edition multimédi@ 120 lundi 23 mars 2015
DESCRIPTION
Publication professionnelle sur l'économie numérique et les nouveaux médiasTRANSCRIPT
Edition Multimédi@ : Le groupe Amazon est
présent au Salon du livre de Paris encore cette
année (après une absence remarquée en
2013) : que présentez-vous ?
Marie-Pierre Sangouard : Cette année nous
serons à nouveau présents au Salon du livre
avec notre stand Kindle Direct Publishing (KDP)
placé sous le signe de l’auto-édition et de la lecture numérique.
C’est l’occasion pour les visiteurs de se familiariser avec les nou-
velles formes de diffusion de la culture et de simplification de la
création littéraire que nous proposons aux lecteurs d’une part, et
aux auteurs en devenir d’autre part. En ce sens, nous organisons
la 2e édition du « speed dating KDP » à destination des auteurs en
herbe sur notre stand au Salon du livre. Les gagnants seront
publiés via notre programme d’auto-édition KDP et soutenus sur
Amazon.fr pendant un mois : une belle opportunité de se faire
remarquer du grand public, tout comme les plus de 600.000 auteurs
auto-édités présents aujourd’hui sur notre plateforme KDP par-
tout dans le monde. Nos toutes dernières liseuses Kindle seront
également exposées afin de permettre à tous les lecteurs d’en
découvrir les multiples avantages et fonctionnalités.
EM@ : Amazon va devenir aussi une maison d’édition en France
à travers sa nouvelle filiale Amazon Publishing France, dont
l’« éditeur de manuscrits originaux » (Senior Editor Original
Manuscripts) a été recruté en février. Quand lancez-vous cette
activité ?
M-P. S. : Nous avons recruté Clément Monjou en tant qu’éditeur
pour Amazon Publishing en France, dont nous sommes en train
de constituer l’équipe. Il reporte à Dominic Myers, responsable
Europe d’Amazon Publishing et a pour mission de découvrir des
ouvrages de qualité à traduire et à publier en langue française.
Clément travaille pour Amazon depuis plus de deux ans. Nous
avons lancé le 10 mars nos deux
N°120 • Lundi 23 mars 2015
Interview de Marie-Pierre Sangouard, Amazon France ................. 1• Plan anti-piratage : ayants droit et Hadopi contents• Orange mise sur son réseau, agrégrateur de contenus........ 3
Webedia, en sauveur de l’industrie culturelle française .......... 4
Android TV veut faire oublier l'échec de Google TV .................. 5
Fiscalité : la France se met à dos les acteurs du Net ..................... 6
Ce que reproche l'Asic au rapport « France Stratégie » ........... 7
La francophonie sonne la fin de la colonisation numérique ....... 8
Secret des affaires versus liberté d’informer ......................................... 10
Salon du livre, MipTV, Colloque NPA ............................................................... 12
Edition Multimédi@ est une publication bimensuelle paraissant un lundi sur deux
P r o c h a i n n u m é r o : L u n d i 6 a v r i l 2 0 1 5 • A b o n n e m e n t : 0 1 . 3 9 . 1 5 . 6 2 . 1 5
MMoottss--ccllééss :: Abonnement illimité • App Store • Autoédition • Autorégulation • Ayants droits • Contrefaçon • Déréférencement • Editeur • Edition • Edition numérique •
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recherche • Offre légale • Partage de la valeur • Piratage • Plateforme vidéo • Publicité vidéo • Qualité de service • Régulation • Régulation • Réponse graduée • SMAd •
Smartphone • SMS • Statut d'hébergeur • Streaming • Take down Stay down • Taxes • Télévision connectée • Télévision de rattrapage • VOD • Walled garden • 3G • 4K
Economie numérique et nouveaux médiasEdition Multimédi@
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Marie-Pierre Sangouard, Amazon France : « L'accueil de Kindle Unlimited a été très positif »Directrice des contenus Kindle d'Amazon France depuis 2011, après avoir été directrice du livre à laFnac, Marie-Pierre Sangouard nous répond à l'occasion du Salon du livre de Paris sur l'auto-édition, lelivre numérique, la TVA, le format AZW, ainsi que sur le lancement d'Amazon Publishing en France.
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Lundi 23 mars 2015 • n°120Edition Multimédi@
premières traductions de l’anglais vers le français – un
thriller, « Hackeur et contre tous » de Dave Bushi, et
d’une comédie romantique, « Ladden et la lampe mer-
veilleuse » de Stéphanie Bond –, auxquelles viendront
s’ajouter trois autres titres d’ici la fin du mois. Notre
objectif est de publier des fictions issues de genres
variés tels que les thrillers, la littérature sentimentale et
la science-fiction.
EM@ : Depuis votre arrivée en juillet 2011 chez Amazon
France en tant que directrice des contenus Kindle, com-
ment a évolué l’activité « livres » (papier et ebook) dans
l’Hexagone selon vous ?
M-P. S. : Le secteur du livre est en constante évolution et
nous faisons face aujourd’hui à une révolution des usages
qui passe notamment par le numérique, tant en termes
de distribution en ligne, complémentaire à la vente en
librairie, qu’en termes de format, avec l’ebook qui vient
compléter le livre traditionnel. S’agissant de la distribu-
tion, Internet constitue une opportunité pour démocrati-
ser la culture et la rendre accessible au plus grand
nombre, parfaitement complémentaire des réseaux tradi-
tionnels. Ce canal contribue également à la diffusion de la
culture française via la vente de livres en français dans le
monde entier et nous sommes fiers qu’Amazon soit le
premier distributeur hors de France de livres en langue
française avec l’ensemble de ses plateformes dans le
monde. Enfin, l’émergence de l’auto-édition en ligne, qui
permet la découverte de nouveaux talents littéraires, est
une des révolutions majeures de ces dernières années. Il
s’agit d’un tremplin unique qui a permis à de nombreux
talents d’émerger. Par exemple, c’est ainsi qu’Aurélie
Valognes, auteure de « Mémé dans les orties », a rencon-
tré le succès pour son premier roman auto-publié.
EM@ : Selon les premières estimations du Syndicat
national de l’édition (SNE), le livre numérique se situe
autour de seulement 5 % des ventes de l’édition en
France. Comment et pourquoi – vu d’Amazon – y a-t-il ce
retard français par rapport à d’autres pays ?
M-P. S. : Depuis le lancement de Kindle en France en
2011, nous sommes pour notre part très satisfaits des
résultats. Nous concentrons nos efforts sur la démocrati-
sation de la lecture numérique comme une offre présen-
tant de nombreux avantages, tels que la facilité d’accès
(téléchargement en 60 secondes 24h sur 24) et un cata-
logue se développant sans cesse. Sont ainsi accessibles à
partir de Kindle 3 millions de livres numériques présents
aujourd’hui, dont plus de 175.000 en français et plus de
4.000 grands classiques gratuits. La quasi-totalité des
nouveautés sont disponibles et cet élargissement de
l’offre est clé. Parmi les freins, on peut noter la faiblesse
du catalogue disponible en langue française par rapport à
l’offre papier, et des prix qui peuvent paraître élevés pour
les lecteurs : par exemple, certains ouvrages ont un prix
numérique supérieur à celui de leur équivalent papier.
EM@ : Le 5 mars, la Cour de justice de l’Union européen-
ne a décidé que la France ne pouvait appliquer aux ebooks
le même taux de TVA réduit que celui des livres imprimés
(5,5 % au lieu de 20 %). Quelles conséquences cela va avoir
sur les ventes d’ebooks sur Kindle en France ?
M-P. S. : L’importance culturelle et pédagogique d’un livre
réside dans le contenu du travail de l’auteur, pas dans son
format, qu’il soit numérique ou papier. Comme beaucoup
de nos clients, nous pensons que le même taux réduit de
TVA doit être appliqué aux livres, quel que soit leur format.
