L'infraction de tentative en droit pénal canadien et en droit pénal français
De la conciliation entre la nécessaire anticipation de la répression et l'exigence de culpabilité morale
Mémoire Maîtrise en droit
Céline Bon
Université Laval Québec, Canada
Maître en droit (LL. M.)
et
Université de Toulouse I Capitole Toulouse, France
Master (M.)
© Céline Bon, 2017
ii
Résumé
L'un des principaux objectifs du droit pénal est la protection des valeurs chères à la
société de laquelle il émerge. Dès lors, si les valeurs protégées varient selon la société concernée,
certaines utilisations du droit pénal semblent systématiques, tant elles sont indispensables à la
protection de ces valeurs. Il en est ainsi de la répression prophylactique.
En effet, afin d'assurer une protection efficace des valeurs, le droit pénal ne peut se
permettre d'attendre que l'intérêt d'un individu en particulier soit lésé pour agir, et se contente
parfois d'un simple risque de préjudice pour le groupe social. Dès lors, le droit pénal peut
intervenir à différents stades sur l'iter criminis. Il existe en droit canadien comme en droit
français, de nombreux exemples d'intervention du droit pénal avant que l'atteinte protégée par la
règle de droit soit atteinte.
L'exemple le plus typique de cette forme d'anticipation dans la répression est sans doute
l'infraction de tentative, puisqu'elle ne constitue pas une incrimination ponctuelle d'un
comportement précis avant l'atteinte à la valeur, mais permet d'appréhender une multitude de
comportements antérieurs aux infractions. Elle permet de poursuivre pénalement une personne
qui a seulement tenté de commettre une infraction.
Bien qu'indispensable à la protection du groupe social, cette anticipation de la répression
n'en est pas moins un danger dès lors que l'atteinte à une valeur protégée n'est plus une condition
sine qua non de la répression. Il faut donc se demander comment concilier le besoin
d'anticipation de la répression, avec la nécessité de ne pas réprimer arbitrairement des
comportements trop éloignés de l'atteinte à la valeur.
Notre problématique est donc la suivante : de quelle manière les exigences propres à
l'infraction de tentative en droit pénal canadien et en droit pénal français permettent-elles une
répression anticipée tout en s'assurant de la culpabilité morale de l'auteur de la tentative ?
Pour répondre à cette question, il nous faudra aborder deux principales questions de
iii
recherche. Il s'agira dans un premier temps de voir quelles sont les caractéristiques propres à
l'infraction de tentative dans chaque système judiciaire qui permettent une répression anticipée.
Cette première interrogation fera l'objet d'une première partie, dans laquelle nous tenterons de
comprendre comment la diminution de l'élément matériel de l'infraction de tentative permet une
anticipation de la répression. Il s'agira alors de se concentrer sur la notion de commencement
d'exécution, mais également de voir quelles sont les limites posées à cette anticipation de la
répression.
Dans un second temps, il conviendra de s'intéresser aux exigences propres à l'infraction de
tentative en droit pénal canadien et en droit pénal français qui permettent de « compenser » cette
anticipation de la répression, et de s'assurer de la culpabilité morale de l'agent. Pour ce faire, nous
nous intéresserons au rehaussement de l'élément moral de l'infraction de tentative, et donc à la
nature de la mens rea exigée, ainsi qu'aux conséquences de ce rehaussement sur le champ
d'application de la tentative ainsi que sur sa répression.
Il s'agira d'une véritable étude de droit comparé, et non simplement de références
ponctuelles au droit étranger. Il nous faudra donc faire preuve d'une connaissance exceptionnelle
des systèmes juridiques à comparer. Pour ce faire, il nous faudra adopter une approche exégétique
traditionnelle. En effet, il nous faudra dans un premier temps recueillir des données juridiques, à
la fois dans le droit positif et dans la doctrine, notamment concernant les éléments constitutifs de
l'infraction de tentative. Il sera également indispensable d'analyser un grand nombre de décisions
judiciaires rendues en droit canadien et en droit français concernant l'infraction de tentative. Nous
ne nous contenterons donc pas, pour le Canada, uniquement des décisions de la Cour suprême,
afin de bénéficier d'une kyrielle d'analyses sur l'infraction de tentative et sur ses éléments
constitutifs. De surcroît, il nous faudra adopter une approche herméneutique pour interpréter le
droit positif, ainsi que la doctrine. Cette approche herméneutique nous préservera de l'écueil de la
simple juxtaposition de deux systèmes juridiques, et nous obligera à établir des liens, et parfois
même, des critiques.
Nous avons choisi d'effectuer cette analyse concernant l'infraction de tentative au Canada
iv
et en France pour plusieurs raisons. D'une part, ces deux États présentent un niveau de
développement équivalent, on peut donc présumer une certaine similitude de leurs systèmes
pénaux. En effet, ils connaissent tous deux le principe de la légalité ainsi que le principe de
l'ultima ratio. D'autre part, il n'existe pas, à notre connaissance, d'analyse comparative entre
l'infraction de tentative en droit canadien et en droit français. Or, cette analyse présente deux
avantages : elle pourra peut-être permettre de mettre en lumière les lacunes répressives, ou à
l'inverse les débordements répressifs, d'une conception de la tentative dans l'un ou l'autre de ces
États ; et nous permettra d'éviter le piège dû à l'ancienneté de l'infraction de tentative, qui conduit
les auteurs à l'analyser de manière identique depuis plusieurs décennies.
v
Table des matières
Résumé .............................................................................................................................. ii
Table des matières ............................................................................................................. v
Liste des principales abréviations ................................................................................... vii
Remerciements ................................................................................................................viii
Introduction ....................................................................................................................... 1
PARTIE 1 : L'ANTICIPATION DE LA RÉPRESSION PERMISE PAR LA DIMINUTION DE
L'ACTUS REUS ............................................................................................................... 15
Chapitre 1 : La réduction de l'élément matériel de l'infraction de tentative .................... 17
1.1. Les critères jurisprudentiels du commencement d'exécution .............................. 18 1.1.1. L'absence de critères légaux définis par les législateurs canadien et français18
1.1.2. La proximité temporelle, géographique et causale ...................................... 20
1.2. L'application des critères jurisprudentiels ........................................................... 22
1.2.1. Le poids de chaque critère ........................................................................... 22 1.2.2. L'existence d'autres critères ......................................................................... 27
Chapitre 2 : Les limites à l'anticipation de la répression ................................................. 31
2.1. La tentative des infractions inchoatives ............................................................... 31
2.1.1. La tentative d'incitation infructueuse et de mandat criminel ....................... 32 2.1.2. La tentative de voies de fait et de violences volontaires .............................. 34 2.1.3. La tentative d'association de malfaiteurs et de complot .............................. 37
2.2. Les différentes tentatives selon l'incomplétude de l'élément matériel ................. 40 2.2.1. La distinction entre infraction manquée et infraction tentée ....................... 41 2.2.2. L'intérêt de la distinction entre infraction manquée et infraction tentée ...... 42
vi
PARTIE 2 : LA CULPABILITÉ MORALE DE L'AGENT ASSURÉE PAR LE
RÉHAUSSEMENT DE L'ÉLÉMENT MORAL ............................................................ 45
Chapitre 1 : Le rehaussement de l'élément moral de l'infraction de tentative ................. 47
1.1. La nature du dol exigé pour l'infraction de tentative ........................................... 48 1.1.1. L'insuffisance de la simple insouciance, du dol indéterminé ou du dol éventuel
............................................................................................................................... 48 1.1.2. L'exigence d'une intention spécifique ou d'un dol spécial ........................... 51
1.2. Les moyens de défense ........................................................................................ 53
1.2.1. La défense d'intoxication volontaire ou d'ivresse ........................................ 53 1.2.2. La défense de plaisanterie ............................................................................ 55
1.3. La mens rea de l'infraction de tentative au regard du désistement volontaire ..... 56
1.3.1. Le désistement volontaire en France............................................................ 57 1.3.2. La nature de l'exigence de l'absence de désistement volontaire en France .. 58 1.3.3. L'éventuelle reconnaissance de la défense d'abandon au Canada et ses conséquences
............................................................................................................................... 61
Chapitre 2 : Les conséquences du rehaussement de l'élément psychologique ................ 69
2.1. Le champ d'application de l'infraction de tentative ............................................. 69
2.1.1. Le champ d'application de l'infraction de tentative ..................................... 70 2.1.2. Le cas de l'infraction irréalisable ou impossible .......................................... 73 2.1.3. Le cas de l'infraction inexistante ou imaginaire ........................................... 76
2.2. La répression de l'infraction de tentative ............................................................. 78 2.2.1. Une différence de répression ....................................................................... 78 2.2.2. Une différence de conception ...................................................................... 79
Conclusion ....................................................................................................................... 81
Index alphabétique .......................................................................................................... 84 Bibliographie ................................................................................................................... 85
vii
Liste des principales abréviations
ABCA : Cour d'appel de l'Alberta
BCCA : Cour d'appel de la Colombie-Britannique
Bull crim : Bulletin criminel
C du D : Cahiers du Droit
C pén. : Code pénal
CCC : Canadian criminal cases
CarswellBC : Cour de Justice de la Colombie-Britannique
CarswellOnt : Cour de Justice de l'Ontario
CarswellQue : Cour d'appel du Québec
CarswellSask : Cour d'appel de la Saskatchewan
Cass crim : Chambre criminelle de la Cour de cassation
D : Dalloz
DP : Droit pénal
JCP : Juris-Classeur périodique (La Semaine Juridique)
JO : Journal Officiel
NSCA : Nova Scotia Court of Appeal
QCCQ : Cour du Québec
R du B canadien : Revue du Barreau canadien
RCDP : Revue criminologique de droit pénal
RCS : Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada
RDP : Revue de droit pénal
Rev Can DP : Revue canadienne de droit pénal
RJTUM : Revue juridique Thémis de l'Université de Montréal
RSC : Revue science criminelle
RSCDPC : Revue de sciences criminelles et de droit pénal comparé
SCC/ CSC : Supreme Court of Canada / Cour suprême du Canada
UTLJ : University of Toronto Law Journal
WCB : Weekly Criminal Bulletin
WWR : Western Weekly Reports
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Remerciements
En préambule de ce mémoire, il me tient à cœur de remercier les personnes qui
m'ont aidée tout au long de ce projet.
Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance aux professeurs Pierre Rainville et
Bertrand de Lamy qui ont accepté de diriger mon mémoire. Je les remercie pour la
qualité de leur enseignement mais également pour leur grande disponibilité, leur
patience et surtout pour leurs judicieux conseils qui m'ont guidée tout au long de mon
étude.
Je désire également exprimer toute ma gratitude à mes parents qui me soutiennent
et m'encouragent dans la poursuite de mes études. Un grand merci à Romain, pour
son précieux soutien moral et intellectuel.
Enfin, je souhaite remercier l'ensemble de l'équipe pédagogique de la Faculté de
Droit de l'Université Laval pour son accueil chaleureux lors de cette enrichissante
année universitaire.
1
Introduction
Qu'il s'agisse du droit anglais, à l'origine du droit canadien actuel, ou du droit français, les
préoccupations du droit pénal ont considérablement évolué, de sa naissance à aujourd'hui. Les
auteurs qui se sont intéressés à l'histoire du droit pénal distinguent plusieurs époques, que nous
allons tenter ici de retracer brièvement afin de mettre en lumière les principales évolutions ayant
conduit à la répression de l'infraction de tentative.
En effet, nous estimons que la répression de l'infraction de tentative est directement liée à
l'évolution du droit pénal. Selon Jean-Claude Genin, « il semble bien que la tentative ne puisse
paraître que dans les systèmes de droit criminel déjà très perfectionnés : tant que le droit
criminel est marqué par l'idée de vengeance ou de réparation, la simple tentative ne peut être
punie »1. Les différentes périodes que le droit pénal a connues méritent donc d'être rappelées ici,
afin de mieux comprendre pourquoi et comment les actes de tentative sont aujourd'hui réprimés.
Le résumé historique que nous nous proposons de faire durant les paragraphes suivants n'a
pas la prétention de l’exhaustivité, et nous sacrifierons certaines subtilités, non indispensables à la
compréhension de notre étude, à l'exigence de clarté et de concision. Il nous a donc semblé
opportun, pour pallier l'aspect quelque peu schématique de ce bref historique, de rappeler au
lecteur les mots du Professeur Hugues Parent :
L'histoire de la responsabilité pénale n'est pas un phénomène purement linéaire, mais
un processus extrêmement volatile dont le développement est ponctué par l'apparition
et la disparition successive de certains types de responsabilité ainsi que par la filiation
qui recoupe, depuis des siècles, les critères objectif et subjectif en droit pénal2.
La première période est celle de la vengeance privée illimitée qui se caractérise par des
1 Jean-Claude Genin, La répression des actes de tentative en droit criminel romain, thèse de doctorat en droit,
Université de Lyon, 1968 à la p 10.
2 Hugues Parent, « Essai sur la notion de responsabilité pénale : analyse sociologique et historique de la fonction
punitive » (2001) 6 Rev Can DP 179 aux pp 214-215 [Parent, Responsabilité].
2
« vendettas indéterminées pratiquées par des tribus qui font peser la vengeance du mort sur le
premier venu qu'on rencontre »3. L'unique but recherché est alors l'expiation, l'effacement du
crime commis. A cette époque, « l'acte est dénoncé pour ce qu'il comporte de trouble objectif ;
peu importe l'intention de son auteur dans le détail de laquelle il ne s'agit pas d'entrer »4. En
effet, il ne s'agit pas de s'intéresser à l'état d'esprit de l'auteur du comportement, mais seulement à
ce qu'il a commis. Cette indifférence à l'égard de l'intention se traduit notamment par l'absence de
distinction entre les actes intentionnels et non intentionnels.
La deuxième période est celle de la vengeance privée limitée, le châtiment imposé sera
alors proportionné au mal causé, mais toujours indéterminé quant à la personne visée, pourvu
qu'elle soit du clan adverse. On trouve des traces de cette conception et de cette exigence de
proportionnalité dans la Bible : « [s]i quelqu'un blesse son prochain, il lui sera fait comme il a
fait, fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent »5. C'est la fameuse loi du Talion.
L'énoncé de cette loi ne fait pas plus mention de l'intention de l'auteur de la blessure, et dénote
même une certaine automaticité de la répression, basée uniquement sur le préjudice subi par la
victime.
Toutefois, « si le groupe social veut subsister, il doit très vite canaliser l'exercice de la
vengeance en mettant en place des systèmes régulateurs »6. Hugues Parent explique cette fatalité
de l'évolution du droit de punir :
[t]oute société, qu'elle soit de nature humaine ou animale, repose en effet sur son
aptitude à neutraliser la nocivité de certains de ses membres, ainsi que sur son
habileté à contenir les agressions provenant de l'extérieur. Sans cette capacité de
protection, le groupe est condamné à se fractionner et à s'autodétruire7.
La troisième période correspond alors au contrôle social de la vengeance, et plus
particulièrement dans un premier temps à « un système basé sur la valeur économique du fait
3 Alain Laingui, Arlette Lebigre, Histoire du droit pénal, t 1, Paris, Cujas, 1979, à la p 5 [Laingui, Histoire].
4 Emmanuel Dreyer, Droit pénal général, 3e éd, Paris, Lexis Nexis, 2014 à la p 3 [Dreyer].
5 Bible, Lévitique, c 24, verset 19.
6 Jean-Marie Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, 3e éd, Paris, PUF, 2014 à la p 53.
7 Parent, Responsabilité, supra note 2 à la p 183.
3
dommageable »8. On parle alors de compensation monétaire, dont la principale fonction est de
réparer le préjudice subi par la victime, par le versement d'une somme d'argent à la victime, soit
l'indemnité pécuniaire, mais également à la personne en charge de l'autorité publique soit la
sanction criminelle. Bien que les termes varient selon les époques et les lieux (bot et wire en droit
anglais, terme unique de poinê dans l'Antiquité grecque, ou encore la distinction entre delicta
privata et delicta publica en droit romain), on voit naître l'idée que la personne qui subit le
dommage matériel causé par autrui n'est pas l'unique personne à qui il doit être fait réparation.
Cette distinction faite entre l'indemnité pécuniaire et la sanction criminelle implique une
certaine place laissée à l'intention dans la détermination de la peine. En effet, si pour la première,
la cause du dommage est totalement indifférente, la seconde tient compte de l'état d'esprit de
l'auteur et ne peut s'appliquer en cas d'innocence morale.
Le contrôle social de la vengeance deviendra par la suite le monopole de l’État, seul
détenteur du droit de punir. C'est alors l'émergence du système pénal tel qu'on le connaît
aujourd'hui, et avec l'abandon progressif de la responsabilité objective se développe la théorie de
l'intention.
Cet abandon relatif de la responsabilité objective s'accompagne de l'apparition d'un nouvel
objectif du droit pénal, ainsi que d'une réelle théorisation de l'intention. En effet, il ne s'agit plus
de vengeance, d'effacement du crime, mais avant tout de paix sociale, ensuite de réparation du
préjudice de la victime et, enfin, de punition de l'auteur de l'infraction. En effet, Jacques Leroy
explique que « la transgression de l'ordre social donne ainsi naissance à trois acteurs : l'auteur
de la transgression, le groupe social et la victime »9. L'ordre dans lequel l'auteur énonce les
acteurs du droit pénal n'est pas anodin, et renvoie à la hiérarchisation des préoccupations du droit
pénal.
Il semble donc que le groupe social soit le premier concerné par le droit pénal, alors
qu'initialement, il ne prenait pas part aux vengeances, lesquelles ne concernaient que le clan de
8 Ibid à la p 188.
9 Jacques Leroy, Droit pénal général, 5e éd, Paris, LGDJ, 2014 à la p 1.
4
l'offensé et le clan de l'offenseur. L'arrivée de ce nouvel acteur, et la place primordiale qu'il
occupe, ont considérablement transformé le droit pénal, lequel a dû évoluer pour mieux protéger
la société.
L'une de ces modifications consiste à sévir même en l'absence de préjudice causé à une
personne. En effet, puisque le droit pénal cherche à protéger le groupe social, nul besoin
d'attendre que l'intérêt d'un individu en particulier soit lésé pour agir, il suffit qu'il y ait un simple
risque de préjudice pour cet individu, ou tout simplement pour le groupe social. Dès lors, le droit
pénal peut intervenir à différents stades sur l'iter criminis, qui « court de l'idée à la résolution
criminelle, de la résolution criminelle à la préparation, de la préparation au commencement
d'exécution, pour se clore par la consommation de l'infraction »10
. Il existe en droit canadien
comme en droit français, de nombreux exemples d'intervention du droit pénal avant que la valeur
protégée par la règle de droit soit atteinte.
Ainsi, le droit criminel canadien intervient au stade de la résolution criminelle exprimée et
partagée avec le crime de complot11
, puisque « les membres d'une conspiration voient leur
responsabilité engagée sitôt l'entente conclue »12
. Les professeurs Pierre Rainville et Julie
Desrosiers font d'ailleurs remarquer qu'en droit canadien, « le complot est puni plus sévèrement
que la tentative », ce dont ils déduisent que le « législateur se méfie donc davantage du
conspirateur que de l'auteur d'une tentative »13
. En effet, le complot de vol par exemple ne porte
pas concrètement atteinte au droit de propriété, puisque le bien n'est pas encore soustrait, son
propriétaire en a encore la jouissance. Cependant, il y a bien un risque de préjudice, le bien d'une
personne risque d'être soustrait, et cela suffit pour que le droit pénal canadien intervienne.
Le législateur français, quant à lui, n'intervient pas au stade de la résolution criminelle,
mais pallie les limites répressives de l'infraction de tentative qui nécessite un commencement
10 Juris-classeur pénal, art 121-4 et 121-5, fasc 20 par Marc Segonds au n°1 [Juris-classeur].
11 Code criminel, LRC 1985, c C-46, art 465 [Code criminel].
12 Pierre Rainville et Julie Desrosiers, « Le particularisme juridique de la répression de la criminalité organisée au
Canada » (2011) 89 R du B canadien 545 à la p 548 [Rainville et Desrosiers, « Particularisme »].
13 Ibid à la p 549.
5
d'exécution par l'incrimination autonome de certains actes préparatoires. Il est généralement
admis que les actes préparatoires correspondent à la mise en place par l'agent des moyens qui lui
permettront de commettre l'infraction. Ainsi, l'achat d'une arme à feu dans le but de tuer une
personne, ou encore d'un combustible dans le but d'incendier une maison, ne constituent que des
actes préparatoires et échappent normalement à la répression. Il est cependant loisible au
législateur d'ériger de tels actes en des infractions autonomes. Par exemple, l'article 227-22-1 du
Code pénal14
incrimine le simple fait d'adresser des propositions sexuelles à un mineur de quinze
ans par un moyen de communication électronique.
On parle alors d'infractions-obstacle, puisqu'il s'agit de sévir en amont afin d'éviter un mal
encore plus grand. Le délit d'association de malfaiteurs, par exemple, permet au droit pénal
d'intervenir dès l'existence d'une « entente établie en vue de la préparation, concrétisée par un ou
plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes contre les personnes ou les biens »15
. Le fait
que le législateur exige « un ou plusieurs faits matériels » signifie que la simple résolution
criminelle reste impunie. Il faut nécessairement qu'un des malfaiteurs ait posé un acte matériel.
De même, le législateur canadien incrimine la simple possession d'outils de
cambriolage16
, il intervient donc également au stade des actes préparatoires.
Enfin, il faut faire mention du crime d'instigation criminelle non suivie d'effet17
en droit
pénal canadien, dont Pierre Rainville explique qu'il s'agit de « l'infraction pour laquelle le
législateur intervient le plus hâtivement. L'incitation au crime est réprouvée peu importe que le
conseil prodigué ait porté fruit ou non »18
. Le législateur canadien adopte ici une conception
subjective de l'infraction puisqu'il ne sévit qu'en raison de la « turpitude morale particulièrement
14 Art 227-22-1 C pén.
15 Art 450-1 C pén.
16 Code criminel, supra note 11, art 351(1).
17 Ibid, art 464.
18 Pierre Rainville, « Le verbe fait crime : la répression de l'instigation et les avatars de l'arrêt Hamilton » (2007) 11
RCDP 177 à la p 180 [Rainville, « Hamilton »].
6
élevée » de l'auteur de l'instigation19
.
