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INSTITUT D’ÉTUDES POLITIQUES DE TOULOUSE
Les déterminants de la valeur
monétaire de l’oeuvre dans le
marché de l'art
Mémoire de fin d’études préparé sous la direction de Serge REGOURD
Présenté par Thibault DESBETS
Année universitaire 2015-2016
Résumé
Ce mémoire a pour objet de développer une réflexion sur les déterminants qui
influencent la formation de la valeur monétaire d’une oeuvre artistique dans le marché de
l’art. Nous nous interrogeons sur les liens entre la qualité artistique du travail d’un artiste
et sa valeur marchande. Il s’agit de démontrer que la valeur monétaire d’une oeuvre d’art
n’est pas défini seulement par sa valeur intrinsèque, mais aussi par des valeurs esthétiques
et symboliques qui agissent sur la formation du prix. La hiérarchisation artistique des
oeuvres dans l’histoire de l’art est principalement le fait des instances de légitimation
(collectionneurs, galeries, critiques d’art, musées…), qui, à travers leurs échanges,
définissent la qualité artistique d’une oeuvre et par conséquent sa valeur économique dans
le marché de l’art. Cependant, les signaux envoyés par ces réseaux entraînent une
déconnexion entre la qualité artistique d’une oeuvre d’art et sa valeur marchande, créant
ainsi des phénomènes spéculatifs dans le marché de l’art.
Mots-clés : oeuvre d’art, valeur monétaire, production artistique, marché de l’art, spéculation
Avertissements
Sciences Po Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
Remerciements
Je tiens à remercier mon directeur de mémoire, Serge REGOURD, pour sa disponibilité et
ses conseils, qui ont contribué à alimenter ma réflexion.
Je souhaite aussi exprimer ma reconnaissance à tous mes interlocuteurs pour leurs
précieuses informations, leur gentillesse, et le temps qu’ils m’ont accordé lors des
entretiens.
À mon entourage.
À ma famille, pour son soutien indéfectible et ses conseils avisés.
SOMMAIRE
Introduction 1
Première partie - La formation de la valeur marchande de l'oeuvre d’art : A l'intersection de la sphère artistique et de la sphère économique 7
I – De la création artistique à la valeur marchande : Un cheminement historique 7
II – Les nouveaux critères d'évaluation de la qualité de l'oeuvre artistique 17
III – Valeur esthétique, valeur symbolique et valeur économique : en tous points corrélées ? 26
Deuxième partie - Les instances de légitimation de l'oeuvre d'art : Un passage obligatoire vers la formation de la valeur marchande 32
I - L'artiste et le collectionneur : Des protagonistes aux extrémités du marché de l'art 32
II – Les intermédiaires du marché de l’art : Véritables artisans de la transformation des prix 42
III – Musées et pouvoirs publics : Des acteurs extérieurs à la sphère marchande qui participent néanmoins à légitimer le prix de l’oeuvre d'art 53
Troisième partie - Entre légitimation et spéculation : La détermination du prix de l'oeuvre artistique à l'épreuve des tendances récentes du marché de l'art 62
I – La théorie des réseaux : Vers la formation d'une valeur économique de l'oeuvre d’art 62
II – L'approche économique des acteurs sur le marché de l'art 72
III – La production artistique face aux singularités du marché de l'art contemporain 80
Conclusion 87
Sommaire des annexes 89
Annexes 90
Bibliographie 108
Sources 112
Table des matières 113
Introduction
Le 11 Mai 2015, le tableau Les Femmes d'Alger (Version O), du peintre espagnol
Pablo Picasso, est devenue l'oeuvre d'art la plus chère jamais vendue aux enchères. Elle a
été adjugée à New York pour la somme record de 179,36 millions de dollars (frais inclus),
lors d’une vente publique de la maison Christie’s. Onze minutes ont suffit avant le coup de
marteau décisif, qui a adjugé l’oeuvre à un acquéreur préférant garder l'anonymat. A tel
point que Thierry Erhmann, artiste plasticien et fondateur de l’entreprise de cotation du
marché de l’art Artprice, parle de « vente du siècle » pour qualifier la transaction . Quant 1
au tableau de Pablo Picasso, il avait été vendu pour la dernière fois en 1997, pour 31,9
millions de dollars (frais inclus). Pourtant, la seule différence notable concernant l'oeuvre
entre les deux ventes réside dans le fait que dix-huit années séparent les deux acquisitions,
le tableau n'ayant subit aucune restauration ou détérioration. Le vendeur a donc réalisé une
plus-value de 147,7 millions de dollars sur cette période.
Quelques mois après, c'est au tour d'une œuvre d'Amedeo Modigliani, Nu couché, d'être
vendue chez Christie's pour un peu plus de 170,4 millions de dollars (frais inclus), à un
acheteur chinois. En 2007, l'artiste contemporain britannique Damien Hirst cédait, pour
106 millions de dollars (frais inclus), une sculpture intitulée For the love of God
représentant un crâne de platine incrusté d’exactement 8 601 diamants. Cette œuvre
artistique a ici une particularité, de par sa valeur intrinsèque, qui est celle de ses matériaux,
comme facteur explicatif de son prix.
La valeur monétaire d’une oeuvre d’art semble quelque chose de mystérieux et de
fascinant de prime abord. Une oeuvre d’art est donc toujours plus que ce qu’elle
représente. La médiatisation de plus en plus forte de ces records d’adjudications, nous a
semblé être un point important pour introduire la réflexion sur le sujet de ce mémoire.
BENHAMOU-HUET Judith, Explication sur le record du Picasso à 179,3 millions de dollars. In 1
blogs.lesechos.fr, 12 Mai 2015. [Consulté le 24 Novembre 2015]. Disponible sur : http://blogs.lesechos.fr/judith-benhamou-huet/explications-sur-le-record-du-picasso-a-179-3-millions-de-dollars-a15348.html
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La vocation première d’une oeuvre d’art concerne sa dimension décorative, mais elle est
aussi un objet d’admiration et de contemplation. Pour le philosophe et spécialiste de l’art
Yves Michaud, une production artistique devient une œuvre d’art lorsqu'elle est acceptée
comme telle par un réseau qui la légitime . Ce qualificatif n’est attribué que sous certaines 2
conditions d’acceptation, et l’œuvre d’art se définit différemment selon les époques et les
lieux. Les critères pour qualifier d’oeuvre, ou de chef-d’oeuvre, une production artistique
varient et demeurent subjectifs, même si il convient d’y admettre certains déterminants.
C’est là le plus surprenant, l’ampleur des modifications de statuts d’une même oeuvre, de
son sens, et de sa valeur tant économique qu’esthétique, selon les situations, les
appropriations des individus, des groupes ou des institutions dans lesquels l’oeuvre d’art
s’est inscrite tout au long de sa trajectoire.
La production artistique acquiert une stature symbolique à travers les discours qui
définissent, ce qu’est ou n’est pas, une oeuvre d’art. Ainsi, certaines terminent leurs jours
dans un musée, alors que d’autres ne seront même jamais vendues. Cependant, la
subjectivité même de la définition d’une oeuvre d’art, entraine l’apparition d’une
confusion entre valeurs économique, esthétique et symbolique. Comment expliquer que
des œuvres, que l'histoire de l'art n'a pas encore légitimées, se vendent plusieurs millions
de dollars. Dans ce mémoire, nous avons donc choisi de prendre la valeur monétaire de
l’oeuvre d’art comme sujet de notre réflexion, car elle est traversée par des logiques
économiques et sociologiques qui prennent place dans le marché de l’art.
Nous entendons ici le marché de l’art comme celui des oeuvres et objets d’art.
Cependant, celui-ci recouvre une grande diversité de pratiques artistiques et de
productions. C’est la raison pour laquelle il ne peut faire l’objet d’une définition unitaire,
unanimement partagée. En outre, il est à noter qu’il n’y a que peu de relations entre le
marché des chefs-d’oeuvres qui se négocient pour plusieurs millions de dollars, et les
productions artistique qui s’échangent pour quelques centaines d’euros dans les ateliers des
artistes ou dans les galeries d’art. De la même manière, le fonctionnement du marché des
MICHAUD Yves,Qu’est-ce qu’une oeuvre d’art ?, Université de tous les savoirs, 23 Février 2009,[Consulté 2
le 24 Janvier 2016]. Disponible sur : https://www.canal-u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs_au_lycee/qu_est_ce_qu_une_oeuvre_d_art_yves_michaud.4434
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artistes vivants qui continuent de produire à ce jour, n’est pas l’équivalent de celui des
oeuvres d’art anciennes. L’art contemporain désigne depuis les années 1960, une catégorie
esthétique, un genre artistique à part. C’est aujourd’hui l’esthétique dominante reconnue
par les instances culturelles officielles. Il côtoie ainsi l’art ancien et l’art moderne jusque
dans les institutions muséales.
L’ambition de ce mémoire, est de constituer un cadre d’étude à la fois sociologique et
économique, permettant de faire ressortir les principaux déterminants qui entrent en
compte, dans la formation de la valeur monétaire d’une oeuvre d’art.
Il nous apparaît important, au sein de ce mémoire, de nous appuyer sur certaines
grilles d’interprétations et lectures, qui se basent en partie sur le marché de l’art français.
Au vue du caractère du sujet, une démarche précise et rigoureuse, qui réunit un large
éventail d’éléments théoriques, a été adoptée au cours de ce mémoire. Une première phase
de travail a consisté à élaborer un large corpus théorique, reprenant les travaux de
sociologie et d’économie, qui traitent des problématiques du marché de l’art sous toutes
ses formes. L’histoire de l’art est aussi mobilisée ici, afin d’expliquer le cheminement des
oeuvres d’art au fil du temps et leur place dans le monde de l’art.
Pour la sociologue Nathalie Heinich, l’histoire de l’art peut se scinder en trois grands
paradigmes successifs (classique, moderne, contemporain), qui disposent chacun de leur
propre définition de ce qu’est une oeuvre d’art. Nathalie Heinich évoque la « transgression
des frontières » comme phénomène reconfigurant la notion même d’oeuvre d’art. 3
L’oeuvre n’est plus seulement un objet artistique, mais acquiert une valeur esthétique et
symbolique qui transcende sa valeur intrinsèque. Un concept important développé par le
sociologue Bernard Lahire va guider notre réflexion. Dans son ouvrage, Ceci n’est pas
qu’un tableau , il étudie la « magie sociale » qui produit un effet d’enchantement dû au 4
pouvoir de l’autorité qui juge l’oeuvre. C’est ce phénomène qui permet le changement de
statut du commun à l’incroyable, du banal au précieux. Cette sacralisation de l’oeuvre
d’art, comme nous allons le voir, impacte notablement sa valeur monétaire.
HEINICH Nathalie, Le Triple jeu de l'art contemporain. Sociologie des arts plastiques, Paris, Minuit, 1998.3
LAHIRE Bernard, Ceci n’est pas qu’un tableau. Essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré, Paris, 4
Editions La Découverte, 2015.
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Les économistes Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux, de par leurs ouvrages
personnels et leurs nombreux travaux collectifs, nous aident à comprendre le jeu complexe
d’interactions qui se tissent entre les différents acteurs du marché de l’art. Nous pouvons
aussi emprunter à la théorie des réseaux afin de mettre en avant le rôle des instances de
légitimations, dans la formation de la valeur monétaire d’une oeuvre d’art.
Enfin, il convient aussi de citer les nombreux travaux de Raymonde Moulin, qui ont été
majoritairement repris dans les études sur le marché de l’art, et notamment par les auteurs
cités précédemment.
Les débats récurrents autour de la légitimité de prix records pour des oeuvres d’art
contemporaines, au regard des prix en vigueur pour des artistes plus anciens, montrent
combien la tendance à confondre valeur économique et valeur artistique est répandue. Dès
lors nous nous efforcerons de répondre à la question suivante : Dans quelle mesure le coût
monétaire de l'œuvre d’art est-il le résultat d'un arbitrage entre valeur économique,
symbolique et esthétique ?
Afin de répondre à cette problématique, une série d’hypothèses constituées a priori
guidera notre réflexion :
- La détermination valeur monétaire nous apparaît comme la combinaison de la valeur
esthétique et symbolique de l’oeuvre d’art.
- La réalité de l’oeuvre d’art se construit hors de ses qualités propres, à travers l’image
qu’elle suscite dans les instances de légitimation.
- Un phénomène spéculatif naissant, notamment dans l’art contemporain, est visible
dans le marché de l’art, expliquant la déconnexion entre la valeur artistique et la
valeur économique de l’oeuvre d’art.
Compte tenu de la diversité des œuvres existantes (œuvre plastique, art moderne,
contemporain, sculpture…), il convient ici de se centrer sur les productions étant le plus
couramment échangées sur les différents marchés, notamment les œuvres produites à partir
de la Renaissance avec le début des tableaux de peinture qui peuvent être déplacés, vendus,
échangés, jusqu'à nos jours. Il s'agit de faire référence à un marché de l'art même si il en
�4
existe une multitude, notamment à travers « les mondes de l'art » décrits par Howard
Becker, attestant que le marché de l’art n’est pas un espace homogène. Afin d'identifier les
forces à l'oeuvre dans la fixation des prix des œuvres d'arts, il est sera judicieux de se
centrer dans cette analyse, sur les transactions et les acteurs les plus importants du marché
de l'art pour mieux en comprendre les enjeux. Géographiquement, nous nous limiterons
aux grandes places internationales où s'échangent les œuvres au prix fort, ainsi qu'aux
institutions et acteurs qui les animent.
Le marché de l'art entendu ici, est celui des œuvres et objet d'art d'artistes de renom
ou à la cote ascendante. Le marché mondial de l’art dit « Fine Art » comprend selon
Artprice : peinture, sculpture, dessin, photographie, vidéo, estampe et installation. C’est-à-
dire, l’ensemble des productions artistiques hors antiquités, biens culturels anonymes et
mobiliers . Ici, notre analyse reste centrée sur le marché de l'art comprenant les oeuvres 5
anciennes, modernes et contemporaines qui s’échangent au sein des réseaux de
légitimation les plus importants.
Notre terrain d’analyse dans la rédaction de ce mémoire, s’est tout d’abord heurté à la
difficulté d’entrer en contact avec des galeries et des artistes médiatiques. Il nous a été très
difficile d’approcher ces derniers, et nous avons reçu plusieurs fin de non recevoir ou une
absence de réponse. Il en a été de même pour les musées. Il nous est possible d’expliquer
ces refus de par le sujet même de ce mémoire. Les artistes expriment en effet une certaine
réticence à expliquer le lien qui s’établit, entre leurs activités de création et les avantages
économiques retirés. Concernant les galeries d’art, elles restent un endroit discret où les
prix ne sont pas affichés à la vue de tous, et du fait de leur participation active à la
formation du prix de l’oeuvre, ils n’étaient que peu enclin à discuter en détail de la manière
dont ils attribuaient une valeur économique à un travail artistique.
Il a fallu nous tourner vers des acteurs du marché de l’art moins médiatisés. Des galeries de
plus petite taille et des artistes à la notoriété moins élevée, plus apte à répondre à nos
questions. Même s’ils ne font pas partie des réseaux les plus médiatiques, et ne sont pas
reconnus, ou ne font pas partie des instances de légitimation qui ont le droit de citer dans le
monde de l’art, il n’en est pas moins qu’ils font partie du marché de l’art et le côtoie de
ARTPRICE, Le marché de l’art contemporain 2015, Rapport annuel Artprice.5
�5
l’intérieur. Ces entretiens ont ainsi permis d’étudier la formation du prix à travers l’examen
des mécanismes sociologiques et économiques à l’oeuvre.
Afin de simplifier la présentation du sujet de ce mémoire, nous avons fait référence
à un marché de l’art, alors que sa complexité et sa diversité justifierait de parler des
plusieurs marchés de l’art en référence aux mondes de l’art d’Howard Becker. Sans
toutefois les ignorer, le présent mémoire, ne peut traiter de manière exhaustive la
multiplicité des cas de formation de la valeur monétaire des oeuvres. Nous avons du
prendre en compte les exemples qui nous apparaissaient les plus pertinent afin d’illustrer et
de répondre aux hypothèses avancées.
La problématique soulevée dans ce mémoire a suscité de nombreuses études et réflexions,
sur lesquelles nous nous appuierons ici, mais ces dernières ne semblent pas dégager, de
manière claire et concise, un mode de résolution unique, permettant d’expliquer la
formation du prix d’une oeuvre d’art. Si ce mémoire présente l’avantage d'un grand
éventail de sources théoriques et empiriques utilisées, celles-ci présentent des limites
épistémologiques et méthodologiques qu'il convient également d’évoquer.
En outre, les entretiens de terrain ne peuvent bien entendu pas refléter la totalité du marché
de l’art, entendu au sans large. Néanmoins, ils ont permis d’approcher les acteurs qui
participent et connaissent les forces à l’oeuvre dans le monde de l’art, ainsi que les
principaux déterminants qui forment la valeur monétaire d’une oeuvre d’art.
Afin de répondre à notre problématique et aux hypothèses soulevées
précédemment, il s’agira dans une première partie de ce mémoire de nous focaliser sur les
critères d’évaluation de la valeur esthétique et symbolique comme repères dans la
détermination de la valeur économique de l’oeuvre d’art (Partie 1).
La seconde partie se centrera sur l’importance des instances de légitimation qui
construisent la valeur monétaire de l’oeuvre d’art à travers les pouvoirs décisionnels
concernant la valeur artistique d’une oeuvre d’art (Partie 2).
Enfin, la troisième partie a pour objet d’étudier l’influence de ces réseaux institutionnels,
qui à travers leurs discours performatifs, peuvent entrainer un phénomène spéculatif de par
la déconnexion entre valeur marchande et valeur artistique, expliquant les records de
ventes des oeuvres d’art (Partie 3).
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Première partie - La formation de la valeur marchande de l'oeuvre d’art : A l'intersection
de la sphère artistique et de la sphère économique
La première partie de ce mémoire a pour vocation à nous interroger sur les critères
d’évaluation artistique de l’oeuvre d’art qui sont un construit historique ayant pour but de
hiérarchiser les oeuvres d’art entre elles. La finalité de cette méthode permet de déterminer
un étalon conventionnel capable de classer les oeuvre selon leurs valeur artistique et donc
de leur conférer une valeur monétaire. Cette première étape permet de nous rendre compte
de l’importance de la valeur artistique comme déterminant de la valeur monétaire de
l’oeuvre d’art (I). Néanmoins, les forces à l’oeuvre et les facteurs d’appréciation de la
production artistique vont être reconfigurés par les nouveaux concepts et courants
artistiques qui voient le jour. La construction de nouvelles conventions artistique nous
poussent à nous interroger sur de nouveaux facteurs explicatifs de la valeur monétaire de
l’oeuvre d’art (II). Ces phénomènes nous permettent de nourrir une réflexion autour de la
valeur symbolique de l’oeuvre d’art comme partie intégrante de la définition de sa valeur
économique. Il s’agit de voir ici la valeur monétaire comme étant la résultante d’une
« magie sociale » qui entoure les discours portés sur l’oeuvre d’art en question (III).
I – De la création artistique à la valeur marchande : Un cheminement historique
En premier lieu, nous nous attarderons sur le fait que la convention artistique a
longtemps régi le fonctionnement du marché de l’art et donc les prix pratiqués (1). En
outre, la dimension sacrée de la production artistique est aussi le reflet de sa valeur
monétaire (2). Cependant, le monde de l’art est par la suite passé à une logique de
classements et de cotations pour hiérarchiser la valeur artistique des oeuvres d’art afin de
clarifier la valeur économique du travail des artistes, donnant ainsi de meilleurs repères et
signaux aux acteurs du marché de l’art (3).
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1) La place de la convention artistique au sein du marché de l’art
L’oeuvre artistique, avant de pouvoir être hissée au rang d’oeuvre d’art, se doit de
suivre un parcours qui l’amènera au final à acquérir son statut. Le fondement économique
de la valeur d’une oeuvre ne résulte donc pas uniquement de la notion d’échange sur un
marché. Historiquement, c’est l’Académie Royale de peinture et de sculpture, fondée en
1648 par Louis XIV sous son règne, qui préfigure l’existence d’un étalon artistique comme
critère d’évaluation de la qualité d’une oeuvre. Ainsi, jusqu’au milieu du XIXe siècle, la
convention académique est la garante de la qualité de la création artistique, qui est ainsi
évaluée selon des règles extérieures à la sphère marchande.
La créativité et la liberté des artistes est donc contrainte par un système de règles à travers
l’Académie Royale, plus tard intégrée dans l’Académie des Beaux-Arts, et le Salon. Dans
un premier temps, l’Académie standardise les qualifications des artistes admis en son sein,
par un processus de formation artistique et de socialisation, tandis que le Salon valide les
compétences, et le respect des conventions par les artistes. Grâce à cet étalon
conventionnel clairement établi, il existe une hiérarchie rigide des valeurs esthétiques, et il
est par conséquent plus facile de déterminer la qualité d'une œuvre d'art. Dans leur
ouvrage, Harrison et Cynthia White distinguent cinq règles fondamentales qui définissent 6
les critères d’évaluation d’une oeuvre artistique selon l’Académie:
• Seuls les thèmes classiques et chrétiens sont dignes d'être représentés.
• Les formes peintes doivent être tirées de la nature pour être parfaites.
• La figure humaine doit avoir des postures limitées avec des gestes expressifs nobles
empruntés au classicisme et à la Haute Renaissance.
• Harmonie et unité de la composition picturale.
• Le soin apporté au dessin.
Ces critères supposent qu’il puisse exister une hiérarchie entre les différentes
productions artistiques sur la base de leurs caractéristiques. C’est à travers ce prisme
esthétique et symbolique que se tient en 1667, au Louvre, le premier Salon organisé par
WHITE Harrison & WHITE Cynthia, La carrière des peintres au XIXe siècle, Paris, Flammarion, 1991.6
�8
l’Académie Royale de peinture et sculpture. L’artiste qui par le passé vivait de son art et
des commandes de certains mécènes peut désormais faire légitimer son travail, grâce à
l’Académie et au Salon. Comme l’expliquent Harrison et Cynthia White : « L’artiste n’est
plus un artisan ni un marchand de bas étage, mais plutôt un homme de savoir qui enseigne
les grands principes de la beauté et du goût » . Ainsi, l’artiste des Beaux Arts n’acquiert 7
réellement le statut de professionnel qu'après son admission au Salon. La convention
académique permet donc de déterminer la qualité artistique en fonction du respect des
règles établies, ce qui constitue un premier pas vers la formation d’une valeur monétaire de
l’oeuvre. En effet, la question des critères d'évaluation se pose pour la production
artistique, afin d’essayer de comprendre son prix une fois sur le marché de l’art.
L’existence d’un étalon artistique permet de définir une hiérarchie des valeurs esthétiques
des oeuvres et à fortiori de déterminer une échelle des valeurs monétaires de ces dernières.
Mais si l'Académie permet de légitimer les œuvres, les ventes réalisées à la suite
des Salons sont peu nombreuses, comme l’explique Nathalie Moureau et Dominique
Sagot-Duvauroux . C’est pourquoi, les tableaux de grandes dimensions ne sont accessibles 8
qu'aux connaisseurs, et les commandes faites aux artistes ne sont généralement l’oeuvre
que de l'Etat ou d’un nombre réduit de notables. Les artistes peinent à subvenir à leurs
besoins quotidiens malgré leur reconnaissance académique. Un marché artisanal subsiste
donc en parallèle, où la valeur est ancrée au coût de production. Si celui-ci n’entretient pas
le prestige académique, il assure néanmoins aux artistes une source de revenus. La
demande croissante pour les portraits et les peintures décoratives de petites dimensions
permet à leurs auteurs de garantir un train de vie, tandis que le marché académique leur
confère un statut social et une reconnaissance artistique.
Cependant, ce système est progressivement remis en cause jusqu’au XIXe siècle.
En 1791, le Salon de l’Académie Royale de peinture et de sculpture qui n’accueillait
jusqu’à lors que les membres qu’elle avait formés, s’ouvre à tous les artistes. En effet, la
capacité d’accueil des Beaux Arts étant limitée, de nouvelles formations se créent comme
WHITE Harrison & WHITE Cynthia, La carrière des peintres au XIXe siècle, op. cit.7
MOUREAU Nathalie & SAGOT-DUVAUROUX Dominique, Le marché de l’art contemporain, Paris, 8
Editions La Découverte, deuxième édition, 2010 (2006).
�9
l’Académie Suisse et l’Académie Julian, plus enclins à laisser place à l’innovation et la
créativité des artistes. En outre, un Salon « des Refusés » est même organisé pour la 9
première fois en 1863, pour remettre en cause le conservatisme artistique de l’époque.
Après avoir vu son oeuvre rejetée, puis contesté son éviction du Salon, c’est lors de
cet événement qu’Edouard Manet présente Le Déjeuner sur l’herbe qui passera à la
postérité bien qu’ayant fait scandale à l’époque. Cet épisode est un constat des évolutions
esthétiques non intégrées dans le Salon. De surcroît, la recherche de complément de
formation des élèves à l'extérieur, les réseaux informels de circulation des idées, l’arrivée
de la photographie, ou encore la faiblesse des débouchés du marché artisanal participent à
l’effondrement du système. L’artiste se dégage ainsi des contraintes académiques, il
devient libre de ses sujets, couleurs, compositions... L'art laisse place à l’imagination et à la
créativité. Le XIXe siècle coïncide aussi avec le début du libéralisme économique, qui fait
son chemin jusque dans le marché de l’art. L'idée que le marché peut décider de ce qu'est
le bon goût et non l’institution constitue une nouveauté pour l’époque.
Les économistes Robert Boyer et André Orléan, indiquent que ce déclin de la
convention académique relève d'un processus d'effondrement et d'invasion selon selon cinq
cas de figure : 10
• La convention s'effondre par diminution de son utilité sociale et est remplacée par
une nouvelle, apte à répondre aux problèmes rencontrés
• La convention est envahie par le contact avec de nouveaux acteurs qui ont une
convention alternative
• La nouvelle convention est socialement plus optimale, et remplace progressivement
l'ancienne par un processus de traduction
DENIZEAU Gérard, Création du Salon « des Refusés ». In Archives de France, site du Ministère de la 9
Culture et de la Communication, 2013. [Consulté le 5 Octobre 2015]. Disponible sur : http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/action-culturelle/celebrations-nationales/recueil-2013/arts/creation-du-salon-des-refuses.
BOYER Robert & ORLEAN André, « Persistance et changement des conventions », in ORLEAN André 10
(dir.), Analyse économique des conventions, Paris, PUF, 1994, p. 219-248.
�10
• Une instance collective amène les agents à adopter une nouvelle convention en
impulsant un mouvement pour remplacer la précédente, par création d'un effet
d'entrainement
• La nouvelle convention se légitime par le capital cognitif commun des agents
Au sein du marché de l’art, la convention artistique académique fut peu à peu
remplacée par de nouvelles règles et critères d’évaluation. Les créations des artistes,
autrefois hiérarchisées selon des qualités propres aux oeuvres permettant d’y attribuer une
valeur monétaire, se voient accréditées d’une nouvelle légitimité économique.
L’ « originalité » fait donc son entrée, comme nouvelle convention d’évaluation de la
qualité de l’oeuvre . Plus une oeuvre est rare, innovante et authentique plus elle sera 11
négociée au prix fort. Une peinture reproduite en de multiples exemplaires ne connaissait
pas jusqu’alors d’altération de sa valeur marchande. L’authenticité et l’unicité deviennent
dès lors, un gage de qualité de l’oeuvre sur le marché de l’art.
2) La consécration de l'oeuvre d'art : Production artistique et dimension du sacré
La production artistique de l’artiste, à travers son cheminement parmi les instances
de légitimation, peut se voir octroyer le statut d’oeuvre d’art, grâce à la reconnaissance
acquise au sein du monde de l’art. L’artiste devenu créateur, s'affranchit du monde de
l’artisanat pour entrer dans une dimension nouvelle. Ainsi, en de nombreux points, l’art et
la religion sont liés par ce même concept de sacralisation, comme l’explique le sociologue
français Bernard Lahire dans son ouvrage Ceci n’est pas qu’un tableau . De la même 12
manière que l’ont s’arrachait les saintes reliques, certains chefs-d’oeuvres artistiques sont
convoités à travers le monde, et chacun cherche à se les approprier. Certains artistes de
renom impliquent la convoitise sous forme de superstition, ainsi il ne s’agit plus de
MOUREAU Nathalie & SAGOT-DUVAUROUX Dominique, Le marché de l’art contemporain, op. cit., 11
p. 13-14.
LAHIRE Bernard, Ceci n’est pas qu’un tableau. Essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré, op. 12
cit.
�11
distinguer le vrai du faux, mais simplement de prétendre à du vrai de la même manière
qu’auparavant, les églises prétendaient chacune détenir un morceau de la vraie croix.
L’oeuvre d’art devient donc un bien culturel public lié au patrimoine.
