quels modèles de prescription pour le livre

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2009/2010 Simon Claus Master 1 Economie Appliquée parcours Economie Industrielle et Veille Stratégique MEMOIRE MASTER 1 QUELS MODELES DE PRESCRIPTION POUR LE LIVRE ?

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Page 1: Quels modèles de prescription pour le livre

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2009/2010

Simon Claus

Master 1 Economie Appliquée parcours Economie Industrielle et

Veille Stratégique

MEMOIRE

MASTER 1

QUELS MODELES DE PRESCRIPTION POUR

LE LIVRE ?

Page 2: Quels modèles de prescription pour le livre

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INTRODUCTION …………………………………………………………………………….3

PREMIERE PARTIE : LE MARCHE LIVRE DU LIVRE A L‟ORIGINE DE

L‟EMERGENCE DE LA PRESCRIPTION

A. LE LIVRE : UN BIEN PARTICULIER ................................................................................................................... 5 1. Le livre : un bien d‟expérience ................................................................................................................. 5 2. Une qualité difficilement perceptible ........................................................................................................ 6 3. D‟autres propriétés faisant la spécificité d‟un bien culturel comme le livre ............................................. 6 4. Une offre à profusion ................................................................................................................................ 7 5. Le livre un « bien singulier » rendant complexe sa vente ......................................................................... 9

B. LA CHAINE DU LIVRE .................................................................................................................................... 10 1. L‟auteur .................................................................................................................................................. 10 2. L‟édition ................................................................................................................................................. 10 3. La diffusion/distribution ......................................................................................................................... 12

4. La vente au détail et les différents points de vente…………………………………………………...………………13

5. Synthèse de la chaine du livre ................................................................................................................. 14

DEUXIEME PARTIE: LES MODELES DE PRESCRIPTION TRADITIONNELS DU

LIVRE

A. QU‟EST CE QUE LA PRESCRIPTION ? .............................................................................................................. 16 1. Hatchuel : les premiers travaux sur la prescription ................................................................................. 17 2. Benghozy et Paris : la théorisation d‟un marché de la prescription ........................................................ 18 3. Karpik et son approche par « les biens singuliers » ................................................................................ 19

B. LA PRESCRIPTION AU SEIN DE LA CHAINE DU LIVRE ...................................................................................... 20 1. L‟auteur : une forme de prescription directe ........................................................................................... 21 2. Le poids des majors de l‟édition et de la distribution ............................................................................. 21 3. Les points de vente ................................................................................................................................. 25

C. LES PRESCRIPTIEURS EXTERIEURS A LA CHAINE DU LIVRE ............................................................................ 27 1. L‟influence du groupe social et du réseau .............................................................................................. 27 2. Le monde des critiques et des médias ..................................................................................................... 28 3. Les classements ...................................................................................................................................... 30

TROISIEME PARTIE: INTERNET BOULEVERSE LES MODELES DE PRESCRIPTION

DU LIVRE

A. INTERNET UN MOYEN DE CONTOURNER LES ACTEURS DE LA CHAINE DU LIVRE ? ......................................... 33 1. L‟auto-édition ......................................................................................................................................... 33 2. La vente de livre en ligne ........................................................................................................................ 34

B. INTERNET UN NOUVEL OUTIL DE PRESCRIPTION............................................................................................ 36 1. Les faiseurs d‟opinion du net .................................................................................................................. 36 2. Les réseaux sociaux numériques ............................................................................................................. 38

C. LE WEB OUTILS STRATEGIQUES DES ACTEURS DE LA CHAINE DU LIVRE ........................................................ 39 1. L‟édition ................................................................................................................................................. 39

2. La librairie traditionnelle sur internet.........................................................................................................40

CONCLUSION ……………………………………………………………………………....45

SOURCES……….……………………….…………………………………….……...…..….47

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INTRODUCTION :

L‟étude d‟un bien comme le livre, du fonctionnement de son marché et des

comportements d‟achat dont ce produit fait l‟objet apparait assez complexe et peu développée

au sein de la théorie économique

En effet, il existe d‟une certaine « pauvreté » en termes de ressources bibliographiques

d‟origine économique en ce qui concerne l‟étude d‟un tel bien, l‟analyse et la compréhension

du fonctionnement du marché du livre et enfin l‟appréhension des comportements d‟achat des

consommateurs. En dépit d‟une complexité évidente, Françoise Benhamou montre que, d‟un

point de vue historique, une minorité d‟économistes s‟est réellement intéressée au domaine de

l‟économie de la culture. Ainsi, elle énonce que « S’il est arrivé de le faire parfois, c’est

moins en tant qu’économiste qu’au titre de leurs inclinaisons pour l’art »1. Keynes par

exemple,

Aujourd‟hui l‟industrie culturelle intéresse de plus en plus l‟émergence de nouvelles

opportunités de recherches semblent s‟accélérer.

Au sein de l‟économie de la culture, l‟économie du livre est une branche qui s‟intéresse aux

conditions de rédaction, d‟édition, de distribution et de commercialisation des livres et, plus

généralement, des périodiques.

Par conséquent, le livre est un bien particulier. En effet, il ne peut être considéré comme un

objet rassemblant un ensemble de feuilles imprimées ou concentrant une quantité variable de

mots composant une histoire. Le livre est un dépôt symbolique. Ainsi, la problématique

spécifique de l'économie du livre peut être symbolisée par la tension qu‟il existe entre le rôle

central des livres comme vecteurs d‟expression d'une culture et leurs natures de produits

commerciaux fabriqués par des grandes firmes industrielles. Dès lors, la question de

l‟appréhension du livre reste ouverte : est-il un output d‟une chaine de production, en

l‟occurrence « la chaine du livre », ou au contraire représente-t-il un bien spécifique, porteur

d‟un savoir, d‟une identité, d‟une culture.

Les enseignements des doctrines néo-classiques standards montrent que, comme dans tout

marché, le consommateur (demandeur de bien) est soumis à une offre et va chercher à acheter

le bien maximisant son utilité. Celui-ci, dans notre cas d‟étude, se retrouve confronter à une

offre pléthorique de livres avec une qualité, des caractéristiques, des sujets, des styles…

totalement différents. Les livres sont des biens très hétéroclites de par leurs contenus ainsi que

de par leurs formes. En l‟absence d‟un relais informationnel optimal, le consommateur ne

peut prendre toute la mesure de ce contenu qu‟après achat, au moment de la lecture et de

l‟analyse de cette dernière.

Pour l‟éditeur allemand, Sir Stanley Unvin, « Vendre un livre est la tâche la plus difficile du

monde ».

En effet, pour le producteur vendre un livre s‟avère être une tâche complexe. Le

consommateur aussi rencontra quelques difficultés pour acheter un livre et surtout un livre le

satisfaisant. Dès lors, la théorie microéconomique standard ne peut être utilisée pour étudier le

fonctionnement du marché du livre (non respect de certaines hypothèses : information

parfaite, bien homogène, flexibilité des prix et équilibre de marché…).

1 Benhamou Françoise (2008), « L’économie de la culture », la découverte, Paris.

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Des relais de prescription vont donc apparaitre entre le consommateur et l‟offreur afin que le

premier trouve le livre lui convenant et que le deuxième puisse vendre sa production. La

prescription va donc être positive et bénéfique pour les deux partis.

Sandra Painbénie explique que « la prescription désigne dans l’édition et le secteur culturel

en général, une opinion donnée sur la qualité d’une œuvre »2. C‟est la qualité qui devient la

principale caractéristique, la variable majeure de la structuration du cadre concurrentiel.

L‟émergence de cet « agent tiers » va permettre un meilleur fonctionnement du marché du

livre. L‟élaboration de la décision d‟achat du lecteur sera le fruit d‟influences diverses faisant

intervenir des acteurs de nature dissemblables. Ces influences répondent à des objectifs

spécifiques suivant les acteurs dont elles émanent et celles-ci vont agir sur le consommateur et

son comportement par l‟intermédiaire de divers biais.

Il existe des méthodes traditionnelles de prescription se basant sur des médias, des moyens de

communications assez « classiques ». Il est important de noter qu‟à coté de ces modes de

prescription de nouvelles formes d‟influence en relation avec le développement des nouveaux

moyens de communication, des nouvelles technologies et d‟internet.

Nous avons donc cherché à savoir quels modèles de prescription sont à l‟œuvre au sein du

marché du livre, comment ceux-ci émergent, quels sont leurs impacts sur la décision d‟achat

du consommateur, mais encore comment l‟avènement d‟internet et du numérique modifie ces

systèmes.

Dans un premier temps, nous allons voir comment les caractéristiques du livre et le

fonctionnement de l‟économie de ce type de bien entraine, et même impose, l‟émergence de

prescripteurs. En effet, le livre est un bien particulier et complexe dont les conditions de

production et de ventes de celui-ci engendrent naturellement l‟apparition de relais et de modes

de prescription.

Dans un deuxième temps, nous étudierons ces modèles de prescription qui influencent le

consommateur dans ses choix et qui permettent aux professionnels de la chaine du livre de

trouver des débouchés.

Enfin, nous verrons que l‟avènement d‟internet et l‟utilisation de plus en plus systématique de

cet outil par les agents économiques nous oblige à considérer internet comme un nouveau

moyen de prescription de plus en plus influant.

Il est nécessaire de préciser que ce travail se limite au cadre de l‟économie du livre en France.

En effet, suivant les pays le fonctionnement du marché du livre diffère quelque peu

(notamment avec la loi du livre au prix unique). Néanmoins, les modèles et méthodes de

prescriptions qui opèrent sur ces marchés sont relativement les mêmes et l‟influence

grandissante de la culture de masse tant à favoriser un processus de convergence des systèmes

et ainsi créer des marchés de plus en plus similaires et homogènes.

Ensuite, il est aussi important d‟ajouter que, du fait du caractère transversal du thème abordé

dans le présent mémoire, une analyse exhaustive recommande une extension des recherches

vers des concepts autres que ceux issus des sciences économiques pures. Des outils provenant

des sciences sociales (comme la sociologie économique3) mais encore de la gestion et du

marketing seront nécessaire au cours de notre étude.

2 Sandra Painbéni. (2008), L‟impact de la prescription littéraire dans le processus de décision d‟achat d‟un roman

3 Philippe Steiner (2005), Le marché selon la sociologie économique, Revue Européenne de Sciences Sociales,

vol. 132, septembre 2005, p. 31-64

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PREMIERE PARTIE : LE MARCHE DU LIVRE A L’ORIGINE DE

L’EMERGENCE DE LA PRESCRIPTION

Dans les paragraphes précédents, nous avons mis en évidence le manque de ressources

bibliographiques en ce qui concerne le traitement du thème de l‟industrie du livre par la seule

théorie économique. Toutefois, il existe de nombreux travaux joignant sciences sociales et

sciences économiques, nous permettant ainsi d‟étudier la nature de ce bien complexe et

spécifique. Partant de ce caractère transversal, nous analyserons dans un premier temps le

livre et ses caractéristiques. Ensuite, nous tenteront de démontrer que les acteurs concernés

forment un système industriel.

Les caractéristique du livre et les stratégies des différents acteurs qui composent la chaine du

livre nous amènerons à voir que des modèles de prescription pour le livre émergent et rentre

en compte dans le fonctionnement du marché du livre.

A) LE LIVRE : UN BIEN PARTICULIER

Les différentes caractéristiques et propriétés du livre font de celui-ci un bien tout à fait

particulier. La nature de celui-ci rend sa consommation complexe et entrainant la nécessité de

l‟émergence d‟intermédiaires afin de faciliter le fonctionnement de ce marché.

.

1) Le livre : un bien d’expérience

Comme la majorité des biens culturels le livre est un bien d‟expérience.

Ce concept, introduit par Nelson en 1970, sera repris et approfondit dans les travaux de

Shapiro en 1983.

Nelson explique que certains produits ont des caractéristiques observables avant l‟achat

(« biens de recherche ») tandis que, pour d‟autres produits, ces caractéristiques ne sont

observables qu‟à l‟usage (« biens d’expérience »). Un bien d‟expérience est donc un bien

consommé par le consommateur afin que celui-ci puisse connaitre la valeur et la qualité.

Ainsi, on ne peut connaitre la qualité d‟un livre qu‟après une lecture soigneuse.

Dans le cas du roman, même s‟il est possible d‟observer certaines caractéristiques objectives

(le nombre de pages, la qualité de la reliure, les noms du ou des auteurs associés, la renommée

de l‟éditeur, la couverture…), on ne peut savoir si c‟est un « bon » livre qu‟après l‟avoir lu.

De la même manière, si on prend l‟exemple d‟un livre scolaire, on ne peut connaitre sa valeur,

et plus précisément ses vertus pédagogiques, qu‟après une certaine période d‟utilisation.

Ainsi, le consommateur se retrouve dans une situation d‟asymétrie informationnelle et celui-ci

est dans l‟obligation faire confiance au vendeur. Akerlof (1970)4 dans son exemple des

« markets of lemons » à mis en évidence que cette situation peut nuire à la transaction

marchande. Cette transaction risque de ne pas avoir lieu en raison du risque d‟obtenir un

produit de mauvaise qualité.

4 G.A. Akerlof (1970), « The Market for „Lemons‟: Quality Uncertainty and the Market Mechanism », Quarterly

Journal of Economics, n° 84.

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Les livres sont des biens d‟expérience très particuliers car leur qualité est difficilement

perceptible et même après usage, cette perception a de fortes probabilités de s‟avérer

purement subjective.

2) Une qualité difficilement perceptible

C‟est richard Caves qui, dans un article publié en 20005, met en avant le fait que, même

après consommation, la perception de la qualité d‟un bien culturel reste difficile. Il nous

explique que son appréciation s‟avère très subjective notamment parce que les goûts des

consommateurs sont idiosyncrasiques. Ainsi, beaucoup de facteurs peuvent rentrer en jeux

dans la perception de la qualité d‟un livre comme les goûts, les convictions et les sensibilités

de chacun, les habitudes individuelles de lecture, l‟éducation reçue, « l‟habitus » etc.

A titre d‟exemple, le débat (voire le déchainement des passions) que le Da Vinci Code de Dan

Brown a engendré montre à quel point l‟appréciation d‟un livre dépend des goûts et analyses

de chacun.

Le romancier Sören Kierkegaard dans le journal d’un séducteur (paru chez Forförerens

Dagbog en 1843) explique qu‟« un livre a ceci de particulier qu'il peut être interprété comme

on veut ».

Martin Kretschmer, George Michael Klimis et Chong Ju Choi dans un article publié en 20006

reprennent la notion de « bien de confiance » de Darby et Karni (1976)7 pour l‟appliquer aux

biens culturels. Les biens de confiance sont des biens dont les consommateurs n‟arrivent pas

à déterminer précisément le niveau de qualité, même après que l‟acte d‟achat et de

consommation aient été effectués. Il n‟est pas rare qu‟une personne ayant lu un ouvrage ne

sache pas trop quoi en penser (c‟est d‟autant plus vrai que lorsque celle-ci lira un type

d‟ouvrage qui n‟est pas dans ses habitudes). Lorsqu‟on demandera à cette personne ce qu‟elle

a pensé de sa lecture elle ne saura pas quoi dire ou alors celle-ci choisira de reprendre une

critique, l‟avis d‟un ami ou d‟un « spécialiste ».

Ainsi le livre est à la fois un bien d‟expérience, un bien subjectif et un bien de confiance, ce

qui place le consommateur dans une situation de forte incertitude.

Il est possible d‟identifier d‟autres propriétés spécifiques permettant d‟appréhender le livre de

manière plus complète. En effet, ces caractéristiques sont à prendre en compte lorsqu‟on

étudie un produit comme le livre et la manière dont se réalise ou concrétise sa consommation.

