le calvaire d'un innocent ; n° 23

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23. Prix : 1 fr. 20. La jeune fille se pencha sur lui... (Page 702). C.I. LIVRAISON 89 MANIOC.org Bibliothèque Alexandre Franconie Conseil général de la Guyane

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Auteur : D' Arzac, Jules. Ouvrage patrimonial de la bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation Université des Antilles et de la Guyane. Conseil Général de la Guyane, Bibliothèque Franconie.

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N° 23. Prix : 1 fr. 20.

La jeune fille se pencha sur lui... (Page 702).

C.I. LIVRAISON 89

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Fritz von Stötten, qui faisait preuve d'une endurance vraiment extraordinaire, signa d'une main ferme les do-eu vient* homologuant L'union civile et le mariage reli­gieux, puis, épuise par cet effort, il se laissa retomber sur ses oreillers.

C'était fait!.... Brigitte était maintenant la légitime épouse de Fritz von Stetten !

La malheureuse se sentait prise d'une sorte do ver­tige. La tête lui tournait et elle avait une envie folle de s'enfuir au loin, d'aller se réfugier dans un lieu solitaire et de pleurer pendant des heures pour se calmer les nerfs.

Maïs héla*, son supplice n'était pas encore terminé ! A peine le prêtre et les fonctionnaires se furent-ils

retirés que le blessé se dressa de nouveau sur son lit et fit signe à sa femme d'approcher.

Quand elle fut près de lui, il lui saisit le poignet et, le serrant avec une force inattendue de la part d'un ago­nisant, il gronda d'une voix caverneuse :

— Brigitte ! Je te défends d'épouser un autre homme après que je serai mort, entends-tu ? Jure-moi que tu ne le feras pas !

La pauvre Brigitte se trouva incipable de .répondre. Un nœud lui serrait la gorge.

Fritz attendit quelques secondes, paraissant prendre un plaisir diabolique' à la voir souffrir. Puis avec une obstination farouche, malgré qu'il fut visiblement arrivé à la dernière limite de ses forces, il insista :

— .jure-moi que tu me seras fidèle toute la vie ! Jure le moi, autrement je te maudirai !

— Faites ce qu'il vous demande ! chuehotta' une voix derrière Brigitte.

.C'était celle de l'infirmière qui tenait avant tout à ce ]ue le blessé se calme.

Mais la malheureuse demeurait incapable de pro­noncer une syllabe.

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— Brigitte est à toi seul et elle sera toujours à toi. Fritz, dit Monsieur von Sheden.

— C'est elle qui doit répondre ! rugit le blessé sui un ton qui fit frémir tous les assistants, même l'infir­mière qui devait pourtant avoir déjà assisté à bien des pénibles scènes. C'est elle qui doit répondit» et non vous! Je veux qu'elle jure Et malheur à elle si elle ne tient pas son serment !

Alors Brigitte s'imposa un effort surhumain et d'u­ne voix tellement faible qu'il aurait été impossible delà percevoir si un profond silence n'avait régné dans la pièce, elle déclara

— Je le jure, Fritz Je jure de t'être fidèle jus­qu'à lia tombe

Puis elle chancela et tomba évanouie entre les bras de son père.qui s était avancé juste à temps pour la re-

Satisfait, Frédéric von Stétten s'était calmé comme par enchantement. Il avait fermé les yeux et un sou­rire semblable à un sourire d'extase transfigurait son vi­sage auquel une pâleur verdâtre donnait un air réelle­ment sinistre.

tenir.

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CHAPITRE C1V,

UNE DERNIERE TENTATIVE.

La situation dans laquelle se trouvait le colonel Es-teriiazy devenait de plus en plus critique. Entièrement démuni d'argent et criblé de dettes, il se voyait en outre perpétuellement harcelé par Amy Nabot qui disait avoir absolument besoin d'une forte somme et qui insistait pour que ce soit lui qui la lui procure.

C'était comme un démon qui le poursuivait et con­tre lequel il ne pouvait plus se défendre. Amy Nabot s'était mise à l'accabler de menaces et il se Voyait déjà emprisonné à la place d'Alfred Dreyfus.

Il n'osait presque plus rester chez lui et passait son temps à errer par les rues, se retournant à chaque instant pour voir s'il n'était pas suivi.

A présent, il regrettait amèrement de s'être laissé entraîner à commettre les infamies que, sa conscience commençait à lui reprocher avec une insistance intoléra­ble, mais il n'était déjà plus temps de sortir du marécage où il s'était embourbé.

Au fond, ce -n'était,qu'une .question d'argent, mais où trouver la somme qui'-aurait pu le sauver ? .

Tout le monde, se'détournait de lui et ceux qui lui avaient prêté de l'argent jusquedà ne voulaient plus rien

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savoir, malgré los in té rê t s formidables qu'il promettait -de leur servir .

L a s i tuat ion devenait absolument intenable.. . I l fal­la i t à toute force t rouver un moyen d 'en sortir..... Mais quel moyen Ì

Retou rne r à l 'ambassade al lemande ? Rien que la seule pensée de faire cela donnai t au misérable des fris­sons d 'épouvante . A plusieurs reprises, il avai t déjà ven­du à Schwar tzkoppon des documents secrets de l 'Eta t -Major . Même avan t que la dispari t ion de ces documents a i t été découverte, cela étai t déjà un jeu t rès dange reux ; mais qu ' en dire ma in teuan t que tout le service de contre-espionnage étai t sur les dents pour essayer de découvrir le coupable ? N 'aura i t -ce pas été une véri table folie que de recommencer en de telles circonstances ?

Es te rhazy , qui avai t mér i té cent fois d 'ê t re je té en pr i son jusqu ' à la fin de ses jours , si ce n ' e s t même d ' ê t re fusillé, se senta i t défaillir d 'épouvante à l'idée d'une in­te rvent ion de la jus t ice dans ses affaires.

Enfin après être demeuré longtemps plongé dans de profondes et sombres médi ta t ions à la te r rasse d 'un café où il avai t consommé pi usi ours abs inthes afin de se don­ne r du courage et de l ' espr i t d ' ini t ia t ive, il p a r u t tout-à-coup sortii ' de sa morne torpeur.

— Oui ! murmura- t ' i l . C'est la meil leure chose a faire D'a i l leurs , au point où en sont les choses, je n ' a i p a s le choix

Ce disant , il appela le garçon, régla ses consomma­t ions et s 'éloigna.

A u Coin de la première rue, il p r i t une voi ture et se fit conduire à une adresse proche de la por te Dau-phine.

Ar r ivé à dest inat ion, il sonna à la por te d 'un élégant pet i t hôtel par t icul ier .

Quelques secondes après , une servante v in t lui ou­vrir et le salua en l 'appelant pa r son t i t re .

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— Est-ce que ma femme est à la maison ? demanda le misérable.

— Oui, Monsieur le comte... Veuillez vous donner la peine d ' en t r e r au salon... J e vais annoncer la visite de Monsieur le comte...

— Ce n ' e s t pas nécessaire de m 'annoncer , répondi t le t r a î t r e en p é n é t r a n t dans le vestibule. Est-ce que j e ne suis pas chez moi ' ici ?