De la même manière, Bernard Lahire reprend Goethe, qui lorsqu’il fait la
description du musée de Dresde, insiste sur sa proximité avec l’église, de par ce même
décor raffiné, ce silence respectueux, ce même rapport de vénération, de valeur
symbolique. Il évoque même en décrivant les oeuvres exposés de « véritables objets de
vénération » dans « un temple consacré au culte de l’art ». L’artiste français Jean 13
Dubuffet, plus tard, comparera l’art et la culture à la religion, afin de dénoncer les
privilèges de classe et les fonctions de légitimation des pouvoirs que remplissent les
artistes. Pour lui, un musée est « un lieu tout à fait analogue à une église » dans lequel la 14
culture prend la place de ce qui fut autrefois celle de la religion. Cela devient l’église de
certaines classes sociales, qui consiste à rassembler dans un lieu où l’on fréquente des
objets sacrés, un endroit où les personnes qui y entrent vont se distinguer du profane, et en
se complaisant dans cette catégorie sociale qui leur autorise l’accès à la compréhension du
sacré.
L’art comme l’église a le pouvoir de rassembler et diviser, souder et creuser des
fossés. Cet art n’est donc pas accessible à tous et il faut pouvoir y mettre un certain prix,
afin d’y avoir accès chez soi par l’intermédiaire d’une oeuvre que l’on a acquise. De la
même manière, les musées ont ainsi dans notre société une fonction de distinction, en ce
sens qu’ils séparent ceux qui sont capables d’y entrer, ceux pour qui l’art est accessible, et
ceux qui en demeurent exclus. L’art tout comme la religion dépendent des figures qui les
dirigent et font autorité. Ainsi, un objet passe du statut d’objet à celui de relique à partir du
simple instant où un prêtre la bénit. Une relique, au même titre qu’un chef-d’oeuvre
artistique, doit être proclamé, puis acclamé, pour prétendre à ce titre.
LAHIRE Bernard, Ceci n’est pas qu’un tableau. Essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré, op. 13
cit., p. 229.
Ibidem.14
�12
Pour Bernard Lahire, ces phénomènes d’appropriation, de contrôle, de
reconnaissance, ou non, des reliques, démontrent qu’il est en majeure partie question de
pouvoir symbolique. Ainsi, le détenteur de ces objets a le pouvoir de transformer
l’ordinaire en sacré. Ce qui permet d’asseoir la renommée d’une oeuvre, c’est le public qui
se doit d’admirer, adorer, et répandre.
Comme le souligne Bernard Lahire : « En Europe se propage parmi les élites une
sorte de religiosité anthropocentrique qui voit dans l’art l’expression privilégiée de la
puissance créatrice de l’homme et place les oeuvres d’art au sommet de la hiérarchie des
productions humaines, leur conférant ainsi un statut plus élevé que jamais. ». La valeur 15
monétaire d’une oeuvre est ainsi quasiment impossible à définir de part les différents
critères qui peuvent juger de la qualité et la subjectivité qu’ils impliquent. Cependant, la
complexité des thèmes, la maitrise de celui qui l’a exécutée, la rareté de la création, son
originalité et les fonctions que la réalisation a pu remplir permettent une plus grande
pertinence dans le jugement des oeuvres modernes et classiques. L’artiste joue aussi une
part importante dans la transformation de sa production en oeuvre d’art. L’histoire qui
l’entoure permet de faire passer son travail à la postérité.
Par exemple, l’histoire personnelle de Vincent Van Gogh participe à la déification
de l’artiste après sa mort. La signature du peintre sur un de ses tableaux justifie par
exemple l’achat de lors d’une vente aux enchères chez Sotheby’s, du tableau Les
Alyscamps pour 66 millions de dollars (frais inclus), plus d’un siècle après la mort de
l’artiste . Alors que Vincent Van Gogh n’a vendu que deux tableaux de son vivant, dont La 16
vigne rouge pour 400 francs en 1890 . Cette sacralisation de l’artiste et de ses oeuvres des 17
décennies après grâce à la reconnaissance du monde de l’art qu’il a acquise à postériori,
fait que le prix de ses oeuvres ont connu un véritable bon dans les enchères. Un simple
autographe de Van Gogh sur un tableau authentifié multiplie la valeur monétaire et la
médiatisation de l’oeuvre.
LAHIRE Bernard, Ceci n’est pas qu’un tableau. Essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré, op. 15
cit., p. 233.
Van Gogh painting L'Allee des Alyscamps sells for $66m. In bbc.com, 6 Mai 2015. [Consulté le 18 16
Octobre 2015]. Disponible sur : http://www.bbc.com/news/entertainment-arts-32607082
Van Gogh Museum. [Consulté le 14 Avril 2016]. Disponible sur : https://www.vangoghmuseum.nl/en/125-17
questions/questions-and-answers/question-54-of-125
�13
3) Les classements et cotes : De la hiérarchisation artistique à la hiérarchisation économique
La fin de l’étalon artistique tel que défini par le Salon jusqu’au XIXe siècle, a vu
naître par la suite de nouvelles conventions, impliquant l’invention de nouveaux systèmes
permettant de hiérarchiser les oeuvres et les artistes. Le passage à la convention
d’originalité a permis de poser un cadre commun de références pour professionnels et
amateurs d’art. Même si ce cadre réduit l’incertitude sur la qualité des oeuvres, il ne la
supprime pas, il est donc important pour les acteurs du marché de l’art et la sphère
marchande, d’avoir des références communes sur lesquelles s’appuyer, pour juger de la
valeur monétaire, esthétique et symbolique d’une oeuvre.
Ainsi, l’arrivée des classements et cotations permet de procéder de manière différente
comme par exemple le Kunst Kompass (« La boussole de l’or »), classement établi pour la
première fois en 1970 par le journaliste allemand Willi Bongard dans la revue Capital, à ce
jour Manager Magazin, et publié chaque année depuis. Ce classement a pour but d’établir
une hiérarchie entre les artistes suivant la valeur esthétique et la réputation de ces derniers
dans le marché.
Le Kunst Kompass juge ainsi la visibilité des artistes en fonction des lieux et des
types d'exposition où ils sont présents, leurs représentations dans les magazines et
institutions. Un système de points est mis en place et l’artiste qui en compte le plus grand
nombre est celui qui est considéré comme ayant la plus grande qualité artistique. Dans un
tel système d’évaluation artistique, ce ne sont plus les caractéristiques intrinsèque de
l’œuvre qui sont évaluées mais plutôt la démarche de l’artiste, son positionnement dans les
musées, expositions et foires d’arts. Ce classement constitue un indicateur de la réputation
de l’artiste contemporain dans le marché de l’art, et donc subjectivement de la valeur
économique de ses oeuvres suivant sa place dans le Kunst Kompass.
Raymonde Moulin souligne que ce système a pour but de mesurer objectivement la valeur
esthétique des oeuvres, car la position de l’artiste dans le classement dépend avant tout des
jugements des « experts » de l’art contemporain (collectionneurs, galeristes, journalistes,
curateurs…) qui lui confèrent sa légitimité et sa présence dans les institutions artistiques.
�14
Elle écrit que ce classement crée « une échelle de notoriété des artistes tenue pour
l’équivalent d’une mesure objective de la valeur esthétique » . 18
En effet, avec la fin du classement académique basé sur la valeur intrinsèque de
l’oeuvre comme seul juge de la qualité, ce sont les acteurs du marché de l’art qui ont pris le
relais afin d’assurer un rôle de légitimation des oeuvres. Les signaux qu’ils renvoient en
exposant ou en achetant ces dernières par exemple, sont généralement suivit par la sphère
marchande. Par exemple, Gerhard Richter (1932- ), artiste contemporain allemand, qui
culmine en tête du Kunst Kompass depuis deux années, a connu une année 2014
extraordinaire puisqu’il est devenu l’artiste vivant le plus cher du monde, après avoir vu
ses oeuvres adjugées pour plus de 254 millions d’euros (frais inclus) selon ArtPrice, qui
souligne même que son indice de prix a augmenté de 234% sur les dix dernières années.
Nathalie Moureau explique ainsi que : « En outre, la qualité est désormais produite
de façon endogène au monde de l’art, elle est le fruit d’un processus d’interaction entre
acteurs reconnus pour leur capacité d’expertise. ». Dans ce cas précis, la présence de 19
l’artiste dans les instances de légitimations et sa popularité parmi les acteurs du marché de
l’art a contribué à la croissance exponentielle de sa cote, d’où des résultats records en
terme de ventes. En Novembre 2015, la maison d’enchères Sotheby’s à Londres a adjugé
un tableau de Gerhard Richter peint en 1986, intitulé Abstraktes bild, pour 46,3 millions de
dollars (frais inclus) alors que l’estimation initiale du tableau était aux alentours de 22
millions de dollars . 20
MOULIN Raymonde, « Le marché et le musée. La constitution des valeurs artistiques contemporaines », 18
Revue française de sociologie, 1986, vol. 27, n°3, p. 369-395.
MOUREAU Nathalie, Tout ce qui brille n’est point d’or. In laviedesidées.fr , 3 avril 2015 [Consulté le 5 19
Octobre 2015]. Disponible sur : http://www.laviedesidees.fr/Tout-ce-qui-brille-n-est-point-or.html
GHORASHI Hannah, New records for Gerhard Richter, Jonas Wood at Buoyant $188.2 M. Sotheby’s 20
London sale. In Artnews.com, 2 Novembre 2015. [Consulté le 7 Décembre 2015]. Disponible sur: http://www.artnews.com/2015/02/11/new-records-for-gerhard-richter-jonas-wood-at-buoyant-188-2-m-sothebys-london-sale/
�15
Le tableau Abstraktes bild de Gerhard Richter lors de son adjudication le 1er Novembre 2015 dans les locaux
de Sotheby’s à Londres (Crédit photo sothebys.com)
Cependant, en comparant le classement des dix premiers artistes du Kunst
Kompass de 2014 et les dix artistes ayant réalisé les meilleurs ventes aux enchères entre
Juillet 2014 et Juin 2015 selon ArtPrice, seul Gerhard Richter figure dans le classement en
quatrième position derrière Andy Warhol, Pablo Picasso et Francis Bacon. Cela démontre
la tendance du marché de l’art à se tourner vers les valeurs sûres de l’art moderne et des
artistes de l’après-guerre face à la spéculation que peut notamment connaître le marché de
l’art contemporain et les artistes vivants.
Le passage de l’étalon artistique à la convention d’originalité comme marqueur de la
qualité s’est fait progressivement depuis le XVIIIe siècle dans le marché de l’art.
L’évaluation de la qualité de l’oeuvre s’est adaptée à une nouvelle démarche endogène, à
travers quelques personnalités et institutions qui ont pignon sur rue dans le monde de l’art.
Cette nouvelle façon de hiérarchiser les artistes et les productions artistiques crée un
phénomène d’auto-renforcement pour les artistes les mieux cotés qui voient les prix de
leurs oeuvres s’envoler.
Pourtant, une déconnexion existe entre valeur artistique et valeur marchande. En
effet, en 2014 Jeff Koons est devenu l’artiste vivant à avoir enregistré la plus haute vente
aux enchères pour une de ses oeuvres, le Balloon Dog Magenta, pour 58,4 millions de
�16
dollars (frais inclus) chez Christie’s. Cependant, il n’était classé que treizième dans le
Kunst Kompass de l’année 2014, ce qui démontre qu’il existe parfois une scission entre
valeur artistique et valeur marchande. L’évaluation et la convention artistique ne passe plus
par l’institution mais par une organisation marchande au sein du marché de l’art.
II – Les nouveaux critères d'évaluation de la qualité de l'oeuvre artistique
Le prix d’une oeuvre d’art était autrefois basé sur ses propriétés intrinsèques,
comme le coût des matériaux de production et le temps passé par l’artiste sur son travail,
mais cela ne nous permet plus d’expliquer l’envolée de certains prix aux enchères (1). De
nouvelles conventions, qui font références à une diversité de mondes de l’art, nous
permettent alors de porter un jugement qualitatif sur l’oeuvre d’art (2). En s’attardant plus
longuement sur le monde de l’art contemporain, nous apercevons que celui-ci est porteur
d’un nouveau paradigme dans la manière de penser et de créer une oeuvre d’art, entrainant
une nouvelle réflexion sur la fixation des prix dans le marché de l’art (3).
1) La valeur intrinsèque de l'oeuvre : Un critère révolu
Contrairement à certains biens de consommations usuels pour lesquels la qualité
dépend majoritairement de leurs propriétés physiques, le marché de l’art fait face à
l’incertitude quant à la qualité et aux services rendus par les biens artistiques. Cette
incertitude réside dans la méconnaissance par l’un des acteurs de l’échange d’une ou des
caractéristiques du bien. La hiérarchisation des oeuvres et des artistes par des classements
suppose qu’il existe une distinction sur la qualité des productions artistiques. Cependant,
au vu des oeuvres échangées sur le marché, il existerait des critères implicites d’évaluation
de la qualité des productions artistiques. La valeur monétaire de l’oeuvre ne serait donc
plus uniquement la résultante du temps passé et les produits utilisés par l’artiste durant le
processus de production.
�17
Comme le souligne Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux : « La particularité
du marché de l'art contemporain relativement à l'art moderne et ancien, outre la non-fixité
de l'offre, tient à la grande incertitude qui réside sur sa qualité ». Pour l'art ancien, la 21
hiérarchie est plutôt bien établi même si quelque fois, le marché redécouvre certains
artistes. Ainsi, comment expliquer que la valeur intrinsèque de l'oeuvre puisse se
transposer plus tard en une valeur monétaire bien supérieure au prix estimé
originellement ?
Pour Adam Smith dans Recherches sur la nature et les causes de la richesse des
nations , un bien est le reflet de la quantité de travail nécessaire pour le produire, il 22
considère donc la valeur comme objective et intrinsèque au bien. Ce prix « naturel » est
différent du prix décidé sur le marché à travers l’échange sur le principe économique de
l’offre et de la demande. La « main invisible » pour Adam Smith établit un prix juste par
l’échange à travers un équilibre entre offre et demande suivant l’intérêt personnel des
acteurs. Néanmoins, s’il admet qu’il existe un « prix juste » et propre à la quantité de
travail fourni sur un bien, il explique bien que la valeur monétaire finale d’un bien est fixée
sur le marché, car dépendant de la fluctuation entre offre et demande.
Il est donc possible de considérer d’une part qu’il existe une valeur objective et normative
au sein de l’œuvre elle-même, et d’autre part que l’acte d’échange et le marché règlent
fondamentalement l’attribution des prix. La valeur monétaire d’une oeuvre sur le marché
de l’art peut donc être vue elle aussi comme un « prix juste », car elle correspond au prix
que les acteurs de l’échange sont prêt à mettre pour l’achat d’une production artistique.
D’un point de vue purement économique, la valeur monétaire d’une oeuvre comme par
exemple Les Femmes d’Alger de Pablo Picasso, est donc dans la « norme », car elle
s’insère dans un mécanisme classique du marché à travers l’arbitrage entre offre et
demande. Si un collectionneur est prêt à acheter ce tableau à plus de 179 million de dollars,
c’est qu’il considère le montant de son enchère comme justifié.
MOUREAU Nathalie & SAGOT-DUVAUROUX Dominique, Le marché de l’art contemporain, op. cit., 21
p. 6
SMITH Adam, Recherches sur la nature et les cause de la richesse des nations, Paris, Economica, 2002, 22
(1776)
�18
Cependant, comme l’explique Judith Benhamou-Huet, en faisant référence à
l’historien de l’art britannique Neil MacGregor, la confiance dans l'autorité du tableau est
identique à celle que nous avons dans le billet de banque . Le billet de banque n’a en soit 23
que la valeur que nous lui donnons. Si les acteurs du marché remettent en cause sa valeur
nominale, la confiance dans la valeur d’échange qu’ils confèrent dans le billet s’écroule.
L’oeuvre ne représente plus alors sa valeur intrinsèque, mais un consensus entre les agents
du marché, fondé sur la confiance. Sans cette confiance, il y a une chute de la valeur, un
krach esthétique, tout comme la confiance s'évapore dans une monnaie en papier. Il n'y a
donc plus de chef d’oeuvre.
Les critères d’évaluations et de classements des oeuvres n’étant plus basés sur un étalon
artistique, gage de la qualité, une déconnexion s’opère entre valeur artistique et valeur
marchande. Ainsi, les maisons de ventes et les galeristes sont là pour rassurer les acteurs du
marché de l’art. Les œuvres aux prix élevés sont bien identifiables car signées par tel ou tel
artiste. Les musées font aussi partie de ce processus de crédibilisation du prix affiché et
revendiqué par les vendeurs. La valeur intrinsèque de l’oeuvre a donc disparu au profit
d’un arbitrage économique entre les agents de la sphère marchande.
2) Les nouvelles conventions du marché de l'art : Un ou des marchés de l'art ?
La fin des règles artistiques telles qu’édictées par le Salon en France par exemple,
renvoi aux pratiques de l’art actuel, telles que légitimées par les institutions et acteurs du
marché de l’art dans une dimension autant nationale qu’internationale. Si jusqu’à présent
nous nous étions intéressé à l’étalon artistique défini en France, il existe dans l’art et
notamment l’art contemporain une diversité de règles, de conventions qui peuvent être
légitimées ou non par les différentes institutions. La sociologue Nathalie Heinich, met ainsi
en avant la « transgression des frontières » comme comportement créatif des artistes au fil
des années . La convention d’originalité n’est pas non plus valable comme grille de 24
BENHAMOU-HUET Judith , Art business (2), Paris, Assouline, 200723
HEINICH Nathalie, Le Triple jeu de l'art contemporain. Sociologie des arts plastiques, op. cit.24
�19
lecture unique pour comprendre l’évolution historique du monde de l’art. Elle explique
qu’aujourd'hui, il est possible de distinguer trois types d'art qui coexistent au sein du
marché de l’art actuel :
• L’art classique, un art de représentation du réel qui respecte les canons esthétiques,
de figuration et de perspective comme voulu lors de la création de l’Académie
Royale et du Salon par exemple.
• L’art moderne, qui rompt avec la figuration classique comme le mouvement du
Cubisme lancé par Pablo Picasso notamment.
• L’art contemporain, qui est fondé sur la transgression de ces frontières, ce qui en fait
l'art le plus valorisé par les institutions et les marchés à l'heure actuelle même s'il
ne fait pas l'unanimité . 25
Du fait de la fin de l’existence d’une hiérarchie rigide des valeurs esthétiques, il est
par conséquent plus difficile de déterminer la qualité d'une œuvre d’art et donc sa valeur
monétaire. Le marché de l’art n’est donc plus un ensemble homogène de productions
artistiques équivalentes mais un agrégat de différents sous-ensembles artistiques. Une telle
diversité est porteuse de signaux contradictoires pour la sphère marchande dans sa
tentative de fixer une valeur monétaire à chaque oeuvre en circulation sur le marché de
l’art. Pour le sociologue américain Howard Becker, la création n'est pas un processus
individuel, mais le fruit de la coordination d'individus rassemblés au sein d'un même
monde de l'art . 26
Selon lui, « des mondes de l’art » coexistent et sont définis par des conventions de
production artistique arbitraires, selon quatre ensembles d’artistes qui y participent :
• Les professionnels intégrés, qui utilisent les conventions ordinaires du monde de
l’art
• Les francs tireurs, qui refusent de se plier aux conventions et qui apportent des
innovations qui sortent du cadre de production habituel
Voir Annexe n°125
BECKER Howard, Les mondes de l’art, Paris, Flammarion, 2006 (1982)26
�20
• Les artistes populaires de tradition, qui sont majoritairement des artisans
• Les naïfs, qui ne détiennent pas les clés du langage conventionnel
Ainsi, les activités artistiques sont constituées comme des systèmes de négociation
permanente. Pour Becker, la création a une dimension hautement collective et sa diffusion
provient du partage des conventions historiquement changeantes et de l’appartenance à
« des mondes de l’art » concurrentiels mais en interactions, où interviennent une multitude
d’acteurs. Les interactions entre les participants d’un monde de l’art permettent d’asseoir
les conventions esthétiques et économiques afin de définir les productions artistiques
légitimes. « Les mondes de l’art » apparaissent comme un espace qui regroupe différents
types de réseaux de coopérations mais aussi d’artistes.
Ainsi, la création artistique est au centre des chaînes de coopération et des réseaux
d’échanges « des mondes de l’art ». Si plusieurs mondes de l’art existent selon Becker, il
n’en reste pas moins qu’ils sont tous présents et coexistent sur un même marché de l’art.
L’œuvre artistique est donc fortement influencée par l’ensemble des acteurs évoluant sur le
marché de l’art. Chaque œuvre est donc l’aboutissement d’un nombre important de
« chaînes de coopération » pour Howard Becker et de prise en compte de contraintes
institutionnelles, humaines et matérielles. La formation de la valeur de l'oeuvre se retrouve
à l'intersection de la sphère artistique et de la sphère marchande dans le monde de l’art.
Lorsqu'un artiste est fortement médiatisé et sa notoriété acquise, alors sa cote s’élève sur le
marché de l’art, et avec elle la valeur monétaire de ses oeuvres.
3) L'art contemporain : Un nouveau paradigme dans la formation du prix de l'oeuvre ?
Parmi les trois genres de l’art actuel identifié précédemment par Nathalie Heinich,
l’art contemporain est celui qui suscite le plus de controverses. Sur un marché, les
préférences des individus convergent et permettent de dégager une hiérarchie telle que si
tous les biens étaient au même prix, seuls ceux considérés comme de meilleure qualité
�21
seraient acquis. Or, pour ce faire, il faut que les acteurs du marché qui participent à
l’échange puissent lever l’incertitude qui pèse sur la qualité d’une oeuvre artistique.
Cependant, en ce qui concerne l’art contemporain, il est difficile de définir la qualité d’une
production artistique en raison de sa fonctionnalité, comme l’explique Nathalie Moureau.
Par exemple, la qualité artistique de l’oeuvre de Jeff Koons, New Hoover Deluxe Shampoo
Polishers, qui représente des aspirateurs éclairés par des néons dans une armoire en
Plexiglas, ne dépend pas de la qualité d’aspiration de ces machines . 27
La notion de subjectivité quant à la valeur esthétique de l’oeuvre est fortement
présente dans l’art contemporain. Notamment à travers le courant du Ready made
développé à partir de 1916 par Marcel Duchamp, comme l’explique l’historien de l’art
Thierry de Duve . Le principe est de choisir des objets manufacturés du quotidien et de 28
leur conférer le statut d’oeuvre d’art suite à l’appropriation par l’artiste qui leur retire leur
valeur d’usage. Le Ready made se retrouve chez certains artistes contemporains, comme le
britannique Damien Hirst, qui a vu une de ses oeuvres, Lullaby Spring, être adjugée en
2007 pour 19,2 millions de dollars chez Sotheby’s . Sa création n’est pourtant rien d’autre 29
qu’une armoire à pharmacie d’un peu plus de deux mètres de long remplie de pilules de
différentes tailles qui imitent de vrais médicaments. Pour Thierry de Duve, une oeuvre
Ready made devient de l’art à partir du moment où quatre critères sont présents : « (1) si
une chose donnée était un objet doté d’une existence matérielle, (2) si on pouvait lui
attribuer un auteur, (3) si elle avait trouvé un public, (4) si les trois premières conditions
étaient réunies dans un contexte institutionnel adéquat, alors on pouvait dire que la chose
en question était une œuvre d’art. ». 30
Ainsi, les agents qui participent à l’échange sur le marché de l’art mettent en avant une
nouvelle convention de légitimation d’une oeuvre, en reconnaissant entre eux une
démarche novatrice. Ces signaux qui arrivent à la sphère marchande créent une différence
MOUREAU Nathalie, Tout ce qui brille n’est point d’or, op. cit., p. 2.27
DE DUVE Thierry, Résonances du ready made : Duchamp entre avant-garde et tradition, Nîmes, Éditions 28
Jacqueline Chambon, Réédition Hachette, 2006 (1989).
PATAUD CELERIER Philippe, L’art (contemporain) de bâtir des fortunes avec du vent. In 29
LeMondediplomatique.fr, Aout 2008. [Consulté le 12 Octobre 2015]. Disponible sur : http://www.monde-diplomatique.fr/2008/08/PATAUD_CELERIER/16183
DE DUVE Thierry, « Autour du ‘monde de l’art’ », Cahiers philosophiques, 2012, n°131, p. 108-128.30
�22
fondamentale en comparaison à l’approche classique de la reconnaissance artistique d’une
oeuvre. D’une valeur normée et absolue d’une production artistique, le marché détermine
une nouvelle valeur monétaire.
Dès lors, la question se pose de savoir quel regard porter sur l’art contemporain qui
transgresse sans cesse les frontières et les règles de l’art. L’évolution dans la façon
d’appréhender la qualité artistique d’une oeuvre influence ainsi l’organisation des échanges
sur le marché de l’art. Selon les travaux de la sociologue Raymonde Moulin, le marché de
l'art contemporain serait divisé en quatre secteurs : 31
• Le marché des chromos, qui rassemble les artistes qui produisent un art dit
« traditionnel », ils sont nombreux et leurs réseaux de distributions sont variés. Le
prix y est fonction de la signature et de l'unicité, la valeur est ancrée sur le coût de
production avec une marge en fonction de la réputation de l’artiste.
• Les artistes en voie de légitimation qui sont des contemporains de faible notoriété,
avec réseau de distribution parallèle aux galeries et peu prestigieux comme les
préfectures, halls de mairie, expositions collective et réseaux personnel.
• L’avant-garde médiatisée qui dispose d’une reconnaissance sur les marchés et les
institutions, foires et biennales grâce à un effet médiatique. Il existe aussi un marché
secondaire spéculatif pour la revente de leurs oeuvres.
• Les talents consacrés dont le nom fait partie de l'histoire de l’art. La demande
provient de collectionneurs fortunés et les œuvres s'échangent dans les galeries de
négoce et lors de ventes aux enchères.
Ce sont les artistes des deux derniers secteurs exposés ci-dessus qui connaissent des
prix records dans la vente de leurs oeuvres et l’attention médiatique conséquente qui en
découle. Nathalie Heinich, en reprenant les travaux de Thomas Kuhn sur les « révolutions
scientifiques », explique que l’art contemporain établit un « paradigme artistique » par la
transgression permanente des frontières artistiques et symboliques à travers les oeuvres
MOULIN Raymonde, L’Artiste, l’institution et le marché, Paris, Flammarion, 199231
�23
produites . Ce paradigme suppose donc un socle commun de connaissances partagées à un 32
moment par les agents participant à l’échange sur le marché de l’art.
La valeur monétaire est donc le reflet des croyances dans la qualité d’une oeuvre des
participants à l’échange à une période donnée. Le fait de se situer dans le paradigme
contemporain en ce qui concerne le marché de l’art, explique que les critères de valeurs ne
sont plus les mêmes. Nathalie Moureau souligne effectivement que les débats récurrents
autour de la légitimité de prix records pour des oeuvres d’art contemporaines, au regard
des prix en vigueur pour des artistes plus anciens, montrent combien la tendance à
confondre valeur monétaire et valeur artistique est répandue dans l’art contemporain . 33
L’existence d’une déconnexion entre la valeur économique et la valeur artistique semble en
effet être plutôt la règle que l’exception sur ce marché.
Ainsi, c’est l’acte d’échange et la valeur monétaire qui fondent la valeur de l’œuvre
et non l’inverse. Comme il n’est plus possible d’évaluer une oeuvre en fonction d’un étalon
artistique rigide, la reconnaissance et la nouveauté dans un marché de l’art contemporain,
dominé par la transgression des frontière,s sont devenus la norme de création. L’oeuvre en
art contemporain ne réside plus dans l’objet proposé par l’artiste mais par l’expérience que
va provoquer cette oeuvre. Le marchand dispose donc d’un rôle essentiel sur le marché de
l’art contemporain, car la formation d’une nouvelle norme artistique dépend des
interactions entre les agents, à l’intersection de la sphère artistique et marchande.
HEINICH Nathalie, Le paradigme de l’art contemporain. Structures d’une révolution artistique?, Paris, 32
Gallimard, 2014.
MOUREAU Nathalie, Tout ce qui brille n’est point d’or, op. cit., p. 2.33
�24
A l’heure actuelle, l’art contemporain est prisé par un nombre toujours
croissant d’amateurs d’art, de collectionneurs, galeries et musées de part le monde, ce qui
permet d’expliquer les records de ventes au fil des années. Cependant, au regard de
l’Histoire de l’art, il n’y a pas que l’art contemporain qui connait un décalage entre le prix
d’une oeuvre à un moment donné et son prix futur. Par exemple, les impressionnistes
n’étaient pas parmi les artistes qui vendaient leurs oeuvres au prix fort. Ainsi, Paul
Gauguin n’était pas très bien coté de son vivant, et pourtant en 2015 son tableau Nafea faa
ipoipo peint en 1892, a été acheté 300 million de dollars par un acquéreur Qatari lors d’une
vente de gré à gré, c’est-à-dire sans avoir recours à une vente aux enchères . Si la vente 34
était officiellement confirmée, cela ferait du tableau l’oeuvre la plus chère de l’Histoire de
l’art.
