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S ommaire du n° 4/2012 Sommaire Editorial .................................................................. 218 Journée Papus du 21 octobre ................................ 221 L’homme en son alchimie spirituelle, par Christine Tournier ............................................ 222 « Les mystères du mariage et de l’amour », selon Saint-Yves d’Alveydre, commentés par Yves-Fred Boisset ......................... 247 Une chevalerie actuelle et non déiste ?, par Jean-Albert Clergue......................................... 252 Les livres .................................................................. 284 Les chemins de Saint-Jacques, poème................... 288 Initiation_4_21012.indd 217 11/12/12 13:54

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  • Sommaire du n 4/2012

    Sommaire

    Editorial .................................................................. 218

    Journe Papus du 21 octobre ................................ 221

    Lhomme en son alchimie spirituelle, par Christine Tournier ............................................ 222

    Les mystres du mariage et de lamour , selon Saint-Yves dAlveydre, comments par Yves-Fred Boisset ......................... 247

    Une chevalerie actuelle et non diste ?,par Jean-Albert Clergue ......................................... 252

    Les livres .................................................................. 284

    Les chemins de Saint-Jacques, pome ................... 288

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    1 Les abonns qui avaient par anticipation acquitt leur abonnement pour lanne 2013 recevront un remboursement dans les tout prochains jours.

    Editorial

    C ent annes sparent ces deux dates. trange rapprochement ! 1912 : vingt-quatre ans aprs sa cration en octobre 1888, son fondateur Papus suspend la publication de la revue LInitiation qui sera remplace par la revue Mysteria laquelle devra cesser de paratre deux ans plus tard quand clatera la Premire Guerre mondiale et que Papus, mdecin de son tat civil, sera mobilis dans un service de sant militaire.

    2012 : soixante ans aprs son rveil par Philippe Encausse (fils de Papus), la revue suspend sa publication en version papier pour se transformer en version numrique, cest--dire en ligne 1.

    Pourquoi cette transformation ?

    Les abonnements ne suffisant plus couvrir les frais dimpression et de routage, cest la mort dans lme que nous avons d nous rsoudre cette douloureuse dcision, nous raccrochant la seule boue de sauvetage qui permettrait la revue de survivre : sa mutation dans le numrique. Ainsi, par ce biais, la revue survivra.

    Nous savons que Papus fut un prcurseur en matire spirituelle ; il le fut aussi en matire ditoriale en incorporant tout ce que les nouvelles techniques de son temps lui permettaient (ajout de photographies, illustrations, etc.). Dans le mme esprit pionnier, la revue passe au numrique afin daccrotre son accessibilit ; nous sommes certains que son fondateur naurait pas nglig pareil outil de transmission.

    1912-2012.

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    Le passage au numrique permettra ainsi la revue dtre servie gratuitement.

    Nous tenons remercier chaleureusement ceux dentre vous qui, dans un esprit fraternel, ont tent de sauver la revue (version papier) en nous amenant quelques nouveaux abonns. Mais, cela na pas suffi compenser les dfections que nous constatons depuis plusieurs annes. La crise conomique qui affecte de nombreuses familles nest sans doute pas trangre ce phnomne ; nombreuses sont les revues (en tous domaines) qui, comme la ntre, sont menaces et envisagent une reconversion.

    Pour des raisons lgales, nous avons dcid dapporter une lgre variante au titre de la revue qui, dans sa nouvelle version, sappellera LINITIATION TRADITIONNELLE mais restera fidle sa ligne ditoriale qui a toujours privilgi la diversit des sujets traits dans chaque numro : histoire, symbolisme, martinisme, franc-maonnerie, tradition, recensions de livres, etc.

    Comme nous lavons annonc plus haut, nous avons donc dcid dappliquer la GRATUIT ce service. La grande majorit de nos lecteurs ont accs internet et nous leur demandons de nous confirmer sans attendre leur adresse de messagerie par un simple courriel [email protected]. Aux rares lecteurs qui ne possdent pas dadresse internet, nous pourrons proposer lenvoi dune copie papier, moyennant une participation aux frais postaux qui sera dtermine en fonction des tarifs en vigueur.

    Nous souhaiterions vivement que nos lecteurs participent la confection de la revue. Aussi, nous recevrons volontiers aux fins de publication des articles que nous soumettrons notre comit de lecture. Merci davance.

    Yves-Fred Boisset, rdacteur en chef.

    Editorial

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    Editorial

    En 125 ans, la Revue LInitiation a connu 3 rdacteurs en chef successifs :

    Yves-Fred Boissetdepuis 1984

    Papus (Grard Encausse)de 1888 1912en 1913 et 1914Revue Mysteria

    Philippe Encaussede 1953 1984

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    Les journes Papus du 21 octobre 2012

    Le 21 octobre, cest--dire le dimanche le plus voisin du 22 octobre (date anniversaire de la dsincarnation de Papus), de nombreux fidles se sont rassembls au cimetire du Pre-Lachaise autour de la tombe de la famille Encausse. Louis Encausse (pre de Papus), PAPUS, Philippe Encausse (fils de Papus) et Jacqueline Encausse (pouse de Philippe) y reposent.

    Lmotion est toujours au rendez-vous de cette rencontre, mme si nous savons que ces tres de lumire sont encore bien prsents dans nos curs et dans nos penses.

    Cest un frre belge venu dAnvers pour la circonstance quil appartint de rendre lhommage traditionnel nos matres passs. Hommage mouvant suivi de recueillement.

    midi, nous nous retrouvmes dans un restaurant du quartier Saint-Lazare pour y partager une agape trs fraternelle.

    Nous flicitons et remercions Maria et Emilio Lorenzo pour la bonne organisation de cette journe.

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    Lhomme en son alchimie spirituelle

    A. LES QUATRE ELEMENTS ALCHIMIQUES nomms galement matrices, principes, archtypes

    Notre propos nest pas dentrer dans les dtails opratifs de lAlchimie pour expliquer comment les quatre lments terre, air, eau, feu font partie intgrante de son processus. Il sagit bien plutt de mettre en valeur les aspects symboliques universels permettant de les intgrer en soi pour entendre, interprter, digrer, transformer et vivre ce qui rsonne en son tre.

    En effet, lAlchimiste que chacun dentre nous est, a pour tche de pntrer au cur de la matire personnelle afin que luvre qui saccomplit rejoigne le commencement. La comprhension transmute, cest--dire modifie profondment, convertit le savoir en Connaissance.

    ces quatre lments se rattachent trois principes qui sont :

    - le Mercure, correspondant luvre au Noir, auquel se rattachent la Terre et lEau : cest le domaine du corporel, de la matire quil nous faut travailler, labourer, ensemencer, arroser, aimer ;

    - le Sel, correspondant luvre au Blanc, auquel se rattache lAir, domaine de lme et du psychologique. Cest la rsolution de lunion de lme et du corps, dans un mouvement que lon souhaite ascendant ;

    - enfin, le Soufre, correspondant luvre au Rouge, auquel se rattache le Feu, symbole de lEsprit, du Spirituel et du Numineux, cest--dire du Surnaturel dans le sens mystrieux, sacr et inconcevable.

    Lensemble des symboles reprsentant les quatre lments constitue le Sceau de Salomon, avec lunit dont il tmoigne entre la matire et lEsprit, le fminin et le masculin.

    Hraclite considrait trois registres de luvre que je cite ici uniquement pour dmontrer que tout se fait dans une dynamique de cause effet, progressive, permettant le passage dune

    Par Christine Tournier

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    Lhomme en son alchimie spirituelle

    matire une autre, dun lment un autre, dun tat un autre, mental, affectif, psychique, physique Il sagit de :

    - celui de la Terre lEau, entre le melanosis (noir) et le leukosis (blanc) ;

    - celui de lEau lAir, entre le leukosis et le xanthosis (jaune) ;

    - celui de lAir au Feu, entre le xanthosis et le iosis (rouge) ;

    ce qui met en vidence la loi dengendrement sur laquelle je reviendrai succinctement dans la troisime partie de cette esquisse.

    Il faut bien prciser que les lments dont on parle ne sont pas pris dans leur ralit concrte mais en tant qutats.

    1. La terre est le chaos primordial qui faonne lhomme. Cest la matrice, le creuset, lieu de la germination, qui donne la Vie : elle est donc le support de ltat solide, lment VISIBLE, symbole de fcondit, de rgnrescence. Cest la terre noire des gyptiens, qui a donn lalchimie son nom : Al Kmia. En elle (on peut se rfrer dailleurs Paul Diel) se trouvent en potentiel lInconscient (souterrain), le Conscient (surface) et le Surconscient (cimes). Ce sont les composantes schmatiques de lHomme.

    La Terre est dense, lieu de fixation o poussent les mtaux, selon la croyance antique, cest--dire que cest par elle que commence la transformation intrieure, quelle est incontournable, quelle est le lieu de lenracinement qui permettra de changer petit petit, au fil des veils successifs, le plomb en or ; lhomme peut devenir un Homme. La Terre est lieu de condensation, cest--dire de rduction de la dilatation, de lerrance, de lauto-dispersion, pour une meilleure accumulation dnergie spirituelle.

    2. Leau, lencontre de la Terre et du Feu qui produisent des forces vives et reprsentent les germes des diffrences, prcde lorganisation du Cosmos, de lembryon dans le liquide

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    Lhomme en son alchimie spirituelle

    amniotique, du primate lHomme spirituel, et reprsente, elle, lindiffrenci. Au commencement tait le Verbe , dit Jean, et, plus loin, il prcise que le Verbe est Lumire ; mais la Gense affirmait bien que lEsprit planait sur les eaux. Il sagit naturellement des eaux primordiales, symbole du creuset de toute vie, des eaux vives de notre moi en devenir.

    Ainsi, le Yin sassocie au Yang. Nous le vivons chaque seconde, tant lintrieur de nous qu lextrieur, dans tout lUnivers o nous nous inscrivons. Leau est donc le rservoir des possibles, Alkaest que cherchait Paracelse, lment VISIBLE, sang de la Terre, lieu des nergies inconscientes et des puissances informes de lme. Dans le Grand uvre, leau est transforme en feu puis en lumire.

    Cest llment, par excellence, de la purification, de la clarifica-tion, de lpuration, de la rgnrescence comme la Terre avec qui elle participe la fertilit et la fcondit (retour aux sources). Cest aussi celui de la rvlation, de linitiation. Tandis que le Feu est au cur mme de la Terre, jaillissant dans les laves en fusion, prsent en permanence, tel le cur battant dans la poitrine, la fluidit de lEau la conduit la dissolution (liquide, vapeur), cest--dire la dcomposition de nos agrgats, le mot tant pris au sens bouddhique du terme. Elle tmoigne que notre chemin sera mar-qu par des destructions, des ruptures, voire des anantissements (nous savons que, dans la Triade indienne, Vishnou, le constructeur, et Shiva, le destructeur, sont indissociables et ncessaires). Quant son homognit, elle correspond la coagulation (glace), cest--dire nos fixations, nos fantasmes, nos illusions, nos rifications nvrotiques.