Le législateur français, pour sa part, a créé le délit du mandat criminel, qui érige en
infraction la provocation non suivie d'effet à un assassinat ou à un empoisonnement20
. Il s'agit,
selon Anne Ponseille, d'un « tempérament apporté à la fois à la théorie de la tentative et à celle
de la complicité »21
. En effet, cette infraction permet d'intervenir en l'absence de tout
commencement d'exécution, ni même de résolution criminelle de la part du tiers, puisqu'il s'agit
d'une infraction formelle, c'est-à-dire une infraction qui n'exige pas une atteinte effective à la
valeur protégée pour être consommée. Le libellé du texte d'incrimination n'exige aucunement que
le tiers ait accepté la proposition qui lui est faite.
L'exemple le plus typique de cette forme d'anticipation dans la répression est sans doute
l'infraction de tentative, puisqu'elle ne constitue pas une incrimination ponctuelle d'un agissement
précis avant l'atteinte à la valeur, mais permet d'appréhender une kyrielle de comportements qui
précèdent la consommation de nombreuses infractions. Elle permet de poursuivre pénalement une
personne qui a seulement tenté de commettre une infraction, c'est pourquoi certains auteurs la
présentent comme une infraction « à l'état d'ébauche »22
.
L'apparition de cette infraction est directement liée à l'évolution historique du droit pénal
que nous avons brièvement rappelée un peu plus haut. En effet, l'apparition d'un nouvel objectif,
à savoir la punition de l'auteur de l'infraction, implique un déplacement de l'essence de
l'infraction. Cette dernière se situait initialement au niveau de l'élément matériel de l'infraction, et
donc du comportement posé, et se déplace au niveau de l'élément moral de l'infraction, et donc de
l'état d'esprit de l'auteur.
Néanmoins, il est assez difficile de dater avec précision l'avènement de la répression de la
tentative. En effet, il faut distinguer l'idée, la volonté d'incriminer les actes précédant l'infraction,
19 Ibid.
20 Art 221-5-1 C pén.
21 Anne Ponseille, « L'incrimination du mandat criminel ou l'article 221-5-1 du Code pénal issu de la loi n°2004-
204 du 9 mars 2004 » (2004) RDP 72 à la p 72.
22 Genin, La répression, supra note 1 à la p 10.
7
du terme même de tentative. L'idée n'est pas nouvelle, et existait d'ores et déjà en droit romain,
mais était initialement réservée aux infractions les plus graves telles que le meurtre23
. Le terme,
en revanche, apparaît bien plus tard, notamment en common law. Eugene Meehan cite une
décision anglaise de 1784, dans laquelle le juge évoque la possibilité qu'un acte n'existe que dans
l'intention de son auteur24
, mais le mot « tentative » n'y apparaît pas.
En droit français, Alain Laingui cite certains criminalistes du XVIème siècle tels que
Damhoudère ou Grimaudet, lesquels évoquaient déjà l'idée de tentative, mais sous forme de
périphrases telles que « dessein et commencement avec le vouloir », ou encore « volonté sans
effet »25
. Le terme de « tentative » apparaît donc plus tard.
L'infraction de tentative, en droit canadien comme en droit français, est composée d'un
élément mental et d'un élément matériel. Le premier correspond à l'intention de commettre
l'infraction projetée, et le second correspond à « un commencement d'exécution qui constitue une
extériorisation matérielle suffisante de l'intention de l'auteur »26
.
L'infraction de tentative est donc d'abord un outil de prévention, partie du phénomène
d'autopoïèse, qui permet d'assurer et de renforcer la protection des valeurs que le droit pénal a
pour mission de préserver.
En effet, cette protection serait lacunaire si elle ne pouvait intervenir qu'une fois la valeur
atteinte, puisque la simple répression une fois l'atteinte commise ne préserve pas la valeur, si ce
n'est par l'effet de dissuasion qu'elle peut exercer sur d'autres agents susceptibles de porter la
même atteinte à la même valeur. L'infraction de tentative est donc la traduction juridique du
proverbe « mieux vaut prévenir que guérir ». En effet, pour Roger Merle et André Vitu, « [m]ieux
vaut déplorer une infraction inachevée qu'une infraction consommée, une victime éventuelle
23 Ibid.
24 Eugene Meehan et Marie-France Major, The law of criminal attempt, 3e éd, Toronto, Carswell 2015 à la p 11
[Meehan et Major, Criminal attempt].
25 Laingui, Histoire, supra note 3 aux pp 49-50.
26 Rainville et Desrosiers, « Particularisme », supra note 12 à la p 548.
8
qu'une victime réelle »27
.
L'infraction de tentative est également un outil de répression puisqu'il s'agit de ne pas
laisser impunies des personnes moralement coupables, qui ont posé des actes dans le but de
commettre une infraction. Elle est alors également un outil répressif égalitaire, qui permet de ne
pas traiter différemment -du moins au niveau de la criminalisation, il en va autrement pour la
peine- celui qui tente et, pour une raison quelconque, échoue, et celui qui parvient à commettre
une infraction.
Enfin, l'infraction de tentative participe également à la fonction expressive du droit pénal
puisqu'elle ne concerne, bien souvent, que les infractions les plus graves, c'est-à-dire celles
destinées à protéger les valeurs les plus importantes. Cette fonction expressive ne concerne
cependant que la législation pénale provinciale québécoise, puisque la tentative s'applique à toute
la législation fédérale :
[l]a tentative est donc systématiquement interdite en matière criminelle, tandis qu'elle
ne l'est, au provincial, qu'en présence d'un texte de loi explicite. La répression de la
tentative a donc pour terrain d'élection le domaine criminel – par opposition au
domaine réglementaire provincial. Cela ne saurait étonner. L'intervention du droit
pénal se justifie en fonction du préjudice appréhendé. Cela est d'autant plus vrai pour
la tentative28
.
Il s'agit donc d'une protection supplémentaire que le législateur accorde aux valeurs
considérées comme essentielles. Ainsi, nous pouvons constater que les législateurs canadien et
français ont tous deux choisi de ne pas réserver ce surplus de protection aux infractions ayant
pour but de protéger les personnes. En effet, la tentative s'applique à certaines infractions contre
les biens, telles que le vol.
Bien qu'indispensable à la protection du groupe social, cette anticipation de la répression
27 Roger Merle et André Vitu, Traité de droit criminel, 7e éd, Cujas, Paris, 1997 à la p 637 [Merle et Vitu, Traité].
28 Gisèle Côté-Harper, Pierre Rainville et Jean Turgeon, Traité de droit pénal canadien, 4e éd, Yvon Blais, 1998 à la
p 650 [Harper, Rainville, Turgeon, Traité].
9
n'en est pas moins un danger dès lors que l'atteinte à une valeur protégée n'est plus une condition
sine qua non de la répression. Si détacher l'intervention du droit pénal de l'atteinte à la valeur
permet de mieux la protéger, cela risque également de rendre l'intervention du droit pénal moins
prévisible, voire arbitraire.
En effet, si aucune valeur n'a été atteinte par un comportement, il s'agit de trouver une
nouvelle justification et également de nouvelles bornes à l'intervention du droit pénal, lequel doit
rester un ultima ratio. On ne peut se contenter de dire que puisqu'un comportement est prohibé, la
tentative de poser ce comportement doit l'être aussi. Comme l'explique Gideon Yaffe :
we cannot justify the Transfer Principle simply by noting that when completion is
wrong, so is attempt ; for that argument to work without supplementation, attempt
and completion must be equally and equivalently wrong, and at least non-last act
attempts rarely are29
.
Cette forme de répression ante delictum se justifie de différentes manières. Tout d'abord, il
y a le risque de préjudice causé par la tentative. En effet, le juge Fish, dans l'affaire Déry, estime
que la « criminalisation de la tentative se justifie [...] parce qu’elle a pour but de prévenir les
actes préjudiciables en sanctionnant un comportement qui manifeste un risque substantiel de
préjudice »30
. Il est évident que si une personne tente de commettre une infraction, cela augmente
presque toujours -il faut réserver le cas de l'infraction impossible- les chances que cette infraction
se réalise.
Ensuite, il faut également aborder la dangerosité de l'auteur de la tentative. Que cette
personne ait été maladroite ou ait joué de malchance dans l'accomplissement de l'infraction ne
suffit pas à protéger la société puisque rien ne garantit qu'il en ira de même si elle devait
recommencer. Toutefois, cette conception de la tentative manque de rigueur puisqu'elle revient à
poursuivre un individu non pas pour ce qu'il a fait, mais pour ce qu'il serait susceptible
d'accomplir. De plus, les règles procédurales canadiennes ne permettraient pas de s'enquérir
29 Gideon Yaffe, Attempts : In the Philosophy of action and the criminal law, Oxford University Press, Oxford,
2010 à la p 9.
30 R. c. Déry, 2006 CSC 53 au para 50.
10
suffisamment de la dangerosité de l'auteur de l'infraction puisqu'au stade de la décision sur sa
culpabilité, les preuves de caractère ne sont pas admises31
.
Enfin, comme l'explique le professeur Didier Rebut, « [la] conception subjective, qui
attache la peine à la mentalité criminelle, réclame la répression de la tentative parce qu'elle
révèle une intention coupable nonobstant l'échec de l'infraction »32
. Ce dernier argument est le
plus éloigné des préoccupations initiales du droit pénal, puisqu'il repose essentiellement sur l'idée
que l'intention est l'élément essentiel du délit.
Les nouvelles bornes de la répression, quant à elles, découlent naturellement de ces
nouvelles justifications : puisque le droit pénal intervient en raison de la culpabilité morale de
l'auteur de la tentative, il s'agit de confiner son intervention aux cas où cette culpabilité morale est
établie. La difficulté consiste alors à établir cette culpabilité morale, alors même que l'infraction
tentée n'est pas consommée. Pour ce faire, il convient d'exiger certains actes dans lesquels
s'incarne l'intention malhonnête.
C'est là le paradoxe propre à l'infraction de tentative, laquelle doit, pour permettre une
répression prophylactique, se détacher suffisamment des exigences matérielles telles que l'atteinte
effective à la valeur protégée, tout en exigeant une certaine matérialité afin de limiter
l'intervention du droit pénal aux cas où l'intensité de la culpabilité morale de l'auteur ne fait aucun
doute.
Notre problématique est donc la suivante : de quelle manière les exigences propres à
l'infraction de tentative en droit pénal canadien et en droit pénal français permettent-elles une
répression anticipée tout en s'assurant de la suffisance de la culpabilité morale de l'auteur de la
tentative ?
Pour répondre à cette question, il nous faudra aborder deux principales questions de
31 R. c. J-L. J, 2000 CSC 51.
32 Encyclopédie juridique Dalloz : répertoire de droit pénal et de procédure pénale, « Tentative » par Didier Rebut
au n° 4 [Rebut, Encyclopédie].
11
recherche. Il s'agira dans un premier temps de voir quelles sont les caractéristiques propres à
l'infraction de tentative dans chaque système judiciaire qui permettent une répression anticipée.
Cette première interrogation fera l'objet d'une première partie, dans laquelle nous analyserons
principalement l'élément matériel de l'infraction de tentative. Nous tenterons de comprendre
comment la diminution de cet élément matériel permet une anticipation de la répression. Il s'agira
alors de se concentrer sur la notion de commencement d'exécution, mais également de voir
quelles sont les limites posées à cette anticipation de la répression.
Dans une seconde partie, il conviendra de s'intéresser aux exigences propres à l'infraction
de tentative en droit pénal canadien et en droit pénal français qui permettent de « compenser »
cette anticipation de la répression, et de s'assurer de la culpabilité morale de l'agent. Pour ce faire,
nous nous intéresserons au rehaussement de l'élément moral de l'infraction de tentative, et donc à
la nature de la mens rea33
exigée, ainsi qu'aux conséquences de ce rehaussement sur le champ
d'application de la tentative, et sur sa répression.
Il est important de préciser dès à présent que notre angle de réflexion ne nous permettra
pas d'aborder l'infraction de tentative de manière exhaustive. La répression de la tentative par
exemple, ou encore son champ d'application, seront abordés dans un but précis, à savoir la mise
en lumière des conséquences du rehaussement de la mens rea.
Du point de vue méthodologique, il s'agira d'une véritable étude de droit comparé
conceptuelle. Il conviendra d'adopter une approche exégétique traditionnelle. En effet, il nous
faudra dans un premier temps recueillir des données juridiques, à la fois dans le droit positif et
dans la doctrine, notamment concernant les éléments constitutifs de l'infraction de tentative. Il
sera également indispensable d'analyser un grand nombre de décisions judiciaires rendues en
droit canadien et en droit français concernant l'infraction de tentative. Nous ne nous contenterons
donc pas, pour le Canada, uniquement des décisions de la Cour suprême, afin de bénéficier d'une
multitude d'analyses sur l'infraction de tentative et sur ses éléments constitutifs. De surcroît, il
33 La mens rea désigne l'élément psychologique de l'infraction. Au cours de notre étude, les expressions « mens
rea », « élément psychologique » ou encore « élément mental » seront utilisées comme des synonymes.
12
nous faudra adopter une approche herméneutique pour interpréter le droit positif, ainsi que la
doctrine. Cette approche herméneutique nous préservera de l'écueil de la simple juxtaposition de
deux systèmes juridiques, et nous obligera à établir des liens, et parfois même, des critiques.
Nous avons choisi d'effectuer cette analyse concernant l'infraction de tentative au Canada
et en France pour plusieurs raisons. D'une part, ces deux États présentent un niveau de
développement équivalent ; on peut donc présumer une certaine similitude de leurs systèmes
pénaux. Tout d'abord, et cela était indispensable, ces deux États incriminent la tentative. Ensuite,
ils connaissent tous deux le principe de la légalité ainsi que le principe de l'ultima ratio.
D'autre part, il n'existe pas, à notre connaissance, d'analyse comparative concernant
l'infraction de tentative en droit canadien et en droit français. Or, cette analyse peut se révéler très
enrichissante, notamment parce qu'elle pourra peut-être permettre de mettre en lumière les
lacunes répressives, ou à l'inverse les débordements répressifs, d'une conception de la tentative
dans l'un ou l'autre de ces États ; mais également parce que le Canada et la France n'envisagent
pas l'infraction de tentative de la même manière.
Cette différence de conception ressort notamment de la place qu'occupe l'infraction de
tentative dans les manuels de droit pénal général. La majorité des auteurs de doctrine français
abordent l'infraction de tentative lorsqu'ils traitent l'élément matériel de l'infraction. En effet,
Xavier Pin aborde la tentative dans une section dédiée à l'élément matériel de l'infraction34
,
Bernard Bouloc, quant à lui, traite de la tentative dans une section intitulée « L'indifférence du
résultat : la tentative » au sein d'un chapitre consacré à l'élément matériel de l'infraction35
. De
même, Bernard Bouloc et Haritimi Matsopoulou abordent l’infraction de tentative dans un
chapitre réservé à l'élément matériel de l'infraction, au sein d'une section intitulée « Le problème
de la tentative »36
.
Pour eux, la tentative est donc le cas particulier dans lequel une infraction peut être
34 Xavier Pin, Droit pénal général, 7e éd, Paris, Dalloz, 2015 à la p 164 [Pin].
35 Bernard Bouloc, Droit pénal général, 24e éd, Paris, Dalloz, 2015 à la p 213 [Bouloc].
36 Bernard Bouloc et Haritimi Matsopoulou, Droit pénal général, 19e éd, Paris, Dalloz, 2014 à la p 99.
13
constituée alors même que son élément matériel n'est pas complet. Cela n'est pourtant pas exact,
puisque lorsqu'il y a tentative de vol, si l'élément matériel du vol n'est pas complet, celui de la
tentative de vol l'est.
Dans les manuels de droit canadien, en revanche, la tentative est abordée bien
différemment. Dans le Traité de droit pénal canadien37
par exemple, la tentative est abordée dans
un titre consacré aux modalités de perpétration de l'infraction. Dans Canadian Criminal law, Don
Stuart intègre la tentative dans un chapitre intitulé « Incomplete crimes : attempts, conspiracy and
couselling »38
. L'auteur fait donc le choix d'aborder ensemble plusieurs infractions dites
inchoatives. Eric Colvin semble faire le même choix et aborde la tentative dans un chapitre
intitulé « Inchoate Liability »39
.
Les auteurs de doctrine canadiens font donc le choix d'aborder l'infraction de tentative en
même temps que d'autres infractions inchoatives, telles que le complot40
ou encore le conseil non
suivi d'effet de commettre une infraction41
. Ce faisant, ils envisagent l'infraction de tentative
comme une partie d'une catégorie d'infractions dont la particularité est d'intervenir en amont de
l'atteinte effective à la valeur. Cette appréhension de l'infraction de tentative nous paraît plus
adéquate en ce qu'elle reflète mieux sa singularité.
Il est toutefois regrettable que cette singularité ne transparaisse pas dans le plan du Code
criminel canadien, lequel traite de l'infraction de tentative notamment à l'article 2442
, dans un titre
dédié aux participants aux infractions. Le Code pénal français, pour sa part, aborde l'infraction de
tentative dans sa partie générale et non dans sa partie spéciale pourtant consacrée aux infractions,
soulignant ainsi son particularisme.
Enfin, l'infraction de tentative est particulièrement intéressante à analyser d'un point de
37 Harper, Rainville, Turgeon, Traité, supra note 28 à la p 639.
38 Don Stuart, Canadian criminal law, 7e éd, Toronto, Carswell, 2014 à la p 695 [Don Stuart].
39 Eric Colvin, Principles of criminal law, 3e éd, Toronto, Carswell, 2007 à la p 519.
40 Code criminel, supra note 11, art 465.
41 Code criminel, supra note 11, art 464.
42 Code criminel, supra note 11, art 24.
14
vue de droit comparé puisqu'elle est au cœur de la théorie de l'infraction. Ainsi, puisque la façon
de réprimer la tentative reflète directement la conception de l'infraction adoptée par un système
juridique, la comparaison entre le Canada et la France ne peut que dynamiser notre étude.
15
PARTIE 1 : L'ANTICIPATION DE LA RÉPRESSION PERMISE PAR LA DIMINUTION DE L'ACTUS REUS
Après avoir vu le pourquoi de la mise en place d'une répression prophylactique, il
convient de se demander quel est le mécanisme répressif qui, au sein de l'infraction de tentative,
permet cette indispensable anticipation de la répression.
Il existe plusieurs moyens de devancer l'intervention du droit pénal sur l'iter criminis,
notamment en modifiant les éléments constitutifs de l'infraction. En effet, selon Donnedieu de
Vabres, c'est en insistant sur l'élément psychologique de l'infraction que les gouvernements
autoritaires parviennent à devancer considérablement le stade de la répression : « […] la
tendance commune à tous les gouvernements autoritaires est de promouvoir l'élément
psychologique de l'infraction, ce qui leur permet d'arrêter plus tôt le cours de l'activité
dangereuse, de pratiquer, le cas échéant, une véritable inquisition et de briser, enfin, la volonté
criminelle »43
.
La suppression totale de l'élément matériel permettrait évidemment de devancer le stade
de l'intervention du droit pénal en matière de tentative. En effet, en supprimant toute exigence
matérielle, il est possible d'intervenir dès les premiers moments de l'iter criminis, c'est-à-dire dès
que l'intention de commettre une infraction existe. Toutefois, cette suppression totale est
impossible.
La première raison qui empêche la suppression totale de l'élément matériel est d'ordre
pratique : comment cerner la volonté, l'intention d'un individu si ce n'est en scrutant ses actes ?
Hormis l'hypothèse de l'aveu, c'est en effet en interprétant les comportements et les actes posés
par une personne qu'il est possible de déduire quelle était son intention. Ainsi, la suppression
totale de l'élément matériel créerait un trop grand risque d'erreur judiciaire, et c'est pourquoi il est
43 Henri Donnedieu de Vabres, La politique criminelle des États autoritaires, Paris, Dalloz, 2009 à la p 94
[Donnedieu de Vabres, Politique criminelle].
16
indispensable d'exiger « une manifestation extérieure de la résolution criminelle »44
.
De plus, l'acte matériel est bien souvent l'élément de l'infraction qui cause le trouble
social. Ainsi, en supprimant cet élément de la tentative, le droit pénal serait amené à intervenir en
l'absence de tout trouble social. Cette possibilité ne serait pas conforme au principe voulant que le
droit pénal est un ultima ratio.
Enfin, une dernière raison plaide en faveur de la conservation de l'élément matériel de
l'infraction : si la simple intention de commettre une infraction pouvait être poursuivie
pénalement, alors les personnes avec pareille envie n'auraient aucune raison de ne pas mettre à
exécution leur vil projet. Or, en exigeant que cette intention se matérialise dans un ou plusieurs
actes, le droit met en place une barrière.
Pour toutes ces raisons, l'infraction de tentative a tout intérêt à conserver un élément
matériel :
[l]a tentative (de tentare, fréquentatif de tenere, tâter, porter la main à diverses
reprises) est le fait d'avoir mis la main aux actes extérieurs tendant à la production de
ce résultat (ad tentare). Il suit de là que la tentative n'existe en droit pénal que
lorsqu'il y a un acte ou une série d'actes, non seulement extérieurs, mais actes de main
mise, tendant à l'accomplissement du délit45
..
Ainsi, pour anticiper la répression, il convient alors de diminuer cet élément, et c'est le
choix qu'ont fait les législateurs canadien et français. Nous verrons donc dans un premier temps
de quelle manière les droits canadien et français ont réduit l'élément matériel de l'infraction de
tentative, permettant ainsi une anticipation de la répression, puis dans un second temps, nous
sonderons quelles sont les limites à cette anticipation.
44 Amédée Escoffier, De l'élément matériel dans la tentative, thèse de doctorat en droit, Université de Lyon, 1899 à
la p 9.
45 Joseph Ortolan, Éléments de droit pénal, 5e éd, t 1, Paris, 1886 à la p 447.
17
Chapitre 1 : La réduction de l'élément matériel de l'infraction de tentative
Afin de mieux comprendre de quelle manière est réduit l'élément matériel de la tentative,
il faut d'abord s'intéresser à l'élément matériel de l'infraction consommée.
L'élément matériel d'une infraction se compose généralement de trois éléments : un
comportement posé par l'auteur de l'infraction, la conséquence matérielle de ce comportement, et
un lien de causalité entre les deux. Par exemple, en droit français, l'infraction de vol46
correspond
à la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui. Il suppose un comportement, à savoir la prise
de la chose d'autrui, et la conséquence matérielle qui en résulte est la privation d'autrui de son
bien. Le meurtre suppose un comportement, tout acte de nature à causer la mort d'autrui, et la
conséquence matérielle qui en résulte est la mort de la victime.
