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RAPPORT GÉNÉRAL Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France La documentation Française : Mission d , étude sur la spoliation des Juifs de France : Rapport général / présidée par Jean Mattéoli ; Premier ministre

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RAPPORT GÉNÉRAL

M i s s i o n d’étude s u r la s p o l i a t i o n des J u i f s d e France

La documentation Française : Mission d,étude sur la spoliation des Juifs de France : Rapport général / présidée par Jean Mattéoli ; Premier ministre

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Ouvrages de la Missiond’étude sur la spoliationdes Juifs de France,Paris, 2000

La persécutiondes Juifsde France1940-1944et le rétablissement de lalégalité républicaine. Recueil destextesofficiels 1940-1999(ouvrageet cédérom).

Guide desrecherchesdanslesarchives des spoliationset des restitutions.

Rapport général.

La spoliation financière.

Aryanisation économiqueet restitutions.

Lepillage desappartements et sonindemnisation.

La SACEM et les droits desauteurs etcompositeurs juifssous l’Occupation.

Les biens des internés descamps de Drancy, Pithivierset Beaune-la-Rolande.

Le pillage de l’art en Francependant l’Occupationet la situation des 2 000oeuvresconfiées aux Muséesnationaux.

La spoliation dans lescamps deprovince.

En application dela loi du 11 mars 1957(article 41) et ducode dela propriété intellec-tuelle du 1er juillet 1992,toute reproductionpartielle ou totaleà usagecollectif de la pré-sente publication eststrictement interdite sansl’autorisation expresse del’éditeur. Il estrappelé à cet égard quel’usageabusifet collectif de la photocopiemet en dangerl’équi-libre économique descircuits clu livre.

© La Documentationfrançaise, Paris2000.ISBN : 2-11-004589-2.

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Avant-propos

La Mission d’étude surla spoliationdesJuifsdeFrancea plusdetrois annéesd’existence.Elle présente aujourd’hui unnouveau rapportde synthèse,sept rapportssectoriels, leguide desrecherches dans lesarchives etle recueil des textesofficiels de spoliationet derestitution, quitémoignent de sa détermination àcontinuer àmettre aujour desfaits malconnus del’histoire de France.

J’aimeraispouvoir citer à l’ordre du jour le nom de tous sesmembres sans exception enconservant pourtant au fond ducoeurceluide celles et deceuxd’entre eux qui ontaccepté deprendre les pluslour-des charges.Au nom des neuf membres dela Missioncomme au nom deceux quinous ontaidésdanscetteentreprise,je veux saluer leprofesseurAdy Steg,sans lequella Mission et les résultats de sonaction n’auraientpas été cequ’ils ont été.L’usage avoulu qu’onnommela Mission du nomde son président, mais elleaurait pu tout aussibiens’appeler du nom duprofesseurSteg.

C’est aussile momentd’inscrire dansl’histoire de la Mission lamultitude des participations volontairesqu’elle a suscitées,le souvenirdu travail lourd et en partieingrat que des fantassins déterminés ontaccomplipour unecause simplementjuste, et la contribution desadmi-nistrationsdont la charge de travailquotidiennes’esttrouvée augmentéederecherchesinhabituelles.Cesengagementssontd’autantplus remar-quables quela Mission a aussi rencontré,bien sûr, de fauxamis,desadversaires et des obstacles posés à son action. Pourla plupart, cesréti-cences et cesrésistances ont étésurmontées.Le texte fondateur delaMissionne lui donnait pas cebut, maisl’un des résultats de sonactivitéaété de contribuer à une prise de conscience, àl’éveil d’un questionne-mentdansle plus grand respect desindividualités et desgroupesprofes-sionnels concernés. Jamaisla menacen’a été notre méthode. Nousn’allions pas reproduire unsystème de contrainte alors quenousétionsen traind’en étudier un, et d’en constater les ravages.Lorsquenoseffortssontrestés vains,nous avonscontournéla difficulté grâceà l’abondancedes archivespubliques.Espérons quela lecture de ces rapports convain-cra le dernier carré des hésitants.

Qu’avons-nous appris durant cestrois années ?L’ampleur de laspoliation etl’infinitude de ses ramifications ont été unpremiersujetd’étonnement.En cumulantle statut despersonnes etcelui des biens, encombinant lesinterdits professionnels etla confiscation detous les typesde biensmobiliers etimmobiliers, les autoritésnazies etle gouvernement

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de Vichy ont enserréles Juifs dans un enchevêtrementinextricabled’atteintes au droit de l’homme. Comme la population considéréecommejuive était répartiedanstoutes les professions, ces dernières sesont trouvées impliquées parcontrecoup, volontairement ounon, dansla spoliation.Au Commissariatgénéral auxquestionsjuives, les différen-tes sections en charge de« l’aryanisation économique » ontcouvertl’éventail des activitéséconomiques.Il ne manqueà l’appel, si l’on osedire, que le secteurprimaire, l’agriculture, la pêche et les industriesextractives.Encore faut-il en retirer l’exploitation des forêts qui faisaitl’objet d’un interdit professionnel spécifique.Cesquelques absences nesont pasle reflet d’une politiqueencline àl’exemption, maisla consé-quence dupetit nombre deJuifs dansles professionsainsi laisséeshorsdu champ. Toutes les branches dela fonctionpublique, del’industrie, ducommerce et desservices, dusecteurpublic ou dusecteurprivé, ont euàconnaître dela spoliation. Soit que les« administrateursprovisoires »nommés auprès desentreprisesjuives fussent eux-mêmesissus desactivités« aryanisées», soit que parle biais del’éviction des dirigeants etdes actionnairesjuifs, les entreprises« aryennes »a ien tparticipé àla spo-liation, soit qu’elles enaientbénéficié, de même que les professions libé-rales en particulier, à traversla suppression dela concurrence.

Il fautsoulignerici quel’étuderéalisée parla Mission n’a pas étéexhaustive. Non seulement les conséquences économiques desinterditsprofessionnelsn’ont pas étéexaminées, maisla totalité dessecteursd’activité économique n’a pas été impliquéedans les travaux derecherche.Si les industries,le commerce des marchandises ou desservi-ces comme lestransports,n’ont pas été associés à l’entreprise d’élucida-tion desfaits, cen’est pas fauted’avoir reconnu leurimplication dans leréseau dela spoliation.La Mission souhaite quela mobilisation qu’elle asuscitée,pour être partielle,n’en constitue pas moins un signal àréso-nancenationale, qui, deproche enproche, gagneral’ensemble despro-fessions des secteurs publics etprivés.

La secondesurprise,heureusecelle-là, a été deconstaterlevolume etla diversité desmesures derestitution. Annoncéedansl’été1940par le chef dela Francelibre, l’annulationdes actes de spoliationaété entreprise dèsla Libération. Les ordonnances du gouvernementpro-visoire dela République française,puis leslois votées parle peuplefran-çais, ont mis en oeuvre lesprincipesposés, et rétablidans leursdroits lesvictimesdes persécutions. Dans son étude dela déshérence des biens,laMission ne partaitdonc pasd’une table rase. Sontravail a consisté àreprendrel’analysede la restitution là où les organismes derestitutionl’avaient laissée,dans lesannées cinquantepour la France etdans lesannées soixante-dixpour l’Allemagne. En effet, malgré l’ampleur del’oeuvredejusticeaccompliepar les deux Républiques désormaissoeurs,des victimes n’ont pas retrouvétous leurs biens, nibénéficié del’ensemble des indemnisationsqu’ellespouvaient attendre.D’autres, quiont pu faireappliquer les textesprévusà leur endroit, ont souffert dela

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longueur et dela complexité des procédures.Il incombaitàla Missiondemettreà jour ces insuffisances dela politique de restitution, et deper-mettrela réparation desmanques par des mesuresconcrètes.

Un premier pas a été franchilorsqu’aumois deseptembre1999,sur la proposition dela Mission, legouvernementa installéla Commis-sion chargée del’indemnisation des victimes deslois antisémites,dontlatâche consiste à combler les lacunes des restitutionsd’après-guerre.Lasecondeétape consiste à créer une Fondation nationalepourla mémoire,chargée dediffuser les connaissancesrelativesaux persécutions antisé-mites et auxatteintesauxdroits del’hommecommises durantla secondeguerre mondiale.La dotation decette Fondation d’intérêtcollectif seraalimentée par une dotationcorrespondant aux spoliations dont on peutestimerqu’elles n’ont pas été réparées.L’État et certains établissementspublics et privés sesont déjà engagés à participer à cetteentreprised’intérêt général.D’autresdonateurs, convaincus parla qualité de notreétude, nemanqueront pas de semanifester aussi.

Pour terminer,qu’il soitpermisà un ancien déporté dela Résis-tance derappeler quela part sombre del’histoire de Francen’a pasengagé toutela France.Les quelque 10000 volontaires desForcesfran-çaises libresmorts au combat, et les70 000 hommes etfemmes delaRésistance qui ontconnu l’internement etla déportation, ontaussileurplacedansl’histoire de France. NotreMission a fouillé pendanttrois ansdansla face d’ombreet d’encre,mais la face delumière,celle des Justesnotamment, qui ontcaché les persécutés,fait aussipartie del’histoirenationale.C’està la mémoire des persécutés et à celle despersonnes quileur sontvenues en aide, queje voudraisaujourd’hui dédier notretravail.

JeanMattéoli

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Sommaire

Avant-propos 3

Introduction 13

Une mise en perspective 19Un après-guerre 19La résurgence de ces questions : les années1990 35

La spoliation : un « vol civi l » 41La spoliation :inspiration allemande etréalisationfrançaise 42L’aryanisation 49Les avoirsjuifs 61Une spoliation defait :les bienslaissés par lesinternés des campsfrançais 71

Lespillages : uneaffaire allemande 79Premiers pillages 80La Möbel Aktion 85Lesvols informels 97

La restitution desfruits de la spoliation 107Lespremiersmois 107Les ordonnances derestitution 113La fin de la restitution 127

Restitutionset indemnisations des bienspillés 131Retrouver les« biensculturels» et les restituer 131Les autresrestitutions et lesventes par les Domaines 139Lesdiversesindemnisations 149

Conclusiongénérale 163L’ampleur dela spoliation 163L’importancedes restitutions 164Les limites de la restitution : une évaluation 166Remarquesfinales 169

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Recommandations dutroisième rapport 171Recommandationsrelativesauxarchives 171Recommandationsrelativesaux recherches 172Recommandationsrelativesauxrestitutionsindividuelles 173Recommandationsrelativesà la Fondationpour la mémoire 174Recommandationsrelativesauxoeuvreset objetsd’art 174Recommandationsrelativesaux banqueset aux assurances 176

AnnexesAnnexe 1Bibliographie sur la spoliation desJuifs de France 179Annexe 2Glossaire 185Annexe 3Sigleset abréviations 191Annexe4Les moyens matériels et humains de la Mission d’étudesur la spoliation desJuifs de France 193Annexe5Collaborateurs ayant participé aux travaux de la Mission 195Annexe6Remerciements 197

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Le Premier ministre

MonsieurJeanMattéoliPrésident du Conseiléconomique etsocial

Paris,le 5 février 1997

Monsieur le Président,

Divers faits, auxquelslesmédias ontdonné un certainécho,ontfait naîtredansl’opinion des interrogationssur la situationactuelledebiensdont les juifs ont étéspoliésdurant l’Occupation.

Afin d’éclairer pleinement lespouvoirs publics etnos conci-toyenssurcetaspectdouloureux denotrehistoire,je souhaitevousconfierla mission d’étudierlesconditionsdanslesquellesdes biens, immobilierset mobiliers,appartenant aux juifs deFrance ontétéconfisqués ou,d’unemanière générale, acquis par fraude, violence oudol, tant par l’occupantque par lesautorités deVichy, entre 1940 et1944.

Je souhaite notamment quevoustentiezd’évaluer l’ampleurdesspoliations qui ont puainsi être opéréeset que vousindiquiez àquellescatégoriesdepersonnes, physiques oumorales,celles-ciont profité.Vouspréciserez également lesort qui a étéréservéà cesbiens depuis la fin de laguerre jusqu’à nosjours. Vouschercherez, en particulier, à identifier lalocalisation actuelledesditsbiens ainsi queleur situationjuridique. Dansla mesure dupossible,vous établirez uninventaire des biensaccaparéssur le sol français qui seraientencore entreles mainsd’institutions oud’autorités publiques, françaises ouétrangères. Vouspourrez, le caséchéant,formulerdespropositionsen ce qui concerne le devenirdesbiensqui seraient actuellement détenus pardespersonnespubliques dedroitfrançais.

Pour mener àbien votre mission, vousbénéficierez del’entierconcours des administrationsconcernées etnotamment duministère dela Justice, duministèredesAffairesétrangères,duministèrede l’Intérieur,du ministère de l’Économie et desFinances, duministère de laCulture etdu ministère de l’Éducationnationale, del’Enseignement supérieur et dela Recherche. Desinstructions seront données àl’ensemble des départe-ments ministérielsafin quevouspuissiezaccéder librement àleursarchi-ves. Vouspourrez égalementfaire appel, en tant que debesoin, auxagents qui serontdésignés parchaqueministrepour vousservirdecorres-pondantprivilégié.

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Il estdifficile d’évaluerdèsmaintenantl’ampleur de la missionqui vousestconfiée.Aussine mesemble-t-il paspossiblede fixer tout desuite un terme àcelle-ci.Je souhaiterais néanmoins que vous me trans-mettiezvos premièresobservationsavant la fin del’année 1997. Vous meferezpart despremiersrésultatsobtenus,m’indiquerezlespistesqui voussemblentdevoir êtreexploréesde façon approfondie et mecommunique-rez un calendrier prévisionnel devostravaux.

Lerapport final quevousme remettrezserapublié par lessoinsde la Documentationfrançaise.

En vous remerciant de bienvouloir accepter cettemission, jevousprie d’agréer,Monsieur lePrésident,l’expressionde ma hauteconsi-dération et de messentimentsdévoués.

Alain Juppé

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Le Premier Ministre1359/97/SG

MonsieurJeanMattéoliPrésident dela mission d’étudesur la spoliation desJuifsdeFrance13, rue de Bourgogne75007Paris

Paris,le 6 octobre1997

Monsieur lePrésident,

Par arrêté du 25 mars 1997, mon prédécesseur vous achargéd’une mission d’étude surlesspoliations dont lesjuifs ont été victimesdurant l’occupation.

J’attache laplus grandeimportance à la mission quivous a étéconfiée.Vouspouvezcomptersur l’entière collaboration desdifférentesadministrations del’État pour l’accomplissement de votre tâche.Commeje vousl’ai déjà indiqué parailleurs, lesmoyenshumainsnécessairesàl’exécution des recherchesdocumentaires quevousavezentreprisesvousseront fournis.

MadameChemla,rapporteurgénéral du groupe de travail quevous présidez, arécemment présentéà mescollaborateursl’état d’avance-mentde vosréflexions.

J’ai pris note du souhait que vousavezémis de voirréaliser,sousl’égide d’une institution publique qui pourraitêtre le Conseilnational ducrédit, un inventaire desavoirsappartenant àdes juifsdisparuspendantla seconde guerre mondiale quedesétablissementsbancaires françaisauraient puconserverpar-deverseux aprèsla libération. J’ai demandéau ministre del’économie,desfinances et del’industrie d’étudier votresuggestion et dem’indiquerselonquellesmodalitésle Conseilnational ducréditpourrait être chargédesuperviserles rechercheseffectuéesdanslesétablissements bancaires.

Ence qui concerne lacomposition dugroupe de travail quevousprésidez, j’ai déploré que ladisposition de M. François Furet vousprived’une collaboration précieuse.Il serait sans doutesouhaitable queM. Furet soit remplacé.Jeseraisheureux quevouspuissiez me fairedespropositionsen cesens.

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Mon prédécesseur vousavait demandé de lui transmettre u nrapport d’étape pourla fin del’année 1997.Jecrois, en effet, qu’ilseraitnécessaire dedresser un bilan annuel del’état d’avancement devosrecherches.

Sansremettreen causecettedemande, il mesembleraitcepen-dant utile, comptetenu des nombreuxévénements qui sontsurvenusdepuis quevotregroupe detravail a été constitué et del’intérêt manifestépour l’objet devotre mission,qu’un aperçu des premièresorientations devos travaux etdeséchéances que vous vousêtesfixéessoit rendupublicdèsmaintenant. Jesouhaiterais également quevoustransmettiez,avantla fin du moisde novembre, unenote technique sur l’avancement devosréflexions.

Enfin, comptetenu de larésonanceinternationale devotreacti-vité, il serait utile que vous-même ou unmembre devotre mission, enaccord avec mon cabinet, puissiezparticiper à un certainnombre demanifestations, en particulierla conférence quise tiendra àLondresle4 décembreprochain.Cetteparticipation permettrait de mettre enavantla logique et la spécificité de la réponse de notrepaysdans ce domaine.

Je vous prie decroire,Monsieur le Président, àl’expressionde mahauteconsidération.

Bien àvous,

Lionel Jospin

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Introduction

« Parson CGQJ,par lesdirections régionaleset lesdélégationslocalesdecetorganisme,parles fonctionnairesnombreuxetgrassement rémunérés quiconstituaientcesdernières,par lamultituded’agents louches,depoliciers suspects,demouchardsstipendiés, de dépisteurs et de délateursbénévolesqui leur étaient attachés, legouvernement deVichyavaitenserréle paysdans unréseauextrêmementétroit, desmaillesduquelaucun Juif possesseurd’un bien quelconque ne pouvaitéchapper [...]. Le gouvernementde Vichy avait organisé le vol.Celui de laIVe Républiquedevaitorganiser la restitution[...].Pour moi, la restitution desbiensspoliésaux israélitesestuneoeuvreà la fois dejusticeetd’humanité dont lasignificationmoraleetpolitique dépassede beaucouplesvaleursmatériellesen cause.Elle doit être,aux yeux de laFrance et dumonde,unedesgrandes manifestationstangiblesdu rétablissementdu droit et de la légalité républicaine. »

Émile Terroine29 décembre1944

Pour Émile Terroine, quis’y dévoua, la restitution devaitêtre« uneoeuvreà la fois de justice et d’humanité dont la significationmoraleet politique dépassede beaucouples valeurs matériellesen cause» 1. LaMission d’étude surla spoliation des Juifs de France aurait pureprendremot pour mot lestermesd’Émile Terroine. Carelle a adoptéd’emblée,sansalors les connaître, ses finalités -justice et humanité -y ajoutantsimplementl’histoire. Elle s’est posé la questionessentielle, en exami-nant l’oeuvre de restitution et d’indemnisation des années del’après-guerre, de savoir si les objectifs quelui avait assignés Terroineavaient été atteints.Aujourd’hui, elle rend son rapportfinal, ainsi que lesrapports par secteursd’investigation dont le présent texte constituelasynthèse et qui témoignent dutravail accompli depuis sacréation, le5 février 1997,par le Premierministre,Alain Juppé.

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Dans salettre de mission,le Premier ministre confiait àJeanMattéoli 2. alors président du Conseil économique et social, la tâcheassignée augroupe detravail qu’il devait réunirautour delui. Il s’agissait« d’étudier les conditionsdans lesquelles lesbiens immobiliers etmobi-liers, appartenant aux Juifs deFrance, ont été confisqués, oud’unemanière générale, acquis par fraude,violenceou dol, tant par l’occupantque parlesautorités de Vichy entre1940 et 1944». M. AlainJuppé pour-suivait :« Jesouhaitenotamment quevoustentiezd’évaluer l’ampleurdesspoliations qui ont puêtre ainsi opérées,et que vousindiquiez àquellescatégoriesdepersonnes, physiques oumorales,celles-ciont profité. Vouspréciserez également le sort qui a étéréservéà cesbiensdepuis la fin de laguerre jusqu’ànos jours. Vouschercherez,en particulier, à identifier lalocalisation actuelle desditsbiens ainsi queleur situationjuridique. Dansla mesure dupossible, vous établirez uninventaire des biensaccaparéssur le sol français qui seraient encore entreles mains d’institutions oud’autorités publiques, françaises ouétrangères. Vouspourrez, le caséchéant,formulerdespropositionsen ce qui concerneledevenirdesbiensqui seraient actuellement détenus pardespersonnespubliques de droitfrançais» 3.

Dès son entrée en fonctions,M. Lionel Jospin,devenuchef dugouvernementàla suite des électionslégislatives du2 juin 1997 quiame-naient un changement demajorité, fit savoirqu’il entendait quele travailengagéfût poursuivi, cequ’il confirma parlettre du 6 octobre1997.LaMission, à l’évidence, transcendetout clivage politique.

La Mission est donc unemission d’étude,dont l’objectif estd’abordd’éclairerun doubleprocessus historique,celui de la spoliationet du pillage dont furent l’objet les biens des Juifs de Francependantl’Occupation ; celui dela restitution et de l’indemnisationdont ils furentou nonl’objet. C’est en fonction decette recherche que des recomman-dations ont étéfaitesau gouvernement dèsla remise du deuxièmerap-port d’étape et que cet ultimerapport en comporte denouvelles.

La tâche a été considérablepuisquecettespoliation intéresseune populationestimée de300 000à 330 000personnes,qu’elle met enjeu des acteurs multiples, etporte sur des biens de nature et devaleurinfiniment variées.Si des travaux historiques partiels existaientdéjà surlaspoliation, sur lesquelsla Missiona pu s’appuyer, en revanche,la restitu-tion et l’indemnisation restaient un terrain vierge.

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C’est la natured’une mission inéditedansl’histoire dela Répu-blique, quoique nonsans analogieavec leServicede restitution4 mis surpieds dansl’après-guerre, originale parrapportà la façon dontd’autrespays concernés par des problèmes enpartie similairesont réagi,qui acommandé tout àla fois son organisation et ses méthodes detravail.

Car il ne s’agissaitpas de produire simplement unrécit histo-rique, comme lefont les historiensdansle cadre deleur thèse ou delarédaction d’ouvrages.Les travaux devaient répondre à diversesdeman-des venues dela société, des médias oud’organisations,demandesquiont elles-mêmes évolué aucours dutravailde la Mission.En tout premierlieu, celles,tout àla fois individuelles et collectives desvictimes.Collecti-ves,dansla mesure oùil fallait déterminersi des biens, oule produit deleur vente,issus dela spoliation, se trouvaientencoredansdiversesinsti-tutions, que ces biens puissent être rattachésà un propriétaire en particu-lier, ou qu’ils aientété versésde façon anonyme.Il fallait donc quelestravaux dela Missiondébouchent sur des estimations globales demon-tants spoliés et non restitués.Mais il fallait aussique chacunconcernédans sonhistoirefamiliale par la question des spoliations puisse retrou-ver le plus facilementpossible, lesdocumentsd’archivesle concernant,pourd’éventuelles revendications, ou parsouci de connaissance del’his-toire des sienspendantl’Occupation.

Pourla commodité dela recherche, desgroupes detravail, pla-cés chacun sousl’autorité d’un membre dela Mission, s’attachant àundes aspects dela spoliation, ont été organisés.Neuf groupes,créés à desdatesdifférentes, en fonction parfois desquestions qui surgissaient.Carsi, dèsle départ,furent posées lesquestions del’argent pris aux internésde Drancy, dela restitution (ounon) des entreprisesaryanisées et, lanci-nante,celle desoeuvresconservées dans lesmuséessousle sigle MNR,Muséesnationauxrécupération, d’autresquestions ontsurgi à desdatesdiverses,selon desmodalitésdifférentes :cellesdesavoirsdéposésdansles banques, descontratsd’assuranceen déshérence, desmobilierspil-lés, des droits d’auteurs quiauraient pu ne pasêtre versés.

Ainsi, le travail de recherche, mené par des historiens et desarchivistes demétier, n’a pas été untravail classique.Cene sont pas leshistoriens quiont, comme à leur habitude,dansla liberté de leuratelier,élaboré les questions auxquellesils souhaitaient répondre.Cesquestionsont été orientées parlesdiversesdemandes, nationales ouinternationales.

Chaquequestion,pour pouvoirêtre traitée,a fait l’objet d’undispositif particulier, associant les institutions concernées à untitre ou unautre.Lesrapports par secteur rendentcompte desméthodes employéeset des coopérationsétablies, comme d’ailleurs les très nombreux et

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substantielsrapportsremispar ceux qui onttravaillé en partenariatavecla Mission 5.

Au terme dutravail, il est apparuclairement quela spoliation neselaissaitpasdiviseren secteurs hermétiques,maisque, quels que soientses aspectsdivers, elle présentait une cohérence.C’est ce qui nousadécidés àproduire, aucôté desrapportssectoriels quitoussontpubliésàla Documentationfrançaise, cerapport de synthèsedont la plus grandepart dela substanceprovient des diversrapportssectoriels.

Le gouvernementn’a pas ménagé lesmoyens mis àla disposi-tion dela Mission.La Missiona bénéficié de l’appui desservices adminis-tratifs du Premier ministre qui ontmis des locaux et unsecrétariat à sadisposition. Un secrétaire général et undirecteur ont été nommés, unbudget importantdégagé.Toutes lesdemandes en personnel ont étésatisfaites,ce qui a permisà la Missiond’embaucher, en grandnombre,de jeuneshistoriens ouarchivistesde haut niveau6. Lesmembres delaMission et ses chercheurs ontbénéficié d’une dérogation générale quileur a permis d’accéder librement àtoutes lesarchivesnécessaires àleurtravail. Une grandepartie des fondsqu’elle a consultésétait,au début deses travaux,soumisà dérogation.Ce n’est plus le cas depuisl’arrêtédu13 mai 1998relatif à l’ouverture de fondsd’archivespubliques concer-nant la période1940-19447.

Quel regard portons-nous sur lesrésultats denotre mission ?D’un côté, nous avonsconscienced’avoir effectué untravail important et,dans certains domaines, celui desrestitutions et desindemnisationsnotamment, tout àfait pionnier. Le travail est-il pour autantexhaustif,« définitif » ?

Nous avons souhaitéeffectuernos recherchesdans un tempslimité, par respectpour lesvictimes qui attendaientqu’à partir denotretravail d’étude despropositions fussentfaites. Nostravaux n’épuisent paspour autant toutel’histoire des spoliations, dupillage, desrestitutions etdes indemnisations.Certainspoints restent insuffisammentapprofondis.D’autresque nous prendrontle relais. Ils pourrontêtre aidés parla Fon-dation nationaledont le Premier ministre aannoncéla création lors dudîner duCRIFdu 28 novembre1998.D’autrespoints resterontprobable-ment obscursà jamais.

Tout ce qui concernele génocide desJuifs est,selonl’expres-sion del’historien allemandNolte, un « passéqui ne veutpas passer». Saprésence estdavantageprégnante aujourd’huiqu’elle ne l’a été dans lesdécennies qui ont suivila guerre,donnantparfois l’étrangesentimentqu’aucuntemps nes’est écoulédepuisla capitulationallemande de mai

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1945.Pour accomplir untravail exhaustif, retrouver les détails de toutesles spoliations oupillages et les modalités deleur restitution, il auraitfallu pour chacun desspoliés, etpour tous, se replacer autemps mêmede ces procéduresdont nousaurionsreconstituéchaquedétail.La chose- et cela était prévisible -s’estavérée impossible.

Que le passé veuillepasser, ouqu’il refuse dele faire, il n’enreste pas moinsqu’il est le passé, etqu’il ne selaisseconnaître que parses traces,principalement les archives.Les archivessont généralementsuffisantespour écrire l’Histoire si on entend parhistoireune construc-tion élaborée àpartir detraces léguées par lepassé.Le Guide desrecher-chesdanslesarchives des spoliations et des restitutionspublié grâce auxtravaux dela Mission montre leurabondance etleur diversité. Que cestraces soient lacunairesn’empêche pasl’historien d’écrire del’histoire.En revanche, les lacunes sont desobstacles àla restitution duréel telqu’ilétait il y a maintenantprès desoixante ans. Deux,parfois même troisgénérations ont passédepuis lesévénementsdont notreMission doitrendre compte.Rien de ce quinoussépare de ces événements nepeutêtre misentreparenthèses.

Car certaines procéduresn’ont pas laissé detracesécrites suffi-santes.C’est le caspar exemplepour le pillage sauvage etradical desmeubles par lesnazis, ou,dans untout autre domaine,pourla récupéra-tion àla Libération descomptesbloqués par les établissements bancaires.C’est le cas encore dela restitution,sans aucuneprocédure, de certainesentreprises au lendemain dela guerre.

Certaines archives ont d’autre part été détruites, à desdatesdif-férentes,pour de bonnes ou demauvaisesraisons.Ainsi en est-il, pourne prendrequ’un exemple des archives allemandes ducamp deDrancy,brûléespour l’essentiel par lesSSavantqu’ils ne s’enfuient précipitam-ment aumoisd’août 1944.Des archives ont été pilonnées àla Libérationparcequ’elles portaient des mentions« raciales »incompatiblesavec laculture républicaine qui interdit,depuis1872,toute mentionreligieuseou ethnique sur les documentsofficiels. Certainesarchives ont disparu,comme celles de très nombreux camps d’internement.Le Guide derecherchedansles archives,comme chacun des rapportssectoriels,fait lepoint sur ce qui existe,comme sur ce quin’existeplus.D’autresarchivesne sontgénéralement pas conservées.C’est le cas notamment desdocu-mentscomptables quiauraient été précieuxpour le type derecherchesque nouseffectuonset quela loi autorise à détruire aubout de dix ans.

D’autresarchives enfinn’ont pas été retrouvées.C’est le cas dela plusgrandepartie decellesdes Domaines, un des maillons essentielsdans lecircuit dela spoliation, dela restitution et desventes d’objetsdontles propriétairesn’ont pas étéretrouvés et quisont ainsi devenus pro-priété del’État. Nous n’avons pas depreuve absolue que ces archivesn’existentplus. Peut-être réapparaîtront-elles unjour proche oulointain.Car il arrive que des archives qu’on croyaitperduesfassent surface,

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commecelles - publiques ouprivées -pilléespar les Allemandspendantl’Occupation et retrouvéesà la fin des années quatre-vingtdans les« Archivesspéciales »à Moscou. Il y a del’aléatoire danstout travail derecherche historique.

Notre rapport s’attache au devenir despersonnesdésignéescommejuives par l’État français et l’occupantallemand. Spoliations etpil-lagessontintimementmêlésau processus dela destruction des Juifs deFrance.La spoliation en constitue une étape, alors que lepillage desappartements par lesnazis en estla signature.Nous nous occuponsicid’argent,d’entreprises, demeubles, de comptes bancaires, de contratsd’assurances... Touteschoses« bassement » matériellesdont la perte estréparable mais qui constitue defait un élément de« l’irréparable» qu’évo-quaitle président dela République, JacquesChirac,dans sondiscours auVel’d’Hiv’ le 16juillet 1995.Puisquenousdevions évaluerl’ampleurdelaspoliation niréparée, ni indemnisée,il fallait chiffrer, et adopter,parfois,le raisonnement tout de froideur arithmétique de quifait les comptes. Or,l’irréparable de la Shoah,c’est l’assassinatdes hommes, femmes etenfants,l’agonie d’une partie du judaïsme.Notre travailse veut unapportà un aspect encore mal connu,maispourtant fondamental, del’histoiredu génocide desJuifs. Sepencher surla question des biens nesignifiepas que les Juifs ont été exterminés par simple cupidité, ni quelamémoire d’Auschwitz ressortit à unequelconque questiond’argent.

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Une miseen perspective

La dernière décennie duXXe siècle voit resurgir unthème dis-paru del’actualitémondialedepuisla fin des années cinquante : celui dela spoliation et des pillagesdont les biensdes Juifsont étél’objet pendantla secondeguerre mondiale.Cethèmes’estdécliné,dansle champ natio-nal et international,selon desmodalités différentes,se focalisantpourl’essentielsur la question desoeuvresd’art, de l’or non monétaire, desavoirs déposés dans lesbanques,principalement lesbanquessuisses.Autant d’affairesdont la pressea largementrendu compte cesdernièresannées.

La Francen’a pas été tenue àl’écart de ces questionnements.Discrètement d’abord,puis de façonplus insistante, laquestion a étéposée par les médias et une fraction de l’opinionpublique desavoir silatotalité desbiensissusde la spoliation et du pillage dutemps del’Occu-pation et deVichy avait été restituée ou indemnisée.Pourquoi etcom-ment les questions qui ont été àl’origine de la création dela Mission etl’ont occupée pendant trois années ont-elles été posées? Unretoursur l’après-guerreest ici indispensable avantd’analyser les modalitésde l’émergence de cesquestions depuisle début des annéesquatre-vingt-dix.

