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28 | La Lettre du Pneumologue Vol. XII - n° 1-2 - janvier-février-mars-avril 2009 MISE AU POINT Trachéopathie ossifiante Tracheobronchopathia osteochondroplastica H. Dutau* * Unité d’endoscopie thoracique, pôle cardiovasculaire et thoracique, hôpital Sainte-Marguerite, CHU de Marseille. L a trachéobronchopathie ostéochondroplas- tique (TBOP) est une maladie rare caractérisée par la présence de phosphate de calcium dans la sous-muqueuse de la paroi des voies aériennes centrales avec une prolifération bénigne d’os et de cartilage aboutissant à la formation de nodules (1). En général, les deux tiers inférieurs de la trachée et l’origine des deux bronches principales sont touchés. Dans les cas les plus sévères, on assiste au regroupement de plusieurs nodules aboutissant à une réduction significative et symptomatique des voies aériennes centrales (2). Ce tableau peut engendrer une insuffisance respiratoire obstruc- tive avec épisodes de décompensation aiguë lors d’infections (3). Cette maladie se manifeste le plus souvent vers l’âge de 55 ans environ, et concerne majoritaire- ment les hommes (sex-ratio : 3/1). L’incidence de la TBOP retrouvée au cours d’endoscopies systé- matiques pour des symptômes respiratoires est de l’ordre de 0,02 % (4) à 0,7 % (5), ce qui est sûrement sous-estimé par méconnaissance de cette pathologie. Les symptômes, aspécifiques, comprennent : toux, dyspnée d’effort, infections récidivantes, wheezing et hémoptysie (6, 7). Les patients sont en général asymptomatiques, et la maladie est découverte de façon fortuite, après une intubation difficile (8) ou au cours d’examens radiologiques ou scanographiques effectués pour une autre raison (9). Histologiquement, les nodules sont constitués d’îlots sous-muqueux de cartilage hyalin, avec des zones d’os lamellaires et parfois médullaires. La surface muqueuse est le plus souvent intacte, et on note fréquemment une communication vers le périchondre d’un anneau cartilagineux de la trachée (10). L’étiologie demeure incertaine et de nombreuses théories existent. Certaines plaident en faveur d’un processus congénital ou d’un facteur prédisposant héréditaire, comme en témoigne l’incidence élevée de la maladie en Finlande ou en Suède (9). Un cas clinique publié semble contredire cette théorie puisqu’il a décrit le cas d’une femme ayant béné- ficié d’une bronchoscopie normale à l’âge de 55 ans puis d’une autre anormale à l’âge de 70 ans, avec un aspect de TBOP sévère. Des facteurs métaboliques ou inflammatoires locaux ainsi que des infections ou une irritation chroniques ont été suggérés comme autant de facteurs étiologiques (9). Certains auteurs pensent que Klebsiella ozaenæ, bactérie responsable d’une infection chronique de la trachée, est associée à la maladie (9, 11). D’autres auteurs enfin suggèrent que la TBOP serait le stade ultime de l’amylose trachéobronchique au vu de plusieurs cas associant ces deux pathologies (12). Ce lien entre les deux maladies n’a pas été retrouvé dans l’analyse de 245 cas de TBOP (13). L’aspect endoscopique classique est celui de nodules multiples, lisses, surélevés, blanchâtres, d’aspect osseux, faisant saillie dans la lumière des voies aériennes. Les nodules disséminés épargnent la face postérieure membraneuse, ce qui différencie la TBOP d’autres maladies (12). La biopsie de ces nodules est quasi impossible avec des instruments souples, mais réalisable en bronchoscopie rigide. Toutefois, la biopsie n’est pas indispensable pour le diagnostic, qui repose sur un aspect endoscopique caractéristique. Lorsque la maladie est peu sévère, la radiographie standard est généralement normale. Dans les formes modérées à sévères, la radiographie montre une irrégularité des bords trachéaux avec des nodules calcifiés (figure 1) , des sténoses peuvent être visibles (14). En tomodensitométrie, la description classique est celle d’un cartilage trachéal et/ou bronchique épaissi, avec une calcification irrégulière (figure 2). De nombreux nodules, avec ou sans calcification, se projettent dans la lumière des voies aériennes à partir des parois latérales et antérieures (10). Une étude épidémiologique multicentrique, réalisée en France en 2001, a rapporté 41 cas de TBOP (15).

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28 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XII - n° 1-2 - janvier-février-mars-avril 2009

mISE AU pOINT

Trachéopathie ossifianteTracheobronchopathia osteochondroplastica

H. Dutau*

* Unité d’endoscopie thoracique, pôle cardiovasculaire et thoracique, hôpital Sainte-Marguerite, CHU de Marseille.

