plasma quarks gluons

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Une soupe nommée plasma quarks-gluons grandma Texte : François Arleo Illustrations : Roxane Arleo

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Brochure de vulgarisation scientifique

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Une soupe nommée plasma quarks-gluons

g r a n d m a

Texte : François Arleo Illustrations : Roxane Arleo

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François Arleo est chercheur en physique théorique au CNRS au sein du Laboratoire d’Annecy-le-Vieux de Physique Théoriquehttp://cern.ch/arleo

Roxane Arleo est illustratrice. Elle collabore avec des magazines tels que Le Monde de l’Éducation, L’Entreprise, L’École des Parents, Alternative Santé...http://rarleo.free.fr

Contact : [email protected]

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Prologue

Ma grand-mère américaine Janet, 89 printemps, est débordante d’imagination. Dernier exemple en date, elle est convaincue que je travaille dans une cen-trale nucléaire. C’est certain. Mordicus. Dans un souci de rétablir la vérité, je lui ai expliqué que j’étudie plutôt la physique des particules, ce qui n’a rien à voir avec travailler dans une centrale. Dieu seul sait ce que je pourrais bien y faire ! Soyons clairs : il n’y a rien d’infamant à travailler dans une centrale, mais ce n’est pas mon métier. Tout bête-ment. Au fond, je suis convaincu qu’elle le sait : je soupçonne même qu’elle continue à raconter ça à tous ses nombreux amis plus pour me taquiner que par une mauvaise compréhension de sa part.

Tout de même, je réalise qu’il n’est pas si évident pour mes proches de savoir exactement ce que je fais pour gagner ma vie. Cela m’a d’ailleurs été confirmé l’autre jour quand, au cours d’une balade anodine, une des mes amies s’arrête net pour me poser la question fatidique: « Mais dis-moi, François, qu’est-ce que tu fais, au juste ?! ».

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Dans ce qui suit, je vais donc essayer d’expliquer simplement et en quelques mots le thème principal de mes recherches qui répond au doux nom de « plasma de quarks et de gluons ». Ce petit texte a pour ambition de vous donner, comment dire… une saveur de ce qui se cache derrière ces mots étranges.

Des atomes, des protons et des quarks

Commençons avec un atome. C’est déjà très petit : à peu près 0.000 000 000 1 mètre. En d’autres termes, un milliard d’atomes posés côte-à-côte fe-raient 10 centimètres de long ! Bref, c’est petit. Tellement petit, d’ailleurs, que depuis l’Antiquité avec

Démocrite, l’homme a longtemps cru que l’atome était le constituant

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« ultime » de la matière. Or, nous sa-vons depuis les expériences conduites par Ernest Rutherford au début du XXe siècle (1909, soyons précis) que l’atome est en fait composé d’un petit noyau, dont la taille est environ... 100 000 fois plus petite que la taille de l’atome lui-même. Imaginez une lentille au milieu d’un terrain de football ! Ce qui rend l’atome aussi gros, par comparaison à la taille du noyau, provient en fait de particules qui circulent dans tous les sens autour de ce noyau : ce sont les électrons. Les physiciens, qui comme ma grand-mère ne manquent pas d’imagi-nation, appellent ce ballet ininterrompu le « nuage électronique » (ou aussi « cortège électronique »).

Maintenant, laissons un peu les électrons de côté et concentrons-nous sur le noyau lui-même. Il est composé d’au moins une particule, le proton, et d’éven-tuels neutrons. Les protons et

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les neutrons sont très similaires, à l’exception de leur charge électrique (le neutron étant... neutre). En général, le nombre de neutrons est à peu près égal au nombre de protons, mais ce n’est pas tou-jours le cas. L’atome le plus simple que l’on puisse imaginer est un noyau composé d’un seul proton (mais d’aucun neutron) avec un électron qui lui tourne autour. Mesdames et Messieurs, veuillez ac-cueillir l’atome d’Hydrogène !