Ce disant , il se dir igea tou t droi t vers la po r t e qui é ta i t à l ' au t r e ex t rémi té du vest ibule, f rappa et en t r a sans a t t end re la réponse.

U n monsieur d ' un cer ta in âge qui se t rouva i t ass,if? devant un bureau , en t r a in d 'écrire , se r e tou rna avec u n a i r é tonné en en tendan t les pas du vis i teur .

Ce monsieur é ta i t le p ropre beau-père d 'Esterhazy, , L ' o n n ' a u r a i t a ssurément pas p u dire qu ' i l ava i t

l ' a i r t r è s content de voir son gendre . Mais le t r a î t r e feignit de ne po in t s 'apercevoir de ce

manque d 'enthous iasme p o u r t a n t évident. — Bonjour , mon cher beau-père ! s 'exclama-t-il , la

ma in tendue en avant. . . Vous allez toujours bien E n tou t cas, vous avez une mine superbe et vous ne pa r a i s -sez pas même vot re âge !... J e me demande , comment .vous faites pou r avoir une si admirable santé !... v ra i ­ment , j e vous envie !

E t il cont inua de pa r le r a insi p e n d a n t p lus ieurs mi­nu tes , d isant tou tes espèce de choses sans queue ni t ê t e

. à seule fin d ' é tourd i r le vieux monsieur p a r son verbiage et de l ' empêcher de lui répondre avec sang-froid.

— Où est Clara ? demanda-t- i l finalement. I l me semble bien avoir e a t endu sa voix au moment où je suis en t ré ici... J e voudrais lui dire quelque chose... J e sup­pose que je la t rouvera i dans sa chambre, n 'est-ce p a s ?

— J e ne veux pas que t u t ' approches encore de ma fille ! répondi t sèchement le vieux monsieur qui ava i t

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par fa i t ement bien conservé son sang-froid malgré la char la tanesque manœuvre d 'Es te rhazy .

Ce dernier su rsau ta violemment et il lança à son beau-père u n r ega rd meur t r ie r , comme s'il avai t voulu se j e t e r sur lui et l ' é t rangler .

Mais le viei l lard ne se laissa poin t in t imider et il sou­t in t fe rmement le r egard menaçant du t r a î t r e . ,

Ce que voyant , ce dernier jugea préférable de chan­ger de tac t ique .

— Quelle drôle de façon de me recevoir ! fit-il en af­fec tant de sourire . Seriez-vous donc en colère contre moi %

,, — Tu t ' a t t enda i s sans doute à ê t re reçu à b ra s ou­ve r t s % répl iqua le vieillard sur un ton d ' amère rail lerie. T u t ' imagina i s que j ' a l l a i s accourir à t a rencont re et t e se r re r sur mon cœur en poussant des clameurs d'allé­gresse %

Es te rhazy ferma à demi les yeux et r ipos ta : — J e m 'a t t enda i s , en tou t cas à ê t re reçu avec poli­

tesse. U n sourire de mépr is se dessina sur les lèvres du

vieil lard. — Ton opinion au sujet de ma façon de te recevoir

peu t ê t re considérée comme négligeable, fit-il. Ce qui est p lus impor tan t , c 'est que je ne veux plus que t u voie ma fille

— Mais Clara n ' e s t pas seulement votre fille ! s'é­cria le t r a î t r e avec véhémence. Elle est auss i ma femme!

— Cela n ' e s t malheureusement que t rop vrai , et c 'est préc isément pour cette raison qu ' i l est indispensa­ble que je la pro tège contre toi Tu ne lui a déjà fait que t r op de mal !

Es t e rhazy haussa les épaules et ré to rqua : — Est-ce de ma faute si Clara est affligée d 'une hy­

persensibi l i té telle qu 'el le puisse t rouver des raisons de

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s'offenser là où il n ' y en a point % Etai t -ce v ra iment indispensable qu'elle me qui t te pour revenir auprès de vous un iquement parce que nous avons eu quelques dis­cussions comme ont tous les jeunes époux %

— A quoi bon dire des* choses parei l les %..... Est-ce qu 'une femme bien née et qui a la moindre parcelle d 'a­mour p ropre peut to lérer de se voir supp lan te r p a r des aven tur iè res 'I Peut-el le suppor te r d 'ê t re cons tamment t rompée p a r un mar i indigne qui ne p rend même pas la précaut ion de chercher à dissimuler son infâme conduite 1

— Quand nous nous sommes mariés , Clara savai t pa r fa i t ement que je n ' ava i s pas en moi l'étoffe d ' un sa in t et que j ' a v a i s l ' in tent ion de joui r de la vie aussi in tensé­ment que possible

— E t c'est ça que t u appelles jouir de la vie F r é ­quenter les lieux les plus louches, t ' en iv re r tous les soirs comme un por tefaix et choisir tes compagnes p a r m i "lès p lus méprisables créa tures qu ' i l soit possible d ' ima­giner %

— Vous exagérez, mon cher beau-père ! Clara vous a raconté des histoires à dormir débout Laissez-moi aller lui pa r l e r et vous verrez que nous serons bien­tô t reconciliés

Le ton de sarcasme sur lequel Es te rhazy avai t pro­noncé ces dernières paroles acheva d 'exaspérer le v ieux monsieur qui ne fut plus capable de contenir plus long­t emps sa fureur.

— Non ! s 'écria-t ' i l , hors de lui. Tu ne ve r ra s p a s Clara ! U n e réconciliation ent re elle et toi ne me pa ra i t nul lement désirable.. . Elle ne doit plus en t re r en contact avec u n bandi t comme toi !

U n e lueur de rage indicible s 'al luma dans les yeux d 'Es te rhazy . -Jamais encore son beau-père ne lui avai t par lé de cette façon !

S 'avançant de deux pas vers lui, il lui d i t d 'une voi^ C . I . LIVRAISON 9 0

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t remblan te de colère : — Ceci est une offense que ma dignité de genti l­

homme ne me pe rmet pas de tolérer. . — H faudra bien que t u la tolères, pour t an t , que ce

soit de bon gré ou de mauvais !... E t ma in tenan t , va-t 'en.. . J e n ' a i r ien au t re à te dire... Ne t ' av ise pas de re ­veni r ici une au t re fois, su r tou t !... J e ne veux plus te yoir dans ma maison... Toutes les affaires qui res ten t encore à t r a i t e r en t re nous, nous passerons p a r l ' en t re ­mise de mon avocat...

Es t e rhazy étai t demeuré in terdi t , connue f rappé de la foudre. I l r ega rda i t son beau-père avec un air p i e s qu 'hébété , comme s'il n ' ava i t pas bien Compris ses paro-

— Comment '! murmura-t- iJ enfin. Vous envisage­riez donc une sépara t ion complète '!

— Ev idemmen t !.. Est-ce que tu as pu t ' a t t e n d r e à au t rn chose après la façon dont tu t ' e s comporté e n v e r s ma fille ?

Le misérable é ta i t devenu t rès pâle . D ' u n geste ma­chinal il tor t i l la i t les pointes de ses moustaches. I l n ' a ­va i t réel lement pas e n c o r e songé à l ' éventua l i té d ' une sépara t ion complète ent re Clara et lui !