La trachéobronchopathie ostéochondroplas-tique (TBOP) est une maladie rare caractérisée par la présence de phosphate de calcium dans

la sous-muqueuse de la paroi des voies aériennes centrales avec une prolifération bénigne d’os et de cartilage aboutissant à la formation de nodules (1). En général, les deux tiers inférieurs de la trachée et l’origine des deux bronches principales sont touchés. Dans les cas les plus sévères, on assiste au regroupement de plusieurs nodules aboutissant à une réduction significative et symptomatique des voies aériennes centrales (2). Ce tableau peut engendrer une insuffisance respiratoire obstruc-tive avec épisodes de décompensation aiguë lors d’infections (3).Cette maladie se manifeste le plus souvent vers l’âge de 55 ans environ, et concerne majoritaire-ment les hommes (sex-ratio : 3/1). L’incidence de la TBOP retrouvée au cours d’endoscopies systé-matiques pour des symptômes respiratoires est de l’ordre de 0,02 % (4) à 0,7 % (5), ce qui est sûrement sous-estimé par méconnaissance de cette pathologie.Les symptômes, aspécifiques, comprennent : toux, dyspnée d’effort, infections récidivantes, wheezing et hémoptysie (6, 7). Les patients sont en général asymptomatiques, et la maladie est découverte de façon fortuite, après une intubation difficile (8) ou au cours d’examens radiologiques ou scanographiques effectués pour une autre raison (9).Histologiquement, les nodules sont constitués d’îlots sous-muqueux de cartilage hyalin, avec des zones d’os lamellaires et parfois médullaires. La surface muqueuse est le plus souvent intacte, et on note fréquemment une communication vers le périchondre d’un anneau cartilagineux de la trachée (10).L’étiologie demeure incertaine et de nombreuses théories existent. Certaines plaident en faveur d’un processus congénital ou d’un facteur prédisposant héréditaire, comme en témoigne l’incidence élevée de la maladie en Finlande ou en Suède (9). Un cas

clinique publié semble contredire cette théorie puisqu’il a décrit le cas d’une femme ayant béné-ficié d’une bronchoscopie normale à l’âge de 55 ans puis d’une autre anormale à l’âge de 70 ans, avec un aspect de TBOP sévère. Des facteurs métaboliques ou inflammatoires locaux ainsi que des infections ou une irritation chroniques ont été suggérés comme autant de facteurs étiologiques (9).Certains auteurs pensent que Klebsiella ozaenæ, bactérie responsable d’une infection chronique de la trachée, est associée à la maladie (9, 11). D’autres auteurs enfin suggèrent que la TBOP serait le stade ultime de l’amylose trachéobronchique au vu de plusieurs cas associant ces deux pathologies (12). Ce lien entre les deux maladies n’a pas été retrouvé dans l’analyse de 245 cas de TBOP (13).L’aspect endoscopique classique est celui de nodules multiples, lisses, surélevés, blanchâtres, d’aspect osseux, faisant saillie dans la lumière des voies aériennes. Les nodules disséminés épargnent la face postérieure membraneuse, ce qui différencie la TBOP d’autres maladies (12).La biopsie de ces nodules est quasi impossible avec des instruments souples, mais réalisable en bronchoscopie rigide. Toutefois, la biopsie n’est pas indispensable pour le diagnostic, qui repose sur un aspect endoscopique caractéristique.Lorsque la maladie est peu sévère, la radiographie standard est généralement normale. Dans les formes modérées à sévères, la radiographie montre une irrégularité des bords trachéaux avec des nodules calcifiés (figure 1), des sténoses peuvent être visibles (14).En tomodensitométrie, la description classique est celle d’un cartilage trachéal et/ou bronchique épaissi, avec une calcification irrégulière (figure 2). De nombreux nodules, avec ou sans calcification, se projettent dans la lumière des voies aériennes à partir des parois latérales et antérieures (10). Une étude épidémiologique multicentrique, réalisée en France en 2001, a rapporté 41 cas de TBOP (15).

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Figure 3. Aspect de TBOP modérée avec nodules dissé-minés sans réduction significative du calibre trachéal.

Figure 1. Radiographie montrant une irrégularité des bords trachéaux avec des nodules calcifiés.

Figure 2. Tomodensitométrie montrant un cartilage trachéal épaissi, avec calcification irrégulière.

points fortsLa trachéopathie ossifiante, de son nom complet trachéobronchopathie ostéochondroplastique, est une maladie rare des voies aériennes »

centrales (trachée et grosses bronches) d’étiologie inconnue. Très rarement, elle affecte le larynx et l’espace sous-glottique.Elle se caractérise par la présence de nodules osseux et/ou cartilagineux dans la sous-muqueuse des voies aériennes centrales. »La plupart des patients sont asymptomatiques, la maladie est donc de découverte fortuite (intubation difficile, radiographie ou »

scanner thoraciques). Si symptômes il y a, les nodules recouvrent alors l’ensemble des voies aériennes, à l’exception de la paroi membraneuse postérieure, »

et leur regroupement peut entraîner une obstruction significative des voies aériennes. Les symptômes cliniques sont aspécifiques : toux, dyspnée, hémoptysies, détresse respiratoire aiguë et infections récidivantes. »Le diagnostic repose sur l’aspect endoscopique caractéristique, mais la découverte de lésions typiques en radiographie conventionnelle »

ou en tomodensitométrie est pathognomonique. Il n’existe aucun traitement spécifique ou étiologique. »La bronchoscopie interventionnelle est efficace dans la désobstruction des formes sévères dyspnéisantes. »

mots-clésTrachéobronchopathie ostéochondroplastiqueBronchoscopieBronchoscopie interventionnelle

HighlightsTracheobronchopathia »

osteochondroplastica (TBOP) is a rare disorder of unknown etiology which affects the central airways (trachea and main bronchi). Very occasion-ally it can affect the larynx and the sub-glottic space.