BELLET Harry, « Nafea faa ipoipo », de Gauguin, part au Qatar. In LeMonde.fr, 11 Février 2015.34
[Consulté le 27 Mars 2016]. Disponible sur: http://www.lemonde.fr/arts/article/2015/02/11/nafea-faa-ipoipo-de-gauguin-part-au-qatar_4574135_1655012.html
�25
III – Valeur esthétique, valeur symbolique et valeur économique : en tous points corrélées ?
Il s’agit avant tout de nous questionner sur la possibilité de quantifier en valeur
monétaire, à partir d’une valeur subjective telle que l’esthétique d’une oeuvre d’art (1).
Cette subjectivité nous apparait donc un facteur explicatif des variations dans le prix des
oeuvres d’art (2). Par conséquent, c’est en grande partie la magie sociale qui entoure la
production artistique qui explique le lien entre valeur esthétique, symbolique et sa valeur
monétaire (3).
1) L'existence d'une valeur monétaire du « Beau » ?
L’existence d’un « étalon du Beau » a longtemps préfiguré dans le monde de l’art
comme convention de référence, pour juger de la qualité artistique d’une oeuvre. Pour
Bernard Lahire, l’art dans sa modernité est l’expression du beau et permet à ses spectateurs
d’exercer leur capacité à juger correctement du beau, tout en orientant leur gouts,
bénéficiant de ce plein pouvoir d’exposition . Pour l’artiste d’art contemporain Michel 35
Campistron, la valeur esthétique tient une place importante dans la formation de la valeur
économique d’une oeuvre : « Alors la vocation d’une œuvre d’art pour moi, c’est de
procurer un plaisir esthétique, de l'émotion et là on est déjà dans le subjectif. ». 36
L’esthétique apparait donc ici comme une notion subjective à l’oeuvre. Dès lors, la valeur
monétaire est le reflet des préférences des individus, la galeriste d’art contemporain
Chagall Bitboul note que : « tout les jours des gens entrent dans ma galerie avec des gouts
différents, personne n’aime les mêmes chose. ». 37
Pour l’artiste contemporaine Florencia Cairo, la valeur monétaire du « Beau »
n’existe pas : « Non, pour moi il n’y en a pas. Tout est subjectif. Certains aiment mon
LAHIRE Bernard, Ceci n’est pas qu’un tableau. Essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré, op. 35
cit. p. 236.
CAMPISTRON Michel, Artiste contemporain, entretien du 2 Avril 2016.36
BITBOUL Chagall, Directrice de la Kinor Gallery, entretien du 13 Mai 2016.37
�26
travail, d’autres ne l’aiment pas. Donc les goûts et les couleurs ne sont jamais les mêmes.
Même le fait d’essayer de définir le « Beau » est compliqué. Donc le prix d’une oeuvre
dépend que ce que voit ou ressent l’acheteur. ». 38
Nous pouvons distinguer à travers ces réponses l’absence de lien entre une création
artistique et intérêts marchands. L’art apparaît ici comme étant au service des valeurs
esthétiques et non d’un échange monétaire. L’histoire de l’art nous montre aussi que les
critères d’évaluations du « Beau » et de la qualité artistique sont un reflet de l’esprit du
temps. L’ « étalon du Beau » tel que définit par le Salon et l’Académie des Beaux-Arts n’a
plus rien à voir, une fois la période des Impressionnistes installée.
Selon Ambroise Duchemin, la définition de la valeur esthétique et artistique est plus facile
à établir dans l’art ancien : « Le caractère technique, la qualité, il faut aller au musée pour
comprendre tout ça. Aller au musée et les regarder longuement. Un tableau de peintre, tu
vois la différence entre un virtuose et un scolaire, tu vas voir que c’est plus fluide, plus
rapide, plus de lâché. Tu reconnais la technique et la virtuosité. ». 39
L’évaluation de la qualité esthétique de l’oeuvre et donc du « Beau » est un
mécanisme fragile sans cesse renouvelé de par la transgression des frontières continue de
l’art. Il y a donc une dimension symbolique forte pour l’oeuvre d’art quant à son
inscription dans l’histoire de l’art. L’instabilité de l’évaluation esthétique et artistique peut
ainsi influencer la valeur symbolique de l’oeuvre d’art. Par conséquent, cette subjectivité
dans l’évaluation de la qualité esthétique et artistique est en prise directe avec la valeur
monétaire de l’oeuvre.
CAIRO Florencia, Artiste contemporaine, entretien du 18 Juillet 2016.38
DUCHEMIN Ambroise, Galeriste d’art ancien, entretien du 10 Aout 2016.39
�27
2) La subjectivité des critères d'évaluation de l'oeuvre d'art, une spécificité du marché de l'art
L’incertitude sur la qualité des oeuvres constitue une spécificité essentielle du
marché de l’art. La diversité des genres artistiques et la résilience des conventions de
légitimation des oeuvres, constitue un critère particulier dans la formation de la valeur
marchande d’une production artistique. Les travaux de l’économiste américain George
Akerlof permettent de mettre en avant certains phénomènes à l’oeuvre dans le marché de
l’art . Son analyse du marché des voitures d’occasion permet de mettre en lumière 40
l’impact de la subjectivité et de l’incertitude dans les critères d’évaluations d’un bien et
donc sa valeur marchande.
Comme évoqué précédemment, la qualité inhérente d’un produit réside dans ses
caractéristiques physiques propre à son utilisation. Si on se réfère à la voiture qui est
l’objet d’analyse de George Akerlof dans son article, son utilité première est de transporter
des passagers d’un point A au point B. Cependant, toutes les voitures d’occasion ne sont
pas identiques, certaines iront plus vite, d’autres offrent un meilleur confort ou
consomment moins d’essence. La méconnaissance de la totalité des caractéristiques de la
voiture d’occasion pèse sur l’un des participants à l'échange pour connaitre la qualité réelle
du bien. N’ayant que peu de garanties sur la qualité, la prise de risques des acteurs est plus
faible donc la demande baisse ce qui fait chuter les prix. Cette asymétrie d’information
donne lieu à des phénomènes de sélection adverse selon George Akerlof, car le vendeur
d’une voiture d’occasion de qualité ne va pas souhaiter vendre à un prix trop faible et va
donc sortir du marché. Les acheteurs ne seront plus qu’en présence de voitures d’occasion
de mauvaise qualité.
Cependant cette incertitude sur la qualité peut être réduite par la connaissance et
l'apprentissage des agents qui s’informent sur le bien. La théorie de la sélection adverse
d’Akerlof peut être transposée au marché de l’art, car il s’organise autour de conventions
AKERLOF George, « The market for lemons: quality uncertainty and the market mechanism », The 40
Quarterly Journal of Economics, 1970, vol. 84, p. 488-500.
�28
basées sur la qualité par une différenciation horizontales entre les oeuvres. Or, il existe
aussi une différenciation selon les préférences et les goûts des agents, ce qui ne permet pas
de dégager une hiérarchie claire et précise. Ainsi, les œuvres d'arts sont des objets
essentiellement différentiables horizontalement, même si le marché de l'art s'organise
autour de hiérarchies d’artistes, communément admises pour distinguer une œuvre de
bonne ou mauvaise qualité. En ce qui concerne l'art ancien, la hiérarchie est plutôt bien
établie même si quelque fois, le marché redécouvre certains artistes.
Akerlof démontre ainsi que la connaissance de la qualité est une condition nécessaire au
bon fonctionnement d'un marché. La qualité des œuvres contemporaines dépend de la
façon dont elles se diffusent dans les réseaux marchands et non marchands de l’art.
Cependant, la subjectivité et le regard porté par les différents acteurs sur une oeuvre, peut
malgré tout amener le marché de l’art contemporain à connaitre des décrochages entre
valeur monétaire et valeur artistique considérée de l’oeuvre.
Nathalie Moureau évoque notamment le cas de l’artiste Jacob Kassay pour faire
référence à ces phénomènes . Ce dernier a connu une ascension fulgurante sur le marché 41
de l’art, avec un record à 317 000 dollars (frais inclus) pour l’une de ses oeuvre lors d’une
vente aux enchères chez Phillips en novembre 2013. Cependant, comme le note la
sociologue, lors de son arrivée en galerie en 2007, le prix pour une de ses oeuvres
standards était de 4000 dollars (frais inclus), mais lors d’une enchère en Mai 2011 l’une
d’elles a atteint 290 500 dollars (frais inclus). En outre, Jacob Kassay ne fait pas partie des
artistes « à suivre » selon les principaux magazines d’art, ni des 100 artistes contemporains
présents chaque années dans le Kunst Kompass, et pourtant il atteint des montants
similaires à ceux d’artistes confirmés présent dans ce classement.
Cet exemple démontre que le marché de l’art peut envoyer des signaux contraires aux
agents, l’asymétrie d’information mène à des situations où des artistes peuvent voir le prix
de leurs oeuvres s’envoler, alors qu’aucune institution n’a légitimé leur qualité.
L’incertitude sur la qualité d’une production artistique peut entraîner des phénomènes de
sélection adverse par les agents présents sur le marché de l’art et mener à des phénomènes
de spéculations sur la cote des artistes et la valeur marchande de leurs oeuvres.
MOUREAU Nathalie, Tout ce qui brille n’est point d’or, op. cit., p. 5.41
�29
3) De création artistique à oeuvre d'art : La magie sociale, un marqueur de la valeur monétaire
Les critères pour qualifier d’oeuvre d’art ou de chef-d’oeuvre une réalisation
artistique varient et demeurent subjectifs, même s’il convient d’y admettre certains
déterminants, tels que le lieu d’exposition, la médiatisation, l’authenticité, la rareté… Le
parcours en dents de scie d’un artiste concernant sa reconnaissance aléatoire au fil du
temps renforce la valeur de ses oeuvres aux yeux du public et des acquéreurs. C’est le cas
par exemple de Vincent Van Gogh développé plus haut notamment. Le fait qu’un tableau
soit d’abord laissé de côté, soit par ignorance de son authenticité ou bien par manque de
reconnaissance de l’artiste à l’époque, amène par la suite un sentiment de rareté
grandissant et rend donc sa valeur croissante, contrairement à celle d’une oeuvre
initialement reconnue.
Bernard Lahire fait par exemple référence à son étude du tableau de Nicolas Poussin, Fuite
en Égypte au voyageur couché, en expliquant qu’en 1986 l’oeuvre était estimée comme
une vieillerie décorative à 12 000 euros (frais inclus), au prix d’une simple copie d’époque,
et sa valeur en 2007, par son statut d’oeuvre autographe, se voit estimer à 17 millions
d’euros . Ainsi, une fois authentifié, un tableau devient un objet « magique » par l’aura 42
qui émane désormais de lui, par l’apposition d’un nom, d’une figure, sur l’objet lui même.
C’est là le plus surprenant, l’ampleur des modifications de statuts d’une même oeuvre, de
son sens et de sa valeur tant économique qu’esthétique, selon les situations, les
appropriations des individus, des groupes ou des institutions dans lesquels il s’est inscrit au
long de sa trajectoire. L’histoire a une place majeure dans la valeur et l’estimation
monétaire d’une oeuvre car l’objet en est sacralisé.
Ceci dit, la trajectoire d’une toile est relativement stabilisée à partir du moment ou
le tableau a été acquis par un musée public, car dès lors il est retiré des échanges
commerciaux, et ne circule plus que par un réseau fermé dans le cadre de prêts ou
d’échanges inter-musées. Bernard Lahire poursuit son analyse en soulignant que le fait
qu’une oeuvre soit retirée de l’échange marchand, implique dans les pensées commune une
LAHIRE Bernard, Ceci n’est pas qu’un tableau. Essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré, op. 42
cit., p. 9-12.
�30
entrée dans le patrimoine. De fait, à la suite de nombre d’analyses et d’épreuves, l’Etat
français, comme c’est le cas pour le tableau de Nicolas Poussin, peut décider de classer le
tableau « trésor national ». Le plus souvent, une oeuvre importante représente un enjeu
symbolique, au delà de l’art. Par ce biais, il s’agit de se détacher de la simple visée
décorative et ainsi l’oeuvre devient moyen de dénonciation, d’opposition, de non respect
des codes, ou même objet de scandale. En recherchant et impliquant la réaction du public,
l’artiste augmente sa cote, et la valeur monétaire de ses oeuvres. Mais il est aussi vrai que
l’unanimité des avis sur une oeuvre, n’est en aucun cas gage d’une valeur marchande
élevée. L’aura que provoque la magie d’une oeuvre n’est pas uniquement dûe à son
exécutant, mais est aussi le résultat d’un travail regroupant galeristes, mécènes, experts,
commissaires-priseurs, musées, critiques, historiens ainsi que le public.
La magie sociale produit un effet d’enchantement dû au pouvoir de l’autorité, du
dominant sur le dominé. C’est cet enchantement qui permet le changement de statut du
commun à l’incroyable, du banal au précieux. La magie exercée permet non seulement un
changement de statut mais également une sacralisation, de sorte que l’objet devient chef-
d’oeuvre à contempler. Pour Bernard Lahire, le statut de l’objet change et avec lui sa
fonction, ainsi un objet communément utilisé dans la vie quotidienne peut devenir oeuvre
d’art, et perdre sa fonction utilitaire pour se revêtir d’une nouvelle fonction contemplative,
entraînant ainsi un comportement différent à son égard . La sacralisation n’est dûe et ne 43
dépend que de la figure d’autorité qui décide d’un changement de statut de l’objet. L’artiste
Marcel Duchamp, par exemple, désacralise l’art en introduisant un objet industriel et
même vulgaire en la présence d’un urinoir, et son nom ainsi que ses oeuvres produisent le
même effet de magie sociale que pour n’importe quelle peintre classique. Ainsi, il n’est
plus possible d’évaluer une oeuvre en fonction de son adéquation à un « étalon du Beau ».
Un travail de reconnaissance et de légitimation de la nouveauté apparait nécessaire, ce qui
confère un rôle important aux acteurs du marché de l’art qui deviennent les garants de la
valeur artistique des oeuvres, et donc de fait de la valeur monétaire de la production
artistique.
LAHIRE Bernard, Ceci n’est pas qu’un tableau. Essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré, op. 43
cit., p.529 - 533.
�31
Deuxième partie - Les instances de légitimation de l'oeuvre d'art : Un passage obligatoire vers
la formation de la valeur marchande
Dans un premier temps, notre analyse s’attardera sur le couple artiste -
collectionneur, à travers la loi de l’offre et de la demande, qui influence de part et d’autre
les instances de légitimation, car ces derniers cherchent chacun de leur côté à influencer la
valeur monétaire de la production artistique (I). Nous allons démontrer par la même
occasion que les instances de légitimation ont un rôle performatif dans la formation de la
valeur monétaire d’une oeuvre d’art, et ce grâce à leur expertise sur la qualité esthétique et
artistique (II). En outre, l’institution muséale et les pouvoirs publics, dans ce réseaux
d’acteurs du monde de l’art, occupent une place à part, hors de la sphère marchande.
Néanmoins, ils sont un maillon indispensable de l’institutionnalisation d’un artiste et de
son entrée dans l’histoire de l’art, déterminant ainsi fortement la valeur économique de sa
production artistique (III).
I - L'artiste et le collectionneur : Des protagonistes aux extrémités du marché de l'art
A travers les instances de légitimation, le collectionneur joue un rôle primordial,
d’un point de vue économique, du côté de la demande. Son rôle d’expert en art suffit à
polariser les acquéreurs potentiels, qui vont voir à travers ces achats des signaux attestant
de la qualité du travail de l’artiste, ce qui contribue a faire grimper la cote de ce dernier et
par conséquent ses prix (1). Cependant, des motivations propres au collectionneur peuvent
induire des signaux faussés concernant la qualité d’une oeuvre d’art et potentiellement une
déconnexion entre valeur artistique et valeur monétaire (2). Enfin, nous pouvons affirmer
que l’artiste est lui aussi un acteur primordial du marché de l’art car il dispose des
ressources nécessaires pour influencer le marché de l’art quant à la valeur économique de
son travail (3).
�32
1) L'achat de l'oeuvre par le collectionneur : « Une labellisation » de la qualité de l'artiste
Situés de part et d’autre du marché de l’art, l’artiste et le collectionneur sont à la
base de son fonctionnement. Ainsi, la vente aux enchères existe depuis les Romains et la
valorisation de l'artiste est un principe qu'on aperçoit déjà avec les œuvres de Michel-Ange
à l’époque. Sur le marché de l’art, se trouve d’un côté le producteur, mais qui, pour
continuer à produire, a besoin de participer à la sphère marchande afin de trouver un
acheteur. Durant la Renaissance par exemple, l’artiste, alors artisan, a besoin d’un mécène
qui lui commande des oeuvres qui vont lui permettre de subvenir à ses besoins tout en
continuant à créer. Le collectionneur de son côté recherche la pièce authentique, unique qui
lui permettra d’allier plaisir esthétique, décoratif et distinction sociale.
Dans son ouvrage, Judith Benhamou-Huet prend appui sur le psychanalyste allemand
Werner Muensterberger qui écrit que « le collectionneur, pas loin de l'esprit du croyant,
assigne pouvoir et valeur à ces objets parce que leur présence et leur possession semblent
avoir une fonction - normalement le plaisir - de modification de l'état mental du
propriétaire. ». Le collectionneur est notamment ancré dans le contexte sociétal dans 44
lequel il évolue , il ajoute : « le goût, le choix, le style sont inévitablement affectés, encore
qu'inconsciemment, par le Zeitgeist, l'esprit et le climat socioculturel d'une époque. ». Les
grandes tendances sur le marché de l'art depuis plusieurs décennies révèlent les préférences
des agents sur le marché de l'art, donnant la part belle à l'art contemporain et aux grands
peintres tels que Picasso, Turner, Monet, qui sont des valeurs sûres dans le milieu artistique
avec un véritable retour sur investissement.
De même, le marché actuel est favorable à l'art asiatique, en effet les nouvelles grandes
fortunes de la seconde puissance mondiale sont de plus en plus présentes dans les plus
grandes ventes aux enchères, mais avec des goûts très spécifiques. Les acheteurs se
tournent en premier vers tout ce qui correspond à leur héritage culturel.
C’est le cas de l’artiste contemporain Zeng Fanzhi par exemple. Avec l’arrivée des
collectionneurs chinois sur le marché de l’art, il voit sa cote s’envoler à partir de 2007,
BENHAMOU-HUET Judith, Art business (2), op. cit. 44
�33
avec une oeuvre qui dépasse le million de dollars (frais inclus) lors d’une enchère à Hong
Kong, multipliant ainsi par douze son estimation basse . Plus de cent coups de marteaux 45
millionnaires ont suivi jusqu’en 2015, grâce à une demande nationale soutenue pour les
artistes chinois et l’attrait de certains collectionneurs occidentaux.
La forte demande pour certains artistes participe donc à la « labellisation » des oeuvres,
comme étant de qualité et de la main d’un artiste reconnu parmi les collectionneurs et les
institutions. L’exemple de l’envolée de la cote de cet artiste chinois sur les dix dernières
années démontre qu’une légitimation de son travail s’opère sur le marché de l’art car les
montants d’adjudications de ses oeuvres n’ont cessé de croître, en raison de la demande
soutenue de la part des collectionneurs.
L'art asiatique a aussi le vent en poupe en Occident, par exemple en 2016, c'est l'art coréen
qui est mis en avant à la célèbre Art Paris Art Fair qui rassemble des artistes,
collectionneurs et curieux du monde entier lors de cette foire d’art.
C’est bien le signe que le marché de l’art se tourne vers les valeurs phares, ce qui explique
que les artistes chinois représentent 21% des recettes mondiales lors des ventes aux
enchères en 2015 . 46
ARTPRICE, Le marché de l’art contemporain 2015, Rapport annuel Artprice.45
Ibid.46
�34
Cette « labellisation » de l’artiste est donc à mettre en relation avec le
collectionneur qui sélectionne les oeuvres de qualité, ce qui crée un effet d’auto-
renforcement de la cote de certains artistes en vogue.
Ainsi, posséder une oeuvre de l’un de ces artistes renforce les croyances dans sa valeur
artistique en même temps que la valeur économique de sa production déjà écoulée mais
aussi à venir.
Walter Benjamin dans son essai rédigé en 1935, L'Œuvre d'art à l'époque de sa
reproductibilité technique, mesure l'importance des phénomènes de reproductibilité sur les
oeuvres artistique . Avec l’essor du capitalisme, les reproductions du travail des artistes se 47
multiplient et banalisent les œuvres d’art. Les œuvres issues des techniques de
reproduction de masse, notamment l’imprimerie, la photographie et le cinéma, ont
contribué à la « déperdition de l’aura » propre à l’œuvre unique, désincarnée par sa
reproductibilité et sa déclinaison dans d'infinis sous-modèles. Pour Walter Benjamin, la
reproduction fragmente l’oeuvre d’art qui perd, à travers la multiplication des exemplaires,
son caractère unique et sacré, ce qu’il appelle sa présence « ici et maintenant ».
Dès lors, le fait de posséder une oeuvre artistique authentique et unique est un
marqueur de distinction, une « labellisation » de l’oeuvre unique de l’artiste, d’où une
valeur monétaire élevée qui distingue sa qualité et son unicité, des oeuvres similaires et des
copies. Il semblerait donc qu’il y ai pour un collectionneur un rendement psychologique de
par la motivation esthétique de détenir une oeuvre unique, qui fait que la capacité à
dépenser des acteurs est plus élevée car l’utilité retirée est sensée être plus grande.
L’authenticité est donc un phénomène socialement construit, par l’interaction des
collectionneurs sur le marché de l’art, en fonction de la perception esthétique qu’ils ont de
l’oeuvre.
Bien qu’un tableau copié perde de son aura pour Walter Benjamin, il n’en reste pas
moins qu’une oeuvre comme Les Joueurs de cartes de Paul Cézanne, maintes fois
reproduites en tableaux de différents formats et même en carte postale, a été acheté pour
BENJAMIN Walter, L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, Paris, Editions Allia, 2011 47
(1955).
�35
250 millions de dollars (frais inclus) par la famille royale du Qatar , sachant que le tableau 48
existe en cinq exemplaires authentifiés.
La « déperdition de l’aura » n’atteint donc pas les oeuvres d’artistes « labellisés » par les
collectionneurs sur le marché de l’art, car le fait de posséder un exemplaire authentique
bien qu’existant en plusieurs versions permet d’asseoir la légitimité du collectionneur,
quant au fait de posséder une des pièces de la série, car la rareté d’une oeuvre authentique
ne fait qu’augmenter sa valeur monétaire sur le marché.
2) Les motivations des collectionneurs comme marqueur subjectif de la valeur de l’oeuvre d'art
Le marché de l'art est l'incarnation d'un paradoxe autour du prix payé par l'acheteur.
Dans son ouvrage Théorie esthétique, le philosophe allemand Theodor Adorno souligne
que : « Dans la mesure où l’art correspond à un besoin social manifeste, il est devenu en
majeure partie une entreprise gouvernée par le profit, qui dure tant quelle est rentable et
par sa perfection aide à passer le fait qu’elle est déjà morte. ». 49
Ce qui compte alors pour le collectionneur, ce n'est pas « la bonne affaire » réalisée par
l'achat d'une œuvre, mais d'avoir payé un maximum, un prix plus élevé que les autres
acheteurs potentiels, pour s'offrir l'objet désiré.
Cependant, peu de particuliers dans le monde sont en mesure de pouvoir enchérir pour
s’offrir les oeuvres d’art les plus prisées. Artnews identifie chaque année les 200
collectionneurs les plus importants de la planète, parmi lesquels de nombreux américains,
russes et chinois qui sont majoritairement des investisseurs, des magnats de l'immobilier,
des capitaines d’industries ou des personnalités influentes du monde de la culture … Aux 50
BELLET Harry, Le Qatar, Cézanne et les 250 millions de dollars. In LeMonde.fr, 6 Février 2012. 48
[Consulté le 11 février 2015]. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/02/06/le-qatar-cezanne-et-les-250-millions-de-dollars_1639373_3246.html
ADORNO Theodor, Théorie esthétique, Paris, Klincksiek, 2011 (1974), p. 34-35.49
ARTNEWS, Top 200 collectors, Rapport annuel 2015. Disponible sur http://www.artnews.com/top200year/50
2015/
�36
motivations esthétiques pour l’achat d’une oeuvre s’ajoutent également un désir de
reconnaissance sociale et des préoccupations spéculatives.
Le fait de posséder une oeuvre d’art contribue dans un premier temps à la recherche
de décoration et au plaisir issu de la relation à l'oeuvre. Néanmoins, pour Roland Barthes,
le plaisir esthétique est corrélé au capital humain des individus. Dans son essai sur la
photographie, il explique que le plaisir esthétique est associé à deux éléments, l'émotion
immédiate ressentie, et le plaisir associé à la connaissance dont on dispose de l'oeuvre . 51
La consommation d’oeuvres artistiques augmente avec l'expérience accumulée et le niveau
d'éducation de l’individu. Si le spectateur ignore la démarche de l’artiste, il se retrouve
désarmé face à l'oeuvre et parfois en situation de rejet.
Dans l’art contemporain, la démarche de l’artiste compte tout autant que l’apparence
formelle de l’oeuvre, mais, pour la comprendre, il faut en posséder les codes, et cela grâce
à l’expérience artistique passée.
Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux citent ainsi, dans leur ouvrage,
le philosophe français Marc Jimenez, pour qui : « l'art contemporain apparaît de plus en
plus étranger à un public qui lui est, précisément, contemporain. ». Dans leur rapport 52
présenté au Ministère de la Culture français, Nathalie Moureau, Dominique Sagot-
Duvauroux et Marion Vidal analysent le monde des collectionneurs français et soulignent
que celui-ci est majoritairement masculin (73 % des collectionneurs sont des hommes),
avec un niveau de diplôme plus élevé que l’ensemble de la population (75% sont titulaires
d’un diplôme de niveau bac + 4, et pour un quart d’entre eux dans le domaine de l’histoire
de l’art), près des deux tiers sont âgés de plus de 50 ans et près de la moitié résident en Île-
de-France, deux caractéristiques communes à celles des publics de la culture. Ils ajoutent
cependant que l’âge moyen des collectionneurs s’explique en partie par leur capacité
financière, ce qui leur permet d’étoffer leur collection plus aisément . 53
BARTHES Roland, La chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980.51
MOUREAU Nathalie & SAGOT-DUVAUROUX Dominique, op. cit., p. 39.52
MOUREAU Nathalie, SAGOT-DUVAUROUX Dominique et VIDAL Marion, Collectionneurs d’art 53
contemporain : des acteurs méconnus de la vie artistique, Paris, Ministère de la Culture et de la Commnication, coll. Culture Etudes, 2015.
�37
Ces facteurs constitutifs de la majeure partie du monde des collectionneurs laisse supposer
que la demande en oeuvres artistiques de ces derniers provient aussi de motivations
sociales propres à leur milieu d’appartenance.
Selon le marchand d'art Rob Noortman : « Pour comprendre un tableau ancien, il faut faire
preuve d'une certaine recherche intellectuelle. Pas pour un ciel ou des fleurs peints par les
impressionnistes. ». Ceci permet d'expliquer la cote élevée de l'art moderne sur le marché 54
de l’art.
La consommation artistique est une satisfaction dérivée des caractéristiques du
bien. L’économiste et sociologue américain Thorstein Veblen démontre dans son ouvrage
Théorie de la classe de loisir, que la situation d’achat d’un bien par le consommateur en
raison d’un simple attrait pour son prix élevé, permet à celui ci de signaler sa position
sociale face aux autres. La distinction sur les prix est un marqueur de réussite et de
mérite . Cet « effet Veblen » caractérise une consommation ostentatoire d’un bien qui 55
traduit l’appartenance à un rang social élevé, comme c’est le cas pour l’achat d’une oeuvre
d’art.
Ainsi, une distinction sur la quantité s’opère : en consommant des biens peu répandus, le
consommateur satisfait son besoin de distinction. Le collectionneur prend une place
prédominante sur le marché de l’art dès lors qu’il parvient à mettre la main sur des oeuvres
uniques sur lesquelles les autres acteurs du marché avaient des vues.
En outre, dans la pensée de Walter Benjamin, la possibilité d’acquérir une oeuvre
authentique, pour les collectionneurs, est un moyen de distinction des masses, car l’oeuvre
conserve son « aura », étant unique et authentique. A cela s’ajoute pour le collectionneur le
privilège de découvrir de nouveaux talents qui verront leur cote s’envoler par la suite. Le
collectionneur participe à la légitimation des oeuvres et des artistes car il contribue à la
formation des goûts et l’orientation des modes de par ses achats.
