les douleurs rÉcurrentes d’effort de...

15
LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur du dimanche au compétiteur marathonien Docteurs J. Lecocq et M.E. Isner-Horobeti, Service de Physiologie et Explorations fonctionnelles, NHC DÉFINITION La douleur d’effort (DE) se caractérise par sa survenue lors d’activités physiques et par sa régression plus ou mois rapide à l’arrêt de l’effort et par son absence au repos. Cette DE a donc un caractère récurrent à chaque effort de même type et peut donc souvent devenir chronique, ce qui n’exclut pas parfois une évolution aiguë. Ces douleurs ne sont pas dues à un macrotraumatisme (entorse, déchirure musculaire,…) mais sont liées à des lésions microtraumatiques par sur-utilisation répétée (overuse syndrome) du fait des contraintes mécaniques, ici la course à pied d’endurance. En effet la jambe est le segment de membre le plus souvent concerné par ces DE en milieu sportif. LIMITES DE CES DOULEURS D’EFFORT Ces DE sont localisées uniquement à la jambe. Ainsi, les DE articulaires et péri-articulaires immédiates ne sont pas concernées car même si elles s’accompagnent souvent d’irradiations à la jambe, la localisation principale de la douleur se situe à l’articulation (genou, cheville). Cependant l’examen clinique par esprit systématique devra quand même explorer le genou, la cheville et le pied car la topographie décrite par le patient n’est pas toujours très précise et il peut y avoir des intrications ou des exceptions. Par exemple la douleur de la tendinopathie corporéale d’Achille peut irradier au dessus de l’extrémité distale de la jambe. Un kyste

Upload: others

Post on 28-Dec-2019

17 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE …udsmed.u-strasbg.fr/dumg/IMG/pdf/2015_LECOCQ_DOULEURS...LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur

LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur du dimanche au compétiteur marathonien

Docteurs J. Lecocq et M.E. Isner-Horobeti, Service de Physiologie et Explorations

fonctionnelles, NHC

DÉFINITION

La douleur d’effort (DE) se caractérise par sa survenue lors d’activités physiques et par sa

régression plus ou mois rapide à l’arrêt de l’effort et par son absence au repos. Cette DE a

donc un caractère récurrent à chaque effort de même type et peut donc souvent devenir

chronique, ce qui n’exclut pas parfois une évolution aiguë.

Ces douleurs ne sont pas dues à un macrotraumatisme (entorse, déchirure musculaire,…)

mais sont liées à des lésions microtraumatiques par sur-utilisation répétée (overuse

syndrome) du fait des contraintes mécaniques, ici la course à pied d’endurance. En effet la

jambe est le segment de membre le plus souvent concerné par ces DE en milieu sportif.

LIMITES DE CES DOULEURS D’EFFORT

Ces DE sont localisées uniquement à la jambe. Ainsi, les DE articulaires et péri-articulaires

immédiates ne sont pas concernées car même si elles s’accompagnent souvent d’irradiations

à la jambe, la localisation principale de la douleur se situe à l’articulation (genou, cheville).

Cependant l’examen clinique par esprit systématique devra quand même explorer le genou, la

cheville et le pied car la topographie décrite par le patient n’est pas toujours très précise et il

peut y avoir des intrications ou des exceptions. Par exemple la douleur de la tendinopathie

corporéale d’Achille peut irradier au dessus de l’extrémité distale de la jambe. Un kyste

Page 2: LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE …udsmed.u-strasbg.fr/dumg/IMG/pdf/2015_LECOCQ_DOULEURS...LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur

poplité peut ne se traduire que par un syndrome compressif nerveux et/ou vasculaire qui va

s’exprimer à la jambe et au pied.

Figure 1 : kyste poplité

FRÉQUENCE

Le nombre de « joggeurs » est évalué en France à environ 8 millions dont 500.000/an

participent à une compétition fédérale ou non comme par exemple les Courses de Strasbourg

ou la Strasbourgeoise (15.000 en 2014). Le nombre de villes organisant un marathon est

exponentiel de même que le nombre de leurs participants autorisés, de l’ordre de plusieurs

dizaines de milliers pour les plus connues (nombre limité à 45.000 pour Paris). Ainsi ces DE

sont fréquentes et peuvent toucher comme le sous-titre de cet exposé le souligne, toutes les

catégories de pratiquants, du coureur occasionnel, du coureur « sport-santé » à l’amateur

régulier se préparant à une ou plusieurs épreuves, au sportif professionnel ou de haut niveau

et aux professions nécessitant des entraînements réguliers (militaires, pompiers, policiers).