It is characterized by bony »or cartilaginous nodules in the submucosa of the central airways.

The majority of the patients »are asymptomatic and the pres-ence of this condition is often an incidental finding (difficult intubation, abnormality on chest X-ray or CT scan).

If symptoms occur, the »nodules are present on all surfaces of the airways with the exception of the poste-rior membrane. This can lead to significant airway obstruc-tion.

Clinical symptoms are non »specific: cough, dyspnea, hemoptysis, acute respiratory distress and recurrent infec-tions.

Diagnostic depends on »the finding of characteristic endoscopic features but the discovery of typical lesions on radiography or CT is pathog-nomonic.

There is no specific treat- »ment.Interventional bronchoscopy is efficacious in severe forms of the disease which have resulted in airway obstruction.

KeywordsTracheobronchopathia osteochondroplastica

Bronchoscopy

Interventional bronchoscopy

Les principaux enseignements étaient les sui-vants :– l’étiologie reste inconnue et n’est pas reliée à d’autres pathologies telles que l’amyloïdose trachéo-bronchique, la polychondrite atrophiante, la trachéo-malacie, la papillomatose trachéobronchique, la sarcoïdose endobronchique, l’ozène trachéal, ou le cylindrome ;– la maladie n’affecte que les voies aériennes cartila-gineuses ;– la TBOP peut demeurer silencieuse ou entraîner des symptômes tels que de la toux (54 % des cas) et une hémoptysie (20 %) ;– aucun traitement spécifique n’existe ;– la radiothérapie apporte une amélioration négli-geable des symptômes (16) ;– l’aspect endoscopique seul est suffisant pour porter le diagnostic ;– la présence de parois latérales calcifiées de la

trachée sur une radiographie thoracique standard est pathognomonique. Les auteurs de cette étude ont proposé une classifi-cation qui divise la TBOP en trois stades en fonction de l’extension nodulaire :– atteinte localisée : quelques nodules présents au sein de larges zones de muqueuse normale ;– atteinte diffuse : nodules en grand nombre recou-vrant la quasi-totalité de la muqueuse (figure 3) ;– atteinte confluente : par fusion de tous les nodules sans muqueuse saine (figure 4).Il n’existe aucun traitement permettant de réséquer en profondeur le tissu anormal ou d’empêcher le développement de nouveaux nodules. La plupart des patients étant asymptomatiques, ils ne néces-sitent pas de traitement. Le traitement des formes confluentes est très limité. La résection trachéale chirurgicale n’est en général pas envisageable dans les atteintes extensives, mais peut se révéler effi-cace dans les formes plus localisées (2). Les autres options incluent la radiothérapie et la bronchoscopie interventionnelle (4, 17). La radiothérapie est d’une efficacité très limitée (16).La bronchoscopie interventionnelle permet une approche moins invasive que la chirurgie, avec des résultats très significatifs. La résection mécanique de nodules osseux assistée par une coagulation au laser permet d’obtenir une rémission durable de l’obstruction (18, 19) [figure 5]. Le laser ou d’autres techniques telles que la cryothérapie, la thermocoa-gulation ou l’argon-plasma seules sont inefficaces sur les nodules osseux, leurs effets étant trop super-ficiels (5, 10). Ces techniques ne font que détruire la muqueuse en surface et font apparaître les nodules osseux sous leur aspect caractéristique blanc perlé.

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Figure 4. TBOP sévère avec nodules osseux confluents occasionnant des sténoses trachéales multiples.

Figure 5. Patient de la figure 4 après plusieurs trai-tements en bronchoscopie interventionnelle.

Trachéopathie ossifiantemISE AU pOINT

Toutefois, ces effets peuvent se révéler suffisants pour fragmenter ou indenter les nodules, permet-tant alors l’accrochage du bec du bronchoscope ou de pinces rigides autorisant ainsi le décrochage de morceaux d’os de la sous-muqueuse. L’intérêt indis-cutable de la bronchoscopie rigide est multiple : ventilation du patient, emploi de pinces à larges mors pour le retrait de fragments volumineux, aspiration indépendante et large, meilleure visibilité. Cette approche est associée à une morbidité et à un coût plus faibles que l’attitude chirurgicale.

Les complications de la bronchoscopie thérapeutique sont essentiellement de type hémorragique, mais leur contrôle par laser ou thermocoagulation est en général aisé.Un pneumomédiastin peut également survenir, mais il est en général limité et spontanément résolutif.La résection endoscopique requiert une maîtrise et une technicité importantes de la part de l’opérateur. La mise en place d’une prothèse n’est a priori pas indiquée, car aucune ne possède une force radiale suffisante pour pallier la compression des nodules osseux. ■

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