le calvaire d'un innocent ; n° 96

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N° 96 Prix : 1 fr 20 Belgique 1 fr 50 Terrorisée, Amy vit que la foule s'avançait sur elle... (Page 2.983.) C. I. LIVRAISON 381 MANIOC.org Bibliothèque Alexandre Franconie Conseil général de la Guyane

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Auteur : D' Arzac, Jules. Ouvrage patrimonial de la bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation Université des Antilles et de la Guyane. Conseil Général de la Guyane, Bibliothèque Franconie.

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Page 1: Le calvaire d'un innocent  ; n° 96

N° 96 P r i x : 1 fr 20

Belgique 1 f r 50

Terrorisée, Amy vit que la foule s'avançait sur elle... (Page 2.983.)

C. I. LIVRAISON 381

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— C'est v ra iment une coïncidence CUrieuse ! Hier , je vous aura is répondu, non !... Mais ce mat in , . juste avai t de venir , j ' a i r eçu u n té légramme d ' A m y qui se t rouve actuel lement à Tiflis'... J ' a i été t r è s longtemps sans aucune nouvelle d'elle et j ' é t a i s fort inquiet sur son sort...

— Elle est à Tiflis 1 s 'écria P i cqua r t , t r è s surpr i s . A h ! p a r exemple ! voilà qui ne va pas faciliter nos affai­res... Comment vais-je faire 1.. J e ne puis cependant pas lu i demander de t ou t abandonner pour l 'un ique rai­son que j ' a i besoin d'elle, ici... E t , pour t an t , ce serai t la seule solution...

— Ne vous inquiétez pas de cela, répondi t J a m e s Wells. J e vais lui té légraphier immédia tement et j e suis cer ta in q u ' A m y ne refusera pas de vous r end re service. Elle v iendra , n ' e n doutez pas.. . D 'a i l leurs , j ' y pense, au lieu de té légraphier , j e vais p a r t i r et j e la r amènera i moi-même, ce sera encore bien plus sûr...

— Vra imen t , monsieur Wells , vous feriez cela pour moi ! . . J e suis confus de t a n t d 'amabi l i té et j e ne sais comment vous remercier. . .

— Pourquo i ne le ferai-je pas , si cela est nécessaire pour vous faire r end re jus t ice ! . . Tou t homme de cœur en ferai t autant . . .

— J e crois, en effet, que le témoignage de Mlle A m y Nabot serai t de la p lus g rande importance. . . Aucun t r ibu­nal , je pense, ne pour ra i t le récuser et ce témoignage m ' innocen te ra i t tou t à fait... J e vous serais infiniment reconnaissant si vous pouvez parven i r à la décider à reve­n i r à P a r i s pou r déposer en ma faveur... Son r appor t sur les fai ts relat ifs à l 'affaire Dreyfus serai t le bien­venu pour tous ceux qui veulent voir la just ice t r iompher .

Le gardien toussa et, d 'un ton sévère, il prononça : — Messieurs , il est in terd i t de par le r du procès.

P o u r en discuter, il faudra i t faire appeler l 'avocat ; un

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inculpé n ' a le droit de par le r de son affaire qu 'en p ré -senée de son défenseur...

P i cqua r t s 'exclama violemment : — P a r l e r d 'un témoignage possible, ce n ' e s t pas

par le r du procès. Laissez-nous t ranqui l les !... J e sais t r è s / bien où s ' a r rê ten t mes droits et ce qu ' i l m 'es t permis ou in terd i t de dire....

Le gardien ne lui répondi t pas. I l se contenta de t i r e r sa montre et, se t ou rnan t vers

le visi teur, il dit à celui-ci : — Monsieur, il est t emps de vous retirer. . . . P i c q u a r t lui je ta un coup d'oeil furieux ; mais il par­

v in t à se contenir.. . I l se leva en même t emps que J a m e s Wells et, lui

t endan t la main, il dit : — E n faisant cela, vous me rendez un service im­

mense, monsieur ! J e me souviendrai éternellement. . . — Vous pouvez disposer de moi, en tout , mon colo­

nel... J e serais toujours heureux de vous servir... — J e vous remercie, infiniment !... I l ne me reste

pins qu 'à espérer que votre voyage à Tiflis sera couronné de succès...

— Soyez t ranqui l le ! J e r amènera i Amy, promi t Wells ; elle sera cer ta inement enchantée de r en t r e r et de faire ce que vous lui demanderez.. .

Les deux hommes se ser rèrent encore une fois la main .

Weills sort i t avec le gardien qui referma la por te de la cellule et P i cqua r t se re t rouva seul...

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C H A P I T R E C D X V I I

R E T O U R A PARIS. . .

P a r i s !... C 'é ta i t v ra iment l 'unique ville du monde où l 'on

p u t vivre ! P a r i s !... Mon P a r i s !.... Lorsqu 'Es te r l i azy sort i t de la gare , il aspi ra longue­

ment l 'a i r de la capitale.. . H avai t soif et faim de l ' a tmosphère par is ienne,

cet te a tmosphère qui lui avai t t a n t manquée.. . E n t r ave r san t les rues de cette ville, il se rendi t

compte soudain qu ' i l l ' a imai t p lus qu ' i l ne l 'eut cru ; il s 'apercevai t que, depuis des mois, il avai t la nostal- , gie de la belle métropole.. .

J a m a i s cet amour de la Ville unique entre les vil­les ne lui étai t a p p a r u avec une telle clar té ; j amais il n ' ava i t su qu ' i l l ' a imai t de cette façon...

I l é ta i t ma in t enan t comme un enfant qui re t rouve sa mère après une longue absence ; un mar in qui revoit sa mie après une longue croisière ; un a m a n t désespéré qui voit sa maî t resse revivre. . .

Len tement , il marcha i t le long des boulevards, em­pl issant ses poumons de cet a i r qui avait une saveur, un parfum, un goût tou t part iculiers . . .

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E t cet air vicié p a r toutes les fumées de la grande ville, cet a ir dangereux aux poumons, lui para issa i t l 'air le p lus pur , le p lus revivifiant du monde.. .

P a r i s !... mon P a r i s !... Comme il avai t été fou de p a r t i r !.. Comment avait-i l pu vivre ai l leurs ?... De quelle vie enivrante , il eut vécu ici s'il avai t su!... Se r emémoran t les mois d 'a t roce misère, t a n t maté­

rielle que morale, qu ' i l venai t de vivre à Londres , il se disai t que j ama i s il ne serai t tombé si bas s'il é ta i t res­t é à Par is . . .

L a grande ville contient des ressources infinies pour ceux qui l ' a iment et savent en t i re r part i . . .

I l au ra i t pu res te r l 'associé de la tenancière du ca­ba re t de nu i t montmar t ro i s qui lui r appor t a i t une si belle prébende . Avec cela seulement, il eut eu suffisam­men t pour vivre...