Or, l'élément matériel de la tentative n'exige pas ces trois éléments. L'actus reus de la
tentative n'est composé que d'un comportement, sans conséquence matérielle ni lien de causalité.
En effet, la tentative de vol suppose un acte dans le but de s'emparer d'une chose mais ne prive
pas le propriétaire de son bien. De même, la tentative de meurtre n'exige pas la mort de la
victime, ni même que celle-ci ait subi une atteinte corporelle quelconque.
De plus, le comportement qui compose l'élément de l'infraction consommé n'est pas en
tout point similaire à celui qui compose l'élément matériel de la tentative. Alors que le premier
doit être achevé (sans quoi il ne pourrait en résulter la conséquence matérielle), l'infraction de
tentative n'exige pas que le comportement posé par l'auteur soit achevé, et se contente d'un
commencement d'exécution.
Nous verrons donc dans un premier temps quels sont les critères jurisprudentiels du
commencement d'exécution et comment ils permettent de réduire encore l'élément matériel ; puis
nous verrons comment ces critères sont appliqués par les tribunaux canadiens et français.
46 Art 311-1 C pén.
18
1.1. Les critères jurisprudentiels du commencement d'exécution
Jacques-Henri Robert explique l'enjeu entourant la définition de la notion de
commencement d'exécution :
[…] si l'on place trop tard le seuil punissable, les autorités de police judiciaire devront
attendre longtemps avant de constater un acte coupable de manière à soutenir leur
dossier d'accusation et cet attentisme forcé est dangereux pour l'ordre public; si l'on
place trop tôt le commencement d'exécution, n'importe quel comportement un peu
anticonformiste peut être interprété comme une tentative d'infraction et la justice
pénale retombera dans l'arbitraire d'où les révolutionnaires avaient voulu la sortir47
.
La définition du commencement d'exécution doit donc comporter deux frontières, deux
limites. Il doit à la fois se distinguer de l'étape qui le suit, c'est-à-dire de la consommation de
l'infraction ; mais également de celle qui lui précède sur l'iter criminis, c'est-à-dire des actes
préparatoires.
La distinction entre le commencement d'exécution et la consommation de l'infraction est
la plus aisée, puisque dès lors que tous les éléments constitutifs de l'infraction sont réunis, il n'est
plus possible de parler de commencement d'exécution, mais bien d'exécution complète, et alors le
stade de la simple tentative est dépassé. En revanche, la distinction entre les actes préparatoires et
le commencement d'exécution est plus délicate, puisque c'est elle qui délimite les contours de la
répression. Ainsi, la tâche des juges consiste souvent à déterminer si le comportement de l'accusé
est allé au-delà de la simple préparation. Pour ce faire, ils ont établi certains critères
jurisprudentiels puisque la loi n'en a arrêté aucun.
1.1.1. L'absence de critères légaux définis par les législateurs canadien et français
L'infraction de tentative est, comme nous l'avons vu précédemment, une infraction
autonome constituée d'un élément matériel et d'un élément moral. L'article 24 du Code criminel
47 Jacques-Henri Robert, Droit pénal général, 6e éd, Paris, PUF, 2005 aux pp 215-216 [Robert].
19
prévoit que l'auteur d'une tentative « fait ou omet de faire quelque chose pour arriver à son
but »48
. L'article 121-5 du Code pénal exige quant à lui expressément qu'une tentative soit
« manifestée par un commencement d'exécution »49
. Cette expression était déjà celle du Code
pénal de 1810, dont l'article 2 exigeait que toute tentative soit « manifestée par des actes
extérieurs, et suivie d'un commencement d'exécution ».
L'article 24(2) du Code criminel prévoit que la distinction entre tentative et préparation est
une question de droit50
. Puisque cette distinction trace les limites répressives de la tentative, il est
nécessaire d'en faire une question de droit afin que cette infraction ait la même portée dans tout le
pays. Toutefois, le législateur canadien n'a établi aucun critère permettant de faire cette
distinction, la tâche revient donc aux juges. En effet, dans l'affaire Carey, il est très clairement dit
que « the question of attempt or not attempt is for the judge »51
.
De même, le législateur français n'a jamais défini la notion de commencement d'exécution
alors même qu'il « constitue l'étape à compter de laquelle l'agent peut attirer à lui la
répression »52
, ni n'a fourni « aucun critère permettant de distinguer les actes préparatoires du
commencement d'exécution »53
. La Cour de cassation estime également que la notion de
commencement d'exécution est une question de droit soumise à son contrôle54
.
Meehan et Major font remarquer que « [the] words 'preparation' and 'attempt' do not tell
you where to draw the line between non-criminal preparation and criminal attempt, only that a
line must be drawn »55
. Le juge Laidlaw, dans l'affaire Cline doute même de la possibilité de
formuler une telle définition : « a precise and satisfactory definition of the actus reus is perhaps
impossible »56
. De même, dans l'affaire Deutsch, le juge Le Dain explique qu' « aucun critère
général satisfaisant n’a été ou ne peut être formulé pour tracer la ligne de démarcation entre la
48 Code criminel, supra note 11, art 24.
49 Art 121-5 C pén.
50 Code criminel, supra note 11, art 24(2).
51 R. c. Carey, [1957] RCS 266 à la p 272.
52 Juris-classeur pénal, supra note 10 n°1.
53 Ibid. au n°9.
54 Cass crim, 1er mai 1879, S., 1880. I. 233 ; Cass crim, 3 janvier 1913, D. 1914.I.41.
55 Meehan et Major, Criminal attempt, supra note 24 à la p 121.
56 R. v. Cline (1956), 115 CCC 18 (Ont. CA), au para 26.
20
préparation et la tentative et que l’application de cette distinction aux faits d’une affaire en
particulier devait être une question de jugement fondé sur le bon sens »57
. Cette formule est
encore citée dix années après dans l'arrêt Gladstone58
. Dezève, pour sa part, conçoit que « la
multiplicité des types d'infractions rende difficile -ou peut-être interdise- la recherche d'un
modèle unique de commencement d'exécution »59
.
En effet, le choix des législateurs canadien et français de criminaliser la tentative en un
unique texte de loi a l'avantage de la clarté mais implique également une certaine souplesse dans
la définition du commencement d'exécution, puisque cette notion devra s'adapter à toutes les
infractions susceptibles de se conjuguer à l'infraction de tentative. Il convient maintenant de
s'intéresser aux critères mis en place par les tribunaux canadiens et français pour tenter de
délimiter cette notion.
1.1.2. La proximité temporelle, géographique et causale
Malgré ses doutes quant à la possibilité d'établir une définition de l'actus reus de la
tentative, le juge Le Dain énonce tout de même certains éléments permettant de la distinguer de la
simple préparation :
[...] la distinction entre la préparation et la tentative est essentiellement qualitative et
met en jeu le lien entre la nature et la qualité de l'acte en question et la nature de
l'infraction complète, bien qu'il faille nécessairement examiner, en faisant cette
distinction qualitative, la proximité relative de l'acte en question avec ce qui aurait
constitué une infraction complète, sous l'angle du temps, du lieu et des actes sous le
contrôle de l'accusé qui restent à être accomplis60
(nous soulignons).
Ainsi, les trois critères énoncés par le juge Le Dain, et repris dans de nombreuses autres
57 R. c. Deutsch, [1986] 2 RCS 2, aux pp 22-23 [Deutsch].
58 R. c. Gladstone, [1996] 2 RCS 723, au para 19.
59 Jean Devèze, « Le commencement d'exécution de l'infraction en jurisprudence » (1981) RSC 777 à la p 789
[Dezève, « Commencement d'exécution »].
60 R. c. Deutsch, supra note 57 à la p 23.
21
décisions61
, sont la proximité temporelle, géographique et causale. Pierre Rainville souligne la
variabilité de ces critères et estime qu'ils ont tous trois pour but de « repousser la répression tant
que les chances que l'accusé se ravise demeureront suffisamment importantes »62
. Le
commencement d'exécution repose donc à la fois sur un critère objectif, le comportement
dangereux, et sur un critère subjectif, à savoir la décision quasi irrévocable de l'auteur63
.
La chambre criminelle de la Cour de cassation, quant à elle, utilise trois formules pour
désigner le commencement d'exécution : acte « tendant directement à l'infraction avec intention
de la commettre »64
; acte ayant pour « conséquence directe et immédiate de consommer le crime,
celui-ci étant entré dans la période d'exécution »65
et acte qui tend « directement et
immédiatement à la réalisation de l'infraction projetée »66
.
Jean Dezève est un des rares auteurs de doctrine française à avoir tenté de déduire de
l'étude de la jurisprudence les lignes directrices de la notion de commencement d'exécution. Dans
son article repris par de nombreux auteurs67
, il explique que l'élément objectif du commencement
d'exécution correspond au lien l'unissant à l'infraction. L'analyse de ce lien repose sur trois
éléments : la maîtrise réelle ou supposée des moyens, la proximité dans le temps et dans l'espace.
L'auteur précise cependant que ces trois éléments ne peuvent être exigés rigoureusement, ils sont
donc variables68
.
La composante subjective du commencement d'exécution consiste à exiger que l'acte
matériel soit accompli avec l'intention de commettre ou de consommer l'infraction. Cette
intention peut découler de faits univoques, d'aveux, ou de tout autre indice. Il convient de préciser
61 R. c. Goldberg, 2014 BCCA 313, au para 41 ; R. c. Vant, 2010 ONSC 2474, au para 241 ; R. c. Kelly, 2012
CarswellNfld 33, au para 42.
62 Pierre Rainville, « La gradation de la culpabilité morale et des formes de risque de préjudice dans le cadre de la
répression de la tentative » (1996) 37:4 C du D 909 aux pp 931-932 [Rainville, « Gradation »].
63 Ibid à la p 932.
64 Cass crim, 5 juillet 1951, Bull crim n° 198 ; Crim 29 décembe 1970, JCP, 1971.
65 Cass crim, 25 octobre 1962, Bull crim n°292 (Lacour) ; Cass crim, 25 ocotbre 1962, Bull crim n° 293 (Benamar
et Schieb) ; Cass crim, 18 août 1973, Bull crim n°339.
66 Crim, 19 juin 1979, Bull crim n° 219.
67 Son article est notamment cité par Emmanuel Dreyer, Alain Prothais, Xavier Pin, Bernard Bouloc ou encore Jean
Pradel.
68 Dezève, « Commencement d'exécution », supra note 59 aux pp 799-800.
22
que l'intention n'a pas à être irrévocable : « exiger une décision irrévocable revient à nier la
notion même de tentative qui postule la possibilité d'un désistement volontaire postérieur au
commencement d'exécution... »69
.
Le commencement d’exécution répond donc, en droit canadien comme en droit français, à
un double critère objectif et subjectif, et correspond à un « acte qui révèle chez son auteur le
désir et le pouvoir d'aller jusqu'au bout »70
. Le respect de ces critères se vérifie au regard
d'éléments similaires dans les deux systèmes juridiques : la proximité temporelle, géographique
et causale ainsi que la culpabilité morale de l'auteur.
Si les tribunaux canadiens et français ont mis en place des critères similaires afin de
définir le commencement d'exécution, il serait bien hâtif d'en déduire que la notion est la même
dans les deux systèmes. Pour affirmer cela, encore faut-il s'intéresser à l'application faite de ces
critères.
1.2. L'application des critères jurisprudentiels
L'analyse des jurisprudences canadienne et française nous semble primordiale pour
comprendre l'application des critères jurisprudentiels que nous venons de voir. Nous tenterons de
déterminer dans un premier temps le poids de chaque critère, et il nous faudra ensuite voir s'il
n'existe pas d'autres critères que ceux énoncés précédemment.
1.2.1. Le poids de chaque critère
La réunion des trois critères n'est pas systématiquement exigée, il est donc difficile
d'établir une hiérarchie pour déterminer lequel est le plus important. Néanmoins, il est intéressant
de se demander si ces critères ont le même poids au Canada et en France.
En premier lieu, nous allons nous intéresser au critère de la proximité géographique. Ce
69 Ibid à la p 782.
70 Pin, supra note 34 à la p 157.
23
critère, bien qu'il soit cité à la fois par la Cour suprême et par la Cour de cassation, peut sembler
flou. En effet, aucune d'elles n'indique précisément de quel élément doit être géographiquement
proche le comportement posé par l'agent. Il nous semble que ce dernier, pour constituer un
commencement d'exécution, se doit d'être géographiquement proche du lieu du dernier acte que
doit poser l'accusé pour consommer l'infraction, et non du lieu de la consommation de ladite
infraction. Prenons par exemple la tentative de meurtre : si l'auteur pointe l'arme sur sa victime,
on peut considérer que le critère de la proximité géographique est satisfait puisqu'il se trouve à
l'endroit même où il devrait poser le dernier acte, c'est-à-dire presser la détente. En revanche,
exiger que l'acte posé par l'agent présente une proximité géographique avec la consommation de
l'infraction n'aurait aucun sens. En effet, la victime peut décéder des suites de ses blessures à
l’hôpital, ou dans l'ambulance l'y conduisant, et alors le critère ne serait plus rempli.
L'intérêt d'un tel critère est évident : plus l'acte posé par l'agent est éloigné
géographiquement du lieu où il devrait poser le dernier acte indispensable à la consommation de
l'infraction, moins il est probable qu'existe un commencement d'exécution, et donc qu'une
tentative soit constituée. Toutefois, ce critère comporte une certaine approximation, et il n'est pas
question de réduire les cas de tentative aux seuls actes posés à l'endroit même où serait posé le
dernier acte indispensable à la consommation de l'infraction.
Au Canada comme en France, il n'est donc pas nécessaire, pour qu'un comportement
constitue un commencement d'exécution, que l'auteur se trouve dans la même pièce que sa
victime. Dans l'affaire Mantley, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a reconnu coupable de
tentative de meurtre un homme armé qui fut intercepté alors qu'il tentait de se rendre à la
chambre d’hôpital de son épouse dans l'intention de la tuer, alors même que cet homme se
trouvait deux étages plus bas. Le juge Farrar précise même que ces actes « do not lose their
quality as the actus reus of attempt because Mr. Mantley had not yet reached the proper hospital
floor or because he was not in the same room as his wife or within seconds of completing the
24
crime of murder »71
.
Cette souplesse est évidemment la bienvenue puisque lorsque l'auteur est armé, et décidé à
tuer une personne, il serait bien attentiste d'exiger qu'il soit dans la même pièce que son
éventuelle victime pour permettre aux forces de l'ordre d'intervenir.
A l'inverse, on relève certains cas dans lesquels le critère de la proximité géographique a
été appliqué plus rigoureusement. La Cour d'appel de Toulouse a notamment relaxé un prévenu
pour tentative de racolage, estimant que ce critère n'était pas rempli, alors même que l'individu
portait une tenue vestimentaire non équivoque. Néanmoins, la Cour estime qu'il « n'était pas sur
son lieu d’activité, mais s'y rendait avec toute possibilité de changer d'avis en route et de se livrer
à une autre activité licite »72
.
En second lieu, il convient de s'intéresser au critère de la proximité temporelle. Cette fois
encore, les tribunaux canadiens et français ne précisent pas si le comportement de l'agent doit
présenter une telle proximité avec la consommation de l'infraction ou avec le dernier acte
indispensable à la consommation de l'infraction. Nous pensons qu'il est préférable de retenir la
seconde solution puisque cette fois encore, la consommation de l'infraction peut intervenir des
jours, des semaines, voire des mois après que l'agent ait posé le dernier acte indispensable à sa
consommation.
Le juge Le Dain, dans l'affaire Deutsch, donne une indication quant à l'application du
critère de la proximité temporelle. Selon lui :
la présentation de récompenses financières importantes au cours des entrevues ne
perdrait pas sa qualité d'étape dans la perpétration de l'infraction et ainsi comme actus
reus de la tentative, parce qu'un délai important pourrait s'écouler avant qu'une
personne engagée dans le poste ait des rapports sexuels avec des clients éventuels ou
à cause de la nature par ailleurs incertaine de tels rapports sexuels73
.
71 R. c. Mantley, 2013 NSCA 16, au para 52.
72 Toulouse, 24 novembre 2005, JCP 2006 IV 2077.
73 Deutsch, supra note 57, au para 34.
25
La durée séparant l'acte posé par l'agent et la consommation de l'infraction n'est donc pas
un obstacle dirimant à l'existence du commencement d'exécution, et donc à l'existence d'une
infraction de tentative.
Il ressort de certaines décisions de justice françaises que le critère de la proximité
temporelle est assez variable, notamment lorsque les aveux de l'agent ont été recueillis. Dans un
arrêt du 27 mars 1968, la chambre criminelle reconnaît l'insuffisance des actes matériels en cause
à caractériser la détermination du prévenu à commettre l'infraction, mais va se fonder sur les
aveux de ce dernier pour considérer que la tentative est constituée. En l'espèce, le prévenu
conduit un véhicule en direction de la frontière française afin de la franchir, lorsqu'il est arrêté par
les carabiniers espagnols, lesquels découvrent cinq bouteilles d'alcool dans le véhicule. La
chambre criminelle reconnaît alors que « le transport ne constituait encore qu'un acte
préparatoire d'un délit qui ne pouvait se commettre que lors du franchissement de la frontière »,
mais estime que « la Cour d'appel ne pouvait, en l'absence de preuve contraire, tenir pour non
avenus les aveux constatés par le procès-verbal du 25 septembre 1965 qui établissait la volonté
du prévenu d'introduire en contrebande en France la marchandise qu'il transportait »74
. Dans
cette décision, la chambre criminelle fait donc fi des exigences concernant la proximité
temporelle et se fonde principalement sur les aveux recueillis pour estimer que la tentative est
constituée.
Or, au Canada, bien que le prévenu ait avoué son intention infractionnelle, l'absence de
proximité temporelle empêche les juges de considérer que le stade du commencement d'exécution
est franchi. En effet, dans l'affaire Rudnicki, un juge de la Cour d'appel du Québec explique que
la tentative de transmettre des menaces n'est pas constituée en l'espèce puisque le détenu n'avait
l'intention de poster sa lettre de menaces qu'une fois sorti de prison, soit plusieurs semaines plus
tard. Le juge Dalphond relève que :
malgré l'affirmation de l'appelant qu'il entendait faire ces actes (mens rea), il faut
retenir qu'il ne s'apprêtait pas à les poser. Il attendait d'abord l'expiration de sa peine,
74 Cass crim, 27 mars 1968, Bull crim n° 107.
26
laquelle n'était pas avant plusieurs semaines voire mois. Il lui restait donc du temps
pour changer d'idée, par exemple cibler une nouvelle victime, ce qui aurait mis fin au
projet en voie de préparation75
.
Le critère de la proximité temporelle est donc appliqué plus strictement au Canada, et
semble avoir principalement pour but de s'assurer de la détermination de l'auteur de l'infraction,
puisque plus la proximité temporelle exigée pour constituer le commencement d'exécution est
stricte, moins il y a de chances que l'auteur de la tentative se ravise.
Cette différence de conception du critère de la proximité temporelle serait donc en lien
avec la différence de traitement accordé au désistement volontaire au Canada et en France. En
effet, si le critère temporel exige que le commencement d'exécution se situe juste avant la
commission de l'infraction, alors le laps de temps durant lequel l'auteur d'une tentative pourra se
désister sera très court. Pour cause, une fois l'infraction consommée, il ne s'agira plus de
désistement volontaire mais de repentir actif. Dès lors, puisque la France admet le désistement
volontaire de l'auteur de la tentative, cela lui permet d'intervenir plus en amont de la
consommation de l'infraction projetée.
Enfin, il nous faut aborder le critère de la proximité causale, qui consiste à s'intéresser aux
actes que l'agent doit encore accomplir avant que l'infraction soit consommée. Yves Mayaud
explique que « [p]ar la causalité, on rejoint la nécessité de rester adossé à la phase d'exécution
de l'infraction, afin de conserver au commencement d'exécution une matérialité qui soit suffisante
pour préfigurer la consommation »76
. Si l'agent doit être entré dans l'exécution de l'infraction, au
Canada comme en France, le commencement d'exécution n'est pas nécessairement le dernier acte
avant la consommation de l'infraction.
En effet, si le dernier acte accompli par l'inculpé avant la consommation de l'infraction
constitue nécessairement un commencement d'exécution, ce dernier débute plus tôt. Il ressort de
75 2004 CarswellQue 12485, 2004 CarswellQue 3020, 193 C.C.C. (3d) 74, 63 W.C.B. (2d) 386, J.E. 2004-2219,
REJB 2004-79976, au para 26 [Rudnicki].
76 Yves Mayaud, Droit pénal général, 5e éd, Paris, PUF, 2015 à la p 305 [Mayaud].
27
l'affaire Deutsch qu' « un acte, qui à première vue est un acte de perpétration, ne perd pas sa
qualité d'actus reus de la tentative parce que d'autres actes étaient nécessaires »77
. Ainsi donc, il
n'est « pas nécessaire que l'accusé soit allé jusqu'à poser l'ultime geste requis avant la
consommation de l'infraction »78
. Par exemple, une tentative de meurtre n'exige pas que l'auteur
ait tiré un coup de feu avec son arme, le simple fait de tenir en joue sa victime suffit79
.
De même, la chambre criminelle de la Cour de cassation a condamné deux hommes pour
tentative de contrefaçon de permis de conduire et relève qu'ils avaient presque terminé leur projet,
« deux cachets leur manquant seulement pour réaliser le faux permis »80
.
Il semble donc que si la proximité causale et la proximité géographique sont exigées de
manière identique au Canada et en France, la proximité temporelle est quant à elle appliquée de
manière plus stricte au Canada. Il convient maintenant de s'intéresser à un autre critère utilisé par
les tribunaux pour déterminer s'il y a ou non commencement d'exécution.
1.2.2. L'existence d'autres critères
Selon Roujou de Boubée, « [l]e Code Pénal ne différencie pas la tentative en fonction du
type d'infraction ou en fonction de la catégorie de délinquant. Peu importe le crime dont
l'exécution a été interrompue. Peu importe également la personnalité du délinquant »81
.