Oi*, c 'é ta i t préc isément le fait qu 'on le savai t mar ié à la fille d ' u n homme possédant une for tune considérable qui lui ava i t pe rmis de t rouver le crédi t dont il avai t l a rgement joui j u s q u ' à ces derniers temps.. .

Si la sépara t ion en t re son épouse et lui é ta i t confir­mée p a r un jugement , il verra i t sûrement ses créanciers se rue r chez lui comme des loups à la c u r é e , et alors ce sera i t la débâcle complète !

Que faire Que ten te r pour échapper à ce dan­ger imminen t

H semblai t b ien qu'il ne restât qu 'un seul moyen possible : s 'humil ier devant son beau-père et s'efforcer de l ' a t t endr i r .

— Je suppose qu ' au fond, c 'est vous qui avez ra i -

son, fit-il d 'une voix mielleuse. J e reconnais volontiers que je ne méri te pas une femme comme Clara..... Mais ne doit-on pas pa rdonner généreusement à tou t pêcheur qu i manifeste un sincère repen t i r J e vous assure que je r eg re t t e profondément ce qui est a r r ivé et que la vie est devenue horr ib lement t r i s te pour moi depuis que j e n ' a i p lus ma chère épouse1 auprès de moi

Le vieux monsieur se mi t à r i re . r — Est-ce que t u me crois v ra imen t assez naif pour croire à ta sincéri té % demanda- t ' i l . Est-ce qu ' i l t ' e s t a r ­r ivé une seule fois de faire honneur à tes promesses 1

— Clara doit me donner encore une chance !.... H faut hue pour cette fois encore, elle m'a ide à me débar­rasser de mes det tes

— Ah, ah ! c'est donc à ça que tu voulais en veni r ! s 'exclama le viei l lard sur un ton sarcast ique. J ' a u r a i s dû m'en douter depuis le commencement ! J ' a u r a i s bien dû penser que t u ne te serais même pas donné la peine de traversin ' la rue pour venir voir nia fille si ce n ' a v a i t été dans l 'espoir de nous ex torquer encore de l ' a r ­gent !.... Mais cette fois, t u as l'ait un mauvais calcul, mon bel ami ! Tu peux être absolument cer ta in de ce que je ne voudrais pas donner un centime pour .te sauver de la potence !

— I l ne s 'agit pas de la potence, .mais si j e ne pa ie pas mes det tes , il pour ra i t a r r ive r que je sois rayé des ca­dres de l ' a rmée, et cela ferai t un scandale qui re ja i l l i ra i t en par t i e sur vous

' — Ce n 'es t pas mon avis J e ne vois pas du t ou t pourquoi on devra i t me reprocher le fait que mon gendre est une canaille qui m'a escroqué une vér i table fortune. . . E t si ça dépendait de moi, il y a longtemps que t u ne por­te ra is plus l 'uniforme !

— Est-ce que ceci est votre dernier mot ? — Parfa i tement . . . C'est mon .dernier mot... Tu peux

','en aller ma in t enan t

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• .Ces paroles avaient été pronocées sur un ton si éner ­gique que le t r a î t r e comprit qu ' i l au ra i t été inutile d ' in­sis ter .

R e p r e n a n t 1 air al t icr qui lui étai t habi tuel , i l ' tb isa son beau-père du liant de sa g randeur et, lui lançant un r ega rd plein de .haine,' il lui dit :

— L a responsabi l i té r e tombera sur vous !.'.. La res­ponsabi l i té de tou t ce qui peut a r r ive r !

, E t il sort i t p réc ip i tamment , c laquant la j>orte der­r ière lui.

Mais quand il se t rouva de nouveau dans la rue , à peine eut il fai t quelques pas qu ' i l se sent i t p r i s d'un ma­laise et du t s 'a r rê ter un moment .

— Cette fois, se disait-il en portant une. main à ses yeux , j e suis définitivement pe rdu oui, je suis perdu..» A moins que

A moins qu ' i l ne réussisse encore une fois à voler des documents secrets de l 'E ta t -Major et à les vendre à Schwar tzkoppen sans se faire p r e n d r e !

Cela était-il encore possible % Possible, oui, sans doute; mais tout jus te possible et

t e r r ib lement dangereux !

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CHAPITRE C V .

E N A M O U R COMME A L A G U E R R E

T O U T E S T P E R M I S .

Quelques secondes après que le colonel Es t e rhazy étai t sorti de la pièce où il ava i t eu avec son beau-père l ' a l te rca t ion que nous venons de r appor t e r , la po r t e s'ou­vr i t de nouveau, l iv ran t passage à une j eune femme de hau te et majes tueuse s t a tu re avec un visage a u x t r a i t s pa r f a i t emen t régul iers et dont une g rande pâ leur faisai t r essor t i r l ' express ion à la fois pleine de mélancolie et de dignité .

C 'é ta i t la comtesse Clara Es te rhazy , la fille de l ' in­dust r ie l Donat i , lequel é ta i t res té seul dans le salon.

— Mon Dieu, Clara ! s 'exclama-t ' i l en voyan t la j eune femme. Comme t u es pâle !... Aura i s - tu donc écou­té derr ière la por te 1

-— Oui, papa.. . Pardonne-moi , mais j ' a v a i s en t endu la voix de F e r d i n a n d et je .voulais savoir pourquoi il é ta i t venu C'est pour cela que je suis res tée dans la pièce à côté

— T a n t mieux, répondi t H u g o Donat i en h a u s s a n t les épaules. Comme ça, j e n ' a u r a i pas besoin de te met ­t r e au courant de ce .qui s 'est passé ent re lui et moi.......

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Cette fois, je lui ai c la irement fait comprendre ce que je pensais de lui et cela é ta i t nécessaire, car il faut absolu­ment que nous cessions tou t r appo r t avec lui

T- Cela n ' e s t . pas possible, papa , r emarqua la j eune femme en hochant la tê te avec un a i r chagriné.

— Que veux- tu dire? in ter rogea l ' industr ie l . Pour ­quoi est-ce que ça ne. serai t pas possible ?

— Nous ne pouvons l ' abandonner à son t r i s te sort... Nous devons l'aider.....

Clara avai t di t cela sur un ton calme et résolu qui fit une grande impress ion siu 1 l ' industr ie l .

Ce dernier p a r u t quelque peu décontenancé et il m u r m u r a :

— L ' a ide r ? Tu voudrais encore l 'a ider Mais il ne le mér i te pas !