De nombreux médecins peuvent donc être concernés par ces patients douloureux même s’ils

n’ont pas une pratique prédominante en médecine du sport.

ÉTIOLOGIES

Les étiologies possibles sont nombreuses, les microtraumatismes pouvant concerner tous les

tissus. Ces étiologies sont les mêmes pour tous ces patients, quel que se soit le niveau et le

type de pratique de course à pied d’endurance. Les 4 affections les plus fréquentes dont les

lésions sont localisées à la jambe sont les fractures de fatigue, la périostite tibiale, le

syndrome de loge d’effort et les syndromes d’artère poplitée piégée. Elles seules

seront décrites ainsi que leur prise en charge.

Cependant il ne faut pas oublier que des processus ou affections générales ou loco-

régionales non micro-traumatiques peuvent parfois provoquer à l’effort une DE de jambe

et même se révéler ainsi. Localement il peut s’agir de lésions inflammatoires, infectieuses,

tumorales, bénignes ou malignes, qui pourront concerner tous les tissus.

Page 3: LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE …udsmed.u-strasbg.fr/dumg/IMG/pdf/2015_LECOCQ_DOULEURS...LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur

Figure 2 : sarcome d’Ewing du péroné infiltrant les parties molles (T2)

Sur le plan général, des troubles métaboliques (hypophosphorémie, hypokaliémie,…), des

affections endocriniennes en particulier thyroïdiennes, l’hypovitaminose D peuvent être en

cause ainsi que des maladies musculaires métaboliques telles que des glycogénoses qui

peuvent ne se traduire que par une intolérance musculaire à l’effort et de ce fait par des

myalgies d’effort. Par ailleurs Les effets adverses de nombreux médicaments peuvent être à

l’origine de douleurs musculaires ou ostéo-articulaires plus apparentes à l’effort, telles que par

exemple les hypocholestérolémiants (fibrates et statines) et les rétinoïdes, ce qui justifiera

dans la mesure du possible une fenêtre thérapeutique. En pratique, bien que toutes ces

circonstances soient peu fréquentes, il est essentiel de procéder malgré le contexte sportif a

priori rassurant, à un interrogatoire rigoureux et un examen clinique complet, un bilan

biologique sanguin ainsi que des radiographies standard et une échographie du segment de la

jambe, ce qui permettra aussi d’avancer sur le diagnostic des affections microtraumatiques

citées précédemment et parfois de mettre en évidence une séquelle de macrotraumatisme

ancien oublié du sportif.

Il faudra aussi ne pas méconnaitre les affections pouvant ne se traduire qu’à l’effort mais

situées à distance de la jambe, essentiellement le canal lombaire étroit, asymptomatique

au repos (et sans lombalgie) mais à l’origine d’une ou plusieurs radiculalgies d’effort ou

claudication radiculaire L4, L5 et/ou S1. Le contexte diagnostique est plus facile pour le canal

lombaire rétréci par des lésions arthrosiques car il existe souvent des lombalgies. un TDM

lombaire sera demandé. Il peut aussi être demandé systématiquement en fin de bilan de DE

si ce dernier n’a pas apporté d’explication.

Figure 3 : canal lombaire étroit

Page 4: LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE …udsmed.u-strasbg.fr/dumg/IMG/pdf/2015_LECOCQ_DOULEURS...LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur

Une artériopathie oblitérante débutante aux différents niveaux du bassin et de la cuisse

par athéromatose, asymptomatique dans les activités de la vie quotidienne, peut se révéler à

la course à pieds. Un Echo-doppler sera de toute manière demandé dans le cadre du bilan

étiologique comme précisé plus loin.

DEUX CIRCONSTANCES DE CONSULTATION SONT SCHÉMATIQUEMENT

POSSIBLES

(tableau 1 : arbre décisionnel) :

1. consultation « précoce » de quelques jours à quelques semaines après la 1ère séance

sportive douloureuse. Il faudra rechercher prioritairement à la fracture de fatigue ce qui

nécessite une conduite à tenir (CAT) particulière, la poursuite de la course à pied étant

contre-indiquée. La périostite tibiale est à envisager ensuite avant les autres étiologies ci-

dessous.

