le prix de la revue · le mouve-ment est tout entier vers une autre réalité. il s'agira en...
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Extrait de la publication
Le Prix de la revue Études françaises a été créé en 1967, à l'initiative du di-
recteur de la revue, M. Georges-André Vachon, et grâce à la générosité
de l'imprimeur montréalais, M. Alex-J. Therrien. Il a été décerné de façon
irrégulière entre 1968 et 1980, à des auteurs du Québec ou de la franco-
phonie. Des œuvres romanesques, des recueils de poésie et des essais
ont été couronnés durant cette période. Après une interruption d'une
quinzaine d'années, le Prix a été relancé et redéfini en 1995, et est désor-
mais décerné tous les deux ans à un auteur québécois ou à un auteur
étranger francophone, pour un essai inédit. Ces dernières années, les
Presses de l'Université de Montréal, qui ont dû assumer seules la
publication et la diffusion de l'ouvrage primée, peuvent désormais comp-
ter sur le précieux partenariat établi avec Imprimeries Transcontinental.Le Prix, d'une valeur de 5000 $, est accordé à un auteur reconnu,
par la revue Études françaises et les Presses de l'Université de Montréal,
comme ayant contribué de manière remarquable à la littérature franco-
phone. À ce titre, il est invité par le jury à soumettre un manuscrit inédit
qui constitue l'œuvre primée. Cette année, ce jury était constitué des
personnes suivantes : Pierre Nepveu, actuel directeur de la revue, Lise
Gauvin, Gilles Marcotte, Sherry Simon, et Antoine Del Busso, direc-
teur général des Presses de l'Université de Montréal.
LE PAS DE L 'AVENTURIER
A propos de Rimbaud
Extrait de la publication
DU MEME AUTEUR
La ligne du risque, Hurtubise HMH, 1963,1977 ; BQ, 1993
L'autorité du peuple, L'Arc, 1965 ; Hurtubise HMH, 1977
Lettres et colères, Parti Pris, 1969
La dernière heure et la première, l'Hexagone/Parti Pris, 1970
Indépendances, Y Hexagone/Parti Pris, 1972
Un génocide en douce, VHexagone/Parti Pris, 1976
Chaque jour, l'indépendance, Leméac, 1978
Les deux royaumes, l'Hexagone, 1978 ; Typo, 1993
To be or not to be, That is thé Question, l'Hexagone, 1980
Un amour libre, HMH, 1970
Trois essais sur l'insignifiance suivi de Lettre à la France, Albin Michel, 1983 ;
l'Hexagone, 1983,1989
L'absence. Essaie la deuxième personne, Boréal Express, 1985
Essais inactuels, Boréal, 1987
Essai sur une pensée heureuse, Boréal, 1989
Dix-sept tableaux d'enfant. Etude d'une métamorphose, Le Jour, 1991 ; Bellarmin, 1994
Le bonheur excessif, Bellarmin, 1992
Gouverner ou disparaître, Typo, 1993
Vivement un autre siècle ! Bellarmin, 1996
Qui est le chevalier ? Leméac, 1998
L'humanité improvisée, Bellarmin, 2000
La justice en tant que projectile, Lux, 2002
Extrait de la publication
Pierre Vadeboncoeur
LE PAS DEL ' A V E N T U R I E R
A propos de Rimbaud
LES PRESSES DE L'UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL
Catalogage avant publication de la Bibliothèque nationale du Canada
Vadeboncoeur, Pierre
Le pas de l'aventurier. A propos de Rimbaud
ISBN 2-7606-1943-5
i. Rimbaud, Arthur, 1854-1891 - Critique et
interprétation. 2. Poétique.}. Création littéraire.
4. Réalisme dans la littérature. I. Titre.
PQ2387.R5Z982003 841'.8 C2OO3-94iO3y-4
Dépôt légal : 3e trimestre 2003
Bibliothèque nationale du Québec
© Les Presses de l'Université de Montréal, 2003
Les Presses de l'Université de Montréal remercient de leur soutien financier le
ministère du Patrimoine canadien, le Conseil des Arts du Canada et la Société de
développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).
I M P R I M É AU CANADA
Extrait de la publication
P R E M I E R E P A R T I E
Page laissée blanche
Extrait de la publication
LE PAS DE L ' A V E N T U R I E R
Je ne m'occupe plus de ça.