— Ça ne fait rien.... I l est évident qu ' i l doit se t rou­ver dans une s i tuat ion ex t rêmement cri t ique, au t r emen t il ne se serai t cer ta inement pas abaissé à venir te deman­

d e r de l ' a rgen t On ne peu t pas abandonner un hom­me auquel on est a t taché p a r des liens de paren té et qui se t rouve dans la misère

— Si je croyais réellement qu'il se t rouve dans la misère répondi t H u g o Donat i , je n 'hés i te ra i s cer ta ine­m e n t pas à lui venir en aide, malgré le mépr is qu'il m ' ins­p i re Mais ce n ' e s t cer ta inement pas le cas, p a r c e que je sais qu ' i l continue à mener une vie. de bâton de chaise et à boire beaucoup plus que de raison S'il a encore les moyens de faire cela, c 'est qu'il n 'es t pas v ra imen t dans la misère

— Ne par le pas aisi. papa P o u r un homme comme lui, c 'est peut -ê t re la misère que d 'ê t re p r ivé d 'un cer­t a in luxe E t qui sait s'il ne serai t pas revenu dans le droi t chemin' si nous l 'avions aidé p lus tôt et d 'une fa­çon plus efficace Maintenant , j e commence à regret­ter de ne pas être restée avec lui J ' a i l ' impression d'à-

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voir manqué à mon devoir... J ' a u r a i s du faire ce que font t a n t d ' au t res femmes et cont inuer de me dévouer p o u r lui malgré tout , ami de lui servir en quelque sor te de sou­t ien Mais à un cer ta in moment , j ' a i senti le sol se dé­rober sous mes pieds et j ' a i pe rdu courage J ' e n ai honte à p résen t et je crains d 'ê t re en pa r t i e responsable du dévergondage où il est tombé I l ne pouvai t na tu re l ­lement p lus se p la indre chez lui ap rès mon dépar t et c 'est sans doute pour cela qu'i l s 'est laissé en t ra îner à fré­quenter une mauvaise compagnie

H u g o Donat i eut un sourire d ' amer tume . —• Ce que t u dis là est v ra imen t un comble, ma chère

enfant ! fit-il. J e ne me serais cer ta inement pas a t t e n d u à ce que tu t ' accuse d ' ê t r e responsable des canail leries de ce gredin !

— J e crois du moins qu' i l ne serai t j ama i s tombé aussi bas si je ne l 'avais pas abandonné

— Mon Dieu !.... Comment peux- tu ê t re aussi aveu­gle, ma pauvre enfant '( Ne comprends- tù donc pas en core qu ' i l n ' y a absolument r ien de bon dans cet homme et qu ' i l n ' a d ' au t r e idéal que la recherche des p lus basses jouissances Souviens-toi de la façon dont il t ' a t rom­pée dès la première année de votre mar iage !.... Es t -ce qu'il a seulement j ama i s fait p reuve de la moindre affec­t ion pour ses enfants ?

— Il méri te plus de pitié que de blâme, papa , car il n 'a cer ta inement j amais fait a u t a n t de mal à pe rsonne qu'i l s 'en l'ait à lui-même .

— Tu en par les à ton aise !.... Es t -ce que t u ne t e r ends donc pas compte que c'est tou t jus te s'il ne nous a pas complètement ru inés 1 ,

— Tu exagères , papa — J e n ' exagère pas du tou t et t u peux t ' e n r end re

compte pa r toi-même si tu veux te donner la peine d 'exa­miner mes livres de caisse. . .Si je ne t ' a i pas dit cela p lus tôt , c 'es un iquement parce que j e ne voulais p a s blesser

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• tes sent iments , comprenant à quel point il est humi l ian t pour une femme d 'avoir un mar i qui vi t aux crochets de son beau-père Crois-moi qui a i . ' cer ta inement p lus d 'expér ience de la vie.que toi, mon enfant , cet homme ne

• mér i t e aucune espèce de considérat ion ni de sympathie. . . C'est pourquoi j e suis absolument décidé à ne plus ja ­mais débourser u n sou ( pour lui.....

— Est-ce que cela est ton dernier mot, p a p a ? de­m a n d a la comtesse en fixant sur son père un regard sup­pl iant .

Hugo Dona t i ne se laissa pas émouvoir. — Es t c rhazy ne se corr igera jamais , dit-il. Avec le

carac tère .qu'il a, on pour ra i t lui donner des millions que cela n ' a u r a i t pas plus d'effet qu 'une gout te d 'eau dans la mer... Néanmoins , si t u sens que tu ne peux pas vivre sans cet homme, je ne peux pas t ' empêcher de r e tou rne r auprès de lui, mais dans ce cas, je te pr ie de ne compter su r aucune aide financière de ma part. . . . Ce n ' e s t pas p a r espr i t de par t i pris que je dis cela, mais parce que j ' a i le devoir de p ro tége r not re for tune

E t , sans a t t endre la réponse de sa fille, l ' indust r ie l sor t i t de la pièce.

L a j eune femme demeura immobile au milieu du sa­lon, les yeux rempli s, de larmes et le visage tourné vers la porte!

Jeale se répétait dans son espri t les mots que son père venai t de prononcer , cherchant à analyser ce que son cœur empêchai t de comprendre .

Car elle avai t pass ionnément aimé E s t e r h a / y et, maigre tout , cet amour étai t encore loin d 'ê t re complète­m e n t éteint .

— I l faut que j ' a r r i v e à le revoir ! se dit-elle finale­ment . Je ne peux pas le laisser dans l 'embarras . . . D ' u n e façon ou d 'une au t re , il faudra /bien que je t rouve le moyen de lui p rocurer l ' a rgen t dont il a besoin

CHAPITRE CVI.

N O U V E L L E S A N X I E T E S

E T N O U V E A U X E S P O I R S

— Re tournons à P a r i s Lucie ! dit Mathieu sur un ton décidé. Ici , nous ne pouvons r ien ta i re dé bon, t and is que là-bas nous pourr ions encore t en te r quelque chose pour évi ter le p i re

Lucie, se laissa convaincre et elle r e tou rna dans la capitale avec son beau-frère

Ar r ivés à des t inat ion il se séparèrent . Lucie se ren­dit immédia tement chez le colonel P i c q u a r t sur l ' a ide duquel elle n ' a v a i t pas cessé de compter: Cet oflicier étai t un des ra res amis fidèles qui lui fussent res tés et elle ava i t en lui une confiance aveugle.

Sachant qu'i l ava i t pe rdu sa femme depuis la der­nière fois qu'elle l ' avai t vu, elle lui fit ses condoléances d 'une voix à demi étouffée d 'émotion.

Comme c'est douloureux de nous r e t rouver en de semblables circonstances ! s 'exclama-t 'e l le . C'est vra i ­men t terr ible !

— Hélas ! répondi t le colonel, le dest in n ' é p a r g n e personne ! Mon désespoir est immense, mais à quoi bon se p la indre %

G. I . LIVRAISON 9 1

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''— E n effet J e voudrais t rouver les mots pour vous dire à quel po in t j e p r e n d s p a r t à vo t re chagrin, mais j e ne m ' e n sens pas capable

— Mieux v a u t n ' e n point parler... . E t que puis-je faire pour vous, Madame Dreyfus %

— Hélas ! J e ne sais si vous pourrez faire quoi que ce soit, mais je veux cependant vous demander conseil.... F igurez-vous que, main tenan t , on par le d 'envoyer mon m a r i à l ' î le du Diable !.... On t rouve sans cloute orne nous ne souffrons pas encore assez et l 'on veu t encore augmen t e r nos t ou rmen t s !.... J e vous en supplie, colonel.... Don­nez-moi u n conseil Dites-moi ce qu ' i l faut faire !....

