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Pierre-Arnaud BARTHEL Sylvy JAGLIN Quartiers informels d’un monde arabe en transition Réflexions et perspectives pour l’action urbaine 07 Coordination : Juin 2013

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Coordination: Pierre-Arnaud BARTHEL et Sylvy JAGLIN Cet ouvrage prend acte du « réveil arabe », nourri de contestations envers une privatisation accrue de la ville excluant les plus pauvres, alors même que les quartiers populaires, issus de l’informalité, sont toujours très majoritaires. Inégalement intégrés à la ville, ces derniers sont bien souvent exposés à des vulnérabilités de natures différentes. L’action conduite (ou l’inaction) jusqu’au réveil de 2011 a-t-elle constitué le talon d’Achille des régimes bousculés ? L’irruption des contestations dans les quartiers informels coïncide-t-elle avec 2011 ou est-elle plus ancienne ? Depuis deux ans, quels sont les changements majeurs observables dans la structuration de l’action urbaine et dans le quotidien des quartiers informels ? Peut-on identifier des signaux (même faibles) indiquant la réorientation de l’action urbaine ? Enfin, quels impacts les changements politiques ont-ils, ou auront-ils, sur les projets et programmes en cours

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Pierre-Arnaud BARTHELSylvy JAGLIN

Quartiers informelsd’un monde arabe en transitionRéflexions et perspectives pour l’action urbaine

Cet ouvrage prend acte du « réveil arabe », nourri de contestations envers uneprivatisation accrue de la ville excluant les plus pauvres, alors même que les quartierspopulaires, issus de l’informalité, sont toujours très majoritaires. Inégalement intégrésà la vil le, ces derniers sont bien souvent exposés à des vulnérabilités de naturesdifférentes. Ainsi, si l’on ne peut résumer la provenance des révoltés aux seuls quartiersrelégués, le « printemps arabe » a été le révélateur d’une demande sociale multiforme,dont celle d’un droit à la ville et d’une invitation à repenser l’action publique de lapart des autorités au-delà de la démolition et du relogement ex situ , trop souventapportés comme uniques réponses.

L’action conduite (ou l’inaction) jusqu’au réveil de 2011 a-t-elle a posteriori constituéle talon d’Achille des régimes bousculés ? L’irruption des contestations dans les quartiersinformels coïncide-t-elle avec 2011 ou est-elle plus ancienne ? Depuis deux ans, quelssont les changements majeurs observables dans la structuration de l’action urbaine etdans le quotidien des quartiers informels ? Peut-on identifier des signaux (mêmefaibles) indiquant la réorientation de l’action urbaine ? Enfin, quels impacts leschangements politiques ont-ils, ou auront-ils, sur les projets et programmes en cours ?C’est à ces questions que tentent de répondre les auteurs de cet ouvrage, qui s’inscritdans le prolongement d’un séminaire organisé par l’AFD et le laboratoire LATTS (UMR CNRS 8134) le 9 décembre 2011. Six textes sont ici proposés par des chercheurset des experts consultants, tous fins connaisseurs, chacun dans un pays plusparticulièrement, de la réalité sociale des quartiers informels.

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Quartiers informels d’un monde arabe en transitionRéflexions et perspectivespour l’action urbaine

07

Coordination : Pierre-Arnaud [email protected]

Sylvy [email protected]

Coordination :

Juin 2013

Véronique SAUVATDépartement de la Recherche, [email protected]

Contact :

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Quartiers informels d’un monde arabe en transition

Réflexions et perspectives pour l’action urbaine

COORDINATION :

Pierre-Arnaud BARTHEL et Sylvy JAGLIN

CONTACT :

Véronique SAUVATDépartement de la Recherche, AFD

[email protected]

Note : ceci constitue une valorisation éditoriale du séminaire « Services en réseaux dans les villes en développement » (SeRVed)Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés (LATTS) - Agence Française de Développement (AFD) organisé le 9 décembre 2011à l’AFD avec l’appui du département de la Recherche.

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Directrice de la publication :Anne PAUGAM

Directeur de la rédaction :Alain HENRY

Conception et réalisation : Ferrari /Corporate – Tél . : 01 42 96 05 50 – J. Rouy / CoquelicotMise en page : Vif-Argent - Tel.: 01 60 70 02 70 Imprimée en France par : Imprimerie de Montligeon

[ Avertissement ]

Les analyses et conclusions de ce document sont formulées sous la responsabilité de ses auteurs. Elles nereflètent pas nécessairement le point de vue de l’AFD ou de ses institutions partenaires.

Conférences et séminairesLe département de la Recherche de l’AFD organise de nombreux séminaires et conférences,qui sont autant de lieux d’échanges de connaissances et d’expériences entre acteurs del’aide au développement : chercheurs, experts, responsables politiques, ONG, entreprises.Ces rencontres peuvent aborder tous les champs d’action de l’AFD. La collection Conférenceset séminaires a pour objectif de mettre à disposition du lectorat concerné par ces enjeux, lesprincipaux résultats et acquis de ces travaux.

Précédentes publications de la collection Conférences et séminaires :

• Conférences & Séminaires n°1Implementing Large Scale Energy Programs in Existing Buildings in China(Existe aussi en versions anglaise et vietnamienne)

• Conférences & Séminaires n°2Transitions décrétées, transitions vécues.Du global au local : approches méthodologiques, transversales et critiques

• Conférences & Séminaires n°3Measure for Measure. How Well Do We Measure Development?

• Conférences & Séminaires n°4Différenciation sociale et inégalités - Approches méthodologiques et transversalessur les questions de genre et d’ethnicité(Existe aussi en versions anglaise et vietnamienne)

• Conférences & Séminaires n°5Evaluation and its Discontents: Do We Learn from Experience in Development?

• Conférences & Séminaires n°6L’économie informelle dans les pays en développement

Retrouvez toutes nos publications sur http://recherche.afd.fr

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Sommaire

Résumés des textes et présentation des auteurs 7

Préface 15

Introduction générale 21Pierre-Arnaud Barthel

Temps long, temps court des politiques urbaines

1. Montée en puissance des mobilisations dans les bidonvilles et transformation de l’action publique au Maroc : de l’ouverture des années 1990 au printemps arabe 37

Lamia Zaki• Introduction 37• 1.1. Les ambivalences de l’action publique à l’égard des bidonvilles marocains 39• 1.2. La décennie 1990 : un tournant dans l’évolution des formes de mobilisation

au bidonville 41• 1.3. Le PVSB et ses effets sur les mobilisations bidonvilloises en contexte

de printemps arabe 45•Conclusion 50• Bibliographie 51

2. Les quartiers informels à l’épreuve de la crise en Syrie : une inflexion inachevée des politiques d’habitat et d’urbanisme ? 53

Valérie Clerc• Introduction 53• 2.1. La catégorie des quartiers informels à Damas : dynamiques, ruptures

et continuités par rapport à la ville formelle 55• 2.2. Face aux quartiers informels, des politiques d’urbanisme en concurrence

dans les années 2000 58• 2.3. Le moment révolutionnaire, moteur d’infléchissement des politiques urbaines

vis-à-vis des quartiers informels ? 63•Conclusion 67• Bibliographie 68

3Juin 2013 / Quartiers informels d’un monde arabe en transition - Réflexions et perspectives pour l’action urbaine /©AFD [ ]

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3. Les quartiers informels du Caire tirent-ils avantage de la « révolution » égyptienne ? 71

David Sims• Introduction 71• 3.1. Aperçu des quartiers informels du Grand Caire : histoire et dynamique actuelle 72• 3.2. Améliorations intervenues dans les années 1990 76• 3.3. Les quartiers informels du Caire après la révolution de janvier 80• 3.4. Des émissions télévisées et campagnes de financement aux comités populaires 81• 3.5. Gouvernements postrévolutionnaires et bailleurs étrangers : un nouveau départ ? 83• 3.6. Les quartiers informels : une nouvelle priorité pour les partis politiques ? 85•Conclusion 86• Bibliographie 87

Actions en évaluation

4. Le programme « Villes sans bidonvilles » au Maroc : un bilan social questionné dans un contexte urbain sous tension 91

Olivier Toutain avec la collaboration de Virginie Rachmuhl• Introduction 91•4.1. Un bilan contrasté à l’issue de la première enquête 93•4.2. Le programme dans le contexte du printemps arabe : un moyen de calmer

les esprits ? 103•Conclusion 106• Bibliographie 107

5. Le développement du réseau de gaz naturel au Caire : une réforme qui pénalise les quartiers informels 109

Jimmy Markoum et Eric Verdeil• Introduction 109• 5.1. La réforme du réseau urbain de gaz naturel : vers un nouveau service universel ? 111• 5.2. Un équipement au détriment des zones les plus pauvres 113• 5.3. Les défaillances du service de distribution de bouteilles de gaz 118• 5.4. La nécessaire réforme de la tarification 121•Conclusion 123• Bibliographie 125

[ ] ©AFD / Quartiers informels d’un monde arabe en transition - Réflexions et perspectives pour l’action urbaine / Juin 20134

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Pistes d’avenir

6. Pour un urbanisme de réparation dans les quartiers populaires : réflexions à partir du cas égyptien dans le contexte d’une transition 129

Agnès Deboulet• Introduction 129• 6.1. Le « marché » de la production urbaine populaire et les premiers effets

de la révolution égyptienne 131• 6.2. Reconnaître un type de fabrique et ses qualités : peuplement, densification

et évolution des tissus urbains 135• 6.3. Le spectre de l’insécurité foncière, prétexte aux démolitions 141• 6.4. Réintégrer la connaissance de la pauvreté dans une politique urbaine intégrée 144•Conclusion 146• Bibliographie 149

Liste des sigles et abréviations 153

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Résumés des textes et présentation des auteurs

Pierre-Arnaud Barthel

Maître de conférences en urbanisme à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée et chercheur auLATTS, Pierre-Arnaud Barthel travail le sur le monde arabe méditerranéen depuis unequinzaine d’années : Tunisie, Maroc et Egypte où i l a été récemment en poste commeresponsable du pôle Etudes urbaines au Centre d’études et de documentation économiques,juridiques et sociales (CEDEJ ; Ambassade de France au Caire - CNRS) de 2008 à 2011. Sesdernières publications abordent le référentiel de la vi l le durable dans le monde arabe(étoffement de l’agenda urbain, « traductions » dans les politiques urbaines, expériencespilotes, adaptations/appropriations) : Barthel P.-A. et S. Monqid (2011), Le Caire, réinventer laville , collection Villes en mouvement, Autrement, Paris ; Barthel P-A et L. Zaki (dir.) (2011),Expérimenter la « ville durable » au sud de la Méditerranée, éditions de L’Aube.

Résumé

En guise d’introduction, l’idée est de mettre en ordre la production ici livrée. Les textes sontde trois types : une moitié aborde la question des temporalités de l’action dans les quartiersinformels et de l’impact des événements actuels (Lamia Zaki, Valérie Clerc et David Sims).Deux textes, ensuite, sont des évaluations d’actions ciblées (Olivier Toutain, Jimmy Markoumet Eric Verdeil). Enfin, un dernier texte remet en perspective la qualité (au sens noble) mêmedes quartiers informels pour ouvrir des perspectives d’action en résonnance avec lesdemandes sociales exprimées depuis 2011 (Agnès Deboulet).

Puis il est proposé dans cette introduction de revenir sur plusieurs questions. En particulier,l’action conduite jusqu’au réveil de 2011 a-t-elle a posteriori constitué le talon d’Achille desrégimes contestés ? Enfin, depuis 2011, quels sont les changements majeurs observables dansla structuration de l’action urbaine et dans le quotidien des quartiers informels ? Lesenseignements sont nombreux. En recoupant les textes, le souci des régimes bousculés pourle traitement des quartiers informels est inégal selon les pays. Il est plus fort au Maghreb qu’auMoyen-Orient. Lorsqu’ils sont actifs dans les autres pays considérés, les différents programmesne sont pas exempts d’insuffisances, d’effets contre-productifs (plus d’inégalités et de pauvretédans certaines villes), ni de soupçons de récupération du foncier par des acteurs tiers. Lesquartiers informels sont bien l’un des terreaux de la contestation et sont demeurés l’un destalons d’Achille des gouvernements depuis des décennies. Autre enseignement, le big bang despolitiques urbaines ne semble pas être (encore) en marche, et les nouveaux gouvernements

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appliquent pour une bonne part les méthodes et programmes d’avant. Les chantiers sontlistés sommairement.

Valérie Clerc

Chercheuse à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), architecte et docteur enurbanisme, Valérie Clerc a été entre 2007 et 2011 chercheuse à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) où elle dirigeait l’Observatoire urbain du Proche-Orient depuis Damas. Sestravaux portent sur les quartiers informels, les marchés fonciers, l’habitat et les pratiques del’urbanisme dans les vi l les du Sud. El le dirige actuellement un programme collectif derecherche portant sur la médiation publique, la concurrence foncière et l’accès au logementdans les métropoles du Moyen-Orient et du Maghreb (Amman, Beyrouth, Casablanca, Damas,Istanbul, Le Caire, Téhéran, Tunis). Elle mène ses recherches personnelles sur la Syrie, le Libanet le Cambodge. Elle a notamment publié Les Quartiers irréguliers de Beyrouth, une histoiredes enjeux fonciers et urbanistiques de la banlieue sud (IFPO, Beyrouth, 2008).

Résumé

Les politiques urbaines syriennes de la décennie 2000 ont pris à bras le corps la question desquartiers informels : la réforme de l’appareil législatif, les programmes urbains conçus avecl’aide internationale et les nouveaux schémas directeurs ont encouragé aussi bien larégularisation et/ou la réhabil itation de ces quartiers que leur rénovation(destruction/reconstruction). Alors qu’une concurrence entre ces modèles et objectifsretardait décisions et réalisations des programmes à Damas, le début des printemps arabesavait commencé à infléchir les orientations.

Reste que tant l’explosion de la construction dans les quartiers informels en 2011 que lesdestructions de nombre de ces quartiers par les combats et les bombardements en 2012reposent la question de leur traitement. La crise que traverse aujourd’hui le pays ne permetpas de préjuger de l’avenir de ces premières évolutions en faveur d’une demande sociale. Aucœur de la crise, l’attitude politique vis-à-vis des quartiers informels ne porte plus d’enjeu debonne image pour le régime. L’observation des transformations et des constantes dans lespolitiques urbaines dans cette première année de la crise a permis d’éclairer des motifs del’action publique urbaine vis-à-vis de l’investissement, du logement et des quartiers informels.Elle a mis en lumière une nouvelle approche plus sociale de la question du logement informel.Mais la destruction massive de quartiers entiers, réguliers et informels, transformecomplètement les enjeux urbains à venir. En particulier, la multiplication de quartiers déjàdétruits constitue en soi une rénovation urbaine en actes. La reconstruction des villes sera unénorme chantier qui reposera assurément en des termes différents la question du sort et del’intervention dans les quartiers informels, détruits ou non détruits.

[ ] ©AFD / Quartiers informels d’un monde arabe en transition - Réflexions et perspectives pour l’action urbaine / Juin 20138

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Agnès Deboulet

Agnès Deboulet est professeure au département de Sociologie de l’université Paris VIII-Vincennes-Saint-Denis et membre du Centre de recherches sur l ’habitat, UMR Lavue.Sociologue et urbaniste, el le a travail lé depuis sa thèse de doctorat sur les quartiersd’émanation populaire du Caire tentant de comprendre les logiques de production et detransformation internes de ces quartiers. Ses recherches en Egypte portent en particulier surles quartiers squattés du Caire et les quartiers périphériques d’Ismailiya, étudiés en partant desprogrammes de restructuration urbaine et de leurs contradictions. Elle a également conduitdes recherches sur les quartiers irréguliers de la banlieue sud de Beyrouth en s’intéressant auxconfrontations avec les grands projets et la dynamique migratoire. Ses recherches l’ont amenéeà travailler également sur les effets sociaux des politiques de rénovation urbaine en France.Parmi ses publications : avec I. Berry-Chikhaoui et L. Roulleau-Berger (eds) (2007), Villesinternationales. Entre tensions et réactions des habitants , La Découverte, Paris.

Résumé

Agnès Deboulet part essentiellement de terrains égyptiens qu’elle remet ici en perspective. Laquestion de la prise en compte technique et politique des quartiers dits informels rencontre,voire se heurte à, la représentation qu’en ont les citadins concernés. Il s’agit en fait de soulignerles principaux éléments d’explicitation des mécanismes de production et de transformationurbaine par les résidents, en lien avec les cycles urbains et les systèmes fonciers immobiliers etlégaux. Comment ces quartiers ont-ils été produits et par quels types d’acteurs ? Quels sontles représentations de l’espace et de la « bonne ville » sur lesquelles reposent ces productions ?

L’hypothèse guidant le prolongement de cet exposé est celui de l’indispensable changementde curseur des politiques urbaines. S’il s’agit bien de penser l’extension de la régularisation, etnon des programmes ponctuels de titrisation, c’est avant tout dans une visée d’élargissementde la question de la citoyenneté urbaine. La demande considérable de reconnaissance quiémane des quartiers de création populaire se contentera-t-elle de recettes techniques, de latransplantation de modèles, de la catégorisation sommaire en zones à risques, de la poursuitedes politiques de relogement hors site qui ont prouvé leur capacité à augmenter la pauvreté ?L’aspiration à la démocratie au Moyen-Orient n’est-elle pas l’occasion de tester en grandeurnature un urbanisme participatif de réparation ? Des pistes pour l’action sont ainsi proposées.

Sylvy Jaglin

Sylvy Jaglin est géographe et titulaire d’un doctorat en urbanisme (1991). Professeure àl’université Paris-Est Marne-la-Vallée et chercheure au LATTS, elle s’intéresse aux enjeuxsociospatiaux de la gestion des services en réseaux dans les villes en développement (servicesd’eau en Afrique subsaharienne: la fragmentation urbaine en question, CNRS Éditions, 2005)et à la gouvernance métropolitaine au Sud (avec A. Dubresson [eds], Le Cap après l’apartheid :

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gouvernance métropolitaine et changement urbain , Karthala, 2008). Ses travaux actuelsportent sur les questions énergétiques urbaines des pays émergents. Elle signe la préface decet ouvrage.

Jimmy Markoum et Eric Verdeil

Jimmy Markoum a été stagiaire au CEDEJ au Caire pour la préparation de son mémoire demaster encadré par Eric Verdeil en 2010-2011.

Eric Verdeil est géographe et urbaniste de formation. Il est chargé de recherches à Lyon aulaboratoire du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) « Environnement, ville,société » et enseigne à l ’ Institut d’urbanisme de l’université Lumière - Lyon 2. I l aprécédemment été en poste à IFPO à Beyrouth. Ses travaux portent sur les politiques urbainesau Moyen-Orient. Il a travaillé en particulier sur la reconstruction du Liban et de Beyrouth.Aujourd’hui, ses recherches portent sur le développement urbain durable, notamment auLiban, en Jordanie et en Tunisie, sous l’angle de la comparaison Nord-Sud. Il a notammentpublié, avec Taoufik Souami (2006), Concevoir et gérer les villes. Milieux d’urbanistes du Sudde la Méditerranée , Economica-Anthropos, Paris et, avec Ghaleb Faour et Sébastien Velut(2007), « Atlas du Liban », Territoires et société , Presses de l’IFPO, Paris.

Résumé

La consommation de gaz naturel ne cesse de croître dans le monde arabe, non seulementpour la production électrique mais de plus en plus, comme énergie domestique. Profitant denouveaux gisements et de meil leures conditions économiques, plusieurs projets dedéveloppement du gaz naturel voient le jour dans des villes, que ce soit en Tunisie ou enEgypte (et même en Turquie). Cet essor du gaz naturel urbain est justifié par des raisonsenvironnementales (intensité énergétique supérieure, pollution du charbon [cas de la Turquie]et danger du gaz de bouteil le) mais aussi géostratégiques ou économiques (gisementsnationaux), ainsi qu’industrielles (limiter les pointes électriques). Le développement du réseaude gaz urbain constitue un nouvel exemple d’un service urbain moderne, organisé de manièreindustrielle. Il introduit de nouvelles injonctions de la part des autorités publiques (notammenten termes de gestion du risque), en même temps qu’il entraîne l’émergence de nouveauxusages, de nouveaux équipements, de nouveaux calculs pour les abonnés. Comme ledéploiement des autres réseaux, le gaz transforme la géographie urbaine. Il se substitue àd’autres combustibles : gaz en bouteille, bois ou charbon, éventuellement électricité.

A partir de l’exemple du déploiement du gaz au Caire, et en particulier du programmed’extension en cours (2008-2013) soutenu par la Banque mondiale, cet article analyse lesenjeux sociaux soulevés par cette extension. A la différence des phases précédentes dedéveloppement du réseau, considérées comme expérimentales, et qui avaient surtoutconcerné le centre du Caire, le développement actuel est plus onéreux pour les nouveaux

[ ] ©AFD / Quartiers informels d’un monde arabe en transition - Réflexions et perspectives pour l’action urbaine / Juin 201310

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usagers. Or, le programme inclut plusieurs grands secteurs populaires. Les coûts deraccordement sont très lourds pour les ménages les moins aisés, et de fait, le développementdu réseau vient en partie souligner les clivages sociaux existants — surtout que les contraintestechniques de passage des conduites excluent de facto certains secteurs d’habitat nonréglementaires). Cette exclusion vient redoubler celle produite par le fonctionnement de ladistribution des bouteilles de gaz, marquée par une forte activité informelle fonctionnant audétriment des quartiers non réglementaires.

Ces résultats, issus d’une recherche et évaluation menée au Caire en 2011, illustrent le malaisesocial qui a conduit aux soulèvements révolutionnaires, et permettent de réfléchir aux limitesdu modèle de développement passé, en soulignant des contraintes et des impasses quiorientent le modèle de développement à mettre en œuvre dans la phase actuelle.

David Sims

Consultant spécialiste de l’habitat et du développement urbain, David Sims a travaillé depuis1971 dans de nombreux pays en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient ; il a récemment travaillépour la Banque mondiale et l’AFD. Il vit au Caire.

Résumé

La révolution égyptienne a suscité des attentes et seule une réforme fondamentale de l’actionurbaine – éclairée par les principes de justice sociale – permettrait enfin de rompre avec lemanque d’intérêt que le gouvernement égyptien a accordé aux quartiers informels en Egypte(en particulier ceux de la région métropolitaine du Caire qui abritent désormais au moins12 mill ions de personnes). Un peu plus d’un an après la « révolution », les processus dedéveloppement urbain informel se poursuivent, s’accélèrent même, et les comités populairesde base deviennent actifs dans les quartiers informels, signes d’une nouvelle énergie pour lesaméliorer. De plus, les bailleurs de fonds internationaux cherchent à mettre en place denouveaux programmes d’action et à pérenniser ce qui était déjà lancé. Mais les politiques etactions du gouvernement envers l’informalité urbaine n’ont pas encore changé et continuentà imiter celles de « l’ancien régime ». Les nouveaux partis politiques dominants ont à peineeffleuré le sujet dans leurs déclarations et les attitudes condescendantes des professionnelsmal informés envers les quartiers informels perdurent. Ainsi, jusqu’à présent du moins, lesquartiers informels du Caire ont encore tiré peu d’avantages de la révolution.

Olivier Toutain

Architecte de formation, Olivier Toutain a plus de vingt ans d’expérience en tant qu’urbanistepuis consultant sur les questions de développement urbain. Au Maroc, où il a réalisé unegrande partie de sa carrière professionnelle, il a contribué à de nombreux travaux et études

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dans les domaines de la planification urbaine, de l’habitat et du développement local. Il adéveloppé en parallèle une expertise internationale en occupant notamment le poste de chefde projet du schéma directeur d’urbanisme de la ville de Bangalore en Inde. Il a égalementcontribué à plusieurs consultations pour le compte de bailleurs de fonds ou d’organismesinternationaux ainsi qu’à plusieurs programmes de recherche.

Résumé

Le Maroc est engagé depuis 2005 dans un programme « Villes sans bidonvilles » (PVSB) degrande envergure qui touche 324 000 ménages (soit 1,6 million d’habitants) dans plus de millebidonvilles répartis dans 85 villes, dont près du tiers concentré dans la seule agglomération deCasablanca. Olivier Toutain pilote avec le Groupe de recherches et d’échanges technologiques(GRET) l’étude d’évaluation du programme financée par l’AFD et replace les premiers résultatsà la lumière du « printemps arabe » au Maroc. Depuis son lancement, le PVSB a à son actif unindéniable bilan quantitatif : il a aujourd’hui permis de déclarer 43 villes « VSB » et de résorberprès de la moitié des baraquements recensés. Le bilan de la première phase reste néanmoinsmitigé. L’absence d’une partie des ménages sur les sites d’accueil pose le problème du ciblagedes interventions et du glissement[1] des familles bénéficiaires et, en retour, celui de l’efficacitéet de l’adéquation des approches adoptées en termes d’identification des populations et deleurs besoins, de méthodologies d’intervention, d’offre de logements et d’attractivité dessites. Ceci éclaire les difficultés d’adaptation des réponses apportées face à des situationsdémographiques, sociales et économiques très diversifiées. Faute d’y parvenir, de nombreuxménages sortent des projets VSB « par le bas » et ne parviennent pas à accéder aux opérationsou se paupérisent une fois réinstallés, même si l’expérience de financement par un « tiersassocié » à Casablanca montre que des solutions existent.

Depuis 2011, la recrudescence de l’habitat informel dans certaines villes met à nouveau enavant les difficultés des pouvoirs publics à répondre à la demande des nouveaux ménages quireste encore très forte au Maroc, et en particulier pour ceux qui ne peuvent accéder à l’offrerégulière. Pour relever ce défi, d’autres réponses devront être apportées que les démolitionsmassives récemment effectuées dans ces quartiers qui risquent d’exacerber le malaise et lestensions sociales et de voir se multiplier les mouvements de contestation, voire de violence,au sein de populations bien décidées à revendiquer leurs droits.

Lamia Zaki

Lamia Zaki est politologue et consultante pour la Banque mondiale. Après avoir été chargéede recherche à l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC) à Tunis de 2007à 2010, elle est chercheure invitée au Center for Contemporary Arab Studies de l’université

[ ] ©AFD / Quartiers informels d’un monde arabe en transition - Réflexions et perspectives pour l’action urbaine / Juin 201312

[1] Le glissement signifie la revente d’un lot ou d’un logement VSB par son attributaire bidonvillois.

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Georgetown. Ses travaux actuels portent sur les acteurs et les instruments de l’action urbaineau Maghreb. Elle a dirigé trois ouvrages : L’action urbaine au Maghreb (2011, Karthala, Paris),ainsi que Terrains de campagne au Maroc. Les élections législatives de 2007 (2009, Karthala,Paris) et Expérimenter la ville durable au sud de la Méditerranée (2011, L’Aube, Paris).

Résumé

Plus d’un an après la révolution tunisienne, le Maroc apparaît comme l’un des pays les plusstables du monde arabe d’un point de vue social et politique. Une nouvelle Constitution a étéadoptée par référendum à 98,5 % des votants en juillet 2011, contribuant à désamorcer lamontée de la protestation. Ce texte revient sur les liens dynamiques entre action publique etformes de protestation populaire dans les bidonvilles marocains, en montrant l’incidence descontextes national et international, d’une part, sur les mobilisations, et, d’autre part, sur lacapacité des bidonvillois à transformer « par le bas » l’action publique. Il s’agit, à travers uneanalyse sur le long terme, de mieux mettre en perspective l’impact du printemps arabe sur cesterritoires, évalué à l’aune des récentes transformations du PVSB à Casablanca. A première vuerelativement l imités, les changements intervenus pourraient avoir des conséquencesimportantes sur l ’équil ibre global du programme ; i ls semblent également marquer lesprémices d’un changement d’échelle des mobilisations. Lamia Zaki montre que les pouvoirspublics marocains ont mis en œuvre des politiques ambivalentes à l’égard des bidonvillesmarocains, oscillant entre prohibition et laissez-faire, entre promesse de relogement et menaced’expulsion, pour gérer la paix sociale à moindre coût. Certes relative, l’ouverture politique desannées 1990 a cependant transformé les rapports de force locaux et contribué audéveloppement de mobilisations plus collectives et plus frontales dans les bidonvilles, qui onten partie motivé le lancement depuis le début des années 2000 de nouveaux programmes derelogement, et en particulier du PVSB.

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Préface

Sylvy Jaglin

Cet ouvrage est issu d’un séminaire organisé en décembre 2011 dans le cadre du programmeServices en réseaux dans les villes en développement (SeRVeD)[2]. Pierre-Arnaud Barthel en aété le maître d’œuvre, mobilisant sa connaissance de la région, ses réseaux et son infatigablecuriosité intellectuelle. Ce séminaire a permis de revisiter, dans le contexte spécifique de paysarabes ébranlés par les mobilisations de 2011 et 2012, deux questions essentielles : celle,d’abord, des relations entre les temporalités du changement politique, des transformationssocioéconomiques et des mutations urbanistiques, puis celle des mécanismes de traductiondu changement politique en termes de politiques sectorielles déployées dans les villes. Dansquelle mesure la chute d’un régime engendre-t-elle une métamorphose des modèles, savoirset pratiques des professionnels engagés dans le champ de l’aménagement des villes ? S’agissantici des quartiers informels, peut-on identifier les ressorts d’une transformation de la place etdu rôle de ces quartiers dans la vision dominante de la ville, mais aussi dans le fonctionnementsociopolitique qui engendre ces quartiers et les maintient dans un ensemble complexe detransactions assurant l’insertion urbaine de leurs populations sans pour autant leur reconnaîtreune pleine et entière citadinité.

Les textes rassemblés dans cet ouvrage livrent des constats prudents sur l’articulation entre letemps du changement politique et celui du changement urbain. A l’évidence, les deux ne sontpas déconnectés, comme le souligne Pierre-Arnaud Barthel dans l ’ introduction : ledesserrement des contrôles suscite un regain des extensions informelles et multiplie lesopportunités de spéculations dans l’habitat non réglementaire ; les nouveaux pouvoirscherchent aussi à marquer de leur empreinte les politiques de la ville en initiant de nouveauxgrands programmes de logements sociaux ou en stoppant de grands projets contestés desrégimes déchus... Ces processus et décisions sont-ils pour autant le signe d’un renouveau desconditions de la fabrication urbaine ? Rien n’est moins sûr et rien, dans les textes, n’indique demanière certaine un renouvèlement des conceptions, de la boîte à outils ou encore desperceptions des quartiers informels.

Les enseignements issus d’autres pays situés au sud du Sahara invitent aussi à la prudence ettendent à montrer que les périodes de bouleversements politiques sont assez peu propices àl’innovation et à la maturation d’une pensée nouvelle de l’intervention urbaine. Ils témoignentplutôt d’une désynchronisation entre les ruptures politiques et la continuité des politiques

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[2] Animé par S. Jaglin au LATTS, ce programme SeRVeD est financé depuis 2011 par la chaire Ville de l’Ecole nationaledes ponts et chaussées.

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urbaines, soulignant la prégnance des coups partis et la reproduction des modèles et desoutils de l’urbanisme au-delà du bouleversement des cadres politiques de l’Etat.

De tels mécanismes ont été décrits dans le Burkina Faso du capitaine Sankara de la fin des années1980, alors que les urbanistes planifiaient des lotissements « révolutionnaires » avec une boîte àoutils héritée de la période coloniale (Osmont et Goldblum, 2003). Ils ont été aussi décortiquésà Windhoek, alors que la Namibie venait d’accéder à l’indépendance et, tout en renonçant aurégime d’apartheid urbain, planifiait les villes avec les normes, les références et les valeurs de lapériode antérieure (Peyroux, 2004). D’une certaine manière, et en dépit d’une incontestablesérie d’innovations, les difficultés de l’urbanisme post apartheid en Afrique du Sud à transformerles villes relèvent de processus identiques (Morange, 2006 ; Dubresson et Jaglin, 2009).

Comment l’expliquer ? Pour une part, ces continuités tiennent au fait que le renouvellementdes professionnels de l’urbanisme est plus lent que celui du personnel politique, que les cadreset référentiels de travail perdurent ainsi en dépit des soubresauts politiques et que leur miseen chantier constitue rarement la priorité des nouveaux régimes occupés à reconstruire lescadres constitutionnels, à apprivoiser l’appareil d’Etat, à maîtriser les oppositions... L’existencede ces mécanismes de reproduction d’un certain nombre d’automatismes techniques,institutionnels et sociaux n’empêche pas des changements. Mais les cycles de la contestationpolitique et sociale, d’une part, et ceux de l’innovation sociotechnique et institutionnelle dansles politiques urbaines, d’autre part, ne sont pas nécessairement liés. Ainsi, les principaux piliersde la politique urbaine post apartheid ont été négociés avant la chute du régime, dans le butde remédier à une baisse de la productivité urbaine, par des acteurs qui ont survécu auchangement politique. On observe aussi que les avancées marocaines dans le domaine despolitiques urbaines et de la décentralisation ont précédé les mobilisations de 2011. En outre,tous les domaines de l’action publique dans les villes ne changent pas au même rythme et sousl’effet des mêmes facteurs, de sorte que le mécontentement contre les résultats de certainesdécisions, politiques ou modes d’intervention peut demeurer partiel et dispersé, sans donnerlieu à une remise en cause globale des politiques urbaines ni engendrer de propositionsalternatives. Même les moments de convergence entre revendication démocratique etmécontentement des habitants envers les services urbains ne font pas nécessairementémerger une critique du service public. Ainsi, lors des mobilisations citoyennes de l’hiver 2011au Caire, la protestation contre la saleté des rues et les défaillances de l’enlèvement desdéchets s’adressait surtout au gouvernement central et aux entreprises privées, sans pourautant conduire à une critique plus large de la politique des gouvernorats, autoritésconcédantes du service que la réforme aurait dû responsabiliser (Debout, 2012).

Il est ainsi souvent difficile d’établir un lien direct entre les protestations politiques et lesrevendications populaires des mal logés et mal servis des villes. Il est tout aussi difficile depercevoir une articulation entre les slogans et revendications des manifestants, voire desintellectuels de ces mouvements sociaux, et une réflexion politique sur les services publics, lafiscalité, l’économie politique des inégalités urbaines et des phénomènes d’exclusion. Les

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manifestants réclament certes des conditions de vie décentes dans leurs quartiers mais ils ontde multiples « raisons ‘objectives’ de mécontentement » (Ben Nefissa, 2011), parmi lesquelleson trouve aussi les questions d’emploi et de revenus insuffisants pour sortir des trappes depauvreté. Ces raisons objectives ne sont pourtant pas le déclencheur immédiat de mouvementsde protestation d’autant plus âpres qu’ils ajoutent à des inégalités et privations structurelles etvécues quotidiennement un fort sentiment d’injustice lié à une crise, une rupture dans lesmécanismes réglant les rapports d’interdépendance dans une société donnée (Hibou, 2011a).

La dimension urbaine n’est en outre qu’une partie de la dimension matérielle des protestationssociales et les demandes de réforme sont peu explicites dans ce domaine. L’analyse descarences d’un urbanisme officiel et autoritaire a été faite, à maintes reprises, et le nécessairerenouvellement des modes de faire comme des dispositifs à mettre en œuvre a fait l’objet denombreuses réflexions. Ce qui fait encore défaut, cependant, c’est une pensée englobante etexplicite de l’enchâssement de ces réformes urbaines dans un cadre politique permettant depenser ensemble les réformes politico-institutionnelles nationales, la place et le rôle desgouvernements urbains, l’articulation des politiques sectorielles visant à améliorer pourl’ensemble des citadins les conditions d’accès aux ressources et aménités urbaines.

En d’autres termes, la conquête du droit à la ville pour tous (Parnell et Pieterse, 2010), qui nepeut pas dépendre des seuls « gouvernements » urbains, doit être inscrite dans un projetpolitique faisant sens à la fois pour les citadins défavorisés, bénéficiaires des politiquesredistributives, et pour les élites et classes moyennes, qui financent ces dernières. Voit-onémerger un nouveau pacte de ce type dans les pays arabes ? Les bouleversements politiques,institutionnels et constitutionnels vont-ils se traduire dans les politiques sectorielles quemobilise l’aménagement urbain ? Annoncent-ils une transformation du fonctionnement et desmécanismes sociaux qui ont jusqu’à présent engendré, entretenu et, récemment, aggravé lesinégalités socioterritoriales et participé des mécanismes de spoliation et d’exclusion descitadins pauvres ?

Rien n’est moins sûr. Comme le souligne Béatrice Hibou (2011b), « la révolte sociale est unelutte qui ne présage rien de la remise en cause des modalités d’exercice du pouvoir et de ladomination ». Les frustrations et mécontentements nés d’un enrayement du dispositifd’allégeance antérieur ne signifient pas que les dominés se désolidarisent du système antérieurni qu’ils en délégitiment les modes d’exercice du pouvoir. L’auteur s’interroge ainsi, à proposde la Tunisie (ibid.) : la « dénonciation remet-elle en cause les principes, les valeurs et lesnormes au fondement du pacte de sécurité ou entend-elle au contraire les légitimer en lesredéployant vers d’autres catégories de la population ? »

L’économie morale et politique invite à penser l’action collective protestataire commerésultant non pas d’une seule cause, mais plus généralement d’une crise du « lien verticalentre dirigeants et dirigés » et de ses « transactions collusives » (Siméant, 2010). De même quela pérennité des régimes autoritaires n’est jamais pure affaire de coercition, la révolte n’est

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jamais uniquement une protestation économique : elle résulte d’une combinaison complexeet contingente de frustrations matérielles, de rupture dans les échanges antérieurs, desentiment d’injustice... Ce dernier, dans les pays où survient une déstabilisation du « pacte » quiassurait aux populations subalternes sécurité, bien-être et prévisibilité (Hibou, 2011a), procèdenotamment d’une remise en cause des mécanismes cl ientélistes de circulation et dedistribution des biens économiques selon des principes communs et légitimés dereconnaissance sociale. De fait, la prédation des élites est rarement isolée d’une corruptionbanale, touchant de très larges franges de la population auxquelles elle assure l’accès à desressources ordinaires. Cette perspective, qui est aussi celle de la « politique du ventre »analysée par Jean-François Bayart (2006) au sud du Sahara, permet de penser dans un mêmeensemble les conditions matérielles de survie des populations dominées, leur rapport auxautorités et les attentes ou exigences de ces dernières.