5 Richard E. Caves, (2000), « Creative Industries, Contracts between Art and Commerce », Cambridge (Mass.),

Harvard University Press. 6 Martin Kretschmer, George Michael Klimis et Chong Ju Choi (2000), « Increasing Returns and Social

Contagion in Cultural Industries », British Journal of Management, vol. 10, 1999, S61-S72. 7 Darby et Karny (1976), “Free competition and the Optimal Amount of Fraud”, Journal of Law and Economics.

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3) D’autres propriétés faisant la spécificité d’un bien culturel comme le livre

Richard Caves(2000)8 a mis en avant certaines propriétés que possèdent les biens

culturels et qui sont applicables au livre :

« Nobody knows » : la demande pour un titre donné est difficilement prévisible, que ce soit

par l'éditeur, le vendeur ou le lecteur. En effet, les livres sont par nature le résultat d‟une

création artistique et originale dont le succès se révèle assez aléatoire. Investir dans un livre

contient une certaine prise de risque. Produire le livre d‟un auteur déjà reconnu réduit cette

prise de risque mais ne la fait pas disparaitre. Certes les biens industriels peuvent aussi être

victime d‟insuccès mais pas dans le même rapport que le livre.

« Time flies » : la période pendant laquelle se fait l'essentiel des ventes d'un nouveau titre est

très courte (rentrée littéraire, livres concernant l'actualité). Quelques semaines après la rentrée

littéraire de septembre beaucoup de livres tombent dans l‟oubli.

« Infinite variety » : les livres se différencient sur un spectre de caractéristiques et de

dimensions très grandes et assez vagues, par opposition aux biens conventionnels. Il existe

une gamme très large de types de livres.

On peut trouver dans une librairie un roman murement réfléchi et longuement travaille publié

par un petit éditeur et non loin de là les mémoires de la dernière star people en vogue.

« A-list/B-list » : les ventes se concentrent sur un petit nombre de titres et possèdent de forts

coûts initiaux (rédaction et édition d'un titre) au regard du coût marginal (imprimer un

exemplaire).

Il existe un fort coût initial pour la production d‟un livre mais ensuite le coût de sa

reproduction (coût marginal comme il est dit ci-dessus) est très faible. Dés lors, la notion

d‟économie d‟échelle est vérifiée dans le cas d‟une reproduction massive. Cette

caractéristique économique dirige le processus de massification de la distribution afin de

bénéficier au mieux de ces économies d‟échelle. Cet objectif de vente se fera via

d‟importantes campagnes promotionnelles et commerciales.

Jonathan Beck ajoute à ces caractéristiques le fait que la moitié des achats de livres sont

décrits comme des achats d'impulsion, par opposition à des achats raisonnés s'appuyant sur

une bonne connaissance des titres.

Enfin, on peut rajouter que les livres sont des biens durables : un agent donné achète rarement

plusieurs fois le même livre.

4) Une offre à profusion

Le marché du livre est marqué l‟existence d‟une offre presque incommensurable. Evrard

parle d‟une situation d‟ « hyperchoix ». Ce concept s‟est développé avec l‟avènement de la

consommation de masse. On pourrait définir l‟hyperchoix comme une situation dans laquelle

l‟avantage d‟un espace de possibilités plus large ne parvient pas à compenser la difficulté de

résolution d‟un problème de choix donné. S‟il existe un nombre de produits optimal pour

choisir, alors la société d‟hyperchoix se trouve située au-dessus de cet optimum. Les coûts de

recherche et les coûts en termes de temps deviennent trop élevés pour le consommateur.

Celui-ci, disposant de capacités cognitives limitées, se retrouve alors dans une situation de

8 Richard E. Caves, (2000), « Creative Industries, Contracts between Art and Commerce », Cambridge (Mass.),

Harvard University Press.

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forte incertitude. Il gaspillerait trop de temps pour trouver le livre qui lui convient et choisir

un livre au hasard entraine une prise de risque trop importante.

La rentrée littéraire de septembre et le florilège de livres accompagnant celle-ci symbolise

bien cette situation. La rentrée de septembre 2009, compte 700 romans et 200 essais. Une

personne, aussi férue de lecture soit-elle, doit faire une sélection et ne pourra lire que très peu

de livres par rapport à la quantité de sorties enregistrées chaque année. De plus, compte tenu

du rythme de ces dernières, la sélection qui s‟impose aux consommateurs est limité dans le

temps. C‟est dans ce cadre que se pose la question de la manière dont se met en place le

processus décisionnel émanant du consommateur.

Pour illustrer ce problème par un simple exemple, nous suivrons le cas d‟un étudiant lambda

qui rentre en 1ère

année d‟économie. Ce néophyte en la matière va s‟appuyer sur un panel plus

ou moins dense d‟ouvrages pour parfaire ou même bâtir sa connaissance de l‟économie.

Lorsqu‟il va chercher un manuel lui permettant d‟apprendre les concepts de base de la matière

il va se retrouver confronté à une multitude d‟ouvrages. Parmi : Introduction à l’économie de

Jacques Généreux, Economie générale de Frederick Poulon, Economie générale de Eric

Bosserelle, L’économie pour les nuls de Michel Musolino etc. il ne saura lequel choisir et

lequel lui sera le plus bénéfique et sera le plus pédagogique.

Enfin, si on prend l‟exemple du livre d‟actualité, on voit à quel point la crise que nous

traversons actuellement a été une formidable opportunité pour nombre de personnes

(économiste ou non) pour écrire un livre et donner une explication individuelle et nouvelle de

la crise. Au final, on se retrouve avec une longue série d‟ouvrages sans savoir lequel sera le

plus amène de fournir une explication claire et en accord avec la réalité (tous si on écoute leur

auteur respectif).

Parallèlement à cette situation de multiplication de l‟offre, on observe une concentration des

recettes sur certains titres farts.

Christine Evain et Frédéric Dorel parlent de « locomotives sont wagon »9. Par exemple en

2005 ces trois locomotives étaient les trois best-sellers Harry Potter, Astérix et Da Vinci code

en poche.

Dans ces trois cas d‟étude, il aisé de remarqué l‟existence d‟une relation entre succès littéraire

et leur adaptation cinématographique. Nous pouvons donc mettre en avant un phénomène de

renforcement bilatéral de succès de ces deux types d‟art.

Cette focalisation sur les œuvres les plus attractives (certains best-sellers ultra-médiatisés) se

fait dans une logique de « star system »10

dont le risque principale est « une uniformisation

des contenus ».

On observe très bien comment ce phénomène se développe lorsque qu‟on voit quelques

auteurs se partager la couverture médiatique (Marc Levy, Amélie Nothomb …).

En 2009, le marché du livre à été tiré par quelques livres. Le livre de Stéphanie Meyer,

Twilight, c‟est vendu à trois millions et demi d‟exemplaires dopant ainsi les chiffres de ventes

mondiales de livres. La croissance de 3,9% des ventes de cette même année résulte en partie

du succès de ce livre. De même, l‟adaptation cinématographique explique pour beaucoup le

succès de cet ouvrage.

De la même manière, on a vu apparaitre un foisonnement de livres pour adolescents sur la

thématique des vampires (sujet du livre Twilight). Au final ces livres abordent tous le même

sujet et ne se démarquent pas les uns des autres de par leur contenu.

9 Christine Evan Fréderic Dorel (2008), « l’industrie du livre en France et au Canada », l‟harmattan, paris,

(P115). 10

Françoise Benhamou (2002); « l’économie du star system », Odile Jacob, Paris.

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Cette situation, que l‟on retrouve de manière générale dans l‟industrie culturelle, amène

Benghozi à conclure que c‟est autour de nouvelles « fonctions de prescriptions que se réorganisent

aujourd’hui les modèles d’affaires des industries culturelles » (ce point sera amplement développé

dans la deuxième partie). La découverte de l‟identité du ou des prescripteurs centralise donc les

questions relatives à l‟analyse du fonctionnement de l‟industrie du livre.

5) Le livre un « bien singulier» rendant complexe sa vente

Le livre est donc, de part ses caractéristiques et sa nature de bien culturel, un bien

particulier. Comme nous l‟avons dit précédemment, on ne peut connaitre la vraie valeur d‟un

livre et la satisfaction apportée. On voit à quel point acheter un livre (quel qui soit) peut

s‟avérer une être une tâche complexe, action dans laquelle le consommateur est soumis à une

situation de forte incertitude.

Dans la première partie de son livre l’économie des singularités, Julien Karpik11

synthétise

parfaitement l‟échec de la théorie standard pour expliquer le fonctionnement du marché de

biens particuliers. Karpik identifie trois caractéristiques pour définir les biens singuliers. Ces

trois caractéristiques sont l‟incommensurabilité, l‟incertitude et la multi-dimensionnalité

(certaines de ces caractéristiques ont déjà été évoquées dans les paragraphes antérieurs).

Ces « biens singuliers » ne répondent pas aux lois de l‟offre et de la demande du fait qu‟ils ne

possèdent pas les mêmes caractéristiques que des biens dit « homogènes » (dont la

différenciation se fait par le prix) ou des biens dit « différenciés » (qui présentent une

différence notable d‟un vendeur à l‟autre). La modalité de concurrence par les prix se

retrouve dépassée par une autre modalité : la qualité. Toutefois encore faut-il pourvoir déceler

cette qualité. Karpik explique que le consommateur ne fait plus un choix rationnel mais émet

un « jugement » qui permet de faire un choix entre « des entités incommensurables ».

Certains acteurs (des intermédiaires) et des dispositifs, comme « les dispositifs de jugement et

de confiance » de Karpik, vont donc émerger afin de guider le consommateur au milieu de

cette « jungle de livres » et permettre au marché du livre de fonctionner, autrement dit de

donner au consommateur le livre qui tentera de satisfaire ses désirs. Du fait de sa nature et de

ses propriétés, les professionnels du livre ont besoins de relais de prescription afin d‟attirer la

demande vers ce produit.

Nous venons donc montrer que les caractéristiques imputables au livre font de celui-ci un

produit tout à fait particulier. Pour bien cerner le marché du livre, en plus des propriétés

intrinsèques de ce bien, il est important d‟identifier les différents acteurs de l‟économie du

livre et les fonctions de chacun.

11

Lucien Karpik (2007), « L’économie des singularités », Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, Paris,

(p.1-51).

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B)LA CHAINE DU LIVRE

La chaine du livre représente les différents acteurs rentrant en jeux de la conception du

livre à sa vente. Chaque acteur va avoir une fonction bien particulière et fondamentale avant

que le lecteur puisse disposer de celui-ci.

1) L’auteur

On ne peut évidemment pas parler du livre sans bien sûr évoquer les auteurs qui sont à la

base de celui-ci. Le nombre élevé d‟écrivains à la recherche de publication donne à l‟éditeur

un rôle de sélection dans une offre virtuellement inépuisable, particulièrement dans le cas du

roman. Il existe peu d‟écrivains dont l‟écriture est le métier principal, beaucoup de romanciers

ne peuvent vivre de la seule publication de leur ouvrage. De la même manière, beaucoup de

personnes publiant des ouvrages techniques ou de recherche sont avant tout des enseignants-

chercheurs.

Au niveau de l‟écriture, il est nécessaire de distinguer plusieurs types d‟ouvrages, les

ouvrages de commande et les ouvrages d‟imagination. Les premiers traitent en général d‟un

domaine technique et spécifique (manuels) ou d‟un évènement d‟actualité (biographie d‟un

personnage récemment décédé, crise financière). Il fréquent que ce type d‟ouvrage face

l‟objet d‟une commande par l‟éditeur à des spécialistes compétents, ou d‟un contrat avec une

personne ayant accès à des informations exclusives. Pour les ouvrages dits d‟imagination, on

assiste à une situation d‟offre pléthorique décrite précédemment parmi lesquels l‟éditeur

sélectionne le livre à publier.

Il existe une grande variété de livres de nature très distinctes qui se différencient totalement de

part leur contenu, leurs objectifs et aussi le public visé (manuels scolaires, ouvrages

politiques, romans d‟horreur, bande dessinées, manga, livres pour enfants…).

Chaque auteur va vouloir mettre en avant son ouvrage mais suivant la nature de celui-ci cela

se fera de manière différente. Par exemple un professeur pourra faire l‟apologie de son livre

en classe tandis que pour un livre pour enfant l‟écrivain utilisera plutôt la lecture publique.

2) L’édition

L‟étape suivante intervenant dans le processus de création d‟un livre est l‟édition. C‟est à

ce moment que l‟on produit le livre. En générale l‟auteur a cédé les droits d‟exploitation de

son œuvre à une maison d‟édition qui se charge de la diffuser. En France, l‟auteur ne cède pas

ses droits intellectuels qui sont inaliénables.

Une première remarque serait de définir l‟activité d‟édition comme une véritable industrie. Le

but de l‟éditeur est de trouver le livre le plus vendeur, celui qui lui apportera le plus de profit

et le meilleur retour sur investissement. Les livres publiés, que ce soient des livres que la

maison d‟édition commande ou des livres qu‟elle sélectionne, doivent se vendre à un public le

plus large possible.

Un livre est un investissement risqué (ce dernier varie en fonction des caractéristiques

intrinsèques du livre). Les éditeurs auront des stratégies différentes ou spécifiques. Ainsi,

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certains se baseront sur des valeurs sûres tandis que d‟autres opterons pour des thématiques

osées ou pas encore attractives.

Dans cette idée, Bourdieu (1977)12

a opposé les stratégies de deux grandes maisons d‟édition

(Minuit et Laffont). La stratégie des éditions de Minuit se base plutôt sur la recherche de

livres avec un contenu neuf et adoptent une politique qui peut être qualifiée d‟innovante. A

l‟inverse, la stratégie de Laffont se base plutôt sur la recherche de best-sellers, de titres pré-

vendus, de témoignages à sensation. Cette politique moins risquée engendre des livres qui, en

règle générale, deviennent rapidement obsolètes. La stratégie de Minuit se base sur un

segment où l‟incertitude est forte et les retours sur investissements non garantis mais qui

seront compensés par la longévité de certains titres.

C‟est ce que l‟auteur John Ruskin résume en énonçant dans Sesame and lilies : « Les livres

peuvent se diviser en deux groupes : les livres du moment et les livres de toujours ».

Les stratégies peu risquées tablant sur des best-sellers et certains gros titres sont aujourd‟hui

majoritaires et tirent les ventes et, par conséquent, le marché du livre.

Le marché de l‟édition est un oligopole à frange. En économie industrielle, un oligopole à

frange est une structure de marché en concurrence imparfaite où on peut observer un nombre

restreint de grosses entreprises, formant un oligopole, et qui contrôlent une vaste part du

marché. A coté de cet oligopole, le reste est représenté par un grand nombre de petites

entreprises qui se retrouvent dans une situation proche de la concurrence pure et parfaite et

partagent la faible part du marché laissée par les « majors ».

Ainsi une large part du marché de l‟édition est tenue par un petit nombre de grandes maisons

d‟édition publiant plusieurs centaines de titres par an alors que la moyenne des maisons

d‟édition varie entre 20 et 40 titres.

Le mouvement de concentration du marché de l‟édition a débuté en France au début des

années 80. Les veilles maisons d‟édition familiales ont du céder la place à de grands groupes

pour qui l‟édition est une industrie dont l‟objectif est clair : la maximisation du profit.

En 2004, les 30 plus grosses maisons d‟éditions en France, soit seulement 1% des marques

existantes, comptabilisaient plus de 90 % du chiffre d‟affaire du secteur. Le marché n‟a pas

évolué vers une situation plus équitable.

