les services publics changent : comment ? - cahier bernard brunhes consultants - bpi group - 2006

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Juin 2006 • N°16 Les BPI Groupe du PUBLICA TIONS Les Services publics changent : comment ? Etude sociologique de l’Assurance Maladie Sous la direction de Danielle Kaisergruber David Askienazy Philippe Olivier Judith Desportes Gildas Niget Anaïs Lacombe

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Etude sociologique de l’Assurance Maladie

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J u i n 2 0 0 6 • N ° 1 6

Les

BPIGroupedu

PUBLICATIONS

Les S er vices publics changent : comment ?

Etude sociologique de l ’Assurance Maladie

S o u s l a d i re c t i o n d e D a n i e l l e K a i s e rg r u b e r

D av i d A s ki e n a z yP h i l i p p e O l i v i e r

J u d i t h D e s p o r te sG i l d a s N i g e t

A n a ï s L a co m b e

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Les S er vices publics changent : comment ?

Etude sociologique de l ’Assurance Maladie

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PUBLICATIONS

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Les Cahiers Bernard Brunhes

Ces « Cahiers » entendent contribuer à analyser les changements sociaux qui sont liés aux mutations économiques actuelles. Les interventions et les réflexions des consultants de Bernard Brunhes Consultants - Groupe BPI en fournissent la matière.

Cahiers n°1 : « Banques et assurances en Europe : les enjeux sociaux d’un bouleverse-ment »

Cahiers n°2 : « Et si les conflits dans les transports n’étaient pas une fatalité ? Conditions de travail, vie quotidienne et management des conducteurs »

Caniers n°3 : « 35 heures : une occasion de repenser la formation – Les enseignements des accords de branche et d’entreprise »

Cahiers n°4 : « 35 heures : quand les collectivités territoriales devancent l’appel » Cahiers n°5 : « L’avenir des emplois peu qualifiés : que peut la formation ? Les ensei-

gnements des pratiques de PME-PMI» Cahiers n°6 : « La gestion des crises industrielles locales en Europe » Cahiers n°7 : « Les salariés seniors : quel avenir dans l’entreprise ? Enquête dans 5 pays :

Allemagne, Royaume-Uni, Suède, États-Unis, Japon » Cahiers n°8 : « Les collectivités territoriales se mettent aux nouvelles technologies ; les

enseignements des démarches engagées. Les perspectives » Cahiers n°9 : épuisé Cahiers n°10 : « Vingt ans de décentralisation. Où en est le management public terri-

torial ? Enquête sur les pratiques managériales dans les collectivités territoriales » Cahiers n°11 : « Concilier flexibilité des entreprises et sécurité des salariés. Réactivité

des entreprises, sécurité des salariés… une nouvelle articulation est-elle possi-ble ? »

Cahiers n°12 : « Réussir en Europe de l’Est. Comment acquérir une entreprise en Europe centrale et orientale : expertises, conseils, témoignages »

Cahiers n°13 : « La rémunération au mérite : mode ou nécessité ? Pour de nouveaux modes de rémunération dans les fonctions publiques d’État et territoriale »

Cahiers n°14 : « Les impacts de la LOLF sur la Gestion des Ressources Humaines. La loi organique relative aux lois de finances, les enseignements à tirer d'expérimentations pilotes »

Cahiers n°15 : « Anticiper l'emploi. Comment les entreprises réussissent-elles à anticiper l'emploi ? Comment les salariés accueillent-ils ces politiques ? »

Les textes de ces « Cahiers » peuvent être téléchargés sur Internet (www.groupe-bpi.com). Ils sont aussi disponibles sur papier au prix de 8 € .Les Publications du Groupe BPI 16, rue Vivienne – 75002 Paris

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AVAnt-ProPos 5

CHAPItrE 1L'Assurance Maladie : une institution et une entreprise imbriquées 11repères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12C'est l'institution qui est "parlée" . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14La représentation de la complexité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16Centralisation / autonomie des organismes : permanences et évolutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18Et la tête de réseau ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

CHAPItrE 2La logique de ser vice a changé la conception du travail 23repères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24Une opinion positive sur la notion de service . . . . . . . . . . . . 26Les Plates-Formes de service : cœur ou marges de l'entreprise ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28Alors, le client ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30Les professionnels de santé : incarnation du mal ou partenaires dans une relation de service ? . . . . . . . . . . . . . . . 31Histoire de changement 1 - La création des Délégués de l’Assurance Maladie : « Je dis Monsieur, pas Docteur » . . . . 34En conclusion de ce chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

CHAPItrE 3Quels métiers à l 'intérieur de l'Assurance Maladie ? 41repères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42Les représentations des métiers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43Qu'est-ce qu'être « technicien Assurance Maladie » aujourd'hui ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45Un effet de prolétarisation… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48où est la modernité en matière de métiers ? . . . . . . . . . . . . . 49Les métiers de mission . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51En conclusion de ce chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52soM

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CHAPItrE 4Un management de P.M.E. et une gestion des ressources humaines éclatée 53Un univers de PME(s) en émulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54Les pratiques de management : la parabole de la bonne pioche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56Un exemple d'univers rebelle au management . . . . . . . . . . . 58Une gestion des ressources humaines éclatée . . . . . . . . . . . . 60En conclusion de ce chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62

CHAPItrE 5Le compromis social de base 63repères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64Des appartenances très cloisonnées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65« ni une administration, ni une entreprise » . . . . . . . . . . . . . 67Le modèle de l'emploi à vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69Histoire de changement 2 : sésam-Vitale . . . . . . . . . . . . . . . . 71Des relations sociales territorialisées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75En conclusion de ce chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77

CHAPItrE 6Rappor t au changement et désir de modernité 79Le passé témoigne pour l'avenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80Le changement à l'origine d'une nouvelle fierté d'appartenance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81Mais l'Assurance Maladie est au milieu du gué . . . . . . . . . . . . 83Histoire de changement 3 : La mise en place de la Couverture Maladie Universelle (CMU) . . . . . . 85Perspectives : quelle place pour l'entreprise imbriquée dans une institution ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89Le management et les ressources humaines : des leviers de changement attendus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90

ConCLUsIon 93

BIBLIoGrAPHIE 97

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Du changement dans les grandes organisations publiquesDanielle Kaisergruber

Au fil du temps, et au-delà des échanges d’invectives et de discours, les grands « mammouths » publics changent. Moins que ne le souhaiteraient certains, mais beaucoup plus qu’on ne le croit généralement.

Il en est ainsi de l’Assurance Maladie.

Sait-on d’ailleurs, alors qu’on ne parle que de son déficit – le « trou de la sécurité sociale » qui fait périodiquement retour dans l’actualité –, que ce sont 110 000 personnes qui y travaillent chaque jour. Leur histoire récente est riche de nouveautés et de changements : mise en place de la carte Sésam-Vitale (la fameuse « carte verte ») et changement complet des procédures de remboursement qui sont dématéralisées pour l’essen-tiel et s’effectuent directement auprès des professionnels de santé.

Avec la création des « Plates-Formes de service », les centres d’appels téléphoniques propres à l’Assurance Maladie, c’est la logique de service qui a pris une place nouvelle dans le travail des agents. Elle s’est déve-loppée également dans les accueils physiques en particulier depuis la création de la CMU, Couverture Maladie universelle, qui a renouvelé la vocation sociale de l’Assurance Maladie et amené vers ses Centres, des assurés d’un type nouveau.

Révolution informatique, dématérialisation, scannérisation, transmis-sion directe des données : autant de changements techniques d’ampleur – il y a 350 millions de consultations et 1 milliard de prescriptions par an en France – qui sont aussi des changements de métiers, d’organisation et de culture.

Avec la récente réforme d’août 2004, le Service médical voit son rôle réorienté vers davantage de contrôle. La régulation et la gestion du risque – autrement dit rembourser intelligemment – deviennent le AV

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métier de chacun au fur et à mesure que se déploie la « Liquidation médico-administrative ».

Un regard sur les transformations des grandes entreprises publiques (RATP, EDF…) en France montre qu’elles changent par le biais de la logique de service ; par la responsabilisation des entités de base et par le biais d’une vraie gestion des ressources humaines et des compétences qui se substitue à la gestion budgétaire des postes.

Par son histoire, l’Assurance Maladie s’est construite à partir de Caisses autonomes, à partir d’en bas donc. Récemment elle s’est tournée vers ses clients et partenaires.

L’Assurance Maladie représente un service public orignal qui agit, avec ses 110 000 salariés de droit privé, des femmes pour 80 %, par délé-gation de l’Etat dans le cadre de l’ensemble des organismes de sécurité sociale. C’est un service public qui a beaucoup changé et changera encore beaucoup.

Comment ? Quelles leçons en tirer pour d’autres services publics, entre-prises publiques ou administrations ?

L’étude qui suit montre que, si les préjugés ont la vie dure, on ne doit jamais faire l’économie du détour par le terrain : c’est en observant un téléconseiller dans un centre d’appels, en observant comment travaillent des médecins-conseils, en animant des groupes de travail comme le font de très nombreux consultants, que l’on peut légitimement parler du changement dans les services publics.

C’est parce qu’on ne connaissait pas assez bien l’intérieur de la « boîte noire» Assurance Maladie que la Direction de la Communication de la CNAM a lancé en 2004 un « Programme fonctionnel pour la réalisation d’une étude sociologique sur la culture d’entreprise et l’accompagnement du changement ».

Les enquêtes et le travail d’analyse ont été réalisés par une équipe de Bernard Brunhes Consultants et Synergence Majeure sous la direction de Danielle Kaisergruber, du printemps 2004 à l’été 2005. Plusieurs types d’investigations ont été conduits.

Le recueil d’informations, d’opinions, d’avis, de représentations

… plus particulièrement lors d’une cinquantaine d’entretiens en bilaté-ral avec des responsables au sein de l’ensemble « Assurance Maladie » : administrateurs, dont certains présidents de Conseil d’administration

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issus des organisations syndicales et patronales, directeurs d’organismes, directeurs régionaux du Service médical, responsables nationaux au sein de la CNAM, responsables nationaux du Service médical ;

…lors d’enquêtes sur le terrain qui ont conduit à la réalisation de 10 monographies d’organismes (7 Caisses primaires, 1 Centre technique informatique et 2 entités du Service médical) ;

…enfin, lors de nombreux entretiens collectifs qui ont eu lieu dans le cadre de chaque enquête de terrain avec des groupes de techniciens, d’agents administratifs, ou praticiens-conseils, avec des représentants des salariés au sein des comités d’entreprise, avec des cadres de proxi-mité, avec des délégués de l’Assurance Maladie.

… lors d’observations en milieu de travail qui ont eu lieu afin de recueillir des matériaux relatifs aux pratiques de travail au quotidien.

La production de réactions par rapport aux matériaux recueillis et aux hypothèses d’analyse

Au fur et à mesure du déroulement de l’étude, nous avons soumis nos premiers constats et nos premières hypothèses d’analyse afin de les valider et de les enrichir, au Comité de pilotage tout d’abord, et à un « groupe d’interprétation » ensuite, composé de 20 membres. Nous les avons ensuite présentés au cours d’une série de huit séminaires trans-versaux qui se sont tenus en avril 2005 et qui ont rassemblé chacun une quarantaine de participants venant de toute la France et de tous les horizons professionnels.

L’étude a pu ainsi représenter un moment interactif dans la vie de l’Assu-rance Maladie et être en elle-même porteuse de sens et de mouvement au sein de l’entreprise.

Au-delà de l’étalement dans le temps qui permet la prise en compte des changements survenus depuis le début de l’étude (loi du 13 août 2004 et orientations renforcées vers le contrôle ; rôle nouveau du directeur de la CNAM), nous avons eu l’occasion pour produire des résultats d’analyse d’utiliser de manière heuristique les différences entre les méthodes de recueil des matériaux.

Notre position de fond de type épistémologique étant que la recherche de l’interaction avec les acteurs n’est pas incompatible avec la production rigoureuse d’éléments de connaissance.

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Nous livrons ici les résultats de ce travail, qui ont déjà été largement diffusés au sein du réseau Assurance Maladie. Comme un voyage à l’in-térieur d’un univers, d’une grande organisation. Nous avons toujours été bien accueillis, non sans un brin d’étonnement, devant cette démarche d’étude sociologique qui n’avait pas d’objectifs immédiats de réorgani-sation ou de changement. Tous ceux que nous avons rencontrés ont joué le jeu de notre enquête et des modalités de travail que nous leur avons proposées.

Qu’ils en soient ici remerciés. Une pensée particulière va à Agnès Denis, directrice de la Communication, qui a eu l ’idée de cette étude, et à l’équipe de la Direction de la Communication et du Marketing qui nous a accompagnés.

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Sigles utilisésALD Affection Longue Durée

Affection ouvrant droit à un remboursement à 100% des examens médicaux et des prescriptions en rapport avec l’affection.

AME Aide Médicale de l’EtatAide à laquelle a droit toute personne de nationalité étrangère en situation irrégulière au regard de la législation sur le séjour des étrangers en France, pour elle-même et les personnes à sa charge, à condition de résider en France depuis plus de 3 mois et sous réserve de remplir les conditions de ressources.

CANAM Caisse Nationale d’Assurance Maladie des professions indépendantesCNAM-TS Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs SalariésCPAM Caisse Primaire d’Assurance MaladieDAM Délégué de l’Assurance MaladieENSSS Ecole Nationale Supérieure de Sécurité Sociale (anciennement CNESSS Centre National

d’Etudes Supérieures de Sécurité Sociale)Ecole qui assure la formation des futurs cadres dirigeants de la sécurité sociale et propose des actions de formation continue destinées aux cadres supérieurs et aux cadres dirigeants des organismes de sécurité sociale.

LMA Liquidation Médico AdministrativeObligation, introduite par la loi du 13 août 2004, pour les caisses d’Assurance Maladie de vérifier, pour les prestations présentées au remboursement, le respect des règles de prise en charge par l’Assurance maladie, avec l’appui des services du contrôle médical.

MSA Mutualité Sociale Agricole Deuxième régime de protection sociale en France. Gère la protection légale et complémentaire de l’ensemble de la profession agricole.

PFS Plateforme de ServiceUCANSS Union des Caisses Nationales de Sécurité Sociale

Négocie et conclut les accords collectifs nationaux pour le régime général de la sécurité sociale. Elle assure également un certain nombre de services, notamment en matière de gestion des ressources humaines, pour les réseaux du régime général de la sécurité sociale.

UGECAM Union pour la Gestion des Etablissements des Caisses d’Assurance Maladie Organismes régionaux qui gèrent les établissements de soin et médico-sociaux de l’Assurance Maladie.

UNCAM Union des Caisses d’Assurance Maladie Formée des Caisses nationales des trois principaux régimes (CNAMTS, MSA, CANAM), l’UNCAM a pour rôle de coordonner l’action des Caisses nationales dans le pilotage de l’Assurance Maladie et de nouer un partenariat avec les professionnels de santé et les organismes de protection sociale complémentaire.

URCAM Unions Régionales des Caisses d’Assurance Maladie Structures régionales inter régimes regroupant :- Les caisses primaires d’Assurance Maladie du régime général (CPAM),- Les caisses régionales maladie des professions indépendantes (CMR),- Les caisses de Mutualité Sociale Agricole (MSA).

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L'Assurance Maladie : une institution et une entreprise imbriquées

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Repères

Même si une entreprise peut être considérée, à de nombreux égards, comme une institution, la notion d’« institution » désigne le système politique de l’Assurance Maladie.

Même si le but de l’Assurance Maladie n’est pas la production de richesses mises sur le marché, la notion d’entreprise désigne le système de production des services et des missions.

Dès que l’on entre dans l’Assurance Maladie – et il s’agit bien d’un voyage, d’une exploration –, on trouve d’abord le système politique caractérisé par plusieurs traits :

la proximité de l’État. Les règles du jeu sont fixées par lui ;

la prégnance historique du système paritaire mis en place en 1945. La « Sécurité Sociale » s’analyse alors comme un système de « salaire différé » au service des salariés (de là l’appellation toujours utilisée : CNAM-TS pour « travailleurs salariés »), géré par des représentants des employeurs et des salariés au sein d’un Conseil d’administration de la CNAM et de Conseils sur le même modèle dans environ 200 organismes ;

la construction de l’ensemble du système à partir du territoire, à partir d’organismes locaux insérés dans un tissu local d’acteurs et d’institutions, et dotés d’un fort sentiment d’autonomie.

Il est bien évident qu’un certain nombre des valeurs, des caractéristiques cultu-relles que nous allons découvrir relèveront de l’institution. Par exemple cette formulation de type «politique» souvent entendue pour définir l’Assurance Maladie : « notre mission c’est l’égalité de l’accès aux soins pour tous ».

Le fonctionnement de l’entreprise, de son côté, se caractérise par quelques traits notables :

comme toute entreprise, elle rationalise jour après jour sa manière de produire (rappelons que chaque année il y a 350 millions de consul-tations médicales et un milliard de prescriptions) et ses méthodes de gestion. Un gros travail a été accompli sur ce dernier aspect ces dernières années avec les conventions de gestion, l’introduction de Sésam-Vitale, la scannérisation des « feuilles maladies »… ;

elle se modernise à la manière des entreprises de service en introduisant une véritable « logique de service » en direction des assurés, des professionnels de santé (60 % des remboursements sont désormais réalisés directement

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auprès d’eux) et des employeurs (sur les aspects « indemnités journalières », « accidents du travail » et « maladies professionnelles »). Elle met en place des plates-formes téléphoniques, modernise ses accueils, etc. ;

elle fonctionne du point de vue des ressources humaines et des relations sociales comme les autres entreprises, et ce d’autant plus que le person-nel relève du droit privé. Bien que le vocabulaire communément utilisé par tous soit celui d’« agent », comme dans la fonction publique…

Cette simple remarque nous montre qu’il faut évidemment aller plus avant dans l’analyse de l’imbrication de l’entreprise et de l’institution, chacun des « traits caractéristiques » que nous venons d’évoquer rapidement a évolué au fil du temps et est « vécu », « assumé » différemment par les différents groupes sociaux et professionnels.

Exemple de définition de l’Assurance Maladie dans son ensemble : « C’est une entreprise de service public avec des salariés de droit privé ». Certains accentuent le côté « noblesse » du service public orienté vers une mission de respect de « l’égalité dans l’accès aux soins » et de vigilance par rapport au système de soins « avec en plus l’énergie du privé ». D’autres mettent l’accent sur l’efficacité des fonctionnements : « On utilise les méthodes de l’entreprise : démarche qualité, gestion, management ». En somme, les deux faces : l’insti-tution publique d’une part, l’entreprise de l’autre.

Voici ce que nous avons recueilli lors d’un autre entretien avec un autre respon-sable d’organisme local : « je suis un service public, c’est pour ça que je suis là ; en second, je suis un réseau ; in fine, je suis une entreprise. Mais pour les cadres et agents, je ne sais pas, demandez-le leur ».

C’est ce que nous avons fait.

