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RÉPERTOIRE SENSIBLE DE L’HOMME-ÉPONGE Pour une rematérialisation sensible Emma Bourgin DNSEP art 2012

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RÉPERTOIRE SENSIBLE DE L’HOMME-ÉPONGE

Pour une rematérialisation sensible

Emma BourginDNSEP art 2012

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RÉPERTOIRE SENSIBLE DE L’HOMME-ÉPONGEPour une rematérialisation sensible

Emma BourginDNSEP art 2012

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SUBLIMERALCHIMIE

«VOYANT»ENFANT

«RESPIRATEUR»ARTISTE

ART TOTALTRANSVERSAL

MARCHER

IMMÉDIATCOLLECTECOMBAT(CON)QUÊTE

REPORTER

RÉPERTOIRE SENSIBLE DE L’HOMME-ÉPONGE

VALEUR MATÉRIALITÉ

MÉTAMORPHOSE CHIMIEATELIER

LABORATOIRE

ENTROPIE

PROCESSUS EXPÉRIENCE

APPROPRIATIONIMPRÉGNATION

TEINDRE

JUTE

LAINEISOLANT

MOUSSETERRE

EAUHAPTIQUE

SYNESTHÉSIE«SENSIBILITÉ PICTURALE»

CORPSSENSSENSATION

permet de

monde sensible

métaphore

corps-réceptacle/capteur

Constellation/Rhizome«bazar organisé»

partir du concret !

constat dématérialisationAndré Gorz

révélés

éty : «ramasser en marchant»

attitude d’intermédiaire

p.9p.13p.15

p.16

p.19

p.20

p.36

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COMBAT(CON)QUÊTE

PASTEL

PIXELCIRE

RÉSINEMATIÈRE-COULEUR

LE BRUTLE (MOINDRE) GESTE

RÉVÉLATIONPESANTEURTENSION

ÉQUILIBRE COMPOSITIONPRÉCAIRE

SCULPTUREPEINTURE

RÉPERTOIRE SENSIBLE DE L’HOMME-ÉPONGE

MATÉRIALITÉ

MATÉRIAU

ENTROPIE

RHÉOLOGIEMÉSOMORPHE

MOU

TEMPSVIVANT

ACCIDENT

FORME MATIÈRE

HUILE

PIERRE

EAU

IKBIBB

IKBIBB

CIREHUILE

complexe absorbantphysique/concret

métaphore de l’homme

la sculpture vivante et évolutive

Bachelard

matériaux antagonistesnaturel/artificiel

p.9

p.18

p.21

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p.29

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RÉPERTOIRE SENSIBLE DE L’HOMME-ÉPONGE Pour une rematérialisation sensible

AVANT-PROPOS FORMEL

Ce mémoire est un répertoire. Un répertoire de matières, de couleurs, de « matières-couleurs ». Je ne suis pas une théoricienne.

Je ne veux pas figer mes mots à travers un plan fixe et raisonné. Mes mots doivent être matériaux, qui plus est, matériaux vivants et

sensibles. Au terme « sensible » j’entends qu’un mot doit être odorant, visible, haptique, sonore et goûteux.

C’est la matière qui impose la forme et non l’inverse. C’est pourquoi j’ai opté pour la forme du « rhizome » à celle de l’arborescence voire même du plan scolaire (I.1)2)3)II….), ces deux derniers sous entendant une hiérarchie. « … N’importe quel point du rhizome peut être connecté avec n’importe quel autre, et doit l’être. C’est très différent de l’arbre ou de la racine qui fixent un point, un ordre. »1. Chaque mot ou groupe de mots forme une entité autonome, une matière, un matériau qui vient alors se connecter à d’autres à certains moments. « … un livre n’a pas d’objet ni de sujet, il est fait de matières diversement formées, de dates et de vitesses très différentes. Dès qu’on attribue le livre à un sujet, on néglige ce travail des matières, et l’extériorité de leur relation. On fabrique un bon Dieu pour des mouvements géologiques. Dans un livre comme dans toute chose, il y a des lignes d’articulation ou de segmentation, des strates, des territorialités ; mais aussi des lignes de fuite, des mouvements de déterritorialisation et de destratification. »2

