le duc des abruzzes - editions paulsen

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Date : Mars - avril 2020 Pays : FR Périodicité : Bimestriel Page de l'article : p.22-29 Journaliste : GILLES MODICA Page 1/8 PAULSEN 5876838500501 Tous droits réservés à l'éditeur

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Page 1: Le duc des Abruzzes - Editions Paulsen

Date : Mars - avril 2020

Pays : FRPériodicité : Bimestriel

Page de l'article : p.22-29Journaliste : GILLES MODICA

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Le duc des AbruzzesL’ARISTO EXPLORATEUR

PLUS CONNU PAR SON TITRE DE DUC DES ABRUZZES, LOUIS AMÉDÉE DE

SAVOIE DEMEURE LA GRANDE FIGURE DE L'EXPLORATION ITALIENNE. IL

S’ILLUSTRA NOTAMMENT EN 1909 PAR SA TENTATIVE DE CONQUÊTE DU K2,

OÙ L’ARÊTE EST PORTE DÉSORMAIS LE NOM D’ÉPERON DES ABRUZZES,

QUARANTE-CINQ ANS AVANT QUE LE SUCCÈS DE LACEDELLI ET COMPAGNONI

NE L’INSCRIVENT DANS L’HISTOIRE COMME LA « MONTAGNE DES ITALIENS ».

Spécialiste des grandes

explorations et de

l'alpiniste, Gilles Modicaest l'auteur de plusieurs

ouvrages aux éditions

du Mont-Blanc, Paulsen

ou encore Glénat.

Ardisci e spera! Telle était

la devise de Louis Amédée

de Savoie, duc des Abruzzes.

Ose et espère ! Devise et morale

du courage reprise à une femme

qui fut son principal soutien

au sommet de l'État, sa tante

Marguerite de Savoie, elle-même

familière des montagnes du

Piémont où elle marchait volon

tiers, figure tutélaire à qui il dut

probablement certaines de ses

inspirations dans les Alpes et

dans le monde. L'expédition du

duc des Abruzzes au K2 (mai, juin,

juillet 1909), si bien représentée

par les photos de Vittorio Sella,

est la plus célèbre de ses entre

prises. Le 25 mai 1909, au camp

de Concordia, confluent des

glaciers du Baltoro et de

Godwin-Austen, Vittorio Sella,

un tout petit homme sec et

barbu, profite d'une embelliepour cadrer le K2 et réaliser

une première photo historique.

De l'audace, de l'espérance,

de la patience, il en fallut à tous

ces hommes assiégés par les

nuages d'un été instable.

Guides valdôtains

Grand personnage de l'alpinisme

et de l'exploration, Louis Amédée

de Savoie, duc des Abruzzes,

est inséparable de ses guides

valdôtains qui en firent un

alpiniste accompli dans les

Alpes et participèrent à toutes

ses expéditions. Sans eux, le

duc des Abruzzes n'aurait pas

illustré son nom et sa devise

avec autant de bonheur. Et

inversement: sans cet homme

de valeur, sans ses capacités etson expérience d'officier supé

rieur de la marine, sans cet

organisateur hors pair, sans son

autorité, sans son prestige, sans

ce prince au cœur d'alpiniste qui

avait toute la confiance et toute

l'admiration du couple royal,

les guides valdôtains n'auraient

probablement pas autant brillé

dans l'exploration des montagnes

du monde.

Cette expédition est la première

expédition italienne en Himalaya.

Rappelons que la première

expédition française en Himalaya

ne date que de 1936 (Hidden

Peak, un échec dès 6900 m).

L'expédition française ne

comprenait aucun guide, de

Chamonix ou d'ailleurs. Le seul

guide que les responsables du

recrutement, tous amateurs,avaient jugé à la hauteur de

l'aventure, Armand Charlet,

se récusa pour des raisons

platement financières.

L'expédition devait durer au

moins quatre mois. Armand

Charlet, guide chamoniard,

aurait perdu l'argent de sa

saison. En revanche, cette

expédition italienne en

Himalaya, comme toutes

les expéditions du duc,

comprenaient maints guides

et porteurs (aspirants guides),

originaires de Courmayeur ou

de Valtoumanche. Tous portaient

des noms savoyards : Joseph

Petigax, Laurent Petigax (son

fils), les frères Alexis et Henri

Brocherel, Antoine Maquignaz,

Laurent Croux, Félix Ollier,

Alexis Fenouillet,

Émile Brocherel.