Un après-guer re

Les Juifs de France :un aperçudémographiqueÀ l’été 1944,lesJuifs deFrancerestés surle territoiremétropoli-

tain célèbrent avecla même liesse que l’ensemble dela populationfran-çaise la Libération. L’allégresseest pour eux decourte durée.Ils sontinquiets pour leurs « absents»8 : 75000Juifs environont étédéportés,dont on estalorssansnouvelles ; 10000 à 15000prisonniers de guerrejuifs sont détenus dans lesStalags et les Oflags depuis la débâcle de1940 ;une trentaine demilliers ont trouvé refuge en Suisse;d’autres,dont le nombren’estpas évalué, ont rejoint Londres ou,après novembre1942, Alger. Il resterait donc, en cet été 1944, si l’on s’en tient à

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l’évaluation la plus communément acceptée pourl’avant-guerre9

- 300000à 330 000Juifs -probablementquelque200000Juifs,dont larépartition surle territoire nationala été bouleversée par l’Occupation.Paris reste le lieu principal de résidence :20000 des50 à 60000Juifslégalement enregistrés en France y habitentencore enaoût 1944,portantl’étoile jaune10, ainsi qu’unbon nombre declandestins,auxquelsil fautajouter les1386 internés deDrancy ayant échappé aux déportations,libres depuisla fuite d’Alois Brunner, le 17 août 1944, par un dernierconvoi quiemmène aveclui cinquante et un déportés.

Le poids deParis,restéimportant, adonc largement diminué.Au moment dela Libération, la majoritédesJuifs deFrancese trouventloin de leur domicile et deleur lieu de travail de 1940,ce qui n’est passans importance en ce qui concerne lesrestitutions.Ils surviventdansdes localités oùils sont assignés àrésidence,dans de grandesvilles,commeLyon, Grenoble,Montpellier,dans desvillagesdes Cévennes, dela Creuse ou du Tarn.Bien souvent, leur entreprise a étéaryanisée ouliquidée, leur logement intégralementpillé par les Allemands est occupépar d’autreslocataires.

Dès la Libération, quand lesmoyens de transportdans uneFrance exsangue, désorganisée par lesbombardements et les combats dela Libération,le permettent,la plus grandepartie d’entre eux regagnelacapitale.Leur retour s’échelonnependant desmois, qui sontaussiceuxde l’attentedu retour des déportés.D’autres - une minorité - choisissentde ne pas rentrer.La répartition dela populationjuive, amputée par lesdéportationsd’un quart ou uncinquième, s’en trouveprofondément etdurablementmodifiée.Celle des communessituées aunord dela lignede démarcation,dansla zone occupéepar les Allemandsou dans lesdépartements annexés auxReichdiminue.En revanche,la population decertainesvilles de l’ex-zone libre augmente.C’est le casdes communesde l’agglomération lyonnaise, deNîmes, de Marseille ou de Cler-mont-Ferrand. Dans certainesvilles du Sud-Ouest, des communautésorganisées naissentpendantla guerre, commeà Agenou Montauban11.Elles survivent engrandepartie grâce auxsubsides del’Union généraledesIsraélitesde France,l’UGIF.

Que ce soità Paris oudans lesvilles de province,la misèreestgrande.Ainsi, 30 000à 35000 Juifsdépendentdirectementdel’assistance

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prodiguée par les diverses organisationsjuives, qui bénéficient del’argentde la grandeorganisationphilanthropiqueaméricaine,le Joint12.Le 18 octobre1944,on constate quele nombre des assistés a triplédepuisla Libération13 : « laplupart des Juifscachésdansles campagneset dansles petits villageset qui,pour desraisons de sécurité personnelle n’osaientse faire connaître, affluentactuellementdanslesgrandesvilles et assiè-gent nosComités dedemandes desecours», note un des responsables dela Communauté14. Le mois suivant, leurnombrea encore augmenté de10 %. En mars1945,à l’image du Comité decoordination desoeuvressociales desoeuvres de résistance, leCOSOR,est créé le Comité juifd’action sociale et de reconstruction,le COJASOR.Financé parle Joint, il« agit comme uneagence centrale par laquelle transitentles fonds duJoint destinés àl’assistancedirecte». Il s’occupe de24 287personnes -près de 15% de la populationjuive, à qui il verse des secours, distribuedes colis, etpour laquelle il gère descantines(200000 repas en1945),des vestiaires, descentres d’hébergement(onze à Paris, trois en pro-vince)15.

Quellecommunauté ?Malgré ses pertestrès nombreuses,le judaïsme de France

compte, au lendemain dela guerre, une population nombreuse16. Lessynagogues,à l’exceptionde celles desdépartementsrattachésà l’Alle-magne -Haut-Rhin,Bas-Rhin,Moselle -, sontutilisables.Les anciennesoeuvresrenaissent;d’autresse créent17. Davantage épargné queceluid’autres paysoccupésd’Europe,il devient - avecle judaïsmed’Afriquedu Nord intact - la première communauté del’Europe continentale,exceptéecelle del’URSS. Et il le resterajusqu’à aujourd’hui.

L’occupationdela France par les Allemands,l’existencedu gou-vernement deVichy, les mesuresqu’il prit pour rejeterlesJuifshors dela

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nation ne provoquent pasimmédiatement de modification radicaledansla doctrine dominante chez les JuifsdeFrance,quecertainsauteurs nom-ment« franco-judaïsme», d’autres« israélitisme». Cettedoctrine estcom-mune aux grandes organisations, commel’Alliance israéliteuniverselleou le Consistoire.La devise de ce dernier,« Patrieet religion », est tou-jours en vigueur.LesJuifsde France ne sont ni uneminoritéethnique, niune communauté politique.Comme parle passé,le Consistoire célèbreles grandes dates del’histoire de la Nation et dela République etinscritses morts parmitous lesmorts de la guerre.Le 19 mai 1946,lors del’assembléegénérale ordinaire del’Association consistorialede Paris,EdmondDreyfussdressele tableau dela lutte desJuifs dansla guerre :« Dansce malheur, ce sera dumoinsnotre fierté, notrehonneur,d’avoircombattuavecles autres,commeles autres, et quelques foisavant lesautres,pour ladélivrance dumonde et la victoire deDieu. Cethonneur,nouslerevendiquons, nonpascomme unmonopole,nonpaspar un vainorgueil, mais comme unepreuve,unsymboledela continuité denotrefoiet notre incorporationdans lacommunautéfrançaise, dans lacommu-nauté de tousles hommeslibres et vaillants, dequelque paysqu’ilssoient»18. Évoquant l’appel du 18juin, il présentela Libération commeun nouveau1789,comme unenouvelle émancipation :«C’est donc enpremier et dernier lieu à cepeupledeFrance, éperdu deliberté quenousreconnaissons devoir notre survie, cepeuplequi nevoulut jamaiscéder,et qui, à l’heure décisive,unanimedans savolonté spontanée etindis-cutée, effaçad’un trait de plume les lois d’exception imposéesparl’ennemi.Ainsi la France qui nous alibérésen 1789 nous alibéré à nouveau en1944. La France elle aussi survit.Nous restonssesenfants, natifs oud’adoption.Nousavonsrepris, nousdevonsreprendre,notre place à sonfoyer avecla discrétion que commandent lasouffrance etla dignité decontinuer àservir » 19.

Des voixpourtant commencent à sefaireentendre, quis’insur-gent contrecette affirmation répétée par les israélitesqu’ils sont debonsFrançais, debonspatriotes.Ainsi, Léon Meiss, président du Consistoirecentral, président duCRIF : « Noussommes Français.Pourquoi le souli-gnercommesi véritablement nous avions un complexed’infériorité et quenous voulions faireadmettrepartout le monde quenotrepatriotismeestle même que celui des autresFrançais ? Parconséquent,quand jevousparle, c’est un Français et un Juif français quivous parle, et si cetermepeut choquer quelqu’un autre quevous,je dirai que j’emploie cetermeparce queje me refused’employercet autreterme,"Françaisdereligion

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israélite" parce queça me paraît... uneinexactitude »20. Pour certains,l’appellation« israélite »qui,danslescirculairesadministratives,remplacele terme de« Juif » imposé par leCommissariatgénéral aux questionsjui-ves, et qui estle terme choisidansla dénomination dela nouvelle organi-sationpolitique dela communauté,le Conseilreprésentatif desisraélitesde France21 (CRIF), est devenueobsolète. Ilsrevendiquenteux-mêmesle terme deJuif, à l’exclusion detous les autres.C’estce qui autorise àuti-liser dans cerapport le terme deJuif, sansguillemets.Alors que, dansl’après-guerre, le terme« israéliteexprimait lerespect retrouvé, cen’estplus le casaujourd’hui.

Léon Meissest donctout à la fois le président duConsistoirecentral et d’un organismenouveau,le CRIF, né au début de1944danslaclandestinité.Le Conseil représentatif desisraélitesde Franceregroupel’ensemble des organisationsjuives, celles issues de l’immigration,commecellesreprésentantle judaïsme français.Safonctionestd’embléepolitique. Commele dit le préambule desacharteadoptée en1944,« ceconseil représentantl’ensembledeséléments dujudaïsme en Franceseconsidèrecommele seul qualifié pour être l’interprète du judaïsme enFrance, tant devantlespouvoirs publicset l’opinion quedevantlesorga-nisations juives des autrespays et devantles instances internationales».

Ainsi s’amorcedans l’après-guerre,timidement etsanscorres-pondre encore au sentimentgénéral desFrançais israélites,l’abandond’une conception quifut celle dujudaïsmefrançaispendant unsiècle etdemi. Certainsmembres duConsistoiresontd’ailleursconscients qu’unephase del’histoire desJuifs de Franceest révolue.GeorgesWormser,intitulant l’ouvragequ’il publie en1963,Français israélites,agrémenteletitre d’un sous-titre :« Unedoctrine - Unetradition - Une époque», mar-quantla conscience que cetteconception dujudaïsme quis’estélaboréedepuisl’émancipation de 1789appartient aupassé.

LesJuifs qui vivaient enFrancedans les annéesd’avant-guerre,français ou étrangers,souhaitent massivementcontinuer à yvivre. En1945,la HICEM 22 n’a enregistré que troismille demandesd’émigration,dont plus de 98% concernent desétrangers arrivés en Francedepuis

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193323. Bien peu tententd’émigrer vers lesÉtats-Unis,dont les portessont alorsfermées auxsurvivantsdu génocide24, ou enPalestine,encoresous mandat britannique, quilimite de façondrastique touteimmigra-tion 25 et, après1948, en Israël.Les soldesmigratoires dela populationjuive de Francesont constammentpositifsentre 1944et 1969.

Les Juifs étrangers demandentleur naturalisation,accordée defaçon très libéraledans lesannées qui suiventla Libération. Lesstatisti-ques globales, toutesnationalités confondues, etbien évidemment- républicanismeoblige -sans mentionethnique oureligieuse,sontélo-quentes :3 382 naturalisés en1945, 14 163en 1946,67817 en1947quiestla grandeannéepour lesnaturalisations.Leschiffresamorcent ensuiteun lent reflux : 50111en1948,41691en1949,27 939en 1950.Ils restentsupérieurs à14 000au début des annéescinquante (19081 pour 1953,par exemple)26. Parmi cesnaturalisés,beaucoupsont notammentita-liens, mais la lecture desnoms, prénoms, lieux de naissancemontrequ’un grand nombre d’entre euxsont desJuifs de l’Europe centrale etorientale.Lespatronymes, les prénoms et les lieux de naissance deceuxdont le nom commence parZ sont pratiquement tousjuifs 27. Dansladécennie1940-1950,quarante-troisZylberberg aux prénoms incontesta-blesjuifs (Chaim,Azriel, Symcha...), dix-huit Zylberman etquarante et unZylberstein (Zylberstejn, Zylbersztajn...) acquièrentla nationalité fran-çaise.Au début des années1980,près d’unquart dela populationjuiveparisienneavait acquisla nationalité française par naturalisation.Ainsi,93,7% des47 516Juifs étrangersétaientdevenusfrançais,dont 97,2 %desJuifsoriginairede l’Europe orientale28.

Les années qui suiventla libération sont,pour lesJuifs deFrance, celles dela ruptureradicaleavecle temps dela guerre qui avaitdésigné lesJuifs comme tels, les mettant au ban dela société et lesvouant àla destruction.La liberté recouvrée est aussi celle de neplusêtre

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juif, si on le souhaite.Avec l’effondrement dunazisme etle retour àlaRépublique,les Juifsrecouvrent leur citoyenneté ou,pourles étrangers,yaspirent. Ilsreprennentleur place dansla nation.

Mais cette place, ils ne peuvent vraimentla reprendre que sileur situation économique est restaurée.

Le Centrededocumentation juivecontemporaineet lapréparation dela restitution

Dès la période de l’Occupation, unhomme,IsaacSchneersohnest conscient de l’importance que revêtira pour les Juifs dansl’après-guerrela question dela récupération de leurs biens.Cettepréocu-pationest, defait, largement àl’origine dela création du Centre dedocu-mentation juive contemporaine.Le 28 avril 1943, à Grenoble alorsoccupé par lesItaliens,Scheernsohn crée, en présence de responsablesde la plupart des organisationsjuives, le Centre dedocumentationjuivecontemporaine dontle souci principal est la reconstruction del’après-guerre,notamment économique.Parmi les jeunesgens alorsembauchés,Léon Poliakov.« Jeme souviens,écrit-il dansL’Aubergedesmusiciens,que pour commencer, il [Schneersohn]avait installé u nbureau à Grenoble, rue Bizanet, où unedemi-douzaine dedactylosétaientchargéesde dépouiller leJournal officiel pour dresserl’intermi-nableliste desentreprisesaryanisées, ce queje trouvaissuprêmementridi-cule, ne comprenantpas qu’il faut un commencement àtout » 29. Sanspouvoir rien prouver, puisquela plus grandepartie des archives decetteépoquen’a pas été retrouvée, onpeut pourtantlégitimementpenser quece travail est àl’origine du fichier des spoliés et desadministrateurs pro-visoires - desdizaines demilliers de fiches -transforméà la fin desannées quarante endeuxouvrages : leBottin desadministrateurs provi-soires et celui desspoliés.

Parmi lesquatrecommissions créés parle CDJCdèsla périodede l’Occupation,la première « la commission juridique,est composéed’éminents juristes quiexaminent lerégime despersonnes(législation etjurisprudence) ainsi que l’incidence de lalégislation de Vichy et desordonnances allemandes surl’économiejuive ».

Le travail de cette commissionporte ses premiersfruits immé-diatement àla Libération.Deux ouvrages paraissent dès1945,qui avaientété préparés pendantl’Occupation. Le premiers’intitule Les Juifssousl’Occupation.Recueil destextesfrançais et allemands 1940-194430. Ilrésultedu véritable travail de bénédictinde deuxlicenciésen droit,L. Czertok etA. Kerlin. Ce travailde recueildonnel’essentieldes textes

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français etallemand, indispensablespour comprendre lesmécanismesd’exclusion et despoliation.

La mêmeannée,commecomplémentà cerecueil,J. Lubetzkipublie un ouvragequi fait toujoursréférence,La conditiondes Juifssousl’occupation allemande. 1940-1944.La législation raciale31. C’est, àchaud,la première analyse dela législation et de sonapplication. Orga-nisé entrois grandesparties,l’ouvragetraite d’abord de« la législation dupseudo-gouvernementfrançais deVichy à l’encontre desisraélitesde laFrance métropolitaine »; puis dela législation allemande enzoneoccupée; enfin de la « législationspéciale dupseudo -gouvernementfrançais de Vichy ». Deux autres ouvragespubliés dans l’immédiataprès-guerreconcernent les questions dela spoliation et du pillage :L’examensuccinct de la situation juridiqueactuelledes Juifs, parR. Sar-raute etJ. Rabinovitchet le recueilde documents, sousla direction deJeanCassou,conservateur enchefdu muséed’Art moderne :Lepillagepar lesAllemandsdesoeuvresd’art etdesbibliothèquesappartenant àdesJuifs enFrance.

Lesjuristesqui travaillentavecleCentre dedocumentationjuivecontemporaine -comme Sarraute etTager - ouavec le Consistoire,commeMe Kiefe, assistentle CRIF dans sesinterventions auprès despou-voirs publics et des députés.Le CRIF intervient ainsi,avec l’aide deM. Dumesnil de Grammont,rapporteur dela commission législative àl’Assembléeconsultatived’Alger, dansla rédaction de l’ordonnance du21 avril 1945analysée plus loin.

Le rétablissementdela légalitérépublicaineet seslimites

Les principes enmatière de pillage et despoliation énoncés parla France libre ne souffrentaucuneambiguïté.Le 5 janvier 1943,leComité national français à Londres signe,avecdix-sept nationsalliéesdansla guerre contrele nazisme, une déclaration solennelle : lesnationssignataires se réserventle droit de déclarer non-valablestous les trans-fertsou transactions,qu’ils semanifestentsousformedepillage avoué ouqu’ils aient une «apparencelégale», mêmes’ils ont été effectuésavec leconsentement desvictimes. À la déclarationfaite avec lesAlliés, leComité national françaisajoutesa propre déclaration.L’ensemble estpubliéauJournal officiel dela Francecombattante.Le comiténationalseréservele droit de déclarernuls toustransferts et transactions, effectuésen zonelibre comme en zoneoccupée, quecestransferts et transactionsaient étéopérés par les Allemands ou parVichy. L’engagement estprisde «rechercherles actes de spoliation et delespriver de touteffet » et

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« d’avertir tousceux quipourraient traiter avecl’ennemi ouavecsescom-plices qu ’ils ne pourront invoquerleur ignorance pourse protégercontrelesdécisions des autorités française».

Le 12novembre1943,une ordonnance duComitéfrançaisde lalibération nationale, qui désormais remplacele Comiténationalfrançais,réaffirme la nullité desactes de spoliationaccomplispar l’ennemi ousous soncontrôle, etannoncelapréparation de décrets et d’ordonnancesdestinésà régler la question.La grandeordonnance du9 août 1944estrelativeau rétablissement dela légalitérépublicaine.Elle énumère,dansson article3, les nombreuxactesdont la nullité est expressément cons-tatée. Parmieux, « tousceux quiétablissent ouappliquent une discrimi-nation fondéesur la qualité de Juif».

Pourtant, alors que lesprincipes sontclairement posés,aucundécret,aucuneordonnance -alors que celle du 12 novembre1943annonçaitqu’ils étaient enpréparation -n’éclairentleur mise enoeuvreavantcelledu 14 novembre1944,à l’exceptionde celle du 16 octobre1944qui restitue aux spoliés les biens, actions etpartsbénéficiaires quisontsousséquestre desDomaines.Or, l’ordonnance de novembre1944constituepour lesspoliés une grande déception.Elle prendacte d’abordde la difficulté de défaire par unseul texte les spoliationsmultiformes,étaléesdans letemps, dont ont étévictimesles Juifs :« Lesmesuresde spo-liationsprisespar l’ennemi ouimposéespar lui ont été siconsidérablesdans le temps etdansl’espacequelesproblèmesqu’ellesposentnepeuventêtre résoluspar unseul textelégislatif susceptibled’être immédiatementadopté». Ellese propose donc desérierlesdifficultés, « afin de permettreauxintéressésdereprendre,dans leplus brefdélai, au moins unepartiede leursbiens». Pour ce faire,elle s’attache auplus facile : les biens sousadministration provisoire.Elle est en revanche muette sur les biens quiont été vendus ouliquidés.En outre, elle neprévoit aucuneadministra-tion s’attachant spécifiquement àla restitution.Alors que la spoliationavait étémise enoeuvrepar une administration,le Commissariat généralaux questionsjuives employant jusqu’à mille personnes -dont leséquestre estconfié, pour la Seine,aux Domaines -le spolié doit sedébrouiller seul,faireappellui-mêmeà la justicepour rentrer en posses-sion de sesbiens.Confier leséquestre aux Domainespeutaussiappa-raître comme paradoxal.Cette administrationa non seulement étéimpliquéedans la spoliation, comme lemontreraplus loin ce rapport,mais sesagents eux-mêmes en onttiré profit : deuxcinquièmes desfraisde régie avaientété versésau personnel.Enfin, une de cesdispositionsest particulièrementcruellepourceux que lescirconstances ont obligéàquitter leurdomicile : lesdispositions dela loi ne s’appliquent pas«a udroit au bail ou à l’occupation des locaux d’habitation professionnelslorsqueceux-ci sontoccupés par unnouveaulocataire ouoccupant».Cesderniersrelèvent d’uneautreordonnance,prise le mêmejour.

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Les critiques de cette ordonnance sontnombreuses.Cellesd’Émile Terroine32, placé àla tête du séquestre del’ex-CGQJ de Lyon,particulièrement sévère etfortement argumentée,s’articule autour dequatre termes : erreurs,abandons,inconséquences et oublis.L’erreur laplus grave est de ne pascréer une administrationspéciale :Vichy avaitorganisé la spoliation et enavait chargé un organismeofficiel ; laIVe république devait organiserla restitution et encharger un organismeréparateur. L’ordonnancelaisseau seul spolié età ses ayants droit lesoinde demanderla restitution,la reddition de comptes etla nominationd’unautre administrateur provisoire.Elle le place, sans aide, sansconseils,sansle soutiend’un organismeofficiel, face aux spoliateurs.Cen’est passeulement mettre àleur charge des soucis supplémentaires.L’interven-tion d’un organismeofficiel qui évitait « tout contact et par conséquenttoute discussionentre l’israélite dépossédéet sonspoliateur »permettait« dansbiendescasde faire accepterauxpartiesdessolutionstransaction-nellesdont la réalité est un élémentimportant, aussibien pour lapaixsocialeque pour la reprise de l’activité industrielle et commerciale dupays».L’abandon concerne notammentlescas de bienssansayantsdroit,ceux des propriétairesfusillés ou déportés avec leursproches,soit untiersde ceux quegéraitle service lyonnaisdontTerroine avaitla charge.L’ordonnancechargele ministèrepublic de nommer un administrateurpour cesbiens, maisil est débordé.Et comment lesconnaîtra-t-il ?Quisaisira leministèrepublic ?L’inconséquence majeure résidedansla circu-laire d’application du 25 novembre dela direction duBlocus qui suitl’ordonnance.Cette direction doitassurerla restitution, maisc’est uneautre direction, celle des Domaines,avec le séquestre del’ex-CGQJ,quigère les dossiersdont la direction duBlocus a besoinpour lesrestitu-tions.Lesoublis concernent les mesures permettant des recoursefficacescontre les administrateurs provisoires,commele blocage deleurscomp-tes etle fait de n’avoir pris aucune mesureconservatoirepour les biensvendus :celui qui les détientpeut lesdilapiderà son profit en attendantl’éventuelretour du spolié.

Et Terroine de conclure,dans la lettre de onzepages parlaquelle il annoncequ’il quitte ses fonctions lyonnaises :« Il me seraitinfiniment pénible que madésapprobationdes mesures prises par le pou-voir central fût mise au compted’une manoeuvre personnelle». En toutétat de cause,« homme descience »,il devait retourner à ses devoirsessentiels.Terroine rentrechezlui. Son service àLyon ferme au1er jan-vier 1945.L’ordonnance du14novembre constitue defait une régressionpar rapportà la pratique quis’était instituéedans lestrois premiers moisde la Libération.La restitutionn’est pas seulement différée; onpeut sedemander sielle n’est pas compromise.

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L’immobilisme qui prévautdansla Seinejusqu’à l’ordonnancede novembre - etqui, bien évidemment,n’interdit pas les restitutions àl’amiable - n’est pas la règle générale. Dans lesgrandesvilles de pro-vince, les restitutions s’opèrentmieux et plus rapidement, commel’expo-serale cinquième chapitre du présentrapport.Mais les troisquarts desbiensaryanisésl’ont été dans cedépartement oùvivaient la majoritédespetits artisans et commerçants étrangers, particulièrement touchés parlaspoliation comme parla déportation.

Au début de 1945, deux services sontenfin créés pourl’ensemble duterritoire.Le premier, placé auprès duministèrede laJus-tice, est créé par le décret du2 février 194533 : c’est le Servicetemporairede contrôle des administrateurs provisoires et liquidateurs de biensisraé-lites, chargé devérifier la gestion, lescomptes et lesrémunérations desadministrateurs provisoires et d’examiner les plaintesformulées contreeux par les spoliés ou parle Servicedes restitutions.Le secondservice,celui des restitutions des biens desvictimesdeslois et mesures de spolia-tion, est créé auprès du ministère des Finances par décision du30 janvier1945,sadirectionaussitôtconfiéeau professeur Terroine34. Malgré sonénergie, son servicen’entre en activité queprogressivement et les moisde février etmars sontencore delongs moisd’attentepour lesspoliés.Les mesuresrelativesaux biensvendustardent, et leur élaboration nes’engage passous desauspicestrèsfavorables.Lespremières versions dutexte législatif en préparation, siattendu et depuis silongtempspourrégler le cas des biensvendus, nedonnent passatisfaction.L’enjeumajeur dela discussionn’est pasle principe même dela restitution,tou-jours réaffirmé depuis 1943,mais ses modalitésquand le bien a étéacheté « légalement ».La tentation est forte chez certains depasserl’éponge, delaisserles choses enl’état. L’ordonnancedu 21 avril 1945dontle rapportdétailleraplusloin laportée, règle enprincipel’ensembledes problèmes au bénéfice des spoliés quipeuventutiliser une voiejuri-diquetrès largementsimplifiée, mais pastoujourstrèsrapide.Plus de dixmille procédures seront ouvertespour la Seineentre1946et 1950devantle tribunal civil ou celui de commerce.

L’ordonnance du21 avril renvoie à une autreordonnanceleremboursement desprélèvements exercés sur les produits des spolia-tions 35 ainsi que lesfraisd’expertise ou leshonorairesd’administrateursprovisoires.Il faut attendrela loi du 16 juin 1948pour quecette questionsoit réglée, leremboursement étantmis à la charge del’État. Cependant,

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l’ordonnance du21 avril ouvrait unenouvelle phasedansl’histoire desrestitutions, d’autantqu’elle coïncide avecla fin dela guerre,l’ouverturedes camps etle retour desraresrescapés.

Quatre ans de persécutions, les atermoiements dela Libération,quatre oucinq années pourcertainspour récupérer unbien qui estsou-ventl’outil de travaildanscesannéesparticulières oùl’on apprend queladéportationsignifie bien souventla mort, et qu’une partie dessiens nereviendra pas. D’autant qu’uncertain nombre deceux qui reviennenttrouvent leurappartement louéà d’autres.Et il est souventdifficile, voireimpossiblede le récupérer puisquel’ordonnancedu 14novembre1944protège une très large catégorie denouveauxlocataires : sinistrés, éva-cués, réfugiés, conjoints de mobilisés, de déportés politiques ou derequis duSTO,de prisonniers deguerre....Or qui n’appartient pas àl’unede ces catégoriesdanscette période oùla guerren’estpas terminée, oùles « absents »ne sont pasrentrés et où lesbombardements ontdétruitsdesvilles entières -Caen oule Havre parexemple ?Cetteordonnance,dansla situationtout àla fois aiguë etchronique decrise dulogement oùse trouvela Francedepuisla guerre de14-18,illustre la volonté républi-caine de ne pasfaire de catégorie particulière, volonté présentedanstoute la législation ultérieure,notammentcelle concernant lesdépor-tés36. Cettevolonté met entre parenthèses ce quiestalors mal perçu :laspécificitéde la situation desJuifs,pendantla guerre et àla Libération.

La question des appartementsloués àd’autres en l’absence deleurs locatairesjuifs n’a pas été étudiée en détail parla Mission 37 . Car lebail n’est pas à proprementparler un« bien». Le propriétaire,personneprivée ou propriétaire institutionnel, quireloue ne spolie pas à propre-ment parler son locataire. Qu’importeà qui il loue pourvuqu’il toucheses loyers. Pourla populationjuive, la difficulté, voire l’impossibilité àretrouver unlogementloué à un locataire de « bonnefoi » resteparmi lessouvenirs les plusdouloureux des« premiersbeauxjours ». On com-prend l’amertume laissée parcette époque et lesrancoeurscontre laFrance, uneamertumeparfois supérieureàcelle laissée par lesannées deguerre.

Le 15 février 1945,avantl’ouverture descamps de concentra-tion, le retour desrares déportés,la prise de conscience dela mort del’immensemajorité d’entreeux, etavantla promulgation de l’ordonnancedu 21 avril 1945,un jeuneFrançais,André Weil-Curiel, publie une bro-chure de trente-six pagesd’une ironiemordante.Cetexte rend compte,sousla forme de conseils amicaux constituant lesRèglesde savoirvivre à

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l’usaged’un jeune Juif demesamis,38 du climat de ces mois qui séparentla libération duterritoirenational dela capitulation allemande.Embléma-tique dela situation denombreuxJuifs et del’attitude de certainsà leurégard,il mérite d’être longuementcité.

«Tu te figuraisnaïvement queles Allemandspartis, tuallaisêtreimmédiatementréintégrédanstesdroits. Tesdroits ?Quel vilain mot. Tuparles toujours detesdroits.Jamais detesdevoirs».C’est ainsiqu’estapos-trophéle jeunerésistantjuif. Car lesJuifsont des devoirs« dontle premierestde ne pas tefaire remarquer,de te faireoublier, et qui vont lui êtreexposés en détail,notamment surla question des biensspoliés. Rentré àParisaprès avoir combattu auxcôtés de deGaulle, il a trouvé l’apparte-ment familial vidé de sesmeubles,occupé par unefamille de «bravescommerçants,les Dunoyer». Ces honnêtes gens avaient une boutiqueavantla guerrequ’ils ont toujours. Ils ont gagnébeaucoupd’argent :« Ilfallait bien nourrir lesParisiens et sedébrouiller pour suppléeraux insuf-fisances deravitaillement.» On ne peut les blâmer.Le logement au-des-sus de leur boutique ne correspondant plusà leur nouvelle positionsociale,ils ont loué l’appartement dela famille du jeune homme,laissévacant.« Ils ontpassé un bail, unbail régulier.Ils savaient quecetappar-tementétait antérieurement celuid’un Lévy,ils avaient entendudire à laradio de Londres que le général de Gaulle ne reconnaissait paslesactesdu gouvernement deVichy qui avaient préjudiciéaux Juifs, aux émigrés,aux francs-maçons[...]M a i s qu’était-ce [...]à l’époque,que le général deGaulle ?Monsieur deGaulle, l’ex-colonel de Gaulle, unmercenaire à lasoldedel’Angleterre. »Ensomme« cesbouchersn’ont fait quese confor-mer aux lois envigueur, ils se sontconduits enbonscitoyens». Danslasituation decrise du logement,ils ne trouveront rien.« Et puis, ilssontchez euxaprèstout. Ils ont payéleur loyer, ils ont dépensédes sommesénormespour leur installation.» Le jeuneJuif objectequ’ils auraient dûsavoir que leur possessionétait précaire.Il lui est rétorquéqu’il parlecomme un chicanier et que cette possessionn’est pas siprécaire« puisquevoilà sixmoismaintenant que leGouvernement provisoiresiègeà Paris, et que ton de Gaulle est devenu quelqu’un, un chefd’Étatreconnu,commenotreMaréchal et tun’as pasencoreretrouvéton appar-tement.C’estdonc quelesDunoyer ont aussi desdroits, comme tudis». Leconseil estclair : lejeunehomme sefait « dutort enréclamant aussiâpre-ment».Il met de bravesgens dansl’embarras.«Ils n’étaient pasantisémi-tes ; ils le deviennent.TouslesDunoyer se répandentdans lequartier endisant : "Ah ! ce Lévy,on l’a pasvupendant cinqans. Tant quelesBochesétaient là.Maintenantqu’ilssont partis, ilrevient. Et il veutnousjeter à larue, nous, des bons Français.LesBoches n’avaient pas tortquandils nousdisaient denous méfier desJuifs". Prendsgarde. Tu vas t’attirer des

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ennuis. Il y a des dizaines de milliers deDu noyer qui ont tous desribam-bellesd’amis et de cousins.Ils vontcréer un étatd’esprit redoutable».

Comment ce jeune hommepeut-il se loger ?Son conseillerluisuggère l’étranger. Cetteproposition suscite peu d’enthousiasme.Étran-gement, cejeune homme se sentchez lui en Franceseulement.Mais«Papa Lévyva revenirbientôt.Il était richeavant laguerre.Il a certaine-ment pu mettre de côtéquelque argent. Remarquebien, je ne le luireprochepas.Il pourra payerle prix d’unereprise». Noussavons - ce queles Dunoyerpeuvent ignorer enfévrier 1945 - que« papaLévy » n’estprobablement pasrevenu, ce qui,pour le lecteurd’aujourd’hui, ajouteencore au cynisme dela remarque.