2. consultation « tardive » de quelques mois (de l’ordre de 2-3mois) à parfois plusieurs

années après les premiers symptômes. Un syndrome de loge d’effort et un syndrome d’artère

poplitée piégée seront à rechercher principalement.

Tableau 1 : arbre décisionnel des DE de jambe du coureur à pied

Page 5: LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE …udsmed.u-strasbg.fr/dumg/IMG/pdf/2015_LECOCQ_DOULEURS...LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur

EXAMEN CLINIQUE

Ces DE de jambe ont une traduction clinique objective souvent pauvre et même inexistante

au repos. En outre les étiologies peuvent s’intriquer. L’interrogatoire est donc un moment clé,

qui, hormis les éléments précédemment développés va se cibler sur les caractéristiques de la

douleur pendant et après la course à pieds. La topographie de la douleur, diffuse, focalisée ou

sur l’une des 4 faces de la jambe est un élément d’orientation utile, de même que le caractère

uni ou bilatéral et d’éventuelles irradiations en général distales. Les caractéristiques

temporelles (durée d’évolution, délai et mode de survenue à l’effort surtout, nécessité ou non

d’arrêt de l’effort, durée post-effort qui est un critère important, boiterie post-effort,

persistance d’un fond douloureux modéré) sont essentielles. L’intensité de la douleur est

moins discriminante et sera évaluée par son retentissement fonctionnel sur la course à pieds

et d’autres sports ainsi qu’au cours de la profession et des activités de la vie quotidienne.

L’évolution est à préciser (aggravation ou état sable). On recherchera d’autres douleurs

(lombalgies, avant-bras, cuisse), d’autres symptômes à l’effort ou non (paresthésies distales,

crampes, « fatigue » des membres inférieurs ou généralisée, steppage), la constations par le

patient lui-même de signes immédiatement à l’arrêt de l’effort (induration musculaire ou

hernie musculaire, modification de coloration cutanée, œdème, steppage, …), l’efficacité à la

reprise de la course d’un éventuel arrêt transitoire du sport presque toujours essayé par le

patient, l’efficacité d’un changement de chaussures de course à pieds et/ou d’un essai de

semelles amortissantes ou non, de kinésithérapie ou de physiothérapie, d’auto-médication.

BILAN ET TRAITEMENT

La pauvreté de l’examen clinique au repos nécessite d’entreprendre un bilan paraclinique. Un

temps intermédiaire est de pouvoir examiner le sportif immédiatement après une séance de

course à pieds sauf si le contexte fait craindre une fracture de fatigue, ce qui nécessite une

organisation de la consultation. Ce bilan sera hiérarchisé en fonction de l’orientation donnée

par l’interrogatoire et l’examen physique mais aussi en fonction du patient (niveau sportif,

intensité de la pratique, souhait du patient, contraintes de temps en vue de compétitions ou

d’activités professionnelles,…), certaines explorations d’accès difficile ou coûteuses pouvant

dans certains cas être remplacées ou repoussées par un test de repos sportif encadré par un

suivi clinique rapproché.

Le traitement est particulier à chaque étiologie et certaines peuvent nécessiter une

intervention chirurgicale, ce qui justifie d’avoir un diagnostic étiologique précis. Un avis

spécialisé peut être requis.

Page 6: LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE …udsmed.u-strasbg.fr/dumg/IMG/pdf/2015_LECOCQ_DOULEURS...LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur

LES FRACTURES DE FATIGUE (FF) ET DE JAMBE

Le tibia est la localisation la plus fréquente de toutes les FF, jusqu’à 50 % des FF. Il s’agit

essentiellement de la diaphyse. L’atteinte de la fibula représente environ 15 % des FF. La FF

traduit une perturbation du remodelage osseux de l’os sain qui n’est pas capable de s’adapter

rapidement à des augmentations brutales et répétées de contraintes mécaniques qui majorent

la résorption osseuse. Le déséquilibre entre formation et résorption aboutit à une réaction de

stress ou stade pré-fracturaire comportant des microfissures qui vont confluer jusqu’au stade

fracturaire, ces 2 stades étant objectivés en IRM. Plusieurs facteurs favorisants extrinsèques

et intrinsèques, principalement les modifications de l’entraînement sportif peuvent intervenir

(notamment la « triade de la femme sportive » qui comporte une aménorrhée, des troubles

alimentaires et des FF).