Pourtant, une partie de la doctrine relève que parfois, en pratique, l'appréciation de
certains actes variera selon la qualité pénale de leur auteur. Ainsi, les mêmes faits seront
considérés comme « des actes préparatoires s'ils émanent d'un délinquant primaire et comme un
commencement d'exécution s'ils sont le fait d'un récidiviste »82
. Cette même idée fut également
77 Deutsch, supra note 57, au para 31.
78 Rainville, « Gradation », supra note 62 à la p 928.
79 R. c. Boudreau, 2005 NSCA 40, au para 30.
80 Cass crim, 8 novembre 1972, Ruiz et autres, Bul crim n°331.
81 Gabriel Roujou de Boubée, « La genèse de l'acte infractionnel » (1969) 12:1 Annales de la Faculté de droit et des
sciences économiques de Toulouse 61 à la p 64 [Roujou de Boubée, « Genèse »].
82 Jean Pradel, Droit pénal général, 20e éd, Paris, Cujas, 2014 à la p 357.
28
émise par Soyer, Larguier, Pinatel et Bouzat83
, lesquels se fondent sur la même décision84
.
Pradel et Varinard partagent cette opinion, et se fondent sur une décision du 23 mai 2013
de la chambre criminelle de la Cour de cassation85
. Ils expliquent que « le seul fait de se rendre
aux Pays-Bas a été considéré comme un commencement d'exécution d'importation de cannabis,
pour un multirécidiviste »86
. En l'absence d'autres éléments factuels incriminants, il semble
évident que le même comportement eût été interprété différemment en présence d'une personne
au casier judiciaire vierge.
La prise en compte de la qualité pénale de l'auteur d'un comportement pour déterminer si
son acte constitue ou non un commencement d'exécution pose plusieurs difficultés. Tout d'abord,
cela soulève le problème de l'égalité des citoyens devant les tribunaux, ainsi que celui de
l'arbitraire du droit pénal. En effet, il s'agit là d'un procès d'intention qui peut s'avérer dangereux.
De plus, il faut songer à l'hypothèse de deux coauteurs, l'un multirécidiviste et l'autre au
casier vierge, posant les mêmes actes. L'utilisation de ce critère pourrait-elle mener, à la
condamnation du premier et à la relaxe du second ? Cette solution serait bien critiquable. En
effet, apposer une coloration pénale à un acte sur le seul fondement du passé pénal de son auteur
irait à l'encontre de la présomption d'innocence, mais plus grave encore, il s'agirait là d'une
conception teintée de pessimisme, niant toute possibilité de rédemption morale. L'effet d'un tel
message serait, de surcroît, contre-productif, laissant croire au délinquant que la mémoire pénale
est indélébile.
Parfois, ce ne sont pas les antécédents pénaux de l'agent qui seront pris en compte mais
ses relations. La chambre criminelle a notamment condamné pour tentative de connivence à
évasion une personne « ayant essayé en vain de louer les services d'un pilote d'hélicoptère,
susceptible de survoler un établissement pénitentiaire »87
, et il est difficile de croire que ses liens
83 Dezève, « Commencement d'exécution », supra note 59 à la p 803 à la n 213.
84 Cass crim, 2 février 1961, JCP 1961 II 12065.
85 Cass crim, 23 mai 2013, n°12-84.875.
86 Jean Pradel et Alain Varinard, Les grands arrêts du droit pénal général, 9e éd, Paris, Dalloz, 2014 à la p 465.
87 Pin, supra note 34 à la p 167.
29
avec certains détenus n'ont pas été pris en compte88
.
Au Canada, il semble que la personnalité de l'auteur ne soit pas totalement indifférente
lors de l'appréciation de l'existence d'un commencement d'exécution. Dans l'affaire R. c. Dennis,
la Cour d'appel de l'Alberta s'intéresse à certains traits de caractère de l'accusé : « [t]he trial judge
saw and heard the witnesses, especially Mr. Dennis, and some evaluation of his personality and
character must be relevant to that question. For example, is he a meticulous, or an impulsive,
person? Is he decisive, or indecisive? »89
. En l'espèce, l'homme surveille un restaurant à la
jumelle quelques minutes avant sa fermeture, et lorsqu'un policier vient l'arrêter, on trouve dans
sa voiture le matériel nécessaire à un cambriolage. La Cour d'appel de l'Alberta estimera alors
qu'il y a bien tentative de vol.
Malgré ces exemples de prise en compte de critères autres que ceux énoncés par les
tribunaux, il reste difficile voire hasardeux de déterminer le réel poids de la qualité pénale, des
relations ou encore de la personnalité de l'agent, dans l'appréciation de l'existence du
commencement d'exécution. En effet, la contrepartie d'un texte unique destiné à embrasser une
kyrielle d'infractions très variées se trouve dans une certaine imprécision des critères.
Enfin, il convient de se demander s'il serait possible, ou souhaitable, de classer et de
hiérarchiser ces critères selon les types d'infractions concernées. Yves Mayaud présente l'intérêt
d'une telle distinction :
En réalité, l'intuition, plus que le respect d'une formule, guide et conduit le juge dans
ses appréciations, ce qui place la tentative davantage sur le terrain des faits que sur
celui du droit. Les applications sont d'ailleurs plus ou moins larges selon les
infractions, étant dépendantes de la distinction des infractions matérielles et des
infractions formelles ou obstacles. Avec les premières, les faits ont une emprise
maximale sur la tentative, alors que leur rayonnement est beaucoup plus modeste
dans les secondes, qui correspondent, quant à elles, à une emprise minimale90
.
En effet, les infractions-obstacles correspondent à une incrimination autonome d'actes
88 Cass crim, 3 septembre 1996, DP 1997 17.
89 R. c. Dennis, 1998 ABCA 27, 1998 CarswellAlta 78, 1998 ABCA 27, [1998] A.J. No. 114, 37 W.C.B. (2d) 210 au
para 6.
90 Mayaud, supra note 76 aux pp 306-307.
30
préparatoires, la tentative de ces infractions se situe donc à un stade antérieur aux actes
préparatoires, et c'est pour cela que ces infractions laissent peu de place à la tentative. Le
commencement d'exécution des infractions-obstacles correspondra alors à un acte très en amont
sur l'iter criminis. Selon Mayaud, la tentative des infractions-obstacles se situe « aux confins des
étapes purement psychologiques »91
. Il en va de même avec les infractions formelles puisque ces
dernières sont consommées sans atteinte effective à la valeur protégée par le texte incriminateur.
Dès lors, afin de conserver la particularité de ces infractions, les juges auraient tout intérêt
à appliquer moins strictement les critères de proximité temporelle, de proximité géographique, et
de proximité causale aux commencements d'exécution des infractions-obstacles et des infractions
formelles. En effet, ces infractions ayant pour but d'appréhender des comportements plus éloignés
de l'atteinte effective à la valeur, il serait paradoxal de les vider de toute utilité en leur appliquant
trop rigoureusement lesdits critères.
A l'inverse, c'est donc en repoussant le stade de la consommation de l'infraction en
exigeant la production d'un résultat matériel déterminé, que les infractions matérielles laissent
une plus large place au commencement d'exécution, et donc à la tentative puisque tant que le
résultat matériel n'est pas obtenu, l'infraction n'est pas consommée.
La réduction de l'élément matériel de l'infraction de tentative permet donc une
appréhension d'actes parfois très antérieurs à l'atteinte effective à la valeur protégée, mais cette
anticipation comporte également quelques limites que nous nous proposons d'aborder maintenant.
91 Ibid aux pp 308-309.
31
Chapitre 2 : Les limites à l'anticipation de la répression
Si la réduction de l'élément matériel de la tentative permet de prévenir les atteintes aux
valeurs, il convient toutefois de poser des limites à l'anticipation. Cette limite, déjà mise en place
par l'exigence d'un commencement d'exécution, est renforcée pour certaines infractions
particulières, notamment celles ayant déjà pour objectif de devancer le stade de la répression.
Il conviendra alors de voir dans un premier temps quelles sont les limites à l'anticipation
de la répression concernant la tentative des infractions inchoatives, puis nous nous demanderons
s'il est possible de classifier les différentes tentatives selon l'incomplétude de leur élément
matériel.
2.1. La tentative des infractions inchoatives
Bien que la doctrine française connaisse les infractions-obstacles et les infractions
formelles, elle n'utilise pas de terme spécifique pour regrouper les infractions ayant pour but de
devancer le stade de la répression. A l'inverse, le terme inchoatif (du latin inchoare qui signifie
« commencer ») est utilisé par la doctrine canadienne :
L'infraction inchoative consiste dans une conduite constituant une étape vers la
perpétration d'une infraction. L'adjectif « inchoatif » veut marquer le caractère
inachevé de l’exécution du dessein criminel poursuivi par l'agent : soit qu'il cherche à
amener quelqu'un à commettre une infraction (incitation), soit qu'il commence à
exécuter une infraction (tentative), soit, enfin qu'il forme, avec d'autres, une entente
pour réaliser une fin illégale (complot)92
.
Se pose alors la question de leur possible conjugaison avec l'infraction de tentative. En
effet, les infractions inchoatives ayant déjà pour effet d'avancer le stade de la répression, il faut se
92 Jacques Fortin et Louise Viau, Traité de droit pénal Canadien, Montréal, Thémis, 1982 à la p 311.
32
demander si la tentative de ces infractions ne constituerait pas une intervention trop hâtive du
droit pénal.
Pour répondre à cette question, nous analyserons donc chacun des types d'infractions
inchoatives en droit canadien et en droit français, afin de voir quelle solution a été apportée par
les tribunaux concernant la tentative.
2.1.1. La tentative d'incitation infructueuse et de mandat criminel
L'article 464a) du Code criminel93
incrimine le fait de conseiller autrui de commettre un
acte criminel, lorsque ce conseil n'est pas suivi d'effet. L'incitation infructueuse fait donc partie
des infractions inchoatives, et en constitue même le paroxysme puisqu'il n'est pas nécessaire que
l'infraction soit tentée, ni même envisagée par la personne conseillée. En effet, ne pas incriminer
l'incitation à commettre une infraction lorsque celle-ci n'a pas produit les effets escomptés
conduirait à faire dépendre la culpabilité du provocateur de la trop grande rigueur morale de sa
victime. Ainsi, « [l]'incitation devance chronologiquement la tentative; elle relève, en principe,
des actes préparatoires et non pas du commencement d'exécution »94
.
Pour le professeur Rainville, ce particularisme n'est pas sans raison :
[…] l'instigateur se voit opposer un régime juridique exorbitant. Il en est ainsi en
raison de sa turpitude morale particulièrement élevée. L'instigateur recèle en vérité
d'une double culpabilité morale : il incite un tiers à faire une victime tout en amenant
ce tiers à se rendre coupable d'un crime. L'instigateur fait, en quelque sorte, deux
victimes. Il expose un individu à un casier judiciaire et il en soumet un autre à la
perpétration d'une infraction95
.
En France, la provocation à commettre une infraction est un mode de participation à une
93 Code criminel, supra note 11, art 464 a).
94 Harper, Rainville, Turgeon, Traité, supra note 28 à la p 800.
95 Rainville, « Hamilton », supra note 18 à la p 180.
33
infraction, et non une infraction autonome. En effet, l'article 121-7 du Code pénal96
incrimine la
complicité par provocation, laquelle nécessite donc un fait principal punissable. Dès lors, cet
article n'est d'aucune utilité lorsque le conseil de commettre l'infraction n'est pas suivi. Pour
pallier cette lacune répressive, le législateur français incrimine la provocation de manière
autonome, mais dans deux cas seulement.
Ainsi, l'article 221-5-1 du Code pénal97
érige en infraction la provocation à
l'empoisonnement et à l'assassinat. Il s'agit là d'une infraction formelle, puisqu'il n'est pas
nécessaire que la provocation ait porté ses fruits, et le droit pénal interviendra en l'absence de
toute atteinte effective à la valeur protégée, en l'espèce la vie humaine.
L'incitation infructueuse et le mandat criminel devancent donc le stade de la répression, et
il convient de se demander si permettre la tentative de ces infractions ne correspondrait pas à une
intervention injustifiée du droit pénal car trop hâtive. Cette question n'a jamais été tranchée, ni
par les tribunaux canadiens ni par les tribunaux français.
Toutefois, il est possible de trouver des pistes de réflexion au sein de la doctrine
canadienne. Mewett et Manning font une proposition générale selon laquelle « the law should
always strive to avoid combinations of inchoate offences »98
. Cependant, les auteurs semblent se
prononcer en faveur d'un tel cumul, à l'instar du droit anglais99
. Selon eux, l'incitation est un mal
distinct de celui qu'aurait provoqué l'infraction conseillée, et c'est pour cette raison que la
tentative d'incitation devrait être poursuivie pénalement.
Cette opinion est également la nôtre. En effet, puisqu'il n'est pas exigé que le conseil ait
porté ses fruits, ce n'est donc pas l'infraction à commettre que le législateur tente de réprimer par
le biais de l'instigation ou du mandat criminel, mais bien l'acte même de conseil. Dès lors, la
personne qui tente de transmettre tel conseil à une autre, qu'elle y parvienne ou non, doit être
96 Art 121-7 C pén.
97 Art 221-5-1 C pén.
98 Morris Manning, Mewett et Peter Sankoff, Criminal Law, 5e éd, Marham (Ontario), Lexis Nexis, 2015 à la p 390
[Manning, Mewett, Sankoff].
99 Ibid à la p 391 à la n 185.
34
poursuivie.
Il convient désormais de s'intéresser à la deuxième catégorie d'infractions inchoatives, à
savoir les tentatives.
2.1.2. La tentative de voies de fait et de violences volontaires
Le terme singulier « tentative » désigne respectivement, en droit canadien comme en droit
français, l'article 24 du Code criminel100 et l'article 121-5 du Code pénal101. Ces articles, en
quelque sorte préfixes, se combinent avec d'autres infractions pour incriminer la tentative. Or, la
répression de la tentative est également possible de manière ponctuelle, par l'insertion dans
l'élément matériel d'une infraction particulière, de l'acte de tentative.
C'est notamment le cas de l'article 265 (1)b) du Code criminel qui prévoit que « [c]ommet
des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque [...]tente ou menace, par
un acte ou par un geste, d'employer la force contre une autre personne... »102. La tentative
d'employer la force constitue donc l'infraction complète de voies de fait. Tout naturellement, se
pose la question du possible cumul de cette infraction, qui inclut la tentative, et de la tentative
générale.
Dans l'affaire Hovington, la Cour d'appel du Québec reconnaît qu'une telle combinaison
peut parfois poser problème, mais affirme qu'en l'espèce, elle n'est pas interdite. Elle se justifie en
soulignant la distinction qu'il existe, selon elle, entre la tentative prévue à l'article 24 du Code
criminel, et l'élément matériel de l'infraction de voies de fait :
L'article 24 criminalise l'omission de faire quelque chose ou l'accomplissement de
quelque chose dans le but d'atteindre une fin illégale, si cela dépasse le stade des actes
préparatoires. En contrepartie, le paragraphe 265 (1)b) criminalise la menace ou la
tentative d'employer la force dans un certain contexte marqué par la proximité des
100 Code criminel, supra note 11, art 24.
101 Art 121-5 C pén.
102 Code criminel, supra note 11, art 265 (1)b).
35
gestes posés avec l'emploi de la force et la crainte générée chez la victime103.
Nous convenons volontiers que l'article 24 appréhende une réalité quelque peu différente
de celle concernée par l'article 265 (1)b) du Code criminel. En effet, cet article concerne l'agent
qui tente, « par un acte ou un geste, d'employer la force contre une autre personne, s'il est en
mesure actuelle, ou s'il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu'il est alors
en mesure actuelle d'accomplir son dessein ».
Plusieurs conditions sont alors requises, de sorte que le champ d’application des voies de
fait de l'article 265 (1)b) est plus restreint que celui de l'article 24 du Code criminel. En effet, ce
dernier n'exige ni que l'infraction projetée soit possible, ni que l'éventuelle victime la croie
réalisable ; et il englobe les actes positifs et passifs. La tentative de l'infraction de voies de fait est
donc moins englobante que l'article 24 du Code criminel.
Néanmoins, le champ d'application plus vaste de ce dernier ne justifie en rien, selon nous,
la possible combinaison entre les deux infractions. En effet, si la tentative de l'article 265 (1)b)
est plus restreinte que celle de l'article 24, cela n'empêche pas qu'une partie de la réalité
appréhendée par le premier l'est également par l'autre. Ainsi, dans certaines circonstances, le
cumul des deux correspondrait toujours à une tentative de tentative, ce qui n'est, par définition,
pas possible.
En l'espèce, plusieurs policiers sont accusés d'avoir commis des voies de fait sur un
détenu. L'un d'eux frappe la victime avec un bâton et est reconnu coupable, et il faut déterminer si
les autres, simplement en étant présents et en s'abstenant d'intervenir, ont eu l'intention de l'aider
ou de l'encourager à commettre ladite infraction. La Cour d'appel du Québec va répondre
positivement à cette question.
En France, cette question ne se pose pas car la tentative de violences volontaires n'est
normalement pas prévue par le législateur. Les articles 222-7104, 222-9105, 222-11106 et 222-13
103 R. c. Hovington, 2007 QCCQ 7212, 2007 CarswellQue 6200, EYB 2007-121781 au para 53.
104 Art 222-7 C pén.
36
du Code pénal107 sont des infractions matérielles qui font dépendre la répression du résultat
dommageable obtenu. L'auteur d'un acte violent ne peut donc être poursuivi que s'il a produit un
des résultats prévus par ces textes, à savoir la mort, une mutilation ou une infirmité permanente,
une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours, ou encore une incapacité totale de
travail inférieure ou égale à huit jours, ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail.
Toutefois, une interprétation extensive des textes prévoyant les violences volontaires par
la Cour de cassation revient à incriminer contra legem leur tentative. Initialement, les violences
volontaires ne concernaient que les comportements matériels et ne s'appliquaient donc que
lorsqu'il y avait eu un contact entre l'auteur et sa victime. Ces infractions ont alors évolué de
manière à embrasser des comportements immatériels, mais si le contact physique entre l'auteur et
la victime n'était plus systématiquement exigé, il demeurait nécessaire de constater l'atteinte
effective à la personne de la victime.
Dans un arrêt du 28 novembre 2012108, la chambre criminelle de la Cour de cassation a
estimé que certaines atteintes causaient nécessairement un choc émotif à leur victime. Il n'est
donc plus nécessaire de caractériser un choc émotif en cas de violences volontaires sans contact
matériel entre l'auteur et la victime. Brice Partouche met en lumière les deux principales
conséquences d'une telle décision :
[elle] semble immédiatement faire basculer ces infractions dans la catégorie des
infractions formelles alors qu'elles étaient traditionnellement considérées comme
étant des infractions de résultat. Plus fondamentalement la jurisprudence
contemporaine consacre de façon effective et contra legem l'incrimination de la
tentative de violences volontaires109.
En effet, puisque la consommation des infractions de violences volontaires n'exige plus
d'atteinte effective à la valeur protégée, en l’occurrence l'intégrité physique d'autrui, elles passent
105 Art 222-9 C pén.
106 Art 222-11 C pén.
107 Art 222-13 C pén.
108 Cass crim, 28 novembre 2012, Bull crim n°264.
109 Brice Partouche, « Tentative et violences volontaires dans la jurisprudence contemporaine », RSC 759,
(2013), à la p 760.
37
d'infractions matérielles à infractions formelles.
Quant à l'incrimination contra legem de la tentative, il s'agit là encore d'une réduction de
l'élément matériel des infractions de violences volontaires, puisque ce dernier n'exige plus le
résultat et se contente du comportement agressif. Les résultats ne consomment plus l'infraction,
et n'ont donc d'utilité qu'au moment d'opérer la distinction entre les différentes qualifications de
violences volontaires.
Dès lors, on peut se demander s'il serait possible pour le législateur français, de prévoir la
tentative de telles infractions, malgré l'interprétation déjà extensive faite par la chambre
criminelle. La solution retenue par la Cour d'appel du Québec, en faveur du cumul, serait-elle
celle retenue par les tribunaux français ?
Tout d'abord, il faut préciser que cette question ne se pose que pour les crimes de
violences volontaires, puisque pour les délits, le législateur doit prévoir expressément
l'incrimination de leur tentative. Admettre la tentative des crimes de violences volontaires,
lesquels sont désormais des infractions formelles, nous paraît bien difficile. En effet, ces derniers
laissent peu de place à la tentative, comme l'explique Louis Rozes : « il peut être utile de
sanctionner prématurément un processus criminel et d'ériger l'infraction tentée en infraction
consommée ; tel est bien le cas des infractions dites formelles pour lesquelles la tentative,
lorsqu'elle reste encore possible, se trouve promue à un stade antérieur à celui qu'elle eût occupé
normalement »110.
Enfin, voyons maintenant ce qu'il advient de la troisième catégorie d'infractions
inchoatives, à savoir le complot au Canada et l'association de malfaiteurs en France.
2.1.3. La tentative d'association de malfaiteurs et de complot
L'article 465 du Code criminel111
incrimine le complot, et permet ainsi au droit pénal
d'intervenir dès qu'une entente est conclue en vue de commettre une infraction. Le complot
110 Louis Rozes, « L'infraction consommée », RSCDPC 603, (1975), à la p 605 [Rozes, « L'infraction »].
111 Code criminel, supra note 11, art 465.
38
n'exige aucun acte matériel, puisque la simple résolution criminelle, dès lors qu'elle est exprimée
et partagée, suffit.
Il n'existe pas d'infraction similaire en droit français, mais celle qui s'en rapproche le plus
est probablement l'association de malfaiteurs de l'article 450-1 du Code pénal112
. Cet article
incrimine « toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits
matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis d'au moins cinq ans
d’emprisonnement ».
Les deux infractions n'interviennent donc pas au même stade : la première intervient au
stade de l'intention exprimée et partagée, alors que la seconde intervient au moment des actes
préparatoires. En effet, la chambre criminelle de la Cour de cassation a précisé qu'il n'était pas
indispensable, pour le délit d'association de malfaiteurs, que les individus aient déterminé de
façon précise la manière de commettre le crime puisqu'il suffit que l'entente ait été matérialisée
dans un ou plusieurs actes préparatoires113
.
Toutefois, la comparaison demeure pertinente puisqu'il s'agit dans les deux cas
d'interventions précoces du droit pénal, justifiées par la dangerosité accrue du fait de la pluralité
des auteurs potentiels.
Se pose alors la question de la tentative de telles infractions. S'agirait-il d'une diminution
excessive de l'élément matériel, ou faut-il considérer qu'une telle anticipation est justifiée par les
nécessités de protection de la société. Très tôt, au Canada, on devine une certaine réticence à
l'encontre de ce genre de pratique. La Cour d'appel de l'Ontario estime en effet qu'il n'est
« neither necessary nor desirable to extend the law so that a person could be convicted of an
attempt to conspire to commit the substantive offence of fraud »114
.