    3. LAir est symbole de spiritualisation, dexpansion. Cest le souffle vital de lhomme, le PNEUMA. Il est la manifestation du Verbe et reprsente le monde subtil intermdiaire entre le Ciel et la Terre. Il est linspir et lexpir, le support de la volatilit le ltre. Cest un lment INVISIBLE. Milieu rcepteur de la lumire, du parfum, des couleurs, des vibrations cest par lui que se mani-

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    Lhomme en son alchimie spirituelle

    festent nos cinq sens. Il est tout autant espace que temps. Cest le lieu de la fermentation (comment peut-on crotre sans levain dans la pte ?) et de la putrfaction (comment renatre sans mourir ?)

    4. Le Feu est symbole de lEsprit, de la Connaissance intuitive, de lIllumination et de la Purification. Il est le Verbe, lessence qui engendre lexistence. Il soppose la Terre, comme la lumire lobscurit ; il couvre et elle supporte. Mais cette opposition nest quapparente : sans ombre, pas de lumire, sans lumire, pas dobscurit. Il soppose aussi lEau qui scoule vers le bas (et que dire de nos larmes de joie ou de souffrance ?) tandis que lui schappe vers le haut. Elment INVISIBLE, il est le lieu de la lumire, de la chaleur, de lmotionnel. Par son dgagement de la matire grave, cest--dire lourde, pesante, qui le tient cel, le Feu peut dvaster ou purifier notre tre en vue dune nouvelle naissance car il nest pas le rsultat, leffet de la combustion, mais la CAUSE : aprs son passage, seules demeurent les cendres du pass et nos certitudes calcines (cf. Fulcanelli). Le Feu peut donc tre bnfique : nous pouvons crer, donner, aider, construire ; ou destructeur. Sachant quil est au centre de notre tre, donc de nos choix, la dduction faire est aise.

    On peut noter, pour une meilleure comprhension de notre psy-chologie, quil existe trois sortes de feux :

    - humide (bain-marie), associ lEau, la vapeur, et qui dfinit ce quil y a de TIDE en nous ;

    - naturel ou ordinaire, associ la Terre, dans la vie quotidienne de notre CERVEAU REPTILIEN quil alimente ;

    - surnaturel ou suprahumain, associ lAir, allant jusqu la TRANSFIGURATION. Brler dun feu intrieur peut tre lune des voies qui conduit lIllumination, lveil.

    Gaston Bachelard considre les quatre lments comme les hormones de limagination. Ils mettent en action des groupes dimages. Ils aident lassimilation intime du rel dispers dans

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    ses formes. Par eux seffectuent les grandes synthses qui donnent des caractres un peu rguliers limaginaire .La qute psycho-spirituelle passe par la purification, la dissolu-tion, la volatilisation (telle lvaporation des bonheurs perdus de Proust), la sublimation (qui transforme nos pulsions inacceptables en provoquant des conflits intrieurs dpasser), la combustion, la solidification, puis un nouvel tat o lon parvient, dtapes en tapes, transformer les oppositions en complmentarits, reconstituant notre unit partir de nos dualits. Ceci est un thme rcurrent dans la Gnose, le Bouddhisme, le Soufisme La ralisation des contradictions apparentes ou relles, intrieures ou venant de lextrieur, se situe sur un autre plan de conscience. La diversit des choix, voire les divergences, peuvent ne pas tre de simples obstacles la ralisation de soi, mais, au contraire, des moyens pour y parvenir : tout dpend des orientations que nous prenons.

    Pour en finir avec cette brve prsentation des quatre lments alchimiques et de leur implication dans la psychologie humaine, nous pouvons dire que nous retrouvons dans les deux cas une communaut de termes : embryon, enfant, engendrement, noces, essence, esprit, exaltation, sublimation, fermentation, fixation, distillation, imbibition (imprgnation), immersion, putrfaction, ingression (invasion, incursion), inspissation (en alchimie, suite de la dissolution, opration du feu secret par digestion ; en psychologie, perlaboration), corrosion, coagulation, rification, calcination, mort, transformation, purification, rconciliation, rectification, rduction (remise en place, correction des garements, des erreurs, de ce qui nest pas contrl), transmutation, etc.

    B. TROIS SYMBOLES : LE MERCURE, LE SEL, LE SOUFRE

    Nombre douvrages savants ont trait du sujet et mon propos sera une simple rflexion sur limplication de ces symboles dans notre vie psychique et notre transformation intrieure. En effet, nous fonctionnons selon la matire premire ou Mercure, la

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    matire ultime ou Soufre, et la matire intermdiaire ou Sel. Les maladies physiques, mais aussi psychiques, peuvent tre lies ces principes dvaporation, de combustion et de solidification. Nous le constatons tant dans les traitements homopathiques (uti-liss dailleurs depuis fort longtemps en Orient puis, entre autres, par Paracelse) que dans les thrapies des profondeurs qui allient la compassion la rigueur.

    Le Mercure philosophique est symbole de lHomme conscient (en particulier de ses imperfections), pensant, en pleine vie, cherchant la Sagesse et lveil, et sans lui nul ne peut accder au Sel et au Soufre. Il est llment de base de toute qute, se pla-ant avant toute initiation. Passif, Yin (le Mercurius alchimique est lEau divine, perptuelle, celle qui ne donne plus jamais soif) est la force centrifuge de ltre, le principe de lactivit ext-rieure, de la volont humaine dans le sens collectif du terme, tandis que le Soufre, lui, est principe dactivit intrieure, de volont individuelle et divine en lHomme, Yang. Il rsulte de leur interaction une cristallisation , comme dirait Ren Gu-non, cest--dire le contraire de la dsagrgation, une ren-contre dinterdpendance exprime selon une limite floue, ondoyante, mouvante.

    On peut dire trs grossirement que :

    - le Mercure est symbole de la matire ;

    - le Sel est symbole de lesprit humain ;

    - le Soufre est symbole de lEsprit divin.

    Sel et Soufre sont ainsi la manifestation du dpassement de lHomme par rapport son ego lourd mais indispensable son ancrage. Sil na pas de bonnes racines dans la terre, larbre ne peut dvelopper son tronc et ses branches vers le ciel. Sans lobs-curit souterraine o pousse la graine, pas de possibilit de par-venir la lumire. Ainsi, le lotus apparat tre un des plus beaux symboles du Destin humain. Le Sel, la jonction du Mercure et du Soufre, permet de vivre nos dualits, de les traverser, pour les dpasser dans lunit. Le triptyque Mercure-Sel-Soufre tmoigne

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    de la double nature de lHomme : lui de retrouver lAndrogyne premier non duel.

    Cest du Mercure, de la matire brute, l agent secret , que nat lHomme, par son mariage avec le Soufre, lEsprit. Cest limprgnation, plus ou moins lente, de lun par lautre, qui ralise lentit humaine, dont le sens va du plus lourd au plus lger, au Spirituel, au Divin. Il sagit de raliser sa libration intrieure, en allant vers davantage de vacuit, de disponibilit ce qui advient chaque instant, dans une lvation progressive de lAme, pleine dembches, de faux semblants et dillusions. Cest une direction ascendante qui cherche la clart en sappuyant sur lobscurit originelle.

    LArbre des Sephiroth, symbolisant tant le schma corporel que la dimension psycho-spirituelle de lHomme, donne sa place chacun de ces trois principes (et non des corps quelconques). Nous nen donnons ici quun aperu mais il est vident que la lecture en est bien plus complexe.

    1. Le Mercure

    Nom grec du dieu gyptien Thot, fondateur de lHermtisme, cest lAchachi des philosophes, lAludit des sages, le vif-argent des alchimistes, associ la plante Mercure. Le mot vient du latin Mercurius ou Merx, ce qui signifie mobilit quoique lorigine soit sans doute trusque. Cest donc le nom du messager de Jupiter, Herms, le dieu du commerce, des voyages, mais aussi du mensonge : nous nous leurrons constamment par peur de nous voir tels que nous sommes et non pas simplement en fonction dun idal du moi. Il reprsente ainsi laspect dynamique en puissance lintrieur de nous, mais cest nous de le faire agir, voyager dans lapprentissage de la Connaissance, tant psychique que spirituelle : microcosme et macrocosme sont soumis aux mmes lois. La pierre est brute avant dtre dgrossie. Le Caduce, emblme dHerms, avec ses deux serpents entrelacs entourant une branche de laurier surmonte de deux ailes, est le symbole trs puissant dune

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    ralit physique avec la monte des nergies dans notre corps, le long de la Kundalini, au droit de la colonne vertbrale, suivant les diffrents niveaux des chakras, et dune ralit gntique avec la double hlice de la molcule dADN. On pourrait y ajouter lide du cerveau reptilien laube de notre humanisation : lHomme et le serpent ont dcidment toujours eu quelque chose voir ensemble !

    2. Le Sel

    Symbole de lHomme, il peut correspondre luvre au Blanc, entre luvre au Noir et luvre au Rouge, sachant quil lui fau-dra passer par toutes les tapes diffrentes pour chacun dentre nous avant dapprocher lEveil. Le blanc est lensemble de toutes les couleurs alors que le noir est labsence de couleur : lHomme possde donc bien en lui tous les possibles ; largent lunaire peut dpasser la lourdeur du plomb de notre incarnation ; lor tant, bien sr, le but suprme nous rapprochant des dieux.

    Le mot sel vient de Salnitrum qui dsigne toute substance sale ou amre ; cela a donn Salaria, somme donne aux soldats pour acheter du sel, pour induire salaire , solde , salem . Rien ne sobtient aisment et nous avons toujours, en quelque sorte, un prix payer pour avancer sur la voie de la Comprhension.

    3. Le Soufre

    Cest lAbric des philosophes, lAcide des sages, ou Solsequium. Le mot vient du latin Sulphur, partir de Sulpur, donnant Zolfo, Azufre, Solpre, salptre Il figure la Transcendance, mais nous ltudierons toujours associ aux deux lments prcdents.

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    Lhomme en son alchimie spirituelle

    Revenons sur le Sel qui est ce qui nous importe le plus dans cette tude qui prtend traiter de la psychologie humaine. Le sodium, en chimie, est reprsent par le symbole Na. Or, le mot provient de Ouadi (eau) Natrum (sel), en gypte, o se trouvaient les salines du Roi Salomon, qui possdait un sceau (scel est utilis dans lex-pression sceller la bouche ). Cette symbolique se retrouve dans la crmonie du baptme chrtien, avec le sel au pouvoir ign (cest--dire qui a les caractres du feu), que lon met sur la langue o il se mle leau de la salive.

