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Gilles-Deleuze-Qu'Estce-Que-Fonder-1956TRANSCRIPT
Gilles Deleuze
QU’EST-CE QUE FONDER?
Cours hypokhâgne, Lycée Louis le Grand, 1956
Notes manuscrites prises par Pierre Lefebvre
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(Le début manque: Deleuze commençait par évoquer les héros
fondateurs de la mythologie. Ex. Ulysse)
…Les empiristes ont raison: ce que nous réalisons ce
sont les fins naturelles.
Mais le comportement a peut-être d’autres dimensions.
Peut-être y a-t-il dans le comportement des fins que la
réalisation passe dans l’inconscient?
L’homme, d’une part, peut réaliser des fins naturelles
et en même temps, du fait qu’il est homme ne se produit il
pas quelque chose en lui? Il transforme les fins naturelles.
Quelle est la fonction d’une cérémonie et d’un rite? Celui-ci se
distingue de la fin naturelle. Soit un groupe social, la famille,
dans son aspect cérémoniel. Elle agit bizarrement. Elle
arrache à la nature des déterminations pour en faire des
évènements de l’histoire: manger, aimer, dormir et mourir. La
fonction de la famille c’est la nourriture en commun,
La sexualité, le sommeil, la mort. La mort est une
détermination de la nature. La famille en fait un évènement
de l’histoire en la recueillant dans la mémoire.
Cette activité du rituel il faut l’appeler cérémonie. De
même la sexualité devient évènement de l’esprit sous la forme
par exemple du consentement. La nature est portée au
niveau de l’histoire au cours de la cérémonie.
C’est en même temps que l’homme transforme…et qu’il
réalise des fins naturelles par des moyens indirects.
Le comportement humain a donc trois pôles: les fins
naturelles sont des fins naturelles transformées, les fins
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naturelles subsistent en elles-mêmes en dehors de la
cérémonie. L’homme les réalise donc. Mais si l’homme ne
réalise pas les fins naturelles cela ne veut pas dire qu’elles
n’existent pas. Elles ne se donnent pas à réaliser parce que la
transformation des fins naturelles en fins culturelles rend
celles-ci infinies. Il faut prendre cela à la lettre. Les morts que
nous aimons c’est une tâche pour nous inépuisable. Peu
importe qu’on s’en détache. Elle n’en reste pas moins infinie.
Dire je t’aime au lieu de dire je te désire c’est se proposer une
tâche infinie. Celle-ci ne se présente donc pas comme à
réaliser. Mais à quoi sert-elle? On dira qu’elles sont
seulement pensées, senties.
Si alors la mythologie est l’imaginaire c’est que les
tâches infinies ne sont pas à réaliser. La mythologie nous
présente cet état des tâches infinies qui nous sollicitent
autrement qu’à réaliser.
Les dieux passent leur temps à boire une boisson qui
leur est réservée. En essayant de vivre un symbole on en
retrouve le sens. Les Dieux immortels passent leur temps à
boire. A l’origine il y a deux groupes de surhomme qui luttent
pour devenir des dieux. L’enjeu de la lutte est la boisson qui
rend immortel. Alors les dieux sont immortels parce qu’ils
boivent. C’est la transformation de la fin naturelle, boire, en
une tâche infinie. Si les dieux cessaient de boire ils ne
seraient plus immortels.
Ce à quoi les tâches infinies servent c’est que seules
elles permettent à l’homme de réaliser les fins naturelles
d’une façon qui ne soit plus simplement directe. C’est
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pourquoi le cynisme est antiphilosophique. Il faut prendre le
cynique au mot. Qu’est-ce qui permet le piège. Le détour que
le cynique voit. C’est précisément que le cynique nie la
transformation des fins naturelles en fins infinies.
Mais les fins naturelles ne sont pas encore des fins de
la raison. Ce sont des valeurs, des sentiments qui sont sentis,
vécus.
Que faudra t’il alors appeler raison? Si les fins
naturelles se présentent à leur tour à réaliser cette fois-ci se
seraient des tâches infinies qui réclament à être réalisées.
Elles deviendront la fin propre de la raison. Celle-ci est la
pensée lorsqu’elle se donne à réaliser elle-même.
Il y a donc maintenant quatre termes:
- les moyens indirects
- les fins naturelles
- les fins culturelles senties
- les fins culturelles de raison
Qu’est-ce alors que la tâche infinie de réalisation?
Kant et Hegel disent que c’est la volonté qui se recueille
elle-même ou s’élève a l’absolu quand elle est volonté de
liberté. Dans cette volonté de liberté il y a l’activité de l’être
raisonnable qui consiste à réaliser la tâche infinie. Pour Hegel
cette réalisation se fait dans une Histoire.
Le fondateur est alors celui qui pose et propose une
tâche infinie
Comment la propose t’il et sur quel ordre?
Fonder c’est élever la nature au niveau de l’histoire et
de l’esprit.Tous ceux qui nous proposent des valeurs se
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réclament d’une fondation.
Quand donc le problème de fonder devient-il
philosophique? A partir du moment où le fondateur nous
propose des tâches infinies comme quelque chose qui doit
être réalisé dans ce monde même. La notion de fondation
devient alors plus claire.
Dans la première manière l’homme s’éprouve comme
être sentant et dans la seconde comme être raisonnable.
D’une manière à l’autre la fondation prend conscience de soi.
Il ne s’agit plus de fonder au niveau des valeurs mais de
s’interroger sur ce qu’est fonder.
Il faut fonder la fondation elle-même.
CONCLUSION DU CHAPITRE I
Des quatre caractères du fondement on peut retenir le
caractère équivoque du fondateur. Celui-ci est moins celui
qui fonde que celui qui se réclame d’un fondement. A la lettre
fonder c’est se réclamer d’un fondement. Ex. Moïse est
fondateur car il apporte une religion en prétendant qu’elle est
fondée.
Il faudra se demander quel est cet être bizarre se
réclamant du fondement. D’où les expressions «bien et mal
fondé» Une nouvelle recherche s’ouvre: quand se réclame t’on
d’un fondement? Quand on ne rapporte plus son activité à soi
agent.
Mais quand invoque t’on autre chose? C’est, nous
l’avons vu, passer de la mythologie à la philosophie en
trouvant un sujet commun à ses actes (caractères). Cette
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racine commune c’est la tâche infinie. Nous avons vu que
dans le comportement humain il y avait quatre caractères:
1- l’homme poursuit des fins naturelles.
2- Il poursuit ses fins obliquement. Il agence des
moyens.
3- Qu’est-ce qui rend possible un tel détour? C’est
qu’en même temps et autre part les fins de la nature
retentissent dans l’imagination. Elles se transforment en
valeurs ou fins originales de l’homme. Ce sont elles qui
justement se présentent comme des tâches infinies, mais qui
en elles-mêmes ne sont pas à réaliser. Elles sont à éprouver.
Elles déterminaient un genre d’action: la cérémonie et le
rituel. Ce sont elles qui permettent la réalisation indirecte des
fins de la nature. L’homme est déjà fondateur. On répond à la
question: à quoi sert de fonder?
4- Ces fins originales de l’homme ne sont pas encore
celles de la raison. Celle-ci comme fin suprême ne pouvait se
présenter que dans la mesure où les tâches infinies
deviennent elles-mêmes comme choses à réaliser.
Les valeurs ont un caractère extrêmement ambigu. Il y
a toujours en elles, semble t’il, une espèce de mystification.
(cf. la philosophie des valeurs). La notion de valeur a été créée
par Nietzsche dans La Volonté de Puissance. Pour lui il n’y a
pas de vérité, il n’y a que des évaluations. Affirmer que tout
est valeur c’est présenter une mystification qu’il faut détruire.
D’où la polémique de Nietzsche. Au contraire les philosophes
des valeurs refusent cette mystification. Mais elle y est tout
de même. On ne sait plus de quoi on parle.
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Le cynisme a tort car il veut qu’on s’en tienne aux fins
de la nature alors que les valeurs sont les règles d’une
détermination indirecte des fins de la nature. Où ils ont
raison c’est que les valeurs ne sont qu’un moyen. Mais
soumises au tribunal de la raison les valeurs deviennent la
fin de l’être raisonnable.
Réaliser l’homme n’a pas de sens. Comment se fait
donc la conversion? La tâche infinie comme valeur était un
contenu de la volonté. Il s’agissait d’autre chose que d’un
simple désir. Aimer c’est d’abord vouloir. La volonté au
niveau des valeurs avait un contenu qui lui était extérieur,
hétéronome (Kant). «Je veux boire» est autre chose que «je
désire boire». Mais la volonté est encore extérieure au
contenu de la volonté.
La conversion est simple. Ces valeurs à réaliser perdent
leurs figures particulières parce que la volonté devient
autonome. C’est une volonté qui ne veut pas autre chose
qu’elle-même. Une volonté qui ne veut pas autre chose que
son propre contenu. L’autonomie est présentée comme
universalité. C’est là exactement la volonté autonome de
Kant. C’est la volonté de liberté (liberté universelle). La morale
kantienne (Critique de la Raison Pratique) consiste à dire qu’il
y a bien une liberté de la volonté lorsque celle-ci veut et ne
veut rien d’autre que la liberté.
La diversité des valeurs venait de ce qu’elles étaient des
fins naturelles transformées. Elles étaient encore rattachées
aux fins naturelles. Mais lorsque la volonté détermine son
propre contenu il n’y a plus de diversité des valeurs.
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Les fondations ne sont plus des tâches infinies qu’on se
présentait comme valeurs. La fondation devenait
conceptuelle. On passe de la mythologie à la philosophie.
CHAPITRE II
«CE QUI FAIT L’ ETRE ESSENTIEL D’UN FONDEMENT
OU RAISON» (Heidegger)
Introduction
Heidegger veut chercher le fondement du fondement. Il
pense que la recherche s’arrête avec la raison de la raison.
“La liberté est le fondement du fondement, la raison de la
raison».
Nous avons vu que fonder c’est se réclamer d’un
fondement, poser une question comme déjà fondée. Alors
qu’est-ce qui se réclame d’un fondement? Qui a besoin que
son action soit fondée?
C’est celui qui prétend. Prétendre c’est prétendre à
quelque chose en vertu d’un droit. Peut-être ce droit est-il
inventé, lui dira - t’on, que ce droit n’est pas fondé. On
prétend à la main de la fille et au pouvoir et parfois aux deux
à la fois (cf. Ulysse). Que veut dire ici le droit?
Toute prétention présuppose un droit. On peut avoir
mauvais caractère à cause des humeurs. Il est juvénile. Dans
le vieillissement le mauvais caractère s’exerce au nom d’un
droit. C’est l’indignation. La mauvaise humeur se réclame
d’un droit. Il y a deux manières d’avoir faim. En elle-même
c’est l’état du besoin qui se présente comme le fait dans
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l’expérience de l’urgence. On cherche à satisfaire sa faim.
Tout est rapport de force. Mais l’état d’urgence ça veut dire
un certain temps, un besoin de retenir un certain temps
déterminé et limité. Le besoin est notre expérience la plus
profonde d’être dans le temps.
L’autre manière d’avoir faim: quand l’homme a faim il
peut arriver qu’au lieu de chercher à manger dans la nature il
revendique. Il y a un rapport de fait et de force. Mais n’est-ce
pas l’exigence qui a été fondée?
Le fondement c’est donc ce qui nous donnera ou ne
nous ne donnera pas le droit. Il se présentera comme le tiers.
Le fondement ou tiers fondement. Prétendre c’est prétendre à
quelque chose. En prétendant on prétend comparaître devant
ce qui peut donner ou confirmer son droit. C’est accepter de
se soumettre à l’épreuve. Le fondement est le tiers parce qu’il
n’est ni le prétendant, ni ce à quoi il prétend, mais il est
l’instance qui rendra le prétendu docile au prétendant.
Jamais l’objet en lui-même n’est soumis à la prétention.
L’exigence et la prétention viennent toujours du dehors sur
l’objet. Exemple: en réclamant la main de la fille on peut se
réclamer de quoi? On prend comme arbitre le père qui est le
tiers, le fondement. Mais le père peut dire: faites une épreuve,
tuer le dragon. Ce qui fonde alors c’est l’épreuve. Affronter le
fondement n’est pas sans danger. Les prétendants n’ont ni
Pénélope, ni le pouvoir.
Le père peut dire aussi que ça dépend d’elle. Il y a
encore un tiers. L’amour que la fille éprouve n’est pas comme
son être lui-même mais le principe qui rend son être docile à
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la prétention.
Il y a toujours un tiers et il faut le chercher puisque
c’est le fondement qui se présente comme un tiers.
Mais est-il tiers parce qu’il vient en troisième?
Certainement pas. Il est même le premier. Mais il est tiers
parce qu’il agit dans l’ombre, dans l’inconscient. Il est
premier. Ce qui est au commencement, voilà le tiers. Une
exploration de l’inconscient sera donc sans doute nécessaire.
Mais pourquoi revendique t’on? Puisque ce n’est pas
sans danger c’est que ça sert à quelque chose. Sans doute ce
quelque chose m’est donné d’une nouvelle manière. De plus
se réclamer d’un droit c’est perdre du temps. Cette perte doit
être compensée. Mais par le détour ne risque t’on pas de
perdre de vue ce à quoi on prétend?
Pourquoi les philosophes disent-ils du fondement qu’il
est un tiers? Définition plus philosophique: le fondement est
l’instance invoquée par et dans l’exigence ou la prétention
comme devant soumettre la chose à cette prétention.
Question: à force de m’intéresser à ce qui soumet la
chose à la prétention ne risquerai-je pas de perdre de vue la
chose elle-même et moi en même temps?
I - De Hume à Kant: formation de l’idée kantienne du
transcendantal.
Kant a eu à sa manière une position telle que le
problème du fondement était posé par rapport à la prétention.
C’est une notion mystérieuse de Kant: le
transcendantal. Pour comprendre cela il faut partir
historiquement de Hume à qui Kant doit beaucoup, bien que
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le premier soit empiriste. Kant va s’apercevoir que le
problème de fond doit être posé autrement. (Hume ne l’avait
pas vu mais c’est grâce à lui qu’il continue.) Hume a apporté
quelque chose de nouveau: l’analyse de la structure de la
subjectivité. Le mot sujet, comme par hasard, est très
rarement employé par Hume. Ce n’est peut-être pas par
hasard. Hegel lui aussi analyse la subjectivité sans prononcer
le mot sujet. De même Heidegger qui va plus loin et qui dit
qu’il ne faut pas employer le mot sujet. Il faut le désigner par
la structure essentielle qu’on a trouvée. Quand on a défini le
sujet il n’y a plus de raison d’en parler. Heidegger, Hegel nous
disent tous que le sujet c’est se développer. Hegel l’analyse
dialectiquement. Se développer c’est se transformer etc.
L’essence c’est la médiation. Heidegger dit que l’essence de la
subjectivité c’est la transcendance. Avec un sens nouveau:
avant c’était l’état de quelque chose dit transcendant, avec
Heidegger c’est le mouvement de se transcender. C’est le
mode d’être du mouvement à ce qui se transcende.
Hume se demande: qu’est-ce que connaître? Il nous dit
c’est dépasser le donné. La connaissance est définie comme
dépassement.
Analogie des trois auteurs
Connaître c’est dépasser parce que c’est dire plus que
ce qui est donné. Je dis le soleil se lèvera demain. C’est un
jugement posé comme vrai. Il implique, semble t’il,
l’affirmation de quelque chose qui n’est pas donné. C’est par
exemple: « toujours demain » qui n’est pas donné. Ce qui
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m’est donné c’est que le soleil s’est levé tant de fois et je sais
que dans le passé il n’a pas cessé de se lever. Je ne dis pas
qu’il s’est levé toujours mais qu’il se lèvera demain (il en est
de même pour l’eau qui bout à 100°)
Hume a pressenti le problème du fondement. La
question «de quel doit» (quid juris) est posée. Hume dans le
Traité de la Nature Humaine dit: je ne discute pas le fait, je ne
suis pas sceptique. Il faut dire que le soleil se lèvera demain.
Il en est persuadé. Mais son problème c’est d’où vient cette
raison. C’est le problème du fondement de l’induction. Il est
persuadé que c’est dans la nature humaine de dire que l’eau
boue à 100). Mais de quel droit le dit-on? De quel droit fait-on
une inférence du passé au futur. Si je juge je dépasse le
donné, mais ce n’est pas le donné qui peut expliquer que
l’homme dépasse le donné.
Hume tombait sur un problème extraordinaire. Il pose
le problème ainsi: connaître c’est dépasser (ce qu’on appelait
prétention, exigence). Mais d’où cela vient?
C’est se demander ce qui fonde la connaissance. Et
selon Hume ce ne peut être qu’un principe subjectif. Ce n’est
pas l’objet c’est le sujet qui permet de trouver le fondement.
C’est lui qui dépasse, qui suscite le problème du fondement.
Ce qui fonde la connaissance ne peut donc pas être
cherché du côté de l’objet connu.
La réponse de Hume peut paraître extraordinairement
décevante. Cela vient de son génie lorsqu’il posa
extraordinairement le problème. Cette réponse c’est que c’est
le principe de la nature humaine qui permet de dépasser ce
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qui est. Ce principe c’est l’habitude. Que veut-il dire? Ce
principe c’est la possibilité qu’à l’homme de prendre des
habitudes. Selon lui l’habitude implique une répétition des
cas semblables et c’est l’expérience qui la fournit (1000 fois
j’ai vu le soleil se lever). L’expérience livre une répétition de
cas semblables. La répétition ne change rien dans l’objet lui-
même. Chaque cas logiquement est indépendant de l’autre. Il
faut pour cela que la nature humaine y soit disposée. D’où
chez Hume l’étrange identité de la raison et de l’habitude.
Hume a posé généralement le problème mais n’y a pas
répondu. Le principe lui semble psychologique. En ce sens
sans Hume il n’y aurait pas eu Kant qui en retient la
légitimité du fondement.
Kant va pousser le problème jusqu’au bout et va
dépasser cette interprétation psychologique. Pour Kant le
fondement doit être un principe subjectif mais ne peut pas
être psychologique. Ce sera une subjectivité transcendantale.
Kant parle d’une remarque: il y a un fait curieux. Non
seulement le sujet dépasse le donné mais le donné se soumet
à ce dépassement. C’est vrai que l’eau se soumet au jugement
de l’homme et boue bien à 100°. Le donné est singulièrement
hostile à ce dépassement. Kant conclu que Hume n’a pas
expliqué cela. Pour une raison c’est qu’il ne pouvait pas, il a
conclu que c’est un principe de notre nature humaine. Kant
nous dit que la nature humaine dépasse le donné de la
nature et en plus voilà que la nature se soumet à ce
dépassement. Comment expliquer que la Nature se soumette
à la nature humaine? Hume avait pensé à cela et dit «c’est
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qu’il y a une harmonie entre les principes de la Nature et la
nature humaine». Sur cette harmonie il est très discret. Il dit
si on veut invoquer Dieu c’est pas cela. Mais Hume n’invoque
guère Dieu. Il invoque Dieu pour les besoins de la cause. Il
avait besoin de Dieu. On pourrait se dire: qu’est-ce qu’il y a
d’étonnant qu’il y est cette harmonie? Mais on ne peut pas
dire à ce point là que les principes de la nature humaine et
ceux de la Nature s’accordent puisque les premiers sont ceux
par lesquels justement je dépasse la nature humaine. Il devra
y avoir soumission de la Nature à la nature humaine.
Cette réponse de Hume était cohérente mais ne
renseignait guère et était inquiétante de la part d’un auteur
qui attaque l’idée de Dieu.
Quelle sera alors la thèse de Kant? Pour lui on n’a pas
le choix. Il faut bien que le donné par lui-même (la Nature)
soit dès lors soumis à des principes du même genre que ceux
auxquels la nature humaine est soumise et non pas l’inverse.
Il faut que le soleil en tant que donné soit soumis à des
principes du même genre que ceux dont dépend ma
conscience du soleil, quand je dis le soleil se lèvera demain.
Le fondement dès lors ne peut plus être psychologique.
Maintenant le principe selon Kant doit être principe de la
soumission du donné à la connaissance. Le principe qui rend
la connaissance possible, qui la fonde, doit en même temps
rendre nécessaire la soumission du donné à cette même
connaissance. Le principe n’est donc plus psychologique car
il ne l’était que dans la mesure où il était seulement principe
de connaissance. D’où le paradoxe de Kant: le fondement est
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subjectif mais il ne peut plus d’agir de vous et de moi. Le
sujet n’est pas nature.
Ce que Kant va appeler sujet transcendantal c’est ce
sujet qui va se distinguer de la subjectivité empirique ou
psychologique car il va rendre compte de ce que le donné se
soumet au dépassement que j’opère. Ce qui rend la
connaissance possible doit rendre nécessaire la soumission
du donné à cette même connaissance.
En style kantien qu’est-ce que cela donne? Dans La
Critique de la Raison Pure, dans la première édition seulement
et supprimée dans la second car il était trop clair et pouvait
conduire le lecteur à l’erreur, on le trouve à la fin. C’est le
texte des trois synthèses (2e section). La synthèse du divers a
un triple aspect.
Ces trois aspects sont:
- synthèse de l’appréhension dans l’intuition.
- synthèse de la reproduction dans l’imagination.
- Synthèse de la recognition dans le concept.
Si le donné n’était pas soumis à des principes du même
genre que ceux qui rendent la connaissance possible: « notre
imagination empirique (c’est à dire notre faculté de connaître
comme par citation, faculté de passer d’une représentation à
une autre suivant une règle) n’aurait jamais rien à faire qui
fut conforme à sa puissance et par conséquent demeurerait
enfoui dans le fond de l’esprit comme une faculté morte et
inconnue à nous.
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II- Caractères du fondement dans La Critique de la Raison Pure
Les trois œuvres majeures de Kant: Critique de la
Raison Pure (fondement de la connaissance), Critique de la
Raison Pratique (morale), Critique du jugement (vivant et
œuvre d’art.
La subjectivité transcendantale au niveau du premier
livre reste une exigence logique. La connaissance est un fait
nous dit-il. C’est un fait qu’il y a des mathématiques, qu’il y a
de la physique. La connaissance en effet réussit.
La question posée par Kant c’est: à quelle condition la
connaissance est-elle possible?
Mais quelles sont les conditions de possibilité? Quid
juris? C’est une position tout à fait originale. Puisque c’est un
fait que nous connaissons nous ne pouvons pas échapper à
l’idée que les objets doivent être soumis à des principes du
même genre que ceux qui règlent la connaissance. L’idée de
subjectivité transcendantale doit être déduite à partir d’un
état de chose. Que l’idée de subjectivité transcendantale soit
indispensable ce n’est pas donner un être en lui-même. (Les
deux autres livres précisent la richesse de la subjectivité
transcendantale.
Chez Kant le fondement a trois caractères:
Condition, Localisation et Limitation.
1) le fondement est condition.
La condition c’est ce qui rend possible. C’est donc une
notion curieuse puisqu’il s’agit de la connaissance. Il y a un
principe qui rend la connaissance possible.
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Le problème classique de la possibilité change tout à
fait de sens. La possibilité est condition de possibilité. Pour
les classiques le possible c’est le non - contradictoire: le cercle
carré est impossible. Ce qui «n’implique pas» (sous entendre
contradiction) cela est possible. Mille choses ne sont pas
contradictoires et ne sont pas pourtant réelles. Le possible
était donc une notion logique et c’était l’être en tant qu’il
n’impliquait pas contradiction. Le non contradictoire
constituait l’être même du possible. Le problème de
l’existence était posé comme le passage du possible au réel.
