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NOTRE ENGAGEMENT POUR LA TERRE LA 21E CONFÉRENCE SUR LE CLIMAT (COP21) PMB 736 B E L G I Q U E (!4BD64F-daaafg!:O;m w w w . p a r i s m a t c h . c o m BEL ans la résidence Santa Marta, le 9 octobre.

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Numéro Vert 2015

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NOTRE ENGAGEMENTPOUR LA TERRE

LA 21E CONFÉRENCE SUR LE CLIMAT (COP21)

PMB

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BEL

ans la résidence Santa Marta, le 9 octobre.

La 21e conférence sur le climat (COP21), qui se tiendra à Paris en décembre, porte dans son intitulé son impuissance. Cela fait vingt ans que l’on parle de changement climatique mais les gaz à effet de serre continuent de se répandre en masse dans l’atmosphère. Nous ne parvenons pas à stabiliser nos émissions de gaz carbonique. A ce rythme, l’humanité est résolument engagée sur une trajectoire de réchauffement de 3 à 5 °C, avec des conséquences que plus personne ne nie mais dont on sous-estime encore la gravité.

On aurait beau jeu d’ironiser sur le spectacle politico-médiatique d’un nouveau sommet géant où chacun des 195 Etats souverains, parlant en son nom, tentera à coup sûr d’éviter ses responsabilités sur le climat et d’en faire le moins possible. « Ne lâche sur rien à moins que les autres ne donnent quelque chose », ordonneront les pays à leur négociateur. Aujourd’hui, tout le monde se proclame écolo, mais personne ne parle au nom de la planète. Pourtant, l’urgence est bien réelle.

A huit mois de cette réunion cruciale, Paris Match, à travers « L’appel de la Terre », s’engage pour mobiliser citoyens et dirigeants en vue de ce rendez-vous que Nicolas Hulot, « envoyé spécial de François Hollande pour la protection de la planète », qualifie de « moment de vérité pour l’humanité ». L’appel de la Terre, c’est le cri que nous lance notre planète fragile. Nous l’illustrerons chaque mois par une série de grands dossiers thématiques et des reportages dans les rubriques du magazine et sur notre site Internet. Du réchauffement climatique à la déforestation, la désertification, la biodiversité, aujourd’hui tous les sujets sont liés à l’impact de l’homme. Il ne s’agit pas de dresser un constat apocalyptique mais de montrer qu’il existe à la fois des dangers mais aussi des solutions qui ne demandent qu’à être appliquées. L’appel de la Terre, c’est également le signal que nous voulons envoyer en direction des dirigeants, ministres, chefs d’Etat ou de gouvernement, afin de les convaincre de ne pas manquer leur rendez-vous avec l’Histoire. Nous les interpellerons avec notre opération « Ma Terre en photos », les milliers de témoignages photographiques feront notre livre blanc. L’échec de la conférence de Copenhague de 2009 est encore dans tous les esprits. Ils n’avaient pas su, alors, oublier leur carcan national pour préserver l’avenir. « Au bout du compte, les lois de l’écologie finiront par l’emporter », me confiait récemment Paul Watson, le capitaine justicier de Sea Shepherd, parti en guerre contre la surpêche délirante dans les océans. « Si l’homme ne fait rien, la nature s’en chargera et ce sera beaucoup plus douloureux. » A condition d’agir maintenant. ■

A nos lecteursPAR OLIVIER ROYANTDIRECTEUR DE LA RÉDACTION

Notre engagement pour la Terre

Le 18 mars 2015 Paris, capitale mondiale de la pollution.

EN DÉCEMBRE, LA FRANCE ORGANISE LA CONFÉRENCE PARIS CLIMAT 2015.

CHAQUE MOIS, PARIS MATCH VA ACCOMPAGNER CETTE MOBILISATION MONDIALE DE LA DERNIÈRE CHANCE

P H O T O H U B E R T F A N T H O M M E

«�TOUT EST BIEN SORTANT DES MAINS DE

LA NATURE, TOUT DÉGÉNÈRE DANS LES MAINS

DE L’HOMME�»

ROUSSEAU

Au pied de la tour Eiffel, on tousse�; ailleurs, on risque sa vie. Pollution et changement climatique ne sont plus des problèmes de demain. Ici et maintenant, il faut déjà faire face. La révolution industrielle du XIXe�siècle a transformé notre monde pour le meilleur mais aussi pour le pire. Le compte à rebours a com-mencé. Pourtant le temps de l’action tarde à venir. Les 196 pays qui se réuniront à Paris sont désormais tous d’accord sur le constat. Mais les solutions ont un prix que tous ne sont pas encore prêts à payer.

EN DANGERLA PLANÈTE

Des poumons…malades. Nécrosés par le défrichement, tailladés par les routes qui emportent les arbres et, avec eux, la bonne santé de la Terre. Les forêts absorbent près de la moitié des dioxydes de carbone émis par les activités humaines. Or chaque année, entre 13 et 15 millions d’hectares, soit un quart de la superficie de la France, disparaissent. En cause, l’expansion agricole, l’exploitation des mines, des hydrocarbures ou celle du bois. En Amazonie, la forêt cède la place aux champs de soja, destiné au bétail, ou de canne à sucre, pour la production de biocarburant… L’exploitation de l’huile de palme, la plus consommée au monde, fait de l’Indonésie la championne de la déforestation avec le Brésil. Les arbres sont les gardiens de la vie�: 50�% des espèces végétales et animales se trouvent dans les forêts tropicales dont la moitié a déjà disparu.

LA FOLIE DU PROFIT ÉCORCHE LES FORÊTS ET LES VIDE DE LEUR CHAIR

Vue aérienne des montagnes, jadis entièrement boisées, de la province de Jambi, à Sumatra.

La déforestation dans le monde est responsable de 20�% des émissions annuelles de gaz à effet de serre.

P H O T O R O M E O G A C A D

27000ESPÈCES ANIMALES

OU VÉGÉTALES DISPARAISSENT CHAQUE

ANNÉE À CAUSE DE LA DÉFORESTATION

LA SUR- POPULATION DES MÉGALO-POLES NOUS CONDUIT DROIT DANS LE MURPleins phares sur la population mondiale. En 2100, elle devrait se stabiliser autour de 10 milliards d’habitants. C’est dix fois plus qu’en 1800. Un changement d’échelle, moindre cependant que celui appréhendé il y a cinquante ans. On parlait alors de «�bombe P�» (pour population). Dans l’intervalle, tous les continents, hors l’Afrique, ont fait leur transition démographique. Mais pas écologique. Plus d’un terrien sur deux est aujourd’hui citadin. En 2050, ils seront deux sur trois, la plupart dans des agglomérations tentaculaires. «�Le XXIe siècle est le siècle des villes�», affirme l’Onu. Ces mégalopoles, qui ne couvrent que 2�% de la surface du globe, consomment les trois quarts de l’énergie produite par la planète et émettent 80�% du CO

2

d’origine humaine. L’urbanisation bouleverse les équilibres. La nouvelle frontière à conquérir sera celle de la croissance propre.

«�PENDANT QUE NOUS PARLONS, LES VOITURES À BOSTON ET LES USINES

À PÉKIN CONTINUENT DE FAIRE FONDRE L’ARCTIQUE, D’ENTAMER

LES CÔTES ATLANTIQUES ET DE PROVOQUER LA SÉCHERESSE

DU KANSAS AU KENYA�»

BARACK OBAMA

Fut un temps où les Pékinois se déplaçaient à vélo... En 2009, la Chine est devenue le premier marché automobile

mondial, devant les Etats-Unis. Le modèle du «�tout-voiture�» s’impose dans les pays émergents.

P H O T O Z H A N G W E I

Un seul puits à la ronde. Sous un soleil de plomb, ces Indiens doivent chaque jour parcourir des dizaines de kilomètres pour se procurer cette molécule toute simple mais cruciale�: H

2O. Sans elle, la

planète Terre ne serait qu’un vaste désert. Même les zones arrosées peuvent souffrir de pénurie. Elles ont de l’eau, oui, mais polluée de déjections, un vrai bouillon de culture. Un tiers de la population mondiale est concerné. Sans oublier la question de «�l’assainissement�», dont l’absence cause des ravages. Rien qu’en Inde, la moitié du pays n’a pas accès à des toilettes. La France, elle, souffre de la concentration croissante en pesticides. L’eau potable étant de plus en plus compliquée à obtenir, son prix ne cesse d’augmenter.

Le Gujarat, dans le nord-ouest de l’Inde. Cette région semi-aride est particulièrement vulnérable aux variations climatiques.

LA QUÊTE DE L’EAU, SOURCE DE VIE, SERA DEMAIN LE GRAND DÉFI UNIVERSEL

P H O T O D A V E A M I T

748 MILLIONS

DE PERSONNES N’ONT PAS ACCÈS À L’EAU POTABLE

Agglutinés sur un glaçon, ces morses sont déjà des réfugiés climatiques. En Arctique, la banquise estivale ne cesse de s’amenuiser, perdant 12�% de sa surface chaque décennie. Une catastrophe pour les mammifères marins dont c’est l’habitat de toute éternité. Les animaux ne sont pas seuls concernés. La diminution de cette surface blanche, très réfléchissante, entraîne une absorption accrue des rayons solaires. D’où toujours plus de chaleur dans l’atmosphère. A la fonte de cette eau de mer congelée en surface s’ajoute celle des glaciers du Groenland et de l’Antarctique. En larguant toujours plus d’icebergs, ils font monter le niveau des océans, au risque d’engloutir Manhattan, les Maldives et le Bangladesh. De l’hémisphère Nord à l’hémisphère Sud, la planète perd la tête en perdant ses glaces.

LE RÉCHAUF-FEMENT CLIMATIQUE RÉDUIT LES ESPÈCES COMME PEAU DE CHAGRIN

2050 DISPARITION PROBABLE DE LA BANQUISE EN ÉTÉ

DANS L’�ARCTIQUE

AVANT

Une colonie de morses en été, entre les mers des Tchouktches et de

Beaufort, au large de l’Alaska.

P H O T O S T E V E N J . K A Z L O W S K I

«�NOUS SOMMES À LA CROISÉE DES CHEMINS. UN PAS NOUS MÈNE

À UN ACCORD FONDAMENTAL SUR LE CHANGEMENT CLIMATIQUE,

L’AUTRE AU NÉANT�»

BAN KI-MOON

82 PARIS MATCH DU 16 AU 22 AVRIL 2015

NICOLAS HULOT«�LA CONFÉRENCE DE

PARIS SERA L’HEURE DE VÉRITÉ POUR L’HUMANITÉ�»I N T E R V I E W M A R I A N A G R É P I N E T

Paris Match. L’année 2014 fut la plus chaude depuis le début des relevés de température, en 1870. Qu’est-ce que cela signifie�?

Nicolas Hulot. Les modèles de pré-vision accumulés depuis vingt ans sont devenus réalité. De combien la tempé-rature va-t-elle encore augmenter ? On n’en sait rien pour l’instant. L’objectif de la conférence de Paris, c’est de limiter les élévations de température de 2 °C d’ici à la fin du siècle. Si nous passons au-dessus,

nous entrerons dans un schéma irréversible. Je ne force pas le trait. Cette cible est une injonction de la science.Les phénomènes climatiques extrêmes – pluies torrentielles, typhons, sécheresses, canicules, incendies – touchent des zones très localisées. En quoi affectent-ils l’équilibre mondial�?

Chaque année, 24 millions de personnes fuient leur territoire, leur culture, leur habitat car ils ont été dévastés.

Dans un monde organisé où chacun raisonne en fonction de ses intérêts nationaux, ces déplacements massifs ne sont pas un facteur de paix. Les réfugiés climatiques sont trois fois plus nombreux que les réfugiés de guerre. D’après les Nations unies, la désertifica-tion accrue aura, en soixante ans, avec son lot de tragédies, porté entre 200 et 220 millions de personnes aux portes de l’Europe. Les militaires sont nos prin-cipaux alliés. Aux Etats-Unis, c’est au Pentagone que j’ai rencontré les gens les plus alarmistes. Ils savent, par exemple, que le conflit syrien est en grande partie dû à la désertification qui a fait baisser de 80 % les rendements agricoles et entraîné 1 million de déplacés.Combien coûtent les catastrophes climatiques�?

Plus de 450 milliards de dollars par an. Nos sociétés sont schizophrènes. Car, en parallèle, la communauté internatio-nale accorde 650 milliards de dollars de subventions par an aux énergies fossiles. Soit 1 100 milliards pour rien. Et si nous mettions la moitié de cette somme pour aider les pays du Sud à se développer avec de l’énergie propre ?Le Giec a rendu son premier rapport en 1990. Puis il y a eu des dizaines de sommets internationaux depuis celui de Rio en 1992 et, pourtant, rien ne change. Pourquoi�?

Rien ne change, sauf qu’aucun des 195 Etats de la planète ne conteste plus la responsabilité des activités humaines dans les émissions de dioxyde de carbone. Après, chacun essaie de se dédouaner et d’en faire le moins possible. L’Inde et l’Afrique réclament le droit au développement. Isolés, ces arguments

peuvent être légitimes, mais ils sont irrecevables collective-ment. Les pays du Nord doivent en faire davantage car ils ont plus de responsabilités et plus de moyens. Mais les pays émer-gents doivent aussi prendre leur part. Qu’une négociation à 195 sur un sujet aussi important prenne du temps, c’est normal. La conférence de Paris sera l’heure de vérité pour l’humanité.Même la Chine et les Etats-Unis, longtemps réticents, commencent à bouger sur les questions climatiques…

Et cela donne un peu d’espoir. A Copenhague, en 2009, les Chinois étaient venus sous la pression internationale, mais le changement climatique n’était pas leur priorité. Ça l’est devenu car ce pays est très affecté par la pollution atmosphérique qui, selon l’OMS, tue 7 millions de personnes par an dans le monde, soit trois fois plus que le tabac. Les autorités ont fait de la lutte contre la pollution leur priorité. Aux Etats-Unis, les choses évo-luent aussi. Je ne peux pas imaginer que le président Obama puisse laisser l’histoire s’écrire sans lui.Comment convaincre les pays qui revendiquent le droit au développement�?

Il faut leur permettre d’accéder à bas coût aux technolo-gies propres et les aider à s’adapter. Or, les promesses d’aides

faites depuis Copenhague n’ont pas été honorées. Ils ne nous croient plus. En novembre 2014, 21 pays se sont engagés à verser 10 milliards d’euros. Sur le papier, les fonds sont là. Mais est-ce bien de l’ar-gent additionnel par rapport à l’aide au développement ? L’objectif consiste à parvenir à 100 milliards de dons par an à partir de 2010. En 2008, le FMI s’est mobilisé pour sauver des Etats et des banques, de la monnaie a été créée. Et pour la planète, on ne serait pas capable de faire la même chose ?

Au niveau mondial, manque-t-il une instance internationale chargée de protéger la planète�?

C’est une évidence. Un échec à Paris sonnerait le glas de tous ces processus lourds et compliqués. On aurait dû créer depuis longtemps une organisation des Nations unies pour l’en-vironnement. Jacques Chirac l’avait proposé en 2007. Il faut soustraire les biens communs à la spéculation individuelle et les placer sous une autorité mondiale qui en assure la gestion et la pérennité. Les institutions d’aujourd’hui ne sont pas adap-tées aux enjeux universels et de long terme. ■

HULOT EN CAMPAGNE POUR LE CLIMATPour donner un coup de pouce à des solutions innovantes, la Fondation Nicolas Hulot invite les internautes à choisir dix projets parmi les 100 initiatives portées par des PME, des collectivités et des associations autour de l’énergie, des transports, de l’alimentation, de l’habitat, etc. www.mypositiveimpact.org.

«�LES MILITAIRES SONT NOS PRINCIPAUX ALLIÉS.

AUX ETATS-UNIS, LES PLUS ALARMISTES SONT AU

PENTAGONE�»

NICOLAS HULOT

La Bretagne face au

changement climatique.

par i smatch .com83

MONTÉE DU NIVEAU DES OCÉANS: LE SCÉNARIO CATASTROPHE 84 mètres d’élévation du niveau de la mer ! La Bretagne s’est transformée en île, la Camargue a disparu. Mais il faudrait que la glace des pôles ait entièrement fondu...

84 PARIS MATCH DU 16 AU 22 AVRIL 2015

0,77 TERRE1961

1,54 TERRE2011

e 18 août 2014. On aimerait pouvoir dire que cette date marque un tournant dans l’histoire de l’humanité, mais ce n’est sans doute pas le cas. Pourtant, à ce moment de l’année dernière, nous avions épuisé le budget écologique annuel de la pla-nète. En clair, en huit mois, 7 milliards d’êtres humains étaient venus à bout des ressources naturelles que la Terre met un an entier à renouveler, et avaient émis plus de CO

2 qu’elle n’en peut absorber dans le même temps. A ce stade, dans une

quasi-insouciance, nous avions consommé nos réserves de manière irréversible. La date est édifiante. Après elle, nous avons commencé à vivre au-dessus de nos

moyens écologiques. C’est un fait inexorable.Actuellement, la demande de l’humanité en ressources et services naturels exige

déjà, pour être satisfaite, une fois et demie la capacité de la Terre. A ce rythme, ce seront deux planètes qu’il nous faudra en 2050. Un endettement environnemental sidérant, quand on sait que certains pays vont jusqu’à consommer sept fois plus qu’ils ne produisent écologiquement. ■ Romain Clergeat

ENVIRON

DE FORÊTS A DISPARU DEPUIS 1800C’EST L’ÉQUIVALENT DE LA SUPERFICIE DE LA CHINE

1 MILLIARD D’HECTARES

IL FAUT PLUS

D’UNE TERRE ET DEMI

LE JOUR OÙ L’HUMANITÉCOMMENCE À

DÉPASSER LES RESSOURCES

DE LA TERRE SURVIENT CHAQUE ANNÉE

DE PLUS EN PLUS TÔT

POUR MAINTENIR NOTRE RYTHME DE CONSOMMATION

DES RESSOURCES NATURELLES

C’est en 1971 que l’humanité a commencé à excéder les capacités

d’une seule planète.

Aujourd’hui, les forêts couvrent plus de 4 milliards d’hectares, soit 1/3 des terres émergées.

LA PLANÈTE VIT AU-DESSUS DE SES MOYENS ÉCOLOGIQUES

par i smatch .com85

+40�%*

uand, en 2012, une vingtaine de chercheurs publient dans la revue « Nature » une étude sur l’état de la biosphère terrestre, ils ne

sont pas inquiets… C’est pire : « Au vu de nos propres résultats, nous sommes terrifiés ! » disent-ils. Ils ont analysé les boule-versements biologiques intervenus lors des grandes crises planétaires, notamment ceux qui ont abouti à la disparition

de tant d’espèces dont la plus célèbre, les dinosaures, il y a soixante-cinq millions d’années, et ils ont constaté que « ces tran-

sitions avaient coïncidé avec des contraintes ayant modifié l’atmo-sphère, les océans et le climat à l’échelle mondiale ». Or, un phénomène similaire est en train de se produire. Ici et maintenant. Plus inquiétant, il pourrait survenir à une vitesse jamais connue jusque-là.

« Le dernier bouleversement planétaire a eu besoin de mille ans pour faire apparaître des changements biologiques extrêmes », précise Arne Moers, l’un des auteurs, professeur de biodiversité à l’université de Vancouver. « A l’échelle géolo-gique, c’est comme passer du stade de l’enfance à l’âge adulte en moins d’une année. Or, ce qui se produit aujourd’hui va encore plus vite. » Cela ne fait désormais aucun doute : l’homme est une force géologique. Il transforme le système terrestre et fait entrer le monde dans une nouvelle ère, « l’anthropocène », l’ère de l’homme. Elle a commencé avec les terres fertiles et labourées du néolithique, il y a dix mille ans, et pourrait s’achever bien plus rapidement avec les sols arides, voire lunaires, du chan-gement climatique. L’impact de l’homme sur le globe est proche de l’insupportable.

Les causes sont connues : industrialisation, émission de gaz à effet de serre, frag-mentation des habitats naturels, explosion démographique. Les espèces disparaissent à un rythme foudroyant. Une extinction toutes les vingt minutes quand, en cinq cents millions d’années, il n’y en a eu en moyenne qu’une par million d’années ! Mais le plus grave reste la consommation à outrance de nos ressources : 43 % des écosystèmes de la Terre sont utilisés pour subvenir aux besoins de 7 milliards d’ha-bitants (10 milliards en 2050 selon l’Institut national d’études démographiques). Or, le point de non-retour sera atteint à 50 %. Au-delà, nous entrons dans la zone rouge : la supernova écologique, ce stade où les étoiles en fin de vie finissent par exploser.

L’histoire de l’homme a rendez-vous avec l’histoire de la Terre. Elles sont irrémédiablement liées. Notre destin est (encore) entre nos mains. Mais pour combien de temps ? ■ R. C.

LA MOITIÉ DES ÉMISSIONS DE CO2

QUARANTE DERNIÈRES ANNÉES

LES RÉFUGIÉS CLIMATIQUES

À CAUSE DE CATASTROPHES NATURELLES ENTRE 2008 ET 2013.

LA MAJORITÉ D’ENTRE ELLES VIVENT DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT

165 MILLIONS DE PERSONNES ONT

ÉTÉ DÉPLACÉES DANS LE MONDE

+11�%*

315 ppmv

278

186

287ppmv

285ppmv

LIÉES À L’HOMME ENTRE 1750 ET 2011 ONT EU LIEU CES

201419590-�400 000 -�300 000 -�200 000 -�100 000

Depuis quatre cent mille ans, la concentration de CO2 dans l’air a varié régulièrement

de manière naturelle, ainsi que le prouvent les carottes de glace prélevées à Vostok, en Antarctique. A partir de 1959, elle a explosé bien au-delà de ces variations historiques.

Parties par millions en volume (ppmv).

* Par rapport au dernier relevé glaciaire (-�339)

Dernier relevé glaciaire, daté à -�339

Sources�: Nature Climate Change, 2013�; Edward Wilson, Harvard�; Onu�; Giec�; Global Footprint Network�; FAO�; Norwegian Refugee Council, National Oceanic and Atmospheric Administration�; The Carbon Dioxide Information Analysis Center. Enquête : Adrien Gaboulaud et Anne-Sophie Lechevallier. Réalisation : Dévrig Plichon.

398 ppmv

2/ LES DÉFIS DURÉCHAUFFEMENT

Chaque jour, plus de 1 milliard de tonnes de glaces fondent à la surface du globe�! A ce rythme-là, le niveau des océans aura monté de 4 mètres à la fin du siècle. Enclenché à grande vitesse depuis la révolution industrielle, le réchauffement plané-taire ne fait plus question. La part de responsabi-lité humaine non plus�: les émissions de dioxyde de carbone ont augmenté de 40�% depuis 1750 et de 20�% depuis 1958. Si rien n’est fait, les tempéra-tures pourraient grimper d’environ 5�°C d’ici à 2100. Avec, pour effet, un climat de plus en plus déréglé, des inondations, des terres asséchées, une mer qui gagne sur la terre, des espèces décimées… On ne pourra enrayer ces réalités avant plusieurs décen-nies. Mais il est encore possible d’éviter le pire.

AVANT LA CONFÉRENCE PARIS CLIMAT 2015 EN DÉCEMBRE, PARIS MATCH POURSUIT L’ANALYSE DES MENACES QUI PÈSENT SUR NOTRE PLANÈTE ET ENVISAGE LES SOLUTIONSP H O T O S I S S E B R I M B E R G E T C O T T O N C O U L S O N

«�IL N’Y A PAS DE PLAN B PARCE

QU’IL N’Y A PAS DE PLANÈTE B�»

BAN KI-MOONSecrétaire général de l’Onu

Les cascades de l’apocalypse

Sur l’île de Nordaustlandet, en Norvège, la septième

plus grande calotte glaciaire du monde.

Cet homme n’est ni un alpiniste ni un volcanologue. Il explore un cratère formé par une explosion de méthane, un gaz jusqu’alors piégé sous le permafrost, la terre gelée en permanence. Pour la première fois depuis des millions d’années, cette surface commence à fondre en Arctique. La hausse des températures y est deux fois plus importante que la moyenne générale de la planète. Le début d’un cercle vicieux, car le méthane est un gaz à effet de serre. Il réchauffe l’air, accé-lérant la fonte des glaces et du perma-frost. Les climato-logues redoutaient ce scénario. Il vient de s’enclencher en Sibérie. Depuis l’été 2014, des dizaines de trous semblables à celui-ci sont apparus.

En novembre 2014, un chercheur du Centre russe d’exploration arctique va mesurer les taux de méthane au fond de cette cavité de la péninsule de Yamal.

P H O T O V L A D I M I R P U S H K A R E V

EN SIBÉRIE, LE DÉGEL CREUSE DES GOUFFRES QUI LIBÈRENT DES MASSES MORTELLES DE MÉTHANE

«�CETTE COUCHE DE TERRE GLACÉE CONTIENT 1�700 GIGATONNES

DE DIOXYDE DE CARBONE, SOIT LE DOUBLE DE LA QUANTITÉ DÉJÀ

PRÉSENTE DANS L’ATMOSPHÈRE�»

MICHEL ROCARD

90 PARIS MATCH DU 21 AU 27 MAI 2015

MICHEL ROCARD

«�IL Y A UNE DÉTÉRIORATION DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE. CE SONT LES INTÉRÊTS NATIONAUX QUI MONTENT EN PUISSANCE�»U N E N T R E T I E N A V E C R O M A I N C L E R G E A T

L’ANCIEN PREMIER MINISTRE, AMBASSADEUR EXTRAORDINAIRE POUR LES PÔLES, TRAVAILLE SUR LES ENJEUX CLIMATIQUES

Paris Match. Pensez-vous que la Cop21 sera une conférence de plus parmi celles qui n’auront débouché sur aucune décision forte�?