Les quartiers informels i l lustrent bien les transactions équivoques qui unissent ainsigouvernants et gouvernés en liant, via le clientélisme, l’accès à une relative sécurité matérielleen dépit de l’illégalité, foncière notamment, en échange d’une allégeance politique. Bien au-delà du changement politique au sommet de l’Etat, l’enjeu est donc de savoir si le mouvementsocial fera advenir « toute la recomposition du champ politique et, surtout, la réorganisationde la vie sociale, notamment autour des rouages d’un clientélisme largement perçu commelégitime » (Hibou 2011b). En d’autres termes : il s’agit de savoir si la population est prête àrenoncer à une économie politique du clientélisme qui lui assure aussi des opportunités et desressources nourrissant des stratégies de survie et d’ascension sociale.

Les résidants des quartiers informels, de même que les multiples intermédiaires qui participentà leur insertion urbaine de « deuxième classe » en régulant, à leur profit, l’accès aux ressources,peuvent-ils troquer la prévisibilité et la routine maîtrisée des rouages clientélistes contre denouvelles règles du jeu ? A moins que la rupture des « pactes de sécurité » nationaux n’entraînepar ricochet, aux échelles urbaines et infra-urbaines, une crise des transactions antérieures, lapuissance actuelle des courants politiques islamiques ne laisse pas présager une telle crise duclientélisme « local » et ordinaire. Comme le souligne Sarah Ben Nefissa (2011) : « Cesorganisations pratiquent effectivement de la redistribution et de l’entraide mais sous unmode clientéliste qui accentue la dépendance entre clients et patrons, qu’il s’agisse‘d’hommes d’affaires’ en liaison avec les partis au pouvoir, de notabilités locales ou deresponsables locaux des oppositions islamistes. »

S’il est trop tôt pour évaluer ce que pourrait être un « printemps arabe » des politiquesurbaines, comme le suggèrent les textes rassemblés dans ce volume, c’est aussi que lesprotestations sociales qui ont investi les espaces publics urbains n’ont pas clairement faitémerger les imaginaires partagés d’une nouvelle cité. Le devenir des revendications de droitsportées par les mobilisations des « printemps arabes » dépendra largement de la capacité etde la volonté des nouveaux pouvoirs à organiser un large débat public sur les termes d’uncompromis social urbain renouvelé.

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BAYART, J.-F. (2006), L’Etat en Afrique. La politique du ventre , Fayard, Paris.

BEN NEFISSA, S. (2011) , « Introduction. Mobil isations et révolutions dans les pays de laMéditerranée arabe à l’heure de “l’hybridation” du politique – Egypte, Liban, Maroc, Tunisie »,Revue Tiers Monde , n° Hors-Série, pp. 5-24.

DEBOUT, L., (2012), Gouvernements urbains en régime autoritaire : le cas de la gestion desdéchets ménagers en Egypte, thèse de doctorat, université Lyon 2.

DUBRESSON, A. ET S. JAGLIN (2009) , « Préface - Politiques publiques d’habitat et intégrationurbaine en Afrique du Sud » in HERVÉ, F., Intégrer les populations démunies dans les villessud-africaines : un défi pour les pouvoirs publics , Notes et Documents n° 47, AFD, Paris(document téléchargeable à l’adresse :http://www.afd.fr/webdav/site/afd/shared/PUBLICATIONS/RECHERCHE/Archives/Notes-et-documents/47-notes-documents.pdf)

HIBOU, B. (2011a) , Anatomie politique de la domination , collection Sciences humaines, LaDécouverte, Paris.

HIBOU, B. (2011b), « Tunisie. Economie politique et morale d’un mouvement social », Politiqueafricaine , n° 121, pp. 5-22, Paris.

MORANGE, M. (2006), La question du logement à Mandela-City (ex. Port Elizabeth) , IFAS-Karthala, Paris.

OSMONT, A. ET C. GOLDBLUM (2003), Villes et citadins dans la mondialisation, Karthala, Paris.

PARNELL, S. ET E. PIETERSE (2010) , “The ‘Right to the City’: Institutional Imperatives of aDevelopmental State”, International Journal of Urban and Regional Research , 34(1) , pp. 146-162.

PEYROUX, E. (2004) , Windhoek, capitale de la Namibie. Changement politique etrecomposition des périphéries , IFAS-Karthala, Paris.

SIMÉANT, J. (2010) , « ‘Economie morale’ et protestation – Détours africains », Genèses , 4(81),pp. 142-160.

Bibliographie

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Introduction généralePierre-Arnaud Barthel

Vers un « printemps arabe » des politiques urbaines pour les quartiersinformels ?

Un printemps arabe des politiques urbaines ? La question est pour le moins provocante, maisporteuse d’hypothèses fécondes et de nombreuses interrogations qui resteront pour l’heureencore sans réponses consolidées, faute de recul suffisant. La question initiale suggère en effetd’articuler dans l’analyse deux niveaux des mobilisations sociales et politiques de 2011-2012dans les pays arabes. Premier niveau : le printemps arabe a bien été celui de mobilisationspopulaires sans précédents articulées à des « révolutions de palais » pour le cas de l’Egypte etde la Tunisie, qui ont conduit pour ces deux pays à la chute des deux dictateurs. Secondniveau : la dynamique des mobilisations ne révèle-t-elle pas également l’échec des politiquesurbaines telles que conduites par les régimes déchus ? Dès lors, peut-on interpréter la périodeactuelle comme un temps de refonte de l’action urbaine dans ses modes, méthodologies,gouvernance, objectifs ? Autrement dit, assiste-t-on à l’amorce d’une réorientation despolitiques urbaines porteuse de bénéfices immédiats des révoltes, notamment pour lesfamilles les plus vulnérables ?

Ce faisceau d’interrogations est le fil directeur des différents textes rassemblés dans cetouvrage dont la réflexion s’ancre dans les territoires des quartiers dits « informels » de cetterégion du monde en pleine mutation depuis 2011. Ces questions ont été initialementdébattues au cours d’un séminaire organisé par l’AFD et le laboratoire LATTS[3] le 9 décembre2011, dont cet ouvrage valorise les enseignements. Six textes sont ici proposés par deschercheurs et des experts consultants qui sont tous de fins connaisseurs, chacun dans un paysplus particulièrement, de la réalité sociale des quartiers informels. Deux textes concernent leMaroc, trois l’Egypte, un la Syrie. La volonté n’a pas été ici de faire figurer tous les pays de larive sud de la Méditerranée. Toutefois, pour des éléments sur la Tunisie, on renverra les lecteursà l’ouvrage coordonné par Pierre-Arnaud Barthel et Lamia Zaki, intitulé Expérimenter la villedurable au Sud de la Méditerranée , paru aux éditions de l’Aube en 2011, et plusparticulièrement à l’interview de Fethi Mansouri, directeur général adjoint de l’Agence derénovation et de réhabilitation urbaines.

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[3] Le séminaire était inscrit dans le projet SeRVeD, réseau de recherche et d’expertise sur les réseaux techniques urbainsau Sud.

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Des textes aux statuts différents : résumé des enseignements

Trois types de textes peuvent être identifiés. La moitié des textes porte sur la question destemporalités de l’action dans les quartiers informels et de l’impact des événements actuels.Lamia Zaki remonte aux années 1990 pour remettre en perspective la montée en puissancedes mobilisations dans les bidonvilles et leur impact sur la transformation de l’action publiqueau Maroc. Elle vient confirmer les analyses faites sur les terrains égyptiens (Ben Nefissa, 2011 ;Deboulet, 2011a) qui montrent de semblables contestations et mobilisations bien avant 2011.Valérie Clerc analyse finement les années 2000 pour montrer la rupture impulsée par lerégime de Bachar et le tournant pris en faveur de la réhabilitation urbaine, une ruptureidéologique et opérationnelle inachevée et qui échoue en 2012 en temps de guerre et dedémolitions. Enfin, David Sims se focalise davantage sur le temps court actuel pour révélerl’ inertie actuelle du nouveau pouvoir central en Egypte bloquant pour l ’heure touteperspective d’évolution sérieuse de l’action en faveur des quartiers informels.

Deux textes, ensuite, sont des évaluations d’actions ciblées. Olivier Toutain, avec laparticipation du GRET, livre les résultats de l’évaluation conduite pour l’AFD du programmeVilles sans bidonvilles mis en œuvre au Maroc. Son bilan est mitigé : les relogements ne sontguère effectifs hors site et la priorité mise sur la seule démolition est contestée. Au Caire,Jimmy Markoum et Eric Verdeil proposent quant à eux un examen de la réforme du servicedu gaz financée pour partie par la Banque mondiale et montrent très nettement qu’elle abénéficié surtout aux quartiers formels, voire même aisés, et très peu aux quartiers informels.

Enfin, un dernier texte remet en perspective la qualité même (au sens noble) des quartiersinformels pour ouvrir des perspectives d’action en résonnance avec les demandes socialesexprimées depuis 2011. À partir d’exemples égyptiens, compte tenu de l’aspiration actuelle àla démocratie, Agnès Deboulet plaide en effet pour que soit testé en grandeur nature un« urbanisme de réparation » prenant appui sur une société civile de plus en plus réactive et surdes financements extérieurs et nationaux (publics et privés).

Une fois présenté le corpus ici réuni, il est proposé dans cette introduction de revenir sur troisquestions en mobilisant notre expérience de terrain, notamment sur la Tunisie, et les apportsdes textes de l’ouvrage : tout d’abord, l’action conduite jusqu’au réveil de 2011 a-t-elle aposteriori constitué le talon d’Achille des régimes contestés ? Ensuite, de quand date l’irruptiondes contestations et avec quelle intensité, selon les pays, avant l’année du « réveil » arabe ?Enfin, depuis 2011, quels sont les changements majeurs observables dans la structuration del’action urbaine et dans le quotidien des quartiers informels ?

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L’action dans les quartiers informels : le talon d’Achille des régimescontestés ?

Les printemps arabes trouvent-ils l’une de leurs causes dans les politiques urbaines conduitespar les régimes bousculés à l’égard des quartiers informels ? I l est difficile d’y répondrenettement puisqu’aucune étude n’a pu montrer que ces derniers nourrissaient toutparticulièrement le flux des manifestants dans les différents pays traversés par les révoltes.Toutefois, la question conserve son intérêt et l ’on serait plutôt tenté d’y répondre parl’affirmative, à la lecture des textes de cet ouvrage et compte tenu de la montée en puissancedes mobilisations autour de luttes sociales et urbaines – plus qu’à fondement politique – aucours des années 2000 (Ben Nefissa, 2011). Nous reviendrons plus loin sur ce dernier point,particulièrement important.

Le « matériau » des politiques urbaines dédiées aux quartiers informels est de taille inégaleselon les pays. Si, en Tunisie, l’attention de l’Etat central a émergé dès les années 1970 et s’estpoursuivi sans relâche (Chabbi, 2012 ; Mansouri, 2011), au Maroc le programme Villes sansbidonvilles, lancé en 2003, a donné une nouvelle visibilité à une action menée à grande échelleà la suite de celles dirigées par d’anciens opérateurs publics dans les années 1980 et 1990(Navez-Bouchanine, 2002). En Syrie, la décennie 2000 marque un positionnement nouveau etrécent du régime de Bachar sur l’action envers les quartiers informels (V. Clerc). L’attentionportée à ces derniers dans les trois pays est donc notable, tandis qu’elle est plus modérée enEgypte, alors même que les quartiers informels constituent la production urbaine majoritairedans bon nombre de villes du pays, dont Le Caire (plus de 60 % des habitants vivent dans desquartiers désignés sous le terme ashwayiat(s) (i.e. informels). Le souci des Etats envers lesquartiers informels confirme bien que le « social » préoccupe les dirigeants des pays (l’Egypteétant un peu moins concernée). Ce visage de « l’Etat social » (pour reprendre le titre del’ouvrage de Catusse et al. , 2010) s’est ainsi traduit par un continuum de projets et deprogrammes dont l’évaluation, quand elle existe, donne des enseignements extrêmementutiles.

Les auteurs de l’ouvrage apportent des preuves partiellement nouvelles des effets ambivalents,voire contre-productifs, des politiques urbaines conduites jusqu’aux événements de 2011 et2012. Tout d’abord, les choix nationaux diffèrent : la Tunisie réhabilite à grande échelle, là oùle Maroc démolit et reloge lui aussi à grande échelle (PVSB) ; la Syrie et l’Egypte associent lesdeux modes dans leurs projets pilotes (pour l’Egypte, par exemple Boulaq al Dakrour ouManshiat Nasser au Caire, voir Sims, 2010), sans être passées à des logiques plus massives deprogrammes nationaux. En Tunisie, comme au Maroc, les effets positifs tiennent àl’amélioration des conditions des logements (O. Toutain). Pour le Maroc, le relogement exsitu marque la différence avec les principes tunisiens et les ménages (rupture majeure) sontpassés de la baraque et son « toit en tôle » (plus de 174 000 d’entre elles ont disparu dupaysage des villes et des périphéries marocaines) au « logement » en dur, en « béton armé ».Dans les deux pays toutefois, les résultats sont surtout mitigés, voire négatifs. Le relogement

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trouve ses limites : trop cher (beaucoup de ménages n’ont pas les moyens de construire surle lot attribué) et trop loin. En Tunisie, l’intégration sociale et économique reste très partielleavec de forts taux de chômage qui perdurent. Une gestion par le manque apparaît également :des logements neufs ou réhabilités (comme en Tunisie), mais sans un niveau satisfaisantd’équipements de proximité (four, hammam, crèche, dispensaire). Cette gestion peut être luecomme intentionnelle et trahir un refus de la part des autorités d’installer des équipementspour éviter une reconnaissance de zones déjà construites (L. Zaki). Au Maroc, le PSVB estconfronté à une limite de taille : plus de 50 % des ménages destinataires des lots pour lerelogement ex situ ne vivent pas dans les nouvelles zones qui leur ont été destinées, le plussouvent par manque d’argent pour y construire le logement (O. Toutain). Plusieurs textessoulignent aussi l’incapacité des autorités à proposer des opérations visant la diversification desproduits de logement et la mixité fonctionnelle. Les auteurs convergent également dansl’identification d’effets pervers : accroissement des inégalités entre quartiers informels selonle niveau de transformation projeté et réalisé, augmentation de la pauvreté (effet inflationnistesur les prix des terrains en intégrant le foncier informel dans le marché via la distribution detitres fonciers aux habitants), recettes souvent très standardisées donnant la priorité à ladémolition, inefficacité du relogement hors site (en Egypte et au Maroc surtout). Dans unautre domaine que l’habitat, et pour diverses raisons, le programme d’équipement en gaznaturel au Caire analysé dans l’ouvrage a profité davantage aux quartiers plus mixtes et richesqu’aux quartiers informels (Markoum et Verdeil) ; là encore, l’action publique a accru lesinégalités sociales et spatiales.

La démonstration est ainsi faite une nouvelle fois de l’insuffisance des politiques conduitesavant les printemps arabes. L’action des agences ou opérateurs dédiés à la résorption et à laremise à niveau des quartiers informels est pourtant loin d’avoir été nulle, mais les limites sontréelles, d’autant que les années 2000 ont rendu l’action plus complexe et les marges demanœuvre plus contraintes. En effet, le foncier se raréfiant, les quartiers informels les mieuxsitués ont fait l’objet de nouvelles convoitises. Agnès Deboulet et Lamia Zaki soulignent ici lessoupçons qui pèsent sur les opérateurs en charge des programmes d’accompagner unedynamique de récupération du foncier pour des investisseurs et développeurs privés. Au Cairenotamment, la structure Informal Settlements Development Facility (ISDF), créée en 2008,utilise l’argument et la catégorie « quartiers à risques » pour justifier la démolition et lerelogement ex situ , loin dans le désert périphérique, et vient par là même fragiliser davantageles ménages (A. Deboulet).

En résumé, le souci des régimes bousculés pour le traitement des quartiers informels est inégalselon les pays. I l est plus fort au Maghreb qu’au Moyen-Orient. Dans la région, la Syrienotamment s’inscrit un peu en retrait compte tenu d’une forte et inédite inflexion despolitiques en faveur des quartiers informels. V. Clerc l’identifie au milieu des années 2000comme l’un des marqueurs du régime de Bachar. Mais, dans ce contexte de retard de l’actionurbaine par rapport aux autres pays, elle ajoute que peu a été fait pour concrétiser lesengagements et satisfaire les ménages au début des années 2010. Lorsqu’ils sont actifs dans les

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autres pays considérés, les différents programmes ne sont pas exempts d’insuffisances, d’effetscontre-productifs (plus d’inégalités et de pauvreté dans certaines villes), ni de soupçons derécupération du foncier pour des acteurs tiers. Les quartiers informels sont bien l’un desterreaux de la contestation et sont demeurés l’un des talons d’Achille des gouvernementsdepuis des décennies.

Des habitants mobilisés bien avant les printemps arabes : des intensités variables

Sarah Ben Nefissa (2010, 2011) a clairement fait le l ien, pour l ’Egypte, entre les raisonsobjectives du mécontentement urbain et la montée en puissance des mobilisations de toustypes sur l’emploi, les expulsions, la vie trop chère, l’éducation et la santé[4]. Elle interprète lapériode « pré-printemps arabe » comme un temps d’hybridation du politique (thèseempruntée à Camau et Massardier, 2009), soit une pluralisation des mobilisations et unediversité des répertoires de l’action émanant de la société civile et coexistant, en tension, avecle non-pluralisme politique du régime finissant de Hosni Moubarak. L’ouvrage collectif CairoContested coordonné par Diane Singerman et paru en 2009 confirme les luttes multiples quiont eu l ieu au Caire bien avant la révolution. Un faisceau spontané de mouvements derésistance contre la globalisation néolibérale et plaidant pour la justice spatiale, la participationet l’équité sociale était déjà à l’œuvre depuis bien longtemps. On y croise ainsi les négociationsdes conditions de relogement des habitants des quartiers informels, les protestations desderniers agriculteurs vivant sur les îles nilotiques encore non construites (un succès d’ailleurs,suite à un sit-in de femmes sur le périphérique, les appels des intellectuels emmenés par feuYoussef Chahine et un procès remporté contre la vente des terrains à des promoteurs), lesmouvements sociaux de contestation directe du pouvoir central (« Kefaya ! » en particulier),les revendications des réfugiés africains, les grèves ouvrières et des employés et leursmanifestations récurrentes devant l’Assemblée du peuple en centre-ville (depuis le 8 avril2008, jour de « colère populaire » massive). On peut y ajouter l’action d’associations pourcontrer un projet, comme le comité qui s’est constitué depuis 2008 pour proposer un contre-projet pour l’avenir du quartier d’Imbaba, des ateliers avec les habitants et des agences decoopération étrangère comme ceux qui se sont tenus en 2010 dans le cimetière habité de laCité des Morts, etc. La question de la raison pour laquelle le régime de Hosni Moubarak alaissé émerger ces contestations est épineuse. D’après les experts du pays, ce régime avaitfinalement permis une certaine liberté d’expression à la fameuse « rue arabe » tout en nechangeant rien au gouvernement des villes du pays tout entier mobilisé pour servir les intérêtsd’une oligarchie (en particulier Le Caire et Alexandrie).

Dans les autres pays de la région, les manifestations existaient aussi avant les printemps, avecmoins de vitalité qu’en Egypte néanmoins. Lamia Zaki, dans cet ouvrage, vient très clairement

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[4] Selon elle, 2009 marque une évolution de la configuration du « marché revendicatif » égyptien. Les protestations,multiples et diversifiées, sont désormais sociales davantage que politiques (Ben Nefissa, 2011).

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mettre en perspective l’historicité des mobilisations des bidonvillois au Maroc. Loin d’êtreattentistes, ces derniers ont demandé notamment des améliorations du PVSB, ont interféré viades « conseils de sages » pour régler les litiges dans l’attribution de titres ou de lots pour lerelogement. Comme en Egypte, on retrouve au Maroc ce réveil des mobilisations en dehorsdes quartiers informels avant 2011 (Legros, 2008) : contestation et mobilisations observéescontre les projets de la nouvelle corniche de Rabat et de la vallée du Bou Regreg (Mouloudi,2009) ou encore dans le cadre du périmètre de Tanger Med (Planel, 2011).

Enfin, si l’on revient aux quartiers informels, le terreau des contestations est pour une part àfondement islamiste. Les Etats se méfient des quartiers informels pour cette raison depuisbien longtemps et par là même développent une ingénierie et des financements de projet.C’est le cas des attentats de 2003, à Casablanca, qui ont déclenché le PVSB. En 2006, lesémeutes violentes à Tunis et à Ettadhamen ont, dans une même dynamique, eu pour effetd’intensifier l’action du régime de Ben Ali en faveur des quartiers populaires. En résumé, lesmobilisations sociales remontent bien avant 2011. Elles ont marqué surtout l’Egypte et leMaroc, moins, il est vrai, la Syrie et la Tunisie, davantage répressives dans les années 1990-2000.L’irruption des mobilisations des habitants ou de la société civile (associations et organisationsnon gouvernementales [ONG]) trahissent, dans la dernière décennie, une vulnérabilisationaccrue des ménages pauvres, alors même que des grands projets urbains ou d’infrastructureautoroutière s’échafaudent dans les grandes villes sous la houlette d’autorités affairistes enpartenariat avec des développeurs nationaux ou étrangers du Golfe. Une concurrencenouvelle est particulièrement nette : celle qui oppose les acteurs pour le devenir du foncieroccupé par les quartiers informels les mieux situés (Barthel, 2009 ; Deboulet, 2011b). Pourprendre l’exemple du Caire, dès 2009, les visuels accompagnant les premières versions de lastratégie Grand Caire 2050 ont ainsi été très médiatisés, donnant à voir un renouvellementurbain violent en plein hypercentre. Cette iconographie prospective a ainsi inquiété et nourriles mouvements de contestation portant sur le droit au logement dans la mouvance desmouvements pour les droits humains (Deboulet, 2011a). Les printemps arabes ont-ils intensifiéles mobilisations déjà existantes ? Difficile de répondre. Ça et là, les auteurs mentionnent lechangement d’échelle des mobilisations. Au Maroc, par exemple, une coordination nationaledes bidonvilles a été créée fin 2010 et servirait à libérer davantage encore les contestations.Toutefois, un certain brouillage s’opère depuis 2011 dans la superposition des demandes et desmanifestations, le tout sur fond d’agenda politique donnant la priorité pour les décideurspolitiques à la formation des partis, la tenue des élections, la rénovation de la Constitution...

Que se passe-t-il depuis 2011 : déblocages ou inerties ?

Les textes ici rassemblés ont enfin l’intérêt de documenter « à chaud » ce qui se passe sur leterrain des quartiers informels depuis le début de l’année 2011. Les auteurs livrent ici leursobservations et premières interprétations mettant en exergue un certain nombre d’inertiestant le changement actuel est en disjonction temporelle avec le temps plus long des questionssociales, économiques et urbanistiques. Cette absence de synchronie entre changement

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politique et changement urbain n’est pour autant pas propre à la période de transition actuelledans le monde arabe. Elle pourrait conduire à confronter le contexte actuel des transitions queconnaissent les pays ici considérés à ce qui s’est produit ailleurs sur les continents africain oulatino-américain (comme Sylvy Jaglin le rapporte dans sa préface). Venons-en auxenseignements livrés par le terrain depuis 2011.

Tout d’abord, dans chaque pays (y compris en Syrie en 2011), l’accélération conjoncturelle dela construction informelle est décelable pour des raisons de baisse du contrôle politique, derecomposition des gouvernements et des parlements et parfois aussi du discrédit de la police(comme en Egypte). A Agadir, pour prendre l’exemple donné par O. Toutain, la ville a étédéclarée « Villes sans bidonvilles », signe d’un succès malheureusement de façade puisque lacapitale du Souss a dû faire face depuis le 20 février 2011 à d’importantes poussées d’habitatnon réglementaire. L’informalisation, une fois encore, traverse tous les quartiers, désignés« informels » ou non. Les surélévations d’étages se sont multipliées en plein Caire islamique etdans certains quartiers de classes moyennes censément « formels ». Ailleurs, ce sont les terrainsagricoles qui continuent d’être urbanisés. D. Sims observe assez peu la multiplication de toursrésidentiel les de dizaines d’étages qui avaient commencé à émerger dans les quartiersinformels durant la dernière décennie, actuellement trop risquées selon lui, mais plutôt lareconduction du modèle classique de petits immeubles avec armature en béton complétéepar un remplissage en briques rouges et construits étage par étage. Les filières de la promotionimmobilière et les rapports clientélistes persistent également.

Autre phénomène récent : en Egypte, on a constaté la constitution de comités populaires(l igan sha’abiya) , réponse spontanée des jeunes pour assurer la sécurité des quartiersinformels, qui ont ensuite pris en charge un certain nombre de « compétences » telles que lacollecte des déchets, l’organisation de la circulation, la protection des citoyens et des activités,la résolution des conflits, la prévention sociale et sanitaire, la réparation d’infrastructures oule contrôle de terrains vacants pour les besoins en services sociaux. Les membres sont deprovenances diverses : soit apolitiques, soit laïcs, soit de gauche ou bien encore proches duparti des Frères musulmans. Ajoutons qu’une entrée en « politique » est décelable égalementà Tunis où des jeunes des gourbivilles (quartiers spontanés en dur) réhabilités et restructurés(comme Ettadhamen dans la banlieue nord-est de la capitale) sont passés de « voyous » austatut de « héros » assurant l’ordre public pendant une bonne partie de l’hiver 2010-2011(Allal, 2011).

En Syrie, enfin, aucun projet de transformation des quartiers informels n’avait encorecommencé au début de l’année 2011, avant le début des événements (V. Clerc). Les conditionslégislatives et règlementaires d’une rénovation urbaine de ces zones dites d’« infractioncollective » (moukhalafat al-jamia) fondée sur l ’ intervention des grands investisseursimmobiliers privés, pour les localisations les plus stratégiques, sont posées. Et, en dehors de cessites centraux, une réhabilitation plus douce avec régularisation est mise en avant pour bonnombre d’autres localisations à travers des projets pilotes (à l’étude) et l’aide de programmes

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de coopération étrangère (Union européenne, Cities Alliance, AFD et Deutsche Gesellschaftfür Internationale Zusammenarbeit - GIZ). Mais en 2012, la bataille pour la réhabilitationurbaine a vacillé au rythme accéléré des destructions de quartiers informels ciblés par l’arméede Bachar Al Assad. Associés à l’opposition de l’Armée libre, de nombreux quartiers informelspourtant promis à l’amélioration du cadre de vie ont été détruits à Alep, Damas ou Homs.

Observe-t-on l’amorce d’une réorientation des politiques à l’égard des quartiers informels ?La réponse est pour l’heure négative. Des signes çà et là indiquent des prises de décision enréaction directe avec la pression du peuple : la remise à plat de la stratégie « Grand Caire2050 » et l’abandon des mégaprojets évacuant des milliers de familles habitant informellementl’hypercentre ; la relance ou l’intensification des programmes de logement de masse au Maroc,en Tunisie ou en Egypte. Cette préoccupation affichée des nouveaux pouvoirs s’accompagnede modalités qui sont d’ailleurs critiquées par les experts et la société civile. Prenons d’abordl’exemple tunisien d’un programme spécifique d’habitat social, décidé par le gouvernementavec le lancement d’un appel d’offres international (clos en octobre 2012) lancé par leministère de l’Equipement pour la réalisation « clés en main » de 12 000 logements sociaux(pour une première tranche à réaliser en 4 ans) répartis sur les 24 gouvernorats du pays. Lescritiques convergent, notamment celles émises par l’ordre des architectes tunisiens sur ladémarche non concertée pour l’identification des besoins et des sites les plus pertinents, etde la part de nombreux promoteurs tunisiens dénonçant l’ouverture faite aux promoteursétrangers, un geste mal apprécié par la profession dans le contexte actuel. En Egypte, DavidSims relate, dans cet ouvrage, l’appel lancé par le ministère de la Coopération internationaleen avril 2011 pour la construction d’un million de logements dans le pays, appel qui ne fut passuivi par les bailleurs internationaux. La réponse à la crise du logement semble demeurerlimitée au quantitatif, au sectoriel et marquée par l’absence de programmes intégrés etd’aménagement de nouveaux morceaux de ville polyfonctionnels et reliés en transportscollectifs. Plusieurs autres professionnels égyptiens relèvent une forte inertie au changementdepuis début 2011 dans leur pays et une continuité des politiques urbaines conduites par legouvernement des Frères musulmans (villes nouvelles, programme des logements sociauxdans le désert tout particulièrement). Au Maroc en revanche, le lancement, en 2012, d’une« politique de la ville » à visée interministérielle et associant les collectivités locales et lesacteurs de la vi l le est un évènement important, avec l ’élaboration d’un référentiel enconformité avec la nouvelle Constitution qui met la priorité sur la régionalisation et laparticipation. A priori, le dispositif lancé semble prometteur et augure d’une forte évolutiondu cadre politique de l’action urbaine. Quartiers pauvres et centres urbains en perte decompétitivité sont ainsi au cœur des débats en 2012.. . mais cette « politique de la ville »marocaine va-t-elle entraîner un véritable changement dans les modes de faire et la

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[5] Des expériences inédites et pionnières de participation sont en cours dans la région du Golfe. Au Koweït, la redéfini-tion de la politique du logement a donné voix aux jeunes Koweitiens qui se sont exprimés, en 2012, à travers des focusgroups et un atelier qui s’est tenu du 4 au 8 novembre (projet Arabana.org).

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gouvernance technique et politique[5]. Que va-t-il sortir de la concertation conduite en 2012dans les régions (forums régionaux) et en transversalité avec différents ministères ?[6]

Le big bang des politiques urbaines ne semble donc pas être encore en marche, et lesnouveaux gouvernements appliquent pour une bonne part les méthodes et programmesd’avant. A ce titre, sous d’autres latitudes, l’Afrique du Sud post apartheid a connu pareillesituation dans les premiers temps. Le changement politique et constitutionnel au sommet(l’Etat) occupe les énergies et la décentralisation est plutôt peu souhaitée pour des raisonsmêlées : peur que les pouvoirs islamistes prennent encore plus de territoire sous leur contrôle,peur inverse des partis islamistes de ne pas contrôler tout le processus. Pourtant, la montée enpuissance des collectivités locales et du dialogue avec l’Etat en construction est nécessairepour un véritable changement. De ce point de vue, le Maroc est sans doute le pays qui a le plusavancé sur ce chemin avant même 2011 et l’on peut faire l’hypothèse qu’il y a eu là un« amortisseur de révolution » dans ce pays[7]. Les maires ne sont pas absents de l’action urbaine,contrairement à ce qui se passe ailleurs et des analyses ont été conduites sur les municipalitésà pouvoir islamiste (parti Justice et développement ; cf. Catusse et Zaki, 2009. En Egypte ouen Tunisie, tout est à faire, ou presque[8] : la construction de pouvoirs élus locaux (signifianttransfert des compétences, dotations financières [9], fiscalité locale et meilleures capacitéstechniques pour conduire les politiques), mais aussi la multiplication d’actions urbaines àportage partagé rompant avec un Etat isolé dans ses modes de faire, méthodes et mises enœuvre. Ces partenariats visent l’association aux ministères, des opérateurs nationaux, desacteurs privés et, bien sûr, des collectivités locales. Beaucoup de chantiers sont à mettre enœuvre dans un avenir proche, parmi lesquels :

- repenser les services urbains dans des logiques fines de péréquation financière entrequartiers rentables pour les opérateurs et quartiers à population moins solvable, entresystème formel et filières informelles de fourniture, en particulier d’eau et d’énergie ;

- construire les programmes de réhabilitation urbaine dans une véritable logique de projeturbain et d’aménagement partagé avec des montages innovants valorisant relogementsur site et libération de foncier pour financer le logement et diversifier les quartiers ;

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[6] Pour plus d’informations sur ce sujet, consulter le site www.politiquedelaville.ma

[7] Reprise de l’expression d’Aziz Iraki et Pascale Philifert au colloque du CEDEJ de novembre 2012.

[8] Sfax était l’une des exceptions de démarrage d’un pouvoir urbain local œuvrant avec difficultés cependant dans lesannées 2000 pour formaliser et mettre en œuvre une stratégie pour son agglomération.

[9] A titre d’exemple, en Tunisie, la dotation pour les finances communales représente moins de 4 % du budget de l’Etat.

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- renouveler la formation des professionnels de l’urbain dont une partie des cadresexprime d’ailleurs un malaise quant à ses missions et ses capacités d’initiative et d’aide àla décision[10].

Il existe un réel besoin de « relégitimation » des professionnels à une période où ils peuventcontribuer à l’écriture de textes fondateurs, ou bien de programmes de partis politiques. Nousfaisons ici al lusion à l ’Association tunisienne des urbanistes (ATU), qui a dernièrementlargement contribué au chapitre de la nouvelle Constitution portant sur les autorités locales.En Egypte, avec le soutien et l’accompagnement de ONU Habitat, une petite équipe dirigéepar Mohammed Nada travaille également à faire avancer le chantier de la décentralisationpour le compte du ministère des Autorités locales, même si les difficultés semblentactuellement plus âpres qu’en Tunisie.

Un changement de point de vue sur les quartiers informels constitue enfin une dernièrepriorité. Au lieu de les voir comme une menace, les nouveaux décideurs auront intérêt à partirde leur potentiel pour repenser la ville arabe de demain : compacité de la trame urbaine (etdonc économie du foncier), polyfonctionnalité, lien social intense, forte part de la mobilitépiétonne pour les déplacements entre le domicile et le travail , système intraquartier detransports (tricycles motorisés appelés tuk tuk et microbus), etc. Dans cette affaire, il en vacependant d’une refonte du modèle urbain que les décideurs des différents pays voudraientmener en concertation avec les citadins. Or, force est de constater que la réflexion sur laredéfinition des espaces et de leurs valeurs n’est pour l’heure guère engagée...

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[10] Au colloque organisé par le CEDEJ au Caire en novembre 2012, l’ex numéro 2 du General Organization for PhysicalPlanning , organe du ministère en charge de l’élaboration du Grand Caire 2050, a fait l’autocritique du travail conduitde façon assez surprenante, dénonçant au passage l’isolement des cadres techniques et l’absence de partenariats suf-fisamment structurés pour coconstruire la stratégie.

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Temps long, temps court des politiques

urbaines

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1. Montée en puissance desmobilisations dans les bidonvilles ettransformation de l’action publique

au Maroc : de l’ouverture desannées 1990 au printemps arabe

Lamia Zaki

IntroductionLe Maroc apparaît, plus d’un an après la révolution tunisienne, comme l’un des pays les plusstables du monde arabe d’un point de vue social et politique[11]. Une nouvelle Constitution aété adoptée par référendum à 98,5 % des votants en juillet 2011, contribuant à désamorcer lamontée de la protestation. Malgré l’appel au boycott du Mouvement du 20 février (dont lesmil itants réclament des réformes politiques structurelles et jugent insuffisantes lestransformations introduites par le nouveau texte), le taux de participation officiel a dépassé les75 %. Les élections législatives anticipées de novembre 2011 se sont déroulées sans incidentsnotables et ont été remportées par le Parti de la Justice et du Développement (PJD), leprincipal parti islamiste marocain. Présent au Parlement depuis plus d’une dizaine d’années,celui-ci a essentiellement affiché comme thèmes de campagne la lutte contre la corruptionainsi que la promotion de l’efficacité technocratique et de la justice sociale.

L’ouverture politique et économique orchestrée par la monarchie depuis la fin des années1980 explique en grande partie le calme (certes relatif)[12] de la « rue marocaine » : les réformesengagées ont en effet permis l’intégration au champ politique légal de nombreux acteurs quien étaient jusqu’alors exclus ou refusaient d’y participer. Elles ont dans le même temps permis

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[11] Ce texte s’appuie sur un travail de thèse (Zaki, 2005), ainsi que sur plusieurs terrains menés depuis auprès des acteursdes politiques de relogement au Maroc.

[12] Si la protestation n’a pas atteint l’ampleur qu’elle a connue dans d’autres pays de la région, il faut noter que d’importantsmouvements de contestation se sont développés en 2011, touchant non seulement les grandes agglomérations maiségalement les coins les plus reculés du pays.

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au roi d’affermir son emprise sur le champ politique. Cette libéralisation politique ne peut eneffet être assimilée à un processus de démocratisation et les travaux de sciences sociales surla question mettent en évidence la faculté du régime marocain à se transformer pour perdurer.Ils soulignent cependant aussi les capacités de réappropriation, notamment au niveau local, desnouvelles marges de manœuvre concédées « par le haut », par exemple à travers ladiversification et la transformation des mouvements sociaux[13].