Dans l’entendement de Dieu il y a le système de tout ce
qui est possible et Dieu par un acte de volonté fait passer au
réel certains possibles. (Cf. Malebranche, Leibniz ).
Le possible devient possibilité de l’être lui-même. Il
conditionne l’être lui-même. Or il y a une discontinuité
indubitable pour Kant entre le possible et le réel. L’idée de
100F c’est toujours l’idée comme possible. L’idée pose l’objet
comme pouvant exister. L’idée de quelque chose est toujours
comme pouvant exister et l’existence n’ajoute rien à l’idée.
L’existant est toujours extérieur à l’idée: il n’y a pas de
passage du possible au réel. L’existence n’est pas donnée
dans un concept, elle lui est donnée dans l’espace et le
temps. Ceux-ci sont les milieux existants. Kant s’interroge
sur les conditions de possibilité de l’être existant. Il s’agit à la
lettre d’une espèce de logique de ce qui est. Le fondement est
précisément le principe qui rend possible. Voila pourquoi
Kant oppose à la logique formelle la logique transcendantale
qui est l’étude du non contradictoire. La contradiction c’est le
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néant. Mais Kant au lieu de considérer logiquement ce qui
n’implique pas contradiction va en faire une fondée sur les
conditions de possibilité. Le fondement rend quelque chose
possible en rendant nécessaire la soumission d’autre chose à
cette même connaissance. Le fondement fonde quelque chose
en rendant nécessaire la soumission d’autre chose à ce qu’il
fait. C’est le tiers. Kant dit que la condition de l’expérience est
en même temps la condition des objets de l’expérience.
Le phénomène kantien n’est pas du tout l’apparence.
On l’interprète souvent comme un compromis
apparence/être. C’est ne rien comprendre car Kant veut
dépasser apparence / être. Le phénomène n’est pas une
apparence qui cacherait l’être mais l’être en tant qu’il
apparaît. Le «noumène» c’est le pur pensé et il ne se distingue
pas du phénomène comme apparence et réalité mais comme
être qui apparaît et être purement pensé.
Le fondement fonde en rendant possible. Il rend
possible en soumettant l’être à la connaissance et cela se
manifeste dans l’opposition.
2) Le fondement localise.
Le fondement se développe. Ce qu’il fonde il le pose
dans un donné, dans un milieu. La connaissance est
précisément dans le milieu et presque au milieu de ce qu’elle
connaît. Or elle connaît les phénomènes. Le fondement en
rendant la connaissance possible situe la connaissance dans
le domaine des phénomènes. Elle sera connaissance des
phénomènes. Il n’y a de connaissance que phénoménale. Le
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noumène, être purement pensé n’est pas objet de
connaissance. Ce qui est fondé: la connaissance est située
dans un milieu exactement défini par ce qui était rapporté
essentiellement à la connaissance. D’où une formule
étonnante: «la connaissance ne commence qu’avec
l’expérience mais elle n’en dérive pas”. Kant dépasse ou
prétend dépasser les empiristes et les rationalistes.
Pour les premiers la conscience ne commence qu’avec
l’expérience. Kant leur donne raison. (Je ne peux pas dire
avant l’expérience que le soleil durcit l’argile ou le fait fondre.)
Mais les empiristes ont oublié que la connaissance ne dérive
pas de l’expérience. Ce n’est pas ce que nous connaissons
dans l’expérience qui fonde dans l’expérience. Ce qui rend la
connaissance possible n’est pas donné dans l’expérience.
C’est pourquoi ces conditions sont transcendantales. Je ne
connais aucun objet à priori. Je dois attendre l’expérience
pour connaître. Il n’en reste pas moins que je sais sur l’objet
quelque chose à priori: qu’il sera dans l’espace et dans le
temps et qu’il remplira certaines conditions, à la fois
conditions de la connaissance et conditions de l’objet de la
connaissance.
Enfin je sais de tout objet qu’il est soumis à la
causalité, qu’il est un et multiple.
Mais quelles sont ces conditions? L’un, le multiple, la
causalité sont des catégories. Kant fait une table des
catégories. Il y en a douze (pas espace et temps). Ce sont les
prédicats, les attributs universels qui sont attribués à tous
les objets possibles. Je ne connais aucun objet à priori mais
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je sais à priori toutes les conditions auxquelles un objet quel
qu’il soit est nécessairement soumis.
Le fondement doit faire de la connaissance, une
connaissance des phénomènes.
3) Le fondement limite
Il impose à la connaissance une limite. Si je prétends
quelque chose à priori sans expérience, par là même je
dépasse les limites de la connaissance. Et quand on a cette
prétention? Quand je fais de la métaphysique. Quand je
pense que les catégories, au lieu d’être les conditions des
phénomènes, me font connaître un objet en soi. La
métaphysique au lieu de dire tout objet est soumis à la
causalité, pense que le principe de causalité fera connaître
quelque chose indépendamment de l’expérience: l’âme ou le
monde ou Dieu.
D’où le fameux thèmes de La Critique de la Raison Pure:
une critique de la métaphysique, non parce qu’il voudrait la
remplacer par la science (comme les scientistes) mais par ce
qu’il veut la remplacer par la logique transcendantale.
Substituer à la philosophie science une réflexion sur les
possibilités de la science. L’idée de science n’est pas
scientifique. Seule une analyse philosophique peut justifier
cette idée, le fondement de la connaissance en lui donnant
des bases qu’elle ne peut pas dépasser.
L’ennemi de la connaissance n’est plus seulement
l’erreur. Elle est menacée du dedans par une tendance, une
illusion selon Kant, à dépasser ses propres limites.
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Kant essaye alors dans la dernière partie de nous
montrer que nos questions sur le monde etc. sont des faux
problèmes.
Ces trois sens se retrouvent chez un auteur qui en ce
sens n’a pas tort de se réclamer de Kant: Heidegger1. Pour
Heidegger le monde est structure de l’existence humaine.
Alors la notion de monde ne peut plus être séparée de la
manière d’être de l’homme. Celle-ci est la transcendance ou le
dépassement. Le mot transcendant ne signifie plus un être
extérieur ou supérieur au monde mais un acte. L’existence
humaine existe comme transcendante. Heidegger distingue ce
que nous dépassons et ce vers quoi nous dépassons. La
transcendance est l’essence de la subjectivité et il remplace
même ce mot par transcendance.
Ce que nous dépassons? En tant que l’homme a un
corps etc. c’est un existant parmi d’autres existants. Mais
l’homme n’est pas un existant comme les autres par ce
pouvoir de dépasser. Et ce qui est dépassé c’est l’existant lui-
même, c’est le créé.
Vers quoi est-il dépassé? C’est vers le monde. Mais ce
«vers quoi» n’existe pas indépendamment de l’acte de
transcendance. Ce qui est dépassé c’est bien la totalité du
créé mais ce vers quoi nous dépassons c’est le monde
structure de la subjectivité.
Nous trouvons alors la distinction fondamentale de
Heidegger: l’existant et l’être de l’existant. Tous les
philosophes, sauf Kant, ont traité l’être comme quelque chose
1 Cf. son livre sur Kant et la métaphysique.
22
qui est. Heidegger leur reproche, il va jusqu’à dire que c’est
essentiel à la métaphysique de traiter l’être comme existant et
son histoire est celle de l’oubli de l’être. L’être de l’existant ne
se ramène à aucune existence, pas même à Dieu. C’est l’être
même de ce qui apparaît, c’est ce en quoi se trouve fondée
toute apparition comme telle. Le privilège de l’homme est
précisément de dépasser l’existant et se mettre en rapport
avec l’être. L’homme est le berger de l’être.Pourtant l’homme
est parmi l’existant.
Le maître de Heidegger fut Husserl. Chez celui-ci la
notion de conscience reçoit une nouvelle signification. Elle
n’est plus du tout définie comme intériorité. Pour lui la
conscience est définie comme dépassement: «toute conscience
est conscience de quelque chose”. C’est la notion
d’intentionnalité.
Est-ce que Husserl pouvait garder l’idée de conscience
dans la mesure où il rénovait l’idée de subjectivité? Heidegger
n’a-t-il pas raison?
En tous cas c’est bien à partir de la nouvelle conception
husserlienne de la subjectivité que Heidegger va concevoir le
monde.
La triple notion de fondement s’éclaire.
1- en dépassant, l’existence humaine fait advenir le
monde. Elle institue le monde.
2- prendre pour base la réalité humaine. L(homme, n
même temps qu’il fait advenir le monde, est dans le monde. Il
est au milieu. Bien plus il est investi par l’existant car «pour
dépasser l’existant encore faut-il être accordé à son ton».
23
3- fonder signifie motiver. Heidegger développe le thème
que toute motivation trouve sa racine dans la transcendance.
Poser une question sur l’existant suppose l’acte de la
transcendance.
4- D’où l’identification entre la transcendance et la
liberté. La liberté c’est ce qui fonde le fondement lui-même.
La liberté est liberté de fonder. C’est la raison de la raison.
Quelle est la différence entre la thèse kantienne et celle
de Heidegger?
Nous avons vu la ressemblance. La différence est
curieuse. L’influence de Kant sur Heidegger est évidente et
pourtant il y a un changement de ton. Il existe pour qu’on ne
fasse pas un contre sens sur le kantisme. Les «phénomènes»
de Kant c’est précisément l’existant. C’est ce qui apparaît et
non l’apparence. Alors pourquoi Kant oppose t’il phénomène
et noumène? Parce qu’il est le premier à ne pas avoir
confondu l’existant et l’être de l’existant.
Comment concevoir le rapport des deux subjectivités?
Avec Heidegger le transcendantal devient une structure
même de la subjectivité empirique. Seulement cela devient la
structure essentielle. Le transcendantal est réduit à la
transcendance, au dépassement. Peut-être que la subjectivité
transcendantale perd alors de son importance. Chez Kant elle
rendait la connaissance possible car elle soumettait les objets
sensibles à la connaissance humaine. Mais le sujet
transcendantal c’est ce qui rend possible la transcendance en
soumettant nécessairement les phénomènes à cette opération
de dépasser. Le sujet transcendantal c’est ce à quoi la
24
transcendance même était immanente.
Avec Heidegger au contraire ce qui disparaît c’est la
distinction entre la transcendance et le transcendantal. Chez
lui ils sont identifiés au point que ne se distingue plus ce qui
fonde et ce qui est fondé. D’où la racine de tout fondement est
la liberté.
Conclusion
Nous avons essayé de montrer en quoi le fondement
était un tiers.
Ce qui est fondé, disions nous, n’entre pas tout seul en
rapport avec le fondement. Il fonde quelque chose en lui
donnant autre chose. Tout le problème est de savoir quelle
est la nature de cette autre chose. Il semble que chez les
philosophes une fois le fondement trouvé cela ne change rien.
Kant fonde les mathématiques, la physique et pourtant il
nous dit c’est un fait. Elles restent les mêmes après avoir été
fondées. Et pourtant si le fondement laisse subsister ce qui
fonde on peut se demander à quoi ça sert. En revanche si
fonder change quelque chose alors on voit à quoi ça sert.
Tout fondement n’entraîne t’il pas une surprise
inattendue? Le fondement n’entraîne t’il pas quelque chose
qu’on attendait pas? Ce n’est peut-être qu’à première vue que
chez Kant que les choses restent les mêmes. Cf. le livre
d’Alquier sur Descartes. Pour lui il y a toute une évolution de
Descartes. Petit à petit il se serait aperçu qu’il ne suffisait pas
d’une méthode mathématique pour fonder la connaissance
mais qu’il fallait un véritable fondement métaphysique. Mais,
25
dit Alquier, ceci l’amène à un renversement complet de l’idée
qu’il se faisait de la science. La recherche du fondement nous
apporte donc autre chose que ce qu’on en attendait.
Celà, on peut l’appeler surprise ou déception.
Ce qui reste à se demander c’est pourquoi de
philosophes nous donnent l’impression qu’il faut rechercher
le fondement et pourtant qu’il ne change rien. Problème chez
Kant. Mais justement chez lui il y a une séparation:
l’opération de fonder est séparé du changement qu’apporte
l’opération de fonder.
Une fois dit que le fondement a bien les caractères que
Kant et Heidegger lui reconnaissent, en quoi ce qui est fondé
va manifester dans sa propre nature le changement, la
modification qui va permettre de répondre à «qu’est ce que
fonder?»
CHAPITRE III - FONDEMENT ET QUESTION
Introduction
Le fondement est un tiers. Le fondé de ce fait prend
une autre figure.
En quoi la chose fondée change d’état? Ce tiers ne se
ramène ni au fondateur, ni au commencement. Quel est-il?
Quelle surprise nous apporte ce qui est fondé?
Là on pourrait se demander quel est le mobile de la
philosophie.
Pour les uns c’est l’étonnement. Pour les autres c’est
l’angoisse.
26
On avait vu ce qui apparaissait de nouveau mais
mythologiquement: c’est une dimension cosmique. Répétition,
éternel retour (thème cher à Nietzsche).
Résultat: celui qui appelle un fondement exige. Il se
pose comme pourvu d’un droit. Le quelque chose réclamé est
le fondé. Cela oppose l’homme à l’animal. L’homme trouve la
raison sous la forme de l’énoncé d’un droit.
On avait distingué trois sens du fondement chez Kant
et Heidegger.
1) fonder c’est rendre nécessaire la soumission de l’un
à l’autre. Le fondement est bien un troisième terme, le tiers.
2) Le fondement est l’assignation d’un domaine ou d’un
territoire.
3) L’exigence a des conditions de validité. Le domaine
sa limite.
Ici on retrouvait les deux mêmes problèmes mais sur
un plan philosophique.
Equivoque: le fondement et celui qui s’en réclame.
Qu’est-ce qu’apprend au fondateur le principe qui fonde? Est-
ce que ce principe préexiste? Est-ce une réponse qu’il
apprend? Dans l’idée même de fondement il devra y avoir le
rapport entre les deux termes: le fondateur et la nouvelle
figure du fondé.
Est-ce que ce que le fondement révèle loin d’être une
réponse n’est pas une question?
Le sphinx formule une question. Celui qui de réclame
du fondement reçoit du fondement une question. L’équivalent
mythologique c’est l’oracle, la prédiction.
27
Le fondement nous dit de quoi il s’agit. Cela suppose
que nous ne savions pas en quoi consistait la question avant
de faire appel au fondement. Alors le rapport fondement
fondateur est d’autant plus complexe que le fondement ne
donne pas une réponse mais une question. Dès lors de ce fait
en affrontant le fondement on est fondateur, on dispose de la
question.
Il faudra découvrir la nouvelle figure que prend le fondé
lui-même. Mais qu’est ce que cette question? Nous croyons
toujours que ce sont les solutions qui sont à déterminer.
L’activité d’interroger reçoit pour nous sa détermination de ce
qui la supprime. Or par là nous est suggéré que la question a
en elle-même une structure.
Qu’est ce que la question qui réunit fondement,
fondateur et changement du fondé?
Style particulier aux philosophes. Il y a des questions
propres aux philosophes et qui laissent sans voix. Heidegger
arrive après un effort à une question qui risque de nous
décevoir. Il en arrive à «pourquoi y a t il de l’être plutôt que
du néant?” Et s’il se répète c’est qu’il veut suggérer qu’on ne
peut attendre de réponse du type empirique à des
interrogations empiriques. Peut-être au niveau philosophique
la réponse est elle contenue dans la question.
Leibniz: pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que
rien? Pourquoi y a-t-il ceci plutôt que cela? Désormais tout
est renversé, le fonds nous apprend une question et seule la
question peut élucider le problème.
Quelles sont les hypothèses possibles? De la question
28
philosophique quelle qu’elle soit on peut faire trois
hypothèses.
1) Peut-être est ce une question volontairement sans
réponse. Son objet serait de faire taire les réponses.
Philosophie du paradoxe de Kierkegaard, de Chestov. Russe
étrange mort vers 1930, car historiquement Chestov n’a
connu que fort tard Kierkegaard et la ressemblance de leur
philosophie jusque dans leur expression est un cas étonnant
de coïncidence. Il a écrit sur le ton du commentaire, un ton
extraordinaire. Il prend à parti Tolstoï et Dostoïevski. Livre
introuvable, sa thèse sur Shakespeare.
Ils appellent cela aussi philosophes du scandale, de la
provocation. Penser c’est aussi penser contre la raison.
Avec Socrate commence la décomposition, la trahison.
Les deux auteurs nous le verrons divergent. Après, pour
Chestov, il reste l’homme et ses questions: absurde. Pour
Kierkegaard il reste après la foi. Le fils d’Abraham lui est
rendu mais dans le domaine de l’absurde.
2) La question est telle qu’elle contient en elle d’une
certaine manière la règle de toutes les réponses possibles.
Elle nous livre les principes qui serviront à la solution de tous
les problèmes. Leibniz pense qu’une méthode doit être
universelle. C’est la caractéristique universelle dont le
principe serait découvert dans la structure de tous les
problèmes:
a) identité: 4 principes
b) raison suffisante
c) indiscernabilité
29
d) continuité.
3) La question nous donne une règle pour distinguer
les vrais problèmes et les faux et c’est cela qu’il faut attendre
de ce qui fonde. C’est la direction de Kant. Pour lui l’illusion
typique ce sont les problèmes posés par Leibniz: pourquoi
ceci plutôt que cela, etc.
4) Un auteur est en ce sens plus kantien, c’est Bergson.
Vision irrationnelle du fondement.
Première hypothèse: le fondement est lié au fond.
Obscurité de cette notion. En appeler à ce qui fonde n’est ce
pas être prêt à aller jusqu’à l’absurde?
Seconde hypothèse: le fondement est connu
rationnellement. N’y t’il pas l’idée d’une raison suffisante
comme dit Leibniz? De l’origine radicale des choses dit
Leibniz.
Troisième hypothèse: le fondement serait une
conception critique. N’y a t’il pas là aussi cet aspect dans le
fond? Distinction entre la validité et la non validité.
D’une manière historique un grand philosophe a manié
les questions, c’est Socrate.
Il y a rapport d’essence entre fondement et question
I) Socrate et la question
Socrate procède par question et réponse. Mais pour
répondre Socrate dit «je n’y suis pour rien». Il dit «je suis la
question ou l’amour ou le philosophe».
Ce qui est en question c’est la dialectique. Elle part de
Parménide, de Zénon. On la retrouve chez Socrate et Platon,
chez les Stoïciens et Aristote. On la trouve chez Kant, Hegel et
30
Marx. Tous se réclament différemment de la dialectique.
Etymologiquement: conversation et distribution.
Comment ces deux notions s’organisent elles dans la
dialectique? Qu’est ce qui est distribué dans la conversation
pour que ce soit une dialectique?
Sont distribuées les questions et les réponses. Grande
difficulté de socratisme. Socrate en a contre un état de chose
qui lui semble propre de la cité athénienne: tout le monde en
politique parle perpétuellement et sans savoir. (Voilà
pourquoi il flirte avec les sports). La démocratie: n’importe
qui peut avoir son mot à dire. Il s’insurge contre cela.
Les questions de Socrate dans les petits dialogues
consistent à contourner l’interlocuteur, à le mettre dans la
contradiction, si bien qu’il n’a plus qu’une issue, la colère.
Socrate met l’autre dans la contradiction.
A première vue la dialectique consiste dans une
distribution des questions et des réponses selon des
personnages. Mais il n’y a jamais Socrate qui pose des
questions. On lui dit “tu es la torpille”. Il s’agit d’autre chose.
Les deux personnes s’anéantissent chacune. L’interlocuteur
est anéanti dans ce sens qu’il tombe dans la contradiction. Il
est mort au niveau du logos. Socrate lui-même dit “je n’y suis
pour rien”. Il semble se supprimer lui-même. D’où
l’importance du symbolisme de la mort de Socrate. Celui-ci
meurt aussi dans le logos. A première vue il s’agit d’une
distribution, à seconde vue c’est un double anéantissement.
Il fallait forcer les personnes à se taire d’abord: premier
aspect de la question. Chestov trouverait cela très bien car
31
selon lui il fallait en rester là et pousser le plus loin possible
ces questions qui sont mes réponses puisque le but essentiel
est de faire taire les réponses.
Contre qui en a Socrate? Contre la doxa, l’opinion.
L’état de la doxa? Elle a un thème essentiel: d’une part,
d’autre part. Elle affirme les vérités partielles et les affirme
comme telles: lorsqu’elle touche à son génie bien sûr, à sa
propre vérité. Ce qu’elle pose comme absolu c’est une vérité
partielle. Le d’une part et d’autre part est le pire ennemi de
l’opinion: la doxa fait la part des choses.
Beau texte de Marx dans Misère de la Philosophie. La
philosophie de Proudhon, dit-il, est une philosophie de petit
bourgeois parce qu’il croit que la dialectique est d’une part,
d’autre part. Une pensée qui en reste à ce stade, dit Marx, est
une pensée de petit bourgeois d’opinion. L’opinion répartit
ses grands thèmes à ce niveau. La structure de l’opinion
repose sur une structure de l’appropriation. C’est contre cet
état que la philosophie en a. Le bon sens est la cible de la
philosophie. Elle dénonce la prétention du bon sens à être
philosophie. Le bon sens répartit les vérités en parts. Il a un
orgueil diabolique celui qui répartit mais usurpe car ce sont
des vérités partielles.
La phrase de Descartes: “Le bons sens est la chose du
monde la mieux partagée” a un côté volontairement comique.
Le bons sens par essence distribue, répartit. Il y a une
mystification interne dans ce texte. Il suffit de regarder le
contexte, personne ne dit je suis bête. Descartes dit: prenons
les aux mots. C’est très brûlant mais très dangereux. Drôle
32
de chemin pour la philosophie: il y a des imbéciles en fait, dit
Descartes, mais jamais en droit. Le problème de la bêtise est
renvoyé à la psychologie individuelle. Cette interprétation est
seule sérieuse… et discutable. Il a éliminé la bêtise du
problème théorique de la pensée qui sera réduit au vrai et au
faux. Donc la règle essentielle du bon sens est la répartition.
Confirmation: Hegel dans Différence entre le système de
Fichte et le système de Schelling écrit des pages étonnantes
sur l’opposition bon sens et philosophie. Au niveau du bons
sens, de la doxa, dit Hegel l’absolu n’est plus rien que
sentiment et la vérité retombe comme simple vérité partielle,
mais il la présente comme fond de la vérité en la présentant
dans l’absolu.Or Hegel veut dépasser ce stade (Marx aussi à
propos de Proudhon). L’absolu ne peut pas être objet d’un
sentiment. La vérité ne peut pas être vérité partielle. C’est le
concept de Hegel.
Secret de l’ironie socratique: le dialogue procède à une
répartition. Chaque vérité partielle, pense t’il, procède par
vérité contradictoire. Socrate a juste pris assez de doxa pour
la contredire. La vérité partielle s’oppose à la vérité partielle et
tombe dans la contradiction. En apparence c’est une bonne
organisation du dialogue, en réalité c’est la suppression du
dialogue mais de l’intérieur. La doxa n’a plus alors qu’une
solution, la colère. La doxa sent vaciller le sentiment de son
absolu. Toute opinion est conformiste. Elle est non
paradoxale. Le paradoxe cherche à trouver un domaine où les
répartitions se contredisent. Les Anciens et Socrate aussi
étaient friands de paradoxes. Cf. le paradoxe moderne des
33
méchants sauvages sur l’idée des arts. Les mathématiques
sont là pour les résoudre. Dans l’île une règle: on lui dit
«prononce une phrase, si elle est vrai tu es pendu, si elle est
fausse tu es fusillé». Jusqu’au jour où un étranger dit «je
serai fusillé». Et on ne peut plus le fusiller.