E t quelle vie aventureuse et folle eut été la sienne !... Tandis qu 'à Londres , il vivai t une existence misé­

rable.. . Lui , Es te rhazy , ce t ransfuge de la grande vie pa­r is ienne, il avai t passé des soirées ent ières dans le salon plein de mites de Mme Brow ; il faisait avec ces deux femmes des par t ies de car tes dont l 'enjeu étai t quelques pennys. . .

— Ecœuran t !... murmura-t- i l . . . Combien ce tableau ignoble cont ras ta i t avec ceux

de sa vie.de jadis , cette vie br i l lante , é tourdissante qu'i l avai t mené avec t a n t de brio, de gaieté...

Comment avait-i l pu tomber si bas... Comment avait-i l pu suppor te r une telle s i tuat ion ? ¥011 !non ! p lus j amais il ne se laisserai t glisser là... Tout allait changer.. . I l ne savai t pas encore de quelle na tu re serai t ce

changement , ni comment il se p rodui ra i t ; mais il espé­ra i t bien que, grâce à ses relat ions et à ses anciens amis.

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il t rouvera i t un moyen de recommencer sa vie br i l lante de jadis. . .

I l se créerai t de nouveau une position sociale ; il rev ivra i t enfin...

E n flânant à t r ave r s les rues , toutes sortes de plans se formaient dans sa t ê t e -

Mais c 'é ta ient des p lans aven tu reux et dangereux. . . H ne pouvai t faire que des choses exceptionnelles.. . Aprè s tout... pourquoi pas 1... Esterhazy , sour iant à ses pensées, marcha i t toujours . I l saura i t bien t rouver une planche de salut... I l saura i t bien ne pas r a t e r l 'occasion si elle se pré­

senta i t ; n 'eut-el le q u ' u n unique cheveu... L ' a i r de P a r i s lui donnai t tous les courages... E t ce fut t rès sûr de soi-même qu'i l se fit annoncer

à l 'Etat -Major . . . Nature l lement , son arr ivée y fit sensation» I l y avai t longtemps qu 'on ne l ' avai t vu, t a n t de

bru i t s avaient circulé sur son compte, qu 'on ne savai t guère comment l 'on devait se comporter avec lui...

Mais personne n ' ava i t l 'a i r enchanté de le revoir... I l se fit annoncer au capi taine Duchesne. Celui-ci le reçut immédia tement . Es t e rhazy ne connaissai t pas cet officier qui é ta i t

à l 'E ta t -Major depuis fort peu de t e m p s -Mais Es te rhazy ne fut pas impressionné pour si

peu de chose ; il salua le capi ta ine Duchesne comme s'il ava i t été un de ses vieux amis et lui dit d ' un ton jovial :

— Voyez comme j ' a i m e la F r a n c e !... Dès récep­tion de votre le t t re , j e me suis hâ té de p rendre le pre­mier ba teau et d 'accourir à vot re appel... J e viens me met t r e à vot re disposition...

— Nous pensions bien qu ' i l en serai t ainsi, dit froi­dement le capi taine Duchesne. C'est d 'a i l leurs le devoir de tou t bon français de se me t t r e au service de la Pa t r i e , dans un cas semblable...

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— De quoi s 'agit-il 1 demanda Es terhazy. — Vous ne le devinez pas 1 — S'agirai t- i l encore des faux d ' H e n r y % Duchesne avai t indiqué une chaise à son visi teur. Celui-ci s 'é ta i t assis, fort à son aise, en croisant les

j ambes . I l considérai t l'officier d 'E ta t -Majo r d ' un pe t i t air

i ronique qui semblait agacer celui-ci. Cependant , le capi taine Duchesne, su rmontan t les

sen t iments que faisaient na î t r e en lui la vue et l ' a t t i tu ­de d 'Es te rhazy , fit u n signe affirmatif et répondi t : •

— On m ' a dit que vous étiez au courant de toute cet te affaire. Pouvez-vous affirmer en toute conscience q u ' H e n r y fut vér i tablement coupable de ce crime ! . .

E s t e rhazy sembla réfléchir, puis , à son tour , il po­sa une quest ion :

— Avez-vous l ' impress ion qu ' i l é ta i t capable de le commet t re %

L e capi ta ine Duchesne haussa les épaules d 'un air plein d ' incer t i tude .

P u i s il expl iqua : — J e l 'a i fort peu connu... Tout ce que je pu is dire

.c'est qu ' i l me produisa i t l'effet d ' ê t re ex t rêmement ner­veux:.. H semblait malade . On eut dit un homme qui a su rmené ses nerfs et n ' en peu t plus... Main tenan t , avai t -il toujours été ainsi, ou bien était-ce la r é su l t an te d 'un r emords ou de chagrins int imes, comme on l 'a dit, je ne pour ra i s me prononcer avec cert i tude. . .

— J e pense que sa conscience le tou rmen ta i t et mi­na i t son énergie et ses forces...

— Admettez-vous donc q u ' H e n r y fut coupable % demanda le capi ta ine. H me semble que c'est la conclu­sion de vot re réponse .

— J e ne crois pas qu 'on puisse douter de sa culpa­bilité...

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— Auriez-vous des preuves de ce que vous avan­cez 1 Pourr iez-vous les produire si on vous les deman­dai t %

— J e n ' e n ai p lus ent re mes mains . C'est r egre t ­table ; vous auriez dû me les demander plus tôt...

— Mais si vous avez eu des p reuves de son crime, s 'exclama le capi taine Duchesne, pour quelles ra isons n 'avez-vous pas accompli ce qui é ta i t vot re devoir élé­menta i re ; pourquoi ne l 'avez-vous p a s dénoncé % Vous le deviez...

Es t e rhazy laissa glisser sur ses lèvres un sourire cynique :

— Ce sont des choses qui ne se font pas ent re ca­marades. . .

Duchesne fronça les sourcils, ferma à demi les yeux et fixa Es te rhazy pendan t p lus ieurs minutes , sans mot dire.

Pu i s , a p p u y a n t sur les mots , il r ep r i t d 'une voix glaciale :

— Faut - i l supposer que vous avez par t ic ipé à ce cri­me ?... Ou croire s implement que vous avez eu pi t ié d ' un camarade qui s 'é ta i t laissé en t ra îné à commet t re une infamie ; ou encore que vous avez cra int d ' ê t re ac­cusé à vot re tou r et d 'avoir des comptes à r end re ! . . Ignorez-vous que l 'on dit que vous étiez en re la t ions suivies avec l ' a t t aché mil i ta i re al lemand, M. Von Schwar tzkoppen ?...

— Pourquo i nierai- je ce qui est 1... Oui, j ' é t a i s en re la t ions avec Von Schwar tzkoppen. E t après ! . .

Le capi taine Duchesne considéra Es t e rhazy d 'un a i r abasourdi .