Ce texte reviendra sur les liens dynamiques entre action publique et formes de protestationpopulaire dans les bidonvilles marocains, en montrant l’incidence du contexte national etinternational, d’une part, sur les mobilisations, et, d’autre part, sur la capacité des bidonvilloisà transformer « par le bas » l’action publique. Il s’agit, à travers une analyse sur le long terme,de mieux mettre en perspective l’impact du printemps arabe sur ces territoires, évalué à l’aunedes récentes transformations du PVSB à Casablanca. A première vue relativement limités, leschangements intervenus pourraient avoir des conséquences importantes sur l’équilibre globaldu programme ; ils semblent également marquer les prémices d’un changement d’échelle desmobilisations (1.3). Nous verrons d’abord que les pouvoirs publics marocains ont mis en œuvredes politiques ambivalentes à l’égard des bidonvilles marocains, oscillant entre prohibition etlaissez-faire, entre promesse de relogement et menace d’expulsion, pour gérer la paix socialeà moindre coût (1.1.) . Certes relative, l’ouverture politique des années 1990 a cependanttransformé les rapports de force locaux et contribué au développement de mobilisations pluscollectives et plus frontales dans les bidonvilles (1.2.), qui ont en partie motivé le lancement,depuis le début des années 2000, de nouveaux programmes de relogement et en particulierdu PVSB.

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[13] Au sein d’une riche littérature, voir par exemple une série de thèses récentes sur les mobilisations autour de la questiondes « années de plomb » (Vairel, 2005), sur les mobilisations de diplômés chômeurs (Emperador, 2011) ou de militantesdans des associations de quartier (Berriane, 2011).

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1.1.1. Les bidonvilles, menacesécuritaire ou instrument de gestionautoritaire

La gestion des bidonvilles marocains par lespouvoirs publics a toujours été ambiguë etfluctuante. Fortement stigmatisés dansl’imaginaire urbain marocain, les bidonvillesont été considérés comme des territoiresindignes de la ville, mais aussi comme unemenace pour la stabilité politique du pays.Présentés comme des lieux de survenancepar excellence des émeutes urbaines– même si les historiens soulignent que cesallégations n’ont pas toujours eu desfondements objectifs –, ils ont souvent faitl’objet de politiques sécuritaires. Ainsi, lespériodes de troubles sociaux dans lesgrandes villes ont assez systématiquementété suivies d’un infléchissement despolitiques à l ’égard des bidonvil les. Parexemple, l ’abandon soudain en 1981 duprojet de restructuration du bidonville deBen M’sik à Casablanca est intervenu aulendemain d’émeutes violemmentréprimées. Le projet de maintien sur placedes habitants et d’amélioration du tissuexistant avait pourtant été entièrementplanifié avec l’aide de l’USAID. Une formuletraditionnelle de recasement [14] lui afinalement été préférée afin d’assurer

l’obtention d’un tissu urbain rationalisé,quadril lé par de larges routes facil itant aubesoin l’intervention des forces de l’ordre.Plus proche de nous, en 2004, i l n’est pasinutile de rappeler que la conception duPVSB a notamment répondu à despréoccupations sécuritaires puisque leprogramme a été très directement lié auxattentats du 16 mai 2003 à Casablanca[15] : onest toujours dans l’idée que la disparition (ou« l’éradication ») des bidonvilles permettrade régler des problèmes sociaux pourtanttrès complexes.

Alors que les bidonvilles apparaissent plus oumoins explicitement dans les discoursofficiels comme des territoires menaçantl’équil ibre sécuritaire des agglomérations,voire du pays tout entier, i ls ont aussi étéutil isés jusqu’aux années 1990 comme unoutil de pouvoir. Ils ont en effet longtempsservi de réservoirs de voix pour façonner lacarte électorale du pays, en jouant sur lasituation de grande fragil ité et de grandedépendance des habitants, enclins à « bienvoter » (i.e. selon les directives des autoritéslocales) pour ne pas être expulsés. Les fortesdensités démographiques dans lesbidonvil les rendaient par ail leurs d’autantplus prépondérant leur poids électoral (Zaki, 2005).

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[14] Avec destruction des baraques et réinstallation des habitants sur des lots préalablement équipés sur lesquels leshabitants peuvent progressivement construire leur logement.

[15] Perpétrés par une dizaine de jeunes, pour la plupart issus d’un même bidonville de la périphérie casablancaise, cesattentats ont fait plus de quarante morts.

1.1. Les ambivalences de l’action publique à l’égard des bidonvilles marocains

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1.1.2. Des pouvoirs publics entreprohibition et laissez-faire

Dénoncés par les pouvoirs publics commeune menace en puissance pour la paixsociale, mais aussi uti l isés comme uninstrument de gestion de la carte électorale,les bidonvilles ont fait l’objet de politiquescontradictoires oscillant entre prohibition etlaissez-faire.

L’Etat marocain a toujours refusé d’yintroduire les formes les plus élémentairesd’équipement dont disposent en général lesquartiers réguliers (eau courante, électricité,égouts, collecte des déchets, desserte par lestransports publics, maintien de l’ordre, etc.).Les pouvoirs publics craignaient en effet quela fourniture de ces instal lations ne soitinterprétée comme une reconnaissance dudroit à l ’ instal lation permanente deshabitants. I ls ont également interdit auxbidonvillois de s’organiser eux-mêmes pourse procurer des services collectifs ou pouraméliorer leurs conditions d’habitat. Ainsi, lesfacteurs politiques façonnent le paysageurbain : les matériaux précaires ethétéroclites utilisés dans la construction desbaraques et le manque d’aménagement desbidonvil les marocains ne reflètent passeulement les faibles ressources matériellesdes habitants [16]. Leurs conditions de viedifficiles s’expliquent aussi par le veto imposépar les pouvoirs publics sur l’aménagementde l’espace. Notons que cette présence de

l’Etat « en négatif », « par l’absence », quivisait à maintenir la paix sociale au moindrecoût, a facilité l’implantation de groupusculessalafistes dans certains bidonvilles (commel’ont montré les attentats de 2003 àCasablanca). La relégation dont faisaientl’objet ces territoires – plutôt que laprétendue anomie sociale qui lescaractériserait – a ainsi fait de certainsbidonvil les périurbains une based’embrigadement, les idéologues dumouvement trouvant dans cette vi l leparallèle sinon reniée, du moins ignorée parl’Etat, un refuge discret à exploiter (Zaki ,2005 ; Tourabi, 2008).

Depuis les années 1990, et en particulierdepuis la mise en place d’un gouvernementd’alternance en 1998 (dirigé pour la premièrefois par un grand parti d’opposition, l’Unionsocialiste des forces populaires, USFP), lespolitiques publiques à l’égard des bidonvillesont sensiblement évolué. Dans un contexted’ouverture politique, de nouveaux motsd’ordre ont fait leur apparition et lespouvoirs publics ont reconnu la nécessité deprendre davantage en compte les conditionsde vie et les attentes des habitants. Ainsi ,jusqu’à la moitié des années 2000, i ls ontdavantage fermé les yeux sur les solutionsbricolées d’amélioration des conditions devie mises en œuvre dans les bidonvilles, sousl’effet d’une forte pression des habitantsmais aussi des élus.

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[16] Notons que des travaux insistent depuis plusieurs décennies sur la diversité des ressources socioéconomiques desménages bidonvillois (ICONE, 1987).

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1.2.1. Action individuelle ou actioncollective ?

Les politiques développées à l ’égard desbidonvil les marocains ont favorisé lesstratégies attentistes des habitants : à côté dela gestion « par l’absence » précédemmentdécrite, les pouvoirs publics ont en effetdéveloppé de nombreux programmes derecasement (sur des lots équipés dédiés àl’autoconstruction) et de relogement (enappartements), fortement subventionnés.Outre la peur de la répression, l’espoir durelogement a ainsi contribué à découragerles entreprises de mobil isation collective.Ceci ne signifie pas que les bidonvil loisn’aient pas cherché à contourner les interditsdictés par les pouvoirs publics. Plusieurstravaux, et en particulier ceux de FrançoiseNavez-Bouchanine (1992-1993 ; 2003),insistent au contraire sur la variété etl’inventivité des modes d’appropriation del’espace dans les bidonvilles. Ceux-ci sont misen œuvre à travers des stratégiesindividuelles qui s’avèrent efficacesjustement parce qu’elles n’ont rien despectaculaire et sont donc diffici lementopposables par le pouvoir. Ces actionsatomisées d’appropriation de l’espaceportent cependant toujours en puissance lamarque du collectif, puisque leur addition

entraîne des effets patents que les pouvoirspublics sont souvent incapables de contenir.

L’architecture des bidonvil les estgénéralement perçue comme le résultatd’actions agencées au hasard, de manière« anarchique », pour reprendre un adjectifemployé pour caractériser l’habitat informelau Maroc. Les discontinuités du paysagebidonvil lois ne sont cependant pasuniquement le fruit de décisionsindividuelles : el les relèvent aussi souventd’arbitrages collectifs diffici lementidentifiables. Prenons ainsi l’exemple d’unerue des Carrières Centrales [17] aujourd’huidisparue. Assez large, celle-ci était marquéepar un goulot d’étranglement formé pardeux baraques. Cette irrégularité du bâtin’était cependant pas le fruit de laconcertation de deux voisins ayantunilatéralement décidé d’agrandir leurespace de vie. El le cachait en réalité unestratégie collective : il s’agissait d’empêcherle passage de camions dans la rue alors qu’unréseau d’évacuation des eaux usées venaitd’être mis en place. Les deux baraquesagrandies n’avaient pas été prises au hasardpuisque l’une d’elles était occupée par unancien représentant local de l ’autoritécentrale (moqaddem) qui avait pu mobiliserses réseaux pour que les autorités ferment

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[17] L’un des plus anciens et des plus grands bidonvilles de Casablanca, actuellement en cours de recasement.

1.2. La décennie 1990 : un tournant dans l’évolution des formes

de mobilisation au bidonville

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les yeux sur ce dépassement. La solidaritélocale joue en creux dans cet exemple : elleapparaît dans le fait qu’aucune tentative derattrapage n’a été mise en œuvre par lesvoisins pour rogner sur la chaussée et tenterde s’al igner sur les nouvelles frontièrestracées par les deux baraques, puisqu’i ls’agissait avant tout de préserver lescanalisations et de ne pas mettre en dangercet acquis fragile.

1.2.2. Des droits de l’homme au droitdu bidonvillois

Dans le sillage de la libéralisation politiquedes années 1990, le pouvoir central a eurecours à de nouveaux registres delégitimation : la référence aux droits del’homme, par exemple, est devenueomniprésente pour justifier les actions del’Etat dans les discours officiels. A l’échelledes bidonvil les, les habitants se sontréapproprié ce nouveau lexique, s’enemparant pour justifier des revendicationssociales de plus en plus larges, placées au-dessus des normes juridiques. Dans l’espritdes habitants, la vie au bidonville, faite desouffrances et de privations, ouvre des droitsdont les pouvoirs publics sont redevables :droit au (re)logement d’abord, mais aussi à lasanté, à l’éducation, etc. En se réclamant desdroits de l’homme, il ne s’agit par pour lesbidonvillois de s’ériger contre le système depouvoir tel qu’il devrait théoriquement être,mais de contester pour voir appliqués desprincipes essentiels réaffirmés par le régimelui-même. Les bidonvil lois politisent ainsileurs revendications à travers des schèmesgénéraux qui donnent à voir leur situationcomme injuste, comme un produit social etnon pas naturel. La montée en universalitéde la justification permet l’énonciation de

revendications singulières et l’affirmation dela nécessité d’un traitement différencié. Elle afortement encouragé le développement deformes de contestations et d’opposition plusfrontales (manifestations, sit-ins , etc.) pourexiger un droit au relogement ou du moins àdes conditions de vie moins précaires.

A partir de la fin des années 1990 et de lamise en place du premier gouvernementd’alternance (dirigé par l’USFP), les pouvoirspublics marocains ont d’ai l leursformellement reconnu la nécessité dedavantage prendre en considération ladimension sociale dans les programmes derelogement ou de recasement. I ls ontégalement reconnu la nécessité d’agir au caspar cas pour adapter l’action publique auxcontextes et aux configurations propres àchaque bidonville. Traduisant un changementimportant des mentalités chez les décideurs,cette évolution est intervenue suite à unesérie de débats publics organisés en 1999 parle ministère de l’Habitat, auxquels ontparticipé de nombreux experts nationaux etinternationaux. De nouveaux outils etméthodes d’intervention ont par la suite étémis en place, prônant notamment une plusgrande participation des acteurs (habitants,élus locaux, etc.) . Si ces nouveaux motsd’ordre de l’action publique ont été à la basede la conception du PVSB, leur applicationreste cependant souvent limitée, comme lemontre l ’article d’Olivier Toutain dans leprésent ouvrage.

1.2.3. Le clientélisme, vecteur demobilisation collective

Depuis le début des années 1990, lesélections au Maroc se déroulent selon desrègles davantage concurrentiel les qui ont

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transformé le cl ientélisme électoral aubidonville. En compétition pour séduire lesélecteurs au bidonville, les candidats se sontappliqués, pour obtenir leurs voix, à leurprocurer des biens et des services jusqu’alorsinédits. Ils ont ainsi contribué à introduire desréseaux bricolés d’évacuation des eauxusées, multiplié les bornes-fontainesfournissant de l’eau potable, encouragécertains quartiers à construire en dur (avecdes briques et du ciment), etc. , quitte àentrer en conflit avec les autorités, alors queles élus locaux constituaient tradition -nellement des courroies de transmission desdirectives du pouvoir central au bidonville.

S’ils prodiguaient jusqu’alors essentiellementdes faveurs individualisées (allant du simplemonnayage de voix à la fourniture de tôlespour réfectionner une toiture, en passant parcelle d’un emploi temporaire ou à plus longterme), les patrons électoraux se sontdavantage adressés à des groupesd’habitants pour leur procurer des servicesindivisibles. I ls ont par ai l leurs souventsollicité la participation des électeurs pour lefinancement et/ou l’ instal lation desditsservices. Ainsi, par exemple, un entrepreneuren bâtiment qui se présentait en 1997 auxélections communales dans unecirconscription des Carrières Centrales ainstallé quelques mois avant le scrutin unréseau d’évacuation des eaux usées. Il a faitvenir de nuit (pour plus de discrétion),pendant plusieurs semaines, des ouvriers quitravail laient sur ses chantiers, mais a aussimobil isé les habitants pour creuser lestranchées pour les canalisations. Une fois éluet face à la forte demande des habitants, il afait agrandir le réseau grâce au budget de lacommune en plaçant les frais engagés sousla rubrique « dépenses exceptionnelles »

(puisque la commune n’a pas le droitd’entreprendre des travaux dans unbidonville). Mais il a aussi mis à contributionles habitants, qui ont payé une partie dumatériel pour être raccordés.

Cette participation des clients aux dons despatrons politiques favorise l’appropriationpar la population des aménagementsintroduits et semble également encouragerles actions de mobilisation collectives pourla défense de ces mêmes aménagements.Lorsque les autorités ont tenté d’intervenirpour arrêter les travaux engagés par lecandidat précité, la mobilisation des femmesdu quartier (qui sont descendues avec leursenfants dans les tranchées déjà creusées enexigeant d’être enterrées vivantes plutôt quede renoncer au réseau d’évacuation des eauxusées) a poussé les autorités à rebrousserchemin. Cet épisode a constitué un prélude àla multiplication des réseaux informelsd’évacuation des eaux usées aux CarrièresCentrales. A l’échelle localisée du bidonvillel’ instauration, l ’ introduction d’élections(davantage) concurrentielles a donc eu deseffets concrets importants, en transformantles rapports de force entre habitants, élus etautorités déconcentrées.

1.2.4. Libéralisation économique etmobilisations bidonvilloises

Les réformes de libéralisation économiqueintroduites depuis les années 1990 ontégalement eu un impact sur les mobilisationsdans certains bidonvil les. En matière degestion urbaine, ces réformes ontnotamment abouti à déléguer la gestion desréseaux d’eau et d’électricité à desopérateurs privés, comme la Lydec àCasablanca. Alors que les pouvoirs publics

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avaient fermé les yeux sur le piratageélectrique largement pratiqué par lesbidonvil lois dans la capitale économique,l’arrivée de la Lydec en 1998-1999 a changé ladonne : l ’entreprise a refusé d’assumer lecoût de cette gestion publique « par lemanque » (qu’elle estimait en 1998 à 12millions [M] de dirhams [MAD], environ 1 Md’euros [EUR]) et a mené des actions pourfaire cesser le piratage. Ces dernières ontparadoxalement abouti à une généralisationdu piratage et à une radicalisation de lamobilisation, ce d’autant qu’en s’opposant àla Lydec, les bidonvil lois pouvaient d’unecertaine manière dépolitiser leur action ou,en tout cas, la présenter comme moinsséditieuse, puisqu’elle n’était pas exercéedirectement contre l’Etat mais contre uneentreprise privée, qui plus est à capitauxétrangers.

Les élus ont d’abord joué un rôle moteurdans le développement du piratage

électrique dans les bidonvilles casablancais àla fin des années 1990, en fournissant parexemple du matériel communal auxbraconniers pour les aider à piraterl’électricité, voire en organisant eux-mêmesle raccordement des bidonvil lois àl’électricité publique. Ils ont cependant étérapidement dépassés par l’ampleur et par laviolence du piratage (agressions perpétréesà l ’arme blanche sur les agents de lacompagnie d’électricité ; prise en main duraccordement à l ’électricité par desélectriciens professionnels ; mesures derétorsion provoquant des pannes de courantdans des quartiers entiers de la ville ; etc.). Lamobilisation a ainsi évolué vers des modesd’action à la fois plus organisés et plusradicaux, poussant finalement les pouvoirspublics à accepter par une décision du Walidu Grand Casablanca le principe del’électrification légale (mais temporaire) desbidonvilles de l’agglomération en 1999.

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Le lancement en 2005 du PVSB, avecl’objectif affiché de résorber entièrement lesbidonvilles urbains à horizon 2012 (cette datebutoir pourrait être reportée à 2014), abrusquement mis un terme audéveloppement de solutions bricoléesd’aménagement de l’espace dans lesbidonvil les. Conçu directement après lesattentats du 16 mai 2003 à Casablanca, leprogramme marque la volonté des pouvoirspublics de traiter (définitivement) la questiondes bidonvil les non plus par le biais deprogrammes isolés mais en mettant enœuvre une réponse globale à l ’échellenationale. Surtout, le PVSB entend agir àl’échelle des vi l les à partir de stratégiesterritoriales (par la signature de contrats deville) et non en fonction des urgences ou desopportunités foncières gérées au cas par cas.Enfin, le programme prône la participationdes acteurs locaux dans descommissions locales et provinciales ourégionales, conformément aux principes debonne gouvernance prônés par les bailleursde fonds internationaux. Malgré la mise enplace d’outils innovants (notammentconcernant le financement du PVSB, maisaussi en termes d’accompagnement socialdes projets) , les modalités d’intervention

finalement adoptées ont abouti à l’abandonquasi total des expériences d’adaptationet/ou d’amélioration de l’existantdéveloppées depuis le début des années1990. En effet, les solutions derestructuration des bidonvilles, censées êtreadoptées dans environ 30 % des projets, ontété abandonnées au profit de solutions derecasement des ménages sur des lotspréalablement équipés [18]. Olivier Toutaindresse un premier bilan du programme danscet ouvrage.

Nous reviendrons ici sur les dernièresévolutions du programme à Casablanca.Certaines sont directement l iées auxrevendications des bidonvillois et l’efficacitéde ces dernières pourrait remettre enquestion l’équilibre général du PVSB.

1.3.1. Etat des réalisations et signatured’un nouveau contrat àCasablanca

Fort d’un budget de 25 milliards (Md) MAD(soit presque 2,5 Md EUR), le PVSB avaitpermis en août 2011 d’améliorer lesconditions d’habitat d’un mil l ion debidonvil lois . Le taux de ménages urbains

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[18] L’abandon de la restructuration illustre certainement les objectifs sécuritaires de l’Etat après les nouveaux attentats de2006-2007 à Casablanca. Il traduit également la difficulté à mettre en œuvre ce type de pratiques dans d’anciensbidonvilles densifiés sur plusieurs décennies et caractérisés par un parcellaire très morcelé. La prédominance durecasement s’explique par ailleurs aussi par la forte pression des populations, qui s’opposent très souvent aux solutionsde relogement en appartements.

1.3. Le PVSB et ses effets sur lesmobilisations bidonvilloises en contexte

de printemps arabe

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vivant en bidonville était ainsi passé de 8,2 %à 3,9 % entre 2004 et 2010 et le nombre debaraques démolies annuellement de 5 000à 30 000. Le taux d’achèvement duprogramme atteignait 68,6 % en avril 2011.43 villes avaient été déclarées sans bidonvilleset 17 des 42 autres vi l les programméesétaient proches de l’être (MHUAE, 2011).Outre que plusieurs travaux insistent sur lareconduction à travers le PVSB d’anciensschémas d’action publique[19], les réalisationss’accompagnent d’importants retards demise en œuvre, en particulier dans lesgrandes villes comme Rabat et Casablanca.

A Casablanca, seuls des programmes partielsont été signés pour résorber certains grandsbidonvilles de l’agglomération (Errahma en2006, Sidi Moumen en 2007 et Carrières

Centrales en 2008). Officiel lement, lemanque de terrains urbanisables empêchaitde prévoir une solution globale à l’échelle dela région du Grand Casablanca. L’absence decontrats de vi l le traduit également laréticence des différentes parties prenantes(notamment les responsables politiqueslocaux, mais aussi l ’Agence urbaine) às’engager à reloger entièrement lesbidonvil lois de l ’agglomération. Le 7 avri l2011, une convention-cadre à l’échelle duGrand Casablanca a été signée devant leroi pour recaser l ’ensemble des ménagesbidonvillois restants. La convention prévoitle relogement entre 2011 et 2013 de 46 000ménages (ce qui porte la programmation surCasablanca à 110 000 ménages) sur 620hectares (cf. carte 1 et photos 1 et 2). Cettefois, la construction des équipements devra

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[19] En termes de prise en compte des attentes des populations ; en termes de programmation, souvent élaborée bidonvillepar bidonville ; en termes de contrôle des populations à reloger et de désengagement des élus locaux, etc. (Banquemondiale, 2006 ; Toutain, 2011 ; Zaki, 2007).

Programme VSB complémentaire à Casablanca 2012 – 2014

Source : O. Toutain (conception et réalisation en 2012).

1Carte

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impérativement être réalisée enconcomitance avec l ’aménagement desterrains (l’absence d’équipement ou le retarddans leur construction constituent l’un desprincipaux problèmes recensés après la miseen œuvre des premiers projets PVSB àl’échelle nationale) : un financement de 700 M MAD a été programmé à cet effet parles différents ministères pour garantir laconstruction effective des équipementsprévus. Les coûts des aménagements horssites ont par ailleurs été discutés et arrêtésen amont de la programmation grâce à latenue de réunions avec les concession -naires[20].

1.3.2. Le tiers associé, une solutioninformelle de financement deslogements

A Casablanca, en raison du manque deterrains (et de leur prix) , le recasements’opère en lots bifamiliaux sur des parcelles

de 80 m2 acquises conjointement par deuxménages. Ces derniers sont autorisés àconstruire en R+3 (chaque ménage devientainsi propriétaire de deux étages). Cetteconfiguration a permis le développementd’un nouvel outil de financement : lesménages font en effet appel à un « tiersassocié » pour financer l’achat de leur lot etla construction de leur habitation, enéchange de quoi ils lui cèdent deux étagesdu nouveau logement (et en conserventdonc chacun un). S’i l est vrai que ce typed’association existait déjà dans les opérationsde recasement classiques (avec un ménagepar lot) , el le a été systématisée depuis laréinstallation des ménages de Douar Skouilaet Douar Thomas à Sidi Moumen. Cedispositif a permis la construction dequartiers entiers en un temps record et enconformité avec des normes prédéfinies

Bien que ce système inventé par lapopulation permette de surmonter le

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[20] Ce qui constitue une avancée sensible par rapport à un projet comme celui de Lahraouiyine, site sur lequel ont étérelogés les habitants de Carrières Centrales, où le hors site pour l’assainissement n’a toujours pas été réalisé par laLydec et où des solutions provisoires avec des fosses sceptiques ont dû être mises en place.

Site de Lahraouyine (recasement du bidonville des Carrières Centrales), Casablanca, 2010

Droits :Lamia Zaki

Photos 1 et 2

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problème des ménages insolvables et deréaliser des constructions de bonne qualité, iln’est plus institutionnellement reconnu,notamment parce que les bénéficiaires duPVSB ne sont pas théoriquement autorisés àvendre leur logement subventionné pendantune période minimale de cinq ans. La gestionde ce dispositif, que l’opérateur Al Omrane ad’abord assurée sur le projet Essalam-AhlLoghlam, représentait par ai l leurs uneimportante charge de travail à laquelle i ln’avait pas été préparé et dont larémunération n’avait pas non plus étéenvisagée. Excepté pour ce premier projet,les tiers associés ne sont pas inclus dans lescontrats de vente officiels et deviennent despropriétaires informels puisque la vente sefait uniquement sous seing privé. D’aprèsplusieurs témoignages, le dispositif(insuffisamment encadré) aurait donné lieuà des milliers de litiges entre bidonvillois ettiers associés.

1.3.3. La transformation des critèresd’attribution : vers unchangement d’échelle dans lesmobilisations bidonvilloises encontexte de printemps arabe ?

Un développement récent à Casablanca, quipourrait avoir un impact significatif sur lamise en œuvre du programme, est àsouligner. En réponse aux revendications desfamilles qui refusaient d’être relogées dansle cadre du projet de recasement desCarrières Centrales (l’un des plus anciens etdes plus grands bidonvilles de Casablanca)lancé en 2010, le gouverneur de la préfecturea accepté en octobre 2011 de modifier lescritères d’attribution des parcelles derecasement. La baraque constituaitjusqu’alors l ’unité d’attribution pour

l’ensemble du programme, sur le principesuivant : une baraque = un appartement ouun lot ou un demi lot (dans le cas des lots derecasement bifamiliaux). Les bidonvillois quirefusaient d’être recasés contestaient ceprincipe : faisant partie de famil les dites« composées » (constituées de plusieursménages – souvent des parents et desenfants mariés – habitant une mêmebaraque), i ls exigeaient que les lots soientattribués par ménage et non pas parbaraque.

60 % de la population des CarrièresCentrales avait déjà été recasée lorsque cechangement est intervenu. Alorsqu’initialement, 4 660 baraques avaient étérecensées, le changement de critère imposedésormais de recaser 6 328 ménages. Cechiffre pourrait par ailleurs augmenter étantdonné que les bidonvillois déjà recasés ontcommencé à s’organiser en associationspour réclamer un traitement équitable deleur dossier (certains d’entre eux avaientd’ail leurs déjà obtenu l’attribution denouveaux lots en décembre 2011). Décidélocalement (et, d’après les témoignages, demanière unilatérale par le gouverneur), cechangement i l lustre les l imites de lagouvernance du PVSB et pourrait avoir unimpact sur l’équilibre global du programme àl’échelle nationale si les ménages bidonvilloisqui restent à reloger dans le cadre du PVSBexigent de l’être conformément à cenouveau critère d’attribution (ce qui rendraitintenable la mise en œuvre du programmeavec les ressources existantes).

La transformation des critères d’attributiondans le cadre du projet de recasement desCarrières Centrales i l lustre égalementl’efficacité des mobilisations bidonvilloises

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(multiplication des sit-ins devant lapréfecture mais également devant leministère de l’ Intérieur et le ministère del’Habitat à Rabat, rencontres avec legouverneur, etc.) dans un contexte deprintemps arabe qui incite les autorités àchercher à désamorcer au maximum lesrevendications. L’augmentation de 12 % de laproportion de ménages bidonvil lois àCasablanca (98 000 ménages en 2011 contre111 500 début 2012 d’après le ministère del’Habitat) i l lustre à la fois les difficultés demise en œuvre du PVSB dans la capitaleéconomique et l ’ incapacité des pouvoirspublics à contenir les installations, illégales enparticulier, dans un contexte politiquesensible.

Un phénomène récent, dont on ne mesurepas encore bien la portée faute de donnéesempiriques, mérite par ai l leurs d’êtresouligné. Une coordination nationale desbidonvilles a été créée au Maroc fin 2010 à lasuite de l’emprisonnement de six habitants

d’un bidonville de Mohammedia après unemanifestation (les bidonvillois demandaientà être relogés après l ’ inondation de leurquartier). Cette coordination a été initiéenotamment par les militants de l’Associationmarocaine des droits humains (AMDH) ainsique par un parti d’extrême-gauche, AnnahjAddimocrati (La voie démocratique). Lacoordination a également bénéficié de laparticipation d’un mouvement politiquecréé dans le sil lage du printemps arabe etrevendiquant davantage de droits politiqueset sociaux, le Mouvement du 20 février(M20). Pour l’instant, la coordination semblepeu connue de la plupart des bidonvillois.Pourtant, on peut noter l ’apparition degrandes manifestations de centaines depersonnes venant de différents bidonvillesde Casablanca, qui n’existaient pasauparavant. L’élaboration d’un programmenational conçu à l’échelle des villes s’est ainsiaccompagnée d’un changement d’échelledans les mobil isations, dans un contextepolitique très sensible.

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Complexes et à géométrie variable, lesrapports entre pouvoirs publics etbidonvillois ont donc évolué dans un sensplus favorable à ces derniers durant les deuxdernières décennies. Si el les n’onttransformé que marginalement les équilibrespolitiques à l ’échelle nationale ( le roiconcentrant encore la majorité du pouvoir),les réformes de l ibéralisation politiqueengagées depuis la fin des années 1980 ontpermis aux habitants des bidonvil lesmarocains de négocier au niveau local de nouvelles solutions bricoléesd’aménagement de l’espace. La mise enœuvre d’importants programmes derelogement, et en particulier du PVSB (dansle sillage d’une série d’ambitieuses politiquessociales lancées au Maroc depuis le débutdes années 2000) [21] visait notamment à

désamorcer la protestation croissante deshabitants des bidonvil les, de plus en plusenclins à se mobiliser collectivement pour« réclamer leur droit » (selon une expressioncouramment employée). Elle explique sansdoute en partie le calme (certes relatif) desmarges urbaines depuis la révolutiontunisienne. Le contexte régional n’estcependant pas sans incidence sur leséquil ibres politiques marocains à l’échellenationale ainsi qu’à l’échelle locale, commele montrent les récentes transformations descritères d’attribution du PVSB à Casablanca.Le changement d’échelle des mobilisationsrend d’ai l leurs les pouvoirs publics plusvulnérables à la protestation (qu’elle soit lefait de bidonvil lois ou d’autres groupessociaux, comme les chômeurs, etc.).

[21] Réforme du Code du travail, de la sécurité sociale, Initiative nationale pour le développement humain, etc. Pour unediscussion sur les liens entre désengagement de l’Etat de l’économie et (ré)investissement par l’Etat des politiquessociales, voir notamment Catusse, 2005 et Catusse et al. , 2010.

Conclusion

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BANQUE MONDIALE (2006), Maroc : Programme Villes sans bidonvilles. Rapport final : analysed’impact social et sur la pauvreté .

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2. Les quartiers informels à l’épreuve de la crise en Syrie :

une inflexion inachevée des politiques d’habitat

et d’urbanisme ?Valérie Clerc

IntroductionEn Syrie, la décennie 2000 a été marquée par une prise à bras le corps de la question desquartiers informels dans les politiques urbaines nationales et locales. Les réformes de l’appareillégislatif concernant l’urbanisme et le logement, les nombreux programmes et projets urbainsconçus avec l’aide de la coopération internationale et la relance des études pour la réalisationdes nouveaux schémas directeurs des villes principales ont mis le traitement des quartiersinformels au cœur des objectifs. Vis-à-vis de ces quartiers, plusieurs orientations ont étédéveloppées (réhabil itation, rénovation urbaine, destruction), montrant une diversitéd’approches et des contradictions, voire des concurrences, entre les modèles et objectifs. Audébut de l’année 2011, nombre de politiques urbaines étaient en cours d’élaboration ou demise en œuvre, mais peu de projets étaient déjà réalisés.

À Damas, le début des printemps arabes a marqué les dynamiques urbaines : ralentissement,voire arrêt des investissements étrangers, développement de la construction immobilière enpériode de risque sur la monnaie et, dès les premières semaines, recrudescence d’un très fortdéveloppement des quartiers informels. La situation a également favorisé, dès avant le débutdes événements en Syrie, une reconfiguration plus sociale des politiques urbaines en cours surces quartiers. Des projets conçus avec l’aide de la coopération internationale ont été ralentisou suspendus, tandis que des politiques et réformes se poursuivaient : les processus deplanification ont continué, de nouveaux décrets ont été promulgués. On a également constatédes changements d’acteurs et de rapports de force, l’évolution du contexte de l’investissementimmobilier national et international, la transformation du contexte stratégique politique etéconomique et le renforcement de l’expression d’une demande sociale : quels impacts,

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continuités et ruptures, freins et accélérations les premiers mois des événements en cours enSyrie ont-i ls entraîné sur les politiques publiques de logement et d’urbanisme ? Lesévénements en cours ont-ils, dans ce premier temps, reconfiguré les réformes ? A-t-on assistéà des changements de paradigmes de l’action urbaine avec les mutations politiques ?Quelques observations permettent de montrer l’évolution de l’action publique urbaine àDamas au cours de cette première période de la crise.

Après une première partie qui définit et caractérise les quartiers informels de Damas,montrant ses dynamiques, ses ruptures et ses continuités par rapport aux quartiers formels,cet article analyse, dans une deuxième partie, l’évolution des politiques publiques syriennesface à ces quartiers au sein des réformes de l’urbanisme et de l’habitat de la décennie 2000,et les concurrences qui avaient cours entre ces politiques jusqu’au début des printemps arabes.Enfin, une troisième partie montre l’ infléchissement et la réorientation plus sociale despolitiques au début de la crise, sur fond de développement accéléré de ces quartiers.

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Les quartiers informels, catégorisés comme« zone s d ’ i n f rac t i on co l l e c t i ve »(moukhalafat al-jamia), abritaient en 2004environ 40 % des habitants de Damas, soitenviron 1,3 million des 3 millions d’habitantsde la capitale (Government of Syria, 2010).Ces quartiers se sont surtout développésdepuis les années 1970 et 1980, avecl’inadéquation des outils de la planificationurbaine, notamment la loi sur l ’extensionurbaine 60 de 1979 en vigueur jusqu’en 2000(al-Baridi, 2005), et la rapide urbanisation liéeà une forte croissance démographique,l’accélération de l’exode rural et l’arrivée devagues de déplacés et réfugiés des conflitsrégionaux (Palestiniens, Golan, Irakiens)(Doraï, 2009)

Bien reconnaissables à leur forme urbaine, lesquartiers informels syriens ne sont toutefoispas aisés à définir, quantifier et localiser avecprécision. La loi ne définit pas ces quartiers,mais des bâtiments en infraction(moukhalafat) , lesquels sont divisés endeux catégories depuis 2008 : les bâtimentsconstruits sans permis de construire (al-binaal-mukhalef) et les bâtiments dont laréalisation n’est pas conforme au permisobtenu (al-mukhalafat al-bina) ( loi59/2008). Ce deuxième cas concerneprincipalement des infractions dans lesquartiers formels (fermeture de balcon,surélévation d’immeuble, constructiond’appentis, etc.) , régularisables pour

certaines. Pour désigner les quartiersinformels, on parle couramment de zonesd’infractions collectives (al-manateq al-moukhalafat al-jamia), qui regroupentprincipalement des bâtiments construits sanspermis.

Les statuts fonciers diffèrent d’un quartier àl’autre, avec deux situations principales : desquartiers installés sur des terrains squattéspar les premiers occupants, situésprincipalement sur les terrains publics despentes du Mont Qassioun qui domine la villeau nord-ouest (à l ’ infraction de laconstruction s’ajoute ici l’illégalité foncière)et des quartiers construits sur des terrainsprivés détenus légalement par leursoccupants, mais inconstructibles. Cesderniers, les plus nombreux, sontprincipalement situés dans la zone agricolede la Ghouta, l’oasis qui entoure Damas ausud et à l’est. On trouve également des casde squat de terrains privés ou des biensreligieux de mainmorte, immobil isés etfrappés de séquestre au profit desfondations créées dans un but pieux oud’utilité publique (waqf).

Les quartiers informels syriens présentent dessimilitudes physiques, sociales etfonctionnelles avec les quartiers formels. Ilssont quasiment tous construits en parpaingsde ciment, avec souvent une armature enbéton armé (caractéristiques l iées à la

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2.1. La catégorie des quartiers informels àDamas : dynamiques, ruptures et

continuités par rapport à la ville formelle

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recommandation présidentielle de 1975, quipréconisait de ne pas détruire sansrelogement les habitations en dur dotéesd’une porte et d’une fenêtre et couvertesd’une dalle de béton armé). Ces quartierssont aussi largement desservis légalement pardes services et infrastructures publics. Suite àune décision du Premier ministre, en 1981,d’améliorer ces quartiers pour les intégrer à lavil le, une politique d’équipement et deréhabilitation (mais non de régularisation) aété menée, principalement dans les années1980 et 1990 (Sakkal, 1998 ; al-Baridi 2005).Avant le conflit, le gouvernement poursuivaitcet équipement et construisait des services(écoles, centres de santé) lorsque cela étaitpossible. Cependant, si, en 2004, les quartiersinformels de la ville de Damas sont dotés àplus de 97 % de réseaux d’eau, d’électricitéet d’assainissement, les ordures y sontcollectées et la plupart des rues sont

asphaltées (al-Dayiri 2007), ces quartiers ontencore un accès plus difficile auxinfrastructures de base que le reste de la ville,en particulier les plus récents et les pluséloignés du centre. L’eau n’arrive parfois quequelques heures par semaine, les écoles, ennombre insuffisant, sont surchargées et lesespaces publics et verts sont quasi inexistants.