Les logiciens se sont penchés sur le problème du
paradoxe. Kantor a élaboré la théorie des ensembles
mathématiques. Il trouva un paradoxe bizarre. On appelle
ensemble normal tout ensemble qui ne se contient pas lui-
même comme élément. On n’arrive pas à une totale
intériorité. Appelons E l’ensemble de tous les ensembles
normaux. Contradiction logique immédiate. Paradoxe.
Constitution essentielle d’un élément tel qu’il contraint et
force l’ensemble dont il fait partie à se contredire c'est-à-dire
à se contredire comme élément. Je mens est un non sens car
ce n’est rien d’autre que la détermination d’une chose remplie
par des propositions mensongères.
Il faudrait analyser d’un point de vue seulement logique
et même formel le point de vue de Pascal. Le pari ne porte pas
sur Dieu lui-même mais sur l’existence de l’homme pour qui
Dieu existe et sur l’existence de l’homme pour qui Dieu
n’existe pas. Pascal dit si ce dernier savait qu’il faut parier
alors il ne choisirait pas son mode d’existence. Du point de
vue formel le thème du choix assure deux déterminations
logiquement contradictoires.
Il y a là une véritable agression contre le bon sens. Le
paradoxe montre le caractères contradictoires des vérités
partielles en elles mêmes. Le paradoxe me présente un
34
élément impossible à répartir dans l’ensemble dont il fait
partie parce qu’il entraîne cet ensemble à se comprendre
comme un élément.
La question revient à Socrate. Le bons sens et la
philosophie sont ennemis (véritable tauromachie). Socrate en
est mort. Amitos est le représentant des classes moyennes
athéniennes. Il représente l’idéologie des classes moyennes
qui est une réclamation de la représentation juste. Dans le
mythe de Protagoras un sophiste n’est pas pris à son compte
par Platon, ce mythe est celui de la répartition (technique =
répartition inégale et conscience politique = répartition égale).
Dans la répartition il y avait le langage, le logos. Or le bons
sens, dit la philosophie, ce n’est rien.
Mais quelle est l’origine de la philosophie? Problème:
pourquoi la philosophie ne fait elle pas partie de toutes les
civilisations? La philosophie est dans son essence chose
grecque et il ne faut pas la chercher dans d’autres cultures,
n’importe quelle culture.
Les pays qui ont créé en philosophie? D’abord grecque,
puis elle devient française, anglaise, allemande depuis le XIXe
siècle jusqu’à nos jours. La révolution française n’a pas été
pensée en France mais en Allemagne.
Comment expliquer que l’Espagne, l’Italie, bien qu’on
puisse citer des philosophes de ces pays, n’aient pas produit
des courants philosophiques fondateurs?
Hypothèse: peut être que la philosophie trouve son
origine dans l’existence même de son ennemi, dans les
classes moyennes? Rome, grand problème: disparition
35
précoce des classes moyennes. Vrai pour l’Espagne, faux
pour L’Italie. Au niveau de Socrate c’est absolument vrai. Le
socratisme se constitue contre la doxa. Pour Isocrate la doxa
est la seule philosophie. Procédé d’une pensée procédant par
répartition. Si la philosophie naît en Grèce c’est par ce qu’il
s’y forme une condition négative de son existence.
Conclusion quant à la méthode même de Socrate. Il
semble instaurer des règles qui fassent du langage une chose
sérieuse. Ce qui produit un doute c’est l’ironie socratique. En
effet il n’y a pas de dialogue socratique. Il emprunte le
dialogue pour l’anéantir. Il veut que le dialogue se supprime
lui-même. Il y a une séduction du dialogue. C’est cela l’ironie
socratique. A chaque question qu’il pose il élimine une vérité
partielle et ,à la fin, il y a mort de la contradiction représentée
par le contradicteur.
Autre idée de Socrate: que se passe t’il pendant cette
destruction? Socrate sait qu’il n’y est pour rien. Il ne croit pas
au dialogue. Positivement ça signifie quoi? Les sophistes
détestaient les longs discours parce que c’étaient des
discours de certaines personnes. Ce n’est pas le discours lui-
même que Socrate refuse mais que le discours ne soit plus
celui des personnes. Il veut que la science du discours vienne
d’une identité du discours et de la chose: c’est l’idée. Il veut
que le logos soit l’expression du réel comme tel. Le rapport
n’est plus entre les âmes mais entre l’âme et l’idée. C’est ce
que Socrate appelle la réminiscence. C’est que l’idée se
présente comme déjà là. La manière dont l’âme entre en
contact avec l’idée est toujours pour la deuxième fois. L’oubli
36
est pourtant fondamental. Il est métapsychologique. L’oubli
est devenu le rapport fondamental entre l’âme et l’idée.
Comment l’oubli, terme négatif, peut il avoir ce rôle? L’âme
incarnée se trouve devant des objets extérieurs qui lui disent
quelque chose. C’est donc dans le monde sensible qu’on fait
des rencontres qui éveillent en nous le ressouvenir de l’idée.
L’oubli fondamental s’exprime dans les rencontres qu’on fait
dans le monde. L’oubli se pose comme étant déjà là, d’où tout
le thème de l’existence antérieure. Ainsi Socrate fait résoudre
à l’esclave un problème de mathématique.
La question devait donc être telle qu’elle portait sur un
véritable fondement susceptible de servir de règles à la
solution des problèmes. C’est par ce que la question s’élève
jusqu’à l’idée qu’elle entre en relation avec des principes
servant à la solution des problèmes.
Comment les choses sensibles participent elles à l’idée?
Le plus profond dans la philosophie de Platon c’est de
savoir comment les idées existent entre elles. Il s’agit de
penser le rapport de l’intelligible. Ce sera l’objet le plus
profond de la dialectique. La question propre porte sur les
règles permettant de constituer les règles elles mêmes.
II — La question qui fait taire (Kierkegaard, Chestov)
a) Le plus lyrique et le plus simple. Ils ont une attitude
ambivalente à l’égard de Socrate. Ils le haïssent et pourtant il
les obsède. Ils opposent Socrate et Job. Ce qui les intéresse
chez Socrate c’est le premier aspect de la question socratique,
37
l’ironie2. Pourtant Socrate dénature la question qui fait taire
en allant au-delà. Pour eux Job est le penseur privé, il a su
ne pas trahir. Socrate lui a tourné au professeur public. Job
est celui qui a demandé des comptes qu’il exigeait de
première main. Or la doxa par nature se contente de réponse
de seconde main. Mais pour Kierkegaard et Chestov la raison
se contente de réponse de seconde main. La raison demande
qu’on se soumette, qu’on reconnaisse la loi. Le problème de la
pensée va être posé de façon singulière. La raison appelle
crime de l’esprit le crime de la loi. Mais dit Chestov jamais la
raison n’a appelé scandaleux le meurtre de Socrate ici et
maintenant.
La trahison de Socrate c’est qu’il partait bien pour
demander des comptes de seconde main. Job lui en restera à
ses questions et ne se contentera pas de réponse de seconde
main. Job prend Dieu à part, il exige une réponse de première
main. Peut-être qu’une telle réponse n’existe pas d’ailleurs.
Ce refus de la raison est important parce qu’on le
retrouvera dans les philosophies dites irrationalistes. Elles
privilégient d’autres puissances que la pensée. Mais plus
profondément ils pensent qu’on peut penser contre la raison.
Mais pourquoi cela? Parce que la raison nous convie toujours
à obéir, à nous soumettre à la généralité. Ainsi Kierkegaard a
dans sa vie un secret qui l’étouffe, «l’écharde qu’il a dans la
chair», la relation de Kierkegaard avec son père. Il n’est
jamais arrivé à Kierkegaard qu’une histoire mais elle est de
taille, ses fiançailles (suis-je capable de me marier?). Le
2 Cf. Le concept de l’ironie de Kierkegaard.
38
problème fiançailles/mariage n’a de sens qu’au niveau de
l’éthique. Le problème de Kafka était analogue, sa fiancée
Régine était un véritable concept philosophique (cf. Journal
d’un Séducteur: «Ma femme m’est une petite sœur que j’aime
beaucoup, chez qui j’habite». Dans Ou bien... Ou bien il
s’interroge sur le sens du mariage. Il y a un véritable saut
qualitatif des fiançailles au mariage. Que signifie cette idée de
fiançailles rompues? C’est l’évènement singulier.
Chestov a donné une Philosophie de la tragédie de
l’absurde. Cf. le mythe de Sisyphe. Il se réclame de
Dostoïevski qui a le premier fait la critique de la raison et non
Kant. “Si Dieu n’est pas tout est permis” est chez Dostoïevski
et dans La Volonté de Puissance. Cela signifie qu’il faut
ordonner. Ils invoquent le thème nietzschéen, par delà le bien
et le mal et Chestov y ajoute par delà le vrai et le faux. Le
thème du pari pascalien est bien dans cette lignée. Il faut
substituer l’éthique à la morale.
b) La morale nous fait toujours penser à devoir et à loi.
Mais elle nous annonce aussi que le devoir est premier. Le
fondement du devoir est dans notre perfection supposée en
tant que nous sommes supposées être raisonnables. Le
problème devient; «qu’est ce qu’on doit?» Mais tout un groupe
d’auteurs maudits existe. “Qu’est ce qu’on peut?” demandent
ils. Alors le devoir n’est pas premier. Il s’agit pour eux d’aller
jusqu’au bout de ce qu’on peut. S’il n’est pas vrai que le
devoir, la loi soient premiers il faut alors réaliser tout le
pouvoir.
L’origine est juridique. Vers le XVIe siècle apparaît un
39
renversement qui risque aujourd’hui de passer inaperçu.
C’est la théorie de l’état de nature et de l’état civil avec
Hobbes, manieur de paradoxes. On en a fait une théorie
classique par ce qu’on la confond avec ce contre quoi elle
s’élevait, la théorie antique de la loi naturelle qui exprimait
notre nature d’être raisonnable. Hobbes commence à
demander des comptes. Il estime que la loi naturelle à un
sens si on la rapporte à l’ordre réel et concret des mobiles et
passions de l’homme. C’est alors le pouvoir et le droit qui
sont premiers et inconditionnels. Puis chez Hobbes il y aura
l’idée que la loi doit limiter le pouvoir (il n’en reste pas moins
le premier). Or on retrouvera ce thème juridique chez tous les
auteurs qui critiquent la loi.
Le problème de l’éthique est celui du pouvoir. C’était
déjà le thème de Calliclès dans le Gorgias. Il accepte de briser
la loi qui me sépare de ce que je peux. L’éthique se heurte
toujours à la loi. Si Spinoza appelle son livre L’Ethique c’est
pour cela. La loi qui défendrait est pour lui une mystification.
La loi morale n’est finalement jamais qu’une loi naturelle mal
comprise. (cf. Adam et la pomme: une indigestion). Le devoir
est pour lui une forme illusoire. Malgré son rationalisme il
nous dit tout le temps que les hommes diffèrent uniquement
de ce qu’ils peuvent. La vertu est la réalisation de sa propre
puissance. Le crime est vertu s’il exprime un véritable
pouvoir. Spinoza finalement est rationaliste par ce qu’il
s’attachera à démontrer que le crime est diminution de
pouvoir.
Donc pour tous il s’agit d’abord de commander pour
40
réaliser sa propre essence. Cette philosophie chez
Kierkegaard pourra se dire véritable philosophie de l’absurde.
Pour lui il y a une réponse sur un certain plan, irrationnel,
quand l’homme a été jusqu’au bout. C’est déjà peut on dire
une philosophie existentielle. Il y a pour eux deux manières
d’exister et la notion de choix se comprend ainsi. Il y a ceux
qui existent d’une manière inauthentique, ceux qui se
soumettent, qui ne savent pas quelle est la question. Il y a
ceux qui existent authentiquement, qui savent que la
question est d’aller jusqu’au bout de ce qu’on peut. Ainsi la
question de la morale porte sur quelque chose d’autre que le
questionnant. Alors que la question de l’éthique ne porte sur
rien d’autre que le questionnant. Ce thème d’aller jusqu’au
bout va définir la pensée. Elle doit elle aussi aller jusqu’au
bout. Et penser quoi? L’impensable dit Kierkegaard. Cette
pensée se réconcilie avec la vie. Kierkegaard demande
«donnez moi donc un corps». Les rapports de la pensée avec
la vie: réclamation d’une unité. Or c’est la vie qui doit se
soumettre à la pensée dans le socratisme, c’est la vie
raisonnable, philosophique. Au contraire chez Kierkegaard la
vie ne peut pas renoncer à soi, se soumettre à l’ordre de la
raison. Le paradoxe exprime un divorce de la vie et de la
pensée. Dès lors c’est la pensée qui se soumet aux catégories
de la vie. Il s’agit pour cela de penser l’impensable (cf. les
miettes philosophiques, les riens philosophiques). Il ne faut
pas penser du mal du paradoxe, cette passion de la pensée et
les penseurs qui en manquent sont comme des amants sans
passion c'est-à-dire de piètres partenaires. Mais le paroxysme
41
de toute passion est toujours de vouloir sa propre perte et
c’est également la suprême passion de l’intelligence que de
rechercher le choc quoique ce choc d’une façon ou d’une
autre la mène à sa propre ruine. C’est là le paradoxe suprême
de la pensée que de vouloir découvrir quelque chose qu’elle-
même ne peut pas penser.
Dans ce livre Kierkegaard oppose sa méthode à la
méthode socratique. (Le Menon, apprendre c’est se souvenir).
Socrate se demande comment la question est possible.
L’activité de questionner implique pour lui le savoir et le non
savoir. Alors le fondement de la question est précisément
dans la ressouvenance et la réminiscence.
Pour Kierkegaard qu’est ce que cela signifie?
1- toute recherche pour Platon n’est que du souvenir.
La vérité ne vient pas du dehors dans l’âme, mais celui qui
ignore n’a qu’à recourir au souvenir pour prendre soi même
conscience qu’il sait.
2- Si la vérité est comme intérieure dès lors Socrate le
maître n’est qu’une occasion pour le disciple de se
ressouvenir. (l’accoucheur)
3- Le savoir oublié était déjà là de tout temps. Donc
l’instant n’a aucune consistance par soi même. Le point de
départ temporel ne compte pas. L’instant tombe dans
l’inessentiel.
Kierkegaard va y opposer ce qui selon lui est le
véritable apport du christianisme. Pour lui le maître n’est pas
l’occasion il est le Christ. Alors l’instant est quelque chose
d’essentiel. Ce qui renvoie au thème de l’historicité du Christ
42
et du premier homme (rôle du premier. cf. le premier amour).
Chez les Grecs il n’y a pas de premier (cf. position d’un temps
circulaire). Dès lors le disciple ne peut retrouver en lui-même
la vérité. Il faut que «le disciple en lui-même soit une vérité».
Dès lors le maître lui apporte la condition pour comprendre la
vérité. La non vérité du disciple signifie non seulement qu’il
est hors de la vérité mais contre la vérité signifié par le Christ
rédempteur. Le disciple a perdu la condition par sa propre
faute. A ce niveau le concept essentiel est celui de péché. Le
maître n’est plus une occasion, l’instant devient décisif.
Kierkegaard peut dire «tout le pathétique de la pensée
grecque se concentre sur le souvenir, tout le pathétique de
notre pensée se concentre sur l’instant».
Mais que signifie l’instant? Il ne fait qu’un avec son
premier thème, l’impensable. Le christianisme est le
paradoxe. L’instant ne fait qu’un avec le pur existant. Cette
existence ne surgit que dès qu’on a le dos tourné. Qu’est ce
que l’absolument différent? Tantôt, dit Kierkegaard, c’est le
pur existé, le pur existant, tantôt c’est l’instant, tantôt le
péché, catégorie fondamentale de la foi, enfin c’est la
répétition.
Qu’y a-t-il de commun à tout cela? Dans sa lutte contre
le rationalisme Kierkegaard s’attaque aux thèmes de la
tradition rationaliste. Il y avait deux thèmes bizarrement
mélangés dans cette tradition, un sur les rapports de
l’essence et de l’existence, l’autre sur la qualité et la quantité.
Le premier: la preuve ontologique semble définir la
position rationaliste vis-à-vis de l’existence. Elle se présente
43
en toutes formes, apparaît avec saint Anselme. Il veut
prouver l’existence de Dieu, c'est-à-dire l’Existence. Il prend à
la lettre une phrase de l’Ancien Testament: «L’insensé a dit
dans son cœur Dieu n’existe pas». Ainsi celui qui dit Dieu
n’existe pas se contredit. Il faut pour cela définir Dieu sans
postuler son existence. Dieu dit saint Anselme est l’être tel
que rien de plus grand ne puisse être pensé. Or supposons
qu’un tel être n’existe pas nous sommes en pleine
contradiction car nous pouvons penser un être plus grand
qui cette fois ci existerait. Donc je ne peux pas penser l’idée
de Dieu sans que l’objet de cette idée se pose comme existant.
Dès lors au sein de la pensée ontologique l’existence est
déduite de l’essence. Son essence enveloppe l’existence. Il y a
un paradoxe car Dieu est évidemment le seul cas à être ainsi.
L’idée de table pose l’existence possible mais non réelle de la
chose. Dieu est le seul cas car il est infini.
Donc l’existence est une perfection (cf. Descartes). Ce
qui paraît bizarre c’est que la preuve à première vue ne vaut
que si on consent à traiter l’existence comme une propriété.
Peut-on traiter l’existence comme une perfection c'est-à-dire
finalement comme un attribut? A première vue non.
L’existence est la position dans l’être du sujet du jugement.
L’existence est positionnelle et non attributive. Dès le Moyen
Age se développent deux critiques (double courant) contre la
preuve ontologique.
Pour les uns Dieu existe nécessairement mais s’il est
possible. Pour les autres Dieu existe nécessairement mais s’il
existe. L’un aboutira à Leibniz, l’autre à Kant.
44
Les Méditations s’accompagnent d’objections. Dans la
cinquième, Descartes développe la preuve ontologique et on
voit les deux objections.
1) celle qui mène à Kant. La preuve conclut l’existence
de Dieu à partir de sa possibilité. Elle traite l’existence
comme une propriété. Or l’existence est irréductible à une
propriété mais on ne sait pas que déjà la chose existe. C’est
dans la 3eme partie de La Critique de la Raison Pure que Kant
va reprendre cette critique.
2) Celle qui mène à Leibniz paraît très différente. Elle
consiste à dire qu’on peut conclure l’existence à partir du
possible à condition que Dieu soit possible. Ce n’est pas
parce que je forme une idée dans mon esprit que cette idée
est possible (rupture avec Descartes: claire distinction idée
possible). Leibniz pense d’ailleurs que c’est faisable et
reproche seulement à Descartes de ne pas l’avoir fait, mais
lui le fait.
Mais est ce que les objections portaient bien sur ce que
les partisans de la preuve ontologique avaient dit? Traitaient
ils l’existence comme une propriété?
D’abord ils insistaient sur ceci que ce n’était valable
que pour Dieu. De plus ce n’était pas une déduction mais
une intuition, on voit une existence dans l’essence. Il est
absurde de définir l’existentialisme comme une doctrine où
l’existant est irréductible à l’essence car on l’a bien dit avant
eux. Les tenants de la preuve ontologique n’ont pas non plus
ignoré cette irréductibilité. La preuve ontologique était
l’exemple typique d’une physique rationaliste et d’une
45
physique mathématique. Descartes fait une véritable critique
des propriétés pour y substituer l’idée de quantité et de
relation. Entre deux corps la différence est seulement
d’étendue, de mouvement et de position. Les autres
différences ne sont jamais qu’en fonction de la vie. Tout est
différence de mouvement.
Existence, essence = thème métaphysique. Quantité et
qualité = thème physique.
Kierkegaard va traiter ces thèmes comme ne faisant
qu’un mais en même temps réclamer les droits de l’existant et
de la qualité. L’existence de Dieu, dit il, apparaît des qu’on
lâche la preuve, des qu’on tourne le dos. C’est tout à fait
comme quantité/qualité dit Kierkegaard. Le problème est
pourquoi à tel moment une continuité quantitative se
transforme t’elle en qualité nouvelle? La température quantité
baisse d’une manière continue, l’eau devient glace mais la
glace surgit tout d’un coup comme qualité nouvelle. La
continuité quantitative entraîne tout d’un coup une qualité
nouvelle. Pourquoi à ce moment plutôt qu’à un autre? Pour
Kierkegaard l’existant est la qualité. C’est le saut, le bond
qualitatif. L’un ne peut engendrer l’autre. Thème important
car en physique il y a une expérience intéressante dit de
sursaturation et toutes les transformations. Par des procédés
actifs on dépasse le moment normal d’apparition de la qualité
sans qu’elle apparaisse. Puis, grâce à des corps spéciaux, on
fait apparaître la nouvelle qualité. Les deux thèmes chez
Kierkegaard se mélangeraient car d’une certaine manière
c’est de la même façon que l’existence paraît derrière le dos
46
de la conscience et que la qualité surgit tout d’un coup et non
progressivement. Kierkegaard n’est pas original par là. Chez
lui droit de l’existant, droit de la qualité, l’instant, le bond
qualitatif, l’existant et la qualité ne font plus qu’un avec
l’instant (grand tort du scientisme).
Dernier point: à propos du péché Kierkegaard nous dit
quelque chose de semblable. Là il est beaucoup plus original.
Ces trois premiers thèmes sont repris dans une véritable
philosophie du péché. Il oppose une philosophie chrétienne à
une philosophie grecque. C’est opposer Abraham, Job à
Socrate. Il pense que le péché ne peut être engendré à partir
de la peccabilité (propriété de la nature humaine de pécher).
On conclut le néant du péché d’une imperfection de l’essence
humaine. Des lors la conception rationaliste du mal est
comme la contre épreuve de la conception rationaliste des
essences. Le thème de Kierkegaard sera: jamais on ne pourra
conclure le péché de la peccabilité. Il implique aussi un saut
qualitatif. Le péché c’est l’apparition brusque de la qualité
nouvelle. Il faut alors penser le péché et le rapporter à
l’angoisse qui est le rapport de la conscience avec
l’absolument différent. D’où le concept d’angoisse qui est une
catégorie de la pensée qu’il voudrait voir remplacer la vieille
notion d’imperfection de la nature humaine.
La pensée traite son objet comme le même. Pour la
philosophie grecque il y a unité de l’intelligence. Donner de là
une nouvelle tâche à la pensée. Cela était nouveau. Dès lors
la pensée est dans le paradoxe.
On approche d’une définition de l’existentialisme:
47
irréductibilité de l’essence et de l‘existence et primat de
l’existence sur l’essence.
Est-ce bien cela? Celui de Sartre peut être et encore,
mais chez Kierkegaard c’est très différent en fait. Kierkegaard
appelle cela “les recherches psychique de la conscience
pécheresse”. Chestov appelle cela les «ondes torrides et
glaciales». L’existence ne privilégie pas de thème. Ils veulent
faire de l’existence humaine le nouvel objet de la pensée. La
pensée doit saisir ce qui est essentiellement autre qu’elle-
même et la plus grande confusion serait de traiter cet autre
comme à partir du même. «L’angoisse est le bon concept de la
pensée et de la psychologie». En tant qu’état psychologique
l’angoisse est toute entière tendue vers quelque chose
d’irréductible à la psychologie. Le psychologue renvoi lui
aussi à un autre domaine du psychologue. L’angoisse est
l’état psychologique qui correspond au péché qui devient une
dimension existentielle. L’angoisse est la conscience
psychologique dirigée sur un objet qui lui est irréductible.