Sur les conséquences de cette décision, nous n’avons pas
de visibilité sur les éventuels changements de politique de
prix des éditeurs : il est donc difficile de faire des prévisions.
EM@ : L’interopéralité des formats des ebooks est de
plus en plus évoquée, tant par les utilisateurs que par les
pouvoirs publics : le format AZW de Kindle est-il un obs-
tacle ou pas au développement du livre numérique ?
M-P. S. : Au contraire, le fait de pouvoir maîtriser son for-
mat est un réel avantage parce que c’est cela qui permet
l’innovation au service d’une expérience du lecteur tou-
jours plus riche. Par exemple, grâce à son format AZW (ou
mobi), Amazon a développé des applications spécifiques,
les dictionnaires, le surlignage, le partage ou encore le
service X-Ray qui permet d’explorer et d’analyser la struc-
ture d’un ouvrage sur Kindle – ses idées essentielles, les
personnages ou les thèmes. En outre, nous faisons en
sorte qu’un client puisse lire ses ouvrages Kindle sur tous
les appareils dont il dispose – ordinateurs PC ou Mac,
smartphones ou tablettes, sous iOS ou Android – via l’ap-
plication de lecture gratuite Kindle, ce qui constitue une
véritable valeur ajoutée.
EM@ : En février, la médiatrice du livre a considéré que
les offres d’abonnement de lecture illimitée d’ebooks en
France sont illégales car « le prix n’est pas fixé par l’édi-
teur ». C’est le cas de Kindle Unlimited…
M-P. S. : L’accueil de Kindle Unlimited a été très positif en
France depuis son lancement en décembre, comme dans
tous les pays où le service a été lancé, car il permet aux
lecteurs de découvrir facilement un plus grand nombre
d’auteurs, soit 700.000 titres dont plus de 20.000 en fran-
çais [pour 9,99 euros par mois, ndlr], et aux auteurs de
toucher un plus grand nombre de lecteurs dans le monde
entier. Des éditeurs français sont d’ores et déjà présents
sur KU, tels que Fleurus [groupe Média-Participations,
ndlr], Jouvence, Eyrolles, La Musardine, Bragelonne,
Encyclopædia Universalis, ... La période de concertation
entre la médiatrice du livre et tous les acteurs qui propo-
sent ce type de service innovant est en cours. @Propos recueillis par Charles de Laubier
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Interview exclusive de Marie-Pierre Sangouard, Amazon France (suite de la Une)
« Nous avonsrecruté
ClémentMonjou en
tantqu’éditeur
pour AmazonPublishing en
France (...).Il a pour
mission dedécouvrir des
ouvrages dequalité à
traduire et àpublier en
languefrançaise ».
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En clair. Le nouveau plan « Essentiels 2020 » est un recen-
trage d’Orange sur son métier d’opérateur de réseaux. Pour ne
pas tomber dans la spirale de la baisse des prix, l’ex-France
Télécom va investir en cinq ans 15 milliards d’euros dans la 4G
et la fibre optique. Mais il est peu question de contenus dans
cette stratégie de « qualité de service ». Le seul moment où
« Essentiels 2020 » en parle, c’est pour évoquer sa nouvelle
interface TV, Polaris et la clé multimédia « TV Stick ».
Présenté en octobre dernier, Polaris propose une nouvelle
interface et des services unifiés sur tous les écrans au sein
d’un même foyer : téléviseur connecté, tablettes, mobiles,
ordinateurs, … « Il est désormais facile de retrouver ses
contenus (VOD, jeux, musique), ses choix et ses préférences
dans un univers clair et intuitif. Vous pouvez ainsi poursuivre
sur votre tablette ou sur votre smartphone le film ou la série
que vous avez commencé à regarder sur votre TV, et vice
versa », avait alors expliqué Stéphane Richard, lors de son
Show hello 2014. Succédant à Liveplay lancé en 2012, Polaris
donne accès par son moteur de recherche interne à un bou-
quet de contenus linéaires (chaînes de télévision, TV d’Orange
et OCS) ou non linéaires (vidéo à la demande, musiques en
ligne, jeux vidéo, …), ainsi qu’à Dailymotion toujours en quête
d’un investisseur international (1). Avec Polaris, Orange se
présente plus que jamais comme un agrégateur de contenus
(y compris Netflix, CanalPlay, Filmo TV, PassM6 ou encore
Jook Video).
Présentée en mars dernier au Mobile World Congress de
Barcelone, TV Stick a l’ambition de concurrencer le Chromecast
de Google sur le marché de l’OTT (2). « Grâce au TV stick lancé
en Roumanie et bientôt en France, les clients d’Orange pour-
ront avoir accès chez eux à la TV d’Orange et aux contenus
associés, simplement en branchant une clé HDMI sur leur télé-
viseur », indique l’opérateur télécoms. Cette clé HDMI (pour
High Definition Multimedia Interface), fabriquée par le taïwa-
nais Arcadyan, permet de recevoir la télévision linéaire (en
live) sur une tablette ou un téléviseur, mais aussi des services
à la demande tels que la catch up TV, la VOD ou encore les
services « maison » comme les chaînes OCS ou la plateforme
vidéo Dailymotion. L’utilisateur peut en outre visionner ses
propres vidéos ou photos sur l’écran de son choix. @
((11)) - Le 14 mars, leWall Street Journalaffirme qu’Orangeest entré en« négociationsexclusives » pourvendre 49 % deDailymotion auhongkongaisPCCW. « Simplesnégociations », adémenti StéphaneRichard le 17 mars.
((22)) - Over-The-Top(OTT).
Notes
En fait. Le 17 mars, Stéphane Richard, PDG du groupe Orange, a présenté son nouveau plan stratégiquebaptisé « Essentiels 2020 », lequel succède au plan « Conquêtes 2015 » – avec 15 milliards d’eurosd’investissement à la clé dans ses réseaux très haut débit fixe et mobile. Et les contenus ?
R é s e a u x • O T T • T V • V i d é o • S t r a t é g i e
Orange mise sur son réseau, agrégrateur de contenus
((11)) - Legouvernement a aussi indiquévouloir luttercontre « lescircuits financiersclandestins ».
((22)) - Ministre de laCulture et de laCommunication.
((33)) - Commissionde la protectiondes droits (CPD).
((44)) - Lire EM@109,p. 1 et 2.
Notes
En clair. L’« assèchement » des sources de financement des
sites web « pirates » va se mettre en place entre fin mars et juin.
Cette autorégulation des professionnels – de la publicité sur
Internet et des acteurs du paiement en ligne (1) – est le premier
volet du nouveau plan anti-piratage que Fleur Pellerin (2) a pré-
senté en conseil des ministres le 11 mars. Tous les types de
sites web – streaming, téléchargement ou référencement –
sont visés. Le second volet est judiciaire, avec le recours en réfé-
ré pour contrefaçon, avec suivi des mesures de blocage pro-
noncées par un juge à l’encontre des intermédiaires techniques,
et la saisine de « magistrats référents » qui seront nommés
d’ici fin juin.
Que pense l’Hadopi de ce nouveau dispositif anti-piratage ?
« L’Hadopi applaudit ce plan qui vient renforcer l’arsenal exis-
tant pour défendre la création sur Internet. La ministre a pris la
mesure de l’urgence et a agi en un temps record. C’est une
vraie bonne nouvelle pour la création. L’Hadopi se félicite éga-
lement de constater que les travaux prospectifs qu’elle conduit
sur ce sujet depuis 2011 (rapports Imbert-Quaretta) ne sont pas
restés lettre morte et ont pu inspirer les décisions annoncées.
Il y avait une forte attente des créateurs ; le gouvernement a su
y répondre », nous a répondu Eric Walter, son secrétaire géné-
ral. Contactée également, Mireille Imbert-Quaretta, président
de la CPD (3) de l’Hadopi, nous indique que la Haute autorité
« est susceptible de contribuer au dispositif en mettant en par-
tage son expertise et ses compétences ».
