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Prix du roman d’entreprise et du travail, Ministère du Travail, le 16.3.17. Communication de Romain Lancrey-Javal. Synthèse succincte sur les douze romans en compétition. La littérature sur le travail ne colle pas toujours à l’actualité immédiate. Les fictions romanesques en compétition cette année ne portaient pas nécessairement sur des emplois fictifs. 1) Ce n’est pas un emploi fictif mais un travail en suspens qu’annonce Je vais m’y mettre de Florent Oiseau chez Allary Edition. Un personnage, en fin de droits, se dit finalement ceci : il ne faut pas remettre au lendemain ce qu’on peut remettre au surlendemain. 2) Ce n’est pas un travail fictif mais un travail excessif que fait attendre au contraire Agnès Martin-Lugand dans Désolée, je suis attendue chez Michel Lafon. Le boulot d’interprète d’agence, surmenée, est addictif. Isolement, surmenage, craquement. Il faudrait savoir consommer le boulot avec modération.

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Page 1: Prix du roman d’entreprise et du travail, Ministère du ... · Prix du roman d’entreprise et du travail, Ministère du Travail, le 16.3.17. Communication de Romain Lancrey-Javal

Prix du roman d’entreprise et du travail, Ministère du Travail, le 16.3.17.

Communication de Romain Lancrey-Javal.

Synthèse succincte sur les douze romans en compétition.

La littérature sur le travail ne colle pas toujours à l’actualité immédiate. Les fictions romanesques en compétition cette année ne portaient pas nécessairement sur des emplois fictifs. 1) Ce n’est pas un emploi fictif mais un travail en suspens qu’annonce Je vais m’y mettre de Florent Oiseau chez Allary Edition. Un personnage, en fin de droits, se dit finalement ceci : il ne faut pas remettre au lendemain ce qu’on peut remettre au surlendemain. 2) Ce n’est pas un travail fictif mais un travail excessif que fait attendre au contraire Agnès Martin-Lugand dans Désolée, je suis attendue chez Michel Lafon. Le boulot d’interprète d’agence, surmenée, est addictif. Isolement, surmenage, craquement. Il faudrait savoir consommer le boulot avec modération.

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3) Ce n’est pas un travail fictif mais un travail obscurci qu’éclaire Brillante de Stéphanie Dupays au Mercure de France. Une jeune cadre lumineuse assiste à la coupure de courant de son ambition et de ses espoirs. La voilà plongée dans la honte du placard et le placard de la honte. 4) Ce n’est pas un travail fictif mais un travail ténébreux que peint Philippe Médiaville dans Du Pin et des larmes aux éditions Cairn. Voici un polar sur un trafic et l’enquête qui le suit. Dans un port glauque, peu de chose sépare des emplois honnêtes et la corruption avérée. Toute ressemblance serait évidemment pure coïncidence… 5) Ce n’est pas un travail fictif mais un travail douloureux que dénonce Thierry Vila dans Le Cri chez Grasset. Une femme médecin se trouve embarquée dans un milieu masculin – donc inévitablement moins humain. Et la médecine est déjà assez difficile dans des conditions normales. 6) Ce n’est pas un travail fictif mais un travail titanesque qui traverse La Grande Arche de Laurence Cossé chez Gallimard. Récit d’une architecture énorme dans ce livre. Et risque que court toujours une architecture énorme : fatalement, on la remarque toujours plus qu’un livre. 7) Ce n’est pas un travail fictif mais un travail fatal que présente Solange Bied-Charenton dans Les Visages pâles chez Stock. Une entreprise familiale signe son acte de décès – voilà comment une start up, en peu de temps, devient… une start down. 8) Ce n’est pas un travail fictif mais un travail post-moderne que prophétise Boris Bergmann dans Déserteur chez Gallimard. Journal intime d’un hacker espion chasseur de drones. La chasse préhistorique s’est transformée en chasse anticipée des temps futurs. 9) Ce n’est pas un travail fictif mais travail sans fin que souligne La Correction d’Elodie Llorca aux éditions Payot-Rivages. Impossible ici de corriger toutes les fautes et les coquilles qui reviennent dans les pages des livres. Eternel recommencement. Et, comme disait Camus, « il faut imaginer Sisyphe heureux ». Et puis quelques romans émergent dans la présélection, grâce au travail de tous, des écrivains, des lecteurs, des jurys - travail qui n’est pas non plus fictif comme va certainement le montrer après moi, Jean-Frédéric Poisson. Mais l’essentiel était de participer à la compétition comme à des élections.

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Trois romans particulièrement montrent la satisfaction du boulot bien fait : comment se rendre bien malade en naviguant dans l’océan, comment essayer vainement de laisser fuir un clandestin qu’on doit reconduire à l’aéroport, comment égorger méthodiquement deux charmants enfants dont on a la garde. Je vous livre donc, pour finir, en deux mots, ces noms d’auteurs, le titre de ces derniers livres, les mots qui ouvrent ces romans, enfin un résumé succinct, le pitch, comme on dit à la télévision. 10) Leïla Slimani a eu, on le sait, le petit prix Goncourt. Rien à côté de notre prix du roman d’entreprise et du travail. Elle nous chante sa Chanson douce chez Gallimard. Le début est d’une suavité exquise : « Le bébé est mort. Il a suffi de quelques secondes. Le médecin a assuré qu’il n’avait pas souffert. » Une consolation patriotique : la meurtrière minutieuse, Louise, la nounou parfaite, dans le roman, est bien française. C’est un fait divers et un assassinat monstrueux d’enfants, cliniquement raconté, qui a, au moins, le label « made in France ». 11) Hugo Boris arrive alors. Mais que fait la police ? C’est le sujet de son livre Police chez Grasset, écrit à l’envers sur la couverture pour qu’on ne le confonde pas avec des titres de film. Tout se passe d’ailleurs ici à l’envers puisque les flics veulent aider un détenu à s’enfuir – et que le détenu ne veut pas. Bref, tout se mélange, dès les premières lignes : « Le sang sur son treillis n’est pas le sien. Elle est intervenue sur une bagarre plus tôt dans la journée ». C’est rude et bien documenté. Si le livre ne réconcilie pas les lecteurs avec la police, il le fera peut-être avec un roman tendre, brutal et social. 12) Sinon, il n’y a plus qu’à prendre le large. C’est le choix de Catherine Poulain avec son roman Le Grand Marin chez l’Olivier. Le roman nous embarque avec sa narratrice dans une équipée de pêche sur un bateau qui vogue vers le grand nord. Les premières lignes soufflent déjà le chaud et le froid –surtout le froid. « Il faudrait toujours être en route vers l’Alaska. Mais y arriver à quoi bon… ». Bref, ce n’est pas la femme qui prend la mer, c’est la mer – et le Grand Marin plus tard – qui prennent la femme. Je n’en dis pas plus. Je laisse la parole à Jean-Frédéric Poisson pour un compte rendu plus sérieux des délibérations. Je voulais remercier simplement, pour finir, Marie-José Gava, de Place de la Médiation, l’Institut Technologia et son directeur. Ils m’ont demandé de présenter rapidement cette douzaine de notes de lecture. Et on peut les applaudir quand on sait combien peut coûter, par les temps qui courent, chaque note de lecture.

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