    Le Sel est donc le lieu o le Soufre sunit la Terre. Dans lAntiquit, il tait plac avec le Feu (le Soufre) au centre dune clbration dalliance ; cette alliance de lHomme avec ses fondements, le Divin et sa propre ralisation. Mose na-t-il pas accept une Alliance avec son Dieu ?

    Imaginons un anneau tel celui de Saturne. LHomme serait lin-trieur. Le Feu, le Divin, serait lextrieur de lanneau, faisant pression sur lHomme. Le Mercure, la matire, serait la sphre centrale, compacte, faisant galement pression sur lHomme. Le Sel, lHomme, serait ainsi situ entre ces deux forces opposes et complmentaires, Divin lger et matire lourde se disputant (sym-boliquement parlant) la place. La Vie, cest cela : un choix perma-nent entre la rification et la libration. Lhomme est un cur qui bat au rythme de lunivers : expansion-compression nouveau, nous retrouvons la symbolique du Yin et du Yang.

    LHomme est la charnire du visible et de lInvisible, de la matire et de lEsprit, destin spiritualiser son corps et corporiser lEsprit, se lincorporer dans la Transcendance. Lon ne peut se raliser que dans la Sagesse, cest--dire dans lacte juste, la parole juste, la pense juste, lmotion juste. La sublimation ne doit pas tre un dcrochement de la ralit matrielle, mais un lan, une DYNAMIQUE vers et dans le Rel (lEsprit, le Soufre), au sens o lutilise Lacan, et ce par lintermdiaire du symbole. Si lHomme atteint lillumination, il se dtache alors de la matire pour se fondre dans lEsprit : cest le cas des bouddhas et des boddhisatvas, ainsi que des grands mystiques travers le temps et lespace.

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    Lhomme en son alchimie spirituelle

    Du Mercure (Alpha) au Soufre (Omga), lHomme participe, tout au long de son itinraire (le Sel), de lEsprit qui est lAlpha et lOmga. Il nat du mariage du Soufre et du Mercure. Le chemin qui les relie sera parcouru selon un rythme plus ou moins lent, chaotique et cahoteux, selon ses expriences, ses rsistances, ses dsirs gotiques, ses dtachements, ses aspirations

    Ren Gunon, dans La grande Triade, crit : Ds que ltre est parvenu au centre de son tat de manifestation, il est au-del de toutes les oppositions contingentes qui rsultent des vicissitudes du yin et du yang, et, ds lors, il ny a plus ni droite, ni gauche ; en outre, la succession temporelle a disparu, transmue en simultanit au point central et primordial de ltat humain .

    Si le Sel reprsente lesprit humain dans sa psychologie, il nest pas un moteur mais un principe constructeur de la personnalit, de lindividualit, quelle soit divine ou lucifrienne (autre face du divin, Lucifer tant le Porteur de Lumire). LHomme est tel Janus et se construit partir de ses contradictions, de ses accords, de ses schmas, de ses archtypes Il est le Sel de la terre qui fait jaillir les pousses, les plantes, les fruits vers la lumire, suivant un cycle diffrent selon les espces.

    Le sens de lHomme est daller des tnbres vers la Lumire, de quitter le plan symbolis par Satan, la matire, qui lentrane vers la chute, cest--dire la perte de son identit consciente, pour tendre vers le Spirituel qui le fait approcher de la Connaissance, de lEsprit auquel il participe, de lAmour universel (Soufre).

    Ainsi, lors de toute initiation, cest--dire lors de toute prise suprieure de conscientisation, le Mercure est dlaiss au profit du Sel et du Soufre. La matire prochaine remplace la matire premire , disent les hermtistes. Le vouloir humain (Sel) sallie lEsprit (Soufre) pour vaincre le destin, la fatalit (Mercure), je dirais plutt le Karma, dans son sens exact et non dvoy en fatalit. Vivre chaque instant sans ressasser le pass et sans fantasmer sur un avenir imprvisible

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    Lhomme en son alchimie spirituelle

    Lhumain est la cl du cosmos, quil sagisse de notre terre ou de nimporte o dans lunivers. Le pentagramme pythagoricien est form dun compas et dune querre entrecroiss : lhomme est bien dans une position dynamique, la jonction du matriel et du Spirituel. Ce Sel est rfr lHomme constamment et tmoigne de son aspect duel puisquil peut gurir certaines maladies mais que son excs provoque des consquences dsastreuses : les Romains en rpandaient sur les villes quils avaient conquises, Sodome il est symbole de mort ; alli leau, aux aliments, il en dveloppe le got ; en trop grande quantit, il provoque amertume et dgot. Ainsi, chacun doit trouver SA voie du milieu et trouver le sens de sa propre existence, lHomme veill tant entre ce qui est en haut et ce qui est en bas (Cf. Le Kybalion).

    Nombre de rfrences au Sel donc lHomme sont releves dans lAncien et le Nouveau Testament (Gense, Lvitique, Nombres, Marc, Matthieu). Il est important de savoir si lon est manipul par les symboles, si on les subit ou si on les utilise comme outils de conscientisation. En effet, la comprhension dun symbole est plus ou moins complexe selon le degr dvolution de chacun. Il est le moyen d apprivoiser les dieux travers linconscient collectif.

    Trs schmatiquement, nous pouvons dire que lHomme possde en lui trois niveaux :

    - le MOI conscient, celui de la reprsentation, de lexotrique ;

    - le SURMOI, subconscient, celui de la dynamique, transitoire ;

    - le A, inconscient, celui de lhermtique, de la mtaphysique, sotrique.

    C. LA PSYCHOLOGIE ALCHIMIQUE

    1. Le cheminement : luvre au Noir

    Nous partons de notre incarnation pour aller vers une Renais-sance. Il ne sagit pas dtre dlivrs du mal mais de nous

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    Lhomme en son alchimie spirituelle

    transformer intrieurement, de raliser notre volution, voire notre rvolution. Nous sommes responsables des choix que nous faisons, et nous pouvons, au lieu dtre victimes de notre condi-tion, de notre conditionnement, nous librer progressivement de nos rsistances, de nos handicaps mentaux, psychiques, physiques, nous arracher la lourdeur pour nous allger en devenant or ou diamant. Mais nous ne devons jamais couper le fil dAriane qui nous relie la matire et notre perception des phnomnes, au risque d chapper dans la folie, le dlire, lhallucination. Dlivrer lesprit par la matire en dlivrant la matire par lesprit nest pas tche aise.

    Nous navanons pas dun pas gal mais avec des moments der-rance, des trbuchements, des arrts, des acclrations, car une route droite et sans obstacles ne mne nulle part. Cela peut impli-quer de la lenteur, des rythmes irrguliers, mais qui conduisent tous la connaissance de soi-mme. On peut renoncer pour-suivre la route, prendre des sentiers de traverse, ou poursuivre sa direction. Chaque fois que nous sommes un carrefour, il faudra choisir. Chacun, selon ce quil est, ce quil dcouvre, ce quil aban-donne, poursuit sa voie, initiatique ou non, rvlatrice ou obscur-cissante. Nous allons de morts en renaissances constamment. La srie dpreuves quil faut subir et dpasser correspond au solve et la putrfaction : limprgnation se fait progressivement.

    Nous passons tous par des phases de doutes, dhsitations, de souffrances, dincomprhensions, de rvoltes violentes mme, dobstinations butes, de fantasmes, de dsirs illusoires o nous nous fourvoyons. Mais, si nous sommes authentiques et que nous dpassons vraiment notre ego (il ne sagit pas de le dtruire !), que nous lchons du lest, nous pouvons comprendre au sens spirituel du terme et la paix se fait en soit, laccord devient juste. Il est plus facile de chuter que de progresser, mais, en fait, litinraire spirituel naccepte aucune compromission : ce nest pas de la rigi-dit mais de la rigueur.

    Le premier but est de renoncer, non SOI mais MOI. Cela peut impliquer un certain nombre de descentes en enfer ! Une libert

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    croissante peut alors tre ntre. Cest Alice qui passe de lautre ct du miroir ou plutt qui descend dans un puits : tout au long de sa chute, des objets, des confitures, des tentations, risquent de retenir son attention, mais elle se laisse tomber jusquau fond, suivant Maitre Lapin dont la montre gousset scande le temps. Alors seulement Alice dcouvre le Pays des Merveilles. Le premier bout de chemin sachve, de nouvelles preuves savancent pour luvre au Blanc, et Alice nen a pas fini avec les difficults int-grer et rsoudre.

    Cet itinraire qui conduit la prise de conscience est une recherche de son propre quilibre, constitu de moments toujours diffrents mais dont la succession peut devenir harmonie. Le chemin est pre, difficile, solitaire, et la moindre chute peut effacer des annes de progrs : ainsi, mentir une fois met bas dix annes de non mensonge. Commencer par saccepter soi, saccorder avec soi, est le commencement du bonheur , si lon entend par l que le mot sous-tend les notions de libert, de dtachement, de sagesse active, de joie intrieure tranquille, de conscience de lombre et de la lumire, du bruit et du silence, du spirituel et du temporel unifis. Lcher prise permet de quitter le dsir de possession, davoir, pour tendre vers ltre vrai, la ralisation de soi. Le musicien en herbe achve de rciter ses gammes pour jouer toujours mieux de son instrument, mais lart avec lequel il en jouera lui sera spcifique.

    La dmarche de lHomme est lie la rsolution de ses conflits intrieurs, de ses contradictions, apparentes ou relles, en appre-nant connatre son vouloir, ses dsirs, sa dualit, pour tablir une rconciliation de son tre. En effet, nous ne pouvons disso-cier en nous le physique, le psychique, laffect et le spirituel, car ils sont en correspondance et en interdpendance permanente.

    On le voit, pour prendre un exemple simple, dans les somatisa-tions qui sont autant de symptmes physiques, de passages au corps , rvlateurs de dsquilibres psychiques plus profonds mais cachs, cachs aux autres mais surtout soi-mme. Il est donc important de supprimer le dualisme de nos pulsions, dunir

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    ce qui est pars, afin de soigner le corps, certes, mais aussi lme et lesprit. Toute maladie est le symptme dun dsquilibre quel quil soit.