De leur côté, les organisations des ayants droits de la musique
et du cinéma se disent aussi satisfaites de ce plan anti-piratage
qui fait écho au discours que Premier ministre Manuel Valls a
prononcé le 15 septembre dernier (4). L’Association des produc-
teurs de cinéma (APC), par la voix de son délégué général
Frédéric Goldsmith, soutient ce plan « impliquant tous les
acteurs concernés (…) sans une nouvelle intervention législati-
ve ». Le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep)
salue, lui, « les bonnes initiatives du gouvernement » perçues
comme « un signal encourageant pour les producteurs de
musique », mais demande « l’instauration d’une injonction de
retrait prolongée des contenus illicites à six mois ». La SACD,
elle, demande au gouvernement de réformer le statut d’inter-
médiaires techniques et leur responsabilité. @
En fait. Le 23 mars prochain, la charte de lutte contre le piratage des œuvres sur tous les types de sitesweb sera signée par les professionnels de la publicité sur Internet et les représentants des ayantsdroits. Une autre charte, avec cette fois les acteurs du paiement en ligne, sera signée en juin.
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Plan anti-piratage : ayants droit et Hadopi contents
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Comment Webedia (Fimalac) entend venir en aider à l'industrie culturelle françaiseWebedia prévoit de doubler son chiffre d'affaires à 100 millions d'euros en 2015. Pour Véronique Morali,sa présidente, la filiale digitale de Fimalac – holding de son compagnon Marc Ladreit de Lacharrière –veut être le porte-drapeau numérique de l'industrie culturelle française dans le monde.
« Notre vision est que nous
pouvons être facilitateur de la
transformation digitale des
filières dans le divertissement
et l’industrie culturelle. Et le
cinéma est un bon exemple.
Nous avons trouvé qu’il était judicieux de devenir partenaire
du CNC (1) quand il a lancé (en janvier dernier) son offre de
mise en avant des films français [http://vod.cnc.fr, ndlr], en
apportant notre savoir-faire digital dans le cadre de la recom-
position de place qu’il est en train de mener », a déclaré
Véronique Morali (photo), présidente du directoire de Webedia
et présidente de Fimalac Développement, devant l’Association
des journalistes médias (AJM), le 9 mars dernier (2).
Acquisitions : « Pas de limites » !Le site web Allociné – que Webedia a acquis en juillet 2013
– propose aux internautes de voir les films en les louant ou
les achetant sur des plateformes tierces de vidéo à la
demande (VOD) vers lesquelles ils sont orientés. A terme,
les télécharger directement pourrait être proposé.
Webedia veut qu’Allociné soit plus qu’un simple site web de
référence du cinéma. « Plutôt que d’organiser en tant que
CNC le référencement des offres légales, nous lui avons
dit de profiter (en se mettant en dessous) de ce que l’on fait
depuis vingt ans chez Allociné pour les fiches-films. Tous
les mois sur Allociné, il y a environ 250 millions de fiches-
films qui sont consultées par mois, et sur lesquelles les
offres de VOD dites vertueuses sont référencées », a expli-
qué Cédric Siré, PDG de Webedia, présent aux côtés de
Véronique Morali. En revanche, Webedia ne compte pas
aller sur le terrain de la VOD : « Car entrer sur ce marché,
cela demande un premier investissement de 30 et 40 mil-
lions d’euros à mettre sur la table pour se payer aujour-
d’hui un catalogue (de films) à distribuer. Ce n’est pas
notre modèle. Nous préférons le modèle média », a justi-
fié le fondateur de Webedia.
Le cinéma fait partie des cinq thématiques verticales – avec
les jeux vidéo, la mode/beauté, la cuisine/gastronomie, et le
tourisme – sur lesquelles le groupe Fimalac a décidé d’in-
vestir en Europe et à l’international (3). « Avec nos verticales,
nous voulons être partenaire de la recomposition digitale de
filières pour le divertissement. L’industrie culturelle est
beaucoup travaillée par le groupe Fimalac, avec tout un pôle
entertainment [production de spectacles et exploitation de
salles (4), ndlr] », a indiqué Véronique Morali. Et Cédric Siré
de poursuivre : « Nous avons choisi ces cinq thématiques où
l’on est capable de devenir des numéros un mondiaux et où
nous estimons que la France a une légitimité, voire une
forme d’exception ». Sur chacune de ces cinq domaines cul-
turels, Webedia s’appuie sur un triple modèle économique :
la publicité (e-pub programmatique, vidéo, opérations spé-
ciales, …), les services (aider notamment les marques à
devenir elles-mêmes des médias), et le e-commerce
(comme la billetterie). Cédric Siré a aussi dit que les cinq
verticales n’avaient pas vocation à aller jusqu’à faire de la
presse papier (« Nous ne savons pas faire »).
En revanche, après avoir investi 240 millions d’euros depuis
l’acquisition de Webedia (Pure People, Allociné/Côté Ciné,
Jeuxvidéo.com/Millenium, 750g, …), Fimalac va plus que
jamais continuer à faire des acquisitions dans chacun de
ces cinq secteurs culturels du divertissement. « Nous
avons un actionnaire en quête de pépites et de développe-
ment, dans le cadre d’un capitalisme familial bien compris
(donc très rigoureux dans la gestion et la rentabilité). On ne
peut pas dire que l’on ait des limites. On ne peut pas ache-
ter Google, c’est clair ! », a lancé Véronique Morali. Et pour-
quoi pas Dailymotion ? « Ce n’est pas à vendre, d’abord.
C’est une belle affaire mais ce n’est pas à vendre pour
Orange », a-t-elle répondu (5). « Au niveau mondial, on est
déjà le deuxième groupe français digital derrière
Dailymotion », s’est en tout cas félicité Véronique Morali.
S’il n’y pas de limite, une acquisition à 1 milliard d’euros ?
« Je ne sais pas, franchement… Si vous avez de bonnes
idées, vous me les passez. Ce que je peux vous dire, c’est
qu’on étudiera cette offre ! Nous n’avons pas de limites, si
ce n’est la limite de la liquidité de Fimalac. Et encore, Marc
de Lacharrière dirait que l’on des capacités d’emprunts qui
sont intactes puisque l’on a zéro dette », a-t-elle poursuit.
Fimalac, consolidateur culturel Dans un univers du divertissement très fragmenté, Fimalac
affirme ainsi son ambition d’être un acteur numérique de
l’industrie culturelle française et un consolidateur sur le
mode build-up (6) (dixit Véronique Morali). Le groupe du mil-
liardaire Marc Ladreit de Lacharrière en a les moyens,
notamment depuis la cession en décembre de 30 % de
l’agence de notation Fitch, dont il détient encore 20 %. Ce qui
lui a rapporté l’équivalent de plus de 1,5 milliards d’euros. @Charles de Laubier
((11)) - Centre nationaldu cinéma et de
l’image animée (CNC).
((22)) - Le lendemain,François Hollande
visitait les locauxparisiens du groupeWebedia, lequel doitdéménager en juin à
Levallois-Perret.
((33)) - Allociné est parexemple au Brésil, en
Turquie, en Allemagne,en Espagne.
((44)) - Fimalac détient40% dans la société
Gilbert CoullierProductions, Auguri
Productions, et K-WetProductions
(organisation despectacles), contrôle
Vega (exploitation desalles, dont les
«Zénith») et a crééTrois-S (divertissement
et loisir).
((55)) - Lire p. 3 surOrange et sa note
sur Dailymotion.
((66)) - Build-up : suited’acquisitions.