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C'est l ' institution qui est "parlée"

Dès que l’on travaille sur et dans l’Assurance Maladie, c’est peut être la chose qui frappe le plus : sur une centaine d’articles de presse détaillés (et ils n’ont pas manqué durant les années 2004 et 2005), sur une vingtaine d’ouvrages consacrés à la sécurité sociale dont l’Assurance Maladie, on ne trouve pas plus de 20 lignes consacrées aux 110 000 personnes qui y travaillent. Les thèmes évoqués dans cette imposante revue de presse : la gouvernance du « système », la négociation avec les syndicats représentant les professionnels de santé, la place des partenaires sociaux (ont-ils géré ou non l’Assurance Maladie tout au long de l’histoire ?), le déficit de l’Assurance Maladie, les positions diverses des divers ministres de la Santé. Rien sur les fonctionnements internes. Dans l’ouvrage de référence de Bruno Palier, Gouverner la sécurité sociale (2002), une seule page sur le rôle des syndicats dans les recrutements. Dans le rapport Fragonard, L’Avenir de l’Assurance Maladie, rapport du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance Maladie, rien.

L’Assurance Maladie est une boîte noire, que nous allons essayer d’ouvrir.

C’est l’institution, les enjeux politiques qui sont objets de discours, qui sont « parlés » pour reprendre une vieille expression de Lacan. Cette réalité ne peut pas être sans influer sur les fonctionnements et les représentations en interne : nous verrons plus loin combien les agents souffrent d ‘un déficit d’image et de représentation d’eux-mêmes. De manière explicite, les responsables de la CNAM, l’établissement public, la tête de réseau, sont les plus nombreux à se plaindre du « trop de politique dans l’Assurance Maladie ».

Plusieurs éléments expliquent la rémanence de ces représentations malgré la modernisation de l’entreprise elle-même.

Le rôle déterminant de l’État (à la fois le Parlement avec le débat annuel sur le budget de la sécurité sociale créé par les ordonnances Juppé, et le Gouvernement) qui s’explique par la nature des enjeux de santé publique, par le rôle qu’il a toujours souhaité conserver à l’endroit du secteur hospi-talier et enfin par l’importance du budget de la sécurité sociale. Ce rôle de l’Etat interfère très directement avec les missions et le travail quotidien de la CNAM. Ce qui peut expliquer que l’excès de politique y soit davantage ressenti qu’au sein des organismes locaux, plus loin de l’Etat. Deux sources d’autorité et de pouvoir, c ’est une de trop. Et la légitimité de la CNAM comme « tête de réseau » par rapport aux organismes n’en a que plus de

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1 Cf. l’exemple de Ferrovie del Stato dans Tixier P.E., Ramirez R., Heckscher CH., Maccoby M., La Métamorphose des géants, comment se trans-forment EDF, Trenitalia, ATT et Lucent, Editions d’Organisation, 2004.

mal à se construire. Mais il faut noter au passage qu’à la CNAM on rencon-tre de nombreux profils de compétences et de carrières, de type « hauts fonctionnaires de l’Administration centrale ».

Le fait que, au travers du paritarisme au niveau national comme au niveau des organismes, l’Assurance Maladie soit un véritable « champ de forces politiques et sociales », à la fois entre organisations des employeurs et organisations représentant les salariés, au sein même des organisations syndicales du fait du pluralisme français, et entre « partenaires sociaux » et syndicats représentant les professionnels de santé. Ce champ de forces, cette guerre de positions ravivée à chaque réforme est loin des préoccupations et des réalités des agents, mais les responsables (à la CNAM comme d’ailleurs les directeurs d’organismes) se doivent d’intégrer cette dimension.

Plusieurs ouvrages récents portant sur la modernisation des services publics ou des entreprises publiques ont montré à quel point le changement est difficile dans des organisations qui sont des champs de forces politiques1. C’est pourquoi pour les responsables de l’Assurance Maladie, conduire des changements implique de savoir bien distinguer l’institution et l’entreprise, car c’est l’institution qui est dans les turbulences du champ de forces, et car le changement doit se conduire à partir de l'entreprise.

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La représentation de la complexité

L’institution avec ses multiples « instances » renvoie à la question de la complexité, évoquée dans tous les entretiens avec des administrateurs et des responsables, bien qu’elle ne soit pas une question pour les agents de base au sein des organismes : les Caisses primaires, les Centres techniques informati-ques ou les Echelons locaux du Service médical.

Pour un très grand nombre de nos interlocuteurs, la complexité renvoie aux différents régimes de sécurité sociale, au paritarisme et au grand nombre d’organismes au sein de l’Assurance Maladie : 129 Caisses primaires, 9 Centres techniques informatiques – CTI, des URCAM – Unions régionales, des services au sein des CRAM qui s’appellent Assurance Maladie mais traitent pour l’es-sentiel des questions de retraite, etc.

Ainsi du point de vue d’un directeur d’URCAM, son organisme « couvre » vingt régimes (régime général, MSA et CANAM, auxquels s’ajoutent les « petits » régimes spéciaux) avec vingt administrateurs alors qu’il y a dix-sept salariés à l’URCAM. Drôle d’organisation. Mais cette complexité est là encore celle de l’institution, dès que l’on s’intéresse à l’activité de remboursement de prestations, au contrôle des arrêts maladies, on est dans des entreprises, des établissements qui « produisent ».

Le directeur de Caisse primaire peut heureusement s’inscrire dans une vision plus simple, alors que les responsables nationaux de la CNAM ont tendance à rendre l’institution plus compliquée qu’elle ne l’est :

son organisme se situe clairement à l’intérieur du réseau Assurance Maladie. Notons que l’usage du mot « réseau », avec la modernité qu’il connote, l’a nettement emporté sur le vieux mot « branche ». Nous reviendrons sur ce terme « réseau » et ce qu’il signifie ;

le paritarisme signifie pour lui des relations avec « son » Conseil d’admi-nistration, sachant que le plus souvent le couple « directeur / président de CA » est présenté comme fonctionnant efficacement. Derrière cette efficacité affichée, on peut sans doute voir un certain effacement de la fonction « présidentielle » qui est dans une position suiviste sur la plupart des dossiers importants de modernisation technologique, de choix d’orga-nisation, de gestion des ressources humaines. Comme si les valeurs de la modernité ne pouvaient être contestées, les présidents de Conseil ont le même souhait que les directeurs de s’attacher à tout ce qui est synonyme de modernité ;

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le paritarisme est pour lui un gage d’autonomie. Les décisions prises par le directeur, ou l’équipe de direction, apparaissent comme « voulues » par le Conseil et – comme telles – doivent s’imposer à la CNAM. Le paritarisme et la volonté affichée des partenaires sociaux sont alors des arguments à faire valoir à la CNAM à l’appui de telle ou telle proposition.

C’est ainsi que se construit la double légitimité du directeur de Caisse locale : un pied dans l’institution, un pied dans l’entreprise. L’ancrage dans l’institution ne vient pas que du paritarisme, il vient aussi de l’inscription dans les institutions locales, dans des réseaux locaux. Le directeur – et il partage cette fonction avec le président du Conseil – représente l’Assurance Maladie au niveau local. Il est, parfois autant que son président, un notable local. En utilisant cette notion, empruntée à la sociologie de l’administration et aux sciences politiques, nous n’incluons aucune nuance de jugement, il s’agit bien de décrire un mode de fonctionnement qui joue d’une double appartenance. Ce mode de fonctionnement est commun à tous les directeurs de Caisse, quelle que soit leur génération. En tant que manager d’une entreprise – car une Caisse est une vraie PME, nous y reviendrons –, il fonctionne dans un réseau dont la tête est la CNAM.

La relation à la CNAM, à « Paris », est importante. La légitimité sur le terrain, dans la direction d’une entreprise, est semblable à la légitimité d’un directeur de site dans un groupe privé. Mais s’y ajoute la légitimité locale, qui est un gage d’autonomie et dont la tête de réseau doit tenir compte.

En effet, la CNAM de son côté a besoin de la légitimation « par le terrain » car elle n’est pas simplement un siège social d’entreprise. De ce point de vue, deux figures dominent le discours des uns et des autres : à Paris, on évoque sans cesse ce qui se fait sur le terrain et dans une Caisse on cherche à valoriser ses initiatives, ses innovations en les faisant connaître au niveau national.

C’est ainsi que faire partie d’un groupe de travail national, ou d’une Commission, est valorisant et valorisé en local auprès des agents. Les expressions utilisées par les agents pour évoquer cette reconnaissance de « leur » Caisse par Paris ressemblent tout à fait à celles qui sont utilisées par les citoyens ou les habi-tants d’une ville pour désigner leurs élus politiques : le maire de telle ville est aussi apprécié parce qu’il a des fonctions nationales qui le confortent locale-ment. Certes la décentralisation a un peu fait évoluer cette représentation, mais la prégnance de la figure du « député-maire » montre que le « jacobinisme apprivoisé » existe toujours2.

2 Cf. travaux de Pierre Grémion, en particulier Le pouvoir périphérique, Seuil, 1976

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Centralisation / autonomie des organismes : permanences et évolutions

Les représentations des nombreux responsables interviewés sur ce point sont claires :

L’Assurance Maladie s’est construite sur le modèle de la Mutualité, à partir d’une autonomie des Caisses locales qui ont eu leur propre Conseil d’ad-ministration, leurs choix, leur communication (il en reste bien des traces), leurs recrutements. L’identité des Caisses a pu, dans le passé, être connotée par l’appartenance syndicale de leur président.

Depuis plusieurs années, on observe une centralisation et une prise de pouvoir hiérarchique opérée par la CNAM. Cette observation se mêle parfois avec le constat concernant le rôle plus affirmé de l’État. Mais elle reste bien spécifique : la centralisation correspond à des besoins de gestion homogène (« aujourd’hui dans les contrats d’engagement, sur 20 indicateurs, 75 % sont fixés par la CNAM »). Elle s’appuie sur les systèmes informatiques qui ont un rôle très structurant.

Elle répond également à un besoin d’homogénéiser le service rendu aux assurés et aux autres partenaires de l’Assurance Maladie. La diversité des pratiques est encore importante suscitant surprise, inquiétude parfois, lorsque les agents la découvrent. En effet des consignes différentes d’une Caisse à l’autre peuvent avoir comme conséquence un traitement différent des assurés d’une localité à l’autre. La diversité concerne aussi les manières de travailler des agents : ainsi le rôle donné aux Plates-Formes de service (PFS) peut aller d’une conception de type « standard téléphonique» à une conception où réponse est donnée à 80 % des appels. Les consignes quant au temps passé à répondre sont très variables d’une PFS à l’autre. Une part de centralisation se justifie donc pleinement.

Cette prise de pouvoir de la CNAM, qui s’est nettement accentuée avec la mise en place de la réforme de 2004 (« j’attends mon habit de sous-préfet » dit un directeur) n’est pas fondamentalement rejetée, mais les critiques qui s’expriment montrent qu’elle doit s’accompagner d’une re-définition du type de « pilotage » du réseau que la CNAM entend mettre en œuvre.

Pour l’avenir, les directeurs d’organisme rencontrés redoutent une évolution vers ce qu’ils appellent un modèle « directeur d’agence », ou un modèle admi-nistratif qui ne serait pas en phase avec la culture de l’Assurance Maladie qu’ils partagent : ils se sentent différents des « fonctionnaires », « non pas qu’il soit mal d’être fonctionnaire, mais… ».

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Certains d’entre eux redoutent le développement d’un niveau régional dont ils imaginent mal les contours :

le modèle de type « services d’un ministère avec niveau national / niveau régional / niveau départemental / niveau infra départemental » ne corres-pond pas à l’identité profonde des cadres et des agents de l’Assurance Maladie, et ne trouve pas de défenseur au sein du réseau, ni chez les responsables, ni chez les agents.

Parmi les responsables nationaux cependant, ce modèle peut sembler parfois présent : la vision pyramidale d’un bel ensemble articulé sur les divisions administratives territoriales et sur l’emboîtement actuel des collectivités locales en France n’est jamais exprimé dans sa pureté. Mais elle est à l’œuvre dans de nombreux discours, montrant à quel point la tête de réseau – en l’absence d’une autre référence et d’une autre conception de ce qu’est le pilotage d’un réseau – cale son fonctionnement sur celui d’une administration centrale de l’État ;

le modèle « échelon régional pour la stratégie » et « échelon départemental pour la production » a ses tenants dans les URCAM (et à la CNAM parfois) mais il est faiblement attractif pour les Caisses qu’il transforme en « points d’accueil » et « usines à prestations ».

Or la discussion sur la place du niveau régional se trouve doublement relan-cée par les exigences de mutualisation entre Caisses et de reconfiguration d’une part et par la problématique de la régulation d’autre part ;

la perspective d’une mutualisation plus poussée et d’un regroupement régional des Caisses est présente dans les propos des agents. Elle se mêle fortement avec la question des effectifs. « On aura un front office local et un back office mutualisé au niveau régional ». Dès que les agents sont invités à se projeter dans l’avenir, la régionalisation apparaît comme une menace. Quant au sujet de l’emploi, des effectifs (et des réductions d’effectifs), il faut noter qu’entre le moment des enquêtes monographiques (novembre - décembre 2004) et le moment des séminaires transversaux (avril 2005), la sensibilité des agents est devenue beaucoup plus vive sur ce sujet. Les faibles taux de remplacement des agents partant en retraite apparaissent comme contradictoires avec le développement de tâches nouvelles à réaliser.

L’institution définit donc une appartenance et un mode de fonctionnement de responsables. Est-elle présente par d’autres biais dans les représentations et les pratiques professionnelles des agents de base ? C’est la question que nous nous poserons dans le chapitre portant sur « le compromis social de base », dans lequel on retrouve certaines des composantes du « système politique » de l’Assurance Maladie.

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Et la tête de réseau ?

Au-delà des critiques toujours exprimées par la « base » à l ’endroit du « sommet », la représentation que le réseau a de la tête de réseau mérite d’être analysée.

Pour les directeurs d’organismes, c’est une tête hiérarchique – et dont ils pensent qu’elle le sera de plus en plus, en particulier avec la gestion de la carrière des directeurs – et une source de normes de gestion.

Pour une partie d’entre eux, ceux qui sont le plus présents dans des comités et groupes de travail nationaux, c’est également une source d’initiatives ou de reprises pour généralisation d’initiatives du terrain, et d’impulsion.

Pour les agents, la tête de réseau est l’instance dirigeante qui tient les cordons de la bourse (budget, effectif, mutualisations) et ils attendent de leur direc-teur d'organisme qu’il négocie au mieux de leurs intérêts. C’est le modèle du « jacobinisme apprivoisé ».

Au-delà, ils connaissent très mal la CNAM, ne la voient pas comme « le siège » et n’opèrent pas toujours la distinction entre ce qui relève de la CNAM et ce qui relève de l’État. En fait ils en ont une représentation de type instance politique abstraite qui a davantage les traits d’une institution que d’une direction d’en-treprise. Il faut ajouter que l’absence de mobilité entre la CNAM et le réseau (à de rares exceptions près) ne contribue pas à véhiculer une image concrète.

Notons aussi que le fossé entre les équipes de direction des organismes – proches des responsables nationaux – et les agents proches de leurs cadres de proximité, est très important. « Il y a trente fois plus de distance entre un liquidateur et le directeur de la CNAM qu’entre moi et le ministre » entend-on. Nous avons effectivement trouvé que cette distance était beaucoup plus importante que celle que l’on peut observer dans la plupart des grandes entreprises. Plus exactement, elle correspondrait à une entreprise de main d’œuvre peu qualifiée.

En somme, plus on se sent appartenir au réseau, plus on a d’exigence par rapport à la tête de réseau qui doit elle-même transformer son mode de fonctionnement.

Le réseau tel qu’il fonctionne aujourd’hui est à mi-chemin d’une orga-nisation clairement hiérarchique et d’une organisation décentralisée. Peut-il évoluer vers davantage de hiérarchie et de centralisation alors que toutes les grandes entreprises publiques (EDF, France Telecom, RATP) se

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sont modernisées en allant vers plus de décentralisation et de responsa-bilisation des échelons locaux ?

Pour conclure ce chapitre, selon le niveau d’exercice de leur métier ou de leur responsabilité, les agents de la CNAM peuvent être plutôt dans l’institution, ou plutôt dans l’entreprise. Mais c’est au niveau des représentations que les deux réalités s’imbriquent et courent le risque de se nuire mutuellement. Les conséquences en terme de construction de projet et de communication en sont importantes.

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La logique de service a changé la conception du travail

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Repères

De nombreux travaux de chercheurs en France portent sur la modernisation des « géants » (selon l'expression de Pierre-Eric Tixier), les grandes entrepri-ses publiques que sont EDF, la SNCF, la RATP, Air France, France Telecom3 . Ils mettent en évidence les vecteurs d’introduction du changement au sein de ces entreprises, quel qu’en soit le point départ.

Ces vecteurs de changement sont au nombre de trois :

1. Le passage d’une notion abstraite de service public à une notion opération-nelle de service au public. Autrement dit : l’introduction d’une orientation vers le client et de la logique de « service ».

2. La décentralisation des responsabilités du management et, le plus souvent, des relations sociales (cf. chapitre 4).

3. Un changement très profond dans la conception de la gestion des ressources humaines qui inclut le passage de la gestion budgétaire d’effectifs et de postes, à la gestion qualitative des ressources humaines, des compétences et des parcours professionnels individuels (cf. chapitre 5). Cette nouvelle gestion des ressources humaines est une base pour le développement d'un vrai management.

Revenons sur le passage de la notion de service public à celle de service au public pour la caractériser plus en détail. La logique de service ainsi introduite est une notion opérationnelle dans la mesure où elle entraîne des modifications d’organisation importantes : d’une organisation des activités de type indus-triel centrée sur le bon fonctionnement technique (les centraux et les lignes téléphoniques, la régulation des trafics, la production et l’acheminement de l’électricité) à une organisation tournée vers l’usager, le client. En un mot, le destinataire des services publics produits.

L’introduction de la logique de service appuyée sur de nouvelles organisa-tions des activités modifie très profondément les métiers exercés dans les entreprises. Non pas que les activités de production n’existent plus, mais elles sont le plus souvent modernisées par les transformations technologiques et s’appuient sur un nombre moins important d’employés. Non pas que la notion de service public ait disparu mais elle ne suffit pas à définir l’organisation et la manière de travailler.

De nombreux métiers apparaissent tournés vers le marketing, l’accueil physi-que et téléphonique ; la relation avec les usagers est objet d’attentions,

3 A. David, RATP, La Métamorphose, réalités et théorie du pilotage du changement, 1995

P.E. Tixier (sous la direction de ), Du Monopole au marché, les stratégies de modernisation des entreprises publiques, La Découverte, 2002.

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d’un travail de l’entreprise sur elle-même, relayé par le développement de formations spécifiques.

De nouveaux problèmes apparaissent également : les compétences exigées par les métiers d’accueil sont plus « relationnelles », « langagières ». Elles sont moins bien connues que les compétences techniques, moins faciles à identifier et à construire. Parfois moins reconnues aussi.