I l n ' a v a i t j amais envisagé que celui-ci avouera i t sans la moindre hési tat ion, avec une franchise qu 'on pouva i t qualifier de cynique... ,

Ne craignait-i l donc p a s d 'ê t re pun i j u s t emen t ?..s

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— Ainsi , r ep r i t l'officier ; t ou t est vrai dans les b ru i t s qui courent sur vous ?...

— Quoi, tou t 1 — Vous auriez vendu des secrets mili taires à l'Al­

lemagne ?... Est-ce v ra i % Vous avouez cela ! . . Es t e rhazy souriai t touj ours. JJ fit un signe affirmatif et avoua : — C'est vra i , capitaine.. . Pourquo i nierai- je ?...

J ' a i en effet, vendu des documents mil i ta i res confiden­t iels à l ' a t taché mil i ta i re al lemand. J ' a i également , d 'a i l leurs , si vous voulez que je vous dise tou te la vé­r i té , vendu des documents impor t an t s à l ' a t t aché de l ' ambassade d ' I ta l ie , qui me les demandai t d 'urgence.

L e capi ta ine eut un sursau t : — Vous osez m 'avoue r cela ! . . Vous n 'avez pas

honte ! . . Es t e rhazy fit, de la main, un geste négl igent : — Pourquo i nier... C'est un fait Î...T1 ne suffit pas

de n ier les fai ts pour empêcher qu ' i ls a ient existé... Cela, d 'a i l leurs , ne changera i t r ien à la si tuation.. .

— Mais vous rendez-vous compte que vous vous accusez vous-même ? Vous n ' ignorez cependant pas le r isque que vous courez en fa isant cela % Vous vous con­damnez.. .

— Pourquo i aurai- je peur ? J e sais t r è s bien que l 'on ne me poursu iv ra pas , que l 'on ne peu t pas me poursuivre. . . E t cela m ' amuse énormément d 'ai l leurs !...

— Vous êtes d 'une insolence incroyable ! — Cet te insolence m ' a toujours servi... J ' e n ai tou­

jours usé et cela m ' a toujours réussi. . . Cela réuss i r* encore...

E s t e rhazy riait . . . L 'affol lement d u capitaine éta i t à,son comble et ce­

la l ' amusa i t énormément . I l é ta i t tou t à fait heureux du pe t i t effet qu ' i l ava i t produit . . .

Duchesne é ta i t si bouleversé p a r cet aveu éhonté,

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auquel il osait à peine croire, qu ' i l en res ta i t déconcerté et in te rd i t !...

I l ne t rouva i t p lus une parole . Enfin, il domina son trouble, et incapable de t rou­

ver lui-même une conclusion à cette conversat ion qui ava i t été bien différente de ce qu ' i l avai t imaginé, il se leva et déclara :

— Rompons-là, monsieur.. . Nous n 'avons , pour l ' ins tant , p lus r ien à nous dire. J e vais r endre compte à mes supér ieurs de no t re conversat ion et j e ve r ra i ce qu ' i ls décideront à vot re égard... Vous voudrez bien vous ten i r à no t re disposition.

Es te rhazy , toujours souriant , se leva à son tour et, s ' incl inant légèrement , il p rononça :

— Vous avez mon adresse, capi ta ine. Lorsque vous désirerez me voir, vous n ' au rez qu ' à m 'envoyer un mot . Mais je vous pr ie de bien vouloir me préveni r à l ' avan­ce, car je n ' a i pas l ' in ten t ion de pe rd re mon t emps à a t ­t endre une convocation de l 'E ta t -Major . J e prévois que j e serais t r è s occupé.

— C'est entendu, je vous p rév iendra i à t emps pour que vous puissiez vous l ibérer de vos obligations, répon­dit le capi ta ine Duchesne d 'un ton glacial.

— Allons au revoir, à bientôt , di t Es t e rhazy d 'un ton cavalier. I l fit au capi ta ine un salut amical et qu i t t a la pièce, la i ssant l'officier confondu d 'une telle audace.

Pu i s , l ' e spr i t léger, le misérable descendit l 'esca­lier en sifflottant un a i r de marche .

H é ta i t pe r suadé qu ' i l ava i t mené la conversat ion avec beaucoup d 'adresse et que personne ne s 'aviserai t de lui demander compte de ses actes ; aucune sanct ion ne sera i t pr ise contre lui ; il en étai t certain. . .

Bien au contra i re , il pensa i t que ces aveux lui ap ­por te ra ien t un g rand bénéfice ; on voudra i t sans doute obtenir son silence à tou t p r i x et il se p rome t t a i t de se le faire paye r cher...

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Il souriait. . . Enfin, il avai t déjà t rouve une nouvelle source de

revenus ! E t cette source, sans doute, serai t intar issa­ble... I l le fallait, car il voulait absolument se l ibérer des deux Brown.

Main tenan t , ces deux femmes, la fille au t an t que la mère, lui é ta ient odieuses et il aspi ra i t au jour où il rompra i t tous ses r appo r t s avec elles...

P e n d a n t qu ' insouciant , et se berçan t de rêves de for tune. Es t e rhazy se promenai t sur les boulevards re­nouvelant connaissance avec les cafés de la captiale le capi taine Duchesne, en proie à la p lus grande perple­xi té , se faisait annoncer chez le minis t re de la Guerre .

L'officier de service qui le connaissai t s 'empressa d 'al ler p réveni r le général Cavaignac et celui-ci le fit immédia tement in t roduire .

— Qu 'y a-t-il donc, capi taine 1 demanda-t-i l . en voyant le visage bouleversé de l'officier d 'E ta t -Major .

Vous avez l 'a i r agi té et vous êtes t r è s pâle... J e ne vous ai encore jamais vu ainsi ; que se passe-t-il %

— Es te rhazy sort de mon bureau, mon général , r épondi t péniblement le capi taine Duchesne. dont la voix était r auque .

— H est déjà venu ? — Oui. mon général . — E h bien ! qu'a-t- i l dit ? Quelque chose qui mo­

tive vot re bouleversement % — Oui, mon général.. . Cet homme est un misérable,

j e m ' en doutais bien ; mais je ne me serais j amais douté qu'i l pu t avoir une telle audace... J ' e n ai été stupéfait. . .

Cavaignac souri t faiblement : — Bah ! que pouvez-vous espérer d 'un homme

sans scrupules comme celui-ci... Vous pouviez bien vous a t t endre à quelque chose de ce genre... Mais, en défini­t ive, que vous a-t-il dit au sujet de ce qui nous intéresse ! . .

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Etai t - i l au courant des faux commis p a r Henry ?... Qu 'en savait-il %

— I l est au courant de tout , mon général . — Mais posscdc-t-il des preuves de cette infamie

et comment se fait-il qu ' i l n ' en ai t pas par lé ! . . — I l dit qu ' i l a eu des p reuves qu ' i l n ' a plus en

mains ; mais il est tou t à fait affirmatif, quant à la cul­pabi l i té d ' H e n r y ; il p ré t end même que c 'est le remords qui a déterminé le dé t raquement nerveux de son ami... Mais quand je lui a i -demandé pour quelle raison il ne l ' ava i t pas dénoncé, il m ' a répondu en r i an t narquoise-ment que « cela ne se faisait pas ent re camarades . »

— E t c'est ceci qui vous a bouleversé 1 — Non, mon général ; c 'est quelque chose de pis !