BENHAMOU-HUET Judith, Art business (2), op. cit.54
VEBLEN Thorstein, Théorie de la classe de loisir, Paris, Gallimard, 1978 (1899).55
�38
L’index Larry’s list, qui répertorie les collectionneurs les plus influents de la
planète, a établi un classement des artistes les plus représentés dans ces collections
aboutissant à la hiérarchie suivante : Andy Warhol, Pablo Picasso, Damien Hirst, Gehrard
Richter, Cindy Sherman, Jeff Koons, Sol LeWitt, Roy Lichtenstein, Joan Miro et enfin
Jean-Michel Basquiat . 56
Ainsi, les collectionneurs les plus aisés se ressemblent jusque dans leurs goûts et semblent
faire des choix similaires. La valeur monétaire d’une oeuvre vendue est donc également le
reflet des préférences des collectionneurs, qui vont enchérir sur une même oeuvre
considérée comme un investissement fiable. Ils font par conséquent grimper le prix de
l’oeuvre en question, de part la forte demande qui converge vers cette dernière.
Les auteurs du rapport sur les collectionneurs français, remis au Ministère de la Culture,
concluent que l’investissement des collectionneurs dans la vie artistique répond à des
motivations variées : « Des motifs individuels (recherche de plaisir esthétique), sociaux
(désir de se distinguer ou de s’intégrer dans un milieu social convoité) et financiers
(s’enrichir, constituer un patrimoine) se combinent dans leur activité de collectionneur ». 57
3) L'influence de l'artiste sur la valeur monétaire de sa production
Si la valeur monétaire de l’oeuvre est modifiée par la demande, le collectionneur à
une extrémité du marché, cette dernière peut aussi être déterminée par l’offre, c’est-à-dire
l’artiste qui a lui même produit l’oeuvre qu’il souhaite écouler sur le marché de l’art.
Les artistes entretiennent un rapport singulier avec le marché de l’art, autrefois artisans et
extérieurs à la sphère économique, il font néanmoins partie de la chaîne de coopération de
ces « mondes de l’art » selon Howard Becker . 58
www.larryslist.com56
MOUREAU Nathalie, SAGOT-DUVAUROUX Dominique et VIDAL Marion, Collectionneurs d’art 57
contemporain : des acteurs méconnus de la vie artistique, op. cit.
BECKER Howard, Les mondes de l’art, op. cit.58
�39
Edouard Manet cité précédemment renverse par exemple l’ordre artistique établi en étant
l’instigateur principal du Salon « des Refusés » de 1863, qui préfigure le style « avant-
gardiste ». Ainsi, l’artiste est le premier promoteur de sa création, et la valeur monétaire
qui en résulte correspond à cette logique de promotion et de légitimation de l’oeuvre.
Sophie Cras, prend appui sur le travail artistique d’Yves Klein pour démontrer
l’influence de l’artiste dans la fixation des prix sur le marché de l’art . 59
En 1957, à la galerie Apollinaire de Milan, Yves Klein présente onze monochromes de son
célèbre bleu « I.K.B », tous parfaitement identiques mais avec, selon lui, des prix affichés
différents. L’artiste cherche alors à définir la réelle valeur du tableau, il parle de «
sensibilité picturale », en expliquant qu'il y a pour les acheteurs quelque chose de
perceptible derrière l'apparence physique et matérielle du tableau, ce qui fait qu'ils payent
le prix demandé.
Lorsque Klein prétend imposer à ses toiles, apparemment identiques, des prix différents, il
impose en réalité un prix qui reflète la valeur réelle des œuvres, dont lui seul est digne d’en
juger. Pour Sophie Cras, son monochrome était une marque commerciale, ce qui lui
permettait d’asseoir son image sur le marché en étant immédiatement identifiable.
En effet, la différenciation est synonyme d’une rente monétaire supérieure sur le
marché de l’art à travers notamment l’« Effet Veblen » qui suppose qu’un bien rare qui
dispose d’un prix élevé amène à un rendement croissant d’adoption . L’économiste 60
Nathalie Moureau explique que le « marché des noms d’artistes » s’est substitué avec
l’avènement de l’art moderne au « marché d’oeuvres » de la peinture ancienne . 61
L’organisation et le contrôle de la rareté des oeuvres produites par Yves Klein sont donc
des déterminants majeur de son succès et du prix élevé de ses monochromes notamment,
car ils traduisent sa marque et le caractère unique de chaque tableau. Les acquéreurs sont,
en conséquence, prêt à faire monter les enchères afin de posséder une oeuvre authentique . 62
CRAS Sophie, « De la valeur de l’œuvre au prix du marché : Yves Klein à l’épreuve de la pensée 59
économique », Marges, 2010, n°11, p. 29-44.
VEBLEN Thorstein, Théorie de la classe de loisir, op. cit.60
MOUREAU Nathalie, Analyse économique de la valeur des biens d’art, Paris, Economica, 2000.61
Voir Annexe n°262
�40
Le fait pour l’artiste, notamment contemporain, de monnayer un concept novateur à
travers ses créations lui assure une estimation haute de son travail sur le marché de l’art.
Cependant, la recherche permanente d’originalité peut amener à certains paradoxes
concernant la valeur monétaire associée à l’oeuvre.
Judith Benhamou-Huet prend appui sur le travail de l’artiste américain Robert Ryman à
travers son oeuvre Signet 20 qui représente des bandes horizontales blanches sur une toile
à fond blanc. Son tableau a été estimé à 1,5 millions de dollars dans une vente aux
enchères chez Christie’s en 1999 mais n’a pas trouvé d’acquéreur. Une autre oeuvre de ce
dernier, Uncle up, qui représente une couche épaisse de peinture blanche sur une toile, a
cependant été vendue 1,8 million de dollars en 2002 dans la même maison de vente.
Afin de comprendre ces fluctuations, Judith Benhamou-Huet explique que « le marché de
l'art n'est pas un marché qui rend la justice, une sorte de baromètre absolu de la créativité,
mais plutôt un baromètre de l'importance sociale de tel ou tel artiste, de telle ou telle
oeuvre. ». 63
La cote de Robert Ryman fait donc référence à la tendance du marché à s’orienter vers l’art
minimal, alors que ce n’était sans doute pas le cas trois ans auparavant. Par conséquent,
c’est dans la valeur monétaire de l’oeuvre, ou simplement dans l'absurdité du système
commercial, que réside la magie de l'artiste à influencer directement le marché.
En outre, les artistes peuvent assurer eux-mêmes leur visibilité dans les réseaux de
légitimation, et créent à l’occasion des collectifs à vocation économique, esthétique, ou
militante. Comme le groupe BMPT né en 1967 autour de Daniel Buren, Olivier Mosset,
Michel Parmentier et Niele Toroni avec le slogan « Nous ne sommes pas des peintres ».
Ces collectifs sont des révélateurs de courants ou d'artistes que les instances de
légitimation décideront d'appuyer ou non. Ils réalisent alors leur propre publicité à travers
des manifestations communes et conçoivent une exposition volontairement provocante en
1967 lors de la biennale de Paris. Ainsi, en peignant des motifs répétitifs dénués
d’émotions, ils participent à leur médiatisation et à leur reconnaissance, parvenant à capter
l’attention du public et des instances de légitimation.
BENHAMOU-HUET Judith, Art business (2) , op. cit.63
�41
Un autre artiste passé, maitre dans l’art d’influencer le marché, n’est autre que le
britannique Damien Hirst. En 2008, au même moment que la faillite de la banque Lehman
Brothers, l'artiste a pris à revers le circuit classique en mettant directement en vente aux
enchères chez Sotheby's une série d'environ 200 oeuvres, sans passer par le circuit habituel
des galeries. Le montant total de la vente à atteint les 90 millions d’euros (frais inclus).
Sur les 21 000 visiteurs présents, 16% n'avaient jamais acheté chez Sotheby's et 35%
étaient inconnus du département d'art contemporain.
Les galeristes de Hirst, pourtant court-circuités, sont intervenus durant la vente pour
soutenir les prix. Probablement pour ne pas voir la cote de leur artiste chuter et mettre en
difficulté leur propre galerie . 64
De cette manière, Damien Hirst a élaboré sa propre stratégie promotionnelle contre le
système. Par conséquent, la valeur monétaire de l’oeuvre est aussi influencée directement
du côté de l’offre, par l’artiste lui-même qui dispose de diverses ressources afin de
contrôler et de diriger le prix de vente de sa production.
II – Les intermédiaires du marché de l’art : Véritables artisans de la transformation des prix
De nombreux événements peuvent influencer la cote d'un artiste : une rétrospective,
une commande publique, une présence remarquée dans une foire ou une biennale, un
changement de galeriste… La galerie d’art, au vue de notre étude, semble donc un passage
obligatoire pour la notoriété de l’artiste, car elle constitue la première instance de
légitimation capable de déterminer la valeur économique de son travail (1).
Néanmoins, nous allons démontrer que les ventes aux enchères tendent de plus en plus à
surpasser ces dernières, comme référants dans la formation de la valeur monétaire d’une
oeuvre d’art (2). En outre, les foires d’art et autres manifestations artistique contribuent
elles aussi à ce travail de légitimation artistique notamment grâce à la médiatisation qui les
entoure (3).
MOUREAU Nathalie & SAGOT-DUVAUROUX Dominique, Le marché de l’art contemporain, op. cit., p. 64
51.
�42
1) Les galeries d’art, un passage nécessaire pour la reconnaissance du travail artistique
La galerie d’art, conçue comme lieu destiné à l’exposition et à la vente d’oeuvres
d’art, contribue au succès d’une nouvelle stratégie promotionnelle des artistes et de leur
travail. A partir du XIXe siècle, en parallèle des musées ou concours publics, la galerie
d’art apparaît comme un vecteur de circulation et de commercialisation d’une oeuvre
artistique. Par l’organisation d’expositions individuelles ou collectives, par ses relations
avec la presse, les musées et les collectionneurs, la galerie façonne l’image de l’artiste
qu’elle s’est engagée à défendre. L’objectif final est de vendre les oeuvres exposées et de
favoriser la réussite des artistes choisis. L'oeuvre est visible, on ne paie pas pour rentrer
dans une galerie, les prix ne sont pas affichés et pourtant elles sont un espace central dans
le marché de l'art.
Les galeries de promotion sont apparues dans la seconde moitié de XIXe siècle.
Contre une rémunération mensuelle, l'artiste s'engageait à livrer la totalité de son travail,
ou garantissait un droit de première vue au galeriste, qui, en retour, assurait la promotion
du travail par l'organisation d’expositions et la réalisation de catalogues.
La prise de risques est différente selon les galeries, il s’agit de distinguer les « loueurs de
cimaise » et les galerie de promotions, les premiers louant un espace de leur galerie pour
exposer, il n’y a donc aucune prise de risques mais ils sont fuis des collectionneurs.
Ce sont en général des points de vente d'artistes qui exposent ailleurs. Il existe aussi un
second marché de la revente d’oeuvre, tenu par des courtiers généralement spécialisés sur
un artiste ou une période. Il est donc judicieux ici de s’attarder sur les galeries de
promotion, qui correspondent au premier marché, c’est-à-dire celui de la vente première de
l’oeuvre. En effet, selon un rapport remis au Ministère de la Culture concernant les galeries
d’art contemporain en France en 2011, 72% des galeries travaillent exclusivement sur le
premier marché . Ce sont elles qui se situent à l'intersection du domaine artistique et du 65
ROUET François, Les galeries d’art contemporain en France en 2012, Paris, Ministère de la Culture et de 65
la Communication, coll. Culture études, n° 2013-2, Juin 2013.
�43
marchand en servant d’intermédiaire à ces deux sphères, et qui définissent de part leur
travail de légitimation et de reconnaissance, la valeur monétaire d’une oeuvre.
Concernant les galeries de découverte et de promotion d'artistes contemporains, un
contrat d'exclusivité plus ou moins limité sur les ventes peut être signé entre le galeriste et
l’artiste. Dans la majeure partie des cas, un contrat de première vue est signé entre les deux
partis, ce qui engage l’artiste à venir voir directement la galerie une fois sa création
achevée afin de lui montrer son travail.
Il y a un véritable suivi des artistes pour maitriser leurs productions et les retombées de la
notoriété. Les galeries d'art prennent en moyenne 50% de commission sur le montant
global de la vente, mais cela peut varier entre 10% et 80% . En outre, beaucoup de 66
galeries font du courtage en parallèle pour couvrir les risques de promotions. De plus, les
galeries d’art contemporain jouent un rôle essentiel dans l’émergence et la construction de
la notoriété des artistes vivants, elles permettent de découvrir de nouveaux talents, et
assurent la promotion de ces derniers auprès des collectionneurs. Par exemple, 69 % des
galeries françaises d’art contemporain ont organisé entre 4 et 10 expositions au cours de
l’année 2011, et 62% ont accueilli la première exposition d’un artiste sur la même année . 67
Ces chiffres tendent à confirmer l’activité première de promotion des artistes de la
part des galeries d’art contemporain. La galerie de promotion sert donc d’intermédiaire sur
le marché de l’art, entre l’offre et la demande. Dans le cas du marché actuel, les galeries
d’art contemporain jouent le rôle tenu par les marchands d’art auparavant.
Elles assurent de plus un rôle de légitimation et de promotion d’artistes vivants. Elles
jouent le rôle d’expert qui certifie la qualité de l’oeuvre, ce sont de véritables
intermédiaires dans la compréhension des oeuvres, d’où l’importance de leurs discours de
promotion des artistes.
Dans le choix des galeristes, il y a aussi une part d’anticipation dans la valeur monétaire,
notamment lorsque la notoriété de l’artiste sera établie. C’est un pari sur le futur mais
qu’ils jugent nécessaire.
MOUREAU Nathalie & SAGOT-DUVAUROUX Dominique, Le marché de l’art contemporain, op. cit., p. 66
47.
ROUET François, Les galeries d’art contemporain en France en 2012, op. cit.67
�44
A l’inverse, pour une galerie d’art ancien, le temps qui passe tend généralement à accroître
la valeur des oeuvres. La rareté des oeuvres qui ont été retirées du marché et qui sont
présentes dans des collections privées ou des musées, pousse les valeurs à la hausse car
l’offre est réduite. De plus, l’acheteur acquiert en même temps que l’objet son histoire
propre.
En 2011, le chiffre d’affaire des galeries d’art contemporain française représentait
un montant de 1,4 milliards d’euros. Le rapport du Ministère de la Culture souligne
également qu’une galerie soutient en moyenne dix artistes français. Enfin, 70 % d’entre
elles déclarent contribuer directement au financement d’œuvres d’artistes qu’elles
exposent . Pour Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux, la reconnaissance de 68
la qualité d’une oeuvre artistique passe par la création de « petits événements
historiques » , qui vont modifier la carrière de l’artiste grâce aux instances de légitimation
comme, par exemple, les galeries . Ces dernières, à travers leurs expositions et les 69
catalogues qu’elles publient, participent à la création de la notoriété d’un artiste, et donc,
de fait, à la formation de la valeur artistique et monétaire des oeuvres de ce dernier. Par
conséquent, le couple artiste - galeriste classique semble fonctionner. Le marché de l’art
étant devenu un marché de la notoriété, la construction de la légitimité artistique apportée
par les galeries d’art permet aux deux parties un échange de bons procédés où les deux
peuvent en sortir gagnant. Cependant, il tend à être dépassé par les collectionneurs et
surtout les ventes aux enchères sur le second marché qui enregistrent des records
d’adjudications.
ROUET François, Les galeries d’art contemporain en France en 2012, Paris, Ministère de la Culture et de 68
la Communication, coll. Culture études, n° 2013-2, Juin 2013
MOUREAU Nathalie & SAGOT-DUVAUROUX Dominique, Le marché de l’art contemporain, op. cit., p. 69
69.
�45
2) Les ventes aux enchères : Place centrale de la médiatisation de l’oeuvre dans un marché duopolistique
A travers leurs prix publics et leur extrême médiatisation, les maisons de vente aux
enchères constituent la part visible du marché de l’art, mais elles n’ont pourtant qu'un
second rôle face aux galeries, qui correspond à la première vente de l'oeuvre. Les enchères
ne constituent qu'une faible proportion du nombre de transactions opérées sur le marché de
l'art contemporain, et concernent essentiellement les artistes de l’avant-garde médiatique,
ou les œuvres d'artistes consacrés.
A la différence de la vente gré à gré, c’est-à-dire directement entre le vendeur et l’acheteur,
la vente aux enchères fait intervenir trois acteurs : le vendeur, l’organisateur de la vente et
l’acheteur. Il existe une relation contractuelle de mandat donné par le vendeur à la maison
de ventes, qui oblige le second à organiser la vente et donc à la rendre publique.
Ainsi, le marché des enchères moderne repose d’abord sur un élément de marketing, car
les records de vente sont liés à une médiatisation maximale, ce qui assure de toucher un
nombre d’acquéreurs potentiels plus élevé. Roland Barthes émet ainsi l’idée que les voix
de la fiction et du récit sont des voix efficientes pour accéder au savoir. C’est le moment où
les logiques médiatiques alliées aux logiques de marketing vont mettre en exergue l’idée
selon laquelle les logiques du récit, de la narration et de la fiction constituent une catégorie
de la connaissance et du savoir, ainsi qu’un moyen de comprendre le monde . Ce 70
storytelling se retrouve ainsi lors de ventes aux enchères pour faire monter les prix.
La sur-médiatisation d’une vente comme celle du tableau de Pablo Picasso Les
Femmes d’Alger chez Christie’s, soulève des interrogations sur la pertinence du regard de
l’acheteur. Le vice-président de la maison de vente, Loïc Gouzer, avait affirmé avant la
vente concernant la toile : «C’est un chef d’oeuvre à la hauteur de Guernica ou des
Demoiselles d’Avignon.». Cependant, Judith Benhamou-Huet signale que de nombreux
historiens de l’art sont perplexes quant à l’explication d’un tel record de vente car le
tableau de l’artiste espagnol, peint en 1955, ne fait pas partie de sa meilleure période.
Pablo Picasso n’invente pas un nouveau vocabulaire ou un nouveau courant comme pour le
BARTHES Roland, « Introduction à l’analyse structurale du récit », Communications, 1966, vol. 8, p.1-27.70
�46
Cubisme né avec Les Demoiselles d’Avignon en 1907. Elle ajoute même que Loïc Gouzer
n’est pas un expert en art moderne mais plutôt en art contemporain. Ce dernier se justifie
cependant en expliquant : « Nous travaillons avec les forces du marché, ce qui marche et
qui est demandé. Ma manière d’envisager l’art moderne passe par le filtre de l’art
contemporain. Il s’avère que beaucoup de choses conçues au début du XXe siècle sont au
moins aussi radicales que l’art contemporain. ». 71
Cet exemple illustre donc parfaitement le recours au storytelling dans le marché de
l’art, et plus particulièrement lors des ventes aux enchères où le récit sur une oeuvre
permet d’attirer l’attention des acquéreurs potentiels ainsi que des médias. Quelques jours
avant la vente du tableau de Picasso, le directeur d’ArtPrice Thierry Ehrmann, affirme que
« Ce sera la vente du siècle » et ajoute « C'est un basculement dans l'histoire de l’Art ». 72
Par conséquent, le battage médiatique des ventes aux enchères n’a pas toujours de
fondement artistique.
L’obtention d’un prix record d’adjudication n’est pas nécessairement le fruit d’une
demande soutenue pour le travail d’un artiste, mais peut tout simplement résulter de
stratégies marketing. Traditionnellement, la société de ventes aux enchères opère sur le
second marché de l’art, une fois la reconnaissance de l’artiste acquise à travers les
instances de légitimation comme le musée ou la galerie.
Pour Nathalie Moureau, « Si, sur le marché les amateurs se fiaient à leur seule inclinaison
subjective et à ces signaux –i.e. une information artistique objectivée – alors la
concordance entre la valeur artistique et économique des oeuvres serait globalement
assurée. ». 73
BENHAMOU-HUET Judith, Explication sur le record du Picasso à 179,3 millions de dollars. In 71
blogs.lesechos.fr, 12 Mai 2015. [Consulté le 24 Novembre 2015]. Disponible sur : http://blogs.lesechos.fr/judith-benhamou-huet/explications-sur-le-record-du-picasso-a-179-3-millions-de-dollars-a15348.html
BERTRAND Philippe, Picasso porte le marché de l’art sur de nouveaux sommets. In LesEchos.fr, 13 Mai 72
2015. [Consulté le 24 Novembre 2015]. Disponible sur : http://www.lesechos.fr/13/05/2015/LesEchos/21937-077-ECH_picasso-porte-le-marche-de-l-art-sur-de-nouveaux-sommets.htm
MOUREAU Nathalie, Tout ce qui brille n’est point d’or, op. cit., p. 6.73
�47
L’institution qui légitime l’artiste lui permet de voir sa valeur marchande décoller à
la revente notamment lors des enchères, or la reconnaissance du marché tend parfois à être
plus rapide qu’une consécration institutionnelle. C’est le cas par exemple de l’artiste
conceptuel Damien Hirst, qui comme nous l’avons vu plus tôt, a court-circuité, en 2008, le
système du marché de l’art traditionnel pour vendre ses oeuvres directement aux enchères.
La vente génère 45 coups de marteau millionnaires pour un total de 147 millions de
dollars (frais inclus). Le britannique devient alors l’artiste le plus médiatique du moment 74
et surpasse aux enchères que des grands maîtres de l’art moderne comme Claude Monet et
Alberto Giacometti.
Ces derniers disposent d’une reconnaissance au sein de l’histoire de l’Art alors que la cote
de Damien Hirst repose sur sa notoriété à une période donnée. Cet exemple démontre
l’importance de l’information médiatique à laquelle les amateurs d’art attachent de
l’importance, notamment les nouveaux arrivants sur le marché de l’art, qui ne se fient plus
uniquement à la reconnaissance par les instances de légitimation. Cette mise en scène
médiatique des ventes aux enchères et le fait qu’elles évoluent sur le second marché de
l’art, fait la part belle aux artistes consacrés et explique le chiffre d’affaires mondial des
sociétés de ventes aux enchères de 15,2 milliards de dollars en 2014, selon Artprice . 75
Concernant les sociétés de ventes aux enchères, nous nous pencherons surtout sur
les plus grandes d’entre elles, celles qui font la majorité de la couverture médiatique,
notamment grâce aux records de vente lors des enchères qu’elles organisent. Au niveau
international, la structure du marché des enchères est en situation de duopole avec
Christie's et Sotheby's qui contrôlent plus de 90% du marché à eux deux, ne laissant que
peu de place aux autres concurrents. La société Phillips qui arrive en troisième position
représente ainsi moins de 2% de part de marché . Une telle structuration du marché des 76
enchères provient de la capacité d'attirer des collections prestigieuses, grâce à des services
présents partout dans le monde et des moyens de communication importants.
ARTPRICE, Le marché de l’art contemporain 2015, Rapport annuel Artprice.74
Ibid.75
MARCHAND Leila, Les chiffres vertigineux du marché mondial de l'art en 2014. In LeMonde.fr, 14 Mai 76
2015, [Consulté le 13 Octobre 2015]. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/05/14/les-chiffres-vertigineux-du-marche-mondial-de-l-art-en-2014_4632429_4355770.html
�48
La théorie des enchères démontre d'ailleurs que les gains potentiels pour l'artiste
sont proportionnels au nombre d'acheteurs présents. Cette suprématie tend donc à s’auto-
renforcer, avec des enchères montant toujours plus haut, l'image des deux sociétés se
renforcent, les vendeurs sont donc incités à revenir vers eux, avec des oeuvres meilleures
encore, pour espérer le prix de vente le plus élevé possible . 77
Néanmoins, comme tout effet négatif pouvant être entrainé par un duopole, celui-ci
peut verser dans le cartel, en adoptant des positions anticoncurrentielles. Dans les années
1990 à 2000, les deux maisons ont été accusées de s'entendre sur les tarifs proposés en
alignant leurs commissions et leurs garanties pour éviter la chute des profits dûe à la
concurrence. Les Etats-Unis ont ainsi condamné Christie's et Sotheby's à 512 millions de
dollars d'amende et le président de cette dernière, Alfred Taubman, à un an de prison
ferme . En 2002, la Commission Européenne a condamné Sotheby's à 20,4 millions 78
d'euros d’amende pour les mêmes raisons mais a épargné Christie's qui avait collaboré à
l'enquête . 79
Il est tout de même judicieux de noter que les prix record des enchères, relayés par
les médias, ne constituent qu’un nombre relativement réduit de transactions.
En ce qui concerne l’art contemporain par exemple, en juillet 2014 et juin 2015, 64% des
lots adjugés le sont pour une valeur inférieure à 5 000 dollars. En outre, sur la même
période il y a eu 205 adjudications millionnaires, soit seulement 0,37% des oeuvres
contemporaines vendues dans le monde . Par conséquent, les enchères ne constituent 80
qu’une part réduite de l’ensemble des transactions, le marché de l’art contemporain étant
avant tout un marché de galeries. Ce n’est qu’après l’atteinte d’un certain niveau de
légitimation que les oeuvres d’un artiste sont susceptibles d’apparaître aux enchères.
MOUREAU Nathalie & SAGOT-DUVAUROUX Dominique, Le marché de l’art contemporain, op. cit., p. 77
53.
ROBERT Martine, « Entente illicite : Christie's et Sotheby's paieront 512 millions de dollars d’amende », 78
in LesEchos.fr, 26 Septembre 2000, [Consulté le 17 Janvier 2016]. Disponible sur : http://www.lesechos.fr/26/09/2000/LesEchos/18244-081-ECH_entente-illicite---christie-s-et-sotheby-s-paieront-512-millions-de-dollars-d-amende.htm
Site de la Commission Européenne. Disponible sur : www.europa.eu/rapid/press-release79
ARTPRICE, Le marché de l’art contemporain 2015, Rapport annuel Artprice.80
�49
Malgré l'intérêt croissant des maisons de vente pour l'art contemporain, celui-ci reste le
privilège des galeries d'art qui effectuent une véritable prise de risque en soutenant des
artistes inconnus du grand public. Les sociétés de ventes aux enchères sont en majorité
tournées vers les oeuvres consacrées par l’histoire de l’art.
3) Le rôle majeur des foires d’art et des manifestations dans le marché de l'art
Il convient ici de s’attacher aux plus importantes manifestions d’art et biennales qui
dictent la tendance du marché de l’art.
Avec la globalisation du marché de l’art, il devient plus compliqué pour les galeries et les
acquéreurs de se rencontrer, et la notoriété de l’artiste promu est dès le départ restreinte à
une petite zone géographique qui correspond à la localisation de la galerie.
En 2014, 180 foires d’art internationales majeures étaient recensées et les ventes lors de
ces événements représentaient 40% du chiffre d’affaire des marchands d’art pour l’année,
ce qui démontre l’importance de ces manifestations dans le marché de l’art actuel . 81
La galeriste Chagall Bitboul corrobore cette vision en disant que : « La foire a un rôle
principal dans le marché, ainsi l’offre et la demande se rencontre. ». La promotion 82
publicitaire et le marketing qui entourent ces événements assurent une forte visibilité aux
galeristes et aux artistes représentés.
De plus, pour assurer un certain niveau qualitatif, les exposants et les œuvres sont triées sur
le volet par le directeur de l’exposition et un jury de professionnels. Cette sélectivité
permet de rassurer les collectionneurs et autres amateurs d’art quant à la qualité des
oeuvres de l’exposition. Ainsi, les foires apparaissent comme nécessaires à l’équilibre du
marché de l’art car elles permettent aux marchands de rencontrer des collectionneurs qui,
en temps normal, ne viendraient pas nécessairement dans leur galerie.
MCANDREW Claire, Art market report 2015, Rapport annuel 2015 de The European Fine Art Fair 81
(TEFAF)
BITBOUL Chagall, Directrice de la Kinor Gallery, entretien du 13 Mai 2016.82
�50
L’historienne Anne-Martin Fugier explique ainsi que la Foire Internationale d’Art
Contemporain (FIAC) à Paris a attiré en 2015 plus de 85 000 visiteurs sur cinq jours alors
qu’un vernissage d’une galerie attirerait au maximum 2 000 personnes . 83
Par conséquent, la foire d’art apparait comme un élément incontournable, à l’heure
actuelle, du marché de l’art et notamment pour l’art contemporain, basé sur l’originalité
des concepts et la notoriété des artistes, qui ont besoin de ces événements pour se faire
connaitre et reconnaitre des acteurs du marché de l’art.
Les galeries qui les exposent bénéficient, par la même occasion, de réseaux et de visibilité
au sein de ces manifestations.
Cependant, la participation a un coût économiquement élevé, comme le rappelle Chagall
Bitboul : « Je m’inscrirai à une foire mais une seule, un stand c’est au minimum 1 500
euros pour dix mètres carrés pendant deux jours. Donc ce n’est vraiment pas donné,
surtout lorsque l’on débute. ». Si un tel événement permet de canaliser la demande des 84
amateurs, musées et critiques d’art, c’est aussi à travers le travail des organisateurs, qui
suscitent le désir de participer à la manifestation par une communication laissant penser
que seuls les meilleures galeries et les meilleurs artistes seront présent. Si les foires ont
permis de mieux appréhender la création artistique, elles sont devenues un indispensable
outil de promotion.