P i c q u a r t hocha la tê te avec un a i r perplexe. — Malheureusement , fit-il, — la t en ta t ive de fuite

'de vo t re mar i a été considérée p a r ses ennemis comme u n e nouvelle p reuve de sa culpabilité.... I l ne me sera i t ce r ta inement pas possible de les pe r suade r du cont ra i re !

Lucie se cacha le visage ent re les mains et éclata en b r u y a n t s sanglots .

— Ah, cet te maud i t e t en ta t ive de fuite ! s 'écria-t 'e l le avec u n indicible désespoir. Mais là dedans non p lus Alfred n ' a eu aucune responsabi l i té

J ' e n suis absolument convaincu, Madame, répondi t le colonel cherchant à la consoler. D 'a i l leurs , si je m 'é t a i s t rouvé à la place de vot re mari , je ne me serais sans doute p a s comporté au t r emen t , car c.e doit ê t re v ra imen t a t roce que de devoir r e s te r en t re les qua t r e m u r s d 'une cellule sans a i r et sans lumière quand on n ' a r ien fait pour mé­r i t e r un t r a i t emen t aussi barbare». Je donnerais beau­coup pour pouvoir venir en aide à vot re mar i , mais mal­heureusement , cela ne me pa ra î t pas ê t re en mon pou­voir...

L a malheureuse jeune femme laissa échapper u n soupir de détresse.

— Ne pouvez-vous vraiment r ien faire, colonel %

gémit-elle. Pensez-y bien, je vous en supplie ! P i equa r t se leva et se mi t à marcher à t r ave r s la

pièce. Il tenai t ses mains derr ière son dos, les épaules u n

peu courbées, la tê te penchée en avan t dans l ' a t t i t ude d 'un hOffime qui se t o r t u r e le cerveau pour y t rouver une idée.

Tout à coup, il s ' a r rê ta devant Lucie et lui dit : — I l y au ra i t peut -ê t re encore un moyen... — Lequel 1 — Pr ie r Maî t re Démange de formuler un recourt,

contre la décision du conseil suprême. — Si vous croyez que cela pour ra i t servir à quelque

chose, je vais y aller tou t de suite... — Oui... Allez-y Madame Dreyfus.. . E t su r tou t ne

perdez pas l 'espérance. . . Quant à moi, je suis persuadé de ce qu' i l y aura encore des jour s heureux pour vous et pour votre mari. . . Voyez-vous, il y a encore beaucoup p lus d 'espoir pour vous que pour moi,, parce que moi, quoi qu ' i l ar r ive , je ne rever ra i plus j amais ma chère épouse... Du moins pas en ce monde...

E t le brave colonel se dé tourna pour cacher les lar­mes qui lui monta ien t aux yeux...

. — J e ne veux pas vous dé ranger p lus longtemps, co­lonel, lui dit Lucie en se levant . J e vous remercie pour le •conseil que vous m'avez donné et je vous pr ie de m 'excu­se r si je suis venue vous t roubler dans votre chagr in , mais je ne savais v ra imen t plus de quel côté me tourner . . .

— E t moi, h t l'officier, je suis navré de ne pouvoi r faire mieux que de vous donner un conseil, mais je vous ju re que je ne laisserai j amais passer une occasion de p rend re la défense de votre mar i si l ' éventual i té s 'en p r é ­sente...

Le colonel avai t prononcé ces mots sur un ton grave et solennel. Lucie compri t qu' i l ne disait pas cela unique-

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ment p a r politesse et pour la consoler, mais qu'i l é tai t réel lement sincère dans son désir de venir en aide à son mar i et à elle.

Après avoir pr i s congé de lui, elle se re t i ra et elle se dir igea immédia tement vers le domicile de Maî t re Dé­mange qui se mon t ra assez étonné de la voir.

—- J e me suis déjà mis d 'accord avec mon collègue Labor ie , lui annônca-t-ï l , et j ' e s p è r e obtenir l ' appui de Clemenceau pour qu ' i l se charge de publ ier des art icles en faveur de votre mari dans son journal . . . De cette fa­çon, nous réuss i rons peu t -ê t re à provoquer un revi renient pa r t i e l de l 'opinion publique.. .

Lucie posa quelques questions de détail et l 'homme de loi lui expl iqua minut ieusement la manière dont il compta i t agir . Quand la jeune femme le qui t ta , la nu i t commençai t de tomber .

Elle se senta i t un peu ranimée, car elle ava i t r emar ­que Maî t re Démange para issa i t u n peu plus opt imiste q u ' à l 'ordinaire et cela lui avai t r endu de l 'espoir. Mais son espérance n 'a l la i t pas t a rde r à recevoir un choc bien douloureux.

Quand elle r e n t r a chez elle, elle t rouva une le t t re du v ieux P i e r r e à qui elle avait demandé de la ten i r au cou­r a n t de tou t ce qu ' i l pour ra i t app rendre concernant son mar i .

D ' u n e main t remblan te et le coeur pa lp i tan t , elle ou­vr i t l 'enveloppe..

:o:o

CHAPITRE C V I I .

L A D E P O R T A T I O N .

Depuis le jour où avai t eû lieu la t en ta t ive d 'évasion que nous avons rappor tée , ce que le malheureux Dreyfus eût à souffrir é ta i t p resqu ' inéna r rab le .

D a n s la casemate où il avai t été enfermé et où il n ' y ava i t ' aucun appare i l de chauffage, il faisai t un froid t e r ­r ib l e et l 'eau qui su in ta i t avec abondance à t r ave r s les m u r s formai t bien souvent une mince couche de glace semblable à du verglas . Le malheureux ne pouva i t même pas .se réchauffer en faisant un peu de gymnas t ique , car on lui ava i t mis des fers aux pieds et aux*poignets . I l avai t fini p a r tomber dans un é ta t à demi comateux, et res ta i t cont inuel lement accroupi sur la paille qui lui ser­va i t de couchette , immobile et comme hébété .

Les fers qu ' i l po r t a i t et qui lui en t ra ien t dans la chair chaque fois qu ' i l faisai t le moindre mouvement avaient à la longue, causé des tuméfact ions d ' un aspect horr ible . Les pieds de l ' infor tuné, sur tout , s 'é ta ient gon­flés d 'une façon monstrueuse.

Mais il avai t te l lement souffert qu ' i l ne senta i t plus r ien, du moins phys iquement . Sa seule préoccupat ion était pour Lucie ; p lus ieurs fois, il avai t in te r rogé les gard iens i)our leur demander ce qui éta i t advenu d'elle^ mais ils ne lui avaient p a s répondu .

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Los gardions qui en t ra ient dans son cachot venaient toujours à deux, ils ne venaient d 'ai l leurs que pour lui appor te r sa nourr i tdre , une sorte de soupe à peu près im­mangeable .

Mais un jour, ils rev inren t une seconde fois, 'contrai­r emen t à 1 "habitude.

— Levez-vous et suivez-nous, lui ordonna l 'un d 'eux. Alfred obéit sans rien demander . Mais il eût beau­

coup de peine à se lever, parce que ses membres étaient tou t endoloris et para lysés p a r le froid. Les gardiens qui avaient l 'air d ' ê t re pressés, le sais i rent b ru ta lement par les b ras et l ' en t ra înèren t avec eux, sans se soucier des gé­missements de douleur qu'il ne pouvait retenir .