Par ai l leurs, on constate davantage uncontinuum qu’une rupture sociale etéconomique claire entre ces quartiers et lesautres. Les prix et l’accès au logement sur lesmarchés formels et informels sont l iés. Letaux de locataires est le même que surl’ensemble de la ville (12 % ; Bureau centralde la statistique, 2004). Certains quartiersinformels sont d’importants centreséconomiques et commerciaux. Ils abritent lesmoins fortunés des habitants de la ville, maisceux-ci y jouxtent les famil les à revenus

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Localisation des quartiers informels de Damas (2009)

Source : Google Earth 2009 ; réalisation : V. Clerc.

2Carte

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moyens, et la pauvreté urbaine n’est passeulement concentrée dans ces espaces (al-Laithy et Abu-Ismail, 2005). Loin d’être tousdes migrants ruraux récents et des réfugiés,leurs habitants ont souvent des parcoursrésidentiels urbains, formels et informels, ouhabitent ces quartiers depuis plusieursdizaines d’années. Certains ont mêmeparfois vendu un bien formel pour s’installerdans un quartier informel. Enfin, commedans la vi l le ancienne, ces quartiersprésentent une mixité fonctionnelle et denombreux liens sociaux et familiaux existententre les habitants.

Ces quartiers se distinguent en revanche parleur morphologie urbaine et leur occupation.Généralement construits en dehors deslimites des plans d’urbanisme, ils ne suiventpas les règles d’urbanisme en vigueur, ce quileur vaut d’être également appelés

achouayyat (anarchiques). I ls présententcependant des tissus urbains homogènes etsont organisés suivant des processusd’installation, des hiérarchies de rues et desprocessus de densification similaires à ceuxdécrits dans les faubourgs de Damas aumilieu du XIXe siècle (Lena, 2008 ; Arnaud,2006) : petites parcelles, rues étroites,bâtiments contigus et sans retrait parrapport à la rue, constructions souventbasses. Enfin, les taux d’occupation et lasurpopulation des logements (taux delogements occupés, familles par logement,personnes par ménage) sont supérieurs à lamoyenne et la densité nette d’habitat estfréquemment deux à trois fois supérieure àcelle de l ’agglomération (jusqu’à 1 200habitants par hectare d’habitat, pour unemoyenne de 260 dans l ’agglomération ;Bureau central de la statistique, 2004).

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Quartiers de Damas : quartier informel de Doummar, au premier plan et quartier formelBoustan el-Riz, au second planLes quartiers se distinguent principalement par leur forme urbaine (Doummar), qui ne respectepas les règles et les plans d’urbanisme, contrairement aux quartiers formels (Boustan el-Riz)

Droits : V. Clerc, 2008.

3Photo

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Avec l’accélération de l’ouverture écono -mique de la Syrie à partir de l ’arrivée aupouvoir de Bachar el-Assaad en 2000, etl’adoption en 2005 de l’ « économie socialede marché », visant à créer un équilibre entreles dimensions économiques et sociales dudéveloppement, de nouvelles politiquesurbaines, foncières et de la construction ontété mise en place dans une doubleperspective de libéralisation et de maintiend’une protection sociale (Donati , 2009).L’appareil législatif sur l ’urbanisme et lelogement a été complètement réformé,notamment pour attirer les investissementset facil iter la production immobil ière :planification urbaine renouvelée, loyerslibérés, développement des investissementstouristiques, réforme de la propriété, descoopératives, des permis de construire,régularisation foncière, régulation desinfractions à la construction et des quartiersinformels (Clerc, 2011). Ces lois se sontaccompagnées d’un retour en force de laprogrammation de logements publics parl’Établissement public de l’habitat (EPH), l’undes deux gros producteurs de logementspublics avec l ’Établissement mil itaire delogement, explicitement présenté comme undispositif social destiné à contrebalancer leseffets attendus de la l ibéralisation(Government of Syria, 2006). Lesbénéficiaires visés sont les ménages à faiblesrevenus, notamment les jeunes, désignés

comme les principaux acteurs du dévelop -pement des quartiers informels.

Ces réformes et un cl imat économiquefavorable ont relancé la construction privéeformelle, qui était en 2000 à son plus basniveau depuis 1975. En 2007, la productionannuelle de logements avait été multipliéepar sept dans la région métropolitaine, parquinze en banlieue de la capitale, avant deralentir en 2008 et 2009 (Bureau central dela statistique, chiffres de 2001 à 2010).Cependant, un grand nombre de ceslogements sont restés vides ou inachevés(Clerc, 2012). Principalement construitscomme des investissements à long termedestinés à une clientèle haute gamme, ils nerépondent pas à la demande, qui est celle desménages à faibles revenus. Par ai l leurs, laréalisation des logements publics n’avançaitpas au même rythme que la constructionprivée : sur les plus de 57 000 logementsplanifiés autour de Damas depuis 2000(davantage que l’EPH n’en a construit dansla région depuis sa fondation en 1961), seulsun peu plus de 3 000 étaient terminés en2009 et 16 000 étaient en travaux. Lesménages à faibles revenus ont dès lorscontinué à investir dans les quartiersinformels, qui ont poursuivi leur extensionmalgré le renforcement de la pénalisation en2003 et 2008 (lois 1/2003 et 59/2008). Leslois et politiques les plus récentes ontcherché à limiter la croissance du nombre de

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2.2. Face aux quartiers informels, despolitiques d’urbanisme en concurrence

dans les années 2000

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ces logements vides et inachevés ( loi82/2010) et à accélérer la production delogements sociaux (implication du secteurprivé, logements publics locatifs) , mais latendance ne s’est pas infléchie.

Dans le même temps, plusieurs programmeset projets urbains nationaux et locaux ontété réalisés avec l ’aide de la coopérationinternationale (Union européenne, coopé -rations allemande, française et japonaise) etdes études de planification régionale et derenouvellement des schémas directeurs ontété relancées. Depuis 2009, le Gouvernoratde Damas (dont le périmètre couvre lecentre de l’agglomération capitale) a relancéles études pour le renouvellement duschéma directeur de Damas et sa région (leplan directeur de 1968 des urbanistesEcochard et Banshoya est toujours envigueur) et le Gouvernorat de Rif Damas(Damas Campagne), la région qui entoure lavil le centre et couvre ses périphéries, aengagé les études pour réaliser un schémadirecteur régional. Ces politiques urbainesont cherché de nouveaux moyens derépondre à la demande persistante delogements à bas coût et de faire face à lacroissance persistante des quartiersinformels.

À partir du début des années 2000, lesquartiers informels, qui continuaient às’étendre, ont été au cœur de ces politiquesurbaines. Plusieurs orientations ont étéchoisies : destruction, rénovation, régulari -sation, équipement, réhabilitation... Le paneldes approches des programmes et des outilslégislatifs récents correspond à une variétéde stratégies et de représentations desinstitutions et professionnels qui participentà leur élaboration. Les deux orientations

principales, la rénovation et la réhabilitation,prolongent les politiques engagées à Damasjusqu’à la fin des années 1990. Les servicesde l’urbanisme, situés à l ’époque auministère de l’Habitat, réalisaient alors desplans directeurs détaillés en vue d’une futurereconstruction totale de ces zones, tandisque certains de ces mêmes quartiersfaisaient l’objet d’une politique d’équipe -ment en infrastructures et services (UMP,2001).

À partir de 2003, une nouvelle loi a opéréune distinction entre les nouvellesconstructions informelles, qu’elle impose dedétruire (tout en sanctionnant, depuis 2008,avec de lourdes peines de prison ceux quiont participé de près ou de loin à leurconstruction), et les quartiers construitsavant cette date, qu’i l est possible derégulariser à condition que les constructionsexistantes respectent le plan locald’urbanisme (ce qui n’est généralement pasle cas). Les plans directeurs détaillés des villesde banlieues ont été massivement révisés etélargis pour y intégrer ces quartiers. Dans lenouveau contexte économique et politiqueurbain, la bipolarisation des politiques detraitement de ces quartiers évolue alors ets’organise autour de deux tendancesprincipales :

- la réhabil itation de ces quartiers(amélioration de l’existant), dès lorsassociée à l’idée de leur pérennisation etleur régularisation foncière, ce qui supposeune modification des plans directeurs desquartiers pour rendre ces derniersconformes à l’existant ;

- leur rénovation (destruction etreconstruction), selon un plan qui diffère

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de l’existant, et dont la faisabil ité est, àpartir de l ’ouverture économique,supposée rendue possible par l’arrivée desinvestisseurs.

Le ministère de l’Administration locale, encharge de l’urbanisme, a participé à plusieursprogrammes envisageant la réhabilitation desquartiers informels, et même leurrégularisation, pour laquelle une série de loisrécentes fournit les outils nécessaires(33/2008, 46/2004). Avec la Commission deplanification régionale, créée en 2010, leministère a mis en place le Programmenational d’amélioration et de réhabilitationdes quartiers informels (Government of

Syria, 2010), élaboré à partir des résultats deprogrammes financés par la coopérationinternationale, dont la mise en œuvre devaitêtre soutenue par l ’AFD et la Banqueeuropéenne d’investissement (BEI). Dans lecadre de la première phase du Programmede modernisation de l’administrationmunicipale (MAM ; 2005-2008), mené avecl’appui de la coopération européenne, leministère a fait appel à des expertsinternationalement reconnus sur cesquestions, qui ont tous recommandé laréhabil itation (Wakely, 2010 ; Fernandes,2008 ; Mc Auslan, 2008 ; Serageldin, 2008).Des projets sur les quartiers informels ontainsi été élaborés dans six vil les syriennes,

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Quartiers informels de Damas :- 4 : Tabbaleh, réhabilité à l’occasion d’un programme UN-Habitat en 1993-1995 - 5 : Bahdalieh, extension récente au sud de Damas- 6 : Mezzeh 86, sur les terrains publics montagneux au nord-ouest de Damas (comporte de

nombreux immeubles de plus de 6 étages)- 7 : Tichrine, au nord-est de Damas, construit autour de rues étroites- 8 : quartiers informels de la Ghouta, construits sur des terrains agricoles (ici à l’est de

Damas)

Droits : V. Clerc, 2008 (6), 2009 (4 et 8), 2010 (5 et 7).

4 à 8Photos

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dont deux à Damas (Mont Qassioun, ouestde la rue 30). Le Sustainable UrbanDevelopment Program (UDP ; 2007-2010),mené par les gouvernorats d’Alep et deDamas avec l ’appui de la coopérationallemande (GIZ) va également dans le mêmesens (Syrian Arab Republic et al. , 2009).Enfin, en collaboration avec le Gouvernoratde Rif Damas, un programme d’améliorationde dix grands quartiers informels de banlieuea été monté avec l ’aide de la Banquemondiale et de Cities Alliance.

Dans le même temps, le ministère del’Habitat et de la Construction, avec l’EPH, aété à l’initiative de l’élaboration et de la miseen œuvre des conditions législatives etrèglementaires d’une politique derenouvellement urbain ou rénovationurbaine des quartiers informels (destructionet reconstruction), fondée sur l’interventionles grands investisseurs immobiliers privés (loi15/2008, directives de la loi 26/2000). L’Étatfournit à ces derniers des terrains publicspour la construction de logement social oupour la rénovation des quartiers informelsavec relogement des habitants sur place ouailleurs. Le Gouvernorat de Damas partageaitau début des années 2000 cette vision de larénovation urbaine des zones informelles. Il aainsi conçu des plans d’urbanisme détaillésimposant le remembrement et lareconstruction, un quartier de tours enremplacement d’un quartier informel avecl’aide de la coopération japonaise (JapanInternational Cooperation Agency - JICA[JICA 2008]) et a lancé en 2007 une séried’études détaillées (detailed studies) pour lerenouvellement urbain de 17 zonesintramuros, dont plusieurs quartiersinformels.

La mise en place de ces politiques s’est faitede façon parallèle, et parfois peucoordonnée, par des administrations etgouvernements locaux différents. Elle ontmême agi en concurrence lorsque desmêmes quartiers ont fait l’objet de politiquesopposées. Ce fut le cas, par exemple, en 2010à Alep, où deux quartiers informels situés surdes terrains publics, en cours deréhabilitation par la municipalité (avec l’aidede la GIZ) ont été proposés par l’État auxinvestisseurs pour une rénovation urbainedans le cadre de l’application de la loi dedéveloppement immobilier 15/2008. Cetteconcurrence s’est exprimée également dansles contradictions qui sont apparues dans lamise en œuvre des programmes. Ainsi, alorsque nombre de textes stratégiques ouprogrammatiques des politiques alors encours recommandaient la réhabilitation ou laformalisation in situ des quartiers existants,les projets qui en résultaient proposaientsouvent leur destruction et leurremplacement par des quartiers modernes(Clerc, 2011). On peut ici faire l’hypothèseque, dans une période de construction del’économie sociale de marché, on a assisté àune opposition entre certaines logiqueséconomiques orientées en faveur desinvestisseurs et de la globalisation de la villeet d’autres plus attachées à des impératifssociaux. Avec l’ouverture économique etl’augmentation des valeurs foncières, ontdonc émergé à la fois une concurrenceautour du foncier (et de la captation de sarente) et une compétition entre des visionsdifférentes de la ville.

Les deux options ont été implicitement ouexplicitement combinées. Les tenants d’uneoption ont envisagé la possibil ité d’une

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complémentarité avec l ’autre et unconsensus a émergé, même s’il était parfoisexprimé du bout des lèvres, sur le fait qu’onn’envisagerait pas de réhabil itation surquelques quartiers très centraux de lacapitale et qu’une rénovation était encoreloin d’être à l’ordre du jour pour les quartiers

de lointaine périphérie. Mais les prioritésdifféraient. La concurrence se situait ainsi,avant la crise, dans les proportions relativesde la rénovation et de la réhabil itation etdans les critères déterminant les quartiers quidevaient faire l ’objet de l ’une ou l’autreoption.

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Aucune réalisation de transformation desquartiers informels n’avait encorecommencé au début de l’année 2011, avantl’apparition des événements du printempsarabe. Ces politiques étaient encore au toutdébut de la mise en œuvre : en coursd’adoption pour le Programme national derégularisation des quartiers informels, et audébut de l’application pour la mise en œuvredu volet de la loi 15/2008 sur les quartiersinformels. À Damas, la mise en œuvre de cespolitiques dépendait encore des choix àvenir suite aux études de planification encours sur les quartiers à réhabiliter et/ou àrénover. La tendance à la rénovation urbainese poursuivait, mais, depuis 2008, l’expansionde la référence au développement durableet la production d’un document détaillantles nouvelles visions et l ignes directricesstratégiques de la Vil le de Damas avaitmodifié la donne (Damascus Governorate,2008) et une large réhabil itation avecrégularisation était parfois envisagée. Enattendant, seules étaient poursuivies lespolitiques urbaines en cours : équipement dequartiers et éviction des habitations situéessur l ’emprise de grandes infrastructuresroutières. Dans l’attente des orientations desschémas directeurs, tant les detailed studiesdu Gouvernorat que les projets urbains deréhabilitation et de rénovation conçus dansle cadre des programmes de coopérationétaient en stand by . Seuls des terrains trèséloignés de la capitale ont été proposés aux

investisseurs pour la réalisation de logementsocial ; aucun terrain occupé par desquartiers informels ne leur étaient encoreproposés à Damas dans le cadre de la loi 15.

C’est dans ce contexte que les événementsdu printemps arabe ont éclaté en Syrie enmars 2011. Dans une vague de contestationspopulaires sociales et politiques sansprécédent, des manifestants ont réclamé uneplus grande liberté d’expression, la réformede l’État, la levée de l’état d’urgence instauréen 1963 puis, suite à la violente répression dela contestation par le régime, le départ duchef de l’État, tandis que progressivement laconfrontation se mil itarisait avec laformation à l ’automne 2011 de l’Arméesyrienne libre. En Syrie, il n’y avait alors pasde place Tahrir, symbole des révoltes, maisune multitude de manifestations et deconfrontations dans les villages et dans lesquartiers des vil les et banlieues syriennes.C’est en particulier, les quartiers et vi l lespériphériques, où l’on trouve la plupart desquartiers informels, qui se sont soulevés.Cependant, alors que l’on note dans certainsde ces quartiers une frustration vis-à-vis de lastratégie de développement urbain durégime (qui n’a pas permis de sortir del’informel), et bien que l’illégalité soit souventassociée à l’expression d’une opposition aupouvoir, les cartes des manifestations et desquartiers informels ont été loin de sesuperposer. Quels l iens existent entre

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2.3. Le moment révolutionnaire, moteurd’infléchissement des politiques urbaines

vis-à-vis des quartiers informels ?

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révoltes, quartiers informels et politiquesurbaines? Alors que le pays était , dès ledébut de la crise, mobilisé par les questionssécuritaires, et alors que les politiquesd’habitat et d’urbanisme continuaient à êtremises en œuvre, les événements ont-ils eu unimpact sur les politiques urbaines ? A-t-onassisté à des infléchissements ou unchangement du rythme des réformes ?

Dès le début des événements, on a observéune explosion de la construction illégale : denombreuses infractions à la constructiondans les zones formelles et surtout une forterecrudescence de la construction dans lesquartiers informels. Aucune étude nepermet d’en chiffrer avec précisionl’ampleur, confirmée par les habitants et lesconstructeurs de ces quartiers. Aprèsquelques mois, des urbanistes locaux ontévoqué une augmentation d’environ 10 % àDamas, estimée à partir de visites de terrainset de photos, en cohérence avecl’augmentation des ventes de ciment qui, dèsavri l 2011 (480 000 tonnes) était enaugmentation de 115 % par rapport àmars[22], et avec l’augmentation des prix desmatériaux de construction et de la maind’œuvre (Syria Report , 2011). En tempsde crise, les ménages dirigent leurinvestissement vers l’immobilier, considérécomme une valeur refuge en période derisque sur la monnaie. On peut fairel’hypothèse que l’ampleur du phénomène aété d’autant plus importante que laconstruction informelle avait été, danscertaines régions, très ralentie depuis la miseen application de la loi 59 de 2008 sur lesinfractions immobilières. Les ménages de ces

quartiers repoussaient à plus tard leursinvestissements. I ls auraient profité durelâchement de l’attention des autoritéspubliques, mobilisées par les manifestations,et de la volonté de ces autorités d’éviter toutconflit ouvert entre la police et la populationpour construire de nouvelles bâtisses etsurélévations d’immeubles dès les premièressemaines. Pour limiter cette activité, l’État arapidement demandé à l’OGCBM d’exigerde ses clients la présentation d’un permis deconstruire en règle avant de vendre leurciment, mais la tendance ne s’est pasinfléchie (Syria Report , ibid .).

L’ impact des révolutions arabes sur lespolitiques d’habitat syriennes s’est fait sentirà Damas en mars dès la veil le desévénements en Syrie. En janvier 2011, après lachute du président Ben Ali en Tunisie et audébut des premières grandes manifestationsde la Place Tahrir au Caire, le Gouvernorat deDamas a renforcé son discours social pourson schéma directeur en cours. I l aimmédiatement adopté, pour les quartiersinformels, un plus grand réalismeéconomique et surtout une plus granderecevabilité sociale, qui s’est traduite par laprogrammation d’une proportion plusimportante de réhabilitation des quartiersinformels que de rénovation urbaine. À uneépoque où les printemps arabes paraissaientcontagieux, mais où les manifestationsn’avaient pas encore commencé en Syrie,l’objectif était d’éviter l’embrasement socialdu pays. Dans le même esprit , legouvernement a adopté à cette mêmepériode (mi-février 2011) d’autres mesuressociales telles que la baisse des taxes sur les

[ ] ©AFD / Quartiers informels d’un monde arabe en transition - Réflexions et perspectives pour l’action urbaine / Juin 201364

[22] D’après les chiffres de l’Organisation générale pour le ciment et les matériaux de construction [OGCMC], qui superviseles sociétés d’État de fabrication de ciment.

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produits alimentaires de première nécessité,l’augmentation des subventions sur le fioul,la création d’un fonds social d’aide à près de500 000 personnes ou le recrutement de67 000 fonctionnaires. Cette réorientationplus sociale des politiques urbaines s’estconfirmée par la suite. Alors que quelquesannées plus tôt l ’option de la rénovation

urbaine prévalait à Damas, fin 2011, plus desix mois après le début des événements, laréhabil itation de la plupart des quartiersinformels était sérieusement envisagée.

Par ai l leurs, le début des événements enSyrie a eu pour effet rapide de ralentir, voirede geler, des projets de coopération

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Extension sud du quartier informel de Hajar al-AssouadCes 6 clichés satellites illustrent l’accélération de la construction dans les quartiers informelsdepuis 2011. Alors que l’on y constate une faible activité de la construction entre juin 2009 (9)et mars 2010 (10), on observe une densification et une nette extension du quartier vers desterrains voisins en mai 2011 (11), puis en août de la même année (12). L’année 2012 (13 et14) est marquée par une densification et une montée en hauteur des immeubles, ainsi que parun arrachage des arbres puis une préparation dans le terrain voisin (Clichés Google Earth des15/06/2009, 03/03/2010, 05/05/2011, 09/08/2011, 22/02/2012 et 26/04/2012)

Droits : Google Earth, 2009, 2010, 2011 et 2012.

9 à 14Photos

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internationale sur l’urbain. Certains ont étémaintenus, mais des experts européens ontquitté le pays dès le printemps 2011 : ceux dela GIZ en avril , ceux du MAM en mai. Desprojets en cours de montage ont été arrêtés.Ainsi, les financements européens (BEI/AFD)programmés pour le projet de l’ouest de laRue 30 du MAM ont été gelés et lesnouveaux projets n’ont pas été signés,comme le soutien au ministère del’Administration locale prévu par la BEI etl’AFD pour la politique de réhabilitation desquartiers informels de Syrie. Enfin, certainsexperts étrangers travail lant pour legouvernement syrien ont aussi dû quitter lepays ; ce fut par exemple le cas, en novembre2011, à Khatib et Alami, du bureau d’étudeslibanais en charge du schéma directeur deDamas, qui a poursuivi ensuite son travail àpartir de Beyrouth.

Bien que le régime ait été focalisé sur lasituation sécuritaire dès le début desévénements, les principales politiquesurbaines vis-à-vis des quartiers informels ontété poursuivies d’un bon train au cours del’année 2011, comme en ont témoigné lapresse officielle et les textes de lois. Tout sepassait comme si la poursuite des réformesparticipait d’un rôle stratégique dans la crisepour susciter l’adhésion de la population,relativiser l’importance des événements oumontrer une continuité politique. Lapolitique nationale de réhabilitation desquartiers informels, un temps freinée par lechangement de Premier ministre auprintemps 2011, a poursuivi ses travauxpendant l’été et a été adoptée en décembre.La réalisation d’une typologie des quartiersétait en cours à la Regional Planning

Commission et des projets pilotes y étaientétudiés. La création d’un organisme public etd’un fonds pour le développement et laréhabilitation des zones d’habitat irrégulier aété annoncée pour l’année 2012 (SANA, 6décembre 2011). Par ail leurs, les schémasdirecteurs de Damas et le schéma régional deRif Damas se poursuivaient : adoption de laphase 2 à l’automne et démarrage de laphase 3, avec, pour le Gouvernorat deDamas, la poursuite des projets d’étudesdétaillées sur des quartiers informels (relanceen octobre 2011 de l’appel d’offres pour laréalisation de projet pour les quartiersQassioun, Tabbaleh et King Fayçal) etambition de mener un projet pilote deréhabilitation sur le Mont Qassioun. Lapolitique de rénovation urbaine sepoursuivait également, avec une secondesérie de terrains proposée dans le cadre de laloi 15 et, surtout, la réforme de l’EPH en juin2011, qui lui permettait d’accélérer laproduction de logements sociaux parl’implication du secteur privé et la possibilitéde construire des logements publics locatifs(décret 76/2011). Enfin, les annonces de lapoursuite des travaux du grand projet EighthGate de Emaar en juin 2011, celle du débutdes travaux, en août 2011, du grand projetFestival City (un milliard d’euros), construitpar Majid al-Futtaim [23] et, dans la mêmelogique, l’organisation par le gouvernementdu VIIe Forum sur l’investissement touristiqueen décembre 2011, avec une quarantaine deprojets proposés par le ministère du Tourismeaux investisseurs (SANA, 5 décembre 2011),ont cherché à donner l’apparence d’unecontinuité et d’une bonne santé économiqueau cœur de la tourmente, et malgré lescepticisme des investisseurs invités.

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[23] Cf. http://www.ameinfo.com/272040.html

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Juin 2013 / Quartiers informels d’un monde arabe en transition - Réflexions et perspectives pour l’action urbaine /©AFD [ ]67

Alors que l’on assistait, avant les événements,à une concurrence entre deux types depolitiques urbaines vis-à-vis de quartiersinformels à Damas, la réhabil itation et larénovation urbaine, le début des printempsarabes et la situation de crise politique enSyrie à conduit Damas à privilégier l’optionsocialement plus recevable de laréhabil itation, dès avant le début desévénements dans le pays, puis tout au coursde l’année 2011. Insuffisante en regard de lademande des manifestants, la réorientationsociale des réformes à laquelle les politiquesurbaines de 2011 ont participé n’aura pasempêché le développement de la crise. Et, sile nouveau contexte a favorisé cetteréorientation sociale de la réhabilitation audétriment de la rénovation urbaine dans lesétudes en cours, le contexte législatif et lesoutils de l ’urbanisme n’ont pas évoluédavantage dans un sens que dans l’autre. Lapromulgation des textes législatifs et laréalisation des études ont suivi leurcalendrier. Les administrations et lesprofessionnels sont restés en place etcontinuent, pour la plupart, à porter lesmêmes idées. Les acteurs politiques ontsouvent gardé leur vision à long terme. Lesacteurs de la coopération internationale, quifavorisaient l’option de la réhabilitation, nesont presque plus présents sur place, et sontreprésentés par leurs associés locaux. Cetteorientation vers davantage de réhabilitationa-t-elle correspondu à un effet d’annonce ouà une adaptation des réformes à unedemande sociale d’expression plus radicale ?Le recul de la rénovation urbaine en cette

première période de crise a-t-elle été uneréorientation des objectifs ou unetemporisation face à la transformationconjoncturelle du contexte de l’ investis -sement immobilier ?

Reste que tant l’explosion de la constructiondans les quartiers informels en 2011 que lesdestructions de nombre de ces quartiers parles combats et les bombardements en 2012reposent la question de leur traitement. Lacrise que traverse aujourd’hui le pays nepermet pas de préjuger de l’avenir de cespremières évolutions en faveur d’unedemande sociale. Au cœur de la crise,l ’attitude politique vis-à-vis des quartiersinformels ne porte plus d’enjeu de bonneimage pour le régime. L’observation destransformations et des constantes dans lespolitiques urbaines dans cette premièreannée de la crise a permis d’éclairer desmotifs de l’action publique urbaine vis-à-visde l’ investissement, du logement et desquartiers informels. Elle a mis en lumière unenouvelle approche plus sociale de la questiondu logement informel. Mais la destructionmassive de quartiers entiers, réguliers etinformels, transforme complètement lesenjeux urbains à venir. En particulier,l ’existence de quartiers déjà détruits estl’expression d’une rénovation urbaine déjàen action (démolition/reconstruction). Lareconstruction des vi l les sera un énormechantier qui reposera assurément en destermes différents la question du sort et del’intervention dans les quartiers informels,détruits ou non détruits.

Conclusion

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[ ] ©AFD / Quartiers informels d’un monde arabe en transition - Réflexions et perspectives pour l’action urbaine / Juin 201368

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Juin 2013 / Quartiers informels d’un monde arabe en transition - Réflexions et perspectives pour l’action urbaine /©AFD [ ]71

3. Les quartiers informels du Caire tirent-ils avantage

de la « révolution » égyptienne ?David Sims

IntroductionLes événements de janvier 2011 qui ont précipité la révolution égyptienne ont fait naîtrel’espoir qu’une réforme fondamentale – éclairée par les principes de justice sociale –permettrait enfin de rompre avec l’ inaction prolongée du gouvernement à l ’égard desquartiers informels des villes du pays, en particulier ceux de la région métropolitaine du Caire,qui abritent aujourd’hui au moins 12 millions d’habitants. Plus d’un an après la révolution, onne peut que s’interroger sur les changements intervenus du point de vue des politiques et desmesures publiques, des événements et des mouvements sur le terrain mais aussi des tendancespolitiques concernant ces quartiers. C’est à cette question que cet article se propose derépondre.

Toute tentative d’analyse définitive serait évidemment prématurée puisque la révolutionégyptienne est en grande partie inachevée. En effet, bien qu’un parlement élu ait été formé,un gouvernement de transition, très loin d’être légitime, est encore en fonctions, laconstitution doit être modifiée, des élections présidentielles sont prévues en juin 2012 et lesmiliaires n’ont pas encore réintégré leurs baraquements. Cela étant, il n’est pas inutile dedresser un bilan préliminaire à ce jour (février 2012), d’abord en exposant brièvement l’histoireet la dynamique du développement informel du Grand Caire et les mesures historiques despouvoirs publics et de la communauté internationale, puis en retraçant les évolutionsintervenues dans les quartiers informels depuis la révolution, les modifications qui ont été (ounon) apportées aux politiques publiques en la matière, les attitudes les plus courantes desélites universitaires et professionnelles face à l’informalité, et l’approche des pouvoirs politiquesémergents concernant les quartiers informels et les questions associées.

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Du point de vue morphologique, la régiondu Grand Caire peut être divisée en quatreparties :

1. la ville formelle, à savoir la totalité de lavil le du Caire qui s’est développéejusqu’en 1950 et les ajouts et extensionslégaux/planifiés intervenus par la suite ;

2. la ville informelle, les quartiers qui se sontdéveloppés depuis 1950 sans planificationni consécration légale ;

3. la vi l le, les vi l lages et les petites vi l lespériurbains situés dans l ’arrière-paysagricole, dans les gouvernorats de Giza etde Qaliubia, qui sont apparus dans le

cadre de processus informels et ont étépeu à peu absorbés par la sphèremétropolitaine ;

4. la ville du désert, villes nouvelles et autresaménagements formels connexes dansles zones désertiques contrôlées parl’État à l’est et à l’ouest du Grand Caire.

Il est important de commencer par définir cequ’est un quartier informel. Selon legouvernement, les quartiers informels(souvent appelés munatiq ‘ashwa’ia) sont les« zones non planifiées », cette définitioncomprenant les quartiers historiques nonorganisés de la vi l le. Le gouvernementemploie une autre catégorie, les « quartiers

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3.1. Aperçu des quartiers informels duGrand Caire : histoire et dynamique actuelle

AnnéeQuartiersformels

Quartiersinformels

Zone périurbaine(quartiersinformels)

DésertTotal de larégion duGrand Caire

Croissanceannuelle(en %)

Part de lapopulation desquartiersinformels dansla région duGrand Caire (en %)

1947 2 400 242 0 586 038 0 2 986 280 n.d. 10,2

1960 3 905 670 100 000 955 166 0 4 960 836 3,98 15,6

1976 4 610 326 1 969 000 1 374 317 0 7 953 643 2,99 38,1

1986 4 650 000 4 248 866 2 063 376 32 615 10 994 857 3,29 54,5

1996 4 807 632 5 436 477 2 857 468 149 992 13 251 569 1,88 59,7

2006 5 005 824 6 742 416 3 942 262 601 767 16 292 269 2,09 62,8

2011 5 208 560 7 551 506 4 494 179 813 236 18 067 480 2,1 66,7

Évolution de la population du Grand Caire de 1947 à 20111Tableau

Note : les quartiers informels dans les districts recensés (shiakhat et qurah) ont été calculés par l’auteur à partir de cartes, d’images satellites etd’observations sur le terrain.

Source : CAPMAS, recensement de la population et des logements, diverses années.

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dangereux », pour désigner les zonesurbaines marginales où des vies sontmenacées ou qui sont délabrées au point denécessiter une intervention immédiate. Cesquartiers n’abritent qu’à peu près 1 % de lapopulation du Grand Caire. Dans cet article,les quartiers informels sont définis commeles zones urbaines aménagées depuis 1950sans autorisations ni plans officiels et pour

lesquelles i l est impossible de délivrer despermis de construire. Cette définition exclutles quartiers historiques mais coïncide parailleurs avec la définition administrative des« zones non planifiées ». Le tableau 1 et legraphique 1 présentent l ’évolution de lapopulation de ces quatre catégories urbainesde 1947 à nos jours.

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Évolution démographique des différentes parties constitutives du Grand Caire de 1946 à 2006

Source: IOB-BMZ (2011)

1Graphique

Comme le montrent le tableau 1 et legraphique 1, les quartiers informels du GrandCaire sont véritablement gigantesques et enplein essor. Leur population est aujourd’huiestimée à 12 mil l ions de personnes – soit66 % de la population de l’agglomération –et se compose principalement de ménagesde classe inférieure à moyenne inférieure.

Entre 1996 et 2006, la population du GrandCaire s’est accrue de quelque 3,05 millions depersonnes, qui se sont réparties de la façonsuivante :

- quartiers formels de l ’agglomérationexistante : 6,5 % ;

- quartiers informels de l ’agglomérationexistante : 42,9 % ;

- zone périurbaine (presque intégralementinformelle) : 35,7 % ;

- ville du désert : 14,9 %.

Autrement dit, dans cet intervalle de dix ans,les quartiers informels ont drainé 78 % de la

0

2 000 000

4 000 000

6 000 000

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2006199619861976196619561946

Popu

latio

n

n Désert (villes nouvelles) n Périurbain n Informel n Formel

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croissance. On peut discuter du pourcentageexact, mais i l ne fait aucun doute que lacroissance de la population métropolitaines’est très fortement concentrée dans lesquartiers informels et que cette tendancepersiste. Les moyens d’existence deshabitants du Grand Caire sont donc de plusen plus définis par l ’ informalité etétroitement mêlés à celle-ci, et il est clair queles politiques d’aménagement urbain quin’abordent pas la question des quartiersinformels font fausse route.

On compte globalement trois catégories dequartiers informels du Grand Caire :

1. les quartiers de moyenne à grandeimportance, qui se sont développés surdes terrains agricoles progressivementlotis (principalement sur les franges nordet ouest de l’agglomération principale),tels Al Mattaria, Ain Shams, Al Bassatin,Embaba, Shubra el Kheima, Boulaq elDakrour. Ces quartiers abritaient5,5 millions d’habitants en 2006 ;

2. les anciens vi l lages, vi l les et hameauxruraux qui se sont considérablementétendus dans la campagne agricoleavoisinante. Ces quartiers informelspériurbains, tels Khanka Qusus, Kerdasaet Badradshain, sont ceux qui enregistrentl’expansion la plus forte de la région. Ilscomptaient 3,9 mil l ions d’habitants en2006 ;

3. l ’occupation informelle de terrainspublics, un phénomène très courant dansles années 1970 et au début desannées 1980, pratiquement à l ’arrêtaujourd’hui. Ces quartiers informels, dontManshiet Nasser, Ezbet Al Haggana, Ezbet

Kheirallah (Plateau Fostat) et Ezbet al Nasr,sont les principaux exemples, sontparvenus à maturité. I ls comptaientenviron 1,2 million d’habitants (mais lesestimations varient pour certainsquartiers).

Tous ces aménagements informels ont été etsont encore le fait de particuliers et de petitspromoteurs informels qui achètent le terrain,trouvent le financement et dirigent ougèrent la construction. L’État n’intervient pasinitialement dans ce processus hormisquelques tentatives de prévention et depénalisation, vaines pour la plupart. Lelogement informel représente un formidableeffort d’auto-investissement de la part desménages, qui a produit un important stockd’appartements, la plupart petits etabordables, qui se commercialise bien sur lesmarchés immobiliers informels et qui mêle lalocation et la propriété. L’activité deconstruction, qui procède essentiellementde manière progressive, produit de solidesstructures en béton armé de quatre à huitétages. Les marchés immobil iers sontdynamiques dans les quartiers informels, lalocation étant aujourd’hui très répanduesuite à la nouvelle loi sur la location. Cesquartiers sont socialement hétérogènes, denombreuses familles pauvres y côtoyant lesclasses moyennes inférieures. Les marqueurssocioéconomiques des habitants sontgénéralement légèrement inférieurs auxmoyennes de la ville.

Une fois « matures », ces quartiers affichentdes densités d’occupation qui peuventatteindre des niveaux très élevés, voire lasurpopulation. De plus, la plupart des ruessont très étroites et certains appartementsmanquent de ventilation et de lumière

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naturelle. Par ailleurs, les espaces publics etouverts sont très rares. Pourtant, une fortedensité offre de nombreux avantages,comme l’ont montré les études consacréesaux vil les compactes (Jenks et Burgess,2000) : d’une part, les distances sontmoindres et la plupart des besoins peuventêtre couverts en se déplaçant à pied ; d’autrepart, l’économie locale est très dynamique,avec de fortes concentrations d’entreprises

commerciales, de services et de fabricationd’artisanat. En fait , dans de nombreuxquartiers, une fraction non négligeable de lapopulation active trouve un emploi dans levoisinage. Ainsi , à Manshiet Nasser, unquartier informel étendu et pauvre, uneétude réalisée en 2001 a montré que plus de50 % de la population active avait un emploisur place (GTZ et gouvernorat du Caire,2001).