Dans un article du monde diplomatique 200313

, les journalistes Greg et Janine Bremond

s‟inquiètent de cette situation. Ils prennent l‟exemple de Dassault et Lagardère pour nous

expliquer comment ces deux marchands d‟armes ont su prendre une position dominante dans

le secteur de l‟édition avec une logique de gestion purement industrielle. Avec l‟acquisition

des nombreux d‟éditeurs que possédait Vivendi Universal, le groupe Lagardère domine le

secteur via Hachette. Hachette a une position centrale dans le domaine de l‟ouvrage politique,

il produit les trois quarts des livres de poche et de l‟édition scolaire et 90% des dictionnaires.

Les douze plus gros éditeurs, selon leurs chiffres d’affaires 2004 (en millions d’euros)

Nom de l’éditeur Maison mère et pays CA 2004

Hachette-Livre Lagardère SCA (F) 1432

Editis Wendell Investissement (F) 717

France-Loisirs Bertelsmann 404

12

Pierre Bourdieu (1977), « la production de la croyance : contribution à une économie des biens

symboliques », actes de la recherche en sciences sociales, 13 février 1977, (p.3-43). 13

Janine Brémond et Greg Brémond (2003), « la liberté d‟édition en danger », le monde diplomatique de janvier

2003.

Page 12: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 12

Les douze plus gros éditeurs, selon leurs chiffres d’affaires 2004 (en millions d’euros)

Nom de l’éditeur Maison mère et pays CA 2004

Editions Atlas Di Agostini (NL) 388

La Martinière/Le Seuil La Martinière Groupe (F) 260

Groupe Flammarion RCS (I) 238

Groupe Gallimard Madrigall (F) 221

Lefebvre Sarrut Frojal (F) 214

Groupe Albin Michel SHP (F) 212

Reed-Elsevier Reed-Elsevier (GB-NL) 189

Wolters-Kluver Wolters-Kluver (NL) 137

On peut aussi observer une tendance à l‟internationalisation des grands groupes éditoriaux.

Cela confirme l‟idée qu‟une logique purement financière se dessine dans le monde de

l‟édition.

Cette situation n‟est pas sans conséquence sur la chaine du livre car elle confère un immense

pourvoir aux grandes maisons d‟édition. Une minorité à le pouvoir de choisir quel livre sera

publié. Dans son livre, L’économie de la culture14

, Françoise Benhamou explique que sur la

quantité de livre que reçoit un éditeur moins de 5% sont publiés.

Il est aussi important de noter que pour bien comprendre l‟espace de l‟économie de l‟édition

littéraire, il convient d‟étudier le monde du livre dans son ensemble : on ne peut pas s‟arrêter

au aux simples romans. En effet, l‟édition de livres s‟organise autour de plusieurs marchés

très différents dans leurs économies, leurs structures, leurs publics et les objectifs visés

(littérature générale, BD, jeunesse, livres scolaires, livres politiques, livres d‟actualité, beaux-

arts, ouvrages pratiques et ouvrages scientifiques…). Chacun d‟eux correspond à des modèles

d‟affaires très différents quant à la structure et aux coûts de production, à la nature, au degré

du risque éditorial, à la fréquence de production et aux tirages.

3) La diffusion / distribution

Le diffuseur est chargé de la promotion du livre. Il organise des campagnes

promotionnelles, s‟assure de la mise en place du livre dans les différents points de vente et du

réassort.

Le distributeur a un rôle de logistique. Il gère le stock de livres pour le compte de l‟éditeur.

La diffusion/distribution joue un rôle essentiel dans la chaine du livre car elle permet aux

livres de rencontrer leurs lecteurs potentiels. Il s‟agit pour les éditeurs de positionner les livres

de façon à ce qu‟ils soient achetés. Ceux-ci vont chercher à se positionner sur le ou les bons

segments du marché. Les grandes maisons d‟édition disposent de plus de moyens et de plus

d‟influence que les petits éditeurs pour effectuer cette diffusion/distribution. De manière

générale, les premiers disposent de représentants spécialisés tandis que les seconds, faute de

moyens, sous-traitent ces activités. Il est important de noter que, derrière les gros diffuseurs,

nous retrouvons les éditeurs majeurs.

14

Françoise Benhamou (2008), « L’économie de la culture », la découverte, Paris.

Page 13: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 13

Ainsi, la diffusion distribution a un poids tout à fait considérable dans l‟économie du livre.

Comme l‟explique Françoise Benhamou, « La maitrise de la diffusion et la distribution

constitue la clef de l’indépendance» (p.68).

En règle générale, ce sont les structures qui pèsent le plus dans les industries culturelles.

Pierre-Jean Benghozi15

justifie cette position stratégique par trois raisons. La première vient

du fait (comme il a été montré plus haut) que la reproduction offre d‟importantes économies

d‟échelles. La deuxième raison est qu‟il faut assurer la distribution physique des œuvres. La

troisième raison vient de la nature du bien, « des caractéristiques informationnelles du

marché » («grande variété et information incomplète du consommateur ») et de la position

d‟incertitude dans laquelle se trouve le consommateur.

En 2004, le Livre Hebdo recensait 215 diffuseurs et distributeurs. En France, les deux

premiers distributeurs, Hachette et Interforum (Editis) contrôlent près de 65% du marché, les

six premiers atteignent une part supérieure à 80%.

On observe donc une certaine main mise des grands groupes sur l‟architecture des fonctions

de diffusion/distribution, structure dans laquelle les grands noms de l‟édition semblent

majoritaires et disposent d‟un pouvoir d‟orientation des marchés.

4) La vente au détail et les différents points de ventes

Tout d‟abord, il est important de signaler que, quelque soit le lieu de vente, un livre est

toujours vendu au même prix. La loi Lang est la loi française (« loi n°81-766 du 10 août 1981

relative au prix du livre ») imposant un prix unique du livre en France (avec intervalle de +5%

ou oins 5% autorisé).

En France, les principaux points de vente du livre sont les détaillants (les librairies, les

grandes surfaces spécialisées (Fnac, Virgin, espace culturel Leclerc)), les supermarchés et,

dans une moindre mesure, les clubs du livre. Ces points de ventes ne visent pas forcément le

même public et n‟adoptent pas les mêmes stratégies de vente.

Les hypermarchés privilégieront des « valeurs sûres », des livres dont la lecture est

relativement « facile » et « abordable » et vendront des livres avec un coût généralement bas

(livres de poche). On retrouvera une certaine standardisation des produits et une offre assez

réduite (moins de 5 000 références sont proposées en hypermarchés contre les 200 000

références possibles).

Les librairies semblent plus présentent et plus performantes sur l‟apport informationnel. Le

libraire peut être considéré comme un expert en son domaine et donnera un aperçut (certes

subjectif) de la qualité globale du livre.

Les grandes surfaces spécialisées vont elles aussi conseiller le lecteur dans ses choix tout en

développant des techniques de promotion et de ventes massives.

Cependant, une nouvelle tendance est à noter : comme dans beaucoup d‟autres domaines,

internet qui semble peu à peu bousculer cette structuration.

Une étude Xerfi, publiée en novembre 2006, (Distribution de livres : perspectives du marché-

stratégie de développement de Valérie Cohen) explique qu‟en 2005, le poids d‟internet dans

la vente de détail de livres était encore mineure (inférieur à 5% du marché). Même si son

influence semble encore faible, internet tend à prendre de plus en plus d‟importance dans ce

15

Pierre-Jean Benghozi et Thomas Paris (2005). « Analysing the Distribution to Understanding the Markets of

Cultural Goods » 8th International Conference on Arts & Cultural Management. HEC-Montréal, François

Colbert

Page 14: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 14

domaine. De plus, il convient de préciser que l‟impact du réseau internet est, comme dans de

nombre cas, difficilement mesurable ou même identifiable. Malgré ce dernier élément,

« Internet est en passe de devenir un des acteurs majeurs dans le circuit de la distribution des

livres » 16.

Nous verrons dans une troisième partie comment l‟influence d‟internet entraine « une

redistribution des cartes » et oblige les acteurs « traditionnels » de la chaine du livre à

modifier leurs habitudes et leurs stratégies.

5) Synthèse de la chaine du livre

Le tableau17

ci-dessous synthétise le rôle et l‟influence des différents acteurs de la chaine

du livre. Celui-ci illustre avec précision les fonctions de chacun. Il met bien en évidence le

rôle et l‟importance du groupe éditeur/diffuseur dans le processus de production et vente du

livre.

.

16

Alain Beuve-Méry(2006), « Internet, futur "grand" de la distribution des livres », le monde des livres 18.05.06. 17

Pierre-Jean Benghozi et Thomas Paris (2005). « Analysing the Distribution to Understanding the Markets of

Cultural Goods » 8th International Conference on Arts & Cultural Management. HEC-Montréal, François

Colbert, (p5).

Page 15: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 15

Le schéma 18

ci-dessous représente clairement le chemin que parcoure le livre de sa création jusqu‟à sa

vente. On retrouve bien l‟image de chaine du livre.

Ainsi, chaque acteur est différent et joue un rôle particulier. Chacun va chercher à promouvoir

le livre à vendre. Le fait que ces acteurs disposent chacun de moyens financiers, d‟influences

et de techniques qui diffèrent va les amener à réaliser cette promotion d‟une manière qui leur

sera propre. Certains gros d‟éditeurs ou de grands hypermarchés du livre pourront mettre en

place de réelles stratégies de vente et des « business models » efficaces afin de faire vendre

leur produit, à la différence de structures plus modestes disposant de moins de moyens.

On va voir apparaître des modes de prescription en liaison avec des objectifs de vente et de

rentabilité.

Conclusion de la première partie :

Ainsi, le livre est un bien complexe qu‟il faut appréhender avec un certain degré de

minutie.

Le lecteur qui souhaite acheter un livre aura besoin d‟un appuie, sinon celui-ci ne trouvera pas

le produit lui apportant satisfaction ou prendra trop de risques en réalisant son achat (dans le

sens où celui-ci sera déçu par cet achat). L‟objectif de l‟éditeur et du vendeur de livre va être

d‟orienter le consommateur vers son offre et le rassurer sur la qualité de celle-ci.

Des tiers vont donc naturellement émerger afin de guider l‟individu dans sa recherche de

livre. Ces prescripteurs seront de natures différentes et pourront soit être « indépendants »

soit avoir des objectifs commerciaux biens précis.

Ainsi, des modèles de prescription de nature différentes et avec des origines diverses seront à

l‟œuvre au sein du marché du livre afin d‟aiguiller et de conseiller mais aussi pour inciter à

acheter dans une situation d‟incertitude et d‟asymétrie informationnelle.

18

Pierre-Jean Benghozi et Thomas Paris (2005). « Analysing the Distribution to Understanding the Markets of

Cultural Goods » 8th International Conference on Arts & Cultural Management. HEC-Montréal, François

Colbert, (p.4).

Page 16: Quels modèles de prescription pour le livre

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DEUXIEME PARTIE: LES MODELES DE PRESCRIPTION

TRADITIONNELS DU LIVRE

Comme nous venons de le dire, la nature même du livre et sa gestion entrainent

l‟émergence d‟agents intermédiaires dont la compétence principale est l‟orientation du

lecteur. Après une étape initiale de définition et de caractérisation, nous allons donc tenter

d‟identifier quels modèles de prescriptions sont à l‟œuvre sur le marché du livre.

A) QU‟EST CE QU‟EST LA PRESCRIPTION ?

Le terme de prescription renvoie à plusieurs notions. Le premier contexte, très

spécifique, est celui du droit. La notion de prescription qui nous intéresse est celle qui renvoie

à l‟idée d‟influence sur les comportements, avis et choix des agents économiques. Cette

prescription renvoie à une notion de conseil, de recommandation, de précepte voire

d‟injonction. Dans les dictionnaires, nous retrouvons ce concept dans deux cas de figures, le

médecin prescrivant des médicaments et le professeur recommandant un livre.

Plusieurs travaux assez récents ont été publiés pour aborder le vaste thème des applications de

la prescription et plus précisément son rôle dans la transaction marchande.

De manière générale, l‟apparition du prescripteur vient du fait que le consommateur, introduit

au centre d‟une situation d‟incertitude et d‟asymétrie d‟informationnelle, à besoin d‟être

conseillé et aiguillé. C‟est à ce niveau là que le prescripteur intervient et celui-ci va orienter

ces entités, notamment lorsque les choix sont complexes. Le prescripteur va apporter un

savoir et une connaissance qui font défauts à l‟acheteur. La prescription va donc influencer le

comportement et les choix des individus. Prescrire revient à conseiller, recommander,

préconiser voire ordonner ; c‟est un apprentissage et une aide à la consommation. Le

prescripteur va orienter l‟acheteur vers un offreur spécifique. L‟émergence de ce tiers remet

donc en cause une certaine vision binomiale du marché et de la transaction marchande où les

seuls acteurs seraient un vendeur et un acheteur.

Dans une optique de marketing, la prescription va se définir comme une pratique

commerciale. La prescription va agir sur la transaction marchande. Une personne (tierce ou

non) oriente l‟acheteur potentiel dans le choix d‟offre d‟un produit ou d‟un service. La

prescription réalisée va consister pour le producteur à faire connaitre sa prestation, la qualité

de celle-ci et ses compétences à une clientèle donnée, ciblée (demande potentielle). L‟objectif

de ce dernier est d‟étendre au maximum sa clientèle (part de marché), ce qui veut dire que ses

interlocuteurs doivent reconnaitre le prestataire et croire aux qualités de l‟offre. On va assister

à la mise en place d‟une gestion de la prescription. Il y a dans cette vision de la prescription

des aspects majoritairement commerciaux. Ainsi, cette optique devient une véritable

technique de management et de vente.

Dès lors, il convient de réaliser une rapide revue de littérature des principaux travaux relatifs à

cette problématique.

Page 17: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 17

1) Hatchuel : les premiers travaux sur la prescription

En se replaçant au sein de la théorie économique, Armand Hatchuel(1995)19

apparait

comme l‟auteur qui a le plus travaillé sur le thème de la prescription et ses travaux sont les

plus avancés sur le sujet. Même s‟il distingue dans la relation de prescription deux

dimensions, «organique» et «savante», son approche reste essentiellement attachée à la

composante informationnelle.

Celui-ci aborde le rôle des prescripteurs dans la formation de l‟échange marchand. Pour lui, la

prescription fait que « le consommateur se disqualifie lui-même de ses propres choix ».

Hatchuel va définir trois types de prescription :

la « prescription de fait » : elle va porter sur un état du monde et ne peut être

contestée. Le prescripteur vient combler une incertitude que le consommateur ne

pourrait pas réduire lui-même. A titre d‟exemple, lorsqu‟une personne souhaite

acheter une maison, elle peut faire appel à un expert pour savoir quel est son prix.

la « prescription technique » : elle consiste à faire intervenir le prescripteur « dans le

processus d’achat en apportant des notions initialement inconnues de l’acheteur » ou

pour « comble[r] une incertitude plus complexe qui s’étend jusqu’à l’ignorance des

pratiques possibles ». Le consommateur n‟a pas le savoir technique lui permettant de

faire l‟achat qui lui sera le plus bénéfique. Celui-ci va donc faire appel à un

intermédiaire.

la « prescription de jugement » : elle amène le prescripteur à « proposer une

définition de la chose à acquérir et son mode d’appréciation ». Cette prescription

conduit le consommateur vers une idée de la qualité du produit. Dans cette

perspective, les prescripteurs s‟identifient comme « des faiseurs d’opinion »20

. Ce

mode de prescription est susceptible de modifier le modèle de connaissance du

consommateur.

Hatchuel rajoute que, même si la prescription permet d‟acquérir une information ou un savoir,

elle n‟empêche pas celui qui la reçoit de porter un regard critique et un jugement. Ainsi, la

prescription reste une proposition car son acceptation est éventuelle.