La lecture de ce texte est spatiale, plurale et dynamique chaque « mot-matière » pouvant conduire à un autre article. J’ai sélectionné des « mots lourds » autour desquels gravitent des mots plus « légers » et récurrents dans ma démarche. Ainsi le semblant d’ordre établi par les pages dans ce mémoire n’est que chaos organisé, constellation, il est purement aléatoire. Ma méthodologie plastique est devenue celle de mon écrit. Dans l’atelier je suis entourée de matériaux différents, de multiples échantillons de matière comme dans ma tête je suis entourée de quelques dizaines de mots de natures différentes : des mots lourds, des mots légers, des mots transparents, des mots colorés … Pas de hiérarchie dans les matériaux comme dans ces mots. Tout cela forme un tout, un tout expérimental qui m’environne et que je choisi de rendre cohérent quand bon me semble. Bien sûr, ce répertoire n’est pas LA solution, il est UNE solution parmi d’autres à la dématérialisation que nous sommes en train de vivre. Repenser, redécouper, remodeler, se réapproprier chacun de ces mots-matières. Les compresser dans des phrases qu’on appelle des « titres » ou « sous-titres » n’était pas mon intention

                                                                                                               1 Deleuze Gilles et Guattari Félix, Mille Plateaux, 1980, p.13 2 Ibid, pp.9-10  

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pour la simple et bonne raison que ceux-ci synthétisent excessivement le discours et empêchent la perception du fond.

J’ai pensé ce mémoire comme un accrochage, un accrochage de « mots-matières ».

Chaque «mot-matière» de ce répertoire est complété par une planche iconographique. Ces dernières figurent à partir de la page 41.