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Android TV sur Bbox Miami et Freebox Mini : commentGoogle France part à la conquête des téléviseursAvec Android TV, Google accélère l’expansion de son empire à la télévision en proposant aux fournisseurs –gratuitement comme pour les fabricants de smartphones – son écosystème de TV connectée. En France, laBbox Miami et la Freebox Mini l’ont adopté. D’autres fabriquants (box, Smart TV, ...) aussi.
Android TV fait une entrée remarquée chez deux
fournisseurs d’accès à Internet (FAI) français :
Bouygues Telecom a commencé à commerciali-
ser sa Bbox Miami fin janvier auprès de ses clients
existants et la proposera à tous à partir du
23 mars ; Free a lancé sa Freebox Mini le 10 mars
dernier avec disponibilité immédiate pour tous, ses clients ou pas.
La bataille des box sous Android TV des deux frères ennemis –
Martin Bouygues et Xavier Niel – ne fait que commencer, avec un
léger avantage pour la Bbox Miami à 25,99 euros par mois au lieu
de 29,99 euros par mois pour la Freebox Mini.
En attendant la box Nexus PlayerBien que les deux opérateurs télécoms assurent qu’ils gardent res-
pectivement le contrôle de leur box et restent indépendants, c’est
bien Google qui fait son entrée dans les foyers par le téléviseur
connecté du salon. Les FAI français ne pouvaient pas résister long-
temps au géant du Net, comme a tenté de le faire Free. En effet, en
octobre dernier, son DG Maxime Lombardini expliquait : « Android
sur les boxes, c’est donner accès à nos box à Google. Demain,
quand on aura un parc Android sur la France entière, ce sera
Google qui, depuis Mountain View, pourra décider de la VOD qui sera
distribuée », avait-il lancé. Manifestement, Xavier Niel n’était pas de
cet avis. Si Bouygues Telecom n’a pas hésité à adopter Android TV
pour sa nouvelle box, mais en essayant de garder la maîtrise de l’in-
terface (une surcouche que n’a pas faite son concurrent), il a en
revanche tardé six mois entre l’annonce et la commercialisation
effective.
Ces deux FAI donnent le véritable coup d’envoi de la plateforme
multimédia Android TV en France (lire encadré ci-dessous), huit
mois après son lancement à la conférence des développeurs Google
I/O et deux ans et demi après le lancement sur le marché français
de Google TV qui fut un échec (1). Est aussi venu les rejoindre le
fabricant américain Nvidia qui a annoncé le 3 mars Shield, « la pre-
mière console Android TV au monde, qui permet d’accéder aux
vidéos, à la musique, aux applications et à des jeux incroyables en
streaming depuis chez soi ». Mais elle ne sera disponible qu’en mai
prochain. Tandis que Free a affirmé, une semaine après Nvidia, être
« le premier opérateur au monde à proposer une box compatible
avec la technologie 4K (ultra haute définition) et intégrant Android
TV ». Selon Xavier Niel, Google a accepté « pour la première fois »
qu’un FAI développe un équipement – en l’occurrence une box triple
play – à partir de la dernière version Android TV. Quant au japonais
Sony, qui avait essuyé les plâtres de la Google TV en 2012, il est
parmi les premiers fabricants de Smart TV – avec Sharp et Philips –
à proposer Android TV (2). Mais il faudra aussi compter avec Google lui-même et son Nexus
Player, une box sous Android TV (fabriquée par Asus) annoncée en
octobre dernier : commercialisée depuis janvier aux Etats-Unis et
depuis peu au Japon, elle n’est pas encore disponible en Europe.
Thomas Riedl, le responsable mondial des partenariats pour
Android TV chez Google, sera présent à la conférence européenne
TV Connect à Londres, le 30 avril prochain. Il y fera la promotion de
la nouvelle plateforme de télévision connectée de la firme de
Mountain View fonctionnant sous la dernière version Android 5.0
(alias Lollipop), qui doit succéder à Android 4.4 (ex-Google TV). Alors
que Free a opté d’emblée pour la toute dernière version d’Android
TV, Bouygues Telecom a misé sur une version antérieure, la 4.3
(alias Jelly Bean) jugée plus stable techniquement (3). Que le
meilleur gagne ! @Charles de Laubier
Avec Android TV, l'abonné ADSL (si ce n'est VDSL2 ou FTTH) a accès àl'univers multimédia de Google sur son téléviseur connecté, sa tablette ouson smartphone : contenus et applications développés pour la Smart TVsont ainsi accessibles via une interface f luide et intuitive. Desrecommandations personnalisées de contenus sont faites en lien avecGoogle Play (films, musiques, jeux, …), YouTube et d'autres applications(myCanal, Pluzz, Netflix, VOD, …). Et avec Google Cast, les « télénautes »peuvent diffuser – aisément et directement sur le téléviseur connecté – leurs
photos, vidéos ou musiques, à partie de leur mobile, leur tablette ou leurordinateur (1). Grâce à la synchronisation de contenu sur Google Play, ilspeuvent par exemple commencer à regarder un film sur le téléviseur dans lesalon et le poursuivre sur la tablette dans la chambre. Quant à la recherchevocale sur Android TV, elle permet de trouver rapidement ce que l'onsouhaite regarder. Enfin, il est possible de contrôler totalement Android TVdepuis un téléphone mobile ou une montre connectée Android Wear. @
(1) - Les applications compatibles Google Cast : g.co/castapps
Zoom
Android TV multimédia pour faire oublier l'échec de Google TV
Notes : ((11)) - Lire « Vincent Dureau fut le grand absent du lancement en Francede la Google TV, dont il est le “père” », EM@65, p. 1 et 2. • ((22)) - Alors queSamsung a préféré miser sur propore système d’exploitation Tizen, LG aretenu WebOS de Hewlett-Packard et Panasonic a choisi Firefox. • ((33)) - Voirhttp://www.android.com/tv et http://www.android.com/history
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Google, Dailymotion, Microsoft,
Facebook, Yahoo, AOL, Spotify,
Deezer, PriceMinister ou encore
Wikimedia, tous membres de
l’Association des services Internet
communautaires (Asic), présidée par
Giuseppe de Martino (photo), s’insur-
gent contre le rapport « Fiscalité du numérique » qui,
selon eux, « stigmatise l’économie numérique sans
comprendre que toute l’économie devient numé-
rique ».
Cinq ans de rapports français !Commandité par le Commissariat général à la straté-
gie et à la prospective – alias « France Stratégie » –
qui dépend du Premier ministre, ce rapport de
170 pages en anglais et publié le 9 mars (1) suggère
au gouvernement de mettre en œuvre « une taxation
spécifique pour lutter contre l’optimisation fiscale
des géants du numérique ». Sont ainsi proposées une
taxation de la publicité, une taxation sur le commer-
ce électronique, une taxation sur les flux de données
(bande passante), une taxation en fonction du nombre
d’internautes, une taxation en fonction du nombre de
données stockées sur le territoire français ou encore
une taxation sur la base des données échangées.