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Quartiers formels et informels du Grand Caire en 2005

Source : Sims, 2010.

3Carte

Ville informelleVille formelleKilomètres

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Dans la plupart des quartiers informels, l’Étatfinit toujours par fournir les infrastructureset les services de base, mais après coup et àun rythme que beaucoup qualifient delaxiste. Aujourd’hui, les réseaux d’infra -structure dans ces quartiers sont presquetous en sous-capacité, les rues sont rarementrevêtues et les services publics, lorsqu’i lsexistent, sont de piètre qualité et surpeuplés.Néanmoins, il faut éviter le stéréotype desquartiers déshérités, privés de tous lesservices de base.

Il est généralement admis que les besoins deréhabil itation des quartiers informels duGrand Caire sont importants dans lesdomaines des infrastructures, des services etde l’environnement. I l est égalementindéniable qu’il faut prendre des mesurespour lutter contre la pauvreté et le chômage,améliorer le logement et stimuler l’activitééconomique et les entreprises dans cesquartiers. Cependant, d’un quartier à l’autre,le niveau et l ’éventail des interventionsnécessaires sont très diversifiés :construction de réseaux d’assainissement,réhabil itation des réseaux de distributiond’eau et d’assainissement, revêtement deschaussées, élargissement des artèresprincipales, extension et remise en état duréseau d’électricité, couverture des canaux,création et réhabilitation des équipementspublics (surtout les écoles), extension des

terrains publics, création de zones d’activités,aide aux entreprises et formationprofessionnelle.

Des consultants auprès de la Banquemondiale ont récemment évalué le coût dela réhabil itation des quartiers informels(Abdelfattah et al. , 2011) : il se situe de 51 à265 EGP par habitant en fonction duquartier et du niveau des infrastructures etdes services en place [24]. Une synthèse desrésultats montre que la réhabil itation duGrand Caire dans son ensemble ne serait pastrès coûteuse en termes relatifs. En effet, laréhabil itation des infrastructures et desservices pour la totalité des 12 mil l ionsd’habitants des quartiers informels requiertun investissement de 2,7 Md USD à3,3 Md USD. Comparativement aux grandsprogrammes publics (le programme nationalde logements sociaux envisagé actuellementcoûte quelque 16 Md USD) ou aux grandessources de recettes de l’État (les recettes ducanal de Suez dépassent 5 Md USD), cetteestimation pour une réhabilitation complètedes quartiers informels du Grand Caire n’estpas excessive, d’autant que la dépense seraitrépartie sur une dizaine d’années.

Des projets de réhabilitation ont été menésdans certains quartiers du Grand Caire àplusieurs reprises, en particulier depuis unevingtaine d’années. Étant donné l’ampleur

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3.2. Améliorations intervenues dans les années 1990

[24] Les quartiers totalement dépourvus de services ou d’infrastructures peuvent coûter 2 000 EGP par habitant, ce prixcomprenant l’acquisition des terrains et des normes de services très élevées, mais ils sont extrêmement rares.

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toujours croissante du phénomène informel,ces interventions ont été trop peunombreuses, trop lentes et trop peufinancées pour avoir le moindre effet visible.Cela n’a pas empêché de considérablesdébats et études dans les mil ieuxuniversitaires et ceux du développement,mais les actions continues ont été très rares.Par ai l leurs, bien que la participationcommunautaire ait été souvent prônée, les

résultats ont été peu concluants. Trois grandstypes d’opérations ont été menés : (i)réhabil itation intégrée d’une zonegéographique précise, (ii) création ouamélioration d’un service ou d’un service auxcollectivités précis dans plusieurs quartiers et(iii) tentatives de réforme institutionnelle ouréglementaire en faveur de la réhabilitation.Les plus représentatifs sont présentés dansl’encadré 1.

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Réhabilitation des quartiers du Grand Caire – projets pilotes1Encadré

• Réhabilitation intégrée de quartiers

Les premières expériences datent de 1978 avec une tentative avortée de réhabilitation àManshiet Nasser dans le cadre du premier projet urbain de la Banque mondiale, suivie en1979 du projet de réhabilitation communautaire d’USAID dans quatre groupes de villagesinformels à Helwan. Le premier projet mené par les pouvoirs publics égyptiens a étéréalisé à Embaba à partir de 1992, où de considérables travaux d’infrastructure ont étéeffectués afin d’améliorer un quartier qui avait été un centre d’agitation fondamentaliste.En 1998, la GTZ a engagé une opération de réhabilitation intégrée à Boulaq el Dakrouravec le gouvernorat de Giza, et à Manshiet Nasser avec le gouvernorat du Caire. Cesprojets, qui se sont poursuivis jusqu’en 2007, comprenaient un volet infrastructuresfinancé par la KfW. En 2004, la GTZ, avec l’Integrated Care Society (ONG créée en 1977dont Suzanne Mubarak a été la première présidente) et des contributions de l’État, aégalement entrepris de réhabiliter deux quartiers d’Helwan. En 2007, le ministère de laPlanification urbaine a démarré le projet d’aménagement du nord de Giza sur une vastesuperficie accueillant plus de 800 000 habitants. Ce projet très ambitieux se distingue enparticulier par l ’aménagement de l’ancien site de l’aéroport Embaba, conjugué àd’importantes opérations d’élargissement des voies, de relogement et d’équipementspublics dans les quartiers avoisinants. Jusqu’ici, son exécution s’est confinée au site del’aéroport et les premiers ilots d’habitation sont sortis de terre.

• Mise à niveau des services essentiels

De 1993 à 2006, le gouvernement égyptien a mené un programme de rénovation urbainedestiné à fournir des services de base comme l’électricité, l’eau, l’assainissement et lerevêtement des voiries dans plus de 1 221 quartiers informels en Égypte, dont certainssont situés dans le Grand Caire. Bien que ce programme ait été doté d’un budget de 2,6Md EGP, les décaissements étaient canalisés par les ministères et, en réalité, une partimportante des fonds a été allouée aux grandes infrastructures qui ont peut-être

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bénéficié à certains quartiers informels, mais dont les principaux bénéficiaires ont été leszones urbaines formelles. De la fin des années 1980 au début des années 1990, et aprèsla construction de systèmes d’assainissement pour le Grand Caire, de nombreuxquartiers informels ont considérablement bénéficié d’investissements dans le secteurde l’eau et de l’assainissement. Sans être constitutives d’un « programme deréhabilitation », les conduites d’eau, et surtout d’assainissement, ont été étendues dansde nombreux quartiers non desservis. Enfin, la GTZ et la KfW ont lancé, d’abord àManshiet Nasser puis dans l’ensemble du pays, un programme d’initiatives locales dansdes quartiers délabrés et informels en partenariat avec le ministère de la Planificationurbaine.

• Améliorations institutionnelles et systémiques en faveur de la réhabilitation

Dans ce domaine, la situation n’a guère évolué. Il n’y a pas eu d’assouplissement desrègles de lotissement ou de construction visant les aménagements informels au Caire ouailleurs, ceux-ci demeurant tout entiers hors du champ des cadres réglementaires. Dansson travail sur la planification stratégique du Grand Caire (« Grand Caire 2050 »), leministère de la Planification urbaine a recensé les « zones non planifiées » de la métropoleet propose de les contenir ou de les réhabiliter. En 2006, la GOPP a entrepris un travailde planification appelé tahzim ou programme de « confinement », qui prévoyait deslotissements légaux aux abords des quartiers informels, pour en théorie bloquer unenouvelle vague d’expansion informelle. Cependant, malgré semble-t-il des plans précis,de nombreux problèmes de procédure et surtout de financement ne sont pas encorerésolus et aucun conseil local ne les a approuvés à ce jour.

Les principales améliorations institutionnellesen faveur de la réhabil itation ont étéapportées par le Participatory DevelopmentProgram (PDP) dans les quartiers urbains,mené par la GTZ (aujourd’hui GIZ). Outreune formation intensive du personnel desgouvernorats et des districts du Grand Caireaux différents aspects de la réhabilitation, lePDP a convaincu en 2006 les troisgouvernorats de créer des services deréhabil itation urbaine directement logésdans les bureaux des gouverneurs. Cesservices sont devenus d’importants élémentsde coordination et d’échange d’informationspour la réhabilitation dans les gouvernoratset ont amélioré la connaissance des quartiersinformels au sein des services. Ces évolutions

sont très positives ; néanmoins, ces servicesn’ont pas de pouvoirs décisionnels oufinanciers et le personnel, peu rémunéré,pâtit des caprices de la politique desgouvernorats.

Enfin, un nouvel organisme a été créé en2008 : l’ISDF, rattaché au bureau du Premierministre, vise à réaménager les bidonvillesdangereux et à reloger les habitants. I l arépertorié toutes ces zones sur le territoireégyptien et entrepris des travaux danscertaines parties du pays en partenariat avecles gouvernorats. Plusieurs quartiers, abritantau total 150 000 habitants, ont été recensésdans le Grand Caire.

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Il faut ajouter que plusieurs ONG nationales,grâce à des financements privés, ont menédes projets (allocation de microcrédits, prêtsaux petites et moyennes entreprises, servicespro-pauvres, activités orientées vers lajeunesse, conseils aux entreprises, etc.) dontont bénéficié (pour certains d’entre eux) leshabitants des quartiers informels du GrandCaire. Quelques ONG ont aidé des résidentsde ces quartiers à développer les ONGlocales ou à en créer. Dans tous les cas, lesactions de ces ONG ont été ciblées sur lespauvres et aucune n’a spécifiquement viséles quartiers urbains informels. À notreconnaissance, ceux-ci n’ont fait l ’objetd’aucune réelle initiative de réhabilitation dusecteur privé, ni autonome ni en partenariatavec les pouvoirs publics. L’Integrated CareSociety a mobil isé des dons d’hommesd’affaires en vue.

En résumé, avant janvier 2011, le phénomènedes quartiers informels du Grand Caire,quelle que soit son ampleur, était une

question secondaire du point de vue despolitiques publiques et des attitudes desprofessionnels, et l ’habitat informelautoconstruit n’était pas du tout considérécomme une solution au problème dulogement. L’attitude dominante à l’égard desquartiers informels était pétrie d’aprioris, depréjudices et, dans le meil leur des cas, decondescendance. Cette attitude étaitfréquente au sein des classes éduquées etdes classes moyennes et elle dominait aussidans les principaux milieux professionnels etuniversitaires. I l existe bien sûr desexceptions, mais la majorité des architecteset des professionnels de l ’aménagementurbain avaient une foi inébranlable dans lesvil les nouvelles du désert, considéréescomme l’alternative ultime audéveloppement urbain informel. Cetteattitude perdure malgré les preuvescroissantes que les villes nouvelles, en tantque pôles d’attraction pour la masse desÉgyptiens urbains, sont un complet fiasco.

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Que s’est-il passé dans les quartiers informelsdu Grand Caire dans les douze mois qui ontsuivi la démission d’Hosni Moubarak et lamultiplication de manœuvres politiques etde manifestations qu’elle a engendrée ?Quels programmes et politiques visant lesquartiers informels les trois gouvernementsde transition ont-ils formulés et quelles sontles positions des nouveaux partis politiques àl’égard du Caire informel ? Après tout, larévolution est essentiellement inspirée desprincipes de démocratie et de justice socialeet du rejet de l ’autoritarisme de l’ancienrégime. De prime abord, il semble évidentque le discours révolutionnaire ménage uneplace de choix aux conditions de vie dans lesquartiers informels, fourmillant de citoyensordinaires qui ont été totalement privés dudroit de vote.

Comme nous l ’avons vu précédemment,l ’urbanisation informelle est la caracté -ristique du Grand Caire et, même si celasemble presque impossible, cette tendanceva encore s’accentuer. La frénésie deconstruction de logements informels danstoute la vi l le, surtout dans les quartiersinformels de la frange agricole et autour deceux-ci, est sans doute le résultat physique leplus frappant de la révolution de janvier.Personne ne peut chiffrer ce phénomène,mais pratiquement tous les observateurs duCaire s’accordent à penser que laconstruction est frénétique. Les inspectionssur le terrain effectuées par l’auteur au coursde l’été et de l ’automne 2011 dans lesquartiers informels périphériques du Grand

Caire confirment la présence de nombreusesnouvelles constructions sur ce qui étaitauparavant des terrains agricoles. Cesconstructions s’expliquent par la disparitiondes agents de l’État qui étaient censés lesinterdire. Si ces derniers n’ont jamais euqu’une efficacité partielle, ils sont désormaispresque absents et, pour une grande partiede la société, la situation actuelle estl’occasion ou jamais de construire.

Aucune étude de cette constructionaccélérée de logements informels autour duCaire n’a été entreprise. Cependant, deséléments d’information et les observationssur le terrain montrent que la plupart desconstructions suivent le modèle informelclassique de structures en béton arméremplies de brique rouge, de petites surfacesau sol et d’une construction progressiveétage par étage, voire pièce par pièce. Enrevanche, on n’observe pas d’immeublesrésidentiels de grande hauteur, comme ceuxqui étaient apparus dans les quartiersinformels au cours des dix annéesprécédentes. Peut-être ces constructionsspéculatives, engendrées par les troublesrapports de collusion entre investisseurs,avocats, agents immobiliers et fonctionnaireslocaux sont-elles simplement trop risquéesdans le Caire révolutionnaire ? À l’inverse, leparticulier propriétaire-constructeur informel,qui n’a jamais compté sur l’État, évitait labureaucratie à tout prix et comptait sur sesrelations personnelles et sociales, se sent ensécurité.

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3.3. Les quartiers informels du Caire après la révolution de janvier

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Depuis la révolution, les efforts pour aiderles habitants des quartiers informels les plusdémunis ou « bidonvilles » du Grand Caire sesont accentués. Il y a toujours eu des œuvrescaritatives aidant les opprimés, principa -lement dirigées par des personnalités, àcommencer par la Première Dame et sacoterie. Bien qu’elle-même et ses orga ni -sations aient été discréditées, d’autrespoursuivent les bonnes œuvres. Une partiede ces efforts sont sincères, pragmatiques etefficaces, mais i ls sont généralementmodestes et discrets. D’autres sontclairement sous le feu des projecteurs. C’estle cas en particulier de l’émission hebdo -madaire « wahid min al nas » (un citoyenordinaire) animée par Amr El-Leithy surDream TV, qui est diffusée depuis 2009.Cette émission, qui accueil le des figurespolitiques et des célébrités, met en lumièreles problèmes des habitants des« bidonvilles » et mène des campagnes decollecte de fonds. Les visites théâtraliséesdans des bidonvilles (toujours les quartiersles plus dégradés) avec des célébrités sont lemenu ordinaire de l’émission. Juste après larévolution, un autre projet appelé hamlat el-milliar lil nihod al-‘ashwa’iat (la campagnedu mil l iard pour développer les quartiersinformels) a été engagé sous la supervisionde El-Leithy. Cette campagne est soutenuenotamment par le célèbre acteur MohamedSobhy, l ’actrice Hanan Turk et le télé-évangéliste Amr Khaled ; les fonds sontcollectés par des Égyptiens sur le territoireet à l ’étranger. On ne sait pas quelle est

l’intention précise, mais l’idée générale est definancer des maisons neuves pour leshabitants des bidonvilles des pires quartiersdu Caire et d’autres vil les. On dit qu’il estmême prévu de dépêcher des psychologueset des caravanes médicales pour soignerceux qui souffrent dans ces quartiers ! Par lebiais d’une ONG associée appelée« Maa’n » , dirigée par Mohamed Sobhy,l ’objectif est de financer cinq nouveauxquartiers dans cinq villes égyptiennes sur desterrains donnés par les gouvernorats,comprenant les infrastructures, des écoles,des hôpitaux et des usines, de reloger leshabitants de bidonvilles et de leur apprendreà être des travail leurs productifs. Cetteapproche est la réplique exacte de plusieursprogrammes publics plus anciens qui étaientsurtout de coûteux exercices de relationspubliques et qui ne bénéficiaient qu’àquelques-uns.

Loin des émissions télévisées et descampagnes de financement, l ’apparitionspontanée de comités populaires ( l igansha’abiya) est une évolution positive etbienvenue dans les quartiers informels duGrand Caire. Ces comités ont initialementexercé des fonctions de surveil lance duvoisinage dans toute l’agglomération pourlutter contre l’insécurité au moment de larévolution. Dans de nombreux quartiersinformels, ils sont restés, se sont développéset se sont métamorphosés. Un grandnombre de ces comités, qui sont de vraiesorganisations populaires, ont entrepris de

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3.4. Des émissions télévisées et campagnesde financement aux comités populaires

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répondre aux besoins de la communautécomme l’enlèvement des déchets ménagers,l ’organisation de la circulation routière, laprotection des personnes et des entreprises,la résolution des l it iges, l ’ informationsanitaire et sociale, le contrôle des prix et ladistribution de pain et de butagazsubventionnés, la réparation des réseauxd’eau et d’électricité et l ’obtention deterrains vacants pour les besoins des services.Les comités de différents quartiers ontformé des alliances, telles que la fédérationdes comités populaires des quartiersinformels, fondée en février 2011 par lescomités populaires de Duweika, Dar al-Salam, Boulaq al-Dakrour, Imbaba, al-Umraniya, Maspero, al-Gamaliya, Qala’at al-Kabsh, Ard al-Luwa et al-‘Umraniya, dont lesobjectifs sont encore plus ambitieux.Certaines projettent de récupérer, dans lesquartiers informels et à proximité, desterrains qui avaient été cédés à desinvestisseurs qui ont fait faillite afin que lesservices communautaires nécessairespuissent les utiliser, tandis que d’autres sesont donné pour objectif la réhabilitation desréseaux d’eau et d’électricité et des voiries,d’autres encore le lobbying pour le droit auxassurances sociales et à l’assurance maladiepour tous les résidents de quartiers informels(en particulier les travailleurs, les artisans etles chômeurs).

Les comités populaires les plus actifs sontsurtout constitués de jeunes très critiques àl’égard des institutions, des partis politiqueset même des ONG. Il est rare que les comitéspopulaires travaillent avec les ONG localescar les ONG de développement commu -nautaire ne font pas appel à des bénévoles,sont moins dynamiques et moins souples etsont gouvernées par le paternalisme et lalogique de gestion du financement externedont elles dépendent. De nombreux comitéspopulaires préfèrent donc travailler seuls etcoopérer avec différents acteurs au cas parcas. I l arrive qu’i ls travail lent avec lesadministrations, les partis politiques et lesentreprises et ce sont généralement despersonnalités locales connues et crédiblesqui font le lien. À Giza, les comités populairesont un bureau dans le gouvernorat et auCaire, plusieurs réunions ont eu lieu avec legouverneur. De nombreux jeunes aux profilstrès diversifiés – personnes sans affiliationpolitique ou religieuse, sympathisants degauche et membres de la Fraternitémusulmane – sont actifs dans des comitéspopulaires de nombreux quartiers. Lessalafistes paraissent plus réticents à travailleravec ces comités ou à s’y impliquer mais ilsmènent eux-mêmes des activitéscomparables, comme le contrôle de ladistribution de pain et de butagazsubventionnés.

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Jusqu’ici, les gouvernements postrévolution -naires ont montré la même inertie quel’ancien régime à l ’égard des quartiersinformels. L’ISDF poursuit ses efforts deréaménagement des quartiers de bidonvillesdangereux dans le Grand Caire et dans lesgouvernorats, mais c’est à peu près tout. Enrevanche, l ’État a annoncé un nouveauprogramme national de logements sociauxqui serait fortement subventionné et seraitessentiel lement une répétition desprogrammes de l’époque Moubarak. Le11 avril 2011, six semaines seulement après lachute de Moubarak, le ministre de laCoopération internationale a adressé aux

bail leurs internationaux une propositionrelative à un projet de construction d’unnombre colossal de logements à bas coûts– pas moins d’un million de logements en5 ans pour un coût estimatif de 16 Md USD –principalement dans les villes nouvelles etdans les gouvernorats, dont la moitié environdans la région du Grand Caire. Le ministreappelait les bailleurs à couvrir la moitié ducoût total, soit un engagement de quelque8 Md USD sur la durée du programme. Cemontant aurait surpassé tous lesprogrammes jamais financés par des bailleursen Égypte et aurait complètement éclipséleurs précédents soutiens au secteur du

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3.5. Gouvernements postrévolutionnaireset bailleurs étrangers : un nouveau départ ?

Activités de réhabilitation financées par les bailleurs en cours et en projet dansle Grand Caire

2Tableau

Source : Abdelfattah et. al., 2011.

Bailleurs de fonds Type d’activité Statut

PDP de la GIZRenforcement des institutions et formation auxtechniques de réhabilitation, gouvernorats du Caire,de Qaliubia et de Giza

Actif

Fondation Bill et MelindaGates, gérée par le PDP

Gestion des déchets solides dans deux quartiersinformels de Qaliubia

Actif

Commission européenne,gérée par le PDP

Réhabilitation de quatre quartiers informels (deux auCaire et deux à Giza)

Étude de faisabilité achevée. Contrat enattente de signature

AFDRéhabilitation de quatre quartiers informels (deux auCaire et deux à Giza)

Sélection des sites effectuée et approuvéepar les gouvernorats. Préparatifs del’étude de faisabilité en cours

BEI

Programme de développement communautaire avecl’Egyptian Social Fund for Development, ciblé dans unpremier temps sur les quartiers défavorisés du GrandCaire

Démarrage de l’étude de faisabilité pardes consultants en 2012

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logement, mais l ’offre a été polimentdéclinée. Pourtant, bien que l’énorme coûtnécessaire n’ait pas de financement, cenouveau programme demeure une prioritédes pouvoirs publics.

Au contraire du gouvernement, l’intérêt desbailleurs internationaux pour les quartiersinformels du Grand Caire s’est accru après larévolution de janvier. Plusieurs agencesd’aide au développement ont étendu leurs

activités ou sont en train d’élaborer desprojets, dont les principaux sont résumésdans le tableau 2. Il faut néanmoins soulignerqu’il n’est pas certain que toutes ces activitéspréparatoires débouchent sur des projetsconcrets, étant donné la suspicion dugouvernement à l ’égard des activitésétrangères en Égypte et les conditionsadministratives particulières stipulées par lesdonateurs.

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Les élections parlementaires égyptiennes –les premières depuis 60 ans – ont eu lieu etles résultats définitifs, qui ont attribué pasmoins de deux tiers des sièges aux partisislamistes, ont été annoncés fin janvier 2012.Ces partis politiques ont-i ls fait de laréhabil itation des quartiers informels unepriorité ? Dans quelle mesure les grandspartis ont-i ls élaboré des programmes dedéveloppement et évoqué les questions delogement et d’aménagement urbain ? Selondes articles de presse parus en novembre2011, les principaux points des programmesélectoraux étaient les suivants : le parti desÉgyptiens libres (le Bloc égyptien) appelaitl’État à s’engager à fournir des logements àtous les citoyens (i) en empêchant l ’Étatd’effectuer des opérations immobilières ; (ii)en modifiant la loi afin de mettre un termeau monopole dans les secteurs l iés aulogement comme l’acier et le ciment et (iii)en fournissant des logements aux pauvres.Le parti Al-Nour, qui concentre près de 25 %des sièges au parlement, prévoyait lafourniture de logements économiques pourles jeunes mariés et les habitants desbidonvil les et des quartiers pauvres dansl’ensemble du pays. Le parti Liberté et justice,qui a recueilli 45 % des sièges, préconisait deremplacer les subventions aux biens etsecteurs l iés au logement par des aidesdirectes aux habitants pour le financement

de leur logement ; i l appelait aussi àrestructurer les quartiers de bidonvilles pouren faire des espaces de vie adaptés. Enfin,l ’All iance populaire socialiste (coalition LaRévolution continue) présentait des projetsnon lucratifs nationaux à grande échelle afinde proposer des logements à prix abordableaux jeunes et aux pauvres, de restructurer lesbidonvilles et d’empêcher les évacuationsforcées (à moins que l’État ne propose desalternatives acceptables).

Tous ces programmes étaient teintés depopulisme et impliquaient des politiques dulogement plus équitables, reposantessentiel lement sur la fourniture delogements subventionnés. I ls étaienttoutefois très peu précis et leurs propositionss’écartaient très peu de ce que prônaitl’ancien régime. Seules les coalitions Libertéet justice et La Révolution continueappelaient expressément à la restructurationdes bidonvilles (c’est-à-dire sans doute les‘ashwa’iat), encore que « restructuration »soit un terme vague qui peut avoir denombreuses significations. Enfin, aucun desgrands partis ne mentionnait le Grand Caireet ses multiples problèmes. Seul le temps,donc, dira comment les partis qui formentd’importants blocs au nouveau parlementles régleront, pour autant qu’ils le fassent.

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3.6. Les quartiers informels : une nouvellepriorité pour les partis politiques ?

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Depuis la révolution, on observe une forteaccélération des activités de constructiondans les quartiers informels du Grand Caireaccompagnée de la création de comitéspopulaires, ainsi qu’un accroissement de lasolidarité et de l’action communautaire. Maisces évolutions ont-elles retenu l’attention dugouvernement de transition ou même desprofessions concernées ? Les besoins deréhabilitation de ces quartiers et d’amélio -ration de la vie de millions d’habitants ont-ilsété au moins formulés, comme le requièrentla justice sociale et les autres valeurs de la

révolution ? Jusqu’ici le silence est presqueassourdissant.

La Banque mondiale prépare actuellementun projet destiné à amener tous les partis àétudier sérieusement un programme deréhabil itation complète des quartiersinformels du Grand Caire (Abdelfattah et al .,2011). Reste à voir, compte tenu desdifficultés financières du pays, si cetteinitiative parviendra à éveil ler l ’ intérêt dunouveau gouvernement.

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Conclusion

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ABDELFATTAH, H., M. EL SHORBAGI ET D. SIMS (2011), Building a Platform for Urban Upgradingin the Greater Cairo Region, projet de document d’orientation non publié, Banque mondiale.

AGENCE CENTRALE POUR LA MOBILISATION PUBLIQUE ET LA STATISTIQUE (DIVERSES ANNÉES) ,Recensement de la population et des logements, Le Caire.

GTZ ET GOUVERNORAT DU CAIRE (2001), Manshiet Nasser Guide Plan, Analysis of ExistingSituation , rapport non publié du projet « Participatory Urban Development of ManshietNasser ».

JENKS, M. ET R. BURGESS (DIR. PUB.) (2000) , Compact Cities: Sustainable Urban Forms forDeveloping Countries, Spon Press, Londres.

SIMS, D. (2010) , Understanding Cairo: The Logic of a City out of Control, The AmericanUniversity Press in Cairo, Le Caire.

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Bibliographie

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Actionsen

évaluation

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4. Le programme « Villes sansbidonvilles » au Maroc : un bilan

social questionné dans un contexteurbain sous tension

Olivier Toutain avec la collaboration de Virginie Rachmuhl (GRET)

IntroductionMême si le Mouvement du 20 février, “version marocaine” du printemps arabe a fortementmarqué l’année 2011, la contestation n’y a pas atteint l’ampleur d’autres pays de la région. Lesmobilisations populaires qui ont récemment touché le royaume ont fait remonter les tensionsprofondes l iées au chômage et aux diffici les conditions de vie d’une populationmajoritairement jeune et sans perspective. La lecture de ces événements montre que lesrevendications ont principalement porté sur l’emploi, la justice sociale, la corruption, etc., enreléguant au second plan des questions telles que l’accès aux services sociaux ou le logement,contrairement à ce qu’a pu connaître l’Algérie voisine.

L’habitat « insalubre » et le bidonville sont pourtant une réalité du pays confronté à un déficitimportant de logements sociaux dans ce domaine. Un temps stoppé puis relayé par « l’habitatnon réglementaire », le développement des « bidonvilles » a repris pendant les années desècheresse. Les attentats de 2003 à Casablanca vont impliquer le retour d’une forte régulationpublique et la mise en place de moyens sans précédents. Le Programme « Villes sans bidonville »(PVSB), qui en est la forme ultime, est initié en 2005 au lendemain de l’accession au trône duroi Mohammed VI avec pour objectif affiché d’éliminer définitivement cette forme d’habitaten milieu urbain. Il concerne 324 000 ménages (soit 1,6 million d’habitants) dans plus de millequartiers répartis dans 85 villes, dont près du tiers concentrés dans la seule agglomération deCasablanca. Le PVSB s’est donné pour objectif d’éliminer l’ensemble des bidonvilles en milieuurbain en référence à la déclaration du Millénaire pour le développement[25] et avec l’appui denombreux bailleurs de fonds et d’acteurs de la coopération. Prévu initialement sur la période

[25] Objectif 7 de la cible 11 de la déclaration du Millénaire pour le développement : « parvenir d’ici 2020 à améliorer lavie d’au moins 100 millions d’habitants de taudis ».

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[ ] ©AFD / Quartiers informels d’un monde arabe en transition - Réflexions et perspectives pour l’action urbaine / Juin 201392

2004-2008, son horizon a été reporté à 2010, puis à 2012. La mise en œuvre et le suivi duprogramme, dont le coût est de 25 Md MAD (2,25 Md EUR) ont été confiés au MHUAE et àl’aménageur public Al Omrane. Il a aujourd’hui permis de déclarer 43 villes sans bidonvilles etde résorber près de la moitié des baraques recensées.

En 2008, Al Omrane a engagé une étude d’impact économique et social du Programmed’appui à la résorption de l’habitat insalubre et des bidonvilles (PARHIB), financée par l’AFD[26]

et destinée à apprécier les dynamiques de changement au sein des populations concernées etla contribution (ou non) de l’action à l’amélioration de leurs conditions d’existence. Le PARHIBa concerné quinze opérations du PVSB et près de 50 000 ménages bidonvillois répartis danscinq vil les (Agadir, Ain el Aouda, Berkane, Casablanca et Kénitra) et, en particulier, lerelogement du « karian Thomas » [27] (en banlieue est) à Casablanca, d’où étaient issus leskamikazes impliqués dans les attentats de 2003. Ce texte propose de discuter des premiersrésultats de l’évaluation du PVSB et remet en perspective les avancées positives et négativesdans le contexte du printemps arabe (Mouvement du 20 février).

[26] Concours financier au holding Al Omrane de 50 M EUR.

[27] Cette opération, qui touche 8 400 familles, comporte un volet de relogement d’une partie des habitants sur place etun autre de résorption/déplacement d’une autre partie sous forme de « recasement » (ce terme désignant, au Maroc,les interventions consistant à céder aux bidonvillois des lots d’habitat qu’ils valorisent ou construisent eux-mêmes parla suite).

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Le bilan à l ’ issue de la première enquêted’impact est contrasté (les résultats de laseconde enquête ne sont pas encoreconnus). Certains aspects ressortent commepositifs, d’autres négatifs, d’autres enfinapparaissent mitigés ou peu concluants.

4.1.1. Une étude d’impact inédite auMaroc : éléments de méthode

Cette étude, confiée au groupement GRET-AREA, a constitué une première au Maroc,tant par sa nature que par son ampleur. Si desévaluations sur des dimensions opération -nelles, voire parfois sociales, ont été réalisées,peu de travaux et de connaissances existentsur l’impact des interventions une fois celles-ci achevées. Ce questionnement, qui va bienau-delà du suivi quantitatif du PVSB mis enplace par les responsables du programme(essentiel lement à travers les critères dedémolition de baraques et d’unités derelogement produites), a donné lieu à unedémarche méthodologique prenant encompte les divers aspects de la vie desménages (accès au logement, aux servicesurbains et sociaux, à l’emploi, à la mobilité,liens sociaux et familiaux, etc.), la diversitédes opérations, de leur état d’avancement,ainsi que des contextes d’intervention.

Plusieurs choix méthodologiques ont étéarrêtés :

- situation d’impact post opérationnelqualifiée à travers une comparaisonavant/après : l’étude a été réalisée sur les

sites de relogement après la réinstallationdes ménages en situation d’impactimmédiat ou à court/moyen termes. Lespremiers bidonvilles ont été déplacés en2005, une période moyenne de 4 ans s’estécoulée depuis la l ivraison des lots auxbénéficiaires. L’approche a donc consistéen une comparaison avant/après (i.e. aubidonville / au site de relogement) de lasituation des ménages ;

- impacts social, économique et urbain : lechoix a été fait de ne pas limiter l’analyseau logement stricto sensu , mais d’intégrerl’ensemble des dimensions liées à l’habitat,en particulier le développement écono -mique et social, la vie sociale, la mobilité ;

- double approche quantitative etqualitative : le travail de terrain acombiné deux enquêtes ménages réaliséesà plus d’un an d’intervalle ( la secondeayant eu lieu fin 2011) sur un échantillonreprésentatif (15 à 20 %) de la populationsur le site d’accueil ; des entretiensindividuels et groupés ont également étéconduits auprès de personnes ressourceset des habitants.

La mise en œuvre de l’étude a toutefoisrencontré plusieurs difficultés, notamment lagrande hétérogénéité des situations, desopérations, de leur état d’avancement (pourcertaines, le déplacement des bidonvil loisn’avait pas été effectué), ce qui a compliquéle travail sur le terrain. Les échelles desopérations évaluées sont en effet très

Juin 2013 / Quartiers informels d’un monde arabe en transition - Réflexions et perspectives pour l’action urbaine /©AFD [ ]93

4.1. Un bilan contrasté à l’issue de la première enquête

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variables : de moins de 200 ménages à 3 500.Les populations enquêtées sont issues decontextes très contrastés, d’un point de vuesociospatial (entre les douars ruraux à Ain elAouda[28] et les grands bidonvilles urbains àCasablanca, avec des situations inter -médiaires) et socioéconomique (employésdes industries de la mer et de la pêche àAgadir, ouvriers et manœuvres des usines àCasablanca, etc.) Les sites d’accueil pour lerelogement sont eux-mêmes très dissem -blables avec des opérations en périphérieurbaine, d’autres plus intégrées à la ville. Lesmodes d’intervention ont également étéextrêmement divers : « recasements » surplace ou déplacements sur des sites ex nihilo,relogement sur des lots auto construits, oudans des logements en habitat collectif. Uneautre difficulté a été l’absence d’une base desondage uti l isable pour déterminerl’échantillon quantitatif représentatif. Enfin,le biais des « absents » (seulement un peuplus d’un attributaire sur deux en moyenneinstallé sur les sites au moment de lapremière enquête) donne des résultatspartiels. La première enquête ménage a ainsiété conduite exclusivement auprès debénéficiaires présents sur les sites d’accueil,les « absents » n’ayant pas été représentés dufait de l’inexistence de suivi des familles aprèsla démolition de leur baraque.

L’étude d’impact a enfin été guidée par unensemble d’hypothèses sur les effetssupposés des interventions et structuréeautour des huit volets suivants : glissement[29]

et ciblage des interventions ; conditions de

logement ; emploi et activité ; intégrationurbaine et relations sociales ; financement dulogement ; accès à la propriété foncière ;pratique de la copropriété ; mobilité.

4.1.2. Les aspects positifs issus del’évaluation

• Un impact positif incontestable sur lesconditions de logement des ménages

Les ménages relogés voient dans leur trèsgrande majorité s’améliorer leur espace devie, leur confort et leurs conditions sanitairespar rapport aux bidonvilles. Cette évolutionest plébiscitée par les familles au regard de lasituation de précarité et à l ’ insécuritéprécédentes. El le marque l’ importance, àleurs yeux, d’un logement en dur et d’un« toit sur la tête » même non fini (« andnal’dalla dabba[30] »). Elle est l’aboutissementd’une attente parfois très longue et l’espoird’une ascension économique et sociale, lelogement étant un espace d’investissementmatériel et symbolique important. L’amé -l ioration des conditions de logement desfamilles déplacées sur les sites de relogementse traduit par :

- une augmentation de la surface habitabledes logements qui passe en moyennede 57 à 63 m2 ;

- une progression de l’ indicateur desconditions de sommeil : moins de 2 % desfamilles continuent à dormir dans la mêmepièce contre 38 % auparavant ;

[ ] ©AFD / Quartiers informels d’un monde arabe en transition - Réflexions et perspectives pour l’action urbaine / Juin 201394

[28] Chef-lieu de commune rurale située à 30 km de Rabat.

[29] Le glissement signifie la revente d’un lot ou d’un logement VSB par l’attributaire bidonvillois.

[30] « Maintenant, on a une dalle ».

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- une amélioration de la configuration deslogements à travers l’apparition des salonset des cuisines indépendantes ;

- une progression importante de salles debains modernes et des éléments deconfort (réfrigérateurs, cuisinières,machines à laver) ;

- une amélioration des services de base àdomicile (eau, électricité, assainissement).

Entre le bidonville et le nouveau logement : ...

- le nombre de logements dotés de salonspasse de 42 à 86 % et le nombre delogements dotés de cuisines indépen -dantes de 81 à 96 % ;

- le taux d’accès à l’électricité évolue de 48à 71 %, à l’eau potable de 21 à 84 % et àl’assainissement de 22 à 99 % ;

- les salles de bains modernes progressentde 2 à 49 % ;

- le nombre de logements dotés deréfrigérateurs, cuisinières et machines àlaver passe respectivement de 38 à 61 %,51 à 66 % et 17 à 26 %.

Cette amélioration est constatée dès lepremier passage en dépit de logementssouvent inachevés et de conditionsd’instal lation souvent diffici les. El le esttoutefois inégale selon les sites. La baisse deplusieurs indicateurs de confort oud’appréciation du logement dans certainsd’entre eux reflète la situation de transitionet les difficultés rencontrées notamment parles familles démunies ou les grands ménages,

ainsi que de nombreux conflits avec les tiersassociés à Casablanca.