La foire d’art apparait ainsi comme une véritable instance de légitimation, capable
de former la valeur monétaire des oeuvres, en concentrant l’offre et la demande du marché
de l’art sur une même période et un même lieu. Comme l’artiste Michel Campistron le
souligne : « Le meilleur critère selon moi c’est l'offre et la demande en gré à gré, mais cela
concerne plus les artistes du haut du panel qui sont dans le système institutionnalisé. ». 85
La réalisation d’une vente sans passer par les enchères est pour lui le meilleur moyen de
s’assurer de la cote de l’artiste et du bien fondé de la valeur monétaire des oeuvres, afin
d’éviter aussi la spéculation des ventes publiques lors des séances d’enchères.
TERRONI Cristelle, « L’art contemporain made in France. Entretien avec Anne Martin-Fugier », in La Vie 83
des idées , 17 avril 2015. [Consulté le 18 Mai 2016]. Disponible sur : http://www.laviedesidees.fr/L-art-contemporain-made-in-France.html
BITBOUL Chagall, Directrice de la Kinor Gallery, entretien du 13 Mai 2016.84
CAMPISTRON Michel, Artiste contemporain, entretien du 2 Avril 2016.85
�51
En 1996, l'ICAFA (International Contemporary Art Fair Association) constitué par les plus
grandes foires d'art du monde (Art Basel de Bâle Chicago, Cologne, la FIAC de Paris,
l’Arco à Madrid) a par exemple décidé d'interdire l'entrée aux sociétés de vente aux
enchères.
Certains marchands vont même jusqu'à signer des contrats de vente avec une clause leur
donnant droit à un rachat prioritaire en cas de cession de l'oeuvre sur le marché, afin
d’éviter certains phénomènes spéculatifs. Les galeries majeures introduisent donc leurs
artistes sur les foires internationales auprès des collectionneurs, des curateurs et publient
des catalogues pour l’occasion. Elles définissent ainsi l’offre artistique tout en construisant
les cotes.
En parallèle des foires d’art, les biennales d'art contemporain se sont elles aussi
multipliées depuis la fin des années 1960 et il en existe plus d’une cinquantainedepuis la
première créée à Venise en 1895. Pour la prochaine biennale de Venise en 2017, c'est le
Ministère de la Culture qui a choisi l'artiste qui représentera la France en la personne du
plasticien Xavier Veilhan, retenu parmi 24 candidatures, chacune défendue par des
commissaires d'exposition . 86
Cette nomination fait écho à une enquête conduite par Marilena Vecco en 2003 auprès des
commissaires de la biennale de Venise, concernant le mode de désignation de ces derniers
ainsi que sur celui des artistes . Elle démontre que les commissaires d'exposition des 87
pavillons sont, soit nommés par un organisme public, soit par le Premier ministre ou par le
Ministre des Affaires étrangères, ou enfin désignés par concours.
LEQUEUX Emmanuel, Xavier Veilhan représentera la France à la Biennale de Venise de 2017. In 86
LeMonde.fr, 1 Mai 2015. [Consulté le 13 Octobre 2015]. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/arts/article/2016/05/01/xavier-veilhan-representera-la-france-a-la-biennale-de-venise-de-2017_4911684_1655012.html
MOUREAU Nathalie & SAGOT-DUVAUROUX Dominique, Le marché de l’art contemporain, op. cit., p. 87
73.
�52
Les artistes choisis pour représenter les pays sont en majeure partie recommandés
par le ministre de la Culture ou par des institutions. Viennent ensuite le concours et les
recommandations individuelles. Toujours selon l'étude de Marilena Vecco, dans 51,2% des
cas, les œuvres présentées dans le pavillon ont été spécialement produites pour la biennale.
Dans deux tiers des cas, ces œuvres ont fini dans des collections privées, musées ou autres
expositions.
Le critique d’art et conservateur se transforment en commissaires d’exposition, et à
travers la lecture qu’ils proposent, ils participent activement au travail de légitimation
d’artistes ou de courants artistiques.
La biennale est un moment privilégié pour les commissaires afin d’affirmer leurs choix et
orientent ainsi la production artistique prévue à cette occasion. Les foires d’art mais aussi
les biennales permettent donc d’institutionnaliser les artistes, et de faire monter leur cote et
la valeur économique de leur production artistique. Ces manifestations sont de véritables
instances de légitimation qui assurent la reconnaissance des oeuvres dans le marché de l’art
ainsi que leur institutionnalisation. Par conséquent, cela contribue à la formation de la
valeur monétaire d’une oeuvre.
III – Musées et pouvoirs publics : Des acteurs extérieurs à la sphère marchande qui participent néanmoins à légitimer le prix de l’oeuvre d'art
A ce stade d’avancée de cette reflexion, il convient de nous intéresser à l’influence
du musée, en tant qu’institution, dans le marché de l’art, car il dispose d’un rôle
prescripteur dans la formation de la valeur monétaire d’une oeuvre d’art (1).
Cependant, le musée est lui-même en reconfiguration face aux logiques marchandes qui
opèrent dans les instances de légitimation, ce qui l’oblige parfois à adopter une démarche
économique pour exister (2). Face à cette immixtion de la sphère marchande dans les
institutions muséales, les pouvoirs publics prennent la décision d’intervenir dans le marché
de l’art et participent eux-mêmes à la détermination de la valeur monétaire de la
production artistique (3).
�53
1) Le rôle de légitimation esthétique et symbolique de la valeur économique de l'oeuvre par les musées
Au sein du marché de l’art, le musée dispose d’un rôle de légitimation et
d’expertise. Cette instance autorise ou non le passage à la postérité des artistes et de leurs
oeuvres, en choisissant de leur faire une place en son sein.
Par conséquent, le conservateur du musée joue un rôle prépondérant dans
l’institutionnalisation d’un artiste, car il dispose d'une autorité supérieure aux autres
acteurs. L'oeuvre exposée, une fois entrée dans le musée se voit conférer la qualité
d'oeuvre d'art en tant que telle. En effet, en France, un achat destiné à une exposition dans
un musée public est irréversible. L'oeuvre ne peut être remise sur le marché, et l'artiste fait
entrer son travail dans l'histoire de l'Art.
Les achats par les musées sont perçus par les acteurs du marché de l’art comme des
signaux de qualités. L’exposition d’une oeuvre dans un musée fait donc partie des petits
« événements historiques » qui participent à la légitimation de la valeur de l’oeuvre. Pour
Bernard Lahire, « Si le culte du musée remplit une telle fonction dans notre société pour
certaines classes sociales, c’est peut-être essentiellement parce qu’il a une fonction de
distinction. ». En ce sens qu’il sépare ceux qui sont capables d’y entrer, ceux pour qui 88
l’art est accessible, et ceux qui en demeurent exclus. En prenant place dans un musée,
l’oeuvre se sacralise et devient chef-d’oeuvre. Le lieu d’exposition est pour Bernard Lahire
arbitraire, de sorte que dans ce système de croyances, le musée est le seul lieu légitime de
désignation de ce qui fait une oeuvre, car ne peut entrer dans l’institution que ce qui est
légitimement accepté par les acteurs du monde de l’art.
La magie des tableaux repose également sur la séparation du sacré et du profane et
sur des rapports de domination entre différents groupes sociaux. Un tableau exercera
d’autant plus sa magie sur un public averti à qui il donne le sentiment de privilège par
l’exclusion de ceux qui n’y ont pas accès. La magie sociale permet de distinguer
symboliquement un portrait représentant « La Joconde » et le chef d’oeuvre de Léonard de
LAHIRE Bernard, Ceci n’est pas qu’un tableau. Essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré, op. 88
cit., p. 229.
�54
Vinci La Joconde exposée au Louvre. Le musée apparait comme le lieu de formation de la
qualité artistique reconnue. Il permet de dissocier l’objet en lui même, une simple peinture
sur une toile, et ce qu’il implique de symbolique, qui le fait passer du statut d’objet
ordinaire à celui d’extraordinaire. Ce phénomène est dû au musée qui va institutionnaliser
l’oeuvre et lui donner une dimension supérieure de part son rôle d’instance de légitimation.
A l’image du « plomb changé en or », ce qui ne semblait être qu’une banale production
artistique prend soudainement une valeur économique exponentielle.
Bernard Lahire se questionne dans son ouvrage sur la valeur monétaire du tableau,
La Fuite en Egypte, de Nicolas Poussin qui a d’abord été acheté en 1986 pour 12 000 euros
comme étant une copie, pour ensuite être cédée au Musée des Beaux-Arts de Lyon pour 17
millions d’euros en 2007 . En réalité, tout ceci est surtout une question d’autorité des 89
statuts qui jugent de cette oeuvre. Personne n’oserait remettre en cause les dires des
autorités légitimes qui garantissent l’authenticité de l’oeuvre. De la même manière, le
simple fait qu’une toile soit exposée dans la salle prestigieuse d’un grand musée, influe sur
les conditions de réception de cette toile. C’est le contexte, les acteurs et l’environnement
et non sa qualité ou même son auteur, qui mystifie l’oeuvre avant tout, qui la rendent
sacrée, légitime.
Le sociologue cite par ailleurs le philosophe et collectionneur d’art Nelson Goodman pour
qui « L’expérience visuelle du tableau dépend en grande partie de ce qu’on croit savoir
sur ce qu’est ce tableau. ». Le musée établit la valeur esthétique et symbolique d’une 90
oeuvre et par conséquent la valeur monétaire de cette dernière. De part le discours
performatif du musée, qui fait changer de statut l’oeuvre et son artiste, il y a un
renforcement de la valeur économique de la production artistique de ce dernier.
Dans le cas du tableau de Nicolas Poussin, l’oeuvre considérée comme une pâle copie
prend une dimension symbolique avec son accrochage dans le Musée des Beaux-Arts de
Lyon et la médiatisation de cet instant.
LAHIRE Bernard, Ceci n’est pas qu’un tableau. Essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré, op. 89
cit., p. 359 - 408.
Ibid., p. 268.90
�55
Cet événement démontre l’importance de l’instance de légitimation, dans la détermination
de la valeur monétaire d’une oeuvre artistique, de par la consécration de la qualité
esthétique et la dimension symbolique dans laquelle entre la production artistique.
Accrochage de La Fuite en Egypte de Nicolas Poussin à son arrivée au musée des Beaux-Arts de Lyon en 2008. (Photo Bruno Amsellem)
2) Les musées face aux mutations du marché de l’art : Quels impacts sur la valeur marchande des œuvres ?
Le musée prend place dans le marché de l’art en tant qu’institution permettant de
légitimer un artiste. L’art ancien et moderne ainsi exposé fait partie de l’histoire de l’art.
Pour Bernard Lahire, l’historicité tient une place majeure dans la valeur et l’estimation
d’une oeuvre, car l’objet en est sacralisé.
La trajectoire d’une oeuvre est relativement stabilisée à partir du moment où elle a été
acquise par un musée public, car dès lors, l’oeuvre est retirée des échanges commerciaux et
ne circule plus que par un réseau fermé, dans le cadre de prêts ou d’échanges inter-musées.
Le fait qu’une oeuvre soit retirée de la sphère marchande implique dans les pensées
commune une entrée dans le patrimoine. La valeur monétaire des oeuvres de l’artiste qui
sont encore disponibles sur le marché, augmente par simple jeu de l’offre et de la demande.
�56
Chagall Bitboul explique à ce sujet que : « L’art c’est le miroir de son époque et avoir une
oeuvre de son époque c’est détenir un morceau d’histoire. Aussi, on vend moins d’art
ancien car le stock est limité, toutes les belles pièces elles, sont dans des musées ou des
collections privées. ». Cette magie sociale ne fonctionne pas uniquement avec les oeuvres 91
et artistes historiques, mais se manifeste également avec l’art contemporain. Le plus
souvent une oeuvre importante représente un certain enjeu, au delà de l’art. En recherchant
et impliquant la réaction du public, l’artiste en augmente sa valeur, la recherche de
notoriété pour les artistes contemporains permet d’accroître leurs gains sur le marché de
l’art, et ce, de leur vivant.
Ainsi, il est possible de constater la multiplication des musées d'art contemporain,
notamment privés, qui n'ont pas vocation à acquérir des collections mais à organiser des
expositions. La concurrence institutionnelle pour la reconnaissance de nouveaux talents,
favorise une entrée de plus en plus précoce des œuvres d’artistes contemporain dans les
collections. La consécration est alors l'organisation par un musée d'une rétrospective d'un
artiste de son vivant. Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux citent dans leur
ouvrage le philosophe français Yves Michaud, qui souligne que les conservateurs font un
pari gagné d'avance car « ils sont surtout des acteurs, qui, à court terme, gagnent à tous les
coups en vertu du principe d’auto-réalisation des prophéties: ils achètent quelque chose
parce que c'est bon, mais si c'est bon, c'est évidemment parce qu'ils l’achètent. ». 92
L’exposition d’artistes vivant comme Gehrard Richter, Jeff Koons ou Damien Hirst
par exemple, participe à légitimer leur travail artistique et à assurer leur cote sur le marché
ainsi que la valeur économique de leurs oeuvres. Les acquéreurs potentiels sont ainsi
confortés dans leur choix d’investir dans des noms déjà institutionnalisés et les revendeurs
y voient une rentabilité certaine. Chagall Bitboul semble confirmer que le musée d’art
contemporain intègre de plus en plus le fonctionnement du marché de l’art : « Il y a
beaucoup de cote artificielle, beaucoup pensent que Jeff Koons a sa place dans l’histoire
BITBOUL Chagall, Directrice de la Kinor Gallery, entretien du 13 Mai 2016.91
MOUREAU Nathalie & SAGOT-DUVAUROUX Dominique, Le marché de l’art contemporain, op. cit., p. 92
72.
�57
par exemple, personnellement je pense qu’ils se trompent. Mais avec les rétrospectives
qu’il fait comme à Pompidou , cela me donne tort. ». 93 94
Un couple galeriste - conservateur voit aussi le jour dans ce système, le premier soutenant
les cotes de leur artistes, et le second, se positionnant comme précurseur dans la
reconnaissance de talents. La galeriste Chagall Bitboul explique qu’il y a une démarche
économique dans certaines expositions : « Il n’y a que le musée qui peut
t’institutionnaliser en tant qu’artiste. Certaines galeries n’ont pas pour but de vendre mais
de démarcher les musées, d’abord en province, pour faire prendre de la valeur à l’artiste,
pour faire augmenter sa cote, et donc les prix. ». 95
Le musée, notamment d’art contemporain, tend de plus en plus à jouer son rôle
institutionnel au sein de la sphère marchande. Pour Nathalie Moureau, la tentation est
grande pour une institution publique d’organiser une exposition autour d’un artiste
médiatique, en lequel le conservateur ne croit pas nécessairement, mais qui procurera un
nombre élevé d’entrées au musée, et pour laquelle le musée peut s'associer à une galerie et/
ou un mécène pour lui permettre de financer la réalisation d’oeuvres monumentales
produites pour l’exposition . 96
L’artiste Michel Campistron quant à lui, y voit autre chose : « Bien sûr le phénomène
spéculatif existe pour les quelques artistes vedette de l'art contemporain, tout cela organisé
par quelques galeristes bien connus autour de riches collectionneurs avec une main mise
sur les institutions comme les FRAC et certains musées. Cela fait polémique dans le 97
milieu. ». Le monde de l’art, en particulier celui de l'art contemporain, crée un 98
rapprochement entre l'instance de légitimation publique et la sphère marchande, qui influe
sur la valeur monétaire d’une oeuvre d’un artiste exposé en lui conférant la qualité
d’oeuvre d’art, et donc une valeur symbolique et esthétique supérieure aux autres
productions artistiques.
Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou, Paris93
BITBOUL Chagall, Directrice de la Kinor Gallery, entretien du 13 Mai 2016.94
BITBOUL Chagall, Directrice de la Kinor Gallery, entretien du 13 Mai 2016.95
MOUREAU Nathalie, Tout ce qui brille n’est point d’or, op. cit., p. 9.96
FRAC : Fonds Régionaux d’Art Contemporain 97
CAMPISTRON Michel, Artiste contemporain, entretien du 2 Avril 2016.98
�58
3) La nécessaire intervention des pouvoirs publics sur le marché de l'art pour assurer la pérennité de la production artistique
Comme nous venons de le voir, sphère marchande et sphère artistique sont
entremêlées. Les musées participent activement à la reconnaissance des artistes et
influencent donc la valeur monétaire de leurs oeuvres. Cependant, pour pouvoir être
exposé dans une institution, un artiste doit être en mesure de créer. Ainsi, les pouvoirs
publics interviennent à travers les centres d’art et les musées pour soutenir la production
artistique. Cet apport étatique développé ici par l’exemple français, permet de montrer que
l’offre est aussi supportée par les achats directs d’institutions, ce qui permet notamment de
pallier aux dérives du marché de l’art concentrés sur quelques grands noms.
En effet, une institution qui joue un rôle primordial sur les « mondes de l’art » est l’Etat
selon Howard Becker . Les commandes passées par les pouvoirs publics et les oeuvres 99
achetées contribuent à soutenir la demande et la cote des artistes qui peuvent continuer à
produire. L’Etat pallie aux dysfonctionnements du marché de l’art qui reste concentré sur
les noms les plus médiatisés. A ce sujet, l’exemple qui mérite d’être développé, est celui
d’une installation contemporaine, intitulée Les Deux Plateaux, érigée en 1985 dans la cour
du Palais Royal à Paris, sur une commande de l’État. Cette œuvre est aujourd’hui plus
connue sous le nom des « colonnes de Buren ».
Les externalité positives, c’est-à-dire l’interaction des agents du marché de l’art qui
produisent, en dehors de ce dernier, des effets économiques positifs par leurs actions, en
l'absence d'intervention publique, conduisent à une sous-production par rapport à ce qui
serait optimal pour la collectivité. Il n'y aurait donc pas d'incitation à produire et exposer
des œuvres pour le public.
Le ministère de la Culture de part sa commande publique à l’artiste français Daniel Buren,
participe à la création artistique. Le marché de l'art contemporain est dominé par
l'incertitude, les pouvoirs publics peuvent intervenir pour favoriser la prise de risque des
artistes ou galeristes.
BECKER Howard, Les mondes de l’art, op. cit.99
�59
Une œuvre à dimension patrimoniale, ne séduit pas forcément d'emblée le marché comme
ce fut le cas dans cette « affaires de colonnes » qui a suscité le rejet chez de nombreuses
personnes . Les pouvoirs publics subventionnent la création émergente le temps que 100
celle-ci se crée un marché. Daniel Buren remporte ainsi la même année le Lion d’or de la
biennale de Venise. La médiatisation d’oeuvres et d’artistes grâce à l’apport de l’Etat,
semble permettre de légitimer la valeur esthétique et symbolique des oeuvres, et entre donc
comme un des déterminants de la valeur monétaire des oeuvres dans le marché de l’art.
Concernant les aides publiques, il est possible de s’attarder ici sur les FRAC, créés
par Jack Lang en 1982 dans le cadre de la politique de décentralisation, et qui constituent
une aide véritable pour les artistes. Elles soutiennent la création par l’acquisition et la
commande d’oeuvres afin de constituer un patrimoine d’art contemporain en région. Le
plasticien Xavier Veilhan, qui représentera la France lors de la biennale de Venise en 2017,
le reconnaît : « Les FRAC m’ont été d’un grand secours. C’était le premier stade de la
reconnaissance. Ils m’achetaient des pièces à des prix qui paraîtraient ridicules
aujourd’hui, cela me permettait de vivre mais j’étais limité dans la production.».
Un achat par l’intermédiaire d’une institution publique représente aussi un acte
symbolique , ainsi, Xavier Veilhan poursuit : « La première fois que j’ai eu une pièce
achetée par un FRAC, j’étais tout à fait conscient qu’elle entrait dans les collections
publiques. Je tiens beaucoup à la dimension publique, l’inaliénabilité des œuvres qui
appartiennent aux collections publiques me semble fondamentale.». Les achats d’oeuvres
de Xavier Veilhan par les FRAC ont permis de faire grimper sa cote, car il a été
institutionnalisé de par ces achats. Cependant, selon Anne-Martin Fugier, être acheté par
une institution ne suffit pas, il faut pouvoir être exposé : « Ce qui compte, affirme Philippe
Cognée , c’est d’être acheté par la Tate Modern ou le Centre Pompidou et d’être montré, 101
de ne pas rester dans les réserves. ». 102
DROUELLE Fabrice, Les Deux Plateaux de Daniel Buren : 260 colonnes à la Une, France Inter, 13 Mai 100
2015. Disponible sur : https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-13-mai-2015 [Consulté le 13 Octobre 2015].
Peintre, graveur et dessinateur français101
TERRONI Cristelle, « L’art contemporain made in France. Entretien avec Anne Martin-Fugier », op. cit.102
�60
Car nous l’avons vu, le musée qui expose un artiste, l’institutionnalise par son
entrée et le fait que l’oeuvre soit retirée du marché de l’art. L’achat par une instance de
légitimation contribue à donner un signal de reconnaissance de cet artiste dans le monde de
l’art.
La réponse de Michel Campistron va dans la même direction : « Suite a mon
exposition à Flaran, le département du Gers m’a acheté deux tableaux par l’intermédiaire
du conservateur de l'abbaye de Flaran. Le fait d’être présent dans une collection publique
n'est pas a négliger ! C'est un gage de sérieux, l’idéal, bien sûr, c’est d 'être acheté par les
grands musées mais je n'ai pas cette chance ! Cependant cela participe à la renommée de
l’artiste et donc à sa cote. ». L’Etat et les pouvoirs publics, en palliant aux 103
dysfonctionnement du marché, parfois spéculatif, contribuent de la même manière à
influencer la cote d’un artiste et la valeur monétaire de sa production artistique. Ce dernier
acquiert une reconnaissance quant à la qualité de son travail, à travers sa présence dans une
institution, le rendant légitime au sein du marché de l’art.
CAMPISTRON Michel, Artiste contemporain, entretien du 2 Avril 2016.103
�61
Troisième partie - Entre légitimation et spéculation : La détermination du prix de
l'oeuvre artistique à l'épreuve des tendances récentes du marché de l'art
La formation de la valeur monétaire d’une oeuvre d’art nous apparait à travers cette
étude comme un processus complexe de relations et d’interactions entre marchands et
institutions, mêlant galerie, conservateur, collectionneur, critique d’art… (I). Ces réseaux
associant sphère marchande et instances de légitimation peuvent amener à des
comportement spéculatif dans le marché de l’art, auxquels nous tentons d’apporter des
éléments explicatifs, notamment en ce qui concerne la déconnexion entre la valeur
artistique et la valeur monétaire (II). Nous avons donc décidé de nous pencher plus en
détails sur le monde de l’art contemporain, qui est au centre de l’attention médiatique ces
dernières années (III).
I – La théorie des réseaux : Vers la formation d'une valeur économique de l'oeuvre d’art
La détermination de la valeur monétaire d’une oeuvre d’art passe en partie par le
mimétisme des acteurs du marché de l’art au sein des instances de légitimation (1). Ces
réseaux permettent à l’artiste d’acquérir une notoriété et une reconnaissance artistique dans
le marché de l’art (2). En effet, la consécration à travers les différentes instances de
légitimation fait état d’une corrélation positive sur la valeur monétaire de sa production
artistique (3).
1) Entre confiance et mimétisme, les interactions des acteurs sur le marché de l'art
Comme nous l’avons vu jusqu’à présent, les interactions sur le marché de l’art
participent à la fixation de la valeur monétaire de l’oeuvre. Il s’agit à présent d’aller plus
en avant pour comprendre comment ces relations et ces acteurs du marché de l’art
s’influencent et agissent sur la formation la valeur monétaire d’une oeuvre.
�62
La valeur d’une production artistique correspond à la confiance qu’ont les agents sur le
marché de l’art, dans l’information fournie par les instances de légitimation.
Cette confiance que les individus placent dans ces signaux entraîne par la même occasion
un phénomène de mimétisme. Le sociologue américain Robert Merton évoque un « Effet
Mathieu » lorsque, par exemple, la demande du marché ne se concentre que sur quelques
artistes par un effet d'entraînement et d’imitation . Cet effet d’entraînement reflète 104
l’appartenance à un groupe où les individus ont des modes de consommation similaires à
celles des autres.
Ce mimétisme est entrainé par un besoin normatif. Selon l’économiste américain
Gary Becker, la satisfaction retirée de la consommation d'un bien est supérieure lorsque
différents individus le consomment également, pour ne pas être en marge de la mode ou
parce que la confiance dans la qualité de l'oeuvre dépend de la popularité de l'artiste ou de
l’institution qui l’expose . Il y a donc un intérêt grandissant des nouvelles fortunes pour 105
l'art contemporain, cet attrait vers les mêmes œuvres et les mêmes artistes traduit un
phénomène mimétique.
Becker utilise le terme de « cascade informationnelle » car les comportements vont être
copiés. Ainsi en 2015, 68 % des recettes globales de l’art contemporain (soit 1,2 milliard
de dollars) concernent seulement 100 artistes et d’une manière encore plus marquante, 35
% de ces recettes sont uniquement imputables à 10 artistes . Ces chiffres nous donnent un 106
aperçu de la concentration du marché de l’art contemporain sur quelques noms très
médiatisés.
De la même manière, la revente du tableau Orange Sports Figure, de Jean-Michel
Basquiat, payée 66 000 dollars (frais inclus) en 1992 puis 8,8 millions de dollars en 2015
chez Sotheby’s , démontre de la confiance de l’acheteur dans la qualité de l’oeuvre et 107
dans la cote de l’artiste.
MERTON Robert, « The Matthew effect », Science, 1968, vol.159, n°3810, p. 56-63.104
BECKER Gary, « A note on restaurant pricing and other examples of social influences on prices », 105
Journal of Political Economy, 1991, vol. 99, n°5, p. 1109-1116.
ARTPRICE, Le marché de l’art contemporain 2015, Rapport annuel Artprice.106
Ibid.107
�63
Encore à ce jour, Jean-Michel Basquiat est l’artiste contemporain le plus performant aux
enchères, et se place depuis 2011 en tête du TOP 500 des artistes contemporains, selon
Artprice. Il totalise plus de 368 millions de dollars de ventes (frais inclus) en son nom entre
2011 et 2015 . Cette tendance nous confirme le mimétisme des acheteurs, convergeant 108
vers un même artiste, à travers un effet d’entraînement qui souligne la confiance des
acteurs du marché dans les enchères publiques.
Cette sensibilité à l’information médiatique dépend de la confiance des acteurs du
marché de l’art dans les jugements des instances de légitimations, ainsi que de leur
capacité à saisir ces signaux. Nathalie Moureau nous explique que : « Les nouveaux venus
sur le marché, peu aptes à repérer les signaux artistiques ont naturellement tendance à
suivre les jugements de masse et l’information médiatique ». Cet effet d’entraînement 109
amène les acquéreurs potentiels à suivre les jugements émis par le marché de l’art, et
peuvent délaisser l’information qui concerne la valeur artistique de l’oeuvre. Ces
phénomènes mimétiques ont donc une conséquence sur la formation des prix. Nous
pouvons prendre ici l’exemple d’Andy Warhol et ses oeuvres similaires de même
dimension, intitulées Dollar Sign, qui ont été mises aux enchères depuis 1988. Les
différents tableaux ont vu leur prix s’envoler depuis la première adjudication jusqu’à la
plus récente en 2013, pour un peu moins de 8 millions de dollars (frais inclus) . 110
Par conséquent, lorsqu’un nombre élevé d’acheteurs ne se concentre que sur
l’information médiatique, c’est-à-dire ici la valeur économique en enchère publique, et
délaisse l’information provenant des instances de légitimation, la valeur artistique et la
valeur monétaire divergent. Comme l’oeuvre est multiple, car il existe plusieurs tableaux,
les acteurs du marché de l’art vont se concentrer sur les oeuvres encore en circulation ce
qui fait monter les prix de part ce facteur de rareté.
La valeur artistique, elle, n’a pas bougé car l’oeuvre reste identique, les instances de
légitimation ayant reconnu la qualité artistique de l’oeuvre d’Andy Warhol.
Site internet ARTPRICE, www.artprice.com108
MOUREAU Nathalie, Tout ce qui brille n’est point d’or, op. cit., p. 6-7.109
Voir Annexe n°3110
�64
Dans le cas que nous soulignons ici, l’acquéreur, troublé par l’information médiatique
provenant du prix d’adjudication élevé précédemment dépensé pour une des oeuvres, est
prêt à débourser un montant supérieur pour se voir adjuger un tableau de la série.
Cependant, cette nouvelle acquisition vient elle-même alimenter la rumeur médiatique, et
troubler les signaux pour les tableaux de la série qui sont encore dans le marché ou y seront
remis, conduisant d’autres personnes à faire de même par confiance et mimétisme.
2) La transition de l'oeuvre par les réseaux de légitimation : L'accession à la reconnaissance artistique
La valeur monétaire de l’oeuvre, afin d’être fixée, transite par un réseau de
légitimation (musées, galeries, collectionneurs, experts…) qui apprécient la qualité de
l’oeuvre. Selon Howard Becker, cela signifie que les acteurs du marché de l’art, pour juger
la production artistique en question, doivent maîtriser des connaissances particulières. En
effet, un ensemble de conventions permet d’accéder aux différentes formes d’art.