Toutes les images des pages 4 et 5 sont retrouvables dans les planches iconographiques sauf :1. Rachel Whiteread, Untitled (One Hundred Spaces), 1995, Résine (100 unités) Dimensions variables, Fondation Pinault, Palazzio Grassi, Venise2. Rachel Whiteread, Line Up, 2007-2008, plâtre, pigments, résine, bois et métal, (18 unités, une tablette), 17 x 90 x 25 cm, Galerie Nelson-Freeman, Paris3. Emma Bourgin, Courir, 2010, vidéo couleur sonore, 2:18 min4. Ulrich Rückriem, Untitled, 1988, syenite, au sculpturepark du KMM, Pays-Bas6. Oscar Tuazon, Plie-le jusqu’à ce qu’il casse, 2009, métal, bois, béton 12 m x 6 m x 4 m, Courtesy de l’artiste et Galerie Balice Hertling, Paris, vue de l’exposition Plie-le jusqu’à ce qu’il casse dans la nef du Ciap de Vassivière7. Giovanni Anselmo, Respiro, 1969, fer, éponge de mer, 2 éléments, 5 1/8 x 185 1/16 x 2 3/8 in. chacun, Castello di Rivoli Museum of Contemporary Art, prêt permanent, Fondazione CRT Project for Modern and Contemporary Art, 20038. Katinka Bock, Landschaft unter dem Tisch, 2009, bois, terre cuite, 70x70x60cm, vue de l’installation au Kunstverein de Nuremberg - Société Albrecht Durer 9. Richard Serra, Fulcrum, 1987, sculpture en acier de 16,8 m de haut spécifique en site commissionnée pour l’entrée occidentale à la station de rue de Liverpool dans le complexe de Broadgate10. Giovanni Anselmo, Mentre le pietre e i colori sono un peso vivo, 2010 (Pendant que les pierres et les couleurs sont un poids vif), 3 pierres en granit : balmoral (rose), labrador (bleu) et noir d’Afrique (gris), 200 x 3 x 140 cm chacun11. Katinka Bock, Stein unter der Tisch, 2009, bois, pierre, vue de l’exposition au musée De Vleeshal, Middelburg, Pays-Bas12. Emma Bourgin, Sans titre, 2010, huit panneaux de laine de chanvre sur tréteaux, 80 x 80 x 40 cm (tréteau) et 120 x 60 x 4 cm (panneau), ESAM13. Thea Djordjaze, Trying to balance on one hand, do not forget the center, 2010 acier, peinture, mousse, 139 X 110,5 X 40 cm, Galerie Sprüth Magers, Berlin14. Rachel Whiteread, Cairn, 2008, plâtre, pigments, résine et acier inoxydable (5 unités), Galerie Nelson-Freeman, Paris15. Jeff Koons, Tulipes (Tulips), 1995-2004, Acier inoxydable à haute teneur en chrome avec laque de couleur translucide, 203 x 460 x 520 cm, Version 4/5, Guggenheim Bilbao Museoa16. Oscar Tuazon, Niki Quester, 2009 plaque de marbre, chêne, 90 cm x 2 m x 10 cm (marbre)Courtesy de l’artiste, vue de l’œuvre dans le bois de sculptures du Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière17. Katinka Bock, Plier l’issue, 2008 argile blanche, 79 x 256 x 152 cm, Galerie Fernand Léger, CREDAC, Ivry-sur-Seine, 200818. Emma Bourgin, Radicale douceur, 2011, pierre de Caen, 64 x 30 x 28 cm, ESAM19. Rachel Whiteread, Pink 1, 2007-2008, plâtre, pigments, résine, acier inoxydable, bois et métal (5 unités, une tablette), Galerie Nelson-Freeman, Paris20. Rachel Whiteread, Sit, 2007-2008, plâtre, pigments and et acier (7 unités et une chaise), Galerie Nelson-Freeman, Paris21. Jérémy Laffon, Soap Wall (version 2), 2009, réalisation in situ, savons de marseille, fer, bois et masticCité scolaire Bellevue, durant une résidence au centre d’art le LAIT, Albi22. Ann Veronica Janssens, vue d’installation de LEE 121, 2005, Courtsey Galerie Micheline Szwajcer, Anvers, Copyright Biennales de Lyon 200523. Giuseppe Penone, Pommes de terre, 1977, bronze, Museo di Arte Contemporanea, Castello di Rivoli, Torino24. Rachel Whiteread, Untitled (Amber Bed), 1991, caoutchouc, 129,5 x 91,5 x 101,5 cm, Carré d’Art, Musée d’Art Contemporain, Nimes25. Giuseppe Penone, Cèdre de Versailles (Cedro di Versailles), bois, 600 x 170 cm, coll. particulière, 2002-2003

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INTRODUCTION

« Qu’est-ce-que la sensibilité ? C’est ce qui existe au-delà de notre être et qui pourtant nous appartient toujours. La Vie elle-même ne

nous appartient pas, c’est avec la sensibilité qui, elle, nous appartient que nous pouvons l’acheter. La sensibilité est la monnaie de l’univers, de la grande nature qui nous permet d’acheter la VIE à

l’état matière première ! L’imagination est le véhicule de la sensibilité ! Transportés par l’imagination, nous atteignons la Vie,

la vie elle-même qui est l’art absolu. »1

« C’est cette extraordinaire faculté de l’éponge de s’imprégner de quoique ce soit de fluidique qui m’a séduit. Grâce aux éponges,

matière sauvage vivante, j’allais pouvoir faire les portraits des lecteurs de mes monochromes qui, après avoir vu, après avoir voyagé dans le bleu de mes tableaux, en reviennent totalement imprégnés en