L’angoisse c’est la pensée en tant qu’elle appréhende sa
propre différence irréductible avec son objet.
Les catégories deviennent existentielles quand la
pensée pense quelque chose, c’est la différence même de ce
quelque chose avec la pensée. La véritable fonction de la
pensée devient l’autre et non le même (à rattacher à
l’hégélianisme). Il faut se réconcilier avec la vie. Le propre de
l’angoisse c’est d’appréhender le péché comme non
psychologique. Il devient alors possible à la philosophie de
penser contre la raison. Les trois questions: peut-on avoir un
48
corps? peut-on se marier? peut-on être chrétien? reviennent
au même. Elles signifient: peut-on réconcilier la pensée avec
la vie? Ceci nous conduit à une philosophie de l’existence.
Alors la catégorie fondamentale de l’existence va apparaître
comme la répétition. Kierkegaard dit «je suis poète de la foi».
Etre chrétien c’est impossible et pourtant il l’est. Etre
chrétien, se marier, avoir un corps ne font qu’un avec cette
nouvelle fonction de la pensée qui pose son objet comme
impossible: le paradoxe. Le nouvel objet de la pensée c’est
l’absurde. Etre chrétien c’est absurde. Kierkegaard annonce
la répétition qui n’est plus la question mais la réponse à la
question. Chestov ici reproche à Kierkegaard de n’avoir pas
maintenu les questions. La réponse émane de l’absurde, c’est
la répétition. C’est une chose unique dans la philosophie
moderne: comment des horizons les plus différents et sans
influence, il y a des tentatives, jusqu’ici essais, pour
construire un concept original et paradoxal de la répétition?
Deux auteurs qui n’ont rien à voir entre eux. Kierkegaard au
début de son livre sur la répétition dit ce n’est pas la
répétition dans la nature. Il prétend former le concept d’une
répétition plus profonde dont la répétition physique ne serait
qu’une dégradation psychique. Il dit: Hegel s’est servi pour
faire sa philosophie d’un concept de contradiction. Or dit-il
avec humour, ce concept est un concept allemand. Lui veut
ici un concept bien à lui, de chez nous: monotonie de la vie
danoise = répétition (humain bien sûr). Il est bien danois.
Un siècle plus tard un sociologue tombé dans l’oubli,
Tarde redécouvert par les américains. Durkheim pour des
49
raisons politiques, il était réactionnaire, a pris le pouvoir sur
l’enseignement et a étouffé Tarde.
Tarde a écrit un livre curieux: L’opposition de
l’universel, une des meilleures théories de la négation. Il dit,
là sérieusement, que l’idée de négation est une idée
allemande et il veut un concept français. Toute sa thèse
consiste à montrer que l’opposition, la contradiction n’est
qu’un cas particulier de la répétition.
Nietzsche n’est certes pas poète de la foi et pourtant
comme avec Kierkegaard pour Socrate, il veut lui le retour au
pré socratisme. Zarathoustra a un secret, il le crache, c’est
un serpent qui est l’éternel retour. Cet instant exact reviendra
et aussi la pensée reviendra. Il dit bien que ce n’est pas une
répétition physique (dans Ecce Homo). Tout retour, dit il, qui
se fait dans le monde suppose l’éternel retour. C’est lui qui
nous explique la répétition physique et non le contraire.
L’éternel retour est un concept original de la répétition. Freud
le premier nous apprend que l’humanité a vécu sous un
concept sacro saint: le principe de plaisir. Nous cherchons
par nature ce qui nous fait plaisir. Or Freud découvre de plus
en plus de faits psychiques qui semblent invoquer le
contraire. On reproduit ses échecs passés non pour les
surmonter etc. Freud lui-même hésite (Au-delà du principe de
plaisir). Il se demande si on ne peut pas goûter ce plaisir en le
compliquant. Il pense qu’il y a dans la vie un principe plus
profond, le principe de répétition. Mais il n’est pas philosophe
et hésite. Tantôt c’est celui qui nous entraîne vers un retour à
l’irraisonné. Thèse célèbre, le paradoxe des instincts de mort.
50
L’instinct de conservation est précisément l’instinct de mort:
je refuse toute mort qui n’est pas la mienne. Mais dans
d’autres textes Freud tente d’élaborer aussi une forme
originale de la répétition psychique, quand il en parle par
rapport au surmoi.
En s’en tenant à ces auteurs que signifient ces
tentatives qui n’ont pas encore formé un concept? Crainte et
tremblement de Kierkegaard: “il ne s’agit pas pour moi de
soutirer à la répétition un changement mais de changer la
répétition en quelque chose d’intérieur, en l’objet même de la
liberté, en son intérêt suprême”. Dans Le concept d’angoisse:
«L’habitude apparaît dès que l’éternité se retire de la
répétition».
Il ne s’agit pas de la répétition psychique ni des formes
mécaniques du psychisme (habitudes), mais d’une répétition
plus profonde qui n’est ni le contraire de la liberté, ni
l’aliénation de la vie psychique. Elle ne fait qu’un avec la
liberté. Ici rapport avec les existentialistes. L’état psychique
est tourné vers quelque chose. Cf. l’article de Sartre sur
Husserl “toute conscience est conscience de quelque chose”.
La conscience ne se définit plus comme intériorité, elle est
transcendance au moment de se dépasser. L’angoisse est
bien un état psychologique qui est tourné vers quelque chose
d’autre qui est précisément le péché qui n’est pas un état
psychologique. Le sérieux c’est le mouvement par lequel la
conscience est dirigée vers une structure de l’existence. C’est
une tentative de mettre la psychologie en rapport avec
quelque chose d’autre. Il ramène cela à la reconnaissance
51
platonicienne. La reconnaissance pour lui est le concept
essentiel de la philosophie antique. Il pense que la
philosophie chrétienne doit rompre avec. C’est la
discontinuité. Il y a l’indépendance des cas. La répétition
physique ne change rien idéalement à l’objet. Elle devient
cosmologique. Kierkegaard se dirige vers le concept d’une
répétition proprement psychique. Nietzsche avec l’éternel
retour va vers une interprétation cosmologique. Tous y ont vu
la possibilité de remplacer la dialectique par une méthode
différente, plus concrète selon eux.
Kierkegaard distingue trois stades d’existence:
esthétique, éthique, religieux.
Le premier est le stade de la séduction, du Don Juan
de Mozart. La vie de l’esthète ne peut se réaliser que par une
répétition3. Mais c’est sur un plan physique. Impossible, la
tentative est condamnée à l’échec.
Le deuxième est le stade de la généralité. Nous entrons
dans le domaine de la loi. La situation centrale devient le
mariage. La répétition éthique est, elle, tournée vers le futur,
les mêmes tâches sont répétées, les mêmes vertus sont
recherchées. Ce qui assure l’échec de ce stade c’est le péché
qui montre le conflit de la singularité et de la généralité au
sein du stade éthique.
Le troisième stade est celui où la répétition prend son
vrai sens. Il invoque Abraham et le sacrifice de l’enfant. Dieu
réclame d’Abraham l’absurde. Il doit tout perdre pour
retrouver. La dialectique faisait appel au négatif. La notion de
3 Cf. La Nouvelle Héloïse où Saint Preux répète son passé.
52
répétition fait aussi appel au négatif mais sur un autre plan.
Kierkegaard dit que c’est le concept de la reprise, de la
répétition qui est devenue psychique et elle ne fait plus qu’un
avec la liberté. Quelle en est l’application? La répétition est le
sérieux de la vie. A quoi sert alors de fonder? Si la
détermination d’un fondement ne sert à rien pourquoi le faire.
Elle doit apporter quelque chose de nouveau, c’est la
répétition. Groupe bizarre s’il est vrai que nous prenons au
sérieux. Vérité d’une répétition psychique. Pour Nietzsche la
détermination d’un fondement nous livre quelque chose de
nouveau, c’est l’éternel retour.
e) L’éternel retour chez Nietzsche.
C’est une notion très chargée. Kierkegaard forgeait sa
répétition contre Platon. Il l’opposait à la réminiscence
platonicienne. Socrate c’est le personnage obsédant.
Nietzsche pense dépasser la philosophie par et dans un
retour au pré socratisme. Il ne cesse de faire dire à
Zarathoustra, ces animaux sont au courant. Est-ce tout qui
revient? Tout revient et aussi la pensée que tout revient. Ce
qui surgit c’est l’annonce que tout revient. C’est bien
d’explorer le plus ancien qui est la tâche de l’homme
nouveau. Le surhomme est celui qui sait ce dont il s’agit, qui
s’est affronté avec le fondement lui-même.
L’éternel retour chez les prés socratiques avait trois
signes:
Astronomique, cosmologique, physiologique. Nietzsche
a interprété l’éternel retour d’une manière originale.
53
1) le sens astronomique: série de sphères emboîtées les
une dans les autres. La sphère des fixes, les sphères
intérieures en relation avec les autres. Il y a bien un moment
où les astres reprendront la même position par rapport aux
étoiles fixes. C’est ce que les Grecs appellent la Grande
Année, le plus petit commun multiple de toutes les périodes.
Elle fait appel au mouvement local.
2) le sens physique et cosmologique. Est il homogène à
cette première signification? Appel à une véritable alternance
qualitative selon laquelle le monde passe par des alternances
de génération et de corruption, de naissance et de
destruction, de catastrophes, l’eau, le feu. Les périodes de
contraction et d’expansion recommencement du monde.
A partir d’Empédocle c’est la signification astronomique
qui prend le dessus. Avec Platon et Aristote en tout cas n’y a-
t-il pas déjà une espèce de rationalisation qui nous empêche
d’en comprendre le sens? Nietzsche a su retrouver la véritable
signification de l’éternel retour. Chez Aristote l’éternel retour
est d’abord lié à l’astronomie, au mouvement des sphères
emboîtées les unes dans les autres. Les alternances de
contraction et de décontraction ne sont valables que pour le
monde sub humain. Le mode du mouvement local règle donc
même les astres. Dans l’éternel retour le principe même du
mouvement local suit le principe cosmologique. Conséquence
énorme: l’idée que tout revient est édulcorée. Ce qui revient,
ce qui se répète ce sont les choses semblables quant à
l’espèce (Empédocle y est déjà). Avec les Stoïciens on revient
au véritable contenu originel. L’éternel retour: les stoïciens
54
soumettent les astres eux-mêmes à l’altération et la
corruption. C’est tardivement que la signification est
astronomique. Déplorable car vision mécaniste. Il y a le
primat du sens qualitatif, cosmologique. L’éternel retour ne
doit pas être confondu avec les cycles nous dit Nietzsche. Il
s’est trouvé devant le même problème que les stoïciens, le
mécanisme. Il lutte contre l’idée chère au mécanisme.
L’éternel retour ne peut se ramener à une répétition
purement physique. La sienne aura deux
significations:psychique, le retour et cosmologique, le
principe à partir duquel nous devons comprendre le sens
même du retour.
Chez Nietzsche, Zarathoustra est dans un rapport
d’existence. Dionysos, le secret du devenir. C’est un rapport
énonçable. Il y a la cohérence de certains thèmes
nietzschéens: la volonté de puissance, tout est devenir,
s’accompagne du concept de valeur. Ce que Nietzsche a
retenu en premier c’est l’affirmation d’un devenir. L’idée que
tout devient nous montre la vanité du concept d’être. Alors
apparaît la notion de valeur: ce que nous prenons comme du
stable se présente comme des coupes prises dans le devenir,
des instantanés. Pour Nietzsche la théorie des valeurs n’est
jamais séparée d’une certaine critique des valeurs et des
mystifications qu’elle entraîne. C’est une notion polémique,
elle dénonce. Ensuite la notion de valeur perdit son caractère
explosif. Elle servit à garantir un certain ordre au lieu de
mettre en question cet ordre. Il y a dépassement du problème
moral, éthique. Il se pose comme pouvoir. Il s’agit de se
55
demander ce que peut l’homme. La loi, le devoir séparaient à
ses yeux l’homme d’une certaine dimension de l’homme. Une
vision morale sera réintroduite mais qui ne sera plus celle de
la loi et du devoir. Les modes d’existence n’étant pas de même
valeur (solution possible). Le premier thème de Nietzsche
donc opposition être et devenir. La notion de valeur est le
rapport entre devenir et pouvoir. Idée constante chez
Nietzsche du fort et du faible. Le faible se définit ainsi par
une puissance et il lui faudra aussi aller jusqu’au bout. De ce
fait il y a des degrés de valeur pour les faibles. Dans la
Volonté de puissance, la souplesse, la spiritualité. La racine
du vouloir ne semble bien ne faire qu’un avec l’essence du
devenir.
Il y a un plan plus profond: il s’agit de s’interroger sur
l’être particulier du devenir. Quel serait cet être propre du
devenir? C’est l’éternel retour en rapport avec Zarathoustra.
Nietzsche nous dit qu’il ne faut pas confondre le devenir avec
quelque chose de devenu. Le devenir ne peut se ramener à
aucune chose devenue. Le cycle, les saisons sont devenues.
C’est dire qu’il y a un être du devenir. Le devenir n’est pas ce
qu’il devient. Le devenir c’est le retour de ce qui devient, c’est
ce qui revient.
Théorie de l’être qui se réintroduit: c’est finalement la
répétition qui va signifier ce véritable être du devenir. La
meilleure façon de distinguer le devenir de ce qui devient.
Pour Kierkegaard, son rapprochement = constance de
la philosophie allemande, l’idée que quelque chose s’est
perdue. Moins la négation d’une théorie de l’être qu’une
56
création très originale. Dionysos est en ce sens moins profond
que Zarathoustra. On comprend le secret de Zarathoustra;
tout revient y compris la pensée. Elle nous invite à forger un
nouveau concept de la répétition. L’éternel retour ne se
ramène pas à une répétition purement physique. La pensée
aussi revient. C’est une répétition psychique (conciliation
entre la volonté et le devoir), répétition cosmologique (ce qui
revient se répète est physique puisque le retour de ce qui
devient est l’être du devenir.
La répétition physique par rapport à la signification
cosmologique ne peut se comprendre que par rapport au
principe de l’éternel retour. C’est une tentative pour forger un
concept original.
Chez Nietzsche la différence entre les faibles et les forts
n’est pas celle qu’on vu les fascistes. Son idée c’est que les
faibles ne sont pas ceux dont la puissance est moindre. Le
faible physiquement peut compenser cela par une puissance
spirituelle, par la ruse, par la souplesse. Le faible par
définition est celui qui ne va pas jusqu’au bout de sa
puissance parce qu’il n’ose pas et surtout parce qu’il ne sait
pas qu’il faut aller jusqu’au bout. Ce n’est pas un savoir
théorique. De quoi s’agit il pour l’homme en tant qu’homme?
Telle est la question de Nietzsche. Les faibles sont comme
perpétuellement séparé de leur pouvoir. Ils s’en sont séparés
au nom de la loi. Elle sépare du pouvoir car en même temps
qu’elle me montre ma possibilité fondamentale elle me
l’interdit: Dieu et l’arbre. Nietzsche dans Zarathoustra prend à
la lettre le cantique luthérien, «Dieu est mort». Est-ce que
57
nous sommes jetés dans l’immoralité? On retrouve
l’existentialisme. Il y a finalement deux modes d’existence.
L’immoralisme n’est pas l’immoralité. L’immoralisme est une
vision philosophique qui conduit au problème du mode
d’existence. On ne peut pas faire n’importe quoi. Bien plus il
y a des choses qu’on ne peut plus faire quand on est fort.
Nietzsche condamne le piètre, le médiocre dans «Le Bien et le
Mal». Quelque chose vient remplacer la morale. Il y a des
choses qu’on ne pouvait faire qu’en se mystifiant soi même.
Conclusion
Chestov demandait: «Qu’on me rende compte de
chaque victime de l’Inquisition». Pourquoi hic et nunc? Tant
que la raison n’aura rien appris sur la singularité qu’elle se
taise. Ce sont les zones équatoriales de la pensée, lutte contre
l’évidence. Que la pensée aille jusqu’au bout même s’il n’y a
rien au bout.
Kierkegaard et Nietzsche vont plus loin. Kierkegaard
veut réconcilier la pensée avec les catégories de la vie. La
pensée doit penser l’absolument différent. Chez Nietzsche
c’est Héraclite et non Job qui est invoqué. Il y a donc un
rapport entre pensée et fondement qui nous dit quelque
chose de bizarre. La pensée finalement dépasse la raison, va
jusqu’au bout.
Ces questions existentielles nous conduisent à
distinguer deux modes d’existence: le savoir et l’ignorance, la
vérité et l’erreur ne se rapportent plus à l’ordre de la raison
mais à un mode d’existence. Le mode d’existence
58
inauthentique chez Nietzsche: le troupeau, la plèbe qui passe
son temps à ne pas savoir.
L’idée de fondement est donc mise en rapport avec
l’existence: l’homme existe d’une manière telle qu’il dévoile le
fondement (Heidegger)4.
Pour Kierkegaard et Nietzsche, pas pour Chestov, la
pensée est non seulement dans un rapport immédiat avec ce
qui fonde mais encore ce qui fonde nous dévoile quelque
chose, un secret, qui pour Kierkegaard et Nietzsche n’est rien
d’autre que la répétition.
Le fondement apporte quelque chose de radicalement
nouveau: la répétition qui est tourné vers le futur. (Abraham
exige de Dieu que tout lui soit rendu)
II) Deuxième espèce de question: la question qui donne
un principe à la solution de tous les problèmes (Leibniz).
Idée d’une science universelle, une règle permettant de
tout résoudre. Autre tentative, celle de type mathématique. Le
Discours de la Méthode, la méthode c’est une façon de
résoudre tous les problèmes non résolus. Leibniz reproche à
Descartes de ne pas avoir fait ce qu’il promettait: «l’art
d’inventer». Il ne faut pas mélanger les tentatives de langage
universel (Renaissance) que Descartes dénonce dans une
lettre, «notre raisonnement ne porte pas sur des mots, mais
sur des idées» et les tentatives mathématiques.
4 Cf. l’influence de Nietzsche sur Heidegger. Voir Volonté de Puissance, tome 2, p.126, NRF, «Nous les hyperboréens».
59
DISCOURS DE LA MÉTHODE
On a l’impression qu’on reste sur sa faim. Il accouche
de quatre règles après avoir annoncé de tels bouleversements.
Mais sont elles aussi innocentes qu’elles le paraissent?
Le sens de la méthode cartésienne.
La méthode dans son essence est mathématique et
peut s’appliquer à des problèmes qui ne sont pas
mathématiques. Cette idée est très fréquente au 17e siècle et
culmine avec Spinoza. Couler la philosophie, la métaphysique
dans les mathématiques. Cette première tendance continue
jusqu’après le Discours. Mais dans les Méditations
n’intervient il pas autre chose? La Préface: le livre va éclairer
des problèmes que le Discours n’avait pas su poser. N’y a-t-il
pas changement du doute et du cogito. Le «je pense donc je
suis» n’apparaît pas dans les Méditations où il y a «moi qui
doute je pense, je suis une chose qui pense». Une curieuse
substitution s’est opérée. A la méthode mathématique s’est
substitué un fondement métaphysique.
L’analyse des Anciens est astreinte à la considération
des figures, quant à l’algèbre des modernes il est astreint à
des règles et des chiffres qui la rendent obscure. Descartes lui
prétend arranger tout cela. Descartes prétend découvrir une
unité cachée à travers toutes ces obscurités, c’est la notion de
rapport qui a deux sens, unité et généralité. En
mathématique c’est la même chose de résoudre un problème
et de le poser. Un problème a toujours la solution qu’il mérite
en fonction des systèmes symboliques, algorithmes qu’on
60
dispose (cf. la difficulté de faire une addition ou une
multiplication avec des chiffres romains). L’idée que quelque
chose se conserve dans la communication du mouvement ne
vient pas de l’expérience. Descartes répond et dit c’est mv.
Leibniz dira: “Descartes s’est trompé, c’est mv2”. Certes
Descartes s’est trompé, mais si Leibniz a mieux fait ses
expériences c’est parce qu’il dispose du système d’analyse
infinitésimal. Sans cette analyse on ne pouvait répondre mv2.
On ne peut séparer un résultat scientifique du mode
d’approche dont on dispose. C’est notre expérience infantile
et pédagogique qui nous fait oublier cela. Le savant n’est
évidemment pas un élève. Alors la méthode de Descartes est
un moyen de poser autrement les problèmes, ce qui précise le
sens d’une méthode universelle. Il s’agit de construire un
problème mathématique tel que soient posé en une fois la
totalité des cas possibles. Cf. dans l’Antiquité le problème de
Pappus dont Descartes parle dans sa Géométrie. Jusque là ils
le résolvaient au niveau de chaque cas particulier. Descartes
invente, il n’est pas seul, la géométrie analytique et pose
l’universalité des cas possibles en une fois. Ce qui lui permet
de le faire est bien curieux. Texte étonnant des Méditations, la
seconde, sur le morceau de cire. Tout change dans la cire et
je dis c’est la même cire. Comment est ce possible? Ce n’est
pas l’étendue qui subsiste comme on le prétend. Il ne peut
pas le dire car il découvrira l’idée d’étendue qu’à la cinquième
Méditation. Argument logique et en fait il dit textuellement:
«Est ce l’étendue? Non». Il s’agit donc dans ce passage de
savoir ce qui fonde le jugement d’identité. Ce qui demeure
61
c’est bien l’étendue mais ce n’est pas elle qui fonde ce
jugement, c’est le cogito, la pensée. Ce passage est une
illustration du cogito, ce qui est cohérent.
Conclusion: c’est la pensée qui fonde le jugement
d’identité et elle ne peut être confondue avec l’imagination qui
ne pourrait concevoir qu’un nombre fini de cas. On retrouve
le problème de Pappus. Les Anciens ne le résolvaient que par
l’imagination. La pensée dépasse l’imagination, mais le
rapport est curieux entre elles car la pensée ne peut se passer
de l’imagination sauf lorsqu’elle se pense elle-même. La
pensée algébrique la plus pure implique un dessin
géométrique de coordonnées dans notre imagination, mais
elle ne lui est pas identique. Descartes dévoilera la
transcendance de la pensée sur l’imagination.
Pourquoi les prédécesseurs de Descartes astreignaient
ils la pensée à l’imagination? Il faut penser à leur système. Le
nouveau de la géométrie analytique c’est le secret de la
correspondance entre géométrie et algèbre. Les Anciens
cherchaient le système de correspondance mais ce qui les
barrait c’est l’idée d’une hétérogénéité géométrique. Dans
l’œuvre de Viet il y a de grands principes. Deus œuvres
peuvent s’additionner ou se soustraire: produit homogène,
mais dans la multiplication: hétérogénéité.
L’histoire du collier de cheval dans l’Antiquité. Un jour
vint un archéologue cavalier, Lefèvre Desnouettes,
commandant, il regarda les poteries, l’attelage, le collier était
sur le cou et non sur les épaules de l’animal. Il s’aperçu qu’ils
n’utilisaient qu’une faible portion de la force du cheval. Il eut
62
l’impression de tout comprendre. Il comprend ainsi que
l’esclavage remplace la force animale. Est–ce que cette
invention une fois réalisée ne nous paraît pas maintenant
évidente? Descartes lui traitera toutes les puissances comme
des lignes, là encore il fallait y penser. Dans Les Regulae,
Descartes dit “ce qui est absolu c’est l’étendue mais dans
l’étendue c’est la ligne qui est absolue”. C’est tout dire déjà.