Les métiers d’accueil sont porteurs de gratification – la satisfaction du client ou de l’usager – mais aussi de stress et de difficultés nouvelles.

A une époque où, en France, les emplois de service représentent 72 % du total des emplois, les profils professionnels, les compétences et les problèmes posés par ces métiers commencent à être aujourd’hui un peu mieux connus4.

C’est en nous appuyant sur l’ensemble de ces travaux que nous allons analyser comment s’est effectuée dans l’Assurance Maladie l’introduction de la logique de service.

4 Cf. en particulier I. Joseph, G. Jeannot, Métiers du public : les compétences de l’agent et l’espace de l’usager, CNRS Editions, 1995

M.C. Combes, Services : organisation et compé-tences tournées vers le client, La Documentation Française, 2001.

Gilles Jeannot, Les métiers flous, travail et action publique, Octarès, 2005

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Une opinion positive sur la notion de service

Lorsque les agents sont invités à identifier les changements survenus sur les cinq dernières années, ce sont les changements technologiques qui arrivent en première place : Sésam-Vitale, les différents logiciels et la télétransmis-sion. L’histoire de l’introduction de Sésam-Vitale et de la télétransmission est édifiante.

Mais le constat est général : la carte Vitale est sur le terrain le symbole même du changement. Elle est vécue, mise en avant comme « la preuve » que l’on a changé. Elle est le signe de la modernité : « je montre la carte et je n’ai pas besoin de dire où je travaille, tout le monde le sait ». De nombreuses Caisses en ont fait comme une sorte d’emblème et les agents parlent de la carte Vitale avec fierté. Dans la mesure où l’identité professionnelle « travailler à la Sécu » est restée connotée négativement, on peut voir à quel point la carte Vitale représente bien plus qu’un changement technique parmi d’autres.

Les entretiens avec des responsables d’organisme et des membres de Conseils d’administration le montrent très clairement : ce n’est plus « la production » qui fournit le sujet essentiel des réunions. Personne ne regrette le temps où « les soldes », autrement dit les dossiers en retard, occupaient l’essentiel des ordres du jour dans les Conseils d’administration. La place prise par les enquê-tes de satisfaction des assurés témoigne de la présence d’une autre logique. Les responsables, comme les agents, sont nombreux à citer spontanément les enquêtes de satisfaction comme un repère, un outil sur lequel on s’appuie. Les mauvais résultats ont servi, dans certains cas, de déclic et de point de départ pour des changements radicaux dans l’organisation et le management.

La notion de « service » se décline selon différents dispositifs qui, au fil du temps, ont pris une place plus importante dans les activités exercées et dans la représentation que les agents en ont :

Dans une même vision, Sésam-Vitale et la télétransmission sont corrélées à l’idée de service. Parce que, jointes à la scannérisation, ces innovations techniques ont délivré du souci quotidien de la production. Parce que la mise en place de la télétransmission a mobilisé des équipes de techniciens qui ont travaillé en direction des professionnels de santé. Enfin, parce que, dans la représentation des agents, Sésam-Vitale comme la logique « service » participent de la modernité, montrent que « ça bouge » . Comme les autres services publics.

Le développement des services « accueil », en lien avec la mise en place de la CMU (Couverture maladie universelle) qui s’est réalisée très rapidement

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et a été vécue comme le prolongement naturel des missions de solidarité de la sécurité sociale. Il faut revenir ici aux notions fondatrices : la sécurité sociale des salariés créée (refondée) en 1945 ne permet plus de couvrir les populations précarisées par les évolutions économiques. La CMU – proposée par un gouvernement de gauche réputé favorable au service public – donne un sens à l’action sociale au sein de l’Assurance Maladie.

Par ailleurs, la mise en place de la CMU s’est effectuée dans l’urgence, dans le cadre d’une conduite du changement de type « commando » qui est, pour partie, en phase avec certains aspects de la culture de l’Assurance Maladie. En effet, on peut voir que ce qui reste d’une culture « militante » au sein des organismes s’accommode très bien de ces grands projets, certes venus d’en haut et que l’on raille comme tels, mais qui mobilisent sur un temps court toutes les ressources dès lors que les agents comprennent le sens de ce qui est fait.

L’emploi, fréquent, de cette notion d’urgence témoigne d’un besoin de réaffir-mer l’utilité politique et sociale de l’Assurance Maladie. Un moyen peut-être aussi de lutter contre l’image négative d’une bureaucratie tranquille.

Mais les agents des fonctions « accueil » qui sont en permanence en contact avec les populations éligibles à la CMU expriment aussi leur exaspération devant ce qu’ils voient comme des abus des dispositifs assistanciels. Les anec-dotes concernant ceux qui viennent toucher leur CMU en grosses cylindrées abondent… C’est typiquement un aspect professionnel sur lequel les agents pensent qu’ils observent des dérives que les « chefs » ne voient pas et que l’on pourrait corriger « avec davantage de temps » pour traiter les dossiers. Mais en même temps, ces abus sont sujets à controverses plus politiques. On voit là, comme sur quelques autres thèmes, à quel point l’activité à l’intérieur des différents services de l’Assurance Maladie est corrélée avec des opinions et une représentation de « type » politique et sociale de l’activité exercée.

Le développement des « Plates-Formes de service » (voir ci-après).

Les hésitations quant au développement des services en direction des professionnels de santé (voir ci-après).

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Les Plates-Formes de Service : cœur ou marges de l 'entreprise ?

Du fait même de leur conception, les PFS (Plates-Formes de service) se sont généralement construites à l’envers des autres services, à partir d’une sorte de table rase. En ce sens, ni leur fonctionnement ni la méthode d’implémen-tation ne sont transposables, puisqu’il n’y a pas eu à agir par rapport à une organisation déjà existante.

L’observation, comme la reconstitution de la création des PFS, font ressortir plusieurs éléments :

la conception même est tournée vers le client. Mais à la différence d’une activité de type standard téléphonique, des moyens importants sont mis en place pour qu’un grand nombre de questions puisse trouver réponse dès le premier appel ;

du coup, l’activité de la plate-forme est soutenue par un travail riche (des superviseurs, du manager de la plate-forme) d’information permanente des téléconseillers, de « débriefing » régulier pour résoudre ensemble les problèmes posés et s’assurer de la qualité des réponses ;

les agents travaillant sur des plates-formes et ayant travaillé dans d’autres services ressentent le travail quotidien comme plus collaboratif, moins cloisonné, moins individualiste ;

les agents travaillant sur des plates-formes sont quasiment les seuls (parmi environ 600 agents rencontrés lors de cette enquête) à affirmer sans problème leur identité professionnelle. A la question « où travaillez-vous ? », posée dans les circonstances de la vie quotidienne, ils répondent « je suis téléconseiller à l’Assurance Maladie ». Là où tous les autres répon-dent, en étant gênés, « je travaille à la Sécu ».

C’est donc une identité professionnelle plus sûre d’elle-même qui se dégage, une fierté d’appartenance à un métier d’une part et à l’Assurance Maladie d’autre part.

Les modes de recrutement pour les emplois de téléconseiller ont été variés mais ont souvent abouti à des recrutements de jeunes relativement diplômés et à des mobilités volontaires d’agents venant d’autres services. C’est pourquoi d’une certaine manière, les plates-formes rassemblent aujourd’hui des agents « plus engagés » dans leur travail que la moyenne des autres. Dans la mesure où l’exercice du métier de téléconseiller est exigeant et producteur de stress,

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on s’accorde à dire que des parcours de mobilité devront être proposés aux téléconseillers. Une attente très forte existe maintenant quant aux emplois qui seront proposés dans l’avenir à tous ceux qui ont travaillé dans les PFS. Comme dans certains centres informatiques, qui ont embauché des jeunes très diplômés, le risque de gâchis peut être important.

Mais dans l’ensemble, le caractère récent de la création des PFS, les modes de recrutement, font que les plates-formes sont encore ressenties par de nombreux agents comme étant « aux marges » de l’entreprise.

Quelques jugements négatifs existent, ils sont de deux types : soit ils provien-nent d’un préjugé ancien (« j’ai vu fonctionner des centres d’appel comme celui de Wanadoo »), soit ils viennent à l’appui d’une vision de la dégradation de la qualité de service pour cause de recherche de productivité. Le temps manque pour « écouter », pour « approfondir », pour « traiter vraiment les choses ». On peut observer que ces critiques sont moindres lorsqu’il existe une organisation du travail collectif qui permet une prise de distance et un approfondissement des sujets traités, par exemple avec des « groupes de parole » ou des « groupes de doctrine » qui permettent régulièrement de faire le point, de réactualiser les connaissances de chacun.

Dans plusieurs cas, la mise en place des plates-formes a été longuement discu-tée dans les Caisses – parfois même négociée – avec les organisations syndi-cales et les représentants du personnel. Les réticences qui se sont exprimées alors provenaient nettement d’une opposition à des organisations du travail de type « call centers » et d’une image dévalorisée de ce type de métier.

L’usage du mot « client » tend à refléter les mêmes contradictions de représen-tations. Alors que les entretiens avec des responsables nationaux à la CNAM, nous avaient mis en garde – « N’allez pas dans l’étude avec le mot client » –, nous avons été frappés de voir à quel point son usage s’était répandu. Ce constat, comme d’autres, tendrait à montrer que l’institution, la politi-que, est en retard sur les fonctionnements quotidiens de l’entreprise et des agents.

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Alors, le client ?

« Les destinataires ne sont surtout pas des clients. Nos destinataires sont des assurés sociaux. Mais certains veulent faire moderne et parlent de clients. Le concept de solidarité est à lui seul suffisamment moderne ». Voilà le genre d’affirmation que l’on peut entendre parfois.

Qu’y a-t-il derrière le mot client, qu’il soit accepté ou refusé ?

Lorsque le mot « client » est utilisé spontanément, ce n’est pas pour dési-gner une relation marchande mais bien pour mettre en évidence le fait que le « destinataire » doit être pris en compte. Il s’agit en quelque sorte de sortir l’assuré social de l’anonymat de la masse des assurés sociaux et de le considérer comme une personne ayant besoin d’explications, de commu-nication et de réponses aux problèmes posés dans les meilleurs délais. Cet usage du terme « client » n’est pas contradictoire avec la conception de l’Assurance Maladie comme « un service public » ayant une mission globale de solidarité.

Le même vocabulaire ne paraît pas bien s’adapter aux professionnels de santé, les agents s’orientent alors vers le mot « partenaires ». Cette distinc-tion sémantique permet de préserver la conception de base selon laquelle l’Assurance Maladie est d’abord tournée vers les assurés. Elle n’empêche pas une réflexion, à laquelle les agents paraissent ouverts, selon laquelle il y a aussi des services à proposer aux professionnels de santé dans leur diversité.

Il n’y a pas d’homogénéité dans la manière de « se tourner » vers le (ou les) client(s). On parle parfois de « clientèle » – comme si ce terme paraissait plus adapté –, de « ligne du public », mais parfois encore de « tiers » pour désigner les professionnels de santé.

Il n’y pas non plus d’homogénéité dans la manière de répondre aux deman-des : se mettre en position de répondre en face à face, ou prendre les questions et proposer une réponse différée, avec traitement par un « back office ».

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Les professionnels de santé : incarnation du mal ou partenaires dans une relation de service ?

La même variété de choix d’organisations se retrouve à propos de l’interface avec les professionnels de santé. Pour certaines Caisses, une vision claire de l’organisation devrait à plus ou moins long terme structurer les activités autour de trois grands pôles « clients » : les assurés, les professionnels de santé et les employeurs.

Mais, dans ce que nous avons observé, autant la « ligne au public des assurés » est claire, autant la « ligne aux professionnels de santé » ne l’est pas.

C’est que la représentation des « professionnels de santé » est encore très brouillée. Plusieurs images se superposent dans cette représentation dont le rôle est essentiel pour l’évolution de l’Assurance Maladie :

Lorsque les agents sont invités à évoquer les professionnels de santé, c’est la figure du médecin qui s’impose tout d’abord. Rationalisation de cette image : c’est lui qui prescrit les autres professionnels de santé. Les connotations qui y sont attachées sont celles de l’argent, voire de l’appât du gain, de la notabilité bourgeoise, du refus de changer. Le médecin est vu davantage comme une « figure sociale » clairement située du côté des valeurs du privé5 que comme un professionnel qui rencontre des problèmes professionnels.

Cette vision se trouve généralement confortée par les prises de position des syndicats représentant les médecins.

Par ailleurs, les entretiens nous ont montré qu’un certain nombre d’adminis-trateurs exprimaient une vision très négative du corps social des médecins. Derrière cette conception on peut même parfois se demander si la volonté de défendre les assurés sociaux contre les médecins ne se calque pas sur un schéma politique de type « peuple » contre « bourgeoisie ». « Avec les médecins, on a re-fabriqué notre lutte des classes interne » dit un directeur de Caisse. On est là nettement dans ce registre politique si souvent appelé à la rescousse dans les discours internes.

Lorsque l’on évoque les aspects plus professionnels des différentes relations qui existent avec les médecins (remboursement, paiement des conventions, etc.), la tonalité est autre et montre des changements récents qui sont importants : reconnaissance mutuelle, sentiment d’utilité de l’Assurance Maladie pour les médecins… Les échanges font également apparaître la difficulté de communication entre les agents mal assurés dans leur identité

5 Pour une analyse très complète des valeurs du « privé » et du « public » voir François de Singly et Claude Thélot, Gens du privé, gens du public, Dunod, 1989.

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professionnelle et le médecin, sûr de son statut, diplômé et individualiste. Les ressources sur lesquelles l’agent de l’Assurance Maladie peut s’appuyer lors de l’échange sont celles du droit et de la connaissance de la réglemen-tation mais elles doivent être entretenues et cultivées en permanence par tout un travail interne.

C’est pourquoi certains agents souhaiteraient une réflexion plus opéra-tionnelle sur les services à apporter aux professionnels de santé et sur la manière de s’organiser pour les apporter.

Lorsque l’on entre un peu plus avant dans l’analyse, le fossé entre « agents de l’Assurance Maladie » et « professionnels de santé » se double du fossé qui existe en interne entre le Service médical de l’Assurance Maladie et le reste de l’entreprise.

Cependant, l’évolution vers une conception dans laquelle les professionnels de santé sont des professionnels comme les autres et des acteurs du système de santé essentiels se dessine. La structuration des métiers en direc-tion du professionnel de santé (PS) commence à se traduire dans la réalité de certaines Caisses.

Dans les évolutions à venir des activités et du rôle de l’Assurance Maladie en matière de régulation (cf. chapitre 5 : Le compromis social de base), la représentation que les agents ont de leurs « partenaires » professionnels de santé est certainement un élément déterminant et qui peut agir en positif ou en négatif.

A cet égard, la relation entre les Caisses et le Service médical est centrale, et pourtant on peut conduire toute une enquête de terrain dans une CPAM sans que soit prononcé le mot « Service médical ». Il faut le provoquer. C’est un autre univers, et au sein du Service médical la conception des activités n’est pas régie par la préoccupation du service aux professionnels de santé.

Un médecin-conseil – dans la vision qu’il a de son identité professionnelle – est d’abord un médecin. Son statut lui est conféré non par son entre-prise ou son organisme mais par son diplôme. Il s’agit d’un statut dans la société française et non d’une identité professionnelle dans une entreprise ou une administration. Du coup, le praticien-conseil s’efforce dans son activité de reconstituer, de valoriser ce qui peut se rapprocher de l’exercice libéral « normal » de cette activité : la salle d’attente, la «plaque», la secrétaire…

Au niveau des praticiens-conseils, on retrouve la pertinence de la différence entre représentations du « public » et représentations du « privé ». Il y a peu de passerelles entre les deux.

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Par ailleurs, les praticiens-conseils pensent être pour l'essentiel dans l’impos-sibilité d’exercer des services à l’endroit de leurs collègues libéraux puisqu’ils ont le sentiment que ce sont des Caisses qui jouent ce rôle et de ce fait les court-circuitent. Tel exemple est cité d’un Service médical « qui a torpillé la mise en place des centres d’examen de santé ». Il existe peu d’exemples de coopération entre Service médical et Caisses, à l’exception d’un « COCODAM » – Comité de coordination des Délégués de l’Assurance Maladie auquel parti-cipait « en secret » le Service médical.

Le développement des « entretiens confraternels », l’information des médecins libéraux sur des protocoles de bonnes pratiques en matière de prescriptions, leur information sur les études de santé publique, d’épidémiologie : autant d’actions possibles mais qui buttent sur le fait qu’au sein du Service médical, ce ne sont curieusement pas les études et les travaux de santé publique qui sont privilégiés, mais toutes les activités qui s’exercent dans le monde du « colloque singulier » avec le malade.

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Histoire de changement 1 La création des Délégués de l ’Assurance Maladie : « Je dis Monsieur, pas Docteur »Les Délégués de l’Assurance Maladie (DAM) ont été mis en place en 2003. Ils sont aujourd’hui 800, bien installés, présents dans toutes les Caisses, ayant une vision plutôt claire de leurs missions, et étant plutôt fiers de leur identité professionnelle qu’ils (ou elles) affichent nettement. Les DAM font partie de ces agents qui n’ont aucune hésitation quant à leur intitulé de fonction et qui affichent une appartenance « Assurance Maladie » plutôt qu’une appartenance « sécurité sociale ».

Quel est le processus de changement qui a conduit à cette situation, comment s’est faite la mise en place, quels problèmes a-t-elle soulevés ? Quelles sont aujourd’hui les nouvelles interrogations que partagent ces agents ?

Une initiative d'en haut ou d'en bas ?

Les points de vue recueillis sur cette question diffèrent. Pour de nombreux directeurs de Caisse, c’est au sein du réseau, lors de réunions de directeurs, que cette idée est née, reprise ensuite par la CNAM et son directeur à l’été 2003.

Pour les responsables de la CNAM, c’est d'eux qu’est parti le mouvement, ou plus exactement l’injonction à mettre en place rapidement ces délégués, sur le modèle disait-on alors des « visiteurs médicaux » des laboratoires pharmaceutiques.

Vue par un directeur de Caisse, « la mise en place a dû se faire très rapide-ment, dans la précipitation (comme souvent), de juin à septembre de la même année ». Pour cette Caisse qui avait fait précédemment un important travail avec le Service médical et la Mutualité Sociale Agricole, pour renouer des contacts avec les professionnels de santé, la décision de mettre en place les DAM ne posait pas de problème de fond. Cela apparaissait plutôt comme une évolution « naturelle » par rapport à la prise en compte de plus en plus importante des professionnels de santé, en particulier avec l’utilisation de Sésam-Vitale et la télétransmission.

Plusieurs autres directeurs de Caisse ont souligné le caractère « naturel » de cette création. « Nous avons développé le service aux professionnels de santé pour Sésam avec des technico-commerciaux. Mais avant de lancer les DAM, nous avions mené des actions de sensibilisation et de formation… car les relations avec les professionnels de santé sont sensibles. Ils sont dans la liberté totale ».