Après l’appartement, l’aryanisation de l’entreprise.L’oncle Lévys’agitebeaucoup.« Il prononcede grandsmots.Il sedit spolié.Il prétendque Desjardins qui aracheté sonaffaire estun spoliateur.C’esttrèsmala-droit. Enfin, toi quiesun garçonintelligent [...] réfléchis.C’estlegouver-nement, un gouvernementlégal, parfaitement légal qui a décidé devendre un certain nombrede fondsde commerce.Jesaisbien que ton deGaulledisait que ce n’étaitpasrégulier.Mais s’il avait fallu écoutertoutce qu’il disait, où en serions-nous, je te ledemande ?Toute notrebellejeunesse serait partie enAngleterre ouaurait pris lemaquis, l’industrie française aurait cessé de travailler, les patronsauraient étéruinés, les commerçantsauraient caché leur stockpour nepas vendre aux Allemands,nous aurionsdésobéià la Kommandantur età lapolice de Darnand, ç’aurait étéle désordre etl’anarchie. Tout ce quedisait ton de Gaullealors, c’était de lapropagande[...]Desjardins qui a rachetél’affaire de l’oncle Lévy, il l’a payée.L’argentn’estpas allédans lapoche de tononcle ?LesAllemands en ont pris unebonnepart,puis l’administrateur aussipourses"frais et honoraires " ?Tun ’aurais tout de même pasvoulu qu ’il travaillât pour rien,cet homme.Ilétait accablé debesogne.Toutcela d’ailleurs cen’estpas lafaute deDes-jardins. Il a payé à l’État un droit d’enregistrement trèsélevé. Il s’estcontenté de vendreles marchandiseslaisséespar ton oncle.En sommequ’as tu à lui reprocher ?Il a achetéle fonds très bon marché en raisondes circonstances ?Il a gagnébeaucoupd’argent ? Queveux-tu ?C’estlaloi du commerce.Il n’est pas philanthrope de profession.Et alors tu trou-vesnormal maintenant, que tononcle qui n’a rien fait pendantcinq ans,qui a vécu en rentier,dépossèdece malheureuxDesjardins, luidemandedes comptes, luiexplique cequ’il a gagné à lasueur de sonfront, tire pro-fit de laplus-value dufondsdecommerce ? Maisc’est la rapacité,ni plusni moins. Ah! jevoisbien quel’esprit de Shylockn’estpas éteint. Sens-tu ladifférencequ ’il y a entre le brave Desjardins et tonLévy d’oncle ?»

Selonle mentor dujeune Juif, l’oncle aurait dûresterà Paris en1940pour «défendresesintérêts,résisteraux empiétements de l’envahis-seur, refuserde céderla place, dire aux agents dela Gestapoquelquechosecomme "Je suis ici par la volonté demes actionnaires, je n’en

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sortirai quepar la force desbaïonnettes". C’aurait été grand,noble,Fran-çais en unmot ». L’oncle aurait été déporté oufusillé. Il seraitdevenu, àtitre posthume, un bonFrançais,avec la médaille dela Résistance et,« peut-êtreune rueLévy, dans unquartieréloigné», une plaque au siège desa chambrecorporative.« Et nousdirions tousavecrespect : "Il y a tout demême debons Juifs, qui sontdignesd’êtreFrançais, ainsi ceLévy ..." [...]Mais aujourd’hui, alors que la France enestà pansersesplaies doulou-reuses,il passesontempsà actionnerrecorset tabellionspour une ques-tion degrossous.C’estsordide.Sans compter quetous ses pareilss’attaquent à des situationsacquises,j’oserais dire légitimement acquises, qu’ilsinquiètent de dignes citoyensqui ont des amis, souvent des amispuissants, desavocats largementrémunérés. Àcontinuer ainsi às’agiter, non seulement ils vontdévelopperun antisémitisme[...] mais ils vont indisposer lepouvoir. Ils menacent derompre l’unité sinécessaire.Il faut quechacun ymette dusien.Ce n ’estpas toujours aux mêmes qu’il fautdemander dessacrifices,que diable».

Wladimir Rabinovitch, ditRabi, dans unarticle publié par larevueEsprit en septembre1945résumele sentiment général desJuifs deFrance : « Nousavons étéréintégrés dans notre condition d’hommeslibres,écrit-il. Nous avons recommencé àêtre descitoyens français.Nousavonsrepris notre activité professionnelle, dumoins ceux quil’ont pu.Mais ce quenous nedisonspas,c’estcetteobsessionconstante,cettelanci-nantedouleursecrète,derrière chacun de nosacteset de nospropos [...]Nous sommesarrivés exigeants,fanatiques dejustice. Avions-noustort ?Fallait-il présenter un visagehumble etsoumis ? Dix mois après laLibéra-tion, beaucoupn’ont pas retrouvé leur appartement. Dix moisaprès laLibération,on n’a pastrouvéencorelemoyen de rendreaux Juifslesbiensspoliésavec la complicité desacquéreurs et desadministrateurs. Enten-dez, ilne s’agit pasdes biens entant quebiens.Il s’agit desinstruments detravail. L’ouvrier n’a pu réintégrer sonlogement.L’artisan n’a pasretrouvésesmachines.Lecommerçantn ’apas retrouvésonfonds.Aprèsavoir été entre la vie et lamort, vous ne trouvez pas celaabsurde?Aucuneparole ne vient.La consigne,dans lapresse,estde faire lesilence. Quedemandentdonc lesJuifs ? Ne sont-ils pas commeles autres, sinistréscommelesautres ?Eh bien,quand je disqu’aucuneparolene vient, je me trompe.Unarticlea paru ennovembre1944. Il est intitulé "Lendemainde persécution".Ildisait : "Je pensequ’il appartient au pouvoir centralet aux corps profes-sionnelsd’opposer,dansl’intérêt des Français, en général, ettoutspécia-lement desisraélites français, une certainedigue à une volontéd’empiétement quin’est que tropmanifeste. " Qui écrivait cela ?Témoi-gnagechrétien. »39

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Un sondage de1946,c’est-à-dire réaliséaprèsl’ouverture descamps, événement évoqué toutà la fois dansla presse écrite,la radio etles actualités cinématographiques, avec des images accablantes,indiqueque 37 % desFrançaistrouvent que les Juifs ne sont pas desFrançaiscomme les autres40.

Il ne faut pas déduire de ces textes querien nefut fait. Au con-traire. Le rapport montrela réalité etl’ampleur dela restitution, malgrélaprésence d’unespoliation rémanente.Mais les restitutionsn’ont pu effa-cerl’empreintedans lesmémoires del’accueil mitigé qui fut fait aux Juifsà la Libérationet desdifficultés matériellesdanslesquelles furentplon-gées desfamilles qui, dansle mêmetemps, cherchaientsouvent àfaireen vainle deuil de leursmorts sans sépulture.

Au débutdesannéescinquante,unehistoire closeEn 1949,deuxNoteset étudesdocumentairessontpubliéesà la

Documentationfrançaise du Secrétariat général dugouvernement :Spo-liations et restitutionset Spoliations et restitutions des biens culturelspublics (objetsd’art ouprécieux). Le cas des biens desJuifs y est large-ment évoqué. Bilangouvernemental dela spoliation et dela restitution,contemporain dela fermeture duServicedes restitutions, dela fin destravaux dela Commission de récupération artistique, de l’apurement descomptes des campsd’internement...,ces deuxbilans ferment enquelquesorte la séquence historique dela guerre etl’après-guerre.

Seul leCentre dedocumentationjuive contemporaines’acharneà allerplusloin41. En juin 1947,alorsqu’il a déjà établi 65 000fiches despoliés etréalisé le Bottin des administrateursprovisoires, il souhaitemettre en place une équipe de dixpersonnes pourfaire le bilan desnon-restitutions et inciterle gouvernement àdonner lesbiens vacantsaux communautésjuives, commel’a fait le gouvernement grec.Grâce àune subventiondu Joint,dix personnestravaillentà la question des biensnon revendiquésjusqu’enmai 1948.Est établie,dans des conditions maléclaircies,la liste de 13000 comptes courants« bloqués». Le CDJC posealors aux pouvoirs publicsla question del’attribution desbiens en dés-hérence et propose, en1950,la nomination deJustin Godart commeséquestre général.

En 1951,alors quele Servicedes restitutionsestfermé, le CDJCpropose de prendre sonrelais.Il est autorisé parle ministère des Finan-cesà consulter les dossiers.Il se propose deréaliserune étude sur lesoccupations professionnelles desJuifs avantla guerre -projet restésanssuite. Il souhaite l’établissement d’une commission qui dresserait un

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inventaire des dossiers nonrevendiqués - ceux en cours deliquidationchez desadministrateursjudiciaires nommés par les domaines, ceuxgérés par lesadministrateurs provisoires ou des « accapareurs » - etrechercherait les produits des liquidationsrestés àla Caissedes dépôts etconsignations.Le 6 juin 1951se réunitla « Commissiondes biens en dés-hérence», qui a remplacéla « Commissionjuridique », puisla « Commis-sion économique ».La Commission examine un grand nombre dedossiers.Elle dressela liste des comptes établisdansdifférentesbanques.L’enquête sur lesbanques estalors relancée,mais nedonneaucunrésul-tat : la plupart des établissementsopposentle secret bancaire.En 1953,ilsemblebien que l’enquêtes’arrête.C’est en 1955qu’IsaacSchneersohnjette officiellement l’éponge.

L’année 1953 estimportante. Le 17 mai 1953 estposée, lorsd’une cérémonie grandiose, sur unterrain cédé parla ville de Parisaucoin dela rue du Grenier-sur-l’eau etla rueGeoffroy-l’Asnier la premièrepierre du Tombeau dumartyr juif inconnu.Il sera inauguré en195642.Chez IsaacSchneersohn,la mémoireprend en quelquesortele relais dela restitution. Avecla parution en1955du premier volume dugrandoeuvre deJosephBillig, Le Commissariat général auxquestions juives,l’histoire sejoint à la mémoire.

C’estencore au début desannéescinquantequ’est signéle traitédu Luxembourg, qui ouvrela voie auxWiedergutmachungen, aux répa-rations43, aux deux grandeslois qui seront votéespar le parlementalle-mand en1953et1957.Cesdeuxgrandesloismarquentbien enFrancelafin de la restitution àproprementparler, dont le chapitre semblealorsdéfinitivement clospuisque ce quia été pris par lesAllemands etemporté par euxestdésormais« restitué »sousforme d’indemnités.Maissurtout, les indemnisations allemandes,apportentnotamment auxveu-ves de déportés issues del’immigration qui ont élevé ou élèventencoredurementleurs enfants et qui ont été exclues des indemnisationsfrançai-ses, unecertaine aisance, plus de quinze ans aprèsla granderafle duVél’d’Hiv.

La résurgencede cesquestions :lesannées 1990

La question des biensspoliés, deleur restitution et deleurindemnisationrenaît au début des annéesquatre-vingt-dix,dans uncontexte international et national bien différent de celui de

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l’après-guerre.Ce nouveau contexte secaractérise d’abord par ce quel’on appelle par métonymie« la chute du mur etl’amorced’un nouvelordre international.La disparition des régimes communisteslaisseappa-raître les restesdes communautésjuives détruites del’Europe de l’Estdont lessurvivants n’ont jamais étéindemnisés et qui viventdans unegrandemisèrematérielle, spirituelle et culturelle.La disparition de cesrégimespose aussi -c’est le cas notamment del’ex-RDA et deBerlin-Est- le problème des biens spoliés quin’ont jamaisété, par volontéexpressede ces régimes, restitués.Enfin, l’ouverturede nouvelles archivesdonneun élannouveauà la recherchehistorique.

Dans ce contexteinternational,le Congrèsjuif mondial metnotamment en accusation les pays neutres commela Suisseou la Suèdedont l’économiea profité dela guerre. Ces accusations visent égalementla France,dont la singularité dela situation est ainsi largement gommée.Or la Francependantla seconde guerren’estni la Suisse,ni la Suède.À ladifférenced’autrespays,la Franceaété un pays occupé,dontla popula-tion a souffertdans sonensemble desexactions de l’occupant et de sespillages.Elleest sortie duconflit appauvrie etdévastée.Le gouvernementde Vichy a été établi sur l’effondrement moral qui a suivila débâcle demai 1940 etla signature del’armistice dejuin 1940.L’État français a choiside collaborer avecl’occupant nazi.C’est cette collaboration -commenous le verrons dansle deuxième chapitre duprésentrapport - quiexplique le caractèreparticulier de la spoliation desJuifs de France.L’exception française résideaussidansle fait que les organisationsjuivesfurent activespendantla guerre,participant toutà la fois à la Résistanceau sensclassique duterme et ausauvetage, notamment celui des enfants.La survie d’une grandepartie dela population -trois quarts ouquatrecinquièmes selon lechiffre choisi pour la population en 1939 -s’explique encore parl’aide qu’elle a reçue de fractions entières delasociété.Les travaux dela Mission mettent enévidence lescomporte-ments decertaines administrations oula cupidité d’individus. Ils ne sesont pasattachés à décrire lesmille et une façons devenir enaide auxJuifs menacés qui laissentsouvent bien peu detracesdans lesarchives.La guerrefinie, lesorganisations communautaires assumentle destin desJuifsdeFrance,avecdans unpremier temps,l’aide des grandes organisa-tions américaines.En 1949,avecla création du Fonds socialjuif unifié quia pour vocation le social etle culturel, le CRIF, le Consistoire et unemyriade d’organisations de toutgenre -cultuelles, culturelles, politiques,d’entraide...,la communautéjuive est en étatd’accueillir à nouveau desJuifs de l’Est -trentemille environà la fin des annéesquarante -puisceuxd’Égypte et d’Afrique du Nord.

L’émergence dela question dela spoliation est unaspect dusurgissement dela mémoire du génocide desJuifs, en Francecommedansd’autrespays comme lesÉtats-Unisou Israël.

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Mission d,étude sur la spoliation des Juifs de France : Rapport général / présidée par Jean Mattéoli ; Premier ministr

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Le cas français :les responsabilitéspropres de VichyL’année 1992,celle du cinquantième anniversaire des premières

déportations de France, est uneannéerythmée par les commémorationset les polémiques.Certes,la mémoire avait commencé sa lente émer-gence aprèsle procèsEichmann(1961), la guerre desSix Jours (1967).Lesaffaires s’étaient succédé en Franceà partir de 1978, avecla publica-tion dansl’hebdomadaireL’Expressd’une interview del’ancien commis-saire auxquestionsjuives, Louis Darquier de Pellepoix, et l’apparitionpublique desthèses négationnistes deRobert Faurisson.Ce fut aussil’intense émotionprovoquée parle feuilleton américain controversé,Holocauste (1979), les premières inculpations en Francepour crimecontrel’humanité, le procès de Klaus Barbie (1987).

Les polémiques de1992sontpourtantd’une autrenature, carpourla premièrefois dansl’histoire dela France, une pétition, initiée parun comitéVél’d’Hiv’, adressée au président dela République,demandeun geste symbolique del’État reconnaissant les responsabilités delaFrancedansle génocide.Si le président dela République, FrançoisMit-terrand,marque pourla premièrefois desaprésence une cérémonietra-ditionnelle depuisla fin de la guerre, àlaquelleaucunchef d’État n’avaitjusqu’alorsassisté,il n’y prononceaucun discours, refuse alors tout geste.Pourtant,il instituepar décret présidentiel du 3 février 1993 une journéenationale de commémoration des« persécutions racistes etantisémitescommises sousl’autorité defait dite "gouvernement del’État français(1940-1944) " ». Une commémorationofficielle a donclieu le 16 juillets’il tombe un dimanche, sinon,le dimanche suivant le 16juillet. Uncomiténational pourla défense dela mémoire des persécutions racisteset antisémites commisessousl’autorité de fait dite « gouvernementdel’État français »est formé,chargé de concevoir et defaire ériger unmonu-ment àl’emplacement de l’ancienvélodromed’Hiver, ainsi quedeuxstè-les, l’une sur l’un des lieux de l’internement,l’autre à la maisond’Izieu,dont le Musée mémorial,largementfinancé parl’État, est inauguré parFrançois Mitterrandle 24avril 1994.Le comité rédigeaussile texte placésur la stèle qui doitfigurer sur lesmonuments, une plaque du souvenirdevantêtre placéedans chaquedépartement.

Le 17juillet 1994,le monument duVél’d’Hiv’, prévupourêtre lesupport dela commémoration, est inauguré parle président dela Répu-blique, le premierministre,Édouard Balladur,le maire deParis,JacquesChirac.L’inscription qui est alors dévoiléefiguredésormais danschaquedépartement :« La République française enhommage auxvictimes despersécutionsracisteset antisémites et des crimes contre l’humanitécom-mis sous l’autorité de fait dite "gouvernement del’État français(1940-1944) ".N’oublionsjamais ».

L’annéesuivante,lors dela commémoration du53e anniversairede la rafle, alorsqu’il a été élu présidentdeuxmois auparavant,JacquesChiracprononce uneallocution capitale.«Il est,dans lavied’une nation,

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desmoments quiblessentla mémoire, etl’idéequel’on sefait de sonpays[...]. Il estdifficile de lesévoqueraussi,parce quecesheuresnoiressouil-lent à jamaisnotrehistoire etsont injure ànotrepassé et à nostraditions.Oui, la folie criminelledel’occupanta étésecondéepardesFrançais,parl’État français. » C’estune forte condamnationmorale.Le président delaRépublique décritensuitela rafle : des policiers etgendarmes qui, «sousl’autorité de leurschefsrépondaient aux exigencesnazies» en arrêtant aupetit matinhommes, femmes etenfants.«La France,patrie deslumièreset des droits de l’homme,terre d’accueil etd’asile, la France, ce jour-là,accomplissaitl’irréparable. » L’anniversairede la rafle permet au chef del’État d’évoquerl’ensembledes76 000 Juifsde Francequi ne sontpasrentrés.« Nousconservons,déclareJacquesChirac,à leurégard, une detteimprescrible. » Et de préconiser un regard lucide surle passé : «Recon-naîtreles fautesdupasséet les fautescommisespar l’État, ne rienocculterdesheuressombresde notrehistoire, c’esttout simplement défendre uneidée de l’homme, de sa liberté et de sadignité. »

La questiondesbiensspoliésC’est dans ces années1992-1995qu’apparaîtpubliquementla

question dela spoliation.

En novembre1992,JeanKahn,alors président duConseilrepré-sentatif des institutionsjuives de France,saisit la Caisse desdépôts etconsignations dela question dela spoliation desJuifs durantla secondeguerre mondiale et del’argent enprovenant qui pourrait setrouverencore dans lescaisses de cetteinstitution.

Une première rechercheest alors entreprise, qui reste superfi-cielle. Elle corrobore -à moins qu’elle ne reprenne - leschiffres déjàpubliés dansle rapport public de1949du Secrétariatgénéral dugouver-nement« Spoliationset restitutions». Les représentants des institutionsjuives n’insistent pas; lespouvoirs publicssont indifférents. Face àl’absence de réactions,le directeur général décide desuspendreprovisoi-rementcetterecherche44.

Le 15juillet 1995,à la veille de la commémoration dela rafle duVél’d’Hiv’, la presse45 rend publiques desinformations quilui avaient ététransmises par SergeKlarsfeld et quiconcernaientle camp deDrancy.Cesinformations provenaientd’un rapport daté du31juillet 1944,signéde MauriceKiffer, liquidateur descomptes du camp deDrancy, et préci-saient notamment lessommesrestantà cette datedansla caisse ducampet celles versées àla Caisse desdépôts et consignations.Le rapport

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signalait d’autre part que desobjets appartenant auxdéportés se trou-vaient dans uncoffre que la préfecture de policelouait à la banque deFrance46.

À la fin de la même année1995,la Cour des comptes rend unrapport confidentiel qui dénonce l’opacité entourant la question desoeuvres placées à la garde desmusées après leur récupération,principalement enAllemagne,sousle sigleMNR, Musée national récupé-ration, et celle dela documentation les concernant, sans querien ne soitdit alors sur leur origine.Le 28 janvier 1997,le Mondetitrait « Lesmuséesdétiennent1 955oeuvresd’art volées auxJuifs pendantl’Occupation»,alors que nulle enquête ne pouvait alorsconfirmer ouinfirmer l’origineexacte de cesoeuvres.La question desoeuvresd’art n’a dès lors pluscessé d’intéresser les médias.

C’est dans cecontexte qu’Alain Juppé, Premier ministre, encontinuité avecla volonté exprimée parle chef del’État que la Franceregarde lucidement les heures sombres de sonhistoire,annoncela créa-tion d’une Missiond’études. Cette volonté est partagée parLionel Jospinquandil succède àAlain Juppé àla tête du gouvernement.Le rapportreprend doncl’histoire là où l’ont laisséele Servicedes restitutions etleCentre dedocumentationjuive contemporaine.C’esten quelquesortelavictoire posthumed’IsaacSchneersohn.

Les travaux dela Mission ont permis de distinguerla spoliationdu pillage-spoliation.La spoliation,c’est le fait de dépouiller - lesdeuxtermes ontla même étymologie - « légalement »une population de sesbiens.Le rapport traite, dans sondeuxième chapitre, de ce« vol civil »,organisé par de soi-disant« lois» et qui masque sonillégitimité radicalepar unelégalité formelle.Le pillage se distingue dela spoliation.Il con-trevient auxlois internationales dela guerre qui se mettent en placedepuisla fin du XIX e siècle.Il est donchors la loi. Mais à la différenced’autres pillages detemps de guerre,il vise unepopulationparticulière,celle qui a été définie parVichy et l’occupant naziecommejuive. Le rap-port traite des pillagesdans sontroisièmechapitre.Le quatrièmechapitreest consacré àla restitution de ce qui a été spolié ; le cinquièmechapitreaux restitutions des bienspillés et auxindemnisations de l’après-guerre,tant françaises qu’allemandes.

Le Guide desrecherchesdanslesarchives des spoliations et desrestitutions forme avecle rapport desynthèse dela Mission les deuxmorceaux dumêmetémoin :les fondsqu’il décritont été les fondementsdu travail. Il ne masque pas que certainesarchives ont cruellementfaitdéfaut. Parcequ’elles ont étépilonnées dansl’après-guerre conformé-ment à l’interprétation dela loi du 9 août1944portant rétablissement de

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la légalité républicaine et quidans sonarticle 3 constataitla nullité detous les actes qui établissent ouappliquent unediscrimination quel-conquefondée surla qualité deJuif; parce qu’elles pouvaient êtreembarrassantes, comme certaines archives de camps d’internement ;parce quela loi permet de lesdétruire, aubout de dix ans commepourles piècescomptables par exemple ; parcequ’ellesn’ont pas été retrou-vées,comme une grandepartie de celles des Domaines.

Le guide montre aussi quela spoliation, accomplie par unebureaucratie produit destraces considérables, alors quela spoliation-pil-lage, dufait de sa nature sauvage, ne produit que peud’archives.

Enfin, il met en lumière l’extrêmedifficulté à reconstituer lesprocédures de restitutions et certaines procédures d’indemnisation.Quand leschoses se sont passées àl’amiable,elles ne laissent pas detra-ces ;quandla famille entière a disparu,il est biendifficile de savoir cequ’il est advenu desbiens.Enfin, alors qu’avecle Commissariat généralaux questionsjuives existe enquelque sorte unministère dela mise enoeuvrede l’antisémitismed’État qui identifie la populationdont il a enchargela persécution,le retour àla Républiqueannuletoute spécificité :les Juifsredeviennent descitoyens ou des étrangerscomme lesautres.Lesactes les concernants’entrouvent noyésdans lesarchives.

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La spoliation : un « vol civil »

L’histoire dela spoliation desJuifsdeFrance estcomplexe ;ellemet enjeu des acteurs multiples,dont lesstratégies toutà la fois se com-plètent, se croisent et parfoisentrent enconflit ; elle concerne des biensde nature et devaleur trèsdiverses.Elle fut engagée par l’occupant, quibénéficiait d’unelongue expérience enmatièred’exclusiondesJuifs dela société et de l’économie, maisVichy y prit une part essentielle, enl’assumant et en l’étendant àla totalité du territoirenational.Si toutes lesmesuresprises enAllemagnene furent pas adoptées enFrance -l’inter-diction des mariages mixtes parexemple -chaque mesurefrançaisea unprécédent allemand : del’exclusionde la fonction publique àl’aryanisa-tion descommerces et industries en passant par l’amende d’unmilliardimposéeauxJuifsdeFranceconstituésen « communauté», commecelled’un milliard de marks avait été imposée àla communauté allemandeaprèsle pogrome dela nuit de Cristal du 8 novembre1938.

Bien qu’édictée au départ par desordonnancesallemandes,laspoliation est appliquée grâce à un arsenallégislatif adopté parVichy 47.Elle est mise en oeuvreprincipalement par leCommissariat général auxquestionsjuives (CGQJ)mais elleutilise desinstitutions ordinaires quifonctionnentpour la plupart depuisla Révolution et qui existentencoreaujourd’hui.La rapidité avec laquelle ellefut réalisée - commed’ailleursses lenteurs -tient beaucoup aufait qu’elle passe par desmécanismes,des administrations, des institutionsà la fois bien rodés et bureaucrati-ques : lesséquestres, les consignations, lesventesdomaniales.Certes,lacréation du véritable ministère auxmesuresantisémitesqu’est le CGQJ(29 mars1941) constitue uneinnovationradicale et signela rupture avecune République qui ne connaissait quela confession mosaïque;maisl’innovation majeure consiste àévincer les propriétaires età leur substi-tuer des administrateurs provisoires dotés de cefait des mêmes pouvoirsque les commissaires-gérants nommés par lesAllemands.L’hésitationentre les deuxtermes, commela francisation dusubstantifArisierungen« aryanisation »pour désigner cette politique, attestentsadoubleorigineet sa continuité.

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La spoliation :inspirationallemandeet réalisationfrançaise

Vichys’enprend auxpersonnesLa politique antisémite deVichy a été largementautonome,

commela recherche historiquel’a montré. Tout en s’inspirant de ce qui aétéfait enAllemagneaprèsl’arrivéedeHitler au pouvoir, elleprendaussiracine dans unantisémitisme français né àla fin du XIX e siècle qui,quoiqueminoritaire, sedéveloppependant lesannées trente.La défaite,l’abolition de la République et l’avènement del’État françaisle métaboli-sent enantisémitismed’État.

Une des premièresmesures àla fois xénophobe etantisémiteprise parle nouveaurégime estla loi du 22 juillet 1940qui prévoit la« révision systématique de toutesles naturalisations accordéesdepuis1927 ». Elle prive de la nationalité françaisequelque6 000Juifs quideviennentainsiapatrides48. Trèsvite, la loi du 27 août1940,abroge ledécret-loi Marchandeau de1939,qui faisait del’injure raciale undélit ; ledéferlement del’insulte antisémite devient possible.Mais c’est surtoutlaloi du 3 octobre1940portant statut desJuifsqui marquele début de leurexclusion dela vie politique, économique et sociale.Commetoute « loi »promulguée parVichy - des« lois » édictées parle seul gouvernement,sansconsultation des assembléesajournées - elle est valablepourl’ensembledu pays,zone occupéecomme zonelibre. Carune des obses-sions del’État françaisqu’il faut toujoursgarder enmémoire estd’affir-mer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire.Pourl’essentiel,le statutest une longueliste de professions interdites àceux quel’article 1définitcommeJuifs : ils ne peuvent plus exercer de mandats politiques ;la fonc-tion publiqueleur est largementfermée ;ils ne peuvent plustravaillerdansla presse,la communication,le cinéma.En quelquesmois, 3 500fonctionnaires sont révoqués49. Le statut annonce enoutre l’établisse-ment d’un numerusclaususdans lesprofessionslibérales.Un secondstatut, préparé parle CGQJ,promulguéle 2 juin 1941,élargit la liste desinterdictions professionnelles. De récentes étudesmontrentl’ampleur deces véritables épurations etla détresse,psychique et matérielle, deceuxqui en furent lesvictimes.

Le premier statut des Juifstouche pourl’essentielles Français :eux seuls, par exemple, sont fonctionnaires.La législation précoce deVichy, où la xénophobie prend souventle pas surl’antisémitisme,

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n’oublie pas pour autant lesétrangers.Le 4 octobre1940,la loi sur lesressortissants étrangers de racejuive permet auxpréfets de les faire inter-ner dans descamps spéciaux ou de les assigner à résidence. Quant auxJuifs d’Algérie, guère évoquésdans cerapport, horsd’atteintedesAlle-mands,l’abolition du décret Crémieux leur donne un statut d’ «indigènesdes départementsd’Algérie» identique àcelui des indigènesmusulmans.Enfin le Haut-Rhin,le Bas-Rhinet la Moselleconstituentdoublement uncas à part : lespopulationsjuives en ont été expulsées etils ont étéannexés defait au Reichqui y a introduit sa législation50.

L’occupant s’enprend aux biens :la miseen routede l’aryanisation

L’Occupation signifie que la France doit être mise encouperéglée et ses richesses profiter augrandReich.LesAllemandsprennentainsi une série demesurespréparées delongue date et qui ne concernentpas spécifiquementles Juifs. Le 20 mai 1940,une ordonnancevalableégalementpour lesPays-Bas,la Belgique etle Luxembourg, prévoitlanomination decommissaires-gérants auxentreprises abandonnées parleurs propriétaires et essentielles àl’alimentation despopulations.Elleévoque déjà la possibilité devendre cesentreprises, alors queVichyl’exclut : la loi du 10 septembre1940,qui entérine l’ordonnancealle-mande et enélargit le champd’application aux entreprisesdont lesdiri-geants sont,« pourquelque motif que cesoit,placésdansl’impossibilitéd’exercer leurs fonctions», n’envisagepasla vente de ces biens.Vichyresteencore dansle cadre classique du droitfrançaisdont un des fonde-ments est le respect dela propriété privée.

Dèsjuin 1940,les Allemandsbloquent lestitres étrangers et lesvaleursfrançaises enmonnaieétrangèredans la zone qu’ils occupent,quel qu’en soit le propriétaire. Aucunantisémitismedanscettemesure,mais l’amorce dela mainmise duvainqueur sur unepartie de l’économiefrançaise en vue delapoursuite, coûteuse, dela guerre.Carl’Occupationest aussi une entreprise de pillagegénéralisé,dont témoignela mise encirculation d’unmark très surévalué etle paiementjournalierimposé parl’armistice de fraisd’occupation d’unmontant exorbitant de400millionsde marks parjour. Ainsi, note HenryRousso,« l’économieallemandebénéficia non seulement de cepillage et desprélèvements autoritaires,mais ne déboursapratiquement rien pour tous ses achats opérésenFrance quifurent, de fait, réglés parle Trésor français» 51.

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La première ordonnance allemandevisant explicitement lesJuifs estcelle du 27septembre1940.Comme touteslesordonnances duMilitärbefehlshaber in Frankreich (MbF, Commandementmilitaire enFrance),elle concernela seule zone occupée.Elle définit d’abord lesJuifs ; elle interditensuite àceux - etils sontnombreux - qui ontquitté lazoneoccupéed’y retourner.Surtout, elleorganisele recensement avantle 20 octobre1940des personnesqu’elle a définies.Elle s’en prend enoutre aux commercesdontle propriétaire oule détenteur du bail estjuif.Ils serontdésignéscomme «entreprise juive »par une affiche spéciale enallemand et enfrançaisavantle 31 octobre1940.Elle tenteenfin d’impli-quer lesorganisationsjuives elles-mêmesdansl’application decettepoli-tique.En quatre courtsarticles se met ainsi en placela politique nazie,une politique déjà expérimentéedansle « vieux Reich» après1933puisdans lesterritoires annexés après1938.Le recensementprécèdel’exclu-sion des personnes etla spoliation de leursbiens; unrôle d’intermé-diaire estdévolu aux organisationsjuives.

Le 18 octobre 1940, une nouvelle ordonnance allemandeimpose la déclaration,avant le 31 octobre, de tout bien ou entreprisejuive. Elle définit «l’entreprise juive» commecelleayant ungérantjuif ouplus d’un tiersdeJuifsdans sonconseil d’administration.Elle prévoit lavente de ces biens et entreprises avecl’accord des autoritésallemandes.Le général dela Laurencie, délégué général dugouvernementauprès duMbF, ordonne auxpréfets de faireappliquercetteordonnance enzoneoccupée.La mise en oeuvre de cesdispositionsfait l’objet d’une «Instruc-tion pour lescommissaires-gérants d’entreprisesjuives », édictée parleMbF le 12 novembre1940et largementdiffusée par les préfectures52.Leur tâcheest claire :« supprimerdéfinitivement l’influencejuive dansl’économiefrançaise ».Ce but peutêtre atteint de trois façons : ou lesJuifs vendent eux-mêmes leur entrepriseà quelqu’un qui ne puisseêtreun homme depaille ; oule commissaire-gérantvend l’entreprise ;ouil laliquide purement et simplement, enla vendant enbloc ou en détail.Danstous lescas,l’autorisation préalable duMbF est exigée.Les commissai-res-gérantssont responsables uniquementenvers lesautorités qui lesdésignent. Ilsdisposent de quatre semainesaprès leurnominationpourrendre compte de leuraction ; ceux qui« ne se considéreront pascommeen mesure d’aboutir rapidement serontrévoqués».Dès l’automne 1940,les Allemands lancentainsi l’aryanisation enzoneoccupéeavecle soucid’aller vite, sans s’encombrer de considérations superflues.