Michel Rocard. Quand mon ami François Hollande a décidé d’organiser cette conférence à Paris, j’ai eu peur. Dans le contexte actuel, la France n’a pas besoin d’afficher un nouvel échec. Et il y a de gros risques… Les vingt premières réunions ont été des échecs, et Kyoto n’était qu’un tiers d’échec, puisque les recommandations ont été appliquées par l’Europe mais pas par les Etats-Unis. Pour la Cop21, il y a quelques chances de faire mieux. Même si je ne crois pas qu’il y ait adoption de mesures internationales obligatoires et contraignantes, comme l’impôt mondial sur le carbone, dont nous aurions besoin, ou le principe de quotas carbone. Cela sera discuté mais, là encore, on ne touchera à rien. Néanmoins, l’opinion globale arrive à un moment de plus grande acceptation. Et les climato- sceptiques sont à peu près vaincus. Même eux ne contestent plus que les diagnostics s’aggravent. Ce consensus global, s’il ne permet pas encore de prises de décisions internationales contraignantes, rendrait les résolutions nationales plus fortes et donnerait plus de poids aux volontés politiques des Etats. La Cop21 permettra de confronter toutes les pratiques du monde pour consommer moins d’énergie fossile et freiner le changement climatique. On pourrait s’engager sur des décisions que chacun devrait appliquer chez lui. Ce serait déjà beaucoup, beaucoup…Quand on est homme politique, on doit concilier vision à long terme et impératifs à court terme. Avant que tous les toits ne soient recouverts de panneaux photovoltaïques, comment convaincre l’opinion publique que des sacrifices énergétiques sont nécessaires, dans un contexte de crise économique�?

Il y a actuellement plusieurs facteurs perturbants qu’il convient d’isoler : mutations économiques, financières, clima-tiques qui, par hasard, tombent en même temps. La finance domine l’économie, qui est en panne de croissance, et les bou-leversements climatiques empêchent de rechercher une crois-sance à tout prix, notamment au niveau énergétique. Sans omettre, bien sûr, les conflits identitaires qui deviennent des conflits armés. Tout ça en même temps ! Rien n’est plus pareil et le monde ne se commande plus de la même façon.

Il n’est pas question de crises mais de mutations. Il faut iso-ler les problèmes et les envisager sur le long terme. Le ralen-tissement de la croissance, par exemple, c’est une affaire d’un demi-siècle. Le conflit entre la nature et l’homme, c’est l’affaire d’un siècle.Le grand public connaît peu le mot “anthropocène”, signifiant que nous sommes passés à l’ère où l’homme est une force géo-logique bouleversant l’état de la planète. La prise de conscience ne commence-t-elle pas par l’éducation�?

La prise de conscience n’est pas encore totale et univer-selle, c’est une évidence, mais elle se développe de manière vertigineuse. Il faudra encore trente ans. Ne soyons pas trop impatients. L’impatience est un des grands ennemis dans cette affaire.Aujourd’hui, il existe un rapport de richesse de 1 à 428 entre l’habitant le plus pauvre de la planète (Zimbabwe) et le plus

riche (Qatar). En quoi cette inégalité sans précédent a-t-elle une incidence environnementale�?

Les riches polluent beaucoup et incitent au gaspillage, et les très pauvres ne traitent pas leurs déchets. Des Prix Nobel ont fait des études très intéressantes là-dessus. La déformation de la pyra-mide des revenus aggrave les comportements envi-

ronnementaux. A l’intérieur de chaque pays, elle peut aller de 1 à 10 000. Une limitation des inégalités fait

donc partie de la lutte contre ces problèmes. Tout comme la spéculation, qui est une affaire de riches. Moins de spécu-lation égal moins de riches !Un traité comme celui de l’Antarctique, que vous avez permis de faire signer en 1991, serait-il encore possible aujourd’hui�?

Je suis très fier d’avoir permis, avec Robert Hawke, l’ancien Premier ministre australien, la ratification de ce 3e protocole. Il interdit toute exploitation des gisements et en organise la protection. Je note qu’on n’a jamais pu faire l’équivalent en Arctique. Dans la situation mondiale actuelle, une telle signature me paraît impossible. Il y a une détériora-tion de la communauté internationale, une montée en puis-sance des intérêts nationaux contre les autres et un refus croissant très grave d’un pilotage collectif du monde. Sur la question environnementale, l’antagonisme entre les opinions publiques et les pouvoirs publics est certain.

par i smatch .com91

Le glacier Petersen (Alaska)

ÉTÉ 1917�-�ÉTÉ 2005En 88 ans, il a reculé de

1,5 kilomètreVous parlez de l’Arctique comme d’un “deuxième Moyen-Orient”. N’est-ce pas très inquiétant�?

Je n’aime pas travailler avec les émotions comme l’inquiétude, la peur, ou leur pendant, l’enthousiasme. Disons que la région est dangereuse, ça, c’est vrai. En Arctique, les cinq riverains, Russie, Etats-Unis, Canada, Norvège et Groenland, donc Danemark, refusent l’équivalent de ce qui est contenu dans le traité de l’Antarctique, c’est-à-dire l’interdiction de forage du pétrole. Ils ont besoin d’énergie et veulent en cher-cher là où il y en a. Sans parler de la Chine, qui est devenue observatrice au Conseil de l’Arctique pour s’apercevoir que ça ne sert à rien. Voire que c’est aux limites du décoratif. Pourtant, il y aurait des décisions à prendre.Ne faudrait-il pas créer un organisme supranational comme l’Onu, disposant de droits contraignants dans le domaine du climat�?

Evidemment oui, mais l’humanité s’est tellement crispée autour du concept d’intérêt national que c’est impossible de fabriquer de telles organisations. L’histoire des hommes s’écrit depuis 7 000 à 8 000 ans, bilan : 10 000 guerres ! Il a fallu que l’in-dustrie de la guerre devienne terrifiante pour qu’on commence à envisager la création d’une organisation mondiale. Après les 50 millions de morts de la Seconde Guerre mondiale, on a com-pris qu’il fallait un régulateur. D’où l’Onu. Le Conseil de sécu-rité des Nations unies se réunit tous les jours ouvrables depuis 1946 pour traiter des problèmes de la sécurité internationale. Ce mot figure dix-sept fois dans la charte des Nations unies, mais il n’est pas défini. L’épidémie Ebola, la montée des eaux ou, plus globalement, le réchauffement climatique ne font pas partie des menaces pour la sécurité. Intellectuellement, pour-tant, ils pourraient l’être. Grammaticalement, ils le sont déjà. Il ne manque plus qu’un accord des nations. L’outil est là ! Il n’y a même pas besoin de changer la charte. C’est une des choses que pourrait décider la Cop21. Elle en a les moyens.Vous dites que la France serait au gaz de schiste ce que le Qatar est au pétrole. Pourquoi êtes-vous un des rares, au moins dans votre famille politique, à être favorable à son exploitation�?

Je ne me bats ni pour ni contre le gaz de schiste. Mais aussi longtemps qu’on n’aura pas accepté un rythme de croissance à peu près nul, l’humanité aura besoin d’énergie de manière croissante. Et cet étranglement la pousse à chercher toujours plus de pétrole, de gaz et même de charbon. Danger ! Sur la

question du gaz de schiste, je me bats vigou-reusement contre l’idée de refuser son exploi-

tation par principe, sans même aller voir s’il y en a vraiment, ni même faire d’étude approfondie sur les moyens de le traiter. Là est l’absurdité. Pourquoi serait-il impossible de traiter le gaz de schiste sans faire de dégâts ? Il faut inventer des techniques, des méthodes. La France fait partie des pays qui se sont auto-interdit les études pour des raisons de fantasme de l’opinion. Si le constat est que l’exploitation du gaz de schiste provoquera plus de gaz à effet de serre que celle du pétrole ou du charbon, c’est simple : il ne faut pas y aller. Mais cette probabilité n’est pas la seule ! La politique consiste à appliquer ce qui est déjà accepté par l’opinion publique. Beaucoup de politiques n’acceptent pas de prendre de risque avec une opinion mal informée. Tant que l’opinion publique ne sera pas sûre qu’on puisse utiliser le gaz de schiste de manière non nocive, on aura des difficultés. Si vous avez des poli-tiques plus soucieux du court terme, pas assez courageux, je n’y peux rien, moi !Pourquoi vous opposez-vous à la géo-ingénierie, des techniques qui permettraient de compenser la pollution�?

Ne m’enfermez pas dans un dogmatisme imbécile. Je suis totalement contre ce qui est nocif et totalement pour ce qui est compensateur et utile. Si l’on arrive à compenser les gaz à effet de serre par des végétaux ou autres, pourquoi pas ! C’est la balance finale qui importe. En revanche, s’il s’agit de continuer comme maintenant en faisant le pari qu’on finira par trouver les techniques que l’on n’a pas encore… Là, je dis qu’il y a des risques ! L’opinion américaine pense comme ça. Moi pas.Dans son scénario “business as usual”, avec un développe-ment qui continue sur les bases actuelles, le Giec établit que la température augmenterait de 5 °C d’ici à la fin du siècle. Croyez-vous à ce scénario catastrophe�?

L’humanité peut très bien s’enfermer dans le déni et l’impuissance. Nos prédécesseurs, les habitants de l’île de Pâques, l’ont fait. Ils en sont morts. On n’est pas obligés de faire les mêmes choix. ■ @RomainClergeat

«�Suicide de l’Occident, suicide de l’humanité�?�» de Michel Rocard, éd. Flammarion.

EN AMAZONIE, SALGADO OBSERVE, EFFARÉ, L’HOMME SCIER LA BRANCHE DE LA VIE«�Mes photos ont permis à la nature de me parler�», dit Sebastião Salgado. Et de lui montrer ses plaies. De retour dans son pays après onze ans d’absence, le photographe brésilien découvre la métamorphose des paysages. Mais la forêt amazo-nienne n’est pas la seule à souffrir�: Indonésie, Afrique, Canada, Sibérie… d’ici à 2030, une forêt de la taille de trois fois l’Espagne aura disparu. Les arbres, qui couvrent 30�% des terres émergées, créent et protègent les sources d’eau mais absorbent plus d’un tiers du dioxyde de carbone émis par les activités humaines. Rasés, brûlés, dégradés, ils ne jouent plus leur rôle de capteurs de CO2, en libèrent au contraire des quantités phéno-ménales. Et mena-cent d’assoiffer la planète.

Etat de Maranhão, nord-est de l’Amazonie, en 2013. Autour des routes, des prairies pour les troupeaux qui vont tasser la terre où l’eau ne pénétrera plus, transformant peu à peu la forêt luxuriante en désert.

LA DÉFORESTATION, CANCER DU POUMON

DE LA TERRE

«�D’ICI À 2030, UNE FORÊT DE LA TAILLE

DE L’ALLEMAGNE, DE L’ESPAGNE, DE LA FRANCE

ET DU PORTUGAL AURA DISPARU�»

ROD TAYLORDirecteur du programme

des forêts du WWF

P H O T O S S E B A S T I Ã O S A L G A D O

Pendant 55 millions d’années, seuls les fleuves ont tracé leur chemin en Amazonie. Vus du ciel, les quelque 390 milliards d’arbres dressés sur une surface grande comme dix fois la France semblent former une forte-resse imprenable. Et pourtant, l’Amazonie a déjà perdu 20�% de son territoire. Elle pour-rait être réduite de moitié d’ici à 2030. Or les forêts humides forment l’écosystème le plus riche de la planète. Elles abritent deux tiers des espèces vivantes. Du lin au caoutchouc, en passant par les médicaments, cette biodiversité est à la base d’au moins 5�000 produits. Selon l’Onu, il est plus rentable de préserver les arbres que de les détruire. Son projet «�Plantons pour la planète�» prévoit la réintroduction de 20 milliards d’arbres dans le monde.

DE L’INDONÉSIE AU BRÉSIL, COMBIEN DE TEMPS LA PLANÈTE VERTE PEUT-ELLE RÉSISTER?

«�UN ARBRE A L’INTELLIGENCE DE

CAPTURER LE CARBONE ET DE CRÉER DE L’OXYGÈNE.

C’EST LA SEULE MACHINE CAPABLE DE RÉALISER CETTE

PERFORMANCE�»

SEBASTIÃO SALGADO

Un affluent du rio Negro dans la région de São Gabriel da Cachoeira au Brésil, en 2009.

96 PARIS MATCH DU 21 AU 27 MAI 2015

Instituto Terra (Minas Gerais)

2001�-�20132 millions

d’arbres plantés

Paris Match. La sécheresse au Brésil, cette année, a suscité un électrochoc pour les grandes villes.

Sebastião Salgado. C’est un vrai cri d’alarme pour Rio et São Paulo. Après la saison des pluies, le plus grand réservoir de São Paulo n’est rempli qu’à 15 % de sa capacité. Les Brésiliens prient pour la pluie, mais nous avons franchi un cap où la demande en eau du pays est supérieure à l’offre. C’est une crise sans précé-dent. La seule solution passe par les arbres.Quel est le lien entre les arbres et la sécheresse�?

Les arbres garantissent la production d’eau. C’est l’eau des fleuves qui remplit les grands réservoirs, pas l’eau de pluie. Dans le plus grand pays agricole au monde, on a déboisé à outrance, laissé derrière nous un désert et oublié de conserver des arbres pour protéger les sources d’eau. Le débit des fleuves devient-il insuffisant pour alimenter les villes�?

La terre ne génère pas l’eau, c’est le nuage – ce fleuve dans le ciel – qui la détient. Quand cette eau tombe, il faut la retenir. Les arbres sont les “cheveux” de la terre. Par leurs racines, leurs branches, ils fixent l’humidité et créent des sources. Chez nous, les grands bassins hydrographiques sont menacés par la dispa-rition des arbres autour des sources d’eau.Le premier responsable serait l’élevage intensif des bovins…

Une vache pèse 600 kilos. A chaque mouvement, elle com-pacte le sol, empêchant l’eau de pluie de parvenir à la source.

Cette eau n’atteindra jamais le fleuve, qui se tarit. Pour sauver le système, la seule solution est de “replanter” des sources, en recréant des périmètres d’humidité où les bovins n’ont pas accès.Vous êtes un enfant de la forêt�?

Quand j’étais enfant, dans l’Etat du Minas Gerais, il y avait tellement de bois que quatre énormes scieries tournaient à plein régime pour le débiter. Seul le peroba intéressait vrai-ment les acheteurs. Un bois idéal pour faire les beaux par-quets et les meubles. Ma région en produisait le plus. Mon père était fier de son travail. Il disait : “J’ai coupé tout ce bois pour élever mes enfants.” C’est l’histoire du Brésil. On abat-tait l’épaisse forêt atlantique pour la transformer en pâturage pour le bétail. Quand la terre était épuisée, on allait déboiser un nouveau territoire.Une scène vous a-t-elle particulièrement marqué�?

J’avais 6 ou 8 ans. J’étais avec mon père. Les hommes étaient en train d’abattre un arbre énorme, un magnifique peroba cen-tenaire, haut d’une quarantaine de mètres. Ils ont mis au moins quatre jours pour le vaincre à la hache. A la fin, il a fallu un atte-lage d’une trentaine de bœufs pour l’arracher à la terre. L’arbre est tombé. C’était une scène déchirante. Le fracas le plus terrible qu’il m’ait été donné d’entendre dans toute mon existence. Ce bruit résonne encore dans ma tête.Quand avez-vous pris conscience du basculement�?

AVEC SA FEMME, LÉLIA, LE PHOTOGRAPHE DÉFEND LA FORÊT ET A RENDU À LA NATURE LA TERRE DE SON ENFANCE

SEBASTIÃO SALGADO «�LES ARBRES SONT LA CLÉ DE NOTRE SURVIE. LE JOUR OÙ ON LE COMPRENDRA NOUS IRONS PRIER DEVANT EUX�» U N E N T R E T I E N A V E C O L I V I E R R O Y A N T

par i smatch .com97

Sebastião Salgado et son épouse, Lélia, sur les terres de l’Instituto Terra. Le couple est à l’initiative du reboisement de ces 750 hectares. «�La nature est revenue, même les jaguars sont de retour.�»A gauche, l’ancienne propriété familiale de Sebastião Salgado transformée en réserve nationale.

En 1980, quand Lélia et moi sommes retournés au Brésil après onze années passées en France, nous avons constaté l’am-pleur de la catastrophe. Ce n’était plus mon pays. La forêt avait disparu. A Vitoria, ville côtière, Lélia ne reconnaissait plus rien. On avait déplacé les plages de son enfance pour créer le plus grand port d’exportation du minerai. Ceux qui avaient assisté à cette dégradation énorme de l’environnement s’y étaient adap-tés et considéraient le processus comme inexorable.Comment, avec Lélia, avez-vous transformé votre désarroi en projet positif, l’Instituto Terra�?

A la fin de l’année 1998, quand j’ai reçu cette terre de mes parents, les événements de Bosnie et du Rwanda m’avaient plongé dans une profonde dépression. Nous avons voulu revenir sur les lieux de mon enfance. Mais ce n’était plus le paradis que j’avais connu. Lélia a dit : “Cette terre est morte. La seule chose qu’il nous reste à faire, c’est aider la forêt à renaître.” Notre défi a été lancé sur un coup de tête. Nous ne savions rien, nous n’étions pas écologistes mais avions la ferme intention de rendre ce morceau de terre à la nature.Quinze ans plus tard, l’Instituto Terra est un modèle qui inspire le monde entier.

L’Instituto Terra est un vrai laboratoire, le sym-bole de ce qu’il est possible de faire. Nous avons planté 100 000 arbres la première année et perdu 60 % de notre plantation. Nous étions déprimés, mais 40 % avaient sur-vécu ! Peu à peu, la nature est revenue. Nous avons planté au total 2 millions d’arbres et recréé une vraie forêt “native”, avec ses essences d’origine et sa biodiversité.Aujourd’hui, avec Lélia, vous avez en tête un projet encore plus fou�: faire revivre un fleuve entier�?

Oui, Olhos de Agua [Les yeux de l’eau] est un projet énorme, un investissement de 1 milliard d’euros, conçu sur une durée de trente ans. Il a pour but de recréer le système de sources du rio Doce, un fleuve dont le bassin hydrographique a la taille du Portugal. Le projet consiste à replanter 400 000 sources d’eau, à raison de 250 arbres environ par source. Nous devrons isoler 1 hectare de terre autour de chaque source avec du fil de fer barbelé, afin qu’elle ne soit pas piétinée par le bétail. Tous les acteurs économiques sont motivés par ce projet, car sans eau dans la région les terres ne vaudront bientôt plus rien et il leur faudra partir ailleurs.Pendant les huit années où vous avez photographié la Terre pour “Genesis”, qu’avez-vous constaté�?

La déforestation est un phénomène planétaire. Je peux en témoigner. L’attention s’est concentrée sur l’Amazonie mais partout on abat les forêts à un rythme vertigineux. En Indonésie, en Nouvelle-Guinée, en Afrique… C’est ahurissant. Récemment, j’ai survolé Sumatra. J’étais stupéfait de constater qu’il n’y avait plus d’arbres. Ils ont rasé presque toute la forêt de Sumatra pour la remplacer par des milliers d’hectares de palmiers à huile, l’in-grédient de base de l’alimentation moderne. A qui la faute�?

Il ne faut pointer du doigt ni les politiciens ni les indus-tries. Cette situation n’est pas due à l’aveuglement des politiques mais à un aveuglement général. Le crime environnemental est le crime de toute une société. C’est notre modèle qui est en cause. Le jour où nous prendrons conscience du problème, les politiques suivront. Ils n’étaient pas préparés à affronter ce phé-nomène inédit. Ils savent gérer la croissance économique, l’édu-cation, mais personne, à un seul moment, n’a songé à protéger la

planète. L’être humain est devenu un étranger, un “alien” sur sa propre planète. En devenant un être urbain, l’homme

s’est détaché de la nature. Nous sommes des habitants de Paris, Rio ou Pékin. Nous n’habitons plus en France, au Brésil ou en Chine. Nous ne connaissons plus ni nos forêts, ni nos montagnes, ni nos fleuves, ni les animaux

qui les habitent. Nous ne sommes plus dans la nature. On ne va pas retourner vivre à la campagne, mais il nous

faut au moins entamer un retour spirituel vers la nature. Il faut replanter partout où la terre est devenue stérile.C’est le message le plus important aujourd’hui�?

Les arbres ont l’intelligence de capturer le carbone et de créer de l’oxygène. C’est la seule machine capable de réaliser cette performance. On n’en connaît pas d’autre. Les arbres nous donnent de l’air et nous donnent de l’eau. Ils sont la clé de notre survie. Le jour où l’on comprendra cela, nous les aimerons, nous les caresserons, nous irons prier devant eux. Nous n’en sommes pas là.

Non, on coupe aujourd’hui dix fois plus d’arbres qu’on n’en plante. Toutes les projections sur l’avenir de l’espèce humaine sont fondées sur la haute technologie et la rentabilité. Il faut que la conférence Cop21 de Paris dépasse cette vision limitée. Il faut arrêter de penser que la technologie peut sauver l’homme, car seule la nature peut sauver l’homme ou le détruire. Nous devons revenir vers la nature et recouvrer notre propre instinct. ■

@OlivierRoyant

La capitale caniculaire

Chaque degré de réchauffement repousse de 150 mètres l’altitude d’enneigement.

A Paris, près de 14 fois plus de jours de vague de chaleur (+ 5 °C par rapport à la normale). Dix fois plus de nuits tropicales.

A Nîmes, l’usage de la climatisation va bondir.

Les températures maximales moyennes de Nice seront la norme

au-dessus de cette ligne. Des oliviers et des pins parasols pousseront dans les Ardennes.

Le cépage merlot, trop précoce, sera sans doute abandonné. Ailleurs en

France, entre 50 et 80�% du vignoble actuel pourrait disparaître.

La part des précipitations intenses augmentera de 8 à 10�% en Vendée.

A Caen, les températures maximales moyennes en août vont passer de 21 °C aujourd’hui à 27 °C.

A Annecy, l’utilisation du chauffage va baisser.

102 nuits tropicales (supérieures à 20 °C) par an contre 35 aujourd’hui en Corse.

Les Vosges privées de neige

Climatisation�: + 150�%

+ 6 °C en août

La Côte d’Azur en Normandie

Des vendanges à la mi-août

Des pluies plus violentes

Chauffage�: – 38�%

Des nuits chaudes

I N T E R V I E W R O M A I N C L E R G E A T

Paris Match. A quoi sert un arbre�?Jacques Rocher. C’est d’abord un élément de la vie. Une

planète sans arbres, c’est une terre sans vie. Dans les zones où l’on a arraché les arbres, il n’y a plus rien.Quels sont vos arbres préférés�?

Certains cèdres que j’ai moi-même plantés au Liban, à proximité d’autres, vieux de deux mille ans. Des chênes en Bretagne, aussi, là où sont mes racines. J’étais il y a peu à

Séoul avec un photographe, Kim Jung-man, qui a réalisé un livre sur un arbre maltraité. Chaque fois qu’il passait devant, il lui disait “bon-jour”. Puis il lui a demandé la permission de le photographier et lui a consacré plusieurs semaines de sa vie pour en faire un livre. J’ai le même rapport avec certains arbres que j’ai pu planter.Quel est le bilan de votre fondation�?

Fin 2015, nous aurons planté 50 millions d’arbres. Chaque matin, je me réveille avec le sourire parce que je sais que la veille, nous en avons planté 24 000, c’est-à-dire 1 000 toutes les heures.Combien en manque-t-il sur Terre�?

L’équivalent de la surface de Paris disparaît chaque jour. J’ai bien conscience que ce que nous faisons est extrêmement limité. J’ai mis sept ans de ma petite existence pour planter 50 millions d’arbres, cela représente à peine trois ou quatre jours de déforestation de notre pla-nète. On est dans une dynamique de destruction effrayante. Elle ne concerne malheureusement pas que la forêt.La déforestation ne touche pas simplement les pays en développe-ment…

Non, on dit qu’en France la forêt grandit, mais on a détruit 500 000 kilomètres de haies dans nos régions en cinquante ans. En supprimant ces haies, on a éliminé une grande partie de la bio diversité du terri-toire. Nous avons engagé un grand programme de réintroduction de haies dans toutes les régions. En novembre, nous aurons fait renaître

JACQUES ROCHER «�NOUS AVONS MIS SEPT ANS POUR PLANTER 50 MILLIONS D’ARBRES. A PEINE QUATRE JOURS DE DÉFORESTATION�!�»

en deux ans 2 millions d’arbres supplémentaires. Avec eux, nous enten-dons restaurer la diversité biologique. Il ne s’agit pas de planter, comme on le voit dans certains endroits, des hectares d’eucalyptus, car rien ne pousse dessous, et nous aurions au final des forêts “mortes”. Nous voulons des forêts vivantes.Vous étiez à Rio en 1992, vous serez à la Cop21. Une fois de plus, c’est la conférence de la dernière chance. N’est-ce pas un peu décourageant, cette ritournelle de l’échec�?