Une initiative plutôt bien acceptée

« Avant, il n’y avait pas de relation personnalisée, on fonctionnait par cour-rier ou téléphone, et surtout on ne se déplaçait pas chez le professionnel de santé ».

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La première réaction a plutôt été de scepticisme – « La peur de ne pas être à la hauteur, les agents se dévalorisent par rapport aux professionnels de santé, aux médecins surtout » – et un brin d’ironie par rapport à l’aspect commercial des choses, en particulier à la comparaison avec les visiteurs médicaux : on est bien dans l’Assurance Maladie dans un univers de valeur du « public » dans lequel les mots « vente », « commercial » n’ont pas cours, et l’imitation du secteur privé n’est jamais un bon argument. Mais, a contrario, les « nouvelles perspectives de carrière que cela peut ouvrir » ont tout de suite suscité de l’intérêt : ceci est en accord avec le sentiment souvent exprimé par les agents de ne pas avoir au sein de l’Assurance Maladie beaucoup de perspectives professionnelles. Les DAM ont très rapidement été classés par les agents du côté des métiers qui ont de l’avenir, qui sont valorisés, à l’inverse du « vieux » métier de technicien de prestation.

La mise en place s'est réalisée de manière

différente selon les Caisses

En règle générale, la sélection des agents s’est faite après un appel de candida-tures (dans quelques cas, l’appel de candidatures ne donnant pas de résultats, des agents ont été désignés). La sélection s’effectuant après présentation d’une lettre de motivation, puis entretiens et « examens » et enfin formation.

Les jugements positifs formulés sur le métier de DAM correspondent bien au fait que les agents placent souvent parmi leurs intérêts au travail « la variété », « le contact avec l’extérieur ». S’y ajoute « le fait de bouger » revendiqué également par les agents d’accueil qui tiennent des permanences dans des mairies ou des écoles et apprécient cet aspect de leur métier.

Ces jugements positifs reposent également beaucoup sur le fait que la création des DAM contribue à changer l’image de l’Assurance Maladie à l’extérieur, « c’est un bon point pour l’Assurance Maladie ». Les agents appellent de leurs vœux une image différente et plus valorisante de l’Assurance Maladie, les professionnels de santé sont globalement des métiers et des positions sociales valorisés dans la société, et ceci rejaillit sur l’image des métiers de ceux qui sont amenés à travailler avec eux.

Le jugement porté par les intéressés sur leur métier, ou par les collègues proches, est beaucoup plus positif que celui porté par les responsables, en particulier nationaux, qui se sont exprimés sur le sujet. Eux reviennent régu-lièrement sur les grandes interrogations (« quel est vraiment notre métier, le remboursement ou la régulation ? », « les DAM ne peuvent vendre que du vent »…). On voit là sur ce cas précis une relation au changement qui est à l’inverse de ce que l’on rencontre dans de nombreuses organisations où les responsables sont satisfaits des changements impulsés et les intéressés souvent plus sceptiques. Mais il est vrai que le réseau de l’Assurance Maladie

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est aussi une organisation construite à partir du bas dans laquelle il peut arriver que le sommet soit en retard sur la base.

Tout changement pose de nouvelles questions

La diversité des pratiques

La mise en place des DAM de manière décentralisée, et visiblement sans coordination ni suivi évaluatif, pose à nouveau la question de l’homogénéité des services proposés. De nombreux directeurs de Caisse insistent sur le fait « qu’il y a moins d’homogénéité des services aux professionnels de santé que des services aux assurés ; car cela dépend de l’histoire des relations de la Caisse et des représentants des professionnels de santé ».

Les « campagnes » des DAM ont été soigneusement préparées : d’abord en direction des ambulanciers ou des infirmières avant d’en venir un peu plus tard aux médecins généralistes, puis aux spécialistes. Leur travail est minu-tieusement préparé, des documents sont prévus, des débriefings ont lieu toutes les semaines. Ce que les DAM apportent aux professionnels de santé, c’est en premier lieu l’information et l’expertise en matière d’informatique – les professionnels de santé en ont grand besoin –, ainsi que du conseil. C’est également des informations sur les évolutions réglementaires et de conventions médicales et un relais pour les campagnes nationales de type « antibiotiques » ou « génériques ».

En somme une manière moderne de travailler.

La reconnaissance

Voici ce qui a fait dire à certains agents : « c’est un métier copieux ». Du coup se pose la question de sa valorisation et de sa reconnaissance : « pour le niveau de compétences que cela exige, la classification 3 ou 4, cela ne va pas ». Là encore, la diversité joue et les DAM, bien que mis en place partout, n’ont pas fait l’objet d’une réflexion commune en matière de positionnement en terme de classification et de parcours. « Nous, ce sont des cadres qui sont DAM et il y a une vraie professionnalisation ».

Ce nouveau métier demande une réflexion construite en terme de gestion des ressources humaines, partagée au sein du réseau quant à sa formalisation et son évolution.

Les relations avec le Service médical

Au contraire, « l’implication du Service médical dans les missions des DAM » est largement évoquée comme une nécessité par les agents. Certaines Caisses ont

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mis en place une coordination des DAM à laquelle participe le Service médical, mais ceci reste l’exception, et encore est-ce « à bas bruit ».

Cette absence de relations entre les Services médicaux et les Caisses interroge de nombreux responsables et agents : la mise en place des DAM ne fait que relancer la discussion. Certaines Caisses ont spécialisé les DAM selon les types de professionnels de santé, rendant encore plus incompréhensible l’absence de rapports entre les DAM et le Service Médical. La mise en place lente des « référents » pour chaque délégué Assurance Maladie au sein du Service médical est évoquée comme une évolution positive et attendue. En effet, l’un des problèmes rencontrés par les DAM est celui de leurs compétences, de leur confiance en eux-mêmes dès lors qu’ils sont amenés à aborder certains sujets. Dans la mesure où un de leurs problèmes demeure la difficulté du dialogue avec les professionnels de santé, le besoin d’une réassurance, d’une discussion avec des praticiens « qui, après tout, sont dans la même maison » se fait sentir.

Les leçons de ce changement

On voit là un changement certes limité, car il ne concerne qu’une partie de l’ac-tivité des organismes de l’Assurance Maladie, mais mis en place positivement, apprécié, même si, comme tout changement, il soulève ensuite de nouveaux problèmes. Il permet de saisir mieux le caractère continu des changements à l’intérieur du réseau Assurance Maladie : l’informatisation, puis l’implé-mentation de Sésam-Vitale ont commencé à modifier les rapports avec les professionnels de santé. Des techniciens se sont spécialisés sur ces techniques (cellule Sésam-Vitale ou techniciens EDI), l’Assurance Maladie est « sortie de ses murs ». Il n’ y pas eu de rupture dans ce processus, ni de « grand soir », ni de réforme avec un grand «R».

La grande mutation de l’Assurance Maladie vers les services est une base acquise qui autorise d’autres changements.

Revenons sur la question du point de départ de l’initiative DAM : le réseau ou la tête de réseau ?

Un changement rapide parce que l'on a oublié d'où il vient

L’Assurance Maladie est organisée comme un réseau de PME, ce fonctionne-ment polycentriste assure une grande réactivité (les DAM ont été mis en place pour l’essentiel en moins d’un an), il donne des marges de manœuvre locales au management et des possibilités d’appropriation des changements de manière décentralisée. A partir d’une philosophie commune, on n’est pas obligé de faire la même chose partout.

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C’est pourquoi on peut soutenir l’hypothèse paradoxale suivante : pour qu’un changement produise ses effets dans le système Assurance Maladie, il n’est rien de mieux que de ne plus savoir d’où il vient. Bien sûr, au départ, il a été prévu et pensé, mais l'intervention centrale a su ensuite se laisser oublier. Belle leçon de modestie pour ceux qui dirigent !

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En conclusion de ce chapitre

La logique de service s’est implantée au sein de l’Assurance Maladie. Avec succès bien que ce soit un changement radical par rapport à la « liquidation des remboursements » de type industriel. Elle est pour les agents un gage de modernité, mais toutes les conséquences n’en ont pas été tirées :

en matière de compétences, de recrutements et de construction des parcours professionnels ;

en matière d’extension de cette logique aux partenaires professionnels de santé et aux employeurs.

Pour le corps social de l’Assurance Maladie, à l’exception des praticiens-conseils du Service médical, le développement de la logique de service est une appli-cation de la vocation de « service public social ». Cette logique a été intégrée comme telle à la culture de l’organisme : de la nouveauté d’organisation de métier dans une continuité de culture.

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Quels métiers à l'intérieur de l'Assurance Maladie ?

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Repères

Par « métiers », nous désignons ici une famille d’activités faisant appel à un corps de compétences communes et faisant fonction d’identifiant, d’identité professionnelle.

Dans le cours de notre enquête, nous avons été conduits à utiliser ce concept pour deux raisons :

une raison interne à l’Assurance Maladie. Les découpages administratifs et les dénominations définissant les réalités professionnelles ne correspon-dent pas à des activités et encore moins à des identités. Exemple : agents administratifs, ou « techniciens ». Le vocable de « techniciens » s’avère une grande enveloppe « fourre-tout » qui a besoin d’être retravaillée ;

une raison extérieure à l’Assurance Maladie. De nombreux travaux montrent que par rapport à l’évolution des formes de vie collective, à une certaine perte de repères collectifs qui semble caractériser nos sociétés, seul le métier demeurerait aujourd’hui l’un des éléments de lien et d’identité les plus forts. De là l’importance que nous y attachons.

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Les représentations des métiers

Il est frappant de voir à quel point, malgré une étonnante variété d’appellations, les agents s’accordent pour dessiner les contours principaux des métiers :

le remboursement (prestations, indemnités journalières, indemnisation des professionnels de santé). C’est le domaine des « techniciens », ceux que l’on appelait autrefois les « liquidateurs » ;

l’accueil (physique, téléphonique, sur rendez-vous ou non…). C’est le domaine des « agents d’accueil », dans certains cas des « CAM, Conseillers Assurance Maladie » et des « téléconseillers » ;

en mineur, le contrôle, le plus souvent évoqué sous l’espèce du contentieux ou comme rôle des praticiens-conseils ;

l’encadrement ;

les métiers supports plus transversaux et communs à toute entreprise tels que l’informatique, les statistiques, le budget ou les ressources humai-nes.

On peut d’emblée observer que les responsables nationaux de la CNAM ne définissent pas les métiers de la même manière : ils parlent le plus souvent des grands métiers – au sens cette fois de « missions » –, à savoir : « la gestion du risque », « la régulation », « être un assureur public ». Ces notions sont surtout abondamment utilisées dans les exercices de type « projet d’entreprise » mais on ne les retrouve pas, du moins pour l’instant, dans les représentations spontanées des agents.

Le projet de branche – élaboré en 1999, évalué en 20026 – a mis en exergue la notion de « service » tourné vers la mise en place de la logique de service, il s’appuyait sur une recherche d’identité de « gestion des risques ».

Le « projet d’entreprise 2004-2007 », élaboré avec la participation de nombreux directeurs d’organismes, met en avant la notion d’« assureur public » et les notions de « risques ». Force est de reconnaître que tout au long de notre enquête, nous n’avons quasiment pas rencontré d’utilisation du mot « risque ».

La relation entre ce « projet d’entreprise », finalement peu diffusé puisque sa mise au point définitive a été contemporaine de la réforme du 13 août 2004, et les nombreux « projets de Caisse » est complexe. Certaines Caisses construisent une démarche spécifique sans en référer à ce que l’on fait « à Paris » et font de l’élaboration ou de l’actualisation de leur projet, une occasion de management 6 Évaluation du projet de branche, INSEP, 2002.

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participatif. Paris et la tête de réseau étant souvent identifiés à une activité vibrionnante de production de discours « de grand soir ».

Au-delà de la différence entre les discours de la tête de réseau et les réalités de la base (un classique des organisations de toute nature), le constat d’une différence de perception et d’identification des métiers est important. Pour mieux en comprendre les enjeux, il nous faut ouvrir la boîte de cet ensemble quantitativement très important appelé « les techniciens ».

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Qu'est-ce qu'être « technicien Assurance Maladie » aujourd'hui ?

Une première remarque s’impose : c’est un « grade » (au sens de la fonction publique) et non pas un métier.

Ce n’est pas ainsi que les agents se définissent par rapport à l’extérieur ; nous avons systématiquement posé cette question et toujours obtenu la réponse « je travaille à la Sécu »; peut-être parce que l’origine du mot technicien est très liée à l’industrie et ne va pas bien avec une activité de service.

Les agents ont besoin de préciser cette appellation : « technicien de pres-tations », « technicien EDI », « technicien au Service médical », « technicien prestations en nature », etc.

Tous les agents rencontrés se montrent soucieux quant aux différentes évolu-tions passées et à venir – voire très inquiets. L’automatisation, la télétrans-mission, la scannérisation et Sésam-Vitale, la grande masse de « décomptes » font que l’activité apparaît aux yeux des agents comme étant de plus en plus mécanique, gestes de validation de flux de données devant des écrans d’ordi-nateurs tous semblables.

C’est en quelque sorte une activité transparente, non visible. Plus ça fonc-tionne bien et moins cela se voit. Ces visions sont souvent mises en relation avec les images de la « Sécu » : un travail bureaucratique routinier et dont personne ne parle si ce n’est que « travailler à la Sécu » est toujours pris comme emblème d'un « boulot de fonctionnaire sans intérêt ».

La conscience – vraie ou fausse – d’exercer un métier sans qualité (la grande angoisse moderne de la massification et de « L’Homme sans qualité » créé par le romancier Robert Musil) se redouble de l’angoisse de voir ce métier peu à peu disparaître. L’angoisse d’un fonctionnement entièrement mécanique, dématérialisé, entièrement transféré aux machines et aux systè-mes informatiques : « 80 % des assurés n’auront plus besoin de nous » disent certains. « Le système de protection sociale peut fonctionner sans nous, on est transparents ».

Une certaine nostalgie et une grande confusion apparaît dès lors que l’on s’attache aux évolutions historiques des métiers de technicien : on regrette l’époque « des portefeuilles » où les agents avaient le sentiment de connaître leurs assurés ; on évoque avec hésitation le moment des organisations plus

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polyvalentes, on craint que le mouvement actuel de « spécialisation », reconnu par tous, n’enferme chacun dans un poste sans possibilité d’évolution.

Cette notion de « transparence », au sens d’un déni d’existence, condense plusieurs peurs :

celle des restructurations, des diminutions d’emplois : « les liquidateurs sont rognés par les TIC » ;

celle du manque d’identité et de fierté propre à un métier répétitif et peu impliquant (dans pas mal de cas) ;

celle d’une identité professionnelle mal définie au travers de cette enve-loppe catégorielle « les techniciens » d’autant moins adaptée qu’il s’agit à plus de 80 % de techniciennes mais que personne n’emploie le féminin. A notre avis, cette étrange caractéristique mériterait d’être travaillée.

On peut également se demander s’il n’y a pas un rapport entre l’expression angoissée de cette « transparence » et le fait que l’Assurance Maladie en tant qu’entreprise n’ait pas de parole sur elle-même (voir le premier chapitre). Au sens psychanalytique du terme, l’Assurance Maladie – composée d’agents féminins pour une très grande part – est parlée par d’autres : les politi-ques, les syndicats, les administrateurs, les « chefs » à la CNAM.

« Le problème de l’Assurance Maladie est que pour être constamment attaquée, elle semble n’être jamais défendue » nous a-t-on dit. Bien sûr c’est en général l’institution, le système dans son ensemble, qui est attaquée mais les effets s’en font sentir dans l’entreprise et pour chacun.

Il y a une réelle contradiction entre cette image et ce que les agents savent « en interne » des évolutions de leurs métiers. « On a changé mais on est les seuls à le savoir », phrase souvent entendue. La modernité technologique, les exigences des métiers en compétences, en spécialisation technique, sont à l’opposé de cette image rémanente.

De nombreuses Caisses, ou Centres informatiques, sont attentifs à faire évoluer les organisations du travail en sorte de favoriser des organisations plus quali-fiantes, des alternances entre postes de travail routiniers et postes de travail plus variés, etc. Mais la différence entre les métiers de prestations et les métiers tournés vers l’extérieur, vers le public, fonctionne et le « back office » nourrit des sentiments contradictoires.

« Je suis un back », l’expression ironique entendue de la part d’un jeune technicien répond aux souhaits parfois exprimés par les agents d’accueil de « retourner à l’arrière, en secteur protégé ». « Ceux qui sont back ont l’impres-

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sion que les autres, les front, sont en vitrine et eux dans l’usine ». La place prise par la logique de service, l’ouverture vers les problèmes sociaux avec la CMU font que ce sont les métiers d’accueil qui sont valorisés. Parfois très explicitement, et avec des avantages d’avancement ou financiers. De plus les métiers d’accueil, même s’ils sont durs à exercer et stressants, comportent en eux-mêmes le sentiment de leur utilité et, parfois, l’expression de la reconnaissance de l’assuré / client.

Cette image d’usine correspond à l’impact de l’effet de masse : le nombre de décomptes, d’opérations réalisées, les contraintes de flux, de délais accentuent l’aspect industriel du travail. Toute une partie des logiques qui structurent le monde de l’Assurance Maladie est de type industriel.

La logique de service – largement affirmée dans les documents nationaux, dans la communication – a pris une place importante mais elle est simplement juxtaposée à la logique industrielle de production. Ce constat se retrouve dans l’opposition diversement exprimée entre le « front » et le « back », l’accueil et « l’arrière ».

Or la logique industrielle – si elle a pu être rassurante dans le passé, un travail tranquille, peu impliquant – est aujourd’hui génératrice d’inquiétudes et de frustration pour les plus jeunes. Logique industrielle va avec productivité : très inconsciemment, car ce mot pas plus que les autres termes du vocabulaire économique n’est jamais prononcé. Logique industrielle va avec rationalisation, réorganisation. La représentation de l’avenir qui est exprimée par les agents est inquiète : ils distinguent bien le service de proximité qui, lui, doit rester ancré dans le local et a de l’avenir, et la production.

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Un effet de prolétarisation…

L’effet de prolétarisation résulte de plusieurs facteurs :

la nature du travail de production des « prestations » ;

l’effet masse ;

les évolutions technologiques et d’organisation. Il arrive que l’on rencontre encore quelques évocations nostalgiques de l’époque des « portefeuilles ». Il ne s’agissait pas de ce que l’on appellerait « un suivi personnalisé » mais le fait de pouvoir dire « mes assurés » correspondait à la volonté de rendre concret un ensemble d’opérations qui sont aujourd'hui de plus en plus dématérialisées ;

la perception valorisée des métiers de contact avec le public, les profes-sionnels de santé et les employeurs.

Cet effet est sans doute également le produit du « fossé » qui sépare les équipes de direction et les agents de base. Parfois aussi l’existence de ce fossé apparaît comme étant bien en convergence avec certaines représentations syndicales accentuant les effets d’opposition de classes sociales.