    Renoncer vouloir prouver quoi que ce soit, tant aux autres qu soi-mme, se fait dans le renoncement et le silence du mental, de laffect, de lagir, du dire, tout en les reconnaissant en soi. Sinon on aboutit aux mmes dsastres : le non-dit peut tuer autant que la parole. Il sagit dabolir les prjugs qui sont source de tant dincomprhension, daberrations. Connatre et non plus simple-ment savoir , ce nest pas seulement croire, se situer dans la foi, mais VOIR ce quil y a dans notre athanor, dans la matrice vivante de nos transmutations possibles, pour y trouver notre Graal, lutel. Quitter la religiosit, puis le religieux, vers une puration de lme ayant dpass les passions, pour tre dans une ouverture sur le Spirituel, et, disons-le, le Mystique.

    Sauf cas exceptionnels, la connaissance se fait peu peu, tel laveugle qui apprend se familiariser avec les objets sans les ap-prhender immdiatement dans leur ralit : si laveugle pense que tel objet, plat et rond, est une montre, il mettra davantage de temps pour dcouvrir que cest un galet ou autre chose.

    Nos a priori nous aveuglent : nous croyons savoir mais nous ne savons pas vraiment. La Connaissance vient donc progressivement, dans lacceptation, le mnage que nous faisons en nous, la relati-visation de ce que lon croit important et qui ne lest pas, et de ce que lon croit sans importance et qui peut tre fondamental. Cest par le dpouillement de toute ide reue que lon peut avancer, construire, avec des matriaux nouveaux, plus solides, plus neutres aussi. Cest par la souffrance traverse, la persvrance, voire lascse, quon accde au bonheur, loin des plaisirs phmres et mme des joies trompeuses.

    Le cheminement est la fois une Qute personnelle et commune, parallle celle dautres humains : nous avons un Karma indivi-duel mais aussi un Karma collectif.

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    2. Le renoncement : uvre au Blanc

    Il est crit dans lvangile de Matthieu et de Marc : Si quelquun veut venir ma suite, quil renonce lui-mme . Dans celui de Luc : Quiconque parmi vous ne renonce pas tous ses biens ne peut tre mon disciple .

    Le renoncement nest donc pas seulement dordre matriel : re-noncer quoi ?, mais aussi dordre spirituel : renoncer qui ? Cela ne signifie pas quil faille refuser tous les biens notre disposition mais cela veut dire quil ne faut pas y tre attach : on peut tre riche et ne pas tre encombr par ses possessions , tre pauvre et tre obsd par le dsir daccumuler honneurs, reconnaissance, biens de toutes sortes Le renoncement cest labandon de ses divagations, le dpouillement, le dsencombrement, afin de pou-voir passer par la petite porte de Jrusalem.

    Je voudrais rappeler ici que lon ne peut renoncer qu ce que lon a pu possder ou dsirer possder. Cest pourquoi, certains matres orientaux nacceptent de disciples que lorsque ceux-ci ont dpass la cinquantaine, car alors ils savent pleinement ce quils quittent. Renoncer est, en effet, un acte volontaire, et non une rsignation ; cest une acceptation dtre, un consentement au Soi. Charles de Foucauld disait : Tant quun renoncement nest pas total, il peut recouvrir en ralit, dans une illusion extrmement subtile, un renforcement de lattachement soi dans la partie de nous-mmes que nous avons exclue du renoncement . Et ce nest pas la psychanalyse qui le dmentira !

    Renoncer est un moins pour un plus, dans la quitude, la douceur, la force tranquille de ltre. Nulle astreinte mais un don de soi, dpouill du moi ; la joie de recevoir tout ce qui advient mais non de prendre. Tel est le secret de la libert intellectuelle, morale, psychologique, physique : ce nest certes pas de lindiffrence mais un refus de possession.

    Nous ne demandons pas, mais nous recevons. La volont nentre pas en jeu mais la disponibilit active. Cest un engagement personnel

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    de non accaparement, de vritable tolrance, en admettant les faits, les tres et les choses tels quils sont, sans jugement tout en sachant dire non et ne pas accepter linacceptable, ne pas admettre linadmissible , nattendant rien, nexigeant rien, sachant se situer au juste milieu de son tre. Les liens tisss avec les autres sont alors dtendus, lches, permettant la distanciation, la non projection de ses fantasmes en eux, labsence de transfert de dpendance, lAmour prdominant sur laffect, le sentimental.

    Pouvoir devenir comme la terre que fconde la pluie, sans vouloir tout prix que la pluie vienne : la boire, labsorber quand elle tombe, mais savourer aussi le soleil quand il rchauffe : il ne sagit pas de fatalisme, de dmission ou de passivit, mais, au contraire, comme dirait Gide, dagrment. La transmutation est alors amorce : lhomme transforme ses pulsions, ses passions, ses illusions, les mtaux vils de son psychisme, en or de plus en plus pur : laura des veills est souvent dor ; la mandorle figurant dans les iconographies orientales et occidentales manifeste la vibration de ltre, le corps thr, subtil, de plus en plus arien, lger, imperceptible. Lessentiel est invisible pour les yeux , disait Saint-Exupry, et cette courte phrase peut saccorder plusieurs niveaux de lentendement ( Que celui qui entend entende , disait Jsus). Essence et existence sont indissociables.

    Dans Le Kybalion, il est crit : Le vritable initi, connaissant la nature de lUnivers, se sert de la Loi contre les lois, du suprieur contre linfrieur, et par lArt de lAlchimie, il transmute les choses viles en des choses prcieuses ; cest ainsi quil triomphe .

    Nous sommes nergie dans un Univers dnergie, et cette nergie, cest nous de lutiliser selon chacun ; nous puisons tout autant dans lnergie cosmique quen nos propres ressources gntiques, biologiques, familiales, karmiques, vnementielles, professionnelles, spirituelles, pour nous construire. Mme les dconstructions sont ncessaires pour une plus belle et plus forte reconstruction, sachant que TOUT EST IMPERMANENT. Nous sommes en devenir, mais dans un devenir o notre responsabilit est engage tout instant.

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    Nous devons donc apprendre nous mettre en accord avec lUnivers, voire avec la musique des sphres, ne pas rsister aux vrits, faire silence, recevoir les cls et les placer dans les serrures correspondantes, tre une note de la partition mais cette note pourtant. Nous runissons en nous-mmes tous les lments du microcosme et du macrocosme dont nous sommes charnires. Chacun doit chercher en lui-mme ses potentiels, ses handicaps, ses aspirations relles et non fantasmatiques, comme autant doutils pour construire, crer luvre dart que peut tre sa vie. Et cela se fait par lintermdiaire de toutes les oprations alchimiques que lon peut observer dans la Nature tout autant qu lintrieur de soi.Consentir mourir soi-mme pour ressusciter, cest accepter la relativit de ce qui nous advient et savoir que notre transformation est permanente. Ce nest pas seulement une suite de mues mais un ensemble de morts, de deuils, de doutes, pour une nouvelle vie, une nouvelle esprance, une nouvelle Connaissance : La vraie libration, cest la libert intrieure dune vrit crative , disait Krishnamurti. Ce quittement permet de faire son deuil en sinscrivant dans le rythme des lments, en se fondant dans les nergies, et dtre disponible, confiant, conscient et responsable.

    Renoncer, cest ne plus tenter de retenir le sable dans ses mains entrouvertes (et la destruction du mandala, aprs des journes defforts pour le crer, en est un magnifique tmoignage), cest abandonner son ego afin de laisser la place vacante autre chose, cest lcher sa nvrose autodestructrice qui nous dchire, nous cartle, pour se livrer la Vie, sans passivit non plus que vouloir. Nous considrons nos fantasmes comme essentiels alors quils ne sont que des leurres. Se dgager, faire le mnage (vous connaissez tous lexpression : avoir une araigne dans la tte ?), permet de percevoir que le sens de notre vie est de rvler ce que nous sommes dans linterdpendance avec les autres. Chacun est important et ncessaire au Tout.

    La Qute initiatique, spirituelle, psycho-analytique, nest pas une recherche perdue daccomplissement de dsirs, de rves, de chimres, mais labandon sa vraie route. Cest un paradoxe de dire quil faut renoncer son vouloir pour mieux raliser son

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    destin , et pourtant cest ainsi. Et quand on comprend que TOUT EST PARADOXAL et que cest ce qui donne une dynamique lunivers, on comprend galement la ncessit de rintgrer son unit. Dailleurs, la thorie alchimique traditionnelle est celle de lunit de la matire (ainsi, lor, symbole de puret absolue, dEsprit immortel, a une structure atomique proche de celle du mercure).

    3. La recherche de lquilibre : luvre au Rouge

    Le rouge symbolise lEsprit fondamental primordial. En tibtain, les mots rouge et trois se disent de la mme faon : M. Nous ne sommes plus dans la dualit mais dans la triangulation Elan Vital / Sens de lHumain / Chemin vers lveil, afin de parvenir leur unification. Le travail alchimique nest donc pas dordre intellectuel mais dordre psychique, en une recherche dynamique, loigne de tout statisme. Lquilibre ne sera jamais un tat atteint, acquis (nous nous retrouverions encore dans le lourd, lavoir), dfinitif, mais un moment essentiellement phmre o des ples apparemment contradictoires se coordonnent.

    La fluidit du sang, lther du feu et le sublime de lAmour Agap (et non seulement Eros), se conjuguent. Il sagit donc dun tat-action de plnitude phmre qui peut ou non se renouveler sous une autre forme, en une autre manifestation. La pleine conscience de ce qui nous entoure et de ce qui est en nous peut alors devenir un tat, sinon permanent (nous ne sommes pas, hlas, des boddhisatvas !), mais du moins de plus en plus frquent.

    Ainsi, les Quatre Nobles Vrits du Bouddha (constat de la souffrance, recherche de sa cause, conscience quelle peut tre dpasse, voie suivre pour le permettre) rsument le travail accomplir pour un plus grand bien-tre au sens plein du terme. Cest un travail thrapeutique car, en fait, si lon pouvait admettre la notion de pch originel , il sagirait des maladies psycho-affectives qui nous freinent dans notre volution et nous donnent lillusion dexister grce la souffrance mme : on nen sort plus

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    Jaimerais citer nouveau Le Kybalion : LEsprit, de mme que les mtaux et les lments, peut passer dun tat un tat diffrent, dun degr un autre, dune condition une autre, dun ple un autre ple, dune vibration une autre vibration. La Vraie Transmutation Hermtique est un Art Mental . Il est bien entendu que mental ici nest pas intellectuel . LEsprit na, en effet, rien voir avec lintellectualisation ; il dpasse notre entendement car il est bien au-del de la matire. Cela ne nous empche pas de lapprhender, de le ressentir et daspirer ainsi un dpassement de nous-mmes, sachant que nous sommes perfectibles et que nous travaillons Matire et Esprit afin de nous raliser. Les Francs Maons prnent la vertu du travail et le polissage de la pierre : ce nest videmment pas dans le sens littral du terme, mais dans celui du travail incessant que chaque tre doit faire, de sa naissance sa mort physique, pour samliorer et approcher la Connaissance. Nous nous crons sans cesse : notre purification intrieure ne se fait pas de faon tranquille, rgulire, mais de manire souvent confuse, avec des rgressions, des luttes, des erreurs, des dsesprances Nous sommes impermanents et existons dans limpermanence.