Je reste combatif. En 1992, trois ans après la fin de la guerre froide, nous avions foi en une sorte d’utopie : la société civile allait travailler avec les gouvernements pour un monde meilleur. Vingt ans plus tard, les gouvernements se sont succédé et les problèmes demeurent. On est en pleine croissance démographique, économique, etc., et on se projette peu dans l’avenir. La température a augmenté de 0,6 à 0,7 °C ces cinquante dernières années. Cela semble dérisoire mais c’est mons-trueux ! Je m’inquiète surtout pour nous. Notre planète est habitée depuis 3,5 milliards d’années. Elle continuera à tourner longtemps après nous. Nous jouons notre avenir en toute insouciance. Partout dans le monde, en Allemagne comme en Ethiopie, des gens mettent la main dans la terre et plantent. Ne devrait-on pas enseigner l’écologie à l’école, au même titre que les mathématiques ou l’histoire, afin de former chaque être humain à la conscience de la planète�?

L’écologie, c’est étymologiquement la science de la maison. Le mot “biodiversité” a été inventé il y a trente ans par Edward Osborne Wilson, qui disait que “l’humanité ne se définit pas par ce qu’elle crée mais par ce qu’elle choisit de ne pas détruire”. Apprendre le vivant, tout le vivant, devrait être enseigné à l’école, oui. Comprendre ce que l’on mange, par exemple, devrait être un point d’éducation fondamen-tal. Aujourd’hui, on rêve d’aller dans l’espace. Mais le vivant, c’est ici et maintenant, sur Terre. ■ @RomainClergeat

SI RIEN N’EST FAIT, LA FRANCE PERDRA LE NORD EN 2100

LE PRÉSIDENT DE LA FONDATION YVES ROCHER A LANCÉ UN VASTE PROGRAMME DE REBOISEMENT

Pour combattre les effets des canicules à venir, la Mairie de Paris

s’apprête à planter 20�000 arbres et à réaliser 100 hectares de façades

et de toitures végétalisées d’ici à 2020.

Ce scénario du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), utilisé par Météo France, anticipe les conséquences d’une absence de politique climatique.

Le combat de Jacques

Rocher pour

la planète.

La chaleur provoque 127�000 décès additionnels chaque année en 2100 dans

l’Union européenne.

EUROPE4

Sources : scénario du Giec retenu pour les deux pages : RCP 8.5, sans politique climatique, conduit à une augmentation de la température de plus de 4 °C par rapport aux niveaux pré-industriels. Pour la page de gauche : modèle Aladin de Météo France, site du portail de la Drias ; Bleu 2014 du plan climat de la Mairie de Paris ; Giec ; projet Laccave de l’Inra.

Pour la page de droite : « 4 °C : Turn Down the Heat », Banque mondiale, novembre 2014 ; Climate Cost ; National Academy of Science of the United States of America ; Climate Central.

Enquête infographie DataMatch Adrien Gaboulaud et Anne-Sophie Lechevallier Réalisation Dévrig Plichon

Les zones de viticulture se déplacent à la frontière avec le Canada.

ETATS-UNIS7

Des inondations monstres deviennent habituelles à Washington DC.

L’Alaska devient l’Etat le plus «�vivable�» du pays.

ETATS-UNIS1

Augmentation du niveau de la mer comprise entre 0,4 et 1 mètre.

MERS ET OCÉANS

La fréquence des cyclones tropicaux les plus violents

augmente de 80�%.

ATLANTIQUE NORD3

Le passage du Nord-Est qui longe la côte russe, peut être

emprunté par n’importe quel navire de haute mer en septembre.

ARCTIQUE2

137

2

4

6

5

8

La surface de la forêt boréale eurasienne diminue de 19�%.

EURASIE5

La forêt amazonienne devient une source de carbone en raison de feux

de forêt qui se multiplient.

AMAZONIE8

Les précipitations baissent de 60�% dans certaines zones, affectant

le rendement des récoltes.

AFRIQUE DU NORD MOYEN-ORIENT6

… DÉGUSTER AU COMPTOIR UN PETIT CAFÉ PAS CHER

Une augmentation de la température de 2 °C dans les

régions du Guatemala, du Costa Rica, du Salvador ou du Mexique, ajoutée à une raréfaction de 10�% des pluies pourraient réduire de 40�% la production mondiale de café. Et faire grimper le prix vers des sommets. Attendez-vous donc à payer le petit noir au tarif d’une coupe de champagne…

… JOUER AU CASINO À LAS VEGAS

Approvisionnée quasi exclusive-ment en eau par le

lac Mead (85�%), dont le niveau a baissé de 40 mètres depuis 1998, la ville du jeu commence à avoir les jetons. Créé en 1935, le plus grand lac artificiel du monde, qui alimente le barrage Hoover, pourrait être à sec en 2021. Et ce n’est pas la sécheresse actuelle en Californie qui va inverser la tendance.

… GRIGNOTER UNE TABLETTE DE CHOCOLAT

Si la tempéra-ture augmente de 2 °C d’ici

à 2050, le Ghana et la Côte d’Ivoire, principaux pays producteurs, ne récolteront plus de cacao. Cela mettra le carré de chocolat au prix du carré Hermès.

… ALLER À NEW YORK POUR PAS CHER

Le réchauffement climatique va augmenter très

sensiblement le niveau des turbulences au-dessus de l’Atlantique, entraînant un temps de vol plus long, donc davantage de kérosène dépensé. A quand le billet Paris-New York au coût actuel de la classe affaires�?

… SE BAIGNER DANS LA MER MÉDITERRANÉE

Avant, on observait des cycles d’une dizaine d’années

pour l’apparition des méduses. Maintenant, elles sont présentes chaque été, car plus la mer est chaude, plus elles aiment. Et l’acidification des océans ne les dérange pas, au contraire�! Plus la mer est polluée de plastique, plus elles prolifèrent, s’y accrochant pendant leur période de reproduction.

… PASSER EN SUISSE DEPUIS L’ITALIE COMME AUJOURD’HUI

La frontière entre ces deux pays est dite «�mobile�»�:

elle est redéfinie selon la fonte des glaciers et l’érosion. Les 750 kilomètres de la ligne de séparation allant du Bas-Valais à Trient seront donc revus, certaines observations récentes ayant révélé que les bornes posées dans les années 1920-1930 pour matérialiser la frontière avaient disparu.

BIENTÔT, NOUS NE POURRONS PLUS...

EN 2100, LA PLANÈTE S’ENFLAMME…

Les scientifiques ont évalué le prix de l’inaction dans différents endroits du monde.

Au parc aquatique de Daying, dans le Sichuan. En 2014, les Chinois étaient 1,37 milliard. Leur nombre pourrait baisser en 2050, ils seraient alors dépassés par l’Inde.

3/ LA MARÉE DEMOGRAPHIQUE

AVANT LA COP21 DE DÉCEMBRE 2015,

LE TROISIÈME VOLET DE NOTRE SÉRIE SE

PENCHE SUR UN MONDE QUI POURRAIT

COMPTER 11 MILLIARDS D’HABITANTSD HHAABITTAANNTS

Ils sont les plus nombreux. Bientôt ils seront les plus vieux. La lutte contre la surpopulation a été le grand combat de la Chine commu-niste. Au contraire, les Africains sont de plus en plus jeunes et, en 2050, ils devraient représenter le quart des êtres humains de la planète. La population du Nigeria aura alors largement dépassé celle des Etats-Unis. Mais qu’elle croisse de 1,5 milliard d’habitants, projection basse, ou de 4 milliards, projection haute, la Terre va devoir s’adapter. Nourriture, énergie, déchets… Les humains n’ont pas le choix. Il leur faut apprendre à vivre avec de nouvelles règles.

1800 1 milliard

210011 milliards

2011 7 milliards

CROISSEZ ET MULTIPLIEZ�! Fondamentaliste mormon, Kody Brown, 46 ans (au centre) – avec ses 4 femmes et ses 17 enfants –, est devenu la vedette d’une émission de télé-réalité américaine, «�Sister Wives�». Cette religion, principalement installée dans les montagnes Rocheuses (Utah), revendique plus de 15 millions d’adeptes.

MENACE SUR LES HUAORANI Très vulnérables

aux maladies, ils vivent en isolement volontaire au

cœur de la forêt amazonienne équatoriale. Mais leur territoire abrite

la quasi-totalité des ressources d’hydrocarbures

de l’Equateur.

VIEILLISSEMENT TRAGIQUE EN CHINE,

DISPARITION PROGRAMMÉE EN

AMAZONIE... 200 PAYS ET

AUTANT DE DÉFIS

L’ENFER DE LA PROMISCUITÉ. Difficile de se loger à Hongkong, 3e place financière au monde. Les plus pauvres vivent dans des «�clapiers humains�», minuscules box de moins de 10 mètres carrés. Ici, trois personnes à l’heure du dîner.

LE DOGME DE L’ENFANT UNIQUE

La famille Zhang, dans la province de Hubei. Le Planning familial aurait permis

d’éviter 400 millions de naissances. Les avortements concernent

majoritairement des filles. Les Chinois de plus de 60 ans devraient représenter

30�% de la population totale en 2050.

Le Sud-Coréen, 71 ans, dans son bureau dominant New York, au siège des Nations unies, en juin 2015.

P H O T O S É B A S T I E N M I C K E

par i smatch .com65

LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’ONU A FAIT DE LA SURVIE

ÉCOLOGIQUE SON COMBAT POUR LA PLANÈTE

BAN KI-MOON«�EN ASIE, EN AFRIQUE ET AUX PÔLES, J’AI VU LES RAVAGES DU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE�»U N E N T R E T I E N À N E W Y O R K

A V E C O L I V I E R R O Y A N T E T O L I V I E R O ’ M A H O N Y

Paris Match. Pensez-vous que la Conférence de Paris sera un tournant dans la lutte contre le changement climatique�?

Ban Ki-moon. Oui, j’en suis sûr. Paris ne sera pas la destina-tion finale, il y aura bien d’autres étapes. Mais la conférence permettra d’avancer. Nous voulons signer, pour la première fois dans l’histoire des Nations unies, un accord qui soit global, universel, ambitieux, avec des objectifs à l’horizon 2020, 2030 et au-delà, 2050 pour certains pays développés… Mais pour l’instant l’essentiel est de signer. C’est un préalable nécessaire.L’objectif principal de la Conférence de Paris est de trouver un accord entre les nations permettant de contenir le réchauffement global à 2 °C. Est-ce réaliste�? Certains estiment qu’on a déjà dépassé ce niveau…

Cet objectif est le fruit de multiples études, établies par plus de 2 000 scientifiques parmi les meilleurs au monde. Leurs travaux ont donné lieu à cinq rapports successifs, tous très clairs,

allant dans le même sens : pour maintenir la durabilité de notre planète telle qu’elle est actuellement, il faut trouver les solutions permettant de limiter le réchauffement à 2 °C, sinon les dégâts seront irréversibles.Comment y parvenir�? Nous sommes à cinq mois de l’échéance…

Aux Nations unies, nous avons deux priorités cette année. La première est de fixer des objectifs de développe-

ment durable. Nous y travaillons en ce moment même. Je suis plutôt confiant : je pense que l’engagement réel et soutenu des Etats membres permettra de dégager un consensus dès septembre, à l’occasion du sommet consacré à ce sujet. La seconde priorité pour 2015 est de signer un accord global pour atteindre ces objectifs. Evidemment, le changement climatique ne va pas se résoudre en un ou deux ans. C’est un travail de longue haleine. Si la Conférence de Paris se solde par un accord ambitieux et universel, ce sera beaucoup plus facile de mettre en place un programme d’action efficace.Copenhague a été un échec. Vous y étiez. Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui�?

Vous vous souvenez peut-être que dans les mois qui ont précédé l’échéance, en 2009, j’ai pris mon bâton de pèlerin pour marteler qu’il fallait absolument signer un accord. J’espérais que les nombreuses négociations aboutiraient. (Suite page 66)

66 PARIS MATCH DU 2 AU 8 JUILLET 2015

En juin 2015, Ban Ki-moon avec Olivier Royant (à dr.), directeur de la rédaction de Paris Match, et Olivier O’Mahony, notre correspondant à New York.

l’avenir, elle puisse continuer à nous fournir ce qu’elle nous donnait jusqu’à présent. On ne peut plus attendre indéfiniment un accord parfait à 100 %. Et c’est à cela que servent les négociations multilatérales. Chacun arrive avec ses priorités mais, après un débat, un compromis est trouvé au niveau des Nations unies. C’est pour cette raison que je demande aux chefs d’Etat et de gouvernement de faire preuve de leadership. Ils doivent démontrer une vraie volonté politique.De nombreux pays en voie de développement, comme la Chine ou l’Inde, sont les premiers à souffrir du dérèglement climatique. Ils redoutent pourtant que des mesures trop radicales sur les émissions de gaz à effet de serre ne nuisent à leur croissance industrielle. Lutter contre le réchauffement et la pauvreté dans le monde, est-ce compatible�?

Oui, c’est compatible. En réalité, le dérèglement climatique pèse sur la croissance. Si la pauvreté dans le monde n’a pas été éradiquée aussi rapidement que nous l’aurions souhaité, c’est précisément à cause de l’impact des dégradations environne-mentales. Tous les experts me disent que la planète a de quoi nourrir les 7 milliards de personnes qui la peuplent. Néanmoins, aujourd’hui, près de 1 milliard d’entre elles s’endorment la nuit en ayant faim. Pourquoi ? A cause du changement climatique qui affecte l’agriculture et les systèmes de livraison dans les économies concernées. Donc, mettre en œuvre des solutions propres en carbone permettra de lutter contre la pauvreté dans le monde. C’est un objectif central, aux conséquences multiples, qui se répercutent à tous les niveaux.Parlons des Etats-Unis et de la Chine. Rien ne peut se faire sans ces deux pays. Doivent-ils s’engager davantage�? On a l’impression qu’ils s’observent. Tout se passe comme si l’un attendait que l’autre avance pour progresser de son côté…

Leur déclaration commune de novembre dernier [par laquelle ils s’engagent à signer ensemble un accord lors de la

Je réalise aujourd’hui que les Etats membres n’étaient pas prêts. Je ne donnerai pas de noms. Par ailleurs, le dialogue a été insuffisant entre pays développés et pays en développement.Et maintenant�?

Nous avons essayé de rattraper le retard. En septembre 2014, j’ai convoqué un sommet sur le changement climatique. Le degré d’implication des gouvernements, des sociétés civiles et des milieux

d’affaires sur ce sujet m’a paru encourageant. Lors de la marche pour le climat du 21 septembre 2014, 400 000 citoyens ont défilé à New York. J’étais l’un d’eux. De nombreux leaders, ministres, responsables de premier plan ont défilé aussi. La marche a eu lieu dans plusieurs grandes villes du monde. Des millions de personnes battaient le pavé aux quatre coins de la Terre. Elles disaient haut et fort : “Il est temps de faire quelque chose !” Etes-vous sûr que tout le monde a conscience des enjeux�?

Oui. Les gens savent. Ils sont unis pour sauver la planète. Les chefs d’entreprise ont compris à quel point le dérèglement climatique peut être mauvais pour les affaires et il y a de vrais efforts, de vraies négociations pour trouver des solutions concrètes et durables. Il est exact que les vingt dernières années de négociations n’ont pas levé tous les obstacles. C’est ma seule inquiétude. J’espère donc que les leaders mondiaux vont, dans les cinq prochains mois, lancer des signaux forts pour sauver la Terre. Nous n’avons ni plan B ni planète B.Pourtant, la ministre Ségolène Royal a critiqué avec sévérité les négociateurs de l’Onu, leur lenteur, le manque de résultats…

Je partage son inquiétude. Même moi, en tant que secrétaire général des Nations unies, je pense que les négociateurs parlent trop. Les discussions prennent trop de temps. Ça dure depuis vingt ans. Certes, on note des progrès : plusieurs réunions à l’Onu se sont soldées par des engagements officiels. En 2011, à Durban, les Etats membres se sont, pour la première fois, engagés à aboutir à un accord global à l’horizon 2015. Cet engagement a été réaffirmé en 2012 à Doha, puis en 2013 à Varsovie et encore à Lima, l’an dernier. Maintenant, nous y sommes. Il faut respecter les engagements pris et passer à l’acte. Et je dis, de la manière la plus ferme, aux leaders politiques mon-diaux : “Donnez des ordres clairs à vos négociateurs pour qu’ils raisonnent au niveau global. Cessez de marchander sur des sujets techniques, voyez au-delà, regardez la situation dans son ensemble.”Justement, qui défend la planète�? Les dirigeants poli-tiques sont élus pour défendre leur pays avant tout.

C’est vrai que, pour un diplomate ou un négo-ciateur, l’intérêt national est primordial. Mais le chan-gement climatique ne connaît pas de frontières. C’est l’enjeu le plus important de notre époque, une ques-tion de survie pour nous tous. On ne négocie pas avec la nature. C’est maintenant qu’il faut agir afin que, à

Le 9 novembre 2007, visite du glacier Collins, sur l’île du Roi-George, dans la péninsule

antarctique. On y a mesuré un retrait constant des glaces ces dernières années.

«�JE DIS AUX LEADERS POLITIQUES�: CESSEZ DE MARCHANDER SUR DES SUJETS TECHNIQUES, RAISONNEZ AU NIVEAU GLOBAL�» Ban Ki-moon

par i smatch .com67

Conférence de Paris et à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre] me paraît historique : elle prouve qu’ils prennent le sujet très au sérieux. Elle montre la voie à suivre.Vraiment�? En France, on est moins optimistes que vous.

L’Union européenne est très avancée. Elle a annoncé pour 2030 un objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, grâce au développement des énergies renouvelables, qui devront représenter 27 % du total de l’énergie utilisée à cet hori-zon. Mais la Chine et les Etats-Unis font aussi de gros efforts, qui ont un réel impact sur le processus. L’Inde est également très engagée dans la reconversion de son économie en énergie renou-velable. J’ai rencontré le Premier ministre indien, Narendra Modi, en mai. Il m’a dit que son pays investit massivement pour atteindre une capacité de production d’électricité solaire de 100 gigawatts en 2022. Qu’une grande nation comme l’Inde s’engage à ce point est un signe très fort pour la Conférence de Paris.En tant qu’autorité morale, quel est votre rôle�? N’avez-vous pas envie de frapper un grand coup, de dire aux leaders mondiaux qu’il est temps d’agir�?

Depuis le début de mon mandat, j’ai beaucoup voyagé pour aller constater les dangers environnementaux qui nous menacent et tirer les sonnettes d’alarme. J’ai rencontré le Pape en avril, à Rome. Il m’a dit qu’il allait rendre une encyclique sur le change-ment climatique en juin, ce qu’il a fait. J’espère que cet appel aura un impact profond sur les catholiques et au-delà.De quoi pouvez-vous personnellement témoigner�?

Le réchauffement climatique est une réalité. Ça se passe sous nos yeux. Au Kilimandjaro, la neige a disparu à son sommet. Ce que j’ai vu en mer d’Aral, en Ouzbékistan, m’a effrayé. Autrefois, c’était une immense étendue d’eau. Maintenant, c’est du sable et du sel, avec des bateaux échoués. En hélicoptère, il fallait être très haut pour éviter que le sable et le sel n’affectent le rotor. Pareil au lac Tchad, que j’ai survolé pendant quarante minutes à bord d’un hélico français. Je n’ai pas vu d’eau. Que du sable. Le lac a rétréci de 90 %. Je ne pouvais pas en croire mes yeux. J’ai constaté par moi-même les ravages de la déforestation en Amazonie et en Indonésie. L’an dernier, j’ai visité le Groen-land sur un petit bateau. J’avais les pieds gelés à force de regar-der, une heure durant, ces centaines d’icebergs en train de dispa-raître. J’étais sidéré. Je vais bientôt retourner au pôle Nord et

monter à bord d’un brise-glace, avec l’aide du gouvernement norvégien. J’irai le plus loin possible dans l’océan Arctique pour voir le paysage qui s’est dégradé depuis mon premier passage, il y a huit ans.Tout cela ne vous déprime pas un peu�?

Non, cela me donne envie de crier aux gens : “Réveillez- vous !” Je n’ai pas le temps d’être déprimé. Je suis un opti-miste.On célèbre cette année le 70e anniversaire des Nations unies. A l’origine, l’institution a été créée pour maintenir la paix dans le monde. Or, vous dites que le combat du siècle, c’est sauver la planète. Vous sentez-vous toujours utile�?

Je suis conscient des critiques dont nous faisons l’objet, mais je pense que les Nations unies ont réussi à éviter de nombreuses guerres. C’est leur mission d’origine et, sans nous, le sang aurait coulé bien davantage, le monde serait plus tragique.Mais il y a eu des génocides. Le Rwanda, Srebrenica…

Les Nations unies sont là pour éviter que ces drames ne se répètent. J’ai pris les mesures nécessaires, nommé un envoyé spécial pour la prévention des génocides. Aujourd’hui, nous sommes mieux équipés pour lutter contre ces drames. L’institu-

tion a été réformée en profondeur dans son mode de manage-ment, et elle est aujourd’hui beaucoup plus efficace. Nous avons déployé 125 000 Casques bleus dans seize zones. Nous avons sorti au moins 500 millions de personnes de la pauvreté. Nous avons permis à des dizaines de millions de personnes de ne pas mourir de maladies prévisibles, grâce à nos Objectifs du millénaire pour le développement [OMD]. Pour moi, c’est ça, la réussite princi-pale des Nations unies. Et pourtant, il faut faire encore plus.Vous êtes grand-père de trois petites-filles. Quel monde voulez-vous leur laisser�?

Mon job, c’est de travailler pour le bien de l’humanité. C’est la responsabilité morale de tous les leaders politiques actuels. Pour la nature, les frontières ne sont que des limites administra-tives. L’environnement nous a adressé un signal d’alarme, qui

nous rappelle que nous vivons dans un monde inter-connecté. Ce qui compte, désormais, c’est de penser et d’agir au niveau planétaire, de coopérer avec les autres. Je dis aux jeunes : “Soyez un citoyen global. Agissez avec passion et compassion. Si vous êtes pas-sionné sans être compatissant, vous risquez d’aller au-devant de difficultés.” Combiner ces deux qualités, c’est la meilleure attitude à adopter dans le monde actuel.Brice Lalonde dit que chaque pays devrait avoir un ministre de la Planète…

Pourquoi pas ? On a besoin de leaders mondiaux, qui s’intéressent aux enjeux planétaires au lieu d’être focalisés sur leurs intérêts domestiques. Je leur dis : “Cessez d’avoir le nez sur la prochaine élection. Ne soyez pas l’otage de votre électeur. Sortez du court terme.” C’est ça, être un leader. ■

Un entretien avec Olivier Royant et Olivier O’Mahony

@OlivierRoyant @OlivierOmahony

Le 4 avril 2010, le patron de l’Onu contemple la carcasse de bateaux dans l’ancienne ville portuaire de Mouynak, en Ouzbékistan. La mer d’Aral, en Asie centrale, a été asséchée pour irriguer les cultures.

Les chefs d’entreprise ont compris que le dérèglement climatique est mauvais pour les affaires

Le combat de

Ban Ki-moon pour

la Terre.

LE FLOT DES POUBELLES SUBMERGE LES VILLESP H O T O N O Ë L C E L I S

3,5 MILLIARDS

D’HABITANTS N’ONT PAS ACCÈS À DES

SANITAIRES

A Manille, capitale des Philippines, des familles entières vivent de ce cocktail toxique�: la récupération des déchets.

DANS LE MONDE 100 TONNES DE DÉCHETS SONT GÉNÉRÉES CHAQUE SECONDE. SOIT 4 MILLIARDS DE TONNES PAR JOUR Aussi loin que coule la rivière, elle charrie de la boue, disaient les anciens. Ils ne pouvaient imaginer ces coulées de détritus, résultat de l’urbanisation galopante et de la croissance démographique. Un citadin produit deux fois plus de déchets qu’un rural. Dans les bidonvilles des pays émergents, le phénomène prend une ampleur catastrophique. Si rien n’est fait, la production mondiale de déchets solides devrait tripler d’ici à 2100, pour atteindre 11 millions de tonnes par jour. Elle a déjà été multipliée par 10 au XXe siècle. Des solutions existent�: moins de gaspillage, d’abord. Et du recyclage. Industriels et municipalités se mobilisent pour donner une seconde vie à nos poubelles.

70 PARIS MATCH DU 2 AU 8 JUILLET 2015

Paris Match. La COP21 sera un rendez-vous politique, mais aussi un moment où la voix de la société civile se fera entendre. Qu’allez-vous y “tonner” au nom de Veolia�?

Antoine Frérot. La question des émissions de gaz à effet de serre est un problème urgent. A terme, les conséquences risquent d’être incalculables et dramatiques. Pour pousser les acteurs éco-nomiques à diminuer leurs émissions de CO

2, il faut lui donner

un prix. Si 1 tonne de CO2 coûte 30 ou 40 euros à celui qui l’émet,

avec cet argent on peut financer une bonne partie de la dépollution. Ce serait un grand pas. Il y a aussi une alternative, similaire au mécanisme de l’eau mis en place il y a une cinquantaine d’années : une rede-vance sur les émissions carbone. Aujourd’hui, pol-luer ne coûte rien. Dépolluer, c’est le contraire. L’enjeu de cette redevance serait que, un jour, pol-luer revienne plus cher que dépolluer. L’économie du monde s’appuie encore, pour les matières premières, sur un schéma linéaire�: on extrait, on produit, on jette. Ce modèle n’est plus viable et vous voulez lui substituer celui d’une économie circulaire. Quels en sont les principes�?

Entre 1900 et 2000, le prix des matières pre-mières a été divisé par deux. Mais il a triplé depuis 2000 et va continuer d’augmenter, car on découvre moins rapidement les gisements qu’on ne les épuise. Or, les déchets sont une ressource. Quand vous recy-clez d’anciennes bouteilles de plastique pour en pro-duire de nouvelles, vous émettez 70 % de moins de CO

2 que lors d’une fabrication “classique”, à base

de résidus de produits pétroliers. Existe-t-il des “plafonds” techniques empêchant de recycler certaines matières�?