Après les rapports « Marini » d’avril 2010 et de juin
2012, « Blandin/Morin-Desailly » de janvier 2012, puis
« Collin & Colin » de janvier 2013, « CNNum » de
septembre 2013, tous consacrés à la fiscalité numé-
rique (sans oublier le rapport « Muet-Woerth » de
juillet 2013 sur l’optimisation fiscale internationale),
voici que le rapport « France Stratégie » pousse l’Etat
français à taxer sans attendre les acteurs du Net. « A
court terme, de nouveaux outils fiscaux spécifiques
pourraient être envisagés, au niveau européen ou
d’un noyau de pays, dans l’attente d’une refonte du
cadre fiscal international. Une telle fiscalité (…) repo-
serait sur une taxe ad valorem des revenus publici-
taires ou de la collecte de données personnelles,
plus facilement rattachables à un territoire », préco-
nisent les dix économistes auteurs de « ce rapport
sur le rapport du rapport » (dixit l’Asic). Ont ainsi été
sollicités par Matignon des experts de l’Ecole d’éco-
nomie de Paris, de l’Ecole d’économie de Toulouse et
de l’Institut Mines-Télécoms. Les acteurs du Net pré-
sents en France leur reprochent, via l’Asic, de faire des
propositions « qui auront pour effet de s’appliquer aux
seules entreprises ayant une résidence fiscale en
France, soit les acteurs français, et non pas aux
entreprises établies dans les autres pays de l’Union
européenne ». L’attractivité des services Internet
français en serait d’autant plus compromise et les
acteurs français seraient désavantagés par rapport à
leurs homologues européens. « De telles mesures
nationales, si elles sont mises en œuvre, pousseront
la France et son écosystème aux portes de la réces-
sion numérique », mettent-ils encore en garde (lire
encadré page suivante). Intervenant lors du séminaire
organisé à l’occasion de la présentation du rapport
« France Stratégie », la secrétaire d’Etat au numé-
rique, Axelle Lemaire, a conclu que « de nouveaux
outils fiscaux spécifiques pourraient être envisagés,
au niveau européen, en parallèle d’une adaptation du
cadre fiscal international ».
Autrement dit, des taxes nationales sur le numérique
ne sont pas envisageables. Une taxe sur la bande
passante, comme le souhaite Fleur Pellerin, ministre
de la Culture et de la Communication (2), ou une taxe
sur la publicité en ligne, sollicité notamment par
Frédérique Bredin, présidente du Contre national du
cinéma et de l’image animée (CNC), ne peuvent se
concevoir qu’à l’échelon européen (3), voire interna-
tional. L’Internet Advertising Bureau (IAB) a mis en
garde contre « les effets contreproductifs » de cette
taxe. Quoi qu’il en soit, Axelle Lemaire a prévu de ren-
contrer ses homologues européens pour que la ques-
tion de la fiscalité numérique soit à l’ordre du jour de
la « Stratégie numérique » que présentera la
Commission européenne en mai prochain.
« Taxe Google » multiformesCe énième rapport français sur la fiscalité numérique
en cinq ans préconise peu ou prou une « taxe Google »
qui pendrait plusieurs formes selon qu’elle s’applique
sur les recettes publicitaires, sur l’exploitation des
données ou encore sur le nombre d’utilisateurs.
Objectif : lutter contre « une optimisation fiscale
Les acteurs du Net fustigent les velléités de la France d’instaurer une fiscalité numérique nationaleAprès le rapport « Fiscalité du numérique » publié par France Stratégie (service du Premier ministre),qui conseille l’Etat de taxer « à court terme » la publicité en ligne et les données, les acteurs del’Internet dénoncent une approche franco-française et demandent un cadre fiscal international.
((11)) - Rapport« Fiscalité dunumérique »
(Taxation and thedigital economy: A
survey of theoreticalmodels), France
Stratégie 26-02-15 :http://lc.cx/Fisc
((22)) - Lire « Taxer labande passante
pourrait rapportertrès gros »,
EM@79, p. 4.
((33)) - Lire « Le débatsur la fiscalité du
numériques’européanise enfin
face aux GAFAtransfrontaliers »,
par Katia Duhamel,dans EM@91,
p. 8 et 9. Et « Donnéespersonnelles : taxer
les géants du Net ? »,EM@87, p. 5.
((44)) - Organisation decoopération et de
développementéconomiques
(OCDE), dont sontmembres 34 pays,
de l’Amérique duNord et du Sud à
l’Europe, en passantpar la région Asie-
Pacifique.
Notes
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Notes
agressive » des GAFA « réduisant drastiquement leur
taux d’imposition ». Or les acteurs du Net ne veulent
pas d’une fiscalité spécifique sur leurs activités
numériques car, selon eux, « l’optimisation fiscale
[n’est] pas le monopole du “numérique” ». La solution
doit être trouvée au sein de l’OCDE (4) – dont le siège
est à Paris – pour modifier au niveau international le
cadre juridique applicable à toutes les multinatio-
nales, qu’elles soient françaises ou étrangères.
Le BEPS de l’OCDE pour septembreC’est en septembre prochain que doivent aboutir,
notamment sur le numérique, les négociations sur la
coopération fiscale dans le cadre du projet BEPS
(Base Erosion and Profit Shifting, comprenez « éro-
sion de l’assiette fiscale et déplacement des pro-
fits »). « En matière de fiscalité des multinationales,
il est important que les Etats adaptent le cadre juri-
dique qu’ils ont élaboré au cours des quarante der-
nières années. La France se doit donc de supporter
les travaux actuellement en cours au sein de l’OCDE
relatifs à l’érosion des bases fiscales (BEPS), quand
bien même ceux-ci viseraient l’ensemble des multi-
nationales et non exclusivement celles du numé-
rique », estiment les acteurs du Net. Car les GAFA ne
sont pas les seuls à faire de l’optimisation fiscale jus-
qu’aux limites de la légalité. Beaucoup de multinatio-
nales profitent du « dumping fiscal » pratiqué par
certains Etats de l’Union européenne pour organiser
leur l’évasion fiscale.
C’est ainsi qu’ont été popularisés deux montages
financiers baptisés « double irlandais » et « sandwi-
ch hollandais » qui auraient permis par exemple à
Google d’échapper en grande partie à l’impôt en
Europe grâce à une filiale située dans le paradis fis-
cal des Bermudes (où est située sa filiale Google
Ireland Holdings). Cette double pirouette fiscale, a
priori légale, est décrite en détail dans le rapport
français « Colin & Collin » (5). Pierre Collin est juste-
ment l’un des six experts qui ont rendu en mai 2014
à la Commission européenne commanditaire un rap-
port sur « la taxation de l’économie digitale » (6). Ce
rapport européen d’il y a presque un an en conclut
que « l’économie numérique ne nécessite pas un
régime fiscal distinct ». Bruxelles a ensuite lancé, un
mois après ce rapport (en juin 2014) une enquête sur
des aides d’État dont auraient pu bénéficier Apple en
Irlande, Starbucks aux Pays-Bas, Fiat au
Luxembourg et, depuis octobre dernier, Amazon au
Luxembourg. Ce qui provoque des distorsions de
concurrence au sein de l’Union européenne.
Rappelons en outre que le 6 novembre dernier, le
Consortium international des journalistes d’investi-
gation (ICIJ) a publié une enquête – baptisée sous le
nom évocateur de « Luxembourg Leaks » ou
« LuxLeaks » (7) – menée par 80 reporters de 26 pays
sur les accords fiscaux (tax rulings) avantageux
conclus entre 340 entreprises et le Luxembourg.
Parmi les bénéficiaires de ces arrangements
fiscaux : la filiale iTunes d’Apple, Amazon Media,
Vodafone, Accenture, Sportive Group (Lagardère),
mais aussi LVMH et bien d’autres dans des secteurs
économiques différents.
Cet élargissement de la problématique « optimisa-
tion fiscale » va dans le sens des acteurs du numé-
rique qui refusent d’être discriminés en tombant
seuls sous le coup d’une éventuelle fiscalité digitale.