Une réponse définitive fut apportée en 2006 par la Cour suprême dans l'affaire Déry. En
112 Art 450-1 C pén.
113 Cass crim, 15 décembre 1993, DP 1994 131.
114 R. c. Dungey, 1979 OJ No 1146 51 CCC, au para 36.
39
l'espèce, un groupe de personnes parlemente au sujet de la possibilité de voler de l'alcool. Faute
d'entente, les inculpés ne sont pas poursuivis pour complot mais pour tentative de complot ; la
question s'est donc posée de savoir si l'infraction de tentative de complot existait en droit
canadien. La Cour suprême va répondre négativement à cette question. Selon elle, la tentative de
complot n'est pas une infraction car les actes qui précèdent un complot ne sont pas suffisamment
rapprochés de l'infraction matérielle pour justifier une sanction criminelle. Le juge Fish rappelle à
cette occasion que « même si cela était possible, le droit criminel n'a jamais eu pour objet de
réprimer « dans l’œuf » tout projet de crime »115
.
En France, la question ne se posait pas puisque l'association de malfaiteurs n'était
initialement qu'un délit et le législateur n'avait pas indiqué que la tentative était punissable. Or,
depuis la loi du 15 mai 2001116
, l'association de malfaiteurs peut être un délit ou un crime.
Puisque l'article 121-4 du Code pénal prévoit que la tentative de crime est toujours possible, il
faut en déduire que la tentative d'association de malfaiteurs est possible lorsque les infractions
préparées sont des crimes ou des délits punis de dix ans d'emprisonnement. Il convient alors de se
demander s'il s'agit, de la part du législateur français, d'une incrimination implicite de la tentative
d'association de malfaiteurs, d'une regrettable impéritie, ou encore si l'exclusion de cette
infraction du champ de la tentative lui a semblé si évidente qu'il ne l'a pas explicitée.
Pour répondre à cette question, il est opportun de voir si la solution apportée par la Cour
suprême dans l'affaire Déry concernant l'infraction de complot serait transposable à l'association
de malfaiteurs. La similitude de leur objectif ne doit cependant pas nous faire oublier la
différence fondamentale qui distingue ces deux infractions : elles n'interviennent pas au même
stade sur l'iter criminis. Dès lors, la transposition de solution n'est pas évidente, et une analyse
s'impose.
L'association de malfaiteurs se consomme « par un ou plusieurs faits matériels », et
intervient au stade des actes préparatoires. La tentative de cette infraction interviendrait donc
115 R. c. Déry, 2006 CSC 53, au para 47.
116 Loi n°2001-420 du 15 mai 2001, JO, 16 mai 2001.
40
avant cette étape, lors de la simple pensée ou de la résolution criminelle. Prenons l'exemple de
l'assassinat : A, B et C évoquent l'idée de supprimer D. Si les trois comparses acquièrent des
armes pour accomplir leur dessein, l'association de malfaiteurs est consommée. En revanche, s'ils
ne s'entendent pas sur la manière de donner la mort à leur victime, et qu'aucun acte matériel n'est
posé, doit-on permettre l'intervention du droit pénal ?
Il s'agit, en réalité, de déterminer si les actes constituant le complot en droit canadien sont
incriminables en droit français. Il nous semble que non. En effet, la résolution criminelle partagée
et exprimée ne devrait pas entrer dans le champ d'application de l'association du malfaiteurs.
Cette incrimination se situerait au stade de la résolution criminelle, étape à laquelle le législateur
français répugne à intervenir.
Dans le Code pénal, même les infractions de terrorisme exigent « un ou plusieurs faits
matériels »117
, il est donc peu probable que les tribunaux choisissent de réprimer la tentative de
l'association de malfaiteurs. Dans le cas inverse, cela produirait, selon nous, une certaine
incohérence au sein de la répression.
La tentative, que ce soit en droit canadien ou en droit français, n'est donc pas simplement
une infraction préfixe destinée à sanctionner tout comportement avant la consommation de
l'infraction. Il est certains cas où elle doit être mise de côté afin de préserver certains principes du
droit pénal, et garantir une certaine cohérence temporelle de la répression.
2.2. Les différentes tentatives selon l'incomplétude de l'élément matériel
Le terme « tentative », généralement employé au singulier, a cela de lacunaire qu'il laisse
à penser que la tentative est indivisible, qu'il s'agit d'une notion unitaire. Pourtant, il serait plus
adéquat de parler des tentatives, compte tenu des nombreuses distinctions qu'il est possible
d'opérer en leur sein. Celle que nous nous proposons d'aborder ici est celle fondée sur
117 Art 421-2-1 C pén.
41
l'incomplétude de l'élément matériel de l'infraction projetée.
2.2.1. La distinction entre infraction manquée et infraction tentée
Les auteurs du Traité de droit pénal canadien affirment que « [l]'infraction de tentative
permet de suppléer à l'inexistence de l'actus reus du crime envisagé par l'accusé. Autrement dit,
elle permet la condamnation d'un individu au dessein répréhensible alors même que l'élément
matériel de l'infraction projetée fait partiellement ou entièrement défaut »118
.
Il est donc possible de classer les tentatives selon leur avancée, et cette avancée se mesure
au degré d'achèvement de l'élément matériel de l'infraction projetée. Ainsi, on peut distinguer la
tentative interrompue dès les premiers actes posés par son auteur, de celle qui se rapproche
davantage de l'infraction projetée.
De nombreux auteurs de doctrine établissent cette distinction entre l'infraction suspendue
et l'infraction manquée. La première correspond à l'entreprise criminelle dont l'exécution a été
interrompue, tous les actes nécessaires à sa consommation n'ont donc pas été posés par son
auteur. C'est pour ce type de tentative que la notion de commencement d’exécution est la plus
appropriée puisque l'exécution de l'infraction a été entreprise mais non achevée. L'auteur n'a pas
eu le temps, ou l'occasion de poser tous les actes qu'il souhaitait accomplir.
La seconde forme, en revanche, correspond à une hypothèse différente : « l'auteur d'une
infraction manquée a pleinement achevé son action, de sorte qu'il n'est plus possible de la décrire
en termes de commencement d'exécution... »119
. En effet, puisque tous les actes exigés de l'auteur
de l'infraction projetée ont été réalisés, il est inadéquat d'utiliser cette expression. La réduction de
l'élément matériel ne concerne pas ici le comportement, mais sa conséquence matérielle. Cette
dernière ne survient pas, ou si elle survient, c'est le lien de causalité entre elle et le comportement
qui fait défaut.
118 Harper, Rainville, Turgeon, Traité, supra note 28 à la p 644.
119 Rebut, Encyclopédie, supra note 32 au n° 44.
42
Il y a donc bien deux, voire trois catégories de tentatives selon l'incomplétude de l'élément
matériel. La tentative de meurtre par exemple, renferme donc plusieurs cas de figure : A pointe
son arme sur B et est interrompu par les forces de l'ordre ; A pointe son arme sur B, tire un coup
de feu mais rate sa cible ; A tire un coup de feu sur B mais ce dernier meurt par une balle tirée par
C. Dans le premier cas, l'élément matériel est très incomplet puisque le comportement requis n'est
pas achevé, dans le second cas le comportement est complet mais c'est le résultat matériel qui fait
défaut, et enfin, dans le dernier cas c'est le lien de causalité entre le comportement complet et la
conséquence matérielle qui empêche la consommation de l'infraction de meurtre.
Alors que l'article 121-5 du Code pénal120
envisage ces deux formes de tentative, l'article
24(1) du Code criminel121
, en revanche, ne distingue pas et les englobe toutes les deux grâce à sa
formulation large. Néanmoins, il faut préciser que la distinction opérée par le texte incriminateur
français n'a aucune répercussion répressive, puisque, comme nous le verrons plus tard, la peine
prévue pour la tentative ne varie pas selon qu'il s'agisse d'une infraction suspendue ou manquée.
2.2.2. L'intérêt de la distinction entre infraction manquée et infraction tentée
Avant de voir quels sont les avantages à distinguer l'infraction manquée de l'infraction
tentée, nous souhaitons revenir brièvement sur son absence de répercussion répressive en droit
français. En effet, si l'article 121-5 du Code pénal prévoit ces deux formes de la tentative, la peine
attachée à la tentative ne varie pas selon l'évolution du projet criminel. Une fois passé le stade du
commencement d'exécution, la tentative est punie aussi sévèrement, peu importe que l'exécution
soit à peine commencée, ou bientôt achevée. Cette absence de distinction nous semble tout à fait
justifiée. En effet, établir des paliers répressifs selon la progression de l'auteur de la tentative
reviendrait à accorder une importance démesurée à la matérialité des actes. Il semble que, si le
risque de préjudice augmente au fur et à mesure que l'auteur progresse, cette augmentation est
120 Art 121-5 C pén.
121 Code criminel, supra note 11, art 24 (1).
43
bien trop minime au cœur même de la tentative pour influencer la peine.
Malgré cela, établir une distinction entre les infractions manquées et les infractions tentées
n'est pas dénué d'intérêts. Tout d'abord, distinguer les tentatives permet d'avoir une meilleure
connaissance du phénomène criminel, d'en avoir une vision plus fidèle. En effet, si certaines
tentatives se déroulent dans un laps de temps assez court, d'autres se développent sur plusieurs
heures, jours, voire semaines. Durant cette période, la tentative évolue et change de formes, et la
distinction entre infraction manquée et infraction tentée permet de rendre compte de cette
évolution.
De plus, une meilleure représentation du phénomène criminel permet une meilleure
anticipation et une meilleure répression de la criminalité. En effet, si la pratique laisse entrevoir
que la tentative de telle infraction parvient souvent au stade de la tentative manquée, c'est que les
moyens mis en place pour éviter le comportement de l'élément matériel sont inefficaces. A
l'inverse, si la tentative de telle autre infraction ne dépasse que très rarement l'étape de la tentative
suspendue, alors c'est que les moyens d'éviter le comportement sont plus adéquats. Il convient
ensuite de déterminer, pour chaque infraction, l'élément sur lequel doit se concentrer le droit
pénal pour empêcher l'infraction projetée d'être réalisée : le comportement ou la conséquence
matérielle qui en résulte.
D'un point de vue plus théorique, la distinction est fondamentale concernant la notion de
commencement d'exécution. En effet, cette dernière ne concerne que l'infraction interrompue,
puisque l'infraction manquée comporte une exécution complète. Il faudrait alors parler de
commencement d'élément matériel, lequel demeure incomplet, faute de conséquence matérielle et
ou de lien de causalité.
D'un point de vue subjectif, la distinction entre infraction manquée et infraction
suspendue permet de distinguer les délinquants entre eux, ce que ne permettent pas les articles 24
du Code criminel, et 121-5 du Code pénal. Gabriel Roujou de Boubée déplore cette conception
unique de la tentative et de son auteur :
44
« [l]e Code pénal voulait comme sujet un héros cornélien, mais la pratique n'offre à l'observateur
que des personnages de François Mauriac »122
. Ces articles dressent en effet un portrait quelque
peu simpliste de l'auteur d'une tentative, de par son manque de relief. Tous n'arrivent pas au
même stade de la tentative, et tous ne présentent donc pas la même dangerosité.
Enfin, la distinction entre infraction manquée et infraction interrompue présente
également un intérêt concernant la mens rea. En effet, Marc Segonds souligne qu' « [e]lles se
distinguent également l'une de l'autre psychologiquement puisque l'infraction manquée n'autorise
aucun doute sur l'intention de l'agent tandis que la tentative interrompue laisse subsister une part
d'incertitude »123
. En effet, la détermination de l'auteur de l'infraction manquée est certaine
puisqu'il a mené l'exécution à son terme, alors que l'auteur de l'infraction interrompue avait
encore des chances de se désister.
Il convient maintenant de voir, dans une seconde partie, ce qui permet de s'assurer de la
culpabilité morale du prévenu, malgré l'intervention avancée du droit pénal.
122 Roujou de Boubée, « Genèse », supra note 81 à la p 71.
123 Juris-classeur, supra note 10 au n°68.
45
PARTIE 2 : LA CULPABILITÉ MORALE DE L'AGENT ASSURÉE PAR LE RÉHAUSSEMENT DE L'ÉLÉMENT MORAL
Les infractions, quelles qu'elles soient, sont toujours composées de trois éléments.
L'élément légal est invariable dès lors que le système juridique est gouverné par le principe de la
légalité, ce qui est le cas du Canada et de la France. Les éléments matériel et psychologique, en
revanche, sont sujets à mutation, au gré du législateur.
Ce dernier, en effet, peut, en fonction du but législatif poursuivi, modifier ces éléments : si
la réduction ou la simplification de l'élément constitutif d'une infraction permet d'amplifier le
champ d'application de cette dernière, la complexification ou l'ajout d'un élément permet, à
l'inverse, de mettre en place une répression plus ciblée.
Comme nous l'avons vu dans la partie précédente, c'est en réduisant l'élément matériel que
l'infraction de tentative, en droit canadien comme en droit français, permet d'appréhender un plus
grand nombre de comportements, lesquels se situent en amont de l'atteinte effective à la valeur.
Toute réduction quelle qu'elle soit et aussi indispensable soit-elle, présente plusieurs dangers,
notamment ceux de l'arbitraire ou de la condamnation d'un innocent.
Pour pallier ces dangers, il est possible de rehausser un autre élément de l'infraction. Cette
idée de compensation des éléments constitutifs de l'infraction est notamment évoquée par la Cour
d'appel de la Colombie-Britannique : « where the evidence of intent is not strong, the actus reus
must be more 'proximate' to the act attempted, whereas a more 'remote' actus reus may be
accepted where there is extremely strong proof of mens rea »124
. Ainsi, lorsque l'élément matériel
d'une infraction n'est pas suffisamment solide, il convient de renforcer l'élément psychologique
de ladite infraction, afin d'éviter tout débordement répressif.
Concernant l'infraction de tentative, c'est le schéma inverse : puisque l'actus reus est
diminué, il convient de s'assurer davantage de l'intention délictueuse de l'auteur. Pour ce faire, il
124 R. c. Goldberg, 2014 BCCFFA 313 au para 41.
46
faut rehausser l'élément intentionnel de l'infraction. Nous verrons donc dans un premier chapitre
quelle est la mens rea exigée pour l'infraction de tentative, puis dans un second chapitre, nous
nous intéresserons aux conséquences d'un tel rehaussement.
47
Chapitre 1 : Le rehaussement de l'élément moral de l'infraction de tentative
Le rehaussement de l'élément moral de la tentative est donc la contrepartie à la diminution
de son élément matériel. L'élément psychologique est constitué, à l'instar de l'élément matériel,
de plusieurs composantes, à savoir la prévisibilité du résultat et le désir de l'action. En revanche,
ces composantes sont invariables et il n'est pas possible d'en ajouter afin de réduire le champ
d’application de l'infraction.
Toutefois, il existe des degrés d'intention. En effet, le développement de la psychologie et
du concept de la responsabilité morale ont conduit le droit canadien et le droit français à mettre
en place une réelle théorie de l'intention. Alors qu'initialement, on considérait qu'une personne
posait un acte parce qu'elle l'avait voulu, il existe aujourd'hui de subtiles nuances, lesquelles
permettent parfois de créer des infractions différentes.
En droit français, par exemple, il est possible de lier un seul résultat matériel à trois
intentions différentes, et d'en retirer trois infractions distinctes. Ainsi, la mort d'autrui, lorsqu'elle
est associée à l'intention correspondante, constitue un meurtre125
, ou un assassinat126
lorsque cette
intention a précédé le comportement ayant donné la mort. Elle peut aussi constituer un homicide
involontaire127
lorsque l'intention n'était pas de donner la mort, ou encore des violences
volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner128
lorsque l'agent avait seulement la
volonté de blesser sa victime.
Nous verrons donc dans un premier temps quel est le degré d'intention nécessaire à la
consommation de l'infraction de tentative en droit canadien et en droit français, et dans un second
temps, quelles en sont les conséquences.
125 Art 221-1 C pén.
126 Art 221-3 C pén.
127 Art 221-6 C pén.
128 Art 222-7 C pén.
48
1.1. La nature du dol exigé pour l'infraction de tentative
La nature de l'intention exigée par une infraction est très importante, et ce pour plusieurs
raisons. Tout d'abord, elle permet de déterminer le degré d'intention nécessaire à la consommation
de ladite infraction. En effet, alors que certaines infractions se contenteront, en guise d'élément
psychologique, d'une simple envie de commettre un délit, d'autres exigeront une détermination
bien arrêtée.
D'autre part, le degré d'intention requis par une infraction nous renseigne sur ce que le
législateur a souhaité combattre grâce à l'infraction. En effet, moins le degré d'intention requis est
exigeant, plus il est possible d'affirmer que c'est surtout contre un résultat matériel qu'a été mis en
place le texte incriminateur. A l'inverse, lorsqu'un degré très élevé d'intention est requis, la
réalisation d'un dommage matériel passe au second plan et c'est surtout la culpabilité morale de
l'agent qui se trouve au centre de l'infraction.
Nous verrons que l'infraction de tentative fait partie de cette seconde catégorie, puisqu'elle
requiert un degré d'intention assez élevé. Avant cela, nous verrons que certains niveaux
d'intention, moins élevés, ne sont pas suffisants pour consommer l'infraction de tentative.
1.1.1. L'insuffisance de la simple insouciance, du dol indéterminé ou du dol éventuel
Au Canada, l'insouciance correspond à « la connaissance du danger ou du risque couru et
[à] la volonté de persister dans le comportement »129
. L'agent accepte l'éventualité de la
survenance d'un dommage ; il s'agit donc d'une forme atténuée de mens rea. L'insouciance
comporte donc deux éléments, à savoir la conscience que la conduite comporte un risque, et
129 Harper, Rainville, Turgeon, Traité, supra note 28 à la p 391.
49
l'indifférence par rapport à ce risque.
En France, on ne parle pas d'insouciance mais il existe deux degrés d'intention
correspondants, soit le dol indéterminé et le dol éventuel. Le dol éventuel renvoie à l'hypothèse
de l'agent qui accepte la possibilité du dommage sans être certain de sa réalisation, alors que le
dol indéterminé renvoie à l'hypothèse de l'agent qui accepte le principe de la réalisation du risque
sans en connaître précisément la teneur. Dans le premier cas, l'incertitude porte à la fois sur la
survenance du dommage et sur son étendue, alors que dans le second cas, l'incertitude porte
uniquement sur l'étendue du dommage.
La culpabilité morale de l'agent insouciant réside alors dans son acceptation du risque ou
du danger et dans sa persistance dans son comportement, là où il devrait se raviser et adopter une
conduite plus sécuritaire, ou à défaut, abandonner son projet. La question s'est donc posée de
savoir si cette culpabilité morale était suffisante pour l'infraction de tentative.
Dans l'arrêt Lajoie130
, le juge Martland considère que l'insouciance concernant la
survenance de la mort suffit à constituer la tentative de meurtre. Le raisonnement de la Cour est
simple : si le décès était survenu en l'espèce, l'auteur aurait été condamné pour meurtre puisque
l'article 229 du Code criminel131
prévoit que le meurtre peut, entre autres, se contenter de
l'insouciance de l'auteur. Il suffit que ce dernier ait causé des blessures physiques qu'il savait de
nature à entraîner la mort, sans se soucier de ce que la mort pouvait survenir. Cette décision allait
à l'encontre de plusieurs décisions provinciales comme étrangères132
; Mewett et Manning
expliquent le raisonnement de la Cour :
Supreme Court seems to have been swayed by the argument that to hold otherwise
would mean that the offence of attempted murder would require a higher form of
mens rea than the full offence, since murder could be committed when one had
something less than the purpose to kill, but attempted murder would require this very
130 Lajoie c. R. [1974] RCS 399.
131 Code criminel, supra note 11, art 229.
132 R. c. Whybrow (1951), 35 Cr App. R. 141 (C.A.) ; R. c. Menard (1960), 130 C.C.C. 242 (CA QUE).
50
purpose133
.
Dix ans plus tard, le juge McIntyre vient contredire le juge Martland dans l'arrêt Ancio134
:
selon lui, l'insouciance quant à la survenance de la mort ne suffit pas pour constituer une tentative
de meurtre. Cette décision sera confirmée par l'arrêt Logan dans lequel le juge Lamer refuse
d'ériger en principe de justice fondamentale le fait qu'une partie à une infraction ne peut être
déclarée coupable sur le fondement d'un degré de mens rea moindre que celui exigé pour l'auteur
principal.
Toutefois, il admet que lorsqu'il s'agit des infractions pour lesquelles l'article 7 de la
Charte canadienne des droits et libertés135
exige un degré minimum de mens rea, il est
impossible de prévoir la culpabilité d'une partie à cette infraction sur le fondement d'un degré de
mens rea moindre que le minimum exigé par la Constitution136
. Dès lors, puisque le meurtre fait
partie des infractions pour lesquelles l'article 7137
exige un degré minimum de mens rea138
,
l'auteur d'une tentative de meurtre ne peut être déclaré coupable sans ce degré minimum de mens
rea.
Il ressort de ces décisions que la mens rea de la tentative peut différer de celle requise
pour la consommation du crime projeté. En effet, le crime de meurtre peut se contenter de
l'insouciance de l'agent, ce qui n'est pas le cas de la tentative de meurtre. Cela renforce
l'autonomie de l'infraction de tentative par rapport à l'infraction projetée par l'agent.
Initialement, le dol indéterminé suffisait en France pour constituer l’infraction de meurtre.
La chambre criminelle considérait que « tout acte de violence exercé volontairement sur une
personne, et par l'effet duquel celle-ci a été plus ou moins promptement privée de la vie, constitue
133 Manning, Mewett, Sankoff, supra note 98 à la p 352.
134 La Reine c. Ancio, [1984] 1 RCS 225 à la p 249 [Ancio].
135 Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B
de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11, art 7 [Charte].
136 Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.
137 Charte, supra note 135, art 7.
138 R. c. Martineau, [1990] 2 RCS 633 au para 12.
51
le crime de meurtre, alors même que l'auteur de l'acte n'aurait pas eu l'intention de tuer »139
.