L’expérience de Rutherford a montré que l’atome est en fait lui-même constitué de particules plus petites. Beaucoup plus récemment, mais dans le même esprit, on a découvert à la fin des années 1960 que les protons et les neutrons sont eux-mêmes composés de particules plus élémentaires, mon cher lecteur : les quarks et les gluons. Attention ! Quand j’écris que les quarks et les gluons sont élémentaires, cela ne signifie pas que leur comportement soit très simple, bien au contraire ! Cela veut plutôt dire que l’on ne sait toujours pas, à l’heure actuelle, s’il existe d’autres particules à l’intérieur des quarks et gluons (ni à l’intérieur des électrons d’ailleurs). Bref, pour

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l’heure, le jeu des poupées russes s’arrête ici.

Des quarks mystérieusement confinés

Continuons un peu plus notre exploration. De manière surprenante, les quarks s’associent toujours en-semble, et d’une manière bien spécifique, pour for-mer une famille de particules appelées hadrons. Le proton et le neutron sont des exemples de hadrons, mais il en existe d’autres. On dit que les quarks sont confinés à l’intérieur de ces hadrons. Personne n’a jamais observé un quark tout seul, de manière iso-lée ! Les gluons, eux, représentent la force (ou « in-teraction forte ») qui collent les quarks à l’intérieur des hadrons, d’où leur nom.

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Le mécanisme par lequel les quarks et les gluons se trouvent confinés, piégés en quelque sorte, est bien mystérieux, malgré de nombreux travaux publiés sur le sujet. Il y a cependant un consensus assez géné-ral sur le fait que le confinement n’a pas toujours existé !

Une soupe nommée plasma quarks-gluons

Très peu de temps après le Big Bang, disons après dix millionièmes de seconde, alors que l’Univers était extrêmement chaud avec des températures avoisi-nant deux mille milliards de degrés (on ne parlait pas encore de réchauffement climatique à cette époque), les quarks et les gluons se déplaçaient li-brement sans s’associer mutuellement pour former des protons, des neutrons, ou d’autres particules aux noms exotiques : pions, kaons, lambdas, etc. Le confi-nement, quelle que soit son origine, semble ne pas aimer la grosse chaleur. Plus tard, au fur et à me-sure que l’Univers s’agrandissait et se refroidissait, le confinement est apparu et a conduit à la naissance

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des hadrons, et parmi eux, des protons et des neu-trons que nous avons déjà rencontrés (et dont nous sommes, accessoirement, composés).

On commence à se rapprocher de mes préoccupa-tions de recherche, mais nous n’y sommes pas encore tout à fait...

Vive le quark libre !

Pour faire court, les physiciens voudraient recréer et observer cette soupe originelle (appelons-la un « plasma », ça sonne mieux) de quarks et de gluons se déplaçant librement. Une soupe est toujours meilleure chaude, aussi, pour atteindre les tempé-ratures extrêmes au-delà desquelles le confinement disparaît, des noyaux d’atomes lourds comme l’or ou le plomb sont accélérés et entrent en collision. Au

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cours de cette collision, dans un laboratoire comme le CERN près de Genève par exemple, de nombreux quarks et gluons sont produits et commencent à interagir tous ensemble. Finalement, un gaz de quarks et de gluons est formé, un peu comme les molécules d’air dans votre salon. Tout comme l’Univers juste après sa naissance, il y a environ quatorze milliards d’années, le gaz com-mence à s’étendre et à se refroidir. Vous pouvez d’ores et déjà deviner ce qui va se produire. En deçà d’une certaine « température critique », les quarks et les gluons s’associent inexorablement pour produire les hadrons qui seront observés à l’aide de détecteurs (comment détecter une particule nous emmènerait trop loin, nous y reviendrons une prochaine fois).

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Chassez le confinement, il revient au galop !