sensibilité comme des éponges. »2

Il y a maintenant deux ans, je finissais d’écrire L’Immatériel ou l’avènement de l’Homme-Éponge, un texte dans lequel je prônais une réappropriation du monde sensible par l’individu opérant sa métamorphose en Homme-Éponge. J’affirmais alors que l'homme devait utiliser sa sensibilité, c'est-à-dire son corps puis son esprit afin d'imprégner telle une éponge le monde qui l'entoure pour le repenser et se repenser. L’Homme-Éponge c’est cet idéal actif (j’absorbe et je recrache) auquel tout individu doit aspirer. L’art et l’artiste en deviennent alors l’intermédiaire. Ce répertoire sensible et dynamique de « mots-matière » constitue le métabolisme de cet Homme-Éponge. Pas d’ordre exhaustif, juste un point de départ : le constat d’une dématérialisation massive et d’une société de l’image omniprésentes aujourd’hui. Je propose alors un retour à la matérialisation dans l’art qui prend appui sur un certain nombre de « mots-matières » tels que LABORATOIRE, EXPÉRIENCE, « REPORTER », CONQUÊTE, MATÉRIAU, LE (MOINDRE) GESTE …

                                                                                                               1 Klein Yves, Le dépassement de la problématique de l’art et autres écrits, 2003, p.103 2 Ibid., p.54  

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MATÉRIALITÉ & VALEUR « le prix de sang bleu ne peut en aucun cas être l’argent. Il faut que

ce soit de l’or. »1

Au thème large qu’était celui de l'argent imposé lors de l’atelier transversal durant de ma deuxième année au Mans, j'avais choisi de répondre en m'interrogeant d'abord sur sa valeur actuelle, sur ce qu'elle représente aujourd'hui. A quoi s'applique l'argent aujourd'hui ? Alors qu'au départ il est un simple moyen permettant facilement l'échange de marchandises diverses et variées, il est devenu une fin en soi car la notion même de marchandise a changé. Elle qui à l'origine était bien concret, pondéré, matériel, fruit du travail humain elle est, à l'heure d'aujourd'hui et ce depuis une dizaine d'années, abstraite, immatérielle. Notre monde vit actuellement une véritable « crise de la valeur » dénoncée par André Gorz dans L'immatériel, connaissance, valeur et capital (2003) qui a pour responsable l'Immatériel. Crise face à laquelle l'homme doit s'adapter car il en est non seulement coupable mais aussi principale victime puisqu'elle touche aussi bien son économie, sa culture que sa société et son humanité.

La mondialisation actuelle nous fait vivre deux crises : « la crise du concept de valeur » 2 et celle du concept de « réalité ». En terme de valeur dans un premier temps, celle-ci ne se mesure plus en terme de production matérielle. En effet, lorsque vous achetez un ordinateur, ce n’est pas le coût de ses composants matériels (écran, circuit imprimé …) qui est cher mais les informations qu’il contient c’est-à-dire ses données numériques. Il en est de même avec les logiciels : « leur élaboration et leur transcription en langage numérique ont un coût souvent élevé, mais les logiciels peuvent être reproduits en un nombre pratiquement illimité à un coût négligeable »3. Dans le domaine artistique, Yves Klein et son IKB breveté en 1960 témoignent également de ce changement. Ce n’est pas l’IKB concret qui vaut cher mais sa formule « copyrightée ». La question du prix de ces productions immatérielles est depuis lors remis en question. Économiquement parlant, l’argent n’est plus suffisant pour estimer la valeur de la production immatérielle. Là où l’on pouvait encore facilement estimer la valeur d’une baguette de pain (selon le temps passé à la faire, le prix des ingrédients, des ustensiles …), il en va

                                                                                                               1 Klein Yves, Le dépassement de la problématique de l’art et autres écrits, 2003, p.122 2 Gorz André, L’immatériel, connaissance, valeur et capital, 2003, p.33 3 Ibid., p.44  

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autrement avec le prix d’un logiciel informatique : tous les CD-rom sont mêmes matériellement parlant mais seul leur contenu diffère. Quelle valeur donner à ce contenu puisqu’il n’est pas « utile » au sens strict du terme c’est-à-dire celui de répondre à un besoin ? Gorz propose « une monnaie de consommation spécifique, différente de l’argent qui actuellement remplit quatre fonctions très différentes, créée et distribuée selon des critère politiques non inflationniste par sa nature (péremption courte, circulation limitée), peut éviter l’implosion d’un système qui produit de plus en plus de marchandises en distribuant de moins en moins de moyens de paiement »1.