On sait presque tout faire, mais certaines molécules ont des qualités particulières. Les fibres de carbone des avions, par exemple : une fois retraitées, on ne sait pas encore leur garantir la même qualité de résistance. De même, on sait recycler les plas-tiques simples, les bouteilles d’eau “souples”, mais c’est plus com-pliqué avec les plastiques durs. On a aussi du mal à transformer les huiles alimentaires en d’autres huiles alimentaires ; alors, on en fait du biodiesel. C’est déjà très bien ! Mais la technique n’est

pas un frein. C’est le contexte politico-économique qui doit évoluer car nos poubelles sont amenées à devenir les mines du XXIe siècle.Pour le P-DG de Veolia, plus les Français consomment et jettent, mieux c’est, donc�?

On incinère 21 % de nos déchets, on en enfouit 25 % et on en recycle 54 %. Il y a donc une grande marge de progression. En recyclant 1 tonne de papier, on économise 19 arbres et 100 mètres cubes d’eau ; avec 1 tonne de plastique, 830 litres de pétrole. Je suis, au

LE P-DG DE VEOLIA, SPÉCIALISTE MONDIAL DU TRAITEMENT ET DU RECYCLAGE, PARLE D’UN DRAME QUI EST AUSSI UNE AUBAINE ÉCONOMIQUE

ANTOINE FRÉROT «�LES DÉCHETS SERONT LES MINES DU XXIE SIÈCLE�»I N T E R V I E W R O M A I N C L E R G E A T

contraire, pour que les Français fassent attention et recyclent. Vous-même, avez-vous changé vos habitudes de consommation�?

J’en maintiens une depuis tout petit : ne boire que de l’eau du robinet, pour ne jamais être malade ! Je trie mes déchets, je rapporte mes ampoules, mes piles, mes bouteilles et mes appa-reils électroménagers. Et je roule en hybride.Quels sont les biens de consommation recyclés les plus inattendus�?

On fabrique des engrais avec de la racine d’endive et des résidus de crème glacée. Nous démarrons des expériences de

retraitement des meubles. L’imagination est au pouvoir ! Les ordures ménagères, qui représentent 40 % des déchets en France, sont les plus difficiles à traiter.

Vous tentez une expérience de ramassage des particules, dans les rues, pour les retraiter. Est-ce l’avenir�?

C’est une idée de nos collaborateurs anglais : balayer les rues pour récupérer les hydroxydes de métal rejetés par les pots d’échappement, puis retirer les métaux rares qu’ils contiennent. Nous avons trouvé une technique simple. Du palladium, du rho-dium et même du platine ont déjà été extraits des balayures de rue ! Cela reste marginal en termes de volume, mais c’est symp-tomatique de ce qu’on fera dans le futur.Seriez-vous pour un monde où l’on se passerait du plastique qui met cinq cents ans à se dissoudre�?

Je suis pour le remplacement de tous les sacs en plastique par des sacs en papier, oui. Le problème nécessiterait une ordon-nance mondiale. On en revient à la question du CO

2, qui relève

d’une même gouvernance globale.Autant attendre la COP50�!

Ne soyons pas trop négatifs ! Il y a vingt ans, personne ne pensait régler le problème de la couche d’ozone. Et on l’a fait. ■

@RomainClergeat

Scannez le QR code et découvrez les miracles du recyclage.

Villa Literno, près de Naples. Environ 1,5 million de «�balles�» de déchets empilées en forme de trapèze pour un rangement optimal.

par i smatch .com 71

1 balle de plastique

= 1 mètre de

hauteur, 350 kilos. 12�000

bouteilles compressées,

400 conteneurs de ville et

l’équivalent de la

consommation annuelle de

27 personnes.

Ci-dessus�: à partir de 3�000 écrans triés et désossés pour leurs métaux précieux, 6�000 kilos de petits morceaux de plastique seront recyclés.

72 PARIS MATCH DU 2 AU 8 JUILLET 2015

DES RÉSIDUS À EXPLOITERPour 1 tonne de…

… vous économiserez

6 mois minimum

NON RECYCLÉDurée de vie dans la nature

RECYCLÉEmissions de CO

2 évitées

converties en distance*

100 ans minimum

450 ans minimum

100 ans minimum

4�000 ans minimum

Canettes, boîtes de conserve…

Emballage plastique en polyoléfines

Emballage plastique en PET

260 km

60 km

60 km

22�000 km

15�000 km

* A bord d’une voiture émettant 115 g de CO2 par km.

PAPIER

BOUTEILLES PLASTIQUE

VERRE

EMBALLAGE MÉTALLIQUE

SAC PLASTIQUE

LES CHIFFRES DU GASPILLAGE345 MILLIONS DE TONNES

DE DÉTRITUS EN FRANCE EN 201220 kilos d’aliments jetés par an et par personne,

dont 7 kilos de produits encore emballés. Coût�: de 12 à 20 milliards d’euros.

En quarante ans, le gaspillage alimentaire a doublé.

1 SEMAINE DE DÉCHETS SUR LA TABLE

Charlotte et Yves-Pol, comédiens, la trentaine. Habitent un 32-mètres

carrés dans le XVe à Paris.

Courses d’une semaine�: 6 bouteilles d’eau, 2 bouteilles (20 cl) de

lait, 2 bouteilles de vin, 1 bouteille de produit d’entretien, 2 gels douche, 2 shampooings, 3 bananes, 4 abricots,

2 aubergines, 2 morceaux de viande rouge, 3 paquets de gâteaux,

8 pots de yaourt.Le volume jeté est presque équivalent

au volume acheté�; 3 sacs de courses (7 kilos) = 1 sac-poubelle de 130 litres

(4 kilos).Environ 17,5 kilos hebdomadaires de

déchets. Et 0,5 tonne de CO2

(pour se loger, se déplacer, s’équiper et s’alimenter).

1 SEMAINE DE DÉCHETS DANS UN BOCALTiffany et Nicolas, 25 et 27 ans. Lui, ingénieur spécialisé dans les réductions d’énergie�; elle, chargée de communication.

Vivent dans le XVe, dans 42 mètres carrés. Adeptes du compostage. Font eux-mêmes le pain, les yaourts, le gel douche, le shampooing. Privilégient les bocaux en verre, qu’ils réutilisent pour congeler et mettre en conserve. Descendent une toute petite poubelle toutes les deux ou trois semaines. Déchets�: 1 bouteille de lait, 2 emballages en plastique (ils ont dû aller au supermarché car ils étaient en déplacement), 1 capsule de bouteille de bière, 1 étiquette en métal, 1 sachet d’amandes effilées.Charlotte Anfray

par i smatch .com 73

2100�: SI LE MONDE CONSOMMAIT COMME NOUS...

La population de la planète devrait avoisiner les 11 milliards d’habitants à la fin du siècle. Nous avons

cherché à savoir si l’humanité pourrait soutenir le même niveau de vie que la France aujourd’hui.

Méthodologie : La projection de ce que serait le monde en 2100, s’il présentait les mêmes caractéristiques que la France aujourd’hui, utilise les bases suivantes : nombre d’aéroports par million d’habitants, taux d’équipement en Smartphone, nombre de paires de chaussures achetées par habitant et par an, nombre de voitures pour 1 000 habitants et consommation annuelle de viande bovine par habitant.

Sources : Ademe ; Ordif (Déchets) / Onu ; Insee ; Ward’s Auto ; ACEA ; Stanford University ; eMarketer ; Mobile Marketing Association ; FAO FranceAgriMer ; CIA World Factbook ; Packaged Facts ; Fédératon française de la chaussure (Le monde en 2100).

Enquête : Adrien Gaboulaud et Anne-Sophie Lechevallier. Illustration : Dévrig Plichon.

Pour fabriquer 5,6 milliards de voitures électriques, il faudrait extraire plus

de 130�% des ressources actuellement exploitables de lithium, un métal rare utilisé dans les batteries.

Si 11 milliards d’humains consommaient autant

de viande bovine que les Français aujourd’hui, cela représenterait un supplé-ment d’émissions de gaz à effet de serre équivalent à ce qu’émet chaque année

l’Union européenne en utili-sant des énergies fossiles.

1 milliard 67 millionsde tonnes

1,9 milliard

5,6 milliards 221 millions5,3 milliards

ll d ll

Il faudrait multiplier la production de

chaussures par plus de 6.

CHAUSSURESPaires produites par an

10 milliards

66 milliards

ll d

SMARTPHONENombre total

41�800

75�900

AÉROPORTSNombre total

VOITURESNombre total

VIANDE BOVINEConsommation annuelle

Niveau actuel

X�6130%

Conséquence

Si l’humanité consommait comme les Français

LES NOUVEAUX ESPACES LES PLUS PEUPLÉS

1/ Facebook 1�441 millions d’utilisateurs2/ Chine 1�402�005�590 habitants3/ Inde 1�295�091�162 habitants4/ Tencent 820 millions d’utilisateurs5/ WhatsApp 800 millions d’utilisateurs

6/ Linkedin 364 millions d’utilisateurs7/ Google+ 343 millions d’utilisateurs8/ Etats-Unis 324�825�362 habitants9/ Twitter 302 millions d’utilisateurs10/ Indonésie 255�777�609 habitants

AVANT LA CONFÉRENCE PARIS CLIMAT 2015 EN DÉCEMBRE, PARIS MATCH RENCONTRE CEUX QUI LES PREMIERS SE SONT LEVÉS CONTRE LES AFFRONTS FAITS À LA NATURE

Il y a six décennies, «�Le monde du silence�» remportait la Palme d’or�: le commandant Jacques-Yves Cousteau menait les spectateurs sous la surface des océans. Aujourd’hui, son fils aîné, Jean-Michel, 77 ans, a réalisé «�Secret Ocean 3D�». Ses coéquipiers, Fabien et Céline, ne sont autres que ses enfants. Tout le clan Cousteau conti-nue le combat�: montrer la beauté des fonds marins pour donner envie de les protéger. Une aventure au long cours et plus que jamais nécessaire sur la planète bleue, dont la mer occupe 70�% de la surface. Malgré sa résis-tance, elle commence à tanguer, cer-née par des prédateurs qui la pillent de toutes parts. Bétonnage des côtes, surpêche, pollution chimique, déchets en plastique… Il est temps d’agir.

4/ LES COMBATTANTS DE L’ECOLOGIE

De g. à dr.�: Fabien, Jean-Michel, fondateur d’Ocean Futures Society,

et Céline Cousteau, au large de La Paz, au Mexique.

P H OTO S É B A S T I E N M I C K E

POUR LA MER, COUSTEAU RIME

AVEC HÉROS DEPUIS TROIS

GÉNÉRATIONS

62 PARIS MATCH DU 30 JUILLET AU 5 AOÛT 2015

RENCONTRE AVEC JEAN-MICHEL, LE FILS DU COMMANDANT, ET AVEC FABIEN ET CÉLINE, SES PETITS-ENFANTS

CÉLINE «�NOTRE NOM NOUS DONNE LE DEVOIR D’ÉDUQUER�»

JEAN-MICHEL COUSTEAU «�DANS LES ENTRAILLES D’OISEAUX, J’AI TROUVÉ DES BRIQUETS, DES TUBES DE MASCARA... C’EST EFFARANT�»

Une passion, trois profils (de g. à dr.)�:

Jacques-Yves Cousteau, ses fils Philippe, qui

mourra dans un accident d’hydravion,

et Jean-Michel. Ici en 1972.

Paris Match. Votre nouveau film en 3D, c’est un peu “Le monde du silence” du XXIe siècle�?

Jean-Michel Cousteau. Vous ne croyez pas si bien dire : nous le présenterons au prochain Festival de Cannes, à l’occa-sion du 60e anniversaire de la Palme d’or de mon père. J’avais 7 ans quand il m’a mis un autonome sur le dos et m’a poussé par- dessus bord. C’était il y a soixante-dix ans. Depuis, je n’ai jamais arrêté de plonger. Je suis sans doute le plus vieux plon-geur en activité. Malgré tout, il y a des espèces trop petites ou trop rapides que je n’ai jamais pu observer aussi bien que je l’aurais voulu. Avec les caméras 3D dont nous disposons maintenant, ce problème est résolu. Mon père n’a jamais pu voir ce que Céline, Fabien ou moi avons désormais sous les yeux. Ces créatures parfois indécelables ne présentent pas seulement une esthétique fabuleuse, elles sont à l’origine de toute vie dans les océans. Le commandant Cousteau a fait découvrir les fonds marins dans le monde entier. Que vous reste-t-il à faire�?

Fabien Cousteau. Les problèmes sont posés. Notre généra-tion a le devoir de trouver des solutions.

Céline Cousteau. Nous sommes en péril, car nous dépen-dons des océans à 100 %. Il n’y a pas les humains d’un côté, les animaux de l’autre, mais un même équilibre. Le comprendre, c’est prendre conscience de soi-même. Et d’une philosophie.

J.-M.C. Le commandant Cousteau nous disait : “Les gens protègent ce qu’ils aiment.” Moi, j’ajouterais : “Comment vou-lez-vous protéger ce que vous ne connaissez pas ?” Or, il y a dans

les océans des milliers et des milliers d’espèces dont on ignore tout. C’est notre devoir de continuer d’explorer.Que signifie le nom de Cousteau aujourd’hui�?

C.C. Lors d’une récente conférence aux Bahamas sur la pollution plastique des océans, j’ai posé cette question et dix personnes seulement savaient qui était mon grand-père. J’ai ensuite demandé : “Qui fait de la plongée ici ?” Nous étions aux Bahamas et quasiment tout le monde a levé la main. “Eh bien, sachez que vous ne plongeriez pas aujourd’hui s’il n’avait pas inventé le détendeur et les équipements de plongée”, ai-je

expliqué. Le commandant Cousteau fait partie de l’histoire, mais l’histoire avance… Le nom qu’il nous a laissé nous

donne le devoir de continuer à éduquer les nouvelles générations.

J.-M.C. Ce qui est important, ce n’est pas tant son nom que la mission qu’il nous a léguée : donner

envie aux jeunes de découvrir un monde inconnu. A eux d’éduquer leurs parents. Les décisions qu’ils prennent, sur

le plastique par exemple, nous-mêmes étions incapables de les assumer à leur âge !

C.C. Mais, soyons honnêtes, ce sont les enfants privilégiés qui reçoivent une éducation incluant des notions d’environ-nement. L’éducation environnementale devrait pourtant être

I N T E R V I E W R O M A I N C L E R G E A T

par i smatch .com63

FABIEN «�ARRÊTONS D’EMPRUNTER AUX OCÉANS CE QU’ON EST INCAPABLE DE REMBOURSER�»

prioritaire. Comme d’apprendre à lire et à compter.Si la mer devient l’eldorado financier et scientifique qu’on nous promet, les problèmes ne se régleront-ils pas rapidement�?

J.-M.C. Les poissons et les dauphins ne votent pas… Il fau-drait que les gens comprennent que préserver l’environnement rapporte aussi de l’argent. La mer, je le rappelle, c’est 70 % de la planète. Il faut passer à l’aquaculture. Pratiquer l’élevage en quantité suffisante mais raisonnable permet de ne pas faire tra-verser au poisson 10 000 kilomètres jusqu’à nos assiettes.

C.C. Une “blue economy” se développe autour de l’aqua-culture. Je fais partie du conseil des océans au World Economic Forum. Les businessmen ne portent plus seulement sur les mers un regard d’économistes, ils pensent à l’environnement. Ils ont compris que ça payait.

F.C. Durant mes années d’études, j’avais opté pour un cur-sus qui n’était pas très populaire il y a trente ans : “économie de l’environnement”. Aujourd’hui, il fait le plein. L’économie de la Floride, c’est 73 milliards de dollars de PIB par an ; 67 mil-liards de dollars sont plus ou moins liés à l’océan. Arrêtons de lui emprunter ce que nous serons incapables de rembourser !Quelle est votre attitude vis-à-vis des gouvernants, de leurs belles promesses rarement tenues�?

J.-M.C. Il vaut mieux

dialoguer avec eux plutôt que les montrer du doigt. Ils ont une famille, des enfants. Ils peuvent arriver à faire le pont entre leurs obligations et l’avenir de notre espèce. La politique, je m’en moque. Je m’assois avec qui veut bien m’écouter.Depuis le sommet de Rio, en 1992, trouvez-vous que la prise de conscience écologique a avancé�?

J.-M.C. C’est mieux, mais c’est encore trop lent. Le théo-rème est simple : solution = action. Je souhaite, par exemple, que 10 % des océans soient déclarés zones préservées. Il y en a à peine 3 % aujourd’hui, pour 30 % des terres.Fabien, vous êtes resté un mois sous la mer dans la station Aquarius. Quel bilan en avez-vous tiré�?

F.C. Nous avons collecté trois ans de données en trente et un jours. Et nous avons obtenu 20 milliards de citations dans les médias du monde entier ! On a même fait des conférences depuis le fond des océans avec 70 000 étudiants !L’écologie du XXe siècle s’appuyait sur de grands hommes, votre grand-père notamment. Aujourd’hui, un gamin citoyen comme Boyan Slat invente, seul dans son coin, un moyen de nettoyer les océans. Y voyez-vous une filiation�?

J.-M.C. Ça serait intéressant de savoir d’où lui vient son inspiration. Mais ce sont des milliers de gamins comme lui qu’il nous faudrait.Que devient la “Calypso”�?

J.-M.C. Elle est en mauvais état et ne flottera plus jamais. Mais je viens de dîner avec le prince de Monaco. Je

l’ai vu naître, Albert ! C’est vraiment un type sympa. Il a été très clair : “Je ne veux pas entrer dans les problèmes légaux, m’a-t-il dit. Mais quand il n’y aura plus de litiges avec la seconde femme du commandant Cousteau, je suis prêt à acheter la ‘Calypso’.” Je rappelle que mon père était directeur du Musée océanographique de Monaco. J’ai proposé au prince de couler la “Calypso” au large de Monaco, où les cendres de ma mère sont dispersées. Il a eu une meilleure idée encore : l’installer juste à côté de l’Institut océanographique, sur le toit du parking, pour

que tout le monde puisse la voir.Avant de commencer cet entretien, on vous a proposé une bou-teille d’eau et vous l’avez refusée. Pourquoi�?

J.-M.C. C’est une allergie intellectuelle. Songez que sur un bateau de croisière comme le “Paul Gauguin”, où j’ai fait une conférence, 250 000 bouteilles de plastique sont consommées chaque année pour 300 passagers ! J’ai vu des milliers d’oiseaux qui ne pourront jamais voler, leurs entrailles étaient pleines de billes de plastique : briquets, bouchons, tubes de mascara, etc. C’est effarant ! Quand je ne peux pas faire autrement qu’utiliser du plastique, je rapporte la bouteille dans ma valise.Comment résolvez-vous la contradiction de vouloir préserver la planète tout en voyageant autant et, donc, en fabriquant autant de CO2�?

J.-M.C. J’avoue. Nous sommes de gros coupables. J’ai 3 millions de miles sur ma carte American Airlines. Mais impossible de trouver des solutions sans parler des problèmes.

C.C. Je ne me sens pas en contradiction. Si on ne va pas montrer ce qui se passe, le public ne modifiera pas son approche de l’écologie. Cela a un coût en CO2, je l’admets. Mais, au bout du compte, nous faisons plus de bien que de mal. En ce qui me concerne, mon attitude écologique est sûre : je recycle, j’utilise peu de plastique, je mange bio, je ne consomme pas les poissons en voie d’extinction.

F.C. Avant chaque voyage, on se pose la question de savoir si c’est vraiment utile. Parfois, je propose à ceux qui souhaitent m’inviter de passer par Skype… Ils refusent tou-jours. Ils veulent un Cousteau en chair et en os… ■

@RomainClergeat

1. Jours heureux�: Jacques-Yves Cousteau avec son épouse Simone, leurs enfants, Philippe et Jean-Michel, et un cousin, Jean-Pierre. 2. Des héros tout simples. Paul-Emile Victor (à g.), l’aventurier du Grand Nord, reçoit Maurice Herzog (à dr.), le vainqueur de l’Annapurna, et Jacques-Yves Cousteau dans la cabane qu’il a construite à Rambouillet, en 1956. 3. Philippe Cousteau, petit-fils du commandant, dans le parc naturel Blue Spring de Floride, où il prépare un documentaire, en 2006.

2

1

3

Le commandant

Cousteau raconté par sa

famille.

LANCEURS D’ALERTE...DE NICOLAS HULOT À JEAN-LOUIS ETIENNE, LA DÉFENSE DE LA TERRE A DONNÉ UN SENS À LEUR VIE

SANDRA BESSUDO, au large de l’île

colombienne de Malpelo, en 2008. La biologiste a

œuvré pour son entrée au patrimoine de l’humanité.

LEONARDO DICAPRIO à la tribune des Nations unies pour le sommet sur le climat,

en 2014. L’acteur a créé une fondation en faveur de l’écologie.

ROBERT REDFORD dans son ranch de l’Utah, en 2005. Il a créé en 1985 Sundance, un festival de cinéma qui a primé plusieurs films sur l’écologie.

NICOLAS HULOT, en 2011 avec, à sa gauche, Raoni, le chef de la tribu amazonienne des Kayapos. «�L’émerveillement est le premier pas vers le respect�», dit la devise d’«�Ushuaïa nature�».

JANE GOODALL, la primatologue

britannique qui a vécu parmi les chimpanzés.

A 81 ans, elle n’a pas renoncé à son combat

pour la biodiversité.

JEAN-LOUIS ETIENNE a mené de nombreuses

expéditions pour faire connaître les régions polaires.

Ici en Arctique en 2011.

BOYAN SLAT, 21 ans. Le jeune

Néerlandais a imaginé d’énormes barrières

flottantes pour débarrasser les océans

des milliards de tonnes de plastique qui les polluent.

ROBERT KENNEDY JR, avec un de ses faucons, à

Cap Cod. Il anime un talk-show à la radio pour

dénoncer les pollueurs.

CHICO MENDES, pionnier de la défense de la forêt amazonienne, et sa famille au Brésil. Son exécution a été commanditée, en 1988, par un riche éleveur.

JULIA HILL a défié seule, à 24 ans, une puissante compagnie forestière californienne, en passant 738 jours dans un séquoia géant de 1�500 ans pour éviter qu’il soit abattu.

... ET MARTYRSCOMME DIAN FOSSEY ET CHICO MENDES, ILS SONT NOMBREUX À DÉCOUVRIR QUE PROTÉGER LA PLANÈTE, C’EST SE FAIRE DES ENNEMIS MORTELS

DIAN FOSSEY au Rwanda en 1985. A 53 ans,

l’éthologue américaine qui a donné sa vie pour

les grands singes est sauvagement assassinée.

EMMANUEL DE MERODE, le directeur du parc national des Virunga, en République démocratique du Congo, a été grièvement blessé lors d’une embuscade en 2014.

Un «�silverback�», gorille dominant du parc

national des Virunga, victime de braconniers.

LE PREUX CHEVALIER DU GRAND LARGE

PAUL WATSON

Pirate… il en est fier. Et arbore pavillon noir et tête de mort. Depuis 1977, année où il a fondé son ONG, Sea Shepherd Conservation Society (littéralement «�berger

des mers�»), Paul Watson traque les braconniers qui mettent baleines, requins ou phoques en danger. Cet adepte des interventions musclées s’attaque aux bateaux, pas aux hommes, et mène une guerre de partisans faite de har-cèlement et d’éperonnages. Des opérations souvent risquées et à la limite du droit. Ses méthodes, controversées mais efficaces, ont inspiré plusieurs

documentaires et même une série télévisée, «�Justiciers des mers�». En 2000, «�Time�» l’a désigné comme l’un des héros écologistes du XXe siècle. Mais pas question pour lui d’entrer dans l’Histoire. Le vieux loup de mer continue le combat.

Devant le «�Sam Simon�», l’un des neuf bâtiments de Sea Shepherd Conservation Society, Paul Watson et son équipage de bénévoles, dans le port de La Rochelle, fin avril 2015, après l’opération «�Icefish�», 11e campagne de défense de l’association.

P H O T O B E R N A R D S I D L E R

FORT D’UNE FLOTTE DE NEUF NAVIRES, L’ACTIVISTE CANADIEN AFFRONTE AVEC AUDACE BALEINIERS ET AUTRES RAPACES DE L’ENVIRONNEMENT

Le «�Sam Simon�» coupe la route du «�Thunder�», navire braconnier immatriculé au Nigeria, dans l’océan Indien, en mars 2015. La poursuite a commencé en Antarctique. Elle durera cent dix jours.

Confrontation musclée aux îles Féroé, une province autonome du

Danemark, en 1985. Les bénévoles du «�Sea Shepherd II�» interviennent

contre une pratique «�traditionnelle�»�: le massacre de dauphins pilotes.

PAUL WATSON «�40�% DES POISSONS SONT PÊCHÉS POUR NOURRIR D’AUTRES ESPÈCES. LES COCHONS EN MANGENT PLUS QUE LES REQUINS�»

En brossant les bébés phoques, Paul Watson a voulu montrer qu’il y avait une alternative à leur massacre�: récupérer leurs poils pendant la mue pour les utiliser comme duvet�! Dans le golfe du Saint-Laurent, près de Terre-Neuve, en 1998.

Au canon à eau. Le navire japonais «�Nisshin Maru�», qui pêche illégalement la

baleine dans l’Antarctique, éloigne le bateau

de Sea Shepherd, en 2009.

