre et la solideintelligence quon lui savait.

    Il tait de toutes les ftes, de toutes les excursions, de tous les caucus.On se larrachait un peu, et ctait toujours une bonne fortune, pour destudiants en goguee, que larrive de ce bon Champfort.

    On conoit donc la joie de nos quatre aptres quand le jeune homme,

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  • Le Roi des tudiants Chapitre II

    se rendant aux arguments irrsistibles de son ami Desprs, sassit autourde la table du festin bachique et t mine den prendre sa bonne part.

    Une premire rasade fut verse par Desprs. Je bois ton bonheur, Champfort, t-il en levant son verre. Moi, tes succs en mdecine, dit Cardon. Et moi, lheureuse issue de ton examen nal, continua Laeur.Moi, Champfort, je bois tes amours ! cria le Caboulot, de cee voix

    perante qui dominait tous les bruits. cee dernire sant, un nuage passa sur le front de Champfort. Le

    sourire disparut de ses lvres, et ce fut dun ton presque solennel quilrpondit, en se levant :

    Merci, Caboulot, merci, mes bons amis. Je prends actes de vos bien-veillants souhaits. Devant entrer bientt dans la rude vie professionnelle,jai besoin que la chaude amiti dont vous mavez toujours entour neme fasse pas dfaut. Et si quelque amertume, quelque dboire maendau dbut, jaurai du moins, pour anuer ma mlancolie, le souvenir devos bons procds mon gard.

    Champfort se rassit et chacun but silencieusement son verre, commesi les paroles mues du jeune homme eussent voil quelque inexorablechagrin. Tant il est vrai que chez ces gnreuses natures dtudiants, lasympathie ne se fait jamais aendre et jaillit toujours spontanment, aumoindre appel.

    Mais cee clipse de gaiet dura peu.and on est en chemin dherboriser dans les vignes du Seigneur, on

    ne saarde pas constater si quelque pine rencontre par hasard piquepeu ou prou ; on ne samuse pas relever les humbles violees ou lesples marguerites que le pied a foules en passant.

    Cest du moins ce que pensait Laeur, car il entonna aussitt dunevoix de stentor :

    Cest notre grand-pre No,Patriarche digne,e lbon Dieu. . .. . .. . .. . . Va au diable avec ton grand-pre No ! interrompit avec humeur

    Desprs, dont le front stait assombri.

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  • Le Roi des tudiants Chapitre II

    Hum ! je doute fort quil veuille my suivre ; le digne homme esttrop bien cas pour dsirer un changement.

    Alors, vas-y seul. Nenni, mes ls ; je suis trop poli pour ne pas vous aendre.Desprs se drida un peu. Au fait, tu as raison, Laeur : vive la joie ! Et les pommes de terre, morguienne ! Chaque chose en son temps.

    and nous serons bien gris, nous parlerons raison ; nous ferons de laphilosophie, de la psychologie, de la physiologie, de la phrnologie toutce que vous voudrez. En aendant, amusons-nous, et haut les verres !

    Cest notre grand-pre No,Patriarche. . .. . .. . .. . .Oui, oui, cest cela, appuya Cardon. Il ny a rien pour dlier la langue

    et mere de lordre dans les ides comme quelques bons verres deMolson.Je seconde la motion de Labrosse.

    Adopt, carried ! vocifra le petit Caboulot.La joie reparut triomphante autour de la table charge de bouteilles,

    de verres, de pipes et de tabac. Pendant plus dune heure, ce fut un dlugede rasades, de chansons, de bons mots faire plir les orgies romaines.Laeur chanta vingt fois son grand-pre No ; le Caboulot senroua pourquinze jours gouailler chacun de ses amis ; Cardon se grisa comme unPolonais, tout en encourageant les autres boire sec, aendu que lesprovisions ne manquaient pas. ant Desprs, malgr quil et avalpresque une bouteille lui seul, il ny paraissait gure. Seulement, il taitdevenu grave et rveur, comme dhabitude ; car ctait l le seul eet queles spiritueux semblassent produire sur cee organisation de fer.

    Mais, si grave et si rveur quil fut, il le cdait pourtant sous ce rapportde beaucoup Champfort. Jamais le jeune homme, dordinaire gai et assezsolide buveur, ne stait montr ses amis envelopp dans un semblablenuage de tristesse et de mlancolie.

    Tant quil avait t en pleine possession de son sang-froid, il staiteorc de se raidir contre le spleen qui lenvahissait. Aux saillies de Ca-boulot, aux jeux de mots barbares de Laeur, aux pigrammes de Cardon,il avait ri. . . oui, mais dun rire nerveux, forc, qui faisait mal. Puis taitvenu cet tat de demi-ivresse, o les ides se meent franchement ga-

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  • Le Roi des tudiants Chapitre II

    loper sur le chemin de la rverie et o le cur vient aux lvres, prt souvrir tous les panchements.

    Cest la phase la plus voluptueuse de ltat alcoolique. Le cerveau jouitalors dune lucidit plus grande qu ltat normal, et les ides y dansenttout armes, prtes entrer en campagne au premier signal.

    Il tait donc rendu ce degr de lchelle bachique, quand Desprs,qui lobservait entre deux boues de fume, lui dit doucement :

    Champfort ! Hein ? t le jeune homme, comme surpris de cee appellation in-

    aendue.Puis, se soulevant demi sur le canap o il tait presque couch :y a-t-il, mon ami ? Il y a, mon cher, que tu nes pas comme dhabitude et que tu nous

    caches quelque chose. Mais non. . . mais non, je ne vous cache rien. . .e voulez-vous que

    je vous cache, mes bons amis ? Tu es triste comme une porte de prison, et cest en vain que tu veux

    paratre gai ; la gaiet ne te va plus, et cela depuis longtemps.elle conclusion tirer de cela ? On nest pas toujours dispos la

    joie. Chacun a ses heures de mlancolie, sans quil puisse sen dfendreet sans mme quil en puisse expliquer la cause.

    Champfort, ne joue pas au plus n avec moi. Depuis plusieurs mois,je tobserve, et jai suivi pas pas le travail lent, mais continu, mais impla-cable qui se fait chez toi. Le peu de gaiet, de bonne humeur et dinsou-ciance joyeuse qui te reste du Champfort dautrefois nest que du vernis,et, sous ce vernis, il y a une grande douleur, une de ces douleurs incu-rables qui terrassent lme la plus fortement trempe.

    Le jeune tudiant baissa la tte et ne rpondit pas. Mais sa main seporta instinctivement son cur, comme sil et craint dy laisser voir laplaie quy devinait Desprs.

    Celui-ci se leva et, saisissant cee main indiscrte, il dit Champfortdune voix douce :

    Mon pauvre ami, ta main ta trahi ; tu soures rellement et je vaiste dire quelle est ta maladie.

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  • Le Roi des tudiants Chapitre II

    Tais-toi, Desprs, tais-toi ! t vivement Champfort, en relevant latte et regardant ltudiant avec des yeux presque hagards.

    Cardon, Laeur et le Caboulot staient impos mutuellement silence,du moment que Desprs leur chef tous avait engag la conversation.Rapprochant leurs chaises, ils aendirent, vivement intrigus.

    Desprs, les dsignant : Voyons, Champfort, doutes-tu de nous ? Sommes-nous, oui ou non,

    tes meilleurs amis ? Certes, oui. Eh bien ! quas-tu craindre ? Rien ; mais mon secret est un de ceux quon emporte dans la tombe. Ta ! ta ! ta ! ton secret nen est pas un, car je le connais, moi. Alors, cest toujours un secret, rpondit noblement Champfort.Un clair brilla dans lil noir de Desprs. Il leva rement sa belle

    tte intelligente, serra la main du jeune homme et dit : Merci, Champfort. Cee bonne parole est un coup dperon qui

    mengage dnitivement dans la voie que jai adopte.Puis, se tournant vers Laeur, Cardon et le Caboulot : Mes amis, dit-il, vous allez me donner votre parole dhonneur que

    rien de ce que je vais vous apprendre ne transpirera au dehors. Nous la donnons, rent les jeunes gens, en se levant tous la fois. Trs bien, messieurs. Maintenant, Champfort, coute, et, surtout,

    pas de dngations inutiles. Depuis plusieurs annes, tu aimes dunamour sans espoir ta cousine, Laure Privat. Voil ta maladie !

    cee dclaration nergique, Paul Champfort se leva dun bond. Unepleur erayante envahit sa gure, et, foudroyant Desprs de son regard,il murmura :

    Malheureux, quas-tu dit l ? La vrit, mon ami, rpondit avec calme le roi des tudiants.Mais tu veux donc ma honte, mon dshonneur, pour jeter ainsi mon

    secret aux quatre vents de la curiosit publique ! Ce que je veux, cest quil ne soit pas dit que Paul Champfort aura

    frapp inutilement la porte dun cur. Mais tu ne sais donc pas quelle ignore mon amour, et que je me

    laisserai mourir plutt que de lui faire le moindre aveu.

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  • Le Roi des tudiants Chapitre II

    Ceci importe peu. . . Le temps et les circonstances peuvent ame-ner bien des changements dans les situations les plus embrouilles. Je mecharge de forcer la main aux circonstances. . . et, quant au temps, on luifera prendre le triple galop, si besoin est.

    Oh ! non, je ne veux pas quune pression quelconque, morale ouautre, soit exerce sur cee enfant-l. Mon amour est une indignit, unetrahison ; eh bien ! prisse mon amour, duss-je ne pas lui survivre !

    Indignit ! trahison !. . . Eh ! depuis quand se montre-t-on indigne etse rend-on coupable de trahison, en aimant avec franchise et loyaut unejeune lle ?

    Depuis que le devoir et la reconnaissance existent. Ma tante Privatma recueilli, moi orphelin, alors que les derniers dbris dumodeste patri-moine de ma famille venaient de disparatre dans les frais de la maladie etdenterrement de ma mre ; elle ma lev comme un enfant ; elle ma faitinstruire me meant ainsi dans les mains les moyens de vivre honora-blement et je pousserais lingratitude jusqu chercher capter lamourde sa lle unique, de sa lle qui elle laissera une part considrable de safortune !. . .

    Non, jamais ! Ma tte est plus forte que mon cur, et si celui-ci neveut pas entendre raison, je le briserai.

    Ah ! si elle tait pauvre comme moi !. . . Pauvre, toi ? allons donc ! Est-ce quon est pauvre quand on possde

    une intelligence comme la tienne et quand on a un cur comme celui quibat dans ta poitrine ? est-ce quon est pauvre quand on a ton instructionet une position sociale honorable comme celle qui taend ?

    Et, dailleurs, puisque Mlle Privat a beaucoup dargent, nest-il pasjuste quelle fasse partager cee fortune un pauvre homme honorable,plutt que de sassocier un capitaliste qui nen a que faire, et donnerainsi le spectacle dune richesse scandaleuse, au milieu de misres imm-rites ?