Néanmoins, certaines conventions ne sont connues que par ceux qui appartiennent aux «
mondes de l’art ». Le galeriste Ambroise Duchemin nous explique notamment que : «
Dans l’art ancien, c’est la qualité technique de l’artiste qui définit aussi sa valeur, c’est
beaucoup plus tangible que des monochromes dans l’art contemporain.[…] Le prix est
censé refléter le niveau d’un peintre. ». Certaines conventions artistique reposent surtout 111
sur des considérations techniques, et la possession d’une légitimité artistique pour juger
d’une oeuvre d’art va être défini par la connaissance de ces conventions . Ambroise 112
Duchemin énonce également : « C’est un marché de niche, il faut avoir les codes du
milieu. ».
DUCHEMIN Ambroise, Galeriste d’art ancien, entretien du 10 Aout 2016.111
BECKER Howard, Les mondes de l’art, op. cit.112
�65
Il nous est possible de reprendre les travaux de l’économiste américain Thomas
Schelling, à l’origine de la notion de « point focal », pour expliquer ce phénomène de
reconnaissance artistique, à travers le comportement de certains acheteurs dans le marché
de l’art.
Il s’appuie sur la théorie des jeux en économie, et atteste que les participants à un jeu
coopératif, qui ne peuvent pas communiquer entre eux, auront tendance à se rallier et à se
coordonner, parce que cette solution leur semble présenter une caractéristique qui la fera
choisir aussi par l’autre.
En ce sens, Thomas Schelling va plus loin que John Nash et son dilemme du prisonnier,
car il démontre que, lorsqu'il y a des problèmes de coordination entre plusieurs individus,
pour faire le bon choix, les individus vont adopter un choix conventionnel qui a déjà été
adopté par d'autres . 113
Dans le marché de l’art, les acquéreurs potentiels vont donc s’en remettre à des signaux
conventionnels, et considérer certaines oeuvres d’art comme de qualité, en s’appuyant sur
les autres jugements des instances de légitimations. Ces régularités de comportements
individuels stables dans le temps, vont ainsi réguler les comportements collectifs et
permettre une meilleure coordination.
Pour que ces comportements collectifs deviennent des normes et des conventions, il faut
qu’elles soient institutionnalisées par les musées, foires d’art et autres biennales;
permettant ainsi aux acteurs du marché de l’art de mieux se repérer. Ainsi, l'apparition
d'une nouvelle norme ou d’une convention, apporte une réponse à l’incertitude sur la
qualité d’une oeuvre d’art que connaissait le marché de l'art à un moment donné.
Le passage d’une oeuvre d’art au sein des instances de légitimations, dénote de
rendements croissants d’adoption. Les préférences pour une production artistique ne
dépendent pas que de ses qualités intrinsèques, mais également d'éléments externes.
L'appréciation de l’art requiert une bonne connaissance des courants artistiques et de la
démarche du créateur.
SCHELLING Thomas, La strétégie du conflit, Paris, PUF, 1986.113
�66
Dès lors, plus le travail d'un artiste est diffusé au sein des instances de légitimation, moins
les coûts d'apprentissage nécessaires à la compréhension et à l'appréciation de l’oeuvre
sont élevés.
En conséquence, l’artiste a de plus grande chances de convaincre de nouveaux
collectionneurs selon Moshe Adler . C’est ce que nous expose Ambroise Duchemin lors 114
de notre entretien : « Lorsque c’est très facilement identifiable c’est plus simple à vendre.
Un impressionniste n’est pas difficile à identifier donc la revente se fait plus aisément. ». 115
Pour Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux, les collectionneurs ont
également un rôle actif dans la création de ces petits « évènements historiques », pas
seulement à travers leurs fondations, mais aussi à travers les prêts d’oeuvres en vue
d’expositions dans des lieux de légitimation. Les dépôts, ou dons d’oeuvres, que certains
font auprès d’institutions, sont d’autres exemples de leur capacité à contribuer à la
légitimation artistique du travail d’un artiste. Chacun des « petits évènements » ainsi
produits offre un certificat tangible accréditant la qualité d’un travail artistique . La 116
rétrospective d’un artiste dans un musée est en partie possible grâce aux prêts des
collectionneurs pour l’occasion.
En outre, le « label de collection » fourni par le collectionneur permet de sécuriser
l'acheteur face à la pertinence de son acquisition. En effet, acheter une oeuvre d’art
précédemment passée par les mains d’un célèbre collectionneur ajoute à l'histoire du
tableau et donc à son prix. Il en est de même pour certains marchands d’art de renoms. Jeff
Koons, Christopher Wool et Jean-Michel Basquiat sont les trois artistes contemporains les
plus performants aux enchères en 2014 et 2015. Ils sont tous - ou ont été en ce qui
concerne Basquiat - soutenus par le marchand Larry Gagosian, qui dirige 15 galeries à
travers le monde. Selon Artprice, ce dernier fait parti des acteurs les plus puissants et
influents à ce jour pour fabriquer l’élite du marché . 117
ADLER Moshe, « Stardom and talent », American Economic Review, 1985, vol.75, p. 208-212.114
DUCHEMIN Ambroise, Galeriste d’art ancien, entretien du 10 Aout 2016.115
MOUREAU Nathalie & SAGOT-DUVAUROUX Dominique, Le marché de l’art contemporain, op. cit., 116
p. 71.
ARTPRICE, Le marché de l’art contemporain 2014, Rapport annuel Artprice.117
�67
Les instances de légitimation « labelisent » d'une certaine manière le travail de
l’artiste, mais n'ont pas la maitrise de la fixation des prix. La médiatisation d'enchères
record amplifie la valeur de l'artiste et donne parfois une image déformé. L'oeuvre d'art est
en position de monopole et son prix est ainsi fonction des capacités à payer et des humeurs
des collectionneurs les plus fortunés. Chagall Bitboul nous dit: « L’oeuvre d’art est très
difficile à définir, ce sont les critiques qui ont un grand rôle, les marchands et les galeries
de même. Ce sont eux qui repèrent les artistes à la base. ». 118
Par conséquent, plus le travail d'un artiste est reconnu, donc acheté et exposé, moins
l'incertitude sur l’artiste est élevée. D'autant plus si les agents et/ou les instances qui ont
acheté ses œuvres ont une position reconnue au sein du monde de l’art. La réduction de
cette incertitude, par ce cheminement au sein des instances de légitimation, augmente la
valeur des oeuvres encore en circulation de l’artiste.
3) L’importance du réseau : Fondateur du prix de l'oeuvre sur le marché
La transition des oeuvres, par les instances de légitimation, constitue un échange
entre les agents sur la qualité du travail d’un artiste. Ce réseau par lequel l’oeuvre voyage
est un phénomène constitutif de sa valeur monétaire.
Les acteurs de l’échange dans le marché de l’art participent en effet à la création de la
valeur économique, car ils finissent par s’accorder ou non sur le prix d’une oeuvre, quelle
soit achetée par un collectionneur, un marchand d’art, ou un musée.
Howard Becker dans son ouvrage nous explique que ces échanges entre instances de
légitimation correspondent au « réseau de tous ceux dont les activités, coordonnées grâce
à une connaissance commune des moyens conventionnels de travail, concourent à la
production des œuvres qui font précisément la notoriété des mondes de l’art. ». 119
BITBOUL Chagall, Directrice de la Kinor Gallery, entretien du 13 Mai 2016.118
BECKER Howard, Les mondes de l’art, op. cit.119
�68
Pour le sociologue Mark Granovetter, reconnu pour sa théorie des réseaux,
l'utilisation de réseaux plutôt que d'un marché centralisé favorise l'instauration d'un climat
de confiance entre acteurs, tout en permettant une délégation de l'autorité et un partage de
l'information.
Dans un marché où les clients ne peuvent eux mêmes séparer la bonne qualité de la
mauvaise, l’échange relève davantage du jugement sur les prix en s'appuyant sur une
organisation sociale fondée sur le réseau de confiance . 120
Les acheteurs évaluent eux mêmes la qualité au travers de leur propre capital culturel par
exemple. La valeur monétaire d’une oeuvre est donc aussi déterminée par les acteurs
présents dans ce réseau d’échange.
Au vu des entretiens réalisés, nous pouvons donc souligner l’importance du capital social
au sein de ces réseaux de légitimation.
Pierre Bourdieu définit le capital social comme « l'ensemble des ressources actuelles ou
potentielles qui sont liées à la possession d'un réseau durable de relations plus ou moins
institutionnalisées d'interconnaissance et d’interreconnaissance. ». Cela concerne donc 121
la taille du réseau personnel, les ressources contenues dans celui-ci et les chances d'accès à
ces ressources. L'acquisition d'un pouvoir de légitimation s'acquiert donc progressivement
par une insertion dans un réseau d'initiés.
Lorsque nous interrogeons le galeriste Ambroise Duchemin sur l’« acheteur type » qui
entre dans sa galerie d’art ancien, il nous répond : « C’est un blanc cinquantenaire,
bourgeois, milieu social élevé et avec un capital social et culturel élevé. ». La demande 122
d'art contemporain est aussi une demande de reconnaissance sociale. Le fait de posséder
une œuvre d'un artiste connu ou exposé est un signe de distinction important. Ainsi, plus la
diffusion de l'oeuvre est importante au sein d'un groupe social plus la demande tend à se
renforcer.
GRANOVETTER Mark, « The Strength of Weak Ties: A Network Theory Revisited », Sociological 120
Theory, 1983, vol. 1, p. 201-233.
BOURDIEU Pierre, « Le capital social, notes provisoires », Actes de la recherche en sciences sociales, 121
1980, vol. 31, p. 2-3.
DUCHEMIN Ambroise, Galeriste d’art ancien, entretien du 10 Aout 2016.122
�69
Chagall Bitboul nous explique que « faire l’acquisition d’un tableau cher et à la mode a
pour but de le montrer, de l’exposer à son entourage ou plus, de type ‘’Regarde mon
Soulage’’. Beaucoup de gens achètent pour cela, avec le complexe nouveau riche, cela
fonctionne beaucoup dans l’art, pour le montrer à son voisin. ».
Ces échanges et ces rencontres entre les membres des instances de légitimation,
constituent autant d’interactions au cours desquelles les agents s'informent, échangent leurs
avis et s'influencent. Les foires d’art, expositions ou rétrospectives sont des occasions
privilégiées où s'échangent de manière informelle les dernières nouvelles du monde de
l’art.
Si tous les individus sont en contact les uns avec les autres, tous ne s'influencent pas
nécessairement et ne s'imitent pas de la même manière.
Pour Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux, chacun des membres de ces
instances de légitimation est doté d'un fort capital culturel dans ce réseau d'influence, il est
donc possible de voir apparaître des convergences vers quelques artistes malgré des choix
divergents au départ . 123
Ainsi, si les liens entre les personnes sont importants, n'importe quel artiste, choisi
par un membre d'une instance de légitimation, peut émerger. Cela crée un réseau connexe
vers le travail d'un artiste. L'information pour le reste du marché est alors claire, ce qui
réduit l'incertitude sur la qualité de l’oeuvre. Il nous est possible de considérer que l'action
conjuguée de ce réseau d'agent est à la base de la « valeur fondamentale » de l'oeuvre sur le
marché de l’art.
MOUREAU Nathalie & SAGOT-DUVAUROUX Dominique, Le marché de l’art contemporain, op. cit., 123
p. 74-77.
�70
Nathalie Moreau et Dominique Sagot-Duvauroux ont reproduit un exemple d'un réseau de
relations connexes entre les membres des instances de légitimation : 124
Artistes Grands collectionneurs
Conservateurs
Marchands
Critiques et commissaires d’expositions
Cependant, il est possible que ce réseau soit non connexe, ce qui signifie que des
noyaux individus qui ne sont pas en relation auront des opinion distinctes. Les signaux sont
donc moins nets et l'incertitude plus grande. Le travail de l'artiste fait moins l'unanimité sur
le marché car le processus d’influence a peu joué.
Comme nous le révèle Chagall Bitboul, la question du capital social apparait
importante aux yeux de certains acheteurs : « Pourquoi les Qatari achètent de l’art ? Ils
savent que le pétrole aura une durée éphémère.[…] Mais ils viennent d’arriver sur la
scène internationale, les gens pensent qu’ils n’ont aucun patrimoine, aucune histoire mais
avoir un patrimoine artistique et culturel fait de toi quelqu’un de distingué, d’intellectuel
et pas un riche de seconde zone. La question d’ego et de patrimoine c’est très important. ».
Ils entrent donc dans le marché de l’art, en se fiant aux signaux émis sur les artistes et les
oeuvres, déjà consacrées par les instances de légitimation à travers l’échange d’information
au sein des réseaux du monde de l’art.
MOUREAU Nathalie & SAGOT-DUVAUROUX Dominique, Le marché de l’art contemporain, op. cit., 124
p. 77.
�71
Leur moyen financier leur permet, comme nous l’avons vu, de pouvoir débourser 250
millions de dollars (frais inclus) pour le tableau Les Joueurs de cartes de Paul Cézanne.
Il nous est aussi possible de nous appuyer sur les travaux de Nathalie Heinich , qui, en 125
reprenant ceux d’Howard Becker a réalisé une cartographie des mondes de l’art actuel en
région, afin de représenter ces réseaux qui imbriquent sphère institutionnelle et sphère
marchande . 126
II – L'approche économique des acteurs sur le marché de l'art
Au vue de notre étude, certains acteurs du marché de l’art adoptent des
comportement purement économique, sans liens fondés sur la qualité artistique de l’oeuvre
d’art, afin d’assouvir une logique de rentabilité financière (1). Notre analyse des montants
records lors des ventes aux enchères souligne ainsi l’existence d’une déconnexion entre
valeur économique et valeur artistique, du fait de la surmédiatisation de ces événements et
des signaux envoyés aux acquéreurs potentiels (2). Ces phénomènes tendent à confirmer
l’hypothèse que nous avions avancée concernant l’existence d’une bulle spéculative
concentrée sur le monde de l’art contemporain (3).
1) L'art comme placement financier : Une rentabilité certaine ?
Au vu des records lors des ventes aux enchères, il apparait judicieux de nous
questionner sur les choix et les motivations des acquéreurs. Le nombre d’acteurs présent
sur le marché de l’art augmente et ces derniers investissent notamment la scène de l'art
contemporain. De nouveaux millionnaires collectionneurs, d’influents marchands d’art
conduisent à de nouveaux modèles économiques de valorisation des œuvres.
HEINICH Nathalie, Le Triple jeu de l'art contemporain. Sociologie des arts plastiques, op. cit.125
Voir Annexe n°4126
�72
L’oeuvre d’art n’apparait donc plus seulement comme un objet décoratif mais aussi comme
un actif financier. La notion d’investissement semble donc fortement présente chez les
acteurs du marché de l’art, qui prennent des risques lors de leurs achats, en anticipant une
rentabilité élevée lors de la revente.
Le galeriste Ambroise Duchemin nous explique ainsi sa démarche : « Quand tu cherches à
découvrir des tableaux, tu peux multiplier ton investissement mais aussi tout perdre. Un
tableau non attribué, comporte un fort risque d’erreur de jugement, et qu’il se vende pas.
Tant que tu ne revends pas ton tableau cela constitue une perte. ». Nous constatons donc
qu’ici la démarche est plutôt constructive à l’opposé de celle du spéculateur, car c’est un
pari, une prise de risque d’un agent économique basé avant tout sur la valeur artistique
fixée par les instances de légitimation.
L’oeuvre d’art affiche un taux de rentabilité attractif pour les investisseurs,
notamment à travers le développement de l’industrie muséale. Il s’est en effet construit
plus de musées entre 2000 et 2014 que tout au long des XIXe et XXe siècles, au rythme de
700 nouveaux musées créés par an.
L’industrie muséale est devenue une réalité économique mondiale expliquant la croissance
spectaculaire du marché de l’art . Lorsque nous avons posé la question à Ambroise 127
Duchemin sur les critères qui comptent pour exposer un artiste à sa galerie, il nous à
répondu : « Dans une galerie comme la notre, il y a le tableau de grand maitre qu’on
cherche et qu’on va acheter de toute façon. Que l’on vend à un musée, à un collectionneur
étranger, ceux qui font l’histoire de l’art. Un artiste que tu achètes directement et que tu
n’aura aucun mal à vendre. ». Ainsi, il réalise un retour sur investissement certain, 128
lorsqu’il vend à des instances légitimes sur le marché de l’art.
Il ajoute un peu plus loin dans la conversation : « Tu achètes un Poussin 5 millions
aujourd’hui, avec l’inflation tu es sûr de le revendre au moins 6 millions. Pour les plus
petite valeurs, c’est plus difficile, ça bouge plus sur les marchés inférieurs. Mais si tu veux
investir c’est plutôt sur les tableaux du haut de la pyramide. ». Par conséquent, cette 129
ARTPRICE, Le marché de l’art contemporain 2014, Rapport annuel Artprice.127
DUCHEMIN Ambroise, Galeriste d’art ancien, entretien du 10 Aout 2016.128
DUCHEMIN Ambroise, Galeriste d’art ancien, entretien du 10 Aout 2016.129
�73
recherche de rentabilité permanente conduit à une inflation des prix lors de la revente, car
les vendeurs cherchent à faire un profit minimal. La valeur monétaire de l’oeuvre
augmente en conséquence après chaque vente, d’autant plus que les oeuvres présentes sur
le marché tendent à se raréfier.
Cependant, selon l’analyse des économistes Andrew Worthington et Helen Higgs,
qui utilisent la méthode de l’index composite , sur la période allant de 1976 à 2001, les 130
placements dans les œuvres d'arts sont à la fois plus risqués et moins rentables que les
placements financiers classiques, et ce quelque soit la période artistique choisie.
Des différences sensibles apparaissent selon les courants artistiques mais les différents
marchés semblent fortement corrélés. Bien qu'il existe des corrélations entre ces marchés,
la variation des prix du marché de l'art expliqués par les seules variations des marchés
financiers est très faible . 131
Un investisseur initié aura les moyens de cibler ses achats de façon à améliorer la
performance de ses placements. Cependant, la vision globale est que les placements en
œuvres d'art ont un taux de rendement plus faible et un risque plus élevé.
Nous pouvons par exemple illustrer cette analyse, en prenant l’histoire d’un tableau de
Vincent Van Gogh, La moisson en Provence, vendue aux enchères chez Sotheby’s en 2003
pour 10,3 millions de dollars (frais inclus). Cette aquarelle avait été acquise aux enchères
publiques chez Sotheby’s en 1997, pour la somme de 13 millions de dollars (frais inclus).
Nous constatons que le prix de vente à diminuer entre les deux transactions à six ans
d’intervalle. Le rendement croissant de la valeur monétaire d’une oeuvre n’est donc pas
vérifiable dans le cas exposé . Une oeuvre d’art semble être un bon investissement mais 132
au regard des chiffres, elle reste plus risquée et moins rentable qu'un actif financier . 133
L’index composite permet sélectionner un groupe d'artistes dont on suit la valeur moyenne dans le temps.130
WORTHINGTON Andrew & HIGGS Helen, « Arts as an investment: risk, return and portfolio 131
diversification in major painting markets », Accounting and Finance, 2004, vol. 44, n°2, p. 257-271.
ARTMARKET, « Pourquoi le moulin d’Alphonse, par Vincent Van Gogh a-t-il été estimé 10 millions 132
$ ? ». Disponible sur : https://artmarketinsight.wordpress.com/2015/03/13/marche-de-lart-artprice-pourquoi-le-moulin-dalphonse-par-vincent-van-gogh-a-t-il-ete-estime-10-millions/. [Consulté le 23 Juillet 2016].
Voir Annexe n°5133
�74
Néanmoins, le marché de l’art n’échappe pas à l’exubérance et à la médiatisation,
qui entoure notamment l’art contemporain et ses artistes. Cet attrait des acteurs du marché
de l’art, pour toujours plus de rentabilité, entraine des phénomènes spéculatifs,
principalement lors des ventes aux enchères qui atteignent plusieurs millions de dollars
pour les oeuvres d’art les plus en vue.
2) Les ventes aux enchères, vers toujours plus de records
Les oeuvres d’art, et pas seulement si elles sont anciennes, apparaissent comme un
placement. La variation de la cote d’un artiste devient un élément déterminant de la valeur
monétaire de sa production, et elle se mesure notamment à l’occasion de ventes aux
enchères. En cela, le public attise le feu des enchères lors des ventes publiques avec une
mise en scène digne du défilé de Cannes. La médiatisation permet de crédibiliser le
processus de vente, tout en racontant peu sur l'oeuvre en elle même, c’est surtout le prix
d'achat et l'acquéreur qui sont mis en avant et relayé par les médias.
Lors de la vente aux enchères du tableau Les Femmes d’Alger de Pablo Picasso, la plus
grande partie de la presse écrite parlait de « record » dans le titre de leurs articles suivi de
la valeur d’adjudication. Mais très peu se questionnaient sur l’oeuvre en elle même.
Pourtant, bon nombre d’experts et d’historiens de l’art considèrent que ce n’est ni son
meilleur tableau, ni sa meilleure période.
Lors de notre entretien, Ambroise Duchemin nous parle par exemple de ce tableau :
« Picasso c’est normal, c’est un génie, dans sa meilleure période je comprends que les prix
puissent aller aussi loin. Après c’est la loi des enchères, quatre mecs très riches voulaient
un Picasso, c’était pas le meilleur Picasso, mais ça a flambé à ce moment là. Les enchères
donnent un bon étalon pour fixer la valeur mais parfois un tableau ne va pas se vendre
alors qu’il est unique. Si tu fais la somme de toutes les ventes aux enchères cela donne une
valeur assez proche de la réalité. »
�75
Nous pouvons reprendre ici aussi l’histoire du tableau du peintre Vincent Van Gogh, Les
Alyscamps, adjugé pour 66 millions de dollars (frais inclus), lors d’une vente aux enchères
chez Sotheby’s en 2015. Ce qui est le dernier record en date pour une de ses oeuvres . 134
Pourtant, l’oeuvre avait atteint avec difficulté les 12 millions de dollars (frais inclus) en
2003 lors d’une vente dans la même maison. Cet exemple nous apparait comme un signe
évident du pouvoir des ventes aux enchères sur la valeur monétaire de l’oeuvre.
Lorsque nous interrogeons Chagall Bitboul à propos du bien fondé de ces prix
records, elle nous répond : « Si il s’agit d’oeuvres emblématique comme le Nu couché de
Modigliani, oui, car c’est avoir une pièce d’histoire chez soi, même si tu te dis que c’est
énorme et j’entend l’argument, si tu es un passionné, je le comprends. ». Le galeriste 135
d’art ancien Ambroise Duchemin corrobore lui aussi la vision de cette dernière en
affirmant que : « les records sont justifiés par rapport à ce qui s’est passé avant. La rareté
est très importante. Lorsqu’il y a un Poussin dans le marché c’est normal que les prix
s’envolent car c’est beau et très rare. ». 136
La valeur monétaire de certaines oeuvres semble donc justifiée et justifiable pour
peu que les instances de légitimations s’accordent sur la qualité artistique du travail en
question. La cote d’un artiste passe désormais de plus en plus par les ventes aux enchères
comme nous l’explique Ambroise Duchemin : « On définit le prix en se référant aux ventes
aux enchères. Si cinq Delacroix similaires sont vendus entre 60 et 100 000 euros, nous
allons nous baser sur la fourchette haute. ». La notoriété de l’artiste, comme nous 137
l’avons vu, de par son insertion dans les instances de légitimation, voit la valeur de ses
oeuvres grimper par un simple jeu d’offre et de demande lors des enchères.
La rareté des oeuvres fait baisser l’offre disponible, ce qui explique les records lors de
ventes aux enchères lorsqu'un acquéreur cherche à s’adjuger l’oeuvre d’art convoitée.
Cependant, le gonflement de la valeur monétaire semble nous démontrer qu’il existe des
comportements spéculatifs au sein du marché de l’art.
Van Gogh painting L'Allee des Alyscamps sells for $66m. In bbc.com, 6 Mai 2015. [Consulté le 18 134
Octobre 2015]. Disponible sur : http://www.bbc.com/news/entertainment-arts-32607082
BITBOUL Chagall, Directrice de la Kinor Gallery, entretien du 13 Mai 2016.135
DUCHEMIN Ambroise, Galeriste d’art ancien, entretien du 10 Aout 2016.136
Ibid.137
�76
3) L'existence d'une bulle spéculative au sein du marché de l'art ?
Dans les années 1980, de nombreux agents sont arrivés sur le marché de l'art en
même temps que la financiarisation de l'économie. Eux mêmes issus de la finance, ces
agents ne connaissaient que peu le marché et se sont fiés à l'opinion moyenne pour réaliser
leurs achats. La demande croissante a entrainé une augmentation de la circulation des
œuvres plus rapidement, permettant à ces agents de réaliser leurs plus values et d'alimenter
un processus spéculatif naissant, selon Nathalie Moureau et Dominique Sagot-
Duvauroux . Le prix de l'oeuvre étant alors déterminé par les anticipations croisées des 138
agents, entre plus value à la revente et achat d'une œuvre bien cotée, il n'a donc plus aucun
rapport avec une quelconque valeur fondamentale, c’est-à-dire la valeur attribuée par les
instances de légitimation sur la qualité de l'oeuvre. Ainsi, plus la valeur fondamentale est
difficile à attribuer, plus les agents vont émettre des opinions subjectives qui s'écartent de
la valeur artistique.
La galeriste Chagall Bitboul nous décrit elle aussi ce phénomène spéculatif : « Pour la
spéculation ce sont des financiers, des mecs en costard, qui réussissent leur vie, ils voient
le coté monétaire. Ils vont en galerie, ils vont partout mais leur but c’est d’entreposer
l’objet, c’est détaxé et ça perd rarement de la valeur, c’est de l’investissement. Il y en a qui
achètent des maisons, il y en a qui achètent de l’art. ». 139
Il devient difficile de distinguer l'information artistique de l'information médiatique
des ventes aux enchères. Tout marchand d’art, bien qu’il soit une instance de légitimation
par son travail de reconnaissance de la valeur artistique, est en effet aussi un vendeur.
En mettant en avant un artiste dans une instance de légitimation, il essaie stratégiquement
de faire monter sa cote pour tirer le meilleur profit du travail de ce dernier. Les signaux
émis sont moins clairs et risquent donc de provoquer une baisse de la confiance des agents
au profit d'information plus médiatique.
MOUREAU Nathalie & SAGOT-DUVAUROUX Dominique, Le marché de l’art contemporain, op. cit., 138
p. 81-85.
BITBOUL Chagall, Directrice de la Kinor Gallery, entretien du 13 Mai 2016.139
�77
Chagall Bitboul nous explique comment fonctionne parfois ce jeu des enchères : « Pinault
et Arnault vont faire monter la cote de l’artiste artificiellement. Ils choisissent des artistes
pour telle ou telle raison, mais en vrai on n’a pas assez de recul pour savoir. Mais comme
ce sont les plus grands collectionneurs français ils vont être suivis.[…] Tu es
collectionneur, Pinault te dit qu’il a acquis tel artiste, et vous allez faire semblant
d’enchérir, vous allez faire monter la cote artificiellement. ». 140
Quand la confiance qu'ont les personnes dans l'information artistique est élevée
relativement à celle qu'ils ont pour l'information médiatique, alors, l'imitation reste
localisée. Le mimétisme améliore ainsi l'efficience du marché car les personnes non
informées bénéficient des signaux des autres agents en les imitant, légitimant d’autant plus
la qualité artistique de l’oeuvre. Mais dans le cas où l'information médiatique prend le
dessus, l'imitation se généralise et une bulle spéculative se crée donnant des prix
déconnectés de la valeur fondamentale. Lorsque la notoriété artistique et médiatique sont
équivalentes, le prix dépend des attentes, notamment décoratives, des collectionneurs.
Le marché de l’art voit pour l’instant les records d’adjudications se cumuler. Les
signatures les plus spéculatives de l’art, restent considérées par certains comme des valeurs
certaines malgré l’envolée des prix et la volatilité du marché de l’art. Cela s’explique par le
fait que ces artistes sont soutenus par les instances de légitimation à travers des réseaux de
galeries, d’institutions prestigieuses, de collectionneurs et critiques d’art.
Artprice souligne qu’en 2015, « Séduite par la diversification de placement et par des taux
de rentabilité exceptionnels, la demande s’est considérablement accrue, tant et si bien
qu’il se vend cinq fois plus d’oeuvres aujourd’hui qu’il y a 10 ans avec des niveaux de prix
incomparables. ». 141
BITBOUL Chagall, Directrice de la Kinor Gallery, entretien du 13 Mai 2016.140
ARTPRICE, Le marché de l’art contemporain 2015, Rapport annuel Artprice.141
�78
Selon l’économiste Nathalie Moureau, une bulle spéculative est le parfait reflet du
décalage entre la valeur artistique et économique de l’oeuvre. « À long terme, toute bulle
est vouée à éclater, ramenant le prix de l’oeuvre à un niveau plus en rapport avec sa
valeur artistique. » . L’artiste contemporain Damien Hirst nous apparait ici comme un 142
exemple judicieux afin de traiter du phénomène de spéculation qui agite le marché de l’art.