Par exemple, un consommateur peut réagir de deux manières différentes à l‟attribution du prix

Goncourt. Son comportement fera qu‟on le qualifiera d‟actif ou de passif. Dans le premier

cas, il remet en cause le dispositif mis en place (ici le Goncourt). Il se posera donc plusieurs

question (le prix est-il mérité ? le jury n‟est-il pas influencé ?…). Dans le deuxième cas, il

sera qualifié de passif et absorbera la parole de l‟expert.

L‟analyse de la prescription d‟Hatchuel permet de comprendre le fonctionnement de celle-ci.

Les travaux de Benghozi et Paris viendront compléter et embellir efficacement son analyse.

19

Armand Hatchuel(1995). « Les marchés à prescripteurs : Crises de l'échange et genèse sociale »,

L'inscription sociale du marché. A. Jacob and H. Vérin. Paris, L'Harmattan. 20

Robert J. Schiller (1989), “Market Volatility”, Cambridge : The MIT Press

Page 18: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 18

2) L’Benghozi et Paris : la théorisation d’un marché de la prescription

Bien que poussée, l‟analyse de Hatchuel ne définit pas vraiment de marchés de la

prescription mais plutôt des marchés à prescripteurs. Benghozi et Paris(2003)21

vont identifier

(schéma ci-dessous) un marché de la prescription à part entière.

Ici, le prescripteur peut être considérer comme un tiers à part entière s‟immisçant entre

l‟offreur et le consommateur et devient un acteur décisionnel jouant un rôle dans l‟acte

d‟achat. Nous verrons plus loin que l‟offreur peut aussi être le prescripteur. Pour Benghozi et

Paris, le prescripteur va au-delà du simple rôle d‟intermédiaire et il existe de véritables

marchés de la prescription.

Les deux auteurs mettent en avant les fonctions de sélection et d‟évaluation de la prescription.

Toutefois, leur analyse ne s‟arrête pas là. Ils montrent que l‟émergence de ces tiers ne résulte

pas simplement des imperfections de marchés que l‟on peut observées, ou encore des limites

de la transaction comme dans un cas d‟asymétrie informationnelle. Ils nous expliquent que

cette situation peut tenir directement de « la nature du bien » comme dans le cas du livre ou

de « la structure de la production ».

En se basant sur les travaux de Hatchuel, de Benghozi et de Paris, Thomas Stenger22

va

identifier la prescription comme la résultante de la combinaison d‟un mode de relation (ou

d‟interaction) entre personnes disposant d‟un différentiel de savoir. Ainsi, celle-ci constitue

un cadre et un moteur pour l‟action collective et en particulier pour l‟action marchande.

21

P.-J. Benghozi et T. Paris (2003), "De l‟intermédiation à la prescription : le cas de la télévision", Revue

française de gestion, Vol. 29, n° 142, janvier-février, pp. 205-227. 22

Thomas Stenger (2007), « Prescription et interactivité dans l'achat en ligne », Revue Française de Gestion,

n°172, avril, pp. 131-144

Page 19: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 19

3) Karpik et son approche par « les biens singuliers »:

L‟œuvre de Karpik (2007)23

et son approche par « les biens singuliers » et le « jugement »,

va amener l‟auteur à définir des méthodes de prescription pour ces biens particuliers au cœur

de son analyse.

Tout d‟abord, Karpik introduit la notion de « dispositif de jugement » et de « dispositif de

confiance ». Ces deux notions sont intimement liées car un dispositif de jugement se doit

d‟être un dispositif de confiance pour recueillir une certaine légitimité et fonctionner. Pour

être accepté comme crédible, un dispositif de jugement doit bénéficier de la confiance des

personnes qui l‟utilisent.

Le but des dispositifs de jugement est de réduire l‟opacité qui sévit sur « le marché des

singularités ». Ceux-ci accompagnent le consommateur dans ses choix en apportant des

informations et des connaissances qui feraient défaut à celui-ci. Ils ont pour but la réduction

de l‟incertitude à laquelle le consommateur est confronté. Karpik différencie les dispositifs de

jugement qui peuvent être commerciaux ou indépendants. Suivant le cas de figure, ils

répondent à une logique différente.

L‟auteur utilise ensuite le terme de « configurations symbolico-matérielles » pour parler des

différents dispositifs et moyens mis à disponibilité du consommateur afin que celui-ci puisse

bénéficier d‟une vision un peu plus claire du marché et des différents produits qui y sont

proposés.

Cinq types de dispositifs de jugement sont identifiés par Lucien Karpik. On les retrouve dans

le monde du livre et ils peuvent être assimilés à des formes de prescription. Ces cinq types

sont :

« le réseau » qui repose essentiellement sur le bouche à oreille,

« les appellations » qui permettent de qualifier un type de produit (Édition blanche de

Gallimard),

« les cicérones » qui offrent une évaluation d‟un bien (critique littéraires),

« les classements » qui permettent de hiérarchiser les produits suivant leurs propriétés

et leurs caractéristiques spécifiques (prix littéraires, classement des journaux),

« les confluences » qui sont les techniques de ventes (Agencement de l‟espace au sein

de la librairie).

Tous ces outils vont clairement avoir une influence sur le consommateur et sur le jugement

qu‟il se fera de tel ou tel livre. Nous nous étendrons plus longuement sur ces dispositifs

lorsque nous les rencontrerons dans notre étude.

L‟auteur met une évidence qu‟une « relation de délégation » est à l‟œuvre dont le fondement

est « une relation volontaire ».

Karpik explique que ces dispositifs de jugement ne sont pas imposés au consommateur et

peuvent être librement choisis et abandonnés. On retrouve l‟idée de Hatchuel lorsque celui-ci

évoque « la prescription de jugement » et qu‟il explique que le consommateur n‟est pas obligé

de suivre celle-ci.

Les dispositifs de jugement ne représentent qu‟une partie de l‟analyse de Karpik. En effet,

dans la troisième partie de son livre, Karpik évoque les régimes de coordination économiques

qui sont l‟aboutissement de sa réflexion. Ceux–ci visent l‟émergence des principes

d‟intelligibilité du marché des singularités et cherchent à expliquer le fonctionnement et

l‟évolution de ces marchés. Ces régimes de coordinations se distinguent par les dispositifs de

jugement qui interviennent, la singularité des biens et son impact sur le consommateur et ses

23

Lucien Karpik (2007), « L’économie des singularités », Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, Paris.

Page 20: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 20

choix. Ces régimes sont répartis dans deux types de mode coordination : les régimes à

dispositifs impersonnels qui englobent le régime d‟authenticité, le régime Méga, le régime de

l‟opinion experte et ensuite, le régime de l‟opinion commune et les régimes à dispositifs

personnels qui regroupent les régimes des convictions, le régime professionnel et le régime

inter-firmes.

Nous retrouverons certains de ces modèles de coordination dans l‟étude du marché du livre.

Glioner explique que, dans le cas du marché du livre, il apparaît plus logique de s‟en tenir

aux types de dispositifs impersonnels. Ainsi, Glioner (2010)24

synthétise, à partir du livre de

Karpik, ces 4 types de régimes de coordination dans le tableau suivant :

Tableau de Anthony Glioner :

Painbéni (2008)25

a aussi repris les grands travaux réalisés sur la prescription pour aborder le

thème de la prescription littéraire et en particuliers la prescription en matière de romans. Ses

recherches se rapprochent donc fortement de notre sujet d‟étude. Dans son analyse, elle

explique que les travaux académiques sont peu nombreux voir embryonnaires en matière de

prescription littéraire. Celle-ci va donner une définition de la prescription littéraire résultant

d‟entretiens avec des experts du livre (éditeurs, attachées de presse, critiques littéraires,

libraires). La synthèse de ces entretiens énonce que « la prescription est une variable qui

contribue directement ou indirectement à déclencher l’acte d’achat de livres chez les

consommateurs. ».

B)LA PRESCRIPTION AU SEIN DE LA CHAINE DU LIVRE

Les acteurs de la chaine du livre vont avoir des objectifs de vente et leur but est

d‟optimiser celles-ci. Chacun va essayer de mettre sur le devant de la scène le livre qu‟il

produit ou qu‟il vend. La prescription s‟opère donc majoritairement dans l‟espace alloué aux

stratégies de marketing.

24

Anthony Glinoer (2010), Vers une sociologie économique des singularités littéraires, Contextes [En ligne], Notes de lecture 25 Sandra Painbéni (2008), La prescription dans le processus de décision d‟achat de produit culturel : le cas des

romans et nouvelles de littérature générale contemporaine,

Page 21: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 21

1) L’auteur : une forme de prescription directe

Un auteur peut faire individuellement la promotion de son œuvre en espérant doper ses

ventes.

Un exemple emblématique de prescription réalisée par l‟auteur est le professeur qui fait

acheter son livre à ses étudiants. On n‟a plus une simple information ou un conseil mais

quasiment une véritable injonction. L‟achat du livre est une des conditions de la réussite

(encore faut-il le lire après l‟avoir acheté). On parle dans ce cas là de prescription et non pas

d‟une simple intermédiation.

Lorsqu‟une personne publie un livre abordant un phénomène de société ou un sujet

d‟actualité, comme par exemple la crise financière que nous traversons actuellement, son

auteur sera amené à faire des conférences et sera interviewé sur ce sujet. Au cours de ces

prises de paroles, ces auteurs pourront faire la promotion de leur livre directement au public.

Ils prescrivent leur ouvrage, condition nécessaire et parfois présentée comme suffisante à la

compréhension du sujet.

2) Le poids des majors de l’édition et de la distribution

Comme nous l‟avons montré précédemment, l‟édition et la distribution de livre sont

concentrées autour de certains grands groupes.

Tout d‟abord, le poids économique de ces majors leurs confère un rôle décisif dans le choix

les livres qui sont présentés au lecteur. Du fait de leur concentration, une minorité (les

quelque grands groupes du monde de l‟édition et de diffusion) va filtrer une offre pléthorique,

élisant par une série de tris sélectifs les ouvrages qui seront mis à disposition du grand public.

En choisissant quel livre sera ou ne sera pas mis à disposition du consommateur, ces maisons

d‟édition possèdent une fonction de sélection qui peut s‟identifier comme une forme de

prescription. On ne peut pas se contenter de voir les professionnels de l‟édition comme de

simples producteurs, leur influence va au-delà de cette simple fonction. On peut dire qu‟il

existe une imbrication étroite entre fonction de d‟édition/diffusion et fonction de prescription.

Dans leur mission d‟identification de la qualité, l‟édition et la diffusion jouent donc un rôle de

filtre et de sélection parmi une offre quasi-inépuisable.

Benghozi et Paris dans leur article (2005)26

parlent de « Prescriber-distibutor » (illustré par le

schéma ci-dessous).

26

P.-J. Benghozi et T. Paris (2005), « The Economics and Business Models of Prescription in the Internet»,

Internet Economics, E. Brousseau et N. Curien, Cambridge University Press.

Page 22: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 22

Ces prescripteurs sélectionnent des produits ou des services disponibles pour ensuite les offrir

au consommateur. Même si ces deux auteurs partent de l‟exemple d‟internet, il est aisé de voir

à quel point ce modèle peut être transposable à notre objet d‟étude. L‟étude de la chaine du

livre a montré les différentes étapes suivies par un livre, de sa conception à sa vente.

En modifiant le modèle que nous venons de voir pour l‟appliquer à notre situation, nous

obtiendrions :

Page 23: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 23

Un véritable effet de prescription apparait dans cette relation. Le prescripteur (maisons

d‟édition et de diffusion) à un rôle prépondérant et son action est directe. Le consommateur

n‟a pas le pouvoir d‟outrepasser celle-ci.

Cette influence considérable de l‟édition et cette concentration a été mise en avant par bon

nombre d‟intellectuels, écrivains et journalistes du fait de la présence d‟une inquiétude

grandissante face à cette situation. Ces craintes se cristallisent à travers l‟émergence d‟un

risque de standardisation des produits.

Les maisons d‟édition peuvent être tentées, afin de maximiser leur profit, de produire toujours

le même type de produit (« d‟utiliser les recettes qui marchent ») avec au final des livres dont

les caractéristiques sont toujours similaires. La recherche du « succès facile » peut être un

risque en termes de diversité culturelle.

Cette stratégie consistant, pour la maison d‟édition, à miser sur quelques ouvrages à gros

succès rentre dans ce que Karpik nomme le régime Méga. C‟est à ce régime qu‟appartiennent

les blockbusters du cinéma ou de la littérature. Dans le régime Méga, les critères quantitatifs

l‟emportent sur les critères qualitatifs.

Dans leur article la liberté d’édition en danger27

, Janine et Greg Brémond critique cette

concentration de l‟édition et la distribution (« Lagardère contrôle à lui seul la distribution de

70% des livres en France ») et dénonce le risque d‟uniformisation des livres que cette

situation entraine. Ils prennent l‟exemple d‟un livre comme Harry Potter. Celui-ci c‟est vendu

à plus de 10 millions d‟exemplaires dans le monde. Surfant sur la même vague une série de

livres du même type sont sortis à la suite de ce succès. Plon, par exemple, a publié Peggy sue

et les fantômes (une série de littérature de jeunesse écrite et créée en 2001 par Serge

Brussolo).

Dans L'industrie du livre, en France et au Canada: perspectives (p116) par Christine Evain et

Frédéric Dorel, Olivier Cohen, directeur des éditions de L‟Olivier, explique le rôle de

l‟éditeur dans l‟émergence d‟une culture de masse : « C’est lui le roi, c’est le client. Je parle

là bien entendu de notre statut d’éditeur cela nous concerne tous c’est ce que j’appellerai

l’émergence de l’irruption de la culture de masse dans notre métier. Autrefois, on disait

culture, on dit toujours culture mais on dit aussi culture de masse. Qu’est ce que cela veut

dire ? Je dirai que la culture de masse est un ensemble d’objets d’aptitude et de

comportements qui sont relégués et distribués selon les règles de l’industrie et qui sont

imposés à tous les hommes comme n’importe quelle marchandise. Il me semble qu’il est

extrêmement difficile de penser notre métier aujourd’hui si on ne prend pas en compte ce

phénomène. »

Dans ce cas là, l'éditeur semble dire que la culture de masse s'impose à lui. L‟émergence, le

développement voir la domination de cette culture « mainstream28

» apparait comme naturelle

et semble aller de pair avec l‟évolution de notre société. (Il important de préciser que cette

culture est forme de culture à part entière et il n‟est pas question ici de juger ou remettre en

question la qualité celle-ci.)

On peut néanmoins, imputer aux éditeurs une certaine responsabilité à la proéminence de

cette culture de masse et ceux-ci restent à l'origine des livres disponibles sur le marché. Ils

développent cette culture de masse en prescrivant les mêmes types de livres. Si les individus

27

Janine Brémond et Greg Brémond (2003), « la liberté d‟édition en danger », le monde diplomatique de janvier

2003 28

Frederick Martel (2010), « Mainstream », Flammarion.

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lisent des ouvrages se basant sur des segments de nature assez proches et qu‟on ne leur offre

pas une certaine variété, au bout d'un moment les habitudes qu'ils ont pris feront qu‟ils n‟iront

pas chercher ailleurs et cela ne les incitera pas à se diriger vers plus de diversité.

Une autre caractéristique de ces grands groupes est que ceux sont de véritables stratèges en

termes marketing. Ceux-ci, grâce à leur influence et leur maitrise des médias et de l‟image

publique, développent de véritables techniques commerciales et managériales qui vont

influencer le consommateur.