    Ah ! oui, elle est riche et tu es pauvre !. . . Le voil bien lesprit dece sicle dargent o tout se cote, o tout se rduit en piastres et cen-tins, o lon fait marchandise de tout : me, esprit ou cur !. . . Tu verras,Champfort, que dans cent ans dici, chaque pense, chaque sentiment seramatrialis, pes dans la balance du spculateur, prostitu sur le tapis vert

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  • Le Roi des tudiants Chapitre II

    de lagiotage, qui rendra son verdict dans ce genre-ci : Cee ide psetant et vaut tant la livre, mais la marchandise tant en baisse depuis unedemi-heure, je ne puis orir que tant !

    Nos petits-ls verront cela, Champfort : je ten donne ma paroledhonneur.

    cee boutade de Desprs, Cardon, Laeur et le Caboulot partirentdun indcent clat de rire. Champfort lui-mme, malgr toute la gravitde la situation, ny put retenir et t bravement chorus avec ses amis. . .

    Mais le roi des tudiants ne fut pas dsempar. Cest bien, messieurs, dit-il ; riez, puisque mes pronostics vous

    semblent drles. Vous tes jeunes, et, consquemment, vous avez le droitdenvisager lavenir sous ses plus riants horizons. Pour moi, je suis vieuxdj, avec les vingt-cinq lourdes annes qui sont accumules sur ma tteet les preuves par lesquelles jai d passer. Cest pourquoi cet avenirque vous entrevoyez si beau ne pouvant plus morir rien qui maache,rien qui millusionne, je le regarde froidement, je le suppute, je le pse,ni plus ni moins que sil sagissait dun bout de saucisse ou dun morceaude jambon !

    Et, en prononant ces mots qui pourtant auraient d redoubler labruyante hilarit de ses conres Desprs avait dans la voix des accentssi sombrement ddaigneux ; sa physionomie retait tant damertumeslongtemps comprimes, mais encore chaudes et palpitantes, que personnenouvrit la bouche et que chacun se crut en prsence dune de ces victimesstoques et calmes, dont lme est morte toutes les joies de la vie.

    n

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  • CHAPITRE III

    Cousin et Cousine

    I , eet, quune bien terrible tempte et pass sur lecur de ce er jeune homme pour en refroidir ainsi les puissantesaspirations et en arrter lindomptable essor.Y avait-il rellement un drame dans la vie de Desprs, ou devait-onmeresur le compte de lorganisation fortement nerveuse du roi des tudiantscee misanthropie ddaigneuse et ces boutades douloureusement excen-triques dont il ne pouvait se dfendre, de certaines heures ?

    On se perdait l-dessus en conjectures.Il y avait bien, dans lhistoire de Desprs, une lacune que personne ne

    pouvait combler. Mais, comme la moindre allusion adresse jusqualorsau jeune homme sur ce sujet avait paru laecter pniblement, on staitfait un devoir de ne jamais plus le questionner sur ce pass mystrieux.

    Pourtant, ce soir-l, Champfort ne put sempcher de lui dire : En vrit, mon cher Desprs, on dirait, tentendre, que des mal-

    heurs inous ont plan sur ta jeunesse.

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  • Le Roi des tudiants Chapitre III

    Peut-tre ! murmura Desprs. . . Mais, reprit-il avec vivacit, il nesagit pas de moi pour le quart dheure.

    Cependant. . . Il sagit dempcher que tu sois la victime dune coquee, ou quune

    dlicatesse outre fasse laisser le champ libre un indigne rival.i te parle de rival ?. . . En ai-je un, seulement ? Tu en as plusieurs, mais tu nen redoutes quun. Comment sais-tu cela ? Je sais tout ce qui concerne cet homme , rpondit Desprs dune

    voix sombre. Ah ! t Champfort intrigu, et tu le hais ? Je le hais ?Ces trois mots furent dits dun ton si glacial et si profond, que les

    tudiants se regardrent tout tonns.Champfort rchissait. Un coin du rideau qui couvrait la jeunesse de

    Desprs venait dtre soulev par le Roi des tudiants lui-mme, et unetrange ide se dveloppait dans la tte de Champfort : cest que son rivalavait d tre pour beaucoup dans les malheurs de Desprs.

    Et, reprit-il, tu connais assez lindividu pour armer quil est in-digne de ma cousine ?

    Cet homme est un misrable, et Mlle Privat ne devrait pas mme selaisser souiller par son regard de serpent.

    Trs bien. Mais qui sera assez gnreux pour dsillusionner lapauvre enfant ? qui sera assez persuasif pour ouvrir les yeux de sa mre etlui faire repousser un prtendant quelle regarde dj comme son gendre ?

    Ce sera moi, Champfort, moi qui, depuis des annes, suis pas pasles mouvements tortueux de ce tratre ; moi qui connais tous ses agisse-ments honteux ; moi, enn, qui me venge du lche sducteur de la seulefemme que jaie aime !

    Enn ! scria Champfort, le voil le secret de ta vie, nest-il pasvrai ?

    Oui, Paul, cest vrai. Celui qui a dtruit jamais mes illusions dejeune homme et mes esprances de bonheur, est le mme misrable quicherche aujourdhui te ravir la jeune lle que tu aimes.

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  • Le Roi des tudiants Chapitre III

    elle concidence ! Une sorte de fatalit place donc cet homme surnotre chemin ?

    Oui, cest une fatalit. . . mais une fatalit que jappelle providence,moi. Cee providence qui ma rendu tmoin de toutes les trahisons dece larron dhonneur, qui ma constamment entran sur ses pas, le jeeencore aujourdhui en travers de ma route. . . Malheur lui ! La mesureest pleine ; le dossier est complet ; je vais frapper un grand coup et arrterdans son vol ce vautour pillard.

    e comptes-tu faire ? Oh ! fort peu de chose dici la signature du contrat. Hlas ! pauvre ami, cest dans huit jours. Je le sais. Mais quand ce devrait tre demain, jaurais encore le

    temps ncessaire mes petits prparatifs. Dieu veuille, mon cher Desprs, que tu russisses empcher un

    mariage aussi malheureux ! Mais. . . Mais quoi ? En serais-je plus avanc, et Laure men aimera-t-elle davantage ?i te prouve quelle ne taime pas dj assez ? Tout le prouve : sa manire dagir avec moi, sa froideur hautaine,

    ses airs protecteurs, et jusqu cee rserve crmonieuse qui a remplacla douce intimit et les nafs panchements dautrefois.

    Hum ! il faut quelquefois prendre les femmes rebours, et leursgrands airs ddaigneux masquent souvent un dpit quelles dissimulentavec peine.

    Je ne crois pas que ce soit le cas pour Laure ; son cur est trop hautplac pour recourir ces petits moyens.

    en sais-tu ? Personne ne comprend les femmes, et les amoureuxmoins que tous les autres. coute-moi, Champfort : la femme est un treptri de contradictions, quil ne faut croire qu la dernire extrmit. Jensais quelque chose.

    Tu es svre, Desprs, et tes malheurs passs te rendent injuste. Je ne crois pas. Il est possible, aprs tout, que Mlle Privat soit une

    exception la rgle gnrale. Cest ce que nous verrons. oi quil ensoit, pour me former une opinion solide sur ton cas, fais-moi lhistoriquede tes relations avec ta cousine.

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  • Le Roi des tudiants Chapitre III

    quoi bon ? Il le faut. Allons, je me rsigne et ne vous cacherai rien.Les chaises se rapprochrent, et Champfort commena : Jai connuma cousine, il y a environ six ans. Javais alors seize ans et

    elle entrait dans sa quatorzime anne. Mon pre tait mort depuis long-temps, et ma mre venait son tour de payer son tribut la nature. Restorphelin et sans ressources, jenvisageais lavenir avec frayeur, lorsquunjour, un tranger entra dansmon petit logement et mannona quil venaitde la part de ma tante Privat, la sur de ma mre, et quil avait instruc-tion de memmener la Nouvelle-Orlans. Il me donna une lere de mabonne tante et largent ncessaire pour rgler toutes mes petites aaires.

    Rien ne me retenait plus bec. Aussi, mes prparatifs ne furent-ils pas longs, et quinze jours plus tard, jtais la Nouvelle-Orlans, ouplutt, quelques milles de l, dans une charmante habitation que poss-dait mon oncle sur sa plantation, prs du lac Pontchartrain.

    Je passai l les deux belles annes de ma jeunesse, vivant comme unfrre avec les deux charmants enfants de mon oncle : Edmond et Laure.Edmond avait peu prs mon ge, et Laure, deux annes de moins.

    e de gaies promenades nous avons faites ensemble dans leschamps de canne sucre ou sur les bords du lac ! que de douces causeriesnous avons changes sous la large vranda de lhabitation !

    La guerre civile, qui se dchanait alors avec fureur dans plusieurstats de lUnion, ne se traduisait encore en Louisiane que par des mouve-ments de troupes et une agitation formidable. Mais, tout en enammantnos jeunes curs dun noble amour pour la cause du Sud, elle ne troublaitpas autrement notre paisible existence.

    Sur ces entrefaites, mon oncle, qui tait colonel, partit avec son rgi-ment pour rejoindre larme. Ce fut notre premier chagrin. Mais, commeil nous dclara quil pourrait venir de temps en temps lhabitation, nousnous consolmes assez vite de ce contretemps.

    Ainsi quil lavait dit, mon oncle revint un mois aprs son dpart. Iltait accompagn dun jeune homme du nom de Lapierre. . .

    Hein ! Lapierre ? interrompit le Caboulot. Oui, Lapierre. Ce nom est-il connu ?

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  • Le Roi des tudiants Chapitre III

    Peut-tre. . . Mais il y a tant de personnes qui sappellent ainsi.Continue.

    Je disais donc que le colonel tait accompagn dun jeune hommedu nom de Lapierre, qui se disait debec et dont ma tante avait, en ef-fet, connu la famille, lorsquelle-mme y demeurait. Mon oncle stait prisdune vritable amiti pour ce Lapierre, et il en avait fait son compagnoninsparable.

    Comment cet tranger tait-il parvenu sinsinuer ainsi dans lesbonnes grces du colonel ? quels services lui avait-il rendus ?. . . je lignoreencore.

    Moi, je le sais ! interrompit Desprs. Lapierre courait alors dunearme lautre pour spculer sur les navires. Un jour, il guida le rgimentdu colonel Privat dans une marche nocturne qui amena la capture dunconvoi ennemi.

    Telle est lorigine de sa faveur auprs de la famille Privat. Do tiens-tu ce renseignement ? demanda Champfort, surpris. De moi-mme, mon cher. Jtais cee poque dans le Kentucky,

    o je servais comme volontaire dans larme qui faisait face au gnralBeauregard, dont faisait partie le rgiment du colonel Privat.