    La Qute, devenue mystique exprimentale, tension souple vers lAbsolu et la si lointaine Illumination, dans un dpassement de la mortalit apparente qui nous conduit aux portes de la nuit, celles de lternel Retour, implique de choisir de mourir au moi illusoire des passions. Ce choix est dfini par la Conscience et la Sagesse, une forme dhyper-lucidit (je pense, l encore, lenseignement de Krishnamurti). Cette sagesse nest pas une morale non plus quune philosophie, qui demeureraient dans le seul domaine de lintellect, mais un tat ontologique (lontologie tant, en mta-physique, ltude des tres en eux-mmes, indpendamment de leurs attributs singuliers et de leur apparence) rajuster constam-ment, affiner, parfaire, qui est du domaine de la Connaissance.

    La Sagesse nest donc pas un tat constant de plnitude parfaite et de passivit un peu blase ; cest un tat actif conscient, en une vision raliste et libratrice du monde ; cest une synthse qui se ralise en fonction de soi et de ses propres contraires ; cest

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    la finalit dtre son axe et de fluctuer en fonction de cet axe solide, invulnrable : les plateaux de la balance sont mobiles mais le flau est immuable. De la mme manire, le corps se meut autour de laxe central quest la colonne vertbrale. Lquilibre est la dialectique entre tous les lments contraires qui constituent notre tre. Cest en fonction de soi, de sa propre identit, que se ralise lpanouissement en tant quindividu et en tant qutre social.

    Exister selon ce que lon est et selon ce que sont les autres, cest conjuguer les joies de lesprit et celles du corps, vivre intensment et savoir vivre abandonn, aimer et tre aim, se connatre sans concessions pour mieux se trouver et saccepter tel que lon est et non selon un idal du moi compltement virtuel. Cette libert dtre permet laccord de soi soi, de soi au monde et lon peut transformer lorgueil en simplicit, lenfermement nvrotique en ouverture et en libert intrieure, la lchet en courage. La recherche de cet quilibre en nous est un itinraire qui se poursuit la vie durant, permettant dtre davantage heureux , sage, calme sans tre teint, libre sans tre non concern. La condition essentielle est dchapper aux trois poisons que sont lattraction, la rpulsion et lindiffrence.

    Nous avons nous situer entre Yin et Yang, forces centrifuges et centriptes, selon ce qui est bien pour soi, et que lon apprend mieux apprhender avec les annes qui passent et le Temps qui acquiert une plus grande dimension. La vie prend alors tout son sens et lon apprcie de vieillir . Lalchimie, cest le sens de la vie mme, la transformation de nos indigences en richesses, sachant que celles-ci ne nous appartiennent pourtant pas Nous allons de dcouvertes en dcouvertes et, si luvre est bien accompli, on parvient un dconditionnement progressif et au dpassement de tout dogme. tout instant, lon doit choisir en confiance et lucidit, sans parasitage de nos projections. Nous pouvons ce moment l transcender les notions de comparaison, de comptition, didentification, les faux semblant, les prjugs, les idologies, les rapports de force tant vis vis de soi-mme que des autres.

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    La Qute est la vie mme : chacun sefforce de trouver un accord entre les temps de labeur et ceux de repos, entre la lumire et les tnbres, le bruit et le silence, lEsprit et la Matire (il nest que de relire le trs beau texte de LEcclsiaste pour sen convaincre). Le kalidoscope de sa vie sera dautant plus riche que lon y aura mis davantage dlments : tout dpend de ce quoi lon aspire et de ce que lon parvient tre. Se librer, cest devenir disponible sans se faire vampiriser, cest transformer le plomb lourd en or lumineux, langoisse existentielle en vision confiante de la ralit.

    La conjugaison des forces qui nous constituent et qui constituent nos socits stablit sur un mode personnel qui varie selon les individualits. Nous vivons selon notre monde intrieur infiniment solitaire et selon le monde environnant constitu par toutes les autres solitudes : chacun dy trouver sa place la jonction de la vie individuelle et de la vie sociale.

    Savoir donner et savoir recevoir sont des comportements essentiels si lon veut que lensemble des quilibres atteints le monde est une vastitude cologique constitue une trame solide dans laquelle on puisse spanouir aussi bien dans les joies que dans les souffrances, sur les chemins aiss comme face aux obstacles : tre du monde sans tre dans le monde permet datteindre ltat de bienveillance et de compassion pour tous les tres, mais sans volont dlibre de donner ni dattendre. Cela se fait, cest tout

    CONCLUSION

    Le travail initiatique se droule selon les lois alchimiques :

    - du Rebis, Matire des Sages, dans la premire opration de luvre et qui est constitu par les lments mle et femelle, les deux aspects diffrencis du Mme ;

    - de lElixir ou esprit anim, dans la seconde opration de luvre ;

    - de la Teinture, dans la troisime opration de luvre, rendant parfaites les choses imparfaites.

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    Psychologiquement et spirituellement parlant, cela demande :

    - une analyse de soi pour chercher une conscientisation toujours plus ample ;

    - la dcouverte de linconscient et de ses diffrents plans de pro-fondeur ;

    - lutilisation de cette dcouverte afin de comprendre par intui-tion et non par intellectualisation nos rapports aux autres et soi-mme. Cela se ralise travers de multiples preuves et nombre de combats ;

    - laide dun accompagnateur (matre, contrleur, sage, guide, thrapeute) afin de suivre la bonne voie : la sienne ! et non celle qui serait dicte de lextrieur.

    Le psychique est un bon outil dynamique au service de la matire, du conscient, du spirituel. Cest une force vitale servant de lien depuis notre conception jusqu notre mort, voire de nos conceptions jusqu nos morts.

    La loi de cohsion rythme notre vie et lon peut lassocier celle de cause effet car il sagit de :

    - la cohsion, principe de lattraction molculaire ;

    - laffinit chimique, principe de lattraction atomique ;

    - la gravitation, principe de lattraction universelle.

    Nous vivons selon les quatre lments de la faon suivante :

    - Le corps est associ la Terre des excrments, la glaise brute ;

    - Le cur est associ lEau des larmes, de la sueur, du sang ;

    - Lme est associe lAir des rves, des fantasmes, du souffle ;

    - LEsprit est associ au Feu des fivres, de la sexualit, de lmotion.

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    Le Verbe est Substance et Structure de lUnivers. Il rgit tous les principes dits hermtiques que nous avons voqus dans cette pr-sentation et que Le Kybalion rsume ainsi :

    1. Principe de Mentalisme

    2. Principe de Correspondance

    3. Principe de Vibration

    4. Principe de Polarit

    5. Principe de Rythme

    6. Principe de Cause Effet

    7. Principe de Genre

    Jaimerais rappeler, pour mmoire, les grandes lois thosophiques pour montrer combien elles reprsentent le lien entre lOccident et lOrient et sont adaptes notre propos. Ce sont :

    - Le Principe divin est lIntelligence/Sagesse ;

    - La Vie volue et tend vers lHarmonie ;

    - LUnivers est matire et Esprit ;

    - La Connaissance sappuie sur le savoir et la dmarche spirituelle ;

    - Le but est de connatre les grandes lois de la Nature ;

    - Linteraction entre les diffrents niveaux de conscience spirituelle est le sens de la vie ;

    - Le Soi est li tous les autres tres vivants ;

    - Forces du bien et forces du mal agissent dans linvisible, lext-rieur comme lintrieur de nous ;

    - La loi du Karma nous rgit.

    Les alchimistes ont mis en vidence que la matire tait indiffrencie, indtermine, commune tout lUnivers : cest seulement la forme qui apparat individualise. Cependant,

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    le sens de notre humanit nous rend capables deffectuer des modifications de structures molculaires lintrieur de nous, tant sur le plan physique que sur le plan psychique et spirituel, et, de rares exceptions prs, dans le cas dtres exceptionnels, cette procdure est imparable, incontournable. Dans luvre au Noir, nous partons du chaos initial pour passer par la dcomposition des lments (solution, sparation, division, putrfaction), puis nous tablissons lunion des contraires, nous procdons la runification de nous-mmes, prcdant une mort symbolique, la dissolution et lillumination. Luvre au Blanc est ltape de la purification et luvre au Rouge celle de llvation. Tout tant fait pour nous rconcilier avec nous-mmes et chasser lignorance dans laquelle nous errons, dupes de nos illusions.

    La ralisation, cest trouver un juste milieu entre le Mercure, principe fminin, et le Soufre, principe masculin, pour devenir lAndrogyne, la Pierre philosophale qui se trouve en chacun de nous, sachant quapprendre nest pas comprendre et que savoir nest pas connatre. Nous sommes le Sel en qute de perfection. Lveil est au-del de lide mme de perfection : il est le lieu du Sublime et de la Transcendance, le mal tant le bien non encore transform car le Mercure est la substance transformante , la matire o sinscrit lEsprit en sommeil.

    Que lon adopte un rythme primitif , harmonique ou dodcaphonique, toutes les formes de recherche de beaut dans luvre musicale quest la vie, sont, a priori, valables selon ce que lon veut vivre et selon ce que lon recherche. Que lon choisisse de vivre comme Narcisse ou comme Goldmund, les deux hros de Herman Hesse (deux jeunes amis prennent des voies diffrentes : lun choisit la voie sche, lasctisme ; lautre saventure dans la voie humide dune vie dsordonne. Se retrouvant des annes plus tard, ils constatent quils en sont arrivs des stades quivalents), lquilibre sera certainement, des degrs divers pour chacun, dans lunification interne de nos dualits, la transformation de nos dsirs contraires ( je voudrais mais le ne veux pas ), de nos conflits personnels et sociaux, ltablissement de distances et de rapprochements de soi soi, de soi aux autres et de soi lEsprit.

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    TRE AU MOMENT JUSTE, AU JUSTE ENDROIT, cest tre au droit, au fil plomb de sa vie. Et alors, mais alors seulement, nous pouvons appliquer la maxime de lAbbaye de Tlesme : Aime et fais ce que vouldras .

