histoire de satan

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Histoire de SATANSa chute, son culte, ses manifestations, ses uvres, la guerre quil a faite Dieu et aux hommes.

Magie, Possessions, Illuminisme, Magntisme, Esprits frappeurs, Spirites, etc.

Par James Ballyhoo, daprs luvre de :Docteur en thologie du clerg de Paris, membre de la Socit des Antiquaires de Normandie et de plusieurs Socits savantes.

Abb Auguste Franois LECANU

INTRODUCTION

En fait de croyances, il faut revenir celles du xve sicle: nous posons cet aphorisme ds labord, afin que ceux qui ne sy sentiraient pas disposs, ne perdent pas leur temps nous lire. Et peut-tre quelques lecteurs auraient-ils la faiblesse de se laisser convaincre aux preuves qui rsulteront de nos rcits, ce quils pourraient envisager davance comme un malheur. Les choses humaines sont rgies par deux puissances surhumaines: le Verbe divin et Satan. Le Verbe divin, puissance cratrice, lumire incre qui illumine tout homme venant en ce monde ; principe du bien, du beau et du vrai. Satan, prince du mal, des tnbres et de la destruction. Il ne faut pas les mettre sur la mme ligne, car le Verbe est Dieu, et Satan nest quun ange ; mais lhomme ayant donn la prfrence Satan, linfluence de celui-ci serait devenue prdominante, si le Verbe ne stait fait homme, pour relever la nature humaine de sa dgradation. En naissant parmi les hommes, IL choisit le nom de Jsus, et ce nom exprime son uvre en ce monde: Jsus veut dire Sauveur. La Mre quil stait prdestine, quil avait prvenue de ses dons, orne dune saintet exceptionnelle, sut rpondre cet honneur insigne par sa fidlit, un concours spontan, et devint une troisime puissance, dun ordre galement part: puissance de mdiation entre le ciel et la terre, dintercession auprs de Jsus, de protection contre Satan. Nous avons expos le second terme de cette trilogie dans lHistoire de la Vierge-Mre ; nous donnons aujourdhui le troisime dans lHistoire de Satan. Satan est lange rvolt contre Dieu ; et pour nous ce mot nest pas un nom propre, il dsigne toute la milice infernale. La tradition de la dchance de lange est la plus universelle et la plus ancienne qui ait jamais eu cours parmi les hommes ; si ancienne, quon la trouve au berceau du monde, et si universelle, quil nest aucun point de lespace ni du temps o il soit possible de signaler son absence. La dchance de lange est un des dogmes les plus en vidence: toute religion et toute philosophie gravitent lentour. Si on excepte la philosophie panthiste, qui en est la ngation. Mais nier un phnomne nest pas lexpliquer, et nier lhistoire, nest pas la supprimer. Que le panthiste, dans le but deffacer la notion du mal moral, affirme que le mal physique nexiste pas lui-mme ; que la volupt et la douleur sont deux sensations similaires, pareilles, indiffrentes dans le mme individu, qui est Dieu ; lassassin et lassassin, le voleur et le vol, un seul et mme tre divin sous deux modifications parallles ; le vice et la vertu, un seul et mme terme lgrement modifi pour exprimer une mme chose regarde de droite ou de gauche, mais de soi excellente, puisquelle est divine ; que je suis

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dieu et quil est dieu aussi, le mme dieu que moi ; que sil me soufflette ou si je le soufflette, ce sera une action de dieu envers dieu, il rira le premier dune doctrine si trange. Cela se dit, cela scrit, cela simprime ; mais cela ne se pense pas, et ne saurait se rduire en pratique. Il est beaucoup de pchs que le panthiste le plus entit, celui qui nie le pch, ne verra jamais de sang-froid. Lintroduction du mal physique et du mal moral dans lunivers par lintermdiaire de lange dchu, est un corollaire aussi universel et aussi ancien que le souvenir de la dchance mme et qui en a t dduit ; ou plutt ce sont deux croyances parallles et simultanes. Celle-ci est le fond des mythologies grecque et romaine, gyptienne, hindoue et persane, de celles des rgions glaces du Nord, des zones brlantes de lAfrique, des Iles ocaniennes et des steppes sauvages de lAmrique ; le fond de toute religion, puisque toute religion, ds lorigine du monde et depuis, se compose dexpiations, de prires et de sacrifices: proclamant ainsi que les maux physiques ne sont pas de ncessit, puisque lhomme peut les conjurer par un secours surnaturel, et que le mal moral est un accessoire tranger, puisquil peut sen prserver ou sen purifier. Mais lange dchu est-il simplement un tre de raison ? La raison claire au flambeau de la philosophie peut-elle le considrer comme une ralit ? Elle le peut. Et dabord en sa qualit dange: si nous tudions lexistence ses divers degrs, depuis ltre matriel et brut jusqu lhomme, dans lequel lintelligence sunit la matire organise, nous comprendrons aisment que la chane, pour tre complte jusqu Dieu, a besoin de quelques anneaux de plus. Pourquoi lintervalle ne serait-il pas combl par des hirarchies de pures intelligences, dont la moindre serait voisine de lhomme et la plus leve voisine de Dieu ; sauf la distance incommensurable du fini linfini, mais avec le rapprochement de la crature au crateur, du serviteur au matre ? Si cet aperu ne forme pas une dmonstration a priori, du moins il satisfait la raison ; lensemble des phnomnes du monde cr vient le dmontrer a posteriori, et la foi le complte en ajoutant que les hirarchies clestes se classent par trois fois trois degrs. Lexistence des natures angliques une fois admise, lintroduction accidentelle du mal physique et du mal moral sexplique aisment. En effet, lindividualit, cest--dire la sparation dun tre davec tout ce qui nest pas lui, sparation qui constitue le moi, implique la libert dans ltre pensant et voulant ; or la libert est la facult de choisir entre des actes dissemblables ou opposs. Mais il suffit dun seul mauvais choix, pour que le dsordre soit introduit ; le dsordre, sil a t spontanment choisi, sappelle le pch ; le pch rend la punition ncessaire ; si la punition est suivie de rvolte, au lieu dtre accompagne de pnitence, le pch et le dsordre se perptuent. Voil ce que la raison peut apercevoir et comprendre. Or la foi et les traditions du genre humain nous enseignent que lange, aprs avoir t cr de la sorte dans la plnitude de la libert, choisit spontanment le dsordre, sendurcit dans le mal, se rvolta, et fut banni du sjour divin: non tous les anges, mais une partie. Ceux qui sortirent victorieux de cette premire preuve de leur libert, furent confirms dans le bien, et jouissent avec Dieu dun bonheur dautant plus doux quil est leur conqute, layant acquis au prix dun danger.

7 Ceux, au contraire, qui staient fait les ennemis de Dieu, influencrent lhomme dans le sens de leur perversit et de leur rvolte. Lhomme se laissa sduire, et consentit, dans le vain espoir de se grandir, un essai qui altra les conditions de sa nature, et lasservit aux lois de la mort et du pch. Le rcit de cet vnement est videmment tronqu dans la Gense, ou cach sous le voile de lallgorie ; mais trois points en ressortent avec une clart parfaite: 1 lhomme accomplit un acte de foi envers Satan et accepta sa tutelle ; 2 un acte de renoncement et de dsobissance formelle son crateur ; 3 il se trouva transform, ou physiquement ou moralement, soit par leffet de lacte quil venait daccomplir, soit par une punition divine, en un tat quil ne connaissait pas auparavant, et qui provoqua pour premier mouvement sa surprise et sa honte. Lexcitation la rvolte partit de celui-l mme qui le premier tait sorti de lordre ; cette consquence est dans la logique des faits. Il ny a aucune raison de nier les rapports qui peuvent exister entre les purs esprits et les esprits incarns. Si lhomme exerce une action sur les diffrents rgnes qui lui sont infrieurs dans cet univers visible, pourquoi serait-il soustrait linfluence des tres que leur nature lve au-dessus de la sienne ? En introduisant au sein de la cration terrestre le mal individualis dans sa personne, Satan prit pied dans lhumanit ; et quand nous disons Satan, quon ne loublie pas, ce terme dsigne la classe entire des esprits rebelles aussi bien que le chef de leur rbellion. En effet, lcriture insinue que cette multitude danges dchus se partage en catgories sous le gouvernement dun seul chef: et tel est le rgne du mal, en toutes choses oppos au rgne du bien. Lintervention perptuelle de Satan, dans les vnements gnraux et particuliers de ce monde, imprime la marche ou la dviation presque toutes les choses humaines. Chacun saperoit que lhistoire est refaire depuis le premier chapitre: cest que les historiens ont toujours trop nglig cet lment important. Satan est une puissance ostensible et fugace, vantarde et railleuse, redoutable et sans consistance, cruelle et insaisissable. Satan se dguise, pour sduire ; promet, pour tromper ; se dissimule, pour garer ; sarme de fureur, pour torturer sa proie. Avec le perfide, il y a toujours un ct pour laffirmation, un ct pour la ngation, et il fait son profit de lune comme de lautre. Dans lordre de la Providence, Satan est le feu dont se sert le souverain Matre pour prouver, purifier, consumer, dtruire, renouveler, produire lagitation au moyen de laquelle il mne lui-mme le monde ses destines. lment terrible dont la nature est de dtruire, mais dont une main habile sait modrer, diriger, utiliser la puissance. Cest ainsi, sous ce rapport et dans cette limite, que lvangile appelle Satan le prince de ce monde. Mais ce prince ennemi, dans lexercice mme de sa haine, est encore le serviteur de Dieu ; il ne peut se soustraire une telle condition. Par rapport lhomme, Satan est toujours le tentateur qui lui dit: Mange de ce fruit, tu seras heureux et tu ne mourras pas. Ne pouvant suivre lastucieux serpent dans toutes ses voies, multiples, sinueuses et caches, nous le signalerons au moins, lorsquil se dcouvrira. Nous montrerons sa prsence, toutes les fois que nous apercevrons son action immdiate et directe, et il faudra bien que ceux qui sobstinent le nier le voient pleins yeux.

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Tel est le cadre restreint dans lequel nous circonscrivons ce travail, et nous entrons de plain-pied dans notre sujet.