Désormais, l'infraction de meurtre ne se contente plus de ce dol et exige au minimum un
dol général140
. Puisque le meurtre exige que celui auquel il est reproché ait eu la volonté de tuer,
il semble difficile de croire que la tentative de meurtre pourrait se contenter de l'insouciance. En
effet, si la tentative est une infraction autonome par rapport à l'infraction projetée, son élément
psychologique ne peut toutefois être moins exigeant.
Ainsi, au Canada comme en France, les degrés d'intention les moins exigeants ne sont pas
suffisants pour consommer l'infraction de tentative. Bien que cette solution n'ait pas toujours été
évidente, elle nous semble pourtant découler directement du concept de tentative. En effet, la
question du degré de l'intention revient à se demander s'il est possible de tenter sans vraiment
vouloir. La réponse à cette question ne peut être que négative. En effet, la tentative a cela de
particulier qu'elle dénote une distorsion entre ce qui est voulu, et ce qui est réellement. C'est
précisément ce décalage entre l'envie et la réalité qui rend l'appréhension du concept de tentative
délicate. L'intention fait partie intégrante de la tentative, il est donc normal de ne pas se contenter
de ses degrés inférieurs. La chambre criminelle semble partager cette opinion puisqu'elle
considère que « le verbe 'tenter' [implique] en lui-même la volonté de commettre l'acte
incriminé »141
.
1.1.2. L'exigence d'une intention spécifique ou d'un dol spécial
L’article 24 du Code criminel exige expressément « l'intention de commettre une
infraction »142
. Cette exigence vaut pour toutes les infractions auxquelles s'applique l'infraction
de tentative, et correspond à une intention spécifique. L'intention spécifique désigne la volonté de
l'agent tendue vers un but précis.
Cette exigence est expliquée dans l'affaire Logan par le juge Lamer qui adopte un
139 Cass crim, 13 mars 1828, Bull crim 1828 n°74.
140 Cass crim, 8 janvier 1991, Bull crim n° 14, D 1992.
141 Cass crim, 22 juin 1988, Bull crim n°284.
142 Code criminel, supra note 11, art 24 (1).
52
raisonnement simple : il constate que les stigmates associés à une déclaration de culpabilité pour
meurtre sont les mêmes que pour une tentative de meurtre, et va même jusqu'à qualifier l'auteur
d'une tentative de « meurtrier chanceux ». Il rappelle ensuite que ce sont les stigmates associés à
une déclaration de culpabilité qui exigent qu'un degré minimal de mens rea soit prouvé pour une
infraction143
.
Dans cet arrêt, l'exigence de l'intention spécifique ne concerne que la tentative de meurtre.
L'arrêt Colburne144
de la Cour d'appel du Québec va ériger cette exigence d'une intention
spécifique en principe. Le juge LeBel cite notamment le professeur Stuart :
[n]ow that the Supreme Court has recognized that the crime of attempt requires an
intent, it would seem clear that all attempt crimes require a specific intent for which a
defence of voluntary intoxication should be available. It is no longer correct
reasoning to decide the questions by reference to the mens rea required for the crime
attempted145
.
Cette exigence particulière de mens rea vaut également pour les conséquences de
l'infraction projetée. En effet, il ressort de l'arrêt Ancio146
que l'insouciance quant à la survenance
du résultat ne pourra suffire. Dans l'arrêt Ferreira147
, le juge Blacklock estime que le résultat
certain ou quasi certain suffit à établir la mens rea de la tentative. Le professeur Rainville cite à
ce sujet Glanville Williams : « [a] consequence should normally be taken as intended although it
was not desired, if it was foreseen by the actor as the virtually certain accompaniment of what he
intended. This is not the same as saying that any consequence foreseen as probable is
intended »148
.
En France, l'intention contenue dans la tentative est également tournée vers la commission
de l'infraction, et elle se rapproche du dol spécial. Le dol spécial est l'équivalent de l'intention
143 R. c. Logan, [1990] 2 RCS 731 au para 23.
144 R. c. Colburne, 1991 CarswellQue 1002, au para 63 [Colburne].
145 Don Stuart, supra note 38 à la p 466.
146 Ancio, supra note 134, au para 37.
147 R. c. Ferreira, 1994 CarswellOnt 6004, 25 W.C.B. (2d) 127, au para 11.
148 Rainville, « Gradation », supra note 62 à la p 951.
53
spécifique puisqu'il désigne « l'intention particulière dans laquelle les agissements ont été
commis »149
. Selon Jean Dezève, « ce dol est alors généralisé, exigé pour toute tentative, alors
même qu'il ne serait pas un élément constitutif de l'infraction consommée »150
. L'auteur préconise
d'ailleurs l'emploi d'un terme différent de celui d'intention, qui selon lui, peut se confondre avec
l'élément moral de l'infraction consommée151
.
Au Canada comme en France sont donc exigés, pour la consommation de l'infraction de
tentative, des degrés d'intention plus élevés que l'intention standard, à savoir l'intention générale
ou le dol général. C'est, selon nous, ce rehaussement qui permet de compenser la réduction de
l'élément matériel.
1.2. Les moyens de défense
Comme nous venons de le voir, l'élément moral de la tentative présente une certaine
spécificité. Dès lors, il convient de s'interroger sur la recevabilité des moyens de défense pour
l'infraction de tentative. En effet, plus les éléments constitutifs d'une infraction sont exigeants,
plus le panel des moyens de défense recevables risque d'être vaste.
Parmi les moyens de défense disponibles en droit canadien et en droit français, nous
avons choisi d'analyser la défense d'ivresse ainsi que la défense de plaisanterie, parce qu'elles ont
toutes deux une répercussion certaine sur l'élément psychologique de l'infraction.
1.2.1. La défense d'intoxication volontaire ou d'ivresse
Au Canada, la défense d'ivresse peut toujours faire échec à la mens rea de la tentative
puisque cette dernière est une infraction d'intention spécifique. Ce degré d'intention plus élevé et
plus complexe peut ne pas être obtenu lorsque l'auteur de la tentative est dans un état
149 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, 11e éd, 2016, PUF, Paris à la p 375 [Cornu].
150 Dezève, « Commencement d'exécution », supra note 59 à la p 810.
151 Ibid à la p 812.
54
d'intoxication volontaire. Elle peut donc susciter un doute raisonnable quant à la présence de
l'intention spécifique, laquelle est indispensable à la consommation de la tentative.
En France, l'article 122-1 du Code pénal152
pose le principe de l'irresponsabilité pour
trouble mental mais ne distingue pas selon l'origine du trouble. Peu importe donc, en théorie, que
le trouble mental provienne d'une consommation de drogue, d'alcool ou d'un handicap. Toutefois,
la jurisprudence française se montre réticente à reconnaître dans l'ivresse une cause
d'irresponsabilité pénale. En effet, la chambre criminelle a estimé que l'intention qui faisait
défaut, pour cause d'ivresse, au moment de la consommation de l'infraction, était présente lorsque
l'agent avait choisi de s’enivrer153
.
Selon Jean Pradel, il convient de distinguer la personne qui s'enivre dans le but de
commettre une infraction, et qui sera reconnue responsable de la tentative puisqu'elle a bien eu
une intention de commettre l'infraction projetée ; de la personne qui s'enivre en acceptant le
principe ou la possibilité qu'elle commette une infraction une fois ivre, laquelle ne présente pas
l'intention exigée pour la tentative154
. Il n'y aura, dans ce dernier cas, pas de dol spécifique et
seulement un dol éventuel.
Il y a donc là une certaine liberté prise avec la règle voulant que l'infraction exige une
concomitance, même très brève, des éléments constitutifs de l'infraction. En effet, dans le cas de
l'agent qui s'enivre pour se donner du courage, l'intention criminelle existe lors de la
consommation d'alcool, mais est annihilée par ses effets lorsque l'agent pose les actes matériels.
Néanmoins, cette solution nous paraît indispensable pour endiguer de tels comportements.
Ainsi, au Canada comme en France, l'intoxication volontaire et l'ivresse peuvent faire
échec à la consommation de la tentative155
.
152 Art 122-1 C pén.
153 Cass crim, 29 janvier 1921, Bull crim n°52.
154 Jean Pradel, Droit pénal général comparé, Cujas, Paris, 2005 aux pp 161-162.
155 R. c. Daviault, [1994] 3 RCS 63, au para 27.
55
1.2.2. La défense de plaisanterie
Au Canada, la question de savoir si la plaisanterie empêche l'existence de l'élément
psychologique de la tentative a été résolue par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. Cette
dernière, dans l'affaire Mathe156
, a estimé qu'il ne pouvait y avoir d'intention criminelle puisque
l'accusé avait simplement l'intention de plaisanter.
En l'espèce, un homme entre dans une banque, déclare à la guichetière qu'il a une arme à
feu dans sa poche et exige qu'elle lui remette l'argent. Lorsque cette dernière s'exécute, l'individu
se contente de lui dire qu'il plaisante et qu'il ne souhaite pas prendre l'argent, il lui serre la main et
part sans emporter son butin. Il est alors poursuivi pour tentative de vol qualifié. Si l'existence de
l'élément matériel de l'infraction ne faisait aucun doute, celle de l'élément psychologique était
moins évidente.
Le juge Branca fait une précision importante : « [i]f, in fact, the transaction amounted to
a joke, there was no crime. If, on the other hand, he was serious initially but decided to abandon
the transaction, then there could be a crime »157
. En effet, pour que la défense de plaisanterie
fasse échec à la consommation de l'infraction, il faut qu'elle remplace totalement l'intention
criminelle. Elle doit donc avoir existé du début jusqu'à la fin de la commission des éléments
matériels. A l'inverse, si la mens rea a existé, même un bref instant, cela suffit pour que
l'infraction soit consommée.
Cette décision fut notamment saluée par le Professeur Pierre Rainville : « [c]ette décision
est foncièrement irréprochable. Le comportement du fumiste a pour seule finalité le rire : le
blagueur se contente du plaisir que lui offre la vue de sa victime médusée. Sa volonté de jouer un
tour est le ressort psychologique qui l'anime et lui suffit »158
.
156 R. c. Mathe, 1973 CarswellBC 103.
157 Ibid au para 18.
158 Pierre Rainville, « Paroles de déraison et paroles de dérision : les excès de langage à l'épreuve du droit
criminel canadien » (2015) 49 RJTUM 35 à la p71.
56
En France, en revanche, la question n'a pas été tranchée par la jurisprudence dans le cas
précis de la tentative. Cependant, il ressort d'un arrêt de la Cour d'appel de Toulouse159
que la
plaisanterie peut être retenue pour dénier l'existence de l'élément psychologique d'une infraction.
En l'espèce, un homme envoie à un ami une enveloppe contenant du bicarbonate de soude,
dans l'espoir d'apeurer son compère en lui faisant croire à une agression au bacille de charbon. Le
pli fut ouvert par le personnel du centre de tri et l'expéditeur fut poursuivi pour violences avec
préméditation sur l'agent de la poste. La Cour d'appel de Toulouse estime alors que « la
conscience de la brutalité et du danger de l'acte » font défaut, et que le délit de violences
volontaires avec préméditation ne peut être retenu.
Étant donné la spécificité de l'élément moral de la tentative, tout porte à croire que la
plaisanterie empêcherait également l'existence de sa mens rea.
1.3. La mens rea de l'infraction de tentative au regard du désistement volontaire
Après avoir vu quel degré d'intention était exigé pour l'infraction de tentative, et quelles
répercussions cette exigence avait sur la recevabilité des moyens de défense, l'élément
psychologique de la tentative nous paraît assez similaire en droit canadien et en droit français.
Malgré cette première impression, il convient de revenir sur la nature de la mens rea de
l'infraction de tentative, mais en prenant en compte une différence fondamentale qui existe entre
la tentative en droit canadien et la tentative en droit français, à savoir le sort réservé au
désistement volontaire de l'agent.
Au Canada, le désistement volontaire de l'agent après le stade du commencement
d'exécution n'est pas pris en compte et n'empêche en rien la consommation de la tentative. En
France, en revanche, le désistement volontaire de l'agent, s'il répond aux conditions requises, fait
159 Toulouse, 21 février 2002, n° 01-01. 172.
57
échec à la consommation de l'infraction de tentative.
Il conviendra alors de voir ce qu'est le désistement volontaire en France et quelles sont ses
conditions, puis nous nous interrogerons sur sa nature. Enfin, nous envisagerons l'éventuelle
reconnaissance du désistement volontaire au Canada.
1.3.1. Le désistement volontaire en France
Marc Segonds explique que la doctrine distingue trois catégories de désistement : le
désistement volontaire est celui qui s'opère « sans aucune contrainte ou influence extérieure », le
désistement contraint est celui qui intervient « en raison de la survenance d'une cause qui lui est
extérieure » et le désistement influencé correspond à l'hypothèse où « l'abandon du projet est
équivoque »160
.
L'article 121-5 du Code pénal prévoit que la tentative n'est constituée que si elle « n'a
manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur »161
. A
contrario, il faut en déduire que la tentative n'est pas constituée lorsque l'infraction ne se
consomme pas, et ce pour des raisons liées à la volonté de l'agent.
Le seul désistement qui empêchera la condamnation pour tentative est donc le désistement
volontaire de l'agent162
. En cas de doute concernant le caractère volontaire du désistement, Merle
et Vitu préconisent de rechercher la « cause prépondérante du renoncement »163
. Pour ce faire,
Alain Prothais affirme que « [s]eule une analyse très précise de l'espèce permettra de savoir si
c'est l'intervention d'un facteur externe, d'une tierce personne qui a déterminé l'agent à renoncer,
ou bien si, sa volonté criminelle n'étant pas suffisamment ferme, il était sur le point de s'arrêter à
160 Marc Segonds, Droit pénal général, Paris, Ellipses, 2004 à la p 151.
161 Art 121-5 C pén.
162 Voir par ex Douai, 6 mai 2003, DP 2003 122 ; T. corr. Fort-de-France, 22 septembre 1967, JCP 1968 II
15583.
163 Merle et Vitu, Traité, supra note 27 à la p 638.
58
la première occasion, sous le premier prétexte venu »164
.
Pradel affirme qu' « il importe peu alors qu'il ait renoncé par pitié pour la victime, par
remords ou par crainte du châtiment : pas plus qu'il ne sauve, le mobile ne nuit »165
. La raison du
désistement est donc sans incidence pourvu qu'elle soit interne. Certains auteurs parlent à ce
propos d'un « système utilitaire »166
.
A cette première exigence s'en ajoute une seconde : le désistement doit intervenir en
temps utile. En effet, l'agent peut échapper à la répression « tant que l'infraction n'est pas
consommée »167
. Une fois l'infraction consommée, il ne s'agira plus d'un désistement mais d'un
repentir actif, lequel sera sans effet sur la qualification de l'infraction, mais pourra être pris en
compte lors du prononcé de la sanction par le juge.
Ce choix législatif se fonde principalement sur l'intérêt de la société :
Il s'agit d'éviter à tout prix que le mal du délit, c'est-à-dire ses conséquences
dommageables, ne se produise, et pour cela, on offre à l'auteur en supposant qu'il agit
toujours avec toute la lucidité nécessaire à ce calcul, un intérêt majeur à l'abandon de
son entreprise criminelle avant que l'irréparable ne soit accompli. On ferme donc
délibérément les yeux sur la volonté criminelle manifestée, les actes déjà accomplis et
la personnalité ainsi révélée, pourvu qu'il ne s'ensuive aucun effet matériel...168
1.3.2. La nature de l'exigence de l'absence de désistement volontaire en France
Comme nous l'avons vu, l'exigence de l'absence de désistement volontaire pour la
consommation de l'infraction de tentative est implicitement annoncée à l'article 121-5 du Code
164 Alain Prothais, Tentative et attentat, Paris, LGDJ, 1985 à la p 69 [Prothais].
165 Pradel, supra note 82 à la p 351.
166 Jean Larguier, Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon, Droit pénal général, 22e éd, Paris, Dalloz,
2014 à la p 36 [Larguier, Conte, Maistre du Chambon].
167 Pin, supra note 34 à la p 159.
168 Prothais, supra note 164 à la p 67.
59
pénal169
. Ce dernier est formulé de telle manière qu'il laisse entendre que cette exigence est l'un
des deux éléments constitutifs de la tentative. Cette manière de présenter la tentative était déjà
celle de l'article 2 du Code pénal de 1810.
De même, la majorité des auteurs de doctrine française présente l'absence de désistement
volontaire comme un élément constitutif de l'infraction de tentative. En effet, Xavier Pin évoque
la « deuxième condition exigée par l'article 121-5 du Code pénal »170
, et Bernard Bouloc affirme
que « le commencement d'exécution et l'absence de désistement volontaire constituent les deux
éléments certains de la tentative »171
.
Cette conception, pourtant fidèle à la lettre de l'article 121-5 du Code pénal172
, ne nous
paraît pas exacte. Selon nous, l'absence de désistement volontaire ne présente pas les traits d'un
élément constitutif. Il semble que René Garraud se soit également montré réticent à employer
l'expression « élément constitutif » pour désigner l'absence de désistement volontaire, et lui a
donc préféré celle de « circonstance contingente »173
.
En effet, un élément constitutif a pour particularité de constituer l'infraction. Dès lors, il
doit exister avant la consommation de ladite infraction. Or, dans le cas de l'infraction de tentative,
l'absence de désistement volontaire n'a d'intérêt qu'une fois l'infraction consommée. Dès lors,
nous ne pouvons estimer que l'exigence de l'absence du désistement volontaire est un élément
constitutif.
Il ne s'agit pas non plus d'un moyen de défense puisque le débat concernant les moyens de
défense n'intervient qu'au prétoire, une fois la question de la consommation de l'infraction
tranchée. Or, pour l'infraction de tentative, la question de l'absence de désistement volontaire doit
être abordée bien plus tôt.
169 Art 121-5 C pén.
170 Pin, supra note 34 à la p 168.
171 Bouloc, supra note 35 à la p 228.
172 Art 121-5 C pén.
173 René Garraud, Précis de droit criminel, 12e éd, Paris, Sirey, 1918 à la p 159 [Garraud].
60
L'absence de désistement volontaire s'apparente davantage à une condition résolutoire de
l'infraction puisque cette dernière est constituée dès le stade du commencement d'exécution
franchi. C'est seulement si intervient par la suite un désistement qui répond aux conditions
exigées que l'infraction ne sera pas constituée. Le désistement volontaire agit donc comme une
épée de Damoclès pesant sur l'infraction, menaçant à tout instant d'en empêcher la
consommation.
Louis Rozes semble abonder en ce sens : « [t]out au long du processus criminel les actes
du délinquant demeuraient marqués d'une certaine précarité voulue par le législateur qui laissait
toujours la possibilité de se repentir avant qu'il ne soit trop tard »174
.
Ainsi, il nous semble que l'exigence d'absence de désistement volontaire est une
composante de la mens rea. En effet, imposer que le stade du commencement d'exécution soit
franchi, et que l'agent ne se désiste pas volontairement de son projet criminel pour que la
tentative soit consommée, revient à exiger une intention irrévocable.
Ce terme est également celui retenu par Donnedieu de Vabres : « quand les actes
accomplis par l'agent lors de son arrestation attestent chez lui une volonté criminelle
irrévocable ; quand il existe entre le mal qu'il a commis et le but qu'il se proposait, une distance
morale si faible que, laissé à lui-même, il l'aurait presque certainement franchie »175
.
Il convient alors de se demander si cette intention irrévocable est différente du dol spécial.
Selon nous, elle l'est nécessairement puisqu'elle comporte un élément supplémentaire, la
détermination définitive de l'agent à commettre l'infraction. Comme nous l'avons vu, l'intention
spécifique, ou dol spécial, est « l'intention particulière dans laquelle les agissements ont été
commis »176
, et cette définition ne fait aucunement mention de la détermination de l'agent.
Ainsi donc, l'infraction de tentative en droit français se fonde sur un degré d'intention
174 Rozes, « L'infraction », supra note 110 à la p 610.
175 Henri Donnedieu de Vabres, Précis de droit criminel, Paris, Dalloz, 1946 à la p 55.
176 Cornu, supra note 149 à la p 375.
61
unique, qui n'est exigé dans aucune autre infraction. La raison de ce particularisme se comprend
aisément : puisque cette infraction permet au droit pénal d'intervenir avant même que l'agent ait
achevé son dessein criminel, il est indispensable de s'assurer de la détermination de ce dernier. En
effet, l'élément psychologique joue alors le rôle de prolongement de l'élément matériel.
Il semble donc que l'élément psychologique de l'infraction de tentative soit plus exigeant
en droit français qu'en droit canadien. Il convient alors de revenir à une remarque que nous avons
faite précédemment. Nous avons vu dans la première partie de notre étude que, pour apprécier
l'existence du commencement d'exécution, les tribunaux utilisaient notamment le critère de la
proximité temporelle. Nous avions alors démontré que les tribunaux canadiens appliquaient ce
critère plus strictement que les tribunaux français, et nous avions mis en relation cette différence
d'application avec le sort réservé au désistement volontaire dans chacun de ces deux systèmes.
Ainsi, l'exigence d'une intention irrévocable en droit français permet une application plus
souple du critère de la proximité temporelle. En effet, dès lors que l'on sait avec certitude que
l'agent allait commettre l'infraction, le problème de la culpabilité morale ne se pose plus, et il est
alors loisible au droit pénal d'intervenir, et ce même si l'infraction n'est pas sur le point de se
consommer.
Le même objectif, s'assurer de la culpabilité morale de l'auteur de la tentative, est donc
poursuivi de deux manières différentes par le droit français et le droit canadien. Alors que le
premier rehausse considérablement l'élément psychologique de l'infraction jusqu'à exiger une
intention irrévocable, le second applique rigoureusement le critère de la proximité temporelle, de
façon à s'assurer que l'agent ait peu de chances de se désister.
Il faut maintenant aborder la question de l'éventuelle reconnaissance du désistement
volontaire au Canada, et déterminer les conséquences de cette évolution sur l'infraction de
tentative.
1.3.3. L'éventuelle reconnaissance de la défense d'abandon au
62
Canada et ses conséquences
Le refus par les tribunaux canadiens de prendre en compte le désistement de l'auteur de la
tentative n'est pas nouveau. Dans l'affaire Kosh, le juge Culliton C.J.S. explique cette
indifférence :
In my view, once the essential element of intent is established, together with overt
acts towards the commission of the intended crime, the reason why the offence was
not committed becomes immaterial. Once these elements are established, it makes no
difference whether non-commission was due to interruption, frustration or a change
of mind177
.