Les FF se traduisent par une DE stricte, de début insidieux, d’aggravation progressive et plus

ou moins localisée. Il existe cependant des formes aigues entraînant d’emblée des douleurs

invalidantes et durable après l’effort, amenant à une consultation médicale rapide. L’examen

clinique est pauvre ; la palpation peut être douloureuse en un point précis avec parfois une

petite tuméfaction pour les FF situées dans les zones superficielles du tibia et de la fibula.

Le diagnostic ne peut être totalement affirmé que par l’imagerie. Les radiographies standard

restent normales dans plus de 50 % des cas et les anomalies apparaissent tardivement au

bout de 4 à 6 semaines.

L’Echographie semble intéressante mais n’est pas validée. La scintigraphie au technetium 99

met en évidence une hyperfixation bien focalisée dès les premiers jours mais non spécifique.

Figure 4 : fracture de fatigue : scintigraphie osseuse.

Page 7: LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE …udsmed.u-strasbg.fr/dumg/IMG/pdf/2015_LECOCQ_DOULEURS...LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur

L’IRM est aussi sensible et précoce mais est plus spécifique en montrant un oedème peri-

cortical externe et médullaire (hyposignal T1, hypersignal T2 et [T1+gadolinium], hypersignal

en séquences saturation de graisse et STIR). Les aspects IRM ont été classés en 4 grades de

gravité, les 2 premiers grades correspondant au stade préfacturaire, le suivant à un stade

intermédiaire et le 4ème au stade fracturaire. Ces 4 grades ont une valeur prédictive du délai

avant reprise complète du sport. C’est dire l’importance de pouvoir faire le diagnostic dès le

stade pré-fracturaire pour traiter précocement. Eventuellement lorsque les DE sont récentes

et modérées chez un sujet sportif occasionnel et ayant une profession sédentaire on peut

surseoir à l’IRM et même à la scintigraphie, si cliniquement l’atteinte ne se situe pas à la face

antérieure du tibia et à condition de pouvoir suivre très régulièrement le patient.

Figure 5 : IRM stade pré-fracturaire de fatigue

Le risque évolutif des FF de la diaphyse tibiale est fonction de la topographie de la lésion : la

FF dans la concavité de la diaphyse, donc sur sa face postero-interne est une FF en

compression et est classée à bas risques comme celles de la fibula. A l’inverse la FF dans la

convexité du tibia au niveau de sa face et bord antérieurs qui sont les seuls palpables est en

distraction et est classée à haut risque. Pour les FF à bas risque au stade pré-fracturaire,

l’arrêt ou même la seule réduction de l’activité sportive si la douleur régresse complètement

est suffisant en association avec le traitement des facteurs favorisants par exemple en

modifiant le rythme et le volume des entraînements, en prévoyant des périodes de repos

sportif, en changeant de chaussures, en portant des orthèses plantaires, en luttant contre les

troubles alimentaires (apport en calcium, vitamine D et protéines) et en traitant les

éventuelles perturbations hormonales. La guérison et la reprise complète du sport sont

possibles entre 6 et 8 semaines en moyenne. Pour la FF à haut risque de la face antérieure du

tibia au stade pré-fracturaire l’immobilisation et la décharge partielle du membre inférieur

sont préconisées alors qu’au stade fracturaire la décharge complète est nécessaire et certains

proposent même une ostéosynthèse.

Page 8: LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE …udsmed.u-strasbg.fr/dumg/IMG/pdf/2015_LECOCQ_DOULEURS...LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur

PERIOSTITE TIBIALE

La périostite tibiale, fréquente et banale chez le coureur à pied est plutôt un syndrome défini

par la DE comme le suggère son appellation anglo-saxonne dont la traduction littérale est

« syndrome douloureux médial du tibia ou syndrome de stress tibial médial ». Cela traduit

bien que sa physiopathologie et son anatomopathologie restent peu claires (enthésopathie

des muscles soléaire ou tibial postérieur ou fléchisseur commun des orteils, réaction osseuse

de stress se rapprochant du stade pré-fracturaire de la FF, forme particulière de syndrome de

loge d’effort postérieur profond). L’expression clinique est relativement univoque : DE à la

face médiale de la jambe plutôt dans sa moitié inférieure pendant la course à pied, souvent

bilatérale, pouvant régresser en cours d’effort, n’obligeant que rarement à l’arrêter et pouvant

persister quelques heures à 1 journée après l’effort ; la palpation du bord postéro-médial du

tibia est électivement douloureuse sur 10 à 15 cm dans sa moitié ou 2/3 inférieurs

contrairement à la FF dont la douleur éventuelle à la palpation est punctiforme.