L’effort mis sur « la ligne du public », sur la logique service, sur des relations renouvelées avec les professionnels de santé, paraît s’être traduit par une moindre attention aux activités traditionnelles de remboursement.

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Où est la modernité en matière de métiers ?

La modernité est fortement revendiquée en interne : identifier Assurance Maladie et Carte Vitale, mettre en avant la capacité à assimiler des change-ments technologiques radicaux, mettre en valeur les plates-formes télépho-niques. Ces points d’insistance, encore discutés par certains, sont néanmoins très partagés.

D’une certaine manière, les métiers de l’accueil en font partie. Ils n’ont pas à montrer leur utilité, ils sont en phase avec la vocation sociale de l’Assurance Maladie. Ils sont en phase avec les discours nationaux élaborés par la CNAM : logique de service, entreprise de service, service au public.

Une continuité s’établit entre la représentation la plus partagée, celle de service public, et cette vocation d’activité de service, très concrète dès lors que l’on est au contact, y compris de publics difficiles. En ce sens-là, la modernité au sein de l’Assurance Maladie recouvre les mêmes contenus et les mêmes évolutions que dans les autres grandes entreprises ou organisations de service public : le service au public comme vecteur de renouvellement du service public.

Par ailleurs, le « service » recouvre par définition une quantité « illimitée » de possibles : on pressent que l’on peut toujours faire mieux, délivrer davantage de services, en imaginer d’autres. A l’instar des entreprises privées de service : les opérateurs téléphoniques, les banques…

Le service est donc d’autant plus du côté de la modernité qu’il peut être une garantie d’activités à développer et donc d’emplois à conserver et à développer. D’autres « branches » de la sécurité sociale ou des mutuelles ont eu ce même réflexe de survie et de développement.

Les réponses aux questions posées sur le développement de nouveaux métiers vont dans ce sens : « conseil aux assurés », « centres d’examens de santé », fortement mis en évidence dans certaines régions, « suivi des publics fragili-sés ». Les services aux professionnels de santé peuvent également entrer dans cette liste de « métiers possibles » : de nombreux agents se déclarent prêts à travailler dans des métiers en lien avec les professionnels de santé.

Les plates-formes de service, bien qu’encore un peu aux marges de l’entreprise, sont aussi un emblème de modernité. Elles donnent une image de l’Assurance Maladie qu’un grand nombre d’agents désire, ayant bien souffert dans leur identité professionnelle et sociale d’une image dégradée.

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Mais cette image positive est facilement contrecarrée par l’attraction – répul-sion qu’offrent les métiers d’accueil : aux difficultés relationnelles que l’on rencontre dans les accueils physiques7 s’ajoutent le stress et la difficulté de l’évacuer lorsque l’organisation du travail ne s’y prête pas et que l’omniprésence du contrôle hiérarchique pèse. Espace commun d’un plateau panoptique dans lequel l’ordinateur affiche aux yeux de tous les temps passés par chacun : ce n’est pas le mode de travail auquel sont habituées les techniciennes. La pres-sion sur le temps moyen à consacrer à une réponse ou la difficulté à définir ce qu’est une réponse ajoute aux problèmes.

Autant dire que l’idée de modernité est très sensible et contradictoire : elle est souhaitée pour contrebattre la mauvaise image de la « sécu », mais elle est redoutée.

Les identités professionnelles sont une construction fragile et en évolution permanente. Elles se nourrissent d’éléments façonnés par l’histoire mais dépendent aussi fortement des choix d’organisation, de gestion des parcours professionnels et de « conceptualisation » des métiers. A cet égard, le fait que les choix des organismes soient très disparates est sans doute un obstacle au renouvellement des identités professionnelles. Dans la mesure où « la ligne du public », le « pôle clientèle », le « technicien EDI » sont des appellations locales non contrôlées, seul s’impose le fondement ancien du vieux vocabulaire « technicien » ou « agent » à la sécu.

A contrario, on voit que – malgré la diversité des démarches de mise en place – les nouveaux métiers « délégué Assurance Maladie » ou « téléconseiller » ont rapidement fait « identité » et sont source de fierté professionnelle.

7 Comparables à celles que l’on retrouve à la RATP, à La Poste, à l'ANPE et dans de nombreuses activités de contact direct au public.

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Les métiers de mission

On les rencontre dans les structures de « mission » comme les Unions régionales (URCAM) où il ne s’agit pas de gérer mais de produire des politiques publiques, d’animer des dispositifs incitatifs, de travailler à la régulation par l’action sur le système de soins. Les fonctions y sont souvent, comme dans certaines structu-res de la fonction publique, définies par le mot « chargé de mission ».

Ces métiers de mission sont souvent définis par ceux qui les exercent comme rebelles à tout enfermement dans une organisation : « chacun définit son poste », « on a beaucoup de liberté », « l’Assurance Maladie, c’est un espace de liberté ».

Ils s’inscrivent dans le fonctionnement « institutionnel » du réseau, dans le jeu polycentriste, partenarial et à géométrie variable du système politique de l’Assurance Maladie, davantage que dans l’entreprise.

On retrouve, en concentré et avec davantage de cloisonnements, ce mode de fonctionnement et ce mode de définition de ce que l’on est et de ce que l’on fait au niveau de la CNAM, établissement public. En effet, la CNAM comme organisation tient à la fois de l’Administration centrale, qui génère des iden-tités professionnelles de type haut fonctionnaire, et de la tête de réseau, plus indépendante et « missionnaire ». Indices de ces modes de fonctionnement, les affirmations souvent répétées de l’importance des qualités personnelles : « j’ai une forte personnalité et je ne le cache pas », « j’ai mes opinions et je n’y renonce pas », etc.

Ce qui définit aussi un univers rebelle au management, à moins de prôner le management par le désordre comme créateur de dynamique. Ce qui définit, aussi, un univers d’investissement personnel important, de travail dans l’ur-gence, de possibilités de mobilisation forte sur des projets nouveaux avec un appel au dévouement que de nombreux responsables au sein de l’Assurance Maladie revendiquent.

Ces « métiers de mission » tirant parfois vers le « métier de missionnaire » se retrouvent au sein des Caisses, tournées alors vers la gestion de projets nouveaux, vers les activités de prévention, vers les nouveaux objectifs. La mise en place des DAM joue par exemple sur ces possibilités fortes de mobilisation au service d’un objectif. Et de nombreux agents expriment à quel point pour eux l’existence de nombreux projets, si elle est parfois le signe d’un chan-gement un peu vibrionnant et producteur de lassitude, est aussi une mine de renouvellement des motivations. Comme dans de nombreux services publics, il y a, au sein de l’Assurance Maladie, de nombreuses «réserves» de mobilisation professionnelle…

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En conclusion de ce chapitre

Les métiers, les identités professionnelles sont contradictoires au sein de l’Assurance Maladie. Selon que l’organisation, le management et la gestion des ressources humaines les tirent vers la qualification et la fierté d’appartenance, ou vers l’organisation industrielle de l’usine et du centre d’appel, les agents évolueront différemment et participeront plus ou moins au développement des missions de l’Assurance Maladie.

Sans doute existe-t-il des ressources importantes de mobilisation sur le mode « missionnaire » au niveau des agents, la mise en place dans l’urgence de la CMU l’a montré. Mais encore faut-il aller les « chercher » et définir ce qui peut être la tâche de chacun, par exemple dans les implications de l’actuelle réforme avec l’exercice quotidien de missions de régulation par la « liquidation médicalisée ».

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Un management de P .M .E . et une gestion des ressources humaines éclatée

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Un univers de PME(s) en émulation

Pour traiter du développent du management – défini comme la gestion des hommes au travail et des organisations – nous partirons de ces deux points :

1. La comparaison avec la transformation des grandes entreprises publiques par la décentralisation des responsabilités et le développement d’un management décentralisé comportant des principes communs.

2. L’analyse effectuée lors des enquêtes de terrain qui fait ressortir les caractéris-tiques des « unités élémentaires » de l’Assurance Maladie : les Caisses primai-res, les centres informatiques ou les échelons locaux du Service médical.

C’est l’histoire qui a institué les organismes de base de l’Assurance Maladie comme des entités autonomes, ressemblant par beaucoup de traits à des PME. La constitution de l’Assurance Maladie à partir de Caisses locales auto-nomes fait que chaque organisme (il y en a environ 200) est une entité complète. Une Caisse comporte des services de production, des services de prestations de services, des services transversaux ; elle a son «PDG», son direc-teur financier au travers de l’agent comptable, son directeur des ressources humaines, ses services support, ses informaticiens (même en petit nombre), ses statisticiens. C’est un organisme complet facilement auto référencé : à l’intérieur d’un organisme, personne ne renvoie spontanément à un autre organisme, pour évoquer ce qui s’y passe, y puiser d’autres pratiques.

Les « gens de la CNAM à Paris » voient cela comme une société féodale : « il y a beaucoup de feux dans l’Assurance Maladie » ; avec la longévité légendaire (mais qui ne va plus être de mise) des directeurs dans les mêmes fonctions, 30 ans parfois, le seigneur était bien installé dans son fief.

Ce modèle n’est plus celui d’aujourd’hui. La revendication du mot « réseau » en témoigne, l’acceptation du rôle directif de la CNAM également. On pourrait décrire le modèle actuel comme étant celui d’un compromis d’organisation entre les parties prenantes : compromis entre l’acceptation de l’homogénéité (de qualité de service et de gestion) voulue par la CNAM et une certaine autonomie locale. Or il se trouve que cette autonomie locale a trois terrains d’exercice privilégiés :

par définition, les relations avec l’environnement, la prise en compte de certaines spécificités locales ;

le management, jusqu’à une grande variété dans les choix d’organisation des activités, d’appellation des services, des métiers ;

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la gestion des ressources humaines avec en toile de fond les dispositions négociées à l’UCANSS qui jouent le rôle des conventions collectives dans une branche professionnelle.

Mais le fait que chaque organisme soit « complet » produit des effets qui vont au-delà du mode de fonctionnement ancien et qui perdurent. En effet, pour les agents, c’est un cercle d’appartenance qui possède à la fois des caractéristiques rassurantes et « à taille humaine ». Il est frappant de ce point de vue de voir que les sentiments d’appartenance qu’expriment les agents renvoient soit à des cercles de grande proximité (« mon service », « ma Caisse »), soit de grande généralité (« la Sécu »).

Est-ce un facteur de dynamisme ou de conservatisme ?

« PME » parce qu’elles sont des organismes complets, les Caisses s’inscrivent dans un réseau : les organismes de base attendent de la réciprocité des relations CNAM / Caisse ; le réseau – comme aire de développement de projets – fonctionne sur le mode bien français de l’émulation méritocratique. Émulation que l’on peut noter au travers de la volonté des Caisses ou des CTI d’être « le premier » à avoir instauré telle ou telle innovation, d'être « à l’ori-gine » de telle application. Pour chacun des dix organismes ayant fait l’objet d’une enquête monographique, ce sont au moins trois ou quatre innovations par organisme qui ont été revendiquées.Cette émulation de projets, ce patriotisme de Caisse est largement partagé par les agents, à tous les niveaux. Il se superpose au classement effectué nationalement par la CNAM depuis plusieurs années quant aux ratios de gestion, aux résultats des enquêtes de satisfaction des assurés, aux résultats en termes de délais de remboursement, de temps d’attente à l’accueil physique et téléphonique.

L’émulation de « projets » produit en permanence une multitude d’initiatives qui font partie pour les agents de leur intérêt au travail.

Le développement de la mutualisation d’un certain nombre de fonctions confère aussi au fonctionnement par l’émulation un aspect de lutte pour la sauvegarde. Responsables et agents reprennent de manière commune les thèmes de l’excellence « nous devons être les meilleurs sinon nous n’existerons plus à l’avenir », « nous devons mettre en avant nos innovations pour que la CNAM nous soutienne ». Certains organismes se représentent qu’ils doivent « grossir » par « fusion-absorption d'autres organismes » pour rester vivants. Pour les agents, ce patriotisme de Caisse est mis en rapport avec les craintes que suscitent les éventuels rapprochements de Caisses et les différentes formes de mutualisation à la fois sur la problématique de l’emploi et sur celle de la localisation géographique des différentes activités.

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Les pratiques de management : la parabole de la bonne pioche

En fait, le type de fonctionnement en PME au sein d’un réseau relève à la fois d’un modèle de féodalités autonomes et parfois frondeuses (par exemple en matière de communication) et du modèle plus actuel du management décen-tralisé dans les grandes organisations. Plus exactement, le fonctionnement en féodalités s’est très bien accommodé d’un management local autoritaire sous toutes ses variantes ou d’une absence de management : puisque chacun est maître chez soi et que personne ne vient voir…

Plusieurs enquêtes de terrain font ressortir soit le management par l’affectif, visiblement très présent, soit l’absence de management. Témoins, ces élus d’un Comité d’entreprise : « en ce moment, on a un directeur qui aime le management ». Avant, non. Et après, c’est « la bonne pioche », le hasard des personnalités. En somme, ce n’est pas une exigence, ce n’est pas une valeur partagée et reconnue.

Quels sont les facteurs qui expliquent cet état de fait – largement décrit par un grand nombre de nos interlocuteurs ?

La focalisation de la CNAM sur les critères quantitatifs, les ratios de gestion, a établi des normes, des standards de gestion, de mesure de la qualité de service. La certification – bien qu’engagée de manière volontaire et autonome par les organismes (y compris au sein du Service médical) – a renforcé cette caractéristique.

Le management et la gestion des ressources humaines sont affirmés comme étant par excellence la zone d’autonomie des directeurs. C’est la contrepartie implicite de la « centralisation » sur la gestion, les budgets, l’informatique. Cet équilibre compose « le compromis d’organisation » entre le centre et la périphérie.

Ce compromis sera sans doute modifié par la nouvelle conception des nominations et de l’organisation des carrières des directeurs. Plusieurs se sont attachés à montrer combien il était important de ne pas tomber dans le modèle « préfectoral » et combien une durée assez importante dans une fonction de responsabilité locale était indispensable.

Le climat social relativement consensuel, à l’exception de quelques Caisses, dont celles de la région parisienne, n’a peut-être pas conduit à donner au management une place déterminante. L’autonomie locale, le paritarisme protecteur (puisque les syndicats se trouvaient à la fois au Conseil d’admi-

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nistration, et comme représentants des agents au Comité d’entreprise) ont développé un modèle de relations sociales protectrices et moins conflic-tuelles que dans la plupart des entreprises publiques.

Il y a, à l’intérieur de l’Assurance Maladie, des univers tout à fait rebelles au management, par exemple le Service médical, ou l’Établissement public CNAM lui-même.

Cette absence de références et de pratiques partagées du management (et de la gestion des ressources humaines) est fortement mise en exergue dans de nombreux entretiens. Quant aux besoins exprimés par les agents, aux aspects les plus négatifs de leur vie de travail, ils concernent le manque de communi-cation et d’information ; le manque de reconnaissance du travail fait ; l’absence de gestion de carrière et de perspectives de parcours professionnel. Soit, dans les trois cas, des points d’application du management et de la gestion des ressources humaines qui devraient améliorer l’information, la communication, la prise en compte des besoins de chacun, le suivi personnalisé des parcours des agents, etc.

S’il n’y a pas de référentiel partagé quant à la manière de diriger, il y a cepen-dant, en particulier dans les nouvelles générations de directeurs d’orga-nismes, des managers qui assoient une grande partie de leur légitimité sur le management en lien avec une gestion attentive des ressources humaines. Leurs références, les ressources dont ils s’entourent (universitaires, consultants, séminaires) sont toujours extérieures à l’Assurance Maladie et à l’univers sécurité sociale. Leurs pratiques de management n’ont rien à envier à ce qui se fait de mieux dans le secteur privé. Mais elles ne sont pas reconnues au-delà de leur fief.

Il en est de même en matière de gestion des ressources humaines : les orga-nismes qui développent des pratiques assez complètes et pensées, parfois innovatrices, le font en s’appuyant sur l’extérieur.

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Un exemple d'univers rebelle au management

Il faut faire ici une place aux spécificités culturelles et professionnelles du Service médical.

Le Ser vice médical n’est pas structuré comme le reste de l’Assurance Maladie : il est centralisé. Les directions régionales et les échelons locaux sont construits comme les niveaux traditionnels d’une administration. Cette organisation, jointe à la spécificité de ses missions, fait qu’il a une vie parallèle au reste du réseau. Les praticiens-conseils sont saisis par les Caisses (par exemple sur les demandes de prescriptions particulières ou de reconnaissance « ALD » – affection de longue durée – qui ouvre un remboursement à 100 %), mais le Service médical garde une grande extériorité par rapport au réseau et veille à la préserver.

D’autre part, au sein du Service médical, il y a une double source d’autorité hiérarchique ainsi qu’une double organisation des relations sociales et du management des hommes. Les praticiens-conseils et les administratifs, qui le plus souvent travaillent en binômes, appartiennent à deux lignes hiérarchiques différentes.

En fait, deux identités professionnelles structurent et expliquent cette dualité de hiérarchie qui, à son tour, les conforte dans leur opposition. D’un côté, les praticiens, c’est-à-dire pour l’essentiel des médecins, qui d’une part agissent au sein de l’Assurance Maladie comme des experts et d’autre part relèvent d’un statut social particulier8. De l’autre côté, des techniciens et des administra-tifs. Les premiers se reconnaissent dans un statut qui leur est conféré par un diplôme, les seconds ont une fonction au sein d’une organisation.

Cette construction organisationnelle permet de comprendre un certain nombre des problèmes exprimés au sein du Service médical. Il faut aussi noter qu’elle reproduit au sein de l’une des composantes de l’Assurance Maladie le conflit social structurant depuis « les origines », celui entre l’Administra-tion et la médecine libérale, entre la norme et l’art (la médecine comme science et pratique au sein de l’humain9).

En ce sens-là, les praticiens-conseils du Service médical (« les médecins de la Sécu », comme l’on dit) ne sont ni dans l’entreprise telle que nous l’avons décrite ni dans l’institution. Et ils sont aussi au cœur du conflit fondateur de la sécurité sociale à la française, celui qui oppose les professions libérales à l’Administration érigée en défenseur des assurés : de là un permanent malaise. Sous-évalués à l’extérieur, tels qu’ils sont vus par les médecins libéraux,

8 Pour un travail empirique mais riche d’ensei-gnements sur les médecins, se reporter à Hervé Hamon, Nos médecins, Seuil, 1994.

9 Dans leur travail sur le paritarisme, Laurent Duclos et Olivier Meriaux montrent que seule une alliance réussie entre l’administratif et le médical peut permettre de dépasser les conflits inhérents à la construction française de la sécurité sociale. « Pour une économie du paritarisme », Revue de l’IRES, n° 24, 1997.

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et surévalués à l’intérieur par une position d’expert au-dessus de tous les administratifs.

Ce positionnement a deux conséquences en matière de management au sein du service médical :

la dualité de hiérarchie est à l’origine d’un fonctionnement lourd de type bureaucratique qui implique que toute décision importante passe non pas d’un médecin à son binôme mais d’un médecin à sa hiérarchie médicale, puis de la hiérarchie médicale à la hiérarchie administrative pour redes-cendre. Outre la lourdeur, il en résulte une impossibilité structurelle de « management de proximité » ;

dans la mesure où c’est le statut qui définit l’identité professionnelle des praticiens, qui fonctionnent comme des experts et en s’efforçant de reproduire les conditions de l’exercice libéral, seul le modèle du profes-sionnel libre et indépendant régit les relations de travail. Du coup, le management n’a pas sa place et un médecin manager est une figure de non-sens, parce que le management ne peut pas être une valeur si l’on reste dans cet univers professionnel. Pour ceux qui sont familiers des organismes de recherche (CNRS, INRA), on aura reconnu le modèle du professionnel indépendant qui est obligé d’être dans une structure pour l’exercice de ses activités mais ne la reconnaît pas comme organisation, c’est-à-dire comme entreprise au sens où nous avons utilisé ce terme.

Le positionnement fort des praticiens-conseils sur les fonctions de contrôle (des arrêts maladie, par exemple), s’il est réducteur par rapport à une partie de leurs attentes, peut rendre plus simple leur positionnement professionnel en les inscrivant, à partir d’une pratique médicale de base, dans les objectifs de l’entreprise. Mais dans la mesure où ces objectifs seront essentiellement quantitatifs, la question de l’absence de management, de reconnaissance et de parcours professionnel reste entière.

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Une gestion des ressources humaines éclatée

Où est la fonction « ressources humaines » ?

Elle est très inégalement présente dans les organismes de notre enquête. La présence d’un directeur des ressources humaines – et un déploiement normal des différents aspects de la fonction – s’observe dans trois organismes sur dix. Dans les autres cas, un directeur dit être lui-même responsable des ressources humaines, un autre s’appuie sur le directeur adjoint. Dans l’un des organis-mes, il n’y a pas eu de directeur des ressources humaines pendant plusieurs années.

Ces constats sont symétriques du mode d’exercice du management : une forte influence de la personnalité du directeur et une place encore importante faite au management de PME, à l’affectif, mais pas de partage sur ces sujets, pas de référence et de culture communes. Pas même un effort de dénomination commune des métiers et des différentes fonctions.

A l’inverse, plusieurs organismes ont développé une conception et des prati-ques de gestion des ressources humaines cohérentes, parfois appuyées sur des outils développés par l’UCANSS ou sur des outils empruntés à d’autres univers que l’Assurance Maladie.

Ainsi, cette Caisse de taille moyenne qui a développé et fait vivre, de manière très autonome, un ensemble de dispositifs : mise en place des entretiens annuels, référentiel de compétences réactualisé en permanence, entretiens de validation tous les cinq ans (entretiens de carrière), exploitation des entretiens individuels et des entretiens de validation pour mettre en place une GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), modifications d’organisation du travail pour faire évoluer le métier de technicien, réflexions sur les parcours des jeunes, etc.

Ou bien cette autre Caisse, qui s’est appuyée sur la « méthode des habilités », développée par l’ANPE, pour concevoir les processus de recrutement. Plus exceptionnel, cette région où un travail entre les DRH des différentes Caisses s’est développé pour échanger les pratiques et affiner les méthodes de recru-tement.

L’autonomie permet des initiatives.

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Les obstacles culturels à une GRH moderne

Y a-t-il dans les identités collectives des obstacles au développement de prati-ques différentes de gestion des ressources humaines ? et aux changements que cela implique ? Le « manque de reconnaissance » et le « manque de gestion des carrières et des perspectives » sont souvent décriés. La pratique des « entretiens individuels » devrait répondre pour partie à cette critique. Jusqu’au récent accord sur la rémunération (UCANSS, décembre 2004), les entretiens individuels n’étaient pas obligatoires et paraissaient soulever un certain nombre de réticences qui tiennent au rapport entre le collectif et l’individuel.

Dans l’univers des centres de remboursement et des services où œuvrent les techniciens de prestations régis par des méthodes et des contraintes de type industriel, les postes de travail sont les mêmes et la reconnaissance des performances ou des compétences individuelles était jusqu’à maintenant encore assez difficile à mettre en place, comme elle peut être difficile à mettre en place en milieu ouvrier. Les éléments que nous avons recueillis sur ce point montrent une situation contradictoire mais ouverte : l’individuel renvoie à la peur du « favoritisme » ou d’une relation hiérarchique interpersonnelle difficile et, de plus, il met à mal les collectifs de travail assez soudés que l’on observe entre techniciennes travaillant depuis longtemps ensemble. C’est le même type de refus de la prise en compte « du mérite personnel » et des performances individuelles que l’on trouve dans la fonction publique.

Mais de nombreuses opinions s’expriment pour souhaiter davantage de recon-naissance et donc davantage de différentiation entre « s’investir beaucoup » et « faire son travail », développer ses compétences ou ne pas chercher à se former, par exemple.

Dans la mesure où, à l’exception des classes d’âge proches du départ en retraite, de nombreux agents demandent des parcours, des « filières », des « carrières », il y a place pour une gestion attentive et nécessairement individuelle des parcours professionnels. Les responsables comme les agents s’accordent à reconnaître que des parcours qualifiants sont également une des manières de réduire l’effet démotivant des « travaux répétitifs » ou « ingrats » ou l’effet usant des métiers très exposés et stressants de l’accueil physique et télépho-nique. Il y a donc place pour une effective gestion des ressources humaines.

Si l’idée de mobilité géographique demeure peu présente, celle de mobilité professionnelle est fortement exprimée. Mais, reconnaît un directeur, « on peut difficilement donner des leçons de mobilité à nos collaborateurs, alors que nous ne sommes pas très mobiles ».

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En conclusion de ce chapitre

Il y a une forte demande en matière de gestion des ressources humaines et d’un management plus participatif, plus proche des agents et plus attentif et rigoureux.

Le modèle d’organisation de l’Assurance Maladie présente une réelle origina-lité : compromis entre autonomie des organismes / PME et construction d’une cohérence globale. En ce sens il est très moderne et représente un compromis entre le global et le local que recherchent de nombreuses organisations publiques ou privées.

Cette organisation décentralisée peut permettre une gestion à taille humaine et une gestion des ressources humaines de proximité, sous réserve d'une cohérence globale qui offre des perspectives de mobilité.

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Le compromis social de base

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Repères

Dans ce chapitre, nous partons de la conception des économistes et des socio-logues du travail selon laquelle chaque univers professionnel se définit par un échange implicite entre un certain régime de travail avec ses caractéristiques propres, un ensemble de conditions d’emploi (mobilités, avancement à l’an-cienneté ou non, mesures de la performance ou non) et une conception de la rétribution du travail et des « incentives » (salaires, rémunérations complémen-taires, protection sociale, primes, possibilités de formation et de carrières).

Cet échange implicite peut être ou non formalisé dans des conventions, des accords sociaux ; il est toujours lié à des formes de relations sociales spécifi-ques10.

10 Pour une présentation récente des différents modèles, voir Robert Boyer, Jean-Pierre Touffu et Jean-Louis Beffa, Note de la Fondation Saint-Simon, 2002.

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Des appartenances très cloisonnées

Les travaux que nous avons conduits font apparaître des sentiments d’ap-partenance qui se situent pour les agents soit dans des cercles de proximité immédiate : « mon service », « ma Caisse », soit dans un horizon très global « la sécurité sociale » et ses nombreuses branches.

L’appartenance de proximité n’est pas sans générer de nombreux cloisonne-ments qui se traduisent par des attitudes de travail non coopératives : « on garde ses dossiers », « les informations ne circulent pas », « il y a des murs », « le premier étage et le rez-de-chaussée ne se parlent pas », etc. Ces cloison-nements, joints au souhait fréquent de ne pas changer d’habitudes de travail et surtout de lieu géographique, engendrent à leur tour des difficultés à accepter des mobilités, y compris au sein du même site. Mais les mêmes agents pourront être parmi ceux qui réclament des parcours professionnels plus variés.

L’univers de l’ensemble des organismes de sécurité sociale définit un conti-nent vaste et ressenti comme pérenne et solide : l’URSSAF qui recouvre les cotisations, les CRAM qui gèrent les retraites du régime général et la Branche Maladies professionnelles et Accidents du travail, les Caisses d’Allocations familiales et enfin les organismes de l’Assurance Maladie. On en sent la présence rassurante, elle est renforcée par les accords collectifs et les règles du jeu en matière de gestion du personnel. Mais ce n’est que faiblement une aire de mobilité : dans notre enquête, seuls les cadres des équipes de direction des organismes, les responsables d’URCAM – et parfois les téléconseillers des plates-formes – font état d’un parcours inter organismes au sein de l’univers de la sécurité sociale.

Et pourtant, ces mobilités pourraient se faire sur les bassins d’emploi où se trouvent toujours présents tous ces organismes. C’est le modèle de la fonction publique qui prévaut encore : mobilité interministérielle pour les cadres A et affectation dans une seule administration pour tous les autres.

L’appartenance à l’univers de la « Sécu » est rassurante, elle rapproche du modèle de la fonction publique. Bien que les agents soient de statut privé (ceci est évoqué spontanément par les responsables, rarement par les agents), on mesure la prégnance d’un modèle d’emploi à vie de type fonction publique. Donc « mon travail c’est dans mon service, mon emploi c’est dans l’ensem-ble de la sécurité sociale », même si ce n’est pas un véritable bassin d’emploi et de mobilité.

L’appartenance à l’univers de la sécurité sociale a également une fonction symbolique importante : elle ancre les agents dans une fonction sociale

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essentielle pour l’ensemble de la société. La mission est de nature sociale : « il y a là une forme d’autojustification du rôle de chacun. Le travail n’est pas toujours intéressant en lui-même, mais il est légitimé et transcendé par son objectif, ses enjeux sociaux et politiques ».

Cette faible valorisation sociale à l’extérieur alors qu’à « l’intérieur » on sait bien que le métier a changé, qu’il est beaucoup plus riche, est source d’une forme de malaise. Il est gênant de ne pas pouvoir valoriser auprès de son entourage ce que l’on fait, et il n’est pas impossible que cela ait des réper-cussions sur la motivation11. Par contre, nous n’excluons pas que cette faible valorisation externe, cette difficulté à dire ce que l’on fait, fonctionne comme une forme de ciment et de lien interne. Ce que l’on partage, c’est aussi ce poids. C’est en quelque sorte un groupe assez uni, soudé de manière négative. Bien qu’ayant peut-être maintenant envie de la transformer en une appartenance professionnelle positive. Sous réserve de la construction d’une image forte de l’entreprise qui rassemble tout le monde.

L’appartenance à la sécurité sociale, c ’est l’appartenance à un service public donc à une conception de l'emploi sur le modèle du fonctionnariat – sentiment partagé par tous et à tous les échelons – et par rapport auquel le statut de droit privé des agents est secondaire.

11 Sur les liens privé / travail, François de Singly, Les Uns avec les Autres. Quand l’individualisme crée du lien, Armand Colin, 2003 ; ainsi que le livre récent de François Dubet, Injustices, l'ex-périence des inégalités au travail, Seuil, 2006.

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« Ni une administration, ni une entreprise »

C’est là encore une identité partagée par tous, à tous les niveaux. Comment est justifiée cette assertion ? La décentralisation, l’existence d’organismes autono-mes, la réactivité permise par ce fonctionnement en PME sont pour beaucoup la marque d’une non-administration. Ce qui joue pour les responsables, c’est une relative liberté d’initiatives, de projets ; ce qui joue pour les agents, c’est l’appartenance à une entité de taille humaine enracinée localement, où l’on travaille pour des clients, assurés et professionnels de santé, qui sont sur le même territoire.

Pour les directeurs d’organisme, le système paritaire est l’un des aspects très importants de cette différenciation par rapport à une administration classi-que. La présence du Conseil d’administration à leurs côtés est très clairement pour eux un gage d’autonomie, ils s’appuient sur « leur président », sur « leur Conseil » pour négocier avec la CNAM. Mais la plupart d’entre eux font bien la distinction entre les sujets qui relèvent du Conseil et les responsabilités de manager du directeur.

La vision du paritarisme qui ressort des trois types d’entretiens que nous avons conduits est très différente.

Les responsables nationaux de la CNAM ont une vision du paritarisme très critique et parfois violente. Elle englobe dans une même critique les partenaires sociaux et les décideurs de l’État en leur faisant porter la responsabilité des piétinements des différentes réformes successives du système de l’Assurance Maladie. Elle s’exprime le plus souvent dans un style un peu technocratique de type vision managériale éclairée. Mais cette attitude critique n’épargne pas les organisations syndicales représentant les professionnels de santé, au contraire.

Les directeurs d’organismes mettent l’accent sur le fait qu’il a toujours été illusoire de penser que les partenaires sociaux « géraient » l’Assurance Maladie. C’est un pouvoir, à la différence de ce qui se passe à l’UNEDIC par exemple, qu’ils n’ont jamais pris sans doute parce que le système de santé n’est pas de même nature que le marché du travail. Mais ils mettent l’accent sur l’ouverture que le système paritaire apporte en faisant entrer les « points de vue de la société civile » et en faisant vivre, au plan local, une partie du tissu conventionnel avec les professionnels de santé ; avec un conseil, ils sont plus présents localement que du seul fait de leur fonction de directeur d’organisme.

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Parmi les agents, la question du paritarisme est peu abordée. Elle n’est pas un sujet de discussion. Lorsqu’est abordée la question de la réforme de 200412, le changement de nature des Conseils d’administration qui devien-nent de simples conseils n’est jamais cité, ou de façon anecdotique.

Formellement, c’est depuis la réforme de 1967 que la séparation est nette entre le rôle des syndicats comme administrateurs et leur rôle comme représentants du personnel dans le cadre des instances de représentation du personnel. L’époque où « les critères de compétences voisinaient avec ceux d’appartenance syndicale »13 semble révolue même si les responsables syndicaux préparent souvent ensemble tant les réunions du Conseil d’administration que celles du Comité d’Entreprise, en tout cas dans les périodes sensibles.

Les administrateurs rencontrés, quelle que soit leur appartenance syndicale, se sont tous attachés à bien distinguer les rôles. Mais, nous le verrons un peu plus loin, cela ne signifie pas que la présence des partenaires sociaux dans les Conseils ne joue pas son rôle protecteur dans la construction de ce que nous appelons « le compromis social de base ».

12 La réforme d'août 2004 a, entre autres, modifié l'appellation et le rôle des Conseils d'admi-nistration de l'ensemble des organismes de l'Assurance Maladie.

13 Bruno Palier, Gouverner la sécurité sociale, déjà cité.

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Le modèle de l 'emploi à vie

Le modèle de base est celui de l’emploi à vie et il est fortement imprégné des conceptions de la fonction publique. Une place importante est donnée à l’ancienneté comme élément de progression dans la carrière et de progression salariale. La gestion est anonyme avec affichage des postes et candidatures sur la base du volontariat et selon des conditions indiciaires. C’est une gestion budgétaire d’effectifs plus que de compétences en mouvement. On observe une très faible mobilité géographique des non-cadres et quant aux cadres, leur aire de mobilité géographique est de plus en plus importante à mesure que l’on monte dans la hiérarchie.

Ce modèle est évidemment bousculé par de nombreuses évolutions : des organisations par projets qui réclament une mobilisation rapide de personnels ayant des compétences spécifiques, des spécialisations technologiques poin-tues qui se moquent des « indices », le besoin de management et de conduite du changement qui conduit à placer la bonne personne au bon endroit en bousculant les affichages « démocratiques » de postes, etc.

Mais le corps social résiste. Sur plusieurs aspects : la mobilité géographique est encore largement refusée, même sur de faibles distances ; l’attachement à la non-flexibilité de l’organisation demeure important (horaires, appartenance à un service…) ; l’individualisation de l’évaluation choque parfois encore dans des univers aux réflexes très collectifs.

Il y a là un ensemble d’« attributs » de l’emploi auxquels il est parfois difficile de renoncer, même si de nombreuses évolutions se produisent, accompagnées par des démarches attentives de gestion des ressources humaines et de conduite du changement. L’impact de la nouvelle classification sera très important pour mettre en œuvre de nouveaux changements dans ce domaine.

C’est que jusqu’à maintenant, en matière d’emploi, rien n’est venu bouleverser fondamentalement le modèle. Mais les inquiétudes quant à l’avenir sont révélatrices d’un basculement possible : celles concernant l’avenir du métier de technicien de prestation ressenti comme de plus en plus « dématérialisé et transparent » ; celles relatives au non-renouvellement partiel des grands départs en retraite à partir de 2005-2006. Sur ce point, plus nous avancions dans notre étude, plus les inquiétudes s’exprimaient.

« Il y a comme une angoisse de l’avenir. Avec combien de personnes fera-t-on tourner un organisme ? Les CPAM n’échappent plus à l’angoisse de la restructuration. C’est cela qui inquiète les salariés, pas la régulation. Il y a une fissure dans le sentiment de sécurité des agents ». Ce constat fait écho

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à la remarque d’un directeur ayant accompli une longue carrière à tous les niveaux de l’Assurance Maladie : « jusqu’à présent, il n’y a pas eu de sentiment d’insécurité de l’emploi ; d’autant plus que Sésam-Vitale s’est mis en place à un moment où l’emploi a augmenté (avec les Plates-Formes de service et l’effet 35 heures). »

C’est pourquoi la période à venir en termes d’emploi et de mutualisation de certains services va devenir très sensible.

Cette période pourrait bien signifier, pour les agents, pour les administra-teurs majoritairement issus des milieux publics et parapublics (La Poste, EDF, employé municipal, institutrice… pour ceux que nous avons rencontrés), un basculement du modèle d’emploi.

Les agents des Centres informatiques sont parmi ceux qui se sentent le plus concernés par les perspectives de mutualisation et de reconfiguration du réseau : appartenant à des services supports, certes de plus en plus essentiels au fonctionnement dématérialisé et informatisé de l’Assurance Maladie, ils redoutent les concentrations de service, les externalisations possibles. Mais ces inquiétudes sont largement contrebalancées par le développement de nouvelles lignes de service informatique. Ainsi la problématique Internet n’en est-elle qu’à ses tout débuts. Tant pour l’Assurance Maladie que pour les professionnels de santé, la perspective de la nouvelle carte Sésam-Vitale, puis du « dossier médical partagé » et informatisé fait espérer un développement d’activités nouvelles.

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Histoire de changement 2 : Sésam-Vitale

Les faits C’est en 1993 que les trois régimes d’Assurance Maladie obligatoire créent le Groupement d’Intérêt Economique Sésam-Vitale. Soit la même année que la promulgation de la Loi Teulade qui instaure le codage des actes et pathologies, fait décisif pour la suite des choses. Le projet Sésam-Vitale consiste à déma-térialiser les documents en papier nécessaires au remboursement des soins (feuilles de soins, volets de facturation, etc.).