Cetteinitiative préoccupeVichy. Que les Juifssoient exclus del’économie ne le gène pas maisil n’accepte nila façon dont lesAlle-mandss’y prennent,ni l’éventualité que despans entiers del’économienationale deviennentpropriété allemande ;il veut enoutrerationaliser

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l’économie.C’estdonc au gouvernementfrançais - et non aux Allemands- de juger s’il est opportun deliquider une entreprise oud’en poursuivrel’exploitation.Lecommissaire général auxquestionsjuives,XavierVallat,dès sa nominationmanifeste undernier souci : un« antisémitismesérieux »n’ayant jamaisexisté en Francequ’à petite échelle,il craint quede «fâcheux profiteursoffrissentmaintenantleursservicesaux autoritésallemandesd’occupation, serecommandant commeantisémites et mili-tants antijuifs». Bref, que souscouvert d’antisémitisme, despersonnessansscrupulesprofitent del’aryanisation,jetant le discrédit sur une poli-tique identifiéeà des pillages et malversations53. Vichy s’efforcedonc decontrôler le processus et dele légaliser.Le ministère dela Productionindustrielle crée,le9 décembre1940,un Servicede contrôle desadminis-trateurs provisoires(SCAP) et un décret du 16janvier 1941permet auxadministrateurs provisoires devendre ou deliquider lesbiens dontilssontchargés,sousréserve de l’approbation du ministère.Vichy reprendainsi à sonpropre compte les mesuresédictéespar les Allemandsdepuisdeuxmois.

L’aryanisations’engage donc, enzone occupée, defaçon expé-ditive. Les autoritésallemandes ou lespréfetsnomment des cohortes decommissaires-gérants. Denombreuxjuifs n’attendent paspour vendrepar eux-mêmes leursaffaires, le moins mal possible.Cesventes, con-clues « librement »avant toute nominationd’administrateur provisoire,sont de fait effectuéesdansl’urgence d’unemenace imminente.Ellesposeront àla Libérationun problèmejuridique délicat54. Mais la loi fran-çaise du2 février 1941,qui supprimel’approbation préalable desventespar le ministère, précise quele produit dela vente ou dela liquidation estremis au propriétaire, mêmequand elle passe par uncommis-saire-gérant.Les propriétaires neperdent pas tout : audébut de1941,c’est pour eux un moindremal. À cette date, l’aryanisation n’est pasencore totalement une spoliation.

Leschosess’aggraventrapidement.Le 26avril 1941,une ordon-nanceallemandeinterdit pratiquement touteactivité économique auxJuifs. Désormais,le produit des ventes reste bloqué entre les mains ducommissaire-gérant.Les spoliésconserventla possibilité d’obtenir dessubsides sicela s’avèreabsolument indispensable et sila trésorerie desentreprisesle permet :deuxconditions rarementréunies.Deuxmois plustard, les autorités allemandesfranchissentun pas supplémentaire.L’ordonnance du28 mai 1941bloque les comptes etinterdit tout com-merce aux entreprisesjuives qui n’ont pas encored’administrateur provi-soire. Le dessein devientclair, aprèsla première arrestation massive deJuifs le 14 mai 1941et leur internement dans les camps dePithivierset

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Beaune-la-Rolande :c’est une opérationd’asphyxie,de marginalisationet de précarisation.Et Vichy, qui avait créé leSCAPpour contrôlerl’arya-nisation entreprise par lesAllemands voit cesderniers l’utiliser pourétendre son emprise sur les biensjuifs : l’ordonnance du28 mai soumeten effet tout retrait à l’autorisation duSCAP.

Les comptesenbanqueDès l’été 1940, les Allemands s’emparent des établissements

bancaires déclarés« propriétésennemies»55. Les filiales des banquesanglaises commela Barclays sont placées directementsousadministra-tion allemande.Lescomptes desressortissantsennemis sontimmédiate-ment bloqués. Un commissaireallemand est nomméprès dela Banquede France quidirige aussil’Office allemand desurveillance desbanquesen zoneoccupée.Cecommissairejouit d’un pouvoir decontrôle étendusur l’ensemble des établissements.Le 15juin 1941,une ordonnancealle-mande supprimel’Office de surveillance maisélargit les pouvoirs ducommissaire allemand. Dansle mêmetemps,Vichy adopte, dansle cadrede sapolitiqued’organisation del’économie,deslois relatives àla régle-mentation et àl’organisationde la profession bancaire56. Les banquessontréunies dans un syndicatunique etobligatoire,l’Associationprofes-sionnelle desbanques,agent obligé de transmission des décisions dugouvernement deVichy et duMbF. C’est dans cecontexte ques’inscri-vent les premièresmesures proprementspoliatrices.

Les prémisses de cesmesures restent pour partieobscures.L’ordonnanceallemande du18 octobre1940prévoyaitla possibilitépourle MbF d’annuler toute opération concernant lesbiens juifs effectuéeaprèsle 23 mai 1940.Certainesbanquess’inquiètent desconséquencespossibles de l’ordonnance,notamment sur lesprêts. En novembre,leCréditfoncier de Franceinterdit les prêts hypothécaires auxpersonnes etentreprisesvisées par lesordonnancesallemandes etle Crédit lyonnaisinvite ses agences àla prudence57. En février et enavril 1941,d’autrescirculaires58 manifestent une inquiétude récurrente :pour ne pas setrou-ver endifficulté vis-à-visdes Allemands, lesagences doiventéviter touteopération pouvantlaissersoupçonner uneévasion de fortune. Pourtant,ces circulaires, tout en rappelant la responsabilitépersonnelle des

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directeursd’agence,indiquent que« lacourtoisie et le libéralisme quisontde règledans notreétablissement »ne doivent pas être exclues. Oùl’onvoit, comme encreux, ce qu’aucundocumentd’archives nepermet desaisir : les Juifs,sansillusion ni passivité,tentent deretirer leursfondsavantla confiscationprobable.

L’ordonnance du 28 mai1941,déjà évoquée,estdéterminante :elle imposele blocage descomptes desindividus comme des entrepri-ses.Le blocage épargne les opérations habituelles oudestinéesà l’entre-tien personnel, «pour autantquecedernier nedépasse pas15 000 francspar mois».Dans les faits,la plupart desprélèvements n’atteignent pas ceplafond relativement élevé,puisqu’il correspond à plus du double dusalairemensueld’un ingénieur ouà septfois celui d’unedactylo59. Beau-coup decomptes, qui nesontplus approvisionnés,sontloin d’atteindrece montant : en décembre1941,seuls12 %des comptesespèces etlivretsbloqués enzoneoccupée atteignent ou dépassent10000francs.L’Unionsyndicale desbanquiers estavertie ducontenu de cetteordonnance parle directeur del’Office de surveillance desbanqueshuit jours avant sonadoption60. Ceprocédéanticipatifexceptionnel ne peuts’expliquerquepar le souci deprévenirtoutefuite de« capitauxjuifs vers la zonelibrealors que la réglementation des transfertsinterzones vient d’êtreassouplie61. Lesétablissements font alors diligence.Les24, 27 et 28 mai,trois d’entre eux retransmettent les instructions62. Le 10juin 1941,quandl’ordonnance du28 mai estpubliée auJournalofficiel allemand, elleestde fait déjàappliquée.

Le printemps de1941a donc étédécisif.Fin mai, lesJuifs n’ontplus libre accès àleurcompte, quel quesoit leurlieu de résidencequandleur compte setrouvedans unétablissement dezoneoccupée.Seulslescomptes ouvertsavantmai 1940dans desétablissements dela zonelibrerestent accessibles.Ils le resteront jusqu’à la Libération, même aprèsl’occupation par les Allemands dela totalité du territoire ennovembre1942.

La loi du22 juillet 1941Les premières mesuresd’aryanisationcomme deblocage des

comptes sontallemandes et, par conséquent,concernentla seulezone

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occupée.Le gouvernement deVichy, dans sonobsession de souverai-neté sur toutle territoire national, se batpour la maîtriseet la responsabi-lité de la politique d’aryanisation. Il rencontre ici le souhait desAllemands de neplus apparaître en premièrelignedans ces procédures ;ellesserontmieux acceptées,selon eux, siellesapparaissent comme desmesures françaises et ellespourront être menées aussi enzone libre.Vichy assume donc unepolitique d’exclusion dela vie nationaledontl’élimination desJuifs de l’économie estun aspectessentiel.

Le premier commissaire auxquestionsjuives, Xavier Vallat,entreprend dès sanomination de formuler cette politiquedans ledomaine des personnesd’abord,avecle secondstatut desJuifs du 2 juin1941,puis danscelui des biens, avecla loi du 22 juillet 1941,étape capi-tale dans le processus de spoliation.À la différence du statut desJuifs,cetteloi suscite des objections dugarde desSceaux,JosephBarthélemy.Ce point estdifficile à comprendre aujourd’hui; àl’époque, placer lesJuifsdans une catégorie exceptionnelle, lesexclureà ce titre dela fonc-tion publique et de nombreusesactivitésn’a pas soulevé d’objectionsdans lescerclesdu pouvoir63, tandis que vendreleursbiens sansleuraccordn’allait pas de soi. On touchait eneffet au principe même delapropriété privée. Barthélémyintervient auConseil des ministres,dans unclimat tendu, etil formule des observationsécrites :«Cette dépossessionprésenteau point de vuejuridique uncaractèretout à fait exceptionnel,carellemet, en ce qui concernele droit de propriété, une catégorie deres-sortissantsfrançais dans unesituation inférieure àcelle des étrangersrésidants enFrance. Entant queSecrétaire d’État à lajustice, je nepuisdoncqu’estimer cettemesurecontraire auxrèglesgénérales dudroit fran-çais.»64. Malgré sesréserves,il co-signe finalement cette« charte »del’aryanisation,sansavoirobtenu les amendementsqu’il désirait,sinon surdes points secondaires.

Ce texte codifie l’aryanisation économique etlui donne uncaractère de généralité qui l’aggrave. Valablepour l’ensemble du terri-toire, il porte surl’ensemble desbiens, y compris les actions et partsbénéficiaires,dont les Domainessontnommés administrateurs provisoi-res,ainsi que les immeubles, à l’exception deceux qui servent« à l’habi-tation personnelle desintéressés,de leursascendants oudescendantsetaux meubles meublant qui lesgarnissent.La loi stipule que lessommesrésultant de cesventes etréalisationsserontconsignées aprèsextinctiondu passifpour 90 % sur un compteouvert àla Caissedes dépôts etconsi-gnations(CDC) au nom de l’administré etpour 10% versées aucompte

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du CGQJpour payer lesfrais d’administration provisoire desentreprisesincapables de supporter cette charge. Quant au surplus,il doit constituerun fonds de solidarité destinéà venir en aide auxJuifs indigents.Il ali-mentera enfait l’Union générale des Israélites de France créée par uneloidu 29 novembre1941.Signalons enfin une disposition secondaire, quisera la source de nombreusesdifficultés : la nullité de plein droit desactes passéssansle consentement del’administrateur provisoireaprèslapublication desanominationau Journal officiel, qui donneà cette publi-cation une importance décisive65.

L’aryanisation

L’administration dela spoliationLe CGQJjoue un rôle central et décisifdansl’ensemble despro-

cédures,notammentcelles d’aryanisation. Son autorités’affirmeprogres-sivement.Le SCAP lui est rattaché enjuin 1941 etil subsistequelquetemps comme uneentité distincte dela direction del’Aryanisation éco-nomique(DAE) qui s’emploie à créer desdirectionsrégionales enzonelibre. En zoneoccupée, sonrelais est assuré par les préfectures. PuislaDAE et le SCAP fusionnent en mai1942,avec un directeur àParis et unautreà Vichy. Mais l’organisationinitiale du SCAPsubsistepour la zonenord, avec une douzaine de sectionscorrespondant auxdifférentesbran-ches de productionpour lestrèsnombreusesaffairesde Paris,une der-nière section traitant des dossiers dezone occupée endehors dudépartement dela Seine.C’est à ce niveau que seprennent lesdécisionscourantes66.

La montée enpuissance du CGQJ -il passe de250employés au1er juillet 1941à plus de 1000en 1944 - nediminue pasle contrôlealle-mand de l’aryanisation : elle le masque.L’autorisation des autoritésd’occupation est requisepour la nomination desadministrateurs provi-soires comme pourl’habilitation des ventes et desliquidations. Afind’accélérerla procédure,le directeur duSCAP est habilité àsigner lesautorisations de fermeture d’entreprisesjuives quand le montant delaliquidation ne dépasse pas200000 francs.Le MbF adopte une disposi-tion analogue :seules les décisions les plus importantes remontentàl’hôtel Majestic,son siège, mais au sein même duCGQJ,une antenne du

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MbF, vise cesautorisations67. La collaboration sefait quotidienne.Rienne témoignemieux de cemélange des responsabilités que les arrêtés denomination des administrateurs provisoiressignés parle CGQJmaisfai-sant référenceà des textes allemands.

Cettecollaborationn’est pas exempte de divergences entre lesdeux partenaires et chezchacund’eux. Les conflits entreVichy et lesAllemands d’une part, ausein même del’administration vichyssoised’autre part, jouent unrôledéterminantdansl’issuedes procédures.Plu-sieurs solutionssontenvisageables.Lesadministrateurs provisoires peu-vent se contenter de gérerle bien « en bon père defamille s a n s endisposer. Ils peuventaussile vendreà un acquéreur pourvuqu’il ne soitni juif ni soumisà l’influence juive. Ils peuventenfin le liquider, ausensde ce terme en droit du commerce, par une liquidation enbonne et dueforme, ou encore fermer simplementl’entreprise.Le CGQJcomme leMbF, excluent naturellementla première solution qui nepeut qu’êtreprovisoireà leursyeux. Mais, sur les autres,ils s’opposentparfois.

Lesautorités françaisessont partagées.Lescomités d’organisa-tion chargés, parbranches, dela restructuration de l’économie française,interviennentpour proposer desadministrateurs etils cherchentà utiliserl’aryanisationpour limiter une concurrenced’autantplus gênante que lesproduits à vendresontplusrares ;ils luttent également contrela concen-tration verticale et les réseaux de distribution oùils voient uneconcur-renceabusive.Ils poussent donc àla liquidation ou éventuellement aurachat par un concurrentdirect. Le Comité d’organisation général ducommerceécrit ainsi auSCAP,le 20 octobre1942 :« [...]dansnotreespritla liquidation doit être la règle, la ventel’exception »68. Le CGQJn’a pasles mêmesintérêts.Son objectif est d’éliminer toute influence juive del’économie, non de restructurercelle-ci auprofit d’intérêts particuliers.Ilpréfèredonc la vente àla liquidation, etc’est la missionqu’il assigne auxadministrateurs provisoires.Les Allemands préfèrent lesventes àl’amiable de gré à gré,sans mise enconcurrence,car ellessontrapides.Le CGQJs’en méfie aucontraire : il craint qu’elles nedissimulent unemalversation ou un achat par unhomme de paille. Il tient à sedonnerune image d’honorabilité par unstrict respect des formesjuridiques.Enoutre,il ne veut pas casserle marché : des prixtrop faibles dévalorise-raient l’ensemble dupatrimoine national et pénaliseraientparadoxale-ment lespropriétaires« aryens »en diminuantla valeur de leursbiens.Ilsouhaiteenfin ne pasappauvrirle tissuséconomique et ne pas dévelop-per le chômage en supprimant lesaffairesviables.Il privilégie donc lesventes par soumissions - lesacheteurséventuels soumettantleursoffressouspli cacheté - ou, moins souvent carelles prennentplus detemps,les ventes aux enchères publiques.

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Cesconflitsne doivent pas masquerl’objectif conjointdes autori-tés allemandes etfrançaises :l’exclusion de la vie économique nationaledes Juifs,chassés de leursaffaireset dépouillés de leurs biens.Maisceslut-tes d’influence ne sontpourtant pas sans conséquences.Ellescontribuentà compliquer des procédures lourdes et à lesallonger.

La direction del’Administration économique est une administra-tion «àla française », bureaucratique etattentive au respect desrègles.Leplus grandparadoxe quiressort d’une plongéedans lesdossiersd’aryani-sation estprécisémentla dissonancecriante entre leformalisme juridiquede cette administration et le butqu’elle poursuit : une spoliation,pourtout dire unvol. Si ce qui touche àla déportationrelève du non-droit, cequi touche àla spoliationrelève dudroit le plus scrupuleux.Le CGQJrevendique tous les signes extérieurs dela légalité pour accomplir sesiniquités. Ceparadoxes’explique par plusieurs raisons :la volonté déjàsignalée d’éviter de «rendre impopulairedans l’opinion publique lesmesuresprisesà l’égard desJuifs »69, la crainte,confirméepar un conten-tieux souventdifficile, de compromettrel’aryanisation par desvices deforme qui pourraient permettre leur annulation.Mais la raison fonda-mentalesemblerelever del’ethos administratif. Si les responsables duCGQJcommeDarquier,son chef de cabinet et son successeur se com-portent comme des crapules, dansla gestion quotidienne leur adminis-tration observele formalisme le plus tatillon, comme si elle voulaitprouver que,malgré sonabsence detradition et sonpersonnel defor-tune,elle était elle aussi une vraie administration.Ellespolie, certes,maisdans lesrègles.Ce point est essentielpour comprendre pourquoi, àlaLibération, l’aryanisationn’est parfois pas consommée : les raisons deretard nemanquentpas. Or une aryanisation quitraîne, c’est peut-êtreune aryanisation qui échouera.

Lesdélaissont imputables auxdésaccords entrel’administrateurprovisoire,la DAE, le comité d’organisation concerné et les autorités alle-mandes surla procédure à suivre, liquidation ouvente.L’administrationde l’aryanisation,débordée parl’ampleur de la tâche70, a ses lenteurspropresqu’accentue son formalisme.Les autorités allemandes refusentles changements deforme juridique fiscalementavantageux quifacilite-raient certaines ventes carils y voient unemanoeuvre dilatoire.Quandlavente du bienest enfin décidée,il est assez fréquent quele CGQJ s’yopposecar il vérifie, conformémentà la loi du 22 juillet 1941,« si l’élimi-nation del’influencejuive esteffective etsi le prix deventeestnormal ».

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Deux vérifications qui demandent du temps etle conduisent souventàrefuser d’homologuer desventesdont il juge le prix insuffisant.Or, lesventes sont concluessousla condition suspensive de cettehomologa-tion. Les désaccords sont particulièrement sensibles àpartir de 1943,quandl’issue prévisiblede la guerrefait hésiter les acquéreurs.

Pourtant,la vigilancen’a pas été constante et ellen’a pas évitéles malversations.Le professeur Terroine, administrateur-séquestre del’ex-CGQJpour la région Rhône-Alpes,en donne des exemples71. À laLibération,certains decesadministrateurs provisoiresprendrontla fuite ;d’autres seront arrêtés.Manifestement,le contrôle empêched’autantmoins lesabus queleurs auteursbénéficient de complicités au seinmême duCGQJ.Mais les malversations nesont pasgénérales,car la DAEdiscute souvent etlonguement lesprix de liquidation ou de cession.

L’insuffisancedes garantiesd’« aryanité »présentées parl’acqué-reur estle secondfacteur d’allongement des procédures.La DAE vérifieen effet soigneusement quel’acquéreurn’est pas juif; les dossierssontremplies de généalogies accompagnées decertificatsde baptême.Maisrassembler cespreuves prend dutemps, et parfoisbeaucoup detemps.L’acquéreurdoit prouver non seulementqu’il n’est pasjuif, maisencorequ’il est affranchi de toute influencejuive. La direction del’Aryanisationestextrêmement sourcilleuse surl’éventuelleconnivence del’acquéreuret du spolié.Elle écarte les acquéreurs qui, en raison de leur âge ou deleur situation, ne semblent pas susceptibles de disposer descapitauxqu’ils investiraient, ou elleenquête surl’origine des fondspours’assurerqu’ils n’ont pas été fournis parle spolié en échanged’unepromessever-bale oud’une contre-lettre de restitution ultérieure.

Mêmequand ellen’estpas ralentie par l’administrationcentrale,l’aryanisation est uneprocédure longue.Les plaintes des acquéreursabondent dans lesdossiers :ils ne comprennent pas pourquoiils doiventattendre pour passer chezle notaire.Le notaire ne se presse pas, oularésistance du propriétairelégitimecompliquel’affaire. Mais il y a unerai-son administrativebeaucoupplus simple :pour quele notaire établisseson acte ou quele liquidateur arrête sescomptes,il est nécessaire quel’arrêté de nomination del’administrateur provisoire ait été publié auJournal officiel, car les actespris avant cette publication sont nuls deplein droit. Or ni lesarrêtés denomination desautoritésallemandes,niceux despréfets, n’étaient publiésavantla loi du 22 juillet. Au momentde « boucler »le dossier, on découvre quecetteformalité essentiellefaitdéfaut. Il faut donc l’accomplir, ce qui implique un échange decorres-pondancepréalable qui allonge les délais de publication et retardeencorel’issue.De toutefaçon, l’homologationprend dutemps. Pour quele dossierpuisse être examiné,il faut réunir les pièces, les transmettre au

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CGQJ,qui les traduit et les transmet auMbF. D’où des délaissupplémen-tairespurementbureaucratiques.La procéduren’estpourtant pas encoreterminée à cestade, etelle peuts’enrayer à une troisième étape, sil’admi-nistrateur provisoire tarde,pour uneraison ou une autre, àenvoyer soncompte degestion.

À côté de cesprocédures formalistes,certainessontexpéditives.Ellesconcernentavanttout lespetits artisans, commerçants,brocanteursou marchandsforains, souvent étrangers,notamment dansla Seine.L’administrateurprovisoire nommé se rend sur leslieux, parfois aban-donnés par unlocataire partisanslaisser d’adresse après avoirvendutout cequ’il pouvait. Parfoisla victime estdans sonéchoppe oudans sonatelier qui se confond souvent avec son habitation.L’administrateurconstatequ’il ne possède pratiquementrien, sinon une ouplusieursmachinesà coudre, une table decoupe et un peu demarchandises : uneliquidation enbonne et dueforme necouvrirapas lesfrais prévisibles72.Il demande auCGQJl’autorisationaussitôt accordée de fermerpurementet simplementl’entreprise.Il vend doncle peu de matériel et de mar-chandises,règle les factures impayées,notamment lesloyers et lesimpôts, il procède àla radiation du registre du Commerce ou desMétiers,ainsi que du rôle dela patente, puisil rend ses comptes.Le CGQJ luiaccordealors des honorairesforfaitairesmodestes, généralement300ou500francsà prélever sur son comptegénéral alimenté par le prélèvementde 10% sur les sommesconsignées àla CDC.

Cette procédure sommaire connaît une variante en laquelle lesspoliés placent souvent leurs espoirs. Après bien desdiscussions, lesautoritésallemandes ontaccepté, eneffet, que des artisans qui étaient enrelationsavec desclients et desfournisseurs soienttransformés enarti-sans-façonniers,travaillanten chambre, pourvuqu’ils ne soient pas encontactavecle public etqu’ils ne figurent plus auregistre du Commerceou à celui desMétiers73. Beaucoup depetits artisans espèrentsurvivregrâce à cette transformation, et les administrateurs provisoiresl’accep-tent. Enréalité, c’est un piège.Les façonniersseront lespremièresvicti-mes dela rafle des16 et 17juillet 1942.

Si elle mènele jeu, l’administrationn’estcependant passeule etson action peutêtre facilitéeou entravée par divers acteurs.Les premierssont lesadministrateursprovisoires.Leur diversité estgrande : 7 834 ontété nommés tant par lesAllemands que parle Servicede contrôle puis

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par la direction del’Aryanisation économique74. Commeils sontl’agentd’exécution del’aryanisation,les spoliésvoient en eux ses principauxresponsables.Qu’ils aienttiré profit de cette iniquité, qu’on les aitpayéspour spolier,choqueprofondément et de nombreuses plaintesserontinstruites,à la Libération,à leurencontre pour honoraires oufrais abu-sifs, malversations, vol ou mauvaise gestion, un même administrateurpouvantêtrel’objet de plusieursplaintes.En fait, il y a de tout parmi eux :des fripouilles qui s’enrichissent et debonspères defamille qui, àla Libé-ration, rendentle bien àla satisfaction du spolié, desincompétents deplus ou moinsbonnevolonté et des professionnels quitiennent leursdossiers enordre etfont diligence.Certains ont géréle bien dansl’intérêtdu propriétaire.D’autresont profité descirconstancespour accorder desavantagesà des amis, voireracheter en sous-main le bienqu’ils avaient àvendre. Certains ont considéré ces fonctionscomme un moyen degagner leur vie,d’autrescomme une aubainedont il fallait profiter;d’autres enfin, des présidents dechambre de commerce ou desmétiers,par exemple, comme desobligations liées à leur mandat.À la fin de laguerre, cesdifférentesconceptions dela fonction aboutissent à desrésul-tats fort inégaux.

D’autant quela stabilité ne règne pasdans cepersonnelà qui leCGQJ rappelle souventqu’il est investid’une missiond’ordre public.Beaucoupd’affairesont eu plusieurs administrateurs successifs par suitede démissions ou de révocations. Un mêmeadministrateur peutêtrenommé à plusieurs entreprises,le recordsembleêtre plus de300, maisune ou deuxdizainessont descasfréquents.La rotation des administra-teurs est de toutefaçon élevée, et elle ralentit lesprocédures :tout nouveladministrateur reprend le dossierà zéro.

Lesvictimes, d’autre part, ne sesont paslaissées faire sans réa-gir, et certaines ont trouvé desparadesinégalement efficaces. En règlegénérale, les réactions les plus précoces ont été les plusheureuses.Cer-taines entreprises ont étéaryanisées « spontanément » dèssep-tembre-octobre1940, par vente à desamisplus ou moinsdifficiles àsoupçonner, etl’administrationn’a pas toujoursréussi àprouver quel’acquéreur était deconnivenceavecla victime. Desartisanssont partis

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en zonenon-occupée après avoirréalisétout ce qui pouvait leurprocu-rer un pécule indispensable, notammentpour payer un passeur,sansrégler leurs impôts et leursloyers. Souvent,ils ont emporté avec eux lespièces comptables, ce qui compliquela tâche del’administrateur.Ilsrefusent dedonner aunotaire les renseignementsd’état civil dont il abesoin pourrédiger les actes.D’autresencoreutilisent toutes lesressour-ces quele droit, ou cequ’il en reste, met àleur disposition.Ils procèdentà des donations-partages aubénéfice de leursenfants quandceux-ci nesont pasjuifs. Si leur conjointn’est pas juif, ils demandentla séparationde biens prévuepar la loi du 22 juillet 1941,qui permet aunon-Juifdeconserverle bien menacé d’aryanisation.Les spoliés, français ou étran-gers, peuventfaire appel autribunal carVichy reste,jusqu’à un certainpoint, unÉtatde droit. Ils lui demandent dejuger qu’ils ne sont pasjuifset contestent ensuitela nomination del’administrateurprovisoire; ilsfont jouer les délais deprescriptionpour s’opposerà l’annulation desventesprécoces.Parfois,il y a des successions àrégler préalablement, oudes mineurs, etil faut réunirle conseil de tutelle.Le CGQJpeutdifficile-ment s’opposer auxdécisions dejustice, mais il tente de contrecarrercette résistancejudiciaire, en invitant dès mars1942 les huissiers etavoués à refuserd’y collaborer et enfaisantplaner sur euxla menace desanctions allemandes.Cesprofessionnels du droit,comme les notairesou les avoués, prêtent parfoisla mainà des malversations, maisl’atteinteà la propriété privée queconstituel’aryanisation lesheurtegénéralementdansleur culturejuridique. Certains, enoutre, sesententtoujoursliés àdes clientsdont ils ont longtemps défendu lesintérêts75.

Les notairesoccupent uneplace stratégique, car leur interven-tion est indispensablepour établir lesactes authentiques quesont lestitres de propriété.Or, ils ne voient pasd’un bonoeil ces ventesforcées ;chargés de conseiller leurs clients,ils ne sont passûrs que de telles acqui-sitions soient pleinement valables.Ils veillentdonc à ce queleursactesne puissentêtre attaqués, ce qui mettrait encause leurresponsabilité, etils deviennent plusformalistesencore qued’ordinaire. En novembre1941, il est déjà signalé au Comité consultatif del’aryanisationécono-mique, chargé de valider lespropositions en matière d’immeubles, que«certains notaires déconseillent à leurs clients l’acquisition debiensimmobiliers provenantd’israélites etcertains membres duComitécrai-gnent quecette contre-propagande ne comprometteles réalisationsenvi-

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sagées »76. Le CGQJdénonce cette mauvaise volontédans unecirculaired’avril 1943 : «Cetteobstruction apris parfois un caractèresystématiqueetgénéraliséqui a pour résultatde faire obstacleà l’application de laloi. » 77

Par-delàles réticences des notaires, ondevinecelles del’opi-nion. Le contexte estparticulier. Toute création d’entreprises doitfairel’objet d’une autorisation.La répression du marché noirs’appuie directe-ment sur cedispositif : le particulierpris à revendre quoi que cesoit estverbalisépour création de commercesansautorisation, avant même del’être pour achat et vente sansfacture ouhausseillicite, et les amendestombentdru. Parmi les acquéreurs de biensaryanisés on trouve desconcurrentsheureux defairedisparaître unrival, des affairistes quiespè-rent acheter à basprix, mais aussi des sinistrés à quil’on refuse des’éta-blir, sinon en achetant uneaffaire juive. Certains se réjouissentdansl’espoir d’unebonne affaire ; d’autres sontdubitatifs, moins par sym-pathie pour lesvictimesque par intérêt.Ils s’impatiententdevant cesven-tes qui tardentà être homologuées alorsqu’ils ont versél’argent aunotaire etqu’ils voudraient acheter dela marchandise ou commencer destravaux.Mais il y a plus. Un avocat, administrateur provisoire,l’écrit toutnet :« lescirconstances particulières de l’acquisition decesaffaires juivesne donnent pas auxacquéreurs,sans parler même des complications etdesdélaispluslongsquepour lesventesnormales, lamêmesécuritédéfi-nitive qu’une vente dedroit commun »78. Il n’y a donc pasfoule lesjoursd’adjudication et bien desaffaires aryaniséescommencent par ne pastrouver preneur.Entre les conditionsparticulières de cesventes etl’exi-gence deprix du CGQJ,la contradiction est insoluble.

En définitive, les possibilités de résistanceà l’aryanisationsontcependantdavantage desmanoeuvres deretardement que de véritablesparades.Elles sont au demeuranttrès inégalement réparties.Les Juifsfrançais,bien établisdansleur profession, qui ont dela fortune, des rela-tions, des amis, et quiconnaissent les ressources du droitpeuventtenterde sauver unepartie de leurs biens.C’est exclu pour le tailleur récem-ment immigréde Pologne, parlant mal lefrançais :il est frappétrèsvite etde plein fouet.L’aryanisationn’échappe pas auxinégalitéssociales.

Loin d’être uneentrepriseuniforme, menéepartout du mêmepas,l’aryanisationéconomiques’estdoncdérouléedans des conditionstrès différentesselon leslieux et la nature desentreprises.Elle a étémoins poussée enzone non-occupée, oùelle a débutéplus tard, qu’en

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zoneoccupée, où les Allemandssontallés trèsvite. Elle a été plusradi-cale et plusrapide pour lestailleurs,brocanteurs,petits artisans..., bref,les immigréssansgrands moyensfinanciers et peuintégrés àla sociétéglobale.Est-il possible d’endresser unbilan à la Libération?

Des résultats partagésLeshistoriens qui ont étudiél’aryanisation sesontefforcésd’en

dresserle bilan àpartir desstatistiques duCGQJ,pour la zone nord,laseule pourlaquelle ellesaient étédressées,notammentà partir d’untableau établi au30 juin 194479. Elles font apparaîtred’abordl’ampleurde l’entreprise despoliation : un peu plus de31 000 dossierspour ledépartement dela Seine, un peuplus de 11000 pour lesautres départe-ments dela zoneoccupée : ce sont deschiffres considérables.Si l’onajoute les aryanisations entreprises enzone non-occupée, dontlenombre probable sesitue autour de 7000 à 8000, on peutestimerà50000 environ le nombre de biens, entreprises, immeubles,pour les-quels un dossier a été ouvert et unadministrateur nommé. Pour unepopulation de300000 à 330 000personnes en1940,la proportion estélevée. Onn’a pas donnéjusqu’ici à l’aryanisationla placequ’elle méritedansla politique antisémite deVichy. Loin d’en être unpoint secondaire,elle en est un élémentessentiel.

Dansla Seine,l’aryanisationn’aurait pas été conduiteà sontermedans53 % des cas.À la Libération,les biensseraientencoremajoritaire-mentgérés par des administrateursprovisoires.Pourl’ensemblede la zonenord,la proportions’élèveraità 58 %. Le directeur del’Aryanisationécono-miquefournit uneévaluationun peu plusélevée,65 % environ80. Lesdif-férences selon les secteursd’activité sont importantes.Elles s’expliquentpar la nature des biens et desmétiers.Dans le secteur destailleurs etmodistes,le tiersdes artisans auraient été admis au statut de façonnierdonton a soulignéla précarité ;l’aryanisationa été radicale.En revanche,elle alargement échouépour lesimmeubles,puisque quatre surcinq nesontpas vendus àla fin dela guerre.Lesprocédures en cedomaineétaient pluslourdes etle formalismedes notaires unfrein, commele refusduCGQJde

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passer parlesmarchandsdebiens.Commencée plustard,l’aryanisationaprogressédans cesecteurtrès lentement.