J e vous dis que l 'audace et le cynisme de cet individu n ' o n t pas de bornes : il m ' a avoué tou t de go, alors que ,-jc ne le lui demandais pas . que c'est lui qui a vendu à Von Schwarzkoppcn, l ' a t t aché mil i taire a l lemand et à l ' a t t aché mil i ta i re italien, des documents secrets impor­t an t s , in té ressan t la défense nationale. . .

— Mais alors ! s 'exclama Cavaignac. dont le visage se.décomposa ; alors, le t r a î t r e !... Ce serai t donc lui et, non pas Dreyfus !... E t c 'est sa faute que celui-ci a expié à l ' I le du Diable !... E t il est venu vous avouer cela !...

— Oui, avec le sourire d 'un homme sûr de soi ; sûr de n ' ê t r e pas inquiété ; avec un cynisme effroyable !... U n e telle audace m ' a renversé. . .

— J e le comprends.. . . Mauvaise affaire... — Cet aveu d 'Es te rhazy , r epr i t le capi taine Du-

c-hesne qui, peu à peu, r ep rena i t la maî t r ise de lui-même, va suffire à démont re r clairement l ' innocence de Drey­fus ; cela ne fera aucun doute lors de la révision...

CavaignaCj en en tendant ces paroles, bondit de son

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fauteui l et se mit à a rpen te r la chambre de long en large. Cette idée le bouleversait. . . Soudain, il s ' a r rê ta ne t devant l 'ofeier et d 'une

voix qui bégayai t un peu, il dit en le r ega rdan t droit dans les yeux :

— Ce sera un scandale effroyable !... Le capi taine Duchesne approuva d'ui rte

tê te : — C'est bien ce que je crains, dit-il. — Si cet aveu ar r ive j u s q u ' a u peuple, je crains des

émeutes ; qui sait une révolution ! m u r m u r a Cavai­gnac. Que va-t-il arr iver , je me le demande ?

— J e crains le pire, monsieur le ministre. . . Cavaignac se remit à a rpen te r nerveusement la piè­

ce. I l marchai t , tê te baissée, les épaules courbées com­

me sous un faix t rop lourd pour elles... E t , de t emps en temps, un profond soupir sortai t de

ses lèvres. Vra iment , la tâche à accomplir dépassait 5 es forces...

Où étai t son devoir ! . . L a vérité ne ferait-elle pas au t an t de mal que la cont inuat ion de l 'erreur. . .

L a révélat ion de l ' innocence de Dreyfus n 'al lai t-el le pas déchaîner toutes les forces du désordre.

I l en éta i t à ce terr ible ins tan t où un homme d ' E t a t doit choisir en t re l ' injust ice et le désordre !

— Que peut -on faire % dit-il enfin. Comment met­t r e fin à une s i tuat ion aussi compliquée que celle-ci ! . .

— J e ne vois aucune solution possible, mon géné­rale, répondi t le capi taine Duchesne.

— Cependant , il faut en t rouver une ! il le faut ab­solument ! Lorsque le peuple de F r a n c e connaî t ra les aveux d 'Es t e rhazy il defr V r a des explicat ions ; il vpudra savoir pourquoi cet nomme n ' e s t pas au bagne à la place de l 'autre. . . Le Conseil de Guerre sera en but-

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te à des accusat ions sans nombre et il pe rd ra tou t son pres t ige . On lui reprochera d 'avoir été par t ia l , d 'avoir couvert le vér i table c o u p a b l e -

Non ! non !.. H ne faut pas que cela ar r ive ; il faut , à tou t p r ix , éviter u n semblable scandale ; il le faut , à! tou t p r i x ! m'entendez-vous !... Sinon, t®ut r isque de s'écrouler... Le Gouvernement , lui-même, n ' a u r a p lus la confiance du peuple dès que ces fai ts seront connus.. . Oui, oui, mieux v a u t pe rpé tue r l ' in just ice que de per­me t t r e un tel désordre.

— Nous avons commis une faute en r appe l an t cet homme ; il eut mieux valu le laisser en Angleterre . . .

— H est facile de r eg re t t e r ma in t enan t ce que nous avons fait ; mais les r eg re t s ne changent r ien aux fai ts accomplis, répondi t Cavaignac en r i canan t amèrement . Nous avions cru qu ' i l v iendra i t t émoigner contre Drey­fus et que sa présence a r r ange ra i t tou t pour no t re bien à tous,.. Nous espérions qu ' i l l ' accuserai t comme tou­jours et que la confrontat ion de ces deux hommes tour ­ne ra i t à no t re avan tage . Nous avons accepté la révision du procès pou r calmer l 'opinion publ ique, avec l 'espoir de pouvoir p rouver que Dreyfus é ta i t bien u n t r a î t r e et que le j ugemen t du Conseil de Guer re avai t été j u s ­tifié... E t maintenant . . . Ma in tenan t , tous nos p lans s 'é­croulent.. . Es te rhazy est devenu subi tement no t re p i re ennemi... C'est lui qui sera le « deus ex machina » de no t re défaite... E t c 'est nous qui l ' avons appelé !...

Le capi taine Duchesne réfléchissait. — Cet homme doit avoir eu des ra isons par t icu­

lières pou r faire cet aveu, monsieur le minis t re , dit-il soudain...

— Quelles ra isons pourra i t - i l bien avoir 1 . H a voulu s implement nous na rguer , nous mon t r e r qu ' i l ne nous craignai t pas qu ' i l se croyai t le p lus fort... E t qu ' i l l 'es t en réalité.. . Quelles au t r e s ra isons pourra i t - i l bien avoir ! . .

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— J ' a i en tendu dire qu ' i l é ta i t dans une si tuation matér iel le précai re . Depuis son divorce, il doit ê t re sans ressources et i l a dû vivre d 'expédients à Londres. . . Alors, il n ' y aura i t r ien d ' é tonnan t à ce qu ' i l ai t eu l ' idée d 'exploi ter la s i tuat ion pour en t i r e r de l ' a rgent . J e ne serais p a s étonné d ' app rendre que ses aveux n ' a i en t pas d ' au t r e cause et si cela était.. .

-— Si cela était , in te r rompi t Cavaignac, nous se­r ions sauvés... Pensez-vous v ra iment que l 'on pour ra i t acheter son silence ?...

— Oh ! mon général , j ' e n suis presque certain.. . I l ne peu t avoir d ' au t r e mobile que de nous faire chanter. . . Mais ce que je crains c 'est qu ' i l ne nous demande une somme t rop importante. . .