« L’ensemble des services développés par l’écono-
mie numérique se retrouvent aujourd’hui dans tous
les secteurs économiques. Les diverses plateformes
de vidéos sont aujourd’hui utilisées par les industries
culturelles qui y voient un vecteur de promotion, de
communication mais aussi de valorisation de leurs
oeuvres. Les réseaux sociaux sont présents en
entreprises ; les services de stockage deviennent
monnaie courante », explique l’Asic, qui déplore au
passage que ce rapport des services du Premier
ministre ait été réalisé sans réelle collaboration ni
même échanges avec les divers acteurs français de
l’économie numérique. « En effet, le rapport ne tient
pas compte du fait que le numérique n’est plus un
secteur à part entière @ Charles de Laubier
((55)) - Rapport de la« mission d’expertisede la fiscalité del’économienumérique », dePierre Collin et NicolasColin, 18 janvier 2013 :http://lc.cx/Fisc
((66)) - Rapport «Taxation of the DigitalEconomy », 28 mai2014 : http://lc.cx/Fisc
((77)) - Lire« “LuxembourgLeaks” : un pavé dansle numérique »,EM@112 p. 3 : http://lc.cx/LuxLeaks
L’Association des services Internet communautaires (Asic), créée en 2007,formule à titres d’exemples cinq critiques sur les taxes préconisées par lerapport « France Stratégie » : • Une taxe sur les données échangées ? « Il faudra donc installer des
sondes pour espionner chaque fait et geste d’un internaute en France » ; • Une taxe sur le stockage des données ? « Celui-ci deviendra donc plus
cher sur le territoire français au plus grand bénéfice des concurrentseuropéens » ;
• Une taxation en fonction du nombre d’utilisateurs français ? « Uneexcellente incitation à lancer sa start-up ou son entreprise, ailleurs qu’enFrance » ;
• Une taxation de la publicité ciblée ? « Elle forcera les entreprises fran-çaises à recourir à un modèle économique, celui du modèle payant. Unavantage sans doute concurrentiel pour toutes les entreprises baséeshors de France, non résidentes fiscales et donc, non soumises à cettenouvelle mesure » ;
• Une taxation de la publicité ? « Proposée initialement en 2007 par lesénateur [Philippe] Marini, maintes fois rejetées car visant exclusive-ment les acteurs domiciliés en France ». @
Focus
Les critiques des acteurs du Net en cinq points
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Il y a aujourd’hui 274 millions de francophones dans
le monde. Ils seront 700 millions en 2050, soit une
personne sur treize. Au moment où est célébrée, ce
20 mars, la Journée internationale de la francopho-
nie (1), le rapport sur « la francophonie numé-
rique » (2) dresse pour la première fois un état des
lieux de la langue française et des francophones sur
Internet. « A première vue, on peut penser que les francophones sont
bien servis dans l’univers du numérique. Bien qu’ils ne constituent
que 3 % de l’ensemble des internautes, 4 % de l’ensemble des conte-
nus qu’on trouve sur Internet sont en français », constate-t-il.
L’anglais, sureprésenté sur InternetMais à y regarder de plus près, l’anglais est la langue la plus surre-
présentée sur Internet : « il y est deux fois plus présent que ne paraît
le justifier sa proportion du nombre d’internautes ». Les utilisateurs
de langue anglaise représentent en effet 27 % de l’ensemble des inter-
nautes, alors que les contenus en anglais pèsent 56 % sur Internet –
soit une offre deux fois plus importante que la demande. Les franco-
phones, eux, ne représentent que 3 % des internautes mais disposent
de contenus en français en proportion avec leur nombre (voir tableau
ci-contre). Encore faut-il que les habitants des 57 pays membres de la
francophonie – sur cinq continents – aient bel et bien accès à des
contenus numériques de qualité, particulièrement pédagogiques.
« Pour que la quantité de contenus numériques de qualité en français
et en langues partenaires s’accroisse sur Internet et ailleurs, les
acteurs francophones doivent continuer d’investir dans leur produc-
tion et leur diffusion », recommande vivement ce rapport présenté le
18 mars par secrétaire général de l’Organisation internationale de la
francophonie (OIF), Michaëlle Jean (photo). Face aux Etats-Unis qui
produisent le plus de contenus sur Internet, portés par les GAFA amé-
ricains (3), l’OIF en appelle aux gouvernement des pays francophones
pour que leurs populations aient accès à des contenus en langue fran-
çaise. Cela passe par la production de contenus, le développement de
technologies en français, le soutien à la créativité artistique franco-
phone, mais aussi la production dynamique de contenus en mode col-
laboratif, à l’image de ceux de l’encyclopédie Wikipédia ou du système
de base mondiale de données géographiques OpenStreetMap. « Il faut
publier des livres numériques en français. Il faut publier des vidéos en
français sur YouTube. Il faut produire des logiciels en langue fran-
çaises, notamment dans le logiciel libre [voir tableau ci-contre, ndlr] »,
a insisté Réjean Roy, chargé de la rédaction du rapport de l’OIF et
expert canadien en technologies de l’information.
Droit d’auteur et domaine publicLa question du droit d’auteur à l’ère du numérique est également
posée, dans la mesure où les internautes et mobinautes franco-
phones peuvent créer de nouveaux contenus et services en se servant
de ce qui existe. « En fait, il n’a jamais été aussi facile de combiner dif-
férents films pour en créer un nouveau, d’enrichir un jeu vidéo de ses
propres idées, de produire une nouvelle chanson en modifiant le ryth-
La francophonie numérique veut s'imposer face à un Internet colonisé par les pays anglophones Ayant succédé au Sénégalais Abdou Diouf en tant que secrétaire générale de l’Organisation internationalede la francophonie (OIF), lors du XVe Sommet de la francophonie de novembre 2014, la CanadienneMichaëlle Jean a présenté le 18 mars à Paris le premier rapport sur « la francophonie numérique ».
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Ecarts entre l'offre et la demande de contenus Internet
(selon la langue des internautes et des contenus)
Présence du français dans les logiciels libres (selon les systèmes d'exploitation)
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me d’un classique, de modifier un livre existant pour le mettre au
goût du jour et ainsi de suite. Il existe cependant un grand obstacle à
la créativité potentiellement sans fin des internautes et des utilisa-
teurs des TIC : le manque de matériel qu’il leur est possible d’exploi-
ter librement », relève le rapport de l’OIF, au moment où la
Commission européenne s’apprête de son côté à réformer la directi-
ve « Droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’informa-
tion » (DADVSI) de 2001. Il y a bien le Réseau numérique francopho-
ne (RNF), créé à Paris en 2006 par les bibliothèques nationales de dif-
férents pays avec pour mission d’assurer la présence du patrimoine
documentaire francophone sur le Web. Ce sont ainsi plus de
800 000 documents en français qui sont accessibles sur le site
Rfnum.org : journaux, revues, livres, cartes et plans, documents
audiovisuels. Il y a aussi le Calculateur du domaine public, dont la ver-
sion bêta est en ligne : créé à l’initiative de la France en partenariat
avec l’Open Knowledge Foundation, il s’agit d’un outil de valorisation
des oeuvres qui ne sont plus protégées par un droit de propriété lit-
téraire et artistique. Cet outil s’appuie sur les métadonnées des éta-
blissements culturels pour identifier, explorer et valoriser les œuvres
du domaine public. Mais ces initiatives ont encore une portée limitée.
« D’autres contenus ne peuvent être exploités de façon optimale par
les utilisateurs des TIC, parce que le mode de protection intellectuel-
le sélectionné volontairement ou involontairement par les créateurs
les empêche de le faire. Pour contourner ce problème, les franco-
phones gagnent à recourir à de nouveaux instruments comme les
licences Creative Commons », explique le rapport de l’OIF (4). Par exemple, un cinéaste pourra choisir une licence Creative
Commons pour laisser d’autres artistes intégrer des extraits de ses
films dans leurs propres productions et vendent ces dernières. Ou un
photographe pourra laisser les internautes reproduire et distribuer
ses clichés librement, à condition que ces derniers ne soient pas
modifiés, que l’on indique qu’ils sont de lui et qu’aucune utilisation
commerciale n’en soit faite. A noter que depuis janvier 2012, la
Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) et
la Creative Commons Collective Societies Liaison ont un accord pour
permettre aux artistes de mettre à disposition, notamment sur
Internet, leurs œuvres pour une utilisation non commerciale.