• Un sentiment majoritaire de promotionsociale et d’optimisme

Les ménages expriment indéniablement unsentiment de promotion sociale l ié aupassage de la baraque et son « toit en tôle »,vulnérable et fragile, au « logement » en dur,en « béton armé ». De même, être « dans unquartier comme tous les autres », et ne plusêtre dans un « karian », un « bidonville »,... neplus être un bidonvillois contribue à un fortsentiment d’élévation sociale.

L’optimisme et l ’espoir que « les chosess’améliorent » est majoritaire, indépendam -ment des situations objectives et desdifficultés du présent. Beaucoup rappellentle fait que l’accès à un logement légal et endur représente un projet de très longuehaleine qui justifie les « souffrances » vécuesau bidonville et « le prix à payer ». Ce constatne doit pas faire oublier le sentiment derésignation, de révolte ou d’angoisse exprimépar d’autres, lié au poids de l’endettement(voire même les maladies ou les décèsattribués au stress et à la surcharge de travail).

• Le succès de l’expérience « tiers associé »à Essalam (Casablanca)

L’opération de relogement des habitants desbidonvilles Thomas et Skouila, à Casablanca(opération Essalam), grâce au levier definancement généré par la formule du « tiersassocié », a permis à plus de 60 % desménages, en particulier les plus démunis, dedevenir propriétaires d’un logement sanss’endetter ou sans avoir à revendre leur« bon » [31]. L’opération de Casablanca se

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distingue des autres interventions : elle a étéconçue de façon à reloger deux familles surun même lot dans des immeubles à quatreétages (R+3) à travers un dispositif definancement des habitations impliquant un «tiers associé » : les deux ménagesattributaires (appelés binôme) ont lapossibil ité de s’associer avec une tiercepersonne (promoteur, investisseur, accédantà la propriété...) et passent un contrat danslequel ce dernier s’engage à financer etréaliser la construction des logements desdeux famil les bidonvil loises en échange

d’une partie des mètres carrés de plancherréalisés.

Malgré les problèmes rencontrés entre lesattributaires et le tiers associé, ce dispositifd’association, aujourd’hui étendu aux autresopérations de relogement de Casablanca, estconsidéré comme une expérienceparticulièrement originale, alors que lefinancement du logement apparait dansl’étude comme l’une des plus grandesdifficultés des familles.

[ ] ©AFD / Quartiers informels d’un monde arabe en transition - Réflexions et perspectives pour l’action urbaine / Juin 201396

[31] Bon nominatif octroyé par Al Omrane au ménage bénéficiaire d’une opération de résorption.

Succès du dispositif de financement du logement via le « tiers associé » à Casablanca

Droits : O. Toutain (2010).

15Photo

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4.1.3. Les aspects négatifs quiressortent de l’étude

• Les opérations parviennent difficilementà toucher leur cible

Un peu plus d’un lot sur deux[32] est occupéou construit au moment de la premièreenquête[33]. Ce bilan, qui recouvre une grandediversité de situations, témoigne desdifficultés de certaines opérations [34] àatteindre leur cible, ce qui pose la questionde l’efficacité et de l ’adéquation desréponses publiques apportées. Ce bilan estle résultat d’arbitrages effectués par lesménages entre plusieurs éléments : l’analysede leur situation (en particularité despossibil ités qu’i ls ont de financer laconstruction) et de ses perspectivesd’évolution (positive ou négative), lesavantages ou contraintes associés auxopérations (localisation et attractivité du sited’accueil, niveau d’équipements, typologiede logement, contraintes administratives), lesprix de revente, les alternatives possibles.

Les enquêtes qualitatives effectuées dans lavil le d’Agadir confirment la présence denombreux ménages en dehors desopérations, en phase de transition oud’attente. Ces ménages ont dû trouver unlogement temporaire (souvent en location,parfois en propriété) plus ou moins prochede leur point de départ. Les entretiensqualitatifs effectués montrent qu’une partied’entre eux est souvent dans l’incapacité de

financer son logement, face à des situationsde précarité économique et sociale (chefs defamilles malades, femmes seules veuves oudivorcées. . . ) . Leurs revenus sont en effetsouvent insuffisants ou trop irréguliers pouraccéder au crédit bancaire (beaucoupd’entre eux ont des emplois de journaliersou de saisonniers liés au port et à la pêche).Le coût du déménagement et les frais delocation et de paiement des services dans lelogement transitoire ont en outre fragiliséleur situation financière au regard de leurcondition précédente. Une autre catégoriede ménages déclare ne pas souhaiter ouvouloir construire, soit du fait de litiges oude désaccords entre les membres de lafamille ou entre des ménages en copropriétésur le lot attribué, soit parce qu’ils attendentl’amélioration de l’équipement du quartier.L’enquête auprès de ménages « absents »des sites d’accueil à Agadir a ainsi faitressortir différents cas de figure : certains ontchoisi de revendre ou ont échangé leur lot,d’autres ont dû le faire par contrainte,d’autres enfin ne le souhaitaient pas maisn’avaient pas les moyens de construire etrisquaient ainsi de « gl isser » par le bas.L’étude d’impact n’a pas permis dequantifier ces phénomènes, faute de suivipar l’opérateur public des personnesattributaires après la démolition de leurbaraque. De nombreux témoignages dereventes ou de glissements montrent qu’il ya également des glissements « par le haut »,certains non-ayants droits ayant obtenu deslots dans des conditions peu transparentes.

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[32] 45 % de lots valorisés en septembre 2010.

[33] Sur certaines autres opérations, les « taux de valorisation » élevés montrent qu’elles ont bénéficié de conditionsd’appropriation a priori beaucoup plus favorables.

[34] Sur certaines opérations, des « taux de valorisation » élevés montrent qu’elles ont bénéficié de conditionsd’appropriation beaucoup plus favorables.

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Cette forme de glissements, qui a pu opérerà des degrés divers, reste toutefois trèsdifficile à quantifier du fait de l’opacité deses mécanismes.

• Des obstacles à l’intégration urbaine etsociale

En dépit d’une amélioration du logement,sur presque tous les sites, les famil lesexpriment leur mécontentement sur leursconditions d’habitat [35] et leur intégrationdans leur nouveau lieu de vie. Les causes decette insatisfaction sont dues :

- au faible niveau de réalisation deséquipements sociocollectifs (moins duquart des équipements prévus [36]) et dequartier (four collectif, hammam, crèches,garderie...) ;

- aux problèmes de fonctionnement et degestion lorsqu’ils ont été réalisés ;

- à l’inachèvement des voiries ;

- à un éclairage public la plupart du tempsdéfaillant ;

[ ] ©AFD / Quartiers informels d’un monde arabe en transition - Réflexions et perspectives pour l’action urbaine / Juin 201398

Difficile intégration des habitats en l’absence des équipements sociocollectifs et de quartier :fours à pains traditionnels en terre sur le site d’Ain el Aouda

Droits : O. Toutain, 2011.

16Photo

[35] C’est-à-dire l’ensemble des dimensions constituant l’habiter (logement, quartier, équipements).

[36] A l’exception de l’opération de relogement de karian Thomas, « Essalam » à Casablanca où d’importants moyensfinanciers ont permis de réaliser les équipements publics.

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- à un environnement souvent dégradé, lesordures n’étant pas (ou pas toujours)ramassées ;

- à l’absence d’espaces verts et d’espacespublics aménagés ;

- à une desserte en commerces et servicesen général très réduite[37].

Cette détérioration est vécue au regard de lasituation antérieure : « avant, c’étaitmieux.. . », « on avait tout, tout près... ». Laplupart des bidonvilles, malgré leur précarité,étaient intégrés dans la vi l le et situés àproximité des équipements et des services,notamment les plus anciens (Casablanca,Kénitra, Agadir). L’arrivée dans le nouveaulieu de vie bouleverse l’organisation de la viequotidienne des familles (gestion du budget,

usages du logement, relations de voisinage,perte des repères habituels, difficultés descolarité pour les enfants...) . Dans cecontexte, les habitants vivent mal l’isolement,l’insuffisance des infrastructures sociales etdes services publics, le manque de transport,la privation d’éclairage public (fortement liéeau sentiment d’insécurité), l’absence du souktraditionnel[38] et du facteur. Cette situationest vécue d’autant plus difficilement qu’ilsont le sentiment qu’elle dure depuis troplongtemps, ceux-ci étant souvent installésdepuis plusieurs années.

Sur le terrain est également ressorti toutel’importance de la relation à l’espace et desreprésentations mentales du nouveauquartier. Les discontinuités spatiales et/outopographiques (la montée – « akba » –séparant le site de relogement de karian

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[37] Donnée moyenne qui ne reflète pas les écarts entre certaines opérations.

[38] Marché traditionnel.

Plateau de Taddert à Agadir (17) et « montée » séparant le site de relogement de karianThomas à la ville de Casablanca (18)

Droits : O. Toutain, 2011.

Photos 17 et 18

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Thomas à la ville de Casablanca [cf. photo 18]ainsi que le plateau de l’opération Taddert àAgadir [photo 17] comparé par les habitantsà « Kandahar ») sont apparues comme desobstacles, autant physiques que psycho -logiques, qui al imentent un sentimentd’isolement et de relégation urbaine.

• Des conséquences importantes sur lamobilité des ménages dans certainesopérations

Des évolutions importantes sont observéesaprès le transfert dans les opérations les pluséloignées et situées en périphérie urbaine(Agadir, Casablanca, Berkane), où la part desdéplacements à pied et en bus régressefortement. Ceci entraîne une augmentationproportionnelle des budgets de transport(taxis, motos) des ménages. L’éloignementdes sites et l’absence de transport public aun impact négatif sur la mobilité sociale desfamil les, notamment des femmes et desjeunes (scolarité, alphabétisation, santé,loisirs), même si l’enquête n’établit pas delien apparent entre l’accessibilité et l’activitédes chefs de ménages[39]. Ceci est toutefoisatténué par l’existence du transport informel,qui permet d’effectuer les déplacementsindispensables. L’absence de transport publicest enfin perçue comme une contrainte quial imente le sentiment d’isolement deshabitants.

4.1.4. Des résultats mitigés issus del’évaluation

• Un impact inégal sur les situationsfinancières des ménages

L’impact du déplacement sur la situationfinancière des ménages ne montre pas detendance générale mais des situationsdiversifiées selon les sites, les caractéristiquesdes opérations, les dynamiques profession -nelles et les ressources des ménages. Lesentiment dominant d’une compression desmarges de manœuvre financières tient àl’apparition de nouveaux postes budgétaires,notamment l ’emprunt immobil ier pourfinancer l’habitation ainsi que les facturesd’eau et d’électricité. Les ménagesexpriment souvent le sentiment d’unedégradation par rapport au bidonvil le, oùtout pouvait être consommé, et regrettentde n’avoir pas été mieux préparés auchangement. L’absence de convergence desindicateurs nuance ce constat et fait ressortirune certaine dissonance quant àl’amélioration ou la détérioration du niveaude vie des famil les consécutivement aurecasement.

• Un impact sur l’emploi a priori modéré

En dépit de l ’hypothèse de départ [40],l’impact des déplacements semble globale -ment assez peu significatif sur l’emploi desactifs, même si les enquêtes quantitatives neparviennent pas à traduire avec précision lesévolutions de nature plus qualitative. Le taux

[ ] ©AFD / Quartiers informels d’un monde arabe en transition - Réflexions et perspectives pour l’action urbaine / Juin 2013100

[39] Selon l’enquête, les déplacements ne se font pas au détriment des emplois des chefs de ménage ; les entretiensqualitatifs mentionnent en revanche des pertes d’emplois féminins.

[40] L’hypothèse de départ était que les déplacements dans des sites éloignés, dépourvus de transports publics et où lescommerces ambulants ainsi que les commerces en rez-de-chaussée étaient interdits, pourraient avoir un impact négatifsur les taux d’emploi et les activités économiques.

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de chômage est faible en général dans lesopérations, presque partout inférieur à lamoyenne nationale en milieu urbain[41]. Lesattributaires n’ont pas d’autre choix que deconserver leur emploi dans des économiesfamiliales le plus souvent fondées sur un actifunique, fragiles et particulièrement sensiblesà la maladie et aux accidents du travail. Lescharges supplémentaires supportées pour laconstruction et le paiement des services neleur laissent par ailleurs guère le choix. Cetteapparente stabil ité de la structure des

emplois vaut aussi au sein des catégories detravailleurs les plus exposées telles que lesvendeurs ambulants, particulièrementnombreux sur les sites de l’axe métropolitain(Casablanca, Kénitra où i ls représententpresque le tiers des actifs) . Malgré lesinterdictions, ils semblent avoir résisté.

L’hypothèse initiale ne semble pas confirméepar l ’enquête. Les conclusions doiventcependant rester prudentes car ledéplacement n’est qu’un facteur parmi

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[41] Chômage en milieu urbain à l’échelle nationale de 15,7 % en 2008.

Diversité d’accès au logement en fonction de la situation des ménages : logements construitset finis à 2 ou 3 étages (19 et 20) ; construction à coût minimum à RDC (21) ; ménagesencore en « baraque » sur leur lot (22).

Droits : O. Toutain, 2011.

Photos 19, 20, 21 et 22

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d’autres susceptibles de jouer sur l’emploides familles. Indépendamment du déplace -ment, des signes d’impact de la crise sontperçus sur certains emplois, notammentdans le secteur du bâtiment, ce qui pourraitfragiliser une partie des travailleurs, notam -ment lorsqu’ils se sont endettés.

• Une offre de relogement insuffisammentdiversifiée

L’analyse d’impact a été faussée sur cettequestion du fait du biais des « absents » etde la probable surreprésentation sur les sitesdes ménages des plus solvables. Sur chacund’entre eux, se retrouvent à des degrésvariables des ménages pauvres ou insolvablesen situation de précarité économique etsociale pour qui aucune solution definancement n’est adaptée. Certains louentdans l ’attente d’une solution ou d’unerevente ; d’autres sont déjà instal lés maisn’ont pas pu démarrer ou achever laconstruction de leur logement.

Pour ceux qui ont plus de possibil ités,l ’enquête conforte les connaissancesacquises sur le sujet : les ménages mobilisentune diversité de ressources et de moyens,notamment les fonds propres et les prêtsfamiliaux qui demeurent prépondérants. Lacontribution du crédit bancaire aufinancement du logement reste faible (unpeu moins du cinquième des ménages), cequi traduit les difficultés de pénétration ducrédit hypothécaire. L’endettement ressort

comme une contrainte majeure et unesource d’inquiétude – voire d’angoisse – faceaux échéances de remboursement. Cettesituation comporte le risque de voir lesimpayés s’accumuler et les difficultés derecouvrement s’accroître, un phénomèneque l’on observe déjà dans plusieurs villesdans un contexte social particulièrementsensible à ces aspects.

• Des appréciations contrastées surl’importance du titre foncier

L’enquête ne permet pas de dégager detendances ou de conclusions sur l’impact del’accès à la propriété foncière. Ceci vient enpremier lieu du très faible taux de délivrancedes titres fonciers (seul un quart desattributaires installés en dispose lors de lapremière enquête) [42]. Pour ceux qui ontconstruit, le titre foncier n’a pas partout lamême importance : pour certains ménages,posséder « ses papiers » est essentiel etgénère un sentiment de sécurité au regarddu statut d’occupation précédent ; pourd’autres, c’est l ’assurance de léguer unpatrimoine à leur descendance. D’autresencore ne se sentent pas menacés par unrisque d’expulsion[43] et n’ont pas besoin dutitre à court terme. I ls repoussent sonpaiement à plus tard, priorisant, dansl’immédiat, la construction et la finition dulogement. L’absence de titre foncier nesemble pas constituer un frein pourrevendre, acheter ou échanger des lots parle biais de filières informelles.

[ ] ©AFD / Quartiers informels d’un monde arabe en transition - Réflexions et perspectives pour l’action urbaine / Juin 2013102

[42] Du fait de leur indisponibilité pour des raisons administratives, du coût à payer pour son obtention, du désintérêtd’une partie des ménages lorsqu’ils sont disponibles, etc.

[43] Hormis le risque, réel pour certains, de perdre leur logement faute de pouvoir rembourser leur crédit.

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Remis dans le contexte du Mouvement du20 février, les effets du programme ont-ilsconcouru à calmer les esprits ? Ou bien lesrésultats mitigés et les l imites de l’actionpublique ont-i ls échoué à freiner lesrevendications ?

4.2.1. Un programme qui produit del’inégalité sociospatiale

Les résultats de l’étude mettent en lumièreun paradoxe important : en dépit d’uneindéniable amélioration des conditions delogement, les ménages sont souventconfrontés à une détérioration de leursconditions de vie, au bouleversement del’organisation de leur vie quotidienne, àl’affaiblissement de leurs liens sociaux et àl’incapacité de s’insérer dans les quartiers oùils ont été déplacés.

Ces difficultés, variables selon les contextes,tiennent à l’éloignement et l’enclavementphysiques de certains sites d’accueil , audéficit généralisé d’équipements socio -collectifs de proximité, à une offre deservices publics inadaptée, au caractèreinachevé des opérations et à l’affaiblissementdes réseaux sociaux. Elles sont amplifiées surles sites où les enjeux sociaux sont les plusimportants (concentration de population, deménages pauvres, de jeunes sans emploi,mixité sociale réduite, etc.) et où lesconditions d’intégration posent le plus de

problèmes (certaines opérations VSB,comme celles d’Agadir, sont prévues pourune population à terme de 100 000habitants, dont le tiers de ménagesbidonvil lois, soit la tai l le d’une vil lemoyenne).

Les difficultés soulignent, enfin, les limitesdes opérations de résorption de bidonvillesqui contribuent aux inégalités territoriales etalimentent un sentiment de relégation, aurisque de compromettre l’objectif d’inté -gration sociospatiale de ces nouveauxquartiers, voire d’y encourager des phéno -mènes de repli sur soi et d’enfermement.

4.2.2. Des familles relogées : entreespoir et possible contestation

Ces éléments renvoient à la dimensionpolitique des opérations, à leur finalité et àleur contenu social . I ls interrogentl’opportunité de concentrer des ménagesmodestes, cumulant des difficultéséconomiques et sociales, dans des quartierssitués loin de leur l ieu d’emploi et desréseaux de sociabilité. Alors que la stratégiede résorption des bidonvil les au Maroccontinue à être animée par des dynamiquescentrifuges, les mobilisations sociales et lescontestations dans les villes rappellent, dansle sillage du printemps arabe, l’étendue desattentes sociales et l ’ impatience d’unejeunesse sans emploi et sans perspective.

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4.2. Le programme dans le contexte du printemps arabe :

un moyen de calmer les esprits ?

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Sur le terrain des enquêtes, le sentimentdominant est que les famil les relogéesn’expriment pourtant pas leur ressentimentpar de la colère ou une volonté de rupture.El les manifestent en général beaucoupd’espoir quant à l’évolution de leur situation,en dépit des difficultés et des tentativesd’instrumentalisation extrémiste ou popu -liste de cette situation. On perçoit bien à quelpoint i l est important de ne pas laisser lasituation se détériorer et il est urgent que lespouvoirs publics et les acteurs dudéveloppement humain engagent, sur leterrain, un travail d’accompagnementéconomique et social.

L’absence d’une partie des ménages sur lessites d’accueil interroge, enfin, sur le ciblagedes interventions, l’efficacité et l’adéquationdes approches adoptées pour identifier lesfamil les et leurs attentes , les processusd’intervention, l ’offre de logements etl’attractivité des sites. Les réponsesapportées sont trop standardisées face à dessituations démographiques, sociales etéconomiques très diversifiées. Ceci entraînedes gl issements « par le bas » : denombreuses familles ne peuvent s’installersur les opérations ou se paupérisent une foisréinstal lées, même si l ’expérience definancement du tiers associé à Casablancamontre que des solutions existent.

4.2.3. Derrière le bilan quantitatif, lanécessité d’expérimenterd’autres réponses que ladémolition

Depuis son lancement, le PVSB peut avancerun indéniable bilan quantitatif : plus

de 174 000 baraques de bidonvil les ontdisparu du paysage des vi l les et despériphéries marocaines. Au-delà de ceschiffres, l’étude d’impact des opérations duPARHIB fait toutefois ressortir un bilan socialmitigé et des enjeux qui interpellent lespouvoirs publics. La deuxième enquête, en2012-2013, sera l ’occasion de dresser unbilan plus abouti de la contribution de cesopérations à l’amélioration des conditionsd’existence des familles cibles, et de vérifierl’évolution des situations depuis la premièreenquête. On mettra cette question enperspective en transposant les propos dusociologue Henri Coing au sujet de larénovation urbaine en France dans lesannées 1960 à l’action engagée aujourd’huien Maroc pour rappeler que : « la résorptiondes bidonvilles, c’est à la fois changer delogement mais, en changeant de logement,c’est aussi changer de vie »[44].

Au-delà des efforts engagés dans cettedirection, la question de l’accès au logementet de la prévention de l’habitat insalubre ouprécaire reste une question très sensible.Agadir, déclarée « villes sans bidonvilles », estl’illustration de la crise du logement urbain,en particulier pour les catégories socialesdémunies, et d’un redéploiement du marchéinformel et de ses acteurs. Alors qu’elle enfinissait avec les bidonvilles, la capitale duSouss a dû faire face en 2012 à d’importantespoussées d’habitat non réglementaire depuisle printemps arabe dans un contexte dedesserrement du contrôle sur le terrain. Larecrudescence de ce phénomène met ànouveau en avant les difficultés des pouvoirspublics à répondre à la demande desnouveaux ménages, qui reste encore très

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[44] A l’occasion de ses travaux sur la rénovation urbaine en France dans les années 1960 (cf. Coing , 1966).

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forte au Maroc, en particulier pour ceux quine peuvent accéder à l’offre régulière. Pourrelever ce défi, d’autres réponses devrontêtre apportées que les démolitions massivesrécemment effectuées dans ces quartiers (cf. photo 23). A défaut, le pays risquera une

aggravation du malaise et des attentessociales et une intensification desmouvements de contestation, voire deviolence, dans des quartiers et parmi desgroupes sociaux qui ont décidé derevendiquer leurs droits.

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Démolition à grande échelle dans la banlieue est de Casablanca

Droits : O. Toutain, 2010.

23Photo

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Les premiers résultats de l’étude d’impactdes déplacements sur les familles montrenttoute la difficulté à déclarer, de façontranchée, si la situation des ménages s’estaméliorée, tant ses déterminants sontcomplexes. Son évolution participe en effetde dimensions multiples (matériel les,immatériel les, économiques, sociales,psychologiques) diffici les à isoler. Lessituations ne sont, par ai l leurs, pashomogènes. L’impact diffère en fonction dessituations et des contextes, certains aspectsen contrebalançant d’autres, ce qui nepermet pas de rendre compted’une situation globale, objective etuniforme. Les enquêtes montrent unecertaine ambivalence des opinions et dessentiments des ménages. Les situations nesont en effet pas mutuellement exclusives etcontradictoires : on peut regretter la viesociale du bidonville et vouloir malgré touts’intégrer au nouveau lieu, tout comme l’onpeut aspirer à retourner vivre dans lebidonville, même si les conditions de vie ysont plus rudes. Le poids des représentationset des attentes fausse par ai l leurs laperception des habitants sur leur situationdans leur nouveau quartier.

En dépit de ces limites, plusieurs élémentsforts ressortent de la première enquête. Toutd’abord, l ’ impact est incontestablementpositif sur l’amélioration des conditions delogement des ménages, même si celui-cin’est pas égal pour tous. Ensuite, lesdifficultés sont rencontrées dans tous lessites d’accueil , et sont plus prégnantesencore lorsque les nouveaux lieux de vie sontsitués en périphérie urbaine et mal reliés à lavil le (contrairement à ceux localisés àproximité du bidonville d’origine). L’impact

est modéré sur les activités économiques etles emplois des chefs de ménage. Enfin, lesproblèmes de financement du logementsont importants pour les ménagesinsolvables (une forte part) qui ne peuventachever la construction de leur logement ouqui doivent revendre leur lot.

Au final, l’absence d’une partie des ménagessur les sites d’accueil pose le problème duciblage des interventions et du glissementdes famil les bénéficiaires mais égalementcelui de l’efficacité et de l’adéquation desapproches adoptées en termes d’identifi -cation des populations et de leurs besoins,d’offre de logements et d’attractivité dessites. Ce point souligne les difficultésd’adaptation des réponses apportées face àdes situations démographiques, sociales etéconomiques très diversifiées. Faute d’yparvenir, de nombreux ménages sortent desprojets VSB « par le bas » et ne parviennentpas à accéder aux opérations, ou sepaupérisent une fois réinstallées (même si,encore une fois, l’expérience de financementpar le biais des « tiers associés » à Casablancamontre que des solutions existent).

Force est de constater, donc, que leprogramme crée de l’ inégalité sociale etspatiale, avec des nouveaux quartiers derelogement inachevés et, pour certains,situés loin des villes-centres. Le bilan est parconséquent fragile et peut nourrir en raisonde ses l imites les contestations au Marocalors même que le PVSB était sensé lescalmer. Les modes d’action doivent ainsiévoluer : il faut en finir avec la démolitionsystématique des sites, inventer de nouvellesréponses urbanistiques et de relogement, etfaire évoluer l’ingénierie de projet.

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Conclusion

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COING, H. (1966) , Rénovation urbaine et changement social, L’îlot n° 4 (Paris 13e) , LesÉditions ouvrières, Paris.

GRET (2009), Compte-rendu du séminaire « Études d’impact : partir de leur diversité pourénoncer quelques principes de base », mars, direction scientifique et direction des Opérations,Nogent-sur-Marne.

HOLDING D’AMÉNAGEMENT AL OMRANE (2010), Etude d’évaluation et d’impact du programmed’appui à la résorption de l’habitat insalubre et des bidonvilles (PARHIB), Premier rapportd’impact , Rabat.

HOLDING D’AMÉNAGEMENT AL OMRANE (2008) , Bilan évaluation du dispositifd’accompagnement social dans les opérations de résorption de l’habitat insalubre , Rabat.

LE TELLIER J. ET A. IRAKI (DIR.), (2009), Habitat social au Maghreb et au Sénégal, gouvernanceurbaine et participation en questions , L’Harmattan, Paris.

MINISTÈRE DE L’HABITAT, DE L’URBANISME ET DE L’AMÉNAGEMENT DE L’ESPACE (2008), Nena UrbanForum, évaluation du programme “Villes sans bidonvilles”, synthèse de l’évaluation etrecommandations , janvier, Rabat.

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Bibliographie

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ZAKI, L. (2005), Pratiques politiques au bidonville , Institut d’études politiques de Paris.

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5. Le développement du réseau degaz naturel au Caire : une réformequi pénalise les quartiers informels

Jimmy Markoum et Eric Verdeil

IntroductionDans le monde arabe, la consommation de gaz naturel ne cesse de croître, non seulementpour la production électrique mais de plus en plus comme énergie domestique. Ainsi, profitantde la découverte de nouveaux gisements et de meilleures conditions économiques, plusieursprojets de développement du gaz naturel voient le jour dans des villes méditerranéennes, quece soit en Algérie, en Egypte, en Tunisie ou en Turquie. Cet essor du gaz naturel urbain estjustifié par des raisons environnementales (intensité énergétique supérieure, pollution ducharbon – cas de la Turquie – et danger du gaz de bouteille) mais aussi géostratégiques ouéconomiques (gisements nationaux), ainsi que industrielles (limiter les pointes électriques).Or, de tels projets de développement ont des implications sociales majeures.

Quand on pense aux services essentiels, on pense à l ’eau potable, à l ’assainissement, àl’électricité mais rarement au gaz. Pourtant, c’est une énergie domestique indispensable dèslors qu’elle est la seule source d’énergie utilisée en cuisine (les citadins égyptiens déclarent fairela cuisine au gaz à 99,6 %[45], et à plus de 90 % pour les ruraux). La généralisation de l’utilisationdes bouteilles de gaz, dès la fin des années 1970, a petit à petit remplacé en Egypte l’usage detoute autre énergie pour la cuisine [46]. Ainsi , lorsque qu’apparaissent des difficultésd’approvisionnement en bouteil les de gaz, notamment lors des pics de consommationhivernaux, elles entraînent systématiquement et très rapidement de graves crises sociales,

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[45] Source : Central Agency for Public Mobilization and Statistics - CAPMAS (2005), Living Conditions and Poverty Report.

[46] Et notamment des traditionnels réchauds à pétrole (bagour). L’électricité fait face, en cuisine, à la défiance tenace desménagères qui demeurent perplexes devant ses vertus calorifiques ; quant au bois ou au charbon de bois, parfoisencore d’usage en milieu rural, ils ont été largement abandonnés en ville.

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notamment chez les populations les plus défavorisées situées majoritairement au Caire dansles quartiers informels (Sims, 2010).

Autrement dit, la réforme du service urbain du gaz (substitution du réseau au service debouteilles) constitue pour les quartiers informels une promesse d’amélioration du service. Ledéveloppement d’un réseau de gaz urbain illustre la modernisation du service urbain, organiséde manière industrielle et visant une desserte universelle (Lorrain, 2002). Mais si l’accès augaz représente un service urbain essentiel, il ne faut pas oublier que son organisation reposesur l’articulation entre le réseau en cours de déploiement et le gaz de bouteille, qui demeureirremplaçable pour certains quartiers. La différenciation du service n’est pas contradictoireavec son universalité. Il convient donc de penser cette articulation entre plusieurs formes deservice, décrite sous la dénomination de « système composite » (Coutard, 2010 ; Jaglin 2007),alors même que l’extension du réseau introduit de nouvelles injonctions de la part desautorités publiques (notamment en termes de gestion du risque), en même temps qu’ilentraîne la naissance de nouveaux usages, de nouveaux équipements, de nouveaux calculspour les abonnés. Comme le déploiement des autres réseaux, le gaz transforme la géographieurbaine.

Ces enjeux sont explorés ici à partir du programme d’extension en cours du réseau de gaz auCaire (2006-2012) soutenu par la Banque mondiale. L’article vise à analyser les enjeux sociauxsoulevés par cette extension, notamment au regard de la question du développement dans leszones d’habitat informel. La question posée est notamment celle du rôle du réseau de gaznaturel comme vecteur d’équité sociale, à travers l’ introduction d’un combustible pluséconomique ayant vocation à équiper tous les quartiers. Le développement de ce réseauremet-il en cause la ségrégation sociale subie par les habitants des quartiers informels ? Lesrésultats, issus d’une recherche menée au Caire, au moment de la révolution de 2011, illustrentle malaise social qui a conduit aux soulèvements révolutionnaires et permettent de réfléchiraux limites du modèle de développement passé, en soulignant des contraintes et des impassesqui orientent le modèle de développement à mettre en œuvre dans la phase actuelle(Markoum, 2011 ; Ben Nefissa, 2006 ; Mitchell 2002).

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5.1.1. Un nouveau service public

Depuis les années 1980, l’Etat égyptien, encoopération avec la Banque mondiale,développe l’accès à un nouveau servicepublic du gaz à travers le raccordement desfoyers à un réseau de gaz naturel. En 30 ans,près de 3,3 mill ions [47] de foyers égyptiensont été raccordés. Pourtant, l ’accès à ceservice reste encore très limité : en ville, seulun Egyptien sur cinq utilise aujourd’hui le gaznaturel, et le milieu rural est encore pourainsi dire non raccordé [48]. C’est pourquoiune nouvelle phase ambitieuse d’extensiondu réseau a été lancée sur la période 2006-2012. L’objectif est de connecter 6 millionsde nouveaux foyers à travers toute l’Egypte.La région métropolitaine du Grand Caire estjusqu’à présent un laboratoire essentiel decette réforme. Près de la moitié des foyerségyptiens raccordés se situent dans lacapitale, et parmi les 6 millions de nouveauxfoyers prévus pour le raccordement, près de2 millions concernent Le Caire. En 2008, laBanque mondiale a ainsi accordé un prêt de75 M dollars (USD) à l’Etat égyptien afin del’encourager dans cet effort d’extension duréseau[49] urbain de gaz dans la capitale.

5.1.2. Une réforme motivée par desobjectifs économiques

Les objectifs de cette réforme sont avanttout économiques : i l s’agit , pour legouvernement égyptien, de réduire demanière significative sa facture et sadépendance énergétiques. Le projet consisteà substituer à la consommation desbonbonnes de gaz de pétrole liquéfié (GPL),dont près de la moitié de la ressource estimportée, celle du gaz naturel issu de sespropres gisements. De plus, le gouvernementcompte faire d’une pierre deux coups enréduisant également ses dépenses ensubventions. En effet, le GPL est une énergiesubventionnée à plus de 90 % par l’Etat, etl’Egypte en consomme chaque année plusde 3 mil l ions de tonnes. En 2006, lessubventions sur le GPL ont ainsi coûté1,7 Md USD à l’Etat égyptien, soit 1,6 % duPIB.

5.1.3. Ciblage des quartiers informels :les enjeux sociaux de la réforme

Cette réforme s’incarne dans la substitutiond’un service urbain moderne, organisé de

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5.1. La réforme du réseau urbain de gaznaturel : vers un nouveau service universel ?

[47] En 2009 (site Internet de la compagnie nationale EGAS).

[48] 22,4 % des Egyptiens utilisent aujourd’hui le gaz naturel de réseau en ville, contre 0,1 % en milieu rural (essentiellementen périphérie des grandes villes). En ville, 77,2 % utilisent les bouteilles de gaz.

[49] Le Natural Gas Connection Project doit permettre de contribuer en quatre ans au raccordement de 300 000 nouveauxfoyers du Grand Caire.

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manière industrielle (réseau), à un serviceartisanal (distribution de bouteil les) . Or,chaque année, notamment en hiver, les crisesde pénurie de bouteil les de gaz sontdramatiques, notamment dans les quartierspopulaires. Ainsi, l’accès au réseau constituepour les Egyptiens la promesse d’uneamélioration du service en termes desécurité, de régularité de l’approvision -nement et de stabilité des prix, sans compterune réduction substantiel le de la factureénergétique (le prix à la consommation dum3 de gaz naturel est dix fois moins cher quecelui du GPL). Enfin, elle est une promessede confort, d’accès à une certaine modernitéalors que le raccordement domestiqueconcerne, non seulement les gazinières, maiségalement le(s) chauffe-eau pour la cuisineet la salle de bain.

La Banque mondiale a confirmé qu’elle« apportera son soutien à l’extension del’approvisionnement en gaz naturel vers leszones densément peuplées à faibles revenus,permettant ainsi de faire profiter un pluslarge ensemble de consommateurs du prixtrès abordable [de cette énergie] (. . .) et demeilleures conditions de vie [...] »[50]. Or, leszones les plus densément peuplées enEgypte correspondent généralement auxquartiers informels, appelés en Egypte« ‘ashwaïyyat » ( ) [51]. Ainsi, en usantd’un argument économique – celui deséconomies d’échelles permises par uninvestissement dans les zones densémentpeuplées – la Banque mondiale entendinciter le gouvernement égyptien àraccorder en priorité les quartiers informels.Qu’en est-i l alors de la pénétration de ceréseau dans les quartiers informels ?

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[50] « Egypt: World Bank Supports Natural Gas Connections », communiqué de presse de la Banque mondiale, Washington,24 janvier 2008

[51] Littéralement, ce qui est fait de manière irréfléchie, à l’aveuglette (provient de la racine qui signifie “au soir”, “dans عشوl’obscurité” et qui donne “aveugle”). Autrement dit : ce qui n’est pas planifié.

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La superposition du réseau et des formes del’urbanisation montre qu’après plusieursdécennies de raccordement dans l’espace duGrand Caire, l’immense majorité des zones

d’habitat informel n’avait, en 2008, toujourspas accès au réseau, à l’inverse des quartiersles plus riches. Le réseau semble ainsirenforcer la fragmentation urbaine.

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5.2. Un équipement au détriment des zones les plus pauvres

Projet de raccordement au réseau de gaz naturel (2008-2012) dans la région centraledu Grand Caire

Sources : réalisation J. Markoum (2011) d’après les plans du Natural Gas Program for Greater Cairo 2007 - Town Gas et plans de la GTZpour le repérage des zones d’habitat informel.

4Carte

5.2.1. Une première phase au profitdes quartiers riches

Chaque année, l’Etat égyptien, à travers lasociété publique EGAS, décide des zones à

raccorder au réseau dans le cadre du plangénéral. Or, de fait, les premières phases deraccordement ont privilégié, dès les années1980, les quartiers les plus riches (El Maadi,Medinat Nasser, Heliopolis , Zamalek,

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Mohandessîn, Doqqi). De l’aveu même d’unreprésentant de la Banque mondiale [52],devant l ’ investissement en temps et enefforts que demande leur raccordement, lesquartiers pauvres ne constituent pas unepriorité. Sans compter que les entreprisesdoivent s’assurer d’un retour surinvestissement certain et rapide, et donc dela solvabilité de leurs consommateurs sur lelong terme. Or, élément important, dans lesannées 1980-1990, aucun frais de raccorde -ment n’a été demandé aux foyers connectés(si ce n’est à travers l ’échange de leursbouteilles[53]), ils ont été pris en charge par laseule puissance publique. Le projet étaitconsidéré comme expérimental . Lesautorités expliquent qu’i l s’agissait alorsd’inciter les habil itants à se connecter auréseau alors que le prix de la bouteille de gazétait très bas et que le nombre de foyersconcernés était très limité. Aujourd’hui, nepas pratiquer de frais de connexionreviendrait à créer un gouffre financier pourl’Etat alors qu’il compte sur ce projet pouralléger son déficit structurel.