Ce refus des tribunaux canadiens de reconnaître la défense de désistement volontaire dans
l'infraction de tentative traduit également leur méfiance à l'égard de l'agent indécis. Cette opinion
est partagée par de nombreux auteurs, et notamment par Donnedieu de Vabres. Selon lui, le
désistement volontaire ainsi que le remord après la consommation de l'infraction « n'excluent pas
le caractère dangereux de l'agent. [Ils] témoignent d'une moindre intensité de la volonté
criminelle. Mais cette volonté existe »178
.
Pourtant, cette défense n'est pas totalement étrangère au droit canadien, puisque la Cour
d'appel de la Colombie-Britannique l'a admise très tôt dans l'affaire Whitehouse179
, dans le cas de
la participation criminelle de l'article 21 (2) du Code criminel180
. En effet, pour que la défense
d'abandon soit reconnue, le juge Sloan exige les trois conditions suivantes : l'existence d'une
intention d'abandonner le projet criminel, la communication en temps utile de cet abandon et le
caractère non équivoque de cette communication181
.
Cette clémence se comprend aisément : l'article 21 (2) du Code criminel182
concerne la
personne qui participe à une infraction en formant avec d'autres le projet de poursuivre une fin
177 R. c. Kosh, 1964 CarswellSask 47 au para 17.
178 Donnedieu de Vabres, Politique criminelle, supra note 43 à la p 101.
179 R. c. Whitehouse, 1940 CarswellBC 87 [Whitehouse].
180 Code criminel, supra note 11, art 21 (2).
181 Whitehouse, supra note 179 au para 8.
182 Code criminel, supra note 11, art 21 (2).
63
illégale et de s'y entraider alors qu'une infraction différente de celle convenue est commise lors de
la réalisation de cette fin commune. Cet article met donc en place une responsabilité du fait
d'autrui ; il est indispensable de prévoir un mécanisme permettant de briser cette responsabilité
une fois que l'agent a exprimé son désir de se détacher du projet criminel commun.
Plus récemment, dans l'arrêt Gauthier183
, la question s'est posée de savoir si une telle
défense pouvait être reconnue concernant la participation criminelle de l'article 21 (1) du Code
criminel184
. Le juge Wagner rappelle à cette occasion les raisons de politique générale qui
justifient une telle défense : « il y a l’impératif de veiller à ce que seules les personnes
moralement coupables soient punies et, d’autre part, il y a l’avantage que tire la société du fait
d’encourager les individus impliqués dans des activités infractionnelles à s’en désister et à les
dénoncer »185
.
Le juge Wagner met en exergue la différence existant entre la participation criminelle de
l'article 21 (2) du Code criminel, et celle de l'article 21 (1). Selon lui, dans ce dernier cas, la
culpabilité morale des participants est plus grande :
ils posent des gestes concrets dans le but d'assister l'auteur principal dans la
commission de l'infraction ou de l'encourager à la commettre. Leur responsabilité
criminelle et leur culpabilité morale sont proportionnelles à ces démarches et
découlent de l'accomplissement de ces actes. En conséquence, la simple
communication en termes non équivoques de leur volonté de ne plus participer à la
commission de l'infraction ne sera pas suffisante [TRADUCTION] « pour briser le
lien de causalité et de responsabilité » pour reprendre les propos du juge Sloan dans
l'arrêt Whitehouse186
.
Le juge ajoute donc une quatrième condition à la défense de désistement. La personne qui
participe à une infraction en accomplissant ou en omettant d'accomplir quelque chose dans le but
d'aider quelqu'un à la commettre ou en encourageant quelqu'un à la commettre pourra bénéficier
183 R. c. Gauthier, 2013 CSC 32 [Gauthier].
184 Code criminel, supra note 11, art 21 (1).
185 Gauthier, supra note 183 au para 40.
186 Gauthier, supra note 183 au para 46.
64
de la défense d'abandon à quatre conditions. Elle devra avoir l'intention de se désister du projet
criminel, communiquer cette intention en temps utile et de manière non équivoque, mais elle
devra également prendre « proportionnellement à sa participation à la commission du crime
projeté, les mesures raisonnables, dans les circonstances, soit pour neutraliser ou autrement
annuler les effets de sa participation soit pour empêcher la perpétration de l'infraction187
».
Ainsi, cette reconnaissance récente de la défense d'abandon dans le cas de la complicité
par aide ou assistance nous conduit à nous interroger sur une telle reconnaissance dans le cas de
l'infraction de tentative. En effet, il est intéressant de se demander si la défense d'abandon
pourrait faire échec à une condamnation pour tentative, et, si oui, à quelles conditions.
Il est évident que la première condition, concernant l'intention d'abandonner le projet
criminel, serait exigée. Toutefois, dans l'affaire Gauthier, il semble que les tribunaux canadiens
ne se contentent pas de la disparition de l'intention criminelle. Dès lors, dans le cas de l'infraction
de tentative, il semble peu probable que les tribunaux admettent la défense de désistement fondée
uniquement, comme en France, sur le simple revirement d'intention volontaire et intervenu en
temps utile. La seule résipiscence ne suffit pas, il faut défaire ce qui a été fait. Le juge Wagner
cite un passage parfait pour illustrer ce propos :
Une fois la flèche dans les airs, il est vain de souhaiter ne jamais l'avoir décochée [...].
Il est vrai que la personne qui renonce à un projet ne fait pas que changer d'avis : elle
se retire, mais est-ce que cette décision a quelque importance si la renonciation ne
produit pas plus d'effets sur la suite des événements que le repentir de l'archer ?188
.
Les deuxième et troisième conditions concernant la communication en temps utile et non
équivoque ne s'appliqueraient à l'auteur de la tentative que si ce dernier agissait avec d'autres. Si
c'est le cas, il faudrait se demander à quel moment la communication de l'abandon devrait
intervenir. Puisque cette communication interviendrait nécessairement une fois le stade du
187 Ibid au para 50.
188 J. C. Smith, Commentary on R. c. Mitchell, [1999] Crim. LR 497, cité dans Gauthier, supra note 183 au
para 47.
65
commencement d'exécution franchi, il nous semble que le critère de la communication en temps
utile n'est plus très pertinent. La communication de l'abandon devrait simplement intervenir après
le commencement d'exécution et avant la consommation de l'infraction projetée.
Les trois premières conditions exigées pour la défense d'abandon ne poseraient donc pas
de réel problème si cette dernière devait être reconnue dans le cas de la tentative. En revanche, la
transposition de la dernière condition est des plus intéressantes. On peut en effet se demander s'il
est opportun d'exiger de l'auteur d'une tentative qu'il annule les actes qu'il a posés, et, si oui,
lesquels.
Il faut tout d'abord distinguer deux cas de figure en fonction de l'avancée de la tentative.
Dans le cas de l'infraction suspendue, c'est-à-dire lorsque l'agent n'a pas pu poser tous les actes
nécessaires à la consommation de l'infraction, alors le simple renoncement de l'agent à son projet
criminel suffira à en empêcher la survenance. Dans le cas de l'infraction manquée, en revanche,
l'agent a posé tous les actes qui lui semblaient nécessaires et, bien que sa volonté criminelle le
quitte, son dessein initial se réalisera peut-être.
Il nous semble donc que dans le premier cas, il n'est pas nécessaire d'exiger de l'agent qu'il
prenne des mesures tendant à annuler ses agissements. Dans le second cas, il nous paraît
indispensable, pour que la défense d'abandon soit reconnue, de requérir qu'il efface ce qu'il a fait.
Ne pas imposer cette exigence rendrait bien difficile la preuve de la disparition de l'intention
criminelle, mais plus grave encore, ôterait tout intérêt à la reconnaissance de la défense
d'abandon. Par exemple, A sectionne les câbles de frein de B dans l'espoir de provoquer un
accident mortel, puis se ravise. Admettre la défense de désistement sans exiger que A remette en
état le véhicule de sa victime, ou à tout le moins, prévienne B, serait contre-productif.
Il convient alors de déterminer quels sont les actes que l'agent devra neutraliser. Comme
nous l'avons vu précédemment, les actes préparatoires correspondent aux agissements de l'auteur
d'une infraction en vue de préparer cette dernière. Il s'agit donc généralement de comportements
équivoques, et qui ne sont pas, en eux-mêmes, particulièrement dangereux pour la société. Dès
66
lors, il nous semble excessif d'exiger que l'auteur d'une tentative qui souhaite bénéficier de la
défense d'abandon annule ses actes. Par exemple, il serait absurde d'exiger de la personne qui
achète un couteau, dans le but de poignarder son voisin, de se débarrasser de ce couteau. L'achat
de cet ustensile, dès lors que l'animus necandi a disparu, est parfaitement inoffensif.
Le commencement d'exécution, en revanche, est un acte bien plus avancé, et parfois très
dangereux. Il faut alors distinguer les actes qui peuvent être annulés de ceux qui ne le peuvent
pas. Le fait de tenir sa victime en joue, par exemple, ne peut être annulé. L'auteur de la tentative
pourra baisser son arme et se désister, mais il lui sera impossible d'effacer le fait qu'il ait, à un
moment donné, tenu en joue sa victime. A l'inverse, certains commencements d'exécution ont des
conséquences matérielles, lesquelles peuvent être modifiées. Par exemple, si A désactive le
système de surveillance vidéo d'un magasin dans l'espoir de le cambrioler, il peut se raviser et
réactiver le système.
Les actes devant être neutralisés par l'auteur de la tentative varieront donc selon les
situations. Néanmoins, il demeure une certitude : lorsque la volte-face de l'auteur de l'infraction
ne suffira pas à empêcher sa consommation, il sera indispensable qu'il neutralise les actes qu'il a
déjà posés. Ainsi, dans l'hypothèse de l'agent qui met en joue sa victime, le désistement suffit.
Pour finir, il s'agit maintenant d'établir quelles seraient les conséquences, en droit
canadien, d'une telle reconnaissance sur l'infraction de tentative d'une part, et sur les autres
infractions inchoatives d'autre part.
La reconnaissance de la défense d'abandon en droit canadien pourrait effectivement avoir
pour effet de modifier l'infraction de tentative. Nous avons vu que l'exigence de l'absence de
désistement volontaire en droit français expliquait la plus grande souplesse de ce droit concernant
l'appréciation du critère de la proximité temporelle. Il nous semble donc qu'en droit canadien, une
telle reconnaissance conduirait également à une plus grande souplesse dans l’appréciation du
critère de la proximité temporelle.
Pour constater une plus grande rigueur dans l'appréciation du critère de la proximité
67
temporelle en droit canadien, nous nous fondions sur les mots du juge Dalphond. Ce dernier
estimait que la durée qui devait s'écouler avant la réalisation de l'infraction était trop importante,
et que l'agent disposait encore de « temps pour changer d'idée, par exemple cibler une nouvelle
victime, ce qui aurait mis fin au projet en voie de préparation »189
.
Ainsi, puisque la défense d'abandon permettrait de cantonner l'infraction de tentative aux
seuls cas où l'agent est peu susceptible de changer d'avis, cette rigueur dans l'appréciation du
critère de la proximité temporelle n'aurait plus, selon nous, la même importance.
De plus, on peut également se demander si l'application d'une peine moindre que celle
prévue pour l'infraction consommée serait encore justifiée si l'on permettait à l'auteur de la
tentative de se raviser une fois franchi le stade du commencement d’exécution. En effet, le droit
canadien réserve à l'infraction de tentative une peine généralement moins grave que celle prévue
pour l’infraction reprochée190
. Si l'on considère que cette clémence découle d'une moindre
culpabilité morale de l'auteur de la tentative, alors elle devra disparaître lors de la reconnaissance
de la défense d'abandon.
La reconnaissance de la défense d'abandon en droit canadien agirait en quelque sorte
comme une redéfinition de l'infraction de tentative. Cette dernière ne concernerait que les agents
qui avaient l'intention apparemment irrévocable de mener à bien leur projet criminel. Dès lors,
dans l'hypothèse où le quantum de la peine ne dépend que de la culpabilité morale de l'agent, plus
rien ne justifierait une différence de peine entre la tentative et l'infraction projetée.
Il faut également s'interroger sur les conséquences de cette éventuelle reconnaissance de
la défense d'abandon pour l'infraction de complot191
. En effet, nous avons vu que la défense
d'abandon était d'ores et déjà possible en droit canadien pour l'incitation de l'article 21 (1) du
Code criminel192
; il est indispensable de songer à sa reconnaissance concernant l'infraction de
189 Rudnicki, supra note 75 au para 26.
190 Code criminel, supra note 11, art 463.
191 Code criminel, supra note 11, art 465.
192 Ibid, art 21 (1).
68
complot, afin d'homogénéiser le régime des infractions inchoatives.
L'infraction de complot en droit canadien réprime la simple volonté exprimée et partagée
de commettre une infraction, elle n'exige aucun acte matériel. Le repentir suite à l'entente ne fait
donc pas échec à la condamnation193
. Comme nous l'avons vu précédemment, le législateur
canadien réprime plus sévèrement le complot que l'infraction de tentative puisqu'il est puni
comme l'infraction projetée, ce dont il découle que le législateur se méfie davantage du
conspirateur que de l'auteur d'une tentative.
Pourtant, la reconnaissance de la défense d'abandon concernant l'infraction de complot ne
nous semble pas impossible. Cependant, les conditions doivent s'adapter à la spécificité de cette
infraction. Pour qu'il y ait conspiration, l'inculpé doit avoir l'intention de s'entendre avec autrui et
de voir l'infraction convenue se réaliser.
Dès lors, la défense d'abandon exigerait la volonté d'abandonner le projet criminel
convenu et la communication non équivoque et en temps utile de cette volonté. La
communication en temps utile correspondrait à celle qui intervient avant la survenance de
l'infraction projetée. De plus, tout comme ce qui est exigé dans l'affaire Gauthier194
, il nous
semble que le conspirateur devrait tenter d'annuler les actes qu'il a posés dans le but de voir
l'infraction projetée se réaliser.
Ainsi, avec la reconnaissance de la défense d'abandon concernant l'infraction de complot,
les conspirateurs auraient tout intérêt à abandonner leur projet criminel, ce qui réduirait les
chances de voir l'infraction projetée se réaliser.
193 R. c. Pizzardi, [1994] 3 RCS 1018.
194 Gauthier, supra note 183 au para 50.
69
Chapitre 2 : Les conséquences du rehaussement de l'élément psychologique
Le rehaussement de l'élément psychologique de l'infraction de tentative est donc un
phénomène commun au droit canadien et au droit français, puisque tous deux exigent un degré
d'intention spécifique. Il convient alors de voir quelles sont les conséquences de ce rehaussement
sur l'infraction de tentative, et notamment sur son champ d'application et sur sa répression.
En effet, bien que l'infraction de tentative soit, en droit canadien comme en droit français,
une infraction autonome, elle doit nécessairement se conjuguer à une seconde infraction.
Toutefois, l'infraction de tentative n'est pas destinée à se conjuguer à toutes les autres infractions.
Le rehaussement de l'élément psychologique de l'infraction de tentative aura nécessairement des
conséquences sur la détermination des infractions qu'elle concerne.
Le rehaussement de l'élément psychologique peut également avoir des conséquences sur
la répression de l'infraction de tentative. En effet, la répression dépend généralement de l'intensité
de la culpabilité morale de l'agent. Or, en rehaussant l'élément psychologique requis, l'infraction
de tentative se trouve confinée à des cas de culpabilité morale accrue. Il est donc intéressant de
voir quelles seront les conséquences de ce rehaussement sur la répression.
2.1. Le champ d'application de l'infraction de tentative
Il nous semble en effet indiscutable que le rehaussement de l'élément psychologique
influe sur le champ d'application légal de l'infraction de tentative. En effet, puisqu'il s'agit d'une
protection supplémentaire accordée à la valeur défendue par un texte incriminateur, le législateur
réserve la tentative à certaines infractions, considérées comme plus dangereuses.
En outre, le rehaussement de l'élément psychologique fait de l'intention criminelle la
priorité de la répression. Dès lors, l'existence d'un risque n'est plus la condition sine qua non de
l'intervention du droit pénal, lequel peut alors intervenir plus largement.
70
Toutefois, cet élargissement du champ d'application de la tentative conserve certaines
limites, notamment celle du principe de la légalité criminelle.
2.1.1. Le champ d'application de l'infraction de tentative
Il conviendra de s'intéresser d'abord au champ d'application légal de la tentative, puis de
voir quelles sont les délimitations qui s'opèrent en pratique.
Au Canada, l'article 34 (2) de la Loi d'interprétation fédérale195
prévoit que les
dispositions du Code criminel s'appliquent à toutes les infractions créées par un texte législatif.
La tentative concerne donc toutes les infractions fédérales. Le domaine provincial, en revanche,
n'entre pas dans le champ d’application de l'article 24 du Code criminel196
. La mise en place d'un
texte de loi explicite sera alors nécessaire pour poursuivre la tentative.
Il semble donc que la tentative concerne principalement les infractions les plus graves.
Pierre Rainville explique le lien qui existe entre l'infraction de la tentative et la gravité des
infractions :
la répression de la tentative est de principe en matière criminelle; la tentative
échappe, au contraire, à la répression générale en matière réglementaire provinciale.
Autrement dit, l’incrimination de la tentative s'explique en partie par la gravité du
comportement projeté par l'accusé. Or, tenir compte de la gravité de l'infraction
projetée revient à tenir compte de la nature du risque de préjudice en cause197
.
Cette dernière remarque vaut tout autant pour le droit français ; la notion de risque de
préjudice est donc au centre de la théorie de la tentative. En effet, l'existence d'un risque justifie
l'existence de l'infraction de tentative, et l'intensité de ce risque de préjudice permet d'en définir
les limites répressives198
.
195 Loi d'interprétation fédérale, L.R.C. (1985), ch. I-21, art 34 (2).
196 Code criminel, supra note 11, art 24.
197 Rainville, « Gradation », supra note 62 à la p 913.
198 Ibid aux p 913-914.
71
En France, l'article 121-4 2° du Code pénal199
prévoit que la tentative est toujours
punissable pour les crimes200
, mais l'est en matière de délits201
uniquement lorsque la loi le
prévoit202
. Comme en droit canadien, il existe donc une corrélation entre la gravité de l'infraction
et le champ d'application de l'infraction de tentative.
Jean Pradel relève à ce propos que « lorsque la loi ne prévoit pas la tentative de délit, c'est
que la chose serait soit inconcevable (par ex.homicide involontaire de l'art. 221-6, C.P.), soit
inutile (par ex., corruption de fonctionnaire, l'art. 432-11, C.P., visant la sollicitation de
dons) »203
. Soyer et Fréjaville, quant à eux, estiment qu' « [u]ne contravention n'est pas une
infraction assez grave pour qu'il y ait intérêt, au point de vue social, à en réprimer la simple
tentative »204
.
En revanche, le législateur français reste muet quant à la tentative de contravention.
Jacques-Henri Robert considère que « cette solution n'a pas d'inconvénients pratiques, car la
plupart des contraventions sont des infractions formelles qui constituent déjà, comme la tentative
elle-même, des ''ouvrages avancés de la répression'' »205
.
Afin de dresser une représentation fidèle du champ d'application de l'infraction de
tentative, nous ne pouvons nous contenter d'évoquer les délimitations légales. En effet, si le
législateur français n'a exclu aucune catégorie d'infractions du domaine de la tentative, certains
auteurs de doctrine, parfois même des juges, relèvent de nombreuses incompatibilités de fait.
Pour Michèle-Laure Rassat, par exemple, l'infraction de tentative ne peut concerner
qu'une infraction de commission puisque la tentative d'une infraction d'omission « se confond
avec l'infraction consommée qui l'absorbe en quelque sorte : celui qui hésite devant la nécessité
199 Art 121-4 2° C pén.
200 Les crimes sont les infractions les plus graves et se distinguent des autres infractions par leur peine encourue
qui est de plus de dix ans de réclusion criminelle.
201 Les délits sont les infractions de gravité intermédiaire, dont la peine encourue ne peut dépasser dix ans
d'emprisonnement.
202 Art 121-4 2° C pén.
203 Pradel, supra note 82 à la p 347.
204 Marcel Fréjaville et Jean-Claude Soyer, Manuel de droit criminel, 9e éd, Paris, LGDJ 1960 à la p 33.
205 Robert, supra note 47 à la p 215.
72
de porter secours s'abstient et consomme l'infraction »206
. Cette restriction n'a pas lieu en droit
canadien puisque l'article 24 du Code criminel vise expressément l'action et l'omission207
.
De même, toujours selon Michèle-Laure Rassat, la tentative des infractions de résultat
n'est pas réprimée étant donné que « la peine de l'infraction consommée qui devrait servir de
critère pour fixer la sienne est indéterminable puisqu'elle est fonction d'un résultat qui ne s'étant
pas produit ne peut être connu »208
. Cette position nous semble excessive puisqu'il est possible,
pour la jurisprudence, d'analyser la teneur et la violence des coups portés par l'agresseur.
Selon Philippe Salvage, « les infractions formelles ne laissent [...] pas place aux
structures de la tentative »209
. Conte et Maistre du Chambon affirment le contraire : « [l]orsqu'un
texte permet de conclure à l'incrimination de la tentative, elle est donc réprimée, quel que soit le
type d'infraction auquel on a affaire. Peu importe notamment que l'infraction soit formelle, même
si la répression frappe alors, au fond, une tentative de tentative »210
. Yves Mayaud adopte une
conception intermédiaire : sans exclure totalement la tentative des infractions formelles et des
délits-obstacles, il reconnaît que « [p]lus la consommation légale est placée en retrait du résultat
redouté, plus la tentative se restreint donc, voire devient difficilement concevable, faute d'une
assise matérielle suffisante pour la rendre efficiente »211
. La répression de la tentative des
infractions formelles et des infractions-obstacles dépendra donc de l'infraction en cause.
Il en va de même en droit canadien. Comme nous l'avons vu, la Cour suprême a
notamment estimé que la tentative de complot n'existait pas en droit canadien puisque son
existence reviendrait à « condamner une personne pour avoir tenté une tentative... »212
.