Paris Match. Qu’attendez-vous de la COP21�?Paul Watson. Rien. Juste un espoir. Que la France montre

un leadership solide. C’est une opportunité rare de laisser un héritage positif. Ma philosophie est simple : la nature réglera la question du changement climatique d’une manière ou d’une autre. Le problème n’est pas la planète mais l’humanité ! La nature obéit à trois lois : diversité, interdépendance et limite des ressources. Lorsque nous volons les ressources d’autres espèces, nous provoquons un déséquilibre mettant en péril l’écosystème dans son ensemble. Au rythme où l’on va, on se dirige vers un effondrement. Probablement avant la fin du

siècle. Le monde de 2050 ressemblera à celui de 1850 : il y aura pour se déplacer des bateaux à voile, des moulins à vent, des chevaux…Vous êtes bien pessimiste. Vous ne croyez pas à l’électrique pour le transport, par exemple�?

Non, car il y a 7,5 milliards d’habitants sur Terre. Quand je suis né, ils étaient moitié moins. Et on en compte 1 milliard de plus tous les dix ans. Or, le monde ne pourra pas subvenir aux besoins de 15 milliards de personnes. C’est impossible ! Le développement durable, c’est de la foutaise, un mot inventé pour dire : “Continuons comme ça.” Les pauvres veulent deve-

nir riches et ces derniers, le rester. Il n’y a pas de pêche durable, pas de déforestation durable, pas de civilisation durable. Nous ne faisons que voler notre propre espèce.Votre image publique est très controversée. Avez-vous directement accès aux leaders�?

Non. J’ai construit un comité de célébrités pour pou-voir les toucher, justement. Beaucoup sont d’accord avec ce que nous disons, mais ne veulent pas être vus avec nous. Hier, grâce à Pamela Anderson, j’ai fait transmettre un message à Poutine pour empêcher le passage en mer Baltique d’un cargo de viande de baleine. Parce que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre cette “guerre”, nous avons avec nous deux James Bond, Sean Connery et Pierce Brosnan. Christian Bale, qui a joué Batman, est un supporteur aussi. Comme Martin Sheen. On n’écoute pas les scientifiques sérieux. On entend leur message quand il est véhiculé par des acteurs.Vous êtes très fort en matière de communication. Etait-ce une stratégie planifiée depuis le début�?

J’ai décidé de devenir un activiste en voyant des chas-seurs massacrer des ratons laveurs au Canada. J’avais 11 ans. Et j’ai cofondé Greenpeace en 1969, à 19 ans. Entre-temps, j’ai suivi les cours de communication dispensés par Marshall McLuhan. J’ai vite assimilé qu’il ne suffisait pas d’avoir rai-son, et que je devais utiliser les outils adéquats. Les médias comprennent quatre choses : sexe, scandale, violence et célé-brités. J’ai donc mis cette maxime en application quand j’ai amené Brigitte Bardot sur la banquise, en 1977, pour sauver les bébés phoques. En 1984, j’ai lancé une campagne avec Bo Derek contre le massacre des loups en Colombie-Britannique. Sans sa présence à la conférence de presse, il n’y aurait eu per-sonne. Je sais ces choses-là.Votre sens de la communication et le but de votre action n’entrent pas en conflit�?

Je pose des limites. Nous n’avons jamais blessé personne. Nous opérons dans le périmètre de la loi. Et pourtant, je suis sur la liste d’Interpol avec les grands criminels

I N T E R V I E W R O M A I N C L E R G E A T

par i smatch .com 71

(Suite page 72)

72 PARIS MATCH DU 30 JUILLET AU 5 AOÛT 2015

Sur le «�Farley Mowat�», au large des îles

Galapagos, en avril 2003, Paul Watson lutte alors

avec la police équatorienne pour

arrêter le braconnage des requins.

non parce que j’ai commis un acte illégal, mais à cause des pressions politiques du Japon et du Costa Rica. Qu’est-ce que je fais là, moi ? Pourquoi réfutez-vous le terme d’«�écoterroriste�»�?

Même le vocabulaire est pollué. BP ou Monsanto sont des écoterroristes. Les baleiniers japonais sont des écoterro-ristes. Pas moi ! Comment le serais-je en protégeant la nature ? Mais quand vous percutez d’autres bateaux pour les empê-cher de pêcher, n’est-ce pas de la violence�?

La dernière fois, c’était en 1992. Pour détruire l’instrument qui permettait d’ôter une vie. “Vous ne pouvez pas commettre un acte de violence contre une espèce non vivante”, a dit Martin Luther King. Si un homme est sur le point d’en tuer un autre et que vous lui prenez son arme, est-ce un acte de violence ? Pour moi, c’est l’inverse. Greenpeace m’a accusé en 1977 d’“acte de violence”, parce que j’avais retiré un fusil des mains d’un chasseur. J’avais sauvé la vie d’un phoque. Le phoque a vécu, l’homme n’a pas été blessé et l’arme a été détruite.Pourquoi avez-vous quitté Greenpeace�?

Sachez, d’abord, que plus aucun des membres fondateurs n’est encore à la direction de Greenpeace. Ça dit quelque chose, ça ! Greenpeace, c’était le nom de notre premier bateau, bien avant d’être celui de l’organisation. Au milieu des années 1970, Greenpeace a commencé à grandir et à rapporter de l’argent.

Des avocats, des comptables sont entrés dans la danse. Patrick Moore, le vice-président, a participé à la campagne de 1977 pour sauver les bébés phoques. Celle pour laquelle la photo de Brigitte Bardot devait avoir un retentissement mondial. Mais Moore a voulu monter dans un hélicoptère avec elle. J’ai refusé. La place était réservée pour le photographe, dont la présence était plus importante. Moore m’a alors menacé en disant que, s’il devenait un jour président, je serais viré. Six mois plus tard, c’était le cas. Je ne veux plus polémiquer avec Greenpeace, qui est devenu une sorte de multinationale de l’environnement avec un budget de 400 millions de dollars par an. Nous avons 2 % de leur budget, mais nous possédons neuf bateaux quand ils en ont seulement trois. Nous faisons plus de campagnes qu’eux chaque année. Ils ont l’argent, j’ai la passion.Quelle est la taille actuelle de votre organisation�?

Nous n’avons pas de membres à proprement parler, mais 500 000 sympathisants. Notre démarche est claire : voilà le problème politique, voici ce qu’on va faire pour le résoudre. Si vous approuvez, donnez de l’argent. Nous ne nous prosti-

tuons pas. Les gens viennent à nous. La plupart sont béné-voles, nous n’avons qu’une vingtaine de salariés. Mais il

y a, en permanence, 100 personnes en campagne sur nos bateaux. Notre budget global est de 10 millions de dollars par an. Dont 90 % sont utilisés pour des actions concrètes.

Comment recrutez-vous les participants à ces expé-ditions qui demandent savoir-faire et sang-froid�? Ils

semblent parfois un peu illuminés…Avec une question : êtes-vous prêt à mourir pour une

baleine ? S’ils répondent non, on ne les prend pas. Et quand certains me disent que c’est une situation un peu extrême, je réponds que je ne vois pas en quoi. De tout temps, on a envoyé des gens mourir pour de la terre, pour une religion. Cela me semble bien plus noble de risquer sa vie pour une espèce en danger, moins insensé de vouloir mourir pour la planète.Vous avez 64 ans et venez de vous marier. Les années ne vous ont pas assoupli le caractère�?

«�BP OU MONSANTO SONT DES ÉCOTERRORISTES.

PAS MOI�! COMMENT LE SERAIS-JE EN PROTÉGEANT

LA NATURE�?�»

par i smatch .com 73

Si je me réveillais un matin en pensant que je ne suis plus prêt à mourir pour ma cause, j’arrêterais. J’ai toujours pensé que les gens prêts à risquer leur vie pour une cause sont les seuls vraiment vivants.Sans vous, sans votre image si forte, Sea Shepherd peut-il continuer�?

Chaque entité de Sea Shepherd a son responsable territo-rial. Si je ne suis plus là, ils continueront. Sea Shepherd se défi-nit d’abord par ses actions. A l’heure actuelle, nous avons deux bateaux en campagne aux îles Féroé et une équipe à terre pour lutter contre le massacre des baleines. Nous avons des équipes au Honduras, au Costa Rica et au Nicaragua pour protéger les tortues, au Cap-Vert et en Bretagne pour sauvegarder les oiseaux, à Marseille pour nettoyer la Méditerranée du plastique qui la pollue. Il y a au moins une dizaine d’opérations en cours et ce n’est pas moi qui les dirige. Un jour, un type m’a appelé aux Etats-Unis en me disant : “Je vis en Ecosse, je suis employé de bureau. A côté de chez moi, on tue des phoques, que comp-tez-vous faire pour arrêter ça ?” Je lui ai répondu : “Vous êtes

en Ecosse où l’on tue des phoques ? Moi, je suis à 6 000  kilomètres. Que comptez-VOUS faire ?” Il a monté Sea Shepherd Ecosse et, deux ans après, la chasse au phoque était interdite là-bas. Personne n’a besoin de Paul Watson.

N’en faites-vous pas un peu trop quand vous hissez votre dra-peau de pirate�?

Au contraire ! Il a provoqué un boom dans les soutiens. Il y a eu de grands pirates dans l’histoire : sir Walter Raleigh, sir Francis Drake, Robert Surcouf, John Paul Jones qui a fondé la marine américaine…Aviez-vous des héros écolos quand vous étiez jeune�?

Jules Verne, à cause du capitaine Nemo. J’ai eu un sous-marin, mais ce n’était pas pratique. J’ai aussi travaillé avec Cousteau dans les années 1980. Il fut un des grands éduca-teurs du public. Ses petits-enfants nous aiment bien. Philippe m’a même remis un prix. Mais le monde a changé. Les attaques contre la planète sont devenues plus agressives, plus

1. Sur la liste des objectifs de Sea Shepherd, les navires neutralisés sont cochés. 2. A l’abordage. Paul Watson, en avril 2003. Il a aujourd’hui trouvé refuge en France. 3. Le jour de son mariage avec Yana Rusinovich, le 14 février 2015, à Paris. A g., Jacques Perrin, un réalisateur engagé pour la cause de la planète.

12

3

nombreuses, plus intensives. Ses défenseurs ont dû se mettre au diapason.Etes-vous absolument contre toute alimentation à base d’espèce animale�?

Nous tuons 65 milliards d’animaux chaque année. Cela contribue aux émissions de carbone davantage que toute l’in-dustrie du transport ! C’est la plus grande cause de pollution des océans, où l’on trouve désormais des “zones mortes”. Et 40 % des poissons pêchés le sont pour nourrir d’autres espèces. Les cochons mangent plus de poissons que les requins ! C’est proprement absurde. Il n’y a pas assez de poisson dans la mer pour continuer à nourrir une population toujours croissante. On ne peut pas être un vrai défenseur de l’environnement sans être végan. On comptait 60 000 baleines il y a cinquante ans, il en reste 10 000. Et combien de vaches élevées pour nos besoins ? 2 milliards. Combien de poulets ? 60 milliards. Stop !Votre solution pour le changement climatique, c’est donc d’arrê-ter de manger de la viande�?

Il y a des solutions, mais personne ne veut les entendre. Arrêter toute pêche industrielle, tout de suite. On détruit les océans pour avoir du poisson dans son assiette. Trois cent mille baleines ont été tuées au XXe siècle. Or, chaque jour,

une baleine défèque 3 tonnes de déchets dont se nourrit le plancton. Depuis 1950, il y a eu une baisse de 50 % du plancton dans nos océans. Cherchez l’erreur… Nous détruisons notre système de survie. Ce n’est pas possible d’avoir 7 milliards d’humains se nourrissant de viande. Le cycle naturel, c’est : une espèce prend et redonne sous une autre forme. Qu’avons-nous donné aux océans ? Rien. Les seuls moments où ils ont retrouvé un certain équilibre, c’est pendant les guerres mon-diales. Si on arrêtait la pêche industrielle, en vingt ou trente ans, on aurait repeuplé le système marin.Des phrases comme “Un ver est plus important qu’un homme”, c’est de la com’ ou c’est sérieux�?

C’est sérieux ! Un ver n’a pas besoin de nous. L’inverse n’est pas vrai. Pareil

pour les abeilles. Si elles disparaissaient demain, des millions de gens mourraient. On doit développer une façon de se nourrir basée sur les plantes. Il y va de notre survie. De toute votre carrière d’activiste, quelle est la chose dont vous êtes le plus fier�?

De n’avoir jamais blessé aucun être humain. Nous pra-tiquons la non-violence agressive. Aucune religion n’aura jamais mes faveurs, parce qu’elles mettent l’homme au centre de tout. Cependant, lorsque j’ai rencontré le dalaï-lama, en 1989, il m’a dit : “Il ne faut faire de mal à personne mais, par-fois, quand quelqu’un s’obstine à ne pas voir la lumière, faites-lui peur jusqu’à ce qu’il l’aperçoive enfin.” ■ Interview Romain Clergeat

@RomainClergeat

«�ON NE PEUT PAS ÊTRE UN VRAI DÉFENSEUR DE L’ENVIRONNEMENT SANS ÊTRE VÉGAN�»

Notre reportage

à bord du «�Sam Simon�» avec Paul Watson.

AVANT LA CONFÉRENCE CLIMATIQUE PARIS 2015 EN DÉCEMBRE, LE CINQUIÈME VOLET DE NOTRE SÉRIE EXPLORE LES MENACES QUI PLANENT SUR LES MERVEILLES VIVANTES DE NOTRE PLANÈTE

5/ ANIMAUX EN DANGER DE MORT

L’«�or blanc�» qu’ils portent avec majesté les désigne à une mort sanglante. Traqués pour leurs défenses mais aussi pour leur viande, les éléphants risquent de disparaître. Comme 25�% des mammifères, 13�% des oiseaux et 41�% des amphibiens, selon la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Les dinosaures se sont éteints sous l’impact d’une météorite géante. Aujourd’hui, c’est l’homme qui massacre la faune en pillant ou en polluant les ressources. La pêche industrielle a décimé 80�% des pois-sons en quinze ans. Nous tuons les micro- organismes du sol, milieu le plus vivant du monde, acidifions les océans, détruisons les forêts, répandons des poisons dans l’air et dans l’eau… Notre matière grise nous distingue. Il est temps de l’utiliser à bon escient.

Dans le Parc national Queen Elizabeth, en Ouganda, classé réserve de biosphère par l’Unesco, les éléphants peuvent espérer vivre tranquilles.

P H O T O J O E L S A R T O R E

«�ON RECONNAÎT LE DEGRÉ DE CIVILISATION D’UN PEUPLE

À LA MANIÈRE DONT IL TRAITE SES ANIMAUX�»

GANDHI

Réfugiés climatiques�: quand trop de banquise fond en été, impossible de chasser pour cette ourse et son petit.

OURS POLAIRES, ABEILLES, ALBATROS,LES HOMMES LEUR INFLIGENT DES SOUFFRANCESIls sont devenus le symbole d’une planète à la dérive. Mais la disparition des ours blancs, en soi, ne menace pas l’humanité. Il en va autrement des abeilles, décimées par certains pesticides, les néonicotinoïdes, extrêmement répandus. Ils empoisonnent les systèmes nerveux et immunitaire des butineuses, qui ne retrouvent plus leur essaim ou succombent aux infections. Or, en volant de fleur en fleur, ces ouvrières sont indispensables à la reproduction de beaucoup de plantes cultivées. Sans elles, ni pommes, ni cerises, ni tomates, ni melons… Toutes les espèces – y compris l’humaine – dépendent les unes des autres. Le moindre déséquilibre affecte la vie dans son ensemble.

«�JE SUIS UN PETIT ANIMAL DANS UN GRAND COSMOS�»

ISABELLE AUTISSIER

Une abeille morte dans l’Oregon. Barack Obama a annoncé un moratoire

sur les pesticides incriminés.

Cet albatros a ingéré des déchets en plastique qui, dans l’eau, peuvent ressembler à des proies.

51�000 € LE KILO,

PRIX DE LA CORNE DE RHINOCÉROS. PLUS CHER QUE

L’OR (33�000 EUROS LE KILO).

Le panda géant, ou grand chat-ours, comme l’appellent les Chinois, se nourrit exclusivement de bambou.

Espèce presque éteinte à la fin du XIXe siècle, la baleine franche australe, ici en Afrique du Sud, est protégée avec succès depuis 1935.

En Afrique, il reste 5�000  rhinocéros noirs, en

danger critique à cause de la recrudescence des trafics.

CES JOYAUX DE LA VIE

POURRAIENT DISPARAÎTRE

À JAMAISVictime de sa beauté, le tigre fut longtemps le trophée de chasse par excellence. Plus

grand félin du monde, il est passé de

100�000 individus, au début du XXe siècle, à

3�000 aujourd’hui. Malgré les protections

dont il fait l’objet, il reste menacé par la

déforestation et par le braconnage. Plus en

danger encore, le rhinocéros noir

d’Afrique est victime d’un mythe�: les

supposées vertus aphrodisiaques de sa

corne. Le panda géant, lui, souffre de

l’étiolement des forêts de bambous, dont il

se nourrit. Mais les Chinois, pour qui il

représente une icône nationale, lui ont consacré plus de

60 réserves. De quoi garder espoir. Les hommes ont déjà réussi à sauver la

baleine franche australe, autrefois

décimée.

Le tigre du Bengale, principale sous-espèce de tigre, ne compte plus

que 2�500 individus, dont une majorité en Inde.

60 PARIS MATCH DU 3 AU 9 SEPTEMBRE 2015

Paris Match. Comment avez-vous réalisé que nous vivions une extinction de masse, la sixième�?

Elizabeth Kolbert. En écrivant un livre sur le changement climatique il y a dix ans, à la suite d’une série d’articles dans “The New Yorker”, j’ai commencé à me rendre compte que ce changement n’était qu’une partie d’une plus grande histoire, qui raconte la manière dont les êtres humains changent la planète. Plus tard, lors d’une enquête sur la crise des amphibiens, j’ai compris que nous étions au milieu de cette sixième extinction.Q u ’e s t- c e q u e c e t t e “s i x i è m e extinction”�?

La précédente, qui a conduit à la disparition des dinosaures, la plus connue des espèces, a sans doute – selon un large consensus parmi les scientifiques – été provoquée par un impact d’astéroïde. Aujourd’hui, nous, les êtres humains, changeons le monde si rapidement et si radicalement que nous serions nous-mêmes cet astéroïde. Il est possible que cette sixième extinction ait commencé avec l’extinction de la mégafaune. Lorsqu’i ls sont arrivés en Australie, les êtres humains ont rencontré d’immenses mammifères, d’immenses oiseaux, d’immenses tortues. Tous ont ensuite disparu. Il s’est produit la même chose en Europe et aux Etats-Unis. Nous disposons de nombreuses preuves de ce phénomène. Pourquoi votre travail de recense-ment, espèce par espèce, des travaux scientifiques du monde entier, n’avait-il pas si complètement été effectué auparavant�?

I N T E R V I E W A N N E - S O P H I E L E C H E V A L L I E R

Nous pouvons aujourd’hui observer beaucoup de choses, dont nous ignorions l’existence il y a dix ans. Cela ne s’explique pas par des progrès technologiques ou par la complexité des sujets, mais plutôt par un changement dans l’organisation de la recherche, qui a permis à des équipes de sc ient i f iques qu i s ’ ignora ient jusqu’alors d’enfin se parler. Est-ce seulement la présence humaine qui provoque cette extinction�? Ne serait-ce pas plutôt les changements de modes de vie après la révolution industrielle�?

Les hommes ont commencé à chan-ger le monde très lentement, avec des outils primitifs pour chasser. Ensuite, l’agriculture a métamorphosé les pay-sages. Puis, récemment, la modification de l’atmosphère et l’acidification des océans ont débuté. Une accélération nette est constatée depuis la Seconde Guerre mondiale. Personne ne sait quand cette extinction prendra fin.

Cette accélération est frappante dans votre livre. Les personnes que vous avez rencontrées assistent “en direct” à des disparitions d’espèces, alors que ce phénomène devrait être extrêmement long. Pourquoi�?

En Australie, il y a quarante mille ans, les espèces auraient mis des milliers d’années à s’éteindre, et personne n’aurait

assisté à ce phénomène. Aujourd’hui, elles s’éteignent en l’espace d’une génération, d’une vie humaine. Cette accélération est sans doute très liée à la mondialisation. Désormais, les choses font très rapide-ment le tour du monde. Un champignon arrive, on ne sait ni pourquoi ni comment, et il anéantit une espèce, voire un groupe d’espèces. En ce moment, en Europe, un champignon, sans doute venu d’Asie, décime les salamandres. Il a été repéré aux Pays-Bas et en Belgique et il peut tuer différentes espèces. C’est un phénomène nouveau, lié au développement des transports aériens, et qui est aussi une menace pour la santé publique.Ces extinctions sont-elles plus nom-breuses ou sommes-nous davantage informés de leur existence�?

Non, l’accélération est bien réelle.Toutes les extinctions évoquées dans votre livre ont en commun la responsa-bilité humaine. Est-ce toujours le cas�?

Je ne crois pas qu’il existe une seule extinction d’espèce constatée dans les deux cents dernières années qui ne soit pas liée à un facteur humain. Beaucoup de la biodiversité a été perdue à cause du braconnage, de la chasse, de la déforestation… Toutes les plantes et tous les animaux n’ont pas été recensés. Comment être certains que nous assistons à une extinction de masse�?

En effet, nous ignorons le nombre total d’espèces. Selon certaines extrapo-lations, il en existerait 10 millions et nous n’en connaîtrions que 1,5 million. Mais afin de se faire une idée précise, les scientifiques observent des groupes d’animaux qu’ils connaissent très bien, comme les mammifères, qui comptent

«�Aujourd’hui, une extinction peut se produire en l’espace d’une génération�»

Journaliste américaine spécialiste de l’environnement, elle publie un livre, prix Pulitzer, qui est un constat effrayant sur le monde que nous laissons aux futures générations.

ELIZABETH KOLBERT«�LE BRACONNAGE, LA CHASSE OU LA DÉFORESTATION SONT RESPONSABLES DE LA DISPARITION DES ESPÈCES�»

par i smatch .com61

au grand maximum 6�000 espèces sur la planète. Ils regardent lesquelles sont “menacées”, “très menacées”, et à quelle vitesse elles passent d’une catégorie à une autre. Ils font de même pour les oiseaux. Et personne ne constate que la situation actuelle est satisfaisante. Avez-vous pu repérer l’apparition de nouvelles espèces�?

Jamais. Quelques plantes sont dotées de nouveaux gènes mais dans le monde animalier, nous n’avons jamais vu appa-raître une espèce totalement nouvelle. La population a-t-elle conscience d’assister à cette sixième extinction�?

Non, je ne pense pas. Les gens entendent parler des pandas, des rhino-céros, des éléphants, mais ils n’ont aucune idée de la situation d’ensemble et du fait qu’ils la vivent, et encore moins qu’ils en sont responsables. C’est pour cela que j’ai écrit ce livre. Dans vos jardins, en France, vous pouvez constater la raréfaction et parfois la disparition de certains insectes, des abeilles, ou de certains oiseaux migrateurs. Vous écrivez que les grenouilles sont menacées alors qu’elles avaient résisté a u x e x t i n c t i o n s p r é c é d e n t e s . Pourquoi�?

Il y a plusieurs raisons. En particulier un champignon les décime. Personne ne sait d’où il vient. Il est apparu simultané-ment à différents endroits du monde, ce qui laisse penser qu’il a été diffusé par les êtres humains… Un champignon ne peut pas traverser tout seul les océans�!Les centres de conservation des es-pèces se multiplient. Pourquoi êtes-vous sceptique sur leur efficacité�?

J’admire ces personnes qui ont dévolu leur vie à tenter de sauver une

espèce en particulier. Mais quand il ne reste plus qu’une centaine d’individus d’une espèce, c’est trop tard. On a peu de chances de la ressusciter et de la réin-troduire dans la nature. La bataille est déjà perdue. N’attendons pas qu’il n’y ait plus qu’une centaine d’individus, agis-sons partout à une plus grande échelle�! Nous vivons dans un monde où, dans les prochaines décennies, les gros animaux ne vivront plus que dans des lieux où ils seront protégés. Responsable de cette ex-tinction, l’espèce humaine ne pourrait-elle pas utiliser ses ressources pour inverser le processus�?

Nous pourrions sûrement ralentir l’extinction si nous y réfléchissions. Nous pourrions minimiser notre impact sur la planète, mais nous avons tendance à le maximi-ser. Nous allons être de plus en plus nombreux. La compétition entre les espèces pour capter les ressources sera de plus en plus rude. C’est inévitable, puisque nous devrons tous manger. Ne rien faire pour réduire notre impact sur la planète est un choix collectif.Faut-il que nos ressources soient épui-sées pour que ce choix s’impose�?

Les hommes sont très doués pour extraire les ressources. Regardez le pétrole, nous avons déjà utilisé plus de la moitié des réserves dites conventionnelles. Mais nous extrayons maintenant les gaz de schiste que personne ne pensait accessibles. Si nous attendons l ’épuisement des ressources pour résoudre le problème, il sera alors tellement

grave qu’il n’y aura plus de problème à résoudre�!Croyez-vous à l’action politique plus q u ’ à l a p r i s e d e c o n s c i e n c e individuelle�?

Je crois en tout. L’action individuelle est essentielle, mais elle ne va pas changer la planète. Pour la changer, il faut une action très large, internationale, pour transformer la façon de faire des affaires.

Qu’attendez-vous de la conférence qui se tiendra à Paris à la fin de l’année�?