Dans leur article la liberté d’édition en danger, Janine et Greg Brémond explique que Le

groupe Lagardère (Hachette) dispose de nombreux outils médiatiques. Ainsi, ce groupe est

aussi une entreprise de presse écrite (Paris Match journal du dimanche…) de radio (Europe1,

RFM) et de télévision (Canal j, MCM…). Autre exemple, Le Monde 2 est un partenariat entre

le journal Le Monde et le groupe Lagardère.

Ces médias ne peuvent que favoriser l‟image publique de livres publiés par le groupe et sont

une formidable opportunité pour faire parler d‟eux.

Dans leur article Janine et Greg Brémond illustre le savoir-faire marketing que possèdent les

grandes maisons maison d‟édition avec un exemple. Les deux journalistes racontent les

péripéties du Cosette ou le temps des illusions de François Cérésa paru le 3 mai 2001 chez

Plon (poupe de Vivendi Universal à l‟époque). C‟est un ouvrage de commande. Dans ce cas

là, c‟est l‟éditeur qui demande à l‟auteur d‟écrire le livre. Le livre va être ensuite publié et

bénéficiera d‟une campagne de publicité et d‟une promotion « classique ». Toutefois, la

stratégie de l‟éditeur ne s‟arrête pas là. Comme chacun sait, Cosette est un des personnages

d‟un monument de la littérature française (les misérables de Victor Hugo) ; or, reprendre des

personnages d‟un roman connu comme celui-ci entraine en général des poursuites car il existe

des ayants droits. Un auteur ne peut pas à sa guise reprendre des éléments d‟un ouvrage sans

autorisation. Ainsi, les descendants de feu Victor Hugo n‟ont pas tardé à faire valoir leur

opposition à la publication de Cosette ou le temps des illusions. Cette affaire c‟est vu porter

sur le devant de la scène créant ainsi un débat autour de la publication du livre en question.

Plon a su créer un véritable phénomène médiatique autour de son livre : une abondance

d‟articles de presse ou d‟émissions télévisées a parlé quotidiennement de ce dernier.

Le titre a ainsi pu émerger de la masse et a pu être plus facilement mémorisable par les

lecteurs potentiels. Les consommateurs sont forcément marqués par le titre du roman dont ils

ont entendu parler à plusieurs reprises. Il est évident que Plon en commandant ce livre avait

prévu la déferlante médiatique qui allait suivre. Cet exemple nous montre bien à quel point

ces majors de l‟édition sont devenus de véritables managers et professionnels de la

communication.

Les deux journalistes expliquent que « les ventes d’un livre dépendent principalement de la

puissance et des modalités de sa promotion ». On peut identifier la promotion d‟un ouvrage

comme une méthode de prescription. Le but de cette promotion est de faire émerger un livre

de la masse d‟ouvrages existants et de le rendre visible aux yeux du consommateur. Au

moment de l‟acte d‟achat, le titre du livre aura marqué le lecteur d‟une manière ou d‟une autre

et sans pour autant que celui-ci se souvienne ou et quand il en a entendu parler. La référence

de l‟ouvrage doit marquer ce consommateur consciemment ou inconsciemment.

Toujours dans la même idée de stratégie visant à maximiser les ventes, en 2008, les éditions

Flammarion Grasset publient Ennemis publics, une correspondance entre Michel Houellebecq

et Bernard-Henri Levy. C‟est un coup marketing savamment orchestré que fait ici la maison

d‟édition en publiant un livre écrit par ces deux auteurs ultra-médiatiques que « l‟on adore

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détester ». Teresa Cremisi, la directrice des éditions Flammarion, avait évoqué quelques mois

auparavant un ouvrage mystérieux à paraitre avec deux monstres médiatiques laissant même

filtrer quelques rumeurs. Toute une campagne de promotion a préparé l‟arrivée du livre puis a

suivi sa sortie.

Les différentes dynamiques que avons montré (surproduction, montée en puissance des

diffuseurs, concentration de la consommation sur un nombre d‟œuvres de plus en plus

restreint, émergence de nouveaux acteurs et évolution des formes de concurrence) rendent les

fonctions d‟édition et de diffusion capitales dans la chaine du livre.

En choisissant de mettre en avant certains ouvrages par rapport à d‟autres, en développant de

véritables techniques de marketing, les éditeurs et diffuseurs sont amenés à faire évoluer leur

métier et leur position dans la filière : en assumant un rôle plus ou moins affirmé de

prescripteur, et en s‟engageant plus ou moins en amont dans la chaîne de valeur. On peut à

nouveau citer Benghozi qui déclare que (La fonction distribution, au cœur du management de

la culture), « ce sont bien autour de ces fonctions de prescriptions que se réorganisent

aujourd’hui les modèles d’affaires des industries culturelles. »29

3) Les points de vente

Comme nous l‟avons dit dans la première partie du présent mémoire, les points de vente

du livre sont de divers types.

Pour le consommateur, le libraire (ou vendeur du livre) est reconnu comme un expert qui peut

jouer un rôle de conseiller et d‟aiguilleur. Dans beaucoup de cas, une relation privilégiée et

personnalisée s‟instaure entre le libraire et le consommateur. Souvent, cette relation va

s‟inscrire dans la durée. Ce professionnel du livre aura donc une influence sur les choix du

consommateur. On peut dire que celui-ci se pose en médiateur entre l‟offre éditoriale et les

besoins du consommateur.

Ces différents points de ventes du livre vont aussi chercher à faire du profit et vont donc

développer différentes stratégies pour mettre en avant certains ouvrages.

Karpik classent ces dernières dans les dispositifs de jugements, c‟est ce qu‟il appelle « les

confluences » qui représentent l‟organisation de l‟espace de vente (la mise en avant de

certains produits). En effet, les spécialistes du marchandising savent que l‟agencement de

l‟offre au sein de l‟espace de vente et dans les linéaires exerce une influence sur les

comportements d‟achat.

Le but va être d‟attirer l‟attention du client afin de déclencher un achat d‟impulsion chez

celui-ci. Cette notion « d‟achat impulsif » a été développé par Cochoy30

. Au détour de ses

pérégrinations, celui-ci est amené à rencontrer l‟offre et son attention se retrouve focalisée par

les étalages et les rayons. Une fois captée, cette attention est convertie par étapes successives

en désir, puis en intention d‟achat et enfin, en acte.

En matière de consommation de livres, la moitié des achats de livres sont caractérisés comme

impulsifs. Les points de vente vont donc chercher à utiliser cette caractéristique.

29

Pierre-Jean Benghozi et Thomas Paris (2008), « Replacer la fonction distribution au cœur du management de

la culture », in Xavier Greffe, Nathalie Sonnac (dir.), Culture Web. Création, contenus, économie numérique,

Dalloz, Paris. 30

F. Cochoy (1999), « Une histoire du marketing, discipliner l’économie de marché », Paris, La Découverte

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Page | 26

Le déclenchement de cet acte va donc tenir de la configuration même du lieu de vente et de la

médiation marchande exercée par le magasin. Le grand magasin spécialisé a pour vocation de

mettre à portée de regard et de main une profusion d‟ouvrages savamment mise en forme. Il

devient un lieu de tentation. On ne peut pas dire que le consommateur soit simplement

manipulé par les acteurs de l‟offre. S‟il joue le « jeu », c‟est souvent en connaissance de

cause, en développant parfois des analyses très fines de la diversité des médiations

marchandes et des expériences correspondantes. S‟ils ne vont pas tous aussi loin, la majorité

des consommateurs perçoivent le grand magasin spécialisé dans les biens culturels comme un

lieu dans lequel l‟expérience marchande est construite autour du modèle de la consommation

de masse.

Ainsi, un livre correctement mis en valeur pourra faire l‟objet d‟un d‟achat de type impulsif.

Si on observe un hyper marché spécialisé dans la vente de biens culturels comme la Fnac, ces

stratégies de mise en avant de certains produits (dont le livre) ressortent clairement.

Notre exemple se base sur le magasin Fnac Bordeaux. Lorsqu‟on rentre dans le magasin un

étalage met en avant des livres bénéficiant d‟une forte couverture médiatique. Au premier

plan on observe tout un étalage est réservé à des livres dérivés du film Twilight.

La sortie d‟un film tiré d‟un livre offre à l‟ouvrage en question une formidable couverture

médiatique. Par exemple, la sortie du film Forrets Gump à permis de vendre 1,8 millions de

livres alors que à sa sortie le roman à péniblement atteint les 9 000 exemplaires vendus. Les

vendeurs de livre utilisent et développent ce phénomène. .

De la même manière, la librairie Mollat a réservé tout une partie de sa vitrine extérieure sur le

thème d‟Alice au pays des merveilles suite au film de Tim Burton. On retrouve des bandes

dessinées, livres pour enfants, roman etc.

Si on continue l‟étude de l‟agencement des ouvrages au sein de la Fnac, nous pouvons

observer d‟autres livres mis en avant. Dans ces livres on retrouve des ouvrages assez

médiatiques (comme le dernier Levy), mais aussi des livres que la Fnac choisie de valoriser,

œuvre appelée les «coups de cœur». Ces marques de distinction se retrouvent dans tous les

types de livres (livres jeunesse, romans, sciences humaines…). Le « coup de cœur » est

représenté par un petit cœur et s‟accompagne d‟un petit résumé afin de donner envie au

lecteur d‟acquérir le livre en question.

De la même manière, la librairie Mollat utilise ce procédé en plaçant des « post-it » rédigés à

la main sur le livre. L‟écriture utilisée est assez belle et attire l‟œil. Cette indication vente les

mérites du livre. Dans ce cas de figure, le consommateur est encore plus incité à acheter. Le

fait de laisser un mot manuscrit où sont retranscrit certaines émotions provoquées par la

lecture de l‟ouvrage mettra en confiance le consommateur l‟incitera à acheter le livre mis en

valeur. Le lecteur à vraiment l‟impression qu‟un des ses pairs à été touché par cette lecture.

De la même manière, la catégorie « les nouveaux talents » mis en place par la Fnac répond à

une logique similaire. Dans ce cas là, le magasin se confère un rôle de spécialiste du monde

des livres en allant dénicher les nouvelles et futures perles de l‟écriture. Le slogan utilisé est

« nous les avons repérés, à vous de les découvrir ». Avec ce système, le magasin se donne

vraiment une fonction de prescription des nouveaux auteurs de la culture, auteurs émergent à

la suite d‟un processus de sélection mis en place par la Fnac.

Nous pouvons aussi mettre en évidence deux types d‟étalages dont la stratégie pour attirer les

clients s‟avère à peu près similaires. L‟un regroupe « le top des ventes » et l‟autre porte

l‟inscription « les médias en parle ». Dans ces deux configurations, ces rayons doivent

susciter la réflexion chez le lecteur «on en parle donc ça doit être bien ». Il n‟y a aucune autre

inscription ou résumé ventant les mérites du livre comme dans le cas des « coups de cœur ».

Ce sont des ouvrages qui sont au cœur de l‟actualité, « les livres du moment ».

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Dans le « top des ventes », le client va faire confiance à l‟opinion générale. Ce dernier adopte

un comportement simple, quasi mimétique : si beaucoup de personnes achètent un livre, c‟est

un gage de qualité et de crédibilité de ce dernier. Une relation de confiance se crée au sein du

groupe consommateur. On retrouve dans cette situation le régime de l‟opinion commune

défini par Karpik. Dans ce cas de figure, le consommateur associe au volume des ventes

l‟aspect qualitatif et esthétique. Les consommateurs sont assimilés à une « entité

collective » (p224). Ce procédé est très utilisé dans la grande distribution ou les grandes

surfaces spécialisées dans le livre. Il est important de noter que le mimétisme est

comportement fréquent chez le consommateur soumis à une situation d‟incertitude car cette

attitude permettrait de réduire le risque.

Dans le deuxième cas, on se base sur l‟avis des médias et des critiques. Paradoxalement

l‟inscription explique que les médias en parlent mais aucune indication n‟est donnée sur la

qualité du livre.

Ainsi, les professionnels de la chaine du livre vont développer des stratégies visant à prescrire

certains livres avec l‟objectif de faire des profits. On retrouve donc les dispositifs de jugement

commerciaux identifiés par Karpik. La prescription réduit l‟opacité sur le marché du livre afin

d‟attirer le consommateur vers une offre précise.

Ces prescripteurs sont des acteurs directs de la chaine du livre, on ne peut avoir une vision

complète de la prescription à l‟œuvre dans le monde du livre sans aborder les prescripteurs

extérieur à l‟image du monde des médias et des critiques.

C)LES PRESCRIPTEURS EXTERIEURS A LA CHAINE DU LIVRE

Lorsqu‟une personne souhaite acheter un livre, elle va arriver en librairie en ayant déjà été

influencée. Les émissions de télévision et de radios, la presse, les critiques, le réseau de

connaissances, l‟entourage sont tout autant de facteurs qui vont influencer l‟opinion du

lecteur. Dans cette partie, nous allons tenter de retrouver ces « faiseurs d’opinion » qui ne

s‟intègre pas directement dans l‟architecture de la chaine du livre. Le consommateur va, dans

beaucoup de cas, payer ce service de prescription (ex : achat du journal) ce qui sera pour lui

un gage d‟indépendance et de qualité.

Dans cette partie les notions de « Les dispositifs de jugements » et « coordination

économique » de Karpik et de « prescription de jugement » de Hatchuel vont nettement

ressortir.

1) L’influence du groupe social et du réseau :

Indéniablement le réseau à une influence prépondérante dans les choix du lecteur.

Empiriquement invisible, celui-ci repose sur la parole et l‟échange. Lorsqu‟une personne se

fait conseiller un livre par un ami, la relation de confiance qui existe entre les deux personnes

fera que ce conseil aura un impact décisif dans la décision d‟achat.

L‟entourage (proche comme éloigné) joue un rôle non négligeable dans les choix de lecture

d‟une personne. Les producteurs de livres comme de films savent que le « bouche à oreille »

est une arme redoutable en termes de promotion. Il n‟est pas rare qu‟une personne achète un

livre parce qu‟elle « a entendu dire qu‟il est bien ».

Page 28: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 28

Dans son livre, Karpik31

explique que, au sein du réseau, il existe une relation de confiance

entre les personnes. En effet, l‟opportuniste n‟a aucun intérêt à s‟immiscer au sein des

relations entre ces individus. Le réseau personnel ou cognitif est donc constitué des proches

(famille, collègues, amis) du consommateur et apportent une information fiable sur le produit.

Ces réseaux forment une « réalité spontanée » et possèdent un fonctionnement indépendant

du marché ou du « réseau marchand ».

Le groupe social a donc toute son importance dans les différents choix qu‟une personne est

amenée à réaliser. L‟influence sociale ou la pression sociale représentent des vecteurs, exercés

par un groupe sur chacun de ses membres, aboutissant à imposer des normes dominantes en

matière d'attitude et de comportement. Un individu choisira des types de lecture rentrant en

cohérence avec les prérogatives de lecture du groupe auquel il pense appartenir.

Par exemple, l‟utilisation du top des ventes par les acteurs de l‟économie du livre entre dans

un objectif de vente et montre que le consommateur va se laisser influencer par le choix de ses

pairs.

2) Le monde des critiques et des médias :

Dans l‟Economie des singularités, Karpik identifie les « cicérones », catégorie dans

laquelle on retrouve un des principaux modes de prescription en matière de livre. Au sein de

cette notion est regroupée tous ce qui peut être considéré comme critique ou orientation qui

permet au consommateur de se construire un avis.

En 1974, Bernard Pivot lance l‟émission apostrophe. Ce présentateur jouait un rôle de « grand

prescripteur national ». Pour un écrivain, passer sur son plateau était une consécration alors

que les éditeurs et auteurs, qui n‟y passaient pas, disposaient d‟une visibilité réduite. De la

même manière, tout professionnel du livre redoutait une exécution d‟Angelo Rinaldi dans

l‟Express. Depuis, cette situation a bien évoluée.