Par conséquent la valeur économique (donc d’échange) qu’incarne l’argent (il est « unité abstraite » permettant de fonder le rapport d’équivalence entre deux marchandises) montre qu’il n’est pas adapté à ce nouveau « capital immatériel » car c’est une toute autre valeur qui la domine. Comme pour l’art, la valeur de la production immatérielle se veut entièrement symbolique. Ce n’est pas la valeur du produit en lui-même que vous achetez comme c’est le cas de l’IKB de Klein mais sa marque, ce qu’elle symbolise, le monopole qu’elle impose dans le monde (« une valeur symbolique qui l’emporte sur sa valeur utilitaire et d’échange » 2 ). De même que lorsqu’un adolescent achète une paire de baskets Nike, c’est l’image que la marque véhicule qui motive son achat. Les chaussures en elles-mêmes ont été fabriquées en Chine pour l’équivalent de 5€. Il en va de même avec le marché de l’art et notamment celui de l’art contemporain. Prenons l’exemple de Lawrence Weiner et de ses Statements : ces œuvres consistent en de simples phrases. Par conséquent, quand vous achetez un Statement vous achetez une phrase. Où est passée la matérialité du Picasso à 25 000 000$ ?

Ainsi nous sommes en train d’assister à une véritable mutation de la notion de valeur opérant la transition de la valeur économique (d’échange) à la valeur symbolique due elle-même à une transformation de la production immatérielle. Une valeur qui ne peut être représentée précisément par l’argent matériel, une valeur elle aussi immatérielle. La crise du concept de « réalité » est aussi une grave conséquence de la dématérialisation. D’abord, l’immatériel métamorphose nos désirs en besoins. Le « capital immatériel » crée en nous de nouveaux désirs qu’il fait apparaître à nos yeux comme des besoins. Gorz parle de la transformation de l’ « acheteur » en « consommateur », nouvelle espèce d’acheteurs qui « n’ont pas besoin de ce qu’ils désirent et ne désirent pas ce dont ils ont besoin » 3 . Afin d’illustrer son propos, il prend l’exemple de la cigarette et son

                                                                                                               1 Ibid., p.56 2 Ibid., p.63 3 Ibid., p.64  

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rapport avec l’émancipation de la femme. C’est en mettant en exergue le symbole phallique qu’elle représente qu’on a mis dans la tête des femmes qu’en fumant elles s’émancipent de la « domination masculine ». Pourtant, a-t-on réellement besoin d’acheter des cigarettes pour montrer son indépendance ? Quelle est cette réalité marchande que l’on cherche à nous imposer ? Et d’abord, est-ce la réalité ? Cette réalité ne nous appartient pas, nous ne la maitrisons pas, comment faire en sorte qu’elle devienne la réalité ?

En transformant nos désirs en besoins, l’immatériel nous prescrit sa réalité.