ARTHUR R I M B A U D
Dans la vie de Rimbaud, on s'étonne moins de voir qu'à vingt
ans il rompe brusquement avec la poésie et l'activité d'écrire,
que de le voir par la suite chercher sans fin par opposition la
réalité, pour ne plus s'occuper que de celle-ci. Il s'agit d'une ex-
clusion. N'est réel que cela où la littérature n'est pas. Ni l'art,
ni rien de ces choses-là. Le parti pris de Rimbaud à cet égard
est entier. Il vise en bloc tout « ça », dans toute la suite de la
vie du personnage.
Je tente ici une interprétation libre de ce singulier abou-
tissement et de ses suites. Ou plutôt je cherche à pousser
aussi loin que possible, par la spéculation, par une sorte
d'imagination créatrice, comme on développe une partition
et non par une étude rigoureuse, l'examen du sens de cette
rupture.
Je voudrais voir d'abord jusqu'où l'on peut aller dans la
conjecture à ce propos, qu'est-ce qui explique la persistance
du choix qu'a fait Rimbaud, quel est le sens de la contradic-
tion où il s'était trouvé, qu'est-ce qui tout au fond est rejeté et
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Extrait de la publication
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ce qui y est substitué. Car il ne suffit pas de dire que Rimbauda tourné le dos à la littérature. C'est un peu court. Il ne fautpas se montrer moins résolu ni moins absolu que lui. Il est
impossible pour nous de pondérer son acte. Celui-ci semblel'interdire. Il est trop radical, trop définitif.
Le pondérer, non certes. Mais pour l'interpréter, toute la-
titude semble permise. Il n'est pas sûr, par exemple, que l'on
doive à tout prix soutenir à son sujet des explications re-
cherchées, comme les écrivains le font depuis un siècle. Mais
je ferai pour l'instant comme si, sur quoi j'assoirai ce cha-
pitre. Cependant, plus loin, à la fin de celui-ci...À remarquer l'accent du Rimbaud en rupture, qui est celui
du mépris. Il ne s'agit pas d'un simple éloignement. Le mé-pris suppose un jugement catégorique. Il porte nécessaire-ment sur le fond des choses. Je me place dans l'hypothèse
où la rupture de Rimbaud ait un grand sens. Alors, il faut
qu'il ait décelé une faille, plus qu'une faille, une fausseté dans
l'œuvre d'art, dans la nature de celle-ci et dans l'activité qui
consiste à écrire des poèmes. On ne doit pas douter de la
précision ni de la portée d'un tel jugement. Il faut que celui-
ci exprime effectivement pour ce qu'il dénonce une authen-
tique indifférence, voire un dégoût. Rimbaud a jugé le poème,
l'œuvre d'art, et ils ont réellement été tenus pour rien. Cet
arrêt a décidé de la vie du poète. Il ne suffit pas de prendre
acte du fait en l'allégeant. La profondeur et l'objectivité d'une
telle décision — si toutefois elle n'est pas libre par un autre
type de liberté, plus gratuite et plus inconséquente — sont
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attestées par une désertion qui ne sera jamais remise en ques-
tion. Celle-ci n'aura pas été seulement négative, elle n'aura
pas consisté simplement dans un rejet, elle sera confirmée
de surcroît par un mouvement jamais démenti vers autre
chose, par un appel vers un ailleurs, par une volonté positive
non moins significative que l'indifférence radicale dont la
poésie aura été l'objet. La recherche d'après la rupture — s'ily a recherche et non pas plutôt dérive aléatoire — exprime
d'emblée le fait que cette rupture est sans retour. Le mouve-
ment est tout entier vers une autre réalité. Il s'agira en fait de
la réalité, considérée comme l'antithèse de la littérature, de
l'art, de la poésie, du poème et de ce qu'on est tenté d'appeler,
d'après le regard critique de Rimbaud, toutes ces façons,
toutes ces manières. Dans la littérature, existe-t-il nécessai-rement un artifice qui soit à une profondeur telle qu'il pas-serait aux yeux de tous pour authenticité et ne cesserait parconséquent d'être flatté ? Remarquez que si l'on prête au dé-
part de Rimbaud un sens philosophique, ou, au contraire,par une hypothèse non envisagée généralement, si l'on ne
retient aucune signification de cet ordre, le doute concernant
la littérature ou l'art peut être le même.
Plaçons-nous avec constance mais provisoirement dans la
première de ces possibilités. La suite de ce chapitre doit se lire
ainsi, sauf à la fin.