Les radiographies standard sont normales. Le bilan biologique sanguin est normal comme

pour les FF. Le diagnostic de certitude entre FF et périostite repose sur la scintigraphie

osseuse en mettant en évidence pour cette dernière une hyperfixation longitudinale et

modérée du tibia au temps tardif. Cependant on connaît l’existence de rares FF longitudinales

donnant ce même aspect scintigraphique.

Figure 6 : périostite : hyperfixation scintigraphique étendue bilatérale

L’IRM et éventuellement l’Echographie comportent aussi des anomalies évocatrices (œdème

pericortical mais limité). Cependant une apposition périostée visible sur une radiographie

standard, fera d’abord rechercher une autre affection telles que ostéomyélite, histiocytome,

Page 9: LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE …udsmed.u-strasbg.fr/dumg/IMG/pdf/2015_LECOCQ_DOULEURS...LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur

... La bénignité de l’affection autorise s’il n’y a que peu de doute diagnostique à se passer de

scintigraphie quitte à la réaliser en cas d’échec thérapeutique. Le traitement s’appuie sur le

repos sportif concernant les sports en charge pour une durée en général de l’ordre du mois,

mais pouvant parfois aller jusqu’à 2 mois. Le traitement symptomatique fait appel à la

physiothérapie, les massages, le stretching, les anti-inflammatoires en application locale et

éventuellement par voie orale. Les ondes de choc préconisées par certains n’ont pas fait la

preuve de leur efficacité. La correction des troubles morphostatiques même minimes des

pieds par des semelles est utile, principalement pour limiter ou réduire le valgus calcanéen et

la pronation du pied et a aussi un intérêt préventif.

LES SYNDROMES DE LOGE D’EFFORT (SLE) DE JAMBE

Figure 7 : les 4 loges de la jambes

Le SLE est caractérisé par un critère clinique, des DE survenant en regard des muscles d’une

ou plusieurs loges (ou compartiment) et par un critère para-clinique, l’élévation de la pression

intra-musculaire (PIM) au-delà des normes à l’intérieur de ces loges. La localisation à la

jambe est de loin la plus fréquente et concerne une ou plusieurs des 4 loges, antérieure,

latérale en général associée à la précédente, postérieure profonde et très rarement

postérieure superficielle. L’atteinte est bilatérale dans 50 à 80 % des cas. Le SLE survient

surtout au cours de la couse à pied d’endurance. Le SLE peut se voir à tout âge, le maximum

se situant entre 20 et 30 ans et sans différence entre hommes et femmes. Il s’agit en général

de sportifs pratiquant régulièrement et depuis plusieurs années. Il est parfois retrouvé un

facteur déclenchant telle qu’une modification ou une reprise de l’entraînement. Le SLE

apparaîtrait plus souvent en début ou en fin de saison d’activité sportive ou de compétition.

La qualité du sol et des chaussures peut intervenir.

Page 10: LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE …udsmed.u-strasbg.fr/dumg/IMG/pdf/2015_LECOCQ_DOULEURS...LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur

La DE est stéréotypées chez un patient donné pour un effort d’intensité et de durée données,

revenant pour chaque nouvel effort identique (de quelques minutes à ¼ - ½ d’heure, moins

souvent au-delà), expliquant son caractère chronique car le SLE ne s’aggrave que lentement,

en général sur des années mais le SLE peut parfois avoir une évolution aigue si le sportif

continue à courir malgré des DE intenses. L’intensité de la douleur est variable d’un patient à

un autre pouvant nécessiter la réduction ou l’arrêt de l’effort. A l’arrêt la douleur diminue en

une dizaine de minutes à quelques heures mais jamais de manière instantanée et se poursuit

en général par une sensation de simple courbature douloureuse pendant quelques heures à 2

jours.

L’examen clinique chez le patient au repos se caractérise par sa normalité. Il est parfois

constaté une ou plusieurs petites hernies musculaires pour les loges superficielles, signe quasi

pathognomonique.

Figure 8 : hernie musculaire

A l’examen clinique immédiatement après l’effort déclenchant la douleur, Il est alors souvent

constaté une dureté douloureuse de la face antérieure et/ou latérale, parfois l’apparition d’une

hernie musculaire. Les pouls distaux sont toujours perçus. Le délai d’évolution avant

diagnostic pour des SLE de jambe a été mesuré à 24 mois en moyenne dans une série

récente de 276 patients.