Conséquence pratique de la découverte de Descartes:
révolution des équations. Jusque là les équations à plusieurs
inconnues ne pouvaient être résolues qu’indirectement.
Descartes en faisant faire ce progrès aux mathématiques ne
découvre pas ce qui était déjà. Il trouve un nouveau système
d’expression. Un symbole ne se définit pas par ce qu’il
représente mais par les opérations qu’il rend possible, le
système d’équations dans lequel il rentre.
Les règles de la méthode prennent alors une
signification nouvelle.
La première. Il ne suffit pas de chercher l’évidence, il
faut d’abord avoir trouvé un domaine où l’évidence prend une
signification et elle ne le fait que lorsque les idées peuvent
être ramenées à elle comme à un critère et ceci seulement si
on dépasse l’hétérogénéité des structures. Il faut s’installer
sur un terrain tel que les idées correspondantes se rapportent
au critère de l’évidence. Elle ne peut devenir garantie de la
vérité q’une fois le révolution cartésienne faite.
La seconde et la troisième: la différence entre deux
contenus représentatifs n’est jamais qu’une différence de
degré. Là encore cela suppose la révolution. Dans le domaine
63
du symbolisme Descartes ouvrait la voie à la position même
du problème. Mais il y a passage, nous l’avons vu, dans
l’ouvre de Descartes d’une méthode mathématique à un
fondement métaphysique. Dans le Discours le «je pense donc
je suis» est présenté comme le modèle clair et distinct. Le
«donc» n’est pas une conséquence. C’est un exemple en fait de
vérité parmi d’autres mathématiques en forme de relation. Le
«donc» marque une relation nécessaire qui se fait dans l’ordre
de la connaissance. Dans les Méditations la formule
n’apparaît plus. Pourquoi? Déjà dans la première formule il y
a suffisamment pour réfuter toute interprétation idéaliste de
la pensée cartésienne. Dans «je suis» il y a plus que dans «je
doute». Descartes pose un être plus profond que la pensée;
celle-ci se dépasse vers un être dont elle est l’attribut. On va
de la connaissance à l’être. On ne peut alors reprocher à
Descartes d’avoir chosifié la pensée. Res c’est la substance.
N’y a t’il pas déjà la marque d’une évolution? Le «je pense
donc je suis» nous fait passer à l’être. Descartes découvre le
domaine du fondement métaphysique irréductible aux
relations qui unissent les objets de la connaissance elle-
même. L’ambiguïté de Descartes est la rançon de la clarté de
son style.
Au niveau de ce fondement qu’apprend on? La dualité
on ne la trouve pas seulement au niveau du «cogito» mais à
celui du mot idée. Il y a peu de notion aussi obscure que celle
d’idée claire et distincte. C’est par exemple l’étendue et la
détermination d’étendue, puis l’idée de Dieu, l’idée du
«cogito». Différence dans la forme même de l’idée. L’idée de
64
triangle est fondamentalement comprise: le sujet qui la pose
la dépasse. Une telle idée renvoie à un cogito. L’idée de Dieu
est seulement conçue et non comprise. On ne peut
comprendre l’infini. L’idée de Dieu manifeste de suite une
présence. Dans ce cas l’idée est la présence même. Les deux
directions finalement ne se concilient pas chez Descartes.
Deux sens, l’un dans les œuvres, l’autre dans les lettres.
Dans celle-ci il dit que Dieu est créateur des vérités éternelles
elles-mêmes. Idée curieuse car l’ontologie disait que les pures
essences préexistaient à l’entendement de Dieu. Les essences
elles mêmes sont ramenées au simple statut des existants. La
conséquence c’est toujours l’affirmation de l’ordre de l’être
plus profond que l’ordre de la connaissance. Les vérités
mathématiques sont créées par Dieu dans un acte libre.
Descartes laisse trois problèmes. Un problème logique:
l’idée claire et distincte c’est l’idée présent nous dit Descartes.
L’obscur et le confus désignent un état mutilé de l’idée, mais
on ne s’en rend pas compte car on le bouche par d’autres
éléments de l’affectivité. Le rapport entre Descartes et les
cartésiens? Chez Spinoza et Leibniz on rencontre l’idée
adéquate. Eux posent la question: “Qu’est ce qui est présent
dans l’idée vraie?” Il dépassent l’idée claire et distincte vers
l’idée adéquate. Le premier reproche à Descartes d’être trop
rapide, l’autre d’être trop facile (d’employer abusivement ce
mot). Or qu’est ce qui se présente dans l’idée vraie? L’idée est
dans son essence un symbolisme et non une représentation.
Descartes l’avait dit du point de vue mathématique mais non
du point de vue du fondement métaphysique. Ce sera la
65
grande originalité de Leibniz de chercher ce second point.
Chez Descartes la détermination du fondement est donc en
retard par rapport à la méthode mathématique où l’idée était
représentative de quelque chose. A travers Spinoza et Leibniz
la question de l’idée claire et distincte prend un nouveau
sens. L’idée devient expressive. Il s’agit d’une nouvelle
détermination du fondement lui-même qui se détermine à
partir du rapport d’expression et se découvre en rapport
direct avec le symbolisme. La méthode posait un mécanisme
mathématique. Le mécanisme: entre deux choses étendues il
n’y a pas d’autres différences que de degrés, figures,
proportions, mouvements. L’étendue était conçue comme
masse inerte en repos. Dieu y mettait le mouvement. Dans les
Principes Descartes dit que entre l’attribut et la substance il y
a une différence de raison. La chose étendue dit il est quelque
chose de plus.
La troisième difficulté concerne la notion de substance.
Le res pour Descartes?
Toute l’équivoque de Descartes consiste en ce qu’il
maintient l’idée comme seulement représentation du point de
vue du fondement métaphysique. Un philosophe à ce niveau
prend le relais de Descartes: Leibniz qui retrouve la théorie de
symbolisation de la Renaissance. Qu’est ce qui s’exprime
dans l’idée vraie? Le composé symbolise avec le simple nous
dit Leibniz.
a) Leibniz et la conception de l’expression.
Œuvre curieuse: beaucoup de lettres dans lesquelles il
66
expose sa philosophie selon le niveau de ses correspondants.
La pluralité de niveau symbolise les uns avec les autres. En
métaphysique il découvre le principe de raison suffisante. En
physique il découvre la force. Et curieusement les deux
résultats vont s’appuyer l’un l’autre. Extraordinaire
construction de problèmes résolus grâce à un jeu de
principes, identité, raison suffisante, finalité, indiscernables,
continuité. Ils lui servent dans la construction de tous les
problèmes qui finalement symbolisent: savoir universel.
La physique. Il s’aperçoit que Descartes s’est trompé.
C’est mv2 qui se conserve. Est-ce une simple question de
fait? Malebranche savait aussi que c’était mv2 et il en a tiré la
conséquence que après tout ça n’a pas d’importance pour le
cartésianisme. Pour Leibniz au contraire ça suffit pour
confirmer que l’étendue n’est pas substance. Il reproche à
Descartes d’avoir confondu relatif et absolu. Ce qui se
conserve c’est la vitesse relative.
Soit A et B.
V la vitesse de A avant le choc.
Y « « « B « «
X « « « A après «
Z « « « B « «
Ce qui se conserve c’est V-y = X2 Seule l’élévation au
carré assure V positif. C’est la quantité de force active qui se
conserve. La force alors définie dans l’instant est la raison de
l’effet futur. C’est elle qui est substance et non pas l’étendue.
Celle-ci sera d’un ordre phénoménal. La force s’exprime dans
l’étendue. Elle est substance c'est-à-dire pouvoir
67
d’unification, dynamisme, d’un ordre tout autre que la
physique. D’où le thème de Leibniz, la désubstantialisation de
l’étendue. Il y a déjà une réponse sur le plan physique à la
question qu’est ce qui s’exprime? L’étendue est bien
composée mais elle est infiniment divisible. Jamais on ne
retrouvera quelque chose de simple en restant sur son plan.
C’est la critique de l’atomisme qui a prétendu trouver le
simple sur le plan du composé. Il y a bien des éléments
simples mais qui ne sont pas des unités matérielles mais
dynamiques. La force est bien la raison de l’étendue. La
recherche métaphysique allait confirmer cela car Leibniz
allait rencontrer le principe de raison suffisante qui devait
s’exprimer avec la force d’une inerrance de prédicat au sujet.
Descartes dans la 3eme Méditation nous dit que Dieu crée le
monde à chaque instant. C’est donc qu’il y a une
discontinuité radicale du temps. Un instant n’est jamais la
raison du suivant. La théologie de la création continue
constitue une représentation géométrique. La nature est donc
justiciable d’une science mécanique car elle n’a pas de
pouvoir, de potentialité. Dans le monde lui-même tout était
étendue et mouvement. Il y avait réduction de la physique à
la géométrie. Soit un corps au moment T. Quelle est la
différence entre ce corps immobile et en mouvement? Aucune
pour Descartes. Ainsi le résultat mv ne peut se trouver que
lorsque le problème du mouvement est posé comme
Descartes l’a posé. Pour Leibniz mv2 signifie qu’au-delà de
l’étendue il y a la force. Le corps qui de meut est différent à
l’instant T car il contient comme la raison de ses instants
68
futurs, le pouvoir d’aller plus loin. La force contient le
principe des états futurs. Leibniz ne pouvait découvrir mv2
que grâce au calcul infinitésimal. Le repos n’est qu’une
vitesse infiniment petite et il y a une différence entre les deux
corps. Le repos est un cas particulier du mouvement. Ainsi le
rapport entre la force et les états futurs est un différentiel,
intégral. 1=1/2+1/4+1/5…
La grande erreur de Descartes pour Leibniz c’est d’avoir
confondu étendue et substance. Il n’a pas vu le plus profond
qui est la force. Avec Leibniz se fonde une grande théorie du
phénomène, encore que très différente de celle de Kant.
La révolution est énorme. Leibniz peut reprocher à
Descartes d’avoir maintenu substance et étendue pour les
identifier alors qu’elles sont contradictoires. Que signifie le
«par delà l’étendue»? Il n’y a pas d’une part les forces et
d’autre part l’étendue. Celle-ci est posée nécessairement. La
force l’exige. Leibniz donne un statut à la symbolisation.
L’étendue est l’expression de la force. Conséquence: le
mécanisme cartésien ne contient pas sa propre raison.
Echange de lettres entre le chimiste anglais Boyle et Spinoza.
Il lui envoie le résultat sur deux corps le nitre et le salpêtre et
lui dit qu’on voit bien que tout se fait mécaniquement dans la
nature (différence de...) Spinoza lui répond qu’il enfonce des
portes ouvertes. Il y a une nouvelle tâche qui est de
surmonter l’erreur de Descartes d’avoir érigé l’étendue en
substance. Le mécanisme est vrai mais il faut une raison de
la proportion elle-même. Spinoza s’oppose alors à Leibniz et il
restitue la notion d’essence. Il y a une essence du nitre et du
69
salpêtre puisque la question subsiste, pourquoi cette
proportion plutôt qu’une autre. Raison qui ne pourra jamais
selon Spinoza être tirée de la finalité, niant finalement le
mécanisme. Leibniz au contraire la trouvera cette raison dans
la finalité. Il introduit le premier le vieil argument: la
démonstration par le maximum et le minimum est la
meilleure. Minimum de moyens pour obtenir le maximum
d’effets possibles.
Tout se passe par mécanisme mais celui-ci n’a pas sa
raison en lui-même. Leibniz est en train de déterminer une
nouvelle nature du fondement, il est raison. La raison de
quelque chose est ce qui s’exprime, se manifeste et que dès
lors par delà ce qui se manifeste il faut chercher l’être. Il y a
l’être de ce qui se manifeste.
Leibniz: «la voie brève de la substance», dans la
première page de La Monadologie. «Il faut bien qu’il y ait des
simples puisqu’il y a des composé».
Leibniz lutte contre l’atomisme et le cartésianisme et il
pré lutte contre une fameuse antinomie, la seconde de Kant
dans La Critique de la Raison Pure, «la thèse il y a du simple,
l’antithèse rien n’est simple dans l’univers».
Il s’oppose à l’atomisme. Jeune il y croit et il ne perdra
jamais sa sympathie pour lui. Il voudrait un atomisme
spirituel. L’atomisme divise l’étendue et se heurte à des corps
simples, les atomes. Critique d’atome ou de point: notions
vides parce que contradictoires, elles impliquent l’étendue. Le
point ne peut engendrer que par le mouvement. Descartes a
définitivement montré cela dit il. Mais peut on dire que dès
70
lors il n’y a pas de simple. Oui dit Leibniz sur le plan de
l’étendue. Les simples ne sont pas de même nature que le
composé. Le simple est comme la raison de ce qui se passe
dans l’étendue. Quelle est cette autre nature? Ce simple sera
sans doute de la nature de la force. Le composé n’est rien
d’autre que la manifestation du simple. Il s’agit de bien lire la
nature, d’interpréter les signes et alors nous saisirons l’être
de ce qui apparaît. Ce qui est impossible pour Kant. La force
exprime la vraie substance dans son rapport avec l’étendue,
mais la véritable substance est métaphysique. C’est le monde
dont la force était à son tour l’étendue. Tout être a une raison
dit Leibniz. Le fondement de la connexion se trouve dans les
notions dit il parfois. Ou encore toute proposition vraie est
analytique. Quelque chose étant donné le principe nous invité
à la mettre en relation avec autre chose, la cause qui est la
raison nécessaire. La raison suffisante est donc ce qui
manque à la cause. D’où la seconde expression.
Quelle est la raison? C’est dans la raison qu’il faut la
trouver. Cf. le «César a franchi le Rubicon». Deux termes de
notions. Passer le Rubicon n’est pas extérieur à la notion de
César. Mais la raison du passage, inhérence à la monade. Le
sujet comme notion. La proposition A est A est vraie et nous
donne la forme de l’identité, toute proposition analytique.
Donc inversement toute proposition vraie est nécessairement
analytique. La notion doit comprendre ce qui est extérieur à
son sujet. L’extériorité de quelque chose trouve dans
l’intériorité le plan des phénomènes. Non plus à César mais à
la notion de César. La monade sera l’unité de la raison
71
suffisante et de l’individualité. Intériorité des phénomènes
aux notions. Il était contenu dans la monade César qu’il
franchirait le Rubicon. Trans. phénoménal des connexions,
des rapports. «Chaque monade exprime la totalité du monde».
Comment peut il y avoir des relations entre les choses?
La substance est individuelle. Chaque notion exprime la
totalité du monde. Le monde c’est l’intériorité de la notion
elle-même. Le génie de Leibniz fut de faire du concept un
individu.
La raison est ce qui contient la totalité de ce qui arrive
et peut être attribué à l’objet correspondant. Le concept dès
lors ne peut plus être une idée générale. C’est une notion
individuelle. Le concept va jusqu’à l’individu lui-même. Dans
l’idée de monde se concentrent tous les sens possibles du mot
sujet. L’idée de subjectivité se déploie à travers le sujet de la
proposition, l’opération de la connaissance.
Comme l’étendue exprime la force, le relatif exprime le
substantiel, c’est-à-dire les monades et leurs rapports. D’où
le statut philosophique que donne Leibniz: les phénomènes
sont bien fondés. Ce monde absolu nous conduit à concevoir
un monde pluraliste. Ce monde n’existe pas en dehors des
monades qui l’expriment. Chaque monade représente la
totalité du monde. Ainsi la monade est la loi d’une série
(forme mathématique = 1+1/2+1/4+1/8 etc.)
Qu’arrive-t-il? Qu’est ce qui distingue les monades les
unes des autres?
Une première réponse de Leibniz est bien curieuse.
Chaque monade exprime bien la totalité du monde mais aussi
72
une partie du monde clairement et distinctement. C’est la
portion du monde par exemple en relation avec le corps de
César. La notion cartésienne de claire et distincte est
radicalement renouvelée puisque subordonnée à une théorie
de la notion d’expression. Le point de vue de chaque monade
ne fait qu’un avec son individualité. Mais qu’est ce que ce
corps empirique? Ce n’est rien d’autre que l’expression du
point de vue de la monade. Leibniz joue ainsi toujours sur
deux tableaux inversés suivant les gens à qui il s’adresse. La
conciliation se fera au niveau de Dieu. D’où sa conception
étrange de «l’harmonie préétablie» qui sera présentée aussi
d’une façon très différente selon ses interlocuteurs. Cette
harmonie règle les rapports entre les âmes (monades) ou les
notions individuelles. Puisque le monde n’existe pas
indépendamment de chaque monade qui l’exprime, tout le
problème de la consistance du monde réside dans la relation
des monades entre elles. C’est une harmonie intérieure des
monades qui va fonder la consistance extérieure du monde.
Le corps, dit il, c’est la pluralité du monde. Il faut faire un
atomisme spirituel. Les monades ce sont des automates
spirituels. C’est une tentative pour dépasser l’alternative
automatisme ou liberté.
Du point de vue éternel des monades que se passe t’il?
L’expression exprime quelque chose mais ce quelque chose
n’existe pas sans son expression. C’est toujours le problème
de l’extériorité. Si le monde apparaît à chaque individu
comme extérieur à lui – hésitation de César devant le Rubicon
– c’est que chaque monade que je suis est en relation avec les
73
autres et qu’il y a correspondance à son heure. A ce niveau il
n’y a plus de choix. La cohérence logique devient délire.
L’espace et le temps expriment alors l’ordre des coexistences
possibles et des successions possibles. Le monde alors
apparaît comme un phénomène bien fondé.
La métaphysique de Leibniz est la dernière grande
théologie dans l’histoire de la philosophie.
Jeu de principe. Première difficulté: rapport exact entre
principe d’identité et principe de raison suffisante. L’idée de
fondement demande plus que le principe d’identité. La
philosophie commence avec une phrase de Parménide: «être
est et le non être n’est pas». A première vue principe
d’identité. La philosophie demande un principe à partir
duquel penser l’existant. Aristote: «Le problème de la
philosophie est, quand il y a de l’être?» Est-ce le principe
d’identité (A est A) qui nous permet cela? L’être est le non être
n’est pas. Le deuxième c’est le principe de non contradiction.
Hegel remarquait qu’on a beau traiter le principe de non
contradiction A’ n’est pas A comme un doublet du principe de
contradiction A est A il y a une nouveauté irréductible,
l’introduction du négatif. Malgré que deux négations
s’annulent, il y a un retour au positif seulement après une
négation de la négation. Pour Hegel le principe d’identité est
moins un principe que la réclamation d’un principe. C’est
seulement après la négation de la négation que peut se fonder
le principe de l’existant. Voila pourquoi la formule de
Parménide n’est pas aussi claire qu’elle paraît. Il y a comme
une identité retrouvée à travers autre chose qu’elle. N’est ce
74
pas le même problème de Leibniz? La raison suffisante
suppose le principe d’identité mais il est bien autre chose
qu’une conséquence de ce principe. Il le suppose puisque
toute proposition vraie a-t-il dit est analytique. Mais il en est
la réciproque: toute l’identité est retrouvée dans l’existant et
pour cela il fallait un autre principe que nier la réalité de
l’existant. Le principe de réalité est incapable de se retrouver
tout seul. Ainsi le principe d’identité est règle des essences.
L’analyse qui arrive à démontrer l’identité de César et de
franchir le Rubicon est «infinie» y compris pour Dieu. Mais
pour lui il est actuel, il se saisit d’un seul regard.
Le deuxième principe: de finalité ou du meilleur. (cf.
harmonie entre les notions). D’où l’idée du meilleur des
mondes possibles. Il se manifeste ainsi à partir des essences
elles mêmes. Chaque essence est possible et non
contradictoire. En fonction de cette possibilité elle tend à
l’être, mais encore faut il que ces essences soient entre elles
compossibles.
Le principe de continuité qui exprime le rapport entre
chaque notion individuelle et ses attributs. Ainsi chaque
principe est l’expression de l’un de l’autre. Le principe des
indiscernables qui recueille tous les autres: «chaque chose a
sa notion». Il n’y a pas deux notions ayant les mêmes
attributs. (Attaque de Kant à partir de « l’Esthétique»).
Que signifie ce groupe de principes qui se réclament de
la raison suffisante?
75
Conclusion
1) Une philosophie du symbolisme universel.
2) Jeu de principe que Leibniz retrouve dans tous les
problèmes concrets. Parfois deux cas étant aussi peu
différents qu’on voudra dans les lois cartésiennes les effets de
ces mouvements seront différents. Cela suffit à Leibniz pour
prouver que ces lois sont fausses.
3) Grande ambiguïté chez Leibniz. Il sent tout le temps
que le principe de raison suffisante est bien autre chose que
le principe d’identité. Insuffisance de ce principe qui ne peut
retrouver l’identité des choses. La détermination du
fondement présuppose bien l’identité mais il faut un principe
qui rapporte les choses à l’identité. Il fallait changer la notion
des rapports mêmes de l’essence et de l’existence de telle
façon que ce qui fait premier se présente comme fondement.
Objections de Hegel dans la Logique: il le félicite d’avoir
découvert le domaine de la raison suffisante mais il a eu tort,
dit il, de le déduire du principe d’identification.
Domaine du fondement métaphysique et domaine des
mathématiques chez Descartes (cf. Plus haut).
De ce point de vue chez Leibniz l’ambiguïté cartésienne
disparaît, est dépassée. Leibniz peut considérer qu’il a
refonder le savoir absolu, la science universelle et qui usera
cette méthode de tout un jeu de principe où est donné la
raison elle-même.
On peut dès lors comprendre un texte fondamental de
Leibniz, De l’Origine radicale des choses.
Deux questions:
76
1: pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?
2: pourquoi ceci plutôt qu’autre chose?
Elles vont servir de règles à la solution de tous les
problèmes dans le monde.
A la première répond le domaine des essences régies
par le principe d’identité.
A la seconde répond le domaine des existences régies
par le principe de raison suffisante.
Faire de la philosophie pour Leibniz c’est poser ces
deux questions fondamentales. Toute la conception
théologique de Leibniz dépend de là. La première est une
question qui reçoit sa réponse de l’existence même des
essences. Ce sont deux questions qui vont se retrouver au
niveau de tous les problèmes posés par Leibniz. Elles
contiennent déjà les règles de toutes les solutions. Or à ce
niveau encore on rencontre la même difficulté. Les deux
questions ont-elles les mêmes valeurs? Pourquoi commencer
par l’une plutôt que par l’autre? C’est parce que les essences
précèdent chez Leibniz les existences. Ces deux questions
pourtant sont elles également légitimes, sont elles l’une et
l’autre bien posées? Constitutions étonnantes de principes
logiques. Véritable critique des conditions sous lesquelles un
problème est bien posé. N’est ce pas seulement la deuxième
question qui est bien posée? L’originalité de la question du
fondement n’est elle pas dans la deuxième question? La
question devenait de première main dans le rationalisme
absolu. La question, avions nous vu, était une critique des
conditions de possibilité du problème.
77
Kant alors: Critique de la Raison pure. Jusque là le
savoir s’est évalué aux solutions apportées aux problèmes et
Kant annonce qu’il va poser la question: “N’y a-t-il pas de
faux problèmes?”
III - LA TROISIÈME SORTE DE QUESTION: LA QUESTION CRITIQUE
a) Le concept d’erreur en philosophie.