Le destin de ce poète, sa fuite définitive, son détachement,
sa quête ensuite plus ou moins aveugle, son silence, son dé-
part, un départ plus indépendant qu'un adieu, sa violence
A propos de Rimbaud 11
Extrait de la publication
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envers ce qui, vu la force d'un tel rejet, ne peut guère être
compris que comme vanité, futilité, mensonge, surtout men-
songe, tout cela porte accusation contre des sommets dont lacivilisation, au contraire, non sans raison, se fait gloire.
Rimbaud repousse ce qui est admis de la sorte par consen-tement universel et il le fait comme par une aspiration dont
l'objet propre — qui est la réalité — restera néanmoins pour
lui hors d'atteinte et pour ainsi dire virtuel.
Jamais, dans l'art, dans le milieu de l'art, un jugement aussi
catégorique n'est tombé sur l'art. Il fut incomparablement
plus radical et plus défini t i f que n'allait être celui deDuchamp. La preuve, c'est qu'il ne fut jamais imité, tandisque la rupture de Duchamp, cérébrale, suffisante, hilarante,on la répéta et répéta pendant quatre-vingts ans, et ce n'estpas encore fini. C'est que le parti de Rimbaud fut sans com-
paraison plus élémentaire et plus vrai.
Tout se passe comme si un leurre, le leurre de l'art, avait été
remplacé par un autre, bien différent, nullement idéaliste, le
leurre du commerce, de l'exploration, de l'exil, des contrées
sauvages, de la « vraie vie », de l'existence brute. Ce leurre re-
présentait, véritable progrès malgré tout, l'authenticité. La
quête de Rimbaud n'était plus orientée vers je ne sais quel
mystère, mais au contraire, délibérément, vers le réel même,
matériel, de premier degré et qui par définition ne peut être
que ce qu'il est.
Cette recherche ou plutôt cette volonté de réalité, éper-
due et ayant quelque chose d'absolu, quel qu'en fut l'objet de
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Extrait de la publication
fait, avait par elle-même une signification si entière qu'elle
revenait contre l'art avec plus de force encore qu'il n'en avait
fallu pour le quitter.
La dénonciation de l'art s'affermissait par la découverte
d'une réalité quelle qu'elle fût, car des objets indéniables re-
présentaient enfin le réel. Cette quête de réalité se faisait dans
des réalités mêmes, non pas dans des songes, ni en passant
par des abstractions philosophiques, ou par l'inspiration, ou
par les mots.
L'art, bon gré mal gré, devra comparaître. Ses témoins de-vront témoigner non seulement de lui mais d'eux-mêmes,
c'est-à-dire du fond de leur conscience, de leur vérité vraie et
totale, car justement on ne leur demandera pas de vérité re-
lative ou partielle, et ceci sera exclu. Il n'y aura pas d'échap-patoire. Rimbaud, en tant qu'artiste, s'est posé une questiondéfinitive et il l'a posée. Il y a répondu comme quelqu'un qui
va tout entier par en avant et ne veut rien esquiver. À sa proprequestion, il a répondu par l'action, par des faits, des faits ne
permettant pas de retourner à des valeurs quittées, tenuesmaintenant pour de la fausse monnaie. Le fait a tout pris,
sans rien laisser en suspens. Plus jamais de complaisance.
La complaisance inévitable de l'adolescent, fût-il génial et
Rimbaud l'était assurément, avait sombré. Arthur Rimbaud
était parti pour ne plus revenir.
Le juge Rimbaud ne peut être récusé. Il connaît le fond
du procès. Il sait mieux que personne ce qu'il quitte, car il le
répudie.
A propos de Rimbaud 13
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La raison pour laquelle Duchamp fut tant imité, c'est qu'il
n'avait pas réellement liquidé ce qu'il paraissait rejeter, de sorte
que son rejet cachait un principe de continuation. Dès lors,
pendant presque un siècle, chacun put coiffer à la fois le bon-
net du révolutionnaire et le chapeau, bariolé, du conformiste.L'art retient, attache, séduit, mais c'est cela que Rimbaud
avait brisé : le lien, le fil, si caché, qui exerce une attraction
secrète, spécieuse et pouvant facilement donner le change.
Le philtre de l'art est tel qu'il fait tout apparaître sous des
couleurs de bonnes raisons et prévient l'accès aux mauvaises
que l'art comporte aussi. Les bonnes raisons pour l'art nemanquent certes pas, d'ailleurs, et elles me retiennent pourma part depuis toujours.