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L’exploration au sommet

Fidèle entre les fidèles, chef

d'expédition au mont Saint

Elias (Alaska), présent au

Rwenzori (Montagnes de la

Lune), rescapé du pôle Nord

(l'expédition de la Stella

Polare), Joseph Petigax, guide

de Courmayeur à la parole rare,

avait un surnom: la Blonde.

Guides et porteurs parlaient le

patois du Val d'Aoste, un patois

savoyard plus français qu'italien.

Le royaume d'Italie céda la

Savoie à la France en 1860.

C'était le prix du soutien de

la France (Napoléon III) dans

la guerre de l'unité italienne

contre l'Autriche- Hongrie. Si

on avait défini la Savoie selon

des critères de langue et non

de géographie physique, le

Pays d'Aoste, devenu français,

aurait joué un rôle de première

importance dans l'histoire de

l'alpinisme bleu-blanc-rouge.

Louis Amédée de Savoie est le

troisième et dernier fils d'un roi

d'Espagne, Amédée de Savoie,

qui abdiqua quatorze jours

après sa naissance (29 janvier

1873). À l'aube de son départ

pour le Karakoram et le K2,

le duc des Abruzzes, dans la

force de l'âge pour un alpiniste

(36 ans), ignore qu'il est déjà

au sommet de sa courbe d'ex

plorateur. Le duc n’ira pas plus

loin, ni plus haut, dans une vie

coupée, marquée comme tant

d'autres vies par les années

de la Grande Guerre où il com

manda l'ensemble des opéra

tions navales en mer Adriatique

contre la flotte austro-hongroise

jusqu'en février 1917. Cœur

d'alpiniste, le duc des Abruzzes

avait aussi un cœur de marin,

une immense expérience de la

mer. On ne traînait pas dans

les premières années de la vie

au XIXe siècle, même et surtout

dans une famille de sang royal

où se mariaient le sens de

l'honneur (noblesse oblige !) et

la religion du travail en vigueur

dans la bourgeoisie italienne

du nord de l'Italie.

Pas de privilège

pour mon fils

L'enfant devait sans tarder rem

plir les devoirs d'un homme.

Confié par son père au vice-

amiral Martini sur ces mots :

« Pas de privilège pour mon

fils », Louis Amédée de Savoie

entre comme mousse dans la

marine italienne à un âge qui

ferait vaciller tous les parents

de notre époque, riches ou

pauvres : six ans et demi. Louis

Amédée de Savoie obtient le

grade d'enseigne de vaisseau

de seconde classe sur un bri-

gantin de la marine italienne,

1 'Amerigo Vespucci, après

dix années d'apprentissage,

pratique et théorique, sur

des navires écoles. C'est sur

le Vespucci qu'il se lia avec

le lieutenant Umberto Cagni,

son bras droit dans la plupart

de ses expéditions, singulière

ment au pôle Nord où le lieute

nant mena l'ultime tentative

avec trois hommes.

Nommé duc des Abruzzes au

décès de son père Amédée

(18 janvier 1890), officier en

second sur un torpilleur (1891)

puis sur une canonnière (1892)

qui mouille en Somalie, LouisAmédée de Savoie entame une

carrière d'alpiniste derrière ses

guides. L'alpinisme était déjà

une tradition dans la maison

royale et la grande bourgeoisie

du Piémont. Turinois, oncle

de Vittorio Sella, fondateur

du Club Alpin Italien ( 1863),

ministre des finances à trois

reprises, très impopulaire

à cause de sa politique de

rigueur, Quintino Sella portait

toujours des souliers ferrés dans

les caricatures d'un dessinateur

vedette de l'époque, Casimiro

Teja. Ces lourds croquenots

d'alpiniste étaient le symbole

de sa politique de taxes et

d'impôts.

Dès 1894, le duc des Abruzzes

avait derrière lui une magni

fique liste de courses: la

première sans guide du Cervin

par l'arête de Zmutt avec

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• L’alpinisme, une traditionde la maison royale et de la

bourgeoisie du Piémont

Mummery, la pointe Dufour

en traversée jusqu’à la pointe

Gnifetti (mont Rose), la Dent

Blanche, le Rothorn de Zinal.