La « socialisation antisociale » 1 est l’un des effets les plus pervers de la crise du concept de « réalité ». En faisant mine de s’intéresser à chaque individu dans son « innermost self » (son « moi le plus intime »), les marques et leurs publicités les divisent pour mieux les rassembler par la suite. La marque fait croire qu’elle personnalise ses produit selon les individus alors qu’en fait elle ne cesse de standardiser en créant et produisant des millions de fois le même. Elle ne s’adapte pas aux goûts mais impose les siens. La marque étiquette ses produits et les gens qui les achètent. L’individu n’est pas maître de cette réalité, elle ne lui correspond pas puisqu’il ne l’a pas créée. L’immatériel est créateur de « réalité virtuelle ». L’économie n’a jamais autant fait appel à la capacité de projection dans le futur de l’homme que depuis cette apogée de l’immatériel. Qu’est-ce-que la bourse ? C’est une « institution privée ou publique qui permet de réaliser des échanges de biens ou d’actifs standardisés et ainsi d’en fixer les prix »2. Seulement, ces « biens » ne sont pas encore réalisés. Les actionnaires spéculent, prévoient, fixent des prix, des valeurs sur des choses « virtuelles ». Gorz parle d’ « argent fictif » 3 . Le problème de ce dernier est que l’homme est incapable de le contrôler ce qui donne naissance à des scandales tels que l’affaire du trader français Jérôme Kerviel en 2008 qui fait perdre 5 milliards d’euros à la Société Générale. L’immatériel instaure ainsi une véritable « réalité virtuelle » par le biais de ces « capitaux fictifs » mettant, par conséquent, de plus en plus l’individu dans une situation d’impuissance face au pouvoir de l’argent en général et de son propre argent. Cette réalité construite par le capitalisme actuel détache donc l’homme de son argent mais aussi de sa production.

L’immatériel devient alors générateur de « réalité impalpable ». D’un point de vue économique comme d’un point de vue artistique, la réalité sensible disparaît derrière l’immatériel. C’était déjà le cas en 1867 quand Marx décrit le phénomène d’aliénation au travail dans Le                                                                                                                1 Ibid., p.67 2 http://fr.wikipedia.org/wiki/Bourse_(économie) 3 Gorz André, Op.cit., p.55  

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Capital. De fait, il existe un véritable détachement matériel de la part de l'ouvrier depuis l'essor de l'entreprise. Ce qu'il produit ne lui appartient pas à lui mais au « capital » de l'entreprise qui le dirige. De même qu'à force de produire en série sans cesse des objets identiques son cerveau aussi se détache de son action sur le produit. Il n'apporte pas sa patte personnelle à l'objet. Par conséquent, l'homme-ouvrier est aussi aliénable que la marchandise qu'il produit. Son esprit est totalement indépendant de sa main qui façonne. Donc la production industrielle dite « à la chaîne » ne permet pas d'établir le lien entre corps et esprit séparant ainsi ce dernier de la « réalité sensible ». Néanmoins ce détachement peut aussi être « partiel » ou plutôt en deux temps. C'est cela qui m'intéresse chez Yves Klein : « j'avais refusé le pinceau, trop psychologique, pour peindre avec le rouleau, plus anonyme, et ainsi tâcher de créer une distance, tout au moins intellectuelle, constante, entre la toile et moi pendant l'exécution ... » 1 . En fait ce dernier choisit de s'extraire intellectuellement, ôter toute subjectivité qu’induit l’utilisation du pinceau pendant la réalisation de son travail afin de permettre à la « sensibilité picturale » d'entrer en action autrement dit de le dégager de toute activité mentale, subjective, perceptive dans un premier temps dans le but de le faire ressentir à tous ses sens dans un second temps. Par conséquent, l'artiste utilise ce détachement à la fois matériel, mental et formel, cet immatériel, d'abord, afin qu'il permette, par la suite, l'avènement de la sensibilité propre à chaque individu. Klein n'est en fait que l'un des multiples précurseurs de l'art immatériel. L'artiste n'est plus forcément homo faber. L'art tend de plus en plus à se dématérialiser, devient minimal et cela ne veut pas dire pour autant qu'il fait de moins en moins intervenir notre sensibilité au contraire il la capte et, elle, elle l'absorbe. C’est vers cela que nous devrions aller. Après tout l'art est un moyen de repenser le monde et le rapport que nous entretenons avec lui. Les artistes seraient alors les prophètes guidant vers une parfaite symbiose entre l'univers et ses êtres.