Cavaignac étai t de plus en plus agité.... — I l faudra i t savoir quelle somme... E t où la pren­

drons-nous, je me le demande.. . . Le capitaine Duchesne poussa un soupir... I l devinai t que le misérable Es t e rhazy n ' a u r a i t au­

cun scrupule et ne se soucierai t pas des embar ras dans lesquels il me t t r a i t le - Gouvernement , le Minis tère . l 'Eta t -Major . . .

E t il pensai t bien qu ' i l devait avoir les dents lon­gues et que les fonds secrets seraient tou t à fait insuf­f isants à acheter sou silence. Ce fut ce qu'il expr ima en ces t e rmes :

— J e pense qu ' i l sera t rès exigeant , monsieur le ministre. . . Quan t à t rouver l ' a rgent , les fonds dont nous pour r ions disposer n ' y suffiront cer ta inement pas et il n 'est cependant pas possible de faire figurer une dépen­se de ce genre dans le budge t de l 'Etat . . . C'est alors que le peuple pou r r a i t nous demander des comptes.. .

Cavaignac res ta i t songeur et il m u r m u r a : — Dans quel abominable pé t r in nous sommes-

nous.mis !... J e me demande comment nous sor t i rons de

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Lorsque les deux cosaques revinrent au traî­neau, Semion était en train de panser...

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là, sans en être éclaboussés... E t encore, en sort i rons-nous jamais !...

— I l me semble en effet, r ep r i t le capi taine Duches-ne, que nous sommes dans une impasse, sans issue... Nous avons voulu accabler le capi taine Dreyfus, pour nous sauver, et voici que c'est nous qui sommes écrasés sous les preuves que nous accumulions contre lui....

— Mais, comprenez donc qu'il est impossible que cela soit ainsi ! Mon cher capi taine, il faut que nous t rou­vions la possibil i té de nous t i re r de ce guêpier.. . I l faut que nous t rouvions un moyen de faire condamner de nouveau le capi taine Dreyfus, et de ne pas t en i r compte des aveux d 'Esterhazy. . . Il n ' y a pas à te rg iverser ; il le faut !... il le faut !....

On profond silence tomba dans la pièce. Les deux hommes, chacun de son côté, réfléchis­

saient. Ils examinaient toutes les solutions possibles... Malheureusement , elles n ' é t a i en t pas nombreuses . — J ' y suis ! s 'exclama soudain le minis t re de la

Guerre.. . Oui... oui... c'est la meilleure solution... Duchesnc se tourna vers lui d ' un a i r at tentif . Le général paraissait t rès agi té : — Voici, dit-il, nous allons faire une chose t rès

simple. Il suffisait d 'y penser.. . Nous allons expulser E s -terhazy.. . . Ou plutôt, comme il faut que tou t se passe en douceur, nous allons lui in t imer l 'ordre de qui t te r la F r a n c e dans les v ingt -quat re heures. . . Ainsi , ce cauche­m a r sera fini...

— Croyez-vous que cela suffira, monsieur le Minis­tre.. . 11 est homme à refuser d 'obéir à un ordre de ce genre.. .

— I l faudra lui faire comprendre qu 'en désobéis­sant , il s 'exposerai t à de graves sanct ions disciplinai­res.. . On pour ra i t le menacer de l ' a r rê te r et de le fairo me t t r e en prison.. . Pourquo i ne lui dirai t-on pas qu ' i l

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va être inculpé d 'espionnage 1 ?. . . Essayez ce système ; vous verrez qu ' i l est bon ; il ne rés is tera pas, j ' e n suis certain.. . I l sera effrayé et il p a r t i r a sans demander son reste.. . I l renoncera p lu tô t à l ' a rgen t qu 'à la liberté,. . E t , comme nous sommes seuls, vous et moi, à connaître ses aveux, ils seront ensevelis pour toujours. . .

Le capi taine "Duchesne p a r u t convaincu. Le conseil que lui donnai t le minis t re de la Guerre

semblai t tou t à fait digne d 'ê t re pr is en considération. I l fit un geste d 'acquiescement en disant : — I l n ' en coûte r ien d 'essayer . Peu t -ê t r e réussi-,

rons-nous à le faire p a r t i r en l ' in t imidant , quoique son audace n ' a i t guère de bornes.

— Rassurez-vous ; cette solution est la bonne : j ' e n suis sûr... répondi t le minis t re avec assurance. Es ­te rhazy aime sa l iberté p lus que tou t au monde et s'il la voit menacée, il ne se fera pas répé te r l 'o rdre de filer...

Duchesne se leva pour p rendre congé : — J e vais écrire la le t t re et j e vous la r appor t e ­

ra i pour la s ignature , monsieur le ministre. . . P l u s vite on sera débarrassé de lui, mieux cela ira... J e ferai toute diligence, car je ne serais rassuré que lorsque cet hom­me a u r a passé la front ière.

Cavaignac tendi t la main à l'officier : — Merci !... Vous êtes tou t à fait l 'homme dont

j ' a v a i s besoin en de semblables circonstances. J e vois que je puis compter sur vot re loyauté. . . Fa i t e s cela im­médiatement . . . L ' h o n n e u r de l ' a rmée et du Gouverne­men t est menacé p a r les révéla t ions que pour ra i t faire cet individu aux j o u r n a u x ou à nos ennemis politiques.. . Nous devons tous faire not re devoir pour le sauver et le me t t r e hors de cause....

Le capi taine Duchesne s ' inclina ; puis il sort i t pour r e tourne r clans son bureau.

J àuand il fut sorti , le minis t re ten ta de se r eme t t r e

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au t r ava i l ; mais il é ta i t ne rveux et ses pensées étaient ailleurs... I l ne pouvai t s 'empêcher de rougi r en pensan t que l 'E ta t -Major de l ' a rmée française avai t compté un t r a î t r e dans son sein et que ce n ' é t a i t pas cet homme qui expiai t son crime ; mais un au t re qui n ' a v a i t commis aucune faute... U n a u t r e qu 'on avai t t i ré du bagne pour le j e te r en prison, afin de donner à l 'opinion publ ique un simulacre de satisfaction...

I l ne pouvai t se d is t ra i re de cette pensée ; les évé­nements de ces jou r s dern iers repassa ient sans cesse dans son espri t enf iévré-

Son visage étai t assombri et il fixait le p lancher d ' u n a i r soucieux et obsédé...

Ah ! pourquoi Dreyfus n 'é ta i t - i l pas mor t à l ' î le d u Diable !...

Comme tout au ra i t été plus facile si l ' innocent avai t disparu.. .

Des mill iers de déportés moura ien t chaque année sous ce terr ible climat... Mais, lui, malgré le t r a i t emen t sévère, inhumain , auquel on l 'avai t soumis, il avai t r é ­sisté à toutes les souffrances qui l ' avaient assailli...

Sans doute, le diable avait-i l mis sa main dans le jeu. il s'en était te r r ib lement mêlé de cette affaire Drey­fus qui dura i t depuis des années et dure ra i t combien d 'années encore...