Dans le massif du Mont-Blanc,

son massif d'élection: la dent

du Géant, la traversée des

Grands Charmoz, le Grépon,

le Petit Dru, des courses de

grande classe pour un alpiniste

de cette période, des escalades

à part entière.

Autour du inonde

Le 8 novembre 1894, le duc des

Abruzzes embarque à Venise

sur le Ciistoforo Colombo. Son

voyage autour du monde avec

le lieutenant Cagni dura plus

de deux ans: 26 mois. Ces

hommes à la vie généralement

plus brève qu'aujourd'hui voya

geaient comme s'ils étaient

immortels. Les deux officiers

purent visiter l'Inde et observer

attentivement la chaîne hima-

layenne, le Kangchenjunga,

depuis Darjeeling. À partir de

1897, le grand guide valdôtain

Émile Rey s'étant tué dans une

chute sous la dent du Géant,

Joseph Petigax, dit la Blonde,

devient le guide privilégié du

duc des Abruzzes. Durant l'été

1898, le duc et ses guides

accomplirent trois premières

absolues dans le massif du

Mont-Blanc sur des sommets

qu'il leur fallut nommer. La

pointe Margherita et la pointe

Hélène sur la crête des Grandes

Jorasses furent baptisées l'une

en l'honneur de la reine

Marguerite, et l'autre en l'hon

neur d'Hélène d'Orléans, belle-

sœur du duc. Simple épaule de

l'aiguille Verte, l'aiguille Sans

Nom, gravie avec deux guides

de Courmayeur (Laurent Croux,

Joseph Petigax) et un guide

chamoniard (Alfred Simond),

garde son nom premier bien

que le duc ait proposé de la

nommer aiguille Petigax en

l'honneur de celui qui l'avait

si bien servi en Alaska

l'année précédente (1897).

Première en Alaska

À vingt-quatre ans, le duc avait

déjà une vision globale des

montagnes de la Terre grâce à

son voyage autour du monde.

Son destin d'explorateur en

montagne se précisa sur les

glaciers de l'Alaska, au mont

Saint Elias, la première de ses

grandes expéditions, la moins

connue. Le mont Saint Elias

.

Les Gasherbrum (8 035 et 8 068 m),

versant occidental, saisis par Vittorio Sella,

le photographe de l’expédition de 1909.

© Wikipedia

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Le duc des Abruzzesen 6 dates

1873

Naissance de Louis-Amédée-Joseph-

Marie-Ferdinand-François de Savoie-

Aoste, le 29 janvier 1873, à Madrid.

1892

Le duc des Abruzzes découvre la montagne

à Ceresoie Reale et s'initie à l'alpinisme.Il gravira dès l'année suivante le Grand

Paradis et le Cervin.

1899-1900

Expédition au pôle Nord, au cours delaquelle est atteinte la latitude maximale

de 86° 33' 49". Le duc doit être amputé

de deux doigts gelés.

1906

Expédition au Rwenzori où quatorze

sommets du massif seront gravis.

1909

Expédition au K2. Malgré son échec,l'équipe établira un nouveau record

d'altitude au Chogolisa, à 7 498 m.

1933

Mort du duc des Abruzzes le 18 mars,

à Jowhar (Somalie), à l'âge de 60 ans.

(5514m) s'élève à environ

60 km du Pacifique, à l'angle

nord-ouest de la frontière

alasko-canadienne. Ses glaciers

alimentent le glacier de la

Malaspina, 38 km de long,

600 mètres d'épaisseur aux

dernières mesures. Ce glacier

monstre se fracasse dans

l'océan. Deux mois avant son

expédition en Alaska, le duc

avait réussi l'ascension hiver

nale du mont Viso avec deux

guides et son ami Francesco

Gonella. Débarquée en mai

d'une goélette dans la baie de

Yakutak, l'expédition du duc

(quatre guides valdôtains,

Francesco Gonella, le docteur

Filippo de Filippi, Vittorio Sella,

Umberto Cagni et dix porteurs

américains) commence son

approche (1er juillet) avec quatre

traîneaux qu'elle devra aban

donner après deux semaines

de progression devant les

accidents du glacier (séracs,

crevasses). Tous les portages

s'accomplissent désormais à

dos d'homme jusqu'au camp

de base installé le 28 juillet sur

le plateau supérieur du glacier

Newton. Sommet pour les

dix membres de l'expédition

cinq minutes avant midi :

31 juillet 1897. Solennel, le

duc noue le drapeau italien

sur le piolet enfoncé dans

la neige du sommet.