Tout à coup, il bu t t a et tomba sur les dalles de la galerie. Croyant , ou faisant semblant de croire qu'i l l 'a­va i t fait exprès , les gardiens se mi ren t à lui lancer des coups de pied pour l 'obliger à se lever.

Cotte lâcheté causa une toile indignat ion à l 'ancien officier qu ' i l se redrossa d 'un bond et s 'écria :

— J e vous défends de me t r a i t e r de cette façon, en­tendez-vous Vous n 'avez pas le droi t de me f rapper !

— Si ça ne te plai t pas , va le dire au pape ! répliqua l 'une de ces b ru tes en lui envoyant un formidable coup de poing en pleine figure. Allons, marche !

Le pauvre mar ty r , qui avai t les larmes aux yeux, poussa un soupir de résignation et se remit à marcher .

Les gard iens le conduisirent alors dans la pièce où t ravai l la ient les greffiers de la prison et les employés pré­posés aux écr i tures . Ceux-ci se mi ren t à, le dévisager avec une curiosité insolente, comme une bête curieuse, tou t en échangeant des propos d 'une cruelle ironie au sujet de son. aspect lamentable et de sa mine cadavéreuse.

Mais tout à coup, tout le monde se tu t . Le di recteur Commandant de la forteresse venait d 'en t re r . II se diri­gea tou t droi t vers Alfred Dreyfus, le regarda un ins t an t de la tê te aux pieds, pu is il dit :

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— Dvoy.fi.is, j ' a i à vous annoncer que, p a r ordre de l ' au tor i té supérieure , vous allez être t ransféré dans u n au t re lieu de détention.. . Cet te mesure a été pr ise à la suite de votre t en ta t ive de fuite...

— E t où va-t-on m 'envoyer ? — J e ne peux pas vous le dire... J e dois seulement

vous informer de ce que ce changement est censé corres­pondre à une aggrava t ion depo inë , où plutôt à une pun i ­t ion disciplinaire que vous avez méritée p a r votre façon d'agir. . . Vous avez commis la pire des sottises on cher­chant à vous évader et il est jus te que vous en suppor­tiez les conséquences...

Pu i s le fonctionnaire se tourna vers les geôliers et leur ordonna :

—- Déshabillez-le et fouillezde... L ' o rd r e fut aussi tôt exécuté. Les fers du pr i sonnier

lui furent également enlevés et ne lui furent pas remis . Le malheureux se laissait faire sans pro tes te r . I l

semblait que tout était devenu indifférent. •Sa pensée était loin de l 'endroi t où il se t rouva i t . 11 se demandai t quel pouvai t ê t re l 'endroi t où l 'on

avai t décidé de l 'envoyer. Si ce t r ans fe r t • représentai t une aggravat ion do peine, comme le di recteur venai t de le lui dire, dans quelle espèce d'effroyable géhenne al­lait-il se voir j e t e r !

Existait-il donc des prisons encore pires que celle dont il allait sor t i r !

Et Lucie Est-ce qu'elle allait encore pouvoir le suivre là ou on allait l 'envoyer ?

C'étai t cela qui le préoccupait le plus. Sons même se rendre compte de ce qu'il faisait , il se rhabil la. La voix du di recteur l ' a r racha b rusquement à ses pensées.

Qua t re au t res gardiens é ta ient venus se jo indre aux deux premiers et le directeur leur ordonnai t :

— Conduisez le pr isonnier à t'appontement p rès du-

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quel se t rouve le navire.. . Mais faites bien a t ten t ion pou r qu ' i l ne p renne pas la fuite pendan t le trajet . . .

Les six hommes se sais i rent du prisonnier , l 'entou­rè ren t comme d 'une clôture vivante . P u i s il lui comman­dèrent :

— E n avant. . . Marche ! Mais Alfred Dreyfus ne bougea plus . I I se t ou rna

vers le d i recteur et lui dit : — Est-ce que vous songez réel lement à me faire sor­

t i r sans man teau p a r un t emps parei l ? L e di recteur haussa les épaules. — J e n ' a i p a s reçu d 'ordre à ce sujet, répondit- i l . i— Mais ceci est une... — Assez !... Taisez-vous, Dreyfus.. . Vous n 'avez pas

à discuter , mais s implement à obéir... Le soir commençait à tomber quand on a t te ign i t le

pe t i t po r t de l ' île. Malgré la pluie qui s 'é ta i t mise à tom­ber, la p l u p a r t des hab i t an t s du village s 'é ta ient réunis a cet endroi t dès qu ' i l s avalent appr i s que « le t r a î t r e » al­lai t ê t re embarqué pour une au t re dest inat ion.

Quand il appa ru t , à demi mor t de froid et pouvan t à peine se t ra îner , on l 'accueilli t p a r des huées, des sifflets et des cris de mor t . I l au ra i t sans doute été lynché comme avai t t en té de le faire la populace de La Rochelle, mais la p rox imi té du fort où cinq cents soldats t ena ien t garni ­son suffisait ici à empêcher toute t en ta t ive de ce genre.

On fit monte r le pr isonnier dans une chaloupe qui s 'éloigna immédia tement , se.dir igeant vers u n navi re dont on voyai t confusément se profiler la sombre sil­houet te à quelques encablures de distance.

> E n voyant ce navi re de plus p rès , le pr isonnier cons­t a t a qu ' i l é tai t de t r op pe t i te taille pour faire de bien lon­gues t raversées et il en conclut qu 'on allait sans doute l ' emmener à l ' I le de Ducos qui servai t à cette époque de 'lieu de dépor ta t ion pou r les pr isonniers politicm.es.

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Aussi tô t ar r ivé à bord, il fut enfermé dans une pe t i t e cabine et laissé seul ; mais le hublot avai t été obturé p a r une planche clouée et deux soldats monta ien t la garde a l ' extér ieur .

Dans la soirée, le nav i re s ' a r rê ta dans u n assez g r and po r t au-delà duquel s 'é tendai t une ville qui para i ssa i t im­por t an te à en juger p a r la quant i té de lumières que l 'on apercevai t .

C 'é ta i t Eochefort . Le pe t i t navi re s 'é ta i t a r rê té j u s t e à côté d ' un a u t r e

qui étai t beaucoup plus grand, quoi que d 'un modèle an­cien. A quelques pas de là, sur le quai, il y avai t un groupe de-prisonniers entourés de nombreux gardiens a rmés de fusils. Tous ces pr isonniers é ta ient liés deux à deux p a r de lourdes chaînes et les gardiens les faisaient mon te r deux à deux à bord du gros navire dont les cheminées vo­missaient des images de fumée noire.

U n peu plus loin, derr ière une bar r iè re mobile, se tena i t un groupe de gens d 'aspect misérable, en major i té composé de femmes dont cer taines tena ien t des enfants en t re leurs bras .

C 'étaient , pour la p lupar t , des p a r e n t s de l 'un ou de l ' au t re des forçats , venus, quelques-uns de fort loin, pou r adresser un dernier salut à ceux qu ' i ls ne devaient p lus j amais revoir.