Tout ceci se déroule à des échelles démesurément petites : la soupe, que l’on appelle donc le plasma de quarks et de gluons, est environ dix fois plus grande que la taille du proton, plutôt une petite portion, n’est-ce pas ? De plus son temps de vie, c’est-à-dire le temps qui s’écoule avant que les hadrons ne se reforment à nouveau, est aussi court que dix millionième de mil-liardième de milliardième de seconde. Il faut en convenir, les quarks et les gluons n’auront pas eu beaucoup le temps de profiter de leur liberté, les pauvres. Vous comprenez bien que cette soupe est à

la fois trop petite et trop fugace pour être observée.

Des quarks en liberté surveillée

Ce que l’on peut faire, en revanche, c’est s’intéresser à quelques pro-priétés du plasma quarks-gluons qui ...pour former le trio

que l'on connait !

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pourraient survivre bien après sa disparition. Pensez aux fossiles de dinosaures, par exemple ! Ces

signaux indirects - on les appelle des « si-gnatures » - permettraient de mettre en évidence la formation du plasma quarks-gluons au tout début de la collision, avant que le satané confinement ne se rappelle à notre bon souvenir.

Voilà, c’est à peu de choses près mon sujet de recherche. Qu’est-ce que j’étudie plus précisément ?

Disons simplement que j’étudie certaines de ces si-gnatures, en élaborant des modèles et en les com-parant aux mesures expérimentales, afin de pouvoir dire si, oui ou non, le plasma de quarks et de gluons a bien été pro-duit dans ces collisions. Le terme « Little Bang », par ana-logie avec la cosmologie, est parfois utilisé pour décrire ces collisions de noyaux lourds qui permettent, ne serait-ce qu’un

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instant, de recréer les conditions qui existaient au début de l’Univers. Grâce à ces recherches, les scientifiques vont pouvoir mieux comprendre cette soupe cosmique dont nous sommes issus. Beaucoup de questions restent en suspens, nous aurons l’oc-casion d’y revenir.

Épilogue

Tu vois, Grandma, c’est mon métier. J’espère que c’était instructif et pas trop obscur. N’hésite pas à me poser toutes les questions qui te viennent à l’es-prit. Sauf celle-ci: « Mais enfin, François, pourquoi travailles-tu dans une centrale nucléaire ?» !

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LEXIQUE

Confinement : Mécanisme par lequel les quarks s’as-socient systématiquement pour former des hadrons. Le confinement disparaît au-delà d’une certaine température critique.

Gluon : Particule élémentaire médiatrice de l’inte-raction forte entre les quarks.

Hadron : Particule composée de quarks et de gluons. Le proton ou le neutron sont des exemples de ha-drons, mais il en existe beaucoup d’autres.

Interaction forte : L’interaction forte agit entre les quarks et elle est «véhiculée» par le gluon. Il existe d’autres interactions comme la gravitation, l’interac-tion électromagnétique, ou encore l’interaction faible responsable de la radioactivité.

Neutron : Particule composant avec le proton le noyau des atomes. Le neutron est constitué de trois quarks : un quark « up » et deux quarks « down ».

Plasma de quarks et de gluons : État de la matière à très haute température dans lequel les quarks et

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les gluons ne sont pas confinés à l’intérieur de ha-drons. Le plasma de quarks et de gluons existait quelques dizaines de microsecondes après le début de l’Univers et pourrait être produit dans les colli-sions de noyaux lourds, comme l’or ou le plomb.

Proton : Particule composant avec le neutron le noyau des atomes. Le proton est constitué de trois quarks : deux quarks « up » et un quark « down ».

Quark : Particule élémentaire sensible à l’interaction forte et qui compose les hadrons. Les quarks existent sous la forme de six types différents appelés sa-veurs, baptisées : up, down, étrange, charme, beau-té, top. Le quark top, le plus lourd, est le dernier à avoir été découvert en 1995.

Température critique : Température au-delà de la-quelle les quarks ne sont plus confinés à l’intérieur de hadrons. Sa valeur est déterminée théoriquement et vaut environ deux mille milliards de degrés.

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