Pour les départements dezoneoccupée, les statistiquessontmoins détaillées. On ydénombre66,6 % d’immeublescontre moins de20 % dansla Seine.Le pourcentaged’aryanisations non consommées yest trèssupérieur, del’ordre destrois quarts (73%) : le chiffre est tiréversle haut par les immeubles,pour lesquels on compte 91% de spolia-tions non consommées, contre 56%pour les entreprises. Pourl’ex-zone libre, les informationssont beaucoupplus lacunaires.Unestatistique defévrier 1944 mentionne 4 945 dossiers ouverts,dont60,5% seraient toujours en instance, mais cettestatistique esttropincomplètepour qu’on puisses’y fier 81. Amorcéeplus tard etportantmajoritairement sur des immeubles,l’aryanisation amoins souventabouti ici qu’en zoneoccupée.

En principe, le produit des ventes et liquidations doit être verséà la CDC sur les comptes de consignationsouverts au nom des spoliés,mais selon desprocéduresvariées.Les administrateurs provisoires et lesnotaires n’ont pas tous, ni toujours, respecté lesconsignes duCGQJet lalenteur des procédures, lesretards apportés à l’homologation et àla clô-ture descomptes desadministrateurs ont gelé lesfonds produits parl’aryanisation.Beaucoup sontrestésdans lescaisses desadministrateursou des notaires. Globalement, les produits disponibles del’aryanisationsont certes considérables,maisils ne correspondent pas àl’attentede sespromoteurs.

L’examen des comptes tenus parle CGOJ82 fait apparaîtred’abord l’importance desversementseffectués par les Domaines (1,6mil-liard) auxquelsla loi du 22 juillet 1941avait confiél’administrationprovi-soire de tous les avoirs financiers, actions et partsbénéficiairesappartenant à desJuifs :portefeuilles-titres conservés chez desagents dechange oudans des banques et, enprincipe, actions des sociétés83.D’aprèsles dernières études dugroupe detravailde la CDC, le total desversements des Domaines se seraitélevéentrefévrier 1942et la fin d’août1944,à 1776millions, somme supérieure de165 millions àcellefigurant

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sur la comptabilité duCGQJau30 juin 1944.Comme cette comptabilitésemble cohérente, on ne peutqu’enregistrer cette différencesansl’expliquer 84.

On est frappé, ensecondlieu, par l’écart entre les versementsdes administrateurs provisoires et lessommesconservées par les notai-res.Dansla comptabilité duCGQJ,le compte501dela Caissedes dépôtsreçoit 90 % du montant des ventes et desliquidations(80 % aprèsla loidu 23mars1944),et le compte511 leprélèvement de10% institué parlaloi du 22 juillet 1941pour lesfrais généraux duCGQJ.Si l’on ajoute lessommes ducompte511 àcelles versées par les administrateursprovisoi-res,on obtient un peu plus de586 millions, à comparer aux 1300 mil-lions conservés par les notaires. On retrouveici la lenteur deshomologations et desclôtures de comptesd’administrateurs provisoires,que confirmela répartition dessommes détenues par lesnotaires : plusdes deuxtiersproviennent eneffet des ventesd’immeubles.Il estclair,enfin, que cette comptabilité est déficientepourla zone sud.Lesnotairesde ces départements conservent des sommesdont nous ignoronsl’importance carellesn’apparaissent pasdansla comptabilité duCGQJ.Lesversements desadministrateurs provisoires aux trésoreries généralesn’y figurent pas davantage. Nous nepouvonsdonc nousfonder sur cesdonnéespour évaluerl’ampleurfinancière del’aryanisation.

Cette estimationinternefaite à partir dessources duCGQJpeutêtre complétée par uneestimation externe,à partir dessommescompta-bilisées parla CDC. Passons sur les détails quel’on retrouvera danslerapportAryanisation économique etrestitutions.Le montant del’aryani-sationengagéeavantla Libération dépasserait 6 milliards et se situeraientsansdoute entre6,5 milliards et 7 milliards. Les spoliationsdéfinitive-mentaccompliess’élèveraientà 5 milliards dont 1,78 proviendraient descessions de valeurs mobilièresréalisées par les Domaines.L’action desadministrateurs provisoiresseraitdoncresponsabled’unespoliationd’unpeu plus de 3milliards. Cessommes, considérables, disentl’ampleurduproblème que poserala restitutionà la République rétablie.Maisellesnesuffisentpas, et de loin,à donnerla mesure del’entreprise.Elle a, eneffet, été vécue au quotidien par deshommes et desfemmes, les spoliés,dont lesdossiers disentmal les difficultés, le désarroi, et souventlamisère.

L’historien, ici, est tributaire desources oùla voix des victimesne sefait qu’exceptionnellement entendre. Pour lesvictimes,l’aryanisa-tion constitue unchocmajeur. Unmonsieur,trèsrarement une dame, se

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présente et déclinela missionqu’il va remplir.C’estsouvent un inconnu,mais parfoisc’est un voisin ou unconcurrent.Il dressel’inventaire etprend possession del’affaire : l’artisan,le commerçant, nesontplusmaî-tres chez eux.L’entreprise leuréchappe; ils n’ont rien à se reprocher,parfois ils ont fait la guerre de1914et la campagne deFrance, ou, étran-gers,ils se sont engagés en1939.Ils sont frappés comme desfaillis oudes criminels. Ceux qui ont des relations et des réservespeuvent tenterde desserrerl’étau. Pour les plus démunis,la fermeture del’affaire met enjeu leur survie matérielle et celle de leurfamille. Le ressentimentlégitimeest si fort qu’on ne peut rien pardonnerà l’administrateurprovisoire.D’autant que certains d’entre eux sesont comportéscomme enterrainconquis.« J’ai à me plaindre del’administrateurprovisoire quis’est pré-sentéchez moi en medisant quedorénavantil était le maître.Il a ensuitemenacé mafemme du camp deconcentration et de laprison, pour luiavoir demandél’autorisation d’emporter un fourneau à gaz quise trou-vait dans lacuisine,derrière le magasin», écriten octobre1944un com-merçant qui pourtant a réussi à conserver sonaffaire grâce à uneséparation de biens et unedonation à safille 85. Après desannéesd’épreuves,souventla mort de parents oud’amis,comment oublierceuxpar qui le malheurest arrivé et qui ont touché deshonoraires pour enêtre les instruments ?

Même lesadministrateurs qui manifestent une certaine compré-hension demeurent les exécuteursd’une législationimpitoyable. Unexemplefera toucher dudoigt ce quefut le drame desvictimes86. C’estun artisan né en Pologne quieffectuait,dans sonlogement personnel,des travaux de confection féminine.L’affaire était modeste,mais elleluipermettait devivre avec safamille. L’administrateur provisoire entre-prend deliquider l’entrepriseselon lesrègles ;il fait nommer parle prési-dent du tribunal de commerce un liquidateur qui charge uncommissaire-priseur devendre auxenchèresle matériel etle mobiliercommercial qui comprendnotammenttrois machines à coudre.Voyantapprocherla vente,l’artisan écrit auSCAPune lettreémouvante, ou plu-tôt, il la fait écrire par un ami, car elle estmaladroitement dactylographiéeavec des blancsremplis d’une écriture hésitante.Il fait les plusexpressesréservespour le cas où deux de cesmachines, qui ne luiappartiennentpas,seraient vendues.Il tente ensuite defléchir l’administration :« Par lamêmeoccasionje voussignaleque : 1˚) J’ai deuxenfants, 13 ans, 4 ansdont l’un estgravement malade.2˚) Jen ’ai d’autres moyensd’existenceque le travail que j’exécutais avec lamachinem’appartenant quevousvoulez vendre. 3˚)Le jeune âge demesenfants et la maladie del’un d’euxne me permetpas detravailler en dehorsde mondomicile.Jepense quedans ces conditions vous pourrezrestituer à leurpropriétaire les deux

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machines 31 K 15 et quepour la machinem’appartenantlesdécretssurles Juifsvous permettront de melaissermon instrument detravail.»

Au bas dela lettre, unedameG. certifie qu’une machinedontelle donne lenuméro lui appartient.L’administrateurprovisoire avaitreçu savisite ; il n’étaitpas opposéà la lui restituer,mais,commele spo-lié devaitenviron14 000francs aufisc, il fallait qu’elle lui apportel’auto-risation dupercepteur etcelle duCGQJ.Le jour de la vente,Mme G. estlà,maissans lesautorisations demandées.Elle déclaren’avoir fait aucunedémarche auprès duCGQJde peurd’êtreaccuséed’êtrede connivenceavecdesisraélites.Dansces conditions -poursuit l’administrateur- etdevant «l’absence de preuve de propriété, je ne mesuis pas cru autorisé àlui rendre lamachinequ’elle réclamait, etcelle-ci futvendue». Lesautresmachines sontégalementvendues.La vente produit12300 francs qui necouvrent pas les14000francs dus aufisc. «L’affaire W. estdoncentière-mentliquidée, je l’ai fait rayer del’inscription du registredu commerce,ainsi que durôle dela patente. »La suite du dossiernous apprend quelespolié et safamille ont disparu et se seraient réfugiés enzone sud.LesAllemands ontpillé l’appartement quele propriétairea reloué. On ignorece quela famille estdevenue,mais le père estmort à Majdanek.

Cettehistoire témoignepour desmilliers d’autres et elle révèlelevrai sens del’aryanisation.Il nes’agissaitpas seulementd’éliminer toutinfluence juive dansl’économie nationale et de réunir desmilliards. Ils’agissaitaussi, trèsconcrètement, de priver de leurs moyensd’existencedes milliers de personnes qui nepossédaientpresquerien et deleurrendrela vie matériellement impossible, de lesfaire,littéralement,dispa-raître dupaysage.Par là,cefut une persécutionquotidienne et uneétapedu génocide.

Lesavoirsjuifs

LescomptesdedépôtenzoneoccupéeLes victimes dublocage ont perdu, enzoneoccupée,le libre

accès à leurcompte.Elles n’ont conservéqu’une possibilité de retraitlimitée etétroitement contrôlée.Pour éviter que desprélèvementspuis-sentêtre effectués simultanément en plusieurs endroits, un« comptedeprélèvementunique »leur est imposé.Avant le 30septembre1941,ellesdoivent donc souscrireune déclaration entrois exemplaires quel’orga-nisme chargé dela tenue du compte adresse auSCAP. Celui-ci vise lesdéclarations,approuve ouréduit,selon lescas,le plafond de prélèvementautorisé87. Au départ,le comptedevait couvrir les dépenses d’entretien :loyers de l’année, vêtements, nourriture, éducationet entretien des

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enfantsetc.Restaient libres enprincipe les dépenses afférentes à« l’acti-vité habituelle » :paiement desdettes anciennes surjustificationspréci-ses,frais exceptionnels de maladie, impôts en cours ouarriérés,loyers,primes d’assurance surla vie résultant de contrats antérieurs au28 mai1941,rentes contractuelles,oeuvressociales «aryennes»88. Le 30 octobre1941, l’Union syndicale desbanquiers transmet des instructions duCGQJ.Lesprélèvements nedoivent« enaucuncasdépasserledouzièmedesrevenustotauxdéclarésen 1939 pourl’année 1938 ou à défaut dedéclaration le douzième de la sommeobtenue en multipliant par7 leloyer principal, chargesdéduites de l’année1938». Lesbanques ouorga-nismes qui tiennent les comptes deprélèvement décident eux-mêmes,sansautorisation spéciale, les versementsmensuels autitre de« l’activitéhabituelle» ou des « dépenses d’entretien», saufaviscontraire dela Sec-tion financière89.

Ainsi, la banque,le notaire etl’agentde change se trouventdansl’obligation de surveiller lesdépenses deleursclients, assimilésà desmineurs soustutelle. Pourêtre en règleavecle CGQJ,ils doiventdistin-guer dépenseslibreset dépensessoussurveillance,vérifier quecesder-nières ne dépassent pasle plafond autorisé, un plafond qui diffèreselonles comptes. On devinela charge detravail que celaconstituepourchaque établissement.La pratique - impossible àreconstituer fauted’archives -n’a probablement pas étéaussi soucieuse dudétail.

La gestiondestitres et comptes-titresL’ordonnanceallemande du26 avril et la loi du 22 juillet 1941

imposentle blocage destitres, exceptées les obligationsfrançaises.Làencore,la libre disposition des actions et parts est fortementlimitée. Encas de vente,le produit en reste bloqué àla banque, chezl’agent dechange oule notaire. Sous certaines conditions, les Juifspeuvent toucherlibrementle produit du revenu de leurscapitaux et des ventesinférieursà 6 000francs90. Pour toucher ces sommes,ils doivent remplir une décla-ration attestant que leursrevenus autres que ceux provenant deleur tra-vail, ne dépassent pas6 000francs. Cesdéclarations -ellesémanent d’unmillier de personnes -sont transmises auCGQJ par les établissementsdépositaires91.

Pour percevoir desrevenus -même limités - de soncapital,encorefaut-il qu’il ne soit pas placésousadministration provisoire. Orune partie desactions et parts sontplacéessousadministration provisoire

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des Domaines,avec publication au Journal officiel pour permettreàd’éventuels créanciers de sefaire connaître avant quele produit de leurvente nesoit consigné àla CDC 92. Ce sera le caspour lesactions et partsd’au moins 1734personnes et quelque200 sociétésdont unepartie desactionnaires sontjuifs sans quela société elle-mêmele soit.

Lesarchives duServicede liquidation des valeurs mobilièresjui-ves, rattaché àla 3e division desDomaines dela Seine,n’ont pas étéretrouvées.Aussiest-il impossible de décrire avec précisionla procédure.Nous ignorons comment les Domaines ontpris connaissance del’exis-tence de« valeursjuives ». Lacompagniesyndicale des agents dechangedeParisa reçu desordres de venteémanant des Domaines du21octobre1941au 17août194493. Le rythme desventess’estmaintenu alors quelalibération du territoire avaitcommencé : 8 % des actionsvenduesl’ontété enjuillet et août1944.Près desdeuxtiers desactionsplacéessousadministration des Domaines ontainsi étévendues94. LesDomainesper-çoivent unetaxe de2% pour frais de régie95, en partie distribuéeà sonpersonnel.La sommerestante est consignée àla CDC. Commepour leproduit del’aryanisation,90 % sontportés aucompte del’intéressé,10%(20 % après le 23 mars1944) aucompte duCGQJ.

En zone sud, les avoirs déposésn’ont pas été bloqués, saufquandils appartenaient à une entrepriseplacée sous administration pro-visoire. En revanche, lesavoirs des réfugiés déposés enzone occupéel’ont été. Par instruction du 13octobre1941,transmise troisjours aprèspar l’Union syndicale des banquiers,le CGQJordonne leurblocage.Le29septembre1941,il avaitdéjà informéleprésident del’Union syndicaledes banquiers que les demandes de subsidesémanant de résidants enzone libre devaientrevêtir « un caractère exceptionnel et denécessitéabsolue » et qu’elles devraient être « adresséesà la sous-direction del’aryanisation économique àVichy, qui les transmettra àParis aprèsenquête, avec avismotivé »96.

Dans ce domaine, les banques ontfait preuve de souplesse.Pardeuxfois, la direction du Trésor lesrappelleàl’ordre. Le 2 février 1942,ledirecteur du Trésordemande auprésident duComitéd’organisation des

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banques«d’appelerl’attention desbanques surlesrisquesqu’ellesencou-rent lorsqu’ellestraitent sansgarantiessérieusesavec desIsraélites». Il faitétat derenseignements fournis parle CGQJselon lesquels certains éta-blissements« seraientportés à négliger desprécautions essentielles ettraiteraient avec desisraélitessanssepréoccupersuffisamment du faitque, conformément auxdispositionsde la loi du 17 novembre 1941,tout acte passéavec un Juif postérieurement au 23 mai1940 etantérieu-rement à lanomination d’un administrateurprovisoire, est susceptibled’annulation » 97.

Les avoirs étrangersLes avoirsdes« Juifspossédant ou ayant possédéla nationalité

allemande »,ex-allemands, ex-autrichiens, tchèques, polonais, sontdévolus auReich parordonnance du2 décembre1942.L’administrationmilitaire allemande demande doncà l’Associationprofessionnelle desbanques detransmettre ses instructions : les dépôts, lestitres, lesconte-nus descoffresdoivent faire l’objet de déclarations à remettre auplustard le 10 février 1943.Lesétablissementsn’ont pas dû se montrerzéléspuisque deuxnouvellesordonnancesréitèrent lesmêmesdemandes etquel’Associationprofessionnelle desbanquestransmet unnouvelappeldaté du 18septembre quitémoigne del’inertie des établissements98.

Le fruit de la spoliation des biens desJuifsallemands etassimi-lés n’estpas versé àla CDC, maisàla Reichskreditkasseet àl’Aero-Bank,à Paris auxcomptes deFerdinand Niedermeyer.Cetancien directeur àlaDeutscheBank a été nomméCommissaire desbiens dévolus auReichauprès duMbF. Commedansd’autres domaines,l’État français renâcleàlaisser desbienspasserdansl’escarcelleallemande.Fin 1943,le CGQJs’opposeà ce quelesbiens desJuifs allemands,tchèques,autrichiens,polonais déposés enzone sud soientremis auMbF ainsi qu’il le luidemande :« les ordonnances allemandes de lazone nord ne sont pasapplicablesen zonesud »99.

L’amende du milliard100

Le 14 décembre1941,un avis duMbF informe la populationqu’en représailles desattentats commis contre desmembres del’arméeallemande,« uneamende d’unmilliard de francs estimposéeaux Juifs

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des territoiresoccupés » ;« qu’un grand nombre d’élémentscriminelsjudéo-bolchéviksserontdéportésaux travaux forcésde l’Est. [...], d’autresdéportations seront envisagées sur unegrande échelle,si de nouveauxattentats venaient à être commis». Enfin, « Centjuifs, communistes etanarchistes, qui ont desrapports certains aveclesauteurs des attentatsseront fusillés». Cetavisparaîtdansla pressecollaborationniste et est pla-cardé sur les murs101. Il marque une étapedansla persécution desJuifs,comme l’avait été la contribution symétriqued’un milliard de marksimposés auxJuifs allemands aprèsla Nuit de Cristal. En Allemagne,l’amende est unélément de1’ «assaut »contreles Juifsde novembre 1938qui comporteplusieursfacettes :la cessation intégrale de l’ensemble desactivités commerciales assortie del’obligation devendre toutes les entre-prises et valeurs ;l’expulsiondesderniers enfants desécoles ;la radiationdu systèmed’aide sociale.Il s’agit de couper les derniersliens qui lientlesJuifs à la société allemande et de lesfaire partir.

On ne peutqu’être frappé par les similitudesentre lesdeuxamendes.En France, elle est associée à l’annonce des déportationsàvenir - le premierconvoi partpour Auschwitzle 27 mars1942 - danslapériode même où se préparela conférence qui se tiendra à Wannseele20 janvier 1942et qui organisela déportation desJuifs del’Ouesten vuede leur extermination. Comme en Allemagne en1938,elle est suivie demesures quiaggravent singulièrementla vie quotidienne desJuifs. Maissurtout, elle manifeste cefait massif,déjànotéàpropos del’aryanisation :dans sa partie allemande,la spoliation nepeut se comprendre quecomme prélude au génocide.

L’ordonnancedu 17 décembre1941chargel’UGIF, crééetroissemaines plustôt, de collecter les fonds.Elle doit verser impérativementle premierquart -250millions - le 15 janvier1942102, en puisant danslescomptesbloqués dans les divers établissements.Là encore,l’Associationprofessionnelle desbanquessert d’intermédiaire103. Les établissementssont sommés d’envoyer auMbF le relevé des avoirs encompte au20décembre1941.Le MbF demandeaussi que lescoffressoient déclarésau Devisenschutzkommando.Le CGQJest, avecle MbF, destinataire desdéclarations de comptes.Ces dernières se retrouventdonc dans lasous-sérieAJ 38104. Près de 300 banqueset établissementsfinanciersfrançais et étrangers, 89chargesd’agents dechange etdeux offices de

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notairesdéclarentquelque 80000 comptes, de consistancetrès diverse,allant de 1francà 150 millions defrancs.

Là encore, alors quela décision est allemande,l’obsessiondesasouveraineté conduitl’État français à prendre encharge la mise enoeuvre, se faisant ainsipartie prenante des exactionsnazies. Le20décembre1941,le directeur duTrésoradresse ses instructions aupré-sident duComitéd’organisation professionnelle desbanques.Les soldesdes comptes et toutes lessommes dont lespropriétairessontjuifs doiventêtre verséesàla CDC surle compte duCGQJ.Pouréviter lesconséquen-ces de versementsmassifspour certains détenteurs defonds juifs, leCGQJ décide de n’appeler que50 % de ces avoirs, et ce,uniquementpour lescomptes dontle solde estsupérieurà 10000 francs105. Les éta-blissementsinformentles déposants des prélèvements effectuésdanscesconditions, et de leur versementà la CDC en application dela loi du22 juillet 1941.Ils ne mentionnent pas que cetargent est destiné aupaie-ment del’amende.Dans ce cadre, 3700 versements sonteffectués,10%des sommes sontprélevéspour alimenterle compte 511 du CGQJ. Latotalité des prélèvementsn’a donc pas étéutilisée pour le paiement del’amende.

Le montant ainsi rassemblé s’avèreinsuffisant. Le 26 janvier1942,le directeur du Trésordemande auxétablissements de verser 80%du montant des comptesdont le solde dépasseencore àcette date(c’est-à-direaprèsle prélèvement précédent)250000francs106. Une tren-taine decomptes sontdans cecas :ils sont donc autotal amputés de90 %de leur montant.Leurspropriétairesappartiennent àla haute bourgeoisejuive, peu nombreuse, desquartiers ouest de la capitale et dontl’ensemble desbiens - lesoeuvresd’art notamment - ontété, dèsledébut de l’Occupation,l’objet d’un pillage allemand systématique107.

À la datefatidique du 15janvier 1942,quand250 millions doi-vent êtreversésà la Reichshredirkasse,les prélèvements et lesventes detitres n’ont pas eu letempsd’aboutir.La direction duTrésor et le Comitéd’organisationprofessionnelle desbanquesimaginent unemprunt de250millions quela loi du 16janvier 1942permet àl’UGIF de contracterauprès d’unconsortium de banques,moyennant la constitution d’un« fondsdegarantie »alimenté parlesprélèvementsà effectuer sur tous lesélémentsd’actif appartenantà des personnes physiques oumoralesjui-

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ves et situés enzoneoccupée108. La loi impose aux administrateurspro-visoires etautresdépositaires de verserl’argent qu’ils détiennent à cefonds de garantie ouvert au nom del’UGIF à la CDC. Vingt-neufbanquesparticipent à cecrédit,pour dessommesallantde 27,5millionsde francspour lesplus élevéesà un demimillion pour lesplus faibles109. Cepen-dant, les banquiers«expriment ledésir unanime de netirer aucun profitde leur participation»110. Le taux d’intérêt est égal autaux des avancesde la Banque deFrance, alors de3 %. Les commissionss’élèvent à1,6 million de francs. Plusieursbanquesont « spontanémentmanifestéleur intention deverserau Secoursnational le produit net qui pourraitleur resteren find’opération »111.

Les prélèvements et l’empruntpermettent de payerla premièretranche del’amende.La deuxième doit être régléele 10 février, les troi-sième et quatrième les 10 et31 mars1942.L’argentviendra dela cessiondes titres par lesDomaines à de grandesinstitutions :la CDC, la Banquede France,la Banque deParis et desPays-Bas,la BNCI et l’Omniumfran-çais d’études et departicipation(OFEPAR)112 qui avanceront lessommesà l’UGIF. Le milliard devait être versé àla Reichskreditkasse.De fait, unepartie de cettesomme -400 millions, 500 peut-être - a étéversée auCOSI, le Comitéouvrier desecoursimmédiat,créé enmars1942à l’initia-tive d’Abetzet deDéat,aprèsle bombardementallié de Boulogne-Billan-court 113.

Prélèvementset taxes individuelles :l’arrêté du 11mai 1943

L’objectif des Allemands, relayé parVichy, était decouper toutlien entre lesJuifs et leurenvironnement et de les constituer en« commu-nautéisolée quiassurerait tous les besoins de ses membres.S’il en futbienainsi en Allemagne oudans lesghettos dePologne,le casfrançaisest plus complexe.Malgré les efforts récurrents de l’occupant et deVichy, l’UGIF n’encadrajamais la totalité desJuifs de Franceet nefut

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jamaisen charge de tous lesaspects deleur existence.Sacréation, résul-tant decompromis, luifixe pour butpremier«d’assurer la représentationdesJuifs auprèsdespouvoirspublics, notamment pourles questionsdeprévoyance et dereclassementsocial » 114. Elle eut donc enchargel’assis-tanceà une population plongéedans uneimmense détressematérielle.

Lesressources dontelle disposait étantinsuffisantes,l’arrêtédu28août 1942stipule que les Juifs fourniront des«contributionsvolontai-res ». Cescontributions s’avèrant, ellesaussi,insuffisantes,un arrêté du11 mai 1943permet aux Juifs de les prélever surleurs comptesbloqués,en dehors desprélèvementsdéjà autorisés.Surtout, un prélèvementd’office de 5 %, versé auCCPde l’UGIF, doit être effectué surtout retraitde fonds -espèces, biens ouvaleurs - àl’exception deceuxdestinésàpayer desdettes enversl’État, les départements,communes etétablisse-mentspublics oucorrespondantsà des versements pour pensionscivilesou militaires115. Une « taxe individuelle » -120 francs dans la zoneoccupée,360dansla zone non occupée -esten outre imposée etverséeelle aussi auCCPde l’UGIF.

Les contratsd’assurancesL’ordonnanceallemande du28 mai 1941prescrivantle blocage

des« capitauxjuifs » et la loi du 22 juillet 1941ont eu pour conséquenced’introduire une double discriminationà l’encontre des assurésjuifs.Dansle principe, les indemnitésdues par lescompagniessontbloquées,et les Juifs ontperdu le droit de souscrire des contrats de capitaux.Cesmesures sontappliquées par les compagnies et lesservices concernés dela Caisse des dépôts etconsignationsdans uncontextedifférent de celuidanslequel ontopéré lesbanques.Carsi les établissements de crédit sesonttrouvésdirectement soumis auxinjonctionsallemandes, les compa-gnies ontvécu relativement àl’abri. Bénéficiantd’une sorte de« paixalle-mande » liée à la collaboration économique quis’était instituée avecl’assuranceallemande, lessociétés ont participé àla discrimination età laspoliationdans uncontexte largementfrançais.

Nous ignorons, faute d’informations, sila discrimination a com-mencé avant l’ordonnanceallemande demai 1941.En revanche, dèslemois dejuillet 1941,avant mêmela loi du 22, la Fédération française dessociétés d’assurance(FFSA) diffuse une circulaire relative aux assurésjuifs 116. Dans lescirculairesdiffusées auprès de leursagents généraux,les sociétés fontpreuved’un légalisme parfoisméticuleux.Ainsi de LaPréservatrice,qui fait observer quel’absencede la mention« Juif » surla

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carte d’identitén’établit pas de manière formelle que sontitulaire n’estpasjuif 117 : « À noter que la justificationrésultant del’absencede cettemention n’est entièrementprobante que si lacarte a étédélivrée ouvalidéeaprèsle 10octobre1940, date del’obligationpour les israélitesdesefaire recenser, cetteformalité ayanteu commecorollaire l’appositionde la mention"juif" pour lesassujettis de cette catégorie.Il estprudent denoter la date dedélivrance, le numéro de la carte etl’indication de l’autorité qui l’a délivrée.»

Le repérage dela clientèle juive n’a cependant paspris lesdimensionsd’un recensement.En effet, à la différence d’autrespaysoccupés, les Allemandsn’ont pas ordonnéla confiscation des contrats.Ladiscriminations’estdoncopérée en France lors dupaiement par les com-pagnies et àla souscription des contrats par lesassurés.

La fixation des règles deversement desindemnités a étépro-gressive. Dès le mois dejuillet 1941,les compagnies soumettent auCGQJdes casparticuliers. Les contrats des236 assurésjuifs dépendant de155 compagniessontportés à l’attention du Commissariat118 par les com-pagnieselles-mêmes ou par des assurés qu’ellesrenvoient surle CGQJpourobtenir une autorisation de versement, par desbanques qui deman-dentl’autorisation de prélever,pour lesvirer auxcompagnies,le montantdes primespour le compte de leurs clients.

En décembre1941, leCGQJassouplit les règles poséesdanslanote du 25août surla «circulationdescapitauxjuifs », en faveur du verse-ment desindemnités aux assurés. D’aprèscettenote, les dettesversableslibrement auxJuifs ne devaient pas dépasser1 000 francs. Pour lesindemnités d’assurance, leplafond estrelevé à10000francs119. La FFSAavait, en effet, souligné lesrisquespour les compagnies et lestiers nonjuifs de la limitation desremboursements auxassurésjuifs : ils « résilie-raient purement etsimplement »leurs contratss’ils n’en tiraient aucunbénéfice : «Une tellesituation neserait pas seulement préjudiciable a u xintérêts descompagnies ;elle affecteraitles tiers victimes d’accidents oude sinistres causéspar des israélites.Cestiers seheurteraient leplus sou-vent à l’insolvabilité del’auteur de l’accident qui neserait pascouvert parune policed’assurance. »120

Les courriers adressés auCGQJ illustrent l’appauvrissementd’une populationjuive, spoliée et largement interdite detravail. Les

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demandesd’avances sur contrat se multiplient.Ainsi un père de« sixenfants enbasâge » a besoind’uneavance pourfaireopérersafille 121. LacompagnieL’Union le renvoie auCGQJauquelil s’adressepour obtenirl’autorisationdu versement.Devantle nombre de ces demandes,le Com-missariatfixe pour lesavances un nouveau plafond de 1000francs122. Àl’automne 1943, un double plafond régit donc les versements :10000 francspour lesindemnités, 1000 francspour lesavances.

Le blocage ne concerne quela zone nord pendant toutel’Occu-pation. Il touche égalementceux qui onttrouvé refuge enzone sudpuisquele critère retenuest le siège dela compagnie.S’il se trouve enzonenord - la grandemajoritédes cas - lessommes sont soumises aublocage, même si le contrat a été souscrit enzonesud.

Enfin, les souscriptions de contrat ont été strictement réglemen-tées. Ce qui, évidemment, ne constitue pas une spoliation.Dans leurhantise des« capitauxjuifs », le MbF et le CGQJinterdisentla souscriptionde contrats autres que derentes viagères, et enlimite la possibilité aubénéfice dela seule Caissenationale deretraites pour la vieillesse(CNRV), un service dela CDC 123. Un plafond de souscription est enoutrefixé à 18000 francs.Les compagnies perdaientlà un marché.le CGQJautorise les souscriptions dans lesecteurprivé sousréserve que lespri-mes soient payées sur fondslibres,c’est-à-diresurles fonds que lesper-sonnesconsidérées commejuives peuvent détenir par-deverselles124.

Dans lemêmetemps, lescompagniesparticipent d’une certainefaçon à la spoliation.Leursactifs réglementés, destinés àcouvrir leursengagements envers lesassurés,comportaient une part d’immeubles,évaluéeà 10 % du montanttotal en 1945.Certains d’entreelles ontdoncacquis des immeubles mis en vente par leCGQJ.Le produit dela venteétait verséà la CDC.

Parailleurs, mêmes’il nes’agit pas à proprementdit d’unespo-liation, les immeubles de rapportabritaient desappartements et deslocaux commerciaux. Denombreuxlocatairesjuifs avaientabandonnéleur appartement sansdéménager les meublesni « donnercongé » aupropriétaire.Ne percevant plus deloyers commed’autrespropriétairesprivés ou des collectivitéspubliques et ne pouvantjoindre les locataires,certainescompagniesfirent appel auCGQJqui les renvoya sur lesjuri-

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dictions compétentespour prononcer« l’expulsion »125 après que lesAllemandsaientvidé lesimmeubles126. Cet actepermettait aux sociétésde relouer les lieux sur-le-champ.

Une spoliationdefait : lesbienslaisséspar lesinternésdescampsfrançais

Il n’y eut pas, en ce quiconcerne les biens desinternés descamps,volonté spoliatrice dela part del’État français.La spoliation a étéune spoliation defait : ce que les détenus avaientdéposé à leur entréedans les camps a étélivré aux trafiquants et marchands au noirpour sur-vivre et lesolde,après leur déportation, estrestédans lesmains dediver-sesadministrations127.