Tous les efforts des minis t res de la guerre qui s'é­ta ient succédé dans ce fauteuil où il étnit assis en ce mo­ment, avaient été v a i n s -

Dreyfus avai t survécu à tout... I l demandai t qu 'on lui rendi t justice ; il avait des

amis qui avaient soulevé l 'opinion publique... Le danger était grand pour tous ceux qui avait mené

le combat contre l ' innocent condamné au bagne, toutes leurs manœuvres seraient connues du public...

L a révision dévoilerait au monde ent ier toutes lea

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infamies qui avaient été commises pour sauver la face... Cavaignac gr inçai t des dents . Ses mains se cr ispaient sur une grosse chemise de

toile grise, placée sur son bureau et qui por ta i t , au mi­lieu, écrit en grosse ronde, le nom de Dreyfus.. .

Ali ! s'il pouvai t b rû ler tous ces p a p i e r s -Mais à quoi cela servirai t- i l ? I l eut fallu pouvoir anéant i r avec eux tous ceux qui

se souvenaient, tous ceux qui savaient quelque/chose-U n e haine aveugle monta i t en son cœur contre cet

homme qui é ta i t la cause de t an t de maux.. . Toutes les difficultés qui s 'accumulaient sous ses

pas ; toutes les angoisses p a r lesquelles il avai t passé avaient été provoquées p a r cet homme...

I l se laissait submerger p a r sa haine... Souvent, il avai t souhaité pouvoir t ue r cet homme,

afin de met t re fin à t o u t -Mais, main tenant , Dreyfus était encore vivant , mal­

gré tou t . , il étai t même de nouveau en France. . . P o u r Cavaignac et ses collaborateurs immédiats il

étai t comme u n spectre menaçant , qui rôdai t au tour d 'eux, présage de ru ine et de malheurs. . .

Mais, malgré toute la peu r et les soucis que la révi­sion du procès inspi ra i t au Minis t re de la Guerre , celui-ci ne voulait pas renoncer à l 'espoir de t rouver , au der­n ier moment l ' a rgumen t nécessaire pour convaincre, un< deuxième fois, les juges do la culpabili té du condamné..

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C H A P I T R E C D X V I I I

R E U N I S U N NT..

Lucie était dans un état de nervosité effrayant. Quand elle avai t passé le seuil de la pr ison de Ren­

nes, quand elle avait péné t ré dans le cabinet du direc­teur , quand celui-ci lui avait dit qu'elle allait enfin r e ­voir l ' ê t re qu'el le a imai t p lus que tout au monde, elle avai t pensé défaillir...

P u i s on l ' ava i t conduite dans le pa r lo i r et elle sa­vait qu 'une simple por te la sépara i t de celu Qu'elle ai­mait. . .

L e temps lui semblait interminable. . . Quand cette por te s 'ouvrirait-elle enfin pour laisser

passer son bien-aimé ? Le désir qu'elle avai t de le voir do l ' embras se r la

to r tu ra i t , lui brû la i t le cœur.. E ta i t -ce bien v r a i ? Allait-elle enfin le revoi r ?.. N 'é ta i t -ce p a s un songe

dont elle allait s 'éveiller, p lus brisée que j amais p a r la d é c e p t i o n

El le ne croirai t v ra iment à son bonheur que lors­qu'elle le se r re ra i t dans ses bras , lorsqu'el le se presse­ra i t contre sa poitr ine. . .

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Elle cloutait encore ; elle voulait entendre confirmer la bonne nouvelle p a r son m a r i lui-même ; alors, seule­ment , elle croirai t que ses souffrances avaient p r i s fin...

Les déceptions qu'elle avait éprouvées pendan t ces dernières années de sépara t ion avaient t a n t t o r tu ré son p a u v r e cœur, qu'elle n ' ava i t p lus la force de croire...

L a méfiance et l ' injust ice n 'é ta ien t p lus pour elle de vains mots ; elle les connaissai t maintenant . . .

L e destin l 'avai t t r op cruellement mal t ra i tée ; elle ne pouvai t p lus s 'accl imater à l ' idée du b o n h e u r -

Ces douleurs ne pouvaient pas s 'oublier si rapide­ment...

Tou t lui faisait peur ; elle doutai t de t o u t -L a malheureuse craignai t que, de nouveau, l 'on s'a­

charnâ t su r cette apparence de bonheur qu'elle voyait venir vers elle...

E t elle pensnit qu'elle ne rés is tera i t pas , cette fois, à une nouvelle d é c e p t i o n -

Soudain, la po r t e s 'ouvrit et Alfred pénét ra dans la pièce.

Lucie ouvri t les bras.. . Cétait vra i !... Le bonheur revenai t à elle... I l semblait à la pauvre jeune femme, saisie d 'un ver­

tige moral que tout t ou rna i t au tour d'elle et en elle... Ses oreilles bruissaient , un voile passai t devant ses

yeux son cœur cessait de ba t t re , une lumière éblouis­sante emplissait le par lo i r de la pr ison.

Mais cet établouissement ne du ra que quelques ins­tants. . .

Lucie revint rfmidement à elle... Mais elle était encore ' s i bouleversée, son bonheur

était si immense qu'elle ne t rouvai t pas une parole à prononcer. . .

El le n ' ava i t même pas p r i s garde qu 'en ouvran t les

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bras, elle avait laissé tomber à te r re la gerbe de fleurs qu'elle avait appor té à l ' in tent ion de son mari . .

El le étai t dans ses bras... I l l 'embrassai t passionnément.. . El le lui rendai t ses baisers... Des frissons de bonheur la parcouraient . . . Elle avait re t rouvé ce bonheur auquel elle avait re ­

fusé de croire j u s q u ' a u dernier moment.. . El le étai t t r anspor tée de joie ; une joie immense !

— Mon Alfred, mon chéri... balbutia-t-elle d 'une voix étouffée.

— Ma Lucie... Ma bien-aimée. . L a jeune femme avait fermé les yeux... El le oubliait tout dans les b ras de son mari. . . Le passé étai t mort.. . Tout le malheur étai t fini

I l s étaient enfin réunis.. . enfin... — Regarde-moi , Lucie, disait-il en couvrant ses

doux cheveux de baisers, regarde-moi. . I l embrassai t ses paupières closes... Lentement , elle ouvri t les yeux et tout son amour

passa dans le r ega rd qu'elle posa sur lui... Tout son amour v ibra i t dans son regard , cet amour

dont le pauv re pr isonnier avai t t an t eu besoin pendan t •°s dernières années...

Cet amour qui le réchauffait maintenant . . . L a voix de Lucie l 'éveilla de son songe douloureux... — Vois-tu, disait-elle ; j e suis si contente de voir

que nos espoirs se sont enfin réalisés ; cela me donne ia force de croire que le bonheur reviendra. . . Nous recom­mencerons à vivre... E t même si nous ne parvenons pas à oublier toutes nos souffrances, le passé nous appa­r a î t r a sous un au t r e j ou r ; nous le ver rons avec des yeux tout différents... Ne le crois-tu pas , mon bien-aimé 1 .