Quatre expéditions américaines

avaient échoué antérieurement

sur le mont Saint Elias. Le duc

et ses hommes ont fait leurs

preuves sur un terrain qui

fascinait le monde dans ces

années de course aux pôles,

Sud ou Nord, le terrain de

tous les extrêmes. Les basses

températures, l'instabilité

des glaces, le temps blanc

(la poudrerie canadienne,

ou White out), les distances

considérables, l'impossibilité

de recruter des porteurs, le

transport des charges, le dépla

cement en traîneau, l'isolement

faramineux, autant de difficultés

qui ne pouvaient que stimuler

l'ingéniosité, le courage, les res

sources physiques et morales

de ces nouveaux venus sur le

théâtre de l'exploration polaire.

La course au pôle Nord

Après deux voyages prélimi

naires, l'un au Spitzberg et

l'autre en Sibérie centrale où

ils conduisent des attelages

de chiens samoyèdes, Louis

Amédée de Savoie et son

bras droit, Umberto Cagni, se

sentent prêts pour l'aventure

du pôle Nord. Choisi sur les

conseils de l'explorateur

norvégien Nansen, leur bateau

était une baleinière, le Jason,

40 mètres de long, 9,25 mètres

de large, déjà utilisée par

Nansen sur les côtes du

Groenland et rebaptisée d'un

nom qui s'inscrira à jamais

dans les annales de l'héroïsme

polaire : la Stella Polare. En

novembre 1899, la Stella Polare

s'ancre en baie de Teplitz, sur

la côte ouest de l'île Rodolphe

(archipel François-Joseph, au

nord de la Nouvelle Zemble).

Peu avant Noël, à l'entraîne

ment, le duc et Cagni tombent

dans une crevasse avec leur

attelage. Le duc se gèle plusieurs

doigts de la main gauche dans

ses efforts pour s'extraire hors

de la crevasse. En janvier, ses

doigts gelés suppurant, il doitêtre amputé d'une phalange

au médius et d'une grande

partie de son annulaire.

Le duc indisponible, Cagni

commanda les onze hommes

du raid en direction du pôle,

trois patrouilles avec une tonne

de chargement sur chaque

traîneau. Au jour du départ

(22 février), la température

était si basse (- 52 °C) que les

trois patrouilles firent demi-

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De retour de leur tentative

au pôle Nord, au printemps

1900, l'équipe menée par le

capitaine Umberto Cagni,immortalisée par le duc des

Abruzzes en personne.

PcTJ FéNOtU-ÊT

Ca&«i I

Ce/se-pA -

R.crdfcNSTi UAL Fül; il 13 tiufewü kjûO-

• Son équipé de guides

originaires du Val d’Aoste

l’accompagnera partout, dupôle Nord au redoutable K2

tour dès le lendemain. Cagni :

Nous demandons seulement

au Bon Dieu que la température

n'aille pas au-delà de - 35 °C,

et notre souhait nous semble

modeste. Le 21 avril 1900,

après 45 jours de marche

depuis le campement de la

baleinière, Cagni calcule sa

position: 86°34'. Heureux

d'avoir dépassé de 37 kilomètres

le record établi par Nansen,

il più grande esploratore del

mondo, Cagni bat en retraite.

L'une des trois patrouilles

(composée du lieutenant

Querini, du Norvégien Stocken

et du guide Félix Ollier) disparut

sur le chemin du retour. Les

Italiens, selon la technique des

explorateurs polaires de cette

période, tuaient des chiens au

fur et à mesure de leur progres

sion et en nourrissaient leurs

équipages.

Les monts de la Lune

De 1902 à 1905, commandant

du croiseur Liguria, Louis

Amédée de Savoie navigue

autour du monde. En 1906,

l'expédition du Rwenzori (monts

de la Lune), cinq mois au total,

cinquante jours d'acensions,

fut parfois une partie de plaisir

après les épreuves sans fin du

pôle Nord. C'est l'approche en

pays tropical qui accumula

les désagréments, la pluie,

le brouillard, les moustiques,

quelques accès de fièvre. Un

jour, entre deux ascensions,

les membres de l'expédition

soignèrent une ophtalmie en

appliquant des feuilles de thé

sur leurs yeux, un remède tou

jours conseillé, soit dit en pas

sant, par certains spécialistes.