Page 11: LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE …udsmed.u-strasbg.fr/dumg/IMG/pdf/2015_LECOCQ_DOULEURS...LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur

La mesure des PIM est le moyen diagnostique de référence et de certitude de SLE. Après une

épreuve d’effort de course à pied sur tapis roulant ayant déclenché la DE, une aiguille

fenêtrée reliée à un manomètre est rapidement implantée dans la loge car la PIM doit être

mesurée 1 minute après l’arrêt de l’exercice. Les critères diagnostiques les plus couramment

utilisés sont les PIM une minute après effort supérieur ou égal à 30 mmHg et surtout

supérieur ou égal à 20 mmHg à 5 minutes. Cette exploration est réalisée en routine au

Service de physiologie et explorations fonctionnelles au NHC des Hôpitaux universitaires de

Strasbourg en même temps que des avis spécialisés diagnostiques de thérapeutiques pour les

DE des membres chez le sportif.

Il n’ y a pas à l’heure actuelle d’autres examens complémentaires dont l’intérêt diagnostique

soit validé (IRM à réaliser dans les premières minutes suivant l’exercice, scintigraphie au

thallium). Le SLE ne comporte pas d’anomalies biologiques sanguines. La physiopathologie et

l’étiopathogénie du SLE sont encore mal connues contrairement au syndrome de loge

traumatique aigu (fracture, hématome, plâtre trop serré) mieux connu et qui est une urgence

chirurgicale pour éviter la nécrose des muscles de la loge.

Le traitement du SLE est chirurgical. Cependant un traitement médical par injections de

toxine botulique de tous les muscles de la ou les loges concernées est utilisé aux Hôpitaux

Universitaires de Strasbourg depuis près de 10 ans. Le repos sportif ne peut supprimer que

momentanément les DE qui réapparaissent au bout de quelques séances à la reprise sportive.

Une alternative thérapeutique pour les sportifs occasionnels de loisir est la réduction de la

vitesse et/ou de la durée de la course à pied au-dessous du seuil déclenchant la douleur. Le

traitement chirurgical consiste en une fasciotomie ou aponévrotomie sur toute la hauteur de

l’aponévrose. Plusieurs auteurs proposent depuis peu un abord endoscopique. La reprise

sportive est progressive au cours du 2ème mois. Il peut persister des DE modérées et il existe

parfois des récidives, surtout pour la loge postérieure profonde d’accès chirurgical plus

difficile.

SYNDROME DE L’ARTÈRE POPLITÉE PIÉGÉE (SAPP)

Le SAPP provoque des DE au mollet mais qui peuvent aussi moins fréquemment se situer à la

face antéro-latérale de la jambe. Le SAPP est bilatéral dans le 1/3 des cas. Il se voit chez des

sujets surtout avant 30 ans pratiquant des sports favorisant l’hypertrophie des

gastrocnémiens ou jumeaux, chefs musculaires du triceps sural, essentiellement la course à

pied. Il y a 2 types de SAPP qui ont cependant la même symptomatologie : le SAPP qui

comporte un véritable piège anatomique par aberration musculaire, aponévrotique ou

vasculaire objectivable en imagerie et le SAPP fonctionnel ou dynamique (type V de la

classification en vigueur) appelé « syndrome fonctionnel de compression poplitée », donc sans

Page 12: LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE …udsmed.u-strasbg.fr/dumg/IMG/pdf/2015_LECOCQ_DOULEURS...LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur

anomalie anatomique mais comportant souvent une simple hypertrophie des gastrocnémiens.

La DE est importante obligeant à arrêter l’effort et régresse alors presque instantanément, en

tout cas plus rapidement que pour les autres étiologies de DE. La DE peut s’accompagner de

paresthésies distales. L’examen clinique au repos est normal, en particulier au creux poplité.

Au cours des manœuvres dynamiques cherchant à étirer et/ou contracter les gastrocnémiens,

le genou étant en extension maximale pour comprimer l’artère poplitée, il est difficile de

mettre en évidence cliniquement une diminution ou une disparition des pouls distaux ou

l’apparition d’un souffle poplité. Le SAPP, surtout les formes avec anomalies anatomiques,

peut évoluer vers une aggravation progressive et des complications à type d’ischémie sub-

aigue par thrombose, d’anévrysme ou de lésions distales trophiques par embols répétés.