Les différents médias (presse écrite, radios, télévision) regorgent de critiques et d‟émissions

littéraires. Les exemples foisonnent :

Dans la presse écrite : Le monde des livres, La plus part des hebdomadaires et

mensuels quelque soit leur spécialité ont des pages consacré aux sorties de livres

(Alternatives économiques, le nouvel observateur, sciences et vie…)

A la radio : le masque et la plume sur France inter…

Dans le monde audiovisuel : le bateau livre et café picoly sur France 5, Un livre un

jour sur France 3, le cercle sur canal plus…

Tous ces médias ont une influence plus que considérable dans la vente de livre. Il faut préciser

que ces critiques ne jouent pas simplement un rôle de prescription dans le monde du roman ou

de la BD. Il existe des spécialistes pour tous les domaines et les types de livres et ces experts

vont donner leur avis dans tous ces domaines spécifiques.

Le consommateur délègue à ces experts le soin de déceler au sein de la masse de livres

existants, celui aux ceux qui en valent la peine (ces critiques ont une fonction de décryptage).

Le consommateur donne à ces professionnels de la lecture et de l‟écriture une certaine

légitimité de par leur statut d‟expert. Le consommateur va alors accorder sa confiance aux

critiques.

31

Lucien Karpik (2007), « L’économie des singularités », Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, Paris.

(P.229-233)

Page 29: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 29

Il est fréquent de voir un lecteur entrer dans une librairie pour acheter "le livre dont ils ont

parlé dans telle émission hier soir", alors que celui-ci est incapable de donner son titre, son

auteur, ou même quel est réellement son contenu.

Françoise Benhamou explique à quel point le jugement de la critique et l‟impact médiatique

du lancement d‟un livre est crucial. L‟auteur parle du « sentiment trompeur que c’est le public

qui tranche »32

(p65). Elle justifie cette affirmation avec les caractéristiques du livre qui ont

déjà été développé dans la première partie (le livre est un bien singulier, présence d‟une offre

pléthorique, un coût important recherche d‟informations, le prix n‟est pas un indicateur de

qualité). Ces tiers permettent de dissiper l‟opacité présente sur le marché du livre, ce manque

de transparence directe étant associé à une grande diversité.

Hatchuel nuance cette analyse en expliquant que le consommateur garde quand même un

certain degré de « libre arbitre ».

Un exemple type nous ramène au Dan Vinci Code. Celui-ci a été littéralement détruit par la

critique professionnelle. Ce best-seller s'est vendu à environ 86 millions d'exemplaires dans le

monde (janvier 2010). Le public n‟a donc pas suivi la critique et l‟avis des experts. On peut

néanmoins attribuer ce succès à l‟éditeur et aux diffuseurs et à la réussite de leur stratégie

marketing.

Il faut aussi préciser que certains de ces professionnels du monde des livres donnant leur avis

sur tel ou tel œuvre sont aussi des écrivains qui sont en relations ou dépendent de maison

d‟édition. Sans faire de procès d‟intention, on peut s‟interroger sur la neutralité de ces experts

(risque de collusions d‟intérêts).

Par exemple, le très médiatique Fréderic Beigbeder, présentateur du Cercle, émission littéraire

diffusée sur Canal+, a publié plusieurs livres chez Gallimard (Rester normal à Saint-Tropez ,

Windows on the World , L'égoïste romantique , 99 francs / 14,99 E )

Ensuite, ces faiseurs d‟opinion peuvent aussi avoir un effet négatif sur le rôle premier de la

prescription du fait de leur nombre. En effet, un nombre trop élevé de critiques sur un livre va

nous ramener à la situation d‟opacité initiale, surtout si les avis des différents critiques se

contredisent.

Enfin, ces critiques vont chercher à attirer le public en faisant attention au jugement qu‟ils

vont donner et à sa forme (parfois au mépris du fond).

Jean d‟Ormesson explique qu‟« un livre qui passe à la télévision est un livre menacé, parce

que la télévision transforme le livre en spectacle. ». Ainsi, certaines émissions privilégient la

forme au fond et le livre n‟est plus qu‟un prétexte à une joute verbale et un échange de

sarcasmes. Là où l‟on peut se distinguer de l‟académicien, c‟est en disant que cette mise en

spectacle d‟un livre peut faire le succès de celui-ci et doper ses ventes.

Par exemple, pour un journaliste, il est de bon ton de « descendre » un auteur comme Bernard

Henri Levy. Certains critiques, pour se distinguer, vont utiliser des phrases chocs et assassines

et se faire une obligation d‟attaquer tous les livres leur passant entre les mains.

Malgré les critiques et reproches que l‟on peut faire à ce système, il est indéniable que les

critiques et la parole de l‟expert vont modifier la structure de connaissances du

consommateur, l‟aider à se construire un avis sur un livre et le cas échéant l‟inciter à

l‟acheter. Ces critiques vont permettre aux consommateurs qui les suivent de réduire

l‟incertitude dans laquelle ils se trouvent et faciliteront leur achat de livres. Nous allons

32

Françoise Benhamou (2008), « L’économie de la culture », la découverte, Paris, p(65).

Page 30: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 30

retrouver d‟autres moyens de prescription répondant à une logique similaire comme les prix

littéraires.

3) Les classements :

Dans le même ordre d‟idée que les critiques, « les classements » jouent un rôle primordial

dans l‟achat de livre. Ils permettent, dans une situation d‟hyper-offre, de réduire l‟incertitude

dans laquelle se situe le consommateur. Ceux-ci sont censés faire ressortir des ouvrages de la

masse.

Ces classements sont nombreux, le lecteur suivant va, en fonction de ses attentes personnelles,

privilégier un classement plutôt qu‟un autre. Par exemple, le Télérama (qui se donne une

image plutôt « bobo ») aura une hiérarchisation particulière et surtout très différente du

Figaro.

Cette catégorie rassemble principalement les classements de journaux ou d‟autres médias et

bien sûr, les prix littéraires.

Le plus emblématique de ces prix est sans conteste le prix Goncourt. Créé par le testament

d‟Edmond Goncourt en 1986, ce prix récompense des auteurs d‟expression française. La

société littéraire Goncourt voit officiellement le jour en 1902 et le premier prix est décerné le

21 décembre 1903 à John Antoine Nau pour Force ennemie paru chez Plume. Après trois

présélections successives, ce prix est décerné chaque année au début du mois de novembre,

parmi les romans publiés dans l'année en cours.

Françoise Benhamou explique qu‟un Goncourt peut permettre à un auteur de tirer un ouvrage

à un petit million d‟exemplaires.

Jonathan Littel a reçu ce prix en 2006 pour son livre Les bienveillantes publié chez Gallimard.

Fin 2007, le roman avait été vendu à plus de 700 000 exemplaires. Ce succès s'est confirmé

avec la réédition du roman en livre de poche, dans la collection Folio (n° 4685) en février

2008. Ce prix a vraiment permis à l‟auteur de se faire un nom. Lorsqu‟en 2008, Le Sec et

l'Humide est sorti, les journaux évoquaient le livre en parlant « du dernier Littel ». (On peut

aussi penser que ce prix à beaucoup aidé cet auteur d‟origine américaine et demandeur de la

citoyenneté française depuis des années à accéder à la nationalité française.)

Karpik dans l’économie des singularités réserve dans son chapitre sur le « régime de l‟opinion

experte » tout une partie sur les prix littéraires (p208-212). Pour celui-ci, ce régime se définit

par « la relation de délégation et le marché restreint » (p207). L‟auteur met clairement en

lumière le fait que le consommateur délègue la fonction de choix pour son achat à une tierce

personne. Comme dans le cas des critiques, le consommateur choisit de faire confiance à un

jugement extérieur. Il fait une économie de temps et de recherche d‟informations et de

connaissances. Même si celui-ci fait preuve d‟une certaine passivité, il garde quand même une

certaine forme d‟autonomie et au final reste maitre de ses choix en matière de livre.

Les prix littéraires sont analysés comme une forme particulière du régime d‟expertise. Ceux-

ci disposent d‟un certains prestige du fait qu‟ils reposent sur l‟autorité de certains spécialistes

de la littérature et qu‟ils sont pour le grand public gage de qualité et de neutralité.

Karpik dans son étude des prix littéraires explique que ceux-ci reposent sur l‟opinion et

l‟autorité des spécialistes du livre. Les grands prix littéraires comme le Goncourt « ne porte

pas la promesse d’un « bon » livre, mais celle du « meilleur » livre de l’année » (p210). Le

nom prestigieux des jurés, leurs connaissances et savoirs techniques, le fait que le lauréat soit

le fruit d‟un choix collectif et enfin le prestige des anciens lauréats sont censés faire force de

loi. Lorsque c‟est le cas, le prix littéraire devient un repère collectif.

Page 31: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 31

Une fois décerné, le prix offre une formidable couverture médiatique et s‟avère être un moyen

très efficace de « captation de public ». D‟après Karpik, un Goncourt permettrait, en

moyenne, une vente de 300 000 à 1 million d‟exemplaires, le Renaudaut environ 100 000 et le

Fémina entre 50 000 et 100 000. Indéniablement un prix littéraire, suivant sa notoriété, à une

influence conséquente sur les ventes de livres.

Chaque décernement d‟un nouveau prix est suivi d‟un déferlement médiatique et d‟un débat

mettant en avant le livre « sacralisé ». Toute une série de débats nait sur le livre en question

mais aussi sur le prix lui-même (est ce que le choix du livre est trop technique ou au contraire

c'est un choix trop « populiste » ? Faut-il récompenser l‟œuvre ou l‟auteur ?).

Même s‟il est bon de s‟interroger sur la nature de ces récompenses et qu‟il est important de se

demander comment les livres sont choisis (notamment du fait de la pluralité des critères

esthétiques), ces prix permettent de réduire efficacement l‟incertitude dans laquelle se trouve

le lecteur. Ces prix vont mettre en valeurs des œuvres, prescrivant certaines au mépris

d‟autres. Le poids d‟un prix littéraire est considérable surtout en termes de prescription.

Ainsi, nous pouvons voir clairement comment ces différents acteurs modifient et orientent

l‟opinion des consommateurs ou tout simplement construisent un avis au sein de leur

conscience.

En reprenant le modèle de Paris et Benghozi (présenté dans la section précédente), ce type de

prescription peut être schématisé de la façon suivante :

Conclusion de la deuxième partie:

Ainsi, on voit nettement apparaitre des modèles de prescription pour le livre dont le rôle

est d‟aiguiller le consommateur au sein de cet univers complexe. La prescription à l‟œuvre

sur ce marché permettra de réduire l‟incertitude sur la qualité du livre. Celle-ci peut être à

caractère commercial ou non, personnelle ou non, mais la finalité pour le lecteur potentiel

reste la même : la réduction des carences de transparence sur le marché du livre. Cette

prescription va faire évoluer et muter la structure des connaissances de l‟individu et incitera

Page 32: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 32

celui-ci à l‟achat de certains livres. La prescription va mettre en lumière certains livres, les

faire ressortir de la masse. L‟achat est donc un processus de décision opéré par l‟agent

économiques, action dans laquelle la prescription est une variable fortement significative

.

Le schéma réalisé ci-dessous synthétise la prescription à l‟œuvre sur le marché du livre que

nous venons d‟étudier et représente les acteurs qui influencent le consommateur dans ses

choix.

Cependant, l‟émergence (et la quasi dominance) d‟internet reste un élément essentiel pour la

poursuite de notre travail de recherche. Les consommateurs sont devenus des « internautes

quotidiens ». La toile sera donc à l‟origine de l‟appariation de nouvelles formes de

prescription et celles-ci va obliger les professionnels du livre à s‟adapter, se moderniser et

investir ce nouvel outil aujourd‟hui inévitable.

Page 33: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 33

TROISIEME PARTIE: INTERNET BOULEVERSE LES

MODELES DE PRESCRIPTION DU LIVRE

L‟avènement du numérique et d‟internet semble bousculer le mode de fonctionnement du

marché du livre et les modèles mis en place par ses acteurs.

Les auteurs peuvent maintenant publier et vendre leur ouvrage en ligne sans passer par les

réseaux d‟édition et de distribution classiques/traditionnels.

La démocratisation d‟internet et sa facilité d‟accès ont de grosses répercutions sur les modes

de consommations des individus. Comme nous l‟avons déjà dit, bien qu‟encore minoritaire,

l‟achat en ligne de livres se développe de manière exponentielle.

L‟utilisation quasi-quotidienne du net par les individus, souvent au dépend d‟autres médias ou

moyens d‟informations, va influencer leur jugement et la façon dont ceux-ci forment leur

choix en matière de consommation.

De plus, tout le monde peut donner son avis sur le net, ce n‟est plus le monopole de quelques

professionnels de la critique et des médias. A coté de la prescription des critiques officielles et

traditionnelles, on retrouve les avis et recommandations de l‟internaute lambda.

Dans son livre33

, Karpik évoque rapidement le cas d‟internet. Pour celui-ci internet peut être

un dispositif de jugement qui vient se rajouter aux autres déjà développés. Il considère cet

outil comme « une réalité neuve, globale et largement autonome ». Internet va être à l‟origine

d‟un échange immense et global de singularités. Pour notre auteur, ce « market in progress »

nécessite une analyse d‟ensemble indépendante. Toutefois, il ne s‟étend pas plus sur le sujet.

Nous avons donc cherché à savoir comment internet pouvait influencer le marché du livre et

modifier les modèles de prescription vus dans la deuxième partie.

A) INTERNET UN MOYEN DE CONTOURNER LES ACTEURS DE

LA CHAINE DU LIVRE ?

Internet change les données, les écrivains ne sont plus obligés de passer par les réseaux

d‟édition et distribution classiques. Le lecteur quand à lui peut aller chercher son information,

voire son livre, directement sur la toile sans passer par les points de vente habituels.

1) L’auto-édition

« Quelques click » suffisent à un auteur pour publier son texte afin que ce dernier soit

accessible à tout le monde. Avec internet les structures d‟édition et de diffusion/distribution

semblent contournables.

Lulu.com, leader mondial des plateformes d‟autoéditions, symbolise ce phénomène. Depuis

sa création en 2002, près d‟un million d‟ouvrages ont été mis en ligne. Ce succès s‟explique

par la simplicité, la gratuité et la transparence du dispositif.

33

Lucien Karpik (2007), « L’économie des singularités », Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, Paris,

(p.159-160).

Page 34: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 34

Ainsi, un écrivain n‟est plus soumis aux impératifs de sélection plus ou moins fort des majors

de l‟édition. Celui-ci peut publier un livre directement sur internet. Les grands éditeurs

perdent donc de l‟influence à ce niveau et leur pouvoir de prescription s‟en trouve réduit.

Internet serait donc un lieu où tous les livres peuvent trouver leur place.

Jean-Marie Laclavetine, éditeur chez Gallimard, explique non sans une certaine nervosité et

avec un brin d‟élitisme : « Internet inaugure un nouveau mode de diffusion des ouvrages,

mais cela ne signifie pas que nous soyons en concurrence avec les plates-formes d’impression

à la demande. Nous ne faisons absolument pas le même métier : le nôtre consiste à choisir les

auteurs dont le talent nous semble novateur et prometteur, le leur se résume à diffuser la

prose de tous ceux qui le souhaitent. ».

Force est de constater qu‟internet n‟a pas encore créer ou découvert de génie de la littérature.

L‟absence de promotion constitue un des grands problèmes de l‟autoédition en ligne : sans

celle-ci, un manuscrit ne peut émerger de la masse. Si Internet offre une plus grande fenêtre

de visibilité à certains ouvrages et manuscrits et une opportunité de publication, rien ne

garantit son succès. Seuls ceux capables de valoriser leur prose et leurs écrits en faisant parler

d‟eux, notamment en créant un « buzz » (traduit par bourdonnement) sur un blog par exemple,

ont des chances de se faire connaître et de valoriser leurs textes.