Nous connaissons déjà les engage-ments de certains pays, comme les Etats-Unis et la Chine, ou l’Union européenne. Souvent insuffisants, ils ont le mérite d’exister. Ce sera donc un mélange de bonnes et de mauvaises nouvelles. Le meilleur espoir que nous pouvons avoir sur l’énergie, par exemple, est qu’il devienne plus rentable de développer des modèles alternatifs. Cela sera long. C’est aussi l’enjeu de la conférence de

Paris�: cette transition verra-t-elle le jour�? Combien de temps nous donnons-nous pour la réaliser�? ■�

@aslechevallier

«�Nous n’avons jamais vu apparaître une espèce animale totalement nouvelle�»

UN CHAMPIGNON TUEUR En laboratoire, on a découvert qu’un champignon pathogène infecte la peau des batraciens et provoque leur asphyxie. En cause�: produits chimiques, destruction des habitats...

«�La 6e extinction. Comment l’homme détruit la vie�», d’Elizabeth Kolbert, éd. La Librairie Vuibert.

62 PARIS MATCH DU 3 AU 9 SEPTEMBRE 2015

EN FRANCE, SAUVEGARDONS L’HÉRITAGE DE NOS ENFANTS

es poètes en seraient tout retournés. Adieu papillon, la « fleur sans tige » de Nerval ? Adieu la « frissonnante libellule » de Victor Hugo ? Notre pays voit s’étioler sa faune, aussi va-

riée que ses paysages. Ni élé-phants ni tigres blancs, mais

un fabuleux bestiaire, de l’escargot de Bourgogne au marsouin commun, dont le nom souligne pourtant une présence autrefois banale. Selon les experts de l’UICN et du Muséum national d’histoire naturelle, la France caracole dans le pelo-ton de tête des 10 pays les plus menacés d’extinctions en tous genres. Ce triste record, elle le doit avant tout aux Dom-Tom des zones tropicales, très vul-nérables. Quant à l’Hexagone, son rivage méditerranéen est, lui aussi, un point chaud. Mais le problème dépasse – de loin – la perruche de Nouvelle- Calédonie ou le phoque moine sur la Côte d’Azur.

Si les spécialistes s’in-quiètent, ils connaissent aussi les remèdes et soulignent l’urgence de les mettre en place. A défaut, même un film comme « Bambi » pourrait ne plus rien évoquer pour les enfants à venir. Les vraies mesures sont efficaces : certaines espèces, comme le bouquetin des Alpes, ont déjà repris du poil de la bête. Mais sur le territoire métropolitain, un oiseau nicheur sur quatre bat sérieusement de l’aile. Dont le bouvreuil pivoine, qui n’avait rien d’une rareté. Même propor-tion – 25 % – pour les crustacés d’eau douce, avec les écrevisses en première ligne. Le chiffre passe à 22 % pour les poissons de rivière et de lac, dont le brochet. Les mammifères, eux, font meilleure figure : « seul » un sur dix est menacé, comme le vison d’Europe.

Les animaux français souffrent d’une peste multiforme. Si, pour paraphraser La Fontaine, ils ne meurent pas tous, tous sont frappés, et de manière croissante depuis l’après-guerre. En 1973, Jacques Dutronc se lamentait déjà de la « France

défigurée ». Prémices de ce qui suivrait à grande échelle : pesticides, disparition des haies, bétonnage des sols et des rivages… Autant de techniques longtemps perçues comme rationnelles mais qui ressemblent, avec le recul, à une horde d’éléphants dans un magasin de porcelaine. Le vivant forme un réseau complexe. Un papillon comme l’azuré de la sanguisorbe ne peut survivre sans la double existence d’une fleur et d’une fourmi : la chenille naît dans la première, puis, grâce à la seconde, finit sa croissance dans une fourmilière.

Qu’importent les « dégâts collaté-raux » tant que les humains vivent bien ? En réalité, la biodiversité n’est pas une lubie de professeurs Tournesol et autres doux rêveurs. Notre survie dépend de la santé des écosystèmes. Y compris leurs éléments les moins spectaculaires, voire invisibles à l’œil nu. Tout sauf une star des documentaires animaliers, le lombric se révèle super-héros, comme le soulignent Claude et Lydia Bourguignon, ingénieurs agronomes, du Laboratoire d’analyses microbiologiques des sols (Lams) : « Dans la France des années 1950, un hectare

contenait 2 tonnes de vers de terre. Aujourd’hui, on en compte moins de 100 kilos. » Soit vingt fois moins. Or cet invertébré sert notamment à fabriquer le complexe argilo-humique, c’est-à-dire un sol fertile. Autour de lui s’ébattent une profusion de micro-organismes aussi indispensables. « Avec 80 % de la biomasse, le sol est le milieu le plus vivant de la planète, disent les Bourguignons. On le détruit par le labourage profond et les pesticides. » Selon eux, l’agriculture inten-sive fonctionne à courte vue, en épuisant

la terre et requérant toujours plus d’intrants polluants. Depuis 1990, le couple conseille avec succès agricul-teurs et viticulteurs. Les alter-natives existent, méconnues mais bénéfiques : plus durables, elles sont aussi moins coûteuses pour les exploitants.

Aussi vitales que les vers de terre les abeilles, princi-paux insectes pollinisateurs. Quand elles butinent le nectar, leur fourrure accroche le pollen et voyage de fleur en fleur, ce qui permet leur fécondation. On leur doit une bouchée sur trois de nos repas. « La France compte 1 000 espèces d’abeilles domestiques et sauvages », dit Bernard Vaissière, spécialiste à l’Institut national de recherche agronomique (Inra). Toutes pâtissent d’un triple phénomène. Outre l’empoisonnement par les

pesticides, la monoculture fragilise le système immunitaire des butineuses, qui exige des nectars variés. Enfin, elles succombent aux attaques du frelon asia-tique, arrivé en 2004. Partout des voix s’élèvent pour les protéger, dont celle de Nicolas Hulot qui a lancé une pétition en ligne. Les Etats-Unis viennent de dé-cider un moratoire sur les intrants chimiques incriminés. La France, elle, fait l’autruche. Un projet de loi sur la biodi-versité est dans les tiroirs. Mais son exa-men, prévu pour l’automne, ne cesse d’être repoussé. ■

P A R K A R E N I S È R E

Le bouvreuil pivoine, menacé par les pesticides, et, en bas, le bouquetin des Alpes, sauvé grâce à des opérations de réintroduction.

par i smatch .com63

Sources : The Economics of Ecosystems and Biodiversity ; Programme des Nations unies pour l’environnement ; Stockholm International Peace Research Institute ; « The Value of Honey Bees as Pollinators of U.S. Crops in 2000 », Morse et Calderone, 2000, Cornell University.

Enquête : Adrien Gaboulaud Illustration : Dévrig Plichon

LE MONDE ANIMAL, UNE VRAIE RICHESSE ÉCONOMIQUE

Diverses organisations internationales ont tenté d’évaluer la valeur de la biodiversité

milliards d’euros par an

milliards d’euros par an

milliards d’euros par an

milliards d’euros par an

par an

milliards d’euros par an*Animaux ou plantes exotiques qui perturbent les écosystèmes dans lesquels ils sont introduits,

volontairement ou non.

Grâce à la pêche, la protection des côtes, le tourisme et leur fonction

de refuge pour les espèces.

26

167

44

1�220

Contribution des insectes pollinisateurs

à l’économie mondiale

SANS ABEILLES, ILS DISPARAISSENTAmandesPommes

ConcombresTournesolsCarottes

et bien d’autres...

Contribution des récifs coralliens

à l’économie mondiale

+

+

-

-

Coût potentiel des dégâts causés par les espèces invasives*

Coût de la surpêche

PROTÉGER LA NATURE N’EST PAS SI CHER Dépenses pour sauvegarder la biodiversité

En comparaison,le total des

budgets militaires mondiaux est 5 fois plus important

FLASHEZ CE CODEpour en savoir plus et participer

A DEUX MOIS DE L’OUVERTURE DE LA COP 21, LE SIXIÈME VOLET DE NOTRE SÉRIE DRESSE L’ÉTAT DES LIEUX DE LA MER OÙ LA VIE EST NÉE ET OÙ LA MORT MENACE

L’OFFENSE FAITE A L’OCEANUn sanctuaire… et un vaste dépotoir. L’eau recouvre 71�% de notre planète. Son volume n’a pas varié depuis des milliards d’années, mais il n’aura fallu qu’un siècle pour en détruire la pureté. Rejets industriels, détritus, surpêche�: en malmenant l’écosystème, l’action de l’homme a tué et placé en sursis des milliers d’espèces marines. Au-dessus de la ligne de flottaison, les dégâts sont tout aussi considérables. Grâce à ses courants, qui répartissent la chaleur à la surface du globe, à son plancton, qui absorbe le dioxyde de carbone et produit de l’oxygène, et au cycle de l’eau, l’océan régule les variations de climat. Mais la hausse généralisée des émissions de CO

2

a déréglé le grand thermostat, provoquant cyclones, grandes sécheresses et inondations.

6/

P H O T O Z A K N O Y L E

«�AUTOUR DE MOI, DES PAQUETS DE NOUILLES, DES MORCEAUX DE BALLONS

DE FOOT ET DU PLASTIQUE. ECŒURANT�»

LE CHAMPION DE SURF DEDE SURYANA, À JAVA

AU MILIEU DU PACIFIQUE, EN PLEIN PARADIS,L’HOMME A CRÉÉUN CONTINENT DE PLASTIQUE«�Soupe mortelle�», «�sable de plastique�». Au minimum 269�000 tonnes de ces déchets flottent sur les mers du globe. Une pollution qui croît de 80�000 kilomètres carrés par an. On dénombre cinq zones de contamination. La principale se trouve entre la Californie et Hawaii, le «�Great Pacific Garbage Patch�» («�grande pou-belle du Pacifique�»)�: 3,5 millions de kilo-mètres carrés, sept fois la superficie de la France. Dans cinq cents ans – le temps que met le plastique à se désagré ger et si nos habitudes changent –�on peut espérer que le problème sera résolu de lui-même. En attendant, des microparticules sont ingérées par la faune marine, parfois piégée par des fragments plus gros. Chaque année 1,5 million d’animaux en meurent. Dans le Pacifique Nord, 30�% des poissons ont avalé du plastique durant leur cycle de vie. Des toxines qui finissent dans notre assiette…

Amoncellement d’ordures recueillies sur les îles Midway, dans le Pacifique, pour évaluer les niveaux de pollution.

Moins spectaculaires, mais tout aussi toxiques, des milliers de tonnes

de ces microplastiques polluent la surface des océans.

9 MILLIONS DE TONNES

DE PLASTIQUE DÉVERSÉES CHAQUE ANNÉE

DANS LA MER,soit 26,16 kilos par mètre

de littoral sur Terre

TUVALU, L’ATOLL DU PACIFIQUE, SERA LE PREMIER À ÊTRE ENGLOUTI

Contre mauvaise fortune bon cœur. En février 2006, l’archipel connaît l’une des marées les plus impressionnantes�:

1,5 mètre au-dessus du niveau de la mer.

LA FOLIE DE LA SURPÊCHE MENACE 80% DES STOCKS DE POISSONA Kesennuma, un entrepôt d’ailerons de requin, un mets prisé au Japon. Les squales sont rejetés dans la mer, vivants mais mortellement amputés.

Les 5 plus gros pêcheurs (en tonnes)

Chine�: 13,9 millions

Indonésie�: 5,4 millions

Etats-Unis�: 5,1 millions

Pérou�: 4,8 millions

Russie�: 4,1 millions

Non menacée dans l’Atlantique, elle est en grand danger dans le Pacifique Est. En 90 ans, sa population a baissé de

100 millions de requins

sont capturés chaque année, selon les ONG.

Le marché des ailerons a doublé entre 1976 et 2000.

Autrefois omniprésent, il a pratiquement disparu�:

350 à 450 individus seulement

demeurent. Le phoque moine des Caraïbes n’existe plus

depuis 1952.

Surexploité dans l’Atlantique. En 50 ans,

sa pêche a augmenté de 400�%. Entre 1988 et 2007 sa population a baissé de

19�% des récifs originaux ont été perdus.

15�% risquent de dispa-raître rapidement.

20�% supplémentaires pourraient dépérir à long terme.

LA TORTUE LUTH

LES REQUINS

97�%. 22�%.

LE PHOQUE MOINE DE MÉDITERRANÉE

LE THON JAUNE

LES RÉCIFS CORALLIENS

En 2012, on a pêché

79,7 millions de tonnes de

poisson, dont 7 millions de différentes

espèces de thon.

197 espèces

marines sont en danger de

disparition.

Les 5 espèces les plus prélevées (en millions de tonnes)

Anchois péruvien

Colin d’Alaska

Thon rose

Sardinelle Hareng

Consommation mondiale de poisson

(par an et par personne)

9,9 kg

1960 2012

19,2 kg

Sources�: Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) et FAO.

DANS LE MONDE DU SILENCE, DES

POPULATIONS ENTIÈRES S’ÉTEIGNENT

par i smatch .com63

4,7 3,3 2,8 2,5 1,9

PASSIONNÉ D’ÉCOLOGIE, LE PRINCE RÉGNANT VEUT PROTÉGER LES OCÉANS POURPRÉSERVER L’HUMANITÉ. NOUS L’AVONS RENCONTRÉ À LAVEILLE DE LA COP21 DONT IL SERA UN DES 196 SIGNATAIRES

Il n’y a pas d’âge pour se forger une âme d’explorateur. Albert et Charlène ont tenu à présenter Jacques et Gabriella à leur quadrisaïeul, Albert Ier, pionnier de l’océanographie moderne et l’un des premiers à s’aventurer dans le Grand Nord au début du XXe siècle. Un siècle plus tard, l’œuvre de ce passionné, éco-logiste avant l’heure, continue d’inspirer son héritier. A Monaco, l’environnement est une histoire de dynastie… et de convictions. En 2006, un  an après son accession au trône, le prince créait la Fondation Prince Albert  II de Monaco, dédiée, entre autres, au développement durable et à la promotion des éner-gies renouvelables. Son engagement n’a pas faibli. Pour le Rocher, il souhaite l’exemplarité. Pour la planète, un sursis.

Le face-à-face des générations, au Musée océanographique de Monaco. Devant la statue de son fondateur, Albert Ier, Jacques, dans les bras de son père et Gabriella, dans ceux de Charlène.

ALBERT DE MONACO

POUR NOS ENFANTS, IL FAUT SAUVER LA TERRE”

P H O T O A L V A R O C A N O V A S

ALBERT DE MONACO “SI ON NE RÈGLE PAS LE PROBLÈME, LA PLANÈTE S’EN CHARGERA ELLE-MÊME”

U N E N T R E T I E N E X C L U S I F A U P A L A I S A V E C C A R O L I N E M A N G E Z E T O L I V I E R R O Y A N T

Paris Match. A soixante jours de l’ouverture de la Conférence sur le climat, comme Ban Ki-moon, vous dites, avec une certaine gravité, que nous vivons un moment crucial…

SAS le prince Albert II. C’est l’une des dernières opportunités qui se présentent pour prendre des mesures et tracer une voie pour l’avenir. Il faut s’engager, avec des objectifs forts et réalistes. Le constat est alarmant, certes, mais nous devons garder espoir. Si tous les experts s’accordent à penser qu’il reste une chance, il faut la saisir. Sachant que si l’on ne règle pas le problème, la planète s’en chargera elle-même.En 2005, au Spitzberg, dans les pas d’Albert Ier, pionnier de l’exploration des terres arctiques, vous avez parcouru 120 kilomètres sur la banquise pour rejoindre le pôle Nord. Pourquoi ce défi�?

C’était une volonté de rendre hommage à mon trisaïeul. Dans les récits qu’il a laissés, on sent qu’il rêvait d’atteindre le pôle Nord. Nous avons réussi là où il avait échoué. Il était parti à la découverte d’une terre inconnue, moi j’allais constater les dégâts alarmants subis par cet envi-ronnement fragilisé. Comme lui, j’ai été ému par ces lieux exceptionnels. Cent ans après Albert Ier, depuis le glacier de Lilliehöök, nous avons pho-tographié un panorama qu’il avait lui-même immortalisé. Quand on compare les deux clichés, on se rend compte que le glacier a reculé de 6 kilomètres. Je souhaitais me faire une idée précise de ce qui se passait dans ces régions-là. Après, j’ai voulu joindre ma voix à d’autres pour tirer le signal d’alarme.Les chefs d’Etat sont-ils aujourd’hui plus conscients de l’urgence climatique qu’en 2009, au moment de l’échec du sommet de Copenhague�?

Oui et non. Certaines grandes puissances, notamment les Etats-Unis, la Chine, donnent des signaux un peu plus encourageants. Cela aide certainement le processus. Mais des obstacles demeurent. Si tous prennent la mesure du désastre, beaucoup ne sont pas prêts à remettre en cause des pans de leur économie ou à les sacrifier sur l’autel de la préservation de l’environnement. Beaucoup sont légitimement soucieux de la question du chômage et peu encore réalisent que le développement d’énergies renouvelables ou de nouvelles technologies environnementales peut générer de l’emploi. Même si cette nouvelle économie n’est pas encore palpable, il faut avoir le courage de franchir le pas.Votre statut de souverain n’ayant pas à se soucier de sa réélection vous permet-il d’agir différemment des politiciens�?

Avoir la possibilité d’une vision à long terme permet de se projeter et de mettre en place des solutions pérennes plus effi-caces. Aujourd’hui, autour de nous, la consommation et la satis-faction immédiates sont l’absolue priorité. Personne ne veut se lancer dans des initiatives trop impopulaires. Cela entraîne une inertie. Il est urgent de sortir de cette vision à court terme. On n’a pas d’autre choix. On peut s’opposer sur les solutions, mais nier les faits, la réalité, est aberrant et suicidaire.Et s’il ne sortait rien de la Cop21�?

On réessayerait avec la Cop22 ! Mais un échec serait retentissant. Même si l’on ne parvient pas à l’accord le plus contraignant, il faudrait au moins une lueur d’espoir, avec l’éta-

blissement de restrictions et de quotas un peu plus sévères.Puisque rien ne peut se faire sans les grandes puissances, comment un petit Etat comme Monaco peut-il peser dans le débat�?

Grand ou petit pays, l’heure n’est plus aux tergiversations. L’ensemble de la communauté internationale doit s’engager. Nous croyons à l’exemplarité. Nous n’avons ni industrie lourde, ni graves problèmes environnementaux, mais Monaco s’est fixé des objectifs très ambitieux : atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, réduire de plus de

50 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030.Selon vous, le paradoxe est que nous vivons à la fois la pire des époques mais peut-être aussi la meilleure, car les solutions existent…

C’est ma conviction, même si la fenêtre s’amenuise de jour en jour. Si l’on prend les bonnes décisions maintenant, nous aurons non seulement une chance de sauver certaines espèces en voie d’extinction, mais aussi d’atténuer un peu les effets du changement climatique que nous pouvons déjà ressentir.C’est en vivant face à la Méditerranée que vous avez découvert la fragilité de l’écosystème marin�?

Dostoïevski avait raison d’affirmer : “C’est la beauté qui sauvera le monde.” Un écosystème sain est mille fois plus beau qu’un écosystème endommagé ou fragilisé. Cela se décèle à l’œil nu. Où que l’on aille en Méditerranée, même ici, aux alentours de Monaco, on constate une dégradation croissante liée notamment à l’acidification de l’eau de mer. La mer est beaucoup moins poissonneuse que dans mon enfance. Il faut se rendre dans les aires marines protégées, comme le Larvotto, chez nous, ou Scandola, en Corse, pour retrouver une mer superbe. Ce serait triste d’être un jour

«DOSTOÏEVSKI AVAIT RAISON:

“C’EST LA BEAUTÉ QUI

SAUVERA LA PLANÈTE”»

(Suite page 68)

66 PARIS MATCH DU 1 ER AU 7 OCTOBRE 2015

Au pôle Nord, après quatre jours de marche dans le blizzard. Albert (à g. du drapeau de Monaco), entouré de son équipe monégasque, suédoise et norvégienne.

Arctique, avril 2006. Cent ans après l’expédition menée par Albert Ier, son trisaïeul, le prince Albert poursuit le voyage en Arctique. Des huskys d’Alaska conduisent le convoi.

68 PARIS MATCH DU 1 ER AU 7 OCTOBRE 2015

Le prince Albert de Monaco lors du sommet sur le développement durable de l’Onu, à New York, le 26 septembre.

Avec Charlie, son chien de tête, juste avant le départ pour le Grand Nord, en 2006, à Longyearbyen, en Norvège.

«�A CE RYTHME, DANS QUARANTE ANS, IL N’Y AURA PLUS DE POISSONS�»�

obligé d’aller dans les aquariums pour voir les derniers spé-cimens vivants d’espèces qui auraient disparu des océans. Plus de la moitié des poissons pêchés dans le monde seraient destinés à nourrir non pas les humains mais des animaux…

Un tiers des aliments produits n’arrivent jamais dans notre assiette ! C’est un engrenage irresponsable. Dans ses récits datant du début du siècle dernier, Albert Ier se préoccupait déjà des problèmes à long terme engendrés par la sur-pêche. Depuis, ils n’ont fait qu’empirer. Longtemps, on nous a laissé croire que les produits de la mer étaient intarissables. Désormais, on sait que si l’on ne fait pas l’effort de respecter des quotas – que je trouve, pour certaines espèces, encore trop géné-reux –, dans moins de quarante ans il n’y aura plus assez de poissons pour nous nourrir.Face à l’énormité des problèmes, comment organiser votre action pour être efficace�?

Depuis plusieurs années, à travers le gouver-nement et notre département de la coopération internationale, nous soutenons, dans certains pays du pour-tour méditerranéen, en Afrique et au Moyen-Orient, diffé-rents projets. Avec toujours une approche humanitaire, sur le terrain, en établissant notamment des partenariats avec des organisations non gouvernementales.Avez-vous pu mesurer l’efficacité de ces actions�?

Nous sommes parvenus avec le WWF et d’autres partenaires à faire réviser à la hausse les quotas pour préserver la popula-tion de thon rouge dans certaines zones de la Méditerranée et de l’Atlantique. Cela a été compliqué et nous n’avons pas pu, comme nous le souhaitions, en inscrire le principe en annexe de la convention de Washington. Mais tout semble indiquer qu’il y a un redressement du nombre de l’espèce. Vous avez souvent dit�: “L’avenir de la planète est entre nos mains à tous.” Au-delà du rôle des Etats, va-t-on devoir réinventer nos modes de vie�? Est-ce possible�?

Changer les mentalités, accepter de se priver, c’est facile à dire, plus dur à faire. Cela ne signifie ni régresser ni vivre comme au Moyen Age ou à la préhistoire, mais il va falloir consommer différemment. C’est encore plus difficile pour les pays pauvres…

Il faut malheureusement anticiper. Si l’on continue de

pêcher sans restrictions, il n’y aura plus de poisson. Si l’on continue de pratiquer l’agriculture intensive, nous n’aurons plus de terres arables. Nous allons au-devant de grosses pénu-ries mais aussi de climats difficilement vivables. Nous pouvons continuer en nous disant que cela n’aura cours que dans cent ans. Mais cent ans, c’est pratiquement demain. Il faut penser à nos enfants et à ceux qui les suivront. Où sont les solutions pour changer cet ordre des choses�?

Elles sont multiples, identifiées et, pour certaines, déjà tes-tées. Il faut les promouvoir et accompagner leur développe-ment, notamment dans le domaine des énergies renouvelables. Vous considérez-vous comme un pionnier, un combattant de l’environnement, un activiste�?

Il faut être tout cela à la fois. Et prince aussi, parfois…Roulez-vous écolo�?

Oui, j’essaie de mettre en pratique ce que je prêche. Je roule en voiture électrique. A Monaco, les autobus roulent depuis plus de quinze ans au Diester, c’est-à-dire au diesel et au biocarburant. On a aussi déployé beaucoup d’efforts en mettant à disposition des vélos à assistance électrique, qu’on peut louer. Il y a un peu partout des recharges, des stations. En réussissant à prouver que tous ces nou-veaux moyens de transport sont efficaces et ont un sens, on arrivera à faire la transition nécessaire. Qu’est-ce que cette conscience écologique change d’autre dans votre quotidien�? Moins de thon rouge,

moins de viande dans votre assiette�?Je n’ai pas trop à me forcer. Il y a au moins vingt ans, j’ai

lu cette étude disant que, si l’on consomme de la viande rouge plus d’une fois tous les dix ou douze jours, on a 40 % de risques

«CHANGER LES MENTALITÉS,

ACCEPTER DE SE PRIVER, C’EST

FACILE À DIRE, PLUS DUR À FAIRE»

par i smatch .com69

Un siècle sépare ces clichés. Le premier a été pris en 1906 par Albert Ier de Monaco, le second par son arrière-arrière-petit-fils. Le glacier de Lilliehöök, en Norvège, a reculé de 6 kilomètres.

de développer un cancer de l’intestin. Renoncer au thon est un peu plus difficile, mais, face à l’évidence scientifique, on ne peut pas rester les bras croisés. Si l’on commence à perdre des espèces emblématiques et indispensables à la chaîne ali-mentaire, comme le thon rouge ou le requin, ce grand préda-teur, il y aura prolifération d’autres espèces et tout l’équilibre sera modifié. La France perd actuellement 3 centimètres de rivage côtier par an. Cette érosion touche-t-elle aussi votre principauté�?

Le Languedoc-Roussillon est la côte méditerranéenne la plus concernée. Sur des côtes très escarpées comme les nôtres, l’érosion est moins importante. Nous devons aussi nous attendre à une augmentation du niveau de la mer qui, selon les estimations, oscillera entre 12 et 50 centimètres au cours du siècle. On peut s’adap-ter à cela, mais il faut l’avoir à l’esprit.La population augmentant, si rien ne change, la pla-nète devra faire face à un déficit global en eau de 40�% d’ici à 2030. Comment concilier développe-ment économique, solidarité et accès à l’eau�?