Alfred Dreyfus la ser ra dans ses bras et l 'embrassa passionnément ; il étai t t rop ému pour par le r .

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Doucement, elle se dégagea de son étreinte en di­sant :

— Viens, asseyons-nous sur ce banc. Quand ils furent assis côte à côte, la jeune femme

fit, sur elle-même un g rand effort pour dominer son émo­tion.

Elle voulait donner du courage à son mar i et elle se mi t à pa r le r avec fièvre..

— Ecoute-moi, Alfred... J ' a i souvent l ' impression que la vie est une marche dans une contrée montagneu­se... On a beau dépasser les collines que l 'on a facilement gravies, les montagnes se dressent toujours devant nous. Mais , lorsqu 'enfin, on les au ra dépassées, en faisant le dern ie r effort, alors, nous serons dans la p la ine ; un paysage enchanteur s 'é tendra devant nous... J e sens, je suis sûre que ce sera ainsi pour nous...

— Comme tu es bonne, ma Lucie... Tu veux m'en-courager à aller toujours , afin de f ranchi r la dernière montagne.. . Mais j ' a i de la peine à te croire... J e le vou­dra i s p o u r t a n t ; mais j e ne peux pas ; j e n ' a i pas la force d ' imaginer que tout sera fini ensuite...

— I l faut le croire, mon bien-aimé... Toutes les souffrances p a r lesquelles nous avons passé sont finies pour toujours. . Les ténèbres qui, pendan t de longues années, se sont abat tues sur not re vie, se sont dissipées. Chaque être ne peut suppor te r qu 'une cer taine dose de souffrance... Nous avons assez souffert et, main tenan t , nous avons le droi t d 'espérer un avenir p lus large, p lus heureux, u n avenir où nous serons enfin réunis. . .

Ces paroles de sa jeune femme furent pou r le mal­heureux pr i sonnier comme une i l lumination d'en haut. . .

Oui, Lucie devait être inspirée ; elle avait reçu du ciel une mission : celle de l 'encourager , de le faire es­pérer. . . h

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E t quelles qu 'avaient été la longueur et les diffi­cultés du chemin, il avait le droi t d 'espérer en un bon­heu r futur. . .

Alf red Dreyfus se pencha vers Lucie et p r i t sa ma in dans la sienne :

— Comme je te remercie, ma chérie... T u m ' a s in­sufflé u n nouveau courage... Ce r e tou r que j ' a v a i s es­péré t r iomphal , dont j ' a v a i s t r o p rêvé, ne m ' a appor té que des déceptions... Vois-tu, j ' a v a i s pe rdu courage ; j ' é t a i s t r op aba t tu pou r avoir confiance en un heureux changement.

— Mais nous sommes réunis , main tennant , Alfred et plus r ien ne nous séparera désormais.

El le caressait doucement sa main. P u i s , f e rmant les yeux un instant , elle m u r m u r a : — C'est si doux, si beau de t ' avo i r là, p rès de moi...

j e suis reconnaissante au destin, de nous avoir accordé cette joie.

J l l ' a t t i r a vers lui et déposa de tendres baisers sur ses cheveux, ses yeux, ses mains.. .

— T u ne peux t ' imag iner combien j ' a t t e n d a i le mo­ment de te revoir . J ' a v a i s cru qu 'on me laisserai t ren­t r e r tout de suite auprès de toi... Mais au lieu de cela on me mena i t d 'une pr ison dans une au t re . D ' a p r è s la le t t re , qui m 'annonça i t ma l ibération, j ' a v a i s supposé que je serais l ibre d 'al ler où cela me p la i ra i t et j ' é t a i s im­pat ien t de vous re joindre . Le pap i e r officiel qu 'on m ' a communiqué disai t clairement que mon innocence avai t été reconnue et que le Conseil de guer re tenai t à répa­r e r cette e r reu r judic ia i re . J e r en t ra i s en F r a n c e rjlein de confiance.

Mais le t ra i t ement que je dus subir sur le ba teau me démontra que je m 'é ta i s t rompé. A quoi bon me p la indre , ma in tenan t de tout ce qu 'on m'a fait subir,

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mais je te promets de croire en notre avenir , de ne plus douter de not re bonheur prochain.

— T u dois le faire, Alfred... dit elle en le regar­dant de ses beaux yeux tendres .

P u i s elle ajouta : —- J ' a i par lé à Labor ie et à Démange.. . ils te défen­

dront pendan t la révision du procès et ils sont convain­cus de r empor t e r la victoire, Laborie n ' a j amais cessé de combattre pou r ton innocence et il réuss i ra à te faire l ibérer ; tu dois avoir confiance en eux...

— Auront- i ls la possibilité de me faire réhabil i­t e r ?

— J ' e n suis certaine I —- L 'ami t i é de Laborie et de Démange est précieuse

pou r nous, Lucie. J e leur suis infiniment reconnaissant d 'avoi r lut té si vai l lamment pour me rendre honneur . E t leur aide me donne pleine confiance. La véri té doit ê t re révélée enfin ! J ' e spè r e seulement, que la révision ne t a rdera pas t rop car cette a t tente m'es t insuppor ta ­ble.

— Peu t - ê t r e Démange pourra- t - i l obtenir une date précise dit Lucie, je le lui demanderai . J e suis sûre qu ' i l fera de son mieux.

— Oui, fais cela, Lucie ; avant la fin de la révision, nous ne pour rons être réunis , et il me pa ra î t impossible de vivre plus longtemps sans toi et les enfants. J ' a i une nostalgie terr ible d 'une vie t ranqui l le et sans soucis...

Des souvenirs heureux du temps où il é ta i t l ibre et vivai t t ranqui l lement avec Lucie et ses peti ts , passaient dans son âme. Les deux époux étaient émus.

Alfved dit d 'une voix t remblante . — Combien de fois me suis-je souvenu du temps,

où nous étions unis. Dans la solitude de ma cellule je ne pouvais croire que j 'avais vécu dans le soleil du bon­heur.. .

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Sa voix s'étouffa... ses lèvres se crispèrent. . . il dé­tourna la tête pou r ne pas mont re r les larmes, qui lui étaient montées aux j e u x .

Lucie essayait en vain de se maî t r i ser . El le appuya i t sa tête contre la poi t r ine de son m a r i

et le serra i t é t roi tement contre elle. Des larmes lourdes tombèrent sur ses mains et, d 'un

geste effrayé, elle se mit à caresser le visage amaigr i d 'Alfred, qui étai t inondé de larmes .

F a i s a n t un effort terr ible pou r dominer son émo­tion elle se mi t à lui pa r l e r doucement :

— Tout redeviendra calme et beau, Alfred, comme avant . Nous allons a t t endre pa t iemment ce jour... il viendra.. . et nous serons libres de nous a imer comme autrefois .