    Ah ! t Champfort, voil qui explique bien des choses ! Continue, mon cher Paul, tu en apprendras encore.Ltudiant reprit : Mon oncle et Lapierre passrent une dizaine de jours lhabitation,

    pendant lesquels ma tante et ma cousine se multiplirent pour hbergerdignement leur hte. Laure, selon le dsir de son pre, stait constituele cicrone du jeune tranger et ne le quiait gure. Ils faisaient ensemble,en compagnie du colonel et de ma tante, de longues promenades traversla plantation ou sur les bords du lac ; et, de retour lhabitation, ctaitau piano ou sous la vranda que se continuait le tte--tte.

    Pendant tout le temps que dura le sjour demon oncle, je pus peinetrouver loccasion de parler ma cousine. Elle semblait navoir dyeux etdoreilles que pour Lapierre, et paraissait mme se croire oblige de neplus causer quavec lui.

    Le changement de conduite ne t dabord quemtonner ; mais bien-tt, cet tonnement bien naturel se joignit une sensation trange, une

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  • Le Roi des tudiants Chapitre III

    sorte de sourance, quelque chose comme une douleur sourde, mal d-nie, quil mtait impossible de surmonter.

    La vue de ma cousine, constamment au bras de ce beau jeunehomme qui lui souriait et lui parlait avec chaleur, me causait une im-pression tellement pnible, que je fuyais sa socit et me tenais presquetoujours lcart. Jerrais seul de longues heures dans la campagne, etce ntait quavec un inexprimable serrement de cur que je rentrais lhabitation.

    Hlas ! je venais enn de connatre le mal mystrieux qui me tortu-rait : jaimais ma cousine !

    Cee dcouverte meraya et ne t quaugmenter ma sauvagerie.Je me considrai comme indigne des bonts de mon oncle et de ma tante,du moment que mon cur me rvla son audace, et, je pris la rsolutiondtouer dans mon sein le coupable sentiment qui y germait.

    Aussi, lorsque le colonel repartit pour larme, emmenant avec luile jeune Lapierre, javais fait mon sacrice et ce fut sans rcriminations,sinon sans amertume, que je repris avec ma cousine le genre de vie ac-coutum.

    Mais, depuis cee visite malencontreuse, il se mla toujours nosrelations une certaine gne et une teinte de froideur, que ni elle ni moinous ne pouvions contrler et qui ne t quaugmenter dans la suite.

    Telle tait la situation, lorsquun vnement aussi douloureux qui-naendu vint nous plonger tous dans la dsolation. Lapierre arriva unsoir lhabitation porteur de la triste nouvelle que le colonel tait mort,quelques jours auparavant, dune blessure reue dans un combat davant-postes. Le jeune homme, qui paraissait accabl de chagrin, remit matante une lere de son mari mourant, dans laquelle le bless faisait lesplus grands loges de la conduite de son ami Lapierre, qui lavait recueillisur le champ de bataille et soign comme un ls.

    Linfme ! le tratre ! scria Desprs. Veux-tu savoir, Champfort, cequavait fait Lapierre avant de ramasser sur le champ de bataille le colonelPrivat mourant ?

    avait-il fait ? Il avait, pour une forte somme dargent, livr au gnral ennemi

    le secret des mouvements de Beauregard et fait tomber le colonel Pri-

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  • Le Roi des tudiants Chapitre III

    vat dans une embuscade o son rgiment fut charp et lui-mme blessmortellement.

    Le misrable ! mais cee lere de mon oncle ? Oh ! jaurai beaucoup dire sur cee lere quand le temps sera

    venu. Pour le moment, quil me suse darmer que le colonel tait cent lieues de croire que Lapierre ft un espion au service du plus orant.Aussi, touch des soins que lui prodiguait lhypocrite, le chargea-t-il dan-noncer sa mort sa femme et lui crivit-il la lere dont tu parles.

    Mais, cest areux, cela ! rent les tudiants. Oui, messieurs, cest areux dautant plus areux que le colonel

    avait combl ce misrable de faveurs et quil reposait en lui une conanceillimite. . .

    Conance que ne lui a pas retire, malheureusement, la famille Pri-vat, t observer Champfort.

    Oui, mais cee sympathie quil a su capter fera place la haine etau mpris, quand je laurai dmasqu, rpondit Desprs.

    Le pourras-tu ?. . . Il te fera passer pour un imposteur et te deman-dera des preuves. . . En as-tu ?

    Jen ai plus quil ne men faut pour le faire rentrer sous terre etmourir de confusion, sil lui en reste un atome dhonneur. Laissez venir legrand jour de la rtribution, mes amis, et vous verrez comment se vengele Roi des tudiants. Toi, Champfort, achve ton histoire.

    Je nai plus quun mot dire. Ma tante, frappe dans ses plus chresaections, se montra hroque. Elle se dirigea immdiatement vers lethtre de la guerre et, force dargent, se t remere le corps de sonmari, quelle ramena en Louisiane, o les derniers honneurs lui furentrendus.

    Puis, ntant plus retenue aux tats-Unis par aucun intrt majeur,elle vendit ses immenses proprits et nous ramena tous bec, enpassant par la France.

    ant Lapierre, il avait rejoint larme, aprs lenterrement ducolonel. Je ne lai revu quil y a environ troismois, chezma tante. Il arrivaitdes tats-Unis. Depuis lors, il est le commensal assidu de la maison et faitla cour ma cousine, quil doit pouser dans huit jours.

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  • Le Roi des tudiants Chapitre III

    Vous en savez aussi long que moi, maintenant, messieurs.

    n

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  • CHAPITRE IV

    Secret pour secret

    U quelques minutes suivit.Desprs stait lev et marchait avec agitation dans la pice.Le rcit de Champfort, auquel le nom de Lapierre se trouvait sitrangement ml, avait raviv en lui une plaie peine cicatrise, et faitsurgir dans son cur damers souvenirs. Un pli menaant, qui ridait dehaut en bas son front soucieux, annonait leort de sa pense.

    Chose extraordinaire, le Caboulot, le joyeux, le turbulent Caboulotsemblait partager cee agitation. Sa gure mobile tait devenue graveet il aachait sur Desprs des regards profonds. On et dit quun vaguesouvenir, trop loign pour avoir de la consistance, troait dans la tte delenfant et quil cherchait le xer, lui donner du relief.

    Desprs ne sapercevait pas de cee aention dont il tait lobjet etcontinuait sa promenade vreuse.

    Ce que voyant Laeur, qui naimait pas les situations tendues, crutle temps propice pour risquer une proposition. Le digne tudiant ntait

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  • Le Roi des tudiants Chapitre IV

    amateur de mlodrame quautant quon y meait, de temps en temps, unpetit entracte pour prendre la goue.

    Il saisit donc une bouteille et la brandissant : ! messieurs, dit-il, vos histoires sont superlativement intres-

    santes ; mais elles ne doivent pas nous empcher de faire un doigt de cour cee bonne bouteille qui sennuie.

    En eet, nous ne buvons plus, appuya Cardon. Cest tout simplement de lingratitude, ajouta le Caboulot, qui vi-

    demment faisait eort pour paratre calme. La bouteille est une bonne etloyale lle qui na jamais trahi personne, elle. Donnons-lui une francheaccolade.

    Les trois amis se versrent chacun une rasade, et Laeur scria : Hol ! Desprs, hol ! Champfort, approchez. Faites-moi vite dispa-

    ratre ces mines tragiques et venez trinquer, ou sinon je vous chante toutmon Grand-pre No.

    Et il commena, en eet :Cest notre grand-pre No,Patriarche digne. . .. . .. . .. . .Mais les deux retardataires, en voyant cee menace du mlomane La-

    eur recevoir un commencement dexcution, staient vite rendus lap-pel.

    On but la rasade exige. Puis Champfort dit Desprs : Eh bien ! Desprs, es-tu toujours dopinion que je me suis tromp

    lendroit des sentiments de ma cousine ? Plus que jamais, rpondit ltudiant. En vrit, tu mtonnes ! Ce quil y a dtonnant, mon cher, cest que tu ne connaisses pas

    davantage les femmes. Je crois pourtant connatre celle-l, ayant si longtemps vcu en rap-

    ports journaliers avec elle. Tu la connais moins que toute autre. . . Mais laissons ce sujet pour

    ce soir. Je te convaincrai avant peu de la singulire erreur dans laquelleun excs de dlicatesse ta fait tomber. Parlons plutt de ce mcrant deLapierre.

    Je tai tout dit ce que je sais sur son compte.

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  • Le Roi des tudiants Chapitre IV

    Alors, ce sera moi qui complterai la biographie de ce sale per-sonnage. Le temps est arriv, dailleurs, mes amis, o je dois satisfaire lalgitime curiosit que vous avez souvent manifeste lendroit de cer-tain pisode de ma jeunesse. Jaurais prfr ne jamais soulever le voilesombre qui, comme un linceul, recouvre cee malheureuse phase de mavie. Mais le bonheur de notre ami Champfort tant en pril, je vais parleret rouvrir vaillamment cee vieille blessure.

    Champfort serra la main de Desprs. Merci ! dit-il : secret pour secret ; il ny aura plus dsormais aucun

    obstacle pour empcher nos curs de bare lunisson.Le Roi des tudiants sinstalla en face de ses amis, dont la curiosit,

    surtout chez le Caboulot, tait piqu au vif, et prit la parole en ces termes : Il y a de cela sept ans, messieurs, je demeurais dans une petite pa-

    roisse de la rive droite du Richelieu, peu prs mi-chemin entre Saint-Jean et le lac Champlain. . .

    Justement ! murmura le Caboulot.oi ? t Desprs. Rien. Ninterromps pas, bavard, grogna lorgane rouill de Cardon. Javais alors dix-huit ans, poursuivit Desprs, et je commenais mes

    tudes mdicales chez le vieux mdecin de lendroit. Je menais l une viepaisible et heureuse, partageant mon temps entre ltude au bureau demon patron et les plaisirs tranquilles de la pche ou ceux plus fatiguantde la chasse. Jallais aussi tous les jours mtendre nonchalamment sousles arbres rabougris dun petit lot dalluvion, form au milieu du euveet pouvant avoir deux cents pas de tour.

    Rien de calme et de pioresque comme le paysage qui se droulaitalors sous mes yeux !

    Sur la rive droite du Richelieu, ma paroisse natale que je dsigne-rai sous le pseudonyme de Saint-Monat dployait sa sombre nappe deverdure, maille de blanches maisonnees et accidente, et l, de ro-chers moussus, de gorges nombreuses et de caps hardis, dont le courantlchait les pieds verdtres. En face, sur lautre rive, quelques maisons iso-les montraient leurs faades au milieu du feuillage, et une petite rivire

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  • Le Roi des tudiants Chapitre IV

    descendait en grondant des hauteurs boises de larrire-plan, pour venirmarier ses eaux celles du euve, deux arpents environ en aval de llot.