    Terminer sur quelques citations permet de remettre ce travail sa juste place, perdue au milieu de multiples recherches sur lHomme. Patrick Lebail a dit : Cest dans la douleur et la dsesprance quclate souvent la libration , do lutilit des crises comme le prcise Christiane Singer car elles permettent nos dfenses de tomber plus vite. Il dit aussi : Enseigner le Soi, cest faire dsapprendre : dsapprendre nos certitudes rassurantes, nos a priori, nos rsistances confortables mais en fait trs insatisfaisantes, nos mensonges en toute bonne foi, notre orgueil qui cache nos peurs, nos visages aux masques durcis force de ne pas stre dmaquills, nos rires cyniques pour ne pas admettre notre insuffisance, nos culpabilits obscurcissant nos agressivits retenues. Et Jean Sulivan de prononcer ces superbes paroles dont tout travail sur soi doit sinspirer : chacun de transformer les blessures en points dinsertion pour des ailes .

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    Les cls de lOrient

    Les cls de lOrient

    Dans le numro 3 de 2011 de la revue, nous avons publi le premier chapitre

    de cet uvre magistrale que Saint-Yves dAlveydre consacra aux Mystres de la naissance 1.

    Le deuxime chapitre de Clefs de lOrient traite des Sexes et de lAmour. En 1877, voil un intertitre qui na pas d passer inaperu si lon sait les tabous qui tournaient alors autour de toute vo-cation de sexes, en une socit pudibonde, frileuse et hypocrite. Mais l, dans les hauteurs o se plaait Saint-Yves, nulle malheu-reuse quivoque ne saurait tre entretenue car nous sommes dans un contexte religieux, entendre bien entendu dans le sens que nous lui donnons habituellement dans nos milieux sotriques. Qui dailleurs est tout bonnement le sens tymologique.

    Dentre de jeu, Saint-Yves met laise ses lecteurs quand il crit :

    La question religieuse des Sexes et de lAmour est rserve dans le Christianisme, celle des Sexes dans les Mystres du Pre, celle de lAmour dans les Mystres du Saint-Esprit.

    Et il sempresse dajouter :

    Dans la primitive glise, ces Mystres taient lobjet dune ins-truction suprieure, dune vritable Initiation.

    De fait, il faut avouer que ce chapitre et les ides que Saint-Yves dAlveydre y dveloppe paraissent quelque peu gnantes. Trs vite, on se trouve confront des notions philosophiques assez rtrogrades en cela que notre auteur, conforme certains schmas vulgariss par les glises issues du monothisme primitivement introduit par Mose et par la Gense, semble reconnatre la suprmatie de lhomme sur la femme.

    Par Yves-Fred Boisset

    1 Extrait de mon essai : Saint-Yves dAlveydre, une philosophie secrte, d. Dualpha, 2005. Les commentaires sont de ma modeste plume.

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    Les mystres du mariage et de lamour

    Or, ne le voil-t-il pas pris en flagrant dlit de contradiction quand on se souvient du culte quil portait lencontre de son pouse, Marie-Victoire de Keller ? Si lon en croit les termes dans lesquels il parlait de celle-ci, on pourrait en dduire quil la considrait comme sa matresse, dans lacception vritable et ancienne de ce mot qui, avant de sombrer dans le quotidien des vaudevilles 2, exprimait toutes les qualits spirituelles de la femme et valorisait toute linfluence bnfique quelle avait sur lhomme.

    Pour lheure, assimile la nature nature, aux lments passifs et plastiques de lunivers,

    la femme, crit Saint-Yves, est lhomme, dans ltat social, ce que la nature est Dieu, ce quune facult est un principe dans nimporte quel point de la hirarchie des activits, ce que la dure est au temps, ltendue lespace, la forme lesprit, la clart au jour, la chaleur au feu, la terre au ciel. ,

    propos qui ne sont pas dnus dune misogynie apparente et qui, de ce fait, sont de nature choquer nos esprits modernes.

    Mais Saint-Yves dAlveydre enchane aussitt :

    Mais pour que la rciproque soit vraie, il faut que lhomme soit pour la femme le reprsentant rel de Dieu, la figure vraie de son image. Sans la Religion, sans lInitiation, cette condition ne peut tre remplie ; et le lien, la force qui unit Dieu et la Nature ne trou-vant pas dans lhomme de support intellectuel et moral suffisant, laisse le mariage et les foyers, les unions et les gnrations, aban-donns au hasard, linconscience, lignorance et la faiblesse ontologique qui en rsulte.

    La pense primitivement abrupte expose dans ce chapitre volue prsent vers une complmentarit des sexes.

    2 Dans le thtre franais, matresse na pas le mme sens chez les auteurs classiques, tel Molire, par exemple, que chez des auteurs modernes comme Feydeau ou Sacha Guitry.

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    La pense alveydrienne volue tout au long de ce chapitre. Parti de la hirarchisation des sexes, le fminin tant, de facto et de faon arbitraire, infrieur au masculin, on remarque, au fil des pages, une avance vers des raisonnements plus nuancs.

    Saint-Yves observe avec infiniment de sagesse que :

    dans certains pays dEurope et ailleurs, la question fminine, agite au point de vue civil et mme politique, donne lieu des confusions qui peuvent devenir aussi prjudiciables la paix des Foyers, au repos de la Cit, quau bonheur rel des femmes.

    La Cit et ltat, les choses civiles et politiques, sont le triste apanage de lHomme, et il ne se le verrait momentanment disputer que pour le ressaisir tt ou tard, en accablant du poids de ses droits le Sexe mal inspir qui en aurait revendiqu le fardeau.

    Notons, pour mmoire, que cest, douze ans plus tt, en 1865, qutait n en Angleterre le Mouvement des Suffragettes dont les militantes revendiquaient le droit de vote, ce qui, lpoque, nallait pas de soi. Saint-Yves dAlveydre y voyait-il une contradiction avec la mission spirituelle de la femme ?

    De nos jours, le problme ne se pose plus. Mais il nest quand mme pas interdit de penser que les femmes qui accdent des responsabilits civiles et politiques (ou simplement des responsabilits sociales) devraient se garder de caricaturer les hommes en imitant leurs manires intransigeantes et en pousant leurs solutions bien trop souvent empreintes de cette inhumanit qui caractrise les rapports sociaux. En un mot, on ne leur demande pas de reproduire et de perptuer les imbcillits et les impostures dont les hommes se sont rendu coupables depuis quils ont le pouvoir, mais on attend delles autre chose, quelque chose de plus humain, quelque chose de plus spirituel aussi. La femme nest pas lunivers de lhomme, comme le disait le pote Louis Aragon, mais lavenir du monde , ce qui nest pas la mme chose.

    Lhommage que Saint-Yves dAlveydre rend la femme dpasse pourtant tout ce que certains dmagogues ont pu dire jusque l.

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    Les mystres du mariage et de lamour

    Lisez plutt :

    Dans le Foyer, dans la Famille, dans la Civilisation, dans lconomie organique de la Vie, la femme, comme Hevh dans le nom du Pre, comme la Nature dans la Constitution de lUnivers, nest pas la moiti, mais les trois quarts du Principe masculin.

    On pourrait par jeu rapprocher cette interprtation de la pense alveydrienne de cette remarque du biologiste franais Jean Rostand (1894-1977) 3 qui crivit un jour en substance que sil est vrai que, dans lembryogense, le pre et la mre prenaient une part priori gale, il nen demeure pas moins que lapport de la mre est en vrit plus important du fait des relations privilgies que, durant toute la gestation, elle entretient avec le ftus.

    Gnratrice et conservatrice de la vie, crit Saint-Yves, des arts, de la civilisation, gardienne des gnrations, investie par la Nature de lautorit de substance, cest dans cet ordre quelle peut souhaiter, pour son bonheur, pour celui de lhomme et de ltat social tout entier, de rentrer religieusement, par lInitiation, dans tous ses droits, daccomplir tous les devoirs que comportent ses Facults.

    Saint-Yves conclut ce chapitre sur ces considrations marques du sceau de la plus pure spiritualit, loin des tabous de la cit et des jugements lmentaires des individus ordinaires. Il nignore pas que tout homme a en lui une femme qui est son ange gardien, sa protectrice, son me sur vritable, la voix de sa conscience, le lien qui lunit la fois la terre et au ciel .

    Juliette est dans Juliette, aussi dans Romo !

    3 Fils dEdmond Rostand, crivain franais (auteur de clbres pices de thtre en vers Cyrano de Bergerac , Chantecler , LAiglon ), Jean Rostand consacra sa vie la parthnogense exprimentale, toutes ses publications scientifiques tant empreintes dun humanisme que lon ne rencontre pas toujours dans les publications de ce genre.

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    Les mystres du mariage et de lamour

    De mme que Saint-Yves dAlveydre fut ladepte dun christianisme clair, il fut celui dun fminisme tout autant clair qui slve bien au-dessus des revendications matrielles qui ne sont certes pas ngligeables mais ne constituent pas lessence des relations entre sexes pour laccomplissement de la Loi dAmour. Nous voil bien loin de ces interminables discussions sur lgalit des sexes qui ne ressortissent qu un faux dbat dont la seule rsultante est docculter le vrai dbat qui concerne les droits de lhomme, tant bien entendu que ceux-ci incluent ceux des femmes. Chacun peut observer que cest dans les pays o sont bafous en permanence les droits de lhomme que les femmes sont le plus maltraites.

    La sexualit et lamour, en dehors des plaisirs phmres quils procurent et des liens merveilleux quils sont aussi capables de tisser, concourent en leur finalit la r-union dans lUnit primordiale et finale de ces deux cts dune mme entit que sont lhomme et la femme. Il y a fort parier que, pour des raisons quil serait trop long dexaminer dans le cadre de cette tude, cette Unit primordiale et finale soit, sinon de nature, du moins dessence fminine. La femme est dans lhomme, ce que lhumoriste a traduit par cette formule lapidaire : lhomme est une femme qui a mal tourne. On ncoute jamais assez les humoristes...

    Le troisime volet de ce triptyque (Les mystres de la mort) fera lobjet dune prochaine publication.

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    Par Jean-Albert Clergue

    Pratique de lakido dans un dojo contemporain.

    La tranquille assurance dune jeune femme, profondment enracine et bousculant son partenaire laide dune nergie puise on ne sait o

    Retour des traditions darts martiaux indispensables au chevalier pour intgrer corps, me et esprit.

    Partout et de tout temps, la matrise corporelle et psychique a prlud la formation chevaleresque.

    Sans elle, ltre ne peut se sentir enracin dans un univers naturel dont il explorera les divers aspects,

    en tentant de manifester ses subtilits travers dautres arts traditionnels trs raffins.

    Cest cette essence que la chevalerie occidentale a oubli et quelle se doit de retrouver pour mieux renatre.

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    UNE CHEVALERIE ACTUELLE ET NON DEISTE ?

    En Occident, lappellation chevalerie est tellement lie la notion de christianisme que, de lenvisager comme non diste , devient de lordre du pire contradictoire, de loxymore.