Mobile de La Critique de la Raison pure. La pensée est
entraînée par une illusion fondamentale, inévitable. Ce n’est
pas une illusion qui marque la réaction sur la pensée de nos
passions, mais l’influence de la pensée sur la pensée. Le
préjugé pour Descartes venait de ce que nous ne sommes pas
simplement des êtres pensants. Le principe d’illusion vient du
corps. L’idée de Kant c’est que la pensée pure tombe dans
une illusion qui lui est intérieure. D’où «l’illusion
transcendantale» et non l’illusion empirique. C’est la raison
qui engendre l’illusion dans laquelle elle tombe. Dès lors elle
ne pourra jamais disparaître. Il faut seulement empêcher
qu’elle ne nous trompe. Cette illusion appartient à la nature
de la raison. La dialectique c’est alors à la fois le mouvement
de l’illusion transcendantale et en même temps la conscience
de cette illusion. C’est un véritable tournant de la
philosophie. Il annonce que la doctrine de la vérité est
totalement à remanier. Les rationalistes de 17eme siècle
pensent que la pensée en tant que telle est par nature droite,
soucieuse de vérité, désir du vrai (cf. Descartes,
78
Malebranche). Ils interprètent alors l’erreur en tant que pur
fait. C’est parce que nous ne sommes pas des êtres pensants
que nous nous trompons. La méthode sert pour la nature
humaine à rejoindre la nature de la pensée. La doctrine de la
vérité appelle donc la constitution d’une méthode.
Pour Kant il ne suffit pas d’une méthode, le problème
est totalement changé. On aura à se demander si Kant a été
jusqu’au bout des conséquences. En tout cas il a vu que la
vérité qualifie les problèmes. L’illusion pousse la pensée à
poser de faux problèmes. Il y a une rupture sur tous les
points avec le rationalisme classique.
Ce principe se retrouve chez d’autres auteurs, ce qui
montre qu’il ne s’agit pas d’une doctrine. Chez Spinoza, la
vérité est vraie en elle-même. L’erreur n’a rien de positif. En
Dieu toute idée est vraie. La pensée en sa nature n’est pas
droite pour Kant. Mais tous les philosophes d’une certaine
manière ne nous suggèrent ils pas la faiblesse des
rationalistes5. Le thème de Platon sur «l’âme ignorante». N’y a-
t-il pas plus que la simple notion d’erreur. La «mania» des
Présocratiques est bien autre chose que le fait de se tromper.
Platon demande la «paideïa», la pensée doit d’ abord
s’installer dans une région, un domaine où la vérité existe.
Alors loin d’y trouver sa vocation, sa nature spontanée, elle
commence par être éblouie et il faut y amener de force. La
pensée est en rapport avec le vrai pensent les rationalistes.
Quelle est la meilleure position du problème? Chez Platon on
nous invite à penser en terme existentiel (situation de la
5 Cf. chapitre 8 de la République de Platon.
79
conscience de l’âme).
Remaniement d’une doctrine de la vérité.
Première tâche assurée par Kant et la tradition
kantienne. Mettre en question l’intériorité réciproque de la
pensée et du vrai.
Seconde tâche: substituer à l’idée de méthode l’idée
d’une formation. La vérité subsiste en dehors de la pensée et
doit contraindre la pensée pour se faire connaître d’elle. Kant
ne l’a pas si bien vu. La vérité subsiste hors de la pensée.
Même si nous étions des anges, des êtres réellement
pensants, ça n’arrangerait rien.
La vérité ne qualifie plus une idée mais doit être définie
comme quelque chose. La vérité c’est l’être.
Pourquoi Kant n’a pas vu le second point? En vertu de
la thèse kantienne que l’être n’est pas objet de connaissance
mais que la connaissance porte sur les phénomènes. Mais ce
point est il nécessairement impliqué par l’autre point sur
l’illusion?
Des penseurs disent que la tâche est de dénoncer les
mystifications. Le premier Démocrite, puis Epicure, Lucrèce.
Mystification à dénoncer. Tradition qui se poursuit jusqu’à
Nietzsche, Marx. Ils nous disent que l’homme est aliéné. Il est
comme privé, séparé de son propre pouvoir, de sa propre
puissance, si on transporte cette entreprise au niveau de la
philosophie. De deux choses l’une: au niveau de Descartes
inférieur à l’exploration kantienne. Tout de même l’idée de
faux problème apparaît chez Kant. Les faux problèmes
80
consistent tous pour lui a prendre le plus pour le moins. Pour
Kant ils consistent à prendre des principes subjectifs pour
des principes objectifs. Pourquoi de l’ordre plutôt que du
désordre, quelque chose plutôt que rien? Bergson dit que
c’est un faux problème parce qu’il repose sur un postulat: le
néant est moins que l’être, le possible suppose l’être6. Nous
croyons que le possible est moins que l’être et nous posons
alors que le possible précède l’être, l’existant. Il n’y a pas
moins en fait mais plus dans l’idée de possible.
L’illusion, elle, est positive. On en prend conscience
mais elle n’est pas détruite. La conception classique consiste
à nous dire que la vérité se conquiert sur l’erreur. L’illusion
est engendrée par la pensée dans sa nature. Opposé aux
rationalistes du 17eme siècle.
Il est très frappant que Bergson nous dise la même
chose que Kant et sur un point il va moins loin, sur un autre
plus loin. Moins loin: l’illusion s’explique par des raisons
psychologiques. En vertu de l’action pratique Kant a trouvé à
l’illusion une racine transcendantale. Elle n’a pas sa source
dans autre chose que la pensée elle-même. Cette thèse donne
toute la dernière partie de la Critique de la Raison pure. Si la
source de l’illusion est transcendantale autant dire que
l’illusion n’a pas simplement une racine empirique (un fait de
la nature humaine) mais métaphysique. Mais alors c’est la
même chose de dire que la métaphysique est illusion. La
métaphysique n’est pas possible mais elle peut être détruite.
C’est un passage de l’une à l’autre très étonnant.
6 Cf. l’article de Bergson sur le «possible».
81
L’illusion pour Bergson est assez simple. Elle se
ramène à ceci: la pensée prend le plus pour le moins. Les
problèmes de la métaphysique classique sont de faux
problèmes.
Deux manières de critiquer la métaphysique:
1- pas sérieuse, au nom d’autre chose qu’elle (au nom
de la science).
C’est la critique scientiste. Cf. déjà les empiristes
Hume. Les sciences de l’homme)
2- sérieuse. Chez Marx il ne s’agit pas de substituer la
science à la métaphysique mais de dépasser la métaphysique.
Réalisation et mort de la philosophie = réalisation et mort de
la métaphysique.Cf. Heidegger aujourd’hui qui se réclame de
Kant et annonce qu’il veut dépasser la métaphysique.
Dépassement de la métaphysique?
a) Bergson: la pensée prend le plus pour le moins. Les
questions classiques déjà vues présupposent l’antériorité du
possible. Le quelque chose est appréhendé comme pouvant
être et pouvant ne pas être. Bergson montre alors que le
possible est second au réel. Il n’y aurait rien manqué à la
littérature si Proust n’avait pas existé, mais une fois
seulement qu’il a existé. Le possible est une opération du réel
projetant son image dans le passé.
La critique de Bergson de l’idée de désordre et de néant
a le même sens. Le néant c’est l’être plus la négation qui le
nie. L’idée de néant ou de désordre est purement relative à
l’action. Dans le néant il n’y a pas moins que dans l’être il y a
plus. D’où on prend le plus pour le moins. Puisque ces
82
questions s’annulent la métaphysique est dépassée.
b) Pour Kant la forme de l’illusion est plus profonde. Il
veut atteindre une racine transcendantale. Quelle est la
formule de l’illusion? Elle consiste à prendre un principe
subjectif pour un principe objectif. Il ne veut pas dire que
l’erreur consiste à prendre du subjectif pour de l’objectif. Il
parle de principe. Qu’entend il par là? Pour le comprendre il
faut penser à son idée sur la subjectivité, la subjectivité
transcendantale. Nous sommes sujets empiriques mais nous
ne sommes pas que cela. Une véritable subjectivité absolue
que sera t elle? Un sujet qui n’est que sujet ne s’opposera pas
à l’objectif. Le subjectif est ce qui devient objectif appliqué
aux phénomènes.
Des conditions chez Kant rendent la connaissance
possible. Celle-ci ne peut être ramenée à des objets connus
puisque ceux-ci impliquent déjà des conditions de la
connaissance. Ces conditions sont subjectives. Il s’agit déjà
d’une subjectivité transcendantale qui fonde l’objet comme
objet de connaissance et rend nécessaire la soumission de cet
objet à la connaissance.
L’analytique, deuxième partie, y répond. Les conditions
de l’expérience sont en même temps conditions des objets de
l’expérience. Les phénomènes ce sont ce qui apparaît.
Connaître est ce seulement saisir ce qui apparaît? Pas
exactement. Ce qui apparaît c’est un flux de qualités
sensibles. Connaître c’est faire de ces qualités la qualification
de quelque chose. Kant: l’objet = x qui est une fonction de la
connaissance. Ces conditions renvoient l’une à la sensibilité
83
(l’espace et le temps), les autres à la spontanéité, ce sont les
catégories. Il y a chez Kant une véritable unité du sujet et de
l’objet. Unité de la connaissance et du connu. Mais cette
unité est subjective (l’objet tel qu’il m’apparaît). Dès lors
quelle était la grande règle de la connaissance légitime? Il n’y
a pas d’autre connaissance que celle des phénomènes eux-
mêmes. Il n’y a pas de connaissance de la chose en soi. Il n’y
a de connaissance que dans l’expérience.
Second aspect de la thèse kantienne. Kant distingue
alors l’intuition et le concept. Le phénomène est intuition:
espace et temps forment de l’intuition dans laquelle apparaît
le phénomène. Les catégories cette fois déterminant le
phénomène apparaissent dans l’espace et le temps en un
objet quelconque. On ne peut connaître que par concept et
intuition. Il n’y a de connaissance légitime que lorsque je
dispose d’un concept tel que je puisse en produire l’objet
dans l’intuition. Kant va nous montrer que c’est là la formule
des mathématiques et de la physique. Le concept
mathématique est la règle de construction d’un objet dans
l’intuition elle-même. La physique bien que procédant
autrement se ramène aussi à cela. Mathématique et
physique: système de connaissance légitime donc au second
résultat: répond une autre formule. Il n’y a pas de
connaissance des noumènes (attention au presque contre
sens). Chez Kant il y a chose en soi et noumène et chaque
fois il dit qu’il n’y en a pas ce connaissance. On risque de
traiter chose en soi et noumène pareillement: pire qu’un
contre sens parce que ça n’en est pas un. Le noumène c’est la
84
pure pensée. La connaissance des noumènes serait par pur
concept. (Il n’y en a pas plus que par pure intuition). Cette
connaissance par pur concept c’est ce que les classiques ont
toujours appelé métaphysique. Kant ne se répète donc pas,
c’est la même chose mais d’un point de vue différent. La
chose en soi s’appelle noumène, c’est ce qu’elle devrait être
s’il y avait une connaissance possible par pur concept. «Le
subjectif n’est que ce qui devient objectif qu’appliqué aux
phénomènes». Le principe subjectif de la connaissance fonde
l’objectivité de la connaissance en tant que phénomène.
Usage excessif des catégories lorsqu’on s’en sert pour
connaître un objet hors de l’expérience. L’ensemble de
l’expérience comme monde je le traite comme monde. (Dieu
est cause du monde: exercice illégitime)
L’illusion de la raison consiste à nous faire sortir des
limites en dehors desquelles les catégories sont illégitimes. Le
moi substance, le monde et Dieu impliquent selon Kant un
usage illégitime des catégories. Ces trois idées ont pourtant
un sens, elles sont bien fondées. Ces idées de la raison pure
ont un sens fondamentalement subjectif, elles sont idées de
la raison et non catégories de l’entendement qui se rapportent
aux phénomènes alors que la raison se rapporte à
l’entendement lui-même, elle est faculté de lier les règles
selon les principes. Les idées ont bien un sens légitime à
condition que je n’oublie jamais qu’elles sont subjectives. Ce
sont des principes régulateurs et non constitutifs.
L’entendement c’est bien du subjectif mais qui est devenu
objectif en s’appliquant aux phénomènes. Il n’a donc pas
85
seulement trouver une racine négative de l’origine de
l’illusion, une racine illégitime des catégories mais encore
fallait il qu’elle soit inévitable.
Kant ne critique donc pas la métaphysique sur le
premier plan et pourtant il n’y a de connaissance que
mathématique et physique. La conscience doit prendre
conscience de cette illusion. D’où la dialectique: mouvement
générateur de l’illusion et dénonciateur de cette illusion ne
font qu’un, car la dénomination ne l’anéantit pas. Ici s’ouvre
une tâche étonnante que Kant appelle la critique. L’idée pose
un objet qui lui correspond et que je prétend connaître par
elle seule: la critique c’est le démantèlement du mécanisme et
la dénonciation de l’illusion. La métaphysique comme illusion
ne peut être anéantie mais soumise à la critique. Il s’agit de
faire en fait une métaphysique nouvelle. cf. Hegel. Rappelons
le classicisme: distinction de deux mondes qui parcoure toute
la philosophie. Pour Kant il y a encore des essences mais
elles ne sont pas objets de connaissance. La philosophie dès
lors n’a pas la tâche de découvrir les essences mais de
déterminer les conditions. A quelles conditions les
mathématiques, la physique etc. la moralité sont elles
possibles? Kant substitue la notion d’apparence. Le
phénomène c’est le conditionné, c’est l’apparition. De la
même manière transformation radicale, l’idée de condition
vient relayer l’idée classique d’essence.
La métaphysique devient une logique car elle est
détermination des conditions et non découvertes des
essences. Cf. plus tard la postérité de Kant: il n’y a pas deux
86
mondes, d’une certaine manière on assiste à un retour à
l’essence mais plus avec le sens du classicisme. L’essence
c’est le sens même du phénomène correspondant. La
métaphysique devient une logique.
Conclusion
Les questions paraissent bien bizarres.
Au niveau existentiel. Exemples seulement, il s’agissait
de demander des comptes sur tout. Au niveau de Leibniz:
deux questions et non pas trois. La question critique (préface
de la Critique de la Raison pure). Le savoir doit se comporter à
des conditions qui le rendent possibles.
Il y avait trois aspects du fondement:
- le premier, lutte et opposition du concept et de la
subjectivité. La question allait jusqu’au bout. Cette lutte si
intéressante du point de vue de la subjectivité avait son
correspondant sous forme d’une relation inverse. Le concept
impliquait un anéantissement de la subjectivité. L’idée chez
Platon impliquait le néant des personnes.
- la seconde, la question métaphysique de Leibniz. Le
concept cette fois va jusqu’à l’individu. Le fondement se
présente comme la raison suffisante à condition qu’il se
déploie et soit la règle d’un savoir absolu.
- la troisième: à l’idée d’un savoir absolu que Kant
condamne se substitue l’idée d’une critique du savoir ou
l’idée d’une détermination des conditions du savoir. Mais
cette ruine de la métaphysique annoncée par Kant ne fait elle
pas place à la détermination d’une nouvelle métaphysique.
87
Nouvelle règle relative au fondement: c’est l’identité de
la condition et du conditionné. Les Post kantiens n’allaient ils
pas chercher à déterminer dans un concept la relation de la
condition et du conditionné. Histoire: Schelling critique
contre Kant, Hegel.
CHAPITRE *** - FONDEMENT DE PRINCIPE
Introduction
Une question était appel à ce qui fonde. Nous avons
trouvé trois structures de question.
1- La question d’existence dénonçant les réponses
comme de seconde main. Quant au fondement il faisait taire
les réponses et l’opération de ce fondement consistait dans le
paradoxe.
2- La question qui prétendait nous mener à la science
de toutes les solutions aux problèmes possibles selon un
principe universel.
3- La question critique réclamant une critique des
conditions sous lesquelles le fondement était posé.
Dans cette triple fonction de fondement,
perpétuellement la notion oscille entre deux pôles. Doit il être
conçu comme un principe des choses en elles mêmes ou pour
notre simple connaissance des choses? Deux pôles: méthode
ou système. Fondement de la méthode = principe de notre
connaissance des choses.
Fondement d’un système. Y a-t-il lieu de proposer du
fondement une conception méthodologique ou systématique?
88
Question d’autant plus importante que l’histoire de la
philosophie oscille entre ces deux pôles.
I) Méthode et système
Que signifient ces deux notions? Leurs caractères
extérieurs mêmes les opposent. Grand manifeste même du
système qui s’oppose à la méthodologie: Préface aux Principes
de la Phénoménologie de Hegel. La méthode: idée de
recherche, idée de voir.
Elle se présente toujours comme un principe. La
méthode c’est l’organe (l’organon). Après Aristote son œuvre
est appelée l’Organum. Cf. la nouvelle organisation de Bacon,
livre extraordinaire. Toutes les trois lignes on trouve des
métaphores splendides. On a pu croire qu’il avait écrit les
œuvres de Shakespeare. Perspective non plus moyen/fin,
mais tout/partie. Les Stoïciens disent du monde qu’il est
système. Méthode et système se réclament d’un principe,
mais pour la première c’est le principe de la connaissance des
choses et pour le second le principe des choses en elles-
mêmes.
Trop facile de dire que le système serait l’idéal de la
méthode. Cela néglige que chacun de leur côté ils se
réclament d’un principe. La méthode demande un principe de
connaissance des choses. Et ce principe se présente comme
premier et non pas subordonné au principe des choses en
elles mêmes, s’il existe. Le système lui renverra à l’organisme.
L’organe ne peut se comprendre comme un ensemble orienté
de moyens. L’organisme ne peut se comprendre qu’à partir de
89
la liaison tout, partie.
On reconnaît une méthode à trois choses.
1) exigence d’un commencement. (Descartes, Règles de
la Méthode. Partir du simple)
Dans le système refus d’un commencement. Il se
présente comme circulaire7. La méthode est telle que son
contenu lui vient toujours de dehors pour Hegel alors que le
système ne fait appel à aucun contenu venu du dehors. Il est
à lui-même sa propre base.
Pourquoi le commencement est il illusoire? Parce que
c’est l’exigence de quelque chose qui serait posé comme
absolument immédiat. Il n’y a rien qui implique aussi bien
l’immédiateté que la médiation.
«Ce qui importe à la science (savoir) ce n’est pas tant
que le commencement soit immédiateté pure mais le fait que
son ensemble représente un circuit absolument fermé où ce
qui est premier devienne dernier et vice et versa».
2) exigence d’un principe d’économie. (À développer à
partir du rationalisme classique). Rapport moyen et fin
analysé alors au niveau théologique. C’est au niveau de Dieu
que se trouve le principe d’économie. Ainsi justification du
mal: minimum de moyens pour obtenir un maximum d’effets.
Le miracle? Correction du mal qui est l’inconvénient du
principe d’économie Cf. Malebranche. Dieu agit
méthodiquement.
Autre caractère du système: impression que nous
donne le système, l’exubérance, l’excès du concept. A la
7 Phénoménologie de l’Esprit, Logique pp. 50-60.
90
simplicité des moyens de la méthode s’oppose la luxuriance
du concept. Les meilleurs biologistes nous rappellent que
organiquement nous avons trop de tout. Cf. le biologiste
hollandais Bujtentijk dit «l’oiseau chante plus que ne le
permettrait la sélection naturelle».
Ainsi exubérance du concept dans le système.
Plaisanterie de mauvais goût cf. Gabriel Monod, «le concept
est trop pauvre». C’est le contraire, l’existant ne remplit pas
tout le concept. Cf. le concept d’amour. Aucun amoureux ne
peut dire «je suis aimé». Le concept le déborde de toutes
parts. Il comporte en plus le sens d’un objet. Il comporte
l’inconscient, la dimension non donnée. Au minimum de
moyens il faut opposer l’exagération fondamentale du concept
lui-même.
3) Artifice et fiction.
1- Règle de la méthode. Au courant de la troisième: il
faut aller jusqu’à feindre un ordre entre des choses qui ne se
précèdent pas les unes les autres. Leibniz: dans la méthode il
faut utiliser des fictions, des symboles imaginaires qui
ensuite seront réduits.
Il y a donc un mouvement perpétuel de l’homme de la
méthode: « voyez vous tout ce que j’obtiens avec si peu?’
Hegel dit que le système implique une ruse
fondamentale qui est le contraire de l’artifice de la méthode. Il
dit «je n’y suis pour rien». Coquetterie: «le savoir est ruse
parce que s’oubliant lui-même dans son objet il voit cet objet
devenir et se faire un moment du tout, c'est-à-dire se réfléchir
91
dans ce savoir» dit Hegel.
Le système c’est l’Annonce faite à Marie. Si ces notions
s’opposent ainsi on peut s’attendre à une polémique.
Reproches de la méthode au système: trois choses
essentielles.
1) Le système c’est l’homme qui se prend pour Dieu car
il est inséparable d’un savoir absolu. Il s’accompagne d’un
appel pour des moyens servant à dépasser la condition
humaine. La méthode invite l’homme à assumer sa propre
condition. Spinoza, troisième genre de connaissance =
coïncidence avec Dieu. Certes la condition humaine subsiste,
il fait partie de la nature Il y aura toujours de la passivité
dans l’une. Mais il n’en pense pas moins qu’il y a des moyens
par lesquels l’homme peut conjurer les inconvénients de la
condition humaine. Bergson: “la philosophie devrait être un
effort pour dépasser la condition humaine”. La méthode
réalise toutes les virtualités de cette condition.
2) Deuxième objection de nature politique. A tort ou à
raison philosophes flairent un danger pour l’homme dans le
système qui se lie à la tyrannie politique. Le système est
totalitaire. Sans faire de grossier contre sens sur Hegel il a
tout de même vu à un moment où sa philosophie se réalisait
dans le régime prussien. Et Spengler dans Le destin de
l’Occident. Les systèmes sont souvent liés à un régime
totalitaire.
3) Troisième objection: troisième mystification. Le
système se réclame toujours de l’a priori et semble montrer
du mépris pour la simple expérience. Schelling dit que le
92
système réintroduit l’expérience par la porte de derrière. Le
système semble apte à justifier tout. En fait il érige la
nécessité de fait en nécessité rationnelle. Identité entre le réel
et la raison (Hegel) dénoncée comme une confusion
intolérable entre le fait et le droit.
Ce sont ces trois objections auxquelles il faut répondre
même si elles peuvent paraître fausses.
Inversement le système reproche à la méthode deux
choses.
1- Elle laisse toujours subsister une double extériorité
de telle sorte que la philosophie perd son véritable but.
Deux pôles dans la méthode. «Discours sur la méthode
de la certitude» de Leibniz. Il reproche à Descartes d’avoir
confondu méthode d’invention (un pôle) et méthode de
certitude (autre pôle). La première prétend retrouver ou
reproduire par des moyens originaux un objet qui d’autre
part est déjà produit par l’invention. L’homme est en
situation dans une nature qui lui préexiste. L’homme invente
des objets qui lui sont donnés d’autre part sous une autre
forme dans la nature. Le mécanisme c’est un ensemble de
moyens par lesquels l’homme reproduit ce qui est donné dans
la nature par des moyens originaux. Texte étonnant de
Descartes quand il s’attaque à la biologie (Traité du Monde).
«Je suppose qu’il y est là un organisme et ma question est:
Comment peut on reproduire cet organisme». L’homme
retrouve ce que la nature fait grâce au mécanisme mais cela
ne veut pas dire que la nature agit mécaniquement. C’est en
tout cas un autre problème. Dans la mesure où la méthode
93
est une règle originale de la reproduction l’essentiel d’elle ce
sont les règles originales appelées mécanisme, machines.
Première extériorité suppose celle de la nature. Deuxième
pôle, méthode de la certitude.