L’Echo-doppler est normal au repos s’il n’y a pas de complication. Par contre les manœuvres

dynamiques cliniques prennent ici tout leur intérêt en objectivant les modifications du flux de

l’artère poplitée et/ou des artères jumelles.

Figure 9 : syndrome d’artère poplitée piégée. Reconstruction TDM

Figure 10 : angio-TDM sans manoeuvre

Page 13: LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE …udsmed.u-strasbg.fr/dumg/IMG/pdf/2015_LECOCQ_DOULEURS...LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur

Figure 11 : angio-TDM avec manoeuvre : interruption du flux

Les perturbations de la mesure de la tension artérielle systolique aux chevilles (artère tibiale

postérieure) après effort de course à pied et de l’index de pression systolique aux chevilles

(IPSC) calculé en rapportant ces valeurs à celle de la tension artérielle systolique au bras sont

un argument en faveur du rôle pathogène des anomalies en écho-doppler dans ces DE.

L’angio-TDM avec manœuvres cliniques et l’angio-IRM vont permettre de rechercher une

anomalie anatomique musculaire ou vasculaire et de classer le SAPP en 5 types. S’il est

objectivé une anomalie anatomique le traitement est chirurgical pour supprimer le piège. Par

contre les possibilités du traitement du SAPP fonctionnel sont limitées, parfois chirurgie pour

libérer l’artère si l’hypertrophie musculaire est importante, plus souvent rééducation pour

assouplir le triceps et réduire son tonus, talonnettes et semelles, physiothérapie antalgique ne

donnant que des résultats fonctionnels aléatoires nécessitant l’adaptation des gestes sportifs.

Des essais en cours d’injections de toxine botulique de l’extrémité proximale des

gastrocnémiens au CHU de Strasbourg sont encourageants.

AUTRES AFFECTIONS

D’autres affections peuvent être recherchées en cas de négativité de l’ensemble des

explorations précédentes et après s’être assuré qu’il ne s’agit pas d’une DE projetée d’origine

Page 14: LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE …udsmed.u-strasbg.fr/dumg/IMG/pdf/2015_LECOCQ_DOULEURS...LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur

lombaire : Lesséquelles traumatiques musculaires visualisées en imagerie (Echographie,

IRM), tel qu’un nodule fibreux cicatriciel, une poche séreuse, une calcification ou ossification,

une désinsertion ou une rupture de tout ou partie d’un muscle, asymptomatiques dans la vie

courante peuvent être douloureuses à l’effort.

Figure 12 : ossification post-traumatique de la membrane inter-osseuse tibio-fibulaire

Les syndromes canalaires à point de départ à la jambe (nerf fibulaire superficiel, nerf

sural) se traduisent plutôt par des signes au pied et plus accessoirement à la partie distale de

la jambe. Les syndromes compressifs du nerf fibulaire commun au col de la fibula ou du nerf

tibial au creux poplité donnent des signes à la jambe et au pied mais sont peu classiques dans

ce cadre de DE au cours de la pratique sportive dont la course à pied. Un muscle

surnuméraire tel un soléaire accessoire peut donner des DE. Les syndromes

myofasciaux de concept encore très discuté paraissent rares à la jambe. Des pathologies

veineuses de la jambe ou du creux poplité peuvent rarement être en cause.

CONCLUSION

Les étiologies des douleurs récurrentes d’effort de la jambe pendant la course à pied sont

nombreuses et nécessitent pour leur recherche un interrogatoire soigneux et un examen

physique programmé systématique passant en revue toutes les structures anatomiques. Dans

la plupart des cas cet examen clinique ne permettra pas de faire l’économie d’un bilan

paraclinique mais l’orientera au mieux. Ce diagnostic étiologique est nécessaire pour adapter

le traitement, parfois chirurgical, qui diffère d’une affection à une autre. Cette conduite à tenir

est transposable aux DE d’autres segments de membres, en particulier l’avant-bras.

Les principales caractéristiques des 4 affections microtraumatiques localisées à la jambe sont

résumées dans le tableau 2 ci-dessous.

Tableau 2 : récapitulation schématique des principaux éléments des 4 principales affections

microtraumatiques de la jambe à l‘origine de douleurs récurrentes d’effort.

Page 15: LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE …udsmed.u-strasbg.fr/dumg/IMG/pdf/2015_LECOCQ_DOULEURS...LES DOULEURS RÉCURRENTES D’EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur