les usages et le droit de la concurrence sg · chapitre 1 : les effets aggravateurs des usages dans...
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UNIVERSITÉ DE MONTPELLIER I CENTRE DE DROIT DE LA CONSOMMATION ET DU MARCHÉ
(UMR 5815 CNRS Dynamiques du Droit) Master 2 Consommation et Concurrence
Les usages en Droit de la concurrence
Rédigé et soutenu par : Mademoiselle Sarah Gomila
Sous la direction de Monsieur le Professeur Stéphane Destours,
Avocat et Maître de conférences à la Faculté de droit de Montpellier
Année universitaire 2013 / 2014
Remerciements
Mes remerciements vont tout d’abord à mon directeur de mémoire Monsieur Stéphane
Destours qui, de par ses enseignements et à l’occasion d’un stage à ses côtés, a su aiguiser
mon intérêt pour les questions de droit de la concurrence et m’a permis d’appréhender la
réalité pratique et transversale de celui-ci, notamment à travers le prisme des usages, ce qui
a largement contribué à m’inspirer ce sujet.
Je remercie également mon directeur de Master, Monsieur Malo Depincé, qui au
travers de ses cours magistraux, a contribué à l’intérêt croissant que le droit de la
concurrence suscite chez moi.
Je souhaiterais également remercier Monsieur le Professeur Daniel Mainguy ainsi
que toute l’équipe pédagogique du Centre de Droit de la Consommation et du Marché, pour
m’avoir donné l’opportunité d’intégrer cette grande famille et fait en sorte que cette année
soit aussi belle et enrichissante, à tous les niveaux.
Qui serais-je si j’oubliais les brillants élèves que j’ai eu la chance d’avoir à mes côtés
cette année, que je tiens à remercier pour leur implication, la souplesse dont ils ont su faire
preuve à mon égard et leur gentillesse. Cette année a signifié énormément pour moi et elle
n’aurait certainement pas été la même sans toutes ces personnes formidables.
Par ailleurs, je tiens tout particulièrement à remercier une des amies les plus chères à
mon cœur, Léa, et ma mère, pour avoir pris sur elles de relire l’intégralité de mon mémoire.
Je tiens également à remercier toute ma famille et mes amis, pour avoir été à mes côtés tout
au long de ces dernières années.
Enfin, je tiens à adresser des remerciements spéciaux à Mademoiselle Pauline
Castelot qui, outre le fait de m’avoir apporté son aide tout au long de la rédaction de ce
mémoire, a été comme une mère pour moi cette année.
Sigles et principales abréviations
AdlC Autorité de la Concurrence Ann. Propr. Ind. Annales de la Propriété industrielle, littéraire et artistique A.O.C. Appellation d’Origine Contrôlée A.O.P. Appellation d’Origine Protégée BOCCRF Bulletin Officiel de la concurrence, de la consommation
et de la répression des fraudes Bull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambres
civiles CA Cour d’Appel Cass. civ. (Arrêt de la) Cour de cassation, chambre Civile Cass. com. (Arrêt de la) Cour de cassation, chambre Commerciale C.E. Communauté Européenne C.E.E. Communauté Économique Européenne C.E.P.C. Commission d’Examen des Pratiques Commerciales C.I.F. Comité Interprofessionnel des Fromages C.I.G.C. Comité Interprofessionnel du Gruyère de Comté C.J.C.E. Cour de Justice des Communautés Européennes C.J.U.E. Cour de Justice de l’Union Européenne Comm. Commentaires Conc. Consom. Concurrence Consommation D. Recueil Dalloz Dict. Perm. Dictionnaire Permanent Éd. Éditions Gaz. Pal. Gazette du Palais G.I.E. Groupement d’Intérêt Economique J.C.P. Juris-Classeur Périodique (voir la revue Semaine
Juridique) J.C.P. E. Juris-Classeur Périodique, édition Entreprise J.O. Journal Officiel de la République Française (lois et
règlements) J.O.C.E. Journal Officiel des Communautés Européennes J.O.U.E. Journal Officiel de l’Union Européenne L.G.D.J. (Éditeur) Librairie Générale de droit et de Jurisprudence LPA Les Petites Affiches (Journal d’annonces légales) NP Non publié
Obs. Observations (commentaire doctrinal à la suite de la publication d'une décision de justice)
O.J.V.R. Official Journal of the Verkhovna Rada Op. Cit. Opere citato O.S.C.E. Organisation pour la Sécurité et la Coopération en
Europe Préf. Préface P.M.E. Petites et Moyennes Entreprises PUF Presses Universitaires de France Rapp. Rapport Rec. Recueil Rép. Com. Répertoire Dalloz de droit commercial R.G.A.T. Revue Générale des Assurances Terrestres Rid. Éco Revue International du Droit Économique R.J.D.A. Revue de Jurisprudence de Droit des Affaires RJJ Revue Jurassienne de Jurisprudence R.L.C. Revue Lamy de la Concurrence R.L.D.A. Revue Lamy de Droit des Affaires RTD Civ. Revue Trimestrielle de Droit Civil RTD Com. Revue Trimestrielle de Droit Commercial Sect. Section Soc. Société Somm. Sommaires de jurisprudence T. Com. Tribunal de Commerce T.F.U.E. Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne T.P.I.C.E. Tribunal de Première Instance des Communautés
Européennes V.R.P. Voyageur, Représentant et Placier
SOMMAIRE
INTRODUCTION ……………………………………………………………………….. p. 1.
PARTIE I : LE RÔLE DES USAGES DANS LA QUALIFICATION DES PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES ……………………………………….………………… p. 7.
TITRE 1 : LES EFFETS AGGRAVATEURS DES USAGES SUR LE DROIT DE LA
CONCURRENCE …………………………………………………………… P. 8.
Chapitre 1 : Le contexte responsable de l’aggravation des comportements susceptibles de porter atteinte à la concurrence par les usages ……………….. p. 8.
Chapitre 2 : Les exemples de comportements anticoncurrentiels dus pour tout ou partie aux usages ……………………………………………………………… p. 15.
TITRE 2 : LES EFFETS MODERATEURS DES USAGES SUR LE DROIT DE LA
CONCURRENCE ………………………………………………………….. P. 52.
Chapitre 1 : Le contexte conduisant les usages à modérer les comportements susceptibles de porter atteinte à la concurrence ……………………………… p. 52.
Chapitre 2 : Les exemples de comportements anticoncurrentiels atténués pour tout ou partie par les usages ……………………………………………………….. p. 56.
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE ……………………………………... p. 71.
PARTIE II : LE RÔLE DES USAGES DANS LA DÉTERMINATION DE LA SANCTION DES PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES …………………… p. 73.
TITRE 1 : LA METHODE DE DETERMINATION DES SANCTIONS PECUNIAIRES DE
L’AUTORITE DE LA CONCURRENCE ……………………………………… P. 75.
Chapitre 1 : La chronologie de la mise en place de la politique de détermination des sanctions par l’Autorité de la concurrence ……………………………….. p. 75.
Chapitre 2 : La politique de détermination des sanctions par l’Autorité de la concurrence …………………………………………………………………… p. 78.
TITRE 2 : LE ROLE DES USAGES DANS LA DETERMINATION DES SANCTIONS
PECUNIAIRES ……………………………………………………………. P. 94.
Chapitre 1 : Les effets aggravateurs des usages dans la détermination de la sanction par l’Autorité …………….………………………………………….. p. 94.
Chapitre 2 : Les effets modérateurs des usages dans la détermination de la sanction par l’Autorité ………………………………………………………. p. 100.
CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE ……………………………………... p. 111.
CONCLUSION GÉNÉRALE ………………………………………………………… p. 113.
BIBLIOGRAPHIE …………………………………………………………………. p. 115.
TABLE DES MATIÈRES …………………………………………………………. p. 134.
INDEX ……………………………………………………………………………... p. 138.
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INTRODUCTION
« Les meilleures lois viennent des usages. »
Joseph Joubert1.
1. - Une fois n’est pas coutume, il convient de s'attacher à l’étude des usages.
Qui plus est, « les usages et le droit de la concurrence ». Les « usages », et le « droit de
la concurrence » ?
D’un côté, les « usages », souvent délaissés, considérés comme un droit mou et obsolète,
voire une pratique moribonde plus qu’une institution en devenir2. De l’autre, le « droit
de la concurrence », une donnée économique, une liberté qui permet à des opérateurs
économiques de s’affronter en vue de la conquête d’une clientèle sur un marché. Cette
concurrence est reconnue et légitimée par des règles de droit : les règles du Droit de la
concurrence.
Par conséquent, quoi de plus paradoxal à première vue, que l’alliance de cette
notion honorable et de ces premiers, volatiles et à la force obligatoire variable ? Il serait
donc envisageable d’appliquer des dispositions « naturelles et spontanées », issues de
l’observation répétée de pratiques à des données économiques ; ce « droit mou » à des
dispositions contraignantes et codifiées par les législateurs ?
Plutôt qu’une véritable source de droit, l’usage désigne souvent une pratique
particulière à une profession (usages professionnels), à une région (usages régionaux),
où à une localité (usages locaux) et dont la force obligatoire est variable. C’est en tout
cas l’acception la plus générale, et celle retenue par Gérard Cornu3. La notion d’usage
peut être – et est bien souvent – rapprochée de conceptions voisines telles que « la
coutume » ou « l’habitude ».
1 Joubert J., moraliste et essayiste français, extrait des Pensées, 1966. 2 Mousseron P., Les usages en droit de l’entreprise, LexisNexis, 2010, parle de « dinosaure coutumier ». 3 Cornu G., Vocabulaire juridique, Presses Universitaires de France, 6e édition, Quadrige, 2004.
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(2. - Aussi étonnant soit-il, il ne convient pas de tenter de démontrer ici les
différences entre ces notions, en ce que toutes les tentatives tenant à distinguer la
coutume de l’usage sombrent souvent dans d’inutiles subtilités, des circonvolutions
obscures qui alourdissent le débat et privilégient bien trop souvent des querelles
sémantiques aux questions de fond initialement soulevées4. Ainsi, on privilégiera
l’examen des relations qui peuvent exister entre les usages et le droit de la concurrence
sur le fond, et laissera les questions de terminologie aux férus de littérature. )
Simplement, pour reprendre les termes de Philippe Fouchard et clore un débat qui n’a
jamais été ouvert, « aujourd’hui, la coutume proprement dite a perdu toute sa
consistance en droit privé, et c’est le terme d’usage qui est employé pour désigner
l’ensemble du phénomène coutumier5 ».
3. - La coutume étant définie comme « une pratique spontanément née et qui
devient règle de droit tant par sa répétition dans le temps que par sa généralisation au
sein du groupe social considéré6 », il conviendra de retenir que l’usage a exactement la
même nature juridique que la coutume, à ceci près que la coutume s’applique à tous et
sur l’ensemble du territoire national alors que l’usage se limite à un secteur
géographique ou professionnel plus restreint7.
4. - En revanche, il demeure nécessaire de préciser, de délimiter la portion de
ce qu’englobe la vaste notion « d’usage » qui sera retenue. Aussi, appliquée au droit
commercial, celle-ci doit être entendue comme une pratique ancienne, constante et
ininterrompue, acceptée et suivie par une catégorie de professionnels déterminée qui lui
reconnaissent la valeur d’une règle de droit., mais qui ne peut prévaloir en principe sur
une règle impérative.
4 Deumier P., Introduction générale au droit, Manuel LGDJ, 2010. 5 Fouchard Ph., Les usages, l’arbitre et le juge, in Études B. Goldman, Litec, 1982, p. 67. Dans le même sens : Oppetit B., Sur la coutume en droit privé, Droits 1986, n°3, La coutume, p. 39. 6 Kasirer et Noreau, Les rapports privés source de droit privé, Éd. Thémis, Montréal, 2002, p. 188. 7 Sur cette distinction, v. not. Deumier P., Le droit spontané, Économica, 2002, n°200 et s.
3
(On distingue habituellement trois types d’usages : Les usages ou la coutume
« secundum legem8 », auxquels la loi fait souvent référence, par renvoi tacite ou exprès.
Ainsi, le Code de commerce opère parfois une délégation expresse aux usages lorsqu’il
se heurte à des diversités professionnelles, et se résout à enjoindre les opérateurs
économiques à se référer aux « usages de la profession9 » ou encore aux « usages
commerciaux10 ».
Il existe également des usages « praeter legem11 », c’est à dire des usages qui vont au-
delà de la loi. En effet, ces usages ont pour rôle de combler les lacunes de la loi et sont
constitués par des pratiques réitérées par des commerçants, exprimant en termes figés et
répétitifs des règles qui rendent la loi plus précise et plus concrète12.
Enfin, il existe des usages « contra legem13 », usages qui entraînent les opérateurs
économiques à adopter des comportements contraires à la loi. )
5. - Ainsi le rapport des usages à la loi, et finalement leur valeur normative,
est au cœur de la problématique de cette étude, en ce que celle-ci pourra déterminer le
caractère positif ou négatif à attribuer aux usages.
6. - En droit international, la question ne se pose pas ou presque, en ce sens
que les usages du commerce international constituent aujourd’hui l’une des sources les
plus importantes du droit des contrats internationaux14.
En revanche, appliquée au droit de la concurrence – interne qui plus est – la notion
d’usage atteint une complexité toute autre.
7. - En effet, le droit de la concurrence – matière longtemps restée
confidentielle et peu pratiquée – a appris à conquérir l’importance qui lui est accordée
aujourd’hui graduellement, et a su s’imposer au cours des années. Son développement
8 Secundum en latin = selon, conformément à. 9 Pour exemples : Art. L. 134-5 (agents commerciaux), L. 145-14 (baux commerciaux), L. 441-6 (concurrence) C. com. 10 Pour exemples : Art. L. 145-47 et L. 511-15 CCom. 11 Praeter en latin = À côté de, le long de. 12 Déprez J., Pratique juridique et pratique sociale dans la genèse et le fonctionnement de la norme juridique, RJJ 1997, p. 799. 13 Contra = À l’encontre de. 14 Salah M. Mahmoud M., Usages commerciaux, Rép. com., oct. 2007, p. 7.
4
est essentiellement dû au renforcement des pouvoirs des autorités d’une part15, et à la
mondialisation de l’économie d’autre part ; en ce sens que celle-ci s’est accompagnée
d’une universalisation des règles et d’une application plus effective de ces dernières par
les autorités16.
À ce titre, la fin des années 1990 marque un tournant dans l’appréhension et le
développement des règles de concurrence, du fait de l’adoption et du renforcement des
règles en vigueur sous l’influence de la conclusion d’accords internationaux et de
l’intégration Européenne par de nombreux pays.
Ainsi, comme le souligne Gérard Farjat, « la concurrence apparaît de plus en
plus comme une forme d’organisation et non plus comme un état naturel, spontané,
normal17 ». Il en ressort qu’initialement, le droit de la concurrence tel qu’il était à son
avènement consistait également en un droit spontané, un droit mou, ce qui ne semble
plus être le cas désormais.
Alors, il est intéressant de se demander comment vont s’articuler ces deux sources
normatives issue de la pratique, l’une toujours à l’état « vestigial » de droit mou et
l’autre dont la puissance a été renouvelée par la codification dont elle a fait l’objet.
8. - L’étude des relations étroites qu’entretiennent les usages et le droit de la
concurrence peut sembler obsolète en ce que le recours aux usages en droit de la
concurrence ne semble quasiment, voire jamais évoqué. Toutefois, il convient de
souligner qu’à l’inverse, les usages s’avèrent parfois être un sujet brûlant qui déchaine
les passions, du moins celle d’une partie de la doctrine.
C’est sa qualité de droit souple, « mou », qui lui confère cet attrait. En effet, le droit de
la concurrence et ses modalités d’application ont eu l’occasion de s’affiner au fil des
jurisprudences et des communiqués, issus à la fois des juges du fond et de la pratique
décisionnelle des autorités de concurrence ; ce qui a eu pour effet de conférer aux
atteintes au droit de la concurrence et à leurs sanctions une certaine transparence pour
les opérateurs économiques concernés.
15 Le Conseil de la concurrence puis l’Autorité de la concurrence en mars 2009 ont pour mission de connaître de toutes les pratiques anticoncurrentielles. 16 Fourgoux J.-L., L’influence du droit de la concurrence sur le comportement des entreprises en Europe, Revue des Juristes de SciencesPo, été 2012, n° 6, p 45-51. 17 Farjat G., Pour un droit économique, PUF, Paris, 1994, p. 45.
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À titre d’illustration, on sait désormais que le fait de n’avoir pas retiré profit de la
participation à une entente n’est pas une circonstance atténuante de nature à minorer le
montant de la sanction des pratiques anticoncurrentielles.
9. - En revanche, les décisions dans lesquelles les usages sont invoqués ne
font pas légion. Et pourtant, dans le silence de la loi et de la pratique décisionnelle, cela
pourrait ouvrir une toute nouvelle voix, soit pour attraire de nouvelles pratiques sous le
champ de l’interdiction ou au contraire, pour en exempter.
Ainsi, récemment dans l’affaire du « cartel de la restauration des monuments
historiques » par exemple, les usages ont été invoqués par les conseils en charge de la
défense d’entreprises soupçonnées d’avoir organisé une entente et de se répartir les
marchés à l’occasion des appels d’offre18. Cette circonstance n’a pas été retenue par
l’Autorité de la concurrence, toutefois la décision ayant fait l’objet de recours et
pendant à ce jour devant la Cour d’appel de renvoi, il est envisageable qu’à l’occasion
du calcul de la sanction pécuniaire l’Autorité reconnaissent finalement aux usages une
influence.
En définitive, par le biais de l’analyse empirique de la pratique décisionnelle de
l’Autorité de la concurrence, lorsqu’elle est confrontée à des pratiques découlant
d’usages propres à un secteur économique, il sera possible de déduire les applications
qui pourront être faites des usages. En d’autres termes, il convient de déterminer si –
puis dans quelle mesure – les usages sont en mesure d’influer sur les comportements
des opérateurs économiques sujets au droit de la concurrence, tant au niveau de la
qualification de l’infraction au droit de la concurrence, préalable nécessaire ; qu’au
stade de l’évaluation du montant de la sanction due en cas de caractérisation de
l’atteinte aux règles du droit de la concurrence.
10. - De prime abord, il est à noter que si le droit de la concurrence est ici
étudié en général, il n’en demeure pas moins que cette étude s’axe principalement sur le
« grand droit de la concurrence », les pratiques anticoncurrentielles qui relèvent de la
compétence exclusive de l’Autorité de la concurrence. 18 Décision de l’Autorité de la Concurrence n°11-D-02 du 26 janv. 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la restauration des monuments historiques.
6
En outre, il est à souligner que les dispositions du droit français de la concurrence et
celles du droit issu de l’Union Européenne étant presque identiques – du moins
similaires sur les points qui intéressent cette réflexion – il conviendra de se limiter
principalement aux applications qui sont faites du droit français par l’Autorité de la
concurrence.
11. - Ainsi, pour se saisir d’un litige, les autorités de concurrence doivent
d’abord procéder à l’examen et la qualification de l’infraction (Titre 1) avant de pouvoir,
dans l’hypothèse où elles seraient compétentes, prononcer une sanction à l’encontre des
opérateurs économiques concernés (Titre 2). C’est dans cette perspective qu’il
conviendra de déterminer le rôle des usages sur les comportements des opérateurs
économiques, et la nature de leurs relations avec les dispositions impératives du droit de
la concurrence.
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PARTIE I : LE RÔLE DES USAGES DANS LA QUALIFICATION
DES PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES
12. - L’Autorité de la concurrence est chargée de veiller au bon
fonctionnement concurrentiel des marchés, condition sine qua non afin de garantir aux
consommateurs les meilleurs prix et le choix le plus large de produits et de services.
C’est en cela que les pratiques anticoncurrentielles sont nuisibles, en ce sens qu’elles
privent le consommateur final de choisir au meilleur prix d’une part, et d’autre part plus
généralement en ce qu’elles sont préjudiciables à l’innovation, à l’efficacité économique
et finalement à la croissance19.
Ainsi, les autorités de concurrence – le Conseil puis l’Autorité de la concurrence depuis
mars 2009 – sont compétentes pour connaître de toutes les pratiques anticoncurrentielles,
pratiques dont l’impact négatif sur le fonctionnement concurrentiel des marchés est le
plus important.
13. - Les usages suivis par une catégorie de professionnels qui lui
reconnaissent la valeur d’une règle de droit, sont parfois amenés à causer, du moins à
favoriser certains comportements anticoncurrentiels de la part des opérateurs. En effet,
ceux-ci ont acquis par la force des choses une véritable force contraignante et, consacrés
ou non, ceux-ci peuvent influer de manière négative sur les pratiques relevant du droit
de la concurrence (Titre I).
À l’inverse, certains usages sont susceptibles d’influencer les comportements de
manière positive, en modérant ceux-ci et donc a fortiori les atteintes au règles de la
concurrence (Titre II).
19 Communication sur les compétences contentieuses de l’Autorité de la concurrence, Mars 2009.
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Titre 1 : Les effets aggravateurs des usages sur le droit de la concurrence
14. - Dans la plupart des activités se trouvent, en bordure de ce qui est
habituellement règlementé, des usages perpétrés depuis des temps immémoriaux – ou
plus récents – qui demeurent dans la mémoire collective des professionnels du secteur
comme acquis, et ayant une force contraignante.
Comme il sera nécessaire de le constater, l’effet aggravateur des usages sur la
qualification des infractions au droit de la concurrence provient essentiellement du
contexte politique, économique et social dans lequel nous nous trouvons actuellement
(Chapitre 1). Il conviendra alors d’illustrer cet effet négatif des usages à travers diverses
applications casuistiques qu’il est possible de retrouver au sein des certaines branches
pour lesquelles le droit de la concurrence trouve à s’appliquer (Chapitre 2).
Chapitre 1 : Le contexte responsable de l’aggravation des
comportements anticoncurrentiels par les usages
15. - Par « contexte », il convient d’entendre en fait l’étude de la place des
usages au cœur de notre société à travers le prisme de l’accroissement des
réglementations relatives au droit de la concurrence. Autrement dit, il s’agit donc
d’abord de déterminer d’où provient la valeur normative des usages (Section n°1), avant
d’en déduire dans quelle mesure celle-ci a pu conduire les opérateurs économiques à
penser que les pratiques qu’ils avaient l’habitude d’exercer n’étaient pas concernées par
les nouvelles règlementations plus strictes et qu’ils pouvaient continuer à en tenir
compte (Section n°2).
9
Section n°1 : La force contraignante des usages, habituellement accordée
en raison de leur répétition et de leur longévité
16. - Comme il a été souligné ci-avant, la définition de l’usage retenue pour
cette étude sera celle de l’usage source de droit commercial, à savoir une règle générale,
constante et ancienne suivie par une catégorie de professionnels qui lui reconnaissent la
valeur d’une règle de droit. Il sera donc nécessaire d’envisager dans quelle mesure
l’usage peut apparaître comme étant contraignant au même titre qu’une règle de droit
(§1), avant de le confronter avec la loi, afin de déterminer quelle est sa place réelle dans
la hiérarchie des normes (§2).
§1 : L’usage, une pratique ayant vocation à constituer une règle de droit
17. - A priori, l’usage tire sa force obligatoire de sa définition même, en ce
sens qu’il est acquis que celui-ci doit trouver, aux yeux des professionnels concernés, la
valeur d’une règle de droit afin de pouvoir être considéré comme tel.
Ainsi, avant de se lancer dans une activité, le professionnel doit s’être renseigné
auprès des professionnels du même secteur sur les usages en vigueur, ceux-ci pouvant
lui être opposés s’ils n’ont pas été expressément écartés20. Il ressort de cette observation
que l’usage dispose, en matière commerciale surtout, d’une véritable force
contraignante et qu’il est même d’applicabilité automatique du simple fait de
l’appartenance à une profession.
La théorie des sources de droit – essentiellement tirée de la doctrine positiviste –
relève que « la séparation radicale entre le fait et le droit, entre le domaine de « l’être »
et du « devoir être » empêche de considérer qu’un usage, c’est à dire une simple
pratique puisse accéder au rang de règle de droit21 ». Ainsi à première vue, il
semblerait que l’usage ne puisse impacter les comportements des opérateurs
20 Cass. Com. 17 mai 1988, n°86-17.708. 21 Salah M. Mahmoud M., Usages commerciaux, Rép. com. Dalloz, oct. 2007, p. 5.
10
économiques de la même manière que le ferait une prescription législative ou
règlementaire.
(Toutefois, comme il a déjà été démontré, il semble que l’usage trouve tout de
même une force juridique. Deux conceptions doctrinales s’opposent quant à l’origine de
cette force contraignante : celle-ci serait due à son acceptation expresse ou tacite, c’est-
à-dire l’opinio juris seu necessitatis, comme l’affirmait François Gény, ou à la
consécration des usages par la jurisprudence comme le soutient à la suite d’Édouard
Lambert, une partie de la doctrine moderne22.
En réalité, il semblerait que ces deux conceptions soient fondées, même si elles ne sont
pas non plus tout à fait exactes. En effet, même s’il n’est pas contestable que
l’intervention du juge constitue un signe précieux de reconnaissance et d’effectivité de
l’usage, il est nécessaire de souligner que celui-ci est en mesure d’exister en dehors de
toute consécration par le juge, voire de s’imposer malgré une jurisprudence parfois
hostile à son émergence.)
18. - Quoi qu’il en soit, il apparaît comme évident que de par sa répétition, sa
longévité et du fait qu’ils apparaissent comme impératifs pour ceux qui les appliquent,
les usages sont perçus de manière générale par ceux concernés comme contraignants et
comme ayant une véritable force juridique. Il conviendra alors de confronter la manière
dont ils sont perçus avec la réelle force dont ils disposent à l’occasion, par exemple,
d’un conflit avec la loi.
22 En ce sens, voir : Loquin É., La réalité des usages du commerce international, RID éco. 1989, p. 163.
11
§2 : L’usage, une pratique ayant une force juridique : confrontation avec la loi
19. - Comme il a été exposé dans les propos introductifs, plusieurs types
d’usages sont à distinguer. En effet, la loi renvoie souvent à l’usage de façon expresse et
directe ou tacite et indirecte. Dans l’hypothèse où le renvoi est exprès, l’usage aura la
force que le législateur lui confère. Il peut alors s’agir d’une force de loi supplétive23, de
loi impérative24, ou d’un simple élément permettant l’appréciation de la légitimité d’un
droit25.
Le problème est plus délicat lorsque le renvoi de la loi à l’usage est indirect. C’est
notamment le cas lorsqu’il s’agit d’interpréter des standards juridiques, comme la faute
en matière professionnelle26.
20. - (Toutefois, c’est dans les cas où il n’y a ni renvoi direct ni renvoi
indirect que l’appréciation de la portée des usages est la plus ardue.
Confronté à une loi supplétive, il ne fait pas de doute que l’usage l’emporte, en ce sens
que celle-ci n’intervient que pour compléter la volonté des parties et qu’en présence
d’un usage en adéquation avec les besoins du commerce incorporés au contrat, elle doit
être écartée27.
Confrontés à une disposition d’un texte impératif, le Conseil d’Etat et la Cour de
cassation ont tendance à rejeter fermement toute reconnaissance de l’usage contra
23 Pour exemple : Les usages auxquels se réfère la loi du 13 juin 1866 concernant les usages commerciaux peuvent être écartés par la convention des parties. 24 Pour exemples : Il n’est pas possible de déroger par une convention aux usages de la profession auxquels se réfère l’art. L. 441-6 du Code de commerce qui impose à tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur de communiquer (par tout moyen conforme aux usages de la profession) à tout acheteur de produit ou demandeur de prestations de services pour une activité professionnelle qui en fait la demande ses conditions générales de vente (barème des prix contraires, réduction des prix, condition de règlement). De même, il n’est pas non plus possible, sous peine d’engager sa responsabilité civile, pout un « producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement une relation commerciale établie sans préavis écrit respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce (C. com., art. L. 442-6 I. 5°). 25 Pour exemple : L’art. L. 145-47 du Code de commerce en matière de baux commerciaux prescrit aux juges saisis d’une demande de « déspécialisation simple » de se prononcer sur le bien-fondé de l’activité envisagée par le locataire « en fonction notamment de l’évolution des usages commerciaux ». 26 Salah M. Mahmoud M., op. cit., p. 11. 27 Gény F., Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, t. 1, 1954, LGDJ, p. 40 et s.
12
legem28, alors même qu’en pratique, la jurisprudence a déjà fait prévaloir l’usage de la
solidarité commerciale antérieur au code de commerce et maintenu depuis.)
21. - En somme, il semblerait que la primauté de l’usage commercial sur la loi
civile ne soit jamais un dogme établi mais bien livré à l’interprétation des juges, même
s’il demeure légitime que les opérateurs confrontés au quotidien à ces usages trouvent
en eux une force obligatoire de par leur longévité et surtout la croyance qu’ils ont en
son caractère impératif. Parce qu’il en a toujours été ainsi, les opérateurs économiques
sont persuadés que s’ils suivent à la lettre les comportements prescrits par les usages,
aucune infraction ne pourra leur être reprochée.
Ils attribuent ainsi la même force obligatoire, aux usages et à la loi, voire estiment que
les usages leur permettent de déroger à certaines règles impératives pourtant codifiées et
obligatoires. Ils estiment que c’est une sorte de faveur, de marge de tolérance qui est
accordée à propos de certaines pratiques.
22. - C’est en partie pour cela que les effets aggravateurs des usages sur le
droit de la concurrence se sont multipliés aujourd’hui, dans un contexte où les
règlementations se multiplient à grande vitesse pour tenir compte de toutes les nouvelles
pratiques adoptées.
28 Cass. com. 9 févr. 1953, Bull. civ. III, n°62 et CA Paris, 12 nov. 1992, D. 1992, somm. 321 : « S’il paraît accepté que l’usage peut écarter une règle de droit supplétive ayant la valeur et la portée d’une convention tacite, il ne peut déroger aux règles posées de façon impérative par la loi ».
13
Section n°2 : La réglementation accrue de certaines pratiques autrefois
tolérées
23. - (À travers la refonte des articles L. 410-1 et suivants du Code de
commerce, et dans un contexte de mondialisation et de favorisation de la libre
concurrence, on assiste à une dérèglementation de la matière commerciale – notamment
avec la loi Royer – qui conduit à une modification des comportements des différents
opérateurs économiques.)
24. - En dépit de cela, une dose de régulation, voire d’autorégulation s’est
immiscée. En outre, une des répercussions de la nouvelle conception du droit de la
concurrence consiste en ce que certaines pratiques autrefois autorisées, tolérées ou non
règlementées font aujourd’hui l’objet d’une interdiction et sont considérées comme
anticoncurrentielles. Toutefois, par habitude, et surtout par intérêt, certains opérateurs
économiques continuent d’agir de la même manière, en respectant les mêmes usages qui
leur permettaient jadis de bénéficier d’une certaine marge de tolérance.
25. - En effet, ceux-ci restent persuadés que les usages font l’objet d’une sorte
de réglementation parallèle, qui n’est pas atteinte par les dispositions impératives des
nouvelles règlementations. Ils estiment être face à deux sortes de droits qui se rejoignent
parfois mais qui sont indépendants les uns des autres.
Par ailleurs, de part le pouvoir conféré – à tort ou à raison – aux usages, qu’il a
été permis d’observer dans les propos introductifs et qui sera développé par la suite, ces
opérateurs ont acquis la certitude que les pratiques qu’ils continuent d’utiliser sont
admises.
26. - Ainsi, il semble que les opérateurs économiques – peu importe le secteur
économique auquel ils sont rattachés – ne tiennent pas ou peu compte des nouvelles
règlementations, dans la mesure où ils estiment que celles-ci ne sont que supplétives et
ne trouvent pas à s’appliquer en présence d’un usage. Cette perception – erronée dans la
plupart des cas – provient essentiellement de la force contraignante accordée aux usages
14
en raison de leur répétitivité et de leur ancienneté, et du fait qu’ils soient communément
admis par tous les membres d’une même catégorie professionnelle.
27. - Il ressort de ces observations que, comme il conviendra de le constater,
certains usages peuvent conduire les opérateurs économiques à adopter des
comportements anticoncurrentiels, notamment en ce sens qu’ils les conduisent à
enfreindre des règles élémentaires et à porter directement atteinte à la libre concurrence
en se croyant protégés par la constance des usages. Il est désormais temps
d’appréhender de manière plus pragmatique ces exemples de comportements
anticoncurrentiels ayant pour origine un usage.
15
Chapitre 2 : Les exemples de comportements anticoncurrentiels dus
pour tout ou partie aux usages
28. - Ce second chapitre, essentiellement porté sur l’étude casuistique des
usages relevés dans certains secteurs comme pouvant entraîner des comportements
susceptibles de porter atteinte à la concurrence, sera consacré d’une part à l’appréciation
des atteintes au droit de la concurrence du fait de l’application d’usages (Section n°1) et
d’autre part du fait de leur diffusion (Section n°2).
Section n°1 : L’effet aggravateur des usages par leur application
29. - Plusieurs usages peuvent s’apparenter à des « actions concertées,
conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions » et ainsi conduire les
opérateurs à adopter des pratiques ayant pour objet ou pour effet de restreindre le jeu de
la concurrence, au sens des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 §1 du TFUE.
Il n’y a pas de règle générale prévoyant des conditions selon lesquelles un usage
pourrait conduire à un comportement anticoncurrentiel, toutefois une telle configuration
peut être observée dans de nombreux cas, tels que ceux des opérations commerciales
réalisées par le biais d’intermédiaires (§1), dans la production agricole, souvent soumise
à une tradition très forte (§2) ; ainsi qu’à travers les méthodes de distribution en général
(§3).
§1 : Les usages relevés dans les relations commerciales réalisées par le
biais de mandats
30. - Le mandat est un contrat par lequel un mandant donne à un mandataire le
pouvoir de réaliser un ou des actes juridiques en son nom et pour son compte. Celui-ci
est très souvent utilisé dans le cadre de relations commerciales, telles qu’observées
notamment dans le domaine des assurances (I) ou encore de la publicité (II).
16
I/ Les usages du courtage d’assurances
31. - (Le courtier d’assurances peut être défini comme « une personne
physique ou morale possédant la qualité de commerçant et habilitée à réaliser des
activités d’intermédiation en assurance29 ». Ainsi, celui-ci assure un rôle de conseil
auprès des assurés et négocie librement les contrats avec les entreprises de son choix. Le
plus souvent, les courtiers d’assurances sont donc les mandataires des souscripteurs et
des assurés, pour l’exécution des contrats ainsi que le règlement des sinistres.
32. - L’activité de courtage d’assurances fait l’objet d’usages, véritables
normes supplétives reconnues comme s’appliquant entre professionnels, constatés
unilatéralement en 1935 par le syndicat national des courtiers d’assurance30. À cet égard,
il convient de rappeler que la Cour de cassation a jugé a plusieurs reprises que la
reconnaissance de l’existence et l’application des usages relevaient du pouvoir
souverain des juges du fond, qui n’étaient pas tenus de préciser les éléments d’où
résultait l’usage dont il était question31.
Ces usages, annexés au Code des assurances sous le titre « Constatation des
usages du courtage d’assurances terrestres », comportent essentiellement des règles de
loyauté entre courtiers, de non-discrimination des entreprises d’assurance vis-à-vis des
courtiers et des règles de rémunération.)
L’usage qui reconnaît à un assureur la possibilité de refuser d’entrer en
négociation avec un courtier pourrait constituer une pratique anticoncurrentielle en ce
sens qu’il reconnaît implicitement la possibilité pour l’assureur d’éliminer les courtiers
non sélectionnés32. Toutefois, en pratique, ce comportement n’est pas condamné en ce
29 Delamare-Deboutteville C.-É., Les intermédiaires d’assurance, Lamy Assurances 2014, point 4740. 30 Delamare-Deboutteville C.-É., op. cit., point 4745. 31 Cass. civ. 1e, 27 nov. 1973, n°72-11.443. RGAT 1974, p.357 et Cass. civ.1e, 3 juin 1980, n°79-10.551, RGAT 1981, p. 367. 32 Monin Lafin,I. Droit & Technique – Intermédiaires d’assurance, La distribution à l’épreuve du droit de la concurrence, La Tribune de l’Assurance, 15 déc. 2004.
17
que le refus d’agrément est justifié par des considérations objectives tendant à écarter
les intermédiaires peu fiables ou inefficaces33.
33. - En revanche, comme le soulignent certains auteurs, « l’usage selon
lequel le courtier apporteur d’une police a droit à la commission, non seulement sur la
prime initiale mais encore sur toutes les primes qui sont la conséquence des clauses de
cette police, est d’avantage susceptible d’avoir des effets anticoncurrentiels34 ». Ce sont
les troisième et quatrième usages du courtage qui ont pour objet de préciser les droits à
commission du courtier apporteur.
Dans son quatrième alinéa, le troisième usage prévoit que « lorsque le
remplacement est accordé à un nouveau courtier porteur d’un ordre de remplacement
non accompagné d’une dénonciation régulière de la police à remplacer, le courtier
créateur conserve son droit à la commission sur toutes les primes du nouveau contrat à
concurrence du chiffre de celles qu’il a apportées ».
34. - Le Conseil de la concurrence, par une décision en date du 13 décembre
200035, relève que celui-ci est susceptible d’affecter la concurrence sur le marché des
opérations d’assurance vie et de capitalisation dans la mesure où « le droit à
commission est inhérent à la police d’assurance et que son éventuel transfert, en l’état
actuel de la jurisprudence, se trouve conditionné par la conclusion d’une nouvelle
police à laquelle il serait dès lors lié. Or, si la résiliation d’une police d’assurance
dommages à durée déterminée et brève pose peu de problèmes en pratique, il n’en va
pas de même pour les polices d’assurance vie à durée plus longue ou indéterminée qui
sont assorties en outre d’avantages fiscaux susceptibles d’être perdus en cas de
résiliation anticipée. »
33 Bigot J., Langé D., L’intermédiation d’assurance, LGDJ, 2e éd. 2009, spéc. Titre II par Langé D., n°804, p. 611. 34 Brès A., Broussy C. et Clamouse G., Les usages en matière d’assurance, in Les usages en droit de l’entreprise, LexisNexis, 2010, p. 203. 35 Décision du Conseil de la Concurrence n°00-D-62 du 13 déc. 2000 relative à l’incidence des usages du courtage sur la situation de la concurrence dans le secteur des opérations de l’assurance sur la vie et de capitalisation, BOCC 19 janv. 2001.
18
Il ressort qu’en l’espèce, les usages en cause n’ont pas permis au Conseil de
poursuivre les compagnies visées. En effet, aucune pratique anticoncurrentielle n’a pu
être caractérisée dans la mesure où les compagnies avaient atténué d’elles-mêmes les
effets anticoncurrentiels d’un tel usage, en l’aménageant de façon à faciliter le transfert
du droit de commission d’un courtier à un autre dans l’intérêt des assurés.
35. - (Il n’en reste pas moins que ces pratiques sont susceptibles d’affecter la
concurrence sur ces marchés à deux niveaux.
D’une part, il existe un fort risque que les nouveaux courtiers d’assurances se
désintéressent du marché concerné, sachant qu’en cas de non-dénonciation régulière ils
ne seront fondés à recevoir aucune prime, celle-ci restant due au courtier créateur ; et
d’autre part, les assurés peuvent être contraints de ne pas changer de courtier, de peur
qu’une telle modification ne conduise à la résiliation de leur contrat d’assurance vie et
subséquemment à la perte de tous les avantages fiscaux escomptés.
Ainsi, les courtiers créateurs détiendraient un monopole sur les contrats d’assurance vie
déjà conclus, monopole conduisant inexorablement à une cristallisation du marché des
opérations d’assurance sur la vie et de capitalisation.)
36. - Par conséquent, il ne fait aucun doute qu’en théorie, cet usage de
courtage d’assurances est anticoncurrentiel par ses effets en ce qu’il créerait un
monopole au profit des courtiers créateurs. Toutefois, il est nécessaire d’observer qu’en
pratique, aucune compagnie de courtage en assurance n’a été condamnée à ce jour pour
l’application de cet usage, dans la mesure où celui-ci est aménagé à la fois par les
compagnies d’assurance et par les courtiers eux-mêmes.
Il est également possible de remarquer que d’autres usages peuvent conduire les
opérateurs économiques à adopter des comportements anticoncurrentiels dans des
secteurs plus lointains de celui du courtage en assurances, mais dans lesquels il est
également usuel de passer par le biais d’intermédiaires, comme celui de la publicité.
19
II/ Les usages des intermédiaires de publicité
37. - (En théorie, une entreprise désirant faire de la publicité dispose du choix
d’avoir recours ou non à un intermédiaire. Toutefois en pratique, il est fréquent que les
annonceurs fassent appel à des professionnels spécialisés pour l’élaboration d’une
campagne publicitaire : les agences de publicité.
Ces agences ont vocation à s’occuper de tous les aspects de la communication
publicitaire et leurs missions peuvent être multiples, allant du rôle de conseil en
stratégie publicitaire à l’achat d’espace ou de temps auprès de régies publicitaires, en
passant par la conception et la création. )
38. - C’est ce rôle d’intermédiaire que la loi Sapin du 29 janvier 1993 a voulu
clarifier36. En effet, jusqu’à son entrée en vigueur, les relations juridiques entre
annonceurs et agences reposaient sur la liberté contractuelle avec application, à défaut
de volonté contraire des parties, des dispositions d’un contrat-type du 19 septembre
1961 traduisant les usages professionnels. Même si, comme il a été exposé ci-avant,
certains considèrent que les contrats-types ne peuvent pas constituer des usages en ce
sens qu’ils n’attestent pas de pratiques antérieures mais préconisent des comportements
pour l’avenir ; il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce cela semble être le cas, en ce
que le contrat-type de 1961 traduit des usages professionnels répétés et généraux.
39. - Ainsi, ce contrat retranscrit « les différentes missions de l’agence, les
missions de conception et création des campagnes et celles liées à leur diffusion,
notamment par l’achat d’espace publicitaire37 ».
Selon un avis rendu avant la promulgation du contrat-type, les experts du secteur ont
entrepris d’établir celui-ci afin « d’affirmer dans les relations entre annonceurs et
agents de publicité, un climat de confiance indispensable à une bonne collaboration et
à définir, dans les conditions actuelles, les bases équitables dont pourraient s’inspirer
36 Loi n°93-122 du 29 janv. 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. 37 Lestrade B., Publicité et promotion des ventes, le cadre juridique, la Villeguérin – La revue fiduciaire 1995, p. 234.
20
les accords qu’ils concluent38 ». Toutefois, l’apport majeur de cet avis ne réside pas
dans l’élaboration d’un contrat type mais dans l’appréciation qui est faite de la force
obligatoire du contrat.
40. - En effet, les experts considèrent que « en l’absence de tels accords ou en
leur silence sur certains points, les dispositions du contrat-type devraient régler les
rapports entre annonceurs et agents de publicité ». Ainsi, il semblerait que les experts
du secteur aient souhaité conférer à ce simple usage une force obligatoire, l’ériger
même au rang de cadre supplétif en cas de silence des parties39.
La jurisprudence quant à elle n’est pas en reste, même s’il apparaît qu’elle
demeure hésitante quant à la force obligatoire à accorder à cet usage. En effet, jusqu’en
1997, il était constant de juger que le contrat-type était applicable du fait qu’il entraînait
la création d’un usage constant de la profession. Depuis, la Cour de cassation a eu
tendance à casser les décisions de cours d’appel « qui n’avaient pas recherché si
l’auteur de la rupture était bien informé des usages invoqués40 », allant même jusqu’à
sanctionner si l’agence n’apportait pas la preuve de l’acceptation de l’usage par
l’agence41.
Toutefois, en 2004, le Tribunal de commerce de Bobigny considérait que « la société
étant en relations constantes avec de grandes agences de publicité (…) ne pouvait
ignorer les usages de la profession42. »
41. - Il résulte de ces observations que les juges ont eu à maintes reprises
l’occasion d’éprouver le caractère contraignant de l’usage consistant à l’utilisation du
contrat-type dans le secteur de la publicité. Or, celui-ci ne prévoit aucune indemnité de
fin de contrat.
38 Avis relatif à la formule type de contrat établi en application de l’arrêté du 15 déc. 1959 entre annonceurs et agents de publicité pour régler leurs rapports, art. 1er al. 1er, JO 19 sept. 1961. 39 Fabre R., Bonnet-Desplan M.-P., Genty N. et Sermet N., Droit de la publicité et de la promotion des ventes, Dalloz 2014-2015, p. 605. 40 Cass. Com., 16 déc. 1997, n°95-18.586, Bull. civ. IV, n°339. 41 Cass. Com., 4 janv. 2000, n°97-11.154, NP. 42 T. com. Bobigny, 5 mars 2004.
21
42. - Pourtant, dans ce secteur, il est d’usage que lorsqu’un intermédiaire perd
l’un de ses clients au profit de l’un de ses confrères, celui-ci est fondé à réclamer au
confrère concurrent une réparation pécuniaire appelée « indemnité de dépossession43 ».
Conçue comme une technique de dédommagement, cette indemnité participe à la
tendance des professions commerciales et libérales à faire reconnaître pour chacun de
leurs membres un droit de clientèle. Selon Emile Arrighi de Casanova, elle
ambitionnerait même « d’assurer au profit des intermédiaires de publicité la protection
du terrain conquis et organise à cette fin un droit de créance contre tout bénéficiaire
d’un client qui vient de les quitter44 ».
43. - (Il semble évident que cette indemnité comporte de multiples incidences
pécuniaires, nécessairement sur l’entreprise sollicitée afin de s’en acquitter du montant,
mais également sur les autres opérateurs économiques du marché de la publicité. En
effet, s’il appartient aux industriels et aux commerçants de résilier le contrat et ainsi
d’ouvrir droit à l’indemnité de dépossession au profit de l’intermédiaire qu’ils
abandonnent, il n’est pas indifférent aux entreprises disposant de ces supports
publicitaires que cette indemnité joue un rôle de frein aux changements de publicitaires
par l’annonceur.)
44. - Ainsi, alors même que la légitimité de cet usage n’avait pas été remise en
cause depuis sa codification, le Tribunal de commerce de la Seine a été saisi dans un
contexte où les pouvoirs publics étaient très attachés à règlementer la concurrence afin
qu’elle ne se détruise pas elle même45. Ce dernier a refusé de reconnaître à l’usage de
l’indemnité de dépossession une force de loi en invoquant l’absence d’adhésion des
annonceurs. En outre, il vit en cette indemnité la source d’une atteinte à la liberté du
commerce et de l’industrie par le poids de la charge financière imposée au publicitaire
nouvellement choisi.
43 Code des usages de la publicité, élaboré d’un commun accord entre la Fédération française de la publicité et la Fédération nationale de la presse française en 1921. 44 Arrighi De Casanova E., L’indemnité de dépossession dans les rapports entre intermédiaires de publicité, in Dix ans de conférences d’agrégation, Études de droit commercial offertes à Joseph Hamel, Dalloz 1961, p. 459. 45 T. Com. Seine, 28 mai 1956, Soc. Agence Havas c/ Soc. Opéra Publicité, NP.
22
(Par la suite, le débat autour de la validité d’un tel usage a occupé les juridictions
administratives, opposant ainsi deux intérêts antagonistes : ceux de la profession
attachée à organiser un droit de clientèle dans le but de permettre une capitalisation des
fruits du travail ; et ceux des tenants stricts du respect de la libre concurrence, pour qui
les clients doivent pouvoir changer de fournisseur en rémunérant les services fournis et
eux seuls.)
La question à laquelle il s’agissait de répondre, était la suivante : « Si l’indemnité de
dépossession pèse directement ou indirectement sur les prix de publicité, et par voie de
conséquence sur les prix tout court, n’est-ce pas dans les limites compatibles avec le
niveau auquel ces derniers doivent s’établir à raison des exigences d’une économie de
marché ? ».
45. - Dans cette optique, la Commission technique des ententes a identifié,
dans un avis du 4 janvier 1958, deux usages susceptibles de comporter un effet
anticoncurrentiel dans le secteur de la publicité46 :
46. - (D’une part, les usages prévoyant les conditions d’attribution de la carte
d’accréditation et les modalités de calcul et de paiement des commission peuvent
comporter ou entraîner des effets restrictifs de concurrence en ce qu’ils restreignent
l’accès au marché de la publicité. En effet, dans l’hypothèse où un intermédiaire de
publicité voudrait intégrer ce secteur, celui-ci pourrait en être largement dissuadé par le
fait qu’il ne possède pas de carte lui permettant d’exercer ladite activité. )
Il est ici possible de réaliser un parallèle avec la validation par la Cour de cassation de la
cession de carte par le VRP, sous réserve que celui-ci renonce au bénéfice de
l’indemnité de clientèle à laquelle il peut prétendre et que l’employeur donne son accord
à cette cession47. En effet aujourd’hui, cette conception est non seulement acceptée,
mais également entérinée par la loi, alors même que celle-ci restreint l’accès au marché
pour les nouveaux entrants dans la profession. Par conséquent, il ne serait pas superflu
46 Avis de la Commission technique des ententes du 4 janv. 1958 relatif aux ententes professionnelles dans le domaine de la publicité. 47 Cass. Soc., 17 déc. 2002, pourvoi n°01-01.188 : « Un VRP peut être autorisé à céder la valeur de la clientèle qu’il a apportée, créée ou développée pour son entreprise, sous réserve qu’il renonce au bénéfice de l’indemnité de clientèle à laquelle il peut prétendre et que l’employeur ait donné son accord à ladite cession ».
23
de rouvrir le débat quant à l’appartenance de la clientèle et l’indemnité qui en résulte en
cas de rupture du contrat dans le domaine des intermédiaires de publicité à la lumière
des évolutions législatives et jurisprudentielles du statut de VRP. Par ailleurs, il serait
également envisageable de permettre aux intermédiaires de publicité de prétendre à
l’indemnité légale à laquelle les agents commerciaux peuvent prétendre au titre de la
compensation de la perte du mandat d’intérêt commun.
47. - D’autre part enfin, l’indemnité de dépossession peut occasionner des
effets anticoncurrentiels ou restrictifs de concurrence en ce sens qu’elle est susceptible
de décourager les candidats potentiels de postuler dans la profession, de crainte de
s’endetter, ainsi que d’entraîner les annonceurs à ne pas changer de publicitaire, de telle
sorte que ces derniers seraient protégés contre l’entrée en lice de nouveaux concurrents.
48. - Face à de telles conséquences sur le droit de la concurrence, c’est dans
ces conditions que les indemnités de dépossession longtemps usitées dans le secteur de
la publicité ont été condamnées par la Commission technique des ententes.
Cependant, même s’il a été démontré que de nombreux usages pratiqués dans le cadre
de relations commerciales par le biais d’intermédiaires ont été sanctionnés, en ce qu’ils
aggravaient des comportements déjà pour tout ou partie anticoncurrentiels ; il convient
de souligner que les contentieux les plus importants en la matière relèvent tout de même
du secteur de la production agricole.
§2 : Les usages relevés dans la production agricole
49. - L’agriculture a débuté il y a 10 000 ans au Moyen-Orient, en Iran, en
Méso-Amérique et en Nouvelle-Guinée, avec la révolution néolithique. La population
agricole active serait aujourd’hui d’environ 1,34 milliard de personnes – soit près de la
moitié de la population active mondiale – en dépit de l’exode rural massif. Par
conséquent, elle constitue un pan important de l’économie mondiale, dont le savoir-faire
peut remonter à des temps immémoriaux.
Toutefois, il convient de rappeler que la production et la distribution agricole étant
intrinsèquement liées à l’économie politique dans un environnement global, certains
24
usages reproduits génération après génération – ou beaucoup plus récents – peuvent
aujourd’hui constituer un comportement anticoncurrentiel. C’est le cas notamment des
usages pratiqués dans la fabrication et l’installation de presses à fromage (I) ou encore
la fabrication de produits bénéficiant d’une appellation d’origine (II).
I/ Les usages dans la fabrication et l’installation de presses à fromage
50. - L’évocation du secteur des presses à fromage peut faire sourire en ce que
celui-ci paraît très restreint, voire anecdotique ; toutefois, il est nécessaire de prendre
conscience ici que c’est l’un des exemples les plus flagrants d’usages entraînant
directement une atteinte au droit de la concurrence. En effet, c’est l’un des rares cas où
un usage a pu entraîner une sanction pour laquelle la justification par un gain
d’efficience économique n’a pas été suffisante.
(Ainsi, dans le secteur de la fabrication industrielle du reblochon, plusieurs
méthodes de pressage sont utilisées. En effet, les fromageries ont été amenées à
rechercher des méthodes de pressage plus productives pour faire face à la demande
grandissante. Face à cet impératif, la société Châlon-Mégard a développé des systèmes
tels que le pressage par barres de poids à mise en place manuelle ou mécanisée, protégé
par un brevet d’invention.
Il est d’usage que ce soit la société détentrice du brevet qui procède à la fourniture et à
l’installation de cette presse. En effet, il semble difficile pour une entreprise ne
disposant pas des droits d’utilisation de cette invention de procéder à son installation. )
51. - C’est dans ce contexte que le Conseil de la Concurrence a rendu une
décision le 11 mars 199748. En effet, sur les vingt opérations de création ou de
modernisation des fromageries fabriquant du reblochon – et alors même qu’il existait
quatre autres installateurs de fromagerie dans la région – la société Châlon-Mégard en a
réalisé quinze.
48 Décision du Conseil de la concurrence n°97-D-16 du 11 mars 1997 relative aux pratiques de la société Châlon-Mégard sur le marché de l’installation de fromageries fabriquant du fromage de reblochon.
25
En outre, ladite société a fait l’usage de procédés déloyaux tels que l’exercice de
pressions, la prise de retard concernant des commandes de presses dites « classiques »,
la modification des prix initialement communiqués ou l’imposition de délais de
livraison.
52. - Ainsi, le Conseil a décidé en l’espèce que l’usage dont il était question a
eu pour objet et pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de
la fabrication et l’installation de presses à fromage dans le secteur du fromage de
reblochon. A cet égard, le Conseil a souligné « qu’à supposer même qu’il soit d’usage
dans la profession de confier la responsabilité de la mise en place d’équipements pour
la fabrication de reblochons à un seul installateur, aucune disposition réglementaire ne
l’impose ».
(Cette décision est justifiée du fait que l’usage selon lequel seule une société est
fondée à procéder à l’installation de « presses étagées » – alors même que ce procédé
est désormais rendu nécessaire au regard des exigences de qualité, de sécurité et de
production – empêche ses concurrents actuels ou potentiels d’accéder à ce marché. Le
Conseil conclue même à un abus de position dominante de la part de cette société, en ce
qu’elle crée une barrière à l’entrée, elle empêche ses concurrents d’accéder à des
facilités essentielles et condamne donc à ce titre la société Châlon-Mégard au paiement
d’une sanction pécuniaire.)
53. - Ainsi, il ressort de ces observations que les usages propres au secteur de
la fabrication et l’installation de presses à fromages peuvent conduire ses opérateurs à
adopter des comportements anticoncurrentiels et ainsi se voir condamner au paiement
d’une sanction pécuniaire par les autorités de concurrence, comme cela peut être
également le cas pour la fabrication de produits bénéficiant d’Appellations d’Origine
Contrôlée ou Protégée (AOP/AOC).
26
II/ Les usages dans la fabrication de produits bénéficiant d’une
appellation d’origine
54. - Bien que leur rôle soit aujourd’hui beaucoup moins important qu’au
siècle dernier, les usages locaux n’en continuent pas moins d’exercer une large
influence. Le législateur y renvoie lui-même quelques fois, comme c’est le cas pour
l’article 1er de la loi du 6 mai 1919 relative aux appellations et aux indications d’origine
qui prévoit que « les usages locaux, loyaux et constants » peuvent fonder une
Appellation d’Origine.
55. - (Initialement régies par le seul droit national, les appellations d’origine
et autres signes de valorisation agricole sont maintenant réglementés en droit
communautaire depuis l’adoption du règlement (CEE) du Conseil en date du 14 juillet
199249, remplacé par la suite par le règlement (CE) du 20 mars 200650.)
En droit communautaire, l’Appellation d’Origine Protégée (AOP) est décernée à
certains produits agricoles – autres que les vins et spiritueux – et peut être tirée du nom
d’une région ou d’un lieu déterminé. Cette appellation désigne « un produit agricole qui
est originaire de la région, dont la qualité ou les caractères sont dus essentiellement ou
exclusivement au milieu géographique comprenant des facteurs naturels et humains et
dont l’élaboration a lieu dans l’aire géographique concernée ». Ainsi, hormis dans le
secteur des vins et spiritueux, les AOC françaises font désormais systématiquement
l’objet d’une demande d’enregistrement en temps qu’AOP.
En droit interne, un décret loi du 30 juillet 1935 pose les principes du système
des Appellations d’Origine Contrôlée (AOC), tels qu’ils existent encore aujourd’hui.
L’article L. 115-1 du Code de la consommation précise la définition de l’AOP, qui
consiste en « la dénomination d’un pays, d’une région et d’une localité, servant à
désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au
49 Règlement CEE n°2081/92 du Conseil du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JOCE L. 208, p. 1). 50 Règlement CE n°510/2006 du 20 mars 2006 (JOUE L. 93, p. 12).
27
milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains ». La
reconnaissance d’une AOC se fait par décret.
56. - Une des spécificités de ces Appellations d’Origine réside en leur
ancienneté. En effet, pour la plupart, celles-ci relèvent de décrets remontant à des temps
passés, attestant de la technique et du savoir-faire ancestraux que les hommes d’une
autre époque avaient pour habitude d’utiliser.
C’est ce caractère ancien, ancré dans les mœurs, qui justifie la place qui sera apportée à
ces Appellations dans cette étude. En effet, au sein des spécificités techniques propres à
chaque appellation et règlementées par décret se sont immiscées des pratiques plus
officieuses, mais perçues par ceux qui les appliquent comme aussi contraignantes et
nécessaires que celles faisant l’objet d’une réglementation.
57. - Parfois, il arrive que ces usages n’aient aucune conséquence négative sur
le droit de la concurrence. En revanche, dans d’autres cas, ceux-ci peuvent constituer de
véritables pratiques anticoncurrentielles, en ce que l’accès au marché et la libre
concurrence sont figés dans le secteur géographique concerné.
Le Conseil de la concurrence a eu l’occasion de se prononcer sur ces Appellations à
plusieurs reprises.
58. - Ainsi, par une décision du 28 avril 1992, le Conseil a pu relever certaines
pratiques anticoncurrentielles dans l’aire géographique de l’Appellation d’Origine
« Cantal »51. En effet, il a été mis en évidence que le Comité Interprofessionnel des
Fromages (CIF) avait proposé de limiter l’offre annuelle de cantal pour 1987 et
préconisé une formule de répartition des productions entre les entreprises.
En outre, dans le même temps ce dernier a également proposé aux producteurs de cantal
une « convention de régulation », leur permettant de bénéficier d’une aide forfaitaire sur
une partie du lait d’origine cantal collecté par ses soins, à la condition que ceux-ci
respectent la limitation proposée par le CIF.
51 Décision du Conseil de la concurrence n°92-D-30 du 28 avr. 1992 relative à des pratiques du Comité interprofessionnel des fromages produits dans le département du Cantal et dans l’aire géographique de l’appellation d’origine « Cantal ».
28
Alors même que le CIF faisait valoir qu’il avait adopté des mesures destinées à
améliorer la qualité et la compétitivité du fromage de cantal, le Conseil a estimé que les
restrictions apportées à la concurrence par le plan proposé par le CIF n’étaient pas
nécessaires à l’obtention d’un tel progrès.
Par ailleurs, un double effet anticoncurrentiel a été relevé, en ce que d’une part les
entreprises les plus compétitives étaient pénalisées par l’accord formulé par le CIF et
d’autre part, en ce que le jeu de la concurrence a été faussé par le jeu de la convention
de régulation qui créait un déséquilibre sur le marché du fromage de cantal.
59. - De la même manière, dans une décision plus récente du 28 mars 2007, le
Conseil a encore une fois eu à traiter du sujet des AOC conférées dans le secteur du
fromage : le Comté52. Toutefois cette fois-ci, la décision rendue est diamétralement
opposée à celle observée auparavant.
(En effet, en Franche-Comté la fabrication de grands fromages étant une
tradition ancienne, les fermiers ont pris l’habitude de s’unir dans les zones de montage
afin d’apporter chacun une contribution à la « fruitière53 ».)
Cette pratique, ancrée dans le savoir-faire des producteurs de Comté, perdure à travers
le Comité Interprofessionnel du Gruyère de Comté (CIGC), qui a proposé plusieurs
« mesures » introduisant de nouvelles dispositions « fixant le nombre maximum de
cuves par atelier, la taille maximum de ces cuves et le nombre maximum de tours
successifs de fabrication par cuve ». Celles-ci prévoyaient également la mise en place
d’un dispositif permettant d’assurer un contrôle de la croissance de la production des
ateliers par la limitation de l’augmentation annuelle de la quantité de lait dont le
traitement est autorisé
Toutefois, en l’espèce, le Conseil ne considère pas que la pratique proposée par
le CIGC est constitutive d’une entente, dans la mesure où celle-ci entre dans le champ
des compétences d’attributions du CIGC et qu’elle n’a pas d’effet anticoncurrentiel,
contrairement à ce que le Conseil avait pu décider des années auparavant, en
52 Décision du Conseil de la concurrence n°07-D-10 du 28 mars 2007 relative à une plainte à l’encontre du Comité interprofessionnel du gruyère de Comté. 53 Lieu où l’on fait fructifier le lait de vache pour la production de meules de Comté.
29
sanctionnant le CIGC pour avoir limité les augmentations de production en les
cantonnant à une croissance de 10% par rapport à l’année précédente et en instaurant un
régime de pénalité en cas de dépassement54.
60. - En somme, il résulte de ces observations que le Conseil de la
concurrence ne sanctionne pas systématiquement les pratiques consistant parfois à
contrôler la production de produits d’Appellations d’Origine, il faut pour cela que soit
démontrée une réelle atteinte au droit de la concurrence entrant dans son champ de
compétence.
Il ressort toutefois de manière évidente que le secteur de la production agricole
est plus enclin à adopter des comportements anticoncurrentiels, de par l’importance du
savoir-faire et de la transmission de techniques ancestrales dans ces secteurs, et de la
gestion de la production par certains opérateurs économiques disposant d’atouts
importants.
Il est désormais nécessaire d’appréhender les effets anticoncurrentiels ou restrictifs de
concurrence pouvant être relevés dans le secteur de la grande distribution, même si,
comme il conviendra de le rappeler, les pratiques restrictives ne relèvent pas du champ
de compétence des autorités de concurrence.
§3 : Les usages relevés dans certaines pratiques de la grande distribution
61. - Le secteur de la grande distribution regorge de « pratiques
commerciales » réitérées depuis plusieurs années sans pour autant avoir fait l’objet
d’une réglementation adaptée.
Même si ces « usages de la grande distribution » n’entrent pas directement dans
le domaine de compétence des autorités de concurrence – ce sont souvent des pratiques
restrictives de concurrence et non des pratiques anticoncurrentielles, seul domaine pour
lequel les autorités peuvent être saisies – ceux-ci font l’objet d’une surveillance accrue
54 Décision du Conseil de la Concurrence n°98-D-54 du 8 juill. 1998 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la production du gruyère de comté.
30
de l’Autorité du fait de la portée parfois contraire au droit de la concurrence qu’ils
peuvent comporter. Ainsi, L’Autorité de la concurrence a pu rendre deux avis, l’un
concernant la pratique du management catégoriel (I) et l’autre relatif aux contrats
d’affiliation dans le secteur de la distribution alimentaire et aux modalités d’acquisition
du foncier propres à ce secteur (II).
I/ Le management catégoriel
62. - (Le management catégoriel est une pratique de marketing mise en œuvre
dans les grandes surfaces commerciales et caractérisée par la collaboration d’un
distributeur et d’un fournisseur dans un but d’animation d’une catégorie de produit ;
c’est à dire l’organisation de la présentation de la catégorie de produits comme un
ensemble cohérent, plutôt que comme la juxtaposition de décisions portant sur chaque
produit de la catégorie. Cette technique conduit le fournisseur et le distributeur à se
rapprocher, dans une harmonisation de leur stratégie de commercialisation55.
Ainsi, en pratique, un distributeur confie à un fournisseur « partenaire » – le capitaine
de catégorie – la tâche d’élaborer des recommandations quant à l’assortiment,
l’agencement du rayon et la politique de promotion attachée à la catégorie de produits
retenue de sorte que l’augmentation des ventes du fournisseur s’inscrit dans la stratégie
marketing de l’entreprise56. L’opération se fonde sur l’idée qu’un produit se vend mieux
s’il est proposé au sein d’une offre globale, et que celle-ci, si elle est bien gérée, peut
profiter à tous les fournisseurs.)
Le distributeur fournit alors des informations qualitatives et quantitatives sur la
catégorie de produits concernée au fournisseur, en l’échange de conseils concernant
l’assortiment, l’implantation et la promotion de la catégorie.
Cette pratique ne constitue bien évidemment pas un usage « ancestral » dans son
acception la plus commune ; toutefois elle est apparue au sein des marchés français
55 Gruen T.-W., Le category management nouvelle science de la distribution, in L’art du Marketing, Village mondial, 1999, p. 218 – Cogitore S., Le category management, Dunod, 2003. 56 Ferrier D., Droit de la distribution, LexisNexis, 2014, p. 12.
31
depuis les années 2000 et est en perpétuelle expansion depuis. Elle est communément
admise et acceptée de tous, et c’est une règle générale qui constitue donc un usage.
63. - (Ainsi, l’Autorité de la concurrence a eu l’occasion de se saisir d’office
afin de rendre un premier avis sur les contrats de « management par catégorie » le 7
décembre 2010, avis dans lequel elle identifie deux risques potentiels majeurs liés à ces
collaborations57 : l’éviction des concurrents des capitaines de catégorie d’une part (A) et
les ententes, du fait de la nature même des relations de management catégoriel (B).
A/ Le risque d’éviction des concurrents des capitaines de catégorie
64. - (Le paragraphe 210 des nouvelles lignes directrices de la Commission
européenne sur les accords verticaux relève que « si, dans la plupart des cas, les
accords de gestion par catégorie ne posent pas de problème, ils peuvent parfois fausser
la concurrence entre fournisseurs et, en fin de compte, conduire à une exclusion
anticoncurrentielle d’autres fournisseurs si le capitaine de catégorie est en mesure, en
raison de son influence sur les décisions de commercialisation du distributeur, de
limiter ou de désavantager la distribution des produits de fournisseurs concurrents. Si,
en règle générale, le distributeur n’a probablement pas intérêt à limiter son choix de
produits, lorsqu’il vend aussi des produits concurrents sous sa propre marque (marques
de distributeur), il peut être incité à exclure certains fournisseurs, en particulier ceux
fournissant des produits de gamme intermédiaire. L’appréciation d’un tel effet
d’éviction en amont s’effectue par analogie avec celle des obligations de
monomarquisme (voir en particulier les points 132 à 141), sur la base d’éléments tels
que la couverture de marché de ces accords, la position sur le marché détenue par les
fournisseurs concurrents et l’éventuelle utilisation cumulative d’accords de ce type58 ».
65. - (Ainsi, l’analyse des pratiques décrites permet d’envisager trois vecteurs
principaux d’un éventuel abus d’éviction des capitaines de catégorie.
57 Avis de l’Autorité de la concurrence n°10-A-25 du 7 déc. 2010 relatif aux contrats de « management catégoriel » entre les opérateurs de la grande distribution à dominante alimentaire et certains de leurs fournisseurs. 58 Lignes directrices sur les restrictions verticales n°2010/C 130/01 du 19 mai 2010.
32
66. - ( (En premier lieu, le capitaine de catégorie peut être tenté de profiter de
la relation privilégiée qu’il entretient avec le distributeur pour mettre en avant ses
produits, au détriment de ses concurrents. Ainsi, il serait à même d’évincer ses
concurrents de part la nature de la mission privilégiée qui lui a été confiée et l’influence
qu’il possède sur le distributeur. À cet égard, la doctrine la plus autorisée s’accorde à
dire que le fournisseur partenaire serait en mesure d’influencer l’assortiment et
l’agencement des rayons et d’avantager ses propres produits au détriment de ceux de ses
concurrents. Reste à définir l’intensité de cette influence et à en déduire les
conséquences qui en découlent.
En effet, si les fournisseurs partenaires avaient une influence significative ou dans
l’hypothèse dans laquelle ils définiraient eux-mêmes entièrement la stratégie
commerciale des distributeurs, de tels comportements pourraient être constitutifs de
concurrence déloyale voire dans certains cas, d’abus de position dominante.
À ce titre, il convient de rappeler que la société US Tobacco s’est vue infliger une
amende colossale pour avoir abusé à la fois de sa position de capitaine de catégorie et
de sa position dominante sur le marché du tabac à chiquer59. Par conséquent, il ne serait
pas inconcevable qu’une telle action soit recevable en France, même s’il est vrai que le
bénéfice d’exemptions individuelles ou par catégorie limite considérablement
l’importance de telles actions. )
67. - (Ensuite, le fournisseur peut être tenté d’évincer ses concurrents en les
dénigrant. En effet, une des pratiques courantes dans le management par catégorie est
celle de procéder à la comparaison entre les différents produits appartenant à une même
catégorie. Lors de la présentation de ces produits, le fournisseur partenaire peut être
tenté de dévaluer volontairement la performance des produits concurrents en présentant
des données erronées ou en faussant l’interprétation de données exactes. Ce risque est
d’ailleurs accru par le fait que les capitaines de catégorie ne transmettent pas
systématiquement les données utilisées aux distributeurs. À ce titre, la pratique
décisionnelle de l’Autorité est constante : la diffusion de données statistiques ou de
59 Conwood Co. v. U.S. Tobacco Co., 290 F.3d 768 (6th Cir. 2002), 123 S. Ct. 876 (2003).
33
sondages faux ou tronqués dans le but de dévaloriser des produits concurrents est
susceptibles d’être qualifiée de dénigrement et d’être sanctionnée60.
Ainsi, pour éviter tout risque de condamnation au titre d’atteintes à la concurrence, il est
nécessaire que les capitaines de catégorie s’efforcent de baser leurs recommandations
sur des données objectives et non subjectives.)
68. - (Enfin, le fournisseur privilégié peut encore s’appuyer sur les
informations exclusives obtenues par un opérateur grâce à cette position. En effet, celui-
ci est amené à recueillir des informations quantitatives – parfois très détaillées – qui
concernent l’ensemble des produits d’une catégorie, incluant donc les informations
relatives aux produits du concurrent du fournisseur partenaire. Ainsi, dans sa décision
du 22 décembre 2008, le Conseil de la concurrence a considéré que « l’utilisation par la
régie municipale des pompes funèbres de la ville de Marseille, de statistiques de la
mairie de Marseille, dont ses concurrents étaient privés et qui détaillait les parts de
marché et l’activité commerciale des concurrents auprès de chaque établissement de
soins ou de séjour, était susceptible de fausser la concurrence61 ».
Le Conseil, puis l’Autorité, estiment que le jeu de la concurrence est faussé du fait de la
rupture d’égalité entre les opérateurs, certains bénéficiant d’une position particulière
leur permettant d’être plus efficace et d’adapter leur politique sur un même secteur.)
69. - (Par analogie, les échanges d’informations réalisés dans le cadre du
management par catégorie peuvent entraîner des comportements qualifiés
d’anticoncurrentiels s’il était démontré que ceux-ci pouvaient conférer au fournisseur
partenaire un avantage dont ses concurrents ne disposent pas, si ce celui-ci était indu et
que les concurrents n’étaient pas en mesure d’obtenir d’informations sensiblement
identiques.
70. - (En définitive, il apparaît que les opérateurs économiques doivent être
extrêmement vigilants s’ils souhaitent éviter de tomber sous le joug d’une
60 Pour exemples : Décisions 07-MC-06 (Arrow Génériques), 07-D-33 et 08-D-21 (France Télécom) et 09-D-14 (fourniture d’électricité). 61 Décision du Conseil de la concurrence n°08-D-34 du 22 déc. 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par la régie municipale des pompes funèbres de la ville de Marseille.
34
condamnation pour abus de position dominante ou concurrence déloyale, surtout dans la
mesure où si la position dominante est démontrée et que les parts de marché de
l’entreprise en cause dépassent les 30% de seuil pour lesquels la pratique peut entrer
dans le champ d’application du Règlement 330/2010 (REC)62, la pratique ne pourra pas
faire l’objet d’une exemption par catégorie.
Comme il a été annoncé précédemment, le risque d’éviction de ses concurrents
par le fournisseur partenaire n’est pas le seul attaché au management catégoriel. Il
convient alors d’envisager l’hypothèse d’une entente entre des distributeurs ayant
désigné le même fournisseur partenaire.
B/ Les risques d’ententes liés aux relations de management catégoriel
71. - (Le paragraphe 211 des nouvelles lignes directrices de la Commission
européenne sur les accords verticaux relèvent que « les accords de gestion par catégorie
peuvent faciliter la collusion entre distributeurs lorsqu’un même fournisseur sert de
capitaine de catégorie pour l’ensemble ou la majorité des distributeurs concurrents sur
un marché donné et constitue pour ces derniers un point de référence commun pour
leurs décisions de commercialisation63 ».
72. - (En effet, le risque d’entente horizontale entre distributeurs est très fort
dans la mesure où lorsqu’un même fournisseur exerce les fonctions de capitaine de
catégorie pour le compte de plusieurs distributeurs, celui-ci est en mesure de faciliter les
échanges d’informations entre ces derniers. Il peut constituer une sorte de « nœud »
informationnel auprès de chacun d’eux, leur permettant ainsi de mettre en œuvre une
politique commerciale coordonnée, notamment au niveau des prix de revente. De même,
en aval, un capitaine de catégorie auprès de plusieurs distributeurs peut inciter ces
derniers à mettre en œuvre des stratégies identiques.)
62 Règlement n°330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du TFUE à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées. 63 Lignes directrices sur les restrictions verticales préc.
35
Le principal danger vient du fait que le fournisseur partenaire, par le biais de ses
recommandations, peut aiguiller les distributeurs dans un sens et servir de support à une
coordination entre les distributeurs.
A titre d’illustration, l’Autorité cite pour exemple dans son avis le cas d’un
« fournisseur recommandant à plusieurs distributeurs de réduire leurs assortiments.
Ces derniers demeurant néanmoins seuls décisionnaires dans cette matière, ils font
donc face à l’arbitrage suivant : la réduction de leur assortiment leur permettra de
réduire leurs coûts logistiques et d’accroître leurs marges grâce à l’obtention de prix
d’achat plus faibles, mais risque d’entraîner une désaffection des consommateurs qi ne
trouveront plus auprès d’eux la variété d’assortiment souhaitée. Dès lors, les
distributeurs pourront ne trouver profitable de mettre en œuvre la préconisation du
fournisseur partenaire que s’ils estiment, avec un degré de certitude raisonnable, que
leurs concurrents directs feront de même64 ».
Ainsi, il ressort de cet exemple de manière très claire que toutes les recommandations
issues du fournisseur dans le cadre de sa mission de conseil auprès des fournisseurs
raisonneront dans l’esprit des distributeurs comme une possibilité supplémentaire de
s’aligner sur leurs concurrents.
73. - (Par conséquent, il est possible de déduire de manière certaine que cet
usage de la distribution consistant à opérer un management par catégorie entraîne
directement une atteinte à la concurrence. En outre, la jurisprudence européenne, déjà
confrontée plusieurs fois à des questions relatives aux échanges d’informations entre
concurrents, est constante à qualifier « les échanges d’informations entre concurrents
portant sur des intentions futures, qui sont particulièrement à même d’induire une
coordination des comportements des entreprises » d’infraction par l’objet65.
74. - (Par ailleurs, l’Autorité ajoute dans le paragraphe 108 de sa décision que
s’il est exact que les opérateurs ont indiqué que les recommandations formulées par les
fournisseurs partenaires ne portent jamais sur les prix de revente des distributeurs, cela
ne signifie pas pour autant que des échanges ne portant pas sur les mêmes pans de la
64 Avis n°10-A-25 préc. 65 Décision de la Commission du 15 oct. 2008, COMP/39188, Bananes et CJCE, 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e. a. C-8/08.
36
concurrence seraient moins restrictifs. Comme en témoigne l’arrêt du Tribunal de
Première Instance des Communautés Européennes (TPICE) du 15 mars 2000, il suffit
que ces échanges puissent être de nature à affecter la concurrence en réduisant
l’incertitude à laquelle est normalement soumis tout opérateur en concurrence pour être
qualifiés d’anticoncurrentiels66. )
En outre, du fait des spécificités attachées à la fonction de capitaine de catégorie,
l’atteinte à la concurrence peut être encore plus grande en ce sens que d’une part les
domaines évoqués sont beaucoup plus étendus que lors des négociations commerciales
et d’autre part, que le fournisseur partenaire formule des recommandations touchant à la
fois ses produits et ceux de ses concurrents. Par conséquent, elles ont une portée plus
large en ce qu’elles permettent de réduire la concurrence intra-marque mais aussi
d’affecter la concurrence inter-marque.
75. - (Face à de telles atteintes à la concurrence, on pourrait raisonnablement
estimer que l’Autorité préconise l’arrêt simple et total des pratiques mises en cause, au
regard notamment des risques considérables que le management par catégorie ne crée
d’ententes horizontales et des risques de sanctions auxquels s’exposeraient les
opérateurs dans cette hypothèse. Toutefois, il semblerait que celle-ci ne recommande –
pour faire face à des usages de la grande distribution directement anticoncurrentiels –
que l’adoption de nouveaux « usages », des sortes de règles de bonne conduite. Comme
il le sera développé par la suite, cette pratique de l’Autorité est récurrente et assez
surprenante, même en tenant compte du fait que la pratique du management par
catégorie est exemptée du fait du gain d’efficience qu’elle comporte.
76. - (En outre, le paragraphe 212 des lignes directrices précitées ajoute que
« les accords de gestion par catégorie peuvent aussi faciliter la collusion entre
fournisseurs en augmentant les possibilités qui s’offrent à eux de s’échanger, par
l’intermédiaire des détaillants, des informations sensibles sur le marché, telles que, par
exemple des informations sur les prix, les plans promotionnels ou les campagnes de
66 TPICE, 15 mars 2000n T-25/95n Cimenteries CBR SA v. Commission précise que pour prouver l’existence d’une pratique concertée, il n’est pas nécessaire de démontrer « que les concurrents ont été de connivence sur leur conduite future sur le marché […]. Il suffit que, par sa déclaration d’intention, le concurrent ait éliminé ou tout au moins, substantiellement réduit l’incertitude quant à la conduite à attendre des autres sur le marché. » (§1852).
37
publicité à venir ». Il apparaît clairement que ce type de relation entre le distributeur et
le fournisseur capitaine de catégorie, privilégié et étroit, favorise les échanges
d’information sur diverses données et confère au distributeur un avantage concurrentiel
certain sur ses concurrents, lui permettant d’anticiper la stratégie commerciale mise en
œuvre par le distributeur dans un futur proche. C’est en cela que le management par
catégorie peut gravement contribuer à porter atteinte au droit de la concurrence.
En outre, lorsqu’un fournisseur formule des recommandations au distributeur sur ses
produits et ceux de ses concurrents, il peut aisément être tenté d’évincer cette
concurrence sur les linéaires de ses partenaires.
77. - (L’Autorité de la concurrence a déjà pu souligner que pour évaluer les
effets réels sur la concurrence de tels agissements il serait nécessaire de « tenir compte
de nombreux facteurs, relatifs au marché concerné, aux informations échangées et aux
modalités de cet échange ». Par ailleurs, à l’occasion de l’affaire John Deere67, la Cour
de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a mis l’accent sur la structure oligopolistique
du marché de la grande distribution ; ce qui atténuerait l’atteinte à la concurrence
reprochée à cette technique de commercialisation, à savoir l’augmentation artificielle de
la transparence entre les concurrents d’un même secteur.
En outre, le management par catégorie bénéficie, par le biais du paragraphe 213 des
lignes directrices concernant les accords verticaux, d’une exemption dans la mesure où
elle entraîne des gains d’efficience. En effet, ces accords « peuvent permettre aux
distributeurs de bénéficier de l’expertise du fournisseur en matière de
commercialisation d’un certain groupe de produits, et de réaliser des économies
d’échelle, en garantissant la présentations, au bon moment et directement sur les
rayonnages, d’une quantité optimale de produits ». Par ailleurs, « la gestion par
catégorie étant fondée sur les habitudes des clients, les accords de gestion par
catégorie sont susceptibles d’aboutir à une plus grande satisfaction des clients ».
67 TPICE, 27 octobre 1994, John Deere, T-35/92, Rec. p. II-957 repris par les décisions de l’Autorité de la concurrence n°05-D-64 et 05-D-65 du 28 novembre 2005 relatives respectivement aux pratiques mises en œuvre sur le marché des palaces parisiens et aux pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie mobile.
38
78. - (À nouveau, face à des usages entraînant des effets anticoncurrentiels,
l’Autorité se cache derrière la préconisation de nouveaux usages, une sorte de « guide
des bonnes pratiques » à adopter pour éviter une éventuelle sanction, élaboré en
collaboration avec les opérateurs du secteur et la Commission d’Examen des Pratiques
Commerciales (CEPC). Toutefois il convient de noter qu’à nouveau, ces
recommandations de comportements à adopter à l’avenir ne constituent en rien des
usages en ce qu’ils n’attestent pas de pratiques constatées acceptées et spontanées, mais
préconisent simplement l’adoption de certaines pratiques.
Elle met ainsi trois points en avant afin de prévenir les risques d’abus de position
dominante et d’entente : la nécessité d’abord de rendre publique la désignation du
capitaine de catégorie, ensuite de formaliser clairement ce type de relation dans le cadre
d’un contrat ou d’une convention. Enfin, il est indispensable selon elle de renforcer le
rôle de la CEPC dans l’établissement de ces « bonnes pratiques ».
79. - ( (La CEPC quant à elle a recommandé, pour prévenir la survenance de
ces risques, diverses mesures telles que l’absence de délégation de pouvoir de décision
au fournisseur, l’interdiction de préconisation sur les prix, l’absence de traitement
privilégié des forces de vente du fournisseur dans les points de vente, l’absence de
transmission d’information avec les concurrents du fournisseur comme du distributeur,
l’encadrement des échanges d’information entre le fournisseur et le distributeur.
Il existe également des formes de collaboration plus « souples », dites limitées. À titre
d’illustration, la CEPC évoque le « partenariat renforcé » pour dynamiser une catégorie
de produits ou la « collaboration ponctuelle » pour une opération précise concernant la
catégorie68.)
80. - (Ainsi, il est important de noter que le management catégoriel, même s’il
n’entre pas directement dans le domaine de compétence de l’Autorité, suscite
grandement son attention en ce que cet usage peut conduire à des pratiques
anticoncurrentielles, à savoir un abus de position dominante ou une entente. Toutefois,
elle ne fait que prescrire l’adoption de nouveaux comportements, plus en accord avec la
conception de la libre concurrence que l’on se fait. De la même manière, l’Autorité 68 CEPC, Recommandation n°11-01 du 28 sept. 2011 relative à un Code de bonne conduite en matière de management par catégorie.
39
adopte plus ou moins le même comportement dans le cadre de relations d’affiliation, vis
à vis des modalités d’acquisition du foncier dans le secteur de la distribution alimentaire.
II/ Les contrats d’affiliation et les modalités d’acquisition de foncier
dans le secteur de la distribution alimentaire
81. - ( (Le commissionnaire « agit en son nom propre, pour le compte d’un
commettant titulaire de l’enseigne à laquelle il est affilié, sans être propriétaire des
stocks de marchandises à vendre et moyennant une commission sur le chiffre
d’affaires69 ». Ainsi, le commettant conserve le contrôle sur sa politique commerciale
par le biais notamment du choix des articles et de l’imposition de prix de vente, cette
dernière n’étant pas sanctionnée dans cette hypothèse dans la mesure où le
commissionnaire ne peut être qualifié de revendeur. Le commissionnaire-affilié quant à
lui ne supporte pas la charge du financement et de la gestion des stocks puisqu’il n’est
pas propriétaire des marchandises70.)
82. - (Du fait des lois Royer 71 et Raffarin 72 , plusieurs concentrations
excessives ont été observées dans certaines zones de chalandise du secteur de la grande
distribution alimentaire. Malgré le fait que ces lois aient eu tendance à assouplir le
régime des autorisations nécessaires pour ouvrir un nouveau magasin, portant de 300 à
1000 m2 le seuil de surface commerciale au dessus duquel une autorisation
administrative est nécessaire, le comportement des opérateurs s’est mué de sorte à créer
des barrières à l’entrée du marché à travers l’adoption de nouvelles pratiques.
Aujourd’hui entrés dans les usages du secteur, ces comportements comportent de
nombreux risques d’atteintes à la concurrence du fait de leur application. )
83. - (Parmi ceux-ci, on note les stratégies de « gel du foncier », par lesquelles
les concurrents déjà implantés sur des zones de chalandise conservent du foncier
inexploité dans le but d’empêcher l’implantation de magasins concurrents. 69 Arcelin-Lécuyer L., Fiches de Droit de la distribution, Ellipses 2012, p. 37. 70 Cass. Com., 29 juin 2010, Chattawak : Contrats, conc. consom. 2010, comm. N°223, obs. N. Mathey. 71 Loi n° 73-1193 du 27 déc. 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat. 72 Loi n° 96-603 du 5 juill. 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat.
40
En outre, la multiplicité des contrats régissant les relations au sein de la grande
distribution – contrats de franchise, d’adhésion, de bail ou encore de coopération – rend
très difficile la sortie du groupe pour les commissionnaires-affiliés, ceux-ci ayant des
échéances qui se chevauchent entre elles. (Par ailleurs, cette difficulté est accrue du fait
d’usages attachés au secteur de la grande distribution, tels que la prévision au contrat de
durées d’engagement trop longues, la soumission du commerçant affilié à des droits de
priorité (droits de préférence et de préemption), l’inclusion abusive de clauses de non-
concurrence et de non-réaffiliation au sein des contrats de distribution, le caractère
différé des droits d’entrée et enfin la prise de contrôle minoritaire dans le capital des
société d’exploitation de leurs affiliés, assurant une minorité de blocage aux groupes. )
84. - (Ces usages de la grande distribution constituent une atteinte au droit de
la concurrence en ce qu’ils contribuent à une cristallisation du marché freinant la libre
concurrence dans le secteur. En effet, il est désormais quasi-impossible pour un
opérateur économique ne disposant pas déjà d’un magasin dans une zone de chalandise
de s’y implanter. C’est la raison pour laquelle on observe désormais une forte
concentration de certains opérateurs dans des zones délimitées, concentration qui ne
peut évoluer du fait du blocage des cessions d’enseignes issu de ces pratiques répétées. )
85. - (Toutefois, et à nouveau, l’Autorité ne préconise pas l’adoption de
nouvelles règlementations en la matière, mais ne fait que recommander l’adoption de
nouveaux comportements, de bonnes pratiques. En effet, dans un second avis du 7
décembre 201073 , elle prescrit l’adoption de nouveaux comportements propres à
favoriser la transparence et la libre concurrence dans le secteur, et remédie à des usages
par des « faux usages », des pratiques prescrites et non spontanées.
Ainsi, s’agissant de la barrière à l’accès au foncier, l’Autorité préconise la
suppression des clauses de non-concurrence et des droits de priorité dans les contrats de
vente et d’acquisition.
73 Avis de l’Autorité de la Concurrence n°10-A-26 du 7 déc. 2010 relatif aux contrats d’affiliation de magasins indépendants et les modalités d’acquisition de foncier commercial dans le secteur de la distribution alimentaire.
41
Elle évoque également la (nécessité de conclure un contrat-cadre unique complété par
des contrats d’application afin d’éviter toutes les difficultés liées à la disparité des
contrats de la grande distribution et des échéances qui y sont attachées, ainsi que
l’harmonisation des modalités de résiliation des contrats d’une même relation, la
limitation à cinq ans des durées d’engagement, et le remplacement du paiement différé
par un paiement étalé le long du contrat, afin d’atténuer voire de faire disparaître toutes
les difficultés liées à la sortie du groupement. Enfin, elle recommande l’encadrement
des prises de participation afin d’éviter que des minorités de blocage ne contreviennent
à toutes ces avancées en cristallisant le marché à nouveau.)
86. - (Il convient de noter ici une tendance récurrente de l’Autorité74, celle de
prévenir le recours à des pratiques, des usages propres à un secteur et anticoncurrentiel
en préconisant l’adoption d’autres usages – non formalisés – conformes. Cette notion de
« bonnes pratiques » est troublante en ce que l’Autorité ne reconnaît à aucun moment
une force obligatoire ou contraignante aux usages contra legem, et laisse toutefois
entendre que le respect de ces nouveaux usages est contraignant pour les opérateurs
concernés.
En outre, ces « usages » recommandés par l’Autorité seraient une sorte de « bons
usages », créés par l’Autorité et non issus de la pratique de manière spontanée. Ceux-ci
seraient en mesure de minorer les atteintes à la concurrence, comme le feraient les
usages loyaux du commerce ou les usages codifiés par les professionnels75.
87. - (À la suite de ces recommandations, la grande distribution a donc pris
des engagements dans lesquels elle accepte de modifier son comportement afin de
clarifier les relations commerciales avec leurs fournisseurs76. Parmi eux on trouve
l’engagement de plafonner le montant de la remise des stocks déposés, celui
d’abandonner la pratique des garanties de marge et enfin celui d’appliquer les pénalités
logistiques avec discernement, en fonction de la gravité du manquement du fournisseur.
74 Voir en ce sens les avis préc. 75 Voir en ce sens la Partie II relative aux effets modérateurs des usages sur le droit de la concurrence. 76 Lettre réseaux de distribution, CMS Bureau Francis Lefebvre, Avril 2011, p. 4.
42
Ces deux avis et leur impact dans le secteur de la grande distribution témoignent
de l’intérêt croissant de l’Autorité de la Concurrence dans l’organisation des relations
du secteur de la grande distribution. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la
concurrence a d’ailleurs annoncé dans Les Echos que la poursuite des examens dans ce
secteur serait sa priorité pour l’année 201177.
88. - (En somme, comme il a été démontré tout au long de ce développement,
les usages peuvent conduire les opérateurs économiques qui les observent à adopter des
comportements anticoncurrentiels permettant à l’Autorité de se saisir et de prononcer
une sanction. C’est leur application même qui induit la qualification de l’infraction au
droit de la concurrence et justifie la prise de mesure par l’Autorité. De la même manière,
les usages peuvent aggraver les atteintes à la concurrence par leur diffusion, comme il
sera nécessaire de le constater.
Section n°2 : L’effet aggravateur des usages du fait de leur diffusion par les
Ordres professionnels
89. - (Un ordre professionnel est un organisme regroupant, sur un territoire
donné, l'ensemble des membres d'une même profession – profession qui peut
généralement être exercée de manière libérale – et qui assure une forme de régulation de
la profession en question. Contrairement à un syndicat, l'appartenance à l'ordre
professionnel n'est pas une faculté mais une obligation pour le professionnel,
l'inscription au sein de l'ordre étant une condition nécessaire à l'exercice de la profession.
Ces Ordres, souvent anciens, peuvent attester de certaines pratiques utilisées au
sein d’un corps professionnel – voir les diffuser – leur conférant ainsi une certaine
valeur contraignante.
Ainsi, il a été permis de constater notamment, la diffusion de barèmes de prix (§1) ou
encore d’une mise en garde entrainant un boycott, dans le secteur de la santé (§2).
77 Lasserre B., Interview dans Les Echos du 17 janv. 2011.
43
§1 : La diffusion de barèmes de prix
90. - (La diffusion de barèmes de prix n’est pas obligatoire, elle est
simplement tolérée dans le cadre de certaines activités pour lesquelles celle-ci est
opportune. Ainsi, elle peut être notamment observée au sein des professions d’avocat (I)
ou encore d’architecte (II), sur lesquelles le Conseil a l’occasion de s’exprimer dans
deux décisions.
I/ La diffusion de barèmes de prix dans le cadre de la profession
d’avocat
91. - (La profession d’avocat est régie par la loi du 31 décembre 1971 et est
constituée en barreaux établis auprès des tribunaux de grande instance. Chaque barreau
est doté de la personnalité civile et administré par un Conseil de l’Ordre. À sa tête, est
élu pour deux ans un bâtonnier qui représente le barreau dans tous les actes de la vie
civile.
Par application de l’article 1er de l’ordonnance du 1er décembre 1986, le montant des
honoraires demandés par l’avocat est librement déterminé, en accord avec le client. A
défaut, l’honoraire est fixé selon les usages, en fonction de la fortune du client, de la
difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat et de la notoriété de celui-ci.)
92. - (Ainsi, les honoraires devant être fixés librement, il serait opportun de
déduire que la pratique consistant à la diffusion des usages en matière d’honoraires
aurait des effets anticoncurrentiels en ce qu’elle interfèrerait avec le principe de libre
fixation des prix régissant même une profession règlementée comme celle de
l’avocature.
C’est du moins ce qu’a jugé l’Autorité de la concurrence dans une décision du 14 mai
1997, alors confrontée à la diffusion plusieurs années de suite par l’Ordre des avocats au
barreau de Clermont-Ferrand d’une plaquette listant les société professionnelles
44
d’avocats et l’état des « usages en matière d’honoraires des avocats du barreau de
Clermont-Ferrand78 ».
93. - (Ces barèmes d’honoraires, calculés sur les honoraires pratiqués de
manière habituelle depuis plusieurs années par les avocats, constituent des usages.
Toutefois, ceux-ci sont considérés comme anticoncurrentiels en ce que leur diffusion
constitue un frein à la libre fixation des prix, et de ce fait une atteinte au Droit de la
concurrence.)
(En effet, l’examen des usages pour les années 1991 et 1993 révèle que le
nombre de prestations pour lesquelles les usages ont été répertoriés a sensiblement
augmenté – de 28 à 92 – de même que les fourchettes d’honoraires.
Pour exemple, les variations de prix suivantes ont pu être relevées entre 1991 et 1993.)
Types d’affaires Usages tels que mentionnés dans l’année judiciaire
1991 1993
Vacations horaires 500 à 1 200 € 600 à 1 400 €
Divorces 6 000 à 12 000 € 6 000 à 15 000 €
Prud’hommes 3 000 à 9 000 € 4 500 à 9000 €
Tribunal de commerce 2 500 à 15 000 € 3 000 à 18 000 €
Procédures d’appel 3 000 à 10 000 € 3 000 à 15 000 €
Ces documents recensant les usages en matière d’honoraires ont fait l’objet
d’une large diffusion – 3 000 exemplaires par an – notamment auprès de nombreux
avocats, ainsi que d’autres barreaux français et du public. Le bâtonnier a également pris
la peine de souligner, probablement parce qu’il avait conscience que cette augmentation
généralisée des honoraires pourrait témoigner de la présence d’une concertation entre
les avocats, que cette augmentation ne résultait en aucun cas d’une action concertée.
78 Décision du Conseil de la concurrence n° 97-D-30 du 14 mai 1997 relative à des pratiques en matière d’honoraires mises en œuvre par le barreau de Clermont-Ferrand.
45
94. - (Ainsi, face à cette pratique perpétrée par le barreau de Clermont-
Ferrand, le Conseil a estimé que l’élaboration et la diffusion de ces usages a pu
« conduire ses membres à fixer leurs honoraires non selon les conditions d’exploitation
propres de leurs cabinets, mais à partir des indications qui y étaient reproduites79 » et
ainsi, conduire ses membres à adopter des comportements anticoncurrentiels, tant dans
l’alignement de leurs pratiques tarifaires que dans le dommage causé à l’économie du
fait de l’augmentation générale de leurs prestations.
95. - (Comme il sera nécessaire de le constater, le secteur des avocats n’est
pas le seul concerné par la vigilance des autorités de concurrence quant à la diffusion de
barèmes de prix, d’usages sur les prix. En effet, cette pratique se retrouve chez les
architectes et a également fait l’objet d’une décision du Conseil.
II/ La diffusion de barèmes de prix dans le cadre de la profession
d’architecte
96. - (Ainsi, la diffusion de barèmes de prix par l’Académie d’architecture
dans le secteur du bâtiment et des travaux publics a été jugée par le Conseil comme
constituant une pratique susceptible de restreindre la concurrence en détournant les
entreprises de la détermination de leurs propres coûts de revient et en favorisant, encore
une fois, la hausse artificielle des prix80.
97. - (Afin de mieux comprendre la décision d’espèce, il est nécessaire de
rappeler que l’Académie d’architecture est une association à but non lucratif type loi de
1901, qui dispose de l’autonomie juridique et dont la vocation est celle de développer
des activités en vue de l’amélioration du milieu de vie et de la qualité des prestations de
la construction.
De 1883 à 1998, celle-ci a édité la « série centrale des prix » distinguant les travaux
selon leur nature (gros œuvre, bois et métal, finitions) et les corps d’état concernés, et
leur affectant une valeur de référence correspondant au prix unitaire d’une prestation. 79 Décision n° 97-D-30 préc., p. 11. 80 Décision du Conseil de la concurrence n°99-D-08 du 2 févr. 1999 relative à des pratiques mises en œuvre par l’Académie d’architecture dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.
46
Par ailleurs, cette dernière n’a pas justifié des modalités d’établissement de telles
valeurs.)
À la suite de leur élaboration, les barèmes de prix ont été diffusés largement à
travers le dépôt d’ouvrages en librairies, s’adressant essentiellement aux maîtres
d’ouvrage public (17% des abonnements) et les PME (68% des abonnements).
98. - (Le principal grief soulevé par le Conseil est celui que le document
diffusé comporte des valeurs moyennes nullement calculées à partir de constatations
objectives pouvant être vérifiées et, en outre, que la valeur de référence déterminée « ne
peut ni refléter la diversité des situations propres à chacun des métiers concernés par la
série, ni les particularités propres à chaque entreprise selon sa taille et sa
localisation81 ».
Si cet usage n’est pas en soit anticoncurrentiel, le fait de le diffuser invite les opérateurs
économiques du secteur à s’aligner sur ces prix et finit par porter atteinte au droit de la
concurrence.
100. - (Le raisonnement du Conseil est le suivant : (si la série centrale était
constitutive d’une mercuriale, c’est-à-dire un document se bornant à publier des prix
constatés pendant une période passée déterminée, et établis par des méthodes
scientifiques, celle-ci ne serait pas contraire au droit de la concurrence. En revanche, au
regard de ses modalités d’élaboration, cette qualification ne peut en aucun cas être
retenue, et par conséquent la pratique relevée dans le secteur de l’architecture a pour
objet et a eu pour effet de restreindre la concurrence en ce qu’elle porte atteinte à la
libre fixation des prix et qu’elle entraîne une hausse artificielle des prix dans le secteur.)
101. - (Comme il a été constaté, la diffusion de barèmes de prix peut comporter
des effets anticoncurrentiels dans la mesure où elle entraîne une cristallisation du
marché et une augmentation générale des honoraires. Toutefois, les autorités de
concurrence ont également eu l’occasion de s’exprimer sur les effets anticoncurrentiels
81 Décision du Conseil de la concurrence n°00-D-08 du 2 févr. 1999 relative à des pratiques mises en œuvre par l’Académie d’architecture dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, p. 8.
47
provenant de la diffusion d’une mise en garde entrainant un boycott, beaucoup plus
grave.
§2 : La diffusion d’une mise en garde entraînant un boycott dans le secteur
de la santé
102. - (Afin de déterminer dans quelle mesure la diffusion d’une mise en garde
dans le secteur de la santé est à même d’entraîner un appel au boycott, il sera nécessaire
de distinguer la diffusion d’une mise en garde concernant un usage (I) de l’usage tenant
à la diffusion d’un appel au boycott (II).
I/ La diffusion d’une mise en garde concernant un usage dans cadre de
la profession de pharmacien aboutissant à un appel au boycott
103. - (La profession pharmaceutique est dotée d’un ordre professionnel ayant
pour but d’assurer le respect des devoirs professionnels et la défense de l’honneur et de
l’indépendance de la profession. L’article 512 du Code de la santé publique prévoit que
les pharmaciens ont un monopole de la vente au détail de médicaments destinés à
l’usage de la médecine humaine et d’un certain nombre de produits non
médicamenteux82.
Même si aujourd’hui elle a énormément évolué et qu’elle est désormais très
règlementée, la pratique de la pharmacie existe depuis très longtemps. À ce titre, elle
fait l’objet de nombreux usages, pratiques non règlementées mais acceptées par tous les
professionnels du secteur.
104. - (Parmi eux, le portage de médicaments à domicile. Dans la plupart des
cas, celui-ci est assuré par des professionnels, à titre onéreux, en complément d’une
activité principale. C’est notamment le cas des infirmiers et des ambulanciers. Toutefois,
82 Pour exemples : Pansements, insecticides destinés à être appliqués sur l’homme, produits destinés à l’entretien ou à l’application de lentilles de contact, produits destinés au diagnostic de la grossesse, aliments lactés diététiques…
48
cette activité repose encore essentiellement sur la solidarité, dans la mesure où elle est
également assurée à titre gratuit, par les proches du malade.
La plus grande partie de la demande actuelle dans le domaine émane de personnes âgées
ou à mobilité réduite. )
Cette pratique existant depuis des temps immémoriaux, elle est communément
acceptée par les pharmaciens. Toutefois, il est des cas où le Conseil de l’Ordre des
pharmaciens diffuse très largement aux pharmaciens une mise en garde contre les
services du portage, soit une mise en garde contre cet usage.
C’est sur cette hypothèse que le Conseil de la concurrence a dû se prononcer, dans une
décision du 22 avril 199783.
En l’espèce, le Conseil de l’Ordre s’est autorisé à interpréter – très librement –
les dispositions du Code de la santé publique dans un sens laissant penser que les
pharmaciens qui laissaient les entreprises de portage de médicaments à domicile
récupérer des médicaments pour le compte d’autres commettaient une infraction
susceptible d’être sanctionnée.
En effet, par le biais d’une lettre confraternelle largement diffusée aux pharmaciens, le
Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon a menacé
explicitement les principaux concernés ayant une relation suivie avec des sociétés de
portage.
105. - (Or, comme l’a indiqué le Conseil dans une décision du 20 juillet 2005,
« il est de jurisprudence constante qu’un Ordre professionnel représente la collectivité
de ses membres et qu’une pratiques susceptible d’avoir un objet ou un effet
anticoncurrentiel mise en œuvre par un tel organisme révèle nécessairement une
entente, au sens de l’art. L. 420-1 du Code de commerce entre ses membres84 ».
83 Décision du Conseil de la concurrence n°97-D-26 du 22 avr. 1997 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du portage de médicaments à domicile. 84 Décision du Conseil de la concurrence n°05-D-43 du 20 juill. 2005 relative à des pratiques mises en œuvre par le conseil départemental du Puy-de-Dôme et le Conseil national de l’Ordre national des chirurgiens-dentistes.
49
106. - (Dans cette hypothèse, ce n’est pas l’usage qui est directement
anticoncurrentiel, mais bien la diffusion d’une mise en garde à son sujet. Ainsi, le
Conseil a considéré que cette diffusion avait pour objet et pouvait avoir pour effet
d’empêcher l’accès au marché des entreprises proposant ce type de service et était donc
anticoncurrentielle, même si elle ne modifie pas directement le comportement des
pharmaciens face aux porteurs.
En revanche, comme il sera nécessaire de le constater, l’usage tenant à la diffusion d’un
appel au boycott dans le cadre de la profession de chirurgien-dentiste est quant à lui
directement anticoncurrentiel.
II/ L’usage tenant à la diffusion d’un appel au boycott dans cadre de la
profession de chirurgien-dentiste
107. - (L’entrée dans la profession de chirurgien-dentiste est subordonnée à la
possession d’un diplôme d’État français de docteur en chirurgie dentaire ou de tout
équivalent communautaire. L’exercice de cette profession est soumis à l’inscription au
tableau de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, en accord avec l’article L. 4111-1 du Code
de la santé publique.
Ceux-ci sont également soumis à un Code de déontologie, établissant un certain nombre
de principes tels que l’indépendance professionnelle, le libre choix du chirurgien-
dentiste par le patient, le paiement direct des honoraires, l’interdiction de pratiquer la
profession comme un commerce et notamment l’interdiction de tous procédés directs ou
indirects de publicité85 et l’interdiction de détourner ou de tenter de détourner la
clientèle86. )
108. - (Par une décision du 12 février 2009 faisant suite à la saisine du Conseil
de la concurrence par la société Santéclair – société intervenant pour des compagnies
d’assurance et des mutuelles en matière de couverture complémentaire santé – celui-ci a
85 Art. R. 4127-215 du Code de la santé publique. 86 Art. R. 4127-262 du Code de la santé publique.
50
été amené à sanctionner le Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes au titre
d’une entente87.
109. - (S’agissant de la couverture de soins dentaires, la société Santéclair a
pour activité principale le développement d’un réseau de chirurgiens-dentistes
partenaires s’engageant à modifier les tarifs et le développement des services pour les
patients.
En l’espèce, dans les faits reprochés, le Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-
dentistes a, par le biais de conseils départementaux, incité les chirurgiens-dentistes à
dénoncer leur partenariat avec ladite société en leur laissant entendre que ceux-ci
seraient susceptibles d’être sanctionnés en cas de poursuites disciplinaires.
Or, comme il a été rappelé précédemment, une pratique anticoncurrentielle mise en
œuvre par un tel organisme révèle nécessairement une entente.)
110. - (Le Conseil a donc estimé à juste titre que le Conseil nationale de
l’Ordre avait communiqué de manière continue, de 2002 à 2008, des informations
inexactes en faisant croire au caractère obligatoire des avis déontologiques aux
chirurgiens-dentistes, voire en les menaçant de sanctions disciplinaires en cas de non-
respect de ceux-ci. Celui-ci conclue par ailleurs que la pratique réitérée années après
années par le Conseil de l’Ordre pouvait être assimilée à un appel au boycott dont le but
clair et affiché est d’évincer la société Santéclair du marché, et donc à une entente au
sens de l’article L. 420-1 du Code de commerce. En outre, la diffusion systématique
d’un appel au boycott porte atteinte à l’intérêt des patients en ce sens qu’il fait obstacle
à l’émergence de nouveaux services aux assurés des assurances complémentaires
santé. )
111. - Toutefois, l’apport véritable de cette décision tient en ce qu’elle permet
d’observer que même une pratique anticoncurrentielle par l’objet peut voir ses effets
aggravés par un usage. En effet, l’usage identifié en l’espèce et consistant en la
diffusion systématique et répétée d’informations erronées, dans le seul but d’évincer un
concurrent du secteur aggrave de manière significative l’effet anticoncurrentiel de la 87 Décision du Conseil de la concurrence n°09-D-07 du 12 févr. 2009 relative à une saisine de la société Santéclair à l’encontre de pratiques mises en œuvre sur le marché de l’assurance complémentaire santé.
51
pratique incriminée, ce qui aura un impact sur le quantum de la sanction, comme il sera
nécessaire de l’observer dans la seconde partie de cette étude.
112. - Pour l’heure, il convient de rappeler qu’il a été démontré dans un
premier temps que du fait des règlementations parfois plus restrictives qui ont vu le jour
au cours de ces dernières décennies, et du fait du caractère contraignant conféré aux
usages, les opérateurs économiques français ont parfois tendance à estimer que les
usages qu’ils observent font l’objet d’une régulation à part, distincte de toutes les
règlementations nouvelles. De ce fait, il apparaît que certains usages ont ou peuvent
conduire les opérateurs à adopter des comportements anticoncurrentiels, largement
surveillés par les autorités de concurrence.
C’est en cela que l’observation de certains usages peut permettre directement aux
autorités de concurrence de qualifier une atteinte au droit de la concurrence relevant de
son domaine de compétence : une pratique anticoncurrentielle.
Il serait intéressant désormais de voir, après avoir observé que le respect de
certains usages pouvait permettre de manière directe aux autorités de concurrence de
qualifier une atteinte au droit de la concurrence relevant de son domaine de compétence
– une pratique anticoncurrentielle –, de quelle manière le respect de certains usages
pourrait entraîner une diminution des atteintes au droit de la concurrence par les
opérateurs économiques.
52
Titre 2 : Les effets modérateurs des usages sur le droit de la concurrence
113. - Parfois, la profusion de nouvelles règlementations émises dans les
domaines de la concurrence et des affaires ont l’effet inverse que celui étudié
précédemment, et ont pour effet d’entraîner les opérateurs économiques à s’adapter,
voire à anticiper celles-ci en fixant de leur propre initiative un cadre à ne pas dépasser
afin de ne pas risquer de fausser le jeu de la concurrence.
Comme il sera nécessaire de le constater, certains usages qui ont pour effet de
limiter les atteintes à la concurrence sont apparus au fil de la pratique des activités
observées. En conséquence, il sera nécessaire de déterminer le contexte qui a conduit les
opérateurs économiques à adopter de tels comportements (Chapitre 1), avant d’en
appréhender les quelques exemples les plus parlants (Chapitre 2).
Chapitre 1 : Le contexte conduisant les usages à modérer les
comportements susceptibles de porter atteinte à la concurrence
114. - Les usages ont toujours occupé une place toute particulière en droit
commercial, pour des raisons historiques et logiques : le droit commercial a été d’abord
un droit coutumier, caractère qui n’a pas tout à fait été supprimé par les codifications
successives. En effet, comme le souligne Tanaka, « le législateur n’est pas toujours un
créateur de normes mais il les constate et peut-être les fixe ; il veut simplement
respecter la coutume commerciale, qui existait depuis quelques temps et paraît utile
sans interférence de sa part ; il la met dans le code législatif pour le bien et la sécurité
du commerce… Il n’agit que comme un technicien législatif88 ».
115. - Ainsi, dans un contexte où, comme il a été exposé dans la première
partie, les règlementations évoluent rapidement et tendent à coller au plus près des
pratiques nouvelles des professionnels, ces derniers craignent régulièrement une
88 Tanaka, Fonction de la coutume en droit commercial, in Recueil d’études sur les sources du droit en l’honneur de François Gény, t. 3 : Les sources des diverses branches du droit, 1934, Sirey, p. 247 et s., spéc. p. 252.
53
intervention législative. Ainsi, de manière à éviter toute condamnation future éventuelle,
ceux-ci ont développé une tendance à l’autorégulation, en ce sens qu’ils sont amenés à
délimiter eux-mêmes un cadre à ne pas dépasser afin d’assurer le bon déroulement de
leur activité professionnelle et son adéquation avec les règles de concurrence.
L’Accord Interinstitutionnel « Mieux légiférer » du 12 décembre 2003 établit à ce titre
une définition précise de l’autorégulation, comme consistant en « la possibilité, pour les
opérateurs économiques, les partenaires sociaux, les organisations non
gouvernementales ou les associations d’adopter entre eux et pour eux-mêmes des lignes
directrices communes » 89 . Ainsi, l’autorégulation apporte aux professions qui
choisissent ce mode d’organisation de leurs droits et devoir supplémentaire comme un
instrument de protection de leurs libertés, de responsabilisation et de promotion de leur
profession.
116. - L’exemple le plus représentatif de l’autorégulation est celui observé
dans le secteur des médias et de la publicité, en ce que ceux-ci se sont dotés à la fois de
règles purement déontologiques et de règles issues des membres de la profession.
Les médias ont choisi de développer l’autorégulation pour plusieurs raisons principales :
ce mécanisme permet d’une part de préserver la liberté rédactionnelle des médias tout
en favorisant leur qualité ; et aide à réduire l’ingérence de l’Etat au minimum en
témoignant du sens de responsabilités des médias d’autre part.
117. - Dans son guide pratique sur l’Autorégulation des Médias, l’Organisation
pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) ne nie pas l’importance de la
réglementation plus « traditionnelle » mais souligne simplement le fait que le contrôle
de l’État doit être le plus réduit possible afin que la presse puisse servir efficacement de
garde fou du gouvernement90. C’est là que l’autorégulation trouve toute sa puissance et
son à propos.
Couplée à l’utilisation de codes de déontologie définissant des principes directeurs
concernant la meilleure façon pour les journalistes d’exercer leur profession, le recours
89 Rapport de la Commission « Mieux légiférer 2003 » du 12 déc. 2003, conformément à l’article 9 du Protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, COM (2003)770 final. 90 Haraszti M., Représentant de l’OSCE pour la Liberté des Médias, Guide Pratique sur l’Autorégulation des Médias, 2008.
54
à l’autorégulation dans le secteur des médias permet de préserver l’autonomie de la
profession tout en servant l’intérêt public.
William Gore ajoute dans le même guide que « l’élaboration d’un code de déontologie
n’est que la première étape d’une autorégulation efficace des médias, il est crucial de
mettre ensuite en place une instance qui supervisera le code de déontologie et
sanctionnera ceux qui enfreignent ses règles91 ».
118. - Ainsi, il ressort de l’observation de l’exemple de la presse et des médias
que l’autorégulation est une pratique amenée à être de plus en plus pratiquée ; soit dans
le silence de la loi ou au contraire afin de prévenir et d’éviter que la loi ne doive se
charger de réglementer certaines pratiques. Les professionnels anticipent donc les
législations à venir afin de se responsabiliser et promouvoir la qualité et l’éthique de
leur profession.
119. - Il convient toutefois de distinguer deux types de normes issues de
l’autorégulation : (certaines sont la traduction de pratiques traditionnellement opérées
dans un secteur donné et admises de tous comme ayant une force contraignante, alors
que d’autres ne sont que des pratiques non spontanées, prescrites par un consensus. Les
premières pourront être rapprochées des usages dans l’étude des effets atténuants des
usages sur certains comportements soumis au droit de la concurrence alors que les
secondes ne sont que des règlementations, sous une forme différente toutefois.)
Ainsi, les normes traduisant une pratique spontanée acceptée de tous pourront être
compilées afin d’anticiper la création d’éventuelles règlementations futures, voire
permettre au législateur de rester en retrait dans certains domaines afin de conférer aux
professionnels la charge de leur propre organisation.
120. - Dans tous les cas, il est nécessaire de retenir que face à l’évolution
rapide et constante des pratiques des professionnels, la loi est toujours tenue d’intervenir
afin de définir un cadre autour duquel ces pratiques seraient légales et les conséquences
qui y sont attachées.
91 Haraszti M., op. cit., p. 39.
55
À la fois par peur des sanctions et par anticipation à la venue de nouvelles
réglementations, les professionnels d’un même secteur décident d’avoir recours à
l’autorégulation afin de limiter les risques d’adopter un comportement anticoncurrentiel.
Une partie des règles issues de l’autorégulation découlant d’usages constatés
dans une profession, il convient désormais de voir dans quelle mesure certains usages
peuvent ainsi atténuer les comportements susceptibles de porter atteinte au droit de la
concurrence.
56
Chapitre 2 : Les exemples de comportements anticoncurrentiels
atténués pour tout ou partie par les usages
121. - Comme il a été souligné précédemment, les usages propres à des ordres
professionnels, l’autorégulation en somme, peuvent limiter de manière significative les
atteintes portées au droit de la concurrence. Les illustrations majeures que l’on peut
relever tiennent d’une part à la référence aux « usages loyaux du commerce » (Section
n°1) et d’autre part aux usages codifiés par les professionnels (Section n°2).
Section n°1 : L’effet modérateur des usages loyaux du commerce sur le
droit de la concurrence
122. - Les usages loyaux du commerce occupent une place importante en droit
commercial, ce qui peut contribuer à expliquer pourquoi l’on s’y réfère sans cesse alors
qu’on estime que des pratiques contraires aux règlementations en vigueur constituent
des atteintes au droit de la concurrence.
Ainsi, les usages loyaux du commerce ont un impact certain sur les comportements
potentiellement anticoncurrentiels des opérateurs économiques (§1), même s’il est tout
de même nécessaire de préciser en quoi l’importance de cet impact doit être nuancée
(§2).
§1 : La confirmation de l’existence d’un impact des usages loyaux du
commerce sur les comportements potentiellement anticoncurrentiels
123. - Comme il a été exposé, les usages loyaux du commerce ont un impact
certain sur les comportements des opérateurs économiques. Aussi, il conviendra de
distinguer la place qui est accordée en France à ces usages particuliers (I) de ce qu’il en
est à l’étranger, à travers l’exemple de l’Ukraine notamment (II).
57
I/ L’importance de l’impact des usages loyaux du commerce sur les
comportements potentiellement concurrentiels en France
124. - L’action en concurrence déloyale permet de sanctionner des pratiques
entre concurrents contraires au droit de la concurrence, mais également les pratiques qui
seraient contraires aux « usages professionnels 92 », à savoir les pratiques que
n’emploierait pas un commerçant dit « honnête ».
A cet égard, il convient de souligner que même si la doctrine majoritaire
considère l’action en concurrence déloyale comme une action tendant à l’engagement
de la responsabilité civile du fait personnel, il est également possible de l’envisager
comme une action destinée à faire respecter une certaine forme de morale, une morale
attachée à des usages en vigueur dans un secteur professionnel.
Alors, l’action en concurrence déloyale ne serait qu’une sorte d’action de type
disciplinaire, basée sur la violation des usages loyaux du commerce par l’opérateur
économique concerné. Dans cette conception, ceux-ci ne seraient qu’une sorte de cadre
déterminant les limites à ne pas dépasser pour ne pas être sanctionné sur le fondement
de la concurrence déloyale.
125. - (Afin d’illustrer ces propos, il convient de citer l’exemple du
démarchage de clientèle, qui reste licite tant qu’il respecte les usages loyaux du
commerce. Ainsi, la Cour d’appel de Paris qui a eu l’occasion de se prononcer à ce sujet,
confrontée à des agents venus se présenter chez le client d’une entreprise concurrente
avec un annuaire édité par un concurrent en se prévalant d’une future fusion avec
l’entreprise concurrente ; a jugé que « si une entreprise ne dispose d’aucun droit
privatif sur sa clientèle et si des sociétés œuvrant dans la même domaine d’activité sont
en droit de démarcher la clientèle des concurrents, il n’en demeure pas moins que ce
démarchage doit se faire en respectant les usages du commerce et non en utilisant des
procédés déloyaux93 ».)
92 En ce sens, voir : CA Lyon, 2 déc. 1957, Ann. propr. ind. 1958, p. 22 – CA Douai, 2 oct. 1962, Ann. propr. ind. 1964, p. 58 – CA Versailles, 12e ch., 17 avr. 1985, Gaz. Pal. 1986, 1 som., p. 27. 93 CA de Paris, 4e ch. A., 27 mai 1992.
58
(Il convient de relever que dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris a décidé
de condamner les agents fautifs pour concurrence déloyale, du simple fait de leur
contrariété avec les usages loyaux du commerce. Ceux-ci fixent donc bien, comme il a
été exposé précédemment, des limites aux comportements déloyaux et
anticoncurrentiels.
126. - Ainsi, la crainte de la sanction pour concurrence déloyale entraîne les
opérateurs économiques à rationnaliser leurs comportements et à surveiller la
conformité de leurs pratiques aux usages loyaux du commerce en amont, de manière à
ne pas dépasser ces limites. En conséquence, les usages loyaux du commerce ont
effectivement pour effet de modérer les atteintes à la concurrence par les opérateurs, et
contribuent ainsi à la protection du libre jeu de la concurrence. )
127. - Au vu des divers éléments relevés sur les usages loyaux du commerce, il
apparaît clairement que ceux-ci ont une influence certaine au stade de la qualification de
l’infraction, voire en amont dans la mesure où leur non-respect par les opérateurs peut
entraîner une sanction pour concurrence déloyale.
En somme, il est nécessaire de comprendre que même si la violation des usages
loyaux du commerce n’est pas toujours susceptible d’être sanctionnée, il n’en demeure
pas moins que parfois elle peut l’être. C’est cette crainte qui entraîne les opérateurs
économiques à respecter ces usages afin de ne pas dépasser le cadre ainsi défini.
En revanche, dans certains pays comme l’Ukraine, les usages loyaux du commerce ont
une portée tout autre, puisque leur valeur normative a été fixée par la loi.
59
II/ L’importance de l’impact des usages loyaux du commerce sur les
comportements potentiellement concurrentiels, l’exemple de l’Ukraine
128. - L’Ukraine a adopté sa première loi sur la concurrence en 1992, au cœur
d’un contexte où l’accroissement rapide du nombre des opérateurs économiques sujets
au droit de la concurrence a été relevé partout dans le monde94.
Dans ce pays où la politique de concurrence est érigée au rang de principe
constitutionnel, l’Etat a pour rôle de protéger la concurrence en faveur des entreprises et
les abus de position monopolistique sur le marché, la restriction du libre jeu de la
concurrence ainsi que la concurrence déloyale sont prohibées95.
(La version actuelle de la loi Ukrainienne de la concurrence est entrée en vigueur
le 11 janvier 200196 et a été amendée en 2005 et 2006, afin d’en combler les lacunes. En
effet, celle-ci ne traitait qu’exceptionnellement des problèmes de collusion ou de
contrôle des fusions et des aides d’Etat.
Ainsi, le Comité antimonopole est compétent pour se saisir des affaires de position
dominante, et est responsable de l’élaboration et de l’administration du droit de la
concurrence sur le territoire. Il est notamment en charge de la surveillance de
l’application du droit de la concurrence, de la prévention et de la détection des
violations.
129. - Au même titre que notre article 101 du TFUE, l’article 6 de la loi
Ukrainienne prohibe les ententes. Toutefois, il convient ici de soulever une différence
majeure entre notre système et le système ukrainien : L’article 8 de cette même loi,
intitulé « Concerted actions relating to the supply and use of goods », prévoit une
exception, basée sur les usages. En effet, celui-ci prévoit que les pratiques concertées
peuvent être admises dans des contrats de fourniture de biens, à la condition qu’elles
soient justifiées par les Usages du commerce et/ou les honnêtes usages du monde de
l’entreprise.)
94 Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, Examen collégial volontaire du droit et de la politique de la concurrence : Ukraine, aperçu général, 2013, p. 1. 95 Constitution of Ukraine, art. 42. 96 The Law of Ukraine on Economic Competition Protection, OJVR, 2001, n°12, p. 64.
60
On comprend ainsi qu’en fait, l’article 8 de la loi ukrainienne sur la concurrence
prévoit une exemption pour les ententes à l’occasion de contrats de fourniture de biens,
sous réserve qu’elles soient justifiées par les usages loyaux du commerce et de la
profession.
130. - En Ukraine, les usages semblent donc avoir une portée plus importante
qu’en France, dans la mesure où leur force contraignante est véritablement confirmée
par la loi. Les usages du commerce se sont donc vus conférer la normativité à laquelle
les opérateurs économiques français croient faire face lorsqu’ils sont confrontés à des
usages de leur profession.
Plus qu’un simple effet atténuant sur les comportements potentiellement
anticoncurrentiels qui peuvent être adoptés par les professionnels, les usages constituent
en Ukraine une exemption à des dispositions impératives. Les autorités Ukrainiennes
ont donc considéré que ceux-ci avaient à jouer un rôle majeur dans les rouages du droit
de la concurrence, et qu’ils pouvaient s’avérer plus favorable à l’objectif de protection
du libre jeu de la concurrence, alors même qu’ils favorisent a priori des comportements
anticoncurrentiels : des ententes.
131. - En somme, il semble qu’en Ukraine les usages loyaux du commerce
n’entraîneraient pas une minoration des tendances anticoncurrentielles des
comportements adoptés par les opérateurs économiques en soit, mais constitueraient une
sorte de norme plus à même d’assurer le respect du libre jeu de la concurrence que les
dispositions habituellement prescrites par le droit de la concurrence elles-mêmes.
Il résulte de ces observations que l’importance des usages loyaux du commerce
diffère selon le pays dans lequel on se trouve : en France, ceux-ci sont à même de
déterminer un cadre pour les opérateurs à respecter, même si l’étendue de leur valeur
peut être discutée, alors qu’en Ukraine par exemple, le respect des usages loyaux du
commerce peut constituer une véritable exemption à une pratique anticoncurrentielle.
Il est désormais nécessaire de déterminer la portée de ce rôle atténuant des usages
loyaux du commerce sur la concurrence.
61
§2 : L’importance nuancée de l’impact des usages loyaux du commerce sur
les comportements potentiellement anticoncurrentiels
132. - Comme il sera nécessaire de le constater, les usages loyaux du
commerce peuvent être considérés comme fixant un cadre, une ligne de conduite que les
opérateurs économiques ne doivent pas enfreindre s’il veulent être certains de ne pas
tomber dans l’illégalité (I), toutefois il ne sont pas suffisants à démontrer par eux seuls
l’existence d’une atteinte au droit de la concurrence (II).
I/ L’importance des usages loyaux du commerce dans la qualification
d’un comportement déloyal
133. - (En France, deux conceptions s’opposent quant à la nature de l’action en
concurrence déloyale, la conception « réparatrice » et la « répressive »97.
La première considère qu’il convient de rapporter la preuve de la faute ainsi que du
préjudice afin de démontrer l’existence d’une concurrence déloyale, alors que la
seconde – beaucoup plus large – estime qu’il suffit de démontrer la seule existence
d’une faute pour que l’action soit recevable.
Ainsi, comme il n’est pas nécessaire de rapporter la preuve de l’existence d’un
préjudice dans la conception répressive, il est plus aisé de qualifier un agissement
déloyal du concurrent et ainsi de faire condamner les atteintes au droit de la concurrence.
De la même manière, les opérateurs économiques concernés resteront plus vigilants et
s’assureront de ne pas adopter de comportement anticoncurrentiel.
134. - En outre, si l’on retient l’acception large de la notion de faute, on
pourrait également considérer que non seulement les concurrents lésés mais aussi les
consommateurs qui subissent les augmentations des prix résultant d’un comportement
anticoncurrentiel pourraient intenter des actions en justice. Cette hypothèse est d’autant
plus vraie en France maintenant que la loi Hamon est passée, permettant ainsi aux
97 Izorche M.-L., Les fondements de la sanction de la concurrence déloyale et du parasitisme, RTD Com. 1998, p. 10.
62
consommateurs lésés par un ou plusieurs mêmes professionnels de pouvoir intenter une
action de groupe98. )
Certains États Européens étaient déjà en avance sur ce point, notamment
l’Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas, qui retenaient une acceptation large de la
faute afin de permettre à tous les consommateurs de faire valoir des manquements aux
usages loyaux du commerce et ainsi d’avoir un intérêt à intenter une action contre les
opérateurs fautifs.
L’intérêt principal d’un tel élargissement de la notion de « pratique contraire aux
usages loyaux du commerce » réside en ce qu’il permet aux autorités de sanctionner des
comportements qui n’auraient pas pu l’être si la seule protection des opérateurs
économiques concurrents était en jeu.
135. - En somme, l’effet atténuant des usages loyaux du commerce sur le
comportement des opérateurs économiques est indirect, mais d’une importance
colossale. Ainsi, du fait de l’élargissement de la notion de « pratiques contraires aux
usages loyaux du commerce », les consommateurs lésés sont fondés à intenter une
action au même titre que les concurrents lésés, ce qui a pour effet de multiplier les
chances qu’un procès soit intenté à l’encontre du concurrent fautif et donc que celui-ci
se voie condamner.
Il ressort de ce qui a été exposé auparavant que les usages loyaux sont à même
de limiter les comportements potentiellement anticoncurrentiels des opérateurs en ce
que ces derniers seront contraints de les respecter afin de ne pas risquer de se voir
exposés à une sanction. Néanmoins, il convient de constater également que parfois le
manquement à ces usages loyaux du commerce ne suffit pas à démontrer à lui seul une
infraction au droit de la concurrence.
98 Loi n° 2014-344 dite « Hamon » du 17 mars 2014 relative à la consommation.
63
II/ L’insuffisance du non-respect des usages loyaux du commerce dans
la démonstration de la concurrence déloyale
136. - Le problème principal à l’origine de cette insuffisance du non-respect
des usages loyaux pour qualifier une concurrence déloyale provient du manque de
précision de cette notion d’usages loyaux. En effet, les « pratiques contraires au usages
loyaux du commerce » sont aussi peu identifiables que la notion même de
« concurrence déloyale », qui est d’ailleurs souvent définie par renvoi à la notion
d’usages loyaux du commerce99. C’est le serpent qui se mord la queue.
( 137. - En conséquence, la notion d’usages loyaux du commerce n’étant pas
claire, il est nécessaire de recourir à l’interprétation afin de déterminer ce auquel elle
renvoie. Alors se pose la question de l’autorité qui aurait la légitimité pour qualifier un
usage de loyal.
Il ne semble pas possible de se reposer entièrement sur les professionnels eux-mêmes,
en ce que cela priverait le juge de tout pouvoir de contrôle ; c’est pour cette raison que
le juge français a montré à plusieurs reprises qu’il ne se laisserait pas enfermer par la
seule référence aux usages loyaux du commerce.
Ainsi, abandonnant une position qu’elle a longtemps adoptée100, la Cour de cassation a
pu censurer un arrêt dans lequel la Cour d’Appel avait débouté le demandeur au motif
qu’un usage professionnel validait la pratique litigieuse101.)
138. - Il ressort de ces observations que pour la Haute Cour, la concurrence
déloyale n’est pas simplement constituée par une attitude active mais qu’elle peut – et
c’est là toute la différence, le fait de « pouvoir » ne transcrit en rien une automaticité –
être constituée par le non-respect d’une règle de bonne conduite.
99 La Convention d’Union de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars 1883 définit l’acte de concurrence déloyale comme « tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale ». De même, certaines décisions ont tendance à assimiler la loyauté de la concurrence au « respect des usages locaux du commerce » ; en ce sens : CA Paris, 5 mars 1987, D. 1988, Somm. 180, obs. Serra Y. 100 Cass. com., 5 juin 1971, Bull. civ. IV, n°155. 101 Cass. com., 26 mai 1983, Bull. civ. IV, n°149.
64
Toutefois, il convient de rappeler que les usages loyaux du commerce ne sont pas les
seuls à atténuer les comportements susceptibles de porter atteinte au droit de la
concurrence. En effet, il est désormais nécessaire de noter la présence d’une pratique de
plus en plus courante aujourd’hui, la codification des usages de leur profession par les
professionnels eux-mêmes.
Section n°2 : L’effet modérateur des usages codifiés par des professionnels
139. - À côté des règlements professionnels, il convient de relever le
développement d’un nouveau mode de régulation privée des activités économiques, qui
peut prendre plusieurs formes. Ainsi, il conviendra de distinguer la valeur normative
désormais accordée aux usages déontologiques (§1) de celle plus générale conférée par
l’autorégulation des professionnels qui codifient les usages pratiqués au sein de leur
professions, des sortes de « Codes de bonne conduite » (§2).
§1 : Les règles de déontologie
140. - L’objet d’une règle de déontologie est de fixer les devoirs entre les
membres d’une profession. Celle-ci est assortie de sanctions disciplinaires, de sorte que
son respect est considéré comme primordial par le reste de la profession. Daniel Tricot,
Président de la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de
Cassation définit la déontologie à l’occasion d’une conférence sur les rapports entre
déontologie et concurrence, comme « un ensemble de règles morales, techniques,
juridiques, de bonne conduite, dont une profession se dote pour organiser son
fonctionnement et légitimer ses missions102 ».
Finalement, les règles déontologiques sont des règles permettant la vie en société des
différents membres d’une même profession, dans le respect d’une éthique.
141. - (Il convient toutefois de souligner que toutes les règles de déontologie
ne constituent pas des usages, dans la mesure où ces derniers ne s’entendent que comme
des pratiques suffisamment précises pour servir de modèle aux professionnels. Ainsi, il 102 Tricot D., Conférence « Déontologie et concurrence », 21 juin 2007, p. 1.
65
faut exclure les déclarations d’intentions et les simples recommandations, trop vagues
pour réellement lier les professionnels.
En revanche, toutes les règles de déontologie qui font l’objet d’une reconnaissance
incontestée par le milieu professionnel pourront être considérées comme des usages.)
142. - (Même s’il est constant de juger que les usages ne peuvent constituer des
règles d’ordre public dont la méconnaissance par les contractants entraînerait la
violation de leur convention103, il n’en demeure pas moins que, comme il a été démontré
ci-avant, la jurisprudence s’oriente vers une certaine prise en compte d’une valeur
normative des usages déontologiques.)
Ainsi, pour exemple, il est interdit aux pharmaciens de porter atteinte au libre
choix du pharmacien par sa clientèle. Les pharmaciens doivent observer les règles
déontologiques qui leur prescrivent de s’abstenir de tout acte de concurrence déloyale104.
Il en est de même dans de nombreux secteurs comme la publicité, comme étudié dans la
première partie, ou encore chez les médecins105, les architectes106 et les ostéopathes107 ;
en somme dans la plupart des professions règlementées.
143. - On pourrait s’interroger sur la pertinence de ces prescriptions
déontologiques, quelque peu redondantes avec les usages loyaux du commerce et les
mécanismes d’engagement de la responsabilité civile délictuelle pour concurrence
déloyale dont dispose l’article 1382 du Code civil. Toutefois, il ressort de manière
générale que la codification de ces usages dans des codes de déontologie accentue leur
force contraignante, atténuant par là même les comportements anticoncurrentiels.
144. - Ainsi, les professionnels respectant les règles éditées par le code de
déontologie propre à leur profession sont a fortiori moins susceptibles d’adopter des
comportements anticoncurrentiels. En outre, si on parvient à étendre la valeur normative 103 Cass. civ. 1e, 5 nov. 1991, RTD civ. 1992. 383, obs. J. Mestre. 104 Code de Déontologie des pharmaciens, Art. R. 4235-21, « Il est interdit aux pharmaciens de porter atteinte au libre choix du pharmacien par la clientèle. Ils doivent s'abstenir de tout acte de concurrence déloyale ». 105 Code de Déontologie médicale, art. 67 et 68. 106 Code de Déontologie des architectes, Section 3 : Devoirs envers les confères, points 17 et 18. 107 Code de Déontologie des ostéopathes, art. 58 et 59,
66
de ces usages les risques pour les professionnels d’être sanctionnés seraient plus
nombreux et par la même la crainte de la sanction les forcerait à s’aligner sur les bonnes
pratiques « spontanées » préconisées par les codes de déontologie.
145. - À ce propos, par une décision du 29 avril 1997, la Cour de cassation a
assimilé la faute civile à la violation de l’usage professionnel et estimé que « la
méconnaissance par une société d’expertise-comptable des règles déontologiques de la
profession suffit à établir que ces agissements sont constitutifs de la faute de
concurrence déloyale108 ». Cette solution a par ailleurs été reprise dans un arrêt de 2011,
où la Cour reproche aux juges du fond d’avoir considéré à l’occasion d’un transfert de
quatre clients d’un cabinet d’expertise comptable à un autre, qu’il n’était pas établi que
ces derniers « aient fait l’objet d’un détournement par des moyens déloyaux faussant le
libre jeu de la concurrence », alors qu’ils avaient constaté que ces derniers « s’étaient
effectués en méconnaissance des règles déontologiques de la profession d’expert-
comptable109 ».
146. - (Même s’il semble qu’aujourd’hui la Cour ait abandonné cette pratique
décisionnelle, notamment à travers l’arrêt largement commenté rendu par la Chambre
commerciale de la Cour de cassation le 10 septembre 2013 – et dans lequel celle-ci
subordonne désormais l’admission de la concurrence déloyale par manquement aux
règles déontologiques à la démonstration de l’existence d’un lien de causalité entre la
faute déontologique et l’acte de concurrence déloyale allégué110 – il n’en demeure pas
moins que l’atteinte à une de ces règles déontologiques peut entraîner plus ou moins
directement une atteinte au libre jeu de la concurrence. )
147. - Il convient d’en déduire à l’inverse, que les règles déontologiques
posées par les professionnels eux-mêmes ont pour but et pour effet de limiter les
atteintes à la concurrence opérées par les opérateurs d’un secteur. On pourrait même
108 Cass. com., 29 avr. 1997, Bull. civ. IV, n°111, JCP 1997, n°4068, chron. G. Viney, D. 1997. 459 note Y. Serra – Cass. com., 18 avr. 2000, n°97-17.719 et Cass. com., 22 mai 2001, n°95-14.909. 109 Cass. com., 12 juill. 2011, n°10-25-386 ; D. 2011, p. 2782, note Robert A. et D. 2011, p. 2967, obs. Picod Y., Contrats, conc., consom. 2011, comm. 211, note Malaurie-Vignal M. et Grandvuilllemin S., Déontologie et concurrence déloyale, LPA 2011, n°234, p.10. 110 Cass. com., 10 sept. 2013, n°12-19.356, P+B+R.
67
aller jusqu’à dire que la protection de la libre concurrence entre les opérateurs
économiques d’un secteur constitue l’essence même de la mise en place de ces règles
déontologiques, avec le respect de l’éthique et de relations honnêtes entre les
professionnels.
148. - Toutefois, même si en grande partie les règles déontologiques ont pour
effet de limiter les atteintes à la libre concurrence, il est des cas où l’effet inverse se
produit. En effet, comme le souligne Yves Serra, « on peut admettre qu’au nom de la
confraternité et d’un « principe de délicatesse » les règles déontologiques édulcorent la
concurrence entre les membres d’une même profession, mais il reste que la liberté de
choix de la clientèle doit être sauvegardée et que la liberté de la concurrence ne doit
pas être totalement anéantie, les règles déontologiques pouvant d’ailleurs être
sanctionnées au titre des articles 7 et suivants de l’ordonnance du 1er décembre 1986 en
tant que « dispositions faisant obstacle au libre jeu de la concurrence111 »112 ».
149. - En somme, c’est la codification de certains usages loyaux du commerce
par les codes de déontologie qui confère aux usages l’essentiel de leur force
contraignante. Ainsi, ces usages respectés par les opérateurs économiques entraînent
une minoration des atteintes au jeu de la libre concurrence, même si parfois il est
nécessaire de reconnaître que ces mêmes règles peuvent conduire les professionnels à
adopter des comportements anticoncurrentiels. De la même manière, les professionnels
peuvent décider d’agir directement sur le comportement de leurs pairs, en élaborant eux
aussi des règles propres à chaque ordre.
111 Décision du Conseil de la concurrence n°91-D-55 du 3 déc. 1991 relative à la situation de la concurrence dans le secteur des géomètres experts, Rec. Lamy, n°474, obs. V. Selinsky. 112 Serra Y., Méconnaissance des règles déontologiques et concurrence déloyale, RTD Com. 1997, p. 459.
68
§2 : Les règles propres aux ordres professionnels
150. - (Les usages modernes émanent essentiellement des organisations
professionnelles, notamment des chambres syndicales de commerçants. Celles-ci sont à
l’origine d’une réglementation envahissante qui prend la forme de « clauses
générales113 » ou de codes d’usages censés regrouper les clauses contractuelles les plus
répandues dans les contrats passés par leurs membres et la clientèle. Il s’agit donc d’une
sorte de codification privée des usages les plus répandus dans un secteur d’activité
donné, qui permet la diffusion des règles professionnelles.)
151. - Les normes techniques élaborées par ces professionnels sont
traditionnellement considérées comme facultatives, même lorsqu’elles sont
homologuées – à l’exception toutefois des normes élaborées par l’AFNOR qui ne
relèvent pas d’usages puisqu’elles résultent d’une habilitation du législateur en amont –
à moins bien sûr que les parties ne choisissent d’y faire directement référence au sein du
contrat.
Toutefois, il est nécessaire de constater que la jurisprudence a aujourd’hui tendance à
appréhender ces normes comme « une codification écrite des règles de l’art ou des
usages de la profession », dont la juridicité existe « indépendamment de leur
incorporation par les parties dans une convention114 ».
152. - L’objectif de cette pratique est double : d’une part l’autorégulation par
les professionnels des secteurs et les branches d’activité concernées, et d’autre part la
valorisation de l’usage de la profession.
153. - (Comme le soulignent Kasirer et Noreau, on distingue deux types
d’acteurs dans chaque secteur professionnel : les acteurs directs, qui ne voient
généralement pas au delà de leurs rapports particuliers et les acteurs indirects qui les
conseillent ou les représentent. Ainsi, les usages d’une profession peuvent être codifiés 113 Seube A., Les conditions générales des contrats, in Études offertes à Alfred Jauffret, 1974, Faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille, p.621 – Malinverni P., Les conditions générales de vente et les contrats types des chambres syndicales, préf. J. Hémard, 1978, LGDJ. 114 Boy L., La valeur juridique de la normalisation, dans Clam J. et Martin G., Les transformations de la régulation juridique, 1998, LGDJ, p. 183 et s., spéc. p. 186.
69
tant par les professionnels eux-mêmes que par ceux qui les représentent, à savoir les
syndicats et les associations professionnelles ou catégorielles115.)
154. - Comme il a été exposé précédemment au cours de l’étude du contexte
environnant, la décision des professionnels de codifier certaines pratiques peut provenir
d’une volonté de compléter une loi existante ou encore de créer une règle dans le silence
de la loi.
Pour illustrer le premier cas, on peut citer par exemple des formes de contrats-types qui
auraient pour but de codifier certains usages professionnels ou encore de fournir un
modèle dans un secteur qui ne fait pas encore l’objet de règlementations exhaustives
Le deuxième cas quant à lui correspondrait plus à des hypothèses dans lesquelles le
législateur a volontairement décidé de rester en retrait, soit parce que la pratique n’est
pas encore complètement saisissable (questions nouvelles), soit parce que les acteurs
privés sont les plus aptes à s’organiser eux-mêmes.
155. - (Dans certaines configurations, il semble que les opérateurs
économiques aient souhaité produire une norme à leur propre usage, c’est ce que Kelsen
aurait pu appeler une norme individuelle, un acte juridique. Ainsi, même si la plupart du
temps les usages pratiqués par les professionnels finissent par être « consacrés » par un
acte juridique – contrat ou acte unilatéral – certains sont exceptionnellement hissés au
rang de règle coutumière, usage à la force contraignante.)
On peut ainsi citer l’exemple préféré de Pascal Deumier sur les marchands de pierre
précieuse116 : ceux-ci « ne peuvent pas écouler les pierres précieuses sans passer par
l’intermédiaire des orfèvres, qui n’ont pas eux-mêmes les moyens de constituer un stock
aussi coûteux qu’incertain. Aussi il est d’usage que les marchands de pierres précieuses
confient leurs pierres aux orfèvres avec autorisation de les ouvrer dès qu’un client
passe la commande d’un bijou. Ce dépôt prend fin soit par la restitution, soit par la
fabrication des pierres ».
Ainsi, la Cour de cassation a récemment cassé la décision qui interprétait le « contrat de
confié » de la bijouterie « nonobstant les usages de la profession » tels que recensés
115 Kasirer et Noreau, Les rapports privés source de droit privé, Ed. Thémis, Montréal, 2002, p. 13 s. 116 Deumier P., Le droit spontané, Économica 2002, n°37, 244 et 271.
70
dans le code des usages de la bijouterie-joaillerie-orfèvrerie-cadeaux établi le 10 février
1981, code « dont l’application n’était pas contestée117 ».
156. - Ce qu’il est important de retenir ici est que les usages propres à une
profession – même s’ils ne sont que supplétifs aux dispositions d’ordre public – doivent
être appliqués et respectés du moment où ils n’ont pas été expressément écartés. Ainsi,
a priori, le respect de ces usages et de ces règles éthiques « codifiées » permettrait aux
opérateurs économiques de limiter les risques de s’exposer à des sanctions et par la
même limiter les comportements anticoncurrentiels de ceux-ci. C’est en cela que les
usages peuvent comporter un effet modérateur sur les comportements soumis au droit
de la concurrence.
117 Com. 6 juil. 1999, JCP 1999. IV. 2650.
71
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
157. - Les usages semblent tirer leur force obligatoire de leur définition même,
en ce sens qu’il est acquis que ceux-ci doivent trouver, aux yeux des professionnels
concernés, la valeur d’une règle de droit afin de pouvoir être considérés comme tel.
Ainsi, les professionnels sont tenus de prendre connaissances des usages en vigueur
dans leur secteur avant même d’y entrer.
Il a été démontré dans un premier temps que du fait des règlementations parfois plus
restrictives qui ont vu le jour au cours de ces dernières décennies, et du fait de ce
caractère contraignant conféré aux usages, les opérateurs économiques français ont
parfois tendance à estimer que les usages qu’ils observent font l’objet d’une régulation à
part, distinctes de toutes les règlementations nouvelles. De ce fait, il apparaît que
certains usages ont ou peuvent conduire les opérateurs à adopter des comportements
anticoncurrentiels.
158. - C’est en cela que l’observation de certains usages peut permettre
directement aux autorités de concurrence de qualifier une atteinte au droit de la
concurrence relevant de son domaine de compétence, une pratique anticoncurrentielle.
À titre d’illustration, il a été démontré que dans de nombreux domaines certains usages
pouvaient conduire les opérateurs à adopter des comportements anticoncurrentiels,
comme c’est le cas notamment dans certaines relations commerciales réalisées par le
biais de contrats de mandat (chez les intermédiaires en assurance et de publicité), dans
le secteur de la production agricole et des Appellations d’Origine soumis à une forte
tradition ; ou encore dans certaines pratiques commerciales qui ne relèvent pas
directement de la compétence de l’Autorité mais que celle-ci surveille néanmoins de
près.
159. - À l’inverse, on a également pu constater que les professionnels d’un
secteur ont su développer une certaine tendance à anticiper les règlementations à venir
et à éviter en amont d’adopter des comportements anticoncurrentiels en donnant un
caractère contraignant à des usages qualifiés « d’honnêtes », que ce soit les usages
loyaux du commerce ou encore des pratiques qui ont acquis la qualité d’usages
72
contraignants du fait de leur répétition et de leur caractère admis. En outre,
l’autorégulation – en sa seule part constituant des usages, c’est-à-dire la codification de
certains usages pratiqués à répétition et acceptés par tous – peut s’avérer être un
instrument de protection de leurs libertés et de promotion de leur profession.
160. - Ainsi, si les usages loyaux du commerce auxquels il est souvent fait
référence en droit international ont une force moindre en France, il n’en demeure pas
moins que ceux-ci conservent un impact certain mais nuancé. De manière générale, une
plus large place est faite aujourd’hui à ce droit que on considérait comme « mou » il y a
peu. À cet égard, il convient de noter que certains pays comme l’Ukraine sont déjà en
avance sur la France dans la considération de la force juridique des « bons » usages.
De la même manière, les professionnels développent une tendance à se responsabiliser
en codifiant les usages qui sont acceptés afin d’organiser leurs relations – par le biais de
l’autorégulation ou de l’édition de Codes de déontologie – et ainsi éviter en amont les
sanctions. Le droit de la concurrence prend alors une toute autre portée, en ce que son
objectif dissuasif est transcendé.
161. - De manière générale, il ressort que les pratiques ne faisant pas l’objet
d’une compilation ont souvent tendance à s’avérer plus nuisibles au droit de la
concurrence alors que les « bonnes pratiques » codifiées – mais plus rarement
spontanées – sont au contraire bénéfiques et influent sur les opérateurs de manière à ce
qu’ils respectent par anticipation les règlementations.
Il convient désormais, puisque l’impact – positif ou négatif – des usages au stade de la
qualification d’une infraction au droit de la concurrence a été démontré, d’appréhender
ce qu’il en est au moment de la détermination du montant de la sanction pécuniaire.
73
PARTIE II : LE RÔLE DES USAGES DANS LA DÉTERMINATION
DE LA SANCTION DES PRATIQUES
ANTICONCURRENTIELLES
162. - Comme il a été exposé dans la première partie de cette étude, les usages
peuvent jouer un rôle majeur au stade de la qualification d’une atteinte au droit de la
concurrence. En effet, ceux-ci peuvent influer directement ou indirectement sur les
comportements des opérateurs économiques, de telle sorte qu’ils vont être amenés à
enfreindre ou au contraire à s’autolimiter afin de respecter le droit de la concurrence.
Après le temps de la qualification – afin de déterminer si une pratique doit faire l’objet
ou non d’une sanction – vient le temps de la détermination de la sanction de cette
pratique fautive. Ainsi, l’Autorité dispose de la possibilité de sanctionner à la fois le
non-respect de l’injonction qu’elle peut avoir prononcé et l’infraction aux règles de
concurrence elles-mêmes118. Pour les besoins de cette étude, il conviendra de se
consacrer exclusivement à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires
utilisée par l’Autorité de la concurrence, puisque comme on il a été démontré, il n’est
pas nécessaire de distinguer selon que celle-ci applique le droit français ou le droit
communautaire de la concurrence.
163. - (Ainsi, à l’inverse du droit pénal qui prévoit une « échelle des peines »
permettant de déterminer par avance des « fourchettes » de peines en fonction de la
gravité des infractions ; le droit de la concurrence – et par là l’Autorité – ne prévoit
aucune échelle des sanctions119. En effet, selon elle, le montant de la sanction « ne peut
être pleinement compris qu’à la lecture de l’ensemble des motifs pertinents de la
décision et à la lumière du contexte de l’affaire en cause120 ».)
164. - Ainsi, il conviendra dans un premier temps de retranscrire fidèlement –
voire un peu scolairement – la méthode appliquée par l’Autorité de la concurrence pour
déterminer le montant des sanctions pécuniaires supportées par les opérateurs
118 Cass. com., 23 oct. 2007, n°06-17.852, D. 2007, p. 3002, obs. Chevrier E. 119 Rapp. Du conseil de la concurrence pour 1997, p. 89. 120 Communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires.
74
économiques fautifs (Titre 1), préalable nécessaire afin de pénétrer le cœur du sujet et
d’observer plus précisément le rôle que peuvent – ou pourraient – jouer les usages dans
le processus de détermination de ces sanctions (Titre 2).
75
Titre 1 : La méthode de détermination des sanctions pécuniaires de
l’Autorité de la concurrence
165. - Longtemps restée floue et incertaine, la pratique décisionnelle de
l’Autorité de la concurrence en matière de détermination du montant de la sanction
pécuniaire a su acquérir une certaine transparence au fil du temps ; jusqu’à atteindre en
2011 une prévisibilité quasi-complète à travers la publication d’un communiqué relatif à
la méthode de détermination des sanctions pécuniaires.
Il convient donc d’abord d’appréhender le cheminement qui a mené l’Autorité à la
publication de ce communiqué (Chapitre 1), avant d’entamer réellement l’étude de la
méthode de détermination des sanctions appliquée par l’Autorité désormais (Chapitre 2).
Chapitre 1 : La chronologie de la mise en place de la politique de
détermination des sanctions par l’Autorité de la concurrence
166. - L’article L. 464-2 du Code de commerce dispose, en son I. alinéa 3 que
« les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à
l’importance du dommage causé à l’économie et à la situation de l’organisme ou de
l’entreprise sanctionnés », ce à quoi le législateur de 2001 a ajouté qu’elles devaient
également être proportionnées à « la situation du groupe auquel l’entreprise appartient
et à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre ». En outre, il
faut que ces sanctions soient « déterminées individuellement pour chaque entreprise ou
organisme sanctionné, et de façon motivée pour chaque sanction ».
167. - (L’un des principes directeurs de la détermination des sanctions
pécuniaires est le principe de proportionnalité, consacré en 1992121. Aussi, les autorités
de concurrence, par le truchement de la Cour de cassation, se sont octroyées le pouvoir
de contrôler l’application de ces critères légaux par les juridictions du fond, qui
interviennent le plus souvent en aval des décisions de l’Autorité afin d’allouer des
réparations aux victimes des pratiques anticoncurrentielles, ou encore en cas de recours
121 Par la L. n°92-1442 du 31 déc. 1992 relative aux délais de paiement entre les entreprises, art. 1er.
76
à l’encontre d’une décision de l’Autorité. Aussi, la chambre commerciale a été amenée
à censurer un arrêt dans lequel les juges du fond s’étaient bornés à « relever le caractère
renouvelé et la gravité des pratiques sanctionnées (…) sans apprécier la
proportionnalité de la sanction à la situation de [l’entreprise] et au dommage causé à
l’économie122 ».
À l’inverse, elle a également pu aggraver la sanction prononcée par les juges du fond,
estimant que celle-ci n’était pas assez forte compte tenu du caractère délibéré et
persistant du non-respect d’une injonction claire et précise adressée par le Conseil123.)
168. - Le chemin jusqu’à la publication d’un communiqué relatif à la méthode
de détermination des sanctions pécuniaires par l’Autorité de la concurrence n’a pas été
de tout repos. L’initiateur à l’origine de ce besoin des autorités d’obtenir une grille de
détermination des sanctions établies par l’Autorité de la concurrence est un arrêt de la
Cour d’appel de Paris relatif au « cartel de l’acier », dans lequel celle-ci a divisé par
huit la sanction record de 575 millions d’euros infligée par l’Autorité de la
concurrence124.
Suite à cette affaire, le ministre des Finances a exprimé son désir de confier à une
commission la mission d’examiner la politique de sanction pratiquée par l’Autorité de la
concurrence, plutôt que de se pourvoir en cassation. Ce rapport remis le 20 septembre
2010, détaille en profondeur le mode de calcul des sanctions de l’Autorité de la
concurrence et parvient à la conclusion suivante : il est nécessaire de définir un
« montant de base pondéré ensuite par des circonstances atténuantes ou
aggravantes »125.
(À la suite de ce rapport et à l’aune des lignes directrices publiées par la
Commission européenne sur le calcul des amendes, l’Autorité de la concurrence a
publié un projet de communiqué réunissant des consultations d’origines très variées –
122 Cass. com., 23 avr. 2003, n°01-16.124, Lettre-distrib., juin 2003. 123 Cass. com., 14 mars 2006, n°05-11.232, RLC 2006/8, n°569, obs. Sélinsky V. 124 CA Paris, 19 janv. 2010, pôle 5, ch. 5-7, n°2009/00334, AMD Sud-Ouest e. a., D. 2010, P. 261, obs. Chevrier E., Contrats, conc. consom. 2010, comm. 79, obs. Decocq G., RLDA 2010/47, n°2773, obs. Ferré D. et Biancone K. 125 Rapp. sur l’appréciation de la sanction en matière de pratiques anticoncurrentielles, Folz J.-M., Raysseguier C. et Schaub A., RLDA 2010/54, n°3115, obs. Anadon C., Contrats, conc. consom. 2010, comm. 261, note Bosco D., RLC 2011/26, obs. Sélinski V.
77
associations d’entreprises et de consommateurs, avocats, économistes, universitaires –
suivi d’une table ronde publique le 30 mars 2011126. )
169. - Enfin, l’Autorité a été en mesure de publier son communiqué définitif le
16 mai 2011, « relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires127 »,
dans lequel elle synthétise sa pratique décisionnelle et clarifie les différentes étapes de
son approche de la détermination des sanctions. Celui-ci l’engage et lui est opposable
« sauf à ce qu’elle explique, dans la motivation de sa décision, les circonstances
particulières ou les raisons d’intérêt général la conduisant à s’en écarter dans un cas
donné ». L’Autorité a même souhaité lui conférer la valeur d’une directive pour qu’elle
soit directement applicable aux litiges encore en cours ; reste à voir comment sera
appliquée cette volonté en pratique.
170. - (L’Autorité a d’ailleurs eu l’opportunité d’éprouver pour la première fois
sa méthode de détermination du montant des sanctions pécuniaires à l’occasion d’une
décision concernant le « cartel des lessiviers », décision pour laquelle celle-ci s’est
appliquée à motiver étape par étape, avec beaucoup de pédagogie, la mise en œuvre de
ses méthodes128.)
Les principaux objectifs de ce communiqué sont d’accroître la transparence et d’enrichir
le contradictoire à l’occasion de la détermination des sanctions. Toutefois il est encore
trop tôt aujourd’hui pour en percevoir toute l’étendue en l’absence de décisions
supplémentaires, c’est pourquoi il convient d’apprécier la méthode exposée par
l’Autorité plus en détail à travers les quelques applications pratiques que l’on est déjà en
mesure de déterminer, où des présomptions théoriques que l’on peut échafauder.
126 Projet de communiqué de l’Autorité de la concurrence sur la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, Arhel P., JCP E 2011, n°4, p. 9, n°40 et Contrats, conc. consom. 2011, alerte 22 ; Contrats, conc. consom. 2011, comm. 77, obs. Bosco D. 127 Communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, Arhel P., obs. JCP E 2011, n°21-22, p. 9, n°279 ; D. 2011, p. 1478, obs. Constantin L. 128 Décision de l’Autorité de la concurrence n°11-D-17 du 8 déc. 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des lessives.
78
Chapitre 2 : La politique de détermination des sanctions par l’Autorité
de la concurrence
171. - Comme il a été exposé précédemment, l’article L. 464-2 du Code de
commerce prévoit que les sanctions pécuniaires doivent être déterminées en fonction de
quatre critères majeurs : la gravité des faits, l’importance du dommage causé à
l’économie, la situation individuelle de l’organisme ou de l’entreprise sanctionné ou du
groupe auquel l’entreprise appartient et l’éventuelle réitération de pratiques prohibées
par les règles de concurrence.
Dans son communiqué, l’Autorité déclare suivre en pratique, l’ordre effectivement
prévu par le Code de commerce. Ainsi, afin de déterminer clairement quelle politique de
calcul des sanctions est adoptée par l’Autorité, il convient d’étudier dans un premier
temps de quelle manière celle-ci détermine le montant de base de la sanction qui doit
être ordonnée contre l’opérateur économique fautif (Section n°1) avant de voir quels
mécanismes d’individualisation de la sanction peuvent entrer en jeu afin de minorer ou
de majorer celle-ci au cas par cas (Section n°2).
Section n°1 : Le montant de base de la sanction pécuniaire
172. - Pour reprendre le cheminement du communiqué de l’Autorité de la
concurrence129, avant de parvenir à un résultat définitif celle-ci doit d’abord déterminer
le montant de base de la sanction pécuniaire pour chaque entreprise ou organisme en
cause, en fonction de l’appréciation portée par l’Autorité sur des critères qui dépendent
de la situation individuelle de l’entreprise et de l’infraction en cause.
Pour ce faire, l’Autorité a pour habitude de tenir compte de deux facteurs pertinents
dans cette première étape : elle fixe dans un premier temps l’assiette qui sera retenue
pour la détermination de la sanction des opérateurs économiques fautifs (§1), afin de
pouvoir dans un second temps déterminer le montant de base de la sanction pécuniaire à
travers l’appréciation de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à
l’économie par la pratique anticoncurrentielle (§2).
129 Communiqué de l’Autorité de la concurrence du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires.
79
§1 : La détermination de l’assiette de la sanction pécuniaire
173. - Afin de déterminer l’assiette de la sanction pécuniaire, il est nécessaire
que l’Autorité prenne en considération la valeur des ventes (I), ainsi que la proportion
qui en est retenue au vu des éléments exposés auparavant, à savoir la gravité des faits et
l’importance du dommage causé à l’économie (II).
I/ La prise en compte de la valeur des ventes
174. - Par « valeur des ventes », il convient de retenir que l’Autorité vise « la
valeur de l’ensemble des catégories de produits ou de services en relation avec
l’infraction, ou s’il y a lieu avec les infractions, vendues par l’entreprise ou
l’organisme concerné durant son dernier exercice comptable complet de participation à
celle(s)-ci », sous réserve que celui-ci constitue une référence représentative130.
(L’entreprise, l’organisme ou le groupement d’entreprise doit alors fournir la
valeur de ses ventes à l’Autorité, ainsi que toutes les données nécessaires à leur
justification. Une fois récoltées et analysées, l’Autorité sera en mesure de se servir de
ces données afin de les confronter à la gravité des faits et l’importance du dommage
causé à l’économie ; et ainsi d’apprécier l’importance de la proportion qui devra être
retenue.)
130 Communiqué du 16 mai 2011 préc., p. 9.
80
II/ La proportion de la valeur des ventes retenue au titre de la gravité
des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie
175. - (Le communiqué indique que la proportion de la valeur des ventes
réalisées durant l’exercice comptable de référence retenue est comprise en 0 et 30% ;
même si en principe cette proportion est comprise entre 15 et 30% dans des hypothèses
d’accords unilatéraux entre concurrents constituant des restrictions caractérisées
(fixation des prix, répartition des marchés ou des clients, limitation de la production,
etc.)131. En effet, ces pratiques correspondant à une manipulation directe des paramètres
essentiels de la concurrence et parmi les plus difficiles à détecter du fait de leur
caractère secret, sont considérées comme « injustifiables » par l’OCDE132. Il pourra
également )en être de même s’agissant d’autres pratiques anticoncurrentielles jugées
d’une gravité particulière.
176. - La durée est également un facteur important qui pourra être amené à
jouer sur la proportion retenue. Ainsi, des infractions perpétrées pendant une durée
supérieure à une année verront la proportion retenue par l’Autorité appliquée « au titre
de la première année complète de participation de chaque entreprise ou organisme en
cause à l’infraction, à la valeur des ventes réalisées pendant l’exercice comptable de
référence, et, au titre de chacune des années suivantes, à la moitié de cette valeur133 ».
Ce paramètre est très intéressant et sera développé par la suite par rapprochement avec
les usages, c’est pourquoi il convient de ne pas s’étendre plus à ce propos.
177. - En somme, après avoir défini l’assiette sur laquelle le montant de base
de la sanction pécuniaire va être calculé, il est nécessaire que l’Autorité apprécie
effectivement la gravité des faits et l’importance du dommage causé à l’économie afin
d’être en mesure de déterminer la proportion à retenir.
131 Pour exemples : Décision de l’Autorité de la concurrence n°12-D-06 du 26 janv. 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des agrégats et des marchés aval à St Pierre et Miquelon et Décision de l’Autorité de la concurrence n°12-D-24 du 13 déc. 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la téléphonie mobile à destination de la clientèle résidentielle en France métropolitaine. 132 Conseil de l’OCDE, Recommandation n°C(98)35/Final du 25 mars 1998 concernant une action efficace contre les ententes injustifiables. 133 Communiqué du 16 mai 2011 préc., p. 10.
81
§2 : L’appréciation de la gravité des faits et de l’importance du dommage
causé à l’économie
178. - Même s’ils paraissent très proches, il convient de souligner que
l’Autorité n’utilise pas le même faisceau d’indices pour apprécier la gravité des faits (A)
et l’importance du dommage causé à l’économie (B). Il conviendra alors de les
distinguer.
I/ L’appréciation de la gravité des faits
179. - La gravité des faits s’apprécie de la manière la plus objective qu’il soit,
au vu de l’ensemble des éléments concrets et pertinents qui constituent le cas d’espèce.
L’autorité réalise ainsi une appréciation globale de la gravité des faits, « sans préjudice
des éléments propres au comportement et à la situation individuelle de chacun d’entre
eux, qui sont pris en considération ultérieurement ».
180. - En pratique, l’Autorité tient principalement compte de quatre éléments,
selon leur degré de pertinence.
En premier lieu, elle tient compte de « la nature de l’infraction ou des
infractions en cause et des faits retenus pour la ou les caractériser », soit ce dont il a
été question dans la première partie de cette étude. Ainsi, dans le cadre d’une entente
entre concurrents, elle distinguera selon qu’il s’agisse d’un cartel de prix ou d’un simple
échange d’informations, moins grave. Il en sera de même dans le cas d’une entente
entre des acteurs d’une même chaîne verticale – dans l’hypothèse d’une pratique de prix
de revente imposés par exemple – ou dans le cas d’un abus de position dominante, qu’il
s’agisse d’un abus d’éviction ou d’exploitation ; les pratiques les plus graves au regard
des exigences de fonctionnement normal du marché restant le boycott ou l’exclusion134.
134 Décision du Conseil de la concurrence n°02-D-36 du 14 juin 2002 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la distribution des lunettes d’optique sur le marché de l’agglomération lyonnaise – Décision du Conseil de la concurrence n°04-D-56 du 15 nov. 2004 relative à des pratiques mises en œuvre par le groupe La Dépêche du Midi et des commissaires-priseurs de Toulouse.
82
Par ailleurs, l’Autorité tient également compte de la nature du ou des paramètres de la
concurrence en cause dans l’espèce, qu’il s’agisse d’un comportement anticoncurrentiel
en rapport avec les prix, la clientèle ou encore la production ; et le cas échéant de leur
combinaison.
Ces divers éléments identifiés par l’Autorité sont la pierre angulaire de la détermination
du montant de la sanction et revêtent une importance considérable en raison de leur
gravité intrinsèque.)
(En second lieu, l’Autorité doit s’intéresser à « la nature des activités, des
secteurs ou des marchés en cause » selon qu’il s’agisse d’une activité de service public,
de marché public, un secteur ouvert depuis peu à la concurrence ou autre. L’Autorité est
donc amenée à s’intéresser à la structure même du marché et à sa nature, afin d’en tirer
les conclusions qui s’imposent.
Par exemple, face à un marché oligopolistique ou « transparent », une pratique
anticoncurrentielle pourra être considérée comme « moins grave » du fait que l’on
considère que l’alignement des opérateurs économiques pourrait être dû en grande
partie à la visibilité dont disposent les acteurs du marché pour prévoir les politiques de
prix adoptées par leurs concurrents. )
À l’inverse, les pratiques d’exclusion du marché d’un concurrent potentiel de la part
d’une entreprise jouissant d’un quasi monopole ont été qualifiées d’une « extrême
gravité135 », de même que les ententes verticales ou horizontales qui constituent « la
violation la plus flagrante du droit de la concurrence136 ». En tout état de cause,
l’Autorité de la concurrence ne prend jamais en compte la taille du marché dans
l’appréciation de la gravité des faits137.
135 En ce sens voir : CA Paris, 7 mai 1997, Sté Pont-à-Mousson, BOCCRF 11 juin ; Décision du Conseil de la concurrence n°00-D-28 du 19 sept. 2000 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du crédit immobilier – Décision du Conseil de la concurrence n°05-D-75 du 22 déc. 2005 relative à des pratiques mises en œuvre par la Monnaie de Paris. 136 Décision du Conseil de la concurrence n°02-D-57 du 19 sept. 2002 relative aux pratiques dans le secteur des roulements à billes et assimilés – Décision du Conseil de la concurrence n°06-D-03 du 9 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des appareils de chauffage, sanitaires, plomberie, climatisation – Cass. com., 30 mai 2012, n°11-22.144, Orange France, Contrats, conc. consom. 2012, comm. 181 obs. Decocq G. 137 Décision du Conseil de la concurrence n°00-D-71 du 21 déc. 2000 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de la restauration des manifestations se déroulant au Palais des Congrès de Lyon.
83
En troisième et quatrième lieux, il convient de prendre en compte « la nature des
personnes susceptibles d’être affectées (petites et moyennes entreprises, consommateurs
vulnérables etc.) et les caractéristiques objectives de l’infraction ou des infractions
(caractère secret ou non, degré de sophistication, existence de mécanismes de police ou
de mesures de représailles, détournement d’une législation, etc.)138 ».
Il en a été ainsi lorsque les autorités de concurrence ont été confrontées notamment à
l’exploitation des faiblesses de demandeurs139, à des pratiques mises en œuvre dans un
secteur répondant à des besoins sociaux fondamentaux pour la santé et l’éducation140,
ou encore à des pratiques ayant trait à un service public que doivent impérativement
rendre les collectivités territoriales pour des considérations tenant à l’hygiène et la
protection de l’environnement141. De la même manière, les pratiques d’intimidation ont
également été considérées comme « particulièrement grave »142.
Dans tous les cas, il convient de souligner que la gravité des faits peut être caractérisée
alors même que ceux-ci n’ont été relevés que ponctuellement. Ainsi, dans le cadre d’un
appel d’offre, l’éviction d’un concurrent qui tente de pénétrer le marché a un effet
anticoncurrentiel « immédiat et brutal »143.
181. - (Par ailleurs, il convient de souligner qu’alors que l’article L. 464-2 du
Code de commerce fait de la réitération des pratiques un élément d’appréciation à part
entière du montant de la sanction pécuniaire, celle-ci est en fait souvent utilisée à des
fins d’appréciation de la gravité des faits ou du dommage à l’économie144 ; de manière à
permettre à l’Autorité « d’apporter une réponse proportionnée à la propension de
l’entreprise ou de l’organisme concerné à s’affranchir des règles de concurrence ».
L’existence même d’une réitération démontre bien effectivement que le précédent
138 Communiqué du 16 mai 2011 préc., p. 7. 139 Décision du Conseil de la concurrence n°99-D-22 du 23 mars 1999 relative à des pratiques mises en œuvre par des entreprises du secteur de la marbrerie funéraire de l'agglomération de Reims. 140 Décision du Conseil de la concurrence n°98-D-55 du 9 sept. 1998 relative à des pratiques relevées dans le secteur du transport scolaire de handicapés dans les Alpes-Maritimes. 141 Décision du Conseil de la concurrence n°98-D-42 du 23 juin 1998 relative à des pratiques constatées sur le marché de la collecte des ordures ménagères en Ile-de-France. 142 Décision du Conseil de la concurrence n°95-D-78 du 5 déc. 1995 relative à des pratiques relevées dans le secteur de l'expédition des huîtres dans le bassin de Marennes-Oléron. 143 CA Paris, 1ère ch., 21 oct. 1997, Sté Communication média services, Dict. perm. droit des affaires, Bull. 471, p. 9822. 144 Décision du Conseil de la concurrence n°06-D-07 du 21 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux publics dans la région Ile-de-France.
84
constat d’infraction n’a pas été suivi d’effets et n’a pas suffi à conduire le ou les
intéressés à respecter les règles de la concurrence.)
182. - Afin d’être en mesure d’apprécier l’existence d’une réitération,
l’Autorité doit tenir compte de quatre éléments cumulatifs.
En premier lieu, une précédente infraction au droit de la concurrence doit avoir été
constatée avant la fin de la nouvelle pratique. Ce précédent constat, qui ne doit pas
nécessairement avoir fait l’objet d’une sanction pécuniaire, ne peut résulter « ni d’une
décision prononçant une mesure conservatoire en vertu de l’article L. 464-1 du Code de
commerce, ni d’une décision rendant obligatoire des engagements au titre du I de
l’article L. 464-2 du même code ».
En outre, « la nouvelle pratique doit être identique ou similaire, par son objet ou ses
effets, à celle ayant donné lieu au précédent constat d’infraction » ; ce dernier devant
« avoir acquis un caractère définitif à la date à laquelle l’Autorité statue sur la nouvelle
pratique ».
Enfin, « le délai écoulé entre le précédent constat d’infraction et le début de la nouvelle
pratique est pris en compte pour apporter une réponse proportionnée à la propension
de l’entreprise ou de l’organisme concerné à s’affranchir des règles de concurrence ;
l’Autorité n’entend pas opposer la réitération à une entreprise ou à un organisme
lorsque le délai en question est supérieur à 15 ans »145, ce que l’on pourrait assimiler à
une sorte de délai de prescription de la circonstance aggravante passé un certain temps.
183. - En cas de réitération, le montant de la sanction pécuniaire pourra être
augmenté « dans une proportion comprise entre 15 et 50% en fonction notamment du
délai séparant le début de la nouvelle pratique du précédent constat d’infraction et de
la nature des différentes infractions en cause ».
184. - Une fois ces éléments collectés et analysés, l’Autorité de la concurrence
sera en mesure de déterminer le montant de base de la sanction pécuniaire après avoir
croisé ces données avec celles issues de l’appréciation de l’importance du dommage
causé à l’économie.
145 Communiqué du 16 mai 2011 préc., p. 12.
85
II/ L’appréciation de l’importance du dommage causé à l’économie
185. - (La notion de « dommage causé à l’économie » a été introduite par une
loi du 31 décembre 1992146, afin de permettre aux juges d’être en mesure de prévoir des
sanctions pécuniaires à travers la mise en place d’une grille d’évaluation147.
À ce titre, il convient de rappeler que les sanctions pécuniaires imposées aux opérateurs
économiques fautifs ne sont en aucun cas réparatrices – la réparation du préjudice des
victimes de pratiques anticoncurrentielles relevant ensuite des juges du fond
traditionnels – mais bien répressives. Celles-ci doivent être en mesure de dissuader les
opérateurs économiques de réitérer leurs pratiques fautives et rétablir l’ordre public
économique. )
Ainsi, le dommage causé à l’économie « ne se confond pas avec le préjudice
qu’ont pu subir les personnes victimes de l’infraction », ni ne se limite « aux seuls gains
illicites que son ou ses auteurs ont pu escompter en retirer » mais englobe « tous les
aspects de la perturbation qu’elle est de nature à causer au fonctionnement
concurrentiel des activités, secteurs ou marchés directement ou indirectement
concernés, ainsi qu’à l’économie générale148 ».
186. - (Il faut comprendre ici qu’en fait l’Autorité prend en considération les
incidences négatives résultant de l’infraction au droit de la concurrence à l’égard des
consommateurs intermédiaires ou finals inévitablement, mais également celles sur les
incitations des autres acteurs économiques. Elle n’est en rien tenue de chiffrer le
montant du dommage à l’économie, ni de quantifier une incidence des pratiques
constatées sur les prix, mais doit simplement procéder à une appréciation de son
existence et de son importance en recherchant les différents aspects de la perturbation
générale du fonctionnement normal de l’économie engendrée par les pratiques en
cause149.)
146 Loi n°92-1442 du 31 déc. 1992 préc. 147 Canivet G. et Vogel L., Le dommage causé à l’économie, critère d’évaluation de l’amende en droit français de la concurrence, RJDA 1993, chron., p. 599. 148 Communiqué du 16 mai 2011 préc., p. 7. 149 Cass. com., 7 avr. 2010, n°09-12-984, Orange France – Décision de l’Autorité de la concurrence n°11-D-17 du 8 déc. 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des lessives – Décision de
86
(Il ressort de ces observations que l’appréciation du dommage causé à
l’économie n’est pas qu’une perte aisément calculable en ce sens que certains de ses
paramètres sont relativement vagues. C’est pour cela que l’Autorité se doit en principe
d’apprécier ce dommage au vu de considérations basées sur des éléments qualitatifs
plus que quantitatifs (sauf dans l’hypothèse où des éléments quantitatifs fiables seraient
disponibles), afin de déterminer l’ordre de grandeur du dommage et d’en tenir compte
dans la fixation proportionnelle de la sanction150.)
Le plus souvent, les parties fournissent elles-mêmes des études économiques qu’elles
doivent justifier afin de mesurer le dommage ayant pu être causé à l’économie, études
que l’Autorité analyse et cite dans sa décision.
187. - En somme, pour apprécier l’importance du dommage causé à l’économie,
il est nécessaire que l’Autorité prenne en considération les cinq éléments suivants, en
fonction de leur degré de pertinence : en premier lieu « l’ampleur de l’infraction ou des
infractions (couverture géographique, nombre, importance et parts de marché cumulées
des entreprises en cause, etc.) »151, puis « les caractéristiques économiques des activités,
des secteurs ou des marchés en cause (barrières à l’entrée, degré de concentration,
élasticité des prix de la demande, marge, etc.) 152 » ; en troisième lieu « les
conséquences conjoncturelles de l’infraction ou des infractions (surprix escompté,
absence d’une baisse de prix attendue, impact indirect sur des secteurs ou des marchés
l’Autorité de la concurrence n°11-D-19 du 15 déc. 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de gadgets et articles de fantaisie. 150 CA Paris, 1ère ch., sect. H, 29 avr. 2009, n°2008/11907, Sté Phillips France. 151 Ainsi, pour des pratiques ayant concerné toute une filière agricole (Décision du Conseil de la concurrence n°94-D-61 du 29 nov. 1994 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la production et de la commercialisation du veau) ; des entreprises ayant associé l’ensemble des syndicats d’une confédération regroupant le tiers des professionnels du bâtiment (Décision du Conseil de la concurrence n°97-D-41 du 4 mars 1997 relative à des pratiques mises en œuvre par différents syndicats du bâtiment affiliés à la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises (CAPEB)) ; ou des pratiques ayant un champ d’application très étendu (Décision du Conseil de la concurrence n°02-D-59 du 25 sept. 2002 relative aux pratiques mises en œuvre dans le secteur des transports routiers de voyageurs dans le département de l'Ain). 152 Ainsi, pour des entraves par EDF et GDF au développement des énergies concurrentes distribuées par réseau, fermant l’accès à un marché naissant (Décision du Conseil de la concurrence n°99-D-51 du 20 juill. 1999 relative à des pratiques constatées dans le secteur des applications thermiques de l'énergie) ; s’agissant du secteur de la téléphonie mobile, l’importance du dommage devait également être mesurée en tenant compte de la sensibilité de la demande au prix (Cass. com., 7 avr. 2010, n°09-12.984).
87
connexes, en amont ou en aval, etc.) » 153 , en quatrième lieu « les conséquences
structurelles qui y sont attachées », comme par exemple la création de barrières à
l’entrée ou des effets d’éviction, de discipline ou de découragement vis-à-vis des
concurrents, voire la baisse de la qualité ou de l’innovation entrave au progrès
technique154 ; et en dernier lieu « l’incidence générale de toutes ces considérations sur
l’économie, les opérateurs économiques en amont, les utilisateurs en aval et enfin les
consommateurs finals155 »156.
188. - Une fois la collecte et l’étude de tous ces éléments réalisées, l’Autorité
de la concurrence est en mesure de fixer le montant de base de la sanction pécuniaire
supportée par le ou les opérateurs économiques fautifs. Il ne lui « reste plus » qu’à
croiser ces données avec des considérations propres à la situation individuelle de
l’entreprise et à procéder à quelques ajustements finaux afin de pouvoir prononcer une
sanction proportionnée à l’acte fautif et à son auteur.
153 Ainsi, pour des pratiques empêchant le consommateur final de profiter de baisses de prix (Décision du Conseil de la concurrence n°93-D-40 du 12 oct. 1993 relative à une saisine de la société Toutes les pièces détachées Jac Jobriane) ; pour des pratiques retardant des travaux (Décision du Conseil de la concurrence n°98-D-26 du 7 avr. 1998 relative à des pratiques relevées sur le marché de la rénovation des installations de chauffage du parc scientifique technologique de Luminy) ; et pour l’évaluation du surprix payé par les clients par la méthode scientifiquement reconnue consistant dans une comparaison entre les prix pratiqués sur le marché affecté par les pratiques anticoncurrentielles et ceux des concurrents étrangers sur ce marché, ou ceux des sociétés auteurs de pratiques anticoncurrentielles sur d’autres marchés (Cass. com., 12 juill. 2011, n°10-17.482). 154 Ainsi, la société Canal Plus empêchant l’émergence d'un marché né des progrès technologiques de la diffusion des films récents à la télévision (CA Paris, 15 juin 1999, BOCCRF 25 août, p. 439 et Cass. com., 30 mai 2000, n°99-17.038, RJDA 2000, n°1176) ou des pratiques tendant à éliminer du marché des entreprises capables d'innovations techniques (CA Paris, 4 juill. 1994, BOCCRF 29 juill., p. 285 et Cass. com., 4 juin 1996, n°94-17.065, D. 1996, I.R., p. 158) 155 Ainsi, pour des pratiques ayant eu un effet d’entraînement sur d’autres marchés (Décision du Conseil de la concurrence n°99-D-11 du 9 févr. 1999 relative à des pratiques relevées à l'occasion de travaux d'assainissement sur les communes de Toulouse et Lamasquère) ou sur d’autres entreprises de taille inférieure (Cass. com., 24 mars 1998, n°96-14.845, BOCCRF 2 mai, p. 192 – CA Paris, 12 déc. 2000, BOCCRF 23 janv. 2001, RJDA 2001, n°732) ; ayant porté sur un secteur vital pour l'économie (CA Paris, 1ère ch., 4 juill. 1994, BOCCRF 29 juill., p. 285) ; ou ayant affecté, de façon importante, l'activité d'un secteur essentiel au fonctionnement de l'économie locale (Décision du Conseil de la concurrence n°93-D-42 du 19 oct. 1993 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés Elf Antar France et Total Réunion Comores sur le marché de la distribution du carburéacteur dans le département de la Réunion). 156 Communiqué du 16 mai 2011 préc., p. 8.
88
Section n°2 : Les critères d’individualisation du montant de base
189. - Après avoir défini le montant de base de la sanction pécuniaire,
l’Autorité doit s’atteler à la pondération de celui-ci, au regard de plusieurs éléments
attachés à la situation individuelle de l’entreprise. Parmi eux se trouve l’examen de la
présence de circonstances aggravantes ou atténuantes, qui ne sera pas traitée à ce stade
de la réflexion, car il a été jugé plus intéressant d’y revenir plus tard, au moment de
l’appréciation des effets des usages sur la détermination de la sanction.
En revanche, il conviendra d’étudier ici de quelle manière l’Autorité prend en compte la
situation individuelle de l’entreprise ou de l’organisme fautif (§1) avant de voir quels
ajustements finaux elle apporte au résultat obtenu (§2).
§1 : La prise en compte de la situation individuelle de l’entreprise ou
organisme fautif
190. - (Afin d’assurer l’efficacité, la proportionnalité et surtout le caractère
dissuasif de la sanction pécuniaire à l’infraction commise par l’opérateur économique,
l’Autorité conserve la possibilité d’adapter le montant de base déterminé par elle en
fonction d’autres éléments objectifs tenant à la situation de l’entreprise.) Cette
individualisation est d’ailleurs « une exigence relevant des principes les plus sacrés du
droit répressif », comme le rappelle la Cour d’appel de Paris le 19 janvier 2010157.
Ainsi, « il ne suffit pas que les décisions infligeant des sanctions pécuniaires aux
entreprises ou aux organismes coupables de pratiques anticoncurrentielles soient
motivées. Il faut qu'elles le soient pour chaque entreprise ou organisme concerné, afin
que les sanctions leur soient individuellement adaptées ». Cette exigence a ainsi été
formulée par la Cour de cassation158, qui avait reproché à la Cour d'appel de Paris de
157 CA Paris, 19 janv. 2010 préc. 158 Cass. com., 8 déc. 1992, n°90-20.258, 90-20.271, 90-20.273, 90-20.282, 90-20.286, 90-20.286, 90-20.287, 90-20.306, 90-20.314, 90-20.350, 90-20.351 et 90-20.352, Bull. civ. IV, no 404, BOCCRF 18 déc.
89
n'avoir pas indiqué de façon concrète, pour chaque entreprise, les éléments sur lesquels
elle s'était fondée pour déterminer les sanctions159.
191. - Pour exemple, l’Autorité peut individualiser la sanction en la minorant
afin de tenir compte du fait que « l’entreprise concernée mène l’essentiel de son activité
sur le secteur ou marché en relation avec l’infraction », ce qui est notamment le cas des
entreprises « mono-produit »160 ; ou encore que « l’entreprise ou l’organisme concerné
rencontre des difficultés financières particulières susceptibles d’affecter sa capacité
contributive », comme il sera possible de le constater par la suite.
Celle-ci est également en mesure d’augmenter le montant de base, au motif notamment
que « l’entreprise concernée [ou le groupe auquel elle appartient] dispose d’une taille,
d’une puissance économique ou de ressources globales importantes, notamment par
rapport aux autres auteurs de l’infraction161 ». À cet égard, il convient de souligner que
dans un arrêt récent du 18 février 2014, la Chambre commerciale de la Cour de
cassation a estimé que la Cour d’appel qui ne recherchait pas si l’appartenance à un
groupe important par une société avait joué un rôle dans la mise en œuvre des pratiques
anticoncurrentielles ou était de nature à influer sur l’appréciation de la gravité de ces
pratiques avait dépourvu de base légale sa décision162.
192. - (Par ailleurs, il est intéressant de noter que parfois, l’individualisation
des sanctions a pour conséquence directe de conduire les juges à considérer qu’une
sanction est disproportionnée par rapport à une autre et à la réduire, alors même qu’il
n’existe aucune obligation à leur charge de comparer l’application de ces dispositions à
d’autres entreprises déjà sanctionnées163.)
L’Autorité de la concurrence est donc tenue selon cette même Cour d’Appel
« d’apporter un soin tout particulier à la motivation, s’agissant de l’individualisation et
159 Bout R., Bruschi M., Luby M. et Poillot-Péruzzetto S., Les pratiques anticoncurrentielles, Individualisation des sanctions, Lamy Droit Economique 2014 n°1323. 160 Décision de l’Autorité de la concurrence n°12-D-09 du 13 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des farines alimentaires. 161 Communiqué du 16 mai 2011 préc., p. 11-12. 162 Cass. com., 18 févr. 2014, n° 12-27.643. 163 CA Paris, 26 avr. 1994, BOCCRF 18 mai, p. 185, réformant la décision du Conseil de la concurrence n° 93-D-26 du 22 juin 1993 concernant l'exécution de la décision n° 89-D-24 du 4 juillet 1989 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques de la Société pour l'administration du droit de reproduction mécanique et du Syndicat national de l'édition phonographique.
90
tempérer le propos, de sorte que les bases d’évaluation des sanctions n’apparaissent ni
stéréotypées, ni exclusivement défavorables164 ».
193. - Ainsi, la prise en compte du dommage causé à l’économie couplée avec
les principes de proportionnalité et d’individualisation des sanctions peut parfois
entraîner des sanctions trop importantes réduites par la suite par les juges traditionnels,
ou à l’inverse des sanctions trop faibles165. C’est pourquoi l’Autorité se doit de procéder
à quelques ajustements finaux avant de pouvoir prononcer une sanction définitive.
§2 : Les ajustements finaux
194. - Afin de pouvoir prononcer une sanction définitive, l’Autorité de la
concurrence indique dans son communiqué devoir tenir compte d’abord du maximum
légal (I) avant de considérer – s’il y a lieu – d’accorder une exonération totale ou
partielle au titre de la clémence, voire une réduction au titre de la non-contestation des
griefs (II), puis ajuste le tout en tenant compte de la capacité contributive de l’entreprise
ou de l’organisme en cause (III).
I/ La vérification du respect du maximum légal
195. - (La première étape des ajustements individuels est la vérification du
respect du maximum légal par le montant de la sanction déterminée, afin d’assurer en
tout état de cause aux opérateurs fautifs le bénéfice concret de l’exonération ou de la
réduction de la sanction leur étant éventuellement accordée.)
Ainsi, conformément à l’article L. 464-2 du Code de commerce, le montant
maximum de la sanction pécuniaire « ne peut excéder 10% du chiffre d’affaires mondial
hors taxes le plus élevé réalisé au cours de l’un des exercices clos depuis l’exercice
précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre ».
164 CA Paris, 19 janv. 2010, préc. 165 CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 30 juin 2011, n°10/12049, Sté Orange.
91
Ce montant devra être réduit de moitié dans le cas d’une procédure de non-contestation
des griefs et ramené à 750 000 euros dans celui d’une procédure simplifiée.