Vers un plan numérique de la francophonie ?L’année 2015 marque en tout cas une prise de conscience des enjeux
culturels de la francophonie numérique, au moment où c’est juste-
ment en octobre prochain que va être fêtée les dix ans de la Convention
de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expres-
sions culturelles. Signée le 20 octobre 2005 à Paris, où se situe aussi le
siège de l’OIF, ce texte international doit faire l’objet de « directives opé-
rationnelles » pour prendre en compte le monde digital (5). Le rapport
de l’OIF montre bien que la francophone numérique dépend aussi à des
infrastructures d’accès à Internet (6). Selon l’Internet Society, cité dans
le rapport, « la faible connectivité entre les fournisseurs de services
Internet (FAI) se traduit souvent par le routage du trafic local vers des
liens internationaux coûteux, simplement pour atteindre ensuite des
destinations dans le pays d’origine. Ces liens doivent être payés en
devise étrangère. De fait, les FAI doivent payer les taux d’expédition
internationale pour une livraison locale. Il y a une solution internatio-
nalement reconnue à cette inefficacité. Il s’agit d’un point d’intercon-
nexion Internet ou IXP ». Or, sur plus de 400 IXP dans le monde, il sont
seulement 60 à être situés dans des pays membres de l’OIF – surtout
en Europe et au Canada (voir tableau ci-dessus).
Côté financements, afin de favoriser l’incubation dans l’investisse-
ment numérique, notamment auprès de projets et start-up franco-
phones innovantes, le Fonds francophone des inforoutes (FFI) –
créé en 1998 – vient d’être transformé en Fonds francophone de
l’innovation numérique (FFIN), dont les capacités financières seront
renforcées. « Un appel à projets va être lancé prochainement », a
indiqué Eric Adja, directeur de la francophonie numérique à l’OIF.
Le Réseau francophone de l’innovation (Finnov (7)), créé en juillet
2013, recense pour l’instant 64 incubateurs dans les pays franco-
phones. De là à imaginer un « plan numérique de la francophonie »
(dixit Louis Houle, président du chapitre québécois de l’Internet
Society), il n’y a qu’un pas… Peut-être d’ici le prochain Sommet de
la francophonie prévu à Madagascar en 2016. @ Charles de Laubier
Les IXP* installés dans les pays francophones
* Point d'interconnexion Internet (IXP), garantissant un trafic local moins coûteux. Sour
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Notes : ((11)) - Cette date a été choisie en référence au 20 mars 1970, marqué par la création à Niamey (Niger) de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), future Organisationinternationale de la Francophonie (OIF). • ((22)) - Rapport disponible ici : http://lc.cx/Culture • ((33)) - Google/YouTube, Apple, Facebook et Amazon (GAFA). • ((44)) - Pays de la Francophonie comptant aumoins un membre dans le réseau d’affiliés de Creative Commons : Belgique, Bulgarie, Canada, Égypte, France, Grèce, Liban, Luxembourg, Ex-République yougoslave de Macédoine, Roumanie,Rwanda, Suisse et Vietnam. • ((55)) - Lire «L’Unesco veut adapter au numérique la Convention sur la diversité culturelle, menacée d’obsolescence», EM@92, p. 7. • ((66)) - Seulement onze des vingt et unpays membres de l’OIF examinés par Cisco disposaient en 2012 d’infrastructures réseaux suffisantes pour offrir des services Internet avancés aux internautes, tels que des services de diffusion encontinu de vidéos haute définition, de gestion de la relation client via le cloud, d’enseignement virtuel ou de télémédecine. • ((77)) - www.francophonieinnovation.org
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Lundi 23 mars 2015 • n°120Edition Multimédi@ 10
Bouclier juridique, le secret des affaires s'arrête là où commence la liberté d'expressionAnciens médias, nouveaux médias et lanceurs d'alerte sont unanimes pour préserver la liberté d'expres-sion au nom de la liberté d'informer. C'est la limite naturelle du secret des affaires. Encore faut-il définirce dernier et légiférer. La loi « Macron » a tenté, en vain, de le faire. N'est-ce que partie remise ?
A l’occasion de l’examen en commis-
sion du projet de loi « Macron » pour la
croissance et l’activité, les parlemen-
taires ont adopté des amendements
visant à définir et protéger le secret
des affaires. Mais il n’aura fallu que
48 heures à deux journalistes de
renom, Edwy Plenel (1) et Elise Lucet (2), pour faire
renoncer l’Elysée, puis Bercy et la majorité parlemen-
taire, au maintien du projet de texte sur le secret des
affaires. Les deux journalistes estimaient qu’un tel
projet portait atteinte à l’activité des journalistes,
notamment leurs investigations et, de manière géné-
rale, que ce texte n’aurait jamais permis la sortie d’af-
faires telles que celle du Médiator ou des prothèses
mammaires PIP s’il avait été en vigueur lorsque des
journalistes enquêtaient sur ces affaires.
Liberté d’expression en EuropeInvoquer la protection de la liberté d’expression – à
juste titre ou non – quelques semaines après les atten-
tats de janvier 2015 était imparable. Lobotomisant. A
tel point que Emmanuel Macron (3) et le président de
la commission des lois de l’Assemblée nationale ont
vite craint leur « démonétisation » personnelle ou celle
du texte s’ils maintenaient les « amendements secret
des affaires ». Et ce, au milieu d’un débat parlementai-
re déjà très houleux qui conduisit à l’adoption sans vote
du projet de loi « Macron » par l’Assemblée nationale
en première lecture, par le recours à l’article 49-3 de la
Constitution. Il est vrai que le traitement d’un sujet
aussi important que le secret des affaires dans les
replis d’une loi aussi tentaculaire que la loi « Macron »,
était probablement une négligence : lorsque la presse
ne sait plus communiquer sur les thèmes abordés par
le projet de loi « Macron » tellement ils sont nombreux,
on s’expose naturellement à une critique d’autant plus
audible qu’elle porte sur un sous-thème précis, qui
« parle » plus facilement aux médias… surtout quand
ces derniers s’estiment visés par le sujet en question.
Dans ce tintamarre médiatico-politique, peu d’acteurs
concernés ont eu le temps d’analyser sereinement les
dispositions adoptées par les députés avant d’être reti-
rées par le gouvernement. Or, lorsqu’on est un journa-
liste, on ne peut de bonne foi affirmer que la liberté
d’expression pourrait être vraiment menacée par une
loi nationale au sein de l’Union européenne. Car qui-
conque s’intéresse aux mécanismes institutionnels de
protection de la liberté d’expression le sait : au sein de
l’Union européenne, les Etats membres ne sont pas
libres d’attenter par la loi à la liberté d’expression (4).Bref. Pourquoi tout ce bruit ? Qui a lu le projet de
texte ? Et à quoi bon légiférer sur le secret des
affaires ? Pourquoi faut-il clairement définir et organi-
ser la protection du secret des affaires ?
Il s’agit d’un indéniable progrès dans la protection du
patrimoine immatériel des entreprises comme des
organismes de recherche et de tous ceux qui imagi-
nent, innovent et créent ainsi les principales richesses
d’aujourd’hui et de demain. Or ce patrimoine, fruit de
l’intelligence, est régulièrement menacé de
« pillages » économique ou para-étatique. Et contre
ces menaces, les outils de défense ou de riposte sont
limités, mal adaptés, voire inexistants. Bien que la
notion de secret des affaires soit mentionnée dans le
code de commerce, de la consommation, des postes
et communications électroniques ou encore le code
monétaire et financier, il n’en existe aucune définition
véritable, ce qui est source d’insécurité juridique. Au
niveau du droit communautaire, où le secret des
affaires est rattaché au secret professionnel par l’ar-
ticle 339 du Traité européen (TFUE), les secrets d’af-
faires sont définis par les juridictions européennes
comme « des informations dont non seulement la
divulgation au public mais également la simple trans-
mission à un sujet de droit différent de celui qui a
fourni l’information peut gravement léser les intérêts
de celui-ci » (5). Cette définition jurisprudentielle a
ensuite été reprise et complétée par la communica-
tion de la Commission européenne sur l’accès au dos-
sier publiée le 22 décembre 2005.