    Tout cela respirait une telle fracheur, tait revtu de tons si harmo-nieusement diversis et plaisait tant mon esprit rveur, quil marrivaitsouvent de moublier en mlancolique contemplation et de ne regagnerma demeure que longtemps aprs le coucher du soleil.

    Un soir de juin, je mtais aard ainsi, et le soleil allait disparatrederrire les sinuosits chevelues de lhorizon du nord, lorsque je songeaiau retour.

    Le rmament tait stri de grandes bandes de nuage, dont lesfranges semblaient se traner sur la fort. Une assez forte brise ridait leeuve de lames courtes et presses, dont le clapotement incessant contrele rivage de llot avait quelque chose de mlancolique qui berait mespenses. Une petite embarcation, avec une jeune lle pour passagre etun tout jeune garon pour pilote, longeait la rive gauche, quelques ar-pents de moi.

    Tout coup, au moment o je me dirigeais vers mon canot, couchdans les ajoncs du rivage, un cri perant se t entendre dans la directionde lembarcation, qui venait de chavirer.

    Je vis la pauvre jeune lle, aole de terreur, qui se dbaait dans leeuve, pendant que la chaloupe renverse sloignait, avec le petit garoncramponn sa quille.

    Lancermon canot, pagayer vigoureusement vers le lieu de laccidentet saisir la jeune lle au moment o elle allait disparatre sous leau, toutcela ne fut laaire que dune minute.

    Mais il tait temps ! La petite avait dj perdu connaissance, et je dusemployer tout mon savoir pour la faire revenir elle. ant au gamin, iltenait bon sur son pave, et jeus tout le temps de le recueillir sain et sauf.

    Ces jeunes gens taient le frre et la sur. Leur pre, un des plusriches cultivateurs de sa paroisse, demeurait non loin de l, justement lembouchure de la petite rivire dont je parlais tantt. De mon postedobservation sur llot, javais souvent remarqu sa grande et belle mai-son, moiti perdue dans le feuillage et btie prs de la berge de la rivire.

    Grce ces renseignements que me donna lenfant car la jeunelle ntait gure en tat de parler je ramenai dans leur famille les deux

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  • Le Roi des tudiants Chapitre IV

    naufrags. Inutile de vous dire que je fus ft, choy, caress, comme devait

    ltre le sauveur de deux enfants uniques. Le pre et la mre me rentpromere de les venir voir tous les jours. Dsormais, jaurais mes entreslibres dans la maison et mon couvert mis la table de la famille.

    Jeus dautant moins dhsitation prendre cet engagement, que lesmatres de la maison me parurent de charmantes gens, et leur lle Louisela plus dlicieuse enfant que jeusse rve. Elle avait seize ans, une taillebien prise, des cheveux blonds et des yeux noirs, admirable contraste quilui seyait ravir.

    Ce soir-l, je revins chez moi heureux davoir fait une bonne actionet le cur rempli de la blonde image de Louise.

    Le lendemain, je me jetai dans mon canot et retournai chez mesnouveaux amis, avec qui je passai une partie de la journe. Louise ne seressentait plus des motions de la veille, et une lgre pleur, qui la rendaitdix fois plus belle, rappelait seule la terrible crise.

    Je conversai longtemps avec elle dans une douce intimit. Sa voixavait un charme pntrant et des accents daimable navet qui mallaient lme. Je vis avec joie quelle possdait une instruction susante pouralimenter une bonne causerie, et quelle nen savait pas assez pour trepdante.

    Je la quiai regret vers le soir, aprs lui avoir promis de revenir lelendemain et les jours suivants.

    Pendant plus dun mois, je vcus ainsi, traversant chaque jour leeuve en canot et ne revenant sur la rive droite qu la nuit.

    el heureux temps ! quelles heures dlicieuses ! Louise et moi,nous ntions plus seulement des amis insparables : nous tions desamants. Je ladorais ; elle raolait de moi. Je trouvais longue la nuit quinous sparait ; elle piait avec anxit, aux premires heures du matin, leretour de mon lger canot bondissant sur la lame ou glissant comme uneche sur le euve endormi.

    Oh ! oui, le beau, le bon temps ! Cest cee poque cest--dire vers la n du mois de juillet

    quarriva Saint-Monat un jeune homme du nom de Lapierre. Il venaitde bec, o il tudiait le droit, et comptait passer un mois ou deux de

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  • Le Roi des tudiants Chapitre IV

    villgiature chez un de ses oncles, le voisin et lami de mon pre. Ctait un fort joli garon, altr de mouvement, passionn pour la

    chasse, amoureux des plaisirs champtres. Je lavais un peu connu autre-fois, pendant mon sjour bec. Aussi, malgr sa mobilit desprit etson caractre plusieurs faces, fmes-nous bien vite lis damiti.

    Je ne faisais pas une excursion quil nen fut ; je navais pas unerelation, une connaissance dans les environs que je ne lui sse partager.Bref, nous tions, au bout de quelques jours, la plus belle paire damis quise soit vue depuis Oreste et Pylade.

    Pour sceller jamais une si troite intelligence, la Providence mit unjour en grand danger la prcieuse existence de Pylade-Lapierre, dans unecirconstance o nous traversions la rivire la nage : en dle Oreste, jele sauvai au pril de ma vie.

    Cee bonne action me valut lternelle reconnaissance du loyaljeune homme.

    Vous allez voir comment il me la prouva. Je vous ai dit que toutes nos distractions taient communes et que

    cee communaut stendait aux relations que javais. Naturellement, lafamille de Louise nen tait pas exclue, et je continuais, comme par lepass, me rendre tous les jours auprs de ma jolie ance. Seulement,jtais invariablement anqu du citoyen Lapierre.

    Le jeune homme paraissait surtout goter extrmement la socitdes matres de la maison, auxquels il racontait toutes sortes dhistoiresplus ou moins invraisemblables, que sa verve intarissable rendait amu-santes au possible et qui faisaient les dlices des bons vieillards. Louiseet moi, nous nous mlions souvent leur cercle et prenions de bon curpart lhilarit gnrale. Lapierre, alors, redoublait damabilit, et ses ra-contars, sadressant directement la jeune lle, ne manquaient jamais delamuser beaucoup.

    Et cest ainsi quune douce familiarit stablit, ma grande satis-faction, entre mon ami et mon amante.

    Loin de mere obstacle au dveloppement de cee sympathie nais-sante entre les deux jeunes gens, je cherchais, au contraire, en resserrertous les jours les liens dors. Il me semblait que mon bonheur ne seraitcomplet qu la condition dy faire un peu participer mon dvou compa-

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  • Le Roi des tudiants Chapitre IV

    gnon, cet excellent Lapierre. Un procd si dlicat ne manquait pas de toucher vivement le bon

    jeune homme, et il me disait souvent, en me serrant la main : Gustave, tu es un cur dor, et je bnis le ciel qui ma fait faire

    ta connaissance. Non seulement tu me procures dagrables distractions,mais tu pousses, en outre, la complaisance jusqu me laisser prendre unepetite place dans le cur de ta belle ance. Il est si bon de sentir rayonnerautour de soi la douce amiti dune femme, que je te sais gr de mavoirprocur ce plaisir-l. Je retournerai bec meilleur que je nen suisparti, et cee amlioration sera ton uvre.

    Lhypocrite ! le tratre !. . . Oh ! messieurs, tenez-vous-le pour dit :ctait et cest encore un rus coquin que ce Lapierre. Tous les rles luisont bons ; aucun moyen ne lui rpugne.and un ennemi se trouve surson chemin, il le bouscule ; si cest un ami, il prend une voie dtourne etfrappe dans le dos.

    Et cest un bandit de cee force que jai aaire ! murmura Champ-fort.

    Ne crains rien : je suis l ! rpondit Desprs ; je suis l, en traversde sa route, implacable et sombre comme le chtiment !

    Moi aussi ! scria le Caboulot, dune voix trange.

    n

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  • CHAPITRE V

    Trahison

    L C samusrent beaucoup de cee exclamationun peu prtentieuse ; mais Desprs, lui, eut un singulier tres-saillement. Il regarda lenfant avec des yeux tonns, et sa mainse posa sur son front, comme si une ide nuageuse cherchait en jaillir.

    Apparemment que cee ide lui parut folle, car il hocha bientt la tteet poursuivit :

    Je vivais donc dans la plus grande scurit et sans la moindre appr-hension du ct de Lapierre. ant ma dle Louise, jaurais cru com-mere une profanation en la souponnant ; et, dailleurs, elle se montraittoujours pour moi si prvenante, si gracieuse, si aimante, que cet tvraiment folie de lui prter des ides de trahison.

    Cest sous ces riantes circonstances que je dus, vers la n daot,faire une absence de trois ou quatre jours pour aller rgler certaines af-faires Saint-Jean.

    Je partis en canot, aprs avoir reu de Louise les plus chaudes re-

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  • Le Roi des tudiants Chapitre V

    commandations de ne pas tre longtemps dans mon voyage, et du bonLapierre les meilleurs souhaits.

    La descente du Richelieu se t en quelques heures, et, la nuit tom-bante, jarrivais destination.

    Mes aaires furent bcles plus rapidement que je ne my aendais,et, ds le lendemain, je pus eectuer mon retour.

    Je laissai Saint-Jean dans laprs-midi. Le temps tait beau. Pas unsoue de vent ne ridait la surface calme et unie du euve. Je pouvais donccompter, en ramant ferme, que jarriverais Saint-Monat dans le courantde la soire.

    En eet, vers dix heures, je ntais plus qu un mille environ dechez moi. oiquil ny et pas de lune et que le ciel ft assez sombrepour empcher les toiles de rayonner librement, je pouvais cependantdistinguer llot qui se dtachait du euve comme une tache noirtre surune plaque dacier bruni.

    Je suivais alors la rive gauche dassez prs, an dviter le courantdes eaux profondes. Je ne pouvais consquemment rien distinguer de cect-l, quelques arpents devant moi, cause des sinuosits de la berge.

    Soudain, en doublant une pointe, je vis briller une lumire dans unendroit bien connu, au fond dune petite baie o se dchargeait le bras derivire dj dcrit.

    Cest l ! me dis-je, tandis quune motion bizarre tenait mon avi-ron immobile. Et, pendant plus de cinq minutes, je restai les yeux xssur ce point lumineux rayonnant seul au milieu de lobscurit ! Un senti-ment dangoisse indnissable me serrait la gorge, quelque chose commeun pressentiment mystrieux, comme lapprhension dun malheur !