Certains pays se trouveront bientôt en stress hydrique, ce qui va générer de l’insécurité, des conflits, d’importantes vagues migratoires. Pour se les épargner, il est urgent de revoir à l’échelle mondiale tous les systèmes de captation, d’exploitation et de distribution de l’eau. Il faudra que les pays les plus nantis en aident d’autres en fournissant des technologies, en implantant des usines de désalinisation, malheureusement très polluantes.Quel est le problème écologique qui vous a le plus marqué�?

Je ne l’ai pas encore constaté de visu, mais ces grands tour-billons de déchets plastiques qui envahissent les océans me préoccupent particulièrement. Dans le Pacifique, la masse de déchets accumulés s’étale sur un périmètre plus grand que le Texas et s’empile sur plusieurs mètres de profondeur. Elle se désagrège, mais avec une extrême lenteur. Au Spitzberg, nous avons trouvé des déchets sur des îlots déserts, très reculés, où ne vivent que des ours blancs. C’est ahurissant ! Durant l’été 2014, j’ai passé une journée en Méditerranée, avec l’expédition “Tara”, afin de faire un état des lieux de ces déchets plastiques. Cela n’est guère plus réjouissant. Les poissons et les crustacés les ingurgitent, presque tous sont contaminés. Cela devient un problème de santé publique. Vos parents, le prince Rainier et la princesse Grace, étaient tous deux sensibles à la nature. Peut-on dire qu’ils ont influencé votre éveil à l’écologie�?

J’ai été sensibilisé très tôt à ces questions. Ma mère nous

emmenait souvent faire des balades, ici, dans l’arrière-pays. Mon père, c’était plutôt la mer. Il nous a fait découvrir le milieu marin et appris à respecter la nature. Le commandant Cousteau enregistrait rituellement ses pla-teaux de télévision au Musée océanographique de Monaco. Le réalisateur du “Monde du silence” a-t-il lui aussi bercé votre enfance�?

Je l’ai connu très jeune. A la fin de sa vie, quand il revenait un peu plus souvent séjourner ici, en Principauté, il m’a confié qu’il aurait aimé que nous fassions des choses ensemble. J’ai toujours regretté d’avoir décliné son invitation sur la “Calypso”,

du temps où j’étais étudiant aux Etats-Unis. Il était très sévère, très exigeant, mais c’était une personne formidable, un véritable passionné, déterminé à changer la donne et à faire prendre conscience à tous de la fragilité des océans. Il est le premier à avoir dit, dans les années 1970, que les ressources de la mer viendraient à se tarir. Le premier aussi à avoir, à Rio, évoqué les conséquences possibles de l’explosion démographique, un tabou jusque-là.La princesse Charlène, votre épouse, partage aussi votre enthousiasme et votre action pour l’environ-nement…

Bien sûr, elle est, comme moi, très préoccupée par ces questions. Nous allons d’ailleurs prochainement lancer, dans le cadre de nos fondations respectives, une action conjointe pour la propreté des plages. A travers l’héritage d’Albert Ier, ce prince océanographe, vos racines méditerranéennes, le passé de nageuse olympique de votre épouse, tout vous ramène à l’eau. De quelle manière entendez-vous partager ce lien profond avec vos héritiers, le prince héréditaire Jacques et la princesse Gabriella�?

Nous allons tout faire pour que nos enfants soient bien éduqués et informés de ces enjeux. Peut-être, au cours de leur vie, passeront-ils par différentes phases, différentes aspi-rations, mais j’espère que cette génération qui va nous succé-der gardera toujours à l’esprit ce sujet grave et urgent. Vous arrive-t-il de penser que l’état de la planète rendra difficile l’avenir de leur génération�?

Oui, hélas, et ils devront agir. Il faut donc les préparer dès à présent à aborder ces questions environnementales et à ima-giner par eux-mêmes des solutions. ■

Un entretien exclusif au Palais avec Caroline Mangez et Olivier Royant

«MON PÈRE NOUS A FAIT DÉCOUVRIR

LE MILIEU MARIN, ET APPRIS À

RESPECTER LA NATURE»

40 000MILLIARDS DE $ D’ICI À VINGT

ANS POUR COUVRIR LES BESOINS EN ÉNERGIE DU MONDE.Autant que le PIB de la Chine,

des Etats-Unis, de l’Union européenne

réunis.

Hongkong, la ville la plus lumineuse du monde, aux sept millions d’habitants. Energivore, la cité est

entourée de quatre centrales thermiques.

A UN MOIS DE LA COP 21, LE 7E VOLET DE NOTRE SÉRIE

OBSERVE UNE PLANÈTE TOUJOURS AVIDE DE

NOUVEAUX CARBURANTS

7/ LA RUÉE VERS L’ÉNERGIE

Fiat lux ! La naissance de l’électricité, il y a plus d’un siècle, faisait entrer le monde occidental dans la modernité. Mais la fée d’hier s’est révélée être une ogresse qui siphonne les ressources de notre sous-sol et empoisonne notre ciel. Plus le prix du pétrole est bas, moins les industriels sont enclins à chercher des solutions alternatives. Portée par la Chine et l’Inde, la consommation mondiale explose : celle-ci devrait augmenter de 40 % dans les vingt-cinq pro-chaines années. D’autres sources d’énergie existent. Il s’agit désormais de promouvoir les moins polluantes et les plus fiables sur le long terme : parmi elles, le vent, le soleil, l’eau.

P H O T O I A N T E H

LE SALUT VIENDRA DE LA SEULE SOURCE INÉPUISABLE : LE SOLEILC’est notre allié le plus sûr et son espérance de vie serait de… 5 milliards d’années ! Alors autant miser sur lui. Depuis 1990, le développement du solaire connaît une croissance rapide. Pionnière en la matière, la Californie produit 5 % de son électricité annuelle grâce à des zones désertiques entière-ment tapissées de panneaux. Mais le stockage de cette énergie reste encore problématique. A Cadarache, dans le sud de la France, un autre défi est en train d’être relevé : la construction d’Iter, le réacteur du futur. Un processus de fusion nucléaire propre, directement inspiré de celle des atomes d’hydrogène présents dans le soleil. Une expérimentation chiffrée à plusieurs milliards d’euros mais qui, à terme, serait révolutionnaire.

Dans le désert de Mojave, en Californie. Composée de 173 500 doubles miroirs répartis sur 5 kilomètres carrés, la centrale solaire de l’Ivanpah produit 30 % de l’énergie solaire des Etats-Unis.

Imbattable : en une seconde, le soleil donne 400 millions de milliards de milliards de joules d’énergie. Les hommes produisent 600 milliards de milliards de joules par an.

C’est ce genre de chambre vide en forme d’anneau qui sera utilisée pour Iter, un réacteur conçu pour produire de l’énergie de façon autonome. Ce chantier colossal devrait être actif en 2030.

10 000FOIS LA PRODUCTION MONDIALE D’ÉNERGIE,

C’EST CE QUE LE SOLEIL FOURNIT

CHAQUE ANNÉE

AVEC SA STRATÉGIE DU TOUT- ÉLECTRIQUE, ELON MUSK OUVRE LE CHEMIN DE L’AVENIRLe scandale Volkswagen met du peps dans son moteur. Après avoir fait fortune en créant Paypal, ce multi-milliardaire sud-africain de 44 ans veut rendre l’énergie mondiale 100 % durable : « Un rêve à la portée de l’humanité. » Patron de Tesla, SpaceX et SolarCity, c’est de Californie qu’Elon Musk lance ses projets, comme les geeks de la Silicon Valley. Et à l’instar d’Apple, il a commencé par viser le haut de gamme en misant sur des berlines électriques luxueuses et sportives. Il vient de se lancer sur un marché prometteur : des batteries stockant l’électricité à domicile. Branchées à des panneaux solaires, elles seraient particulièrement utiles dans les zones aux réseaux vétustes ou inexistants.

Ses batteries de stockage pour logement ou entreprise.

Dans l’atelier design de Tesla Motors, en 2012, avec le Model X.

P H O T O R O B E R T T R A C H T E N B E R G

« EN 2020, L’AUTONOMIE DES VOITURES ÉLECTRIQUES

ATTEINDRA 1 200 KM »

ELON MUSK

Bertrand Piccard, psychiatre et aéronaute suisse, dans le cockpit de « Solar Impulse 2 », juste avant un vol d’essai en août 2014.

« “SOLAR IMPULSE” EST LE PREMIER AVION

À VOLER SANS CARBURANT PLUS LONGTEMPS

QU’AUCUN AVION À RÉACTION »

BERTRAND PICCARD

par i smatch .com81

Bertrand Piccard « LE CHANGEMENT CLIMATIQUE, CE N’EST PAS UNE AFFAIRE POUR LES GÉNÉRATIONS SUIVANTES. C’EST UNE OPPORTUNITÉ TOTALEMENT RENTABLE À FAIRE TOUT DE SUITE »

Paris Match. Quand vous avez commencé l’aventure de “Solar Impulse”, saviez-vous si les techniques d’énergie solaire existantes vous permettraient d’atteindre votre but ?

Bertrand Piccard. Au départ, en 2003, je voulais montrer qu’on pouvait réaliser des choses incroyables avec les énergies renouvelables. Il fallait se lan-cer avant de savoir ce que les tecÝolo-gies permettraient de faire. Il faut toujours forcer les choses pour innover.En tant qu’ancien psychiatre, vous ne trouvez pas que l’époque a une profonde “addiction” à l’énergie fossile ?

Absolument ! C’est un produit dan-gereux, cher, même s’il l’est moins en ce moment. Et plus on l’utilise, plus on en est dépendant. C’est exactement la défi-nition de l’addiction à la drogue. Utiliser les énergies propres est donc un moyen de se désintoxiquer. La baisse du prix du pétrole est une bonne nouvelle car, pour fabriquer un panneau solaire et transformer le sable en sili-cium, il faut du pétrole. Du pétrole peu cher, ce sont des panneaux solaires moins chers.Avec la croissance démographique et l’émergence économique de l’Inde et de la Chine, la consommation d’énergie va augmenter de 37 % d’ici à 2040. Est-ce une situation sans issue ?

Les technologies propres permet-tront de consommer moins. Les énergies d’aujourd’hui ont 100 ans : les ampoules électriques, les moteurs thermiques des voitures, les isolations des maisons, nos réseaux électriques… Si on les rempla-çait par des technologies propres, on économiserait 50 % d’énergie. Un moteur électrique a 97 % de rendement.

Seulement 27 % pour un moteur ther-mique. Les ampoules électriques génèrent 5 % de lumière et 95 % de perte. Avec les ampoules à Led, c’est exactement le contraire. En remplaçant les anciennes technologies par des propres, on fait des économies, on crée des emplois et on répond aux besoins des consommateurs. Un seul exemple : les maisons et immeubles mal isolés. Des travaux d’adaptation nécessiteraient de lourds investissements, bien sûr, mais les économies réalisées permettront de les amortir en un rien de temps. Le choix est simple : isoler sa maison ou produire plus pour entretenir le gaspillage. La réponse me semble évidente.Certains pensent que le prix à payer pour s’adapter aux énergies renouvelables, c’est la décroissance : ne plus voyager,

moins rouler, etc.Surtout pas ! C’est la grande

erreur des écologistes depuis cinquante ans. Il faut dépolitiser cette histoire et découpler la

question des énergies et de l’en-vironnement. Oublions un instant

le CO2, la Cop21… Le changement cli-

matique est une opportunité totalement rentable tout de suite. La “cleantech” est une révolution tecÝologique, au même titre que la révolution industrielle puis informatique. La Cop21 doit devenir un catalogue de solutions, pas un rassem-blement anxiogène avec une philosophie de la peur et de la contrainte. Par exemple, on a trouvé une enzyme per-mettant de nettoyer le linge à froid, alors qu’aux Etats-Unis il est lavé à 100 °C sys-tématiquement... On pourrait ainsi éco-nomiser 4 % de l’énergie globale. C’est extraordinaire ! C’est ça que les gens ont besoin d’entendre !

I N T E R V I E W R O M A I N C L E R G E A T

(Suite page 82)

LES MINES À CIEL OUVERT Elles gangrènent la forêt boréale de l’Alberta où elles se succèdent le long de la rivière Athabasca, près de Fort McMurray. Les déchets toxiques sont stockés dans des étangs.

Avec “Solar Impulse”, vous avez été aux premières loges pour constater l’efficacité des nouvelles technologies. Le solaire, par exemple, est-ce vraiment applicable aujourd’hui et maintenant ?

Le prix des panneaux solaires a été divisé par 40 depuis dix ans. Et ça, c’est l’œuvre des Chinois. Ils ont fait du tort à l’industrie photovoltaïque européenne, mais ils ont sauvé l’énergie solaire. Aujourd’hui, à Dubai, produire de l’élec-tricité par le solaire coûte moins cher que par le gaz : 6 centimes le kilowattheure au solaire, 7 centimes avec du gaz. Ça parle, non ?Mais la Chine ou l’Inde, qui veulent rattraper nos niveaux de vie, optent encore pour le fossile. Comment les convaincre de faire autrement ?

Si vous présentez aux Chinois les énergies renouvelables comme la solu-tion à adopter pour arrêter de polluer, ils se braquent. En gros, vous attaquez le gouvernement. C’est mal vu. En revanche, si vous leur dites que c’est une nouvelle technologie, rentable et effi-cace, ils sont enthousiastes. Aujourd’hui, certes, la Chine fait dans le charbon et le pétrole, mais c’est aussi le pays qui ins-

talle le plus de solaire et d’éolien. Quand nous sommes allés, avec “Solar Impulse”, à Chongqing, nous avons vu partout des tours de 50 étages en construction. Avec 35 millions d’habitants, c’est déjà la plus grande ville du monde. C’est impression-nant ! On ne va pas arrêter le dévelop-pement économique chinois. Mais si leurs maisons sont moins consomma-trices d’énergie, ils en auront moins besoin et pourront se contenter à terme du renouvelable. La solution n’est pas de les pénaliser, mais qu’ils réa-lisent eux-mêmes que le re-nouvelable est moins coûteux et plus efficace. Et ils importeront naturellement moins d’énergie fossile.Le monde est régi par la finance. Comment se fait-il alors, si les technologies sont si rentables, qu’on ne bascule pas plus vite vers les énergies vertes ?

La terrible force de l’habitude ! Un mélange de paresse et de peur de l’in-connu. Ce qu’on a n’est pas parfait mais on l’a et on le maîtrise. Et on s’abrite derrière. Les solutions viendront de l’ex-térieur du système. En Suisse, une société

commence à fabriquer des petites unités de production d’hydrogène qui pourront être installées chez des particuliers. Avec 4 petits mètres carrés de panneaux so-laires, on pourra fabriquer son hydro-gène, le mettre dans sa voiture, alimenter une pile à combustible et être énergéti-quement indépendant. La tendance va se généraliser, c’est évident. Regardez ce que veut faire Elon Musk avec ses bat-teries de stockage individuel.Vous dites que si le gouvernement américain avait “forcé” General Motors à se lancer plus tôt dans l’électrique, il serait encore là. Faut-il donc que les Etats imposent ?

Absolument. Aujourd’hui, il y a un cadre légal pour la justice, la santé, l’édu-cation, l’hygiène, mais pas pour le gas-pillage de l’énergie. Une voiture a toujours le droit de consommer 20 litres

par 100 kilomètres. C’est une aberration ! Une maison peut utiliser le chauffage électrique de manière anarchique. En Suisse, deux centrales nucléaires tra-vaillent à plein-temps pour compenser les pertes des ampoules à incandescence et des chauffages électriques comparées aux ampoules à Led et aux pompes à cha-

D’ICI À VINGT ANS, ON POURRAIT TRÈS BIEN FONCTIONNER AVEC DES ÉNERGIES RENOUVELABLES ET ÉCONOMISER LA MOITIÉ DE CE QU’ON UTILISE AUJOURD’HUI SUR TERRE

« Il y a un cadre légal pour la justice, la santé... mais pas pour le gaspillage »

L’ÉOLIEN EN MER Une des plus grandes centrales du monde :

London Array, au large de l’estuaire de la Tamise.

RÉPARTITION DE LA CONSOMMATION

D’ÉNERGIE EN EUROPE

4 % renouvelable

24,3 % charbon

22,6 % nucléaire20,7 %

hydraulique

17,1 % gaz

11,3 % pétrole

EN 2000

4,8 % pétrole

18,1 % charbon

13,4 % nucléaire

15,5 % hydraulique

22 % gaz

26,2 % renouvelable

EN 2014

leur. C’est cette transition qui doit être impulsée par des cadres légaux. Si on dit aux industriels et aux particuliers que l’on va légiférer pour basculer des vieilles tecÝologies sales et coûteuses vers de nouvelles, propres et rentables, ça passera très facilement. A titre individuel, je l’ai fait dans ma maison et j’ai divisé ma fac-ture annuelle par trois !Ce monde où les économies d’énergie réalisées permettront de partir en vacances en avion solaire pour aller dans des hôtels chauffés au géothermique et de circuler dans une voiture alimentée par l’électrique, il est pour quand ?

D’ici à vingt ans, on pourrait très bien fonctionner avec des énergies renouvelables et économiser la moitié de ce qu’on utilise aujourd’hui sur Terre. Mais je ne crois pas que l’on pourra voya-ger en avion solaire. Pour les longues dis-tances, le pétrole sera encore indispensable. Le transport maritime, je ne le vois pas à l’électricité tout de suite non plus. Mais s’il n’y a que ça, ce n’est pas un problème. Si les voitures, les loge-ments et les bureaux sont neutres sur le plan énergétique, ce sera gagné.Actuellement, on peut dire que vous “rechargez” les batteries de “Solar Impulse” avant de reprendre votre tour du monde en 2016. Pourquoi avez-vous dû vous interrompre ?

Ce qui est arrivé est de notre faute, pas celle de la tecÝologie. Nous avons trop isolé les batteries, craignant que, à très haute altitude, elles ne se refroi-dissent trop et perdent de leur capacité.

Quand nous avons traversé le Pacifique, la montée s’est faite assez vite, les batte-ries ne se sont jamais refroidies et, du coup, elles ont surchauffé. Mais elles ont fait le job : “Solar Impulse” est le premier avion à pouvoir voler sans carburant plus longtemps qu’aucun avion à réaction : cinq jours et cinq nuits.Et vous avez été obligé de repousser la suite de votre tour du monde pour retrouver des conditions météo adéquates ?

Exactement. Nous avons besoin des jours ensoleillés les plus longs pour recharger les batteries en vol. Et le temps de les réparer, la fenêtre météo s’est refermée. Auparavant, nous avions pris deux mois de retard à cause des condi-tions météo. Tous les experts dans ce domaine sont unanimes : c’est un effet du changement climatique. Ils ne peuvent plus se fier aux statistiques des années précédentes. Il y a dix ans, on savait quand arrivait la saison des pluies au Japon, la mousson en Inde, etc. Mainte-nant, c’est n’importe quoi ! Il pleut pen-dant dix jours, puis il fait beau, puis il y a trop de vent... On parle du réchauffement climatique, mais ce n’est pas tant le ré-chauffement que la vitesse à laquelle la Terre se réchauffe qui pose problème. La nature n’arrive plus à s’adapter. Que la mer monte, ce n’est pas forcément un drame. Même pour les îles du Pacifique. Si le corail a le temps de pousser et de former une barrière, il protège les atolls. Le problème, c’est la vitesse à laquelle la mer se réchauffe. Le corail ne suit plus.

Et tout ça, alors que nous avons les alter-natives à portée de main. Il ne manque qu’une ferme volonté. L’humanité est dans une baignoire qui fuit. Au lieu de boucher le trou, elle ouvre le robinet pour rajouter de l’eau ! C’est absurde. Les solutions sont là, elles sont l’avenir au présent. ■ Interview Romain Clergeat @RomainClergeat

Source : European wind energy association (EWEA).

A Terre-Neuve (Canada), ce gros glaçon, formé par des neiges multimillénaires, finira en eau minérale de luxe.

Remorquer des icebergs vers les déserts, dessaler l’eau des océans�: les projets se multiplient. Mais ça sera loin de suffire. Selon l’Onu, 748 millions d’êtres humains n’ont toujours pas accès à l’eau potable, même si de gros progrès ont été réalisés. Les experts parlent de «�stress hydrique�» quand une personne dispose de moins de 1�700 mètres cubes d’eau par an. Cette pénurie n’est pas réservée aux pays pauvres�: elle affecte déjà l’Ouest américain et menace de s’abattre sur le sud de la France. La ressource la plus vitale de la planète souffre de pollution, de prélèvements exces-sifs et de la dégradation des sols. Erodés ou bétonnés, ils ne retiennent plus ni les pluies ni les crues. Théoriquement, il y a assez d’eau pour tout le monde. Théoriquement seulement.

P H O T O V É R O N I Q U E D E V I G U E R I E

À LA VEILLE DE LA COP21, MATCH SE PENCHE SUR LE DRAME DE L’EAU DOUCE, TELLEMENT GASPILLÉE QUE

D’IMMENSES VILLES EN MANQUENT DÉJÀ

8/ LA RUÉE VERS L’OR BLEU

MASSACRE DES FORÊTS ET AGRICULTURE INTENSIVE SOUS DES CHALEURS EXTRÊMES ASSÈCHENT LE SOUS-SOL BRÉSILIEN Le sud-est du Brésil est à sec depuis un an. En cause�: le défrichement de l’Amazonie dans le nord du pays. Une telle destruction d’arbres réduit l’humidité de l’air à des milliers de kilomètres à la ronde. Les forêts sont bien plus que les poumons de la Terre. Si elles piègent le carbone et créent de l’oxygène, elles abreuvent aussi l’humanité en retenant l’eau de pluie dans les sols. Une arme majeure contre la désertifi cation. Or, chaque année, les hommes rasent l’équivalent d’un pays comme la Belgique. Le tout pour produire de l’huile de palme, des agrocarburants, du maïs pour le bétail… Aujourd’hui, 70�% de l’eau utilisée sert à l’agriculture intensive. Notamment du coton. Un pillage majeur au détriment des populations locales.

Il y a cinq ans, le réservoir de la Cantareira, au Brésil, débordait presque et les bateaux accédaient à ce ponton fl ottant.En médaillon�: à São Paulo, ces habitants dépendent désormais d’une citerne.

P H O T O P A U L O W H I T A K E R

11�000LITRES D’EAU

POUR PRODUIRE UN SEUL JEAN

EN COTON

PENDANT CE TEMPS-LÀ, LES ULTRA-RICHES JETTENT L’EAU PAR LES FENÊTRESLa plus grande fontaine du monde se trouve à Dubai. Dans un désert torride. L’eau de mer y est dessalée grâce à des usines avides de pétrole. En Arabie saoudite, même procédé mais encore plus coûteux puisque la capitale est à près de 400 kilomètres de la rive la plus proche. La folie règne sur la planète bleue. Piscines et golfs en Californie, fraises hivernales en Andalousie…, le tout en asséchant les nappes phréatiques. La surconsommation se fait parfois au détriment des voisins. Les barrages de Turquie risquent d’assécher la Syrie et l’Irak, ceux d’Ethiopie l’Egypte. Ainsi naissent les guerres. Le partage équitable de l’eau est un des enjeux majeurs de ce siècle.

Vue depuis le sommet du Burj Khalifa, à Dubai, le plus haut gratte-ciel du monde qui domine un lac artifi ciel de 12 hectares. En médaillon�: 6�600 lumières illuminent la Fontaine de Dubai, longue de 275 mètres, capable de projeter ses jets d’eau à 250 mètres de hauteur.

P H O T O

M A S S I M O B O R C H I

946�000LITRES D’EAU PAR JOUR, ce dont a besoin le gratte-ciel Burj Khalifa pour son système

de climatisation

88 PARIS MATCH DU 00 AU 00 XXXXXX 0000

«�D’ICI À 2050, LE VOLUME D’EAU DISPONIBLE POURRAIT DIMINUER

DE 50�%. L’OFFRE RISQUE D’ÊTRE DEUX FOIS INFÉRIEURE

À LA DEMANDE�»

LAURENT FABIUS

Sur l’île de Spitzberg, en Norvège, en juillet 2014, à Ny-Alesund, la localité située la plus au nord du monde.

par i smatch .com89

Paris Match. Les océans sont les grands absents de la Cop21. Leur importance est pourtant fondamentale pour l’homme, car ils produisent près de 80�% de notre oxy-gène. Pourquoi ne leur a-t-on pas donné plus de place�?

Laurent Fabius. Nous consacrerons une des douze journées de la Conférence de Paris, le 4 décembre, à cette question des océans. Et c’est bien le moins ! La pla-nète possède en effet deux poumons : les forêts et les océans. Ils absorbent un quart du CO

2 émis chaque année par l’homme

dans l’atmosphère, rejettent de l’oxygène et, donc, régulent la température. L’éléva-tion des températures, si elle continue, va entraîner plusieurs conséquences redoutables, à commencer par la montée du niveau des eaux et les menaces de submersion, notamment pour les îles du Pacifique. Les espèces marines sont tou-chées également, avec des conséquences sur la sécurité alimentaire. Sans oublier l’acidification des océans. Donc l’eau est au centre de tout. Nous devons agir sur deux plans : limiter le réchauffement climatique, ce qui aura un effet direct sur les océans, et augmenter les efforts d’adaptation aux effets du dérèglement. La France est la deuxième puissance du monde avec un domaine maritime de 11 millions de kilomètres carrés. N’y a-t-il pas là un formidable gisement de croissance pas assez exploité�?