Son armoire à pharmacie, Lullaby Spring, a été adjugé, comme nous l’avons vu
précédemment, à 19,2 millions de dollars (frais inclus) en 2007. Néanmoins, sa soeur
jumelle, Lullaby Winter, s’est vendue en février 2015 pour 4,6 millions de dollars (frais
inclus), dans sa fourchette d’estimation. Ce qui implique que Lullaby Spring essuierait à ce
jour une décote de l’ordre de 14,6 millions de dollars, s’il elle était proposée lors d’une
vente aux enchères. Néanmoins, la chute de la cote de Damien Hirst n’est pas seulement
victime d’un pur phénomène spéculatif. Deux autres écueils jouent contre lui : le
vieillissement accéléré de ses oeuvres et la sur-production . 143
De son coté, Ambroise Duchemin nous évoque le cas d’un autre artiste qu’il
considère comme partie prenante de la bulle spéculative : « Quand je vois le prix d’un Jeff
Koons, je comprends pas comment c’est possible. T’en fais une icône mais artistiquement
parlant c’est vide, c’est juste la façon dont c’est commercialisé. C’est une bulle
spéculative. ». Nous retrouvons ici l’ « effet Veblen » , lorsque sur le marché de l’art, il 144 145
nous est possible de constater que la hausse du prix d’une oeuvre d’art incite souvent les
investisseurs à en acheter encore plus, par mimétisme, ce qui peut mener jusqu'à la
constitution d’une bulle spéculative sur la valeur monétaire des oeuvres d’un artiste.
Le prix des oeuvres est alors déterminé par les anticipations des agents, quant à la
rentabilité future de l’oeuvre et non plus sur une valeur fondamentale de l’oeuvre, en
fonction de sa valeur artistique. Les instances de légitimation émettent des signaux liés à la
qualité artistique d’une oeuvre d’art mais elles n’ont que peu de prise sur la sphère
marchande et la fixation des prix. Par conséquent, qualité artistique et stratégie
économique s’assemblent pour former la valeur monétaire d’une oeuvre d’art.
MOUREAU Nathalie, Tout ce qui brille n’est point d’or, op. cit., p. 7.142
Voir Annexe n°6143
DUCHEMIN Ambroise, Galeriste d’art ancien, entretien du 10 Aout 2016.144
VEBLEN Thorstein, Théorie de la classe de loisir, op. cit.145
�79
III – La production artistique face aux singularités du marché de l'art contemporain
Dans cette dernière partie, nous allons nous pencher sur le marché de l’art
contemporain qui a supplanté le marché de l’art moderne en terme de vente. Celui-ci est
porteur de nouvelles perspectives et refaçonne les fondements de la valeur monétaire d’une
oeuvre. Le monde de l’art contemporain apparait de plus en plus en prise avec la sphère
marchande (1). Notamment à travers la figure nouvelle du collectionneur aux multiples
casquettes, qui dispose d’une place dans les instances de légitimation (2). Il convient enfin
de relativiser notre analyse, qui, face à ces singularités ne sauraient représenter la totalité
du marché de l’art (3).
1) Un art soluble dans la sphère marchande ?
Le sujet de ce mémoire est fortement lié au fait que le marché de l’art contemporain
semble remanier les codes du monde de l’art, pour l’adapter à ses nouvelles contraintes
aussi qu’aux productions artistiques et concepts émergents. La question des déterminants
de la valeur monétaire d’une oeuvre d’art prend ici un tout autre sens, car elle devient un
bien marchand comme un autre.
Selon Stephen Wright, nous nous situons actuellement dans une période de
« Désoeuvrement de l'art », car d'un objet unique susceptible d'être collectionné, l’oeuvre
d’art est passée à des créations reproduites en plusieurs exemplaires, monumentales ou
même éphémères . En effet, deux grands déterminants plutôt récents viennent s'ajouter à 146
la problématique de la fixation des prix : la reproductibilité de l’oeuvre et le caractère
éphémère.
WRIGHT Stephen, « Le désœuvrement de l'art », in SAGOT-DUVAUROUX Dominique et WRIGHT 146
Stephen (dir.), Les Valeurs de l'art, entre marché et institutions, Mouvements, vol. 17, septembre-octobre 2001, p. 9-13.
�80
Nathalie Heinich identifie plusieurs directions prises par les artistes contemporains
pour valoriser leurs œuvres, lorsque celles-ci ne se prêtent pas à une commercialisation sur
le marché. Un premier exemple consiste à vendre des dérivés de l'oeuvre produite comme
des photographies, des dessins, des films... Nous pouvons prendre ici l’exemple de 147
l'artiste Christo, qui réalise des emballages de lieux publics, comme celui du Pont-Neuf à
Paris en 1985 ou dernièrement la construction d'un ponton éphémère en Italie sur le lac
d’Iséo. L’artiste est ici intégralement financé par la vente des esquisses et photographies
dérivées de ses œuvres éphémères. Ce dernier répond ainsi à cette double problématique
qui se pose pour les oeuvres conceptuelles dans l’art contemporain.
En outre, Walter Benjamin voit l’aura de l’oeuvre disparaitre avec sa
reproduction . Cependant, la photographie a permis à l’urinoir, transformé en oeuvre 148
d’art, de Marcel Duchamp de devenir célèbre puisque selon les historiens de l’Art, il a été
détruit ou perdu. La notoriété de l’oeuvre a ainsi pu perdurer grâce à ce médium. Une
copie, réalisée grâce à une photographie originale, a même été revendu pour 1,5 millions
de dollars (frais inclus) en 1999. Il y a donc une sacralisation moderne de cette oeuvre,
Fontaine, qui bien que reproduite attire des acheteurs potentiels.
Cette pénurie d'attention peut servir certains artistes aux travaux médiatisés comme
Jeff Koons. Son Balloon dog est par exemple vendu et reproduit en de nombreuses tailles,
couleurs, ce qui lui permet d'acquérir une reconnaissance médiatique et artistique, lui
permettant de vendre plus plus cher des œuvres pourtant multiples, mais dont chaque pièce
est unique. La notoriété de ces ventes rejaillit sur les exemplaires restants qui vont
concentrer la demande.
La performance ou l'installation est aussi un moyen pour l'artiste d'assurer sa
promotion dans un milieu où la production artistique est abondante.
En Juin 2001, lors de la biennale de Venise, l'artiste italien Maurizio Cattelan installe au
sommet de la plus grande décharge de Sicile le mot « Hollywood » en grandes lettres
blanches. Il fait affréter un avion à bord duquel prennent place le commissaire de
HEINICH Nathalie, « Nouvelles économies artistiques », Passages, 2003, vol. 35, p. 8-12.147
BENJAMIN Walter, L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, op. cit.148
�81
l'exposition de l'époque, d'importants collectionneurs et des responsables d'institutions. Le
coût de l’opération s'élève à 800 000 dollars et sera cofinancée par l'artiste lui-même, ses
galeries et le collectionneur François Pinault . 149
Cette oeuvre éphémère nous démontre que l’art conceptuel, qui s’intègre dans le monde de
l’art contemporain, rend difficile l’évaluation de la valeur monétaire d’une oeuvre d’art.
L’idée même de collection est remise en cause et la valeur monétaire ne correspond ici
qu’au coût de réalisation. Néanmoins, cela permet à l’artiste de médiatiser son travail et de
mettre en lumière sa production artistique qu’il continue en parallèle.
En outre, la multiplicité d’une oeuvre reproduite en série ou son caractère éphémère
tendent à brouiller les signaux d’évaluation de la qualité artistique. Le lien entre valeur
esthétique et valeur économique semble de plus en plus flou dans le marché de l’art
contemporain.
2) L'apparition d'un nouveau genre de collectionneurs qui reconfigurent la production artistique
Selon le rapport de 2015 du Ministère de la Culture sur les collectionneurs français,
60 % d’entre eux sont membres d’une société d’amis de musée, plus de la moitié prêtent
des oeuvres à des musées, 14 % sont membres d’une commission d’achat ou du conseil
d’administration d’un musée . L’engagement des collectionneurs les plus investis se 150
retrouve souvent dans les relations étroites qu’ils entretiennent avec les instances de
légitimation.
Ils considèrent comme une consécration et une reconnaissance de leur engagement, le fait
que leurs choix artistiques soient confirmés par une institution comme le musée.
MOUREAU Nathalie & SAGOT-DUVAUROUX Dominique, Le marché de l’art contemporain, op. cit., 149
p. 100.
MOUREAU Nathalie, SAGOT-DUVAUROUX Dominique et VIDAL Marion, Collectionneurs d’art 150
contemporain : des acteurs méconnus de la vie artistique, op. cit.
�82
Les achats de quelques grands collectionneurs disposant d'une renommée dans le
milieu ont un pouvoir de légitimation supérieur à certains musées d'art contemporain. Ces
achats sont perçus comme des signaux de qualité, d'autant plus que ces collectionneurs
siègent le plus souvent comme membre de conseil d'administration de certains musées et
les dons d'oeuvres de leur part contribuent à asseoir la valeur de leurs collections. Ils
disposent d'un réel pouvoir économique, en étant susceptibles d'investir plus que certains
musées les plus prestigieux.
Nous pouvons citer le publicitaire Charles Saatchi, qui a participé à l’émergence et à la
reconnaissance de Damien Hirst notamment, grâce à l’exposition Young British Artists
(YBA) qu’il organisa en 1992. Son soutien financier à l’artiste, qu’il exposait dans sa
galerie, permis à Damien Hirst d’asseoir sa position sur le marché de l’art et les
institutions.
L’homme d’affaire français François Pinault, ancien président du groupe de luxe Kering,
est devenu au fil des années un collectionneur de renom, tout d'abord par l'acquisition de
nombreuses œuvres d’arts, puis en 1998, par le rachat de la société de vente aux enchères
Christie’s, et enfin en 2005, par la création de sa fondation d'art contemporain qui expose
sa collection dans deux palais à Venise. Ainsi, un financier qui n'est au départ pas un
marchand d'art et un personnage extérieur au monde du marché de l’art, devient un acteur
central de ce dernier en étant à la fois collectionneur, marchand, conservateur et mécène . 151
Ces personnalités du marché de l’art notamment contemporain, de par leur rôle
dans la sphère marchande ainsi que leur place prédominante dans les réseau de légitimation
artistique, influencent les évolutions du marché et de la formation de la valeur monétaire
des oeuvres d’art. Par leurs arbitrages et leurs choix, ils influent sur la sélection des artistes
avec le sentiment de faire l’histoire de l’Art. Contrairement au marché des
impressionnistes et de l’art ancien, où les grands noms sont déjà consacrés, les grands
collectionneurs, à travers leurs choix, définissent la hiérarchisation des valeurs esthétiques
et la réputation des artistes.
Un nouveau profil d’acheteur nous semble se dessiner dans le monde de l’art
contemporain. Leurs multiples casquettes créent des liens étroits entre la sphère marchande
MOUREAU Nathalie & SAGOT-DUVAUROUX Dominique, Le marché de l’art contemporain, op. cit., 151
p. 106-108.
�83
et les institutions. C’est ce qu’atteste la nomination en 2010 du galeriste et commissaire
d’exposition américain Jeffrey Deitch, à la tête du musée d’art contemporain de Los
Angeles.
Néanmoins, le modèle de la galerie de promotion reste un repère central dans le
marché de l'art actuel même si le couple commissaire d’exposition - artiste cherche à le
déborder. En effet, le commissaire d'exposition est un individu de plus en plus hybride qui
est à la fois collectionneur, marchand, mécène… et capable de mobiliser les instances de
légitimation afin de voir ses choix artistiques être institutionnalisés et adoptés par le
marché de l’art. Ce dernier est donc capable d’influencer les déterminants de la valeur
monétaire d’une oeuvre art réalisée par un artiste qu’il soutient.
3) Marché de l'art ou l'art du marché ?
L’objectif de ce dernier point d’étude est de relativiser ces phénomènes spéculatifs
visibles sur la partie supérieure du marché de l’art, c’est-à-dire les événements les plus
médiatisés où les oeuvres d’art s’échangent pour plusieurs millions de dollars.
Seuls les artistes consacrés du monde de l’art ancien, certains impressionnistes, et les
artistes les plus en vue de l’art contemporain connaissaient ces phénomènes.
Selon Artprice, entre Juillet 2014 et Juin 2015, 60% des oeuvres d’art contemporaines ont
été adjugées aux enchères pour moins de 3 916 dollars . Il est donc tout à fait possible de 152
faire des acquisitions pertinentes sans dépenser des sommes phénoménales. Les résultats
très médiatiques concernent seulement une fraction infime d’un marché global qui n'est
abordable qu’à travers la notoriété et la disposition d’un capital financier conséquent.
Pour la galeriste Chagall Bitboul, l’art reste accessible à tous selon elle : « Il y a différents
types d’acheteur : l’acheteur coup de coeur, un vieux, un jeune, une femme, un homme, un
couple. Si c’est moins de 3 000 euros ça peut être n’importe qui […] ». L’oeuvre d’art 153
comme objet décoratif n’a pas pour autant disparu et sa valeur esthétique n’a pas pour
ARTPRICE, Le marché de l’art contemporain 2015, Rapport annuel Artprice.152
BITBOUL Chagall, Directrice de la Kinor Gallery, entretien du 13 Mai 2016.153
�84
autant été remplacée par la vision purement économique d’un actif financier. Il ne faut
donc pas assimiler le côté marchand de l’art contemporain avec la totalité de l’art
contemporain.
En outre, selon le rapport 2015 du Ministère de la Culture portant sur les
collectionneurs en France, moins d’un collectionneur sur dix a consacré plus de 100 000 €
à l’acquisition d’une oeuvre, et un quart une somme maximale inférieure à 5 000 €.
Néanmoins, l’engagement financier des collectionneurs semble équitablement distribué en
proportion du revenu disponible. 10 % des collectionneurs consacrent annuellement moins
de 2 000 euros à leur collection, quand 16 % lui consacrent plus de 50 000 euros . 154
Le monde de l’art et notamment de l’art contemporain n’est donc pas seulement le fait des
acteurs à fort capital financier. De plus, beaucoup d’artistes, comme Michel Campistron et
Florencia Cairo, que nous avons interviewés, ne connaissent pas de spéculation sur leur
production artistique. Cela ne concerne que quelques artistes sur-médiatisés dont les
oeuvres constituent un investissement plus qu’un achat décoratif. Comme nous l’explique
Michel Campistron : « nous nous adressons à des gens qui aiment l'art et qui se font
plaisir pour des sommes relativement modestes. Rien à voir avec les gros collectionneurs
qui voient l'achat de grandes signatures comme un investissement. ». 155
Lorsque nous parlons du phénomène spéculatif qui agite l’art contemporain,
Florence Cairo nous répond que : « Ce n’est pas la vocation première de l’art et ça ne
devrait pas l’être non plus en tant qu’artiste. ». 156
Andy Warhol était pour sa part dans un mouvement de déconstruction des valeurs de l'art.
Sa critique de la société de consommation, notamment à travers son procédé de
reproduction par sérigraphie qui dénonçait la production de masse, en a fait un des artistes
les plus cotés du marché de l’art. Ses oeuvres sont devenues des objets de convoitise et de
spéculation lors des ventes aux enchères, alors que lui-même critiquait ce modèle.
MOUREAU Nathalie, SAGOT-DUVAUROUX Dominique et VIDAL Marion, Collectionneurs d’art 154
contemporain : des acteurs méconnus de la vie artistique, op. cit.
CAMPISTRON Michel, Artiste contemporain, entretien du 2 Avril 2016.155
CAIRO Florencia, Artiste contemporaine, entretien du 18 Juillet 2016.156
�85
De même, l’oeuvre de Marcel Duchamp, Fontaine, ne dispose plus de sa valeur d’usage au
moment de son exposition en 1917 puisque l’artiste considère que c’est une production
artistique. La valeur monétaire se modifie avec la vision que nous avons de l’oeuvre d’art
exposée. Nous ne regardons pas un tableau de Pablo Picasso de la même manière qu’une
peinture non signée aperçue chez un antiquaire. Ainsi, Ambroise Duchemin tend à
relativiser : « Tous les artistes peuvent prendre ou perdre de la valeur mais c’est relatif ça
ne se fait pas du jour au lendemain. 157
DUCHEMIN Ambroise, Galeriste d’art ancien, entretien du 10 Aout 2016.157
�86
Conclusion
A travers ce mémoire, nous avons souhaité nous questionner sur la valeur
monétaire d’une oeuvre d’art. La valeur économique n’est qu’une des façons d’attribuer
de la valeur à une oeuvre d’art, l’évaluation esthétique, artistique mais aussi symbolique
sont des déterminants que nous avons du prendre en compte au cours de ce mémoire. La
fin de l’étalon conventionnel, et le phénomène de transgression permanente des frontières
artistiques depuis les impressionnistes, a fait évoluer la valeur de l’oeuvre. La valeur
monétaire est fonction de la subjectivité des autres valeurs esthétiques et symboliques
attestant de la qualité de l’oeuvre d’art et de sa place dans l’histoire de l’art.
Il existe tout un cheminement sous-jacent de l’oeuvre d’art, par des réseaux de
légitimations qui assurent et rassurent sur la valeur artistique. Ces interactions constituent
la somme des attributions de valeur des acteurs du marché, qui peut construire un
consensus autour de la transaction commerciale, même si l’offre et la demande ne se
rencontrent pas systématiquement sur le marché de l’art.
La valeur monétaire d'échange d'une œuvre d'art n'est en soi pas plafonnée, puisqu'elle est
uniquement limitée par le prix que les collectionneurs sont disposés à payer pour
l’acquérir.
En raison de leur rareté et de la magie sociale qui opère, les oeuvres qui circulent
sur le marché de l’art ne sont accessibles qu’à un nombre réduit d’acteurs, que sont les
collectionneurs, institutions muséales et marchands d’art qui peuvent réunir les moyens
financiers suffisant pour acquérir les oeuvres les plus rares et les plus recherchées. Les
déterminants à l’oeuvre nous ont permis de nous rendre compte qu’il existait des
phénomènes spéculatifs sur le marché de l’art, qui complexifient la formation de la valeur
monétaire d’une oeuvre d’art. « l'art suit l'argent »
�87
Sur la base de l’échange entre les instances de légitimation et de la hiérarchisation
artistique, nous produisons une croyance en les valeurs indissociables que sont celle
esthétique et économique d’une oeuvre d’art.
Néanmoins, l’étude des déterminants de la valeur monétaire d’une oeuvre d’art, réalisée
dans ce mémoire, ne permet pas d’expliquer en détail les forces à l’oeuvre sur les
productions artistiques inférieures à plusieurs dizaines de milliers d’euros car ce ne sont
pas les mêmes phénomènes qui s’appliquent et les mêmes réseaux de légitimation à
l’oeuvre.
Cependant, l’artiste ne cesse de transgresser en permanence les frontières de l’art, à
tel point qu’il semble parfois impossible de définir la moindre valeur monétaire rationnelle
à une oeuvre d’art. Ainsi, Yves Klein lors de son exposition « du Vide » en 1958 à la
galerie Iris Clert, fixe un prix d’entrée de 1500 francs pour accéder à son vernissage. Il
précise alors qu’une patrouille de police se présente à la galerie car « certaines personnes,
furieuses d’avoir payé 1500 francs d’entrée pour ne rien voir du tout de leurs yeux à
l’intérieur », et pour cause, la galerie est vide, « sont allées se plaindre ». Cet exemple
démontre que la valeur monétaire est aussi porteuse d’une signification qui n’est pas
qu’induite, car la valeur intrinsèque de l’oeuvre a ici complètement disparu . 158
Nous conclurons en citant le philosophe français Jean Baudrillard qui atteste que :
« Nous sommes dans le fétichisme de la valeur qui fait éclater la notion même de marché
et qui, du même coup, anéantit l'oeuvre d'art en tant que telle. ». 159
CRAS Sophie, « De la valeur de l’œuvre au prix du marché : Yves Klein à l’épreuve de la pensée 158
économique », op. cit., p. 36-37.
BAUDRILLARD Jean, Le complot de l'art et entrevues à propos du complot de l'art, Paris, Sens & 159
Tonka, 1999
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Sommaire des annexes
Annexe 1 : Evolution des produit de vente en « fine art »
Annexe 2 : Prix des monochromes d’Yves Klein
Annexe 3 : Evolution du prix d’adjudication en ventes publiques des œuvres intitulées Dollar Sign (1981) d’Andy Warhol
Annexe 4 : Configuration type des mondes de l’art en réseau
Annexe 5 : Indice des prix du marché de l’art contemporain entre 2005 et 2015 (Base 100 en Janvier 2015
Annexe 6 : Evolution de l’indice des prix de Damien Hirst
Annexe 7 : Retranscription de l’entretien avec Michel Campistron
Annexe 8 : Retranscription de l’entretien avec Chagall Bitboul
Annexe 9 : Retranscription de l’entretien avec Ambroise Duchemin
Annexe 10 : Retranscription de l’entretien avec Florencia Cairo
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Annexes
Annexe 1 : Evolution du produits des ventes « Fine Art » entre 2004 et 2014
Source : www.artprice.com
Annexe 2 : Evolution du prix de vente (en euros) des monochromes d’Yves Klein entre 1957 et 2008. Source : CRAS Sophie, « De la valeur de l’œuvre au prix du marché : Yves Klein à l’épreuve de la pensée économique », Marges, 2010, n°11, p. 29-44.
Note de l’auteur : « Les tableaux marqués d’une astérisque sont datés de 1956 ou 1957 et ont probablement été exposés à la galerie Apollinaire, sans certitude. ».
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Annexe 3 : Evolution des prix d’adjudication en ventes publiques des oeuvres intitulées
Dollar Sign (1981) d’Andy Warhol
Source: www.artprice.com
Annexe 4 : Configuration type des monde de l’art actuel en région
Source : MOUREAU Nathalie & SAGOT-DUVAUROUX Dominique, Le marché de l’art contemporain, Paris, Editions La Découverte, deuxième édition, 2010 (2006).
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Annexe 5 : Indice des prix du marché de l’art contemporain entre 2005 et 2015 (Base 100
en Janvier 2015
Source : www.artprice.com
Annexe 6 : Indice des prix de Damien Hirst entre 2000 et 2015 (Base 100 en Janvier 2000)
Source : www.artprice.com
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Annexe 7 : Retranscription de l’entretien avec Michel Campistron
Michel Campistron est un peintre et sculpteur contemporain français, travaillant
dans le Gers, et présent dans des galeries en France et en Espagne.
Entretien réalisé le 2 Avril 2016 à son atelier à Mouchan (32) où il travaille et expose ses
oeuvres.
Site internet : http://www.michelcampistron.com
Quelle est la vocation première d’une oeuvre artistique ?
« La vocation d’une œuvre d’art pour moi, c’est de procurer un plaisir esthétique, de
l’émotion, et là on est déjà dans le subjectif. Au delà, il me parait fondamental qu'une
œuvre ait du sens, de la profondeur et s'inscrive dans une démarche éthique ou une ligne
directrice qui caractérise un artiste. Sinon on se situe dans une démarche purement
décoratrice qui atteint très vite ses limites. »
Comment se fixe le prix de vente d’une oeuvre ?
« Fixer le prix c’est aussi le problème de la cote d’un artiste. En principe, il y a la
réputation de l’artiste, avec tout ce que ça a d’hasardeux, donc c’est un sacré facteur.
Accéder à la notoriété en art est un parcours du combattant, à supposer que l'on ait envie de
le livrer ! Le facteur relationnel et le facteur chance ne sont pas à négliger et aussi
l'implication de l'artiste à intriguer et forcer ces facteurs. J’ai oublié de te dire que bien
souvent ce sont les galeries qui évaluent la fourchette de prix en accord avec l’artiste, du
moins pour les artistes de ma catégorie. Viennent ensuite les formats, plus la toile, s’il
s’agit de peinture, est importante, plus fort sera le prix. Ceci est bien sûr relatif à chaque
artiste en fonction de sa cote. La cote se fait généralement par les salles de vente mais là
aussi tout n'est pas toujours très clair. Il n'est pas rare que des artistes en salle de vente
aient leur propre "amis" qui surenchérissent avec arrangement ultérieur avec l’artiste ! Le
meilleur critère selon moi c’est l'offre et la demande en gré à gré, mais cela concerne plus
les artistes du haut du panel qui sont dans le système institutionnalisé. Il existe aussi pour
chaque artiste la valeur « point » qui est une évaluation au cm2, mais ce n’est plus
vraiment ça qui fixe le prix aujourd’hui. »
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Pensez-vous qu’il existe un phénomène spéculatif sur le marché de l’art ?
« Bien sur le phénomène spéculatif existe pour les quelques artistes vedettes de l'art
contemporain, tout cela organisé par quelques galeristes bien connus, autour de riches
collectionneurs, avec une main mise sur les institutions comme les FRAC et certains
musées. ça fait polémique dans le milieu. Il se murmure aussi que le blanchiment d’argent
ne soit pas à exclure ! »
Où êtes-vous présent ? Quels « points de vente » ?
« Mon travail est exposé en permanence a l'atelier bien sûr. Depuis peu, j'ai intégré une
galerie en Espagne à Barcelone, qui m'a demandé de lui laisser 10 tableaux en permanence.
Elle vient d'en vendre un à un collectionneur de Beyrouth ! Ce qui pour moi est très
bien. Une autre galerie de Barcelone a 2 petits tableaux en dépôt. Dans ce cas là, la galerie
prend une commission de 50%, c'est la règle. Je vends aussi a l'atelier mais bien sur outre
la satisfaction d'être en galerie, la visibilité est nettement supérieure qu’à l’atelier, surtout
là où il est !
Mais là aussi il y a galerie et galerie ! Les vrais galeries comme celle de Barcelone se font
rares, elles t'acceptent et défendent ton travail et se rétribuent en fonction des ventes, ça me
parait sain. Mais souvent ce sont plutôt des pseudos galeries qui t'exposent moyennant
finance et se foutent de vendre ! Ce ne sont en fait que des loueurs de murs qui font leur
beurre sur le dos d'artistes qui cherchent à exposer coûte que coûte. Je pense que pour un
artiste il vaut mieux éviter ça. Le passage en galerie sérieuse me parait incontournable pour
asseoir sa notoriété. Il y a aussi les salons mais là aussi, ils sont nombreux et souvent très
chers. Il vaut mieux participer à des salons réservés aux galeries mais encore faut il trouver
la galerie sérieuse qui vous représente. »
Pensez-vous qu’il soit important d’avoir en France des pouvoirs publics qui
soutiennent les artistes à travers les FRAC ou même les musées ?
« Sur le rôle des FRAC j'ai pas grand chose a dire. Pour ma part je ne suis que très peu
dans ce circuit et je n’ai jamais fais l'effort de les approcher. Par contre, suite à mon expo à
Flaran, le département du Gers m’a acheté 2 tableaux par l’intermédiaire du conservateur
de l'abbaye de Flaran. Le fait d’être présent dans collection publique n'est pas a négliger !
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C'est un gage de sérieux, l'idéal bien sur c’est d 'être acheté par les grands musées mais je
n'ai pas cette chance ! Mais ça participe à la renommée de l’artiste et donc à sa cote. »
Pensez-vous que les acheteurs de vos oeuvres, et aussi les acheteurs de l’art
contemporain en général, le font pour un achat purement décoratif ou plutôt comme
un investissement, afin de réaliser plus tard une plus value à la revente ?
« Dans la catégorie d’artiste où je me situe, nous nous adressons à des gens qui aiment l'art
et qui se font plaisir pour des sommes relativement modestes. Rien à voir avec les gros
collectionneurs qui voient l'achat de grandes signatures comme un investissement. Mais ça
n'empêche pas qu’il y ait de vrais amateurs d’art parmi eux. Nous nous adressons aux
classes moyennes qui aiment l'art et qui achètent sur un coup de cœur. Après, bien sûr, on
ne sait ce que peut réserver l'avenir ! »
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Annexe 8 : Retranscription de l’entretien avec Chagall Bitboul
Chagall Bitboul est directrice de la Kinor Gallery, une galerie d’art contemporain à
Paris qui à ouvert ses portes cette année.
Entretien réalisé le 13 Mai 2016 dans sa galerie (28 Rue Traversière, Paris XIIe
arrondissement).
Site internet : https://www.facebook.com/KINORGallery/
Qu’est ce qui différencie une production artistique d’une oeuvre d’art ?
« L’oeuvre d’art c’est très difficile à définir, ce sont les critiques qui ont un grand rôle, les
marchands aussi et les galeries aussi. C’est eux qui repèrent les artistes à la base. »
Quels sont les critères d’évaluation d’une oeuvre d’art ?
« Il y a des critères objectifs et subjectifs. Dans l’objectif il y a la rareté, l’ancienneté,
l’originalité, l’aura et le prestige d’une signature. Si c’est Picasso, c’est plus cher que si
c’est lambda. La qualité, le cubisme de qualité, le bon état de conservation sont aussi
important. La restauration fait perdre de sa valeur, si c’est abimé aussi. Le prestige du
sujet, une oeuvre de Canaletto, une vue de Venise par exemple, ce sera plus cher que s’il
fait une vue de Paris, car il est connu pour ça. Peindre quelqu’un de connu rajoute au prix,
les matériaux utilisés aussi.