Un maillageserré etcomplexeL’internement débute avecl’ouverture de camps chargés

d’accueillir et deregrouper (de« concentrer »)les républicainsespagnols.À la déclaration de guerre, les ressortissants étrangers depays ennemis,Allemands etex-Autrichiens,sont à leurtour internésdansla multitudede camps, grands oupetits,ouverts dans chaquedépartement, commeilsl’avaient été à la déclaration de guerre en1914. L’administrationne sepréoccupe pas de savoirpourquoi cesétrangerssont enFrance. Deshommes et desfemmes qui deviendrontaussi célèbresqu’HannahArendt ouArthur Koeslerfont ainsipartie de cette« lie dela terre», mêlésà des droits communs, des communistesaprèsl’interdiction qui suit lepactegermano-soviétique, et des « nomades», commel’on désigne alorsles Tsiganes.Certainsparviennent àsortir descamps et à gagnerl’Angle-terre, lesÉtats-Unisou l’Amérique latine,d’autres y serontpiégés parl’invasion allemande. En mai1940,une partie despopulations belges ethollandaisesfuyant l’avance allemande estinternée, notamment àSaint-Cyprien etArgelès.

Les premiersinternementsspécifiquementjuifs résultent delaloi du 4 octobre1940sur les ressortissants étrangers de racejuive. Déjà,les Allemands ont brutalement chassé lesJuifs du Paysde Bade et duPalatinatvers la zone libre ; ils ont été internés aucamp deGurs. Descamps comme lesMilles, Gurs, Noé, Récébédou,Rivesaltesaccueillentalors des Juifs étrangers. Tous cescamps sont ouverts parl’État français

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en zonelibre : quelque40 000Juifsy sontinternés en1941,alors que lesdéportationsn’ont pas encorecommencé.

Avec les premières arrestationsde masse, desJuifssontinternésdans de grandscamps quileur sontréservés enzone occupée. Cesontd’abord lescamps duLoiret, Pithiviers et Beaune-la-Rolandepour lesquelque3 700Juifs - principalementpolonais -arrêtésle 14mai 1941.Puis la Cité de la Muette à Drancy, une citéd’habitations à bon marchéinachevée transformée encamp deprisonniers de guerre au début duconflit, puis d’internementpour lesBritanniques aprèsla victoire alle-mande. Quelque4 000 Juifs y sont conduits, parmi eux desFrançais,arrêtésle 20 août 1941 et les jours quisuivent.Après lesarrestations le12décembre 1941de 753 hommes - majoritairement français et de milieuaisé -le Frontstalag 122de Compiègne-Royalieu, parlequel passerontlaplupart des déportéspour fait de Résistance,comporte uncamp« juif », lecampC128. Tous ces camps dela zone occupée sontsouscontrôlealle-mand.Lesautorités d’occupation décidentseules de qui estinterné et dequi peutêtre libéré.Maisces campssont aussi, à desdegrés variablessui-vant les époques,gérés par desFrançais129.

Les premiers campssont sous le contrôle des préfets,c’est-à-diredu ministère del’Intérieur130. Nous n’entrerons pasdansledétail de leur histoire. Notonssimplement quebeaucoupd’internésjuifsconnurent destransferts d’uncamp à un autre, et surtout que ces camps,ceux de zonelibre commeceux dezoneoccupée,furent le vivier danslequel lesAllemands,appuyés par des gendarmes,policiers,douaniersfrançais,sans oublierl’ignoble Police aux questionsjuives, puisèrent,principalementà l’été 1942,pour lesdéportations.Ainsi, en août1942,sur proposition dugouvernement deVichy, quelque 10000 étrangerssontconduits dezonelibre àDrancypour être déportés. Près dela moitiéprovenaient des campsd’internement.

Les dépôtsdansles camps d’internementet leur devenirAucun des témoignages ou des études sur les camps n’évoque

autrement qu’en passantla question del’argent et desbiens que les inter-nés avaient sur eux lors de leurinternement.Lesrecherches surle deve-nir de ces biens ont aboutià des résultats inégaux carlesarchives ont étéinégalement conservées.D’une façon générale,la gestion descamps

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d’internementa fait l’objet de rapportsextrêmement sévères dela Courde comptes.En 1947,elle constate que les centresd’internementadmi-nistratifsont été les lieux de« gravesirrégularités ». Leursresponsablesont utilisés des créditsconsidérables«confiés à un personnel souvent peufamiliarisé avecles règlesdegestiondesserviceset denierspublics » 131.L’inspection générale descampsn’a pas disposé desmoyens lui permet-tant demener desmissions en province.Elle a délégué aux préfetslecontrôle descamps de leurressort,tâche qui leur a engénéral inspiré« une certainerépugnance». C’est du moinsl’explication quedonne laCour aux«errements parfoistrèsgrands qui sesont produitsdans beau-coup decamps »132. Mais surtout, il y eut de «véritables comptabilitésoccultes »et de multiplesdétournements de fonds133. Lesinternés ont étéles victimes de cette extraordinaire gabegie.Ils ont connu dans cescampsla faim, le froid, la promiscuité,lamaladie,le dénuement extrême.Parmi lesplus fragiles, les vieillards et les enfants,certains en sontmorts134.

Les procédures réglementaires suiviesdans les campssontgrossomodo, avec quelquesvariantes et l’exception que représenteDrancy, celles appliquées en prison :l’interné est fouillé, et l’on inscritsur le registre son nom, sonétatcivil, la date de sonentrée au camp, lessommes etobjets dontil est porteur. Unefiche est enprincipedresséeàson nom.Les sommes et les objetssaisisdoivent être déposés àla suc-cursale dela Banque deFrancela plus proche. Pendant son interne-ment, ledétenu est autorisé àrecevoir des mandats.Il peutaussi retirersur son compte une certaine somme, de50 à800 francsselon les camps.S’il est libéré, ledétenu récupère lessommes et lesobjetsqu’il a dépo-sés. S’il est transférédans unautre camp,sommes et objetsdoiventsuivre. Après la création del’UGIF, il a aussila possibilité de luiremettre ses biens.

Or les archives comptables des camps, les traces del’argentoudes objets déposés par les internés,sonttout àla fois peunombreuses etdispersées.La gabegie dénoncée parla Cour descomptes en est en partieresponsable,mais lesdestructionsd’archives ont aussi éténombreuses.Inspirée parla volonté derompreavec les discriminations deVichy, lacirculaire du ministre del’Intérieur aux préfets endate du6 décembre

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1946a ordonné,dans lecadre du retour àla légalitérépublicaine,la «des-truction de documentsfondés surdes distinctionsd’ordre racial entreFrançais». Quandle ministère s’aperçoit un mois etdemi plustard queces archivessont indispensablespour opérer desrestitutions, délivrerdescertificats d’arrestation et de déportation, oupour servir à diversesprocéduresjudiciaires,une nouvelle directive impose,le 31janvier 1947,de surseoir aux destructions,mais il est parfois troptard. D’autresfondsont disparu pendantla guerre, comme les archivesducamp deSeptfondsou cellesdu camp deNoé, détruites en novembre1942,à l’arrivée destroupes allemandes enzone sud135. D’autres ont cumulé pilon parl’administration françaiseet destruction parl’occupant136. Parfois lesarchives subsistent,mais les pièces comptables manquent.Notreconnaissance estdoncnécessairement inégale.

La Mission a retrouvé les traces de dépôtspour treize camps137

concernant autotal unedouzaine demilliers d’internés, et, si onexcepteDrancy, unesomme avoisinant30 millions de francs de l’époque. Cer-tains de ces dépôts secomptent enfrancs, d’autres, en trèspetit nombre,en centaines demilliers de francs.Dans tous les camps, untrès petitnombre de dépôts-5 %, parfoismoins -rassemblent50 %, voire davan-tage dessommesdéposées.

Pour empêcher lesvols parle personnel des camps, une partiede l’argentdéposéestplacéedans uncoffredans les bureaux dela direc-tion du camp, alors quele règlement prévoitle dépôtdans lessuccursa-les de la Banque de France.La Cour des comptes le constate etl’explique : « il était nécessaire deconserver aucamp desdisponibilitésimportantespour pouvoir faire face àtout moment aux demandes deremboursement desinternés mis enliberté »138. Les commandants decampconservaient ainsi sur place del’argentdont l’interné avait le droitde disposer etqu’ils pouvaient rendre encasde libération ou, parfois, de

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transfert. Mais ils pouvaient aussi détournerà leur profit l’argent desinternés, ce quisemble bienavoir été le cas pour lescamps deCha-rente-Maritime,de Noé,de Récébédou oud’Argelès139.

Uncasparticulier : DrancyDans cet ensemble,Drancy constitue uneexception, etd’impor-

tance.Parce quec’est par Drancy que lescandale des biensspoliés etnon restitués est arrivé.Mais surtout, parce quequelque 67 000 des75000 déportés Juifs deFrance ont transité par ce campdont le site estdevenu un deslieux de mémoire dela déportation desJuifsde France.

L’ouverture du camp deDrancy par les Allemandss’est faitedans uneextraordinaire improvisation.Rienn’a été prévupouraccueillirles quelque4 000 internés,raflésà Parisle 20 août 1941 et lesjours sui-vants ;ils vivent les premièressemaines dans undénuement siextrêmeque plusieurs dizainesd’entre euxsontmorts defaim.Jusqu’enjuin 1943,le campdépend des autorités d’occupation quiseulesdécident de qui estinterné et libéré, mais l’intendance relève dela préfecture dela Seinetan-dis quela gardeextérieure et intérieure est assurée parla gendarmeriesousla directiond’un commandant de camp nommé parla préfecture dePolice.Aprèsjuin 1943,Aloïs Brunner,responsable duservice desaffai-resjuives dela Gestapo,exclut les fonctionnaires français del’administra-tion et dela surveillance ducamp;seuls lesgendarmesrestent chargésde la gardeextérieure. Drancy est dès lors unKonzentrationLager : unpetit nombre deSSd’une brutalité extrêmefait régnerla terreur sur uncampqu’administrent désormais les internés eux-mêmes.

Le 29 septembre1941,la préfecture dePolicenomme au campde Drancy un commiscaissier, MauriceKiffer. « Il y aura lieu de luitrans-mettreles fonds trouvésen possessiondesinternés.Il s’occuperade donneraux Juifs qui ontdéposéde l’argent la somme de 50 francs parmoisprévue parles autorités occupantes»140, précisele directeur desaffairesadministrativesà direction dela Police générale.Kiffer tiendrala caissedu camp jusqu’à la clôture descomptes, enjuillet 1946, maisavecl’arrivéede Brunner,il devient« liquidateur »dela caisse ducamp, et nonplus commis-caissier.Sa tâche consiste alors àmettre del’ordre dans lescomptes desdétenus passés par Drancy etdont lesdépôts sont anté-rieurs au25 juin 1943.

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L’étude des dossiersd’archivesde la préfecture dePolice mon-trait aveccertitude quela comptabilité des internés ducamp deDrancyn’avait pas été pilonnée.En effet, une note,rédigée par l’inspecteurgénéral desservices dela préfecture de Police, etayantpour objet «ladestruction desdossiersconstituéspendant l’occupation surles israéli-tes »141 indiquait que lesdocumentscomptables seraient provisoirementconservésdans l’intérêt des personnesconcernées,afin de permettrenotamment de statuer sur leurdroit àpension.«Toutesles piècescompta-bles(fiches etdossiers)provenant ducamp de Drancy ont étéverséesauxarchives le 9 février 1949». Suivaitun inventaire détailléde ces pièces.Des recherches complémentairestrès rapidement effectuées ontdoncpermis de retrouverla totalité des piècescomptables.Elles concernent,toutes,la période antérieure àl’arrivée de Brunner.

Lesinternésdoivent en principe déposerl’argentet les objets devaleur qu’ils ont sur eux à l’entrée ducamp.Kiffer enregistrealors leurdépôt sur un registre decomptesindividuels142 et il leur délivre unreçu àpartird’un carnetàsouche ;il établit unbordereaud’enregistrementqu’ilcomplète par unefiche nominative (oufichede dépôt) sur laquellefigu-rent tous lesmouvementsopérés sur lescomptes individuels.Jusqu’àlarafle du Vél’d’Hiv’, Kiffer ouvre 7 050 comptesindividuels. Les internésayantle droit deretirer50 francs par mois ou d’envoyer àleur famille ouà une personne deleur choix un mandatd’un montant inférieur à10 000 francs,5 266d’entre eux ont vidé leurcompte.Le solden’estposi-tif que pour 1784d’entreeux.

Dans lespremiers mois ducamp, Kiffer dépose lessommesqu’il reçoit à la Caissemunicipale quis’avère maladaptée :elle nepeutpas recevoir de devises ;il lui est impossible de conserver descomptesqui sontmouvementéscomme devéritablescomptescourants.Le rece-veur municipalsouffle alorsà Kiffer une solution : les verser àla CDC,puisquela loi du 22 juillet 1941prévoit que« les soldesdes comptes dedépôt et généralement toutessommes dontlespropriétairessont juifs »sontversésàcet établissement.Le premier versement date du 3juin 1942.Kif-fer n’a donc opéré sespremiers versementsqu’aprèsle départ du pre-mier convoi, celui du27mars1942.Cedépart,dont rienalors nepermetde penserqu’il estdéfinitif, lui donnepeut-êtreconscience que les déte-nus ne seront paslibérés etqu’ils ne pourrontdonc récupérer ouutiliserdans undélai proche leurs biens.Ainsi, alorsqu’il n’y avait pasd’inten-tion à Drancy de« spolier »ou « d’aryaniser »,l’argent des internésjuifsrejoint le circuit desproduits del’aryanisation.Commeeux, il subit leprélèvement de10 % destinéà alimenter lecompte duCGQJ.

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Avant la rafle duVél’d’Hiv’, l’organisationde la comptabilié desinternés est réglée, les procédures rodées.L’ampleur de la rafle, savio-lence, qui se traduit parl’arrivée d’autobusentiers au camp deDrancy,troublent la mécanique mise en place.Il est alors hors dequestion dedonner desquittancespour lessommesreçues, nid’ouvrir le moindrecompte, d’autant que lespersonnesarrêtées restentparfoisau camp seu-lementquelquesjours avantd’être déportées.Kiffer, aidé par des inter-nés, rédige àla hâte 581 bordereaux quienregistrent les dépôts de6 914personnes,dont5 627seront reverséesà la CDC.Quandle flot desarrivées setarit, Kiffer s’attelleà la constitutiond’un fichier et au verse-ment àla CDC des comptes desraflés.

On trouveradansle rapport surDrancyla chronologie des ver-sements deKiffer. Au total, du 3juin 1942au 8 août1944,il a ouvert7 411 comptesindividuels de consignation, quiconcernent,tous, despersonnesinternéesentreaoût 1941 et juillet 1943.Le contenu de cescomptesprovient essentiellement del’argent pris sur les« raflés » duVel’d’Hiv’. Parallèlement,le service des consignations dela CDC ouvreun dossierindividuel. Chacun de ces dossiers est marqué dela mention« bien juif » et comporte les renseignementsrelatifs à l’état-civil du titu-laire du compte. Tous lesmouvementsopérés sur lecompte sontégale-mentprécisés. Dans sonrapport deliquidation descomptes deDrancy,Kiffer écritavoir versé àla Caissedes dépôts12039892,85 francs répartisen 7410 comptes.La CDC a retrouvé7 411 comptes pour un montantglobal de 12040 111,95.L’écart estnégligeable.

La CDC aconsigné 90% des sommesversées sur descomptesindividuels, 10% étant versés sur lecompte duCGQJ. Ellea appliquéaux 165 comptesouverts parKiffer entre le5 juin et le 8 août 1944 letaux deprélèvement de20 % fixé par la loi du 23 mars 1944. Déduc-tion faite desversements au compte duCGQJ - 1 247534, 20francs -10792 584,75 francs ont étéconsignés, soit unemoyenne de 1450francspar consignation,maisles montants sontcontrastés :le solde des comp-tes s’échelonne de1,50franc pour le plus petit à150255francspour leplus gros.Le montant de troisconsignations dépasse100000, alors quela majorité descomptes estinférieure à 1 000francs.

En dehors des sommesd’argent déposées par les détenus,sai-sies sureux, trouvéeslors des fouilles ducampopérées par lesgendar-mes oula police, des objets de différentenaturesontpris aux détenuslors deleur entrée au camp oulors des départs en déportation.Alors quetout ce qui concernel’argent déposé par les détenus et sa gestionn’alaissé qued’infimes tracesdans les divers récits et témoignages surlecamp deDrancy, le souvenir desfouilles est bienprésentchez lessurvi-vants, car leurs modalités furentle plus souventd’une terrible brutalité.Nous y reviendrons au chapitre suivant.

Dans un premier temps, lesfouilles avant ledépart desconvoisétaient opérées parla Police aux questions juives qui dépouillait

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littéralement les déportés,emportant tout ce quipouvait avoirquelquevaleur. Après quela préfecture de Policeaobtenule départ dela PQJ,lesobjetspris aux détenus ont été enregistrés,sans que nouspuissionsaffir-mer que cet enregistrement a été exhaustif.En mars1943, le comman-dant du camps’inquièted’avoirà sagarde, dans des locaux malsurveilléset mal fermés, ungrand nombred’objets« représentantune valeur consi-dérable» et« trèsencombrants». Unesolution esttrouvée,conformeà laréglementation en vigueurpour les campsd’internement : uncoffre à laBanque de France.Le premiercoffre loué parKiffer, le coffre 93, estunevéritable chambreforte. Kiffer procède au dépôt, par paquets, un paropération,c’est-à-direpar convoi de déportation.Ils sontficelés,cache-tés àla cire portant lesinitiales deKiffer car, il le précise,Drancy ne dis-pose pas de sceau. Chaquesaisie individuelle est placéedans uneenveloppefermée, avecla date,le nom de l’inspecteur qui aprocédéà lasaisie,le nom du propriétaire et les détails ducontenu. Aprèsl’arrivée deBrunner, cecoffre estdésormaistrop vaste,trop onéreux,puisqu’aucunobjet ne sera plus déposédans lesmains de fonctionnairesfrançais.Salocationest remplacée par celled’unearmoire forte.

QuandBrunner exclut dela gestion, de l’administration et delasurveillance ducamp les fonctionnairesfrançais, l’histoire de Drancypasse dela spoliation aupillage pur et simple, etnousla reprendrons auchapitre suivant.

La spoliation des biens desJuifs, qu’elle soit voulue ou occa-sionnelle commedans les campsd’internement,atteint des sommesconsidérables,sans doute autour de cinqmilliards de francs. Son carac-tère « légal » se marque notamment parla production d’archives.Cesarchives, qui ont permisd’en fairel’histoire, servirontdansl’après-guerreaux trèsamplesrestitutions.

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Les pillages :une affaire allemande

La spoliation, même si son inspirationfut nazie, a étépourl’essentielmise enoeuvrepar l’État français.Le pillageestune affairealle-mande.L’occupant s’intéresseà l’or et à certaines valeurscontenusdansles coffres desbanques, que leur propriétairesoit juif ou non; enrevanche,le pillage organisé des« biensculturels » -oeuvreset objetsd’art, archives,bibliothèques... -vise spécifiquement ceux queles nazisont définiscommejuifs. Au début del’année 1942, l’entreprisedepillagenazie seradicaliseet s’étendà tout ce que possèdent lesJuifs : les loge-mentsvacants, parce que leursoccupants se cachent, sontinternés oudéportés,sont systématiquement vidés.

Lespillages perpétrés par les Allemands n’ontjamais reçu l’avalde l’État français,y compris leCommissariat général auxquestionsjuives,même si certains Français -membres despartis collaborationnistes,mili-ciens,voyous entout genre... - les ontfacilitées ou en ontpersonnelle-ment profité. «Soucieux de protéger le patrimoinenational, notait LéonPoliakovà propos desoeuvresd’art, Vichy protestaitsanscesse, et danscesprotestations les hommes dumaréchal surent trouver des accentsqu’aucuneexécution ou déportation n’avait pu susciter.» Etde citer celledu 11 août 1941 del’amiral Darlan : « Cettequestion... appartient à lacatégorie decellesqui entraînent à la longue leplus d’amertume,les peu-ples en conservant jalousementle souvenir.»143 QuandBichelonnepro-teste en1942auprès des autorités d’occupationcontre le pillage desappartementslaissésvacants par lesJuifs, il use d’uneformule saisis-sante,évoquant ces«biens français constituéspar les mobiliersjuifs » 144.

Ces pillages s’enracinentdans uneidéologie quisert à lesjusti-fier, mais leurs modalités révèlent àquel point le nazisme est une poly-cratie.Sesdivers appareils enFrance -représentants duPlan deQuatreans dirigé par Göring, ducommandementmilitaire, du ministère desAffaires étrangères, des servicesd’Alfred Rosenberg -sont enrivalité et

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leursrivalitéssont aussi celles d’hommes corrompus,chezqui l’idéologieest souventprétexte auxrapines.

Ces pillages nesont pas les seuls que subissent lesJuifs deFrance.Ils sont aussi victimes de vols lors deleur arrestation,dans lescamps oùils sontinternés, surles lieux qu’ils abandonnent pouréchap-per aux arrestations.Ils sont souvent dépouillés parlesmembres desfor-ces de l’ordre - inspecteurs dela Police auxquestionsjuives, miliciens,gendarmes, douaniers, gardiens decamps... - ou par desimplesvoisins.Vols épars,occasionnels dont on retrouve ça etlà des traces, maisqu’ilest vain detenterd’étudier de façonexhaustive et impossible dechiffrer.

Premierspillages

Le DevisenschutzkommandoLe 14juin 1940,le jour même où les Allemandsentrentà Paris,

le Devisenschutzkommando(DSK ou Kommando de protection desdevises), quioeuvrepour lesservices du Plan dequatre ans de Göringchargé dela préparation économique dela guerre aveccompétencepour tous lespaysoccupés parl’Allemagne, bloque, sansconsidérationde nationalité ou de confession, lesdevises étrangères et lescoffreslouésdans lesbanques.Seshommess’installentdans leslocaux dela banqueLazard,ruePillet-Will. Lescoffresbloqués enzoneoccupéesontinvento-riés entre l’été 1940 et le printemps1941en présence de l’occupant.Quand le locataire n’a pas remisla clé, ils sont, au printemps1941,ouverts pareffraction.Lesvaleursétrangères etl’or sont retirés des cof-fres, bloquéssous dossierchez la banque qui enconstitue leséquestrepour le DSK.Un inventaire bilingue des devises, del’or, des diamants estadresséau DSK145.

Parsuite de l’ordonnanceallemande du28 mai 1941,un régimespécialest instituépour lescoffreslouéspar desJuifs.Les banques doi-vent lesdéclarer auCGQJ ; leurs locataires nepeuvent plus disposer deleurs avoirs en francsconservésdans cescoffres et ils ont droit à unevisite unique souscontrôle dubanquier pourretirer papiers etdocu-ments personnels.Le 22 décembre1941,l’occupant leur interditl’accèsàleurs coffres. À l’été 1942,le régime descoffres connaît unenouvelleinflexion. Le locatairejuif retrouvel’accèsà soncoffre, pourvuqu’il soitaccompagné d’unofficier ministériel ou d’un officier de policejudiciairedressantle compte rendu del’ouverture et l’adressant tout àla fois auCGQJet au DSK146. Plus de 6 000 de cescoffres ont été ouverts etlecontenu de 8 %d’entre euxpillés.

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Les «biensculturels » :unpillage idéologiqueLe pillage desbiensculturels est idéologique. Dansla vision du

monde desnazis,l’art « aryen »s’opposeà l’EntarteteKunst,« l’art dégé-néré »,c’est-à-direl’art modernestigmatisécomme« art juif ».

Le pillage desoeuvresdans lespays occupésobéit donc à descritères idéologico-raciaux.Il ne doit rien auhasard des conquêtes,maisse fonde surla recherche et l’enseignementuniversitaires ets’appuie surun corpsd’historiens del’art et de conservateurs spécialementformés.Deux grandsprojets, placéssous lepatronagedirect du Führer, expri-mentcette idéologie : un musée queHitler voulait créer àLinz et un Insti-tut de recherche surla questionjuive, dirigé par Rosenberg et doté d’unesectiond’archives et d’une bibliothèque. Environ40 000 volumes delabibliothèque del’Alliance israéliteuniverselle, lesfonds del’École rabbi-nique,la bibliothèque dela Fédération des sociétésjuives de France, lesfonds dela librairie Lipschützà Pariset diverses collections dela familleRothschild, y compris760 caisses d’archives dela banque ont étépilléspour l’Institut de Rosenberg.

Unpillage préparé delonguedateLe repérage discret des oeuvres avaitfait partie dela préparation

de la guerre etleur pillage longuementpréparé. Hitler avait eneffetordonné que lesoeuvresd’art et documents historiques publics etprivés« appartenant notammentà desJuifs » fussent« mis ensûreté »en vue de« servirde gagepour desnégociations de paix».

DansParisque l’exodea vidé de ses habitants, l’ambassadeurOtto Abetz requiert ungroupemilitaire de la police secrètepour mettre« ensécurité »dans des locaux dépendants del’ambassaded’Allemagne,rue deLille, quelques-unes descollections les plusconnues decollec-tionneurs et marchandsd’art juifs. Le 30 octobre, environ450 caisses ontquitté la rue deLille, pour être intégrées au dépôt del’ERR.

L’Einsatzstab Reichsleiter Rosenbergfür die BesetztenGebiete(état-major d’intervention ducommandant duReichRosenbergpour lesterritoires occupés) ouERR,créé en1940et financédirectement parlacaisse du parti nazi, est unorganisme hybride,mi-civil, mi-militaire. Il nes’embarrasse pas de détails juridiques : unbien, propriétéd’un Juif, doitêtre regardé comme unbien « sansmaître». Rosenberg,nazi dela pre-mière heure, est l’idéologue du parti, l’auteurdu Mythe du XXe siècle(1930),« bible »nazie enmatière de« race »vendue àplus d’un milliond’exemplaires.Sonnom seul est un programme.

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En septembre1940,la tâche des «Kommandos» placéssous sonautorité connaît une premièreinflexion. De la lutte contre« lesadversai-res idéologiques » - essentiellementles Juifset les francs-maçons147 - quiimplique la saisie detous lesdocuments les concernant,il passe àl’orga-nisation, fondée surl’idéologie, du pillage systématique des« trésorscul-turels», c’est-à-diredes objets etoeuvresd’art appartenant à desJuifs. Lesfondements de cepillage sont idéologiques. VonBehrqui dirigel’ ERRenFrancenote : « Lajuiverie consacre toutessesforces à la lutte contre lepeupleallemand...Le Rembrandt d’aujourd’huireprésentepratiquementle financement du combat antiallemand dedemain.C’est pourquoiil està ranger parmi le butin deguerre...»148. Une deuxième inflexion inter-viendraau début1942,avecla MöbelAktion.

L’ERR n’estpas seul à convoiter les« trésorsculturels». Soncom-bat avecl’ambassaded’Allemagneà Parisest bienconnu149. Mais c’estlui- grâce notamment àl’appui de Göring, associé aupillage - qui en sortvainqueur.Sespillages ont étél’objet de recherchespoussées150. Ainsidispose-t-on de près de 17000 références, quivont dela pièce d’argen-terie autableau demaître. Disons-le desuite : les objetsfigurant sur ceslistes ontpour l’essentiel étéretrouvés et restituésà leur propriétaire.

Commedansd’autresdomaines - lescomptes bancaires notam-ment - untrèspetit nombre de personnespossèdela plus grande partiedesoeuvres.Quatreprovenancesrassemblent plus de10000oeuvresetobjets,chaquespolié ayant été démuni de plus de 1000oeuvreschacun.Ce sont lesfamillesRothschild,David David-Weill, président du conseilartistique desMuséesnationaux,le collectionneur Alphonse Kann et lesmarchandsSeligmann. Pour cinq autres, le patrimoinespoliéva de 200 à999pièces : les collections ou stocksLévy de Benzion, Wildenstein, PaulRosenberg, Kraemer,Pregel Auxente et WalterStrauss.Les trois quartsdes bienssaisisl’ont été à 5 % des collectionneurs et2 % de ces biensl’ont été à 49 % des collectionneurs151. Ceux-ci font partie dela bour-geoisie israélite »des beauxquartiers : les8e, 16e et 17e arrondissementsde la capitale etNeuilly. L’ERR nes’estjamaisaventurédans les10e, 18e,19e et 20e arrondissements,c’est-à-diredansle « Parisyiddish ».C’est en

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1942,avecla mise enroute dela Möbel Aktion, que ces quartiers oùvivent les immigrés de l’Europecentrale et orientale serontvisités et quecertains objetsissus du pillage desappartementsvidés rejoindrontl’ERR.En revanche,le pillage dela collection Schloss,convoitéepersonnelle-mentpar Hitler - 333 oeuvresde maîtres flamandset hollandais -n’estpaslié à l’ERR.

Les destructions demonuments etoeuvresd’art lors de la pre-mière guerreétaientencore présentes dans lesmémoires en1939. Lesmusées,sous la direction deJacquesJaujard, chargésd’évacuer lesoeuvresversdes demeuresloin desvilles, firent bénéficiercertainscollec-tionneurs et marchands de cestransports. Collectionneurs et conserva-teurs appartiennent aumême milieu; les premiers sontsouventd’importantsdonateurs des musées.Le Louvre simuledonc desachatsqu’il antidate pour protéger lesoeuvresd’un départ versl’Allemagne.Quant auxcollectionneurs, lucides sur lesdangers auxquels lesexposel’occupationallemande,ils choisissentpour la plupart l’exil. Mais l’éloi-gnement deParis ne permit cependant pas desoustraire aux appétitsallemands lescaissesappartenant à despropriétaires considéréscommejuifs. L’ ERRdéploie les grands moyens :raflesde police, chantages, indi-cateurs...pour retrouver les caches de cesoeuvresd’art, bousculant aupassage les résistances du serviceallemand chargé de recenser lesoeuvres et les velléités des services deVichy désireux de s’approprier lesbiens.

Les oeuvrestransféréesenAllemagneLesoeuvres pilléessontdirigées parcamions entiers vers les sal-

les du musée duJeu de Paume,véritablegare detriagepour l’Allemagne.Göring s’y rend vingt et unefois pour choisir les oeuvres que sontrainprivéemporte. Defévrier 1941au27août 1944,quandle derniertrainestbloqué par deséléments dela 2e DB en gared’Aulnay, les convois se suc-cèdent verssarésidence deCarinhall,versle Führerbau deMunich, versdivers dépôts del’ERR situés essentiellement enBavière,mais aussi enAutriche et en Tchécoslovaquie.Les oeuvresd’art « dégénérées »sontmisesà part. D’autresfont l’objet d’autodafé152. Au Jeu de Paume, uneattachée desMuséesnationaux,RoseValland, observe sansrelâche lesmouvements desoeuvresvolées.Sesindicationsfaciliteront considéra-blement leurrécupération ultérieure.L’administration des Musées,deson côté,fait tout ce qui est en son pouvoirpour freiner la sortie de cesoeuvres du territoirenational.

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Un rapport surl’activité de l’ERR durantla période d’octobre1940à juillet 1944,fait état dutransfertenAllemagnede 203 collectionscontenant untotal de21903objetsd’art dont quelque 11000peintures etoeuvrespicturales,2 500 meubles,500 tapisseries et broderies précieu-ses153. Ces chiffres netiennent pas compte desexactions commises pardesofficiers et particuliersallemands et de toutesles oeuvresayantfaitl’objet de venteslégales, forcées ou àvil prix.

Unmarchéde l’art florissantParadoxalement,l’Occupationfut une périodeflorissantepour

le marché del’art. Les acheteurs allemands disposent de moyens quasiillimités pour acquérir «légalement »des oeuvres ;ils profitent d’unmarksurévalué et des fonds destinésà payer lesfraisd’occupation del’arméeallemande prévus parl’armistice. Plusieurs dizaines de transactions sefont au profit de Göring, deHitler, de quelquesautresdignitaires durégime.Des musées allemands (Cologne, Wuppertal,Francfort,Berlin,etc.), mais aussi la Reichsbank,le parti nazi, desadministrations, desfonctionnaires, desofficiers et simplesparticulierss’approvisionnentàParis.Les achats ontlieu en ventepublique, principalement à Drouot oùplus d’un million d’objetstransitenten 1941et 1942154.

Parmi lesoeuvres mises surle marché, un très petitnombre,désormaisbienrepéré, a été cédé parl’ERR. Lesopérationsdontelles ontétél’objet ont pu être reconstituées. Vingt-huitopérations d’échange por-tant sur unecentaine de tableaux ont été menées parsept individus.Leplus importantest le marchand allemand GustavRochlitz établi enFrancedepuis1933.Entrele 3mars1941et le 27 novembre1942,il reçoitquatre-vingt tableaux et envend trente et un.En 1945, trente-deuxtableaux sont retrouvésdans sonstock évacué enAllemagne ;dix-neuftableaux manquaient. Desopérations ontlieu aussidans les galeriespri-vées.Faire l’histoire de ce marché del’art exigerait que galeristes et mar-chands ouvrentleurs archives auxchercheurs, ce quin’estpasle cas. Desparticulierssontaussi contraints de céder desoeuvresà un prix dérisoirepour survivre ouacheterleur liberté.Sur ce marché, les oeuvresclassi-quesfont évidemment recette, mais on achèteaussi à bas prix lespein-tres « dégénérés ».Les muséesallemands ne peuvent certes pass’enporter acquéreurs,maisnombre departiculiers,dont le goût personneln’est pas conforme auxnonnes nazies, Göring notamment, s’enprocurent.