    Limage de Louise, de ma Louise adore que je navais pas vue de-puis deux jours, se prsenta mon esprit troubl, et cee vocation mecausa une impression trange. Je la revis, comme en cee soire fataleet heureuse o je la sauvai de la mort, luer contre les vagues qui sou-vraient pour lengloutir ; mais, au lieu de mon bras, ctait celui de La-pierre qui larrachait au goure bant. Et Lapierre me saluait dun gestemoqueur, puis lait rapidement dans son canot, sur le euve tourment,en me jetant un clat de rire sardonique !. . .

    Cee dernire image me secoua comme un cauchemar, et, plon-

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  • Le Roi des tudiants Chapitre V

    geant nergiquement mon aviron dans leau, je s voler mon canot dansla direction de la baie.

    Dans quel but ?. . . et pourquoi allonger ainsi ma route ? Je ne pouvais me lexpliquer. Je me sentais pouss invinciblement

    vers la petite lumire ; elle mairait comme un puissant aimant ; ellemaspirait comme le terrible maelstrom des ctes de Norvge.

    Le ciel tait devenu plus sombre, et je pouvais peine distinguer vingt pas en avant de la pince de mon canot. Je lais toujours quandmme, guid par le foyer tincelant qui se rapprochait vue dil. Commesil se ft agi dune reconnaissance en pays ennemi, je plongeais en si-lence mon aviron dans leau tranquille, ne la laissant mme pas toucherle rebord de lembarcation.

    Tout coup, une obscurit plus profonde se t quelques pas demoi, et mon canot sengagea doucement dans les ajoncs, la quelquessecondes en les frlant, puis sarrta.

    Jtais arriv. Et par un singulier hasard, je me trouvais justement dans une petite

    crique du bras de rivire, ombrage de massifs trs pais, et une ving-taine de pieds tout au plus de la fentre illumine, qui tait celle de lachambre de Louise.

    Je demeurai l immobile, xant de mon regard ardent cee fentrebien-aime, derrire laquelle devait se trouver ma douce ance. Jesp-rais entrevoir la charmante silhouee de la jeune lle ; je lui dirais alorsmentalement adieu, puis je prendrais ma course.

    Mais rien ne bougeait dans la chambre, et jen conclus que la pieuseLouise adressait Dieu sa prire accoutume, avant de se mere au lit.

    La chre enfant, murmurai-je, elle dit peut-tre, cee minute pr-cise o je suis deux pas delle, un pater et un ave pour que son bon amiGustave lui revienne sain et sauf.

    Amre ironie de ma pense ! Je navais pas nie cee rexion mue, quun bruit tou de

    conversation voix basse me parvint. Jprouvai comme une secousse galvanique et me rapprochai, en me

    glissant silencieusement travers le feuillage, de lendroit do semblaientpartir les chuchotements.

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  • Le Roi des tudiants Chapitre V

    Ce fut laaire dune minute. and je fus assez prs pour tre srde ne pas perdre une syllabe de la conversationmystrieuse, jcartai dou-cement le feuillage et je regardai.

    cinq ou six pas de moi, prs de la maison, il y avait un homme etune femme. Lobscurit mempchait de distinguer leurs traits, mais moncur, qui baait se rompre, les reconnut, lui.

    Lhomme tait Lapierre ; la femme, Louise, ma ance ! Leur voix,qui se t entendre aummemoment, neme laissa aucun doute cet gard.

    Ainsi, jtais trahi !. . . trahi par la femme que jaimais le plus aumonde, qui mavait jur une inviolable dlit et que javais arrache,deux mois auparavant, une mort certaine !. . . trahi par lhomme qui medevait aussi la vie, par lhomme dont la bouche hypocrite me disait, laveille mme, des paroles damiti, par le condent qui avait reu tous lessecrets de mon cur !

    Ctait trop la fois, et le coup qui maeignait en pleine poitrinetait port trop soudainement !. . . Un ot de sang me monta aux yeux etje dus me cramponner dsesprment un arbre, pour ne pas tomber.

    Puis la raction se t, immense, terrible ; une froide rage serra mestempes, et ce fut avec un calme erayant que je me dis :

    Avant de les frapper, je dois les entendre. Je ne suis plus un amant ;je suis un juge ! coutons.

    Et, concentrant toutes les facults de mon me dans un seul sens :loue, jentendis mot mot le dialogue suivant :

    En vrit, ma chre Louise, disait Lapierre, vous tes trop pusil-lanime ce soir. Les ombres de la nuit vous feraient-elles peur et nauriez-vous de courage qu la clart du soleil ?

    Ne raillez pas, Joseph : jai peur, en eet, rpondait la jeune lle. Peur de quoi ? Le sais-je ?. . . De tout : du vent qui agite le feuillage, du coassement

    des grenouilles au bord de la rivire, du cri des hiboux, l-bas, dans cesgorges sombres. . .

    Allons donc ! Il me semble que tous ces bruits et toutes ces voix de la nuit ne

    slvent que pour me reprocher mon indlit.

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  • Le Roi des tudiants Chapitre V

    Vous tes folle, Louise : les hiboux et les grenouilles nont rien voir dans nos aaires, croyez-moi.

    Je le sais bien. . . Mais ce sentiment de vague terreur que jprouvenest pas de ceux que lon surmonte par le raisonnement.

    Si vous maimiez, Louise, autant que je vous aime, vous chasseriezbien vite toutes ces ides superstitieuses et vous ne craindriez rien aumonde, quand je suis l pour vous dfendre.

    Vous aimer, Joseph ?. . . Lorsque, pour vous, je trahis des sermentssolennels ; lorsque je trompe toute heure du jour un franc et loyal jeunehomme qui a foi en moi ; lorsque je rcompense le dvouement de celuiqui ma sauv la vie en jouant vis--vis de lui la comdie de lamour, tan-dis que mon cur appartient un autre ; vous me demandez si je vousaime !. . .

    Louise avait prononce cee tirade dune voix forte, quoique touf-fe, et avec une nergie fbrile. Je nen perdis pas un mot, pas une in-tonation. Aussi, leet fut-il foudroyant, et je demeurai accabl, la tteappuye au tronc dun arbre, le visage baign de larmes.

    Lapierre reprit : Je vous crois, Louise, et la dmarche que vous faite ce soir conrme

    vos dires ; mais combien les actions prouvent mieux que les paroles ! Ce que vousme demandez est si grave, que je ne puismy rsoudre. y a-t-il dans ma proposition de si extraordinaire ? Vous nai-

    mez pas lhomme que vos parents vous destinent ; pour vous soustraire la dure ncessit dpouser cet homme-l, vous fuyez avec celui que votrecur a choisi. . . Encore une fois, quy a-t-il dans ce projet de si trange ?

    Gustave Desprs ma sauv la vie ! La belle aaire ! Tout autre, sa place, en et fait autant. Est-ce

    quon laisse prir sous ses yeux une personne qui se noie, sans lui portersecours ?

    Je lui ai dit que je laimais et promis de ntre jamais qu lui ! Propos damoureux que tout cela. Ces sortes dengagements ne

    tirent pas consquence et se rompent tous les jours. Desprs a abusde votre jeunesse et escompt votre reconnaissance, en vous faisant pro-mere une chose semblable. Cest tout simplement odieux.

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  • Le Roi des tudiants Chapitre V

    cee lche accusation de Lapierre, je me redressai, ple de colreet prt bondir sur lui ; mais la voix de Louise marrta.

    Laissez-moi rchir, disait la jeune lle. Demain, la mmeheure, soyez ici : je vous dirai quoi je suis rsolu.

    Ne craignez-vous pas le retour de Desprs ? Oh ! non, il ma dclar que son absence durerait au moins trois

    jours. Jaendrai, puisquil le faut. Mais songez, Louise, que le temps

    presse et que la dcouverte de notre liaison peut tout gter. Demain, jaurai pris une dcision. demain, donc ! La frontire nest pas loin et mon canot est ra-

    pide. Je serai prte. demain ! Louise rentra, et jentendis, quelques pas de moi, le bruit des

    branches froisses par Lapierre, qui regagnait son canot. Je le laissai partir. Cinq minutes aprs, je lais silencieusement dans son sillage. Mon

    heureux rival fredonnait un gai refrain, pagayant mollement, comme unhomme qui nest pas press.

    Je labandonnai la hauteur de llot, pour obliquer gauche et mediriger vers la demeure de mon pre.

    Lui se perdit dans lobscurit, en amont, et je lentendis aerrirpresque en mme temps que moi.

    n

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  • CHAPITRE VI

    Le drame de llot

    D, recueilli un instant, reprit ainsi sa narration : La dcouverte de la honteuse trahison dont jtais victime avaitrveill dans mon cur une foule de passions assoupies jusqua-lors. De sombres ides de vengeance magitaient, et cest sous lempiredune de ces colres blanches qui ne raisonnent pas que je pris un parti.

    Je gravis au pas de course le coteau qui conduisait la maison demon pre ; et, aprs avoir rendu compte ce dernier de ma mission, je luidis quune aaire importante mobligeait repartir de suite, et le priai dene pas rvler personne mon retour nocturne Saint-Monat.

    Le bon vieillard parut quelque peu tonn de mes allures myst-rieuses ; mais je le rassurai en lui disant quil sagissait tout simplementdun pari gagner, et je s mes prparatifs de dpart.

    Ce ne fut pas long. De largent, quelques hardes, des provisions pour deux jours et une

    paire de revolvers chargs composrent mon bagage, et je quiai la mai-

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  • Le Roi des tudiants Chapitre VI

    son paternelle comme deux heures du matin sonnaient au coucou du sa-lon.

    Une vingtaine de minutes plus tard, jtais install dans le fourrle plus pais de llot, ayant eu soin de hler mon canot sec et de ledissimuler dans un fouillis de broussailles.

    Mon intention, en choisissant cet endroit solitaire pour y passer lajourne, tait dabord dempcher que Lapierre net vent de mon retour,ensuite dtre plus porte dobserver ses alles et venues.

    Rien dextraordinaire ne se passa, jusquau soir. Mon ex-ami alla bien, comme dhabitude, chez mon pre et chez

    quelques autres personnes du voisinage, mais son canot ne bougeait pas. La nuit vint, sombre, silencieuse une vrai nuit de contrebandier,

    de bandit. Je distinguais peine les deux rives du euve ; et si quelquesmaigres rayons dtoiles neussent perc lobscurit compacte, il mauraitt bien dicile de constater le dpart du coquin.

    Heureusement, mes yeux sy rent la longue, et, vers dix heuresenviron, je pus y voir le canot de Lapierre se dessiner sur le euve commeune ombre lgre et glisser rapidement vers llot.

    Arriv la pointe sud, au lieu de passer outre, comme je my aen-dais, le canot vint sy ensabler, et lhomme qui le montait sauta terreet alla dposer, non loin de l, derrire un rocher, quelque chose qui meparut tre un paquet de hardes.

    Avant, que je fusse revenu de mon tonnement, le canotier avait re-joint son embarcation et nageait ferme dans la direction de la rive gauche.