Il s’appuie pour cela sur deux grands principes : la saisie à la source et la mise en place d’échanges électroniques entre les professionnels de santé et les organismes d’Assurance Maladie et de mutuelle.

Une première phase d’expérimentation, par les régimes obligatoires, a lieu à partir de 1994, sur quatre sites. A l’issue de ces expérimentations, le cahier des charges de la version 1.00 est publié. Nous sommes en 1996. Au printemps 1998, les premières cartes Sésam-Vitale sont distribuées en Bretagne. La diffusion des cartes personnelles pour l’ensemble des ayants droits démarre en septembre 2001.

Depuis, le système est en évolution constante (prise en compte de l’euro, codage de la CCAM, production des flux avec les organismes d’AMC, etc.). La « Vitale 2 », aux performances renforcées en matière de sécurisation des données et de capacité de mémoire, est développée depuis avril 2004. Elle sera diffusée à partir de la fin 2006, accompagnée ou non de la photographie du titulaire.

Sésam-Vitale est aujourd’hui complètement intégrée dans le paysage de la protection sociale – 48 millions de cartes sont en circulation – et son usage est diffusé chez la quasi-totalité des médecins et des pharmaciens.

Les résultats La carte Vitale est aujourd’hui considérée comme une réussite exemplaire. Le système est, nous l’avons vu, largement diffusé et techniquement « ça marche ».

Surtout, Sésam-Vitale est beaucoup plus qu’une simple réussite technique. La petite « carte verte » porte un sens extrêmement fort pour le corps social de l’Assurance Maladie : c’est la pièce du dossier qui témoigne, à ses yeux, de sa capacité à changer et de sa modernité.

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Elle a modifié en profondeur l’identité professionnelle des agents (qui revendi-quent désormais d’être en phase avec leur temps) et l’offre produit de l’entre-prise (qui peut désormais démontrer sa capacité à proposer des services).

Les pronostics démentis Pourtant, l’histoire du projet s’est déroulée, si l’on en croit la documentation recueillie et les témoignages des acteurs techniques de Sésam-Vitale, sur fond de tensions et d’oppositions relativement fortes. Suffisamment en tout cas pour que le pronostic de son échec puisse être, jusqu’au début des années 2000, émis sans choquer outre mesure. « Il faut savoir reconnaître un échec », déclarait le président de la Commission administrative du Conseil d’administration de la CNAM en1999.

Décrivons le contexte dans lequel le projet a vu le jour puis s’est développé.

L’idée d’utiliser, à l’instar des banques, une carte pour gérer les informations sous format électronique a été lancée dès le début des années 80. Elle fut rapidement enterrée. Les impacts probables sur l’emploi n’incitaient pas les « gouvernants » de l’Assurance Maladie à concrétiser l’idée par un projet . Le très faible degré d’informatisation des professionnels de santé était aussi considéré comme un obstacle.

C’est une suite de décisions politiques, prises dans les années 90, qui rendront, peu à peu, l’idée incontournable.

La tendance de fond de ces années consiste, en effet, à donner à l’Assurance Maladie un rôle de plus en plus affirmé en matière de maîtrise des dépenses.

L’Assurance Maladie est, en quelque sorte, prise en tenaille et est poussée vers un système dont elle n’est pas demandeuse. Il reste aujourd’hui trace de multiples notes, rédigées au cours des années 90 par des directeurs de Caisse, où ces derniers expriment leur opposition à Sésam-Vitale. Ils y prônent des solutions alternatives centrées sur la collecte des données (automatisation des formulaires, ajouts de sticks, production d’un stylo lecteur de codes barres, etc.).

La structure du projet pose également problème. La CNAM, qui se considère comme la forteresse du système, est peu disposée à s’engager dans un GIE inter-régimes.

Les organisations syndicales ont de leur coté des mouvements d’humeur, traduisant leurs craintes pour l’emploi, avec une conception de Sésam-Vitale qui en fait une innovation technologique comparable à l’automatisation ou la conduite numérique dans les entreprises industrielles.

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Les professionnels de santé, enfin, rechignent à un système qui nécessite pour eux des tâches administratives, l’apprentissage de l’usage de l’ordinateur, toutes choses qui n’entrent pas dans le modèle du colloque singulier avec le malade où seules interfèrent la parole et l’écrit de l’ordonnance. Le pic des tensions est atteint en 1999, lorsque le chef de projet Sésam-Vitale de la CNAM démissionne.

Les raisons du démenti L’oubli des origines

La manière dont on raconte l’histoire Sésam-Vitale est significative du rapport au changement. Les tensions du passé sont gommées, oubliées. Plus personne n’imagine que le projet ait pu être sérieusement menacé.

En somme comme pour l’idée des DAM, pour qu’un changement se produise, il n’est rien de mieux que de ne plus savoir d’où il vient. Il peut ainsi être approprié par tout le monde : « Sésam-Vitale s’est bien passé car… c’est advenu ! ». Belle leçon de gestion du changement pour les chefs qui pensent tout savoir !

Le compromis social

Sésam-Vitale a signifié l’implantation dans l’Assurance Maladie de technolo-gies permettant de réaliser des bonds en matière de productivité du travail. Pourtant, aucun conflit social dans l’entreprise ne semble être directement corrélé à l’implantation du système dans les Caisses.

Ce constat ne trouve pas son explication dans le processus de mise en œuvre de Sésam-Vitale (degré de concertation avec les organisations syndicales, méthodes sociotechniques d’implantation, etc.).

Une partie de l’explication est probablement d’ordre économique. La carte Vitale a été lancée dans un contexte de croissance soutenue de la demande de soins et du nombre de dossiers à traiter. Les charges de travail correspondan-tes ont en partie compensé les gains potentiels en emplois liés à la nouvelle technologie.

Mais un autre facteur déterminant a très certainement été le compromis social propre à l’Assurance Maladie. L’inconscient collectif savait que le changement s’effectuerait dans une entreprise où le modèle de base de l’emploi ne serait pas remis en cause. Ce que les faits ont confirmé.

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Une amélioration de service

Sésam-Vitale a été positionné comme un projet d’amélioration de la qualité de service auprès des assurés et des professionnels de santé. Il n’a pas été présenté comme un projet de réduction de coûts, ni même comme un projet relevant d’un simple intérêt économique.

En d’autres termes, le projet n’a pas été positionné comme un investissement économique.

Il a au contraire été systématiquement positionné sur le champ du projet politique, confortant en cela l’ensemble du corps social. Ce dernier a bien compris Sésam-Vitale comme un moyen de renforcer l’ancrage de la « sécu » dans le système de soins, et non comme un outil permettant de « moderniser l’usine ».

Ce positionnement a sans doute contribué à constituer une sorte d’union sacrée implicite entre les différentes strates d’acteurs. La réussite du projet en a été naturellement facilitée. Autrement dit, l’institution, le politique, peut parfois venir au secours de l’entreprise, et parce qu’il véhicule des éléments forts de la culture de l’Assurance Maladie, permettre des changements importants.

Lorsqu’une institution et une entreprise sont ainsi imbriquées, il faut jouer sur l’une et sur l’autre, pour conduire des changements.

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Des relations sociales territorialisées

Le dialogue social apparaît comme très différent de celui des grandes entre-prises publiques du type EDF ou SNCF, et la fonction publique. Il est d’abord marqué par la territorialisation : « les relations sociales sont amorties par l’organisation territoriale ».

En ce sens, il a des caractéristiques étonnantes d’un dialogue social de PME sur fond d’une convention collective – ce qui est négocié à l’UCANSS – et sur fond d’un ensemble de garanties de type fonction publique, que nous venons de décrire en analysant le modèle d’emploi. En fait dans chaque organisme, à l’exception du Service médical qui est très spécifique du point de vue du dialogue social, on trouve des délégués du personnel élus, un Comité d’en-treprise, un CHSCT, des délégués syndicaux. Il est donc possible, de manière assez indépendante par rapport aux positions des organisations syndicales centrales de l’Assurance Maladie et par rapport aux représentants syndicaux du Conseil d’administration de la CNAM, de consulter en proximité sur des réformes d’organisations ou des changements variés.

Ce dialogue social faiblement « remontant » et faiblement centralisé est, par voie de conséquence, beaucoup moins idéologisé que ce qui est décrit dans les grandes entreprises publiques.

Les relations avec les représentants des salariés et avec les organisations syndi-cales ne relèvent pas du modèle « co-gestionnaire » de type EDF ou ministère de l’Éducation nationale. Il est beaucoup plus proche du dialogue social présent dans les entreprises privées. En poussant un peu plus l’analyse, on peut voir que le dialogue social de type « co-gestionnaire » bien représenté par l'Education nationale, repose, pour une grande part, sur le pouvoir d’influence que les syndicats ont sur les parcours des agents (nominations, promotions, avance-ment). Il y a peut-être eu dans le passé une forme de co-gestion de ce type mais elle était décentralisée et se pratiquait organisme par organisme.

Du coup, il n’en reste que ce sentiment d’être (ou d’avoir été) protégés parce que les partenaires sociaux étaient du côté de la Direction et que les mêmes, en tant que représentants du personnel, défendaient les agents. Ce sentiment d’enveloppement protecteur semble s’être beaucoup atténué, et lorsque les agents ont une représentation sombre à propos de l’avenir, de menaces sur l’emploi, ou de la pérennité de certaines structures, ils se trouvent aussi exposés et démunis que dans n’importe quelle entreprise privée. Du moins en terme de ressenti.

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C’est pourquoi, i l serait erroné de considérer que le changement aujourd’hui doit « bousculer » les agents ou les organisations syndicales. La décentralisation des relations sociales est un gage de réel dialogue.

On peut aussi ajouter que les sujets d’affrontement social ont été, jusqu’à maintenant, dans la plupart des Caisses, relativement peu importants, d’autant plus que la configuration du réseau (à l’exception des CTI) n’a pas changé et que les transformations se sont faites par ajouts (les PFS) ou par volontariat (les mutualisations). Selon plusieurs de nos interlocuteurs, l’introduction de Sésam-Vitale a donné lieu à de réelles inquiétudes sur l’emploi : c’est peut-être pourquoi la CNAM et de nombreux directeurs de Caisse s’y sont dans un premier temps opposés. La mise en place des PFS, des organisations par pôles, de la réorganisation des CTI a donné lieu à des débats, des demandes d’expertises auprès des Comités d’entreprise, et parfois des conflits, mais qui sont restés locaux. Les changements ont donc été nombreux et le plus souvent négociés.

Nous proposons d’ajouter à cela un autre élément d’analyse : les agents de l’Assurance Maladie ont une forme d’exercice de la critique et de la contesta-tion sociale qui leur est propre ; il s’agit de la défense « par procuration » des assurés sociaux. On voit bien, au travers des propos tenus, des élaborations collectives lors des séminaires14 que la défense des assurés fonctionne comme un ciment interne.

Cette défense des assurés, de leurs droits et de leurs intérêts, est un réflexe collectif fortement ancré dans cette forme très particulière de « lutte des classes ». Elle n’empêche pas l’exercice de plus en plus vigilant d’un esprit critique à l’endroit des « assurés qui abusent » et des tricheries longuement commentées des CMUistes.

Le mix de revendications sociales générales par solidarité et de défense par procuration des assurés, et de relations sociales décentralisées par entités a créé un modèle social très particulier qui ne ressemble à aucun autre modèle dans les univers publics français. Ce peut être un point d’appui pour le chan-gement négocié associant les parties prenantes que sont les représentants des agents, sous réserve de ne pas trop « centraliser » les sujets ou de prévoir systématiquement des formes décentralisées de débats et de consultations.

14 Et ceci est confirmé par les baromètres d’opi-nion internes réalisés pour la Direction de la Communication (cf. les enquêtes trimestrielles de WEI Opinion).

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En conclusion de ce chapitre

Le compromis social de base propre à l’Assurance Maladie, et au-delà aux orga-nismes de base de la sécurité sociale, mêle des caractéristiques de la fonction publique avec des éléments du dialogue social dans des entités de type PME. S’il n’a pour l’instant pas été mis à mal, malgré de très nombreux changements, c’est peut-être parce que le modèle d’emploi à vie de type fonction publique n’a pas été touché : nous allons voir que c’est aujourd’hui le point sensible.

Une part de la revendication et de la critique sociale s’effectue sous forme politique : il s’agit de la défense des assurés, voire des plus fragiles d’entre eux, qui ne paraît pas incompatible avec une évolution vers une densification et une professionnalisation des relations avec les professionnels de santé. C’est toujours un point sensible.

La décentralisation des relations sociales est l’un des aspects de l’organisation polycentriste en réseau qui a prévalu jusqu’à maintenant au sein de l’Assurance Maladie, en lien avec une certaine autonomie locale du management.

Cette décentralisation peut dans certaines conditions être une garantie de la qualité du dialogue social.

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rapport au changement et désir de modernité

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Le passé témoigne pour l 'avenir

Le rapport au changement est contradictoire au sein de l’Assurance Maladie, un peu comme si le passé témoignait pour l’avenir.

Des nombreux changements assimilés par les agents et le corps social de l’Assurance Maladie, nos interlocuteurs tirent la conclusion que changer ne pose pas de problèmes. Ils ont souvent eu l’occasion d’insister sur le fait que la fréquence des changements réalisés récemment leur faisait souhaiter comme une pause, une parenthèse, mais en restant sans illusion quant à la réalisation de ce souhait. Les expressions qui sont utilisées pour évoquer ce sujet ne diffèrent pas de celles que l’on peut entendre dans de nombreuses organisations, elles décrivent l’accélération du rythme des changements, parfois l’accélération du travail lui-même : la pression sur les délais, les exigences de productivité ressenties comme un obstacle à la qualité du service rendu et à l’approfondissement des dossiers.

Lors des séminaires transversaux, dont une partie portait sur l’identification et l’analyse des changements passés et à venir, les mutations technologiques figurent en bonne place (les différents logiciels, Sésam-Vitale, la télétrans-mission…) ainsi que la logique de service, parfois liée à l’organisation des Caisses en pôles ou à la création des Plates-Formes de service. La CMU est moins fréquemment citée.

Pour les Centres informatiques, ce sont les changements de système (passage sous UNIX) qui tiennent la première place. Ils n’ont pas suscité d’oppositions, mais ce sont souvent traduits par des organismes à deux vitesses, avec deux populations de professionnels, deux cultures et de nombreuses difficultés pour faire évoluer les plus anciens en terme de parcours.

On peut observer qu’il s’agit là de changements au sein de ce que nous avons appelé l’entreprise. Les changements plus institutionnels, la création des URCAM par exemple ou la création récente de l’UNCAM, ne sont que très rare-ment cités. Au contraire, de nombreux propos tout au long de notre enquête ont révélé ironie et défiance vis-à-vis des réformes avec un grand « R », des « grands soirs » toujours annoncés, voire des « grandes idées » trop abstraites aux yeux des agents et des responsables d'organismes.

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Le changement à l 'origine d'une nouvelle fierté d'appartenance

Nous l’avons dit, les agents souffrent de la mauvaise image de la sécurité sociale : « il n’y a jamais eu de stratégie de marque pour se donner une image (sauf pour le logo). Paradoxe de l’institution : elle a joué sur l’historique de gestion par des partenaires sociaux et elle n’a jamais pu s’afficher comme indépendante parce que trop liée à l’Etat. Nos agents vivent mal cette image négative ».

Cette mauvaise image présente plusieurs facettes.

Pour les agents, parler du « système de l’Assurance Maladie » sur le mode de « Y a-t-il un pilote dans l’avion ? » rejaillit négativement sur eux et leur fait supporter une image de mauvais gestionnaires.

Leurs vrais métiers ne sont pas véritablement connus à l’extérieur de l’en-treprise et du coup les agents sont encore trop souvent considérés comme les prototypes de « fonctionnaires bureaucrates pas très travailleurs ».

Cette image négative – qui leur est renvoyée par l’extérieur – prend un relief particulier dès que des menaces se profilent, par exemple sur le métier de technicien (voir le troisième chapitre). Ces difficultés sont particulièrement ressenties lorsqu’il y a contradiction entre l’intitulé d’un métier connoté positivement dans la société – informaticien ou médecin – et la dévalori-sation consécutive à l’expression qui suit « à la Sécurité Sociale ».

Le contraste entre les changements réalisés et bien assumés et la permanence de l’image négative est ressenti comme une forme d’injustice : « on a changé mais on est les seuls à le savoir ». Les enquêtes de satisfaction auprès des assurés nuancent ces jugements d’opinion négatifs mais elles sont locales et ne suffisent pas à contrebalancer un héritage d’image négative entretenu dans les grands médias.

C’est pourquoi tous les éléments de modernité sont fortement revendiqués : telle CPAM a fait de la Carte Vitale son emblème, telle autre se positionne comme avant-gardiste avec Medialog, un dispositif informatique qui permet que le dossier personnel d’un assuré apparaisse à l’écran dès que celui-ci appelle.

La logique de service – sous la version jeune, moderne, réactive de l’ac-cueil téléphonique dans les PFS ou bien sous la version plus « sociale »

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de l’accueil physique des CMUistes – est revendiquée comme un élément fort de changement et un signe de modernité.

Si le changement n’est pas toujours désiré, la modernité l’est. L’ouverture (« sortir des Caisses », « aller chez des professionnels de santé » ou « tenir des permanences dans les mairies des petites villes ») fait également partie de cette modernité. L’estime qui va au métier de Délégué Assurance Maladie en témoigne.

Les agents attendent davantage de communication, de diffusion vers l’extérieur sous toutes les formes, de ces éléments de modernité.

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Mais l 'Assurance Maladie est au milieu du gué...

Les changements réalisés sont nombreux, ils ont profondément changé la manière de travailler mais les éléments que nous avons recueillis tout au long de notre enquête montrent qu’ils n’ont pas bouleversé le compromis social de base.

Sur de nombreux points, il paraît nécessaire de passer à une étape nouvelle, de faire un pas supplémentaire pour être dans une nouvelle logique sans possibi-lité de retour en arrière. En somme, pour ne plus être « au milieu du gué ».

Quelques exemples. La logique de service a profondément pénétré le monde de l’Assurance Maladie mais elle n’est pas encore au cœur de l’organisation du travail avec des liens nouveaux entre front office et back office. Une quantité d’opérations plus importante faite en front office ou l’évolution du métier de technicien de prestation vers davantage d’interventions de contrôle et de liquidation médico-administrative (LMA) pourra-t-elle marquer une étape nouvelle ?

De même, le développement de services en direction des professionnels de santé et des employeurs, développement équivalent à ce qui a été fait pour les assurés, pourra marquer une rupture par rapport à un fonctionnement industriel d’« usine à prestations pour les assurés ».