Mais la faille, où est la faille ? Il n'y a pas de faille pour l'es-prit d'admiration et selon lui. Mais où est-elle néanmoins ?
Car il y en a une. L'art est beaucoup, contient beaucoup, donnebeaucoup, et il préfigure le salut, un salut que cependant il ne
contient ni ne donne. Il en est loin. L'art dit là vérité ; mais, sur
son fond à lui, il ne peut pas ne pas mentir. En dernière ana-
lyse, il promet ce qu'il ne peut tenir. La beauté, dit Stendhal,
est une promesse de bonheur. Cette promesse est fondée,
mais en même temps elle est fallacieuse. Elle ne l'est pas,
mais elle l'est. Un cœur non rassasié peut se détourner de
« ça ». L'art n'est pas au faîte. Une supériorité peut encore le
dominer. L'instinct aussi peut tourner le dos à l'art : l'ins-
tinct, ou l'intuition, l'impatience, le sens de la comédie, celui
du faux, le faux qui, au plus profond, se tient à la place du
H
A p r o p o s de Rimbaud
vrai et du réel. Illusionnisme. Toc, précisément sur le sujet
de l'essentiel. À plus forte raison, les minauderies des écri-
vains ne sont que l'effet secondaire de l'inaccessibilité du
dernier objet des promesses de l'art. Faire semblant. « Words,
words, words. » La littérature est nécessairement empêtrée
dans cela. Elle est une représentation. Toute littérature est
du théâtre. L'art est une profonde mise en scène, en même
temps qu'il reflète il est vrai les suprêmes raisons des choses,
ce qui certes est contradictoire, mais au tréfonds il ne peut y
avoir de contradiction. Là, l'art est acculé à devoir compa-
raître. Là, par lui-même il n'est plus garant de rien. Alors
Rimbaud lui demande des comptes au tribunal de la vérité
même, qui est aussi le tribunal de l'être. Il lui demande la
réalité. Elle n'y est pas.On a beau faire : si lié que l'art soit à ce qui, du fond des
choses, en un sens justifie l'art, rien n'empêche, pour em-
ployer une figure de Cocteau, que ce miroir, qui promettait
tout et d'une certaine manière l'offrait, se rompe, et la réalitén'est plus là. Si l'on insiste, si l'on traverse les apparences, si
l'on exige, on voit bien qu'au-delà, dans le ciel littéraire, c'est
le vide. Il n'y a pas d'autre vide que le vide métaphysique,
mais s'il y a ce vide quelque part, il est total. En littérature, à
la limite, on se trouve devant rien sous un luxe de prestiges.
Les suprêmes raisons existent, mais elles n'appartiennent
pas à la littérature. Celle-ci, bien qu'elle les évoque, ne saurait
tenir lieu d'elles, ni prétendre se parer de leur infini en son
nom propre. Or elle le prétend.
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Extrait de la publication
L E P A S D E L ' A V E N T U R I E R
Les prestiges littéraires sont des reflets, mais aussi des
oripeaux. Alors le devant de la scène, les artistes, les écri-
vains, leurs propos, leur comportement, leurs balivernes —
les plus sérieuses étant souvent les plus trompeuses à moins
qu'ils n'en soient conscients — leur jactance, leurs énigmes
à bon marché, produits dérivés, les carrières, les destins, les
simagrées, tout cela se retrouve devant une nouvelle vérité
concernant l'art, peu flatteuse, rimbaldienne : tout cela flotte
à la surface, image d'un vide essentiel et manifestant une
grande erreur, figures grotesques de cette erreur perçue par
Rimbaud, fausses ombres du fond des choses, débris coloriésdu néant ; vedettes, camarades dérisoires, tout occupés de
leurs petites affaires, y compris leurs poèmes, dont ils fontgrand cas, comme moi des leurs. Là, pour le Rimbaud en rup-
ture de ban, il n'y a rien : rien de ce qui est reflété ou rappelépar le poème.
D'ailleurs, le pire viendra plus tard, une fois morts et en-
terrés les grands poètes, Rimbaud, Verlaine, puis Mallarmé :
viendront les surréalistes qui eux, si l'on suit le songe de
Breton, croiront représenter la réalité fondamentale, ou plu-
tôt penseront non seulement la représenter mais en faire
partie substantiellement par leur poésie, voire par eux-
mêmes, du moins pour autant que la psychologie de Breton
aura pu les influencer. Ils auront baptisé cela surréalité,
croyant tenir par un mot ajouté ce qu'il y a là, dessous, pos-
sesseurs d'éternité par procuration, pensant réaliser jusque
dans leurs personnes, tel oniriquement Breton en tout cas,
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Extrait de la publication
par une sorte d'identification emphatique, la révélation selon
laquelle l'essentielle réalité serait enfin à l'intime portée de
l'artiste ou du poète. On se réclamera entre autres de
Rimbaud malgré certain anathème partiel de Breton contre
lui, Rimbaud qui pourtant avait une fois pour toutes abolil'illusion de ce qu'on allait à sa suite soi-disant découvrir.
Celui-ci avait ruiné par avance les vantardises surréalistes,
l'oublie-t-on ? Il avait tué le romantisme, voyez-vous. Mieux
que tout autre, il en avait bradé le fond de commerce. Cela
compromettait à l'avance toute tentative de se payer de mots.
Dès lors, le néoromantisme que le surréalisme figurerait dans
son aspect doctrinal n'aurait pas dû en principe être possible.
Il le fut néanmoins à ce point qu'il atteignit à une sorte de dé-
lire, d'ailleurs en forme d'apothéose, ce qui aggrave le cas jus-qu'au ridicule. C'est un curieux effet, dont le caractère exor-bitant fait ressortir a posteriori et par contraste la rigueur deRimbaud, de sorte que le jugement porté par celui-ci accusepar anticipation le côté imposteur d'un Breton.
Ce surromantisme advint malgré l'exemple d'Arthur
Rimbaud, grâce à une espèce de confusion mentale et de
beaucoup de « poésie ». Une mascarade parut offrir non seu-
lement des réverbérations de l'inconnu mais l'inconnu lui-
même, le divin si l'on ose dire. Mascarade personnelle de l'ar-
tiste, comme prêtre, comme dieu. Des fariboles, aurait pensé
Rimbaud « ne s'occupant plus de ça ».
La plus grande distance entre la prétention ou promesse
poétiques et l'ultime fond des choses avait été marquée par
A p r o p o s de Rimbaud i?
Extrait de la publication
L E P A S D E L ' A V E N T U R I E R
lui. Or c'est précisément cette distance que les surréalistes
abolissaient oniriquement, car un Breton promettait le salut,
ce qui est précisément la chose que Rimbaud ne trouvait
point au bout de son scalpel. Le surréalisme doctrinal a passéoutre à l'abîme entrevu par Rimbaud, tout simplement. Pour
s'en rendre compte encore mieux, il suffit d'emprunter le re-
gard jeté par celui-ci sur plusieurs de ceux qui l'entouraient,
y compris Verlaine, regard dédaigneux, dur, hautain et sans
appel, porté bien avant que l'homme eût tout quitté pour ses
diverses pérégrinations puis pour l'Afrique. L'insolence de
Rimbaud se signale dès le début. Il n'évolue pas vers elle. Dureste, elle est déjà là, subliminale, dans ses poèmes. On ysent l'intransigeance, l'apostrophe, l'orgueil, l'insulte.
Le saccage de l'illusion par les mots se trouve déjà dans sesgrandes œuvres et à plus forte raison le mépris du lyrisme. Le
verbal contre le verbal. Ces oeuvres tuent déjà beaucoup.
L'art est un alibi. Les écrivains vivent dans un état de sup-
position de personne. Tel est le point de vue de quiconque
épouse, ne serait-ce que sur le moment, l'implacable froi-
deur de Rimbaud à l'égard de ce qu'il est sur le point de lais-
ser pour toujours. Impossible d'éviter son regard. Qui peut
le faire dévier ?
Je crois comprendre cette sommation qui ne permet pas
l'esquive et prévient la parade que le monde oppose à ce qui
met ses propres avantages en péril, menacés par l'absolu.
Le regard de Rimbaud est direct et de complaisance nulle.
Déjà, comme écrivain, dans son oeuvre, il adhère à la chose,
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Extrait de la publication
A propos de Rimbaud
au réel, non à l'image, même avec l'image. Arthur Rimbaud a
enfin foudroyé du regard ce qui l'entourait, y compris les
mots.
Sa méchanceté également signale sa rigueur.
Du reste, personne n'est plus naturel que lui ni plus prochedu commun par la façon dont il finit par se donner aveuglé-
ment au concret plutôt que de participer encore à un monde
ambigu, à ce monde des poètes envers qui le jugement du
populaire est parfois ironique...
Chez un écrivain, qu'est-ce donc qui fait écran ? La litté-rature elle-même, y compris le mystère dont elle est un éclat,
qui avantage outre mesure. Infmitude empruntée à l'essence
des choses et qui n'appartient pas en propre à l'art, encore
moins à l'artiste, mais seulement à l'objectivité de ce qui existesuprêmement.
Le sens commun, prosaïque, se moque de cette équivoque.
Il en est comme averti par une espèce de santé qui exige detoutes choses d'être vraies.
La prose peut être l'aune de toute vérité. La poésie, quipeut être vraie, s'expose néanmoins elle aussi au test de vérité,
à l'indiscrétion du jugement élémentaire. Les jeux, si presti-
gieux qu'ils soient et même si proches de ce qui n'est pas jeu
mais transcendance, ne sont pas au-dessus de la vérité et le
fait est qu'ils seront jaugés. Rimbaud semble l'avoir compris
une fois pour toutes.
Le fond douteux dont les écrivains se méfient parfois pour
eux-mêmes à cause du caractère double où ils se trouvent
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Extrait de la publication
L E P A S D E L ' A V E N T U R I E R
nécessairement est un danger perpétuel pour eux et peut être
leur fatalité. Ce fond suspect affleure parfois dans la
conscience des meilleurs, les grands sincères, par exempleMiron. Imaginez ! Miron s'est traité d'imposteur ! Le dan-
ger n'est pas seulement potentiel. Il s'agit de la nature des
choses humaines et surhumaines. Cela n'a pas de faux fond.Rimbaud a aboli la fausseté.
Derrière les écrans, il y a ce qui n'est pas image mais re-
vanche sur l'image : la vérité quelle quelle soit, indépendante,
indiscutable, inaccessible. Sacrée, dit-on parfois. Étrangère,
objective, inaliénable, et cela n'est pas de l'ordre de nos com-merces, entendez littéraires.
Rimbaud leur préférera le commerce, sans doute jugé plus
honnête. Le commerce est sans compromis et il est une fi-gure de la réalité. Il est réalité même. On le pratique direc-tement, non par détour ni par image. Le faux commerce
n'existe pas. Le commerce n'exclut pas la fraude, on le sait,
mais celle-ci appartient à un aspect secondaire des choses.
Commerce frelaté n'existe pas. Fraude commerciale frelatée
non plus, du reste.
Ni le départ, ni le silence, ni la douleur ne peuvent l'être.
Rimbaud partait pour les antipodes, sinon en fait, du moins
par fait. Il ignorait sa destination, tant morale que géogra-
phique, même s'il allait pour l'instant quelque part, à Aden,
ou à Harar, car ces lieux n'étaient pas le terme. Où que sa
destination le portât, en tout cas elle ne le ramenait pas à la
littérature, ni si possible en Europe.
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Extrait de la publication
Germaine Guèvremont, Le Survenant
Édition critique de Yvan G. Lepage
Germaine Guèvremont,Marie-Didace
Édition critique de Yvan G. Lepage
Jean-Charles Harvey, Les demi-civilisés
Édition critique de Guildo Rousseau
Albert Laberge, La Scouine
Édition critique de Paul Wyczynski
Lahontan, Œuvres complètes I, II
Édition critique de Real Ouellet et Alain Beaulieu
Gilbert La Rocque, Les masques
Édition critique de Julie Leblanc
Chrestien Leclercq, Nouvelle Relation de la Gaspesie
Édition critique de Real Ouellet
Pamphile LeMay, Contes vrais
Édition critique de Jeanne Demers et Lise Maisonneuve
Joseph Lenoir, Œuvres
Édition critique de John Hare et Jeanne D'Arc Lortie
Albert Lozeau, Œuvres poétiques complètes
Édition critique de Michel Lemaire
Extrait de la publication
PaulMorin, Œuvres poétiques complètes
Édition critique de Jacques Michon
Ringuet, Trente arpents
Édition critique de Jean Panneton, Roméo Arbour
et Jean-Louis Major
Etienne Parent, Discours
Édition critique de Claude Couture et Yvan Lamonde
Gabriel Sagard, Le Grand Voyage du pays des Hurons
Édition critique de Jack Warwick
Mathieu Sagean, Relation des avantures de Mathieu Sagean
Édition critique de Pierre Berthiaume
Directeur:Jean-Louis Major
Extrait de la publication