Le maquis législatif françaisEn droit français, les dispositions existantes consti-
tuent un maquis législatif dont la complexité laisse les
entreprises, notamment les plus petites, incapables
((11)) - Edwy Plenel estjournaliste et l’un des
co-fondateurs duservice en ligne
Mediapart, et sonprésident. Il a
travaillé durant vingt-cinq ans (1980-2005)au Monde, dont il fut
directeur de larédaction.
((22)) - Elice Lucet estjournaliste et
présente depuisseptembre 2005 le
journal de 13 heuresde France 2, après
une vingtained’années passées à
France 3.
((33)) - Ministre del’Économie, de
l’Industrie et duNumérique, depuis
le 26 août 2014.
Notes
Etienne Drouard, avocat associé, cabinet K&L Gates
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Lundi 23 mars 2015 • n°120Edition Multimédi@ 11
((44)) - Cette liberté,garantie par laConventioneuropéenne desauvegarde des Droitsde l’Homme, échappeclairement auxtentations nationalesde la restreindre. Cedont, en France, leConseil constitutionnelest le garant national,soit en dernier ressort,soit à titreintermédiaire, s’il devaitomettre l’une desexigences intangiblesdéjà posées par la Coureuropéenne des Droitsde l’Homme en lamatière.
((55)) - TPICE, 18 septembre 1996,Postbanke.
((66)) - Cette différenced’objectifs et derésultats marque ladifférencefondamentale delégitimité et deprotection qui sépare levol d’informationsconfidentielles etl’enquête journalistique– comme l’enquêteadministrative oujudiciaire, d’ailleurs.
Notes
de faire face à la diversité des stratégies de pillage et
des contentieux à mener pour y répondre. Ainsi, en
droit pénal, l’incrimination de vol n’est pas applicable
au vol d’information, laissant un trou béant dans la
cuirasse.
Et s’il est possible d’invoquer l’abus de confiance, l’es-
croquerie, l’intrusion dans un système informatique,
le secret de fabrique, le secret professionnel… il ne
s’agit là que de moyens de réponse fragmentés qui ne
recouvrent pas la diversité du pillage d’informations
confidentielles. Les principales victimes de ces
lacunes sont nos PME-PMI innovantes, source d’em-
ploi et de croissance.
La France soit combler un retardEn droit civil, aucune protection spécifique n’est pré-
vue par les textes. Les tribunaux ont tiré du droit com-
mun de la responsabilité une certaine protection
contre la concurrence déloyale. Mais elle n’est acces-
sible qu’à ceux qui ont les moyens de s’offrir l’experti-
se nécessaire à sa mise en œuvre, ce qui n’est pas le
cas des innovateurs les plus fragiles, qui sont pour-
tant l’un des tissus les plus féconds de l’innovation.
Enfin, la phase contentieuse fait trop souvent l’objet
de détournement afin d’accaparer légalement des
secrets indispensables à la position concurrentielle
de l’entreprise. La France doit donc combler un retard
qu’elle accuse depuis longue date par rapport à ses
partenaires et concurrents économiques directs
(États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, …), qui protè-
gent déjà le secret des affaires de leurs entreprises
face aux mêmes phénomènes de pillage que ceux
rencontrés par les entreprises françaises.
Si la liberté d’expression et d’enquête journalistique
autorisent de fracturer des portes, des coffres et des
systèmes informatiques, alors tout secret protégé par
la loi – professionnel, des affaires, défense ou médical
– viendrait violer une telle vision de la liberté d’infor-
mer. Or, ce qui distingue un espion d’un journaliste,
indépendamment des méthodes employées pour
accéder à une information, c’est la notion d’appro-
priation : le journaliste informe et révèle quand le
pilleur s’informe et s’approprie (6). De surcroît, la pro-
tection légale du secret des sources constitue en elle-
même une légitimation des moyens d’investigation
employés à des fins d’information du public, qui vient
compléter la protection de la liberté d’expression,
sans que le secret des affaires ne puisse lui porter
atteinte d’aucune manière.
Or, le projet de texte débattu en janvier 2015 intégrait
des exemptions claires, indiscutées et larges pour
garantir la protection des journalistes et des lanceurs
d’alerte. A ce titre, le projet d’article L. 152-2 du Code
de commerce précise que le secret des affaires n’est
pas opposable « dans les cas où la loi impose ou auto-
rise la révélation du secret ». Le texte ne met donc
nullement en cause les protections existantes, et
notamment celles déjà octroyées par les lois adoptées
entre 2007 et 2013 concernant les lanceurs d’alerte,
ainsi que celles prévues pour l’exercice légitime de
leurs missions par les institutions représentatives du
personnel.
De même, le projet d’article L. 151-2 prévoit : « Toute
atteinte, délibérée ou par imprudence, au secret des
affaires prévue aux deux premiers alinéas du présent
article engage la responsabilité civile de son auteur, à
moins qu’elle n’ait été strictement nécessaire à la
sauvegarde d’un intérêt supérieur, tel que l’exercice
légitime de la liberté d’expression ou d’information ou
la révélation d’un acte illégal ».
En faisant expressément la réserve d’un « intérêt
supérieur », le projet de texte s’est inscrit dans un édi-
fice au sommet duquel figurent un certain nombre de
valeurs, dont, comme il l’indique lui-même, la liberté
d’expression.
Celle-ci constitue la limite naturelle et stable au
secret des affaires, comme elle l’est déjà pour le droit
au respect de la vie privée ou le droit à l’image. Dans
ce domaine, la Cour de cassation rappelle « que ce
droit doit se combiner avec l’exercice de la liberté de
communication des informations, ce dont il résulte
qu’une personne ne peut s’opposer à la réalisation et
à la divulgation de son image chaque fois que le public
a un intérêt légitime à être informé ». Il en va de
même du secret des affaires, nécessairement limité
dans la mesure où le public a un intérêt légitime à être
informé, ce qu’énonce exactement le projet d’article
L. 151-2 du Code de commerce.
Bouclier juridique sous contrôle du jugeEn conclusion, il faudra rebondir pour légiférer sur le
secret des affaires. Vite. A force de conseiller et de
défendre des entreprises innovantes comme des
entreprises de presse, qui peuvent parfois et heureu-
sement être une même entreprise, je constate
qu’elles ont toutes besoin d’armes et de boucliers
dans la « sale guerre » que se livrent les Etats, les
ensembles régionaux et leurs économies. Le secret
des affaires relève plutôt du bouclier juridique. Il ne
peut s’employer que sous le contrôle du juge.
Lorsqu’il peut être un recours approprié, il faut que
les entreprises françaises victimes de pillage écono-
mique puissent s’en servir.
Et que la presse continue de remplir sa mission
essentielle, épaulée en cela par les lanceurs d’alerte,
tout en préservant son indépendance à toute force. @
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souveraineté numérique, sur le thème cette année de
« Quels enjeux pour l'économie française », organisées
par Aromates le 14 avril 2015 à la Maison de la Chimie à
Paris. Renseignements et inscriptions obligatoires :http://www.souverainetenumerique.aromates.fr
• Le 51e Marché international des programmes
de télévision (MipTV), se tiendra du 13 au 16 avril 2015
à Cannes, organisé par Reed Elsevier.
Enregistrement : http://www.miptv.com/en/participate/
• Edition Multimédi@ est partenaire du colloque
NPA-Le Figaro sur le thème, pour cette 21e édition,
de « Les piliers transformation de la numérique », orga-
nisé le 2 juin 2015 à la Maison des Travaux Publics (Paris)
par NPA Conseil. Renseignements et inscriptions :http://www.colloque-npa.fr.
Livre broché, 296 pages, 21,90 eurosen vente en librairie et ici : http://lc.cx/Broché2025