C 'é ta i t là, sans contredit , l 'é lément le p lus n a v r a n t de ce t r i s te spectacle. Quand celui pour qui. ils é ta ient ve­nus passa i t devant eux, ils lui cr iaient quelques paroles d 'ad ieu en ag i t an t des mouchoirs , et les condamnés, qui n ' é t a i en t pas autor isés à par ler , leur répondaien t p a r u n signe rap ide et furtif.

Quan t à Alfred Dreyfus, on le fit sor t i r de la cabine où il é ta i t enfermé quelques minutes après l ' a r r ivée du ba teau et on le fit p res t ement descendre sur le quai, puis monte r à bord du g rand navi re .

LIVRAISON U2 С. 7

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perçu. Néanmoins , une fois qu ' i l fut à bord, on ne le fit pas

descendre dans les en t reponts comme les au t res condam­nés, mais on l 'enferma tout de suite dans une pe t i te ca­bine de sûre té qui donnai t d i rectement sur le pont et qui é ta i t réservée aux pr isonniers que l 'on désirai t en tourer d 'une surveil lance spéciale. Cette cabine n ' é ta i t , à la vé­r i t é qu 'une sorte de cage, tel lement exiguë que le prison­n ie r ava i t à peine la place de s 'y re tourner .

— Est-ce que vous allez me faire voyager dans ce p lacard % demanda le pr isonnier au gardien qui se prépa­ra i t à l 'enfermer.

— Vous vous a t tendiez sans doute à ce qu 'on vous donne une cabine de luxe ? ré to rqua l 'homme en riant,.

P u i s il j e ta un hamac qu ' un matelot venai t d ' ap­por te r .

— Est-ce qu 'on ne lui donne pas de couver ture 1 demanda le gardien.

— Il pa ra i t qu ' i l n ' y en a pas de disponibles... — Bien... T a n t pis pour lui... D 'a i l leurs , s'il crève

en route ce ne sera pas une grande perte. . . Sur ce, le garde referma la grille qui servai t de por te

à ce cachot. Quelques ins tan t s après un jeune officier passa sur

le pont . H avai t plutôt l 'a i r d 'un bon garçon et le p r i ­sonnier pensa qu'il pour ra i t peut -ê t re obtenir de lui quelqu 'adoucissement à son t r i s te sort .

— Lieu tenan t ! appela-t-il . L'officier s 'a r rê ta , s ' approcha et se mit à regarder

'Alfred avec un air étonné, à t r ave r s les ba r r eaux de la cage.

— Que voulez-vous % demanda-t-i l . — Excusez-moi.. . J e suis le capi ta ine Dreyfus et... — Ah, pa r exemple ! 3'écria le jeune homme en s'es-

clamant . Le capitaine Dreyfus !... Eh bien, je vous p ré ­sente mes respects , mon capitaine !... La prochaine fois que je passerai pai ici, je n 'oublierai pas de vous saluer 1

— Excusez-moi, répondi t le pr isonnier . J e vous avais pr is pour un officier, mais je vois que vous n ' ê t e s q u ' u n garde-ciuourme déguisé... Du moins je le suppose, à en juger par le ton sur lequel vous me parlez.. .

— Quoi ! . . Qu'est-ce qu'il y a '! rugi t le blanc-bec en r ega rdan t le condamné avec un air de vouloir le dévorer tou t vivant . J e crois que vous avez besoin d 'une bonne leçon pour vous rappe ler ce que vous êtes, vous, hein Tâchez de vous ta i re et de vous ten i r t ranqui l le , au t re ­ment , ce sera p i re pour vous !

E t il s 'éloigna en bombant fièrement le torse . P e n d a n t ce temps , l ' embarquement des forçats se

poursuivai t avec la régular i té d 'un chronomètre et au bout d 'une heure le « Saint-Xazaire » fut p rê t à pa r t i r .

Les sirènes mugi ren t à deux ou t rois repr ises tandis que le pont commençait de frémi]' légèrement sous l 'ac­tion, des machines qui s 'é ta ient mises en mouvement .

Debout sur la passerelle, le commandant lançai t des ordres que répé ta i t quelquefois son second.qui se tenait devant le porte-voix.

Enfin, le brui t des machines diminua u n peu et le na­vi re se détacha lentement du quai, d i r igeant sa proue vers la sortie du port .

U n quar t d 'heure plus ta rd , il commençait de tan­guer sous l 'effet des vagues de la haute mer.

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CHAPITRE C V I I I .

L U T T E I N E G A L E .

Le . cœur ue la comtesse Clara se ser ra i t de plus en p lus à mesure qu'el le approchai t de la maison de son mar i et sa ra ison commençait à Lui conseiller de ne pas faire un p a s de plus .

NVvai t -e l le pas été offensée, blessée dans son amour p ropre , abandonnée, t rah ie de la façon la p lus indigne qu' i l soit possible d ' imaginer !... Son grand amour n 'a ­vait-il pas été cruel lement mépr isé %

La malheureuse ne se sentai t plus aussi sûre d'elle-même que quand elle,avait qui t té la maison de son père, deux heures aupa ravan t .

Elle se r ra i t nerveusement ent re ses jolies mains le sac dans lequel elle avai t serré les quelques billets de mil­le francs qu'elle venai t de se faire p r ê t e r par un de ses oncles. Cette fois encore, elle ava i t pr is le par t i de son indigne époux, mais elle n ' é ta i t déjà plus aussi sûre d 'a­voir ra ison en agissant ainsi .

Néanmoins , quand elle a r r iva devant la maison, elle n ' e û t cm'une brève hési tat ion avan t d ' en t r e r et de mon­t e r l 'escalier. Au moment de sonner, elle hésita encore un t a n t soit peu, puis elle a p p u y a sur le t imbre en fe rmant les yeux, comme un désespéré qui se j e t t e à l'eau..

L a servante qui v in t lui ouvrir , p a r u t ne pas en croire

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ses yeux en la voyant . Elle é ta i t te l lement confuse qu'elle ne t rouva i t pas un mot à dire. Mais la comtesse lui fit signe de s 'écar ter et de la laisser passer et la jeune fille obéit pass ivement .

A peine avait-elle f a i t qua t re pas dans le corr idor que Clara entendit, la voix de son mar i qui se t rouva i t dans le salon et qui disai t :

— J e suis content que t u sois venue, A m y !... J e me sentais te l lement seul !

Es ter l iazy avai t en tendu un p a s de femme dans le corr idor et il avai t cru que c 'é ta i t Amy Nabot qui venai t lui r endre visite.

Clara cont inua d 'avancer et, quand elle a p p a r u t su r le seuil de la por te qui é ta i t demeurée ouverte , le t r a i t r e faillit tomber à la renverse en reconnaissant son épouse.

— Toi ? s 'écria-t-il d 'une voix rauque . — Oui... Excuse-moi si je te dérange à un moment où

à ce qu ' i l semble, t u a t t ends une visi te p lus agréable que la mienne.. . Peu t - ê t r e vaudrai t - i l mieux que je m ' en aille tou t de suite, n 'est-ce pas ?

— Non, non !... Reste. . . p ro tes t a le misérable en lui offrant une chaise.

P u i s il se mi t à boutonner son dolman avec un a i r assez gêné, mais en s 'efforçant de sourire.