196. - Dans l’hypothèse où elle excèderait le montant légal maximum, la
sanction pécuniaire serait « écrêtée » et ramenée à ce chiffre.
Après avoir procédé à ces vérifications, l’Autorité doit prendre en compte le fait que
l’entreprise ou l’organisme ait pu bénéficier ou non d’une procédure de clémence ou de
non-contestation des griefs.
II/ La prise en considération de la clémence et de la non-contestation
des griefs
197. - Dans l’hypothèse où les entreprises ou organismes concernés seraient
susceptibles de faire l’objet d’une procédure de clémence ou de non-contestation des
griefs, l’Autorité aura à tenir compte de cette décision et à réduire le montant de la
sanction en conséquence.
Cette réduction se fera selon les modalités pratiques indiquées par les communiqués de
procédures pertinents publiés par l’Autorité166.
Le but de l’Autorité étant de dissuader les opérateurs économiques d’être tentés
de porter atteinte au droit de la concurrence, et non de les couler ; s’en vient alors
l’examen de la capacité contributive, afin de tenir compte de l’état des finances des
entreprises en cause.
166 Communiqué de procédure de l’Autorité de la concurrence du 2 mars 2009 relatif aux engagements en matière de concurrence.
92
III/ L’évaluation de la capacité contributive
198. - Si les difficultés générales du secteur – et a fortiori un contexte de crise
économique générale 167 – ne peuvent être pris en compte dans le cadre de la
détermination de la sanction des entreprises ou des organismes par l’Autorité a priori,
les difficultés qu’elles rencontrent individuellement peuvent l’être sous réserve d’être
justifiées.
Ainsi, l’entreprise en cause peut formuler une demande écrite à l’Autorité, qui décidera
de prendre en compte ou non les difficultés financières affectant sa capacité contributive.
Il appartient ensuite à cette même entreprise d’apporter la preuve de l’existence de ces
difficultés financières et de leur incidence sur sa capacité contributive.
199. - Une réduction du montant de la sanction ne pourra enfin être accordée
que si les éléments apportés par l’entreprise en difficulté constituent des preuves
« fiables, complètes et objectives attestant l’existence de difficultés réelles et actuelles
empêchant l’entreprise ou l’organisme en cause de s’acquitter, en tout ou partie, de la
sanction pécuniaire pouvant lui être imposée »168.
Par ailleurs, l’Autorité peut imposer une sanction pécuniaire symbolique dans certains
cas particuliers, comme celui d’une entreprise unipersonnelle ou d’une association type
loi de 1901 n’ayant la capacité de mobiliser que de faibles ressources.
200. - En somme, il ressort des divers éléments observés que l’Autorité de la
concurrence a beaucoup évolué depuis l’affaire du « cartel de l’acier » et que, à travers
le communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, il
semble que celle-ci ait réussi à instaurer une certaine transparence quant à sa méthode
de détermination des sanctions pécuniaires.
Cette transparence est essentielle pour les juges, mais également les entreprises, qui
seront à même de s’assurer du respect des exigences de proportionnalité169. À l’inverse,
il est à craindre que celle-ci ne nuise à l’efficacité et au caractère dissuasif des sanctions,
167 Décision n°11-D-17 préc. 168 Communiqué du 16 mai 2011 préc., p. 14. 169 Cousin M., Chère transparence… Réflexions sur le communiqué de l’AdlC relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, RLDA 2011.62, p. 2.
93
en ce sens qu’il est probable qu’elle n’ait pour effet pervers d’encourager les « fautes
lucratives », fautes que les entreprises font le choix de réitérer sur les recommandations
de leurs conseils, qui estiment qu’il est plus rentable de continuer à exécuter les
pratiques incriminées, au regard du caractère minime de la sanction. C’est là l’effet
retors du choix de la transparence qu’a fait l’Autorité de la concurrence.
201. - Il convient toutefois de rappeler qu’on ne peut pas encore à proprement
parler de « prévisibilité totale » de la méthode de détermination des sanctions
pécuniaires par l’Autorité de la concurrence puisque, comme il a été exposé, ces critères
ne pourront être source de stabilité qu’à partir du moment où ils auront été éprouvés par
la pratique décisionnelle de la principale intéressée, comme on a pu le constater dans
l’affaire du « cartel de la restauration de monuments historiques »170.
202. - Ainsi, en suivant l’ordre prescrit par le Code de commerce, l’Autorité
serait tout de même en mesure de déterminer la sanction la plus adaptée à la situation
d’une entreprise ou d’un organisme en déterminant d’abord un montant de base
proportionné à la gravité des faits et à l’importance du dommage causé à l’économie,
montant qu’elle modèle à la hausse ou à la baisse en fonction de la situation individuelle
de l’entité concernée et de quelques ajustements finaux.
Pour en revenir aux usages, comme il a été exposé précédemment, il a été
volontairement décidé de passer sous silence ou d’aborder seulement en surface
certaines étapes décisives de la détermination du montant de la sanction par l’Autorité.
Celles-ci sont au nombre de deux, à savoir la prise en compte de la durée dans la
détermination de la gravité des faits et l’appréciation du dommage causé à l’économie et
les circonstances aggravantes ou atténuantes à rapprocher de la pratique, qu’il convient
de définir désormais à travers cette fois le prisme des usages.
170 Cass. Com., 18 févr. 2014 préc.
94
Titre 2 : Le rôle des usages dans la détermination des sanctions
pécuniaires
203. - Comme il a été évoqué très brièvement précédemment, au cours de la
phase d’individualisation du montant de la sanction, l’Autorité procède à certains
ajustements afin de tenir compte de certains paramètres. C’est à ce stade que l’on est en
mesure de percevoir les effets concrets – tangibles ou potentiels – que peuvent entraîner
les usages au niveau de la détermination du montant de la sanction.
En effet, il serait envisageable que ceux-ci comportent des effets conduisant
l’augmentation du quantum de la sanction (Chapitre 1) comme à sa diminution
(Chapitre 2), en ce sens que les usages peuvent constituer par exemple une circonstance
aggravante ou au contraire atténuante, ou encore qu’ils peuvent influer positivement ou
négativement à l’occasion de la détermination de la gravité des faits et à l’appréciation
du dommage causé à l’économie.
Chapitre 1 : Les effets aggravateurs des usages dans la détermination
de la sanction par l’Autorité
204. - Les effets aggravateurs des usages dans la détermination de la sanction
d’une pratique anticoncurrentielle apparaissent alors être en mesure de faire augmenter
le quantum de cette sanction, la durée de la pratique étant un critère à prendre en compte
pour apprécier la gravité de l’infraction, mais aussi l’importance du dommage causé à
l’économie171 (Section n°1). En outre, il convient de rappeler que les usages sont
également susceptibles de constituer une circonstance aggravante (Section n°2).
171 Décision de l’Autorité de la Concurrence n°11-D-02 du 26 janv. 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la restauration des monuments historiques – Décision de l’Autorité de la Concurrence n°11-D-17 du 8 déc. 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des lessives – Décision de l’Autorité de la Concurrence n°11-D-19 du 15 déc. 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de gadgets et articles de fantaisie.
95
Section n°1 : L’effet aggravateur des usages à l’occasion de l’appréciation
de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie
205. - (De manière générale, l’Autorité de la concurrence apprécie la gravité
des pratiques auxquelles elle est confrontée au vu d’un faisceau d’indices comprenant
notamment la durée des pratiques172. Ainsi, dans le cas d’infractions qui se sont
prolongées plus d’une année, la proportion retenue par l’Autorité est appliquée à la
valeur des ventes réalisées pendant l’exercice comptable de référence, puis au titre de
chaque année suivante à la moitié de cette valeur ; en accord avec son engagement de
prendre en compte la durée. Au-delà de la dernière année complète de participation à
l’infraction, la période restante est prise en compte au mois près, dans la mesure où les
éléments du dossier le permettent173.)
206. - La détermination du point de départ et de la date de cessation de
l’infraction a donc un impact important. Aussi, dans une décision du 12 février 2009 le
Conseil, faisant face à des pratiques réitérées durant de nombreuses années, a pris la
décision de définir comme montant de base de la sanction pécuniaire une somme plus
élevée174. Celui-ci ne faisait en pratique qu’appliquer les prescriptions de son rapport
annuel pour 2002, dans lequel il estimait que « les pratiques anticoncurrentielles
revêtent le caractère de pratiques continues lorsque l’état délictuel se prolonge dans le
temps par la réitération constante ou la persistance de la volonté coupable de l’auteur
après l’acte initial. Il s’agit ainsi de pratiques caractérisées par la continuité de la
volonté anticoncurrentielle sans qu’un acte matériel ait nécessairement à renouveler la
manifestation dans le temps ».
207. - Or – même s’il faut concéder que ce n’est pas toujours le cas – les usages
proviennent très souvent de pratiques répétées et admises de tous. Celles-ci sont parfois
172 Décision du Conseil de la concurrence n°04-D-44 du 15 sept. 2004 relative à une saisine présentée par le Ciné-Théâtre du Lamentin dans le secteur de la distribution et de l’exploitation de films – Décision du Conseil de la concurrence n°05-D-26 du 9 juin 2005 relative aux marchés de travaux publics réalisés dans le département de la Meuse – Décision du Conseil de la concurrence n°08-D-13 préc. 173 Décisions de l’Autorité de la concurrence n°11-D-17 et n°11-D-19 préc. 174 Décision du Conseil de la concurrence n°09-D-07 du 12 févr. 2009 relative à une saisine de la société Santéclair à l’encontre de pratiques mises en œuvre sur le marché de l’assurance complémentaire santé.
96
nées il y a plusieurs dizaines d’années. Il convient alors de s’interroger sur le rôle que
ceux-ci peuvent être amenés à jouer dans la détermination de la gravité des faits à
l’occasion du calcul du montant de base de la sanction pécuniaire.
208. - Il est ainsi nécessaire de revenir dans un premier temps sur la décision
Santéclair qui a été évoquée dans la première partie à propos des pratiques exercées par
le Conseil de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, pratiques consistant à communiquer de
manière continue, de 2002 à 2008, des informations inexactes – en faisant croire au
caractère obligatoire des avis déontologiques aux chirurgiens-dentistes, voire en les
menaçant de sanctions disciplinaires en cas de non-respect de ceux-ci – dans le seul but
d’évincer la société Santéclair du marché de la couverture de soins dentaires175.
Ainsi, l’usage consistant à la réitération de la diffusion de mises en garde pour les
professionnels du secteur des soins dentaires – et destiné à évincer la société Santéclair
du marché – ayant été réitéré pendant au moins six années consécutives, le Conseil a
légitimement décidé de prendre en compte cette réitération dans le calcul du montant de
la sanction pécuniaire. En effet, celui-ci a estimé à bon droit que la durée de la pratique
étant plus longue, le dommage subi par l’économie et a fortiori la gravité des faits
étaient plus importants.
De la même manière, dans l’affaire du « cartel de la restauration des
monuments historiques » où des sociétés implantées localement se sont réparties des
marchés de restauration de monuments historiques et ont bénéficié d’accords de
couverture pendant de très nombreuses années, l’Autorité de la concurrence a tenu
compte de la durée des pratiques pour apprécier la gravité des faits et ainsi augmenter le
montant de base de la sanction176.
En effet, celle-ci relève dans son point 640 que « de nombreux dirigeants ont reconnus
au cours de l’enquête que ces pratiques constituaient une tradition dans le secteur de la
restauration des monuments historiques, mise en œuvre depuis de très longues années ».
209. - À travers ces exemples, on remarque que même au stade de la
détermination du montant de base de la sanction, les usages peuvent entraîner 175 Décision n°09-D-07 préc. 176 Décision n°11-D-02 préc.
97
l’augmentation du quantum déterminé dans la mesure où c’est un élément attestant à la
fois de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie. Au plus
longtemps une pratique est opérée dans un secteur, plus le dommage causé à l’économie
sera important.
Il convient également de souligner que les usages peuvent également influer sur le
montant de la sanction au stade de l’individualisation de celle-ci.
Section n°2 : L’effet aggravateur des usages à l’occasion de
l’individualisation du montant de la sanction
210. - L’Autorité précise dans son communiqué qu’elle est en mesure de
prendre en compte l’existence de circonstances aggravantes – sur le fondement d’une
appréciation tenant compte de l’ensemble des éléments pertinents du cas d’espèce –
pour majorer le montant de la sanction.
211. - Parmi ces circonstances aggravantes, l’Autorité mentionne le fait que
« l’entreprise ou l’organisme ait joué un rôle de meneur ou d’incitateur177, ou a joué un
rôle particulier dans la conception ou dans la mise en œuvre de l’infraction ». C’est
notamment le cas lorsque les dirigeants des entreprises détiennent également des
responsabilités dans des organisations professionnelles178 et en particulier lorsqu’il
s’agit d’entreprises de taille nationale ou appartenant à de grands groupes179.
Il en est de même lorsque l’organisme « a pris des mesures en vue d’en contraindre
d’autres à participer à l’infraction ou a pris des mesures de rétorsion à leur encontre
en vue de faire respecter celle-ci », ou encore qu’il « jouit d’une capacité d’influence ou
d’une autorité morale particulières, notamment parce qu’il est chargé d’une mission de
service public »180.
177 Pour exemple : Décision du Conseil de la concurrence n°07-D-50 du 20 déc. 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de jouets et Cass. Com., 7 avr. 2010, n°09-11.936. 178 Décision du Conseil de la concurrence n°95-D-50 du 4 juill. 1995 relative à des pratiques relevées sur les marchés de l'installation et de la maintenance des extincteurs. 179 CA Paris, 2 avr. 1996, BOCCRF 15 mai et Cass. com., 24 mars 1998, n°96-14.845, BOCCRF 2 mai, p. 192 –Décision du Conseil de la concurrence n°07-D-15 du 9 mai 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans les marchés publics relatifs aux lycées d'Ile-de-France. 180 Communiqué du 16 mai 2011 préc., p. 11.
98
212. - Ce dernier facteur aggravant, ou plutôt les applications qui en sont faites
au sein de la pratique décisionnelle des autorités de concurrence, mérite une attention
toute particulière en ce qu’il peut être intéressant de le rapprocher à des usages qui ont
déjà été étudiés dans la première partie du mémoire. Aussi, le Conseil a notamment
considéré que pouvaient relever de la qualification « d’organisme jouissant d’une
capacité d’influence ou d’une autorité morale particulière » des organisations
syndicales181, une académie d’architecture182 ou encore un Conseil de l’Ordre183.
213. - (En effet, il ressort que le Conseil de la concurrence dans sa décision du
28 février 2002 a déjà considéré que le fait pour un Conseil supérieur d’inciter les
instances régionales à ce que les marchés comprenant des prestations topographiques et
des prestations foncières soient réservés exclusivement aux géomètres experts ainsi qu’à
empêcher toute possibilité d’association entre géomètres-experts et topographes comme
une circonstance aggravante, en ce qu’il aurait tiré avantage de l’autorité morale
attachée à cette ordre184.)
En outre, comme il a déjà été démontré, les Conseils de l’Ordre sont souvent amenés à
« codifier » les usages en vigueur au sein de leur profession afin de les diffuser
largement. Parfois, ceux-ci ont pour conséquence de fausser le jeu de la concurrence.
Ainsi dans la décision du 14 mai 1997 relative au Conseil de l’Ordre des avocats, il
aurait été envisageable de considérer le fait que la pratique en cause émane d’un Ordre
bénéficiant d’une autorité morale pour aggraver la sanction par exemple185.
De la même manière, cette pratique décisionnelle est étendue aux académies
d’architectures. Ainsi, le fait qu’il s’agisse d’usages à l’origine du comportement
anticoncurrentiel influe à la fois sur la qualification de l’infraction et sur
l’individualisation du montant de la sanction.
181 Décision du Conseil de la concurrence n°98-D-81 du 21 déc. 1998 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'expertise des objets d'art et de collection. 182 Décision du Conseil de la concurrence n°99-D-08 du 2 févr. 1999 relative à des pratiques mises en œuvre par l'Académie d'architecture dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. 183 Décision du Conseil de la concurrence n°02-D-14 du 28 févr. 2002 relative à la situation de la concurrence dans le secteur d'activité des géomètres-experts et des géomètres-topographes. 184 Décision n°02-D-14 préc., p. 49. 185 Décision n° 97-D-30 du 14 mai 1997 préc.
99
214. - En somme, s’il est indéniable que le recours à certains usages permet aux
autorités de concurrence de qualifier une infraction concurrentielle, le principal effet du
recours à ceux-ci se situe tout de même au niveau de la détermination de la sanction, en
ce que la durée de la pratique joue tant au stade de la détermination du montant de base
qu’en ce qu’il constitue une circonstance aggravante.
Toutefois, il convient de souligner que ce n’est pas le seul effet des usages qui serait
envisageable s’agissant du montant de la sanction. En effet, à l’inverse, certains
opérateurs économiques fautifs pourraient être tentés d’invoquer le recours à des usages
à des fins différentes, comme pour justifier une pratique et ainsi atténuer la sanction,
voire justifier une exonération totale.
Ainsi, à défaut d’influencer les comportements des opérateurs de manière à atténuer les
atteintes au droit de la concurrence, les usages pourraient conduire les autorités de
concurrence à diminuer les sanctions supportées par les entreprises pour plusieurs
raisons qu’il s’agira désormais d’envisager.
100
Chapitre 2 : Les effets modérateurs des usages dans la détermination
de la sanction par l’Autorité
215. - À titre liminaire, il convient de souligner que cette partie ne reflète en
rien la politique de détermination des sanctions de l’Autorités de concurrence, il ne
s’agit que de la transposition de certains de ses raisonnements relatifs à des pratiques
plus ou moins assimilables aux usages.
Ainsi, il conviendra d’envisager successivement l’éventualité d’une exonération de
responsabilité du fait des usages comme c’est le cas notamment en Ukraine (Section
n°1), avant de voir de manière plus raisonnable si le recours aux usages ne peut pas a
minima justifier une diminution de la sanction (Section n°2).
Section n°1 : L’atténuation de la sanction par l’exonération de
responsabilité
216. - Puisqu’il s’agit là d’imaginer quel pourrait être le comportement de
l’Autorité face à de tels arguments, il conviendra d’aller jusqu’au bout de ce
raisonnement et d’envisager des hypothèses qui pourront paraître un peu tirées par les
cheveux, mais qui demeurent néanmoins plausibles.
Ainsi, on traitera d’abord des usages comme susceptibles de permettre l’exemption
d’une pratique anticoncurrentielle (§1), avant d’aller plus loin et d’aller jusqu’à tenter
d’imputer une pratique anticoncurrentielle à un usage (§2).
101
§1 : L’hypothèse d’usages permettant l’exemption d’une pratique
anticoncurrentielle
217. - (L’Autorité de la concurrence se réserve la possibilité, alors même
qu’elle a constaté l’existence d’une pratique anticoncurrentielle, de ne prononcer aucune
sanction pécuniaire à l’encontre de l’entreprise ou l’organisme fautif. Cette hypothèse
est rare, mais reste envisageable. )
218. - (Ainsi, dans certains cas, le Conseil a déjà été amené à prendre cette
décision, notamment après avoir relevé que les clauses critiquables avaient été
supprimées des conditions générales de vente deux jours avant le prononcé d’un arrêt de
la Cour d’appel de Paris186. De même, confronté à une clause de répartition territoriale,
celui-ci a jugé qu’il n’y avait pas lieu de condamner l’opérateur fautif au paiement
d’une sanction pécuniaire mais qu’il suffisait de l’enjoindre de faire publier le texte de
la décision dans une revue professionnelle187.
De manière évidente, il convient de rappeler que des pratiques anticoncurrentielles ne
peuvent plus donner lieu au prononcé de sanctions lorsque les entreprises ont cessé leur
activité sans avoir fait l’objet d’une reprise188.)
Par ailleurs, dans deux décisions de 1998, le Conseil est allé plus loin et a
considéré qu’il n’y avait lieu ni à sanction, ni à injonction en ce que le réseau de
distribution anticoncurrentiel avait permis d’intensifier la concurrence189 ou encore que
186 Décision du Conseil de la concurrence n°93-D-41 du 12 oct. 1993 relative à des pratiques de la société J.V.C. Audio France – Décision du Conseil de la concurrence n°98-D-24 du 24 mars 1998 relative à des pratiques relevées dans le secteur du verre spécial au plomb destiné à l'industrie nucléaire ou à la protection contre les rayons X. 187 Décision du Conseil de la concurrence n°93-D-11 du 4 mai 1993 relative à une entente conclue entre les sociétés Quantel et Continuum dans le secteur des lasers pulsés à forte puissance de crête destinés à la recherche scientifique. 188 Décision du Conseil de la concurrence n°94-D-16 du 15 mars 1994 relative à des pratiques relevées dans le secteur de l'enseignement de la conduite des véhicules dans la région de Haguenau-Bischwiller (Bas-Rhin) et Décision du Conseil de la concurrence n°94-D-51 du 4 oct. 1994 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du déménagement. 189 Décision n°98-D-24 préc.
102
le GIE avait suscité l’apparition d’une possibilité de concurrence accrue et que les
clauses litigieuses avaient été modifiées190.
Transposée à certains types d’usages propres à des secteurs spécifiques, cette pratique
décisionnelle des autorités de concurrence pourrait rendre envisageable l’exemption
d’ententes dans certains cas par exemple.
219. - Le droit français de la concurrence prévoit trois cas d’exemption des
pratiques anticoncurrentielles. Comme il a été souligné dans les propos introductifs, il
n’est pas pertinent d’étudier les exemptions prévues par le droit Européen, en ce que
ceux-ci sont principalement similaires et que les seules différences notables ne
correspondent pas à un cadre dans lequel les usages pourraient s’insérer.
220. - Le premier concerne les pratiques imposées par un texte. En effet,
l’article L. 420-4 du Code de commerce prévoit que les pratiques « qui résultent de
l’application d’un texte législatif ou d’un texte règlementaire pris pour son
application » peuvent échapper à l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles.
Toutefois, il convient de souligner que cette hypothèse n’est possible que « pour autant
que les pratiques constatées sont la conséquence directe et nécessaire du texte
invoqué191 ». Ainsi, « le seul fait qu’une pratique soit encouragée par les pouvoirs
publics et connue de ceux-ci ne suffit pas à la justifier au titre de l’article L. 420-4 du
Code de commerce192.
En conséquent, il ne semble pas possible a priori de justifier une pratique
anticoncurrentielle en invoquant le fait que l’entreprise ou organisme n’ait fait
qu’appliquer les usages en vigueur dans son secteur, usages ayant toujours été pratiqués
et connus des autorités publiques. Pourtant, cela aurait été tentant, notamment dans des
190 Décision du Conseil de la concurrence n°97-D-27 du 21 avr. 1998 relative à des pratiques relevées dans le secteur des pompes funèbres dans le département de Seine-Saint-Denis. 191 Décision du Conseil de la concurrence n°03-D-03 du 16 janv. 2003 relative à des pratiques mises en œuvre par le barreau des avocats de Marseille en matière d’assurances. 192 Décision du Conseil de la concurrence n°05-D-10 du 15 mars 2005 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché du chou-fleur de Bretagne – Décision de l’Autorité de la concurrence n°11-D-01 du 18 janv. 2011 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la manutention portuaire à La Réunion – Décision de l’Autorité de la concurrence n°12-D-24 du 13 déc. 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la téléphonie mobile à destination de la clientèle résidentielle en France métropolitaine.
103
secteurs soumis à une tradition très forte, comme l’agriculture avec ses Appellations
d’Origine.
221. - Le second quant à lui a trait à la contribution apportée au progrès
économique. En effet, l’article L. 420-4 du Code de commerce prévoit que pourront être
exemptées les pratiques « dont les auteurs peuvent justifier qu’elles ont pour effet
d’assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d’emplois,
et qu’elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans
donner aux entreprises intéressées la possibilité d’éliminer la concurrence pour une
partie substantielle des produits en cause. Ces pratiques qui peuvent consister à
organiser, pour les produits agricoles ou d'origine agricole, sous une même marque ou
enseigne, les volumes et la qualité de production ainsi que la politique commerciale, y
compris en convenant d'un prix de cession commun ne doivent imposer des restrictions
à la concurrence, que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet
objectif de progrès ».
Ainsi, certains types d’accords peuvent être reconnus comme répondant à l’objectif de
concurrence par décret. Le cas échéant, l’hypothèse de l’exemption sera envisagée au
cas par cas, suivant quatre critères cumulatifs : « la réalité du progrès économique
mentionné, le caractère indispensable et adapté des pratiques en cause pour l’obtenir,
l’existence d’un bénéfice pour les consommateurs et l’absence d’élimination de toute
concurrence »193.
On pourrait alors envisager que certains usages remplissent ces conditions, encore une
fois dans le secteur agricole visé directement par le texte. En effet, les ententes
constatées dans la production agricole ont souvent pour objectif d’assurer la pérennité
d’activités risquant de disparaître et de préserver la diversité gastronomique de notre
beau pays. Ainsi, dans les décisions des 8 juillet 1998 et 28 avril 1992 relatives à des
pratiques constatées dans le secteur de la production de fromages bénéficiant d’une
Appellation d’Origine194, le Conseil aurait pu considérer que les pratiques en cause
avaient pour seul but d’assurer la bonne répartition des ressources du secteur et qu’elles
193 Avis du Conseil de la concurrence n°05-A-17 du 22 sept. 2005 relatif au recours à la négociation collective en matière de délais de paiement inter-entreprises et Décision de l’Autorité de la concurrence n°12-D-08 du 6 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation des endives. 194 Décisions n°92-D-30 et n°98-D-54 préc.
104
contribuaient ainsi au progrès économique. Toutefois, même s’il a relevé les apports
bénéfiques des pratiques constatées, le Conseil n’a pas estimé suffisante la contribution
au progrès économique.
Il n’en demeure pas moins que certains usages ont pour objectif et pour effet de
favoriser les relations entre les opérateurs économiques d’un même secteur et en cela ils
pourraient justifier une exonération de la sanction, sous réserve que soient également
remplis tous les autres impératifs de concurrence ; condition qui n’a pas été remplie en
l’espèce.
222. - En dernier lieu, il serait possible de justifier une pratique
anticoncurrentielle en invoquant l’exception de crise sectorielle. Même si en principe,
ce type d’argumentation est rejeté195, il reste possible de l’invoquer dans des situations
exceptionnelles. Ainsi, le Conseil a publié le 1er octobre 2002 un avis relatif aux
dispositions du Code rural qui autorisait les concertations entre organisations
professionnelles dans le secteur agricole visant notamment à organiser la production.
Celui-ci a relevé que cette pratique participait grandement au progrès économique en ce
qu’il s’agissait là d’un produit périssable touché par une situation de crise196.
De même, le Conseil a estimé en 2000 que certaines situations de crise pouvaient
justifier la prise de mesures puisque « la nécessité d’assurer la survie d’exploitations
soumises à d’importantes et imprévisibles variations de production justifie le
regroupement des producteurs dans un organisme commun197 ».
223. - Par conséquent, il ressort de ces observations que les difficultés
rencontrées dans certains secteurs dans lesquels des usages anticoncurrentiels sont
pratiqués peuvent entraîner une exonération de responsabilité des opérateurs
économiques dans un nombre très réduit de cas. En effet comme il a été démontré
195 Pour exemples : Décision du Conseil de la concurrence n°05-D-03 du 10 févr. 2005 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'eau de javel « Aucun argument de fait, fût-il une situation de crise, ne saurait être retenu pour justifier une entente » et Décision du Conseil de la concurrence n°03-D-36 du 29 juill. 2003 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché des fraises produites dans le Sud-Ouest. 196 Avis du Conseil de la concurrence n°02-A-12 du 1er oct. 2002 relatif à une demande d’avis du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie sur un contrat cadre relatif à la situation du marché de la pêche et nectarine. 197 Décision du Conseil de la concurrence n°00-D-14 du 3 mai 2000 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des briques plâtrières dans le grand ouest de la France.
105
précédemment, certains usages ne sont mis en place notamment dans le milieu agricole
que pour permettre à un secteur en difficulté de continuer à fonctionner.
Il convient toutefois de souligner qu’en pratique, il est rare qu’une crise permette
d’exempter une entreprise aux comportements anticoncurrentiels. Ainsi, la situation
conjecturelle sera plus analysée comme un facteur atténuant au stade de la
détermination de la sanction plutôt que comme conférant un véritable motif
d’exonération des pratiques anticoncurrentielles en cause.
224. - En somme, il semblerait que les usages puissent conduire à exempter
totalement les opérateurs économiques fautifs si l’on prolonge le raisonnement de
l’Autorité de la concurrence, même si ce ne sont que des suppositions.
Néanmoins, la réalité demeure qu’en règle générale, celle-ci aura tendance à sanctionner
les opérateurs, les pratiques anticoncurrentielles comme les ententes et les abus de
position dominante étant considérés comme trop graves.
Il conviendra néanmoins d’envisager désormais la possibilité fantasque de voir une
pratique exemptée au titre de son imputabilité à un usage afin de faire le tour de la
question de l’exemption.
§2 : L’hypothèse de l’imputabilité d’une pratique anticoncurrentielle à des
usages
225. - Cette hypothèse complètement folle, loufoque, selon laquelle il serait
envisageable d’imputer une pratique anticoncurrentielle à un usage ne peut émaner que
d’un génie du droit de la concurrence qui n’est autre que Stéphane Destours. Aucune
application pratique de cette théorie n’a pu être trouvée au sein de la pratique
décisionnelle de l’Autorité, probablement parce que celle-ci n’a jamais été soulevée.
Et pourtant. Ne pourrait-on pas imaginer qu’un usage perçu comme largement
contraignant par tous les membres d’un secteur professionnel et les conduisant à adopter
des comportements anticoncurrentiels « malgré eux » puisse permettre à ces derniers
d’échapper à la sanction ?
106
226. - En effet, si l’on va au bout de ce raisonnement, la question qui se pose en
fait à l’occasion de l’étude des rapports entre les usages et la détermination du montant
de la sanction par l’Autorité de la concurrence est la suivante : « Faut-il sanctionner les
opérateurs qui ont effectivement exécuté la pratique à l’origine du contentieux ou au
contraire, l’organisme qui est à l’origine de la diffusion de cet usage anticoncurrentiel
et qui leur a laissé pensé que ce comportement était désormais obligatoire ? »
227. - Du point de vue de l’efficacité de la sanction, il semblerait plus opportun
de sanctionner la pratique à son origine, afin d’éviter que celle-ci ne se reproduise.
Prendre le problème à la racine.
Par ailleurs, comme il a été exposé dans la première partie sur les effets aggravateurs
des usages par leur diffusion, les autorités de concurrence ont déjà été amenées à
sanctionner les Conseils de l’Ordre et Académies d’Architecture à l’origine de la
diffusion de l’appel au boycott, et non les opérateurs qui ont effectivement boycotté198.
Ainsi, il ne serait pas inenvisageable – même s’il convient de signaler que ces
décisions ne constituent pas nécessairement un principe général applicable à toutes les
situations – d’estimer que l’Autorité, dans un but de rationalisation de la sanction,
préfèrerait condamner la personne (physique ou morale) ou l’usage à l’origine de la
diffusion de l’usage aux conséquences anticoncurrentielles plutôt que les opérateurs
économiques qui, en bout de chaîne, ne font qu’appliquer des préconisations qu’ils
pensent obligatoire.