L’histoire de l’oeuvre aussi, s’il à appartenu a quelqu’un de célèbre. Si Alain Delon a
acheté une oeuvre par exemple. Le permis du Général de Gaulle ne vaut rien en soit mais il
a été vendu 20 000 euros. La dimension aussi compte, plus c’est grand plus c’est cher. »
Pour le côté subjectif, si ça vient d’une grande collection, la personne qui vend l’objet va
gagner plus, la mode aussi joue. L’art déco marche plus que le XVIIIe siècle. C’est
l’économie de marché, l’offre et la demande, ça sera plus cher si on vend en Allemagne
qu’en Bulgarie. La communication autour d’une vente, un buffet, des invités de prestige, le
fait d’inviter des journalistes, mettre en concurrence les gens riches, tout ça fait monter la
cote.
Le mécénat fait monter la cote d’un artiste car ils auront beaucoup acheté à ce dernier. Le
coté esthétique aussi, tous les jours des gens entrent dans ma galerie avec des goûts
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différents, personne n’aime les mêmes chose. Faire une vente dans un lieu clé, vendre des
grandes peintures chrétiennes à Versailles ou Chartres avec une clientèle autour qui aime
ça, ça facile la vente. Plus il y a de critères, plus ça va coûter cher, spécialement aux
enchères.
C’est difficile de savoir ce qui se passe dans une galerie, c’est privé, assez discret. Dans
une vente publique les informations sont plus facile à avoir. Il y a même des jouets, des
voitures, des bouteilles de vins qui partent très cher, des objets ethniques comme des
masques africains, le pré-colombien, c’est très à la mode, ça monte beaucoup. L’art chinois
ça marche vachement, c’est la mode c’est comme ça. Ils ont aussi vendu un wagon de
l’Orient Express, presque 200 000 euros. C’est fou ! Surtout qu’est ce que tu vas en faire
de ça avec la place que ça prend ? »
Quels sont les critères pour exposer un artiste ?
« Les critères, il y en a aucun. C’est une question de feeling, il doit être aussi artistique
qu’humain, parce tu entretiens une vraie relation avec l’artiste et son travail. Et souvent tu
as des artistes qui sont vraiment insupportables et là c’est vraiment pénible de travailler
avec eux.
Un truc a toujours vérifier, c’est l’historicité de l’oeuvre. Il faut regarder par quelles mains
il est passé, s’il a eu un trou par il y a une chance qu’elle ait été volé et que tu doive la
rendre à ses propriétaires.
Pinault et Arnault, ils vont faire monter la cote de l’artiste artificiellement. Ils choisissent
des artistes pour telle ou telle raison, mais en vrai on a pas assez de recul pour savoir. Mais
comme ce sont les plus grands collectionneurs français ils vont être suivis.
Les Qatari qui achètent une oeuvre a 250 millions à moins que ce soit un Modigliani tu sais
pas si c’est une bonne affaire. Acheter un Koons aussi cher maintenant, on a pas le recul
nécessaire encore.
Tu es collectionneur, Pinault te dit qu’il a acquis tel artiste, et vous allez faire semblant
d’enchérir, vous allez faire monter la cote artificiellement. »
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A quoi ressemble un acheteur moyen ?
« Tu as différents types d’acheteurs, tu as l’acheteur coup de coeur, un vieux, un jeune, une
femme, un homme, un couple. Si c’est moins de 3 000 euros, ça peut être n’importe qui,
au-dessus c’est plus des gens âgés ou des cadres. Mais je connais des gens qui ont fait un
prêt pour une oeuvre, car ils ont eu un coup de coeur. Pour la spéculation, ce sont des
financiers, des mecs en costard, qui réussissent leur vie, ils voient le coté monétaire. Ils
vont en galerie, ils vont partout mais leur but c’est d’entreposer l’objet, c’est détaxé et ça
perd rarement de la valeur, c’est de l’investissement. Il y en a qui achètent des maisons, il y
en a qui achètent de l’art.
Après les acheteurs de peintures sont pas les mêmes que ce qui vont acheter des pièces, un
homme vieux, discret avec une grande bibliothèque, il s’exhibe pas, c’est pour ce faire
plaisir. Un acheteur de tableau cher et à la mode c’est pour le montrer, genre ’’Regarde
mon Soulage’’. Beaucoup de gens achètent pour ça, avec le complexe nouveau riche, ça
marche beaucoup dans l’art pour le montrer à son voisin.
Pourquoi les Qatari achètent de l’art ? Ils savent que le pétrole il n’y en aura pas toujours.
Ils investissent là dedans pour être sûr qu’après il y aura toujours quelque chose qui leur
rapporte de l’argent. Mais ils viennent d’arriver sur la scène internationale, mais les gens
ils pensent qu’ils ont aucun patrimoine, aucune histoire mais avoir un patrimoine artistique
et culturel fait de toi quelqu’un de distingué, d’intellectuel et pas un riche de seconde zone.
La question d’ego et de patrimoine c’est très important. »
Quelles sont les prises de risque pour une galerie ?
« Y a des galeries qui ferment tous les jours à Paris. Le risque c’est de ne pas vendre et de
crouler sous les loyers impayés. Les gens préfèrent s’acheter à manger que des oeuvres
d’artistes contemporains, ça je le comprends. »
Comment va se fixer le prix de vente ?
« La différence entre une galerie et une maison de vente c’est le prix, aux enchères c’est toi
qui le fixe. Donc tu peux aller très loin. Dans une galerie, tu débats le prix fixé, tu le tires
vers le bas. Après, tous les prix ont chuté pendant la crise, tout le monde est tombé pendant
la crise de toute façon mais depuis c’es reparti. Il y a un phénomène qui arrive assez
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souvent, c’est la folle enchère, tu veux gagner à tout prix mais tu n’as pas d’argent donc
l’objet sera remis en vente. C’est la mode aussi, les acheteurs se concentrent à un moment
sur ça. Genre le mobilier, ça a fait un boom a un moment donné et maintenant ça vaut plus
rien, c’est plus la mode en fait. »
L’artiste influence t’il de manière directe et/ou indirecte le prix de sa production ?
« Oui, c’est lui qui va me demander un prix, il va me dire combien il veut et je le prends en
fonction de ça ou non. Il se compare aux autres artistes, les matériaux qu’ils utilisent aussi
fait qu’ils sont plus cher. Un sculpteur de bronze coûte plus cher qu’un peintre, justement à
cause des matériaux. Les artistes me disent combien ils veulent retirer de l’oeuvre, ils me
disent par exemple 500 euros, je vais la mettre à 1000 euros environ avec la TVA que je
rajoute aussi. Après on négocie l’oeuvre bien sur, ça se négocie toujours une oeuvre. »
L’art est-il un placement ? Et si oui est-il rentable ?
« Je me suis jamais posé la question. Si t’es un investisseur tu vas faire des recherches pour
que ça vaille le coup, voir les artistes dont la cote va grimper. Si t’es un acheteur coup de
coeur tu te poses pas la question. »
Participez-vous à des foires et salons ?
« Pas encore. ça coûte très cher. Je m’inscrirai à une foire mais une seule, un stand c’est au
minimum 1 500 euros pour dix mètres carrés pendant deux jours. Donc c’est vraiment pas
donné, surtout quand on débute. Tout le monde ne fait que part ça, les artistes vendent
comme ça maintenant. Le truc de notre époque c’est ça. La foire à un rôle principal dans le
marché, comme ça l’offre et la demande se rencontrent. »
Que pensez-vous des records des ventes aux enchères ?
« Si c’est des oeuvres emblématique comme le Nu couché de Modigliani, oui car c’est
avoir une pièce d’histoire chez soi, même si tu te dis que c’est énorme, je comprends
l’argument, mais si tu es un passionné, je le comprends. Après, tu as beaucoup de cotes
artificielles. Beaucoup pensent que Jeff Koons a sa place dans l’histoire par exemple,
�99
personnellement je pense qu’ils se trompent. Mais avec les rétrospectives qu’il fait comme
à Pompidou, ça me donne tord. C’est un risque. Ce qu’il fait c’est pas nul, mais on sait pas
comment va évoluer sa cote, on a pas assez de recul. Si j’avais 100 000 euros j’achèterai
une oeuvre d’art ancien plutôt.
Il n’y a que le musée qui peut t’institutionnaliser en tant qu’artiste. Certaines galeries,
n’ont pas pour but de vendre mais de démarcher les musées, d’abord en province pour faire
prendre de la valeur à l’artiste, pour faire augmenter sa cote et donc les prix.
L’art ancien se vend beaucoup moins bien que l’art contemporain, il y a beaucoup plus
d’invendus mais l’art contemporain peut chuter encore plus vite. Encore une fois c’est une
question de mode, les gens sont moins intéressés, les fréquentations d’expositions battent
des records mais les gens sont moins intéressés dans les musées. Ils vont préférer les
musée d’art contemporain qui est beaucoup plus design. Avant c’était un héritage de
grande famille, un héritage monétaire et culturel donc ils étaient plus portés sur l’art ancien
et son importance historique. L’art c’est le miroir de son époque et avoir une oeuvre de son
époque c’est détenir un morceau d’histoire.
Aussi, on vend moins d’art ancien car le stock est limité, toutes les belles pièces elles sont
dans des musées ou des collections privées. Il reste quelques trucs mais beaucoup moins à
acheter. Koons il peut te faire 150 oeuvres dans l’année s’il veut. Acheter des dessins c’est
une très bonne idée, des dessins originaux de Dali peuvent coûter 800 euros, c’est aussi
cher que d’aller à IKEA, c’est aussi un peu absurde pour le coup. »
�100
Annexe 9 : Retranscription de l’entretien avec Ambroise Duchemin
Ambroise Duchemin est directeur adjoint à la galerie d’art ancien Hubert Duchemin
à Paris, et gérant en parallèle de sa propre galerie sur internet.
Entretien réalisé le 10 Aout 2016 à la galerie Hubert Duchemin (8, rue de Louvois, Paris IIe
arrondissement).
Site internet : http://www.hubertduchemin.com
Qu’est ce qui différencie une production artistique d’une oeuvre d’art ?
« Le caractère technique, la qualité, il faut aller au musée pour comprendre tout ça. Aller
au musée et les regarder longuement. Un tableau de peintre, tu vois la différence entre un
virtuose et un scolaire, tu vas voir que c’est plus fluide, plus rapide, plus de lâché. Tu
reconnais la technique et la virtuosité. Ensuite tu as le goût, certains préfèrent plus lâché,
d’autres plus serré. Moi j’aime bien Le Caravage, mais les tableau du XVIIIe siècle j’aime
moins. Les sujets me plaisent moins donc ça va moins me plaire mais pourtant c’est aussi
d’une grande qualité. Comme il y a moins de concept dans l’art ancien, c’est plus facile à
évaluer. »
Quels sont les critères d’évaluation d’une oeuvre d’art ?
« La différence entre contemporain et ancien ça n’a rien à voir. Comme ils sont mort, les
artistes ne peuvent pas influencer sur l’oeuvre. Ce qui prime, c’est la célébrité de l’artiste
et la rareté. C’est le nom de l’artiste qui fait le prix, ensuite la rareté. Il y a l’état de
conservation qui compte beaucoup pour l’art ancien, la provenance qui peut intervenir car
un tableau de Le Caravage qui est passé par trois familles italiennes après, puis disparu ça
rajoute sur le prix. Il y a aussi l’expertise, en art contemporain c’est plus facile pour
construire un catalogue. Dans l’art ancien, il faut être capable de reconnaitre le style de
l’artiste et d’avoir des preuves d’attributions. La marge d’incertitude joue sur le prix, s’il
est pas signé, il faut faire tout un travail pour prouver l’attribution. Les faux fragilisent
beaucoup le marché de l’art ancien du coup. Toute cette notion d’expertise est importante
pour l’art ancien. Ensuite il y a la taille et tout qui compte.
�101
Pour fixer le prix d’un tableau, il faut regarder la cote de l’artiste sur les ventes aux
enchères. La première chose que tu fais c’est d’aller sur ArtPrice pour voir combien valent
les tableaux de l’artiste ou les oeuvres similaires. Si le tableau vaut 100 c’est que tu avais
trois mecs qui voulaient le tableau, qui ont enchéri, et le dernier a remporté l’enchère.
C’est la demande qui fixe le prix. Il faut faire une moyenne de tout ça. En galerie tu peux
vendre plus cher que dans les enchères. Avec l’artiste contemporain, il y a beaucoup
d’oeuvres car il produit beaucoup, il s’arrange avec son galeriste et surtout la demande
pour faire monter sa cote. S’il expose deux fois l’artiste et que ça marche pas il change, si
ça marche il fait grimper les prix.
Dans l’art ancien, c’est la qualité technique de l’artiste qui définit aussi sa valeur, c’est
beaucoup plus tangible que des monochromes dans l’art contemporain. Celui qui est vendu
le plus cher, c’est censé être celui qui peint le mieux. Le prix est censé refléter le niveau
d’un peintre. »
Quels sont les critères pour exposer un artiste ?
« Dans une galerie comme la notre, t’as le tableau de grand maitre qu’on cherche et qu’on
va acheter de toute façon. Qu’on vend à un musée, à un collectionneur étranger, ceux qui
font l’histoire de l’art. Un artiste que tu achètes direct et que tu auras aucun mal à vendre.
Les artistes moins connu c’est plus difficile. Moi j’ai commencé à me développer sur la
seconde moitié du XIXe siècle. Je fais ça pour commencer mais je préférerai trouver un
Poussin. Pour exposer un dessin qui compte entre 1 000 et 5 000 euros, il faudra qu’il soit
dans le courant symboliste ou naturaliste qu’il soit du début milieu XIXe siècle. Comme je
n’ai ni la reconnaissance, ni la légitimité pour montrer des gros trucs, j’essaie de faire mon
trou en vendant des trucs originaux. La taille, la provenance aussi importe, mais c’est dur
de trouver des trucs aux enchères. Pouvoir retrouver ton tableau sur Artprice c’est aussi un
critère pour plus tard. »
A quoi ressemble un acheteur moyen ?
« Il y en a pas beaucoup sur l’art ancien déjà. Les vieux collectionneurs ne sont pas
remplacés. Les nouveaux, ils préfèrent l’art contemporain. C’est un marché qui s’adresse
surtout à la bourgeoisie et la petite aristocratie. Ils aiment bien s’acheter un tableau ancien.
�102
Le cliché de l’art ancien et de ses collectionneurs est assez avéré. Il y a quelques rares
jeunes fortunés. C’est un blanc cinquantenaire, bourgeois, milieu social élevé et avec un
capital social et culturel élevé. C’est un marché de niche, il faut avoir les codes du milieu.
Tu ne rentrerai pas dans une galerie sinon. »
Quelles sont les prises de risque pour une galerie ?
« Quand tu cherches à découvrir des tableaux, tu peux multiplier ton investissement mais
aussi tout perdre. Un tableau non attribué c’est le risque qu’il ne se vende pas ou de se
tromper. Tant que tu revends pas ton tableau c’est une perte. »
Existe-t’il un phénomène de mimétisme entre les acheteurs ?
« C’est plus un truc que tu retrouves dans le contemporain que dans l’ancien. Tu peux pas
acheter deux fois le même tableau en général. Tu peux avoir un peu de mimétisme mais
c’est plus une question de milieu social que de mimétisme. C’est un rapport plus personnel
avec l’art ancien. Dans ce milieu là il n’y en a pas vraiment je pense. »
Qu’est ce qui motive les acheteurs dans leur consommation ?
« C’est un mix, il y a des passionnés, vraiment intéressé. Le fait de créer une collection, il
y a cet attrait de chiner pour le coté découverte, savoir ce qui va te plaire. Il y en a qui
achètent pour le prestige que ça donne, le fait d’avoir un tableau ancien très cher sur le
mur. Canaletto par exemple avec ses vues de Venise, c’est très prisé, bon t’en a vu trois t’as
tout vu, mais comme c’est facilement reconnaissable ça marche bien. Là, c’est plutôt celui
qui a le meilleur Canaletto. Quand c’est très facilement identifiable, c’est plus facile à
vendre. Un impressionniste c’est facile à identifier, donc la revente est plus facile aussi.
C’est difficile comme travail mais ça marche. C’est une question de prestige, de passion et
d’investissement. Dans l’art contemporain ça spécule à mort, l’art ancien c’est une valeur
sûre. Tu achètes ton Poussin 5 millions aujourd’hui avec l’inflation tu es sur de le revendre
au moins 6 millions. Pour les plus petite valeur, c’est plus difficile. ça bouge plus sur les
marché inférieur. Mais si tu veux investir c’est plutôt sur les tableaux du haut de la
pyramide. Il y a aussi le prestige de dire qu’on s’y connait en art, c’est un fait social. Même
si ça détermine pas le prix, il y a une question de prestige personnel. »
�103
Ou se situe la galerie dans le marché de l’art ?
« La galerie d’art ancien a une place particulière. Surtout pour la formation des prix. On
définit le prix en se référant aux ventes aux enchères. Si cinq Delacroix similaires sont
vendus entre 60 et 100 000 euros, nous on va se baser sur la fourchette haute. Et s’il a
jamais vu le marché, on peut rajouter un peu. Le coté privé, secret, de la galerie joue aussi
un peu, par rapport à une vente publique. Dans le marché, il y a aussi l’expert qui vient
estimer le tableau qui va décrire l’objet et fixer le prix. Ce sont des intermédiaires dans les
ventes publiques. »
L’art est-il un placement ? Et si oui est-il rentable ?
« La spéculation et la rareté. Il y a de moins en moins d’oeuvre sur le marché. Je sais pas
ce qui pousse les gens à mettre leur tableaux sur le marché, mais on assiste à un vrai
nivellement du marché. Ce qui vaut cher vaut encore plus cher, comme un Picasso, un
Poussin ou autre. Et tous les tableaux intermédiaires valent de moins en moins cher. En
ancien, un tableau du maître vaut très cher, mais un tableau de l’élève ça va rien valoir.
Avant la classe moyenne supérieure pouvait s’acheter des tableaux à 10 000 euros, avant tu
en avais dix qui pouvaient mettre le prix, maintenant tu as plus qu’un acheteur qui va
mettre le prix pour un tableau à un million. L’écart se creuse, je suis pas non plus très au
fait de ça pour l’art contemporain, mais ça doit pouvoir expliquer certaines choses. Tous
les artistes peuvent prendre ou perdre de la valeur, mais c’est relatif, ça ne se fait pas du
jour au lendemain. »
Participez-vous à des foires et salons ?
« Pour le TEFAF, je suis pas assez gros pour le faire en tant que galeriste, j’y vais en tant
que particulier. Pour exposer je suis trop petit. On préfère vendre les tableaux à des gens
qui vont faire le TEFAF. Dans la chaîne, tu as l’antiquaire qui nous apporte le tableau, on
fait le travail d’attribution, et ensuite on le revend à un marchand. On est plus des
acheteurs que des vendeurs. On sous-traite la vente. C’est un peu compliqué de rentrer
dans les détails comme ça, mais en gros c’est le trajet. »
�104
Que pensez-vous des records des ventes aux enchères ?
« Pour l’art contemporain ça me fait mal au coeur. Quand je vois le prix d’un Jeff Koons,
je comprends pas comment c’est possible. Tu en fais une icône mais artistiquement parlant
c’est vide, c’est juste la façon dont c’est commercialisé. C’et une bulle spéculative. Mais
dans l’art ancien c’est pas valable, les records sont justifiés par rapport à ce qui s’est passé
avant. La rareté est très importante. Lorsqu’il y a un Poussin dans le marché c’est normal
que les prix s’envolent car c’est beau et très rare. »
Y a t’il un effet mimétique, un effet de confiance entre les acheteurs qui se dirigent
vers les mêmes artistes ?
« Globalement dans l’art ancien, tu as un vrai lien entre qualité et prix, comme le critère
technique était important, les meilleurs peintres reconnus de l’époque sont les plus
recherché. Dans le contemporain, ça fait peur. C’est pas tellement pour le prix mais plutôt
du côté de la création. Tu as des choses bien au-dessus de ce que tu peux voir passer sur le
marché. Je comprends la valeur. Mais pour de l’art conceptuel, là ça m’interroge. Lucian
Freud c’est un génie, c’est normal qu’il vaille plus que les mêmes artistes figuratifs à son
époque. Fontana avec trois coups de couteau dans une toile vide je comprends pas. Après
c’est une question de goût et d’éducation, la même personne qui aime ça, ne va pas
comprendre qu’un Poussin coûte aussi cher.
Picasso c’est normal, c’est un génie, dans sa meilleure période je comprends que les prix
puissent aller aussi loin. Après c’est la loi des enchères, quatre mecs très riches voulaient
un Picasso, c’était pas le meilleur Picasso mais ça a flambé à ce moment là. Les enchères
donnent un bon étalon pour fixer la valeur, mais des fois, un tableau ne va pas se vendre
alors qu’il est unique. Si tu fais la somme de toutes les ventes aux enchères ça donne une
valeur assez proche de la réalité. Mais des fois t’as des accidents. Quand je vais à Drouot,
j’y vais en étant prêt à acheter des choses pour 2 000 euros, et puis je me retrouve à les
payer 100 euros mais ça arrive dans les deux sens. C’est prévisible sans l’être. Tu peux
prévoir ce que ça vaut avant mais une fois sur dix, ça va pas coller aux prévisions. Par
exemple, tu avais quelqu’un qui tombe amoureux d’un tableau et qui est prêt à aller loin, et
du coup, là où tu avais un seul acheteur tu en a deux et les prix montent. »
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Annexe 10 : Retranscription de l’entretien avec Florencia Cairo
Florencia Cairo est une artiste peintre contemporaine argentine, elle expose dans de
nombreuses galeries d’art dans le Sud-Ouest, à Bordeaux et à Paris.
Entretien réalisé le 18 Juillet 2016 à la Galerie de Tanneries à Nérac lors du vernissage de
son exposition (47).
Site internet : http://florenciacairo.com/work-2/
Quelle est selon vous la vocation première d’une oeuvre artistique ?
« Selon moi, la toute première vocation est d'être le vecteur de communication de l'artiste.
D'une façon utopique, l'art sert à s’exprimer, mais dans un contexte économique l'art est
aussi un investissement comme un autre. »
Comment se fixe le prix de vente d’une oeuvre ?
« L'artiste a sa première idée du prix qu’il veut pour son œuvre, mais après sa cote est
déterminée par sa renommée, ou par son propre positionnement dans le marché, ou tout
simplement l'avis du galeriste qui le représente. »
Existe-t-il une une façon d’exprimer la valeur monétaire du « Beau » ?
« Non, pour moi il n’y en a pas. Tout est subjectif. Certains aiment mon travail, d’autres ne
l’aiment pas. Donc les goûts et les couleurs ne sont jamais les mêmes. Même le fait
d’essayer de définir le « Beau » est compliqué. Donc le prix d’une oeuvre dépend que ce
que voit ou ressent l’acheteur. »
Où sont exposées vos oeuvres ? Quels « points de vente » ?
« Mon principal point de vente actuellement. c’est mon atelier. Après, il y a la vente en
ligne par mon site et les retombées après chaque exposition. Jusqu'à présent j'ai constaté
qu’à chaque exposition, 30% de mes oeuvres, à peu près, se vendent pendant l'expo et 20%
de plus se vendent après à mon atelier. »
�106
Quelle est l’influence de la galerie sur la vente des tableaux ?
« La galerie à un listing de clients potentiels, intéressés par l'art et aussi les chercheurs
d'oeuvres d'art qui sont des clients de la galerie et qui confient au galeriste la recherche des
oeuvres qu’ils souhaitent acquérir. Donc pour un artiste, être représenté par une galerie va
l'assurer de vendre et lui donne aussi une visibilité plus importante. »
La galerie est-elle un passage obligé pour la reconnaissance du travail de l’artiste ?
« Dans certains cas oui, mais tout dépend aussi de la galerie qui le représente. »
Avez-vous déjà participé à des ventes aux enchères ou à des foires d’art en tant
qu’artiste représenté ou acheteur/curieux ?
« Non, je n’ai jamais eu l’occasion d’y assister ou même d’y participer. Ce sont vraiment
les artistes les plus connus, ou qui sont dans une galerie qui a des moyens importants, qui
peuvent y participer. »
Pensez-vous qu’il existe un phénomène spéculatif sur le marché de l’art ?
« Oui, c’est certain. Après je ne saurais pas expliquer comment le marché fonctionne et
tout ce qui se passe autour. »
Y-a-t’il des avantages/inconvénients de la prise de la sphère marchande dans le
monde de l’art ?
« Oui, mais c'est strictement en relation avec la vision première de l'artiste concernant son
œuvre et ce qu’il veut faire ou non de sa carrière. »
Que pensez-vous des records des ventes aux enchères ?
« Je trouve ça immoral. Ce n’est pas la vocation première de l’art et ça ne devrait pas l’être
non plus en tant qu’artiste. C’est sûr que les oeuvres d’arts ont un coût, il y a le travail
fourni, les matériaux, les frais et autres. Mais, après les prix aux enchères sont
complètement déconnectés du reste. »
�107
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Commission Européenne : www.europa.eu
The European Fine Art Fair (TEFAF) : www.tefaf.com/press/
Ministère de la Culture et de la Communication : www.culturecommunication.gouv.fr
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Table des matières Remerciements I Introduction 1
Première partie - La formation de la valeur marchande de l'oeuvre d’art : A l'intersection de la sphère artistique et de la sphère économique 7
I – De la création artistique à la valeur marchande : Un cheminement historique 7
1) La place de la convention artistique au sein du marché de l’art 8
2) La consécration de l'oeuvre d'art : Production artistique et dimension du sacré 11
3) Les classements et cotes : De la hiérarchisation artistique à la hiérarchisation économique 14
II – Les nouveaux critères d'évaluation de la qualité de l'oeuvre artistique 17
1) La valeur intrinsèque de l'oeuvre : Un critère révolu 17
2) Les nouvelles conventions du marché de l'art : Un ou des marchés de l'art ? 19
3) L'art contemporain : Un nouveau paradigme dans la formation du prix de l'oeuvre ? 21
III – Valeur esthétique, valeur symbolique et valeur économique : en tous points corrélées ? 26
1) L'existence d'une valeur monétaire du « Beau » ? 26
2) La subjectivité des critères d'évaluation de l'oeuvre d'art, une spécificité du marché de l'art 28
3) De création artistique à oeuvre d'art : La magie sociale, un marqueur de la valeur monétaire 30
Deuxième partie - Les instances de légitimation de l'oeuvre d'art : Un passage obligatoire vers la formation de la valeur marchande 32
I - L'artiste et le collectionneur : Des protagonistes aux extrémités du marché de l'art 32
1) L'achat de l'oeuvre par le collectionneur : « Une labellisation » de la qualité de l'artiste 33
2) Les motivations des collectionneurs comme marqueur subjectif de la valeur de l’oeuvre d'art 36
3) L'influence de l'artiste sur la valeur monétaire de sa production 39
II – Les intermédiaires du marché de l’art : Véritables artisans de la transformation des prix 42
1) Les galeries d’art, un passage nécessaire pour la reconnaissance du travail artistique 43
2) Les ventes aux enchères : Place centrale de la médiatisation de l’oeuvre dans un marché duopolistique 46
3) Le rôle majeur des foires d’art et des manifestations dans le marché de l'art 50
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III – Musées et pouvoirs publics : Des acteurs extérieurs à la sphère marchande qui participent néanmoins à légitimer le prix de l’oeuvre d'art 53
1) Le rôle de légitimation esthétique et symbolique de la valeur économique de l'oeuvre par les musées 54
2) Les musées face aux mutations du marché de l’art : Quels impacts sur la valeur marchande des œuvres ? 56
3) La nécessaire intervention des pouvoirs publics sur le marché de l'art pour assurer la pérennité de la production artistique 59
Troisième partie - Entre légitimation et spéculation : La détermination du prix de l'oeuvre artistique à l'épreuve des tendances récentes du marché de l'art 62
I – La théorie des réseaux : Vers la formation d'une valeur économique de l'oeuvre d’art 62
2) La transition de l'oeuvre par les réseaux de légitimation : L'accession à la reconnaissance artistique 65
3) L’importance du réseau : Fondateur du prix de l'oeuvre sur le marché 68
II – L'approche économique des acteurs sur le marché de l'art 72
1) L'art comme placement financier : Une rentabilité certaine ? 72
2) Les ventes aux enchères, vers toujours plus de records 75
3) L'existence d'une bulle spéculative au sein du marché de l'art ? 77
III – La production artistique face aux singularités du marché de l'art contemporain 80
1) Un art soluble dans la sphère marchande ? 80
2) L'apparition d'un nouveau genre de collectionneurs qui reconfigurent la production artistique 82
3) Marché de l'art ou l'art du marché ? 84
Conclusion 87
Sommaire des annexes 89
Annexes 90
Bibliographie 108
Sources 112
Table des matières 113
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