5.2.2. Les frais de raccordement : unfacteur de discriminationfinancière

• Le refus de la connexion

Actuellement, la quasi-totalité des quartiersaisés ayant été connectés, les plans de

raccordement concernent davantage lesquartiers de classe moyenne et certainsquartiers populaires. Or, la situation a depuisradicalement changé en ce qui concerne lecoût de l’installation : les frais de connexionconstituent désormais un obstacle majeur audéveloppement du raccordement au réseau.Cela se traduit par une accentuation desclivages sociospatiaux. En effet, ces frais nesont pas proportionnels aux revenus desfamilles mais un prix fixe de 1 500 EGP[54] estappliqué pour tous les foyers sur l’ensembledu territoire égyptien. Or, ce coût estprohibitif au regard du salaire moyenégyptien (entre 300 et 700 EGP/mois [55]) .EGAS a donc instauré la possibil ité derecourir à un prêt, remboursable sur unepériode al lant de 1 à 6 ans. D’après leurscalculs, les frais de connexion ne devraientpas représenter un obstacle au raccor -dement. Le budget mensuel nécessaire auremboursement du crédit serait équivalentau budget énergétique mensuel du foyerconsacré à l’achat de bouteilles de gaz, soit35 à 40 EGP par mois pour une famille de 4à 5 personnes.

Le raccordement n’est pas obligatoire : il estproposé dans le cadre des plans deraccordement annuels d’EGAS, et peut doncêtre refusé. De fait , de nombreux foyersdéclarent avoir refusé la connexion pour desraisons financières. Une des raisons est queces estimations des budgets des ménages et

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[52] Entretien avec Mohab Hallouda, spécialiste des questions énergétiques auprès de la Banque mondiale, 29/03/2011.

[53] Une bouteille vide coûtait alors moins de 100 livres égyptiennes - EGP (elle coûte actuellement sur le marché entre 200et 250 EGP). Certains ont peut-être dû payer quelques centaines de l ivres pour des questions de conversiond’équipement ou de métrage supplémentaire des conduites (cf. entretiens).

[54] Ces connexions programmées sont subventionnées à hauteur de 40 % (1 000 EGP) par la compagnie nationale EGAS,le coût total de chaque connexion étant estimé à 2 500 EGP. Ce coût comprend le raccordement aux conduitesmoyennes et basses pressions du quartier (30 %), la pose et l’installation des conduites intérieures et du compteur(60 %), et la conversion des équipements (gicleurs) et la connexion proprement dite des appareils ainsi que les finitions(peinture notamment) (10 %).

[55] 1 EGP = 0,11 EUR (28 mars 2013).

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des capacités de remboursement reposentsur des moyennes statistiques qui cachent enréalité des situations beaucoup pluscomplexes et variées. Selon la taille du foyer,le montant des revenus mensuels, la saison(été/hiver) et le quartier, le budget enbouteil les de gaz peut varier de quelqueslivres égyptiennes à plus de 60 EGP/mois. Enoutre, à la signature du contrat de crédit, leclient doit obligatoirement s’acquitter d’unacompte de 100 à 150 EGP Les frais peuventégalement être augmentés si le métrage deconduites nécessaire à l’installation est plusimportant que prévu, ou s’ i l y a deséquipements défectueux à remplacer. Enfin,le prêt n’étant pas libre de frais d’intérêts, lafacture totale s’élève en général entre 1 800et 3 000 EGP, soit jusqu’au double du coûtinitialement annoncé.

Au-delà de ces chiffres et des refus liés à uneincapacité financière, plusieurs autres typesde rejets apparaissent. Il y a d’abord un refussocial et financier : une large majorité desEgyptiens vit au jour le jour, leurs revenusétant souvent inégaux d’un mois à l’autre ;or, s’ i ls ne peuvent pas régler 1 500 EGPd’une traite, ils ne souhaitent pas non pluscontracter un crédit, qu’ils ne pourront peut-être pas totalement rembourser, au risque des’attirer de graves ennuis avec la justice (dansun pays où justice est synonyme decorruption, d’arbitraire et de violence). Sanscompter que, pour certaines personneshabitant un logement dans l’illégalité, signerun contrat signifie prendre le risque de sefaire repérer par l’administration, et surtoutpar un fonctionnaire « zélé » qui pourraitexiger une régularisation de la situationcontre un bakshish. Enfin, il y a un refus socialet politique de payer des frais que lesquartiers riches n’ont pas eu à régler lors des

phases de raccordement précédentes.Comme dans de nombreux cas, les habitantsdes quartiers pauvres ont l’ impression desubir l ’ injustice sociale. Ainsi , s i les plansofficiels de raccordement semblentaujourd’hui offrir à des espaces moinsfavorisés un nouveau service, ladiscrimination perdure sous une autreforme.

Ces réalités permettent d’aborder lesdifférentes échelles de la discriminationsociospatiale. D’abord, à l’échelle du quartier,de la rue et même de l’ immeuble, lessituations sont contrastées en raison mêmede la question des frais de connexion.Précisons alors que les travaux deraccordement d’une rue ou d’un immeublene sont entamés que si au moins 50 % desfoyers ont accepté, et donc payé, leraccordement. De plus, si au sein d’un mêmeimmeuble, on trouve des foyers connectéset d’autres toujours consommateurs debouteil les de gaz, certains n’ont puconnecter que la gazinière, alors que d’autresont aussi des chauffe-eau alimentés au gaznaturel. Tout dépend alors de leur capacitéfinancière à se procurer des équipementsaux normes.

• Des quartiers informels exclus de l’accèsà un service moderne

L’accès au réseau recouvre un enjeusymbolique : celui de l’accès à une certainemodernité, à une certaine urbanité. Outre lefait de ne pas avoir payé de frais deconnexion, les quartiers riches ont accès àune modernité qu’envient les habitants desquartiers plus populaires. Quel n’a pas été eneffet l ’étonnement de Khaled, un jeuneégyptien, résidant à Al Warraq (quartier

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informel) , lorsqu’i l a appris que sa tante,résidant à Medinat Nasser (un quartier declasses moyennes), dépensait quatre foismoins que son foyer en gaz alors qu’elle avaitune consommation supérieure à la leur :« elle se paye le luxe de faire la vaisselle àl’eau chaude et de rester plus longtempssous une douche chaude ». De nombreuxhabitants des quartiers informels ressententalors une frustration sociale, au sujet deconsidérations qui touchent au confort de lavie quotidienne. Les habitants se repèrent etinterprètent ainsi la vi l le à l ’aune de lafragmentation sociospatiale. Comme nous lerappelle une habitante de Mounira AlGharbiya, quartier informel situé au nord dugouvernorat de Giza [56] : « vivre de l’autrecôté de la « voie de chemin de fer » (« sik elhadid »), c’est vivre en-dehors de la ville ! ».Soulignons alors que, par un effet pervers,l’obsession que constitue ce besoin d’êtrerattaché à la « ville » peut amener certainshabitants à s’endetter lourdement pour avoiraccès au réseau de gaz.

5.2.3. Les contraintes techniques, unfacteur d’exclusion desquartiers informels

Le service du gaz présente certainesspécificités liées à la dangerosité potentiellede cette énergie : les conduites ne peuventêtre installées dans des bâtiments instables,dans des rues trop étroites ou dans unquartier à la trame urbaine peu hiérarchiséeen raison de certaines contraintes techniques

de sécurité[57]. Ceci explique en partie le faitque les quartiers les plus denses (en général,des zones d’habitat informel) ne soient pasconnectés au réseau. Les fortes densitésdémographiques et du bâti sont en effetsouvent synonymes de conditions physiquesne répondant pas aux normes urbanistiques.Le critère de densité util isé par la Banquemondiale est donc inadéquat pour arguer duraccordement prioritaire des quartierspauvres, un raccordement a prioriéconomiquement très rentable au regard deséconomies d’échelles réalisables.

Ainsi, une différenciation se fait jour au seinmême des quartiers informels entre leszones, rues, immeubles techniquementraccordables, et ceux qui ne le sont pas. Sur lacarte 4, on remarque que quelques zonescomprises dans des quartiers informels,notamment sur la rive gauche, ont déjà étéconnectées (Imbaba au nord-ouest) et qued’autres sont prévues pour la connexiondans la phase de raccordement actuelle(Boulaq Abu el ‘ I la ou Omraneyya). Lesquartiers informels ne sont donc pastotalement exclus de l’accès au réseau.Maintenant que la plupart des quartiersriches et de classes moyennes ont étéconnectés, la limite à la programmation de laconnexion de certains quartiers esttechnique.

Le réseau renforce ainsi la marginalisationurbaine de zones qui subissent une doublediscrimination socioéconomique et

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[56] Département constitutif de l’espace métropolitain du Grand Caire (rive gauche du Nil).

[57] Les normes dépendent de la pression des conduites qui, à l’arrivée dans les logements, n’est plus que de 15 mbar. Ainsi,dans les rues principales, les conduites sont enterrées à 1,5 m du sol et doivent être éloignées des habitations auminimum de 3 m et au maximum de 10 m. Les conduites secondaires sont ensuite branchées à la perpendiculaire surles premières, elles doivent alors être séparées d’au moins un mètre de toute construction et de toute autre conduiteet sont enterrées à 50 cm sous terre.

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physique. En effet, ces espaces cumulent des« tares » sociales, économiques mais aussi entermes de conditions de vie ( logementsinsalubres, quartiers aux mauvaisesconditions d’hygiène, difficile accessibilité,etc.) . L’exclusion y prend des formescaricaturales. Certaines de ces zones sont enoutre d’anciens quartiers ou noyauxvil lageois taudifiés, enclavés dansl’urbanisation métropolitaine et qui, enraison de la valeur du foncier, sont réservéespar l’Etat à de grands projets immobiliers,évidemment non consentis par les habitants(Maspero, Corniche d’Imbaba, quartier AlHorreya à Agouza). Le raccordement auréseau de gaz y est alors de toute façonexclu.

La discrimination sociospatiale qu’engendrele développement du nouveau réseau de gazapparaît en grande partie en contradictionavec les objectifs sociaux mis en avant par sespromoteurs. Certes, on pourrait minimiserses effets dommageables dans la mesure oùles exclus du réseau de gaz peuvent toujoursavoir recours au système traditionnel desbouteilles de GPL. Toutefois, l’argument n’estqu’en partie recevable puisqu’en théorie, leréseau de gaz a vocation à se substituer à ladistribution des bouteilles, qui connaît elle-même de nombreuses déficiences.

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Illustration de l’exclusion urbaine d’un quartier taudifié (et objet d’une future opérationimmobilière) situé entre la rue El Horeyya et Ahmed El Orabi dans le quartier de Agouza

Droits : Jimmy Markoum (2011).

24Photo

RaccordéNon raccordé

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5.3.1. Crises de pénurie : les quartiersdéfavorisés les plus touchés

Chaque hiver depuis 2005, les Egyptiens fontface à des crises de pénurie de bouteilles degaz, qui entraînent de graves problèmessociaux. Le gaz, souvent seule sourced’énergie domestique, est une nécessitévitale pour les familles et leur quotidien estalors totalement bouleversé le temps detrouver une bouteille. Ainsi, dans les foyers,on s’organise pour garder sa place dans lesfiles d’attente devant les dépôts. Les femmessont souvent réquisitionnées pour cettetâche et se retrouvent immobilisées, dansl’incapacité de gérer les tâches quotidienneshabituelles (cuisine, garde des enfants. . . ) .Certains membres de la famil le doivents’absenter du travail, et courent ainsi le risque

d’une diminution de revenus, ce quireprésente un sacrifice important pour lesfoyers vulnérables. Ces crises sont aussil ’occasion de violences : les femmes sontharcelées, des rixes éclatent, notamment lorsdes arrivages, provoquant parfois la mort deplusieurs personnes. Enfin, la spéculation surles prix va bon train : le prix de la bouteillepeut coûter plus de dix fois le prix normal(entre 3 et 7 EGP). Les famil les les pluspauvres voient ainsi leur budget largementgrevé par cette dépense imprévue. Or, cesont toujours les mêmes quartiersdéfavorisés (Al Warraq, Imbaba, Boulaq ElDakrour, Dar El Salam.. .) qui sont les plustouchés par les pénuries : dans des quartiersplus aisés, comme Doqqi ou Mohandessîn, lacrise est à peine ressentie.

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5.3. Les défaillances du service dedistribution de bouteilles de gaz

L’attente interminable d’une bouteille devant un dépôt en rupture de stock du quartierinformel de Imbaba

Droits : Sherif Sonbol, Al Ahram Weekly n° 986, 18 au 24 février 2010.

25Photo

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5.3.2. Les réformes récentesaggravent les inégalités dedistribution

La pénurie s’explique pour plusieurs raisons.D’abord, la saison hivernale est propice à despics de consommation : si les bouteilles sontutilisées pour la cuisine, elles le sont aussi enhiver pour le chauffage (dans un pays où trèspeu de gens possèdent des radiateurs). Lemarché noir joue aussi un rôle majeur. Lesbonbonnes à usage domestique sont eneffet revendues illégalement aux commerceset petites industries (fast foods, briqueteries,couveuses dans les volaillères) car le gasoil etles grandes bonbonnes à usage commercialet industriel sont moins subventionnés etdonc plus chers. Sans compter que certainsdistributeurs retardent la vente de leursstocks pour attiser la spéculation sur les prix,ou volent les consommateurs sur lesquantités de gaz réellement présentes dansles bouteil les. Enfin, d’autres accusent lamauvaise gestion étatique et l’absence decohérence des politiques publiques. En effet,en raison de l’extension du réseau, legouverneur du Caire a décidé ces dernièresannées de fermer de nombreux dépôtsinformels, ce qui accroît un peu plus chaqueannée l’ampleur de la crise dans les quartiersnon connectés.

La crise, nous l’avons vu, touche toujours, aupremier chef, les quartiers informels, lesquartiers populaires, et les habitants les pluspauvres non connectés au réseau. Et pourcause : les vendeurs « informels », de « petitsopérateurs privés » qui représentent une partsubstantielle de l’activité de distribution desbouteilles de gaz, revendent illégalement les

quotas de bouteil les réservés à certainsquartiers, à des habitants plus aisés d’autresquartiers. En outre, le gouvernorat du Cairemanquant de distributeurs, ceux de Gizavendent une partie de leurs stocks aux plusoffrants du Caire, entraînant la généralisationde la crise à l ’échelle de tout l ’espacemétropolitain. La crise révèle ainsi lesdéfail lances d’un système qui manque derégulation publique et renforce de facto lesdiscriminations socioéconomiques d’accèsau service du gaz. Chaque année depuis2005, la crise fait son apparition à l’hiver sansque l’Etat n’ait prévu de réservesstratégiques pour parer au problème.

5.3.3. Un service abandonné par l’Etatau secteur informel

Comme l’ i l lustre le schéma 1, le secteurinformel représente une part substantielle del’activité de distribution des bouteil les deGPL, et est ainsi complémentaire du secteurpublic. Ceci doit être replacé dans un cadreplus large concernant le rôle de l’Etat dans lecontexte de l’ajustement structurel : i l faitplus que tolérer l’informel, il encourage sondéveloppement. Par un décret gouverne -mental de 1998, l’Etat reconnaît le conceptde « gestion autonome » ( « elmajhoud el dhati » [58]) pour pall ier lesdéfaillances des services publics. Le pouvoir abien compris l’intérêt de capitaliser sur cettepolitique que d’aucuns qualifie de lanégligence (Judson Dorman, 2007). Cefaisant, i l fait d’un problème politique derégulation publique, un problème purementtechnique, l ié à l ’ indiscipline et àl’opportunisme d’acteurs privés qu’il a, enfait, encouragé.

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[58] Littéralement : « l’effort personnel » ou « le système débrouille ».

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Ainsi , en temps de crise, l ’Etat accuse le« marché noir », des « mafias », d’être lasource du problème. Or, i ls ne sont quel’autre nom de l’ « informel », soit « de petitsopérateurs privés » dont l’activité n’est régieque par des logiques commerciales et devente aux plus offrants. Par conséquent, dans

le cas du gaz, l’informel, loin de résorber lesinégalités sociospatiales, participe de leurrenforcement [59]. I l n’apparaît pas commeune alternative à la gestion étatiquedéfaillante mais comme une organisation quila prolonge tout en lui étant indisso cia -blement liée.

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Structure de la gestion du service de distribution de bouteilles de gaz

Source : J. Markoum.

1Schéma

[59] A l’inverse, par exemple, de la gestion de la collecte des déchets par les désormais célèbres chiffonniers du Caire. VoirDebout, 2012 et Florin, 2010.

Usine de remplissage

Stockage

Dépôt devente

Distribution

Butagasco

Butagasco Privé sanslicence

Privé souslicence

Bawab(concierge)

Vendeursambulants

Petrogas

n Public n Privé informel n Privé légal

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L’origine de la réforme du gaz réside dans lavolonté de l’Etat égyptien de réduire sondéficit structurel en substituant au GPL,largement importé et surtout subventionnéà plus de 90 %, le gaz naturel , produitlocalement et subventionné à 56 %. Laréforme des subventions demeureparticulièrement nécessaire : celles-ciconstituent en effet un vrai fardeau pour lepays (un tiers du budget étatique [60]) etprofitent, quantitativement, deux fois plusaux classes aisées qu’aux classes pauvres.El les ont d’ai l leurs été, ces derniers mois,l ’objet d’âpres débats autour de l’établis -sement du budget étatique prévi sionnelpour l’année fiscale 2011/2012. Or, parmi cessubventions, les deux tiers s’appliquent àl’énergie (électricité, produits pétroliers, gaz).Ainsi , dans le budget 2011-2012, lessubventions à l’énergie représentent toujoursun tiers des dépenses, soit 100 Md EGP [61],

alors que le déficit budgétaire s’élève, quantà lui, à 134,3 Md EGP (8,6 % du PIB).

Or, la réforme est très impopulaire car lessubventions constituent un pilier historiquedu contrat social égyptien depuisl’ indépendance. Dans un contexte dedéfiance vis-à-vis de l’Etat, de crise sociale etéconomique aggravée et de nouveauxscandales financiers révélés chaque semainepar la presse nationale depuis février 2011, lesnouveaux responsables politiques préfèrents’en tenir au statu quo . Enfin, le gaz est unsujet d’autant plus explosif que l’Etatégyptien aurait livré ces dernières années dugaz naturel à Israël, largement en-dessousdes prix du marché.

Une autre approche, proposée mais jamaisréellement appliquée, consisterait à mettreen place un système de coupons de

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[60] Sans compter que 22 % de ce budget concerne le remboursement de la dette. Autrement dit, plus de 50 % du budgetannuel national n’est pas directement productif.

[61] Gasoil = 45 Md EGP ; GPL = 16,8 Md EGP ; mazout = 13,2 Md EGP ; gaz naturel = 7,8 Md EGP.

5.4. La nécessaire réforme de la tarification

Taille du foyer 1ère bonbonne 2e bonbonne 3e bonbonne

3 personnes 5 EGP 20 EGP 48 EGP

4/7 personnes 5 EGP 5 EGP 20 EGP

plus de 7 personnes 5 EGP 5 EGP 5 EGP

Tarification à l’achat des bouteilles de gaz selon le système des coupons derationnement

3Tableau

Source : « Le gouvernement a décidé de mettre en place des coupons pour la distribution des bouteilles de gaz », Wahbi Madhout, Youm el Sabe’,02/07/2010 (en arabe).

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rationnement sur l’achat des bouteilles degaz GPL (tableau 3). Ce système se voudraitsocialement plus équitable par rapport auprix officiel et universel de la bouteille de gazdomestique subventionnée, qui s’élève à2,5 EGP par bouteil le de 12,5 kg (soit 3 EGP/m3). Or, un tel système est trop rigide :il ne prend en compte ni les différences deconsommation selon les saisons, ni lesrevenus par famil le, ni leur composition(âges). Enfin, la régulation est confiée aux

gérants des dépôts de bouteilles de gaz, déjàaccusés de corruption.

Finalement, la solution la plus rationnelleserait le raccordement de la population auréseau de gaz naturel : la tarification seraitsocialement plus juste car plus progressive(tableau 4). Malheureusement, les contraintesfinancières et techniques empêchent unepartie importante de la population [62] – lesplus pauvres – d’être connectés.

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[62] Entre 2000 et 2007, 31,2 % de la population vivait avec moins de 1,25 USD/jour et 49,4 % avec moins de 2 USD/jour,selon le Rapport sur le développement dans le monde (2009).

[63] 1 EGP = 100 piastres.

Consommation > 30 m3 30-60 m3 > 60 m3

Domestique 10 piastres[63]/m3 20 piastres/m3 30 piastres/m3

Industrielle et alimentationdes centrales électriques

21,7 piastres/m3

Grille de la tarification à la consommation du gaz naturel de réseau 4Tableau

Source : Ministry of Petroleum, 2005 (cité dans Alami, 2006).

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En raison de l’ iniquité des frais deraccordement et des contraintes techniques,le réseau ne pénètre que rarement lesquartiers informels. Or, l’alternative au réseau– i.e. la distribution des bouteilles de gaz –est un service largement défail lant, enparticulier dans les quartiers informels. C’estdonc surtout dans ces quartiers que leréseau pourrait entraîner une améliorationdu service. Pour les quartiers riches, déjà trèsbien desservis par le système de distributionde bouteilles de gaz, le réseau ne représentequ’une modernisation du service, unchangement d’équipement (que certainsd’ai l leurs refusent [64]) . Or, d’après nosrésultats, le déploiement du réseau aprivilégié ces quartiers aisés au détriment dessecteurs informels. Et si beaucoup de cesderniers doivent prochainement bénéficierd’un raccordement, de nombreuses zones etfoyers en resteront exclus pour des raisonsfinancières ou techniques.

L’objectif de cette réforme n’a été ni social, niénergétique, mais purement techno-économique. Il s’agit de réduire la factureénergétique du pays en substituant laconsommation de gaz naturel local au GPLlargement importé et subventionné. Si lesinégalités d’accès au service ne sont pasréduites, c’est que cette réforme n’impliqueaucune transformation des modes dela gestion publique actuelle, au serviced’intérêts politiques, marquée par l’inco -hérence, le centralisme exacerbé et le

clientélisme, sans prise en compte des facteurssociaux. Cette réforme n’implique donc pasune amélioration de l’accès au service du gaz(développement socioéconomique) maissimplement un changement d’équipement,une modernisation technique du service.

A deux reprises, nous avons pointé dansnotre analyse les erreurs d’appréciation de lasituation, notamment de la part de la Banquemondiale (critère de densité et calculsstatistiques de la solvabilité des foyers). Lesmodèles sont trop théoriques et pas assezen prise avec la réalité locale des situationsurbaines, économiques et sociopolitiques.Notre cas d’étude prouve que l’améliorationd’un service urbain, du point de vue del’ intégration sociospatiale, ne dépend pasdirectement du modèle d’organisation du service (artisanal/industriel , universel/différencié, formel/informel) mais plutôt desmodalités de la régulation publique. Ainsi, ledéveloppement, avant d’être une questiontechnique, apparaît fondamentalementcomme une question politique[65].

A cet égard, les transformations issues dumoment révolutionnaire sont ambiguës. Larévolution égyptienne, en mettant fin aurégime autoritaire, semble l’occasion d’ouvrirde nouvelles pistes d’action qui pourraientredonner du sens à l’aide au développement,notamment par une meil leure prise encompte des quartiers informels dans l’actionpublique. Cela passe notamment par

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[64] Notamment par peur de devoir faire des travaux dans leur intérieur.

[65] C’est également le constat que fait Mitchell (2002) dans son étude des politiques de développement qui ont touchél’agriculture en Egypte au xxe siècle.

Conclusion

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l’aménagement de subventions aux frais deconnexion sur critères sociaux en faveur deshabitants des quartiers défavorisés et, dansles secteurs où la connexion esttechniquement impossible, une améliorationdes conditions de distribution du gaz debouteille.

Toutefois, c’est l ’organisation de l’actionpublique elle-même qui est à réformer. Cesdernières décennies, les habitants ontdéveloppé une méfiance généralisée vis-à-vis de l’Etat, et avec la révolution, a émergéune nouvelle conscience politique de la forcedes mobilisations publiques des habitants.Les projets d’équipement et d’améliorationdu cadre de vie nécessiteront un importantprocessus d’information, d’explication et deconcertation sur les enjeux techniques etsociaux, tout en prenant en compte lespossibilités de participation des habitants. Latâche ne sera pas aisée car, dans de

nombreux cas, i l s’agit en fait de redéfinirl ’ intérêt général . Dans un contexte où lacorruption, les relations, et les passe-droitsont déterminé les politiques publiquespendant des décennies, les habitants ont dumal à distinguer ce qui sépare les intérêtsindividuels de l ’ intérêt collectif . Or, leparadoxe est que les responsables politiqueslocaux et le système n’ont, pour le moment,pas réellement changé. Le flou sur le partagedes responsabil ités, l ’ incohérence et ladésorganisation des politiques publiquesperdurent. Les renouvellements en cours dela classe politique, quand ils se traduisent parl’arrivée d’un nouveau personnel politiqueet de gestion n’impliquent pas pour autantun changement des cultures et desmentalités sur la question de la gestionpublique. Et il n’est pas du tout certain queles questions techniques soient actuellementune priorité de l’agenda politique.

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Bibliographie

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December 2012 / Evaluation and its Discontents: Do We Learn from Experience in Development? /©AFD [ ]127Juin 2013 / Quartiers informels d’un monde arabe en transition : réflexions et perspectives pour l’action urbaine /©AFD [ ]127

Pistes d’avenir

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6. Pour un urbanisme deréparation dans les quartiers

populaires : réflexions à partir ducas égyptien dans le contexte d’une

transition

Agnès Deboulet

IntroductionCette analyse part essentiellement de terrains égyptiens remis en perspective. La question dela prise en compte technique et politique des quartiers dits « informels » se heurte à lareprésentation du « dedans », i.e. celle des citadins concernés. Il s’agit ici de souligner lesprincipaux éléments d’explicitation des mécanismes de production et de transformationurbaine par les résidents, en lien avec les cycles urbains et les systèmes fonciers immobiliers etlégaux. Comment ces quartiers ont-ils été produits et par quels types d’acteurs ? Quelles sontles représentations de l’espace et de la ville sur lesquelles reposent ces productions ? Nousverrons comment cette question se pose dans le cas égyptien après avoir évoqué la situationassez contrastée dans d’autres pays du Moyen-Orient. Cette approche laissera apparaître lesmutations radicales induites par l’aspiration globale et l’internationalisation des investissementsimmobiliers dans la plupart de ces villes.

L’hypothèse guidant le prolongement de cette réflexion est celui de l ’ indispensablechangement de curseur des politiques urbaines. S’il s’agit bien de penser l’extension de larégularisation, et non des programmes ponctuels de titrisation, c’est avant tout dans une viséed’élargissement de la question de la citoyenneté urbaine. La demande considérable dereconnaissance qui émane des quartiers de création populaire se contentera t’el le de« recettes » techniques, de la transplantation de modèles, de catégorisations sommaires, de lapoursuite des politiques de relogement hors site qui ont prouvé leur capacité à augmenter la

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pauvreté ? L’aspiration actuelle à la démocratie au Moyen-Orient n’est-elle pas l’occasion detester en grandeur nature un urbanisme de réparation ?

Certains pays ont eu un temps d’avance dans les réponses apportées à la production dequartiers populaires non réglementaires ; c’est notamment le cas de la Jordanie, avec unepolitique de réhabilitation in situ couplée à des trames assainies autour de Amman. A l’opposé,l’habitat dit « informel » au Liban souffre d’un statu quo préoccupant qui traduit la fragilité despositions partisanes et la montée en puissance d’un gouvernement bis dans les quartiersshi’ ites. A contrario , la situation égyptienne passe d’une reconnaissance de facto à unprocessus plus complexe et contradictoire, qui se caractérise par la production de zonesd’exception que nous allons décrire. Celles-ci sont traitées dans une visée plus inclusive degestion des territoires, mais laissent de côté la grande majorité de l’habitat dit « informel ». Afinde cerner certains éléments de cette donne complexe, persistante au principe de fortesinégalités territoriales et sociales, un première étape consistera à faire une rapide revue critiquede la littérature et des descriptions de l’habitat dit informel pour y substituer une approched’anthropologie foncière dynamique, intégrant les principales lignes de changement observéessur les marchés depuis une vingtaine d’années dans ces ensembles urbains majoritaires etdélaissés. Dans une deuxième étape, nous nous demanderons comment privilégier uneapproche de la diversité de peuplement de ces établissements humains, y compris sur le planinterne : comment en donner une image qui rende compte de la complexité de la formationet de la transformation des sous-ensembles qui forment ces villes populaires négligées, et enfont la spécificité urbaine ? Enfin, une dernière étape consistera à étudier les politiquesrécentes qui ciblent ces quartiers en montrant que l’action publique sur le risque urbain nepeut se substituer à une approche holistique.

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Plutôt que de quartier informel, i l noussemble plus juste de parler de quartierpopulaire, même si cette appellation resteencore imprécise, ou de quartiersd’émanation populaire. La prise en comptede la diversité de ces quartiers populaires esten effet essentielle pour bien les cerner etpouvoir y agir en profondeur. Nousmontrons ici comment appréhender ladiversité et l ’autonomie relative de laproduction de l’urbain dans ces quartiers.Pour ce faire, nous étudions leurcomplémentarité, mais aussi les inégalités vis-à-vis du reste de la vi l le, et leur prise encompte (ou pas) dans les politiques urbaines.Cette partie est cependant, avant tout, unplaidoyer pour un renouveau des étudessocioéconomiques et une appréhension plusfine des processus de production.

La différentiation majeure demeure celle quel’on peut établir entre quartiers établis sanspermis d’occuper le sol et lotissements surterres privatifs, également dits « clandestins »(pour reprendre une terminologie égalementutilisée en Amérique latine). Si l’on considèreles seuls quartiers établis par occupationfoncière sans titre, les situations sont en faitextrêmement variées. Au Liban, comme enTurquie, les situations d’occupation foncièresont diffici les à éclaircir car plusieurssystèmes d’accès au sol peuvent êtreimbriqués. La disparition des anciens droits

d’occupation collective des terres, oud’autres droits intermédiaires, complexifie laquestion du droit des occupants. En Egypte,dont nous traiterons principalement ici, lasituation est dans un sens moins compliquée,car l ’on y trouve deux principaux typesd’occupation sans titre de terrains : d’uncôté, l’invasion de terrains du domaine privéde l’Etat (appartenant, par exemple, à desinstitutions publiques ou à des ministères),éventuellement régularisable, mais enpratique jamais légalisés ; de l’autre, l’invasionde terrains du domaine public de l’Etat, enprincipe totalement sanctuarisés. Le squat,ou invasion foncière, est appelé (par sesinitiateurs comme par les responsables) wad‘al yad ( l ’équivalent en français serait« mainmise »). Les lotissements clandestins,en revanche, compte tenu de la relativeconsistance de la petite propriété privéeagricole, jouissent d’une grande sécurité detenure dans l’ensemble du monde arabe. Ladétention de titres de propriété fonciers et,surtout, le caractère privatif du terrain et sonachat reconnu garantissent cette sécurité detransaction, même si le contrat de propriétén’est pas toujours dûment enregistré. Leslotissements de terres privatives n’ont jamaiscessé de se développer au détriment, enEgypte, des terrains agricoles, et ce en dépitd’une interdiction maintenant bientôtcinquantenaire.

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6.1. Le « marché » de la production urbainepopulaire et les premiers effets de la

révolution égyptienne

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A l’opposé des tendances à l ’étalementurbain de la promotion immobil ière etcommerciale privée légale, le ralentissementde l’expansion de ces territoires urbanisés(observé depuis les années 1990) au profit deleur densification spectaculaire est allé depair avec la montée en force de véritablesfilières de promotion immobilière (Deboulet,1991). Ceci s’est traduit, par exemple auCaire, par un accroissement démographiquesupérieur à la moyenne métropolitaine, avec2,5 millions d’habitants de 1996 à 2006, soitune hausse de 2,5 % par an (Séjourné, 2011).La production populaire de l’habitat et letransfert de responsabilité de la constructionsur le secteur privé et les ménages ne sontd’ailleurs pas une spécificité cairote : elles se

retrouvent dans l ’ensemble des vi l les etvillages égyptiens. Même si elle se base surdes critères morphologiques contestables, lacartographie, réalisée en 2011, des zonescatégorisées en anglais « unplanned » montreque certaines grandes vi l les de province,comme Qena ou Louxor, sont dans leur trèsgrande majorité issues d’une succession delotissements dans lesquels la puissancepublique n’est pas intervenue. A contrario ,depuis la révolution, la construction sur lesterres agricoles a augmenté de plus belle. Atitre d’exemple, au Caire, dans legouvernorat de Gizah, la conquête deparcelles de terres agricoles par uneproduction forte de logements (avec 20-30 % du stock de logements qui demeurent

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Localisation des quartiers d'habitat non réglementaire évoqués dans l'article

Sources : fonds de carte GOPP ; cartographie F.L. Troin, d’après Barthel, P.A. et al (2013).

5Carte

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vacants) s’est faite parallèlement à unedensification des quartiers et aucomblement des derniers terrains libres dansl’ensemble des quartiers non légalisés etd’ordinaire faiblement contrôlés.

Ainsi les quartiers « populaires » – puisqu’ilfaut bien appeler ainsi des secteurs bâtispour l’essentiel par des acteurs privés sur desterrains non urbanisables ou dont lapropriété est contestée – ne sont pas deszones à part, indifférentes aux changementsréglementaires ou aux régimes politiques. Lamise en place, depuis les années 2000, defacilités bancaires et législatives d’accès à lapropriété privée a ainsi modifié le type deproduction de logements. Si, dans les années1990, un propriétaire foncier faisait édifier unimmeuble en faisant préfinancer lesappartements par les futurs résidents, lesquartiers populaires voient se multiplier desimmeubles de 7/8 étages. Prenons ainsi lecas de ce couple d’Istabl Antar, issu des zones« rurales » de Giza[66] et arrivés en 1987-1988.A l’origine, ce n’étaient pas des squatteurs :comme une grande partie des occupantsactuels, le ménage a acheté le terrain à10 EGP le mètre carré à des gens qui avaient« pris le terrain » (illégalement) et édifié unpremier bâtiment et un mur (sans doute pluspar souci de protection symbolique – ondisait alors construire « une ruine » – que parvolonté de valorisation immobil ière) . Cecouple a décidé de démolir le premierbâtiment. Aujourd’hui le terrain l ibrede construction « uti le » vaut autour de600-700 EGP le m2 (chiffres 2008) et peutcoûter jusqu’à 1 000 EGP/m près des axesprincipaux.

Cette différence de prix est expliquée par leniveau de « développement » de la zone,constituée de coins plus raqi (chics) qued’autres. Les prix sont également nettementplus élevés près des axes passants surtout sile système de vente foncière se formalise.Dans l ’ informel, comme ail leurs, « sibeaucoup de clients de ce nizam tigar ([itt :« système marchand »] achètent, les prixaugmentent » L’ensemble de ces échangesse produit sans agences immobilières, avecdes « agents » ( immobil iers) informels(simsar) qui n’ont pas pignon sur rue. I lspermettent à des étrangers au quartier de s’yfaire une place mais aussi , à terme, de lemodeler à leur image. Ainsi sur la rue elNagah, l’un des principaux axes du secteurde ‘Izbat Khaïrallah (vaste quartier squatté ausud du Caire ; cf. carte 5) qui reprend unepiste rurale préexistante et dessertnotamment une zone inattendue demonastères coptes, des immeubles de dixétages sont édifiés, alors même que la ruen’est pas bitumée et que le quartier nedispose pas du tout-à-l’égout. Dans cesecteur, les acheteurs vont investirdirectement dans un ou deux étages, qu’ilsvont en partie relouer, et non plus acheterun seul appartement (au coût moyen de 30 à40 000 EGP) pour leur seul usage.

I l est trop tôt pour appréhender tous leseffets de la révolution, mais une anecdoteurbaine résume par certains aspectsl’incroyable pression immobilière qui régit lesattentes et les horizons des citadins. En effet,depuis la révolution, le quartier de Dar as-Salam et d’autres ont vu surgir des « tours »dans l’appellation locale. Ces immeubles de

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[66] Merkaz Atfih et Hayat, très gros pôles d’émigration rurale dans les années 1970.

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12 étages, mis en chantier courant 2011, aprèsêtre longtemps restés à l’état de projet, sontintégralement mis en vente sur un marchémétropolitain [67] par un système decommercialisation qui persiste cependant àêtre faiblement publicisé en raison del’illégalité des constructions. Autre effet dela révolution, les résidents les plusvulnérables ont vu leur situation se dégraderen raison de la quasi-disparition des servicespublics de ramassage des ordures dans lesquartiers populaires et d’un laissez-faire,considéré comme une incitation aufavoritisme.