El le embrassai t son visage humide de larmes. Comme il étai t maigre et pâle !... les t races des ter­

ribles souffrances qu ' i l avait subies étaient visibles et elle sentit que, dans ces années de séparat ion, il était devenu un vieil homme.

Comme il serai t difficile de le faire revivre... Mais elle réussirait . . . elle le soignerai t et l 'entoure­

ra i t de son amour. — J e vais te pa r l e r des enfants, dit-elle enfin. E t t enan t ses mains dans les siennes, elle lui dit la

joie de P i e r r e et J eanne , lorsqu' i ls avaient appr i s que leur père revenait. . .

— Us voulaient absolument p a r t i r avec moi, pour te voir... J ' a i eu bien de la peine à les ' 'etenir.

Dreyfus eut un sourire t r is te . — Les enfants !... dit-il doucement, r ega rdan t dans

lo vague, comme s'il voulait les imaginer ; crois tu qu' i ls m' 'aiment encore comme aupa ravan t '!•

— Naturel lement , Alfred, comment peux tu en douter %

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' — Le changement qui s'est p rodui t en moi, les ef­f rayera peut-ê t re , lorsqu' i ls me reverront , j ' a i presque peu r de me présenter devant eux.

— Mais non, tu n ' a s r ien à cra indre . T u n ' a s pas t an t changé; tu as seulement un peu maigr i .

— Tu dis cela pour me calmer, Lucie, mais tu avais l ' a i r affolée lorsque t u m ' a s vu...

— C'étai t t r op na ture l , Alfred... j ' a i vu tout de suite, que tu avais pe rdu des forces et cela devait m' in­quiéter , ne peux-tu pas comprendre cela %

I l lui souri t : — Ne t ' inquiè te pas , Lucie... j e me reposerais dès

que je vivrais de nouveau près de toi. — J e ne t ' a i pas encore demandé si tu as toujours

des douleurs d 'estomac % — Merci, Lucie... j e crois que ce n 'es t pas dange

reux. Elle ser ra ses mains : — T u es si courageux et je suis si i'ière de toi, Al­

fred. — Ne dis pas ça, Lucie, cela me fait de la peine,

parce que je ne mér i te pas d 'ê t re loué p a r toi. J ' é t a i s souvent à bout de forces et seule l ' idée de te revoir un jour , m ' a aidé à vivre. C'est la volonté de vivre pour toi et les enfants qui m ' a toujours donné la force de suppor t e r les tor tures . La conviction d 'ê t re aimé de vous m ' a soutenu.

— Si tu savais, combien nous t ' a imons Alfred. Loin de toi, j ' a i app r i s que le mystère de l ' amour est la dou­leur. Nous avons t an t souffert. J e ne puis croire que ja ­mais des êtres humains ont souffert ainsi et cela a rendu not re amour p lus profond et fortifié nos âmes.

Ces paroles de Lucie le rend i ren t t rès heureux. I l posa sur elle un regard plein d ' amour et se r e l i ­

ait compte, que désormais il ne lui serai t plus possible

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de re tomber dans un désespoir semblable à celui qu ' i l avait connu sur l ' î le.

I l semblait au malheureux homme q u ' u n miracle s 'é tai t produi t , car, lui aussi, il ava i t douté.. .

L u i aussi, il n ' ava i t pas osé croire que son rêve s'é­t a i t enfin réalisé... I l n 'osa i t croire à la réal i té de ce brusque changement.

U n e crainte terr ible pesai t sur son cœur ; il crai­gnai t que ce ne fut q u ' u n rêve dont il se révei l lerai t dans sa t r i s te cellule de l ' île du Diable...

H baisa les mains de sa femme, qui é ta i t si coura­geuse et si belle et c 'é ta i t comme une promesse mue t t e de tout suppor ter , sans se p la indre .

Lucie sent i t qu ' i l é ta i t t roublé et elle s ' inquiéta . N 'avai t -e l le p a s eu t o r t de t a n t lui pa r l e r de cela %

Elle observa anxieusement son visage sérieux. — J e devrais lui pa r l e r de choses p lus gaies, se di­

sait-elle. J e devrais essayer de lui faire oublier ses sou­cis, pour le peu de t emps que je peux res te r p rès de lui . Mais comment faire ?

El le eu t une idée... et, dégageant ses mains , elle se leva et alla vers la table.

— J e t ' a i appor t é quelque chose, dit-elle en sou­r i an t .

— Qu'est-ce que c 'est ? demanda Alfred, en la voyant ouvr i r son sac.

— T u verras ! Elle lui t endi t les photographies des deux enfants . — Oh !... mes enfants chéris.... s 'écria-t-il heureux.

Pu i s il r egarda a t t en t ivement les deux photos. — Comme ils ont g randi !... —% Oui, t u seras surpr is , de voir quels p rogrès ils

ont fait, mora lement et phys iquement . J ' i m a g i n e sou­vent , quelle sera ta joie lorsque t u seras de nouveau près de nous. C'est toi qui feras leur éducation. Tu sais tel-

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lement mieux que moi. Mes pa ren t s ont la même iclé:e 'et nous avons souvent par lé de cela. E u x aussi sont si heureux de te savoir de re tour . I l s m ' o n t dit de te-sa­luer mille ' fois, mais dans la première joie de te tenir dans mes bras , je l 'avais oublié.

E t les enfants m 'on t chargé de te dire tout leur amour .

I l souri t joyeusement en l ' écoutant : — T u dois les embrasser pour moi et leur dire aussi

que je me réjouis te l lement de les revoir: Quand as-tu fai t faire les photos ?

— Lorsque j ' a i reçu ton té légramme avec l 'heu­reuse nouvelle. Nous étions tous ivres de bonheur .

U n sourire de bonheur passa sur ses lèvres et, le­v a n t la tê te , il la r ega rda d 'un air si t endre qu'elle pen­sa : il y a encore une possibili té de le rendre heureux .

L ' aven i r sera difficile d 'abord, mais tout passera. . . et le calme et le bonheur reviendra. . .

On f rappa doucement à la por te . — Cela signifie, que je dois pa r t i r , soupira Lucie. — Seigneur.. . déjà ? I l se leva, posa les photos sur la table et embrassa

sa femme. — Quand te reverrai- je % — Bientôt. . . murmura- t -e l lc , blottie contre son

épaule. Elle senta i t qu ' i l t rembla i t et que son cœur ba t t a i t

r ap idement . — Calme-toi, Alfred, supplia-t-elle, nous nous re­

ver rons bientôt. . . Dieu nous a fait cadeau de cet te heu­re... il nous en donnera d ' au t res .

Elle se donnai t l 'a i r d 'avoir une confiance illimitée t and i s que son âme se cr ispai t dans un doute effroyable.

El le souffrait de l ' ag i ta t ion de son mar i et elle re­marqua la douleur qui l 'assail lai t . Ses t r a i t s crispés lais-