L’immatériel donne ainsi naissance à une réalité de moins en moins évidente puisqu’impalpable détachant physiquement l’homme de sa production qu’elle soit aussi bien économique qu’artistique même si cette dernière tend de plus en plus à les rassembler. En conséquence, l’immatériel redéfinit la notion de « réalité » sur les plans humain, social, économique et artistique puisqu’il a tendance à leur imposer la sienne c’est-à-dire une réalité faisant oublier à l’homme qu’il a un corps, rendant toute « socialisation antisociale », créant une « économie fictive » ainsi qu’une production impalpable.

Donc cet essor de l’immatériel ne cesse de transformer le monde qui nous entoure, sa valeur, sa réalité lui imposant les siennes à

                                                                                                               1 Klein Yves, Le vrai devient réalité, 1960

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savoir une valeur symbolique et une réalité paradoxale séparant l’individu de sa nature, de son environnement sensible. Néanmoins je veux croire en la capacité de l’homme à agir avec ce nouveau phénomène, à l’utiliser dans le but d’une harmonie avec le monde sensible. Je pense que l’immatériel ne doit pas être une barrière au développement de l’homme, il se doit d’y participer. L’art en a ouvert la voie, à chacun de poursuivre sa quête du monde, à chacun de devenir « Homme-Éponge ».

ARTISTE, « VOYANT », ENFANT

« De là le rapprochement de l’homme aujourd’hui avec l’artiste. En effet ce dernier est celui qui sublime, qui adapte la réalité à ses

désirs grâce à sa création. Il travaille pour sa propre vie, agit sur le monde en interrogeant ses habitants à son propos. Quelque part il œuvre pour l’humanité et c’est en cela que l’on peut dire qu’artiste

n’est pas un emploi comme un autre voire un emploi tout court. »1

« Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. »2. Quand Rimbaud écrit cette phrase en 1871, il parle du poète. Néanmoins je pense que cela s’adresse également à l’artiste. Ce dernier est un « poète plasticien », un « poète matériel ». L’artiste doit (s’) oublier le temps d’écouter le monde sensible. Il doit redevenir enfant, « L’enfant [qui] voit tout en

nouveauté ; [qui] est toujours ivre. » 3 . L’enfant voit les choses matériellement, il n’est pas corrompu par le langage. Quoiqu’on y fasse le langage est limité. Certains comme l’écrivain polonais Witold Gombrowicz ont déjà abandonné l’illusion d’un langage spontané « … je ne crois à aucun langage spontané et naturel de l’homme, je crois que l’homme est toujours déformé, que toute forme est limitation et mensonge. Il peut (l’homme) comprendre que ce qu’il dit ne l’exprime pas entièrement et prendre ses distances envers la Forme (et la

                                                                                                               1 Bourgin Emma, L’Immatériel ou l’avènement de « l’Homme – Éponge », 2009

2 Lettre dite du « voyant », Arthur Rimbaud, 1871 3 Œuvres complètes de Charles Baudelaire, Charles Baudelaire, Calmann Lévy, 1885 (III. L’Art romantique, pp. 58-67)  

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MATÉRIALITÉ/VALEUR -> PLANCHE 11. Best Global Brands 20102. Bourse de Washington3. Yves Klein, Cession d’une Zone de sensibilité picturale immatérielle à Michael Blankfort, 10.02.19624. Yves Klein, Reçu (n°2) de l’une des Cessions de Zone de sensibilité picturale immatérielle 5. Emma Bourgin, Puce, 2009, plâtre, polystyrène, peinture, ESBAM6. Capture d’écran depuis le site de Christie’s7. Lawrence Weiner, In relation with to three colors : Red, White, Blue, 2003, Galerie Yvon Lambert8. Yves Klein, Cession d’une Zone de sensibilité picturale immatérielle à Dino Buzatti, 26.01.1962

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