Deux types de marchés immobiliers se sontdéveloppés depuis les années 1990. Outre lalocation l ibre, de plus en plusd’appartements neufs sont mis en ventealors que, dans les années 1990, celle ci sefaisait par fractions ( i .e. avance avantconstruction). Cette vente se fait le plussouvent en espèces. On assiste à unecertaine forme de renouvellement urbainavec de rares parcelles vides ou délaisséesmises en valeur par des « associés », lepropriétaire du terrain et un investisseurlocal, comme à Dar as-Salam. Peut-on pourautant vraiment parler de désengagementde l’Etat, alors que globalement, ici commeailleurs, les quartiers populaires ont toujoursété délaissés ? Au manque de capacités deséchelons intermédiaires et à leur absenced’expertise urbaine est venu s’ajouter, depuisla révolution, dans les districts, undésengagement plus ou moins organisé. Les

investisseurs en ont donc « profité » pourfaire fructifier un capital dormant qu’i lsn’avaient jusque lors jamais osé investir dansdes opérations de telle ampleur. En effet, siles quartiers sont encore considérés commenon régularisés, les règles constructives sontpourtant, paradoxalement, censées se calersur la loi égyptienne : en principe on ne peutériger plus de 1,5 fois la taille de la rue. Dansce cas, les autorités n’ont pas fermé les yeux :elles ont décuplé le processus de corruption(rachwa) pourtant tant dénoncé durant larévolution. Même chose à Manshiyet Nasser,face à la citadelle cairote, où au printemps2012 une soixantaine[68] d’immeubles situéssur des terrains de l’Etat ont été investis pardes notables du quartier, donnant lieu à unemédiation importante en présence dedéputés locaux pour éviter la démolition.

Toutefois, ce passage en revue des formesvariées de la dynamique immobilière ne doitpas éclipser quelques traits persistants de lamanière dont le secteur privé considère etaborde les quartiers populaires. Lesproblèmes qui s’y posent sont très variables,selon leur niveau d’acceptation sociale etd’ancienneté. Si certaines zones sontdevenues des villes à part entières, dotéesd’une pleine urbanité, certaines ne sont pasplus mal dotées en services et qualité urbaineque les cités nassériennes (Florin, 2010). Onpeut dire que la confusion actuelle postrévolution a joué comme un levierd’aggravation des inégalités visibles.

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[67] A Dar as-Salam, entretien avec un vendeur d’appartements, avri l 2012 ; observations de même nature sur lamultiplication de tours à Matareya.

[68] 50 selon le General Organization for Physical Planning (GOPP) et 70 selon un résident local.

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Au Caire, comme dans d’autres vi l lesd’Egypte, l ’ idée d’une absence destructuration du tissu urbain dans lesquartiers populaires est très largementrépandue. On accorde très peu d’attention àla formation des tissus, et les travaux sur lesreprésentations et modes d’action oud’organisation des citadins sont peunombreux (le CEDEJ et l ’universitéaméricaine du Caire en ont produit unebonne partie ; cf. Singerman, 2010). Il existe,proportionnellement, une palette aussi largede travaux sur les quartiers sud de Beyrouthque sur les quartiers « informels » du Caire,où l’on recense peu de travaux égyptiens surces questions, et encore moins de thèses dedoctorat, et très peu d’ouvrages (Sims, 2010).Si le système de recherche publique n’a étéguère incitatif sur ces questions, i l fautavouer que la faiblesse des dynamiquesd’intervention publique dans les quartierspopulaires, abandonnés à eux-mêmes, tantau Liban qu’en Egypte, n’ont en rien aidé àformer un vivier de chercheurs motivés pard’éventuels débouchés de leurs travaux. Lasituation, dans ce domaine, n’a guère évoluédepuis les travaux pionniers d’El Kadi (1987),à l’exception notable de Soliman (2004), quiétablit une typologie complexe des formesd’habitat informel (semi-formel etanciennement formel – ou hybrides), en yintégrant aussi l’habitat populaire public dansses évolutions.

Aussi , après avoir conspué l’aspectanarchique des rues et du tissu urbain de cesquartiers « aléatoires » (pour reprendre latraduction arabe du terme ‘achwaiyat) etaprès avoir cherché à soulignerl’instrumentation politique de la marginalitésociale de ces quartiers (Denis et Bayat,2000), les pouvoirs centraux, à la lumière desdéveloppements récents, s’accordentunanimement à souligner la dimensiond’insalubrité de l’habitat et les problèmes detransport. i l est nécessaire de montrer lecaractère réducteur de cette vision et demontrer en quoi elle empêche de saisir lacomplexité de la question et d’agir.

6.2.1. La tourmente du nombre et dela circulation

Les quartiers les mieux dotés eninfrastructure, les plus anciens et consolidés,sur terrains privatifs, souffrent d’un sous-calibrage chronique des réseauxd’assainissement, tout comme les partiesraccordées à Manshiyet Nasser (seul quartierbâti sur terrains de l’Etat). Comme pour laplupart des quartiers du Caire, l ’absenced’entretien et un problème considérable deramassage des ordures ménagères sontdevenus le souci majeur de ces quartiers,vécu plus fortement encore que dans lesquartiers centraux. Dans les grands quartierspopulaires les plus anciens, comme

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6.2. Reconnaître un type de fabrique et ses qualités : peuplement, densification

et évolution des tissus urbains

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Imbaba[69], la circulation est devenu le secondproblème des ménages, avec une congestionautomobile et piétonne considérable quinécessiterait un programme d’ensembleincluant une réflexion sur les circulations, etpas seulement (ou pas nécessairement) unélargissement de rues comme le prévoit unplan actuel conduit par le gouvernorat deGiza et le General Organization for PhysicalPlanning (GOPP, bureau d’études interne auministère du Logement) et pas non appliqué.Si le tissu urbain et son caractère mouvant,sont rendus responsables de cet état de fait,il devrait toutefois être possible de placer laréflexion à un autre niveau : celui de laplanification des transports et de ladensification. Ces problèmes de congestionterribles, de pollution, de mal être, n’ont eneffet pas toujours existé dans ces quartiers,mais témoignent d’une motorisation encorefaible, mais croissante, et surtout d’unedensification infinie. Ce point de vue n’estpas seulement celui des observateurs, maisdes résidents : « Il faudrait tout détruire ettout reconstruire ; en même temps lacompensation est un problème (al badil) »(résident d’Imbaba, chauffeur de taxi) ; « Onne peut plus circuler dans les rues, ni à piedni en voiture et les femmes se font harceler[sous-entendu en raison de la promiscuité,notamment dans les transports et lesespaces commerçants] , c’est le problèmecentral à Imbaba » (secrétaire de direction,29 ans, née à Imbaba).

Le prix des logements ne permet qu’unemobilité résidentielle très faible hors de cesquartiers. Le loyer d’un logement récents’élève à 700 EGP, comme dans une banlieuepopulaire « formelle » tel le que Helwan,

tandis que la plupart des ménages viventavec moins de 2 000 EGP. L’achat d’unappartement représente, à titre d’illustration,140 mois de salaire de ce gérant de magasinde 22 ans. Les individus ne peuvent vivrecorrectement qu’en mettant en communleurs ressources et en comptant sur lasolidarité intergénérationnelle. D’où latendance à maintenir une résidenceplurifamiliale. De ce fait les primo-arrivantsdans ces quartiers ont la possibilité de fairevivre leur famille élargie et leurs enfants, maisles locataires sont clairement pénalisés. Cedouble niveau est négligé par les pouvoirspublics et les bailleurs de fonds désireux delancer des restructurations. Notons toutefoisque nous manquons, sur ce sujet, d’enquêtespermettant de confirmer les prix moyens, decomprendre en profondeur le fonction -nement des marchés et d’appréhender lamobil ité résidentiel le des ménages sur legrand Caire.

6.2.2. Penser la densité résidentielle etla densification au pluriel

En 2010, la densité moyenne des quartiersinformels au Caire est de 528 habitants/hectare, contre 300 en 1998 (Séjourné, 2011).Au-delà de ces moyennes, il est nécessaire dedécomposer finement les modesd’occupation de l’espace et la densité pourparvenir à un traitement urbanistique quiappréhende ces espaces autrement que sousl’angle de l’inadaptation et de la disparition.Les quartiers informels sont non seulementnettement différenciés, mais aussihétérogènes dans leur formation et leurpeuplement. Cette diversité, longtempsnégligée, illustre une carence de la prise en

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[69] L’un des — voire le plus peuplé – des quartiers dits informels, situé dans le gouvernorat de Guizah, à l’ouest du Nil.

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charge des attentes d’urbanité. Or, celles-cichangent au fur et à mesure de l’urbanisationet de la densification du quartier.

Comme Imbaba, Dar as-Salam s’est constituépour partie autour d’un vieux noyauvil lageois, dont on reconnaît aisément lesrues plus étroites, le tracé peu orthogonal, lafabrique plus semblable à un quartier ancien.Dans ces deux secteurs anciens des quartierspopulaires, le bâti a beaucoup souffert, lesrues se sont affaissées. La précarité desconditions d’habitation y est plus palpablequ’ailleurs. En revanche, es urbanisations desannées 1970-1980, autour de bassinsd’irrigation, montrent un autre profil , untracé orthogonal bien connu. Le long desprincipaux axes, on trouve des bâtiments

(parfois de dix étages) construits par unevéritable promotion immobilière, tandis quele système d’autopromotion se poursuitdans les rues secondaires. Ainsi, des famillescontinuent en effet à tenter dessurélévations d’étages sur des bâtis sansfondations pour mettre le logement enlocation, ou accueillir un des enfants mariés.Ces mêmes quartiers, bâtis sur des terresagricoles, ont généré leurs propres centrescommerciaux, allant de quelques rares petitsmagasins à des alignements de commercesde bouche et de vêtements, qui empiètentprogressivement sur l’espace piétonnier. Atitre d’exemple, la rue principale de Dar as-Salam, au débouché du métro, ne compteainsi pas moins de 90 commerçants ( laplupart de vêtements) très bien achalandés.

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'Izbat Khaïrallah, livraison de légumes à domicile dans des secteurs dépourvus de commerces

Droits : A. Deboulet (2008).

26Photo

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Depuis plus de 20 ans les analystessoulignent que les quartiers populaires duCaire comptent parmi les plus densémentpeuplés du monde. Pourtant, des quartiersprécaires ou des bidonvil les de centresurbains asiatiques dépassent largement lesdensités résidentielles moyennes, souventavancées, de 1 000 habitants par hectare[70]

(cf. photo 27). Depuis plus de 20 ans, desmesures plus précises de la densité dans cesquartiers ont rarement été effectuées, sansparler même de la prise en compte de ladensité relative des différents segments dutissu urbain, sachant que l’on a trouvé desmoyennes de 1 500 habitants/hectare àManshiyet Nasser et presque 2000 danscertains autres quartiers (Sims, 2010 et

Banque mondiale 2008). Or, en croisant lesdensités existantes avec le type de bâti, sarésistance aux surélévations, et la taille de lavoirie, i l serait possible d’anticiper sur la« vivabil ité » future de ces quartiers. Onpourrait aussi imaginer qu’une politiqued’action dans les quartiers informels pourraitviser à les aérer de l’intérieur, i.e. à profiterdes espaces vacants pour créer des pochesvertes interstitielles, tout espace public autreque la rue faisant défaut dans ces contextes.Surtout, c’est à partir d’une prise en comptedes densités et leur anticipation que l’onpeut vraiment concevoir les infrastructures,ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, d’où lesdéfaillances chroniques des réseaux. Deuxcartographies distinctes montrent la palette

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[70] Ainsi, à Mumbai, nous avions relevé un quartier de logements d’un à un étage et demi abritant 4 000 habitants/hectare,soit environ 10 personnes par tenement d’environ 9 m2.

Une densité résidentielle absolument méconnue

Droits : A. Deboulet (2008).

27Photo

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des densités existantes correspondant à destissus urbains et des actes de fondationdistincts au sein d’une même entitéterritoriale (travaux de Leconte pour Imbabaen 2010, et de Deluc à Ismailiya, ville situéesur le canal de Suez, en 2008) montrent desprojections des densités dans les prochainesannées sur la base du taux d’accroissementdémographique actuel.

Un relevé de certains îlots a été effectué àIstabl Antar et ‘Izbat Khaïrallah en 2008 avecB. Deluc. Dans ce quartier la « non-cartographie » a tenu lieu de politique de lachaise vide, correspondant à ce que Roy(2004) décrit comme stratégie de« unmapping ». Avec Google Maps®, ladonne change : i l n’est plus possible de

masquer l ’existence de ce quartier, toutcomme ‘Izbat al Haggana , autre « méga-quartier » sur terrains de l’Etat. Pour autant,les autorités locales ou le gouvernorat n’ontjamais rendu publique une cartographie duquartier, à tel point qu’une ONG locale,Kheïr wa baraka (cf. photo 28), a conduit elle-même ce travail d’investigation sur unterritoire pourtant considérable (plus de 200hectares). En effet, la lecture par Google nepermet pas de déceler les découpages ausein des grosses masses des îlots, conditionpour considérer l’intervention urbanistiquecomme autre chose que le percement oul’élargissement systématique de rues. Letracé interne y est en effet largementcomposite et fait d’impasses ou cul-de-sacque l’on trouve aussi sur les terres agricoles.

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'Izbat Khaïrallah : espace public réalisé par une ONG locale

Droits : A. Deboulet, 2012.

28Photo

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Rappelons, sur ce sujet, quelqueséléments [71] : (i) les caractères rationnel etcollectif des décisions prises en matière dedivision parcellaire dans ces quartiers ; (ii) ladiversité interne des tissus l iée à lagénération de lotisseurs en place et aucaractère plus ou moins marchand de lavente des parcelles ; (iii) le fait que la voirien’a (contrairement à une idée répandue)jamais été résiduelle, les nouveaux voisins etle lotisseur informel s’accordant sur (etessayant de faire respecter) une taille de rue ;(iv) le caractère non orthogonal ou nonlinéaire du tracé, qui n’est en rien synonymed’il logisme mais de règles de tracé tenantcompte des aspérités du terrain et de larelative flexibilité des riverains ; (v) la densitépremière, qui est la règle, avec une norme

d’alignement des parcelles et demitoyenneté des habitations respectée partous ; enfin (vi) le respect de certains espacesouverts à usage collectif.

Ainsi, un terrain d’environ 1 hectare, situéprès du fort de Istabl ‘Antar et préservé dessquatters durant plus de 20 ans est devenuun l ieu pilote : terrain de foot entretenu,plantations et récemment nettoyage dusecteur alentour par l’ONG locale (cf. photo28), alors que Le Caire est enseveli sous lesordures. Les petits potentiels de ces quartierspassent souvent inaperçus, alors qu’ils sontdes moteurs de développement, catalyseursde « petits changements » au sens de Hamdi(2004).

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[71] Voir Deboulet, 1994.

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Bien que la plupart des quartiers informelssoient de facto pourvus d’une sécuritéfoncière, car issus de transactions de terrainsprivatifs (agricoles), quelques tendances etrécentes formes d’insécurité se sontcristallisées sur les quartiers de squat. S’ilssont estimés à 6 % du total des quartiersinformels (Sims, 2011) dans la région duGrand Caire, la population est plusimportante que dans les autres quartiers,avec des tailles moyennes de familles plusélevées.

Les pouvoirs publics uti l isent doncl’argument du risque naturel pour justifierd’une intervention difficilement envisageablejusque là en dehors de projets de grandséquipements. Avec une puissance décupléedepuis la fin du XIXe siècle, l’élargissement devoies apparaît encore comme l’un desmoteurs de l’action dans les quartierspopulaires avec, par exemple, le périphériquequi, dans nombre de projets d’infrastructuresau Moyen-Orient, est un moyen de pénétrerdans des quartiers populaires où l’Etat est endéficit de souveraineté (comme dans lesbanlieues sud de Beyrouth ; cf. Deboulet etFawaz, 2011).

Dans un contexte d’accroissementdémographique et de pénurie de servicespublics dans les quartiers populaires, lescatastrophes naturelles et lesaccidents prennent une ampleur importanteet déclenchent des mouvements deprotestation. Pommier (2008) évoquejustement ces éléments parmi « les dossiers à

charge » du gouvernement. Ainsi , lesconséquences du tremblement de terre de2002 au Caire, ainsi que la catastrophe deDuweiqa en 2008 (éboulement qui a coûté lavie à 119 personnes) ont révéler le principedu gouvernement par l ’urgence qu’estdevenu celui de l’Egypte. Cet éboulement estau fondement d’un renouveau d’investisse -ment dans les quartiers informels. Cette fois,cependant, i l ne s’agit plus d’agir par« composition », comme le fait Pommierpour les années 2000 (suite à la dénégationdes années 1990 et à la stigmatisationd’ensembles accusés d’être des « nids àislamistes »), mais bien de démolir.

Parmi les facteurs d’insécurité, on peut toutd’abord citer la négation persistante del’existence de certains quartiers. Autrefacteur identifiable : la mise à jour, depuis2008, d’une nouvelle classificationopératoire entre, d’un côté, des quartiers« non planifiés » , i .e. des ensembles delotissements populaires dont l’Etat égyptienacte qu’ils doivent être améliorés par la miseen place d’infrastructures (et donc, d’unecertaine façon, reconnus) et, de l’autre, lesquartiers d’invasion, qui justifient en partiela mobil isation de la catégorie du risquecomme outil de reconquête foncière. Pources derniers, l ’accent est mis sur larégularisation en quartiers à risquesoulignant l ’équivalence entre « slums »(quartiers de squat) et quartiers à risques.Pour les quartiers désignés et cartographiés« à risque », l’Etat prône la démolition et lerelogement ex situ. La formation de l’agence

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6.3. Le spectre de l’insécurité foncière,prétexte aux démolitions

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dédiée, Informal Settlements DevelopmentFacility (ISDF), a accéléré cette reconquête dufoncier public avec la reformulation de cettedivision entre quartiers de squat etlotissements clandestins, tout en sedéfendant de l ibérer le foncier pour lesinvestisseurs (ce que l’incertitude politiqueactuelle ne permet pas encore de confirmer).Si les premiers ensembles urbains sontvolontiers assimilés aux slums , catégorievéhiculaire et pratique de traitementurbanistique se calant dans les rai ls desobjectifs du Mil lénaire pour ledéveloppement, l’ISDF réfute l’appellation de‘achwaiy . Ce dernier terme rassemble, dansle vocabulaire commun, l’ensemble de cesquartiers au profit d’une distinction entredangereux, gheir amena (plus ou moinséquivalent de squatt [72]) et zones nonplanifiées ou gheir mukhâttat , qui (seloncette agence) ne nécessiteraient pas la miseen œuvre d’une politique de légalisationglobale mais une mise à niveau de leursinfrastructures.

Les années précédant la révolution ont étémarquées par une multiplication des conflitsouverts liés au délogement sans garanties,associées à une tendance croissante à laprivatisation des biens publics (dont lesterrains publics squattés qui font l ’objet

d’une convoitise accrue) par lesconglomérats immobiliers et financiers (oucorporate capital , cf . Denis, 2011) etmaquées par l’apparition de soutiens par desassociations nationales. I l s’agit là d’uneévolution contradictoire, avec des îlots derégularisation, toujours montrés comme descas exemplaires, qui se superposent avec deszones ciblées pour une éradicationprogressive [73]. Indépendamment de cesrésultats, certains quartiers sont « vidés », pard’anciens habitants qui ne croient plus(comme au Mexique, par exemple) en l’idéalde l’économie et de la ville formelle.

Depuis la révolution, en revanche, toutes lesdémolitions de morceaux de quartiers àrisques prévues ont été arrêtées, par peurdes réactions populaires. Le directeur del’ ISDF [74] observe d’ai l leurs que sonprogramme a été suivi dans de nombreusesprovinces, sauf au Caire et à Suez qui sont (cen’est pas un hasard) les vi l les d’où sontparties la révolution. Déjà, au mois de janvier2011, un mini soulèvement populaire avait eulieu dans le secteur d’Arab al yassar, face à lacitadelle cairote ; la presse l ’avait relayélorsque des agents du CAPMAS (INSEEégyptien) étaient venus collecter desinformations, un déplacement perçu commeun prétexte pour la démolition[75].

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[72] Voir à ce sujet l’article paru en 2012 in ABABSA, M., E. DENIS ET B. DUPRET, (dir.), Popular Housing and Urban Land Tenurein the Middle East: Case Studies from Egypt, Syria, Jordan, Lebanon and Turkey, Le Caire, American University in CairoPress.

[73] Ces « politiques d’éradication de l’impureté » (Monnet, 2011) s’appliquent aussi à certains marchés informels, nouvellepréoccupation gouvernementale qui, depuis la révolution, fait l’objet d’une demande nouvelle de cartographie et derecension à l’ISDF.

[74] Interview réalisée en avril 2012.

[75] Information donnée par Dina Shehayeb, consultante et enseignante en architecture et urbanisme à l’AUC et àl’université MSA.

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Les divers programmes de régularisation misen œuvre depuis trente ans n’ont pas résolucette insécurité foncière. Au regard dessommes investies, le retour surinvestissement pour la régularisation dequartiers de squat est contrasté : chaqueopération aurait conduit à la régularisationd’entre 10 et 45 % de parcelles, soit desrésultats modestes compte tenu du fait quele nombre de secteurs choisis au Caire(comme dans le pays) est très faible, comparéà l ’ intensité du phénomène d’habitatirrégulier. Si cet urbanisme d’exception offrecertains avantages, il souffre de problèmesconsécutifs à son acte même de fondation.Ainsi , l ’absence d’étude sociale ousociologique préalable ne rend par exemplepas justice à la présence de nombreuxlocataires. Tout se passe comme si larégularisation se produisait pour le compte

d’une figure de la petite propriétéimmobil ière, sans tenir compte desconséquences de la valorisation foncière etimmobil ière sur les locataires, qui sontclairement les plus vulnérables dans tous cesquartiers (en raison précisément de latendance à la concentration de la propriétéet à l ’ investissement par des nass kubar— i.e. des gens importants —, entrepreneurs,protégés de l’armée, etc. Ceux qui ont tiréleur épingle du jeu sont souvent repartis,devenus bailleurs, nouveaux slumlords). Cefonctionnement des quartiers de créationpopulaire à plusieurs vitesses doit participerd’une politique compréhensive d’inter -vention, en incluant ce que nous appelons iciles « oubliés de la régularisation », soit laplupart des locataires qui recoupent bien lespopulations en théorie cibles de l ’actionpublique : les plus pauvres.

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L’autre volet plus fréquent des actionsétatiques et/ou de la coopérationinternationale concerne l’assainissement,sachant que l’accès à l’eau est réglé par lemarché. La couverture des quartiersdéshérités est réelle, même si l ’on peutregretter qu’elle ait été si tardive danscertains quartiers non reconnus. Ces derniersn’ont pu bénéficier de l ’assainissementqu’après des années de demandes réitéréeset dans le cadre d’un appui par des députéslocaux, comme pour ‘ Izbat Khaïral lah, unchantier encore en cours qui, semble t’ i l ,souffre de nombreuses disparités localesdans l ’accès à l ’assainissement collectif .Néanmoins, ce service aux usagers estdevenu impératif dans tous les quartierspopulaires, tant la population y estimportante. L’infrastructure tient ainsi lieude politique de régularisation de facto. Si elleparvient à éviter aux ménages, déjàvulnérables, de faire face à de nouvellesdépenses, i l s’agit là d’une intervention aminima d’un service minimum. Or, nosobservations, effectuées sur le long terme,corroborent d’une certaine façon les étudeséconomiques menées par l ’ Institutinternational pour l ’environnement et ledéveloppement (IEED ; cf. Sabry, 2009) quiinvalident la thèse gouvernementale debaisse de la pauvreté, (basée sur une sous-estimation du seuil de pauvreté et une sous-

comptabil isation notable des quartiersachwai’yyat et de leurs résidents).

Si l’on prend, comme Sabry (ibid.), le seuil de143 EGP de dépenses non alimentaires parmois (en EGP constants) par jourcorrespondant au seuil de pauvreté pour unménage de quatre personnes, alorscomment qualifier les ménages des quartierstels que Izbat Khaïrallah (dans lequel nousincluons Istabl Antar) ? Une écrasantemajorité des actifs sont des hommes, parail leurs occupés dans le secteur informel.Leur travail est rarement rémunéré plus de50 EGP par jour, et parfois les auto-entrepreneurs gagnent difficilement 20-30EGP par jour. Le sous-emploi est chronique :au moins la moitié d’entre eux ne travaillentpas plus de trois jours par semaine et lasituation ne fait qu’empirer depuis plusieursannées pour les moins qualifiés. On peutdonc estimer les revenus mensuels dans desfourchettes de 400 à 800 EGP. Si l ’onretranche de ces montants le coût du vidagede la fosse septique (100 EGP/mois), del’approvisionnement en eau (pour ceux quin’ont pas une alimentation courante), destransports, alors la somme restant pournourrir une famil le rarement inférieure à cinq personnes (et parfois bien plus) est de200 à 400 EGP. Malgré ces revenusdérisoires, certains arrivent encore, au prix

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6.4. Réintégrer la connaissance de la pauvreté dans une politique

urbaine intégrée

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de disputes conjugales, à scolariser leursenfants, ce qui revient à 100 EGP par mois enmoyenne pour trois enfants petits (les courspayants et privés obligatoires)[76]. Ainsi, danscertains quartiers (et pas des moindres parla tai l le) , une grande partie des ménagesvivent dans une très grande précarité. Si l’onprend maintenant l ’estimation d’ONU-Habitat (2011), la consommation moyennepar individu parmi les ménages pauvres, toussecteurs confondus, serait de 175 EGP/mois,soit 700 EGP pour un ménage de quatrepersonnes. Dans certains secteurs de squatt,et en particulier avec la crise qui frappe lesmoins éduqués, subvenir aux besoins vitauxest devenu impossible.

Cette année, pour la première fois, desménages nous ont dit ne plus pouvoir payerleurs loyers. Dans certaines rues, leslocataires sont majoritaires et sont ainsi sansaucune protection. Une politique de l’habitat

et une politique urbaine dignes devraientdépasser la politique de raccordement aminima et prendre en compte cette diversitéen s’appuyant sur des répartitions deressources urbaines à même de prendre encompte les ressources et compétences desindividus.

A ces discriminations économiquess’ajoutent de fortes contraintes culturelles,dont les premières victimes sont les filles etles femmes : non seulement les familles nepeuvent parfois plus les scolariser, mais ellessont encore contraintes de se marier jeunes(18 ans, contre 14-15 à la générationprécédente). Peu éduquées, elles sont doncégalement dans l’impossibilité de travailler.Cette situation n’est pas seulement le fait dequestions culturelles : elle est renforcée parl’absence de reconnaissance des quartiers lesplus marginalisés.

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[76] Dans l’enquête ONU-Habitat (2011, p. 75), moins d’un tiers des interviewés des quartiers pauvres étaient en capacitéde payer ces majmou’at (cours du soir).

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Plusieurs pistes pourraient servir à refonderles politiques d’intervention en faveur desquartiers populaires en Egypte. Il est temps,ici aussi , de tirer les leçons de la diffici ledémocratisation des restructurations dequartiers populaires.

S’inspirer des systèmes de développementcommunautaire

On pourrait avancer une première piste : lanécessité d’élaborer, avec la populationconcernée, une cartographie des quartiers etune identification collective des problèmes.La sensibil isation des acteurs de la vieurbaine, professionnels ou pas, qui faitactuellement défaut profiterait en effet àtous. Ainsi serait-il possible d’imaginer uneréflexion en amont des projets sur ce qu’ilest utile et nécessaire de démolir, quand celaparaît indispensable, tant il est clair que lareprésentation par les experts ou lespersonnes concernées n’est jamais partagée.On pourrait s’inspirer de deux initiatives : (i)celle menée au Maroc par l ’Agence dedéveloppement social (ADS), qui assure unemaîtrise d’ouvrage sociale, avec ledéveloppement d’une ingénierie sociale(bien qu’encore très inégale) ; (ii) égalementles programmes thaïlandais (urbancommunity development office) permettantde monter en échelle dans ledéveloppement progressif de programmesd’amélioration d’habitat avec des systèmesde microcrédits et d’aide à l ’auto-organisation (Boonyabancha, 2005). Enfin,nous préconisons, sur le plan foncier, que larestructuration in situ s’appuie aussi sur uneréflexion en amont autour d’une productionmoins standardisée de logements, qui

dépasserait les principes de la charted’Athènes (prenant exemple sur le cas deplusieurs poches d’habitat très précaire àPort-Saïd sur lequel l ’ ISDF est en train detravail ler – Zerzara et Abou Kaboutynotamment). On pourrait égalementévoquer des systèmes de transferts de droitsà bâtir et d’associations entre résidents etpromoteurs sociaux sur le modèle de la villede Mumbai. Enfin i l serait nécessaire depoursuivre la réflexion sur un capacité desgouvernorats et ministères à gérer les statutsfonciers non reconnus, et en particulier lehekr , ce système de location de terrains à lapuissance publique qui s’est souventtransformée en propriété sans sécurité.

Prendre appui sur les mouvements sociauxrécents et les forces locales

La transformation globale de ces secteurspeut faire l’objet d’une interprétation moinspessimiste que par le passé. En effet, onobserve une montée en régime descontestations localisées et en réseau quimettent en synergie les enjeux urbains et lesrevendications de justice et de redistribution.D’une certaine façon on peut risquer unparallèle entre (i) le mouvement de fond, nédans les usines et les villes industrielles, quis’est transformé en grand mouvement deprotestation débouchant sur la révolution du25 janvier (Clément et al. , 2011) et (ii) lemouvement de protestation des habitantsdes quartiers populaires, de centres anciensou de périphéries. Depuis 2007 en effet, LeCaire et certaines vi l les égyptiennes(notamment Port-Saïd) ont été le théâtre deluttes urbaine sur les questions des droitshumains. Elles ont entraîné la création du

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Conclusion

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Centre égyptien pour les droits au logementau début des années 2000 (Deboulet, 2011a).Par droit au logement, on entend en Egypte,comme dans d’autres pays du Sud, nonseulement la mise en place effectived’instruments légaux mis en sommeil (telsque la loi de réquisition ou la lutte contre lesexpulsions locatives pour impayés) maisaussi, et surtout, la lutte contre les évictionsd’occupations de terrains classifiés commeil légaux par les pouvoirs publics. Cesnouveaux acteurs ont gagné l’obtention dudroit au relogement en cas d’expulsion en2009. I ls sont devenus des acteursincontournables dans certains quartiers où,avec les comités populaires émergents etavec l’appui d’avocats et d’architectes actifs,ils peuvent aider à identifier et à former desinterlocuteurs issus de la société civile.

Tester un urbanisme de réparation

Une dernière piste serait de privilégier unurbanisme de réparation, fondé sur unemeil leure formation des techniciens eturbanistes pour se passer des recettestechniques et des catégorisations sommaires.Une attention aux conditions de formationet de différentiation des quartiers doit ainsiurgemment se mettre se place avec denouveaux outils d’investigation pour bienétablir les diagnostics indispensables à touteaction. Il devient indispensable d’envisagerl’instauration de systèmes de péréquationfinancière entre quartiers permettant derattraper des décennies d’investissementfortement inégalitaire dans les quartierspopulaires, et à plus forte raison dans lessecteurs considérés comme informels. Parmi

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Travail autour d'une maquette dans un projet de restructuration participatif à Ismailiya

Droits : A. Deboulet, 2009.

29Photo

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ces mesures de rattrapage, les expériencespilotes ou singulières ne sont pas à mêmesde véritablement répondre aux défis del’urbanisation populaire. De fait , on peutsuggérer que la régularisation soit entrepriseà l’échelle métropolitaine dans une optiqued’élargissement de la citoyenneté urbaine(quitter les zones « test »).

La question foncière, quant à el le, estcomplexe et nécessite un système d’acteurstrès intégré. A ce stade i l est peut-êtrenécessaire de faire une pause, et d’engagerune réflexion sur la gouvernance foncière etla mobilisation des acteurs avant de penserune suite. Dans ce domaine, l ’ innovationvient souvent de la considération portée auxsolutions conventionnelles, véritablement

pratiquées par les ménages. D’autres onttenté, et parfois réussi à mettre en place uneréforme foncière qui traite les territoires surun pied d’égalité, par exemple en maillant leterritoire de guichets fonciers, en pro mul -guant une amnistie générale et en opérantun rattrapage par des infrastructuresadaptées (i.e. légères et facile d’entretien) enmatière d’assainissement notamment. LeCaire connaît une vraie crise environne -mentale qui touche ces quartiers avec plusd’acuité encore que les autres. L’enjeuécologique donc une chance de tester engrandeur nature une politique basée sur unprincipe de justice, orientée par l’équité etun souci de reconnaissance. Ceci supposedes acteurs de terrain, à l ’écoute de lapopulation...aujourd’hui inexistants.

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Liste des sigleset abréviations

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ADS Agence de développement social (Maroc)

AFD Agence Française de Développement

AMDH Association marocaine des droits humains

ANHI Agence nationale de lutte contre l’habitat insalubre (Maroc)

ATU Association tunisienne des urbanistes

AUC American University in Cairo

BEI Banque européenne d’investissement

CAPMAS Central Agency for Public Mobilization and Statistics (Egypte)

CEDEJ Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales(France)

CNRS Centre national de la recherche scientifique

EGP Livre égyptienne

EPH Établissement public de l’habitat (Syrie)

EUR Euros

GIZ Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (Allemagne)

GOPP General Organization for Physical Planning (Egypte)

GPL Gaz de pétrole liquéfié

GRET Groupe de recherches et d’échanges technologiques (France)

GTZ Deutsche Gesellschaft für Techniche Zusammenarbeit (devenu GIZ) (Allemagne)

IFPO Institut français du Proche-Orient

IIED Institut international pour l’environnement et le développement(International Institute for Environment and Development)

IRD Institut de recherche pour le développement (France)

IRMC Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (Tunisie)

ISDF Informal Settlements Development Facility (Egypte)

JICA Japan International Cooperation Agency (Japon)

KfW Kreditanstalt für Wiederaufbau (Allemagne)

LATTS Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés (France)

M20 Mouvement du 20 février (Maroc)

MAM Modernisation de l’administration municipale (Programme ; Syrie)

Liste des sigles et abréviations

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MHUAE Ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de l’Aménagement de l’espace (Maroc)

OGCMC Organisation générale pour le ciment et les matériaux de construction (Syrie)

ONG Organisation non gouvernementale

PARHIB Programme d’appui à la résorption de l’habitat insalubre et des bidonvil les(Maroc)

PDP Participatory Development Program

PJD Parti de la Justice et du Développement (Maroc)

PVSB Programme « villes sans bidonvilles » (Maroc)

SeRVeD Services en réseaux dans les villes en développement (Programme ; France)

UDP Sustainable Urban Development Program (Syrie)

USAID United States Agency for International Development (Etats-Unis)

USD Dollar (Etats-Unis)

USFP Union socialiste des forces populaires (Maroc)

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Établissement public, l’Agence Française de Développement (AFD) agit depuissoixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans lespays du Sud et dans l’Outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par leGouvernement français.

Présente sur quatre continents où elle dispose d'un réseau de 70 agences et bureauxde représentation dans le monde, dont 9 dans l'Outre-mer et 1 à Bruxelles, l’AFDfinance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie despopulations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète :scolarisation, santé maternelle, appui aux agriculteurs et aux petites entreprises,adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffementclimatique...

En 2012, l’AFD a consacré plus de 6,9 milliards d’euros au financement d’actions dansles pays en développement et en faveur de l’Outre-mer. Ils contribuerontnotamment à la scolarisation de 10 millions d’enfants au niveau primaire et de 3 millions au niveau collège, et à l’amélioration de l’approvisionnement en eaupotable pour 1,79 million de personnes. Les projets d’efficacité énergétique sur lamême année permettront d’économiser près de 3,6 millions de tonnes d’équivalentCO2 par an.

www.afd.fr

L’Agence Française deDéveloppement (AFD)

Agence Française de Développement5, rue Roland Barthes – 75598 Paris cedex 12

Tel.: 33 (1) 53 44 31 31 – www.afd.frCopyright: 2e trimestre 2013

ISSN: 2118-3872

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Pierre-Arnaud BARTHELSylvy JAGLIN

Quartiers informelsd’un monde arabe en transitionRéflexions et perspectives pour l’action urbaine

Cet ouvrage prend acte du « réveil arabe », nourri de contestations envers uneprivatisation accrue de la ville excluant les plus pauvres, alors même que les quartierspopulaires, issus de l’informalité, sont toujours très majoritaires. Inégalement intégrésà la vil le, ces derniers sont bien souvent exposés à des vulnérabilités de naturesdifférentes. Ainsi, si l’on ne peut résumer la provenance des révoltés aux seuls quartiersrelégués, le « printemps arabe » a été le révélateur d’une demande sociale multiforme,dont celle d’un droit à la ville et d’une invitation à repenser l’action publique de lapart des autorités au-delà de la démolition et du relogement ex situ , trop souventapportés comme uniques réponses.

L’action conduite (ou l’inaction) jusqu’au réveil de 2011 a-t-elle a posteriori constituéle talon d’Achille des régimes bousculés ? L’irruption des contestations dans les quartiersinformels coïncide-t-elle avec 2011 ou est-elle plus ancienne ? Depuis deux ans, quelssont les changements majeurs observables dans la structuration de l’action urbaine etdans le quotidien des quartiers informels ? Peut-on identifier des signaux (mêmefaibles) indiquant la réorientation de l’action urbaine ? Enfin, quels impacts leschangements politiques ont-ils, ou auront-ils, sur les projets et programmes en cours ?C’est à ces questions que tentent de répondre les auteurs de cet ouvrage, qui s’inscritdans le prolongement d’un séminaire organisé par l’AFD et le laboratoire LATTS (UMR CNRS 8134) le 9 décembre 2011. Six textes sont ici proposés par des chercheurset des experts consultants, tous fins connaisseurs, chacun dans un pays plusparticulièrement, de la réalité sociale des quartiers informels.

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Quartiers informels d’un monde arabe en transitionRéflexions et perspectivespour l’action urbaine

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Coordination : Pierre-Arnaud [email protected]

Sylvy [email protected]

Coordination :

Juin 2013

Véronique SAUVATDépartement de la Recherche, [email protected]

Contact :