228. - Toutefois, à ce jour, cette hypothèse n’est pas vérifiée ni vérifiable – sauf
à poser directement la question aux membres de l’Autorité de la concurrence – jusqu’à
ce qu’une entreprise ou organisme ait l’audace de soutenir cette argumentation à
l’occasion d’un litige. En conséquence, il semble possible mais peu probable que le fait
d’invoquer que la pratique anticoncurrentielle est due à un usage puisse justifier une
exemption totale des opérateurs ; en revanche il est déjà plus plausible d’estimer que
cela puisse justifier la diminution du quantum de la sanction comme il s’agira de le
constater désormais.
198 Décisions n° 97-D-30 et n°00-D-08 préc.
107
Section n°2 : L’atténuation de la sanction par la diminution du quantum
229. - Les usages peuvent avoir une influence positive sur le droit de la
concurrence. À l’inverse, d’autres conduisent directement ou indirectement les
opérateurs à enfreindre le droit de la concurrence et par voie de fait à s’exposer à des
sanctions. Alors, le fait que ces pratiques soient issues d’usage peut influer sur le
montant de la sanction pécuniaire, tant au niveau de la détermination du montant de
base de la sanction (§1) qu’à celui de l’individualisation de cette dernière, constituant
une circonstance atténuante (§2). C’est donc ce qu’il s’agira d’envisager maintenant.
§1 : L’effet modérateur des usages à l’occasion de l’appréciation de la
gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie
230. - Comme cela a été souligné précédemment, certains usages pourraient
potentiellement justifier une exemption pour les opérateurs en cause. Toutefois, il est
nécessaire de nuancer ceci et d’ajouter qu’en pratique, la plupart des éléments énumérés
trouveront à s’appliquer au stade de la détermination du montant de la sanction, plus
qu’à l’occasion du choix de sanctionner ou non de l’Autorité de la concurrence.
231. - Ainsi, même si comme il a été constaté la durée aura plutôt tendance à
majorer le montant de base de la sanction en ce qu’elle aggrave le dommage causé à
l’économie, il convient de se demander si le fait d’avoir recours à un usage ne peut pas
également avoir l’effet inverse et atténuer la gravité des faits, minorant ce montant de
base par la même. En effet, il a été répété à plusieurs reprises que dans la plupart des cas,
les professionnels d’un secteurs sont persuadés que le fait de se conformer à des usages
est obligatoire, et c’est en cela que ceux-ci tirent leur caractère contraignant.
C’est pour cette raison que l’on pourrait considérer que ceux-ci ne sont pas réellement
responsables en ce que ces pratiques leur ont été imposées, et ainsi atténuer non pas
l’importance du dommage général causé à l’économie et la gravité des faits, mais au
moins la part réellement due aux faits des exécuteurs des usages.
108
À ce titre, il serait donc envisageable que l’Autorité tienne compte des usages
pour minorer le montant de la sanction, même si cette hypothèse reste très difficile pour
elle à mettre en œuvre en pratique sans se contredire. En effet, celle-ci ne peut pas
estimer d’un côté que la durée au cours de laquelle les pratiques sont réitérées est une
circonstance aggravant le montant de base de la sanction et au contraire, que le fait que
les comportements anticoncurrentiels soient des usages peut amener à diminuer cette
même sanction. Il est en effet nécessaire que l’Autorité conserve une cohérence dans sa
pratique décisionnelle.
Néanmoins – et de manière totalement inattendue – l’hypothèse de l’imputabilité des
pratiques anticoncurrentielles aux usages pourrait se trouver être la solution idéale pour
permettre à l’Autorité de ne pas se contredire. Ainsi on pourrait considérer que cette
imputabilité pourrait permettre de minorer la gravité des faits et ainsi diminuer le
montant de la sanction, sans pour autant atténuer l’effet aggravateur de la durée.
232. - En somme, il semble difficile – mais pas inenvisageable – que l’Autorité
puisse tenir compte des usages pour diminuer le montant de base de la sanction sans se
contredire. En revanche, il est plus plausible qu’elle considère les usages simplement
comme une circonstance atténuante comme il convient de le constater.
109
§2 : L’effet modérateur des usages à l’occasion de l’individualisation du
montant de la sanction
233. - Les circonstances atténuantes en considération desquelles l’Autorité peut
être amenée à réduire le montant de base de la sanction pécuniaire, pour une entreprise
ou un organisme, peuvent notamment tenir au fait que « l’entreprise ou l’organisme
apporte la preuve qu’il a durablement adopté un comportement concurrentiel, pour une
part substantielle des produits ou services en cause, au point d’avoir perturbé, en tant
que franc-tireur, le fonctionnement même de la pratique en cause », ou « qu’il a été
contraint à participer à l’infraction », voire encore à l’absence de caractère secret du
cartel199. (En revanche, le fait de ne pas avoir retiré profit de la participation à l’entente
ne peut constituer en rien une circonstance atténuante200.
Enfin, l’Autorité peut prendre en considération le fait que « l’infraction a été autorisée
ou encouragée par les autorités publiques »201. Aussi, le fait que la collectivité à
l’origine d’un appel d’offres ait pu, par son comportement, inciter l’entreprise à se livrer
à des pratiques anticoncurrentielles a été jugé comme étant de nature à atténuer la
gravité des faits reprochés202.)
234. - En outre, et c’est en cela que les usages sont éventuellement susceptibles
de trouver une application ici, il a été décidé que « le caractère flou d’un régime
juridique », était un élément susceptible d’atténuer le montant de la sanction, confirmé
par le fait que « les autorités publiques interrogées en séance n’avaient pas été à même
de l’identifier203 ».
Ainsi, il serait envisageable de tracer un parallèle avec les usages puisque, comme il a
été exposé auparavant, parfois ceux-ci sont mis en place par les professionnels dans le
silence de la loi ou lorsque celle-ci n’est pas claire, dans le but avoué d’en pallier les 199 Décision de l’Autorité de la concurrence n°12-D-27 du 20 déc. 2012 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la billetterie de spectacles. 200 Décision de l’Autorité de la concurrence n°10-D-28 du 20 sept. 2010 relative aux tarifs et aux conditions liées appliquées par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d’encaissement. 201 Communiqué du 16 mai 2011 préc., p. 11. 202 Décision du Conseil de la concurrence n°93-D-39 du 5 oct. 1993 relative à des pratiques relevées à l'occasion d'appels d'offres lancés par la ville de Toulouse pour la construction, la transformation et l'aménagement de trottoirs. 203 Décision n°11-D-01 préc.
110
lacunes. La plupart des règlementations privées sont prises en effet pour organiser les
relations professionnelles alors que celles-ci sont laissées de côté – volontairement ou
non – par la loi.
Pour reprendre l’exemple très parlant de la production agricole204, l’Autorité pourrait
considérer que les mesures de concentration et de répartition des ressources ont été
mises en place dans le silence de la loi pour organiser les relations entre eux au mieux.
235. - Par ailleurs, et c’est le second point de la pratique décisionnelle de
l’Autorité qui permettrait d’envisager une atténuation des sanctions de pratiques
anticoncurrentielles du fait des usages, « le fait que l’Administration ait pu tolérer de
telles pratiques pendant de nombreuses années » a également été pris en considération
pour réduire la sanction pécuniaire205. On pourrait alors se demander si le fait que les
pratiques résultant d’usages réitérées depuis de nombreuses années au vu et au su de
l’Etat et de l’Administration ne pourraient pas alors être justifiées. Pour l’instant, rien ne
permet de penser que la pratique décisionnelle de l’Autorité évoluera en ce sens, mais
ce n’est pas impossible. Ainsi, l’invocation du recours aux usages pourrait
indirectement suffire à atténuer la sanction, au grand bonheur de ceux qui y ont recours.
204 Décisions n°92-D-30 et n°98-D-54 préc. 205 Décision du Conseil de la concurrence n°94-D-12 du 15 févr. 1994 relative à des pratiques mises en œuvre lors d'un appel d'offres du département des Landes pour la fourniture de granulats.
111
CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE
236. - L’Autorité de la concurrence et sa méthode de détermination des
sanctions ont énormément évolué depuis l’affaire du « cartel de l’acier », à travers
notamment les avancées apportées par la loi NRE de 2001 et la publication du
Communiqué du 16 mai 2011, dont l’objectif avoué est de permettre une plus grande
transparence dans le calcul des sanctions.
Cette transparence est essentielle pour les juges, mais également les entreprises, qui
seront à même de s’assurer du respect des exigences de proportionnalité206. À l’inverse,
il est à craindre que celle-ci nuise à l’efficacité et au caractère dissuasif des sanctions,
en ce qu’il ait pour effet pervers d’encourager les « fautes lucratives ».
237. - Il convient toutefois de rappeler que ce risque est limité du fait que la
prévisibilité n’est pas totale. En effet, il sera nécessaire d’attendre que la machine de
l’Autorité se mette en route et applique cette méthode à plusieurs cas d’espèce, afin d’en
percevoir pleinement les limites et les failles, ou au contraire la portée.
À titre d’illustration, c’est ce que l’on a pu constater à l’occasion de l’affaire du « cartel
de la restauration des monuments historiques » ; affaire toujours pendante devant la
Cour d’appel de renvoi dans laquelle, alors qu’il était établi que par principe
l’appartenance à un groupe constituait un élément majorant le montant de la sanction,
l’Autorité a décidé au contraire qu’il était nécessaire de démontrer l’absence
d’autonomie par rapport au groupe de l’entité en cause. Ainsi, tous les espoirs sont
permis quant à la portée de ce Communiqué.
238. - À ce jour, il ne fait aucun doute que les usages ont pour effet de majorer
le montant de la sanction, tant en ce qu’ils impactent la détermination du montant de
base de la sanction au titre de l’appréciation de la gravité des faits et de l’importance du
dommage causé à l’économie qu’en ce qu’ils constituent directement une circonstance
aggravante au stade de l’individualisation de la sanction. Des applications concrètes par
l’Autorité sont déjà observables.
206 Cousin M., Chère transparence… Réflexions sur le communiqué de l’AdlC relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, RLDA 2011.62, p. 2.
112
239. - Pour exemple, il convient de rappeler qu’il a été retenu que la durée
pendant laquelle la pratique a été exercée a déjà conduit à plusieurs reprises à estimer
que le dommage causé à l’économie était plus important207.
De la même manière, les usages peuvent constituer une circonstance aggravante au
regard de l’application que fait l’Autorité du caractère aggravant pour lequel l’entité en
cause « jouit d’une capacité d’influence ou d’une autorité morale particulière » à des
usages diffusés par des ordres professionnels208.
240. - En revanche, l’inverse n’est pas vérifiable. Les effets potentiellement
positifs des usages au stade de la détermination de la sanction ne sont pas encore révélés
par la pratique décisionnelle de l’Autorité.
241. - Il est ainsi possible – mais peu plausible – que l’on retienne la
justification et par voie de conséquence l’exemption de certaines pratiques
anticoncurrentielles par le biais des usages, en ce que ceux-ci répondent effectivement
aux critères cumulatifs de l’exemption pour gain d’efficience économique.
En effet, très souvent les ententes constatées dans le secteur agricole notamment ont
pour but d’organiser la bonne répartition des ressources dans un marché géographique
en difficulté. Toutefois en pratique, cette hypothèse est très rare voire inenvisageable.
242. - En revanche l’imputabilité d’une pratique à un usage pourrait se révéler
extrêmement intéressante si elle était soulevée au cours d’un litige, en ce qu’elle
conduirait à l’atténuation du montant de la sanction voire à une exonération du simple
exécutant des usages anticoncurrentiels préconisés comme il a été exposé.
De la même manière, il est prévu que peuvent constituer des circonstances atténuantes
le caractère flou d’un régime juridique ou le fait que l’administration ait toléré ces
pratiques pendant de nombreuses années. Il serait envisageable d’appliquer ces deux
circonstances aux usages, notamment dans le secteur agricole ou l’on pourrait invoquer
le fait que ces usages aient été mis en place pour organiser les ressources dans le silence
de la loi, et au su de l’Administration. 207 Décisions n°09-D-07 et n°11-D-02 préc. 208 Décisions n°98-D-81, n°99-D-08 et n°02-D-14 préc.
113
CONCLUSION GÉNÉRALE
243. - Les usages ont acquis leur caractère contraignant du fait de leur essence
même, qui veut que ceux-ci trouvent aux yeux des professionnels qui les appliquent la
valeur d’une règle de droit. En outre, le contexte actuel a contribué à accentuer
l’escalade de ceux-ci dans la hiérarchie des normes utilisées par les professionnels,
notamment du fait de la souplesse qu’ils ont à offrir.
244. - Ainsi les professionnels, dans le silence de la loi ou par une volonté
d’anticiper les règlementations à venir, font de plus en plus souvent le choix de
consacrer eux-mêmes et ainsi de conférer une force contraignante aux pratiques
auxquelles ils avaient l’habitude d’avoir recours. Cela a pu avoir pour conséquence de
donner naissance à des Codes de déontologie ou des codes de bonnes pratiques,
d’usages honnêtes ; comme à des ententes ou des abus de position dominante.
245. - En effet, il a été souligné que face à l’augmentation des règlementations
en matière de concurrence, les professionnels avaient parfois tendance à estimer que les
usages constituaient une sorte de réglementation à part, en marge de tous les moyens
plus « traditionnels » de régulation des marchés.
C’est en cela que l’observation des usages par les professionnels d’un secteur peut
permettre directement ou indirectement aux autorités de concurrence de qualifier des
pratiques anticoncurrentielles.
246. - À l’inverse, en l’absence de réglementation, les usages ont pu conduire à
modérer les potentielles atteintes que les opérateurs auraient pu être tentés de porter au
droit de la concurrence, et ainsi empêcher les mêmes autorités de qualifier et de se saisir
de pratiques anticoncurrentielles.
247. - Par ailleurs, dans les cas où l’invocation du recours aux usages n’a pas
été suffisante à empêcher la qualification de l’infraction – et surtout dans les cas où
cette qualification a été directement ou indirectement occasionnée par les usages –
114
ceux-ci peuvent être amenés à jouer un rôle au moment de la détermination de la
sanction par les autorités.
248. - Toutefois, compte tenu du fait que la méthode de détermination des
sanctions par l’Autorité de la concurrence n’a été que communiquée que de manière très
récente par l’Autorité de la concurrence, il est encore ardu de déterminer avec précision
l’impact des usages à ce stade.
Ainsi, il est plus aisé de déterminer l’augmentation des sanctions du fait du recours à
des usages. En effet, s’agissant des effets minorants, l’invocation des usages a encore
des conséquences floues, dont on peut simplement présager.
249. - Néanmoins, il est possible d’envisager que ceux-ci puissent conduire
l’Autorité à considérer qu’ils constituent une circonstance atténuante, voire un motif
pour accorder l’exemption de certaines pratiques, soit du fait qu’ils entrent dans le
champ des exonérations prévues par le droit de la concurrence, soit en ce que ceux-ci
peuvent conduire à imputer la pratique anticoncurrentielle en cause aux diffuseurs de
l’usage contraire au droit de la concurrence, et non plus à celui qui l’exécute.
250. - Aux vues de ces observations, il est nécessaire de se rendre à l’évidence :
si les usages ont a priori un effet sur les comportements potentiellement
anticoncurrentiels des opérateurs économiques, tant au niveau de la qualification de la
pratique que de la détermination de la sanction, la portée de cet effet ne pourra être
appréciée qu’au regard de la pratique décisionnelle que l’Autorité adoptera au cours de
ces prochaines années. Il faudra alors s’armer de patience afin de pouvoir appréhender
dans son ensemble l’impact des usages sur le droit de la concurrence.
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fourniture de granulats
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pratiques relevées dans le secteur de l'enseignement de la conduite des véhicules dans la
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de la concurrence dans le secteur du déménagement
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pratiques de la société Châlon-Mégard sur le marché de l’installation de fromageries
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pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie mobile
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pratiques mises en œuvre par la Monnaie de Paris
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pratiques mises en œuvre dans le secteur des appareils de chauffage, sanitaires,
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pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux publics dans la région Ile-de-
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Décision du Conseil de la concurrence n°07-D-15 du 9 mai 2007 relative à des pratiques
mises en œuvre dans les marchés publics relatifs aux lycées d'Ile-de-France
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pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l’accès à
Internet à haut débit
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pratiques relevées dans le secteur de l’entretien courant des locaux
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mises en œuvre par la société France Télécom sur le marché de l’ingénierie, du conseil
et du contrôle technique d’installations téléphoniques réalisées sur le domaine privé
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pratiques mises en œuvre par la régie municipale des pompes funèbres de la ville de
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saisine de la société Santéclair à l’encontre de pratiques mises en œuvre sur le marché
de l’assurance complémentaire santé
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relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Arrow
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pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de l’électricité
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et aux conditions liées appliquées par les banques et les établissements financiers pour
le traitement des chèques remis aux fins d’encaissement
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pratiques relevées dans le secteur de la manutention portuaire à La Réunion
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pratiques mises en œuvre dans le secteur de la restauration des monuments historiques
Décision de l’Autorité de la concurrence n°11-D-17 du 8 déc. 2011 relative à des
pratiques mises en œuvre dans le secteur des lessives
Décision de l’Autorité de la concurrence n°11-D-19 du 15 déc. 2011 relative à des
pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de gadgets et articles de
fantaisie
Décision de l’Autorité de la concurrence n°12-D-06 du 26 janv. 2012, relative à des
pratiques mises en œuvre dans le secteur des agrégats et des marchés aval à St Pierre et
Miquelon
Décision de l’Autorité de la concurrence n°12-D-08 du 6 mars 2012 relative à des
pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation des
endives
Décision de l’Autorité de la concurrence n°12-D-09 du 13 mars 2012 relative à des
pratiques mises en œuvre dans le secteur des farines alimentaires
Décision de l’Autorité de la concurrence n°12-D-24 du 13 déc. 2012 relative à des
pratiques mises en œuvre dans le secteur de la téléphonie mobile à destination de la
clientèle résidentielle en France métropolitaine
Décision de l’Autorité de la concurrence n°12-D-27 du 20 déc. 2012 relative à des
pratiques relevées dans le secteur de la billetterie de spectacles
" Décisions de première instance
T. Com. Seine, 28 mai 1956, Soc. Agence Havas c/ Soc. Opéra Publicité, NP
T. Com. Bobigny, 5 mars 2004
130
" Décisions de Cour d’Appel
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CA Douai, 2 oct. 1962, Ann. propr. ind. 1964, p. 58
CA Versailles, 12e ch., 17 avr. 1985, Gaz. Pal. 1986, 1 somm., p. 27
CA Paris, 5 mars 1987, D. 1988, somm. 180, obs. Serra Y
CA de Paris, 4e ch. A., 27 mai 1992
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132
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" Articles de presse
Les Echos du 17 janv. 2011, Interview de Lasserre B.
134
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION ……………………………………………………………………….. p. 1.
PARTIE I : LE RÔLE DES USAGES DANS LA QUALIFICATION DES PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES ……………………………………….………………… p. 7.
TITRE 1 : LES EFFETS AGGRAVATEURS DES USAGES SUR LE DROIT DE LA CONCURRENCE ……………………………………………………………… P. 8.
Chapitre 1 : Le contexte responsable de l’aggravation des comportements susceptibles de porter atteinte à la concurrence par les usages ……………………………………… p. 8.
Section n°1 : La force contraignante des usages, habituellement accordée en raison de leur répétition et de leur longévité ………………………………………………… p. 9.
§1 : L’usage, une pratique ayant vocation à constituer une règle de droit ……... p. 9.
§2 : L’usage, une pratique ayant une force juridique : confrontation avec la loi ……………………………………………………………………………… p. 11.
Section n°2 : La réglementation accrue de certaines pratiques autrefois tolérées .. p. 13.
Chapitre 2 : Les exemples de comportements anticoncurrentiels dus pour tout ou partie aux usages …………………………………………………………………………… p. 15.
Section n°1 : L’effet aggravateur des usages par leur application ……………….. p. 15.
§1 : Les usages relevés dans les relations commerciales réalisées par le biais de mandats ………………………………………………………………………... p. 15.
I/ Les usages du courtage d’assurances ………………………………….… p. 16.
II/ Les usages des intermédiaires de publicité …………………………...… p. 19.
§2 : Les usages relevés dans la production agricole …………………………... p. 23.
I/ Les usages dans la fabrication et l’installation de presses à fromage …… p. 24.
II/ Les usages dans la fabrication de produits bénéficiant d’une appellation d’origine ………………………………………………………………….… p. 26.
§3 : Les usages relevés dans certaines pratiques de la grande distribution …… p. 29.
I/ Le management catégoriel …………………………………………….… p. 30.
A/ Le risque d’éviction des concurrents des capitaines de catégorie …… p. 31.
B/ Les risques d’ententes liés aux relations de management catégoriel ... p. 34.
II/ Les contrats d’affiliation et les modalités d’acquisition de foncier dans le secteur de la distribution alimentaire ………………………………………. p. 39.
135
Section n°2 : L’effet aggravateur des usages du fait de leur diffusion par les Ordres professionnels …………………………………………………………………..… p. 42.
§1 : La diffusion de barèmes de prix ………………………………………….. p. 43.
I/ La diffusion de barèmes de prix dans le cadre de la profession d’avocat …………………………………………………………………….. p. 43.
II/ La diffusion de barèmes de prix dans le cadre de la profession d’architecte ………………………………………………………………… p. 45.
§2 : La diffusion d’une mise en garde entraînant un boycott dans le secteur de la santé …………………………………………………………………………… p. 47.
I/ La diffusion d’une mise en garde concernant un usage dans cadre de la profession de pharmacien aboutissant à un appel au boycott ……………… p. 47.
II/ L’usage tenant à la diffusion d’un appel au boycott dans cadre de la profession de chirurgien-dentiste …………………………………………... p. 49.
TITRE 2 : LES EFFETS MODERATEURS DES USAGES SUR LE DROIT DE LA CONCURRENCE …………………………………………………………….. P. 52.
Chapitre 1 : Le contexte conduisant les usages à modérer les comportements susceptibles de porter atteinte à la concurrence ………………………………………………….. p. 52.
Chapitre 2 : Les exemples de comportements anticoncurrentiels atténués pour tout ou partie par les usages ………………………………………………………………… p. 56.
Section n°1 : L’effet modérateur des usages loyaux du commerce sur le droit de la concurrence ………………………………………………………………………. p. 56.
§1 : La confirmation de l’existence d’un impact des usages loyaux du commerce sur les comportements potentiellement anticoncurrentiels …………………… p. 56.
I/ L’importance de l’impact des usages loyaux du commerce sur les comportements potentiellement concurrentiels en France ………………… p. 57.
II/ L’importance de l’impact des usages loyaux du commerce sur les comportements potentiellement concurrentiels, l’exemple de l’Ukraine ….. p. 59.
§2 : L’importance nuancée de l’impact des usages loyaux du commerce sur les comportements potentiellement anticoncurrentiels …………………………… p. 61.
I/ L’importance des usages loyaux du commerce dans la qualification d’un comportement déloyal ……………………………………………………... p. 61.
II/ L’insuffisance du non-respect des usages loyaux du commerce dans la démonstration de la concurrence déloyale …………………………………. p. 63.
Section n°2 : L’effet modérateur des usages codifiés par des professionnels ……. p. 64.
§1 : Les règles de déontologie ………………………………………………… p. 64.
§2 : Les règles propres aux ordres professionnels …………………………….. p. 68.
136
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE ………………………………………… p. 71.
PARTIE II : LE RÔLE DES USAGES DANS LA DÉTERMINATION DE LA SANCTION DES PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES …………………… p. 73.
TITRE 1 : LA METHODE DE DETERMINATION DES SANCTIONS PECUNIAIRES DE L’AUTORITE DE LA CONCURRENCE ………………………………………… P. 75.
Chapitre 1 : La chronologie de la mise en place de la politique de détermination des sanctions par l’Autorité de la concurrence …………………………………………. p. 75.
Chapitre 2 : La politique de détermination des sanctions par l’Autorité de la concurrence …………………………………………………………………………. p. 78.
Section n°1 : Le montant de base de la sanction pécuniaire …………………...… p. 78.
§1 : La détermination de l’assiette de la sanction pécuniaire …………………. p. 79.
I/ La prise en compte de la valeur des ventes ……………………………… p. 79.
II/ La proportion de la valeur des ventes retenue au titre de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie …………………………. p. 80.
§2 : L’appréciation de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie …………………………………………………………………….. p. 81.
I/ L’appréciation de la gravité des faits ……………………………………. p. 81.
II/ L’appréciation de l’importance du dommage causé à l’économie ……... p. 85.
Section n°2 : Les critères d’individualisation du montant de base ………………. p. 88.
§1 : La prise en compte de la situation individuelle de l’entreprise ou organisme fautif …………………………………………………………………………... p. 88.
§2 : Les ajustements finaux …………………………………………………… p. 90.
I/ La vérification du respect du maximum légal …………………………… p. 90.
II/ La prise en considération de la clémence et de la non contestation des griefs............................................................................................................... p. 91.
III/ L’évaluation de la capacité contributive ……………………………….. p. 92.
TITRE 2 : LE ROLE DES USAGES DANS LA DETERMINATION DES SANCTIONS PECUNIAIRES ………………………………………………………………. P. 94.
Chapitre 1 : Les effets aggravateurs des usages dans la détermination de la sanction par l’Autorité …………….………………………………………………………………. p. 94.
Section n°1 : L’effet aggravateur des usages à l’occasion de l’appréciation de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie …………… p. 95.
137
Section n°2 : L’effet aggravateur des usages à l’occasion de l’individualisation du montant de la sanction ……………………………………………………………. p. 97.
Chapitre 2 : Les effets modérateurs des usages dans la détermination de la sanction par l’Autorité ……………………………………………………………….…………... p. 100.
Section n°1 : L’atténuation de la sanction par l’exonération de responsabilité … p. 100.
§1 : L’hypothèse d’usages permettant l’exemption d’une pratique anticoncurrentielle …………………………………………………………… p. 101.
§2 : L’hypothèse de l’imputabilité d’une pratique anticoncurrentielle à un usage …………………………………………………………………………. p. 105.
Section n°2 : L’atténuation de la sanction par la diminution du quantum ……… p. 107.
§1 : L’effet modérateur des usages à l’occasion de l’appréciation de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie …………………… p. 107.
§2 : L’effet modérateur des usages à l’occasion de l’individualisation du montant de la sanction ………………………………………………………………… p. 109.
CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE ………………………………………... p. 111.
CONCLUSION GÉNÉRALE ………………………………………………………… p. 113.
BIBLIOGRAPHIE …………………………………………………………………….. p. 115.
TABLE DES MATIÈRES …………………………………………………………….. p. 134.
INDEX ………………………………………………………………………………… p. 138.
138
A
Agriculture Définition, 49 Presses à fromage
Définition, 50 Usages, 51, 242
Appellations d’Origine Régime, 55 Usages, 54, 56, 221 et s., 242
Appel d’offre, 9, 208 Appellations d’Origine, Voir Agriculture Architectes, Voir Ordres professionnels Autorité de la concurrence
Avis, 45, 63 et s., 71 et s., 81 et s. Compétence, 10, 12 Détermination de la sanction, Voir Sanctions pécuniaires
Autorégulation, 24, 115, 119 Avocats, Voir Ordres professionnels
C Clientèle
Démarchage, 125 Généralités, 1, 125
Concurrence déloyale, 62 et s., 81 et s., 124, 133 et s. Consommateurs, 12, 134 Contrats d’affiliation, Voir Distribution Courtage d’assurance, Voir Mandat Coutume, Voir Usages Crise sectorielle, 222
D Démarchage, Voir Clientèle Déontologie, 107, 117, 140 et s. Distribution
Usages, 61, 83 Management catégoriel, 62 et s. Contrat d’affiliation, 81 et s.
Droit de la concurrence Champ, 10 Définition, 1, 7 Historique, 7, 8
Droit international Usages loyaux du commerce, 6
Durée, 111, 177, 205, 231
E Échanges d’informations, 76 Échelle des peines, 163 Engagements, 87 Entente
Compétence de l’Autorité, 10 Détermination de la sanction, Voir Sanctions pécuniaires Définition, 29 Prix, 73, 93 et s., 98 Prohibition, 29, 129
Entreprises, 180, 190 et s. Exemptions
Catégorielle, 77 Individuelle, 219 et s., 242, 250 Usages loyaux du commerce, 129, 217, 221
I
Intermédiaires de publicité, Voir Mandat
L
Lessiviers, 170
M Marché, 1, 10, 180, 187 Mandat
Courtage d’assurance Définition, 31 Usages, 32, 33
Définition, 30 Intermédiaires de Publicité
Contrat-type, 38 Définition, 37 Loi Sapin de 1993, 38 Sanction, 44, 46, 47 Usages, 39 Indemnité de dépossession, 42
Management catégoriel, Voir Distribution Monopole, 180
139
O Oligopole, 180 Ordres professionnels
Avocats, 91 et s. Architectes, 96 et s. 142, 212, 227, 239 Chirurgiens-dentistes, 107, 208 Définition, 89 Experts comptables, 145 Géomètres-experts, 213, 227, 239 Médecins, 142 Ostéopathes, 142, 212 Pharmaciens, 103 et s., 142 Responsabilité, 105
Organisations syndicales, 212
P Pharmaciens, Voir Ordres professionnels Presses à fromages, Voir Agriculture Pompes funèbres, 68 Prix, Voir Entente Publicité
Autorégulation, 116 Déontologie, 116 et s.
R
Réitération des pratiques, 181 et s.
S Sanctions disciplinaires, 140 Sanctions pécuniaires
Capacité contributive, 198 et s. Clémence, 197 Crainte, 127 Détermination
Circonstance atténuante, 8, 191, 233 et s., 241, 246 Circonstance aggravante, 191, 205 et s., 210 et s., 238 Détermination de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie, 35, 43, 46, 47, 52, 57 et s., 84, 94, 100, 179 et s., 185 et s., 205 et s. Durée de la pratique, Voir Durée
Montant de base, 172 et s. Principe de proportionnalité, 167, 175 et s., 190, 192, 202, 236 Réitération, Voir Réitération des pratiques
Non-contestation des griefs, 197 Taux légal, 183, 195 Transparence, 8, 169 et s., 201, 248
T Transparence, Voir Sanctions pécuniaires
U
Ukraine, 128 et s. Usages
Autorégulation, Voir Autorégulation Circonstance aggravante, Voir Sanctions pécuniaires Circonstance atténuante, Voir Sanctions pécuniaires Confrontation avec la coutume, 2 Confrontation avec la loi, 5, 19, 20, 130, 137, 234, 244 Définition, 1, 3, 8, 16, 21 Déontologie, Voir Déontologie Force obligatoire, 1, 17, 25, 40, 243 Imputabilité à, 225 et s., 242 Intervention du juge, 17, 114, 115, 125, 141 et s. Professionnels, 1, 4, 32 et s., 39, 51, 54 et s., 62 et s., 81 et s., 91 et s., 97, 104, 109, 124, 145, 212 Tolérance, 235 Usages commerciaux, 4, 17, 114, 125 et s. Usages loyaux, 54, 125 et s., 136 et s. 160,
V Ventes (valeur), 174