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L’aryanisation desgaleriesQuelquestableaux ont étémis surle marché àla suite del’arya-

nisation des galeries, mais celle-ci eut finalement peud’impact sur lemarché del’art. En effet,quandelle s’engagea, les acteursjuifs du marchéde l’art n’étaientplus à Paris.Leursstocksmis en sécurité, leurs activitésen sommeil,ils avaientquitté la France ou étaient passés enzonelibre.Quandintervientla loi du 22 juillet 1941,le marché del’art estdéjà large-ment « judenrein », nettoyé deJuifs, pour reprendre la terminologienazie. L’administrateur provisoire de la galerie JacquesSeligmann,Édouard Gras,constateainsi l’absence de stock.

Certains galeristesparviennentà faire nommer commeadminis-trateurs provisoires deshommes ou des femmes avec quiils ont un lienprivilégié. Celuidela galerieWildenstein est un employé delonguedate,RogerDequoy ;D.H. Kahnweiler cède sonfonds à sabelle-soeur,LouiseLeiris et Nicolas Landau lesien à sabelle-fille. Le fonds Zacharie Bir-chansky est vendu à unesociété qui a son agrément.À la Libération, ilferaconfirmer la vente.Vingt-six maisons autotal, soit plus de20 % descent seizemaisons,juives ou non, recenséesdansL’Annuaire de lacuriosité et desBeaux-Artsde 1939,ont fait l’objet d’une aryanisation, pastoujours aboutie.Certains deleurs administrateurs provisoires ontvendudes objetsà Drouot155.

La Möbel AktionSi une fraction de l’opinion publique a vibré, ces dernières

années, au rythme des pérégrinations de certainesgrandesoeuvrespil-lées, les victimesgardentle souvenird’unpillage d’une ampleur et d’unesignification particulières : celui de leurappartement.

La valeur symbolique de cepillage singulier est considérable enraison de sa naturemême.Le pillage systématique desappartementsestsans précédent.Il frappe ensuite par saradicalité et sasauvagerie : leslogements,ceux des beauxquartiers comme des quartiers populaires,sontentièrementvidés : mobiliers,objetsd’art etinstruments de musiques’il y en a, linge de maison,literie, vaisselle,vêtements, fourniturespourtailleur et cordonnier, papiers defamille (dont les polices d’assuran-ces...),photos, jusqu’aux prises de courant et aux garnitures deche-minée. Cette radicalité est l’expression dela volonté d’extirper(Ausrottung) les Juifs d’Europe. Elle exprime aussi « l’antisémitisme

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rédempteur»156, dans un momentbien particulier de la guerre.Car s’ilsdoivent àl’origine servir àla colonisation allemande àl’Est, ces meublessonttrès vite destinés aux sinistrés desbombardementsalliés, ycomprissur le territoire françaiscomme ceux du bombardement deBoulogne-Bil-lancourtde mars1942157, et surtoutà ceux des bombardements enAlle-magne.L’impact de ces bombardements est grand surla population ; lapropagandenazie et collaborationniste enrendles Juifsresponsables ; cesont des« bombardements juifs». C’estdonc auxJuifs qu’il incombe deréparer, en permettant d’aménager avec leur mobilier les habitations oùsontrelogés les sinistrés.

La prégnance du souvenir de cepillage s’explique aussi parlamémoire des victimes.L’art de la mémoire, inventé en Grèce,transmisàRome, intégré àla tradition del’Occident,montre quetoute mnémotech-nique passe par une technique de lieux et d’images 158. Le souvenirn’existe quelié aux lieux et aux objets.Le souvenir des morts en déporta-tion ne peutêtreconvoqué, parceux qui ontsurvécu, quedans leslieuxet parmi leschoses oùils ont vécu.Le « je mesouviens» de Pérec,dont lamèremourut àAuschwitz, estlié aux inventaires.

Parle nombre de personnesconcernées,l’ampleurde ce pillages’apparente à« l’aryanisation »des entreprises. S’apparenteseulement.Car l’« aryanisations’appuie surtout un arsenaljuridique et s’effectuedans un cadreadministratif, ce quidonnenaissance à degrandes quanti-tés d’archives.Le pillage desmeubles sejoue de toute légalité, ycompriscelle découlant del’armistice et dela collaboration.Sa sauvagerie mêmeexpliquequ’il a laissépeu de tracesarchivistiques.Pourtant - etc’est làencore une différence avec« l’aryanisation » -nous disposonsd’archivesdel’indemnisationprincipalement produites dansle cadre dela loi fédé-rale allemandedite loi BRüGet qui se trouvent pourl’essentiel àBerlin età Jérusalem159.

Lepillage desappartements :la Dienststelle WestenLe pillage desappartements abandonnés par lesJuifs, du plus

modeste au plus luxueux, présente,dans unepériode qui n’enmanquepas,un aspect« particulièrementhideux etlugubre »160.

En novembre 1941,Rosenberg est nomméministre du Reichpour lesterritoires occupés del’Est. Le 18 décembre1941,dans une note

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à Hitler, il lui demandel’autorisationd’enlever auprofit des administra-tions allemandesdans lesrégions occupées àl’Est le mobilier desappar-tements abandonnés par lesJuifs dans lesterritoires occupés del’Ouest.Les déportationsn’ont pas encorecommencé. Cesappartements sontceux desJuifs internés en masse et de ceux, nombreux, qui ont cherchérefuge enzone nonoccupée.Hitler accepte,mais Rosenberginsistepourque cette mission soit placéesousl’égide du ministèrepour lesterritoiresoccupés del’Est, et non souscelle de l’ ERR, car les problèmes posés parles confiscations et les transports excèdent les capacités decelui-ci. Le25mars1942est donccréée officiellementla DienststelleWesten(ServiceOuest), branche del’administration centrale du ministère qui agit enFrance, en Belgique et auxPays-Bas161.

La Dienststelle Westen,dont l’action, le personnel et leslocauxsontcomplètement séparés del’ ERR, est dirigée parKurt von Behr,dontles méthodes àla tête del’ERR auraient été contestées etl’autorité dis-cutée.La Dienststelles’installe au54 avenued’Iéna à Paris,immeuble quijusqu’alors était utilisé par l’état major de l’ ERR162. À partir de mars1942163, elle pille systématiquement lesappartementslaissésvides parleurs occupantsjuifs, hors de toutcontrôle des Français.Cette actionn’estapprouvée ni par legouvernement deVichy, ni par leCGQJqui endécrit les modalités del’extérieur.

Dans unpremiercas, leslocaux et lemobilier sont viséstout àlafois. Un officier allemand se présente chezle concierge ; sansproduirede mandat,il signifiequ’un locataire estjuif, placele local et son contenusousscellés.Le mobilier fait parfoisl’objet d’un inventaire, mais quin’estpas contradictoire.Les meublesgarnissant l’appartementsont enlevésparfois immédiatement, par un déménageur réquisitionné, parfoisplustard, sansbons deréquisition. « Leplus souvent, le même membre del’arméed’occupation qui dirigeaitlesopérations fait savoirau conciergequeson propriétairene pourra reprendre lalibre dispositiondel’apparte-ment ainsidéménagé. »Dans unsecondcas, lemobilier seul estsaisidans les garde-meubles oùceux quiavaient déménagé dufait descir-constancesl’avaientplacé.Et le CGQJ d’insister : « Danslesdeuxcas, ils’agit là d’une procédure propreaux autorités d’occupation, auxquellesleservice français et même leserviceallemand del’aryanisation des biensjuifs sontcomplètementétrangers. Le CGQJécarte l’hypothèsed’initiati-ves individuelles :

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« Le nombre de cassignalés au Commissariat, etles traits com-muns à tous ces cas permettentd’affirmer [...] que cesopérationssont fai-tes en application d’un plan d’ensemble établi par les autoritésd’occupation :1˚)en premierlieu, l’officier chargédeprocéderà l’inventaire et deplacerlesappartements sousscellés,s’il neprésentejamais demandatd’habili-tation à cesfins, déclare toujours releverd’un serviceallemand sis 54,avenued’Iéna, qui estdésignétantôt comme"L’EinsatzstabRosenberg"tantôt comme"L’EinsatzstabWestens-LeiterColonel Behr" ; [...]2˚) L’enlèvementdesmobiliers esteffectuépar desentreprisesfrançaisesde déménagement réquisitionnées parles Autorités allemandes parl’intermédiaire duComité d’organisation.3˚) Les mobiliers-juifssontgroupésdans deslocaux réquisitionnés à ceteffet,puis chargéssur deswagons dont la destinationestinconnue, saufpour une partie qui a étédistribuée aux victimes desbombardements dela Régionparisienne.On se trouvedonc enprésenced’une opération d’envergure, susceptibled’atteindre touslesappartements qui ont étépris à bail à Paris par desJuifs actuellement absents. Onpeut fixer approximativement à 4 000lenombre de cesappartements. »164

Le CGQJqui a biencomprisla nature decette opérationprévoitque toute protestation estvouée à l’échec.

Lesprotestations françaisesLe ministre des Finances protestecependantauprès duchef de

l’administration militaireallemande enFrance, qui n’en peutmais. Il noteque ces déménagementssauvageslèsent les propriétaires desmeublescertes, mais aussi les propriétaires desimmeubles« quisont ainsidépos-sédés desgages que laloi leur accordeet le fisc «qui perdégalement desgagesquela législationfiscalelui reconnaîtexpressémentpour lesimpôtset taxes »165. Ce qui le préoccupele plus, c’est l’importance despertessubies par lescollectivitéspubliques ou par lesparticuliers en raison durefus d’honorerle loyer deslocaux rendus indisponiblesà la suite desmesures prises par lesAllemands.À titre d’exemple,pour les apparte-mentsqu’elle louait, la ville de Parisa ainsiaccumulé4 250 199francs depertes au 1er octobre1943 166. Les autorités d’occupationne tiennent évi-demment aucuncompte de ces protestations auxquelleselles ne répon-dentmême pas.

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Lesarchives duCGQJet du Servicedes restitutions167, commeles bribes restantdanscelles dela Préfecture dePolice,contiennent uncertainnombre depièces réitérant les interdictionsallemandes de ventesaux enchères de mobilierappartenant àdesJuifs,fût-cepour payerleurscréanciers, et attestant lepillagesystématique de mobiliersappartenant àdesJuifset se trouvant dans des garde-meubles.Quelques rapportséva-luent, à des dates diverses,le nombre,le volume oula valeur des mobi-liers pillés, mais nous n’avons aucun moyen de lescritiquer168. Lespillages ont continuéjusqu’à la Libération ;ils ont été systématiquespourles appartements de zone nord,mais sont demeuréssporadiques danslereste dela France.

Comme la Dienststelle Westenavait compétence pourl’ensemble des territoires occupés àl’Ouest(France,Pays-Bas,Belgique),ses bilansd’activité ne distinguent pasla France,mais on considère engénéral quedeuxtiers des appartementspillés s’y trouvaient. Plusieursbilans ont été présentés au procès de Nuremberg,dont Rosenbergétaitl’un des accusés.Il serad’ailleurs condamné à mort etpendu.L’accusa-tion française, après avoirtraité de l’ERR et signalé qu’elle pris550000volumes enFrance, ainsi que les archives dela banqueRothschild,exposel’ampleurdu pillage.Elle cited’abord unelettrede Rosenberg auFührer, datée du 3 octobre 1942 :la Dienststelle Westen« a expédiéjusqu’à cejour 40 000tonnes de meublesversleReichen utilisant libre-ment tousles moyens detransports, bateau etchemin defer... Étantdonné qu’on areconnu queles besoinsdessinistrésdu Reich devaientavoir la préférencesur lesbesoins del’Est, le ministère duReichen a misune grandepart, plus de 19 500 tonnes, à la distribution dessinistrés...».Un autre rapport du4 novembre1943précise que« 52828 logementsjuifs ont étésaisiset placés sousscellés». Enfin, un rapportémanant desservices del’accuséRosenberg,indique que,jusqu’au 31 juillet 1944,69 619 appartements ont étépillés, que cesmobiliers comprennent plusde 1000 000de mètrescubes etqu’il a fallu utiliser 26 984wagons, soit674 trains,pour lestransporter169. À Parisseulement,38000 logementsauraient étévidés170.

Ce pillagen’a pas été ignoré aprèsla guerre,même siceux quien furent les victimesn’ont pas intégré alors, pas plusd’ailleursqu’aujourd’hui,le fait que les mobiliers ont été transférés en Allemagne.Les documentscités, rendus publics parle procès de Nuremberg, ontemporté la décision allemande,dans le cadre de la loi BRüG, de

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considérer que les mobiliers pilléslors de l’Action meubles avaient étédansleur plusgrandepartie collectivement transportés en Allemagne.

Le transport descontenusde cesappartementset leur destination

Le pillage des appartementsa été effectué de façonsauvage, autémoignage même d’unofficiel nazi comme Robert Scholz, conseillerprincipal de Rosenbergpour lesmatières artistiques.Lors d’une visite audépôt de la Möhel Aktion, ce haut fonctionnaire constatede très sérieuxdysfonctionnements« lors de la saisie detableaux et de la transmission deceux-ci auxvictimes desbombardements en Allemagne»171. Quand unappartement estvidé, « tout - meubles,tapis, lampes,vaisselle ettouslestableaux etphotosque l’on trouvedansl’appartement -estemportédansle même transport etconduit au lieu de dépôt», sanstenir compte delafragilité des objets.Les tableauxsaisissont endommagés : le verre estcassé, les toiles crevées.Ils sont ensuite empilés par dix oudouze dansdes caisses en bois par desemployés ignorant leur valeur et denouveauendommagés. Orils sont transférés en Allemagne engrandequantitépour décorer lesnouveaux logementsofferts aux sinistrés.Et c’est là que,pour le Dr Scholz,résidele scandale.Dans les deuxpiles témoinsqu’il aemportées aveclui deParisàBerlin « ontrouve nonseulement desoeuvresdégénéréesmais aussi desoeuvres dupeintre juif Mandel.Il est scanda-leux que, par ignorance etmanque descrupules, on arrive à importer cegenre dechosesen Allemagne et quecette action soit publiquementassociéeau nomd’Alfred Rosenberg».

Le Dr Scholzpasse alors dela question des tableaux àcelle, plusvaste, des autresobjetsdécoratifspillés. « Fondamentalement,écrit-il, ilfaut constaterquela plus grande partiedes soi-disantobjetsd’art, [...], quise trouventdanslesappartements de Juifs françaisestd’un goût lamen-table et nepeut enaucun casservir à embellir des appartementsalle-mands.CommeM. von Behr vide nonseulement des appartements deJuifs aiséschezlesquelsonpeutencore trouverquelquesobjetsde valeurartistique, maissaisit aussi touslesappartementsde Juifsmarchands ouvendeurs debric-à-brac, chacun qui connaît la mentalité juive saitd’avanceque danscesappartementsde Juifsdisposantde faiblesressour-ces[minderbemittelt]on ne trouve que desobjetsde décorationmurale ouautres d’un goût médiocre. L’état-major retenant en outre lesraresobjets intéressants,« il ne restequasimentrien pour le transport en Alle-magne quipourrait avoir de la valeur. En conséquence, latotalité destransports detableaux en Allemagne decetteM-Aktion n ’a aucunsens».

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Le Dr Scholzva plus loin : l’ensemble ducontenu des apparte-ments qui setrouve dans« lesgrandsdépôts de laM-Aktion à Paris »nevaut rien. Cesont des«vieilleries[...] que l’on est entrain de transporterinutilement enAllemagne.Lesobjetsd’ameublementquelesJuifs pauvresen Franceavaientdans leurs appartementssont sitypiquementmédio-cresetsales,quel’on ne rendaucunserviceaux victimesallemandes desbombardements en leurdonnant detellesvieillerieset en leur offrantdesbiensmobiliers quisont totalement inutilisablesselonla conception et lestyle de vie allemands ».Il conclut à l’urgence de réorganiser toutelaMöbel Aktion pour « empêcherque l’on gaspille inutilement de lamain-d’oeuvre et dumatérieldetransportpour transporteren Allemagnedu bric-à-brac inutilisable etsansvaleur».

Ainsi, le contenu dela plupart desappartements estinutili-sable,mêmepour des personnes qui ont tout perdu.C’est dire l’état depauvretédanslequel se trouvela majorité des Juifsparisiens issus del’immigration et encore appauvris par les exclusions des temps del’Occupation et deVichy puisqu’onjuge que dessinistrés qui onttoutperdu ne peuventmême pas utiliser ces mobiliers.Mais c’estaussimon-trer la profondeurd’un antisémitisme : le dégoût, le mépris de ceshom-mes qu’on est entrain d’assassinercontamine les objets qui les ontentourés.

Lesenlèvementssontassurés par les déménageursréquisitionnéspar les autorités d’occupation.À partir de juillet 1943,les objets pillésnesont plus directementenvoyés en Allemagne, maispassent dans descampsannexes decelui de Drancypour être triés et emballés : lecampannexe« Lévitan »,faubourgSaint-Martin,dans les locaux del’entreprisearyanisée, celuidit d’Austerlitz, quai dela Gare,le plus vaste, et,pour lesobjetsou meubles devaleur,un hôtel de la famille Cahend’Anvers, luiaussiaryanisé,rue Bassano. Unpetit centre fut aussi ouvert au60 rueClaudeBernard 172. D’autres furent spécialisésdans lesinstrumentsdemusique.

La destination originelle prévue par Rosenbergdansle cadre dela politique de colonisation allemandeà l’Est est bienvite abandonnée.C’estque lesAlliés ont commencé à bombarder lesvilles, en France, maisaussi en Allemagne.Dèslors, lesdestinataires des meublespilléssont lessinistrés desbombardements :allemands,mais aussi enpartie français.Dès le bombardement deBoulogne-Billancourtenmars 1942,des meu-bles pris aux Juifs sont distribués auxsinistréspar l’intermédiaire duCOSI,une oeuvre desecours dépendant deDéat.Un rapport de vonBehrpréciseque« jusqu’à la fin dumoisde février 1944,lesvictimesdesbom-bardementsengagées à Paris ont reçu dubureau des missions spéciales

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[ReferatSonderaufgaben]desmeubles etdesobjetsd’aménagement de lavaleur de 670 862,90 ReichsMarks» 173. Cette distribution procéderaitd’un accordentrel’ambassaded’Allemagneet le gouvernementfrançais.Mais von Behr préconise dela mettre enapplication« de façon à ce queles victimes françaisesdesbombardements nereçoivent que desobjetsuti-litaires, lesquels,du point de vue qualitatif, ne peuventêtre remis auxcamarades allemands, ouceux qui ne peuvent simplement pasêtretrans-portéshors de la zone desaisie. De cettefaçon,on évite decauser unpré-judice à la population allemande »174.

Uneextensionenzonesud ?Ce même mois demars1944, la DienststelleWestenenvisage

d’étendre les opérations auSud de la France,« unezone dangereuse,d’après les dernières nouvelles », est-il précisé, ce quiconstitue un belhommage àla Résistance.Elle se plaintd’un manqued’effectif, certainsde ses collaborateurs risquantd’être mobiliséspour la guerre,mais pré-cise,après unevisite deDarnandàla DienststelleWesten,pouvoir sefaireaider parla Milice.

Le rapporténumère ensuite lescatégories de Juifsdontle mobi-lier peut êtresaisi et lesobjetsà saisir dans les appartementsmis sousscellésdeJuifs arrêtés, dans leslieux de stockage demeubles desentre-prises de transport etaussidans leport deMarseille,prêtsà être envoyésoutre mer. Il suggèreensuite un argumentairepour justifier le pillagedansla zone sud, oùla présence allemanden’eut jamais la même pré-gnancequ’enzonenord et oùla fiction de l’indépendance dugouverne-ment deVichy fut en partie maintenue, même aprèsnovembre1942.Ilreprend la justification idéologique : « la saisie représente unacted’urgence et une justice distributivevis-à-visde la terreur desbombarde-ments juifs».Il s’agitbien là defaire payer auxJuifsce quela propagandenazie définit commela guerre desJuifs175.

La date tardive -fin mars1944 -laissepenser que ces opéra-tions n’ont pas pu êtremenées à bien, dumoins dansleur totalité. Carjusqu’à la fin de leur présence en France, les Allemands ont continuéàacheminer des biens enAllemagne.« Jenevouscache pas,écriten1946àun spolié Braun, alorsdirecteur duServicedes restitutions,que vousn’avezqu’une chance infime deretrouver vosbiens. Mêmependantlestout derniers joursde l’Occupation,aprèscessationtotaledu trafic ferro-viaire, des quantités decamions circulaient, acheminant vers

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l’Allemagne leproduit desvols que l’ennemicontinuait decommettre àParis » 176.

Ainsi, dans uneproportiondifficile à établir, qui sera évaluéepar les autorités ouest-allemandesà la fin des années cinquante à hauteurde 80% de l’ensemble desbiens pillés, le contenu des appartementsprend lechemin del’Allemagne : linge demaison,vaisselle,casseroles,objets décoratifs ou tableauxsans grandevaleur...En revanche, lesdevi-ses, lestitres et certainsobjetsd’art ou instruments demusique sonttrai-tés différemment. Devises ettitres sont transmis auDevisenschutz-kommandopour une valeur de10 035 367RM pour la France,lesPays-Baset la Belgique au29février1944selon un rapportd’activité 177.

Le pillage radical desappartementsfait parfois apparaître desobjets qui présentent uncaractère artistique. Ilssont alors transmis àl’ERR 178. Deslistesparticulièressont dressées -dix-huit au total - surles-quelles lesobjetssont répartis en catégories, repéréeschacune par unsigle : MA-B ou Möbel Aktion Bilder pour lesdessins et les arts graphi-ques ;MA-A pour lesobjetsd’art asiatiques... Danschaquecatégorie, unnuméro est attribué parordrechronologique de traitement qui permet dedisposer de donnéesquantitatives, sans que l’on puisse affirmeraujourd’hui avec certitude quetous lesobjets aient étéinscrits.Ceslistesne mentionnent ni les personnes auxquelles les objets ont étévolés,niles adresses oùils ont été trouvés ;leur désignation est si vague, et siimprécise leur descriptionqu’il est difficile de les identifier aveccerti-tude.Parmiles oeuvresconfiées parla suite aux musées et portantle sigleMNR (Muséesnationauxrécupération) figurentdouzetableaux, cinqdes-sins ettrois pièces demobilier quiproviennent del’Action meubles.Mal-gré les recherches,aucune lumière n’a pu être apportée sur leurspropriétaires au moment du pillage.

Les instrumentsde musiqueAu sein même del’ERR a été créé dèsl’été 1940un Sonderstab

Musik,dirigéparHerbertGerigk.Cetoffice spécial, chargé dupillagedesbibliothèques musicales et des instruments de musiquea été particulière-ment efficace179. Sesobjectifs sont d’abordidéologiques :il faut faire

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« revenir» en Allemagnetous les manuscrits, partitions,correspondan-ces...concernant les compositeursallemands, enpillant les institutionsou les particuliers qui lespossèdent; il faut ensuite lutter contre la« musiquedégénérée »,dont Darius Milhaud est l’emblème ; maisaussiprendrepossession des biens desJuifsqui ont émigré ou se sontinstallésen zonelibre et ce,dès le début del’Occupation.

Wanda Landowska(1879-1959),pianiste et claveciniste,fonda-trice à Saint-Leu-la-Forêtd’uneÉcole demusique anciennecélèbredansle monde entier, est une des premières victimes.Elle avait gagné lesÉtats-Unis.Dès septembre1940,sa maison est vidée, unequinzaine dedéménageurs emballentla bibliothèque et les instruments demusiquequi sonttransportés en Allemagne,malgré lesprotestationsfrançaises.Une partieseulement seraretrouvée et restituée aprèsla guerre180.

Comme pour lesoeuvresd’art, le Sonderstab Musikvoit sesactivi-tés démultipliées parl’Action meubles.C’est en effet un véritableflot depianos qui entre en possession desnazis.Willem de Vriesa renoncé àcompterle nombred’instrumentsde musiqueconfisquésen 1940et 1941ou entrés enla possession duSonderstab Musikà la suite del’Action meu-bles,entremai 1942et août1944,maisil mentionne un certainnombre dedocumentsattestantle transport enAllemagned’un grandnombre depia-nos181. Le 21 juillet 1944,deuxwagons contenantquarante-troispianosquittent Parispour la Silésieet pourFrancfort-sur-Oder.C’est, apparem-ment, le derniertransportd’instruments demusique.

Avantleur transport en Allemagne, lespianossontstockésdansdivers dépôts où une partie d’entre euxserontretrouvés àla Libération.Certains de ces dépôtssontréservés aux instruments demusique, commecelui duPalais deTokyo, où sontstockéspianosdroits et pianos àqueue.Dans une aile du musée national desBeaux-Arts,rue de la Manutention,en novembre1942,sont également apportés un grandnombred’instru-ments provenant del’Action meubles.Un garage dela rue deRichelieu,principalementdépôtpour livres et partitions,sertaussi de magasinpourles pianos.Enfin, les camps deBassano etd’Austerlitz abritent aussi desinstruments de musique.Celuid’Austerlitzcomporte unatelier de répara-tion182. Cet atelierest financépar l’organisation de loisir nazie Kraftdurch Freude,« la force à traversla joie », qui s’estportée acquéreur dequelquecinq cents pianos.Car le Sonderstab Musiknégocieavecdiver-ses organisations national-socialistes les instrumentsqu’il a pillés. Desemployésfrançaissontrecrutéspour réparer les instrumentsdansl’ate-lier d’Austerlitz. Le 13mars1944,Gerigkréclamel’aide de la Dienststelle

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Westen: des recherches devraient êtrefaitesdans les campspourJuifs(Judenlager) pour trouver un constructeur depiano ou uneJuive pia-niste. Le 15avril, il récidive.Cettefois, il recherche deuxJuifs ouJuivesqui pourraient nettoyer sérieusement lespianos droits et lespianosàqueueavant leur transport.Il exige une enquêtepour savoir si parmi lesinternésfigurent des experts en pianos ou desmusiciens183.

Quandle Sonderstab MusikquitteParisen mêmetemps que lestroupesd’occupation,il laissequelque deuxmille pianosdans sesdiversdépôts ou dans les locauxréquisitionnés par les forces d’occupationallemandes.

Autre pillage allemand :les biensdeDrancyà l’époqued’Aloïs Brunner

QuandAloïs Brunner décided’exclure les fonctionnaires fran-çais dela gestion, del’administration et dela surveillance àl’intérieur ducamp, il exige que lestâches qui étaient les leurs soient désormaisconfiées aux détenus.Lesinternés déposent désormaisleurargentcontre« un reçumensonger »184. Georges Wellersexplique :«c’estégalement àun petit groupe deM.S.[membres duserviced’ordre], toujourslesmêmes,que fut confiéela besognede fouiller les nouveauxarrivants. Cette fouillese faisait correctementet sans incidentsgraves,bien qu ’elle laissât uneimpression de surprise assez pénible àceux quivenaientd’arriver »185.

Le 10 mai 1944,le docteurJ. De Morsier, délégué duComitéinternational dela Croix-Rouge,visite le camp deDrancy.Il note quelagarde intérieure ducamp,complètement réorganisée par Brunner, estassurée par des«israélitesfrançais ». Brunner auraitgrandementamé-lioré la vie du camp.« Il va sansdire quelesdébuts de sonadministrationont été assezdurs car il a voulu supprimer des habitudes quiavaientrendula vie du camp tout à faitimpossible.En effet,le marché noir,lacombine,lespossibilitésqu’avaientceux quipossédaientde l’argent et lamisère deceux quin’enavaient pas, créaientsanscessedes troubles inté-rieurs qui nepouvaient quefavoriser les incidentsregrettables.Depuislors, le capitaineBrunner asupprimétout argent à l’intérieur ducamp :lorsqu’un interné arrive, son argent, ses bijoux, sont misdans u ncoffre-fort du service financier du camp (tenu parles internéseux-mêmes) contrereçu, et lui seront rendus à salibération. Aucun

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marché monnayé nepeut pluss’établir à l’intérieur du camp.Évidem-ment,celui qui nefumepaspeut toujourséchangersescigarettescontreautre chose,mais néanmoins, letroc est très restreint. » 186

Le délégué duCICR n’a pas tort.Les internés vivent infinimentmieux à Drancy quependant lesmoisterriblesde 1941.Mais la « bonté »dont il crédite Brunner,l’homme qui a déporté lesJuifs de Salonique ettraqué enpersonne,à partir de septembre1943avec unerare brutalitéceux qui résidaient, enFrance, dans la zone italienne,cache soninflexible volonté de déporter versla mort tous lesJuifs de France,enusant selon lescasde la ruse ou dela violence.

De cette période del’histoire du camp deDrancysubsistent desdocuments communément appelés« carnetsde fouilles », conservés auCDJC 187. Cesont 173carnets numérotés de 1 à 175(il n’y a ni carnet91nicarnet 100) etcontenant 13686reçus établisentrele 4 septembre1943etle 14août1944.Pourchaqueinterné,la souche portele nom del’interné,son numéro matriculeà Drancy,sadated’entrée au camp,saprovenanceet les bienssaisislors de la fouille. En règle générale,quandplusieursmembres dela mêmefamille arrivent aucamp enmême temps,il n’estétabli qu’unseul reçu.Les biensinscritssur les reçussontceux que lesinternés ontavec eux. Toutefois,il est parfoisfait mention, quandl’interné est transféréd’un autre lieu d’internement :« ... sommeremisepar la PA [police allemande]de...». Pour l’essentiel, lesbiens dont il estici question consistent en argentfrançais,devisesétrangères diverses,bijoux detoutes sortes ouencoretitres etbons dutrésordont lesréféren-ces sontnotées avec unetrèsgrandeprécision.Lespetitessommes sonten majorité.

Que sont devenusl’argentou les biensdont lesinternés ont étédépossédés ?Nousn’avonsqu’une seule certitude :remis aux Allemands,ils n’ont pas suivi des circuits administratifs français.Le plus probable estqu’ils ont été envoyés en Allemagne ou emportés par lesSS dansleurfuite. C’est du moins ce que disent de trop rares témoignages.

Au début des années1960,la République fédéraled’Allemagneconsidérera que les bienspris à Drancy ont été transportés en Allemagneet qu’ils doiventêtre indemnisés.

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Lesvols informelsAlors que les pillagesallemands sontl’oeuvre d’organisations

constituées dansle but précis depiller, la situation desJuifs les exposeàd’autrestypes devols, occasionnels.

Dans les campsd’internement :le marchénoirLes internés répugnentsouvent à déposer àl’entréedu camp les

sommes ouobjets précieuxqu’ils ont sur eux.Lesarchivesportent lestra-ces de ces sommesdissimulées au mépris du règlementlorsqu’ellessontsaisieslors d’unefouille, même sicette entorse au règlement estpunie dejours àpasserdans lesprisons ou cachots du camp.Le chef ducamp duVernet signale ainsi que lors d’uneopération depolice à l’intérieur ducamp, desinternés ont été trouvésporteurs de sommessupérieures à cel-les autorisées parle règlement.« J’ai infligé aux intéressés,écrit-il, unesanction de quatrejours deprison etlessommes en excédent ont étéver-séesà leur compte à latrésoreriedu camp. Jesignale,poursuit-il, qu’àcetteoccasion que,tant au point de vued’hygiène qu’àcelui desanction,tout interné puni de quatre jours de prison etplus, subit la tonte desche-veux, mesure dontle résultats’estd’oresetdéjàavérécommetrèsefficacecar elletoucheparticulièrement lecôtésensible desinternés.» 188

L’argent que les internésconservent par-devers euxpermetd’acheter les gardienspour tenter une évasion, oupoursimplement cor-respondreavec safamille. Des sommesparfois considérablesentrentainsi dansla poche decertainsmembres des personnels qui gardent lescamps oualimentent un considérable marché noir.Lestravaux dela Mis-sion ont permisd’éclairer celui de Drancy.

Les conditions qui prévalent lors del’internement despremiersJuifs, le 20 août 1941,sontterribles.Rien n’a été préparépour accueillirles internés, etle règlement, imposé par les Allemands, est d’une sévéritéinégalée.Il est,dans lespremiers temps,interdit de recevoir descolis, etmême, selon uneformuleétrange,« de fumerd’une façon permanenteetde détenir dutabac et desallumettes». La correspondance eststrictementlimitée. Toutes cesinterdictions fontle lit du marché noir.