Vittorio Sella prend des photos

qui dévoilent ces sommets

englacés au cœur de l'Afrique.

Tout le massif fut cartographié

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Photographiée ici lors

de son arrivée sur la

terre François-Joseph,

la Stella Polare, "l’étoilepolaire" sera prise par

les glaces quelques

semaines plus tard.

(carte au 1:40 000e), la plupart

de ses grands sommets gravis

sans péripéties majeures, au

pas de charge, par des guides

heureux d'en découdre sur

des versants alpins après des

semaines de terrain tropical. Le

drapeau italien avec la devise

de la reine, Ardisci e Spera, fut

planté sur quatorze sommets

vierges d'une altitude supé

rieure à 4600 m et, dans une

même journée, sur les deux

plus hauts sommets : punta

Margherita (5 109 m) et punta

Alessandra (5 090 m). Autres

sommets majeurs à leur

actif : la punta Elena (4 968 m)

et la punta Savoia (4977 m).

Un sty le précurseur

Au printemps 1909, le pal

marès des guides valdôtains,

leur expérience inégalée de l'al

titude particulièrement, donne

les plus grandes espérances

au duc en partance pour le K2,

dans le massif du Karakoram.

Le 2 août 1903, engagés par

le couple américain Bullock-

Workman pour des ascensions

dans le massif, Joseph Petigax

et Cyprien Savoye avaient cru

établir un record mondial d'alti

tude sur la crête sud-ouest du

Pyramid Peak (de nos jours, le

Spantik) à 7 130 m d'altitude.

L'altitude de ce sommet,estimée à 7 400 m par les

Workman, a été rétrogradée

à 7 027 m : les Valdôtains ce

jour-là ne seraient montés qu'à

6 800 m. En 1905, au service du

Dr Longstaff, un explorateur

écossais partisan des expédi

tions légères, les frères

Brocherel, Alexis et Henri,

firent beaucoup mieux, et de

façon certaine, à deux reprises :

dans une tentative au Gurla

Mandhata (7 694 m) sur la fron

tière du Tibet (altitude atteinte,

7 300 m), et au Trisul (7120 m)

dans le massif du Garhwal,

gravi d'une traite (12 juin 1907)

depuis un bivouac.

Marcel Kurz: Cette ascension

au Trisul est restée longtemps

comme un exemple unique de

ce que l'homme était capable

de réaliser en Himalaya. La

différence de niveau entre le

bivouac et le sommet était

d'environ 1830 m et fut franchie

en dix heures. À la descente,

une hauteur de 2130 mètres

fut parcourue en trois bonnes

heures. Ces chiffres ne doivent

pas avoir été dépassés souvent

en Himalaya.

À l’assaut du K2

Dix heures pour 1 830 m,

c'est environ 180 m par heure.

Ce qui attendait les guides

depuis le camp III sur le glacier

au pied du K2, c'était le double

de cette hauteur (3 600 m),

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• Le duc et ses hommes

ont fait leurs preuves sur un

terrain qui fascinait le monde :

celui de tous les extrêmes

avec un éperon de départ beau

coup plus redressé que la voie

normale du Trisul. Cet éperon

rocheux, épargné par les

avalanches, n'en émoussa pas

moins la pugnacité des guides

valdôtains. L'expédition com

portait quatre guides: Joseph

Petigax et son fils Laurent, les

frères Alexis et Henri Brocherel;

trois porteurs, Émile Brocherel,

Albert Savoie, Ernest Bareux;

Federico Negrotto, chef en

second de l'expédition, chargé

des relevés topographiques; le

docteur Filipo de Filippi (1859-

1938), historiographe des expéditions antérieures au mont

Saint Elias et au Rwenzori;

Vittorio Sella (1859-1943), pion

nier des ascensions hivernales

(Cervin, Lyskamm, traversée

du mont Rose), photographe

opiniâtre, et son aide Erminio

Botta. Notons au passage l'âge

de Vittorio Sella dans cette

aventure (50 ans) et sa longévité

(83 ans). Ce photographe de

toutes les expéditions du duc

(en dehors du pôle Nord)

est mort bien après Joseph

Petigax (66 ans) et le duc

des Abruzzes (60 ans).

Installés dans un camp III

(5 000 m) au pied du K2, les

Valdôtains parvinrent jusqu'à

6 200 m environ sur l'éperon

dit des Abruzzes (sud-est) où

un camp IV fut aménagé vers

5600 m. Sur les indications de

ses guides, en difficulté sur

des rochers plâtrés de neige et

de glace, le duc des Abruzzes,

monté au camp IV, donna

l'ordre de battre en retraite.