    Or, dans les articles prcdents, il a t explor quelques formes universelles dun esprit de chevalerie. On a pu constater que celui-ci est souvent indpendant

    dun engagement spirituel de nature religieuse. Englue dans ses contradictions, la Franc-maonnerie pourrait-elle dgager une forme chevaleresque, contemporaine et en plein accord

    avec ses fondements universels, joints aux perceptions de notre temps ?

    REACTIONS ET APPORTS.

    Telle que la accepte la rdaction de la revue LInitiation , la forme de cette srie darticles a lavantage de laisser scouler un trimestre entre deux parutions. Do des opportunits dchanges, des ouvertures possibles, des apports, des prcisions, des corrections ventuelles. La dernire livraison nen fut pas exempte, compte tenu des deux sujets abords.

    La poursuite dune incursion en chevalerie africaine ne pouvait quappeler son largissement. Un aperu autour des Chasseurs du Mand et de leur Charte navait dautre but que dattirer lattention sur un trs vaste continent dont lhistoire antcoloniale est pratiquement inconnue du public. Poursuivant le dialogue avec notre ami Grard Galtier, nous sommes convenus quil faudrait un peu plus explorer du ct des traditions des Peuls du Niger o un concept chevaleresque serait intressant dceler. De mme, travers ces hommes du feu que sont les forgerons et leurs castes particulires. Mirca Eliade les avaient perus comme alchimistes, cultivaient-ils galement des vertus chevaleresques ?

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    Sur le deuxime sujet, relatif quelques aspects et interprta-tions des multiples grades de chevaliers dans la Franc-maonnerie, il tait vident que les changes ultrieurs ne pouvaient tre que vifs et anims. Un consensus se dgageait nanmoins pour recon-natre le fondement chrtien des Hauts Grades. Fondement dans un sens peut-tre plus culturel, dacceptation de la teneur humaine du Message, que de vritable conviction dans une foi ancre au cur des rcipiendaires. Comment alors distinguer entre chr-tien et chrtien , le mme terme dsignant aussi bien les seuls aspects historique, culturel et philosophique, que la plnitude dune esprance personnelle en la divinit rvle ? Et ce nest pas daujourdhui quune telle ambigit smantique se prsente. Elle est permanente, sauf parfois utiliser le vocable de christique , mais tant excr comme aveu dindcision spirituelle, voire marque dhypocrisie individuelle. Il reste aussi la possibilit de nuancer entre les enseignements dun Jsus humain et le Message du Christ fait Homme. Position bien subtile et susceptible douvrir de fort nombreux dbats. Mais ceux-ci sont-ils tents alors quune chape de conformisme, largi au sens de confort intellectuel, semble prolonger un silence plutt consensuel ? Et, dans un tel cas, une authentique chevalerie maonnique, de pleine acceptation de cur et desprit, resterait-elle tre encore envisageable, hors de son contexte fondateur dans une totale essence chrtienne ?

    Pour des chevaliers-maons de pleine conscience et dsirant sortir des ornires actuelles, il faut bien reconnatre limmensit de la tche qui leur incomberait, avant de proposer et dtablir les bases dune telle forme de refondation , non religieuse et non diste. Mais, en notre temps de modernit des communications, dautres voies peuvent tre mises en vidence.

    Il ne sagit nullement de sabstraire dune possibilit dadhsion maonnique, restant essentielle pour parachever tout honnte homme de notre temps, ni de sen soustraire. Il sera plutt vo-qu un regard personnel diffrent sur des modalits de progression et les complmentarits que lon peut en rechercher ailleurs, dans dautres voies, dans dautres lieux ou dans dautres temps tout aussi initiatiques.

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    Esprit universel de chevalerie et thique naturelle.

    Les prsentes tentatives de discerner diverses constantes, sur les-quelles se fonderaient dautres chevaleries quoccidentales et chr-tiennes, rejoignent incidemment les proccupations dune Commis-sion thologique internationale forme sous lgide des autorits vaticanes et un temps dirige par le cardinal Ratzinger, prsent pape Benot XVI. Il se trouve quun de ses thmes de rflexion fut : A la recherche dune thique universelle, nouveau regard sur la loi naturelle (publication Cerf, Documents des glises Paris 2009).

    La Librairie la Procure salua ainsi cet ouvrage : Lthique peut-elle proposer une base commune, universelle, issue de la loi naturelle ? La Commission thologique internationale livre une rflexion importante sur le sujet, et repense le lien entre Rvlation et loi naturelle.

    De son ct, lditeur propose, au futur lecteur, cette 4e de cou-verture : La loi naturelle est la norme de lthique que tous les hommes peuvent dcouvrir en eux, au cur irrductible de la per-sonne humaine, que nous appelons sa nature. Ce nest donc pas seu-lement la constatation empirique de la convergence des thiques qui peut motiver lagir humain, mais la conscience que lthique a un fondement dans lhumanit mme de lhomme, et quelle cre par l des droits et des devoirs tous les hommes.

    Puisque nous prtendons que cette loi existe dans lhumanit de lhomme, elle nest pas inventer, mais dcouvrir, dceler dans les diffrentes cultures humaines qui lexpriment chacune dune manire singulire. Notre travail tente de discerner dans les grandes traditions philosophiques et religieuses de lhumanit le surgisse-ment de cet universel humain....

    Or les dialogues cumniques des cinquante dernires annes ont souvent tourn court, par la prtention dune de leurs composantes de dtenir la vrit rvle, tous les hommes et une fois pour toute. Il y a dans louvrage cit un aveu dhumilit et de volont de repartir sur des bases plus gnrales. La notion de loi natu-relle pourrait savrer mieux fdratrice par la recherche dune sorte dinn dune thique universelle. Ce quun Coup de cur de libraire rsume de faon magistrale :

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    Tous les tres humains peuvent-ils se mettre daccord pour fonder, en raison, les principes universels dun agir juste, tant dans leur vie personnelle que dans lorganisation des rapports sociaux ? Devant la diversit irrductible des civilisations, peut-on aller au-del de convergences minimales et de compromis prcaires ? Dans une approche trs structure, la CTI montre puissamment que lthique a son fondement irrductible dans lhumanit mme de lhomme en revivifiant la notion de loi naturelle, loin des caricatures qui la disqualifiaient nagure. En exposant la position catholique, elle appelle les autres traditions proposer leur propre dmarche vers une thique universelle.

    A la lecture de louvrage, il est souvent plaisant de devoir constater que cette trs respectable commission rejoint, dans sa recherche dl-ments de la loi naturelle , un certain nombre des fondements cheva-leresques universels. Ceux-ci sont issus de notions dune loi naturelle : respect de la vie, patience devant ses preuves, compassion pour les faibles, dvouement au bien commun. Par ailleurs, la rprobation du meurtre, vol, mensonge, colre, convoitise, avarice, etc., considrs comme atteintes la dignit de la personne humaine. A noter, une in-vite aux chrtiens et aux thurifraires de la consommation dbride : une modration dans lusage des biens matriels (p.61).

    Tout ces prceptes formeraient de la bonne chevalerie universelle, si cette Commission thologique ne se voyait dans lobligation de rappeler que : Toute crature peroit la loi ternelle, cest--dire le plan de Dieu sur la cration, et elle participe la providence de Dieu () en se dirigeant soi-mme et en dirigeant les autres. (p.67). Ce que renforce un discours de Benot XVI : La loi naturelle inscrite par Dieu dans la conscience humaine, est un dnominateur commun tous les hommes et tous les peuples Les droits de lhomme sont fonds en Dieu crateur qui a donn chacun lintelligence et la libert. (p.147).

    A partir de cet acte de foi de nature crationniste, il paratrait donc inconcevable que, selon une vision volutionniste, la monte progressive dun tat de conscience, chez les animaux comme chez les prmices dhumains, puisse gnrer les notions de bien et de mal, pourtant naturellement acquises entre la douceur de la caresse et les affres des tortures. Un tel crationnisme rducteur renvoie

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    la chevalerie occidentale entre les illres de sa seule forme chrtienne, voire maonnique. Confirme par la conclusion du commentaire attach au texte : La loi naturelle ne trouve sa vraie mesure quintgre dans la Loi nouvelle de Jsus-Christ. (p. 166). Ce qui en soi est parfaitement acceptable, mais ne saurait convenir des explorateurs de lois naturelles dcouvertes et transmises travers des codes chevaleresques universels, non chrtiens et dtachs de tout priori religieux ou dogmatique.

    En outre, il est une nouvelle fois constat le manichisme dune commission ecclsiale catholique ne sattachant lthique qu travers son seul aspect dme ou de conscience. A aucun moment il nest envisag une thique corporelle, pourtant premier stade de la dcouverte des lois de nature travers le physique et son immersion dans un cadre, que lon qualifierait aujourdhui dcologique, quil lui faut apprivoiser et pouser. Ces perceptions taient pourtant la base de la formation, ds ladolescence, de toutes les traditions chevaleresques extra-europennes.

    TRE DE NOTRE TEMPS

    Pour ceux qui ont vu leurs cheveux blanchirent et mme pour des plus jeunes, les cinquante dernires annes nont t quune avalanche de dcouvertes dans tous les domaines. De latome lespace, dune possible explosion originelle la gense de la vie, de la palontologie aux explorations neurologiques, les scientifiques et autres chercheurs nous ont gts dimages somptueuses prsentant leurs avances et les projections que lon pourrait en attendre. En particulier en matire dvolutionnisme.

    Les balbutiements de Darwin sont dsormais trs largement confirms. Pourtant le concile de la Contre-Rforme, tenu Trente en 1545-63, avait voulu figer le texte biblique dans la Gense, le pch originel et la Chute. Il sensuivit lancrage du ridicule anti-galilisme de 1633. Depuis, lEglise romaine a battu retraite en bon ordre, rhabilitant Galile en 1992 et, dans la foule, Jean-Paul II affirmant de nouvelles connaissances conduisent reconnatre dans la thorie de lvolution plus quune hypothse 1, mais nanmoins,

    1 Intervention du pape Jean-Paul II, le 22/10/1996 devant lAcadmie pontificale des Sciences.

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    lHomme ne saurait tre le produit accidentel et dpourvu de sens de lvolution . Dans tous les cas lme spirituelle, cre par Dieu, ne procde pas par volution. . Dans la mme allocution cite, le pape Jean-Paul II confirme Pie XII avait soulign ce point essentiel : si le corps humain tient son origine de la matire vivante qui lui prexiste, lme spirituelle est immdiatement cre par Dieu (Enc. Humani generis, p. 575). En consquence, les thories de lvolution qui, en fonction des philosophies qui les inspirent, considrent lesprit comme mergeant des forces de la matire vivante ou comme un simple piphnomne de cette matire, sont incompatibles avec la vrit de lhomme..