Enfin, la chambre criminelle de la Cour de cassation a laissé entendre qu'en principe, la
tentative était exclue pour les délits non intentionnels : « le verbe 'tenter'' impliquant en lui-même
206 Michèle-Laure Rassat, Droit pénal général, 3e éd, Paris, Ellipses 2014 à la p 329 [Rassat].
207 Code criminel, supra note 11, art 24 (1).
208 Rassat, supra note 206 à la p 329.
209 Philippe Salvage, Droit pénal général, 5e éd, Saint-Martin-d'Hères (Isère), PUG, 2001 à la p 40.
210 Conte et Chambon, supra note 1 à la p 173.
211 Mayaud, supra note 76 à la p 309.
212 R. c. Déry, 2006 CSC 53 à la p 674.
73
la volonté de commettre l'acte incriminé... »213
. Conte et Maistre du Chambon partagent ce point
de vue : « les infractions non intentionnelles sont par définition incompatibles avec la tentative,
qui suppose l'intention de consommer l'infraction... »214
.
En droit canadien, les infractions exigeant un degré d'intention moindre ne seront pas
exclues du champ d'application de la tentative, mais verront une revalorisation de leur élément
mental. Dans l'affaire Colburne, par exemple, la Cour d'appel du Québec a estimé que la tentative
de commettre une infraction de responsabilité absolue nécessitait que l'auteur ait voulu la
survenance des éléments constitutifs de l'infraction215
. Le champ d'application de l'infraction
de tentative est donc plus étendu en droit canadien puisque l'élément psychologique de
l'infraction projetée s'adapte à celui de la tentative.
Il convient désormais de voir quel est le sort réservé, en droit canadien et en droit français,
à l'infraction irréalisable ou impossible.
2.1.2. Le cas de l'infraction irréalisable ou impossible
Le rehaussement de l'élément psychologique de l'infraction de tentative permet également
d'assimiler à cette dernière l'infraction irréalisable ou impossible. En effet, si ce rehaussement a
pour objectif de compenser la diminution de l'actus reus de l'infraction de tentative, il permet
également de pallier l'absence quasi totale d'élément matériel.
Nous avons vu que l'élément matériel de la tentative se trouvait diminué en ce qu'il ne
comprenait qu'un comportement, mais sans conséquence matérielle, et donc sans aucun lien de
causalité. L'élément matériel de l'infraction impossible se trouve encore plus diminué puisque s'il
comprend également un comportement, ce dernier n'était susceptible d'entraîner aucune
conséquence matérielle. C'est donc l'impossibilité totale de causer le préjudice requis qui éloigne
davantage l'infraction impossible de l'infraction consommée.
213 Cass crim, 22 juin 1988, Bull crim, n° 284 à la p 760.
214 Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon, Droit pénal général, 7e éd, Dalloz, Paris, 2004 à la p 115
[Conte et Maistre du Chambon].
215 Colburne, supra note 144, au para 63.
74
En effet, l'infraction impossible correspond à l'hypothèse dans laquelle le résultat de
l'infraction était « insusceptible de se produire par suite d'une impossibilité matérielle ignorée de
l'agent, quelle que soit la diligence de celui-ci »216
. L'infraction impossible peut donc comporter
un certain élément matériel, mais ce dernier sera encore moins complet que celui de la tentative
puisqu'une condition indispensable à la consommation de l'infraction fera défaut.
Par exemple, le fait de tirer un coup de feu sur un cadavre -tout en croyant qu'il s'agit
d'une personne vivante- constituera une infraction impossible. L'acte matériel, à savoir le coup de
feu, sera bien présent, mais l'existence d'une personne vivante fera défaut. Pourtant, cette
infraction impossible sera assimilée à une tentative de meurtre si l'intention correspondante
existe.
En revanche, il convient de préciser que cette impossibilité doit être ignorée de l'auteur de
l'infraction impossible. En effet, comment estimer que ce dernier avait la ferme intention de
commettre une infraction en posant des gestes qu'il savait impropres à la réaliser ?
Certains auteurs ont développé la thèse de l'impunité absolue, en expliquant qu'il ne
pouvait y avoir de commencement d'exécution d'une infraction impossible. Selon eux,
l'impossible ne pouvant être réalisé, il ne peut donc davantage être commencé217
. A l'inverse,
d'autres auteurs ont défendu la thèse de la répression, arguant que l'auteur de l'infraction
impossible présentait un état dangereux équivalant à celui de l'auteur d'une tentative, puisque
« s'il n'avait été stoppé par des circonstances extérieures à sa volonté, il aurait causé un
dommage à l'ordre public »218
.
C'est cette seconde solution qui fut retenue par le droit canadien et le droit français219
. En
effet, l'impossibilité de commettre l'infraction ne constitue pas, en droit français comme en droit
canadien, un obstacle à la poursuite d'une infraction puisque la poursuite « n'est jamais tenue de
216 Pradel, supra note 82 à la p 355.
217 Garraud, supra note 173 à la p 171.
218 Marie-Christine Sordino, Droit pénal général, 2e éd, Paris, Ellipses, 2005 à la p 95 à la n 1.
219 Cass crim, 9 novembre 1928, Époux Fleury, DP 1929 1 97 note Henry ; JCP 1929 239, note Garraud.
75
prouver la faisabilité du dessein criminel du prévenu »220
.
L'infraction impossible est alors répréhensible au titre de la tentative dès lors que le stade
du commencement d'exécution a été franchi, et ce, quelle que soit la cause de l'impossibilité. La
Cour suprême estime notamment que « le par. 24(1) n'établit aucune distinction entre la tentative
d'infraction possible à l'aide de moyens inefficaces, la tentative d'infraction impossible
matériellement et la tentative d'infraction impossible « à l'issue de l'exécution ». Ce sont toutes
des tentatives d'infractions « impossibles en fait » et toutes sont des crimes »221
.
Cette absence de distinction entre les causes d'impossibilité de réalisation de l'infraction
nous paraît tout à fait opportune. En effet, ces trois hypothèses supposent la même culpabilité
morale de la part de l'agent, et la même absence de risque pour le corps social, puisque dans les
circonstances, l'infraction ne pouvait se réaliser.
Il s'agit donc d'une forme de répression pénale « en l'absence de tout risque de
préjudice »222
. La culpabilité morale de l'auteur de l'infraction impossible permet alors de
compenser cette absence de risque. Cette solution est expressément prévue à l'article 24 du Code
criminel (« qu'il fût possible ou non, dans les circonstances »)223
. En droit français, elle découle
de plusieurs arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation224
.
Le bien-fondé de cette solution nous semble évident. Elle s'inscrit dans la suite logique de
la théorie de la tentative, qui n'exige pas d'attendre que le mal soit fait pour intervenir. La
culpabilité morale de l'agent ne faisant aucun doute, il convient de le punir pour sa tentative.
Toutefois, il ne faudrait pas se fourvoyer sur les raisons de la répression de l'infraction
impossible. L'assimilation de cette infraction à la tentative est justifiée par la culpabilité morale
de l'agent et non par la possibilité qu'il retente un jour sa chance dans des conditions plus
favorables. En effet, cette seconde justification ne peut valoir puisqu'elle reviendrait à poursuivre
une personne pour des actes qu'elle n'a pas encore commis.
220 Rainville, « Gradation », supra note 62 à la p 955.
221 États-Unis d'Amérique c. Dynar, [1997] 2 RCS 462, au para 67 [Dynar].
222 Rainville, « Gradation », supra note 62 à la p 957.
223 Code criminel, supra note 11, art 24 (1).
224 Voir par ex Cass crim, 16 janvier 1986, Perdereau, Bull crim n° 234.
76
Si le droit canadien et le droit français ont fait le choix d'assimiler à l'infraction de
tentative l'infraction impossible, il convient de voir quel sort ils ont réservé à l'infraction
imaginaire.
2.1.3. Le cas de l'infraction inexistante ou imaginaire
L'infraction inexistante ou imaginaire correspond à l'hypothèse de l'agent qui adopte un
comportement, qu'il croit illégal, et qui n'est pourtant nullement incriminé par la loi. On parle
alors d'infraction inexistante ou imaginaire puisqu'il ne s'agit d'une infraction que dans l'esprit de
son auteur, peu importe que ce dernier croie ou souhaite enfreindre la loi. Or, en réalité, aucune
règle de droit n'est transgressée.
Ainsi, l'infraction inexistante ou imaginaire se distingue de la tentative parce qu'elles ne
sont pas composées des mêmes éléments. En effet, la tentative comporte un élément légal, un
élément psychologique mais pas d'élément matériel, ou un élément matériel incomplet.
L'infraction imaginaire, en revanche, ne correspond à aucun texte de loi, et ne possède donc
aucun élément légal.
L'infraction inexistante, ou imaginaire, n'est poursuivie ni par le droit canadien ni par le
droit français. En effet, le principe de légalité, reconnu à la fois en droit canadien225
et en droit
français226
, s'y oppose catégoriquement.
Poursuivre les infractions inexistantes ou imaginaires reviendrait également à nier la
raison même du droit pénal. Ce dernier ne doit intervenir qu'en présence d'un mal, afin de
protéger une valeur que la société souhaite sauvegarder. Or, si aucune infraction n'est créée, alors
c'est que la société, par la voix du législateur, n'a souhaité protéger aucune valeur particulière.
L'incrimination de l'infraction inexistante n'aurait donc aucun sens puisque l'agent n'a porté
atteinte à aucune valeur protégée.
En effet, la Cour suprême a considéré que « celui qui accomplit effectivement un acte qui
225 Code criminel, supra note 11, art 6 ; Code criminel, supra note 11, art 9.
226 Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 26 août 1789, art 8.
77
n'est pas un crime, croyant que ce qu'il a fait ou tenté est un crime, ne montre aucune propension
à la perpétration de crimes, sauf que sa conduite trahit peut-être une vague volonté d'enfreindre
la loi »227
. Or, la simple volonté d'enfreindre la loi ne suffit pas pour justifier l'intervention du
droit pénal.
Il convient désormais de distinguer l'infraction imaginaire d'un autre type d'infraction, à
savoir l'infraction putative. Selon Dreyer, « [l]'infraction putative est une infraction que l'agent
croit avoir commise mais qui ne tombe objectivement sous le coup d'aucune loi pénale : il croit
avoir commis une infraction mais celle-ci n'est pas constituée »228
.
L'infraction putative se distingue donc de l'infraction imaginaire en ce qu'elle comporte un
élément légal. En effet, il existe un texte de loi qui réprime l'infraction que l'agent a cru
commettre, mais en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, l'agent n'a pas
réellement commis ladite infraction. Dreyer utilise un exemple probant : la personne qui se marie
une seconde fois en pensant commettre le délit de bigamie229
n'aura commis aucune infraction si
son premier mariage a été dissous par le décès de son époux, survenu à son insu230
.
Il nous semble qu'en de telles circonstances, l'infraction est commise. En effet, si
l'infraction de tentative pallie l'absence de la survenance d'un résultat -la mort d'une personne par
exemple-, elle peut pallier l'absence d'une circonstance de l'infraction. Dans cette hypothèse, le
principe de légalité ne s'oppose plus à une intervention du droit pénal. De plus, il ne s'agit plus,
en l'espèce, d'une vague volonté d'enfreindre la loi mais bien du mépris d'une règle protégée.
En effet, certains cas dénotent une culpabilité morale élevée. Par exemple, A a un rapport
sexuel avec B, tout en étant convaincu que ce dernier n'est pas consentant. A pense donc
commettre un viol, et fait preuve d'un mépris certain à l'égard de la liberté sexuelle de B. Or, il se
trouve que B était consentant lors de leur rapport. La question est de savoir si la culpabilité
morale élevée de A est suffisante pour justifier une condamnation pénale.
227 Dynar, supra note 221 au para 66.
228 Dreyer, supra note 4 à la p 672.
229 Art 433-20 C pén.
230 Dreyer, supra note 4 à la p 672.
78
Il nous semble que oui puisqu'il ne s'agit plus de réprimer, comme dans le cas de
l'infraction imaginaire, une atteinte qu'aucune infraction ne vient anticiper, mais plutôt la volonté
de l'agent quant à la possibilité qu'il avait d'enfreindre la loi pénale.
2.2. La répression de l'infraction de tentative
Il convient désormais de s'intéresser aux répercussions du rehaussement de l'élément
psychologique de l'infraction de tentative sur sa répression. Nous verrons donc dans un premier
temps de quelle manière le Canada et la France répriment cette infraction.
Dans un second temps, il conviendra de déduire de leur choix répressif respectif la
conception de l'infraction à laquelle chacun de ces systèmes adhère.
2.2.1. Une différence de répression
L'article 463 du Code criminel fait dépendre la peine ainsi que la procédure applicable
pour l'infraction de tentative de celle de l'infraction projetée231
. L'auteur d'une tentative d'un acte
criminel punissable de l'emprisonnement à perpétuité encourt un emprisonnement maximal de
quatorze ans et l'auteur d'une tentative d'un acte criminel punissable d'un emprisonnement de
quatorze ans ou moins encourt un emprisonnement égal à la moitié de la durée de
l'emprisonnement maximal prévue pour l'infraction projetée.
En France, la peine de l'infraction de tentative est également liée à celle de l'infraction
projetée. Conte et Maistre du Chambon expliquent que « l'auteur d'une tentative encourt la même
peine que l'auteur de l'infraction consommée. Résultant implicitement de l'article 121-4, la
solution est expressément affirmée par les textes qui incriminent spécialement la tentative de tel
ou tel délit »232
.
Malgré cette sévérité prévue par les textes, les juges français demeurent libres d'adapter la
231 Code criminel, supra note 11, art 463.
232 Conte et Maistre du Chambon, supra note 214 à la p 182.
79
peine et plusieurs auteurs relèvent que celui qui commet une tentative se verra généralement puni
moins sévèrement que s'il avait commis l'infraction projetée.
Ainsi, alors que le législateur canadien réserve en principe une peine moins sévère à
l'auteur d'une tentative, le législateur français le sanctionne comme s'il avait perpétré l'infraction.
Cette différence de traitement est révélatrice d'une conception différente de l'infraction dans les
deux systèmes.
2.2.2. Une différence de conception
Selon Conte et Maistre du Chambon, la tentative est « l'occasion privilégiée d'un conflit
entre les conceptions objective et subjective de l'infraction »233
. C'est pourquoi nous ne pouvions
clore notre analyse de droit comparé sans nous interroger sur la conception de l'infraction retenue
dans chacun des deux systèmes que nous venons d'étudier.
La conception objective se résume dans la formule de Beccaria selon laquelle « la vraie
mesure des crimes est le tort qu'ils font à la nation, non l'intention du coupable... »234
. Dès lors,
en l'absence de préjudice, le droit pénal n'a pas, ou moins de raison d'intervenir.
En droit canadien, on retrouve une certaine influence de cette conception, notamment
dans le choix législatif d'appliquer une peine moindre à l'auteur de la tentative. Bien que la prise
en compte de la culpabilité morale de l'agent reste primordiale, cette clémence à l'égard de celui
qui n'achève pas son dessein criminel prouve l'importance accordée par le droit canadien à la
survenance du dommage, du préjudice.
A l'inverse, la conception subjective de l'infraction est celle qui met l'accent sur l’élément
psychologique de l'infraction. Elle commande donc de punir une intention, même si cette dernière
n'est pas rattachée à un acte matériel.
Le choix du législateur français démontre donc sa préférence pour la conception
233 Ibid à la p 172.
234 Cesare Beccaria, Des délits et des peines, 1764.
80
subjective de l'infraction. En effet, Jean Larguier explique que l'article 121-4 du Code pénal235
« traduit la tendance de la loi à tenir compte de la puissance de nuire plus que de l'acte
matériel », ce qui a, selon lui, « l'avantage de mettre en relief l'aspect subjectif de l'infraction : à
intention égale répression égale »236
.
235 Art 121-4 C pén.
236 Larguier, supra note 42 à la p 26.
81
Conclusion
Ainsi donc, le Canada et la France utilisent la même technique pour instaurer une
répression prophylactique. En effet, c'est en jouant avec les éléments psychologique et matériel
de l'infraction de tentative qu'ils parviennent à mettre en place une répression anticipée tout en
s'assurant de la culpabilité morale de l'agent.
La diminution de l'actus reus permet d'appréhender des comportements qui se trouvent en
amont de l'atteinte effective de la valeur. Cette diminution concerne tout d'abord le nombre de
composantes de l'élément matériel puisque celui de la tentative ne comprend qu'un
comportement, mais pas de résultat ni de lien de causalité. La diminution concerne ensuite la
nature même du comportement exigé, puisqu'il ne s'agit pas d'un acte accompli mais seulement
d'un commencement d'exécution.
Au Canada et en France, la notion de commencement d'exécution repose sur les trois
mêmes critères jurisprudentiels que sont la proximité temporelle, la proximité géographique et la
proximité causale. Ils permettent de confiner l'intervention du droit pénal à des actes assez
proches de l'infraction projetée, et de laisser impunis les actes préparatoires.
En revanche, si les exigences de proximité géographique, et de proximité causale sont
appliquées de la même manière dans les deux systèmes juridiques, il semble que le Canada
applique de manière plus stricte le critère de la proximité temporelle. Cette plus grande rigueur
dans l'application du critère de la proximité temporelle a pour but de réduire au maximum les
chances que l'auteur de la tentative se ravise.
Cette rigueur n'est pas celle des tribunaux français, lesquels peuvent compter sur
l'exigence de l'absence de désistement volontaire de l'article 121-5 du Code pénal pour s’assurer
de la détermination de l'agent. Le Canada et la France poursuivent donc un seul et même but de
deux manières différentes.
Quant aux autres critères, on constate que les juges canadiens comme français éprouvent
82
quelques difficultés à se contenter des critères énoncés par la jurisprudence et s'intéressent parfois
à la personnalité ou au passé pénal de l'auteur de la tentative.
Nous avons également pu constater qu'au Canada comme en France, la réduction de
l'élément matériel de l'infraction de tentative avait ses limites. En effet, aucun de ces deux
systèmes ne juge souhaitable d'incriminer une simple intention, une simple volonté criminelle.
Pour éviter cela, l'infraction de tentative ne peut se conjuguer, selon nous, avec certaines
infractions telles que l'association de malfaiteurs237
ou le complot238
. Le Canada et la France, bien
qu'ils aient tous deux admis la nécessité de mettre en place une anticipation dans la répression,
savent donc poser des limites à cette répression.
Ces limites qui permettent de préserver les justiciables d'une condamnation arbitraire
découlent en partie du rehaussement de l'élément moral de la tentative. En effet, le Canada
comme la France exigent pour l'infraction de tentative un degré de mens rea plus élevé. Dans les
deux cas, ce rehaussement a pour effet de compenser la diminution de l'actus reus. En effet, ni
l'un ni l'autre ne se contente de l'insouciance, et cette exigence d'une intention spécifique imposée
dans les deux systèmes a des répercussions similaires concernant les moyens de défense, mais
également sur le champ d'application de l'infraction de tentative.
C'est en effet ce rehaussement qui permet, au Canada comme en France, d'assimiler
l'infraction impossible à la tentative. Or, le rehaussement de l'élément moral ne permet pas
d'appréhender l'infraction imaginaire puisque la culpabilité morale d'un agent, aussi élevée soit-
elle, ne permet jamais de neutraliser le principe de la légalité.
Toutefois, si le rehaussement psychologique est imposé dans les deux cas, la France se
montre plus exigeante puisque le sort réservé au désistement volontaire par le Code pénal revient
à exiger une intention irrévocable. Cette différence de degré de l'intention criminelle explique la
différence de répression appliquée dans les deux États.
En effet, l'exigence d'une intention irrévocable ne permet plus de distinguer la culpabilité
237 Art 450-1 C pén.
238 Code criminel, supra note 11, art 465.
83
morale de l'auteur de la tentative de celle de l'auteur de l'infraction consommée. Dès lors, la
France étant particulièrement marquée par la conception subjective de l'infraction, il lui est
difficile de ne pas les punir de la même manière.
Malgré ces quelques différences au sein de l'infraction de tentative, force est de constater
que le Canada et la France, bien que leurs systèmes juridiques respectifs ne se soient pas construit
à partir des mêmes traditions juridiques, usent d'un même procédé pour assurer une répression
prophylactique, sans compromettre l'exigence d'un degré suffisant de culpabilité morale.
Ces deux systèmes juridiques ont donc su parvenir, concernant l'infraction de tentative, à
un juste équilibre entre la nécessaire anticipation de la répression et l'exigence de culpabilité
morale. Il ne reste plus qu'à espérer que ce fragile équilibre perdurera, et ce malgré la tendance
actuelle du droit pénal à s'approcher au maximum du degré de risque « zéro ».
84
Index alphabétique
Actes préparatoires …........................................................ Pages 4, 5, 26, 28, 36, 38, 62
Actus reus …..................................... Pages 14, 16, 18, 19, 22, 25, 33, 37, 39, 40, 43, 70
Association de malfaiteurs …............................................................ Pages 5, 36, 37, 38
Commencement d'exécution …................ Pages 7, 17, 18, 20, 25, 26, 27, 28, 40, 63, 71
Complot …............................................................................. Pages 4, 36, 37, 38, 64, 65
Conception objective de l'infraction …............................................................... Page 76
Conception subjective de l'infraction ….................................................... Pages 5, 9, 76
Désistement volontaire …........................................ Pages 24, 25, 54, 55, 56, 57, 59, 63
Dol éventuel …............................................................................................ Pages 46, 52
Dol indéterminé …....................................................................................... Pages 47, 48
Dol spécial …......................................................................................... Pages 49, 50, 57
Élément matériel ….................................................................................. Voir Actus reus
Élément psychologique …......................................................................... Voir Mens rea
Infraction impossible …..................................................................... Pages 9, 70, 71, 72
Incitation infructueuse …............................................................................. Pages 31, 32
Infraction inchoative …................................................................................ Pages 30, 31
Infraction irréalisable …......................................................... Voir Infraction impossible
Infraction manquée …...................................................................... Pages 40, 41, 42, 62
Insouciance ….................................................................................. Pages 46, 47, 48, 50
Intention spécifique …..................................................................... Pages 49, 50, 51, 57
Mandat criminel …........................................................................................ Pages 5, 32
Mens rea ….................... Pages 14, 42, 43, 46, 47, 48, 49, 50, 52, 53, 57, 58, 66, 73, 76
Repentir actif …........................................................................................... Pages 25, 55
Violences volontaires …............................................................. Pages 34, 35, 36, 45, 53
Voies de fait …............................................................................................. Pages 33, 34
85
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R. c. Boudreau, 2005 CarswellNS 81, 2005 NSCA 40, [2005] N.S.J. No. 78, 193 C.C.C.
(3d) 449, 231 N.S.R. (2d) 81, 28 C.R. (6th) 281, 64 W.C.B. (2d) 146, 733 A.P.R. 81.
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87
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