Dans les faits, il s‟avère quasiment impossible de se faire un nom sans l‟aide des éditeurs et

de leur réseau de connaissances, c'est-à-dire sans les moyens classiques de promotion et de

prescription.

La réussite de l‟Américain Mark Danielewski, en 2000, grâce au succès de son livre « La

Maison des feuilles » publié par Panthéon Books, est l‟exception qui confirme la règle. En

effet, l‟auteur avait décidé de poster en ligne les premiers chapitres de son ouvrage et, après

avoir récolté de nombreux commentaires d‟internautes, avait fini par retenir l‟attention d‟un

éditeur.

2) La vente de livre en ligne :

C‟est un phénomène nouveau qui, comme nous l‟avons vu dans la première partie, prend

de plus en plus d‟importance. On estime que le livre représente aujourd'hui 40 % des ventes

de produits culturels sur internet. En 2008, la part de vente des livres en ligne a progressé de

38%. On assiste au développement de librairies électroniques, dans lesquelles ont peu voir

s‟impliquer certains des acteurs les plus importants du circuit traditionnel de distribution et de

commercialisation du livre. Ce qu‟il est important de noter, c‟est le fait que de nouveaux

venus apparaissent, comme Amazon.fr dont les stratégies sont particulièrement offensives et

dont l‟influence et la place occupée sur la toile est majeure.

Thomas Stenger (2007)34

a travaillé sur les modes de prescription présents sur le réseau

internet et dans l‟achat en ligne. Pour celui-ci le site web peut intervenir en tant que

prescripteur. Celui-ci va apporter des informations qui peuvent faire défauts aux

consommateurs et facilite l‟achat en ligne. Stenger met en lumière que la majorité des achats

en lignes ont été réalisé par les consommateurs après utilisation de la prescription mise en

ligne sur les sites marchands (commentaires critiques, évaluations des produits, notes…).

34

Thomas Stenger (2007), « Prescription et interactivité dans l'achat en ligne », Revue Française de Gestion,

n°172, avril.

Page 35: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 35

A la différence des médias classiques, internet peut mettre en scène des professionnels de la

critique comme le lecteur de livre « amateur » qui permet d‟encourager la vente de certains livres.

Le Web va donc être à l‟origine de modifications dans le circuit traditionnel du livre avec

l‟intégration de nouveaux acteurs comme les librairies électroniques. Certains sites d‟éditeurs

renvoient ainsi à des plateformes permettant la commande en ligne des ouvrages.

L‟Harmattan, par exemple, oriente vers Alapage pour les livres rares ou anciens. Glénat

renvoie quant à lui vers une dizaine de librairies en ligne.

Ces plate-formes de vente en ligne, tel qu‟Amazon, soutiennent l‟idée que le commerce

électronique constituerait un formidable outil d‟accès à la culture, de réduction des prix de

vente et de découverte de nouveaux auteurs. L‟achat en ligne permettrait aux consommateurs

d‟acheter plus de livres neufs et favoriserait également une plus grande diversité dans la

consommation de biens culturels. Ainsi, certains sites de vente de livres offrent la promesse

marketing de mettre à disposition des internautes un catalogue presque exhaustif de livres.

Leur taille est naturellement bien supérieure à ce que peuvent offrir les rayons des librairies

ou des plus grands supermarchés spécialisés qui sont physiquement limités.

Toutefois, comme nous allons le voir, on va retrouver à quelques nuances près que les mêmes

livres sont mis en avant dans les magasins de livres et les sites de ventes.

La vente par internet s‟est développée ces dernières années autour de quatre opérateurs

principaux : Amazon, la Fnac, Alapage et, dans une moindre mesure, Chapitre. Certaines

grandes librairies traditionnelles ont également complété leur offre en magasin par des sites de

vente en ligne. La librairie en ligne ou « webrairie », pour reprendre l‟expression de

Dominique Cartellier et de Yolla Polity35

, est donc le monopole d‟importantes plateformes de

vente en ligne. Amazon, la Fnac et Alapage ont sue s‟imposer comme des références de la

vente en lignes. Lorsque que l‟on tape « achat livre » sur Google on retrouve ces sites en

priorité. On peut donc légitimement se poser la question à savoir comment ces « webrairies »

vont choisir les livres mis en avant. Cet oligopole leurs confère un pouvoir de sélection quand

aux livres qu‟ils choisiront de vendre ou de mettre en avant.

L‟organisation de ces sites est assez similaire à celle d‟un magasin de livre et sont

comparables aux techniques d‟agencement de l‟espace au sein d‟une librairie. L‟ergonomie et

le design du site vont être un atout majeur pour celui-ci et les livres qui sont mis en avant.

Ainsi, on retrouvera des livres classés, suivant leur nature (littérature, sciences humaines,

jeunesse…) mis en avant grâces à des critères spécifiques (les meilleures ventes du site, les

offres spéciales, la sélection de la librairie, les livres en relation avec l‟actualité du cinéma…).

Lorsque le consommateur ouvre l‟un de ces sites, des livres ressortent clairement sur la page

d‟accueil. On retrouve une mise en avant de livres similaires à ceux mis en avant dans les

libraires. Ces sites de vente de livres en ligne cherchent à maximiser leur profit. Ces stratégies

sont censées déclencher un achat impulsif chez le consommateur.

Par exemple, en ouvrant la page d‟accueil du site Amazon, ce qui apparait en premier c‟est la

possibilité de réserver et pré-commandé « Le nouveau Stéphanie Meyer », auteur très

médiatisé que nous avons déjà cité.

Tant qu‟on reste sur les produits directement mis en avant sur les écrans, on ne saisit pas la

taille du catalogue accessible et toutes les possibilités qu‟offre celui-ci. Le consommateur qui

ne va pas chercher plus loin se retrouve de nouveaux dans un espace restreint avec un nombre

de livres limités.

35

Dominique Cartellier - Yolla Polity (2001), Les éditeurs français ou francophones et le Web, BBF, p. 24-31

[en ligne] <http://bbf.enssib.fr/>

Page 36: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 36

Ces librairies en ligne vont donc se poser en prescripteurs du livre sur le web.

A titre d‟exemple, le programme « AmazonEncore » vise à découvrir de nouveaux talents

d‟auteurs émergeants. Les équipes d‟Amazon se base notamment sur les critiques émises par

les lecteurs sur leur site (bouche à oreille). De cette manière, le site se donne un rôle de

promoteur de nouveaux auteurs et de prescripteurs de nouveaux livres.

Un autre atout majeur de ces sites est la possibilité pour les lecteurs de commenter un livre et

d‟en faire une critique. Dans la même optique, le lecteur peut donner une note à l‟ouvrage.

Sur le site Amazon, il existe un système d‟étoile. Le lecteur peut attribuer au livre entre une et

cinq étoiles et au final, la moyenne des notes apparaitra pour juger le livre. On donne un

pouvoir de prescription au consommateur. L‟acheteur pourra donc se laissé influencer par des

jugements de personnes « qui lui ressemblent » (des lecteurs amateurs).

Ainsi, internet peut permettre au consommateur de contourner la prescription mis en place par

les acteurs de la chaine du livre néanmoins celui-ci doit être conscient de toutes les

opportunités qu‟offrent et internet et doit posséder une bonne maitrise de cet outils.

B)INTERNET UN NOUVEL OUTILS DE PRESCRIPTION

Internet est un média particulier grâce auquel chacun peut donner son avis et

l‟information, dans son sens le plus large, y circule en masse, rapidement et librement. Les

internautes rentrent en interactions sur la toile et y échangent nombre d‟informations, de

critiques et de jugements.

1) Les « faiseurs d’opinion » du net

On va trouver sur Internet tout une série de sites et blogs littéraires qui proposent des

ouvrages que l‟on trouvera difficilement dans le commerce. Par exemple, le site

www.africultures.com possède une rubrique « Art de l‟écriture ». Dans celle-ci on traite de

littérature, bande dessinée et poésie africaine. On y fait la promotion d‟ouvrages qui font

rarement l‟objet de débat et d‟émission à la télévision ou la radio. Internet permet donc à

certains livres délaissés d‟émerger et se faire connaitre (promotion d‟une culture alternative).

Nous avons insisté dans la deuxième partie sur l‟importance du « bouche à oreille ».

Internet donne à celui-ci une dimension planétaire et sans limite. On retrouve souvent

l‟expression de « buzz ». Aujourd‟hui, comme pour la plupart des ouvrages culturels, Internet

peut faire et défaire la réputation d‟un livre et ce quelque soit ses qualités intrinsèques. Un site

internet qui représente bien ce phénomène est www.buzz-littéraire.com. A mi chemin entre le

magazine et le blog (bouzine), ce site décrit et commente l‟actualité littéraire. La devise de ce

site est : « La littérature nouvelle génération, de bouche-à-oreille ». Ce site est basé sur ce

phénomène de buzz.

Le blog va être un des instruments permettant de créer et d‟amplifier un phénomène comme

celui que l‟on vient de décrire. Cet outil est un remarquable moyen d‟expression ouvert à tous,

moyen dans lequel tous les sujets sont traités.

Page 37: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 37

D‟après Pierre Assouline36

, « La blogosphère37

francophone s'adresse à 200 millions de

personnes lorsqu'elle s'empare d'un livre pour le plébisciter et le recommander, souvent en

liaison avec une librairie en ligne ». Pour l‟auteur, bien qu‟encore embryonnaire, ce

phénomène est appelé à se développer rapidement. Les blogs sont une formidable opportunité

pour les auteurs de se faire connaitre et d‟attirer l‟attention du grand public.

Lorsqu‟on s‟intéresse aux blogs on remarque que les auteurs dont on parle le plus dans ces

blogs diffèrent légèrement des meilleures ventes des librairies.

Jean Véronis fondateur du blog « technologie du langage » a utilisé les blogs littéraires du

classement Wikio38

afin d‟en extraire la liste des cents auteurs les plus cités et les plus

commentés sur ces blogs littéraires. Il en a tiré le schéma suivant où la taille des caractères du

nom de l‟auteur est proportionnelle au nombre de fois où celui-ci est abordé et cité dans ces

blogs.

On observe que des auteurs comme Michel Houellebecq, Frederick Beigbeder ou Marc Levy,

auteurs qui ont l‟habitude de tirer la couverture médiatique, apparaissent ici en petits

caractères. Le blog peut donc être un facteur de médiatisation pour un auteur et un mode

d‟expression alternatifs. Des livres différents vont se retrouver mis en valeur grâce aux blogs.

On remarque toutefois que les auteurs cités restent des auteurs qui possèdent déjà un

minimum de réputation.

Enfin, on peut observer sur Internet un autre phénomène : les Hits Parade, les box offices. A

cette tendance, on peut rajouter l‟omniprésente de la publicité sur la toile. Tout ceux-ci a pour

36 Pierre Assouline (2010), « 30 ans de vie littéraire », le monde des livres 25.03.10. 37

L'expression la blogosphère désigne l'ensemble de tous les blogs. 38

Créé par Pierre Chappaz, Wikio est un portail et un service d'information dédié aux blogs. Le classement des

blogs par Wikio est supposé afficher les blogs les plus influents dans tous les domaines. Wikio invite aussi les

internautes à voter pour les articles qu'ils ont appréciés, ce qui influence directement le classement des articles,

les articles les plus populaires sont les mieux classés. Le lecteur a aussi la possibilité de laisser des commentaires

ou de publier des articles.

Page 38: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 38

effet d‟accroitre les effets de palmarès et de renforcer des livres déjà bien mis en avant par les

prescripteurs « traditionnels ».

Ainsi, internet va agir comme ressource de prescription directe. Celui-ci peut se révéler une

alternative aux modèles de prescription traditionnels vus dans la deuxième partie.

Paradoxalement, celui-ci va aussi promouvoir des livres déjà bien établis et médiatisés.

2) Les réseaux sociaux numériques

Facebook, MySpace, LinkedIn, Xing, Orkut, Hi5, Bebo, Twitter, Copains d’avant, Viadeo,

Skyrock, Lexode, Netlog… 2/3 des internautes dans le monde ont créé un profil sur un réseau

social numérique, selon l'Institut Nielsen (mars 2009). Les français ne sont pas en reste et

cette tendance s‟observe au sein de la toile de l‟hexagone.

Les réseaux sociaux numériques ont donc une influence de plus en plus forte dans la vie

quotidienne des individus. Les jugements et choix de ses internautes vont forcément être

influencés par ces réseaux dont la présence ne fait que croitre.

Ceux-ci sont susceptibles d'induire de nouveaux fonctionnements sociaux et, donc, à partir

des communautés virtuelles qui se mettent en place, de nouvelles routines collectives de

perception et de traitement de l'information.

D‟après Stenger, les individus appartenant à ces réseaux voient dans ceux-ci un moyen de

passer du temps ensemble, d‟entretenir le lien social, d‟interagir et d‟échanger. Ces

utilisateurs en dehors de cette fonction de sociabilité ne perçoivent pas ces espaces comme

des espaces marchands.

Stenger et Coutant (2010)39

expliquent pourtant que « Lors de leur usage quotidien, les

participants des Rsn font face à de nombreuses prescriptions en ligne ». Ces activités de

sociabilité vont être source de stratégie marketing et de prescription.

On va retrouver dans ces réseaux des formes de prescription venant de deux types d‟acteurs :

les internautes eux même et des professionnels. Les premiers ont un but social d‟interaction et

d‟échange tandis que les seconds ont un but marketing.

Au niveau des utilisateurs, les deux auteurs vont parler d‟une forme de « prescription

réciproque » résultant de l‟interaction des individus et de l‟apprentissage mutuel qui découle

de cet échange. On retrouve la notion de « réseau » et l‟importance de l‟influence sociale. La

différence est que l‟échelle est beaucoup plus vaste et diverse.

Cette circulation d‟une prescription réciproque à grande échelle se retrouve sur l‟omniprésent

réseau social Facebook. Tous les internautes peuvent y exprimer leur avis notamment sur un

livre.

Une personne qui vient de lire un livre qui lui a plu peut ensuite le promouvoir au près de son

réseau d‟amis. Ensuite, la publication peut être commentée par le réseau de connaissance de

l‟individu ; il existe même une option permettant de connoter la publication d‟un «j’aime».

Toutes les personnes peuvent donner leur avis sur l‟ouvrage incitant par la même certaine

personne qui n‟avait pas forcement connaissance de ce livre à l‟acheter.

39 Thomas Stenger et Alexandre Coutant (2010), « La prescription ordinaire de la consommation sur les

réseaux socio numériques : De la sociabilité en ligne à la consommation ? »

Page 39: Quels modèles de prescription pour le livre

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Sur Facebook, vous pouvez par exemple faire partie des 3 573 fans de Mary Higgins Clark.

Vous pouvez ensuite inciter vous amis à en faire partie et ainsi faire la promotion de son

œuvre. Dans ce groupe social, on parle de l‟actualité de l‟auteur et de ces diverses

publications. L‟auteur a directement la possibilité d‟interagir et de communiquer directement

avec les internautes.

Il existe un groupe (qui devrait bientôt fermer) pour le professeur d‟économie de Bordeaux4

monsieur Poulon. Dans ce groupe apparait deux de ses ouvrages (économie générale, la

pensée économique de Keynes). Dans ce cas là, le groupe ne vient pas de l‟auteur lui-même

mais d‟un étudiant. Il n‟empêche que ce groupe permet de mettre en avant les publications du

professeur.