Oui, c’est ce qu’on appelle “la croissance bleue”. Elle regroupe plusieurs domaines : l’énergie de la mer générée par la houle, l’aquaculture, le tourisme mari-time, les ressources minérales marines et la “biotech bleue”. On parle beaucoup de l’énergie verte, mais ce secteur de la croissance bleue va connaître un dévelop-pement considérable. Et la France dispose d’atouts majeurs dans ce secteur.Une étude de l’université d’Amsterdam a montré que des aires marines protégées

(AMP) rapportaient trois fois plus que leur investissement. Quel est l’objectif de la France dans ce domaine�?

En 2006, nous possédions moins de 1 % d’AMP sur les eaux françaises, essen-tiellement le parc national de Port-Cros, la réserve naturelle de Scandola en Corse et celle des Sept-Iles en Bretagne. Aujourd’hui, nous en sommes à 16 % et nous visons 20 % à l’horizon 2020, soit deux fois plus que les objectifs inter-nationaux définis dans la convention sur la diversité biologique. Ce n’est pas suffisant, mais nous avons beaucoup progressé depuis dix ans.Il existe près de 500 traités relatifs à la mer mais aucune gouvernance mondiale pour les superviser. Nous y sommes parvenus avec l’aérien. N’est-il pas temps d’en avoir une pour la mer�?

Oui, et même trois fois oui. Il existe aujourd’hui une fragmentation des auto-rités autour de la mer et une multiplicité de problèmes à traiter. Nous, la France, voulons une gouvernance cohérente de la haute mer. En juin, les Nations unies ont lancé la négociation d’un nouvel accord international, qui complétera la convention de Montego Bay sur les droits de la mer. L’objectif est d’établir une gouvernance globale qui permette la conservation et l’utilisation durables de la biodiversité marine en haute mer, la création d’AMP et un partage équitable des ressources génétiques maritimes, qui présentent un potentiel important dans le domaine des biotechnologies. Malheu-reusement, cela prend du temps. La négociation va démarrer au premier semestre 2016, mais elle ne sera probable-ment pas achevée avant plusieurs années en raison de la complexité des sujets. La France, avec ses partenaires européens, est mobilisée pour aboutir.Dix pays cumulent 60�% de l’eau potable de la planète, quand 1 milliard d’humains

n’y ont pas d’accès direct. N’est-ce pas là l’enjeu de multiples conflits à venir�?

On parle même d’une possible guerre de l’eau. Près d’un cinquième de la population mondiale vit dans des zones structurellement exposées à la ra-reté de l’eau. Or l’eau est le premier sec-teur touché par les effets du dérèglement climatique, ce qui augmente le “stress hydrique”. Dans le pire scénario, on estime que, d’ici à 2050, le volume d’eau disponible par habitant pourrait diminuer de moitié ; les sécheresses extrêmes – qui concernent aujourd’hui 1 % des surfaces – pourraient s’étendre d’ici à la fin du siècle à près d’un tiers des surfaces. En d’autres termes, en 2050 la demande en eau risque d’être de 40 % supérieure à l’offre. Des diminutions de précipitations sont déjà observées au Sahel, en Méditerranée, au Moyen-Orient, en Afrique australe, en Asie du Sud, en Chine, ce qui menace directe-ment la production alimentaire : 70 % de l’eau, à l’échelle mondiale, est en effet consommée par la production agricole. Il est donc urgent d’agir. D’abord en atténuant les émissions de CO

2, car la

limitation du réchauffement aura un im-pact positif sur la disponibilité des ressources en eau. Ensuite en adoptant vite des mesures concrètes d’adaptation : nous devons améliorer l’efficacité des dispositifs de traitement des eaux usées et développer de nouvelles technologies agricoles moins consommatrices en eau. Les entreprises et les chercheurs fran-çais sont très compétents dans ces domaines.On prévoit, en 2050, 250 millions de réfu-giés climatiques à cause de la montée des eaux. Quand on voit le problème des migrants actuellement, on imagine ce que cela pourrait donner… Que peut-on faire pour prévenir ces futurs déplacements massifs de population�?

LAURENT FABIUS«�PARLER DE GUERRE DE L’EAU

N’EST PLUS SEULEMENT THÉORIQUE. C’EST UN ENJEU POUR LA PAIX�»

Le président de la Cop21 nous a accordé un entretien et parle des défis vitaux liés à l’eau, le sang de la terre

U N E N T R E T I E N A V E C R O M A I N C L E R G E A T E T F R A N Ç O I S D E L A B A R R E

(Suite page 90)

90 PARIS MATCH DU 22 AU 28 OCTOBRE 2015

Les migrations auxquelles l’Europe doit faire face concernent quelques cen-taines de milliers de personnes ; imaginez la gravité des conséquences s’il s’agissait de dizaines ou de centaines de millions de migrants ! Il y a quatre ans, une initiative a été mise en place par les pays mobilisés sur ce sujet : “l’Initiative Nansen”. La France en fait partie. Ce groupe se réunit ce mois-ci à Genève, et nous souhaitons parvenir à une charte de principes com-muns concernant ces futurs migrants. Il ne faut jamais oublier que le réchauffe-ment climatique a et aura des effets non seulement sur l’environnement, mais aussi sur la sécurité alimentaire, la santé, les migrations et, finalement, la paix et la guerre. C’est pourquoi je souligne que cette question est, au sens propre, une question vitale.Justement, certains estiment que l’origine du conflit syrien est à chercher lors de la

sécheresse de 2007-2010 qui a porté des paysans exsangues vers les villes où la pau-vreté et l’incurie de l’Etat ont généré des manifestations puis la répression, entraî-nant le cycle infernal auquel on assiste actuellement. Qu’en pensez-vous�?

Les causes du drame syrien sont mul-tiples, même s’il est avéré que la respon-sabilité première et principale incombe à Bachar El-Assad. On l’a parfois oublié, mais il s’agissait au départ d’une révolte très circonscrite, de quelques jeunes dans un coin de Syrie. Une révolte qui a été traitée de telle manière par El-Assad que nous en sommes aujourd’hui à 250 000 morts. Il est vrai que la sécheresse de 2010 a sans doute exacerbé les tensions. Cet exemple souligne que le dérèglement cli-matique ne pose pas uniquement des pro-blèmes environnementaux. Ce qui est en jeu, c’est la vie de la planète – la nôtre et celle des espèces. Nous ne sommes pas face à une négociation diplomatique comme les autres, que nous pourrions remettre à plus tard sans conséquence majeure : c’est une course universelle contre la montre. Plus tard, ce serait trop tard, car les gaz à effet de serre, une fois émis, restent dans l’atmosphère pendant des décennies, parfois des siècles. La Conférence de Paris peut et doit donc marquer un tournant pour la planète.Pensez-vous que les dirigeants mondiaux ont, cette fois, totalement saisi l’enjeu�?

Oui, je le constate de manière très nette avec l’engagement de la Chine et l’implication personnelle du président des Etats-Unis – deux pays qui étaient dans le passé beaucoup plus réticents face aux questions climatiques. Mais la situation a malheureusement empiré, et personne ne peut plus l’ignorer grâce au travail remar-quable des scientifiques. Le “climato-scepticisme” est devenu indéfendable. Mais il faut convaincre les 196 pays d’adopter un accord universel sur des questions qui les engagent : la tâche est donc extraordinairement complexe.Si vous n’arrivez pas à réunir 196 signa-tures, pourquoi ne pas conclure un accord entre les Etats-Unis, la Chine et l’Union européenne, responsables de 60�% des émissions à gaz à effet de serre�?

Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, utilise une formule

forte à propos du réchauffement clima-tique : “Il n’y a pas de plan B, car il n’y a pas de planète B.” La règle des négocia-tions climatiques est simple : sans la signa-ture de tous les pays, il n’y aura pas d’accord. Les deux plus gros émetteurs de la planète, Etats-Unis et Chine, doivent s’engager, mais la mobilisation des autres est indispensable. Par exemple, l’Inde est un acteur très important, de même que les pays producteurs de pétrole, à qui l’on demande de développer des énergies “décarbonées” alors que, depuis le début du XXe siècle, leur croissance se fonde sur les hydrocarbures. Et puis, les gaz à effet de serre ne s’arrêtent pas aux frontières nationales : l’effort doit donc être univer-sel. L’efficacité ne peut pas résider dans un accord à seulement quelques-uns.En juillet 2014, nous vous avons accompa-gné au Svalbard, l’archipel norvégien le plus au nord de l’Europe, pour y observer la fonte des glaces. Avez-vous des nouvelles des évolutions récentes�?

Le phénomène s’est malheureuse-ment amplifié depuis, et dans des propor-tions plus importantes que prévu. Dans ces régions, le réchauffement climatique se ressent deux fois plus qu’ailleurs, ce qui a une incidence directe sur le reste du globe puisque la fonte des glaciers contri-bue fortement à la montée des eaux. A l’époque, vous disiez�: “Nous avons 500 jours pour populariser ce glacier.” Avez-vous le sentiment d’avoir accompli cette mission�?

Je continue mon marathon. Certains de mes collègues m’ont surnommé le “cli-marathonien” ! Il y a quelques jours, nous étions à l’Onu pour traiter ces sujets avec les présidents français, chinois, le Premier ministre indien, Michael Bloomberg et beaucoup d’autres. La prise de conscience progresse, mais elle doit encore s’élargir. La difficulté consiste à expliquer l’urgence des actions à mener, sans pour autant donner une vision catastrophiste de l’ave-nir. La lutte contre le dérèglement ne constitue pas seulement une contrainte, mais aussi et surtout une source d’oppor-tunités : avec les changements technolo-giques, la transition verte permettra davantage de croissance et d’emplois.Quel est votre sentiment sur les chances de parvenir à un accord�?

Je reprends souvent une formule de Léon Blum : “Je le crois parce que je l’espère.” Si nous parvenons à un accord d’application universelle, ce sera inédit : ce résultat n’a jamais été atteint dans l’histoire des négociations climatiques.

«�LÉON BLUM DISAIT�: “JE LE CROIS PARCE QUE JE L’ESPÈRE.” RESTE À CONVAINCRE 196 PAYS�»

Dans les environs de Dacca, au Bangladesh, avec Frank-Walter Steinmeier, son homologue allemand (lunettes), en septembre.

par i smatch .com91

Mais il faut que cet accord soit suffi sam-ment ambitieux. Nous sommes 152 pays ayant déposé leurs contributions natio-nales (INDC), qui couvrent 87 % des émissions mondiales à effet de serre, alors qu’à Kyoto le fameux protocole n’en avait concerné que 15 %. Le progrès est spec-taculaire. Le juge de paix, ce sera le respect d’un réchauffement maximal de 1,5 ou 2 degrés d’ici à 2100. Si l’accord signé n’est pas assez ambitieux… Ce sera considéré comme un échec�!

Nous n’avons pas le droit d’échouer. En général, ces conférences ont rarement été couronnées de succès. A ce propos, je me souviens d’une anecdote savoureuse. Quand la France a été désignée pour accueillir la Cop21 – c’était à Varsovie il y a trois ans –, les délégués du monde entier sont venus vers moi et m’ont dit, avec un sourire entendu : “Mister Fabius… Good luck !” Pourquoi avons-nous été candidat ? Parce que l’enjeu de cette Conférence de Paris est vital pour l’avenir de l’humanité et que nous devions prendre nos responsabilités.

Vous parlez de prise de conscience collec-tive. N’est-ce pas plutôt une question à régler entre grandes puissances, entre lob-bies et multinationales�?

Non, la lutte contre le dérèglement climatique est l’affaire de tous : la mobi-lisation des gouvernements est essen-tielle, mais l’engagement des acteurs non étatiques – villes, régions, entre-prises – est également nécessaire : c’est pourquoi nous rassemblerons à Paris les engagements précis de ces acteurs dans ce que nous appelons “l’agenda pour l’action”. Du côté des entreprises, j’ob-serve une évolution très nette. Au-delà de la prise de conscience morale, beau-coup comprennent que refuser d’intégrer l’enjeu climatique dans leur stratégie leur ferait courir le risque d’être distancées. L’agence Standard & Poor’s intègre désormais dans ses notations sur les sociétés les décisions que prennent – ou non – les entreprises en matière de lutte contre ce changement climatique. Le plus grand fonds souverain, qui est norvégien, a décidé de se désengager du

charbon, énergie fossile particulièrement polluante. Le président d’Unilever, Paul Polman, est très mobilisé sur cette ques-tion, tout comme Bill Gates qui réfl échit à des initiatives importantes pour favori-ser les innovations technologiques dans ces domaines : pour lui, nous ne pour-rons faire face au défi climatique qu’à la condition de favoriser des sauts tech-nologiques, qui requièrent des investis-sements importants auxquels il veut contribuer fi nancièrement avec certains de ses amis. Au-delà des entreprises, je constate une mobilisation proclimat croissante des collectivités locales, de la société civile, des autorités spirituelles et morales. Les choses évoluent donc dans un sens positif, mais rien n’est défi nitive-ment acquis. Je suis optimiste, mais d’un optimisme actif. Jusqu’au dernier jour, nous continuerons à travailler et à mobi-liser. C’est à cette condition que le succès, que nous espérons tous, pourra devenir une réalité le 11 décembre à Paris. ■

Romain Clergeat et François de Labarre

@RomainClergeat et @fl abarre

Sources : UN-Water ; Centre d’information sur l’eau ; Water Footprint Network.

Enquête : Adrien Gaboulaud Réalisation : Dévrig Plichon

11�%

En France, en 2009, 5,5 milliards de mètres cubes d’eau

ont été consacrés à la distribution d’eau potable, soit à peu près le débit de la

Seine pendant quatre mois.

En Afrique, les femmes eff ectuent 90�% du travail de collecte d’eau. Réduire le temps de

30 à 15 minutes pour accéder à une source d’eau augmente de 12�% la présence des fi lles à l’école.

Depuis 1900, 11 millions de personnes sont mortes en raison de sécheresses.

Toutes les vingt secondes, un enfant meurt à cause d’un mauvais accès à de l’eau propre.

Dans les pays en développement

des eaux usées sont rejetées sans traitement.

des personnes dans le monden’ont pas accès à une source

d’eau potable correcte.

En 2025, 1,8 milliard de

personnes vivront dans des zones

touchées par une pénurie totale

d’eau.

Chaque jour dans le monde, une personne boit

2 à 4litres d’eau.

LES DÉFIS DE L’OR BLEU

70 2�000 8�000litres pour produire

une pomme.litres pour produire

150 g de viande de bœuf.litres pour produire

une paire de chaussures.

DEPUIS DIX ANS, SEBASTIAN COPELAND EST ALLÉ HUIT FOIS AUX ABORDS DU PÔLE NORD. SES PHOTOS TÉMOIGNENT D’UN DRAME IRRÉVERSIBLE

Baie de Qaanaaq, dans le nord du Groenland, le 19 juin 2010. Deux décennies plus tôt, à la même date, ce site était encore gelé.

LA BANQUISE

P H O T O S

S E B A S T I A N C O P E L A N D

C’est le crépuscule d’un dieu. Détaché d’un glacier multi-millénaire, cet iceberg ira mourir en mer. Un phénomène normal tant qu’il reste limité mais, aujourd’hui, les calottes polaires fondent plus vite qu’elles ne se reconstituent. Le photographe franco-britannique s’est fait le témoin de leur fragilité au fil de lents périples�: 8�000 kilomètres à

ski en Arctique et en Antarctique. Il est, jusqu’au 15 no-vembre, à Paris Photo, au Grand Palais, pour la sortie de son dernier livre, «�Arctica�». Un testament sur la beauté des grands déserts blancs. Et un cri d’alarme�: «�Ces trente dernières années, davantage de glace a disparu que pendant le million d’années précédent.�»

À L’ ARCTIQUE DE LA MORT

FRAGMENTÉE, FINE ET FRAGILE, LA GLACE DEVIENT UN PIÈGE POUR LES ANIMAUX

La dent de la mer�: un iceberg au Groenland en juin.

Motifs circulaires dessinés par les courants chauds dans la banquise.

Les restes d’un ours polaire mort de faim sur l’île Beechey (Canada).

Les pattes dans l’eau tandis qu’autour fond la banquise. Dans ce monde hostile, les hommes et les bêtes avaient appris à vivre. Prudemment. Patiemment. Aujourd’hui, leur univers se disloque. Les phoques et les ours ne sont pas les seuls à pâtir d’une banquise évanescente. Quatre millions d’êtres humains

peuplent l’Arctique. Parmi eux, une myriade de peuples au-tochtones, au mode de vie intimement lié à cet environnement. Plus généralement, la santé des glaces et des neiges concerne l’équilibre de tout le monde vivant. En réverbérant les rayons solaires, elles jouent un rôle clé dans la régulation climatique.

Une jeune ourse polaire cherche désespérément de la nourriture

sur la banquise qui dégèle, dans la baie de Radstock, sur l’île

Devon, au Canada.

72 PARIS MATCH DU 12 AU 18 NOVEMBRE 2015

Sebastian Copeland JE NE SUIS PAS NAÏF. ON N’ARRIVERA PAS À LIMITER LE RÉCHAUFFEMENT À 2 °C. C’EST DE L’AFFICHAGE MARKETING�»I N T E R V I E W O L I V I E R O ’ M A H O N Y

«

Paris Match. Ce livre est le fruit de huit expéditions en Arctique depuis 2005. Qu’est-ce qui a le plus changé là-bas en dix ans�?

Sebastian Copeland. La banquise s’est rétractée. Elle est aussi devenue beaucoup plus fragmentée, fine et fragile. Il m’est arrivé de passer au travers, par – 35 °C. J’ai eu la peur de ma vie, mais je ne m’en suis rendu compte qu’après coup, tellement c’était soudain. La glace est aussi plus grise, à cause de l’augmentation de la pollution et des incendies de forêts dans le reste du monde. Les fines particules de carbone arrivent jusqu’au pôle Nord et la calotte de glace du Groenland. Elles viennent de très loin, transportées par le jet-stream. Salie par la suie, la banquise absorbe la chaleur du soleil, alors qu’au-trefois elle la reflétait. Ce phénomène accélère sa fonte. C’est un cercle vicieux, très difficile à combattre.En quoi la fonte des pôles est-elle inquiétante pour le reste du monde�?

Parce que c’est de là que tout part. Selon les experts, si rien n’est fait, en été 2035 la banquise aura totalement dis-

paru sur l’océan Arctique. Cela engen-drera une accélération de la fonte des glaces au Groenland, ainsi qu’en Antarc-tique, qui elle-même va se traduire par une élévation du niveau de la mer sur tout le globe d’un minimum de 1,3 mètre à la fin du siècle. Les dégâts sont inesti-mables. La carte du monde va être redes-sinée. Imaginez ce qui va arriver dans le delta du Mékong qui assure 50 % de la production mondiale de riz : les cultures vont être inondées, les prix des denrées alimentaires vont exploser et les émeutes de la faim vont se multiplier.Comment vivez-vous lors de ces expéditions�?

C’est une existence monacale. Une leçon d’humilité, aussi. On ne dort pas beaucoup, six heures au maximum, on mange de la nourriture déshydratée, comme le font les astronautes. Ce n’est pas si mauvais. On a l’impression d’être le dernier des humains sur cette Terre. C’est magnifique de voir cet univers blanc, immense et vierge. On se rend compte à quel point les villes nous ont fait perdre le contact avec la nature. Malheureusement, on risque d’en payer le prix.

Sebastian Copeland, ambassadeur Napapijri, au pôle Nord.

par i smatch .com 73

C’est dur, non, une expédition polaire�?Au début, oui, c’est très déstabili-

sant. On part généralement début mars, à la fin de l’hiver, quand le soleil se met à briller 24 heures sur 24, ce qui fait perdre la notion du temps. Les tempé-ratures tournent encore autour de –  50 °C sans vent, jusqu’à – 70 °C avec. Il faut s’y habituer. En début d’expédi-tion, je ne marche que six à sept heures par jour, et c’est éprouvant. A la fin, je peux tenir jusqu’à seize à dix-sept heures. Toutes les heures, je fais une pause de dix minutes pour grignoter quelque chose et boire. Je suis toujours impres-sionné par la capacité du corps humain à s’adapter à tout.Est-ce dangereux�?

Au Groenland, une tempête s’est levée. Elle a duré sept jours avec des vents de 120 km/h. Là, on se sent insi-gnifiant. Toute erreur peut être fatale. Une autre fois, je me suis retrouvé nez à nez avec une ourse. Ces animaux sont bien plus intelligents que nous sur la glace. C’est leur territoire. Elle s’appro-chait de moi à grande vitesse, j’étais clairement son repas. J’ai sorti mon arme et tiré devant elle. Elle a relancé son attaque, à trois reprises. Finalement,

les coups de feu l’ont effrayée. On s’est regardé droit dans les yeux et elle s’est éloignée, sans doute déçue de ne pas m’avoir dévoré tout cru.Que ressentez-vous, là-bas�?

Une expédition, cela porte à la méditation. Je pars parfois seul, ou avec un équipier, jamais plus, et sans support externe. On est comme dans un état second. Même quand on est accompa-gné, c’est une expérience solitaire, un dialogue intérieur, parce que, entre coéquipiers, on ne se parle quasiment

pas durant la journée. Simplement, c’est plus pratique côté logistique. On est deux à partager le poids de l’équipe-ment chargé sur un traîneau (une « pulka », que nous tirons nous-mêmes), à ouvrir la tente le soir, à faire fondre la glace pour préparer la soupe du dîner, mettre le chauffage le soir et le matin, au réveil, pour faire disparaître le gel qui s’est formé sur la toile pendant la nuit… Vous qui photographiiez les célébrités autrefois, comment en êtes-vous venu à monter des expéditions polaires�?

J’ai toujours été fasciné par les aven-turiers, depuis ma plus petite enfance. J’étais un fan de Jack London. Mon grand-père maternel m’a emmené dans un safari quand j’avais 12 ans. J’avais 3  ans quand j’ai commencé à skier. Je fais deux heures de gym par jour, je pra-tique l’escalade en haute montagne et d’autres sports extrêmes. J’ai commencé ma carrière en étant photographe de mode parce qu’il y a beaucoup d’artistes dans ma famille. Mon père, Jean-Claude Casadesus, est chef d’orchestre. Mon cousin Orlando Bloom, acteur à Hol-lywood. C’est un grand sportif, comme moi. Je l’ai emmené dans une de mes expéditions sur un bateau de recherches,

dans l’Antarctique, pendant trois semaines en 2007, et on va probablement repartir en-semble. J’ai commencé à m’engager pour la planète, il y a vingt-cinq ans, afin de don-ner un sens à ma vie. J’adore photographier les icebergs, formes vivantes pour qui les jours sont comptés. C’est une façon de leur rendre hom-mage. Je suis un chasseur d’images engagé. Mon appa-reil photo est mon arme.Etes-vous en colère contre l’absence d’enthousiasme que suscitent les questions environnementales�?

Ce n’est pas mon genre d’être en colère car je suis d’esprit bouddhiste, pratiquant à certaines époques de ma vie. Mais disons que l’attentisme que je constate actuellement me fait bouillir. Nous avons passé le cap de l’éducation du public. Il y a quinze ans, ça faisait par-tie du débat, c’était excitant. Mainte-nant, ce n’est plus drôle. Qu’est-ce qui vous choque le plus�?

Au milieu des années 1980, Exxon-Mobil a lancé des études très pointues qui prouvaient les effets dramatiques du

changement climatique. Ensuite, en toute connaissance de cause, ses dirigeants ont choisi de dépenser des millions de dollars en propagande visant à remettre en ques-tion les conclusions des travaux scienti-fiques qu’ils avaient eux-mêmes financés. Et ça a marché. Les gens se sont mis à douter. Ça me révolte ! Certes, neuf com-pagnies pétrolières, dont Total, ont pris le parti d’investir dans les énergies renou-velables, mais rien ne changera vraiment tant que les gouvernements continueront à laisser faire ces compagnies, qui leur procurent beaucoup de recettes fiscales. Il faut les forcer à se reconvertir en les obligeant, par la réglementation, à réin-vestir une partie de leurs profits dans la recherche et le développement de nou-velles formes d’énergie propre. On lit partout que la conférence de Paris ne sera pas un nouvel échec comme le fut celle de Copenhague. Partagez-vous cet optimisme�?

Je ne suis pas naïf. On n’arrivera pas à limiter le réchauffement à 2 °C. C’est de l’affichage marketing et le résultat de négociations. De toute façon, il faudra faire mieux. Dans cer-tains endroits de l’Alaska, la température a déjà monté de 3 °C depuis les années 1980. La banquise arctique a perdu en trente ans 47 % de son étendue.Que dites-vous aux délégués de la Cop21 qui vont se réunir à la fin du mois�?

Qu’il est temps de comprendre que les terribles turbulences du monde d’au-jourd’hui viennent du changement cli-matique. Les gens bien nourris sont moins susceptibles de se révolter que ceux qui ont faim. On oublie trop sou-vent qu’en Syrie, entre 2006 et 2010, 60 % des terres fertiles se sont déserti-fiées, entraînant la mort de 80 % du cheptel. La grande crise des réfugiés n’en est qu’à ses débuts. Vous êtes très inquiet…

Je ne suis pas un écolo romantique qui veut sauver les ours polaires. La banquise, c’est de la géopolitique. J’in-cite, à ma façon, à la prise de conscience. En retournant au pôle Nord, l’année prochaine.  ■ @olivieromahony

Arctica, éd. teNeues (teneues.com). L’auteur dédicacera son livre à Paris Photo le samedi 14 novembre à 12�h�30 et à la librairie La Hune, à 16�h��30.

La tente (à g.) et le traîneau du photographe, pris dans les

vents du Groenland.