C'est le premier échec d'une

série de quatre échecs sur le K2

et sur des sommets voisins.

À chaque reconnaissance

autour du K2, les Italiens

multiplièrent les observations,

les photographies, les relevés

(topographie, géographie,

géologie). Sans sommet à son

actif, l'expédition du duc des

Abruzzes revint avec des résul

tats décisifs pour les expédi

tions ultérieures. Le 7 juin,

d'un col aux pentes très raides,

la Sella Savoia (6 660 m), gravi

après une traversée sous la

paroi ouest du K2, le duc

observe la face nord du

géant himalayen et la juge

impossible.

Record au Chogolisa

Le 24 juin, une énorme crevasse

barre la route d'une cordée de

trois alpinistes (Joseph Petigax,

Henri Brocherel, duc des

Abruzzes) grimpant vers un

grand sommet au nord-est

du K2, le Staircase ou Syang

Kangri (7 754 m). L'expédition,

ayant abandonné tout espoir de

gravir le K2, investit un superbe

sommet sur la rive gauche du

Baltoro, un grand trapèze de

neige et de glace qui dépasse

tous les contreforts voisins.

Découvert en 1861 par

Godwin-Austen, le premier des

explorateurs de cette région,

nommé Bride Peak par Conway

en 1892, ce sommet s'appelle

aujourd'hui le Chogolisa, un

nom balti exprimant une idée

de grandeur et de magnificence.

Retardée par des chutes de

neige, l'expédition plaça un

camp à 6853 m sur les pentes

du Chogolisa, le plus haut

camp connu à cette date, selon

Marcel Kurz, cet alpiniste et

géologue suisse, lui-même

détenteur d'un record d'altitude

en Himalaya (1930, Jongsong

Peak, 7 459 m, dans le massif

du Kangchenjunga).

Le 18 juillet, une cordée

de quatre hommes (Joseph

Petigax, Henri et Émile

Brocherel ainsi que le duc)

avance lentement dans une

neige sans consistance, d'un

demi- mètre d'épaisseur.

Nuageux dès le matin, le

ciel s'abaisse et menace ces

hommes engagés sur les cor

niches d'une arête après deux

heures de varappe dans des

rochers. Les corniches,

énormes, se perdent dans le

brouillard. La cordée, immobi

lisée à 7 500 m, aveuglée,

attendit deux heures une pos

sible éclaircie. La hauteur du

point atteint fut fixée au mètre

près : 7 498 m. C'est un record

d'altitude, à cette date, un

record qui tint treize ans jusqu'à

la tentative anglaise de 1922

sur l'Everest. Petigax, très acclimaté comme tous les membres

de cette expédition (en action

depuis deux mois autour de

5 000 m) voulait poursuivre

l'ascension. Le duc, toujours

prudent, imposa le repli.

Retiré en Somalie après 1923,

le duc y fit une toute dernière

expédition (1928) aux sources

d'un fleuve, un oued très irré

gulier, l'Uebi Scebelli, qui arro

sait son grand domaine

À lire

Le duc des Abruzzes,

gentleman explorateur,par Mirella Tenderini et

Michel Shandrik,

éditions Guérin / Paulsen.

Dal Polo al K2. Suite orme

del Duca degli Abruzzi,éditions du musée national

de la montagne de Turin.

Histoire universelle des

explorations, tome IV,

texte de Paul-Emile Victor

sur l'expédition de la

Stella Polare).

agricole de Jowhar. Avant

l'aventure du K2, en 1906-1907,

le duc aurait beaucoup souf

fert, dit-on, d'un grand amour

contrarié pour une jeune

Américaine, Catherine Elkins,

fille d'un sénateur qui s'opposa

au mariage. Malade d'une

maladie inconnue, c'est enSomalie que le duc vint mourir

après un adieu à ses proches

lors d'un passage en Italie:

Addiol Vado a morir in Somalia.

Le duc, mort en Somalie

(Jowhar, 18 mars 1933), fut

inhumé à Turin, dans la basi

lique de Superga, non loin du

mont Blanc où un sommet per

pétue son nom dans les abimes

grandioses du versant italien: le

pico Luigi Amedeo (4 470 m).