    Il y aurait donc cration immdiate de lme sur la matire vivante quest le corps de lhomme. Sans vouloir tre impertinent, au sein de notre arbre aux singes, quel stade Dieu eut-il la bonne ide de venir greffer une me spirituelle , dans le corps dun hominid encore en cours de redressement ?

    Naissance de la conscience humaine.

    A la rflexion, quel est le distinguo entre lme et la conscience ?

    LEglise ayant t dboute de ses prtentions au crationnisme physique, elle tente dsormais dtablir une notion dinsertion de lme dans un corps vivant. Ceci est habile car ne pourra jamais tre dmontr ou infirm, les rsidus dme tant peu sensibles au carbone-14. Mais Yves Coppens et ses collgues pourraient aussi se demander quel degr dvolution des divers rameaux humains, une me viendrait-elle se surajouter ? Ou alors, tout lment vivant, humain, animal ou vgtal, est-il dot dune me et nous passerions dans une autre conception philosophique et religieuse plus proche de celle des concepts animistes ?

    Par contre, la recherche de la naissance progressive de la conscience dans le cerveau humain serait dordre tout fait volutionniste. Ne rejoindrait-elle pas la formation de cette loi naturelle universelle, signale en dbut darticle et que qutait une Commission thologique internationale dessence catholique romaine ? La perception des sensations agrables ou dplaisantes glisserait progressivement vers celles de bon et de mauvais, de bien et de

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    mal, de beau et de laid, pour imaginer, beaucoup plus tard, celles dhumain et de divin. Est-ce ainsi quun dveloppement de ltat de conscience voluerait vers un sentiment de la formation dune me ? Peut-tre, mais le divin dans tout cela o serait son action ? Dans la volont de lhumain de rassembler sous ce vocable tous les mystres lenvironnant ? Le ciel, les astres, les phnomnes mtorologiques, les vies animale et vgtale, la vie et la mort humaines. Il pourrait y avoir alors conjonction entre ces interrogations de la conscience et la cration, par les hommes, de la notion dme. De tout ceci naquit une floraison prodigieuse de conceptions et de manifestations distes, faisant aujourdhui le rgal des anthropologues, des ethnologues et des historiens des religions.

    Du ct de la formation et du dveloppement de la conscience, qui semble tre lapanage du genre humain sous sa forme la plus dveloppe, la science a tent de sen emparer. En 1989 et pour la version franaise 1992, Sir John C. Eccles faisait paratre un essai intitul Evolution du cerveau et cration de la conscience (Champs/Flammarion). Lauteur ntait pas le premier venu. Neurochirurgien australien form Oxford, il avait reu en 1963 le Prix Nobel de mdecine pour ses travaux sur la synapse. En fin de vie, John Eccles se pencha sur les implications philosophiques des dcouvertes scientifiques en matires neuronales. Il collabora, entre autres, avec Karl Popper (1902-1994) minent philosophe des sciences qui souligna lintrt de la nouveaut de lapproche de son collgue et ami. Aujourdhui, ces faits remontent une sorte de prhistoire des neurosciences, tant lirruption de nouvelles techniques dinvestigation du cerveau a autoris des progrs prodigieux, et qui ne sont encore rien ct de ceux que nous rservent les dix ou vingt prochaines annes.

    Il semblerait donc que la dconnection entre formation de la conscience et cration dune me humaine soit de plus en plus vidente et quelle renforce les positions prnant lathisme. A titre dexemple et sans vouloir simmerger dans des courants philoso-phiques, il est possible de lillustrer par lattitude personnelle dun contemporain, recherchant une position balance et en apparence paradoxale. Il sagit dAndr Comte-Sponville et de son ouvrage LEsprit de lathisme (voir encadr ci-joint). Lauteur y revendique une

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    Athisme et pourquoi Andr Comte-Sponville ?Homme de lettres, pour ne pas dire intellectuel , prolifique et m-diatique. N en 1952 et normalien, A. Comte-Sponville nourrit depuis quelques temps la sphre (la bulle?) mdiatico-littraire franaise. Pr-sent par des chroniques rgulires dans de nombreux journaux, sur les plateaux tlviss dmissions thmes plus ou moins philosophiques, il sest fait un de ces incontournables de la parole rflchie.

    Comte-Sponville nourrit aussi la production ditoriale raison dun ouvrage annuel, au point de se faire caricaturer sous la forme : Une ide, un bouquin, une ide, un bouquin ! . Dans ce maelstrm, o se situe en vrit notre auteur et pourquoi le citer, voire sappuyer sur un de ces ouvrages, dans le cadre du prsent sujet concernant La Qute dun esprit de chevalerie ?

    Et bien, il se trouve quAndr Comte-Sponville a conduit une dmarche personnelle le conduisant de la foi chrtienne, issue dune adolescence convaincue, un athisme non moins assum. Ce qui peut arriver nombre dentre nous mais, pour un philosophe, se doit dtre analys, expliqu, presque mis en scne et nu pour un public de lecteurs et dauditeurs. Il se trouve que cette dmarche est apparue, jusqu tre lobjet dune sorte dautobiographie spirituelle. Elle se voulait nan-moins constructive par le paradoxe annonc dans son titre : Lesprit de lathisme .

    Autrement dit, lathisme nempcherait nullement une dmarche spirituelle conduite jusqu une grande lvation et susceptible de re-joindre la notion trs thre de mystique Cette contradiction valut son auteur le qualificatif de chrtien athe , lui-mme se dfinissant plutt comme athe fidle . Proche aussi du bouddhisme, Comte-Sponville propose une mtaphysique matrialiste, une thique huma-niste et une spiritualit sans Dieu, prsentes comme une sagesse pour notre temps.. Cette spiritualit laque dboucherait sur une mystique de limmanence : Nous sommes dj dans le Royaume ; lternit, cest maintenant .

    Il devenait donc sduisant de superposer ce concept de spiritualit athe et celui dune chevalerie universelle, spirituelle et mystique, elle-mme dgage de la gangue chrtienne dans laquelle la enferme lOccident. Ceci est en lien direct avec larticle prcdent qui tentait de connoter des chevaleries, asiatique ou africaine, susceptibles de stre dveloppes sans perspectives distes prcises, rdemptrices, surnaturelles, etc.

    N.B. : A noter que Lesprit de lathisme est peut-tre plus entendre, sous la forme de ses trois CD, qu lire dans un texte paraissant, au moins en ses dbuts, un peu longuet et enfonceur de portes ouvertes.

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    fidlit chrtienne par les aspects sentimental et culturel qui ont entour sa formation et son ducation. Mais il atteste galement dune posture dathe fidle propose pour une mtaphy-sique matrialiste, une thique humaniste et une spiritualit sans Dieu, prsentes comme une sagesse de notre temps..

    Cette prise de position est exactement celle que pourrait revendiquer et dfinir une chevalerie universelle et dessence spirituelle, dont la prsente srie dcrits tente de cerner lesprit. Quelles en seraient les consquences pour les dernires formes de manifestations qui en soient connues, par leurs origines et leurs vcus occidentaux, savoir, la Franc-maonnerie ?

    Une maonnerie chevaleresque non diste ?

    Les rflexions des articles prcdents, et les changes les prolongeant, ont soulign les limites aux volutions possibles dans le cadre des diverses formes de la Franc-maonnerie, volutions aussi bien individuelles que collectives. Evolutions vers une finitude de nature spirituelle, donc et pour beaucoup, devenues trangres la notion actuelle de Franc-maonnerie. Cest toutefois un peu oublier qu son origine celle-ci ft profondment croyante. Mais alors et pour rester cohrent avec une position de neutralit spirituelle et religieuse, il ne faudrait pas se laisser embarquer dans des Hauts Grades dessence chrtienne, quoiquon en dise et quon en veuille ! Chrtient peu perue ou alors trop mal vcue par nombre de Frres soucieux de prendre leurs distances face au religieux, dogmatique ou non, voire au simple disme. Nous serions dans une totale confusion.

    La Franc-maonnerie est indispensable en sa qualit dune des dernires voies initiatiques occidentales , telle que la qualifiait Ren Gunon. Elle devrait donc tre explore par tout tre en recherche, messieurs ou dames, hors des courants religieux traditionnels. Explore, cest--dire connue intimement, par une prsentation de candidature suivie denqutes et dune rception, dite initiation. Quelques annes passes sur les Colonnes pour pntrer et intgrer une certaine modification dangle de vue. Puis arrive un choix : est-ce que lon se laisse aspirer par les Hauts Grades ou, prfrera-t-on approfondir sa seule matrise dite au 3e degr ?

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    Eventuelle et trs sage dcision prendre, surtout si lon a conscience, et ce serait bien dans le propos du prsent sujet, de la faiblesse des ap-ports de trop nombreuses Loges o trois ou quatre annes de prsence, plus ou moins assidues, seraient juges acceptables pour former un Matre . Vaste plaisanterie, sauf estimer quune telle lva-tion soit acquise avec le mme cur et le mme acharnement que ceux affrents des formations professionnelles complmentaires (voir Conservatoire des Arts et Mtiers). Franc-maonnerie ou initiation, les deux ntant pas obligatoirement identiques et superposables, se travaillent, se maturent , se mditent dune faon quasi quotidienne et non lors de seules rencontres mensuelles ou bihebdomadaires.

    Est-ce alors quune rflexion et des exprimentations seraient loisibles autour du thme dune possible chevalerie universelle non diste ? Cette absence de dit tant prcise car, pour les croyants trs ancrs dans leur foi, existe ce Rite Ecossais Rectifi devant pleinement leur convenir.

    Comment aborder cette rflexion et ces exprimentations ? Les pages suivantes tenteront quelques esquisses de propositions. Elles ne sont ni dfinitives, ni fermes et de nombreux autres apports seraient souhaitables et esprs.

    DES POTENTIALITES CHEVALERESQUES INATTENDUES

    Dans ces articles, concernant la qute dun esprit de chevalerie il a t tent dchapper au cadre trop triqu des images dune seule chevalerie occidentale, fondements chrtiens suivie de ses dliquescences maonniques. Louverture lOrient et lAfrique montrait dautres possibilits tendant vers un certain universalisme. On peut continuer thoriser sur la notion chevaleresque en la projetant vers certaines de ses possibilits inattendues. Pour cette recherche trs largie, un regard libr dcouvre quelques prmices fondamentales. Il sagit tout dabord de les dnoter par leur aspiration aux pratiques de dtachement, de dsappropriation, de dsintressement. Pratiques aussi du don de soi, du don lautre. Ce regard largi peut parfois sappuyer sur lhumour de certaines conjonctions imprvisibles. En voici quatre aspects assez contrasts.

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