Dans l’évolution même de son œuvre Descartes semble
être passé du premier pôle au second. Dans les Regulae elle
est rattachée à l’ingénieur. Elle est avant tout méthode
d’invention. Puis elle est rattachée au bona mens (bon sens).
Changement dans la méthode, elle a pour pôle fondamental
la certitude. Son extension des mathématiques à la science
dans son ensemble c’est la certitude mathématique et non les
procédés. (Il sait que ce ne serait pas possible pour tout). La
méthode d’invention supposait une nature, celle de certitude
aussi. Il s’agit de retrouver par des moyens artificiels une
pure nature de la pensée. Descartes dit il y a une droite
nature de la pensée mais nous êtres pensants ne sommes pas
égaux à cette nature. La méthode nous différencie. La
méthode élève l’être pensant jusqu’à ce qu’il rejoigne la pure
pensée. Dans les deux cas la méthode suppose donc toujours
une nature. Il faut donc reconnaître la justesse de cette
phrase de Hegel: «dans une méthode la conformité au but est
toujours extérieure». L’avantage du système sera: il a su
accéder à une véritable intériorité du système et de son objet.
Donc la méthode d’invention représente par un
mouvement original ce qui est déjà produit d’une autre façon.
La science universelle de Descartes est de quel côté?
Galilée pense qu’il y a aussi une unité de la matière et de la
nature. Descartes c’est l’unité du sujet connaissant. «Toutes
94
les sciences ne sont rien d’autre que la sagesse humaine qui
demeure toujours une et toujours la même si différents que
soient les objets auxquels elle s’applique». Cf. les natures
simples chez Descartes. Un triangle inscrit dans un cercle
n’est pas moins simple que le triangle lui-même. Dès lors ce
n’est pas sur l’objet que porte la simplicité. La méthode qui
actualise cette simplicité de l’acte connaissant quelle est
t’elle? Il y a une nature de la pensée qui transcende tous les
objets qui se présentent à elle. Le problème c’est de rejoindre
grâce à la méthode cette nature car notre nature n’est pas
identique à celle de la pensée. «Il faut supposer un ordre
même là où les objets ne se précèdent pas les uns les autres».
C’est là que s’agrippe la critique de la méthode par le
système qui lui se réclame d’une intériorité totale. Ce qui
distingue l’organisme d’une machine dit Kant c’est qu’elle n’a
pas une énergie formatrice.
L’intériorité du système est double.
1- dans sa perspective la reproduction ou la réalisation
ne fait qu’un avec le mouvement même de la chose. Cf.
Spinoza
2- intériorité et réciprocité de la pensée et de son objet.
A chaque figure de la pensée répond un certain type d’objet.
La méthode se réfère toujours à une nature qu’elle
essaye toujours de reproduire ou de rejoindre. Elle se réclame
d’une nature extérieure. Il se réclame d’une vie interne ou
d’une histoire enveloppée. Le système se réclame soit d’une
vie qui le parcourt, soit d’une histoire qui le développe. D’où
l’idée de moment lié au système de parties biologique.
95
II - PRINCIPE ET FONDEMENT DANS LA MÉTHODE.
A) Thème général.
1) Descartes nous dit que la vraie méthode est
nécessairement analytique et pourtant, dit il, j’emploie aussi
souvent la méthode synthétique dans les réponses aux
objections, mais c’est seulement pour l’exposé.
Question: si l’homme était Dieu proposerait il
synthétiquement? Peut être, encore que Descartes n’en est
pas sûr. La méthode synthétique est alors de toute façon
seulement constitutive d’une démarche divine. L’analyse est
la seule démarche pour l’homme à cause de sa situation dans
sa nature.
2) Spinoza se réclame d’une méthode synthétique. Cf.
Les Principes de la philosophie de Descartes. Il va exposer le
cartésianisme comme Descartes ne l’a pas fait vraiment.
L’Ethique expose par une démarche synthétique. Ainsi
il s’est mis du point de vue de Dieu (Premier livre: De Deo)
1 - Kant connu pour son emploie de la synthèse. En
fait elle est toujours dépendance. L’analyse reste
fondamentale. Il s’en explique dans les Prolégomènes et dans
Analytique transcendantale. Différence avec Descartes du fait
qu’elle devient transcendantale l’analyse devient principe
d’une synthèse pour nous.
2 - Les post kantiens recommencent l’histoire. Salomon
Maimon et Fichte font du kantisme une critique d’une
richesse extraordinaire de Kant. Ils veulent réaliser l’idée
critique de Kant. Ils disent que son grand mérite fut de
96
trouver le transcendantal mais il n’aurait pas réussi à s’élever
à une méthode synthétique. Chez Kant le fondement reste lié
à un jugement simplement hypothétique. Il appelle
constamment les faits pris comme faits, physique et
mathématique.
3 - Dans la Critique de la Raison Pratique le fait de la
morale, les mœurs. Kant évoque même un fait de la raison, la
loi morale. A partir de là il cherche les conditions de
possibilité de ces faits. Il faut qu’il y ait des conditions qui le
rendent possible pour Kant si ceci existe. Kant a eu le mérite
de découvrir le transcendantal mais n’en a pas compris la
nature. Il doit y avoir une genèse transcendantale pour
Fichte. Le transcendantal ne doit pas seulement chercher les
conditions des faits présupposés mais être la genèse du
conditionné au lieu de se le donner tout fait.
Fichte va réclamer la méthode géométrique qui sera la
synthèse. Maimon prépare une méthode qui transforme le
jugement hypothétique de Kant en jugement catégorique.
Ainsi leur thème commun est de substituer à la méthode
kantienne une méthode génétique et synthétique.
Ainsi dans son essence la méthode est démarche
analytique. Elle est bien la seule démarche possible de l’esprit
humain s’il est vrai que cet esprit dans l’ordre de la recherche
n’a pas les moyens de procéder par synthèse. Si au niveau du
transcendantal il peut y avoir une synthèse, si Fichte et
Hume ont raison, alors la philosophie est système.
b) Images des sciences de Bacon. C’est une
interprétation très curieuse du platonisme. L’homme n’est
97
pas du tout dans la même situation que Dieu. Chez lui
l’action est comme la conséquence immédiate de la
connaissance. Il conduit les idées et son action consiste à
combiner les idées. Les caractères ce sont les lettres. Les
idées sont les lettres. C’est l’alphabet divin. Sa démarche est
donc synthétique. Voltaire, Dictionnaire philosophique, lettre
A. Il est curieux de voir qu’il n’y a pas de mot pour désigner
l’ensemble des lettres. Alphabet (a b) c’est comme si on
appelait la numérotation 1,2.
Les Stoïciens se servaient d’un mot sans sens pour
désigner le mot qui n’avait pas de sens. Ce mot c’était lecture
(?) en grec. Son de certains instruments à corde et par les
Stoïciens le mot qui n’a pas de sens, le mot absurde, non pas
l’absurde mais qui désigne l’absurde. Et le mot qui n’a pas de
sens n’appartient à aucune règle. Pour Voltaire ce mot qui n’a
pas de sens c’est alphabet. L’art de tous les arts est désigné
par un mot qui n’a pas de sens. La situation de l’homme c’est
justement d’être dans un monde tout fait. Bacon ne demande
pas de substituer l’action à la connaissance mais il demande
comment l’homme peut rejoindre la vérité avec d’autres
moyens. Démarche inverse: l’homme connaît en agissant.
L’homme ne peut retrouver que par l’action la véritable
connaissance. Il s’agit de dévoiler les complexes non pas pour
retrouver les caractères. Analyse et synthèse ne sont pas
deux opérations inverses. L’homme devra s’arrêter à une
intermédiaire: les axiomes moyens qui sont les principes
relatifs à la situation de l’homme.
Descartes nous disait il ne faut pas confondre l’ordre
98
de l’être et l’ordre de la raison. L’idée de Dieu infini est
découverte dans la 3eme Méditation. Le cogito est premier
dans l’ordre de la connaissance bien qu’il soit second dans
l’ordre de l’être. Il suppose Dieu. Le principe dont la méthode
se réclame est bien principe de l’ordre de la connaissance.
Elle a sa propre mesure. Le principe est donc ce qui est
premier.
Les axiomes moyens sont seconds par rapport aux
idées (caractères de l’être) mais ils sont principes (premiers)
parce que pour la connaissance ils sont principes.
Quels sont ces axiomes?
Platon proposait la division: partir d’une matière, la
diviser en deux, à gauche, à droite. Prendre la droite et la
diviser en deux et ainsi de suite jusqu’au moment où on ne
peut plus diviser. Cf. le Sophiste qui est ce que la pêche à la
ligne…
Selon Bacon c’est ainsi qu’il faut procéder dans les
expériences scientifiques. C’est ce qu’il appelle induction.
Rapport original qu’on pourrait expliquer ainsi: rapport de
détermination. La ligne droite est le plus court chemin d’un
point à un autre. Qu’est ce qui est sujet et prédicat?
Traduction: le plus court est la règle à partir de laquelle je
détermine la ligne comme droite. L’axiome moyen est
précisément ce rapport de détermination. Le plus court
chemin est la règle de la détermination. Kant: synthèse à
priori, c’est cette règle de construction. Ex. 7+5=12. La
synthèse n’est pas entre d’une part 7+5 et d’autre part 12 qui
n’est pas un symbole conventionnel. Elle est dans + qui est la
99
règle de construction par laquelle je détermine 12 à partir de
7 d’une part et 5 d’autre part. C’est cela la synthèse à priori.
Quand Bacon parle des axiomes moyens il nous dit que c’est
la règle de détermination physique (il ne s’occupait pas de
mathématique) qui détermine ne différence. L’axiome moyen
de la chaleur c’est la règle à partir de laquelle je produis de la
chaleur à partir du froid. C’est le système des essences
appliquées… Les fameuses tables d’induction de Bacon,
présence, absence, degré. Il est bien premier dans l’ordre de
la connaissance elle-même.
L’axiome moyen était peut être premier et celle de notre
connaissance des choses ne l’est pas. C’est ce principe moyen
qui peut prendre des sens différents selon les niveaux.
Quatre niveaux de méthode:
1- Détermination de l’ingenium.
Sa formule revient à reproduire en inventant parce
qu’elle se fait par des moyens originaux. La situation de
l’homme dans la nature n’est pas celle de Dieu. Lorsqu’il
reproduit il découvre seulement les axiomes moyens.
A ce premier stade on comprend le rapport entre
méthode et mécanisme. Cela c’est l’ensemble des moyens
originaux. Première inspiration du mécanisme, tout se passe
comme si la nature procédait mécaniquement. Il rend compte
exactement de la situation de l’homme dans la nature.
2- Elle se réclame des mathématiques.
Si l’homme peut reproduire par des moyens
mécaniques n’est on pas tenté de laisser dans la simple
100
indifférence la production naturelle telle qu’elle se fait? A
condition de traiter le monde comme une fable. Le monde
externe faible (cf. son portrait, le monde «mundus est
fabula»). La nature perd son être, elle passe dans l’actualité.
Le monde est une fable et en ce sens il est justiciable d’une
construction mathématique.
Troisième niveau métaphysique.
Unité d’un principe subjectif. La méthode se réclame de
la détermination d’un principe de la connaissance. Cela suffit
il? La méthode est bien cela, elle ne se présente jamais
comme genèse de la chose elle-même. Dès lors la méthode ne
demande t’elle pas une métaphysique? Descartes nous dit de
ne pas confondre la façon dont la méthode nous invite à
reproduire la chose et la manière dont la chose se reproduit.
Elle réclame aussi un fondement métaphysique qui rendra
compte de ce fait prodigieux: la nature se conforme au
principe de cette connaissance. Ainsi Descartes invoquera
une véritable théologie, une véracité divine pour garantir la
conformité du réel.
Deux sens de principe:
a) exigence de la connaissance au nom d’un droit (cf.
autre chapitre)
b) au sens de fondement c’est ce qui rend compte de la
soumission nécessaire du donné au principe de cette
exigence.
Ce qui est premier, le principe subjectif, est en même
temps posé second dans l’ordre de l’être ou dans l’ordre du
fondement lui-même. C’est le sens de la notion de méthode.
101
Elle exige que nous ne confondions pas l’ordre de l’être et
celui des raisons de la connaissance. Elle réside dans la
distinction des deux ordres. Alquier, cartésien moderne,
pense que les philosophies du système confondent ces deux
termes. La situation de l’homme est donc ambiguë, l’homme
est à la fois supérieur aux objets de pensée et inférieur à
l’être lui-même. Le tort du système sera de confondre l’être
avec l’objet étudié.
Cette distinction des deux ordres est elle bien fondée?
d) elle est peut être nécessaire pour les
éclaircissements qu’elle nous donne.
Un texte mystérieux de Freud dans « Au-delà du
principe de plaisir ». Ce principe règne sur la vie psychique
car l’inconscient est uniquement désir. En même temps il
découvre qu’il y a tout de même un au-delà de ce principe qui
est le principe de répétition. L’inconscient cherche à rétablir
le passé. Freud n’est jamais revenu sur ce principe de
répétition et pourtant dans sa dernière œuvre il nous dit « le
principe de plaisir est vrai (in Abrégé de psychanalyse).
Comment ces contradictions sont elles possibles. Il faut
distinguer pour cela deux sens.
Le principe de plaisir est bien celui de la vie psychique.
Mais ne faut il pas un fondement qui rende compte de la
soumission de la matière psychique à ce fondement? La
contradiction disparaît alors. Il y a bien un principe au-delà
du principe8. Le monde sensible lui-même se divise en deux.
Ses images sont des reflets dans les eaux. L’image est donc
8 Cf. à le fin du livre VI de la République de Platon
102
un trompe l’œil. Jamais la psychologie de l’imagination n’est
séparée de la physique de l’image. Même rapport entre le
monde intelligible et le monde sensible. Equivoque: deux
interprétations. Il y a des idées dont la nature est
mathématique et des idées dialectiques. Autre interprétation:
mathématique et dialectique seraient des manières de traiter
l’objet. Le mathématicien part d’hypothèses. Il suppose en
principe l’existence du carré en lui-même, du pair et de
l’impair, etc.
Le principe est hypothétique. (cf. les sciences
mathématiques sont hypothético déductives) Pour la
dialectique au contraire c’est à partir des hypothèses qu’on
s’élève jusqu’au principe anhypothétique, inconditionné. Est-
ce les mêmes hypothèses?
Principe = principe de la connaissance est bien
hypothétique puisqu’il part de ce que la connaissance est un
fait. Si elle existe tel est son principe. On retrouve la première
signification du principe.
Lorsque Kant parle du principe inconditionné c’est là
seulement qu’il y a détermination utile ou fondement. Dans
une telle perspective toute la complication est celle-ci:
comment sera conçue la connaissance? Que représentera
t’elle? S’il est vrai que la connaissance se présente comme
une méthode par rapport au principe subjectif dont elle
dépend, elle ne se présente pas comme une méthode par
rapport au principe qui la fonde et dès lors elle est système.
Un auteur plus que tout autre a vu cela, c’est Kant.
A) Système et critique kantienne.
103
Critique de la Raison Pure, Esthétique transcendantale,
Analytique transcendantale, Dialectique transcendantale ne
sont pas sur le même plan.
Les vraies parties:
1) théorie transcendantale des éléments dont
esthétique, analytique et dialectique sont les éléments.
Analytique et dialectique sont des divisions de la logique
transcendantale.
2) Méthodologie transcendantale, celle qui reste le plus
souvent inconnue. Kant dit que tout son livre introduit la
seconde partie. Moins de 100 pages pour la méthode.
La première partie introduit à la méthodologie.
Le plan de la méthodologie:
1) discipline de la raison pure
2) canon de la raison pure.
3) Architectonique de la raison pure
4) Histoire de la raison pure
C’est une analyse: la première partie (analytique =pièce
maîtresse). Elle rapporte la connaissance comme méthode à
un principe. Mais dans le cadre de cette méthode la
connaissance est aussi rapportée à un fondement. Alors elle
devient vraiment un système. Kant partira de rien. Les Post
kantiens se donneront comme tache de réaliser la
systématique que Kant n’a pas pu développer.
Quels sont ils? Salomon Maimon, Fichte,
Schelling,Hegel. Le système va prendre radicalement la place
de la méthode. Hegel va jusqu’à dire: « c’est un grand contre
104
sens de dire que la dialectique est une méthode, c’est un
mouvement des choses elles mêmes » Il faut aller jusqu’à une
méthode synthétique et génétique. Déjà le système des choses
a remplacé la méthode de la connaissance des choses.
L’analytique de Kant
Analyser c’est diviser, séparer. La question est: en quoi
divise t’on? En éléments. Il faut à partir de la chose remonter
vers ses conditions. Cette démarche sera encore analytique.
Les éléments pour Kant sont bien des conditions qui rendent
la connaissance possible. Une telle analyse ne reste pas sur
le plan même de ce qu’elle analyse. Les conditions ne sont
pas sur le même plan que le conditionné en ce sens qu’elles
rendent possibles l’objet qu’elles conditionnent mais ne le
composent pas.
Pourquoi garde t’il ces éléments? La réponse est donnée
dans le mot transcendantal. Il y a chez Kant une idée
fondamentale de la philosophie moderne. Etudier le
qualificatif moderne.
Il y a une finitude de l’homme chez les cartésiens:
relation homme/dieu assez précise. L’homme (son
entendement) est fini. Ce qui est constituant c’est
l’entendement infini de Dieu. Ce problème des limites de la
connaissance n’est pas de fait mais de droit. Kant: l’idée d’un
entendement infini perd son sens, n’est nullement une idée
constituante. C’est seulement une idée régulatrice. D’où la
critique de l’idée d’un entendement infini et il n’y a pas
d’intuition intellectuelle. La grande nouveauté du kantisme
105
n’est pas encore là. C’est qu’en même temps la finitude
humaine en tant que finitude va être érigée en principe
constituant de la conscience et du monde lui-même. Voilà en
quoi Kant peut être dit premier dans la philosophie moderne.
Il rompt l’alternative classique. Heidegger, Kant et la
métaphysique. Ce que appelle l’existence elle a pour essence
la finitude qui ne fait qu’un avec le véritable pouvoir
constituant. La philosophie s’oriente bizarrement: c’est en
temps que l’homme n’est pas Dieu, est fini, qu’il est
constituant du monde. Kant en ce sens est entièrement
premier. Le problème c’est comment poser une telle finitude.
Chez Heidegger, l’existence, chez Kant, le schématisme ou
l’imagination transcendantale. Dans L’évolution créatrice
Bergson nous dit deux fois que c’est important de dire que
l’élan vital est fini.
Le principe constituant n’était rien d’autre que le
dépassement de sa finitude. Ou alors l’homme reste enfermé
dans le cadre de sa finitude et son état sera nécessairement
constitué (cf. l’empirisme).
Kant pose et laisse un problème à la philosophie, la
finitude comme telle en tant que finitude est constituante.
Avant lui on faisait tourner le sujet autour de l’objet (cf.
Ptolémée) Il prétend découvrir la dimension de la subjectivité
(cf. révolution copernicienne). Il fait tourner les objets autour
du sujet. Il ne s’agit pas d’élever l’homme à la place de Dieu.
L’être raisonnable est défini au contraire par opposition à
l’infinité. Il n’a pas d’intuition intellectuelle. D’où l’extrême
équivoque et richesse de Kant. Ces auteurs de Kant à
106
Heidegger donnent à l’homme les pouvoirs d’un Dieu. En fait
ces philosophies ne donnent pas à l’homme de tels pouvoirs.
Ils donnent à la finitude le caractère constituant et n’élève
pas de tout l’homme à l’infini.
Où est le problème? Pourquoi La Critique de la Raison
pure n’est elle pas suffisante? Pour arriver à la position
formelle il a fallu toute une histoire. Les Post kantiens
reprochent à Kant de n’avoir pas su s’en tenir au problème et
d’avoir réintroduit les questions que ce problème chassait.
Rencontre entre les Post kantiens et Heidegger dans
son livre sur Kant nous invite à une répétition de l’entreprise
kantienne. Son grand thème sera d’une finitude constituante.
Kant est le premier à faire de la finitude la plus
profonde celle de la raison elle-même, le constituant même de
l’être raisonnable. C’est la dualité du concept et de l’intuition
qui est constituant. Nous sommes soumis aux conditions de
l’intuition comme à notre réceptivité. Tout cela au niveau de
la raison pure. L’homme a un corps parce qu’il est fini. Chez
Descartes d’abord le cogito est à la première personne
(finitude). L’homme constitue le monde de sa propre
connaissance.
Trois points d’objection au kantisme par les Post
kantiens.
1) Est-ce que la révolution copernicienne est
suffisante? Il s’agit d’une analogie quand Kant dit «je fais un
rêve copernicien». Elle est à étudier du point de vue de sa
forme. En ce sens Kant a bien raison (révolution aussi
profonde). Du point de vue de la matière il n’en est pas ainsi.
107
En ce sens Kant est bien plus près de Ptolémée que de
Copernic. Il met l’homme au centre. Dans la tentative
kantienne subsiste la simple hypothèse. Kant reste attaché,
dit Fichte, à la simple facticité et lui Fichte cherche la genèse.
Kant recherche des conditions, par exemple la
connaissance cela implique qu’on parte du supposé de
l’existence du conditionnel. Ainsi pour la morale kantienne.
On se donne la morale comme un fait à partir duquel on
remonte aux conditions. Fichte y voit un fait empirique.
Pourtant Kant au début des Prolégomènes dit: dans La
Critique de la Raison Pratique je me servais d’une méthode
synthétique alors que dans les Prolégomènes c’est une
méthode analytique parce que c’est un ouvrage destiné au
grand public.
Dans l’esprit de Fichte sa critique porte sur tous les
ouvrages. La distinction de Kant n’est pas aussi nette qu’il
veut bien le dire. Pour les ouvrages de vulgarisation, très bien
(pour les mœurs par exemple), appel à la conscience
populaire. Dans les Critiques il n’y a pas des faits extérieurs.
La différence entre les Critiques et les ouvrages de
vulgarisation c’est que dans les Critiques il y a bien une
méthode synthétique. Là il part, seule différence, de faits
particuliers, les faits de la conscience. De toute façon il part
de faits qu’il suppose. D’où Fichte dit «Kant ne s’est jamais
élevé à l’analyse transcendantale. Son analyse est seulement
régressive». Au lieu de faits supposés il faut partir de faits
dont on aura la genèse. C’est alors plus une méthode
génétique qu’une analyse. Fichte ne cesse d’insister sur
108
l’importance d’un mot: substituer, acte de la conscience au
fait de la conscience. Kant ne s’élève pas jusqu’à la position
d’un pur acte. Lorsque Kant arrive à la méthodologie, avons-
nous dit, il est arrivé à son but9. Livre bien curieux Opus
postumum. Développement qui semble prouver que Kant
tournait à Fichte, au postkantisme. La méthodologie
transcendantale la plus courte est la plus importante. La
théorie des éléments est une théorie des matériaux:
esthétique = réceptivité, logique = spontanéité, concept.
Quelles maisons peuvent ils composer? C’est l’objet de
la Méthodologie transcendantale. Dans l’architectonique
conditions sous lesquelles notre connaissance s’organise en
un véritable système. Il faut que notre connaissance ne soit
pas un agrégat. Il faut qu’elle forme un système? La présence
d’une idée, notre conscience, doit se présenter comme un
tout organique. Le système est toujours compris dans les
limites précédentes d’une méthode analytique. Problème chez
Kant: l’analyse en devenant transcendantale n’exclue plus le
système mais le maintient encore dans ses propres limites.
En ce sens elle ne va pas assez loin.