Il faut néanmoins signaler que Facebook ne remplace pas la proposition de contenu des sites

internet ou des blogs. Facebook relaie ces information, les amplifie, les promeut, les oriente,

ce qui lui donne quand même un rôle fondamental.

Au fur et à mesure de son développement, Internet est en train de devenir un outil majeur de

prescription. Nous allons voir que les professionnels de livre ont compris l‟intérêt et les

enjeux que le web représente et que ceux-ci ont compris comment l‟utiliser efficacement.

C) LE WEB OUTILS STRATEGIQUES DES ACTEURS DE LA

CHAINE DU LIVRE

Les professionnels du livre connaissent les opportunités qu‟offre la toile d‟un point de vue

marketing. Avec des objectifs commerciaux ceux-ci vont utiliser le web comme un outil de

prescription.

1) L’édition

Les éditeurs ont très vite compris le remarquable outil de promotion et de prescription que

représente internet.

Nous allons présenter une stratégie qu‟avaient développée les éditions Laffont en utilisant

internet afin de faire la promotion d‟un livre.

De nombreux blogueurs ont reçu un mail d‟une certaine Chloé Nolife qui demandait de l‟aide

pour ouvrir un blog. Les personnes ayant répondues à ce personnage virtuel et fictif créé de

toute pièce par les éditions Laffont se sont retrouvées envahies par une masse considérable

d‟e-mails. Sur ces mails, la Chloé en question racontait sa « life » et ses problèmes

d‟adolescente en crise. Il s‟agit là de ce que l‟on appelle un "teasing" éditorial pour annoncer

la sortie d‟un livre. Bien évidemment, la dite Chloé n‟existe pas, il s‟agissait d‟une opération

marketing pour annoncer la sortie d‟un livre dont le thème était le mal-être des adolescents

(Les Enfants du néant d‟Olivier Decosse, publié en 2009).

Cette stratégie a entrainé une vive polémique au sein de la blogosphère au point que les

éditions Laffont ont souhaité la justifier et apporter une réponse :

« À travers la démarche réelle de la « fausse » Chloé, nous sommes au cœur des sujets

abordés dans Les Enfants du néant, le dernier thriller d’Olivier Descosse.

Cette fiction romanesque met en scène le mal-être et la part d’ombre qui sommeille chez des

Page 40: Quels modèles de prescription pour le livre

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adolescents victimes de maux bien réels liés à notre époque : anorexie, influence des images

et des jeux vidéo, confusion entre le monde réel et virtuel, dangers d’Internet…

Chloé aurait pu être l’un des adolescents du livre d’Olivier Descosse au même titre que les

autres protagonistes du roman que sont Lucie, Pierre, Natacha et Charlotte.

En ce sens, l’invention du personnage et la mission de Chloé sur les blogs procèdent d’une

démarche purement éditoriale : cette démarche est unique et non modélisable, elle n’aurait

pu être inspirée par aucun autre livre. L’intention était de plonger dans l’univers des Enfants

du néant, de sensibiliser aux sujets contenus dans ce livre. En l’occurrence Internet permet à

n’importe qui de prendre une fausse identité et d’abuser son interlocuteur, danger qui est

précisément dénoncé dans le thriller d’Olivier Descosse. Car il s’agit bien de cela, un livre.

Nous ne vendons pas des « produits ». Notre passion d’éditeur est aussi de faire partager au

plus grand nombre le talent d’auteurs en lesquels nous croyons, en assurant la promotion de

leurs œuvres. Et même si les moyens utilisés ont pu faire débat, ils sont le fruit d’une décision

collégiale. Il s’agissait de trouver des moyens originaux et innovants pour émerger au sein

d’une production littéraire toujours grandissante. ».

Cette citation montre à quel point il apparait normal et inévitable au monde de l‟édition de

s‟adapter aux nouveaux modes de communication et d‟étendre leur influence au net.

L‟éditeur justifie ici pleinement sa fonction avouée de promoteur. Même si dans cet exemple

l‟éditeur nous explique que « cette démarche est unique et non modélisable », il est clair

qu‟internet s‟inscrit comme un nouvel outil de prescription quasi-incontournable pour le

monde l‟édition. Les éditions Laffont jouent pleinement leur rôle de prescripteurs en mettant

en place « des moyens originaux et innovants pour émerger au sein d’une production

littéraire toujours grandissante.».

Dans une optique similaire, les maisons d‟édition, pleinement conscientes de l‟enjeu du

marketing-client sur la toile, vont développer sur Internet des sites promotionnels. Ces sites

opèrent un profilage des internautes, de leur mode de navigation, de leurs goûts, de leurs

consultations, de leur consommation. Ces internautes sont ensuite les cibles d‟une information

sélectionnée en fonction de leur profil.

2) La Librairie traditionnelle sur internet

De grandes librairies tendent à développer leur site internet plus tant dans un but de

promotion de livres et des auteurs que dans un objectif de distribution. Ces grandes librairies

cherchent à assoir leur notoriété sur le net, elles s‟ouvrent à un plus grand audimat et

marquent un certains type de consommateurs.

On retrouve de grandes librairies comme Gilbert Joseph (Paris), Mollat (Bordeaux) ou

Sauramps (Montpellier). Développer un site internet efficace (en terme de promotion voir de

prescription) et facilement accessible sur Internet nécessite toutefois certains moyens

financiers.

La librairie traditionnelle se doit donc d‟être capable de vendre en ligne comme en magasin.

Celle-ci va conseiller, orienter, prescrire des ouvrages à ses clients de vive voix. Internet est

donc en passe de devenir une partie intégrante, un outil de son magasin et de ses services.

Assurer la promotion via internet s‟impose donc comme un nouvel objectif pour la librairie.

Dans cette idée, les librairies vont mettre en place divers types de services comme un système

recommandant des titres et un autre annonçant la sortie de nouveaux titres ou des évènements.

Le lecteur est ainsi informé de l‟actualité de sa librairie et incité à s‟y rendre régulièrement.

Page 41: Quels modèles de prescription pour le livre

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La publication de newsletter systématisée pour avertir les lecteurs selon leurs centres

d‟intérêts est un autre moyen d‟inciter le lecteur à la consommation.

Les libraires vont chercher par Internet à mettre en avant leur rôle de « prescripteur » en

promouvant leur action propre à chaque librairie et surtout signaler leurs compétences en

matière de conseil spécialisé.

Comme nous l‟avons vu précédemment, les réseaux sociaux numériques sont un outil de

communication efficace et permettent de toucher un public nouveau. Les professionnels ont

su investir ses réseaux et profiter des opportunités qu‟ils offrent.

Ainsi, la plupart des auteurs possèdent leur page Facebook mettant ainsi en avant leur

actualité et leurs publications. De la même manière, les maisons d‟édition et les distributeurs

vont utiliser ses réseaux. En 2008, Hachette avait crée une page Facebook spécialement pour

la rentrée littéraire.

On peut aussi prendre l‟exemple de Mollat qui a créé son propre groupe. Comme nous l‟avons

dit précédemment, les librairies et revendeurs de livres cherchent à rester des intermédiaires

privilégiés pour les lecteurs. On peut observer sur l‟image ci-dessous que la librairie Mollat

met en avant son expérience, son service professionnel et complet permettant de guider et

conseiller le consommateur.

Page 42: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 42

Cette deuxième image montre comment la libraire met en avant certains livres qui viennent de

sortir. Le lecteur est tenu au courant de l‟actualité et des divers évènements qui se produisent

au sein de la librairie. Ces évènements sont des moyens de promotion classique mais internet

permet de leur donner une dimension nouvelle. La librairie peut attirer plus du monde.

Dans ce cas là, internet est un outil efficace permettant d‟amplifier la prescription et lui

donnant une portée nouvelle.

Conclusion de la troisième partie :

Internet est donc une variable à prendre en compte lorsque que l‟on étudie la

prescription dans le monde du livre. Bien que le web soit souvent « touffu » et que

l‟information est difficile à trier et valider, de grands acteurs ressortent de celui-ci, notamment

les librairies en lignes et les grands « médias » du net dont l‟influence ne cesse de grandir.

Page 43: Quels modèles de prescription pour le livre

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Internet tend à bousculer les acteurs traditionnels de la chaine du livre. Pour le monde de

l‟édition on peut reprendre les propos de Lorenzo Soccavo40

qui explique que « Le monde de

l’édition fonctionne encore de manière très verticale, avec les éditeurs tout en haut de la

chaîne et les libraires tout en bas, et entre eux les critiques littéraires. À l’avenir, le recours

de plus en plus fréquent au Net bouleversera le secteur et l’organisera de manière davantage

réticulaire, autour de nouvelles communautés virtuelles ou de blogs de critiques influents. »

Ainsi, de nouvelles formes de communication et de nouveaux types de critiques vont rentrer

en jeu et influencer le choix de l‟internaute/lecteur de livre.

Sur Internet, les outils de prescription évoluent aussi vite que la prolifération des contenus.

Aujourd‟hui, les blogs sont dépositaires d‟une part importante de la prescription et

l‟utilisation de méthode de prescription plus ancienne représente un risque économique.

On peut aussi remarquer qu‟internet peut mettre en avant certains ouvrages délaissés par la

prescription classique mais paradoxalement celui-ci peut aussi renforcer des livres déjà mis en

avant sur le devant de la scène. Au final, tout dépendra de la manière dont le consommateur

utilise le web. Une bonne maîtrise et connaissance de cet outil (condition nécessaire) lui

donnera une certaine liberté et indépendance et le rendra un peu plus maitre de ses choix.

40

Lorenzo Soccavo(2008), Gutenberg 2.0 : le futur du livre, M21 Editions

Page 44: Quels modèles de prescription pour le livre

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Page 45: Quels modèles de prescription pour le livre

Page | 45

CONCLUSION :

Il ressort clairement que l‟achat d‟un livre n‟est pas un acte anodin et que celui-ci

répond à plusieurs logiques. Au moment de l‟achat du livre l‟individu aura fait l‟objet de toute

une série d‟influences construisant sa décision. Les prescriptions dont celui-ci a été la cible

qu‟elle soit direct ou non, commerciale ou non et que celui-ci en est conscience ou pas,

viendront modifier son schéma cognitif et son jugement.

Le lecteur qui désire acheter un livre, aussi connaisseur soit-il, est victime d‟une asymétrie

d‟information lorsque celui-ci souhaite acheter ce bien d‟expérience qu‟est le livre. Cette

situation est problématique pour le consommateur qui se retrouve en situation d‟incertitude et

va devoir faire un choix complexe au milieu d‟offre à profusion.

Le producteur aussi est en difficulté car celui-ci cherche à vendre son produit à des

consommateurs potentiels.

Le consommateur va donc chercher des moyens lui permettant de trouver le livre qui le

satisfera le plus et le producteur va chercher à mettre en avant la qualité de son produit afin de

vendre celui-ci.

Ainsi des relais de prescription vont émerger afin de guider le consommateur en lui apportant

des informations et un savoir et ces derniers, permettront au producteur de trouver des

débouchés.

Les acteurs de la chaine du livre vont donc mettre en place des modèles de prescription que

l‟on peut identifier comme des méthodes de marketing dont l‟objectif premier est la vente.

D‟autres types de prescripteurs vont aussi émerger comme le réseau de connaissances et les

différents critiques médias et prix littéraires. En fonction de la confiance qu‟attribuera

l‟individu à ces modes de prescription leur impact sera plus ou moins fort sur la décision

d‟achat de celui-ci.

Au moment de la consommation, le schéma cognitif de l‟individu aura été modifié. Le

jugement qu‟il se fait sur la qualité de tel ou tel bien est le résultat de toute une série

d‟influence et de l‟intervention d‟une longue série d‟acteurs.

Au final, on peut se demander si l‟individu est acteur de ses propres choix en matière de

consommation de livre. Celui-ci peut être acteur dans le sens ou il portera une critique sur la

prescription dont il est la cible et prendra du recul vis-à-vis de celle-ci, mais encore faut-il être

conscient des processus qui sont à l‟œuvre.

Un regard critique sur ces modèles de prescription nous amène à dire que ceux-ci vont

favoriser l‟émergence d‟une culture de masse et une certaine standardisation (on observe

surtout cette situation dans le cas du roman). En effet, le secteur du livre semble tiré par

quelques ouvrages très médiatisés alors que d‟autres ouvrages peinent à émerger. Les grands

majors de l‟édition et de la distribution ont tendance à favoriser certains titres fars. Les

prescripteurs extérieurs (ou dits indépendants) semblent plus enclins à mettre en avant

certains ouvrages et à donner la parole à un nombre restreint d‟auteurs qui reviennent souvent.

L‟influence grandissante d‟internet va permettre de changer la donne et de rééquilibre

partiellement les choses. Internet va permettre la promotion et la mise en avant de certains

ouvrages. Aujourd‟hui, les consommateurs sont des « e-consommateurs », ils utilisent de plus

en plus le net pour consommer ou tout simplement se forger un avis. Les sites internet comme

www.evene.fr/livres/ ou les blogs spécialisés dans les livres fleurissent. Le consommateur

peut donc à sa guise se forger un avis nouveau sans passer par les relais de prescription que

nous venons de voir. De plus, les webrairies offre un choix de livres plus important que les

librairies classiques et tout les auteurs peuvent publier leurs textes sur internet (l‟écrivain,

l‟épistolier, le professeur, le scientifique…).

Page 46: Quels modèles de prescription pour le livre

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Conscient des opportunités que celui-ci offrent les professionnels de la chaine du livre vont

investir le net toujours avec des objectifs marketings. Ces grands groupes vont investir la toile

avec d‟importants moyens financiers et des techniques de promotions spécifiques.

On va observer que, paradoxalement à la possibilité d‟une plus grande diversification

culturelle et d‟ouvrages qu‟offre internet, on retrouve la mise en avant d‟ouvrages types best-

sellers. Par exemple, les Hit-parades et le Top-vente fleurissent sur internet. Internet est

incontestablement facteur d‟incertitude du fait de l‟incommensurabilité et l‟offre inépuisables

des informations que l‟on peut y trouver. Si l‟internaute veut se renseigner sur l‟actualité

littéraire, ce qui apparaitra en premier sera un ensemble de livres déjà très médiatisé et mis en

avant

Ainsi, internet permet une ouverture vers d‟autres ouvrages et un contournement des modèles

des prescriptions « traditionnels »(deuxième partie) si l‟on maitrise cet outils et que l‟on sait

où chercher l‟information.

Page 47: Quels modèles de prescription pour le livre

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SOURCES :

Bibliographie :

Assouline Pierre (2010), « 30 ans de vie littéraire », le monde des livres 25.03.10.

Benhamou Françoise (2002); « l’économie du star system », Odile Jacob, Paris.

Benhamou Françoise (2008), « L’économie de la culture », la découverte, Paris.

Benghozi Pierre-Jean et Paris Thomas (2003), "De l‟intermédiation à la prescription :

le cas de la télévision", Revue française de gestion, Vol. 29, n° 142, janvier-février, p.

205-227.

Benghozi Jean-Pierre « Organisation des firmes et transformation des chaînes de

valeur dans l‟internet. »

Benghozi Pierre-Jean et Thomas Paris (2005). « Analysing the Distribution to

Understanding the Markets of Cultural Goods » 8th International Conference on Arts

& Cultural Management. HEC-Montréal, François Colbert.

Benghozi Pierre-Jean., Paris Thomas (2008), « Replacer la fonction distribution au

cœur du management de la culture », in Xavier Greffe, Nathalie Sonnac (dir.), Culture

Web. Création, contenus, économie numérique, Paris, Dalloz, p. 695-710.

Benghozi Pierre-Jean et T. Paris (2005), « The Economics and Business Models of

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www.lr2l.fr/economie-du-livre.html

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www.culture.fr/fr/sections/themes/livres_et_litterature

www.africultures.com