    Je lui laissai prendre un peu davance, puis, mon tour, je sautaidans mon canot et mlanai silencieusement sur ses traces.

    Aprs une dizaine de minutes de cee chasse nocturne, jabordaisdans ma petite crique de la veille et je me glissais sans bruit jusqu monposte dobservation de la nuit prcdente.

    Lapierre tait dj rendu prs de la maison. Je vis sa silhouee quisestompait faiblement sur le mur blanchi la chaux.

    Tout semblait sommeiller dans la maison. Aucune lumire ne brillaitaux fentres. Le monotone trmolo des grenouilles dans les ajoncs durivage interrompit seul le silence pesant de la nuit.

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  • Le Roi des tudiants Chapitre VI

    Tout coup, jentendis crier les gonds dune porte qui souvrait ;puis des pas lgers se rent entendre, et Louise, en costume de voyageparut auprs de Lapierre.

    Enn, vous voil ! t le coquin. Mon Dieu ! rpondit la jeune lle dune voix navre, quelle af-

    freuse dmarche mobligez-vous ? Allons, voil vos terreurs puriles qui vous reprennent. Mes bons parents, les abandonner ! ce pauvre Gustave, le trahir ! Mais, ma chre, vous les reverrez, vos parents car, une fois ma-

    ris, nous reviendrons ; quant cet imbcile de Gustave, vous me feriezplaisir en le laissant l o il est.

    Il me semble que je fais un rve terrible et que je ne pourrai jamaisme rsoudre vous suivre.

    En ce cas, veillez-vous et prenez vite une dcision, car je naiaucunement lintention de passer ainsi toutes les nuits courir sur leeuve.

    Si nous aendions encore quelques jours. . . Pas une heure. Cest assez denfantillage comme cela. Suivez-moi

    cee nuit mme, ou retournez votre premier amoureux. . . Il nest paser, ce bon enfant-l, et il se fera un honneur de recueillir les dbris dema succession.

    Remarquez en passant, messieurs, comment le brutal Lapierre trai-tait cee jeune lle, quil prtendait, aimer et quelle abjecte soumissionLouise avait pour lui. Il est certaines femmes quil faut tenir ainsi dansune crainte salutaire. . . La verge leur est douce et les coups de fouet leursemblent des caresses.

    Pauvre et soe humanit ! Mais je poursuis. . . Aprs quelques secondes, Louise rpondit brus-

    quement : Vous le voulez, Joseph ? Eh bien ! que notre destine saccom-

    plisse : emmenez-moi. Le ravisseur ne se le t pas dire deux fois. Il saisit la jeune lle dans

    ses bras et la transporta dans son canot. Puis il poussa au large et disparutsur le euve sombre.

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  • Le Roi des tudiants Chapitre VI

    Mais je lavais prvenu. Aux dernires paroles de Louise, javaisregagn pas de loup mon embarcation, et je fuyais comme une chevers llot, lorsque les fuyards se dtachrent de la rive.

    En un clin dil, javais aeint lendroit o Lapierre, une heure au-paravant, avait mis pied terre. Jtais sr que le coquin sy arrteraitencore, et je laendais, un revolver dans chaque main, et bloi derrireun rocher.

    Jtais rsolu tout pour empcher le rapt de se consommer ; et,plutt que de laisser impunies les basses insultes de Lapierre et sa hideusetrahison, jaurais volontiers dcharg les douze coups de mes revolverssur son canot, au risque de tuer Louise, sil et dpass la pointe de llotsans sy arrter.

    Heureusement pour la jeune lle, il nen fut rien. Lapierre rama dansma direction et vint aerrir une dizaine de pas de moi.

    Il tait dhumeur charmante, le digne homme, et ce fut dune voixextrmement aimable quil dit sa compagne, en la dbarquant dans sesbras :

    Eh bien ! ma chre Louise, que vous en semble ? jusquici notrefuite nest-elle pas une dlicieuse promenade nocturne ?

    Il fait bien noir. . . murmura la jeune lle. H ! cest justement la nuit quil nous faut : pas un air de vent, pas

    un rayon de lune une vritable nuit damoureux ! Je voudrais bien partager votre opinion ; mais vous le dirais-je ?

    cee obscurit et ce silence me psent : il me semble que quelque chosede lugubre plane dans les airs.

    Encore ?. . . Je parie que cest lombre courrouce de votre ex-amoureux Desprs que votre esprit y voit.

    Ne riez pas : cest, en eet, Desprs que je pense avec eroi. Ho ! ho ! la bonne farce ! Tenez, moi aussi limage de cet excellent

    Gustave me troe un peu dans la cervelle, je lavoue ; mais cee image,loin de me faire peur, me tient au contraire en gaiet. Je donnerais tout aumonde pour voir quelle tte fera notre colier, lorsquil ira demain chezvotre pre et constatera que vous lui avez brl la politesse, en compagniede son bon ami Lapierre. . .

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  • Le Roi des tudiants Chapitre VI

    La tte quil fera ? mcriai-je dune voix terrible, tu vas le voir desuite, misrable, car me voil !

    Et me redressant en face des fuyards, dun coup de pied violent, jerepoussai au large leur canot, qui partit la drive et disparut aussittdans lobscurit.

    Lapierre et Louise restrent ptris et ne purent que pousser cha-cun une exclamation :

    Desprs ! Gustave ! Oui, cest bien moi, Gustave Desprs ! repris-je avec force Gus-

    tave Desprs, qui en change du petit service quil vous a rendu de voussauver la vie, vous avez constamment tromp tous deux ; Gustave Des-prs qui a entendu vos entretiens nocturnes et connat les projets quevous avez en tte ; Gustave Desprs, enn, qui sest constitu votre jugeet vient vous porter la sentence que vous mritez !

    Et quelle est cee sentence, Votre Honneur ? La mort ! rpondis-je dune voix stridente. Pour tous deux ? Pour toi seul, coquin. Et pour mademoiselle ? Le mpris ! Ho ! ho ! t Lapierre avec un rire forc, vous ny allez pas de main

    morte, monsieur le juge ! Je me venge ! fut la rponse. Malgr son audace, le jeune homme tressaillit, car il y a de ces ac-

    cents qui portent immdiatement la conviction. Pourtant, il feignit encore de badiner. i sera lexcuteur des hautes uvres ? ricana-t-il. Moi ! Et, exhibant aussitt mes revolvers, jajoutai : Il y en a un pour toi et un pourmoi. Nous nous placerons chacune

    des extrmits de llot, et nous tirerons volont nos six coups. Lapierre recula. Un duel ? t-il. Oui, un duel, un duel loyal ! car si je veux ta vie, ce nest point par

    un assassinat que je prtends lavoir.

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  • Le Roi des tudiants Chapitre VI

    Un duel sous les yeux dune femme ? Cee femme en est la cause : il faut quelle voie son uvre. Cest une lchet cruelle ! Il te sied bien, Joseph Lapierre, de parler de lchet, toi que je

    surprends en agrant dlit de trahison, en train de dshonorer jamaisune famille respectable. Mets de ct ces airs de chevalerie qui ne te vontpas, et prpare-toi plutt disputer ta misrable vie.

    Et si je ne veux pas me bare, moi ? Si tu refuses de te bare, infme larron dhonneur, aussi vrai que

    Dieu mentend, je vais te tuer comme un chien. Pour le coup, Lapierre vit que jtais srieux et quil fallait sexcuter

    cote que cote. Il se mit trembler tout de bon. Au moins, dit-il, meons Louise couvert ; tu nas pas envie de

    lassassiner, je suppose ? Pas le moins du monde. Il y a, de lautre ct de llot, un amas

    de roches derrire lequel elle se bloira. Si je te tue, comme je lesprebien, je mengage la ramener chez elle dans mon canot, que jai cach quelques pas dici ; si tu es vainqueur, tu agiras ta guise. Allons, faisvite, o je vais te froer les ctes pour te donner du courage.

    Ce coup dperon parut transformer Lapierre. Il bondit vers la jeunelle et, malgr ses supplications et ses gmissements, la transporta au lieuconvenu.

    Puis, revenant vers moi, il me cria dune voix sauvage : nous deux, maintenant !. . . Ah ! mon petit Desprs, tu veux du

    sang ! Eh bien ! je vais voir de quelle couleur est celui dun amoureuxdcont. O est mon revolver ?

    Je viens de le dposer sur le paquet de hardes que tu destinais mademoiselle, vilaine caricature de Don Juan ! rpondis-je, en gagnant la hte lextrmit nord de llot.

    Il tait alors environ minuit. Le temps tait toujours sombre. La lune ntant pas encore leve,

    cest peine si la clart blafarde des toiles permeait de voir quelquespas devant soi.

    Ctait donc peu prs au hasard que nous allions tirer, moins demarcher lun sur lautre, ou, ce qui serait mieux, de nous guider sur notre

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  • Le Roi des tudiants Chapitre VI

    feu rciproque. Je me faisais ces rexions, tout en cherchant un abri quelconque,

    lorsquune dtonation retentit et quune balle sia mon oreille. Je me retournai vivement et ripostai au hasard. Je navais pas abaiss mon arme que, pan ! une autre dtonation

    suivit et quune seconde balle me passa dans les cheveux. Hum ! me dis-je, il parat que matre Lapierre aend mon feu pour

    mieux viser. Ce nest pas si bte pour un coquin de son acabit. Cee constatation faite, javanai de quelques pas et tirai mon tour

    sur une ombre qui semblait se mouvoir. Un coup de feu me rpondit immdiatement, mais, cee fois-ci,

    une trentaine de pieds de moi tout au plus. La balle t clater une branche mes cts.

    Tant mieux ! murmurais-je, Lapierre marche sur moi, comme jemarche sur lui. Ce sera plus tt ni.

    Et je lchai mon troisime coup. Mais, rendu prudent par les siements dsagrables que mes

    oreilles navaient que trop perus, je mtais aussitt jet plat-ventre. Cee prcaution me sauva la vie, car Lapierre menvoya sa qua-

    trime balle quelques pouces seulement au-dessus de la tte. En ce moment, je vis pendant deux secondes sa silhouee se dessi-

    ner prs dun arbuste. Mon revolver tait en position : je tirai. Un cri terrible se t entendre et jentendis le bruit dun corps pesant

    saaissant dans le feuillage. Justice est faite ! je suis veng ! mcriai-je. Et, bondissant par dessus le cadavre, je courus lendroit o Louise

    aendait le rsultat de la lue. Elle tait probablement vanouie au pre-mier coup de feu, car je la trouvai sans connaissance, les mains crampon-nes au rocher qui lui servait dabri.

    Pauvre enfant !murmurai-je, si cemisrable que je viens de tuer nestait pas rencontr sur notre chemin, comme nous aurions t heureux !

    Mais je navais ni le temps ni la volont de maendrir. Je la trans-portai dans mon canot et la ramenai chez elle.