Distinction de deux sens du mot principe: hypothétique
(différence) et fondement (cf. plus haut). Chez Kant la
détermination d’un fondement est plus profonde que celle du
principe hypothétique et dès lors il ne va pas jusqu’au bout
de ce à quoi nous renvoie la question du fondement. C’est
seulement en se donnant la connaissance comme un fait que
Kant arrive à dire pourquoi le donné est soumis à la
9 Cf. Lettre de Kant à Marcus Herz.
109
connaissance?
Faut il passer par ce détour hypothétique? Il est bien
forcé parce qu’il arrive à ce système.
c) Intuition et concept chez Kant et Fichte.
Kant:
1) seule connaissance légitime celle qui opère à la fois
par intuition et par concept.
2) l’intuition et le concept ont deux sources
radicalement diverses et c’est leur dualité qui définit notre
finitude. C’est un fait que notre entendement n’est pas infini.
Le refus de l’intuition intellectuelle repose sur le fait que si
nous l’avions notre entendement serait infini et unité absolue
du concept et de l’intuition, c’est-à-dire du sujet et de l’objet
de la représentation et de la chose. Nous ne connaissons pas
les noumènes ni les choses en soi. Nous ne connaissons pas
la chose en elle-même, la chose en soi. Est-ce que cela
implique une restauration de l’entendement fini? Si on peut
concevoir une intuition intellectuelle qui se rapporte à notre
finitude alors il faudra parler d’une finitude constituante.
Kant au contraire de cela a raison. Pourquoi ce mot intuition?
L’espace et le temps seraient irréductibles à tout concept.
L’état de chose donné à l’extérieur du jugement = l’intuition.
On ne peut pas, dit Kant, sans contradiction faire de l’espace
et du temps des concepts. Obscurus sum sed distinctus dit le
concept. Il y a beaucoup de théologie sur la philosophie. Le
droit, le fondement lui-même implique la position de
l’entendement infini. Kant déjà laisse la porte ouverte à une
110
sorte de réintroduction de l’entendement infini. Rendre
compte du caractère systématique de la nature. Il a
seulement un rôle réfléchissant. Mais jamais cet entendement
n’a un rôle constitutif. Position de la finitude en elle-même
comme constitutive.
Si le concept et l’intuition font deux le concept seul ne
nous fait rien connaître. Cette dualité se développe dans la
Critique: le concept renvoie à l’espace et temps, l’intuition
renvoie à ces catégories. L’idée d’un entendement infini perd
tout sens. Réceptivité et spontanéité. Dans les Prolégomènes
et dans l’Esthétique même seul objet l’espace et le temps, ne
sont pas réductibles à un même concept. Pour un même
concept il y a toujours plusieurs objets possibles. C’est le
problème de l’espace. Un concept étant donné plusieurs
objets lui correspond (critique de Leibniz). Quelle sera la
nature de la différence entre ces objets. La différence dans
l’espace est sur le mode: c’est là… le temps et maintenant.
L’espace et le temps sont alors d’un autre ordre que ceux du
concept. Cf. le paradoxe des objets symétriques qui
n’apparaît que dans les Prolégomènes. Où est la différence?
La troisième dimension est condition de la superposition. Il y
a une droite et une gauche, un avant et un après.
Pour Leibniz chaque fois qu’il y a deux objets il faut en
droit deux concepts (principe des indiscernables). L’ordre de
l’espace et le temps est irréductible à tout concept si bien que
pour deux choses différent le concept peut être radicalement
identique.
Le second aspect de notre finitude: l’objet en général,
111
transcendantal égal x I. Le concept pensé par lui-même se
détermine comme objet de la conscience. Principe pour les
objets: tout le sens des mathématiques c’est qu’elles sont le
système de construction pour produire dans la diversité les
objets semblables au concept.
Le premier problème, comment le concept peut il
trouver un objet qui lui corresponde? Doit se rapporter à un
objet, à quelque chose. Le problème qui nous reste: est ce que
Kant avait raison de lier la finitude à une dualité du concept
et de l’intuition? N’y a t il pas moyen de rendre compte dans
le concept d’une unité du concept et de l’intuition tout en
maintenant la finitude de l’entendement comme
constituante? Ce que Fichte lui objecte finalement c’est vrai.
Il n’arrive pas à une genèse. Une telle restauration aurait
comme conséquence de fonder le système et de fonder le
fondement comme système. Mais ne pas oublier la genèse. Il
y a comme une auto formation du système dit Hegel. Ce
dernier point permettrait de répondre à la question de ce
chapitre: le système objectait on impliquait que l’homme se
mettait à la place de Dieu.
IV - FINITUDE ET FONDEMENT
Comment un moi fini transcendantal peut il acquérir
un pouvoir constituant? Quant à la réceptivité elle ne doit pas
être un caractère accidentel mais essentiel du moi.
Une phrase de Heidegger dans Kant et la critique de la
métaphysique: «Plus originaire que l’homme est la finitude de
l’existence en lui». La finitude ne doit pas être comprise à
112
partir d’une nature empirique.
Des directions de l’analyse, trois qui sont apparues
chez les Post kantiens et n’ont pas encore complètement été
explorées.
Salomon Maïmon, vie bizarre en dents de scie,
grandiose et misérable. Il était rabbin. Goût pour les fugues.
Mort dans une très grande misère. Il s’agit pour lui de
substituer à la dualité entendement infini, entendement fini
une dualité intérieure ou m? Fini lui-même... Ce sera une
dualité entre le conscient et l’inconscient lui-même (non
freudien).
Les concepts de Kant ne déterminent pas toutes les
variations de l’expérience. Au nom,par exemple, de la
catégorie de causalité on sait que les phénomènes sont
soumis à des lois mais cela ne me dit pas à quelle loi
particulière tel phénomène est soumis. Ainsi la Critique du
Jugement essaye de répondre à cette question laissée en
suspend dans la Critique. Kant n’a pas su donner une
véritable genèse. Maïmon reproche à Kant d’avoir cru que
c’était la réalité de la construction qui fondait la possibilité
transcendantale du concept. Il faut que cette possibilité
préexiste à la construction qui ne fait que la révéler. Maïmon
demande qu’on trouve un principe intérieur de la
construction. Ce principe n’est il pas chez Kant? cf. le
schématisme dans la Critique “sont profondément cachés,
enfouis dans les secrets de la nature”. N’est ce pas déjà ce
que Maïmon réclame? Un concept ne détermine pas par lui-
même son objet. Il faudra une règle qui sera acte de
113
l’imagination et aussi productive. Cf. le romantisme
allemand. Novalis où l’imagination devient constitutive du
monde. Pourtant Maïmon dit que c’est bien la construction
qui garantit la possibilité du concept. Il pense que si un
principe intérieur au concept est trouvé dès lors la dualité
kantienne entre concept et intuition est dépassée. L’exigence
de Maïmon est donc excellente. Il donne successivement deux
réponses qui concernent les mathématiques et la physique..
La première est le principe de déterminabilité (ou parfois
détermination). La ligne droite est le plus court chemin…
Opposition entre «droite» et «le plus court». Mais demande
Maïmon droit et non droit se contredisent ils comme court et
le plus court? Que la ligne droite ne soit pas droite, il y a
compossibilité logique tandis que si on dit la ligne droite n’est
pas le plus court. C’est faux mais pas de la même manière. Le
plus court est la règle de construction à partir de laquelle je
détermine une ligne comme ligne droite. Droite paraissait le
sujet en fait c’est une détermination tout à fait externe. La
ligne est produite comme droite. Ce qui est véritablement
interne c’est le plus court qui détermine la ligne comme
droite.
Trois éléments dans le jugement synthétique.
1 Le déterminable. Ici ligne.
2 Le déterminé. Ligne droite.
3 Le plus court ne fait qu’un avec le concept car c’est
vraiment le déterminant. La légitimité des mathématiques
repose sur la dualité du concept avec ce déterminant.
114
Mais la vraie difficulté était au niveau de la physique.
Les objets de l’expérience étaient ils déterminés?
Etrange réponse de Maïmon: de kantien il se retrouve
leibnizien. Leibniz avait découvert l’analyse infinitésimale. Ce
qui le frappe c’est la notion de différentiel. Une quantité plus
petite que toute quantité donnée lui permet de se réclamer
d’un outil mathématique et aussi d’un concept métaphysique:
la théorie des petites perceptions. Ainsi le bruit de la mer est
composé des chocs des gouttes. Maïmon cette fois tenait sa
réponse. Il appelle sa théorie: différentiel de la conscience.
Lorsque la genèse est interprétée comme différentielle.
L’élément générique n’est pas conscient. Mais la notion de
composition est renouvelée par analyse infinitésimale. Les
éléments ultimes sont différentiels. Il y a des différentiels de
la conscience qui sont les éléments ultimes génériques de la
conscience elle-même qui par la même ne sont pas donnés à
la conscience. La genèse transcendantale de la conscience est
donc possible grâce à la différentielle. Maîmon présente sa
philosophie comme une synthèse de Kant et Leibniz. Ainsi sa
réponse consiste en ceci: à la dualité extérieure il substitue
dans le moi lui-même la distinction de la conscience finie et
de son élément générique infiniment petit. Chez Leibniz la
découverte de l’infiniment petit avait donné une possibilité?
Or en théologie l’infini c’est toujours l’infiniment grand.
Leibniz semble vraiment rencontrer une autre dimension. Il
découvre l’outil mathématique capable de m? cet infiniment
petit. Chez Leibniz les deux directions finissent par se
réconcilier mais non sans difficulté. Leibniz veut en effet les
115
deux à la fois. L’infiniment petit avec Maïmon vient
réellement prendre la place de l’infini du grand traditionnel.
Alors l’infiniment petit devient principe génétique du fini.
Pour l’infiniment petit le fini prend un pouvoir constituant.
Seconde direction Fichte pense à son tour que Maïmon
n’a pas été jusqu’au bout. Il veut substituer au conscient (?)
une double déduction. L’objet est pour un sujet mais différent
de lui. L’objet n’est rien d’autre que le produit ou la fu? d’une
c?, que le moi fini se posait. Une double série: Kant a
confondu les deux séries et c’est pourquoi il n’a pas une
détermination fondamentale du temps. La finitude et le temps
ne font qu’un. Que va être la genèse du temps? Le problème:
comment distingue t’on à chaque instant dans le temps un
passé et un futur. Equivoque du mot présent. Nous n’en
sortons pas et pourtant il est toujours autre que lui-même. A
ce niveau le temps peux se présenter comme une succession
de purs présents et nous projetons vers des présents à venir
(renvoie à la volonté comme faculté psychologique). Pour
Heidegger c’est transcendantal: il s’interroge sur les
conditions qui rendent possibles dans l’existence le fait
que*** Nous distinguons dans le temps à chaque instant
passé et futur qui fondent la mémoire comme faculté
psychologique. La finitude est constituante dans la mesure
où elle organise le temps comme extase (en grec, se tenir hors
de soi). Il attend donc une solution de la temporalité.
Organisation des trois extases du temps. Kant aurait vu cela
dans les trois synthèses (passé, recognition, Futur, etc.).
Les trois directions ainsi ouvertes se présentent ainsi:
116
1 A l’intérieur du moi, moi fini, moi différentié.
2 A l’intérieur de la conscience deux sens parallèles
aux interfacts.
3 A l’intérieur de l’être lui-même dualité entre l’existant
et les simples objets.
CONCLUSION
La dialectique avant Hegel implique une triple idée:
conservation, discussion, contradiction. Au niveau thèse,
antithèse la contradiction est entre les personnes qui parlent
et non entre les choses elles mêmes. En ce sens c’est bien
une méthode. Cf. Socrate: «la dialectique s’oppose aux longs
discours». Comment Hegel peut il transformer la dialectique
en mettant la contradiction dans les choses elles mêmes? La
méthode alors est bien autre chose qu’une méthode c’est un
système fondé.
Comment cela est il possible? Il faut se mettre à la fin
de l’histoire qui a deux fins, celle du régime napoléonien et
son système qui est la fin de l’histoire de la philosophie. Y
croyait il? Il voulait nous dire qu’à chaque instant l’histoire
est finie (bien qu’il ne le dise pas). L’histoire est faite à partir
du présent. Sa règle est dans le mouvement et la suppression
des contradictions présentes et non dans la pensée d’un
futur. L’action se fait à partir du présent et dans le présent et
à partir de contradictions à supprimer. En ce sens l’histoire
est bien définie à chaque moment. Jamais Hegel ne donne
tort à un philosophe, il lui donne raison en l’englobant, en en
rendant compte. Lui Hegel achène, réalise Descartes qui est
117
un moment de la pensée philosophique. Les philosophes qui
l’ont précédé ont bien «existé». Il ne prétend pas remanier
leurs discussions mais reprendre le fil de l’histoire universelle
qui passe par eux et dégage le sens de leurs discussions.
Qu’est ce qui a «existé». Les philosophes discutent. Mais
demande Hegel qu’est ce qui répond à ces discussions dans le
réel?
Il y en a deux, répond il, une discussion plus profonde
dans le réel: le travail et la lutte. C’est le signe de la
négativité. L’homme est le mécontent du donné. La lutte est
négation, transformation etc. C’est pourquoi la lutte et le
travail sont des processus réels que la discussion des
philosophes en second lieu prend son sens. La dialectique est
alors déjà tout prêt devenir un système. Hegel n’a pu à faire
de la dialectique. Voila pourquoi il appelle son livre
Phénoménologie de l’Esprit. Description de telle manière qu’il
surgisse quelque chose de*** Cf. Kojève. Voila pourquoi il faut
attacher de l’importance à ce que dit Hegel: «J’arrive à la fin».
Il ne s’agit plus pour lui que de décrire, saisir, comprendre le
mouvement dialectique dans les choses.
Il nous faut dès lors répondre aux trois objections
concrètes contre le système.
1) L’homme se met à la place de Dieu.
2) Le système justifie tout (cf. les états totalitaires)
3) Il y a en lui une mystification sauf s’il n’attendait pas
l’expérience mais en fait il la réintroduit toujours.
Première objection. Résultat positif. Aucun n’a
prétendu se mettre à la place de Dieu. Ambition plus petite
118
ou plus grande (vision supérieure de Dieu). Quand Hegel
parle d’un savoir absolu il nous dit «cela ne nous dévoile pas
un monde autre que le notre». Le savoir absolu est savoir de
ce monde ci. Substitution de l’imagination transcendantale à
l’entendement divin. Le point de vue du système remplace le
concept d’entendement infini par l’imagination
transcendantale qui est celui de la finitude constituante.
Ainsi beaucoup de notions ne peuvent être conservées. Cf. la
notion de création qui est une idée théologique qu’on doit
comprendre à partir d’une volonté et entendement infini. Si
celui-ci tombe l’idée de création ce peut être maintenue. Ainsi
il est absurde pour un athée de conserver l’idée de création
ou alors il ne peut plus se servir de concepts qui soient
inséparables d l’idée de Dieu. Des lors la philosophie dans sa
différence avec la théologie ne peut pas recueillir en tant que
philosophie l’idée de création. Cf. la constitution Husserl et
ses disciples. Genèse des Post Kantiens: sont des efforts pour
rendre compte du monde en philosophie. Enfin il faudrait
faire une grande place aux poètes et littérateurs du
romantisme allemand. Novalis connaissait fort bien Kant. Il
veut, dit il, faire une «philosophie» et non une psychologie de
l’imagination. C’est par le même mouvement que la nature
produit des herbes et des fleurs et que «j’imagine» dit il. Cela
ne veut pas dire seulement que les images qu’a le poète sont
comme des produits de la nature. Cela veut dire aussi que la
nature cache ce qu’elle produit. Reproduction par des moyens
artificiels. La chose est produite originalement par la nature
mais de quelle manière on ne sait pas. On peut simplement la
119
reproduire dans le laboratoire. Mais en revanche nous dit
Novalis l’imagination est la faculté qui a comme
correspondant dans les choses le mouvement même par
lequel les choses se reproduisent. D’où le thème du
romantisme allemand: rapport vérité et poésie. Il y a pour
Novalis une vérité plus profonde de la poésie qui est que les
images ne font qu’un avec le mouvement de la reproduction.
Ainsi ce que Bachelard appelle une image10. On a voulu
l’engendrer à partir d’autre chose dit il. Elle est en fait
créativité pure. Elle est pur dynamisme. Il refuse toute
explication psychologique ou psychanalytique de
l’imagination. Il commente alors certaines structures.
Cohérence romantique des deux parties de son livre. Pour
obtenir la vraie image du carré il faut le dynamiser. C'est-à-
dire qu’il faut amener quelque chose à se carrer. Je me carre
dans un fauteuil. Mouvement qui est dynamisme premier de
l’imagination. D’où la richesse qu’on peut faire rendre des
grands textes poétiques. La racine imaginaire de la coquille
c’est le mouvement par lequel elle se produit dans
l’imaginaire avec cette spirale même.
Novalis veut dire que le mouvement par lequel nous
imaginons ne fait qu’un avec le mouvement par lequel la
nature produit des choses. Bien sûr à condition de savoir
rêver, savoir que c’est une tension très particulière de la
pensée: libérer les qualités de la chose qui a l’état de nature
sont tenus prisonniers.
Tout le thème de Novalis a exactement son équivalent
10 Cf. La Poétique de l’espace.
120
en philosophie pose le principe d’une imagination
constituante. Dans le système l’homme ne se met pas à la
place de Dieu car le système doit remplacer l’idée de création
par d’autres concepts.
Seconde objection. En un sens elle est plus
dangereuse. Une chose qu’on ne peut nier: la manière dont se
réclame les régimes totalitaires en faveur d’un système. Mais
au niveau du philosophe cf. la phrase de Hegel. Ce qui
compte c’est le fait. Seul le résultat compte. Pour Hegel dit on
souvent c’est la force qui fait le poids (cf. ses textes sur le
régime napoléonien). Mais si on est plus honnête et qu’on va
voir le contexte, c’est une phrase allemande: réel pour lui
n’est pas à confondre avec l’existant. Il en réserve le nom à ce
qui est produit dans le réel. C’est le réel en tant que résultat
d’une production. C’est ce qu’il y a de réel dans le produit de
l’action. Cela change t’il le sens de la phrase? L’activité est en
même temps l’élément négateur. La dialectique repose sur
l’élément négatif dans le réel. Ce qui est positif et ce qui est
réel est produit comme la négation de la négation. Attacher
de l’importance à la forme du principe de contradiction. A
n’est pas non A. Là est née la négation elle-même. Ce qui est
réel est raisonnable. Le mouvement strictement identique à la
raison: le réel n’est pas n’importe quel existant. C’est ce qui
dans l’existant est négation de la négation.
Du point de vue de la philosophie politique toute la
philosophie traditionnelle peut d’une certaine manière
s’interpréter dans l’apparence et l’essence mais cela suppose
une théologie, deux mondes (Cf. toute la philosophie grecque
121
plus l’interprétation traditionnelle).
Le phénomène chez Kant n’a rien à voir avec
l’apparence. Kant ne pense pas du tout que le phénomène
soit l’apparence. Il pense que le phénomène est ce qui
apparaît. Il oppose la chose en tant qu’elle est et la même
chose en tant qu’elle apparaît. L’espace et le temps sont les
déterminations immédiates de ce qui apparaît. Le mouvement
de phn? suppose la démolition du coup d’apparence à
laquelle on substitue celui d’apparition. Ma notion
d’apparition va se rapporter aux notions au lieu d’être de
sens ou de signification. Il ne s’agit pas de découvrit l’essence
par delà l’apparence et l’autre monde. La tache de la
philosophie est de découvrir ce qui apparaît. L’essence n’est
plus rien d’autre que la philosophie. Cf. le début de L’Etre et
le Néant. Heidegger prend «aléteia», le dévoilement = la vérité
en grec, à la lettre. Le sens est le sens de ce qui apparaît
caché par le phénomène, l’apparition. Hegel dès lors
développe le thème de l’état. Au lieu d’opposer une cité idéale
renvoyant à un monde intelligible, à un monde vrai, il dit que
l’essence, les états réels sont intelligibles. En ce sens tout ce
qui est réel est raisonnable. Il ne faut pas croire que dans
tout état se réalise l’essence de l’état. C’est la liberté de
l’individu et l’autorité du gouvernement. L’un nie l’autre et
pourtant tout état est constitué sur cette contradiction. Mais
tous les états ne sont pas bons. Dans un régime tyrannique il
y a suppression de la liberté du citoyen. Mais elle n’est pas
absente, elle n’est pas supprimée une fois pour toute. C’est
une besogne de tous les jours pour la police de supprimer la
122
liberté. Le tyran n’en a jamais fini avec la liberté du citoyen.
Cet état n’est pas pour autant raisonnable car ce qui est
raisonnable c’est le mouvement du négatif contre le non
négatif. La négation se nie. Il y a dialectique parce que la
positivité n’est jamais que le produit de la négation de la
négation.
Ceci nous amène à la troisième objection. La question
de l’expérience. On prend quand on fait cette objection le
système pour ce qu’il n’est pas. On demande alors au
système de nous dire l’avenir. Même dans la Préface de la
Phénoménologie, Hegel dit que la critique ne fait qu’un avec
l’expérience. Il s’agit de décrire l’expérience telle que quelque
chose échappe nécessairement dans l’expérience à celui qui
l’a fait et c’est précisément le sens de cette expérience. Inutile
car les conditions de l’action n’impliquent aucune condition
de l’avenir de l’Etat futur. Elle trouve son point de départ
dans la contradiction présente.
CONCLUSION
Cinq points.
1 - Pour comprendre le sens du fondement nous avons
vu qu’il fallait le rapprocher de la notion mythologique. Trois
caractères ont été reconnus:
- une origine plus profonde que le simple
commencement.
- la répétition.
- La chose y prend une valeur de monde. (La cité est
fondée à l’image du monde).
123
2 - Ces caractères peuvent ils prendre une signification
philosophique?
Le fondement n’est pas le simple commencement qui
lui est le rapport de la chose avec ce qu’elle n’est pas quand
ce rapport devient essentiel. Le commencement des
mathématiques est le rapport des mathématiques avec une
culture qui ne comportait pas encore de mathématiques.
Quelle est la démarche au contraire du fondement? Il
est nécessité du commencement par rapport à la chose. Kant
nous montrait qu’il fallait appeler fondement un principe à
double opération; il rendait possible quelque chose en
rendant nécessaire la soumission de quelque chose à ce
quelque chose.
L’opération du fondement consiste à rendre nécessaire
la soumission de la chose à ce qu’elle n’est pas. Il fallait
s’élever au plan des exigences de la raison. La seule opération
est celle du fondement. L’exigence n’a pas de principe de
quelque chose d’autre sans qu’en même temps quelque chose
d’autre soumette le donné à l’exigence. Conception du monde
chez Heidegger.
3 – Il s’agissait de l’autre aspect des rituels, la
répétition. L’idée du principe qui fonde nous invite à prendre
une répétition originale, une répétition psychique.
4– Dans cette répétition psychique il faut que quelque
chose de nouveau soit produit, dans l’esprit, dévoilé. Réponse
à la question: «à quoi sert de fonder?» Répéter sert à quoi?
Quelque chose de nouveau est produite dans l’esprit dévoilé.
Ce qui est dévoilé (dernier chapitre) c’est la véritable structure
124
de l’imagination, à savoir le sens qui ne peut être compris que
par et dans l’entreprise de fonder qui bien loin de supposer
un point de vue de l’infini ne faisait qu’un avec le principe de
l’imagination.
5- Sans le fondement impossible de distinguer les vrais
et les faux problèmes.