— J ' a i appr i s que t u étais allé voir mon père, com­mença la jeune femme...

— E n effet... Mais je ne peux pas dire qu ' i l m ' a reçu avec beaucoup de gentillesse...

Clara tena i t la tê te un peu baissée et ses doigts se cr ispaient sur le sac qui contenai t l ' a rgent .

— Est-ce que peux t ' é tonner , dit-elle après un mo­ment , de ce que t u n ' a s pas été mieux accueilli ?.

.Es te rhazy dé tourna la tê te , car il ne pouvai t p lus suppor te r le regard douloureux de son épouse. Malgré son absence de sens moral , il se senta i t é t re in t d 'une sensa­t ion pénible qui ressemblai t à du remords .

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— Est-ce que c'est de ma faute si nous ne pouvons pas nous entendre % dit-il enfin. Nous avons des caractè­res te l lement différents !

Clara eut un sourire d ' amer tume . — Nous aur ions t r è s bien p û nous entendre si t u y

avais mis u n t a n t soit peu de bonne volonté, lui répondi t -elle. Ce n ' e s t cer ta inement pas à mo i que t u pour ra i s re­procher de ne pas avoir fait tou t mon possible pour sali-., ver no t re mar iage de la ruine.. . C'est toi qui n ' a pas voulu seconder mes efforts et t u n ' a s même pas voulu t 'occuper u n peu de tes enfants. . .

' — Est-ce que c'est seulement pour me faire des re­proches que t u es venue me voir ? in te r rompi t Es te rhazy sur un ton maussade .

— Non, Ferdinand. . . J e suis venue pour t 'aider. . . — P o u r m 'a ide r ? répéta le t r a î t r e en fixant un re­

gard étonné sur le visage de la jeune femme. — Oui... Il pa ra î t que tu te t rouves dans une situa­

t ion difficile et j e voudrais t ' a ide r à en sort i r si cela m 'es t possible...

Le t r a î t r e para i ssa i t réel lement ému de la noble sim­plicité avec laquelle Clara avai t prononcé ces paroles . A ce moment , il se renda i t par fa i tement compte de sa pro­p re abject ion et cela le faisait souffrir.

— Clara, murmura- t - i l comme malgré lui. J e ne mé­r i te pas au t an t de bonté de ta part.. .

— Ça ne fait rien, répondit-elle doucement. — Mal­gré tout , t u es quand même le père de mes enfants. . .

Es te rhazy fit u n e espèce de grimace. Les enfants , fit-il en baissant les yeux. — Est-ce

qu ' i l s vont bien ? #* Oui, ils vont bien, répondi t la jeune femme dont

les y«Kv s 'é ta ient soudain remplis de larmes. I ls deman­dent souvent des nouvelles de leur papa,.*

Le misérable ne t rouva r ien à répondre. I l se sentai t

— 735 —

te r r ib lement gêné car, depuis que sa femme l ' ava i t qui t té , a m e n a n t les enfants avec elle, il ne s 'é ta i t pas une seule fois donné la peine de demander de leurs nouvelles.

D u r a n t quelques minutes , les deux époux ga rdè ren t le silence.

Es t e rhazy avai t penché sa t ê te en avan t et il t ena i t ses yeux fixés sur le t ap i s qui recouvrai t le pa rque t . Tou t à coup, il sent i t la pe t i te ma in de son épouse qui se r ra i t la sienne et il en tendi t sa douce voix qui m u r m u r a i t :

— Reviens , Ferdinand. . . ; — Reveni r auprès de toi 1 gémit le t r a i t r e sans rele­

ver la tê te . A h ! Si c 'é ta i t encore possible ! — Pourquo i ne serait-ce p a s possible ? fit la com­

tesse sur u n ton affectueux. I l suffirait d ' un peu de bonne volonté de ta part . . . Nous pour r ions t r è s bien reconquér i r no t r e bonheur qui est loin d ' ê t r e définitivement pe rdu !

Le misérable leva enfin les yeux et il se mi t à regar ­der sa femme avec u n a i r s tupéfai t .

— E t t u me pa rdonnera i s ? demanda-t- i l sur u n ton p resqu ' incrédule.

— Pourquo i pas.. . Pu i sque je t ' a ime ? Es t e rhazy eût un t r i s t e sourire et il ba lbut ia : — J e ne suis pas digne de ton amour, ma pet i te Cla­

ra... — T u peux en devenir digne... I l n ' es t j amais t r o p

t a r d pour bien faire... — Oui... J e voudra is bien changer de vie... Mais pour

cela il f audra i t que je sois soutenu.. . — C'est préc isément ce que je veux faire... J e r e ­

g re t t e de t'avoijr quitté. . . Veux- tu revenir avec moi ? Es t e rhazy p a r u t hés i ter encore un pe t i t ins tant , pu i s

il r épondi t d 'une voix faible comme un souffle : — Oui, Clara... Les yeux de la comtesse bri l laient de joie. Heureuse

d 'avoi r obtenu le résu l ta t qu'elle désirait , elle embrassa

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affectueusement son mar i et lui m u r m u r a à l 'oreille : — J e savais bien que t u n ' é t a i s pas aussi mauvais

que mon père se l ' imagine.. . Les femmes ont toujours beaucoup plus d ' intui t ion que lesl iomnios pour ce genre de choses... Sois t ranqui l le , Fe rd inand , t u ne seras pas malheureux avec moi... A u contraire. . . Tu verras b ientôt que ce changement de vie te fera le p lus g rand bien... J e t ' a ide ra i aussi à te débar rasser de tes dettes. . . E n a t ten­dan t mieux, je t ' a i toujours appor té ceci...

Ge disant la jeune femme ouvri t son sac et en r e t i r a les dix mille francs qu'elle avai t appor tés .

— Es te rhazy s ' inclina pour lui baiser la main. — T u es un ange, ma pet i te Clara ! fit-il.

' D e nouveau elle l ' embrassa et lui demanda : — Quand reviendras- tu auprès de nous % Es te rhazy réfléchit un moment, puis il di t : — Demain mat in , ma chérie... J e v iendra i vous

chercher et nous tâcherons de commencer mie nouvelle existence.. . J e serai pour toi le mar i affectueux et fidèle que j ' a imais toujours dû être p o u r . m o n ' p r o p r e bonheur a u t a n t que pour lé tien... J ' 'apprendrai aussi à être un bon père, j e ' t ' e n d o n n e ma parole d 'honneur . . .

Avan t de se qui t ter , ils échangèrent encore mille bai­sers et mi l l e promesses d ' amour . E t quand Clara se fut enfin retirée pour re tourner chez sou. père, son cœur éta i t tout débordant d'une indicible joie...

Après le dépar t de sa l'eninie Esterhazy, p r i t place dans un fauteuil et se laissa aller à une douce rêverie . I l ava i t 1 '''impression de,ce q u ' u n voile venait de se lever de­van t lui, démasquant à ses yeux ravis un avenir de vie saine et honnête dont j amais a u p a r a v a n t il n ' a u r a i t pu soupçonner le charme- •

Oui... il allait changer d 'existence ma in tenan t !... C'étai t décidé, fermement décidé e t il n 'y avait plus à re-, Venir là-dessus... I l allait...