    Au moment o je la dposais prs de la maison de son pre, ellereprit ses sens et me reconnut.

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  • Le Roi des tudiants Chapitre VI

    Aprs mavoir regard avec eroi pendant quelques secondes, elledtourna la tte et ses lvres murmurrent un mot sanglant :

    Assassin ! Vous vous trompez, mademoiselle, rpliquai-je gravement. Ce

    nest pas moi, mais bien votre coqueerie qui a couch dans les bruyresde llot lhomme qui y dort son dernier sommeil. Souvenez-vous-en,Louise, et. . . adieu !

    Je mloignai rapidement, lme remplie dune mortelle tristesse, et,toute la nuit, je remontai le Richelieu grands coups daviron.

    n

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  • CHAPITRE VII

    Kingston et Kentucky

    D instant cee phase de son rcit.Sa physionomie, jusque l grave et triste, se revtit soudaindune expression de haine impossible rendre ; sa prunelle sal-luma dun feu sombre, comme si quelque horrible souvenir venait de pas-ser devant ses yeux, et il reprit dun ton farouche :

    Jachve, messieurs, et je serai bref dans ce qui me reste dire. Je remontai donc le Richelieu pendant le reste de la nuit, me diri-

    geant vers la frontire. la pointe du jour, je me trouvais tout au plus quatre ou cinq milles de la ligne quarante-cinq, cest--dire de la libert,du salut. Mais jtais extnu, je nen pouvais plus ; mes mains, gonesoutre mesure par le maniement de laviron, refusaient absolument le ser-vice. . .

    Je dus marrter pour prendre quelque repos. Je me trouvais alors en face dun grand bois de sapins et de bou-

    leaux. Jy cachai mon canot et, mtendant tout auprs, je mendormis

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  • Le Roi des tudiants Chapitre VII

    dun profond sommeil. and je mveillai, le soleil tait haut et je jugeai que javais d

    dormir plusieurs heures. Pour rparer autant que possible cee grave imprudence, je me h-

    tais de remere mon embarcation leau, lorsque de grands cris sle-vrent des deux cts de la rive et je fus envelopp par une dizaine d-hommes qui bondirent sur moi et marrtrent.

    Parmi ces hommes tait Lapierre ; Lapierre que je croyais avoir tuet que je retrouvais plein de vie, ayant reu tout au plus une blessurelgre, en juger par un de ses bras, quil portait en charpe.

    Je compris tout. Le lche, pris de terreur en se sentant aeint par ma balle, avait

    pouss un cri dagonie et stait laiss choir tout de son long, contrefaisantle mort. Puis, lorsquil avait bien constat mon dpart, il stait empressde mere les autorits mes trousses.

    Ah ! ah ! mon petit Desprs, me dit-il avec un ricanement dhyne,il parat que te voil descendu du banc de la jugerie ! Cest dommage, pa-role dhonneur, tu tais superbe la nuit dernire en prononant ma sen-tence !. . . Mais, bah ! ajouta-t-il, si tu perds le rle de juge, tu porterastoute ta vie la casaque du forat. . . Elle ira mieux ta taille !

    Misrable chenapan ! murmurai-je avec dgot, en lui tournant ledos.

    On me passa les menoes, comme un malfaiteur vulgaire, et cestainsi que je fus conduit Saint-Jean, o je fus intern dans la prison com-mune.

    Mon procs ne tarda pas sinstruire, et, naturellement, grce auxmenes de Lapierre, je fus trouv coupable.

    On me condamna. . . quoi ? demandrent les jeunes gens, voyant queDesprs se taisait. Au pnitencier ! rpondit dune voix sourde le Roi des tudiants. Au pnitencier ! t Champfort. . . et pour combien de temps ? Pour un an. . . Le jury mavait fortement recommand la clmence

    de la cour. Hlas ! pauvre ami. . . mais la sentence ne fut pas. . .

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  • Le Roi des tudiants Chapitre VII

    Jai fait mon temps ! jai port, comme me lavait prdit Lapierre, lacasaque du forat ; pendant douze longs mois, jai vcu cte cte avecles meurtriers, les voleurs et les faussaires, travaillant sous le fouet desgardiens, mangeant la gamelle du galrien !

    Oh ! ces douze mois, mes amis, ils mont vieilli de douze ans et ontamass bien du el dans mon cur !. . . Et qui pourrait dire combien desombres penses de vengeancemont agit lombre de cesmurs lugubresdu pnitencier de Kingston !

    Enn, ils passrent, et je pus respirer de nouveau le grand air de lalibert.

    Mais je ntais dj plus ladolescent joyeux qui lavenir sourit.Mon me avait bu la source damertume et sen tait imprgne. Lablessure que lon venait de faire mon honneur et mes sentiments lesplus intimes me brlait comme un fer rouge.

    Je rsolus de quier le Canada et daller chercher dans le fracasde la guerre amricaine, sinon loubli, du moins un adoucissement mestortures morales et une sorte de rhabilitation vis--vis de moi-mme.

    Une autre raison et celle-l bien plus imprieuse me poussa cee dtermination.

    En arrivant chez mon pre, jappris que la famille de Louise staitloigne de la paroisse, o les calomnies de Lapierre lui avaient fait uneposition intenable, et que le mcrant, aprs stre ainsi veng dun checmatrimonial, avait gagn les tats-Unis. Or, telle tait ma haine contre cesclrat, que le seul espoir de le rencontrer face face et de me vengerde ses infamies aurait t plus que susant pour me faire abandonnerfamille et patrie.

    Je partis donc pour le thtre de la guerre, et je mengageai dansune arme de fdraux qui oprait alors dans le Kentucky et faisait faceau gnral Beauregard.

    Chose inoue, je venais de tomber juste sur lhomme que je cher-chais, et je me trouvais prcisment dans un des avant-postes o matreLapierre exerait ses nombreux talents. Jeus maintes fois loccasion dob-server ses alles et venues dun camp lautre. Mon ex-ami faisait l ron-dement ses petites aaires, ce quil paraissait. Il tait la fois commis-saire des vivres, espion et agent de recrutement, pour le compte de larme

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  • Le Roi des tudiants Chapitre VII

    du Nord. Tu as vu, Champfort, comment le triste personnage oprait et quelle

    habilet il savait dployer dans ses multiples occupations. Eh bien ! le rle quil a jou vis--vis du colonel Privat ntait que

    la centime rptition de comdies aussi odieuses, excutes aux avant-postes des armes, tantt au dtriment des confdrs, tantt celui desfdraux, suivant le bon plaisir de ses intrts pcuniaires, lui.

    Il est inniment probable que si laudacieux coquin avait su que sonplus mortel ennemi se trouvait dans les mmes parages que lui, observanttous ses agissements, piant ses moindres dmarches, il aurait dcampsans tambour ni trompee.

    Mais jtais si bien grim, avec ma longue barbe que javais laisscrotre, et, je prenais tellement de prcautions pour ne pas tre reconnu,que matre Lapierre vivait cet gard dans une parfaite scurit.

    Jen protais pour faire, moi aussi, mes petites aaires, cest--direpour accumuler contre lui autant de preuves que possible une sommesusante pour le faire fusiller comme un espion ennemi ; et je vous as-sure que je ne regardais pas beaucoup aux moyens employer, lorsquilsagissait daugmenter ma liste.

    Un soir entre autres que, par une nuit obscure, il revenait clandesti-nement du quartier-gnral ennemi, je membusquai sur son passage et,aprs lavoir ross mon got, je le dvalisai de ses papiers, ni plus nimoins que si jeusse t un voleur de grand chemin.

    Ce bel exploit complta mon dossier ; car il se trouva que le mis-rable portait sur lui, cee nuit-l, une vritable cargaison de papiers com-promeants : correspondances secrtes, instructions, etc., de quoi fairefusiller dix espions.

    Je me dcidai alors ne plus retarder le chtiment et frapper uncoup dcisif.

    Ma qualit de secrtaire du gnral commandant larme me per-meait de le voir toute heure. Jallai le trouver cee nuit-l mme. Legnral ntait dj plus sa tente. Tout le camp tait en mouvement.Nous marchions lennemi.

    La bataille sengagea sur toute la ligne, furieuse, pouvantable. Nousfmes baus et obligs de retraiter prcipitamment bien en arrire de nos

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  • Le Roi des tudiants Chapitre VII

    lignes prcdentes. Cest dans cee areuse retraite que je fus bless dun coup de feu,

    qui mit n ma carrire militaire. On mvacua vers le nord, et comme ma convalescence tranait en

    longueur et que, dailleurs, je ne pouvais esprer reprendre mon servicede sitt, jobtins mon cong et je revins au pays.

    Et Lapierre ? demanda Champfort. Je ne lai plus revu quici, bec, lorsquil revint des tats-Unis.

    Cest la Providence, comme je lai dit, qui le jee sur ma route. Cee fois-ci, il ne mchappera pas.

    Cest moi quil appartient ! rugit le Caboulot, dont la physionomietait transforme et qui lanait des clairs par ses yeux bleus.

    n

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  • CHAPITRE VIII

    On se reconnat

    O des tudiants cee exclamation v-hmente de lenfant.Chacun se demandait par quelle crise passait le camarade etquelle raison il pouvait avoir pour rclamer ainsi le droit de punir La-pierre ; puis, rapprochant cee toquade de la singulire agitation quilavait manifeste pendant le rcit de Desprs, on tait bien empch detrouver une rponse.

    Pourtant Laeur, rarement court, en exhuma une de sa cervelle em-pte :

    Il est saoul, mes amis, dit-il, saoul comme cent mille Polonais. Tiens, cest une ide ! bgaya Cardon. Cest ton mauvais whisky qui lui vaut a, Cardon, pourvoyeur mal-

    honnte que tu es ! Mon whisky, mauvais ?. . . Tu peux bien le dire, prsent que tu

    en as plein ta vilaine trogne, riposta Cardon, bless dans sa dignit de

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  • Le Roi des tudiants Chapitre VIII

    fournisseur. Trogne toi-mme ! Assez ! mes amis, intervint Desprs, nallez-vous pas vous chicaner,

    maintenant ?Puis, se tournant vers le Caboulot qui tait assis prs de la table, le

    front dans ses mains : Voyons, Caboulot, lui dit-il, prouve ces deux ivrognes que tu nes

    pas saoul et que tu parles sensment.Pour toute rponse, le jeune homme se leva en face de Desprs et le

    toisant minutieusement :Oui, cest bien Gustave, murmura-t-il comme se parlant lui-mme.

    Seulement, tu es si chang depuis sept ans, que je ne taurais certes pasreconnu, sans cee histoire. . .

    e veux-tu dire ? demanda Desprs, qui, son tour, regardait lepetit tudiant dans les yeux et lui trouvait une bizarre ressemblance.