Mais « le milieu du gué » signifie aussi qu’un faux pas peut faire revenir en arrière l’ensemble du corps social : ainsi, en grand nombre, les agents sont prêts au développement des services vers les professionnels de santé et des métiers qui vont avec. Mais le fond de méfiance idéologique à l’endroit des professionnels de santé, « ce monde de l’argent », est toujours très vivant. L’univers des agents de l’Assurance Maladie est celui du public (des instituteurs, des cheminots, des fonctionnaires des administrations …), non seulement au sens professionnel mais au sens de leurs références culturelles, de leurs goûts et de leurs préférences. Ce fond culturel rend, et rendra, par exemple les agents vigilants quant au respect d’une certaine symétrie des contrôles et des comportements entre assurés et professionnels de santé, médecins surtout.

C’est pourquoi la mise en œuvre de la liquidation médicalisée, des contrôles plus stricts sur l’usage des ordonnanciers d’ALD ou l’usage des différents modes de transport devrait s’accompagner d’un suivi qualitatif (associant des groupes d’agents) et ne pas se contenter d’un affichage des résultats en terme d’économies réalisées.

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Des obstacles paraissent levés pour qu’une partie de l’activité de l’Assu-rance Maladie s’exerce de manière plus effective en matière de contrôle, mais la vigilance des agents sera grande pour que les assurés restent bénéficiaires de tous leurs droits et bénéficient d’une grande qualité de service. Par ailleurs, la création de la CMU a replacé l’utilité sociale, l’action en direction des plus défavorisés, au centre des missions dont le corps social de l’Assurance Maladie se sent porteur. Cette identité-là est ressentie comme déterminante.

L'Assurance Maladie est aussi un univers à forte culture sociale et profession-nelle : c'est une chance pour le changement. A condition de s'appuyer sur l'existant.

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Histoire de changement 3 : La mise en place de la Couverture Maladie Universelle (CMU)

Naissance dans l'urgence politique

Décidée par le gouvernement en 1999, la manière dont l’entreprise Assurance Maladie a assuré la mise en place rapide et efficace de cette mesure complè-tement nouvelle a montré la capacité des Caisses à se mobiliser pour mettre en œuvre des changements.La mise en place de la CMU a montré de manière éclatante la capacité des agents à se mobiliser, quel que soit leur niveau de responsabilité. Ils ont su mettre en place, de manière extrêmement rapide, une réforme de grande ampleur : « Informations le 26/12/1999, naissance le 01/01/2000, premier client le 02/01/2000 ». Avec la CMU, les agents sont entrés dans une logique de la preuve : la mise en place de la CMU a prouvé leur capacité à changer ; elle est, en quelque sorte, opposable à tous ceux qui mettent en avant une image d’immobilisme de la « sécurité sociale ».

Urgence et mobilisation des équipes

L’urgence est un mode de fonctionnement contradictoire : il est visiblement valorisé par tous à l’intérieur de l’Assurance Maladie, comme si les sujets d’intervention – la santé, la santé des plus fragiles, la maladie, l’accident, la mort – justifiaient que l’on doive fonctionner ainsi. Un certain mimétisme de l’hôpital et du fonctionnement de la médecine peut-être aussi – « Urgences » comme dans la série télévisée du même nom. Mais c’est également un mode de fonctionnement facile à critiquer dans ce qu’il implique de désordre, de désorganisation, de manque d’anticipation. La CMU a pu être mise en place aussi rapidement en raison d’un investissement fort des équipes, de la collaboration entre les équipes et des échanges avec d’autres organismes, tels que les CAF ou les services sociaux des départe-ments.

Pour certains, si la CMU reste un bon souvenir, c’est précisément en raison de la fusion des équipes, comme si un mode de travail fortement collaboratif, dans l’urgence justement, était seul de nature à dépasser les cloisonnements et les routines habituels : « J’en garde un très bon souvenir relationnel. L’encadrement et les techniciens ont tous été sur le pont en même temps. J’ai découvert les capacités des gens. Cela a été extraordinaire ».

On voit se dégager un modèle d’action dans l’urgence, avec des formes de travail et de coopération inhabituelles, plus proches par certains aspects d’une sorte de militantisme social. Il n’est peut être pas hasardeux que ce soit préci-sément à propos de la CMU, assurance universelle à vocation profondément

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sociale, que ce modèle de travail et d’implication de chacun soit revendiqué. On peut aussi observer que tout le monde dans l’Assurance Maladie a une certaine satisfaction à mettre l’accent sur une forme de travail non routinière, loin des images paperassières et bureaucratiques.

Mais la rapidité de mise en place, l’urgence, qui est l’une des composantes fortes de ce succès, est également à l’origine de « rancœurs » vis-à-vis du politique d’une part, vis-à-vis de la CNAM d’autre part, les deux étant parfois mis dans le même sac.

Le rôle critiqué de la tête de réseau

Les agents reprochent souvent au politique son goût pour les effets d’annonces ou pour les décisions non préparées. Les changements seraient mis en œuvre de manière technocratique, « par décret » en quelque sorte. Les décisions ne tien-draient compte ni de la situation réelle de l’Assurance Maladie, ni des moyens dont elle dispose pour mettre en œuvre les réformes, ni, plus généralement, de ses contraintes.

Le contexte réglementaire était imprécis, l’échéance était très rapprochée et les Caisses n’ont pas eu d’appuis. Bref, le succès tient du miracle… ou plutôt tient à l’implication des agents.

Mais au final, c’est le sentiment positif qui l’emporte, comme s’il était parfois nécessaire d’être bousculé. Dans une entreprise qui est aussi imbriquée dans une institution politique, le rapport au changement est nécessairement ambigu : la plupart des changements importants viennent du politique, d’en haut. Qu’est-ce qui fait alors leur légitimité ?

Peut-être pour une part le fait que l’Assurance Maladie, qui se pense comme un service public, est légitimiste.

Peut-être, dans le cas de la CMU, le fait que la mesure prise par la ministre des Affaires sociales de l'époque était politiquement en phase avec une certaine vision de la société qu’ont les agents de l’Assurance Maladie.

Peut-être le fait que l’organisation de l’Assurance Maladie en réseau de PME est en fait assez réactive et permet, en raison de l’autonomie relative des organismes et de l’émulation entre eux, une course à la mise en œuvre rapide qui est très efficace.

On peut alors imaginer qu’un meilleur fonctionnement de la tête de réseau, la CNAM, pourrait rendre l’ensemble encore plus efficace.

« Nous avons eu un choc quand nous avons vu le nombre de demandes… ne venant pas toujours de personnes qui y avaient droit. Il y a eu des embouteilla-ges. Nous avons dû mettre en place un système d’accueil sur rendez-vous pour

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réduire les files. Dans les trois mois, cela s’est régulé. La difficulté aujourd’hui est de gérer les prolongations automatiques. Nous avons créé en 2001 un service de prévention sociale qui gère la précarité, la CMU, les actions d’aide sanitaire et sociale. Aujourd’hui c’est maîtrisé ».

La CMU a été difficile à mettre en place en raison du volume de person-nes concernées : « Nous avons un taux très fort, nettement au-dessus de la moyenne nationale. Cela a été un choc qui a paralysé la production car nous avons tous été réquisitionnés pour faire face. Cela n’a pas empêché qu’on nous demande des comptes sur la production ordinaire ».

Un vrai renouveau du service public social

Parmi les évolutions techniques, organisationnelles qui ont progressivement transformé l’entreprise Assurance Maladie en « machine à remboursement », l’apparition de la CMU dans le paysage des « services rendus aux assurés » a remis la vocation sociale à l’ordre du jour. Un service public à vocation sociale où l’on se sent proche des CAF, des services sociaux du département, où l’on intervient par rapport à des « publics difficiles ».

Il est impressionnant de voir à quel point et avec quelle rapidité les agents se sont appropriés le vocabulaire des services sociaux et des travailleurs sociaux. La CMU a permis, au moment où les services rendus à l’ensemble des assurés se sont automatisés et simplifiés, de renouer avec la vocation de « militance sociale » de l’Assurance Maladie au service des assurés les plus problématiques. C’est un moyen d’exprimer la valeur de « solidarité » qui ne peut plus s’exprimer uniquement au travers de la défense des assurés sociaux contre les professions médicales libérales.

Mais ce sont surtout les difficultés inhérentes aux métiers de l’accueil de publics difficiles qui sont largement exprimées. Sur plusieurs registres : celui de la difficulté propre au métier d’accueil : les problèmes de compréhension, de langue, d’incivilités parfois, qui devraient donner lieu à un travail spécifique alors que chaque Caisse trouve ses propres solutions (debriefing, groupes de parole, aides extérieures…).

Les fonctions d’accueil connaissent les problèmes contemporains de contact avec les « publics difficiles » : difficultés de langue, agressivités éventuelles, exigence d’assurés qui pensent que « l’ordinateur sait tout »… La mise en place de la CMU a multiplié ces problèmes qui doivent impérativement être pris en compte en termes d’organisation du travail et de parcours professionnels.

Le registre de la protestation citoyenne a également sa place : nombreux sont les agents de l'Assurance Maladie qui listent les abus constatés, les « fraudes » dans certains cas, et la difficulté à mettre en place contrôles et sanctions.

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Par rapport à ces sujets difficiles, et sur lesquels les solutions ne peuvent être trouvées que par la mise à plat et la discussion, il semble bien que les agents soient laissés à eux-mêmes, certaines Caisses recherchant seules des améliorations.

Les agents sont alors, comme les travailleurs sociaux, mis dans des situations d’injonction contradictoire : entre leur devoir social et la nécessité de contrôler, entre la montée du ras-le-bol face aux abus des uns et l’extrême dénuement des autres, entre la nécessité d’être parfois durs et le fait que la plus grande reconnaissance leur vient de « leurs clients ».

Les leçons de cette histoire de changement

La mise en place de la CMU n’est pas un changement organisationnel, ce n’est pas non plus une prestation de plus à gérer, comme il s’en est parfois créé. C’est un changement d’origine politique qui a une grande influence politique à l’intérieur de l’Assurance Maladie.

La CMU a renouvelé la vocation sociale de l’Assurance Maladie à un moment où le service aux assurés se mettait de plus en plus à ressembler à n’importe quel service.

La CMU a renouvelé le sens du service public à l’intérieur de l’Assurance Maladie en mettant l’accent sur le service public social : du coup elle place l’Assurance Maladie dans les débats sur la solidarité, l’efficacité des aides sociales, le développement de l’assistanat social, au même titre que les autres services sociaux de l’Etat ou des collectivités territoriales.

Il y a eu en interne une forte congruence entre l’urgence politique et sociale véhiculée par une telle mesure et la manière dont cette mesure a été mise en place. En ce sens-là, il n’est pas certain que cette mise en place dans l’urgence puisse être reproduite et appliquée à d’autres réformes, d’une autre nature.

Mais cette mise en place de la CMU montre l'importance de l'articulation entre changement, une nouvelle mesure, et continuité, la culture de la solidarité.

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Perspectives : quelle place pour l 'entreprise imbriquée dans une institution ?

Dans le premier chapitre, nous avons longuement développé la description d’une entreprise et d’une institution imbriquées et le plus souvent confondues en terme d’image et de communication. Quelques pistes de réflexion peuvent en être tirées. Qui parle ? L’institution ou l’entreprise ? Est-il possible d’influer sur la perception extérieure de l’entreprise, de mieux la faire connaître ? Quid de son fonctionnement, ses métiers, son management, ses innovations ? Comment réduire la complexité sans réduire la réalité ?

L’analyse des rapports entre les organismes au sein du réseau et au sein de l’institution ainsi que des rapports des organismes avec la CNAM montre une situation de décentralisation des responsabilités avec une centralisation renfor-cée d’un ensemble de procédures de gestion et de la contractualisation.

Une nouvelle ligne de partage entre les procédures, les modes de fonctionne-ment centralisés et la responsabilité locale est ressentie comme nécessaire. Nous rappellerons sur ce sujet que la décentralisation des responsabilités a été l’un des trois vecteurs importants de la modernisation des grandes entreprises publiques. Par ailleurs, ce ne sont pas seulement les responsables, les agents de direction, qui sont attachés à un certain degré d’autonomie locale, mais également les agents. Le mode de fonctionnement en unités à taille humaine, qui forme un univers cohérent d’appartenance, de relations sociales, définit un cadre de travail motivant et dans lequel le management des équipes et des ressources humaines peut se développer.

L’Assurance Maladie représente à l’égard des problématiques de centralisation- décentralisation des organisations un modèle original dans sa construction qui peut évoluer sans se renier.

Une déformation du modèle trop importante et univoque vers un modèle centralisé pourrait être contreproductive en termes d’appropriation du chan-gement et de mobilisation des équipes.

Les fonctionnements par expérimentations locales sont souvent cités comme exemple d’une manière intelligente de conduire le changement.

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Le management et les ressources humaines : des leviers de changement attendus

Dans un univers original de responsabilités décentralisées, de « PME en réseau», la qualité du management et des ressources humaines ne peut être dépendante du seul ressort des personnalités des responsables. Le besoin d’élaboration de méthodes partagées, de référentiels diffusés est très important. D’autant que chacun ressent à quel point il est essentiel, à la fois, d’accompagner les chan-gements avec des politiques de ressources humaines et, en même temps, de produire du changement par une gestion des ressources humaines renouvelée.

Des moyens concrets d’y parvenir peuvent être trouvés en accompagnement de la nouvelle gestion des agents de direction d’une part, et de la nouvelle classification, d’autre part.

Citons, parmi les idées possibles : l’organisation de « clubs métiers » sur une base territoriale (régionale ?) susceptibles de rassembler à intervalles réguliers des représentants des différents métiers (ceci existe pour les informaticiens dans certaines régions ou pour certains métiers transversaux, le contentieux par exemple), avec un animateur, un référent recruté parmi les responsables locaux ou nationaux. L’objectif en est l’échange de pratiques, la constitution, avec les spécialistes des ressources humaines, de référentiels partagés, ainsi que la réassurance des identités professionnelles. C’est l’attente de parcours professionnels et de moyens d’évaluation et de reconnaissance du travail effectué qui est au cœur des demandes. Toutes les formes de reconnaissance ne sont pas financières.

L’évolution des métiers concentre de nombreuses inquiétudes. Elle doit faire l’objet d’une attention particulière et d’une communication renforcée. Le métier de technicien, en particulier, doit être suivi attentivement, y compris sous l’angle de l’impact de l’actuelle réforme sur les activités exercées et sur la conception même du travail.

Citons également, à un autre niveau, l’existence ou la création d’un « campus », d’une « université » marqué par un lieu identifiant (ce que n’est pas tout à fait le cas de l'ENSSS le centre de formation de l’ensemble des organismes de sécurité sociale) qui pourrait contribuer au développement du management comme valeur et culture partagées au sein de l’Assurance Maladie.

Ce sont des initiatives de ce type qui peuvent contribuer à faire évoluer les fonctionnements polycentristes de PME vers un fonctionnement de type « Groupe ».

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Ces indications montrent qu’il est nécessaire d’accompagner toute réforme d’une déclinaison de ce qu’elle signifie pour chaque organisme, chaque service et au-delà pour chaque agent. Les agents de l’Assurance Maladie souhaitent que l’on s’adresse à eux, et qu’on les mobilise, en tant que « professionnels », « techniciens de l’Assurance Maladie » en redonnant à ce métier une partie de sa noblesse « technique ». La réflexion, qui a été le point d’aboutissement des agents lors des séminaires, selon laquelle « la régulation c’est l’affaire de tous les agents », montre une maturité professionnelle sur laquelle il est important de s’appuyer.

Lorsque des critiques sont émises à l’endroit des Plates-Formes de Service, et il y en a encore, c’est que le contenu des réponses apportées n’est pas assez technique, pas assez précis et approfondi. On peut observer une forte base de « conscience professionnelle », de « rigueur », de « méthode » qui est un potentiel important de progrès et d'innovation.

Mais cet ensemble de facteurs sur lesquels s’appuyer, de facteurs facilitant la conduite de nouveaux changements peut cesser d’être opérant dès lors que sont trop menacés les emplois, les implantations locales (ressenties comme participant à la proximité du service et à une forme d’aménagement du territoire – c’est la vision proche de ce que l’on trouve à La Poste). Face à ces menaces, le vieux fond du « service public à la française » et « de la Sécurité Sociale en danger » peut être rapidement mobilisé. Car il est présent, même si jusqu’à aujourd’hui il n’a pas – à l’exception de quelques Caisses dont celles d’Ile-de-France – joué les premiers rôles.

La voie est étroite, car les craintes portant sur les effectifs, le non remplace-ment des compétences, les restructurations possibles continuent de véhiculer la crainte, plus fondamentale bien que très indéfinie, de la privatisation.

Une certaine forme de réassurance est nécessaire pour que puissent se pour-suivre les changements vers davantage de services pour les assurés, les professionnels de santé et les employeurs, davantage de flexibilité dans l’organisation, de mobilité dans les parcours.

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L’Assurance Maladie, service public original basé sur l’autonomie des organis-mes au sein d’une organisation en réseau, sur une gestion par délégation de l’Etat d’une activité de service public à des salariés de droit privé, représente un modèle tout à fait original.

Cette organisation a hérité de l'histoire ce que de nombreuses entreprises ont mis des années à installer : une décentralisation des responsabilités dans des entités à taille humaine et une décentralisation des relations sociales.

Son histoire récente montre une très forte capacité à conduire et à assumer des changements de tous types. Parce que son organisation décentralisée permet que le changement soit parfois multiforme et de ce fait approprié à chaque niveau, qu’il soit négocié avec les représentants des salariés. Les facteurs d'homogénéisation des services, des activités, des systèmes d'information sont néanmoins de plus en plus structurants, permettant de réaliser une dialectique entre la centralisation nécessaire et l'appropriation du changement aux différents niveaux. Les changements qu'a connus l'Assurance Maladie sont ceux de tous les grands services publics : passage à une logique de service au public, prise en compte du client, ouverture sur l'extérieur.

Les services publics changent, plus qu’on ne pourrait le croire : c’est peut-être aussi parce que s’y réalise un équilibre entre la sécurité – qui doit beaucoup au modèle d’emploi – et l’aptitude à changer. Une leçon à méditer pour de nombreuses autres conduites de changement dans nos univers modernes où la conciliation de la flexibilité et de la sécurité, du renouvellement et de la continuité est une exigence pour tous.

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es services publics changent : dans leurs organisations et dans leurs manières de travailler et de rendre « service». La Sécurité Sociale aussi.

En 2004-2005, c’est un véritable voyage d’études à l’intérieur d’un grand service public social - l’Assurance Maladie et ses 110 000 salariés - qui a été réalisé par une équipe de consultants.

La dimension du service y devient essentielle, les responsabilités sont exercées au sein d’un réseau, à la fois sur le terrain et de manière centralisée, la modernité technologique y a conquis sa place et fait changer les métiers.

Ce voyage est riche de leçons pour l’ensemble du secteur public, il témoigne aussi d’une façon de conduire le changement qui conjugue continuité et rupture, volontarisme et diversité des démarches.

Les auteurs : Danielle Kaisergruber est aujourd’hui directrice de DKRC, Philippe Olivier directeur associé d’EURO-RSCG CetO, David Askienazy manager chez Bernard Brunhes Consultants - Groupe BPI.

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Juin 2006 • 8 € ISNN 1289-3536