Ier. Les possessions.Il est de mode de supprimer Satan dans lhistoire des possessions, en les rangeant dans la classe des maladies mentales, des affections spasmodiques et des jongleries. Ce nest pas que les exemples de jonglerie ne soient nombreux, et que les possessions ne se rattachent par beaucoup de points aux maladies naturelles ; mais dans les possessions vritables, il se rvle un grand nombre de phnomnes que la nature ni lartifice ne sauraient produire, quil ne sert rien de dissimuler, puisque ce nest pas les supprimer, et dont il faut, par consquent, tenir compte. Dj, ds le onzime sicle, Psellus se plaignait que les mdecins ngligeaient beaucoup trop le ct extranaturel, pour tout rapporter un naturalisme impossible. Il dnonait avec courage ce matrialisme insens et funeste. Tel navait pas t cependant lenseignement des anciens: Atius, Alexandre de Tralle, Clius-Aurelius, Gallien, Aristote avaient averti leurs successeurs quil se trouve souvent dans les maladies connues alors sous le nom de sacres, telles que lphialte1, lpilepsie, lhystrie, lhypocondrie, les affections spasmodiques, particulirement celles qui sont priodiques, et en gnral les maladies mentales, un caractre divin quil faut soigneusement observer, parce quil nest pas au pouvoir du mdecin dy apporter remde. Ils avaient mme indiqu des moyens curatifs purement moraux ou religieux, pour ceux des malades quils appelaient lunatiques, nympholeptiques et touchs des dieux, parce que, nayant aucune ide de laction satanique, et ne pouvant sempcher dy reconnatre une puissance extranaturelle, ils la croyaient divine. Leurs successeurs ont cru mieux faire de supprimer cette puissance, parce quen effet ils arrtent quelquefois ses manifestations en gurissant la maladie qui lui servait de moyen, de bases doprations, pour ainsi dire ; car Satan, comme nous allons le voir, en labsence dun ordre formel de Dieu, a besoin, pour agir, dune prdisposition physique dans le sujet quil veut tourmenter. Mais, en matrialisant la mdecine, les mdecins, au lieu de nier ce qui est au-del de la nature matrielle, auraient mieux fait de prvenir quils ne sen occupaient pas. Des thologiens catholiques ont accept ce faux systme par amour de la paix ; mais, en concdant aux ennemis du merveilleux surnaturel que les possessions du dmon pourraient bien tre des maladies purement naturelles, ils sont alls trop loin, puisquils ont pos le pied sur lvangile. Christian Gruner, un des premiers, a essay de ramener un naturalisme pur les possessions dont il est fait mention dans lvangile. Grotius, Jahn, Semler, Rosenmuller, Wegscheider et beaucoup dautres crivains, allemands principalement, ont suivi ses traces. les en croire, le Sauveur et ses disciples, pour mieux se faire comprendre, auraient parl le langage de tout le monde loccasion des prtendus dmons, comme Josu, lorsquil commanda au soleil de sarrter ; ils ajoutent que lcriture employant plus dune fois le nom desprits, lorsquil sagit de maladies ordinaires et mme des talents1 Cauchemard. Nom que donnaient les Eoliens une sorte de dmons incubes (Lelover, Hist. des spectres ou ap. des esprits, liv. II, ch. v, p. 197.

9 et des passions des hommes elle a bien pu employer celui de dmons, lorsquil sagit de maladies extraordinaires. Mais il y a contre ce systme deux objections capitales: la premire se tire du viiie chapitre de lvangile de saint Matthieu, relatif aux porcs des Grasniens, qui allrent se prcipiter en foule dans la mer, lorsque le Seigneur eut permis aux dmons de les possder ; la seconde, de lusage perptuel de lglise, qui a toujours employ des formules impratives ladresse du dmon, dans les cas de possession, et non des formules dprcatives ladresse de Dieu, et mieux encore des exorcismes pour chasser les dmons des lieux et des maisons infests par les esprits ; ici, il ne saurait y avoir suspicion de maladie. Sans doute, avant dautoriser les conjurations et les exorcismes, lglise recommande ses ministres duser dun grand discernement et de prendre les plus grandes prcautions, pour ntre pas tromps par des manuvres artificieuses, par de vaines apparences, et ne pas confondre des maladies naturelles avec des vexations extranaturelles ; mais cette recommandation mme comporte un enseignement quasi doctrinal ; car, si tout tait toujours naturalisme, illusion ou mensonge, il ny aurait pas de prcautions prendre, il faudrait sabstenir. Oui, la chore est une maladie purement naturelle, parfois pidmique, et lart du mdecin peut la gurir. Mais, lorsquelle est accompagne de la pntration claire et subite de la pense dautrui, de la vue distance et au-del des obstacles, dune notion prcise dvnements auxquels le malade est de tout point tranger, de lintelligence de langues quil na jamais apprises y tout cela est-il pareillement naturel et maladif ? Oui, le pica est une maladie naturelle, et, dans cette dpravation du got, le malade singre dans lestomac une multitude de substances qui ne sont point alimentaires, telles que des pierres, des tessons, des fragments de verre, du crin, de la cire, des insectes ; mais lorsquil en rend par la bouche de plus grandes quantits que ses intestins ne sembleraient pouvoir en contenir, quil est dmontr quil na pu se les procurer nulle part, et ainsi ne les a point ingrs lui-mme, lorsqu ce phnomne se joint le blasphme, la haine furieuse de Dieu dans un homme ordinairement religieux, lintelligence des langues ou de la pense dautrui, est-ce encore naturel ? Oui, lhomme peut acqurir par lexercice une souplesse et une agilit merveilleuses ; les saltimbanques, les bateleurs, les jongleurs en sont la preuve ; mais grimper aux murs, courir sur les toits, se ployer en cerceau de telle sorte que le front aille retrouver la plante des pieds en arrire, se battre la poitrine et le dos avec la tte cinquante ou soixante fois la minute, acqurir et perdre commandement la facult dentendre le grec, le latin, lhbreu, et lorsque ce sont de pauvres religieuses, bien pieuses et modestes, leves dans de tout autres conditions, dira-t-on que cela est naturel ? Marcher, comme des mouches, les pieds au plafond, tre transport dun lieu lautre comme une feuille dautomne que le vent soulve et dplace, dira-t-on que cela est naturel? Tomber rudement et tout dune pice comme une colonne, du plafond comme un lustre qui sen dtache, sans se causer aucune douleur et sans que la chute laisse aucune trace, dira-t-on que cela est naturel, surtout si ces accidents se compliquent de la facult de seconde vue ou du don des langues ? Sans doute il fut un temps o lon accordait trop Satan: on croyait voir partout son uvre directe, dans les temptes, les pidmies, les maladies inconnues, les vnements nfastes, les accidents imprvus. Maintenant on le bannit de partout ; mais la vrit est

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entre les deux extrmes, et cest lui qui balance ainsi la raison humaine, comme le pendule de lhorloge, en de et au-del du vrai, sans lui permettre de se reposer jamais. Il fut cependant toujours aussi des hommes plus rflchis et plus sincres qui, saffranchissant de tout esprit de secte et de systme, cherchrent la vrit pour elle seule, et la signalrent en passant, lorsquils laperurent sans pouvoir la saisir. Parmi les clbrits mdicales des dix-septime et dix-huitime sicles, parmi les crivains qui traitrent de la pathologie mentale, plusieurs nhsitrent nullement admettre lintervention directe de Satan, cest--dire la possession dmoniaque, dans certaines affections qui dfient lart et la science, qui chappent toute analyse, et sinclinrent devant des faits irrcusables. Cest le savant Fernel, cest Ambroise Par, le pre de la chirurgie moderne ; le protestant Jean Wier, dont la rputation comme crivain et comme mdecin fut si grande en Allemagne ; Flix Plater, dont les doctes ouvrages devancrent leur poque ; Sennert, Thomas Willis, et leurs noms sont encore salus avec tout le respect d aux plus grandes autorits. La possession du dmon est quelquefois une preuve impose de Dieu ses saints, quelquefois le chtiment dun grand crime, et alors on ne peut assigner ni ses moyens ni lorgane dans lequel elle a son sige principal. Quelquefois elle provient du fait mme de lhomme, qui la veut pour lui-mme, qui la cherche, qui se linocule ou qui linocule son voisin ; nous parlerons tout lheure de celle-ci. Le plus souvent, depuis les temps vangliques, cest une maladie qui lui sert de vhicule, et qui la communique de proche en proche, soit pidmiquement ou par contagion, et son sige est le mme que celui de la maladie. Dans un temps de contagion, elle surgit dun empoisonnement, dun branlement violent de limagination, comme du contact avec les possds. Ceci parait incroyable ; cest vrai cependant: nous le montrerons. Do il suit que Satan surajoute son action un tat maladif, et que la possession suit le cours et les priodes de la maladie. On pourrait prtendre que cest la possession qui cause la maladie ; nous croyons que le plus ordinairement la maladie prcde la possession, et que celle-ci nest quune aggravation. Celui de tous les auteurs modernes qui a le plus savamment trait cette question, au point de vue mdical, historique et religieux, Grres, dans sa Mystique diabolique, nhsite pas affirmer que la maladie satanique qui constitue la possession a sa racine dans les organes du corps humain, et qu ce titre, comme toutes les maladies corporelles, elle a aussi ses causes, ses prdispositions, son cours, ses priodes, ses symptmes intermittents ou continus, et son terme par la mort ou la gurison2. Il en conclut quelle peut tre traite par le mdecin concurremment avec les ministres de lglise, et que leur double action, loin de sexclure, se fortifie, puisquelle correspond la double nature de lhomme et la double nature de la maladie. Et cest bien ainsi que lglise lentend en effet: loin dexclure le mdecin, elle lappelle ; cest lui qui, le plus souvent, par inscience ou incroyance, exclut lglise, au grand prjudice de ses malades. Mais il est un troisime lment de gurison dont il faut pareillement tenir grand compte: cest la volont ferme et bien arrte du malade dtre guri, et sa rsistance luvre de Satan. Quelquefois le pauvre malade se tord dans des convulsions pouvantables, quil nest pas en son pouvoir de dominer, et dont il na pas toujours conscience ;2 Grres, Mystique divine, liv. vii, chap. 27.

11 mais quelquefois aussi cest une me faible et sans nergie, quelquefois une me orgueilleuse, qui est bien aise dtre possde, qui attend Satan, qui lappelle, qui va au-devant des crises ou des exorcismes, pour dmontrer tout le monde la ralit de la possession ; et pour peu que lexorciste ait de son ct quelque orgueil du mtier quil fait ou quelque pense de dmonstration, alors Satan, se trouvant dans un domicile dispos pour lui, sy plat, y reste et se moque de lun et de lautre. Comment fuirait-il devant des ennemis qui lappellent et lui disent, lun: viens donc montrer que je suis possd ; lautre: viens donc montrer le pouvoir que jai sur toi ! Nous verrons tout cela dans les possessions dont nous aurons parler. Nous verrons aussi des mes dune autre trempe sarrter delles-mmes dans la voie, dire Satan: je ne veux plus de toi ; dautres encore se gurir par la distraction et en bannissant le souvenir de la maladie. Nous verrons des possds chercher la possession, en se rendant spontanment dans les lieux et les runions o elle se gagne, demeurer possds lorsquils senttent de ltre, se gurir deux-mmes lorsque la police a dispers leurs runions, et quils sont obligs de vaquer dautres affaires. Nous verrons des possds guris par les seules prires de lglise ; mais il faut pour cela que les exorcistes soient humbles, quils remplissent avec simplicit de cur un ministre ecclsiastique, et non quils donnent des spectacles, ou quils fassent des dmonstrations. Il faut quils commandent Satan, et non pas quils conversent avec lui, dit linquisiteur Sprenger, et il a raison. Il nest pas mme toujours sr de faire le mtier dexorciste : si celui-ci a quelques fautes se reprocher, Satan les divulgue par la bouche du possd ; sil a quelque ridicule, ou sil parle mal la langue quil emploie, Satan le couvre de confusion ; les exemples en sont nombreux, mais trop minimes pour tre cits. Quelquefois lexorciste se trouve cruellement maltrait par le dmoniaque ; le livre des Actes nous en offre un exemple, et ce nest pas le seul connu. Quelquefois lexorciste devient lui-mme possd ; lhistoire de Loudun nous en fournira de terribles traits. La possession se communique aussi par contagion, avons-nous dit: soit involontairement, par le fait de celui qui la gagne en sapprochant imprudemment du possd ; soit volontairement, par le fait du magicien ou du possd, qui la communique celui quil regarde avec intention, quil touche ou auquel il fait toucher un charme. Tout ceci paratra encore incroyable, impossible ! Malheureusement rien ne sert de nier ; il faut se rsigner, ce sont des faits. Satan communique sa nature et ses tortures par le contact et les charmes, comme le Seigneur communique sa substance et ses grces par lEucharistie et les autres sacrements. Les sacrements sataniques, si on pouvait ainsi parler, sont la contrepartie des sacrements divins. Le charme est un objet touch dessein ou consacr par le magicien et imprgn de la vertu satanique, auquel Satan est li, volontairement ou involontairement, nous ne savons, soit pour un temps dtermin, soit pour toujours. Le savant qui connatrait tous les procds et moyens, et qui les emploierait sans tre lui-mme imprgn de la vertu satanique ne serait pas un magicien et nobtiendrait aucun rsultat. Limprgnation satanique se communique, divers degrs et pour des rsultats divers, par limposition des mains, le contact, linsufflation, lonction, comme les sacrements divins par celui qui a reu le caractre de ministre de Dieu.

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Il ne suffit donc pas plus de savoir pour tre magicien, que pour tre prtre ou vque ; et chacune des uvres de la magie a ses charmes et ses formules spciales. Lorsque lobjet dmoniaquement consacr nest destin qu produire des effets merveilleux par le pouvoir de Satan, il est dit simplement enchant ; lors quil est destin produire la maladie, la frnsie, la possession du dmon, il sappelle charme ; lors quil est destin causer la mort, il sappelle charge ; et il y a des charges de diffrentes espces et de diffrents noms, qui se consacrent par des procds diffrents, et qui causent la mort par des voies diffrentes. Leffet des objets diaboliquement consacrs est infaillible, certain ; mais il y a trois moyens de sen dlivrer: les prires de lglise, la destruction quand on les trouve, lintervention dun magicien plus puissant, cest--dire plus imprgn, qui les lve, cest le terme du mtier. Mais alors, dans un cas comme dans les autres, leffet retombe sur celui qui avait consacr lobjet. Tout ceci est extravagant, incroyable ! Nous vous lavions dit. Nen croyez rien. En attendant, nous le montrerons par des faits, mesure que loccasion sen prsentera. Quelle est lorigine de cette imprgnation satanique ? Qui la reue le premier et communique ensuite ? Peut-on encore la recevoir directement de Satan ? Nous ne savons. Peut-tre ! Nous voyons couler le fleuve, mais nous ne connaissons pas les canaux souterrains qui aboutissent la source. Et quon ne croie pas que Satan, en communiquant ainsi sa vertu celui qui sest fait son serviteur ou lobjet qui lui est consacr, rende jamais un service. Non: il se communique pour faire le mal et jamais le bien. Les plus impuissants de tous les charmes, ce sont les prservatifs. Le plus puissant de tous les magiciens ne saurait se prserver luimme ou se gurir. Il ne saurait tirer pour lui ou pour ses amis le moindre bnfice de sa puissance: se gurir, nous le rptons, gagner sa cause, se mettre en sret, dcouvrir un trsor, senrichir dune obole, vivre un jour de plus, sauver une brebis de son troupeau. Puissant pour le mal, il ne saurait faire le bien. Mais comment Dieu a-t-il donc livr le monde de si redoutables ennemis ? Ils ne sont redoutables que dans une certaine mesure: ils ne feront jamais de grandes choses. Ils ne ruineront jamais une ville, une arme, une province, un empire. Il leur a livr le monde, qui est son ouvrage, comme aux fourbes, aux voleurs, aux assassins, dans une limite restreinte, et en plaant le remde ct du mal, puisque lglise peut prserver et gurir.

II. La Magie ; son inanit.La magie savante, celle qui vit de combinaisons, dart et dtude, nest rien et ne produit rien. Cest dj un grand bienfait accord par le Crateur, de navoir pas permis que le pouvoir de nuire aux hommes distance, sans danger pour soi-mme, par des moyens cachs, pt se systmatiser et prendre rang parmi les sciences, car alors lunivers aurait t la discrtion dun seul homme. Cest un grand bienfait que lhomme ne puisse pas se sauver ou se secourir lui-mme par des moyens magiques, autrement, que seraient devenues les vertus que nous appelons mulation, diligence, prudence, sagesse ? La magie aurait tenu lieu de labeur et de prvoyance ; le genre humain se serait teint dans la paresse. Tous les savants qui ont tudi cette magie que les livres enseignent, avouent sans dtour quelle nest rien, moins que rien, et que cest se dcevoir den attendre quelque

13 chose. Personne nen parle avec plus de ddain que le clbre Jamblique, et il devait sy connatre: Qui oserait soutenir, dit-il, quil se trouve quelque vrit dans les arts de la magie ? Cest tout au plus si les magiciens peuvent tromper les yeux par de vaines apparences3. Le fameux Campanella, qui se cra une si grande rputation au moyen ge, sinon par ses succs dans lart de la magie, du moins par ses crits, aprs avoir dvoil les secrets du mtier et spcifi les merveilles quils sont destins produire, ajoute: Si tout cela tait vrai, personne ne serait en sret sur la terre. Heureusement, Dieu na pas rendu si facile ce qui pourrait tre si terrible. Dun signe nous rduirions en poussire larme des Turcs4. Corneille Agrippa, qui sest fait dans le mme genre une rputation plus tendue et plus durable que Campanella, na-t-il pas, dans plus dun passage de son trait de la Vanit des sciences, proclam hautement linanit de la magie, et regrett amrement le temps quil a perdu lapprendre ? Si la magie possdait de soi quelque vertu, Nron, le tout-puissant empereur du monde, qui npargna ni les crimes ni les trsors de lempire pour dcouvrir ses secrets et en tirer parti, naurait-il pas trouv au moins une partie de ce quil cherchait ? Loin de l, Pline avoue que ce prince fit la triste exprience de son impuissance. Sil faut, aprs avoir dpens des millions, vendre, donner, offrir Satan son me et sa vie, le prier mme de les accepter, persvrer longuement dans cette prire et se souiller de crimes multiplis et inimaginables pour la rendre plus efficace, personne ne dut tre plus srement exauc que ce marchal de Retz dont nous raconterons lpouvantable histoire ; or cependant, il en convint avec damers regrets sur le bcher, il nobtint jamais rien. Cest que, heureusement, la magie nest pas une science ni un art, et quil ne dpend point du premier venu de bouleverser sa volont lordre tabli de Dieu. Et, de plus, il est pour le moins douteux que Satan voult, lors mme quil le pourrait, se rendre ainsi lesclave de toutes les passions des hommes, et sobliger rpondre tous leurs appels. Son uvre lui, comme il lentend, comme il veut laccomplir au profit de son orgueil et de sa haine envers Dieu et les hommes, en serait singulirement trouble ; de matre, il deviendrait serviteur, et ne travaillerait plus son bnfice exclusif. Un berger ignorant, qui possde le triste privilge de limprgnation satanique, a plus de part dans cette uvre que le plus savant des acadmiciens ou le plus puissant des monarques, et encore ne peut-il pas grand-chose, en fait dvnements importants, et presque rien sur les faits gnraux. Ce serait une grande erreur de croire que Satan, cette nature anglique, qui na ni sens, ni matire, ni apptits physiques, pt tre allch ou contraint par quelque moyen physique, paroles ou actes, menaces ou conjurations, sacrifices ou formules. Qui donc ly aurait asservi ? Sa propre manire dtre ? Nullement. Sa volont ? Satan aurait bien de la bont. Le Crateur ? Cela na jamais t dit. Au contraire, le Crateur, qui ne peut3 Des Mystres, sect. iii, chap. 28. Il parle ainsi de cette magie artificielle que nous appelons magie savante; la vritable magie, qui seule produit des effets, il la croyait uvre divine. 4 Et profecto si hc vera essent, nemo tutus esse posset ab inimico. At Deus hunc ordinem perniciosum tam facilem non posuit; sic sine armis exercitum Turcarum uno nutu deleremus. (En effet; mais quarriverait-il si les Turcs faisaient un signe en sens contraire? Ce serait lhistoire du chien et du renard fes, dont lun avait le privilge de toujours prendre, et lautre celui de ntre jamais pris; or il advint quils se rencontrrent.)

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ni ne veut tenter personne par lui-mme, a fait de Satan, non pas le serviteur ni le matre, mais le tentateur des mchants5. Cest un fait admis, ds la haute antiquit, que les natures angliques ne sauraient tre contraintes par les actes de lhomme. Lillumin Jamblique, ladversaire du christianisme, le suppt des mystres et du culte satanique, consacre une partie considrable de son livre le dmontrer, tant la philosophie, mme paenne et militante, avait t claire cet gard par une exprience de deux mille ans. Les dieux et les dmons, dit-il, les anges et les archanges, car le christianisme lui a appris prononcer ces mots, ne sauraient livrer une prise quelconque au pouvoir de lhomme ; seulement, ils saccommodent, lorsque cela leur convient, aux dsirs de celui-ci, par convenance ou par bont6. On comprend de quels sentiments de bont les dieux que le paganisme voquait, pouvaient tre anims lgard de lhomme. Mais est-ce bien l la pense, lenseignement, la pratique de lglise chrtienne, dont lavis ne peut manquer dtre prpondrant en cette matire, puis quelle sest toujours et si spcialement occupe de dmonologie ? Oui, cest son sentiment, son enseignement, sa pratique. La plus ancienne de ses dcisions est celle du concile dAncyre, tenu vers lan344. Que les vques et les prtres, dit la sainte assemble, emploient tous les moyens pour faire comprendre au peuple, que ces mprisables femmes qui se vantent de chevaucher certaines nuits sur des btes extraordinaires, et dtre emportes de la sorte travers lespace des danses et des divertissements auxquels prsident Hrodiade ou Diane, la desse des paens, ne sont ainsi ravies quen esprit, et non en ralit ; que ce sont des extravagances dune imagination en dlire, et non des faits ; des illusions dmoniaques, et non des uvres divines. Un chrtien qui oserait professer ou croire que Satan, prenant la place du Dieu crateur, a le pouvoir de changer en bien ou en mal les formes dune crature, de la faire passer dune espce une autre ou dune apparence une autre, serait pire quun infidle ou un paen7. Le iiie concile de Tours, en 813, tout en proscrivant svrement les pratiques de la magie, recommande pareillement aux pasteurs des mes davertir les fidles que les enchantements, les ligatures et les autres secrets de la magie ne peuvent produire deuxmmes aucun effet sur la sant des hommes ou des animaux8. Cinq sicles plus tard, saint Bernard devait faire condamner Abeilard au concile de Rome, pour avoir soutenu que les charmes et les ligatures contraignent le dmon oprer ce qui lui est demand. Ctait la dix-huitime erreur reproche lauteur du Oui et non9. Tous les conciles tenus aux quinzime et seizime sicles prirent un soin particulier de combattre les pratiques de la magie, trop rpandues alors, de montrer aux fidles le crime de cette sorte de culte rendu Satan, linanit des moyens employs pour le tenter lui-mme ou le contraindre, et la nullit ncessaire des rsultats.5 Dieu en effet nprouve pas le mal, il nprouve non plus personne. (Jac., i, 13.) 6 Des Mystres, sect. iii, ch.22; sect. iv, ch.3 et 4; sect. vi, ch.3, etc. 7 Canon Episcopi. Ap. Baluse, tom. ii. Le nom dHrodiade plac ici se rapporte certaines croyances passablement paennes de ce temps-l, suivant lesquelles la fille et la mre auraient t condamnes, en punition du meurtre de Jean-Baptiste, errer dans les forts jusqu la fin du monde depuis minuit au chant du coq. 8 Concil. iii Turon. capitul. xi. 9 Capitul. Bernardo clarav. ad Eugen. Il delata.

15 Combien de fois lastrologie et les amulettes astrologiques nont-elles pas t stigmatises comme un art trompeur et vain ? Rien ny a manqu, ni dcrets des conciles, ni bulles des souverains pontifes10. Rien nest plus nergique, plus doctrinal et plus prcis que les bulles des souverains pontifes SixteV et UrbainVI, aux dates de 1586 et 1634, contre lastrologie, ou plutt contre tous les arts magiques. Dans la bulle Cli et terr, du 9 janvier 1586, le premier dclare que la divination est un art illusoire en tout et toujours ; que le dmon, ne connaissant pas lavenir, ne saurait le rvler ; que les promesses des magiciens sont mensongres, et la confiance de leurs disciples une sotte crdulit. Il emploie les termes les plus nergiques pour repousser comme fallacieux les secrets de lart en gnral et de chacune de ses branches en particulier. Aucune ne trouve grce devant lui, ni lastrologie, ni la chiromancie, ni la ncromancie, ni lhydromancie, ni le sortilge, ni tels autres modes dinterroger le dmon, dont il donne un long dtail. Craignant de ne pas avoir exprim sa pense dune manire assez claire, il se rsume et revient sur ses pas, pour dclarer de nouveau que le secret de lavenir appartient Dieu seul, et que cest une impudence et une impit de prtendre le partager avec lui. Tels sont donc les principes dfinis par lglise, non seulement en ces circonstances, mais en beaucoup dautres. Tels sont aussi les enseignements traditionnels transmis par les Pres et les Docteurs ; nous nous contenterons de recueillir et l quelques tmoignages. Tertullien a dclar jusqu deux fois qu ses yeux la magie ntait quune pure tromperie11. Saint Chrysostome mettait la mme doctrine du haut de la chaire12, de mme Tatien, dans son Discours contre les Grecs. Saint Augustin et saint Thomas se prononcent dune manire positive contre la ralit de la transformation des hommes en btes ; mais ils admettent la possibilit dune illusion produite par Satan, et saint Augustin ne se refuse pas croire que le prince des tnbres peut transporter les hommes travers lespace ; cest en effet lenseignement de lhistoire et de lglise, nonobstant les ngations du commentateur Louis Vivs et du thologien Navarre. Sur la question des enchantements, des amulettes et des philtres, laccord des thologiens et des Pres est peu prs unanime: tous proclament linanit de ces moyens. Saint piphane dclare que les enchantements et les breuvages nont pas la puissance de changer les curs. Saint Thomas, Ciruelo, Suarez partagent le mme avis ; seulement ils ajoutent quinoffensifs de leur nature, ils peuvent devenir offensifs accidentellement, le dmon sen faisant quelquefois un moyen dexercer sa mchancet13. Rserve aussi juste que vraie ; nous dirons dans quelles conditions cela arrive. Si le pain, qui a la proprit de nourrir lhomme, ne lui sert de rien tant quil le porte suspendu son cou, dit Origne, de quoi voulez-vous que puissent servir des objets qui10 Hist. de lUnivers de Paris, tom. v. Collect. de dArgentre, tom. i, annes 1466 et 1493. Concil. Milan. 1586. Tolos. 1590. Burdegal. 1583. Rothom. 1581. Trident, tit. de libr. prohib. rgula ix. 11 Tertul. de Anima, cap. lvii. Adv. Marc. i. v, c. 16. 12 Chrysost. homil. xxi, et v adv. Jud. 13 Epiph. Hres., I, i, tit. ii, ser. iii. Aquin. iia ii, q. 96, a. 2. Contra Gent. cap. civ et cv. Ciruelo, Superst. part. iii, cap. 3. Suarez, Relig. I. ii.

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nont aucune proprit, si on les porte suspendus de la mme faon ? Jetez donc au feu vos prservatifs, pour voir sils auront la puissance de se prserver eux-mmes Lastrologie et les amulettes astrologiques ont toujours t juges du mme point de vue, malgr les hsitations de saint Bonaventure, de Cajetan, de Pierre dAilly et de saint Thomas dAquin ; il serait superflu dentrer dans des dtails ce sujet. Saint Augustin nose dcider si les magiciens ont le pouvoir dvoquer les mes par la force de leurs enchantements ; mais Tertullien, plus hardi, soutient que nul art magique ne peut arracher les mes des saints du lieu de leur gloire et de leur repos14. Sil tait donn aux mes des dfunts, dit saint Athanase, de se rendre visibles pour les vivants, Satan en profiterait pour feindre des apparitions et tromper les hommes. Malheureusement cest ce qui arrive, et la supposition du grand docteur se tourne en ralit. Les apparitions sont des illusions, dit le thologien Soto, puisque les mes ne peuvent ni se former un autre corps, ni agir sur nos sens, nen ayant pas elles-mmes. Saint Thomas raisonne de la mme manire: Les mes ne peuvent, dit-il, rendre le mouvement au corps quelles ont quitt, et Satan ne peut lui rendre la vie. Dailleurs les mes des saints ne sont pas soumises son pouvoir, et les mes des mchants ne sont pas libres de sortir de leur prison15. Parmi ceux qui ont admis la ralit des apparitions, la plupart les ont considres comme de vritables miracles ; mais, envisage de la sorte, la question change de nature. Limpuissance avre de Satan produire des prodiges rels, principalement des prodiges qui vertissent16 lutilit de lhomme, ou du moins son refus si frquent de rpondre ceux qui linvoquent, tait justement la cause qui forait les magiciens de lantiquit commettre ces fraudes et ces supercheries quon leur a tant reproches, la cause qui les mettait mme quelquefois dans la ncessit davouer leur impuissance. Racontez-moi le songe que jai eu, et donnez-en lexplication, disait Nabuchodonosor le Grand aux magiciens dAssyrie pensionns par ltat. Prince, rpondaient-ils, racontez vous-mme votre songe, et nous lexpliquerons. Je vous ai prvenus que je ne men souvenais pas, et je vois que vous cherchez gagner du temps pour vous concerter, et me tromper ensuite par une rponse illusoire. Il nen sera point ainsi ; dites le songe et donnez lexplication: la vrit du rcit, je reconnatrai la vrit de linterprtation. Prince, jamais un roi, pour grand quil soit, na demand de pareilles choses des magiciens ; il ny a que les dieux qui puissent les savoir, et les dieux nont point de commerce avec les hommes. De grce, dites le songe, sans quoi nous ne pouvons rien. Alors vous mourrez17. La sentence sexcutait, lorsque lhomme de Dieu se prsenta, et rsolut la question propose. Nous nentreprendrons pas de dterminer le pouvoir intrinsque des natures angliques, ni la mesure de celui qui est demeur Satan aprs sa chute ; beaucoup de graves auteurs ont trait cette question, nous prfrons renvoyer leurs ouvrages ; mais, quel que14 August. De cura anim. Tertul. De anim. Athanas. ou lauteur des Questions, qust. xi, xiii, xxxv. 15 Aquin. i, q. cxvii, a. 4. Benedict. XIV, de Serv. Dei Beatific. lib. iv, p. i, cap. xxxii. 16 Vertir, verbe (xiexve sicle) transitif = tourner, retourner, convertir; intransitif = sen retourner, venir sur quelquun. (NDE - Note de lditeur) 17 Dan. ii, 7

17 soit le pouvoir de Satan, il est ncessairement subordonn, et ne sexerce que dans des limites, dans un ordre de faits et en des circonstances concdes de Dieu18. Les dmonographes exagrent beaucoup trop ltendue de la concession ; les rationalistes lannulent. Cependant il est un fait dhistoire, ou plutt dobservation gnrale, qui nchappe point aux yeux des gens instruits, pas plus qu ceux des thologiens: cest que le pouvoir de Satan dans ses communications directes avec les hommes au sein des nations chrtiennes, est infiniment plus restreint que parmi les peuples infidles. L rgnent et ont toujours rgn les possessions et les uvres de la magie dmoniaque. Et tous les thologiens proclament que la vertu satanique a t lie dans de trs troites limites par la rdemption du genre humain, lgard de ceux qui en portent le caractre. Les petits matres au fait de la philosophie traitent beaucoup trop lgrement ces questions: tout ce qui dpasse leur horizon est pour eux prjug et ignorance ; mais ils ne font pas attention que le peu de lumire quils possdent, leur vient du christianisme, auquel ils en savent cependant si peu de gr, et que les prjugs les plus funestes sont ceux dun demi-savoir prtentieux, qui juge de tout suivant un ordre dides acceptes sans examen. Trois aphorismes peuvent tre poss sans crainte de dmenti: 1 Satan tant un tre mauvais et ennemi, il ne se rendra jamais serviable. Il est donc inutile de lui demander des bienfaits ; sil parait accorder quelque chose, ce sera pour mieux sduire et tromper. 2 Vu sa nature immatrielle, aucun acte de lhomme ne saurait avoir prise sur lui ou le contraindre: cest donc grande piti de croire la vertu des paroles mirifiques et lefficacit intrinsque des formules de la magie. 3 Ce qui est nul et inefficace de soi, peut devenir accidentellement efficace par la volont ou la permission du Tout-Puissant, auquel lhomme ne saurait assigner des rgles ou des limites. Or le Tout-Puissant a prvu, permis, voulu la tentation de lhomme par le diable: la magie est un moyen de tentation ; il ne faut donc pas conclure de son impuissance native une inefficacit absolue. Tous les matres de la science divine, en reconnaissant le pouvoir laiss accidentellement et avec subordination Satan, et par une consquence directe, le pouvoir accidentel et irrgulier des invocations et des moyens magiques, proclament limpuissance fondamentale et intrinsque de ces moyens. La plupart, en examinant de plus prs les uvres spciales que la crdulit populaire attribue Satan et ses agents, dclarent cette crdulit mal fonde, et ces mmes uvres en dehors des limites de sa puissance. En raisonnant ainsi, les thologiens et les docteurs de lglise ne nient point Satan, ni sa malice, ni son pouvoir, ni ses manifestations accidentelles, et nexcusent point les tentatives de ceux qui cherchent se mettre en rapport avec lui. Do il rsulte, en dernier lieu, que lusage des exorcismes est amplement justifi, et que la peine dexcommunication porte contre les magiciens est juste et lgitime. Rien de plus dplorable en effet, au sein du christianisme, que ces dplorables pratiques, puisque cest lantichristianisme ; rien de plus abrutissant au sein de la civilisation chrtienne, et rien de plus funeste pour la morale, car la sorcellerie est toujours accompagne de certaines autres pratiques et dun certain genre dabominations que nous aurons plus dune fois loccasion de signaler.18 Benedict. XIV, de Serv. Dei Beatif. lib. iv, part i, cap. iii, nos 7 et 11. Arauco, Decis. moral. t. iii, q. 23. August. ad q. q. Simpl. I. ii. Aquin. i, q. cxvii, a. 4.

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Lesprit prophtique est naturel lhomme, dit le comte de Maistre, et ne cessera de sagiter dans le monde19. Cest la curiosit quil aurait d dire, car pour lesprit prophtique, les plus savants matres dans les arts divinatoires affirment, au contraire, que tous les moyens naturels sont vains et par eux-mmes improductifs: la Divinit sera seule lagent de la divination, si elle daigne se communiquer ; lhomme ny peut absolument rien, et tout ce quil tire de son propre fonds nest quillusion ou conjecture incertaine. Cest ce que Jamblique a longuement et nettement tabli ; il consacre ce seul sujet les trente et un chapitres de la troisime section de son livre. La divination nest pas une uvre humaine ; la nature ni lart ne sauraient y conduire. Lextase, en tant quaffection du corps ou de lme, la musique, leau ni le feu, les potions, le sommeil, lextispicine20, les augures, lastrologie, les sorts, les songes, lenthousiasme, les enchantements de la magie, la mlancolie, livresse, la fureur, tout cela ne saurait de soi-mme faire deviner. Les dieux seuls donnent lhomme lesprit de prophtie, soit quils llvent jusqu eux, soit quils descendent dans son me ces occasions, en dautres termes, soit quils la ravissent ou quils la possdent. Mais il faut prendre garde, parce quil y a de mauvais dmons, des antidieux, qui se prsentent parfois en place des dieux vritables. Telle est la thse quil soutient. Nous sommes de son avis. Le signe de cette possession, inhalation divine, absorption, ravissement, car il emploie tous ces termes, cest lextase. Il y a, ajoute-t-il, lextase divine et lextase dmoniaque. Nous le savons ; mais ce quil se gardait de reconnatre, cest que lextase divine nappartient quaux ministres et aux amis du vrai Dieu, et non pas aux ministres et aux sectateurs des dieux du paganisme. Si quelques-uns, comme Balaam ou la pythonisse dEndor, ont t subjugus par lesprit divin, ce sont des exceptions sur lesquelles il ne faut pas compter ; partout ailleurs, cest lesprit satanique.

III. LExtase satanique.Lextase est et a toujours t, en effet, le grand et universel moyen des communications sataniques, soit quon ait considr comme dmoniaques des phnomnes purement naturels, soit que Satan ait profit de ce moyen pour entrer en rapport avec ceux qui linvoquent. Lextase provenant de maladies naturelles, telles que les affections utrines, lpilepsie, le spasme, tourne souvent au dmoniaque ; nous en verrons beaucoup dexemples ; plus forte raison lorsquelle a t produite artificiellement, dans le but de la divination, cest-dire en vue dun commerce satanique. Or les moyens en sont nombreux ; celui qui a t retrouv en dernier lieu, le magntisme, nest ni le plus commode ni le plus puissant. Le tournoiement, la danse, la musique, la fixit du regard, certains breuvages et certains liniments produisent des effets plus nergiques et plus prompts. Jamblique lavoue, le seul et unique moyen de la divination, cest lextase, parce quen cet tat seulement lme, dgage des sens et de la matire, peut entrer en commerce avec les dieux. Aussi la plupart des ministres des dieux, principalement des dieux oracles,19 De Maistre, Soires de Saint-Ptersb., xie entretien. 20 Technique divinatoire travers lexamen des viscres afin dy dcouvrir des messages divinatoires.

19 taient, des extatiques. Les anciens connaissaient ds lors tous les moyens que nous connaissons maintenant: Jamblique parle de la danse, de la musique ; Apule, des breuvages, des liniments, du magntisme ; le cicon21, les eaux de lth22 et de mnmosyne23 ont laiss un nom clbre dans lhistoire des mystres ; le npenths24 et le thalassg25 taient employs aux mmes usages, ainsi que certaines polentas stupfiantes par ceux qui recherchaient le sommeil rput divin des temples dEsculape. Les magiciens de toutes les nations infidles et les ministres des dieux dans toute la gentilit, encore maintenant, connaissent ces moyens et en font usage. Les fakirs de lInde se donnent une extase dlicieuse en regardant le bout de leur nez. Lhistoire ecclsiastique du IVe sicle nous entretient de certains moines du mont Athos qui croyaient stre levs un haut degr de saintet, parce quen regardant avec fixit leur pigastre, ils finissaient par en voir jaillir des torrents de lumire, et tombaient en extase. On les surnomma, par raillerie, omphalopsychs, cest--dire des gens qui ont lme au nombril26. On a trouv rcemment lart dendormir un malade, jusqu linsensibilit la plus absolue, en lui faisant regarder un objet brillant et de faible dimension plac 25 centimtres de ses yeux, ce qui permet de faire les oprations chirurgicales les plus graves sans veiller la sensation de la douleur ; auparavant, on employait le chloroforme en inhalation ; auparavant, le sommeil mesmrien, et chaque dcouverte on crie merveille. Ce ne sont pourtant que des vieilleries renouveles des Grecs. Avec un peu plus de science, on retrouverait beaucoup dautres merveilles, sans en tre merveill au mme point. Chez les Bilhs, dans lIndoustan, les barvas ou prophtes sexaltent jusqu lextase par le moyen du chant et de la musique. Avant dadmettre un nophyte dans leur agrgation, ils essayent sur lui le pouvoir de lharmonie27. Parmi les Nadoessis, peuple de lAmrique septentrionale, les prtres du Grand-Esprit soumettent les leurs leffet dune certaine fve, qui doit leur communiquer le don des convulsions et de prophtie. Au Japon, les ministres de la religion cultivent avec non moins dempressement lart de lextase. De mme parmi les Kamstchadales, les Jacoutes et la plupart des peuples polynsiens ; il faut citer aussi les Carabes, les Galibis, les sauvages du Paraguay, les Mexicains, les Pruviens, les Dariens, les Lapons. Les derviches tourneurs et hurleurs de la Turquie, les aissaoua de lAlgrie, les ruffa de lInde, les chabrons du Thibet, slvent par le moyen de lextase jusqu des phnomnes dun merveilleux qui surpasse toute croyance, mme en face de la ralit la plus incontestable.21 Breuvage aux proprits magiques. 22 Le Lth est un fleuve des Enfers (dans la mythologie grecque). Celui qui en buvait les eaux voyait sa mmoire presque entirement efface. Aprs cela, il pouvait repartir dans un nouveau corps et recommencer une vie humaine, vierge de tout souvenir. 23 Fille de Gaia et dOuranos, la Titanide Mnmosyne tait la desse de la mmoire et qui passait pour avoir invent les mots et le langage. 24 Breuvage magique contre la colre ou la tristesse. 25 Peut-tre en rapport avec le Thalassites (qalassthj), vin que lon coulait au fond de la mer dans des jarres hermtiquement fermes, pour le vieillir, dans la Grce antique. (NDE) 26 Cf. Dict. des sciences mdicales, art. Contemplatifs. Allat. de Eccles. I, ii, cap. 17. Fleury, Hist. eccls. liv. 98. 27 Carver, Voyage dans lAmrique sept., page200. Nouv. Annales des voyages, t. xxvii.

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Et ce qui nest pas moins remarquable, cest que les procds divers qui produisent lextase mnent aussi des genres dextase diffrents, qui peuvent se ranger par catgories, suivant la nature du procd. Leffet du hachisch ou de lopium nest pas le mme ; leffet produit par les passes mesmriennes est trs diffrent de celui que produisent les narcotiques, et les narcotiques eux-mmes ont des rsultats diffrents, suivant quon les emploie lextrieur ou lintrieur. Le hachisch procure une brillante fantasmagorie et transporte dans des mondes imaginaires ; lopium, des illusions plus calmes et plus voluptueuses ; longuent des sorciers fait assister aux festins, aux divertissements, la danse ; les passes mesmriennes communiquent lme la facult de voyager et de voir de grandes distances ou travers les obstacles. Sagit-il de converser avec les esprits, quelques peuplades ocaniennes usent dune liqueur extraite de la cava ; les Kamstchadales, de la liqueur du pastinaca. Chez les Incas, le cacique, avant de rendre ses oracles, aspirait lodeur du jus de cohobba ; les prtres du Mexique oignaient leurs membres dune pommade ftide, qui alinait leurs sens. Est-il ncessaire dexalter leur courage au point de ne plus compter avec le danger, les Hottentots font usage de la bacca ; les Turcs, de lasserol, qui produit une ivresse pareille celle du vin, mais sans vertige ni tremblement28. Les magiciens des peuples du nord de lEurope sendorment au bruit de leur tamtam ; ceux des peuples du nord de lAmrique, en chantant des vocations et en tournoyant dans des cercles29. Tout ceci parait du pur naturalisme beaucoup de personnes: peut-tre ! Mais comment expliquer, au point de vue de lhistoire naturelle, certains phnomnes qui se dveloppent dans ltat dextase, ceux-ci par exemple: un magntis lit travers lenveloppe dune lettre, la boite dune montre ; il entend par les doigts, voit par lpigastre, comprend la pense dautrui, se transporte mentalement en des lieux o il nest jamais all, et les dcrit. Cette dernire facult est commune presque tous les extatiques ; elle ltait aux extatiques anciens, nous disent Jamblique, dans son trait Des mystres ; Cicron, dans son trait De la divination ; Philostrate, dans son roman dApollonius de Tiane. Les assaoua et les derviches tourneurs, lorsquils ont atteint le paroxysme de leur exaltation, se tailladent, se dcoupent, se transpercent la langue, les bras, la poitrine, se roulent dans des brasiers, caressent avec volupt des barres de fer rougies au feu, se font piquer par des scorpions, mordre par des serpents, sans quil en reste ni traces, ni souvenirs, ni effets aprs lapaisement de leur fureur. Cest un spectacle auquel assistent les populations des grandes villes, huit jours avant le ramadan, dans tous les pays mahomtans. Le bala des ngres tait pareil, la Martinique, en 1786, lorsque le gouverneur, Franois de Neufchteau, linterdit sous les peines les plus svres. Dans lInde, le fakir qui a pu atteindre au degr suprme de la saintet, cest--dire de lextase, se prpare par les austrits et les jenes subir lpreuve du crochet, et se donne en spectacle aux nombreuses populations que les ftes principales des idoles attirent auprs des plus fameuses pagodes, spcialement aux ftes du beram. Voici de quelle sorte la crmonie saccomplit: le saint est dpouill de ses vtements, un ministre de lidole lui28 Agrippa, Philos. occulte, liv. iv. Mm. de Ramon dans lHist. dAlphonse dUlloa. Acosta, Hist. des Indes occid. liv. v, ch.26. Scaliger, Exercit. cliv. Mathiol, Epistol. lib. iii. Cardan, Subtil. liv. viii. 29 Schfer, Hist. de Laponie. Olaus, Hist. des murs des peuples du Sept. Johnson, A journ. to the West-Islands of Scott. Saxo, Hist. de Danemark.

21 applique un coup de paume sur le rein ; il en rsulte une enflure subite, dans laquelle on passe un crochet de fer ; puis, au moyen dune corde et dune poulie, on lve le patient une potence, au haut de laquelle il se livre toutes les volutions dun moulinet agit par le vent, et les processions dvotes passent au-dessous pour recevoir la sanctification. Lorsquaprs plusieurs heures de cet exercice on dcroche le patient, un nouveau coup de paume fait disparatre lenflure de son rein et gurit la plaie. Au Tibet, le chabron sexalte aux chants cadencs des lamas, ses confrres, jusquau dlire extatique, puis il souvre le ventre avec un coutelas, extrait ses entrailles et les laisse reposer sur la table qui est devant lui ; aprs une heure de cette torture, laquelle il parait insensible, et pendant laquelle il prophtise et rpond aux questions qui lui sont adresses, il remet ses entrailles en place, rapproche les lvres bantes de sa blessure, les contient avec une main et y passe lautre comme pour les frictionner une fois. La plaie est referme et cicatrise. Les chants reprennent au diapason o ils staient arrts, et redescendent graduellement jusqu la note la plus basse. Le bokte, cest--dire le saint, est alors dmagntis et rentre dans la vie commune. Il sen retourne au bras de ses confrres, ple et affaibli par la perte norme du sang quil a faite, mais sans quil en reste dautres souvenirs, ni quil en rsulte dautre accident. Ce spectacle est souvent offert aux populations du Tibet et de la Tartarie, qui en sont toujours trs avides30. Si tout ceci est naturel, que les naturalistes lexpliquent donc ! Si tout ceci est naturel, que les mdecins y cherchent donc des moyens pour lart de gurir ! La ngation des faits nest quun aveu dignorance, et lenttement dans une pareille ngation, un enttement puril. Et tous ces phnomnes ne sont ni des dcouvertes nouvelles, ni des accidents particuliers certaines localits : lantiquit les connut, et les auteurs en parlent comme de choses habituelles, qui nont besoin ni daffirmation ni de preuves: Ceux que la divinit possde, dit Jamblique, soumettent leur propre vie la vie divine, au point de ntre plus que lorgane de celle-ci, ou la suppriment tout fait, pour ne plus vivre que de la vie divine. Leur vie se trouve tellement transforme en celle du dieu qui les possde, quils ne font plus aucun usage de leurs sens, que leur veille ne ressemble point la ntre, quils nont nulle apercevance de ce qui se passe ou les menace, que leurs actes nont plus rien dhumain, et quils ne peuvent se rendre nul compte de leur tat prcdent ou actuel. Leur intelligence na plus ni conscience delle-mme, ni connaissance rflchie de la moindre chose. Parmi les preuves nombreuses qui peuvent tablir la ralit dun pareil tat, il faut compter limpassibilit des extatiques laction mme du feu ; comme si le feu divin qui les anime intrieurement surpassait le feu matriel en contact avec leurs membres. On peut leur appliquer itrativement le fer brlant, sans quils en ressentent la brlure, et cest la preuve que la vie animale les a abandonns. Il en est quon peut transpercer avec des broches de fer, dautres quon peut soumettre au tranchant de la hache, dautres dont les coutelas qui leur lacrent les bras ne sauraient rveiller la sensibilit. En cet tat, leur existence et leurs actes se trouvent en dehors de toutes les lois auxquelles lhumanit est asservie: le dieu qui les inspire les transporte o lhomme ne saurait aller ; il les jette dans les flammes sans quils y brlent ; ils marchent sur les charbons, sur la surface mme des fleuves, comme on le voit faire au prtre de Castabala31.30 Huc, Voyage au Tibet, t. i. 31 Castabala, ville ruine de la second Cilicie, dans le patriarcat dAntioche.

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Quelle meilleure preuve que les inspirs ne font pas eux-mmes leurs propres uvres, quils ne vivent plus de la vie humaine ni mme de la vie animale, mais de la vie surnaturelle et divine du dieu qui les inspire et les possde32. Jamblique nest pas seul mentionner ces phnomnes, Virgile parle des prtres du mont Soracte qui passaient travers de grands brasiers allums avec du bois de pin, et marchaient sur des charbons ardents. Stace parle du prtre de la mre des dieux honore au mont Ida, qui se dchirait les membres avec des fers tranchants, aspergeait de sang les campagnes dans sa course furieuse, sans sapercevoir des douleurs quauraient d causer les blessures. On compte parmi les extatiques anciens, Hermotime de Clazomne, pimnide de Crte, Ariste de Proconse, Carmente, mre dvandre, Nicostrate ; Plotin, Jamblique, Carnade et la plupart des no-platoniciens taient aussi des extatiques. Les bacides sexaltaient jusquau dlire pour prophtiser ; les bacchantes, arrives au paroxysme de lexaltation, ne craignaient ni le fer ni la flamme ; les corybantes se mutilaient eux-mmes en un tat semblable. Si donc nous admirons maintenant, presque sans oser les croire, les phnomnes si rapetisss et si misrables des temps au milieu desquels nous vivons, cest que nos sicles de civilisation avance ne tolrent plus de telles normits, et ainsi elles ont d disparatre ; cest aussi que la puissance satanique est lie par le christianisme, et que le grand sducteur de lhumanit ne peut plus accomplir tout ce quil voudrait bien entreprendre. Lextase, quelle que soit la cause qui la produit, a plusieurs degrs: le premier est purement lthargique ; le corps a perdu momentanment toute facult et toute sensibilit: cest ltat des pileptiques et de ceux qui ont aspir le chloroforme. Si laccident lthargique se reproduit frquemment, court intervalle, et surtout avec intention, lextase slve dun degr ; les facults sensitives sont toujours alines, mais la facult de communication se dveloppe ; lextatique entre en rapport avec un interlocuteur qui le touche: cest ltat du somniloque et des sujets des magntistes leur dbut. Au troisime degr, lextatique a des visions, et il peut en rendre compte son interlocuteur: cest ltat de clairvoyance des magntiss, des malades dans le dlire de la fivre, de ceux qui se sont intoxiqus avec le hachisch, lopium, la belladone, le solanum et autres substances, ltat de certaines ivresses produites par le vin ou le tabac. un degr plus lev, lintuition de lme est plus ferme, et elle entre en rapport immdiat avec le monde intellectuel. Elle connat la pense dautrui, voit ce qui se passe en des lieux loigns, comprend les langues quelle na pas apprises, et se sert de ses sens, quoiquen tat lthargique, pour parler et agir ; mais souvent il y a trouble dans les facults, et elles semblent dplaces. Ici la voie se spare en deux directions opposes, dont lune mne Dieu et lautre Satan. Si lextatique est un saint, ses visions sont saintes, exemptes derreur, les anges saints sont ses guides, et la lumire divine est la lumire qui lclair. Cependant lglise, tout en tolrant ou mme en approuvant ses rvlations, ne les propose point la foi et ne les prend ni pour base ni pour rgle de ses dcisions. Sa rgle unique et invariable est dans lcriture et la tradition ; le surplus nest quun objet de discussion ou ddification. Si lextase slve encore dun degr, alors il y a ravissement, et le corps, affranchi des lois de la gravitation et de la mcanique, slve dans lair et y demeure, se dplace sans agir,32 Jamblique, de Myster. sect. iii, cap. iv.

23 la manire dune feuille lgre, mais rgulirement et selon la volont de lme. Les exemples de tels ravissements sont nombreux dans lhistoire des saints, nous navons pas les exposer ici. Mais jamais, au terme de cette voie, on naperoit le carnage, les pouvantements, lhorrible ou le ridicule. lentre de lautre voie, Satan se prsente celui qui le cherche, et devient sa lumire ; quelquefois celui qui ne le cherchait pas, mais quune curiosit dplace a gar sur les confins de la nature et dans des rgions inaccessibles au contrle de la raison. Lme qui aline volontairement, et sans un motif sanctificateur, des sens que Dieu lui a imposs pour intermdiaires de ses actions, ne peut plaire Dieu, puisquelle se place dans un ordre diffrent de celui quil a tabli, et ne peut donc le rencontrer au-devant delle. Cest un second fruit dfendu auquel elle touche pour mieux connatre le bien et le mal, et cest le mme tentateur qui ly convie. Cette voie est donc criminelle, pleine de prils et dillusions ; la lumire qui lclaire est purement satanique. Comme la prcdente, elle mne au ravissement: le corps est dplac sans force motrice, emport dans les airs, agit, tordu en tout sens, dune manire affreuse, pouvantable, broy, bris, dchir de la faon la plus terrible et la plus relle, sans que la maladie ni la mort en soient le rsultat. Lhistoire des possessions vangliques est suffisamment connue ; nous citerons encore une fois Jamblique pour les ravissements et les possessions moins cruelles de lextase dmoniaque, et ce sera une preuve de plus quil ny a rien de nouveau en cette matire. Aprs avoir marqu pareillement trois degrs dans linspiration extatique quil appelle divine et que nous nommons dmoniaque, lauteur ajoute: On voit des inspirs dont tout le corps prouve une grande agitation, dautres qui ne sont agits que dans quelquesuns de leurs membres, dautres qui demeurent dans un repos absolu... On en voit dont le corps croit en longueur, dautres dont il croit en grosseur, dautres qui sont ravis au milieu des airs, dautres encore qui prouvent des phnomnes tout opposs. On peut remarquer la mme varit dans lmission de leur voix, car elle scarte de toute faon de la voix humaine dans ltat habituel de la nature. Lart de lextase tait le grand art des oracles. Mais il y a ici une question trs controverse: Satan tait-il lagent des oracles ? Fontenelle et le P.Baltus lont rsolue en sens oppos, et la discussion en est reste l.

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IV. Les Oracles.Le dmon ignore lavenir, cest un point de la foi chrtienne33 et un dogme de raison ; mais faut-il en conclure avec Fontenelle, avec Jrme Fansozius, avec Jacquelot et un grand nombre dcrivains modernes34, que tout tait de pure supercherie dans la reddition des oracles ? La plupart des Pres de lglise et des thologiens affirment que le dmon ne connat pas la pense de lhomme, si elle nest manifeste par quelque signe extrieur35, et, suivant le savant pape BenoitXIV, il ne faudrait pas affirmer trop hardi33 Annuntiate nobis qu ventura sunt, et sciemus quia dii estis vos (Et nous dire ce qui arrivera, et nous savons que vous tes des dieux.) (Is. xliv). 34 Fransoz. de Divinat. cap. ii. Jacquelot, ive Dissertation sur lexistence de Dieu. 35 Augustin. de Eccles. dogmat. cap. lxxxi; de Trinit. lib. iii; de Natura dm. Anselm. in Matt. Cassian. Collect. vii, cap. 15. Tertull. contra Marc. lib. v; Theodoret. Exposit. x in

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ment quil peut lui manifester la sienne36, tant son pouvoir a t restreint par suite de sa dgradation et par la rdemption du genre humain. Il ne peut absolument rien sans une permission spciale de la Divinit ; or il nest pas prsumable que Dieu lautorise dcevoir lhomme, toutes les fois que celui-ci lui fournira loccasion, ou linstruire toutes les fois quil lui en adressera la demande. Et dailleurs, aucune des rponses attribues aux oracles nest de nature indiquer lintervention dun agent surhumain. Elles sont toutes quivoques, ou ne cadrent avec lvnement quen vertu dune interprtation force. Par exemple, Nron ayant demand loracle de Delphes jusqu quel ge il pouvait esprer de vivre, loracle rpondit quil devait craindre la soixante-treizime anne ; il vcut moins longtemps, mais Galba, son successeur, avait cet ge quand il monta sur le trne. Le mme oracle, consult par Crsus au moment dune lutte dcisive, rpondit au consultant que sil passait le fleuve Halys, un grand empire serait dtruit ; or, quelle que ft la chance du combat, il ne pouvait en tre autrement. Il ny a rien de plus ni de mieux dans tout le reste. Faut-il donc admirer de telles pauvrets, ou les imputer ncessairement au dmon ? Peut-tre ! Quoi rpondre des consultants qui demandent ce quon ne sait pas ? La plupart des Pres de lglise, contemporains des oracles, nen ont parl quavec le plus profond mpris. On peut citer en particulier saint Cyrille, Prudence, saint Justin, saint Athanase37. Aucun ne sest exprim sur leur compte avec plus de ddain que Clment dAlexandrie: Vante-nous, si tu veux, dit-il, tes oracles pleins de folie et dimpertinence: ceux de Claros, dApollon-Pythien, de Didyme, dAmphiaras, dAmphilocus. Tu peux encore y joindre les augures, les interprtes des songes et des prodiges, et ces gens si estims qui parlent du ventre, aussi bien que ceux qui devinent par la farine et par lorge. Mais non, cache plutt tout cela dans les plus profondes tnbres, avec le secret des mystres dgypte et la ncromancie des trusques, car ce nest quimposture et extravagance, digne tout au plus du charlatanisme des jongleurs et de ceux qui dressent des chvres ou des corbeaux prophtiser lavenir. Ce sentiment tait grav si profondment dans lme du saint docteur, quil lexprime de nouveau dans son Exhortation aux gentils. Eusbe le partageait, car, en admettant que les dmons fussent pour quelque chose dans la reddition des oracles, il dmontre que parmi leurs rponses les plus fameuses, il nen est pas une seule qui vaille la peine dtre admire. Tatien parle absolument dans le mme sens, dans son Discours contre les Grecs ; de mme Origne au viie livre contre Celse. Saint Chrysostome, en sa ive Homlie sur saint Jean, nest pas moins expressif. Enfin, longtemps avant la naissance du christianisme, les oracles taient entrs en dcadence, et dj plusieurs tombs en un grand discrdit ou rduits au silence. Loracle de Delphes ne parle plus, dit Cicron ; il est muet depuis longtemps. La providence divine se retire de nous, dit Hsiode ; les dieux nous privent de nos oracles. Il ny a plus doracle Delphes, dit Juvnal. Loracle de Delphes est muet depuis que les grands craignent lavenir, dit Lucain. De tous nos oracles, il ne nous reste plus que les eaux de Mycale, dans la campagne de Didyme, celles de ClaDaniel. in Ezech. Aquin. iia ii q. lxxxv, a. 6 et 7. Chrysost. Homil. viii in Joan. Castro, de Hret. punit. lib. i. Suarez. de Relig. lib. ii. Nous verrons dans les cas de possession des exemples en sens contraire. 36 Benedict. XIV, de S. Dei beatif. lib. iv, i part. cap. xxvi, n7. 37 Cyrill. Comment. in Is. iv, orat. ii. Prudent. in Apoth. Justin. Qust. et Resp. Athanas. de Incarnat.

25 ros et loracle du Parnasse, dit Porphyre. Pline atteste le mme fait, Stace galement. Plutarque a compos un trait sur la cessation des oracles. De sorte quindpendamment mme de la prdication du christianisme, il semble que le moyen de sduction tait us, et que cette grande et pompeuse fantasmagorie qui avait tromp lunivers steignait delle-mme. Mais quand cela serait, il ne faudrait pas en conclure que le dmon y tait tranger ; car ils se ravivrent au contact de lvangile avec un clat inaccoutum, et luttrent avec une ardeur qui servit mieux constater leur dfaite. Il ne faut pas trop se presser non plus de tirer la mme conclusion, en voyant la plupart des oracles sappuyer sur des procds naturels, recourir des moyens dshonntes, ou se laisser surprendre en flagrant dlit de mensonge. Oui, sans doute, la pythie philippisa38, loracle de Jupiter Ammon proclama Alexandre fils de Jupiter ; le plus grand nombre employaient des procds frauduleux. Les prtres idoltres de nos jours, car ils ont aussi leurs oracles, usent de toute sorte de secrets, pour faire croire au peuple que les faux dieux parlent ou font des signes. Des secrets analogues ntaient pas ignors dans lantiquit: en dmolissant le temple de Srapis Alexandrie par ordre de Thodose, on reconnut, dit Thodoret, les conduits souterrains qui, dun lieu loign, correspondaient la bouche de lidole. La statue de Bel, que Daniel mit en pices Babylone, avait dj fourni une preuve irrcusable de pareilles fraudes. Mais sensuit-il, ainsi que lont avanc Van-Dale et Fontenelle, son abrviateur, que tout tait artifice dans la reddition des oracles ? La multitude des faits dun mme ordre ne prouve nullement quil nen existe pas dun ordre diffrent. Or, si les exemples de fraude et dartifice sont nombreux et amplement constats, il nest pas moins bien dmontr que les ministres des oracles employaient aussi lextase et le sommeil magntique ; nous croyons mme que cest l le procd fondamental, et lintervention dmoniaque devient vidente pendant la dernire priode. Le P.Baltus a amplement tabli que les ministres des oracles furent ordinairement des extatiques. Ce qui reste de bien dmontr dans la question des oracles, dit le savant cardinal dAilly, cest que toutes les rponses attribues par les hypophtes39 Apollon, ntaient que des paroles vides de sens, prononces dans le dlire. Car il ne faut pas croire, ajoute-t-il, comme tant de personnes y seraient portes, que le dmon tait toujours aux ordres de ces gens-l. Ce ntait ni lui ni leur dieu qui parlait, mais bien eux-mmes, dans les paroxysmes de la fureur ou de lalination mentale. Le mme auteur convient quun grand nombre de causes naturelles peuvent produire dans lme des effets merveilleux, et lui donner une certaine prnotion de lavenir. Mais il nexclut pas pour cela lintervention du dmon en certaines circonstances. En effet, la thse tablie par Van-Dale et rchauffe par Fontenelle est un dmenti trop audacieux des affirmations de tous les crivains des premiers sicles du christianisme. Il faut voir de quel air triomphant saint Justin, Tertullien, Lactance, saint Cyprien, Minutius-Flix, saint Athanase, Eusbe, saint Jrme, objectent aux prtres des idoles la chute de leurs oracles, le mutisme de leurs ministres, la fuite de leurs dmons ou laveu de limpuissance laquelle ils sont rduits en prsence des chrtiens. Le fait tait bien constant, bien clatant, frquemment renouvel, incontestable, puisque les dfenseurs38 Les Athniens, par exemple, accusrent la Pythie de philippiser, cest--dire de stre laiss corrompre par lor de Philippe de Macdoine. (NDE) 39 Qui parlent des choses du pass, par opposition aux prophtes qui parlent de lavenir.

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de la foi chrtienne lallguaient ainsi sans craindre la contestation, et le jetaient comme un dfi la face de leurs adversaires: Faites venir un chrtien, leur disaient-ils, celui que vous voudrez, et si sa prsence seule ne contraint pas vos oracles se taire ou vos dieux avouer quils ne sont que des dmons sortis denfer, vous mettrez le chrtien mort, nous vous labandonnons. Dailleurs lhistoire est l, et aucune subtilit ne pourra prvaloir contre des faits aussi bien tablis que ceux-ci, par exemple: dabord lenlvement des reliques de saint Babylas par ordre de lempereur Julien, parce que leur voisinage rendait muet loracle dApollon du faubourg de Daphn Antioche ; ensuite le martyre de saint Saturnin Toulouse, parce que loracle du Capitole tait rduit au silence par la prsence du saint missionnaire en cette ville. On sait lvnement accompli lan368, au milieu dun sacrifice auquel assistait lempereur Julien: le ministre des idoles, effray des prodiges quil aperut, scria que les dieux taient empchs par la prsence de quelque baptis. Julien lui-mme recula pouvant, le plus grand tumulte rgna dans lassemble. Ctait un des plus jeunes soldats de la garde de lempereur qui causait tout ce trouble par sa prsence. Il savoua chrtien, jeta sa demi-pique orne de pierreries, et sortit pour rendre Satan sa libert. Prudence, contemporain de lvnement, la chant en fort beaux vers dans son Apothose. Nous reviendrons sur cette question dans le cours de louvrage ; mais nous devions dire ds maintenant quil ne faut pas la traiter aussi lgrement que lont fait certains auteurs, ni se placer un point de vue exclusif pour la bien juger. Toutes les fraudes signales existent certainement, mais ce nest quune des faces de ldifice.

V. Le Magntisme.Parmi les moyens employs par les anciens pour produire lextase divinatoire, il faut compter le magntisme ou imprgnation dmoniaque. La consultation des oracles tait un moyen trop solennel et trop dispendieux, souvent trop loign et trop difficile ; le magntisme supplait ce dsavantage. Laissons parler Apule ; le no-platonicien, accus de magie, disait en se dfendant devant le proconsul dAfrique: Il me souvient davoir lu, entre autres choses, celles-ci dans les ouvrages du philosophe Varron, crivain aussi docte qulgant. Quelques habitants de Tralles ayant eu recours des procds magiques, pour savoir quelle serait lissue de la guerre de Mithridate, lenfant qui contemplait dans leau limage de Mercure, rendit compte en soixante vers de ce qui devait arriver. Je me rappelle encore dy avoir lu quun certain Fabius, ayant perdu cinq cents deniers, alla consulter un magicien du nom de Nigidius. Celui-ci soumit linfluence du charme des enfants qui indiqurent en quel lieu une partie du trsor tait cache, et ce qutaient devenus les deniers quon en avait distraits ; ils ajoutrent que M.Caton le philosophe en avait un en sa possession. Caton avoua quen effet il lavait reu dun de ses clients comme arrhes de son engagement. Je pourrais confirmer ces exemples par beaucoup de faits pareils dont les auteurs abondent. Ceci ressemble fort au magntisme, on en conviendra ; mais la suite du plaidoyer achve de lever tous les doutes. Apule ajoute: Tous ces faits considrs, il reste dmontr pour moi que lme humaine, principalement au temps de la jeunesse, qui est lge de linnocence, peut tre distraite et pour ainsi dire isole de toutes les choses matrielles,

27 soit par la puissance du charme, soit par la vertu de lassoupissement que procurent les liniments soporifiques, au point doublier mme son propre corps, et de rentrer dans sa nature, qui est immortelle et divine. Et cest ainsi que, pendant le sommeil de son corps, elle entrevoit lavenir au sein de la divinit. Les magntistes nont jamais dit mieux, ni autre chose, et ce qui achve de rvler ici le trait dunion qui existe entre eux et leurs prdcesseurs, cest ce quajoute notre auteur: Tout le monde en convient, pour russir dans une pareille tentative, il faut que lenfant soit beau, afin dtre agrable aux dieux, et dune bonne sant, afin que lme ne reste pas embarrasse dans les liens dune nature dfectueuse. Or lenfant quon maccuse davoir soumis au charme est un pauvre hre, laid et impotent, qui tombe en pilepsie deux ou trois fois le jour. Jugez sil est vrai que jai pu songer me servir de lui pour de tels desseins, et par consquent, si laccusation de magie porte contre moi est fonde Nous navons pas juger la valeur dune telle manire de se dfendre ; mais nous ne devons pas manquer davertir que, de laveu des magntistes, les pileptiques sont leurs meilleurs sujets. Si on objectait quApule ne parle pas des passes usites parmi les disciples de Mesmer, nous rpondrions que les passes sont de lenfance de lart, et quelles deviennent tout fait inutiles entre un magntiseur puissant et un sujet bien dispos ; il suffit du souffle ou mme du regard. On na donc rien trouv de nos jours ; on a seulement retrouv. Le magntisme son premier degr nest que le sommeil lthargique ; il dveloppe au second degr une facult que les gens du mtier appellent de seconde vue, et qui consiste voir des objets indiqus, quoique placs une grande distance, cachs, perdus, dissimuls sous des enveloppes impermables ; assister des vnements qui saccomplissent ailleurs, dmler un pass long et plein de dtails, au seul contact dun objet qui y a eu quelque rapport, lhistoire dun homme en touchant une bague qui lui a appartenu ou une mche de ses cheveux. Les gens du mtier prtendent que cette seconde vue stend jusque sur lavenir ; mais la prtention ne saurait tre justifie ; cest tout au plus si leurs sujets voient lvnement qui doit rsulter de causes dj poses. Ceci est beaucoup assurment, et cest trop pour eux, qui y cherchent du naturalisme ; ce nest pas trop pour nous, qui y voyons une uvre dmoniaque. Aprs que le corps aura perdu la facult de transmettre lme des sensations, celleci se trouvera place dans une situation anormale, en vertu de laquelle il se manifestera en elle de nouvelles facults, une nouvelle manire de percevoir le sentiment des objets extrieurs, ou par des organes qui ny sont point appropris, de voir par la nuque ou par lpigastre, dentendre par le bout des pieds ; et cela sera naturel ! Le croie qui voudra, le dise qui osera. Bien plus, lme sera prsente et absente en mme temps: prsente au lieu dsign, pour voir ce qui sy passe, et prsente o est son corps, pour rpondre la personne qui linterroge ! Ce sont des faits incontestables cependant. Mais le magntisme slve de ce terre--terre des hauteurs o ltude devient superflue, parce que la constatation est impossible : par exemple, lorsquil transporte lme dans des mondes imaginaires et la met en rapport avec les natures angliques. Est-ce vrai ? Nous connaissons en ce genre plus dun impudent mensonge. Si le magntis ne ment pas, ses visions mirobolantes ne sont-elles pas de la mme nature que celles de livresse

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ou de la fivre, de celles que produisent le napel40, le datura41, le hachisch, lopium ? Et si ces visions se coordonnent et se systmatisent en un sens oppos la foi, Dieu, aux lois de la morale, le dmon en est-il innocent ? Lorsque lhomme saventure chercher on ne sait quoi dans un monde intangible, o la foi ni la raison ne peuvent plus lui servir de guides, quy aura-t-il de surprenant sil vient y rencontrer un guide perfide qui lgare ? Tant que le magntisme en est rest l, il y avait lieu peut-tre encore discuter ; mais depuis quil sest lev jusqu la possession relle, vidente, incontestable, jusquau ravissement corporel travers lespace, le doute nest plus possible: Satan en est lagent ; il est au terme, luvre, et ne peut manquer dtre au commencement. Les magntistes nous parlent de leurs somnambules ; mais cest un abus de langage: leurs somnambules ne sont pas des somnambules, puisquils ne marchent pas et ne font rien spontanment ; ils ressemblent davantage aux somniloques. Un somnambule demi se lve la nuit, prend la fentre pour la porte de sa chambre, se prcipite et se brise dans sa chute. Un somnambule complet se lve, se promne avec aisance sur les toits, rentre par la lucarne, et revient se coucher aprs une excursion que nul homme de sang-froid ne saurait accomplir ; il nen a pas conscience, et il ne lui est rien arriv. Si cest un paysan, il panse ses chevaux, les mne labreuvoir, les ramne et les rattache, et sait plus, le lendemain, o trouver lexplication de ce quil voit son rveil. Si cest un homme dtude, il allume son flambeau et se met crire. Vous placez entre ses yeux et son papier un corps opaque, il nen crit pas moins, se relit, rature et corrige avec justesse, sans se tromper dun mot ni dune lettre. Sil est fortement endormi, vous lui mettez un bandeau, il ne sen aperoit pas et continue son ouvrage. Si au contraire vous teignez la bougie qui ne lui sert de rien en apparence, il la rallume tranquillement, sans se douter de votre intervention ni de votre prsence. Tout ceci est extraordinaire, inexplicable, mais naturel ; peut-tre ! Cependant nous pouvons en convenir sans que cela tire consquence, puisque ces phnomnes nont aucun rapport, ni de prs ni de loin, avec ceux du magntisme. Ceci est le suprme exemple du somnambulisme naturel ; le somnambulisme magntique produit des effets trs diffrents et beaucoup plus merveilleux ; nous venons de les indiquer. On voit des magntiss soulevs de terre la volont du magntiseur ; il en est de mme des dmoniaques. On en a vu voler autour des lustres dun salon magntique ; il en de mme des dmoniaques. Il arrive souvent au magntis de dire IL ou LUI, en parlant de lui-mme, comme dun tre tranger qui a pris sa propre place ; il en est de mme du dmoniaque. Le magntiseur paralyse volont tel ou tel membre du magntis ; il en est de mme de lexorciste lgard du dmoniaque. Tous les somnambules quon laisse libres dans la crise se disent clairs et assists par un tre qui leur est inconnu, dit le docte Deleuse dans son Histoire critique du magntisme ; il en est de mme des dmoniaques.40 Aconit napel (Aconitum napellus), communment appel napel, gueule de loup, sabot du pape, est une plante extrmement toxique pouvant facilement entraner la mort. 41 Genre de plantes de la famille des solanaces. Ce sont des plantes riches en alcalodes dans tous leurs organes et vnneuses.

29 Les magntiss les plus ignorants parlent en termes les plus techniques des sciences sur lesquelles on provoque leur attention ; il en est de mme des dmoniaques. Le magntis lit dans la pense dautrui, obit des commandements que rien ne manifeste ; il en est de mme du dmoniaque. Quon dduise la consquence de ces quelques rapprochements. Mais elle est toute dduite par les faits, car les magntiss deviennent quelquefois de vritables dmoniaques, qui subissent les plus pouvantables convulsions, et sur lesquels le magntiste, pouvant lui-mme de ce quil voit, na plus dempire. Se brlant parfois au feu quil a si imprudemment allum, le dmon, quil a voqu, le saisit, lagite, le transporte, sempare de tout son tre. En lisant le rcit de certaines expriences transcendantes accomplies dans ces dernires annes, on se souvient involontairement des dernires scnes de Loudun et des terribles accs de possession prouvs par quelques-uns des exorcistes dans le cours de leurs fonctions, lorsque Satan, quittant brusquement le dmoniaque, semparait de lexorciste, le tordait et lagitait comme le roseau flexible dont se joue un tourbillon. Le magntisme est une des formes du charme, et Satan en est lagent. Les magntistes nous ont parl trop longtemps dun fluide indmontrable, qui serait, selon eux, le moyen des prodiges quils oprent. En ladmettant, il faudrait bien reconnatre quil ne peut produire que des effets physiques ; or le magntisme a progress trs loin au-del de la nature physique ; mais encore vaut-il mieux renoncer purement et simplement une explication que la raison ne saurait admettre, et dont la preuve est impossible. Satan est le moteur des tables tournantes, cest lesprit qui parle par elles: nous le montrerons lorsque le moment en sera venu ; cest lui qui rpond aux vocations des spirites ; nous le montrerons pareillement ; mais il est temps de commencer nos rcits.

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HISTOIRE DE SATAN

La chute de Lucifer, illustration de Gustave Dor pour Le Paradis perdu de John Milton.

CHAPITRE PREMIER FONDATION DU RGNE DE SATANDans les cieux, un archange senorgueillit la contemplation de sa propre beaut et de sa propre puissance ; il se spara du Crateur, dont la munificence lavait si splendidement enrichi ; il entrana dans sa rvolte un grand nombre danges, et refusa avec eux dobir aux ordres divins. Des interprtes ont pens que lhomme avait t cr limage de Dieu sous le double rapport de son me et de son corps: de son me, selon ce que Dieu tait dj ; de son corps, selon ce quil serait en se faisant homme. De la sorte, lincarnation du Verbe divin, rsolue de toute ternit, naurait pas t dtermine par le pch, mais seulement modifie dans son accomplissement ; et lordre donn de Dieu aux anges aurait t celui dadorer dans son Verbe la nature humaine unie la divinit. Or lhomme tant plac au dernier degr dans la srie des tres intelligents, larchange superbe refusa daccepter une condition quil considrait comme son propre abaissement42. Interprtation peut-tre vraie, peut-tre vaine ! Profonds mystres, sur lesquels il na pas plu Dieu de rpandre la lumire, et devant lesquels il faut imposer silence notre curiosit. Quoi quil en soit, larchange rebelle fut chass avec les siens de devant la face de Dieu, condamn un enfer quil porte partout avec lui, et rserv pour un jugement suprme la fin des temps43. Un ange se distingua entre tous par son zle pour la cause du souverain Matre, et se plaa la tte de la milice demeure fidle: il mrita par ce dvouement dtre lev dun degr dans la hirarchie, et prit la place de larchange quil avait prcipit des cieux: cest Michel, dont le nom veut dire qui est semblable Dieu. Et cest le cri de guerre quil profra, lorsque larchange rvolt voulut sgaler au Tout-Puissant. Langage humain, images empruntes aux choses de ce monde infrieur, et qui nous cachent des vnements dont la manire et la nature sont inapprciables nos moyens de comprendre et de juger.42 Quest-ce quun mortel, pour que tu ten souviennes, et un fils de lhomme pour que tu le visites? Tu las fait de peu infrieur un dieu, de gloire et de splendeur tu las couronn; tu las fait dominer sur les uvres de tes mains, tu as tout mis sous ses pieds. (Ps. viii, 5.) Saint Paul semble confirmer ces donnes par la manire dont il interprte ce passage au ier et au iie chapitre de son ptre aux Hbreux. Il se place au point de vue de la synagogue, applique au Verbe divin ce quelle dit du premier sephiroth, splendeur de Dieu, forme de sa substance, et en mme temps archtype de lAdam terrestre. Or, dit-il, Dieu, en lintroduisant dans le monde, ordonna ses anges de ladorer ; et il cite ce sujet la synagogue le psaume xcvi, quelle reconnaissait elle-mme pour messianique. 43 Car si Dieu na pas pargn les Anges qui avaient pch, mais les a mis dans le Tartare et livrs aux abmes de tnbres, o ils sont rservs pour le Jugement... (ii Petr. ii, 4). Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges? (i Cor. vi, 3)

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Histoire de Satan

Lange expuls du ciel et dshrit de la gloire, mais non corrig de son orgueil, devint ds lors lennemi irrconciliable de celui qui avait t la cause de son malheur: de lhomme dabord, et principalement du Verbe divin, sous le rapport de son incarnation. L est en effet le champ principal du combat, autant du moins quil nous est possible de lapercevoir. Dieu cra libres tous les tres intelligents ; des serviteurs esclaves nauraient pas t dignes de lui. Il voulut quils mritassent le bonheur pour lequel il les avait crs, afin quil et plus de prix leurs yeux: de l lpreuve et la tentation. Lange dchu devint le ministre de la tentation par rapport lhomme. Il lui offrit, pour le sduire, ce quil naurait pu, ni voulu lui donner, la beaut ; ce qui ntait pas dsirable, la science du mal ; ce que lhomme possdait dj et dont il devait le dpouiller, limmortalit44. Mangez de ce fruit ; vous ne mourrez pas ; vos yeu