    Je veux dire, rpondit lenfant dune voix mue, que la destine adtranges voies et quelle place aujourdhui en face lun de lautre deuxhommes qui taient amis de vieille date, sans se connatre. . .

    Mais nous nous connaissons depuis plus dun mois ! Oui, de gure. Mais te serais-tu imagin mon vieux Gustave, que

    sous le sobriquet de Caboulot donn par les camarades devait se lirele nom de Jacques Gaboury ?

    Toi, Jacques Gaboury, le petit Jacques que jai sauv l-bas, le frrede. . . Louise ! exclama Desprs, en meant ses deux mains sur les paulesde lenfant et le dvorant du regard.

    Oui, cest bien moi ; cest bien le petit gamin qui allait se noyer dansle Richelieu, sans ton secours.

    i aurait pu dire ?. . . murmura le Roi des tudiants. En eet, tagure me revient maintenant, malgr que je naie pas eu loccasion de tevoir longtemps l-bas.

    Seulement le temps des vacances. . . Jtais au collge, vois-tu. Je me souviens, je me souviens. . . Comme tu es chang, mon pauvre

    Jacques ! Ce sont bien les mmes traits principaux, les mmes yeux, sur-tout. . . Mais tout cela a pris des formes plus accuses. . . Et puis, tu as

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  • Le Roi des tudiants Chapitre VIII

    grandi, tu tes dvelopp si bien que je ne taurais certainement, pasreconnu, mon cher enfant.

    Ce nest pas tonnant, Gustave ; je navais gure quune dizainedannes lorsque tu venais. . . chez nous, et lon ne fait pas beaucoup at-tention un gamin de cet ge.

    Tu as raison. Mais, toi, est-ce que ma gure ne ta pas frapp ? Mon Dieu, non : tu nes plus le mme homme. Ta moustache a

    pouss, ton teint est plus brun, ta voix est change aussi. . . de sorte quilfaut le savoir pour retrouver, dans le Roi des tudiants, Gustave Desprs,le joyeux garon qui sappelait l-bas Gustave Lenoir.

    e veux-tu ? la tempte ne mugit pas dans la cime du sapin le plusvigoureux sans y laisser de traces, sans en changer laspect. Jai pass parbien des preuves depuis le bon temps o nous nous sommes connus pourla premire fois, et mon front en garde les empreintes indlbiles.

    Pauvre Desprs ! Permets-moi de te conserver ce nom, sous lequeljai renou notre amiti dautrefois.

    Non seulement je te le permets, mais encore je ten prie, toi et lesautres. Cest le nom de ma mre, et, ce nom. . . le pnitencier ne la pas surses registres dcrou.

    Le Caboulot courba la tte et garda le silence.Champfort, Cardon et Laeur ne disaient mot.Le premier admirait les mystrieux dcrets de la Providence, qui fai-

    sait converger sur la tte du coupable Lapierre toutes ses voix accusatriceset se disposait le frapper.

    ant aux deux autres, gorgs de whisky et ahuris par tous les ton-nements de cee nuit mmorable, ils se demandaient srieusement silsnassistaient pas une reprsentation dramatique et aendaient tran-quillement, la n de la pice pour se communiquer leurs impressions.

    Au bout de quelques secondes, Desprs regarda son petit ami et luidemanda dune voix mal assure :

    Et. . . elle ? Tu veux savoir o elle est ? Oui. bec. Seule ?

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  • Le Roi des tudiants Chapitre VIII

    Avec mon pre et moi. Ta mre est donc. . . ? Morte, mon vieux, morte de chagrin. Pauvre femme !Le Caboulot essuya une larme. Oh ! Louise fut bien coupable, dit-il, mais elle a terriblement expi

    son erreur ; elle a bien souert. . . Ctait justice ! murmura Desprs. Oh ! ne la condamne pas, Gustave ; ne sois pas inexorable pour ma

    pauvre sur. Si toutes les larmes du cur peuvent eacer une faute, lasienne mrite pardon et indulgence.

    Desprs ne rpondit pas, mais un clair traversa sa prunelle sombreet sa gure prit une dure expression dinexibilit.

    En ce moment, trois heures du matin sonnrent lhorloge de la pen-sion.

    Champfort se leva. Trois heures, dit-il : je rentre. Je taccompagne, rpondit Desprs ; nous aurons beaucoup causer. Aendez, dit son tour le Caboulot ; je retourne la maison, moi

    aussi ; nous ferons un bout de chemin ensemble. Partons, rent les jeunes gens. Cest a ! grommela Laeur ; allez-vous-en tous et laissez-nous,

    Cardon et moi, la besogne dachever la bouteille qui reste. Garde-la pour demain, dit Desprs. Jamais ! protesta majestueusement le diurne homme. Morguienne !

    ce serait du propre : Laeur reculer devant une bouteille ! Allons, esti-mable compagnon de la bamboche, illustre pourvoyeur Cardon, un pe-tit. . . un dernier coup de cur !

    Cest notre grand-pre No,Patriarche digne,e lbon Dieu nous a conservPour planter la vigne. . .Cardon ne rpondit pas ; il ronait comme un cachalot.Le chanteur eut beau ener sa voix pour reprendre :Il se t faire un bateau

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  • Le Roi des tudiants Chapitre VIII

    Pour se promener sur leauPendant le dluge. . .. . .rien ny t : le clbre Cardon ne bougea pas.ant aux trois autres, ils taient dj dans la rue, o les chos de la

    voix raille de Laeur leur arrivaient par boues intermientes.

    n

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  • CHAPITRE IX

    La Folie-Privat et ses habitants

    L laissebec par la barrire du pont Dorches-ter et se dirige vers les luxuriantes campagnes de la cte deBeaupr, ne peut manquer, sil a lesprit bien fait, dadmirer lemagnique paysage qui se droule aux environs de cee partie de la ca-pitale.

    Ce ne sont, de chaque ct de la route poudreuse, que chalets et cot-tages, maisons de plaisance et villas minuscules, coqueement assis surla croupe des collines ou accrochs aux ancs des vallons.

    Tout cela est largement pourvu darbres au feuillage abondant, et res-pire une fracheur qui repose lme. . . Ce petit coin de lden, o tout estverdure et calme, semble avoir t jet dessein en cet endroit pour fairecontraste laride et brlant promontoire de bec, qui, droit en face,tage au soleil les toits tincelants de ses milliers de maisons.

    Cee patrie des heureux de la fortune sappelle la Canardire.Cest l que les bourgeois aiss de la ville vont se reposer, pendant la

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  • Le Roi des tudiants Chapitre IX

    belle saison, de la fatigue des aaires, et retremper, sous les ombrages deleurs parcs, leurs forces morales puises.

    Naturellement, ds son arrive bec, la veuve du colonel Privatstait empresse de sacheter grand renfort dargent, une rsidencedt dans cet endroit de prdilection. Elle lavait baptise du nom deFolie-Privat. . .

    Mais quelle dlicieuse Folie !. . .Perdue demi sous bois, comme un bijou dans un crin, la faade seule

    en tait visible du chemin. On y arrivait par une large avenue sable quitranchait comme un ruban gristre sur une verte pelouse, plante confu-sment de sapins, de peupliers, de lilas, et de quelques arbres fruit. Toutautour, et plusieurs arpents en arrire, stendait le parc une vraie pe-tite fort, avec ses pioresques accidents, ses rochers moussus, ses troncsmorts, envahis par le lierre, ses cascades jaillissantes ou ses ruisseaux ba-billant sous les herbes. Ce mystrieux domaine tait sillonn en sens deroutes et de sentiers, tantt au cordeau comme les alles classiques desjardins anglais, tantt troits et tortueux, selon que le caprice de la na-ture ou les gots romantiques du Le Ntre canadien lavaient voulu. . . Etpuis des charmilles, des bocages, des bancs rustiques, des pelouses velou-tes, des tangs qui semblaient dormir, des vallons ombreux, aux ancsdesquels sincrustaient les myosotis et les marguerites !. . .

    Une miniature de lden !and, le front fatigu par le travail incessant de la pense, ou le cer-

    veau endolori par lpuisante obsession de quelque ide xe, de quelquesouvenir amer, on prouve le besoin dun peu de rpit, duneminute dou-bli, cest l quil faut laller chercher l, en pleine nature, sous ces om-brages paisibles, prs de ces cascatelles babillardes, au bord de ces ruis-seaux dont la voix est douce et parle au cur !. . . La brise y court, fracheet parfume, dans vos cheveux ; le feuillage y murmure vos oreillesses monotones mais toujours suaves et toujours mlancoliques plaintes ;les oiseaux y rjouissent lme par leurs gaies chansons et leurs joyeuxbats !. . .

    Aussi, peine les premires eurs talaient-elles au soleil de mai leursptales vierges ; peine les champs et les arbres revtaient-ils cee teinteverdtre qui repose le regard, que la famille Privat, ennuye des fades

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    plaisirs de la ville sinstallait au coage de la Canardire, pour ne plusle quier qu lapproche de lhiver.

    On y menait joyeuse vie.Le sable de la grande avenue criait souvent sous les roues de lourds

    carrosses, chargs de citadins et de citadines, aentifs ne pas laissersaidir leurs relations avec la riche famille et sensibles aux charmesde la pioresque Folie-Privat. Les alles bordes de verdure, les pelousesbrillantes, les parterres tout constells de eurs ne manquaient jamais dejolies robes pour les eeurer, de petits pieds pour y sautiller et de mainschinoises pour y commere des larcins impunis.

    Bref, la Folie-Privat tait devenue le rendez-vous de tout ce quil yavait bec dlgant et de fashionable.

    Rien de surprenant cela.Madame Privat, veuve dun planteur de la Nouvelle-Orlans et riche

    faire peur, dpensait fort largement, dans la vieille capitale canadienne,ses immenses revenues. Dhabitude, la richesse sut tout et allonge d-mesurment la queue de ses connaissances. Mais soyons juste dans le casprsent, le vil mtal ntait pas la seule raison de lengouement gnral.Madame Privat, bien que marie en Louisiane, tait originaire debec,o sa famille avait des relations fort tendues, ce qui explique bien unpeu pourquoi un si grand nombre damis suivaient avec empressementson char dor.

    Ctait une femme denviron quarante ans, portant dune faon trsvidente les vestiges dune opulente beaut. Blonde, blanche, rondelee,elle pouvait encore tirer lil plus dun clibataire quand elle net paseu, pour exciter les convoitises matrimoniales, lappt de ses superbesrentes. Son sjour la Nouvelle-Orlans, sous le brlant soleil du golfemexicain, avait donn sa peau ne et satine cee teinte demi-dorequi empourpre le rmament, certains couchers du soleil. Cela ajoutaitdu piquant sa mobile physionomie, en la voilant imperceptiblement,comme le fait une gaze quasi-impalpable recouvrant une gurine de cire.Petite de taille, alerte, vive, toujours parlant, toujours riant, altre demouvem