Maurice Kiffer, comptable du campdont l’intégrité est totale etque G. Wellersclasseparmi ceux,« toutà fait humains,irréprochablesdans leurs manières,franchement hostiles auxpersécutionsqui frap-paient lesinnocentsrassemblésau camp» 189, rendcompte dans plusieursrapports desmécanismes quiengendrentle marché noir. Derrière le styleadministratif percel’indignation tout à la fois surle sortfait aux internés

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et sur l’absence descrupules decertains fonctionnaires. Dès sa prise defonction, il a été« surpris parl’étrangetédeschoses dont il entend parleret il s’estalors livré à une rapideenquête190. Le premier souci deceuxqui sontà Drancy,écrit-il, est de prévenir les leurs.« La correspondanceétant interdite, desmoyens clandestins decommuniqueravec l’extérieurs’organisèrentdonc desuite, et pour ainsidire spontanément.Lesautobusarrivant et repartant tout aulong de lajournée,deslettresfurent remisesau conducteur, la plupart dutempsgratuitement,quelquefois avec u npourboire plus oumoins important etpouvantaller jusqu’à 20 francs.Aubout dedeux jours,lesarrivéesse faisant plusrareset leservicede gardeplus sévèreautour desvoitures, lacorrespondance partit parl’intermé-diaire depersonnesqueleurs fonctionsappelaientdansle camp.Leprixdu serviceainsi renduatteignait à cemoment 50 à 100 francs parlettre.Il faut noter quedèsce moment unphénomène curieuxseproduisit, u nmarché fermés’établissaità l’intérieur duquellesvaleursn’avaientplusaucun rapport avec celles du mondeextérieur, pain, tabac, denréesdiverses,monnaiess’échangeaientdans des conditionsnouvelles et à descours extraordinaires. Uneenveloppe,une feuillede papierà écrirevalentchacune 5 francs, lacigaretteatteint rapidement 125 francs, lepaquetdecigarettes 2 000, la ration depain 350 francs».

Et d’expliquer l’extrême hétérogénéité desdétenus.Les richesqui sont prêtsà tout pour « satisfaireleurs besoins ou leursdésirs »; lespauvres,«dont les famillessont dans lamisèrepensentdéjà aux lende-mains deleur libération etvendent au pluscher cequ’ils ontpu se procu-rer afin d’économiser.Lesprix ainsipratiquésfont rechercherlesservicesde ceux qui peuventapportervivres ettabac del’extérieur et ces servicessont largement rémunérés.Nedit-on pasqu’uncolisa valu 10 000 francsà sontransporteur ? »Les courss’établissentla nuit, « aux latrines etdansun local du rez de chausséeresté ouvert et vacant.Là les billets de1 000 francss’échangent contreproduits etservicesau plus offrant etaprèsenchères.Il en résulte un fléchissement descours, mais lacigarettetoujours très demandée fait encore 75 francs, la ration depain200francs ». Maurice Kiffer précise toutefois que lestrafics, le marchénoir ne concernent que 10à 15% des détenus.« Lesautres,écrit-il, sontde pauvreshèresque rongent lamisère et lamaladie ou des hommes pro-besqui subissentleur sort avecrésignation »191. Le 7 décembre1941,iladresse un nouveau rapport sur« lesscandales de Drancy». Cettefois,des gendarmes, quin’étaient pas nommés,sinon indirectement, sontdirectement mis en cause.Ils se livrent non seulement aumarché noir,maisencoreservent defacteur,prenant50francs parlettre.Pourle port àdomicile, la sommes’élève de500à 1000francsselonla tête du client etle ravitaillement àlui apporter.

La documentation Française :

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Le marché noir quinaît ainsidansle camp, trèslargementali-menté par certainsgendarmes, necesserajamais. Quand,à partir denovembre1941,les internéssont autorisés à recevoir descolis, ceux-cisontfouillés par uneéquipe degendarmes qui enretirent ce qui est pro-hibé : tabac,lettresclandestines, papiers àlettres, rasoirs,etc192. Ils selivrent aussi à des exactions. Unsoir, c’est un maréchal-des-logis chef,complètementivre qui parcourtle camp en arrachant les portefeuillesdes hommesqu’il rencontre.Le capitaine, prévenu, arrive sa cravache àla main :« il estdans un desesjours decriseet parcourt lecamp en crava-chanttousles internés,hommes etfemmesqu’il trouvesur sonpassage».Le lendemainmatin,« lecapitaine Vieuxrecommence ses séances de cra-vache.[...] Unepartie desportefeuillesqui ont étépris la veille au soir [...]sontdéposés aubureau del’adjudant, maisaucund’eux ne contient plusd’argent»193.

Quelques semainesplustard,un millier deJuifsallemandsarri-vent deGursà Drancy avec denombreuxbagages, desvalises et mêmedes malles. Dansla nuit, ils procèdent autri de leurs bagages,« à tâtons,sanslumière». Dansla cours’entassent alors descentaines devalises etde malles« peuà peu pillées par lesinternéset parlesgendarmes,chargésdegardercescolis ». Plutôtque delaisserprendreargent et bijoux par lesinspecteurs dela PQJ,la Police auxquestionsjuives, «des partants déchi-rent leurs billets de banque etles jettent aux WC, d’autres cachentlesbijoux dans lesrecoins dechambres,etc ...». Encorequelquessemaines,et les mêmes scènes se répètent avec lesarrivées d’internés deRivesaltes,desMilles et de Compiègne et dela ville de Tours.« Cesarrivéessont tel-lementnombreusesqu’on n’a pas eu letemps defouiller les arrivants. »Mais les gendarmes procèdent à unefouille anormale, puisqueaucunreprésentant ducaissiern’estprésentpour recueillir l’argentdes détenus.GeorgesKohn, alerté, intervient etdemandeà un gendarmela raison decette fouille tardive. « Il me répondavec une naïvesimplicité : "on adécidé lafouille parce que nousn’avionsplus detabac". »194 Mêmelecommandant des gendarmes participe aux exactions :«Le capitaine Vieuxm’avait imposéde prendrecommechef d’escalier un desesjeunesamis

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internés,nomméS.Cedernier m’avouequ’il vend descigarettes aumarchénoir du camp, pourle compte du capitaine Vieux.»195

L’état des archives dela gendarmerie196 n’a pas permis d’établiravecla précisionsouhaitablele rôle decertains gendarmesdansla spo-liation sauvage des détenus.Il seraitd’autrepart vain de vouloirla chif-frer. Elle contribue pourtant,avec leur milieu social,à expliquerpourquoi tant d’internés nepossèdent pas decomptes et pourquoi lessommes quifigurent sur lescomptessont en généralmodestes.Il est pos-sible d’affirmer que, del’ouverture du camp à leurexpulsion dupéri-mètre intérieur ducamp, des gendarmes ontpillé les colis dont ilsassuraientla fouille, qu’ils sesontlivrés à unintense marché noirportantsurla nourriture etle port dela correspondance, etsurtout sur les cigaret-tes dontils ont organiséla raretédans le camp.Georges Kohn noteainsi :« À Compiègne letabacétait autorisé etavantnotre départlesAllemandsnous avaientvendu à chacun,officiellement, 4 paquets decigarettes.ÀDrancy, le tabacétait interdit, nousfûmesfouillés par lesgendarmesdèsnotre arrivée dans le camp.Ils retirèrent les cigarettes vendues lematin. »197

De ces trafics divers, la direction dela gendarmerie est cons-ciente.Elle s’en inquièted’ailleurs puisque un nombre nonnégligeablede gendarmes sontrévoqués,sans quejamaisle marché noirà Drancy ensoit affecté,comme en témoignent les rapportsretrouvésdans lesarchi-vesde la gendarmerie198.

Le premier rapport retrouvé signale quequinzegradés etgen-darmes ont été punis de45 à 60 jours d’arrêts derigueur pour «compro-missions, trafic avecles internés» et quedouzegradés etgendarmes ontété l’objet d’exclusion définitive dela gendarmeriepour « mauvaiseconduitehabituelle,violationsdeconsigne, traficsavecles internés,fau-tesgravesdans leservice». Le groupement deréserves motorisées deDrancy totalise le plus grand nombre de punis etd’exclus (dix surdix-huit) : « Lesconditionsdanslesquellesles circonstanceslesont placés(gardedes Juifs)ont prouvé que certains de ces élémentsn’avaientaucunsens moral et n’avaient pas surésister à l’appât dugain. » 199 L’explica-tion est imprégnée des préjugés antisémites de l’époque. Unrapportplus tardif « constate toujours aucamp deDrancy un relâchement de laconscienceprofessionnelle. L’esprit de lucre, aboutissement de la

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propagandeet del’action juives, continueà entraînerlesgendarmeshorsdu droit chemin, etlessanctionsprises n’arrêtent pasles mauvaisélé-ments»200. Depuis le dernier rapport septgendarmes etgradés ont étépunis de25à60 jours d’arrêtsde rigueurpour trafic avec les internés ; ungendarmea été réformé parmesuredisciplinaire etdeux autresrévo-qués. Selonle colonel,« onsentchezce personnelun malaisecausé parlesévénements.Lespensées nes’extériorisentplus comme par lepassé.Laprésencedes Juifsinflue sur le moral du personnel.Par leurs platitudes,leurs manièresdoucereuses,leurs plaintes continuelles etaussi parl’argent qu’ils répandent à pleines mains, les Juifsont détruit la cons-cienceprofessionnelle de certainsgendarmes».

Le dernier rapport signale1er juillet 1943que « le trafic aveclesinternés aucamp deDrancy a encore continué cetrimestre ; 8 gendar-mes ontétépunis pourcemotif contre 7 pendantle trimestreprécédent.Lespunitions sévèresinfligées, les éliminations successives desmauvaisélémentspermettentd’espérer, dans unavenir prochain, unediminutiondu trafic ». Pour empêcher au maximum ces«honteuxtrafics [...] la sur-veillancedesgradéset des officiersa étérenforcéeet étendueet [...] toutgendarme punipour trafic est,dèsque lafauteestconnueet prouvée,misaux arrêts de rigueurdans lasallede discipline »201.

Policeaux questionsjuiveset Sectiond’enquêteet decontrôle

La Policedes questionsjuives (PQJ)crééele 19 octobre1941puis transforméele 5 août 1942 en Sectiond’enquête et de contrôle(SEC)202 devient alors etdemeurejusqu’à la Libération un service duCGQJ.Cette police parallèle estcomposée de véritablescrapulesspécia-liséesdansla chasseauxJuifs et le vol de leurs biens.

En zone occupée,écritJosephBillig, « laPQJ pouvaittout se per-mettre »203. Cefut notammentle cas àDrancy. Dans unrapport du29juil-let 1942,Roethkeordonne que« tousles Juifsqui doiventêtre déportésàAuschwitzsont àsoumettre,avant letransport, à une stricte visitecorpo-relle. Cetteprocédurea étéexécutée jusqu’à présentà Drancypar la Police

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antijuivefrançaise et a prouvédans de nombreux casque, malgré ladéfenseformelle, lesJuifs ont essayéd’emporter clandestinementdesobjetsinterdits.Il estdoncd’autant plusnécessairequeles Juifsde la zonenon occupéesoientfouillés avant le départ »204. GeorgesWellers décritcette équipe de sixhommes et unefemme :« Leshommes avaientl’aspectet lesmanières debruteset la femme s’harmonisaitavecsescollègues. » Ilraconte comment,la veille de la déportation, les enfants, certains âgés dedeux outroisans, furentaussi fouillés par lesinspecteurs dela PQJ :«Lespetites broches,lesbouclesd’oreilles, lespetitsbraceletsétaient confisquéspar lesPQJ. Un jour, une fillette de dix anssortit dela baraqueavec uneoreillesanglanteparcequele fouilleur lui avait arraché la boucled’oreilleque,dans saterreur, ellen’arrivait pas à enleverassezrapidement. »205

« Cesinspecteurs,au témoignagede G. Kohn, ne font pas partiedescadresréguliersde lapolice.Ils ont étérecrutés enpartie parmi lessoute-neursdesquartiers : Pigalleetautres.Ils fouillent les femmesetsurtout lesjeunesfilles avec des réflexions grasseset desgestes obscènes. »206 Etencore :« Il y a constamment desscènestragiques ou desscènes debruta-lité. »Les inspecteurs dela PQJ« ne secachaient pas beaucoup[...]pourmettredansleurs pochesles billetsde banque,lesbijoux, lesmontres,lesstylos ;pour mettredecôtéle linge enbonétat,surtout le linge de femmeset pour voler : couvertures,fourrures, manteaux.Ils mettaient égalementdecôté, au cours dechaquefouille, quelquesbelles valisesqui leurser-vaient lesoir à emporter leurbutin dans lavoiture quivenaitleschercher.Il n’était tenu aucuncontrôle, ni dessommes, ni des bijouxenlevés auxdéportés207.

À trois reprises,la PQJ remetà Maurice Kiffer le produit desfouilles effectuées avant les déportations du27 mars 1942(11 538,15francs),du 28 avril 1942(5 542,20francs) et du21 juin 1942(3 505,15francs).L’extrêmemodicité dessommeslaissesupposerqu’unepartie del’argent n’apas été remise au caissier.Lesbijoux et objetssaisistels que montres,bagues,alliances,couteaux,rasoirs,fourchettes,bri-quets, glaces et devisesétrangèresn’ont pasdavantage étéremis au cais-sier deDrancy.Ils ont été probablementvolés par lesagents dela PQJ.

La PQJa procédéàd’autres fouilles,notamment sur les internésde la rafle du Vél’d’Hiv’. Dans unelettredu 28 juillet 1942,Kiffer informele commandant du camp que,s’il a récupéré leproduit desfouilles des20et 22 juillet 1942qui s’élèveà 570542francs,il a peu d’espoir de récupé-rer le produit desfouilles des23 et 26 juillet, « les inspecteursde laPQJayant toutemporté».Le 10 août,il «remboursait »à M. Schweblin, direc-teur de la PQJ, les 570542 francs versésquelquesjours auparavant.

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Lorsque lessommesétaient importantes, les inspecteursdela PQJse gar-daient bien de lesremettre au caissier de Drancy208.

Dans lescamps duLoiret, le problème del’argent et des bijouxse pose danstermes nouveauxavec l’arrivée massive despersonnestransférées aprèsla rafle du Vél’d’Hiv’, puis envoyées àDrancy. Le24 juillet 1942,le préfetrégionaldemande auCGQJce qu’il doit faire del’argent et desnombreuxobjetspersonnels -«montres etbagues » -lais-sés entre les mains ducommandant du camp.Le CGQJrépond quetousles objets doiventêtre mis à sa disposition.L’argent et les bijouxdontsont porteurs lesJuifs transférés deParisdans les camps duLoiret doiventleur être retirés et égalementmis à la disposition duCGQJ209. En fait,c’est la Section d’enquête et de contrôle qui est ledestinataire de cesbiens, à chargepour elle de les remettre aux autorités d’occupation.

Après le convoi du 17juillet 1942qui emmène 999 personnesde Pithiviersà Auschwitz,les Allemandscessent de pratiquer lesfouilles.Les biens des détenus sontdésormais propriété del’État français210. LaPQJse charge desfouilles avecla même brutalité etla même cupidité.Schweblin211, qui en estle chef,se présente avec quelques-uns de sespoliciers quiportent« un ceinturon soutenantd’un côté un revolver et del’autre une matraque ».Ils donnentl’impression de«brutes, debanditsplutôt qued’honnêtes fonctionnaires »212. Le chef de la PQJinstalle sesaides etrevient aucamp lesoir pour récupérerle produit dela rafle.Chaque aide sefait assister d’undouanier. Danschaquebaraque, unetable, avec unepersonnechargée de recevoirl’argent, une autre lesbijoux. Les internés défilent,sont soumis à unefouille «méticuleuse etinjurieuse ». Ils doivent quitterleur pantalon,sontbattus.« Jene parleraipasdela fouille desfemmes,précisele rapport,effectuéeendesendroitsintimes ». Tout ce qui est trouvé est entassédans desrécipients,sansidentificationaucune dupropriétaire. Comme à Drancy,tout est ensuiteentassé dans desvalises,portéesdansla voiture de Schweblin.Et de con-clure : « Detouteslesinvestigationsexercéespar la Policeaux Questionsjuives, aucunetrace nesubsiste. » 213

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AutresexactionsLes internés descamps deLoiret furent les victimes d’exactions

diverses perpétréespar des acteurs multiples.En novembre1943,alorsque le camp dePithiviers n’abriteplus deJuifs depuismaintenant uneannée,la perception dePithiviers rédige unrapport sur lesfouilles et lessévices subis par les internésjuifs 214. Il est accablant.Les irrégularités etles volssontprésentsà toutes les étapes dela vie des détenus, opérés partoutes lesautorités quiassurentla garde du camp oule transfert des inter-nés. C’est l’enregistrement des bijoux et desvaleurs effectué de façonévasive :« Il était facilede substituer untitre ou unbillet de banque sansqu’il n’en restetrace. À différentsdépôtsmentionnant unemontre or ouprésumé il était facile d’échanger une montre devaleur contre unemontre en plaqué.J’ai égalementrelevé "montre présuméeargent" alorsqu’elle était en or blanc avec sixdiamants incrustés. »Pour éviter cesfraudes,le percepteur, en accord avecle gestionnaire du camp, procèdeà des relevés détaillés et précis. Sont ainsi notésla marque des montres etleur numéro,le poids des bracelets.Mais il n’obtient aucunrelevé signédes internés ou des chefs debaraque, reconnaissantl’authenticité desobjetssaisis215.

Quant aunuméraire, les lacunes sontnombreuses. Des sommesparfois importantes, atteignant40000 francs,figurent aveccomme seuleindicationle nom patronymique.La fouille des internés arrivés aprèslarafle duVél’d’Hiv’ et qui quittentle camp lespremiersjours d’août apro-duit 579697francs,comptabilisésle 30juillet 1942.Là encore,le percep-teur pointe lesinfractions au règlement :le produit desfouilles dont lerelevéestincertainn’estpas porté au fichier,aucun récépissén’a été déli-vré, l’internén’a pas reconnu sondépôt.« Il résulte desquestionsposéesaupersonnel quelesbillets de banquepouvaient facilement allerdans lapochedesdouanierschargésdela fouille. D’ailleurs, plusieursde ceux-ciont été punis depeines deprison à la suite demalhonnêtetévis-à-vis desinternés.La majorité d’entre eux ont échappé auxsanctionslorsqu’ilsvendaient un jeu decartes 1000 francs,se faisaientremettre 25 000francs pour faciliter uneévasionqui ne seréalisait jamais, lorsqu’uninterné remettait del’argent pour êtreexpédié à sa famille et queledoua-nier le conservaitpour lui ou enadressaitseulement une partie,lorsqu’ilétait demandé 50francspour posterunelettre.

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Après le départ des internés, les gardiens des campsfouillentminutieusement les baraquesvides, s’emparant de tout cequ’ils trou-vent216. Les Allemands qui escortent les colonnes de déportés procèdentà une dernière fouille alorsqu’ils sont enordre dedépart versla gare.Siles premiers ne peuventéchapperà cette fouille, les dernierspréfèrentprétexterparfoisune indispositionpour « faire disparaîtredans les WCdesliassesdebillets.Des sommesimportantes ont étédéchirées et éparpil-léesdansle camp »217.

Aux vols des gardienss’ajouteparfoisceux desvoisins. On ren-contre dans lesarchives dela restitution des lettres depersonnes quidemandenthonnêtement quefaire des biens que leur ontconfiésdesJuifs avantleur arrestation.Mais les récits duretour chez eux desraressurvivants dela déportation ou deceux quis’étaientcachés racontentsouvent la même histoire : la vaisselle dela maison utilisée par laconcierge,la voisine vêtue dumanteau dela mère morte àAuschwitz,des meublesdésormaischezle voisin. L’extrême pénurie destemps del’Occupationrendprécieuses les petiteschoses du quotidien etaffaiblis-sent lesbarrières morales.Pourquoi ne pasutiliser ce dont ona tellementbesoinalors que lespersonnesà qui appartiennent ces choses nesontplus là et ne reviendront peut-être pas ? Tous ces petitsfaits, incalcula-bles, ajoutentencoreà la détresse deslendemains de guerre.

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La restitution des fruitsde la spoliation

Restituerfut un principeaffirmé haut etclair par la Francelibre etle gouvernementprovisoire.Ce principe seheurta àla complexité delaréalitéissue dela spoliation elle-même et aux bouleversements démogra-phiques, économiques etfinanciersengendrés parla guerre.La restitution- mêmesi lebilan globalattesteson amplitude -fut donccontrastée,selonle type debiens, selonle lieu où ces biens setrouvaient aumoment delaLibération,selon le destin deleur propriétaire.Elle ne se fit pas« d’uncoup», commel’avaient rêvé lesspoliés,maiss’étaladansle temps - unedizaine d’annéespour certainsspoliés - etprit des voiesdiverses,juridi-ques notamment.Il fallut àcertains dela ténacitépourrécupérerla totalitédeleurs biens.D’autres -une minorité -préférèrentabandonner encoursde route.La spoliationavait été réalisée en unlaps detempstrèsbref -quatre ans aumaximum,deuxannéesdansla majoritédescas.Le chemindu recouvrement des biensfut plus long et compliqué.

L’enquêtehistorique surla restitution était, audébut des travauxde la Mission, terre vierge. Aucun historien nes’y était aventuré.C’estdans ce domaine que lesdifficultés dela recherche ont été les plusgran-des, que lesrésultatsdemeurentimprécis :parce que certaines restitu-tions sesontfaitessanslaisser detraces ;parceque,ainsi qu’il a déjà éténoté, des archives ont été fort légalement détruites,comme lespiècescomptables ;parce qu’enfin,la légalité retrouvée,lesJuifs redeviennentdes citoyens ou des étrangers comme les autres,qu’à l’exception desséquestres des branchesprovinciales duCommissariatgénéral auxques-tionsjuives ou duServicedes restitutions,ils relèvent des administrationsordinaires.Les questions les concernant se trouventdoncnoyéesdansles papiersproduits par ces administrations.

Lespremiersmois

Les initiatives locales :récupérerles biensaryanisésCommeil a été exposédans lepremier chapitre de cerapport,

aucuneinstructionn’estdonnée pourmettre enoeuvrelesprincipes delarestitution.Les premiersmois sontdominés par lesinitiatives locales.Legouvernementd’Alger avait préparé l’organisation despouvoirs publics

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dansla France libérée.L’ordonnancedu 21avril 1944 avaitplacéà la têtedes différentes régions des commissaires dela République dotés de pou-voirs très étendus quiprennentleurs fonctions dèsla Libération.En zonesud, immédiatement confrontés aux problèmes des spoliésà rétablirdansleursdroits, ils prennenttrès rapidement desarrêtés218 qui décla-rent nulles les ventes et liquidationseffectuées enapplication des mesu-res discriminatoires et prescrivent desmesures conservatoires.En zoneoccupée, au contraire,à la notable exception de Bordeaux,Orléans etAngers, oùMichel Debréordonnela remise immédiate à leurs propriétai-res des biens non encoreliquidés ouvendus,rien detel : les commissai-res dela Républiquesemblent attendre desinstructionspour agir.

Lescommissaires dela République qui interviennentnommentune personne deconfiance chargée d’abord de placer en lieu sûr lesarchives duCGQJpour que nedisparaissent pas les traces des crimes deVichy ; ensuite et surtout,commeà Marseille dèsle 6 septembre,ils doi-vent«s’engager[...] rapidementdans [les] restitutions de biensspoliés[et][...] faire remplacerles administrateursprovisoires indignes ou incompé-tentsdont le choix n’étaitdû qu’à leur adhésion manifeste àl’idéologiedugouvernement deVichy» 219. Lesétiquettes et les pouvoirs de cesperson-nes varient.À Montpellier, une délégation àla sauvegarde des biens desisraélitesfonctionne dèsla mi-septembre; àMarseille, un service desbiens spoliés dépend d’une direction du ministère desFinances quidétache un fonctionnaire des Douanesà ce poste; àToulouse, unexpert-comptableestdésigné comme« liquidateur »de l’ex-CGQJ.

À Lyon, le 6 septembre,Yves Farge nomme « administrateurséquestre » del’ex-CGQJpour la région Rhône-Alpes220 un résistant,pro-fesseurà la faculté des Sciences,Émile Terroine. Spécialistedes ques-tions d’alimentation, c’est un esprit clair, un homme résolu,particulièrementactif et d’une rareefficacité,« ungénie de l’organisationet même de la superorganisation»221. Présidentd’honneur duMouve-ment national contre leracisme, sa position surla spoliation estsanséquivoque :il n’y a pas de« propriétaires »des biensaryanisés, maisseu-lement des« détenteurs», et « si apparemmentcorrectesqu’aient pu êtrelesopérations», sauf cas de ventefictive, « ledétenteur actuels’est fondésur les lois raciales imposéespar l’ennemi pours’enrichir desdépouillesd’un compatriote »222.

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L’activité de ces services régionaux improvisés a été inégale.Tous ont étéaussitôtsubmergés de demandes.À Marseille, « le servicerecevait unpublic excessivementimpatient.La colère detousceuxqui, de1940 à 1944avaient étévictimes deslois raciales était grande àl’égarddeceux qui avaientprofité des circonstances »223. À Lyon, Terroine est« assailli [...] par lesancienspropriétaires ou chefsd’entreprisequi vien-nent [lui] demanderleur remise enpossession leplus rapidementpos-sible »224. Les plaintesne portent pas seulement surla spoliation ausensstrict :les victimes veulent àla fois reprendre leursaffaires,retrouver leurmobilier, faire fonctionner leurscomptesbancaires ou postaux.Ellesneséparent pasl’actiondu CGQJdecelle desmiliciens ou dela Gestapo,laspoliation dupillage.LesJuifsne sontd’ailleurspasseuls :desrésistants,des francs-maçons, descommunistesdemandent aumême service quejustice leur soitrendue.

Dans l’ensemble du territoire libéré, des restitutions ont lieu,dès les derniersmois de1944,soit àl’amiable,soit par voiejudiciaire, lesspoliéssaisissantles tribunauxcivils ou de commerce pour demanderl’application de l’ordonnance du 9 août1944.Mais les restitutionssontbeaucoup plus nombreuseslà ou un serviceofficiel s’emploieà les susci-ter, etl’action de celui-ci bénéficie,dans les premiers mois dela Libéra-tion, de circonstances particulièrement favorables.Le pouvoir achangéde camp etla crainted’alleren prison sans autreforme deprocèsrend lessuspects dociles.

Or les administrateurs provisoires et les acquéreurs debiensjuifs sont suspects.La méthode de Terroine est double :il fait bloquer lescomptes desadministrateurset nommer denouveauxmandataires dejustice pour lesbiensnon-venduscomme pour ceux quil’ont été.Il faitappliquerla première mesuredans toutesa région avecbeaucoup depugnacité225. Elle est trèsefficace,car elle paralyseaussi les autresaffai-res des administrateurs provisoiresjusqu’à cequ’ils trouvent un accordavec leurs administrés. En effet, « le déblocage des comptes[...] n’estaccordé par [son] serviceque sur laproduction d’un quitusdélivrépar latotalité des entreprises administrées parl’AP » 226. Certainsprotestent,mais Terroinerefuse de lesentendre : «Vousavezlibrement choisi lafonction d’administrateur debiensjuifs et si depuis lors, vousen avezsubi quelquesdésagréments,ceux-ci proviennentuniquement dufaitd’avoir sollicité lesfonctionspour lesquellesvousdevezrendredescomp-tes actuellement. »227

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La seconde mesure,égalementmise en oeuvre dansd’autresrégions, est d’une portéeplus large car elleconcerneaussi lesbiens quiont été vendus et ne sontplus sousadministration provisoire. Soneffica-cité tient à d’autres facteurs.Le nouveaumandatairedemande àl’admi-nistrateur ou à l’acquéreur ses comptes ;il les valide etfait apparaître lesprélèvementsindus ou les mouvements de stocks, ce qui permetd’établirles conditionsd’un apurement descomptes ;il peutalors mettre en pré-sence les deuxparties et leur faireaccepter une restitution ou une réinté-gration àl’amiable. Il agit ensomme comme unjuge de paix.

Cette tâche n’est pas facile. Les bénéficiaires desspoliationsn’ont pas tousrenoncé à se défendre. Une association des administra-teurs provisoiress’estconstituée auprintemps1944et elle mobilise sesadhérents dèsle 30août 1944228. D’autre part, uneAssociationfrançaisedes propriétaires debiens aryanisés se constitue,pour défendre les« droitsacquis ».Enfin, l’Association nationaleintercorporative ducom-merce, del’industrie et de l’artisanat,défend les droits desacquéreurs.Un antisémitismesous-jacent, toujours vivace, s’exprimedans diversécrits de cesassociations en toutebonneconscience ou inconscience229.

Dans les conditions de1944,le rapport deforce nejoue pas enfaveur de cetteopposition.Aussia-t-elle peu pesé.Elle existecependant,commeà l’arrière-plan dupaysagequ’elle contribue à dessiner.Ici ou là,d’ailleurs,des solidarités semanifestentavec lesbénéficiairesdel’aryani-sation : des présidents de tribunal nommentcomme administrateurs desbiens aryanisés leurs acquéreurs ; des administrateursdésignés parle tri-bunal nommentmandataires ces acquéreurs avec pleins pouvoirs,alorsque les responsables dela restitution, les comitésdépartementaux delibération, les organisationsjuivesdemandent que cesmandatairessoientdes membres dela famille du spolié ou deshommes en quiils ontconfiance. Terroine, comme sonhomologue deMontpellier,s’emploieàfairecesser ces pratiques.L’action des services régionaux seconjugue, eneffet, avec celle destribunaux saisisà la requête des spoliés, de leurfamille ou du responsable duservice.Les rapports semblent bons, etlacollaboration généralementefficace.

Ainsi, l’action des pouvoirspublics, destribunaux et deservicesrégionauxactifs a permis,dans uncontextepolitique favorable, etdanscertains départements, de préserver lesintérêts des spoliés et derétablir

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certains d’entre euxdans leursdroits.C’estau cours decespremiers moisque les restitutions amiables ont été certainement les plusnombreuses.

La restitutionn’est pas seulementle retour dans ses biens dulégitime propriétaire.Pourqu’il ait pleinemaîtrisede sonaffaire ou deson immeuble, d’autresmesuressont nécessaires.Lescommerçants et lesartisansdoiventêtre réinscrits au registre du Commerce ou desMétiers,ce qui nefait pas tropdifficulté. Ils doivent aussi pouvoirfaire fonction-ner leurscomptesbancaires, ce qui est plusdélicat.

Le déblocagedescomptesDès le 30 août1944,le secrétaire général auxFinances, Emma-

nuel Mönick signifie à l’Association professionnelle desbanquesledéblocage des avoirsdisponibles,ceux qui, ni aliénésni prélevés, nesont pas non plus soumis à unadministrateur provisoire.Les propriétai-res retrouventdoncle libre accès ausolde de leurs comptes et à leurstitres,sansaucuneformalité.Lesordonnances du 7 octobre1944libèrentl’or et les valeursmobilières étrangères qui avaient étébloquéespourtous lespossédants, tout en maintenant,pour desraisons de politiqueéconomique globale,l’interdiction du commerce del’or et l’obligation dese conformer àla réglementation deschangespour toute cession devaleursétrangères. Pour les titres placéssousl’administration provisoiredes Domaines, unecirculairedela direction générale, en date du30août1944,suspend lesventes et annule les ordres devente non encoreexécu-tés.Il faut un moispour quecette direction informel’Associationprofes-sionnelle des banques que sesadhérents peuvent« dès à présent,transférer sousle dossierpersonnel del’intéressé,lesactions etparts qui[...] non aliénées,seretrouvent encore ennature» 230. Le compted’admi-nistration provisoirearrêté àla date de cetransfertpeut être viré aucompte personnel dupropriétaire destitres.

Le versementdessommes duesaux assurésLes traces d’une action particulière dugouvernement ou de

sociétés visant auversement dessommes dues auxassuréssontparticu-lièrement ténues.Trois initiatives duministère des Financespeuventêtresignalées, qui n’ont pasreçu desuite notable.

Le premier geste dugouvernementfut, commepour lesban-ques, desusciter une enquête auprès dessociétés d’assurance.En janvier1945, le ministreRenéPlevendemande auxsociétés derendre comptedes opérationstraitéespar ellesdepuis le mois dejuin 1940« avecoupour le comptedesAllemands», ainsi que des« conditionsdanslesquellesles sociétésd’assurances ont puprendre des participations dans les

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entreprisesisraélites,acquérir des biens juifs, notamment desimmeublesou d’une façongénérale,intervenirdanslesopérationsliéesaux liquida-tions de biens juifs »231. Sur lesecondpoint, les réponses des sociétés ontété si succintes qu’une« Commissionpour l’examen des opérations trai-tées par les sociétésd’assurances »232 a été constituéedont lesarchivesn’ont pas été retrouvées.

Le professeurTerroineestà l’origine d’une deuxièmeinitiative.Il adresse auComité d’organisation un courrier quipasse en revuel’ensemble des « contrats suspendus endroit ou en fait pour raisonraciale »pour chacune des branches del’assurance233. Il demandesi lemontant des indemnités est bloquédans lescompagnies ous’il a étéversé àla CDC ou à un organisme allemand,s’interroge surle montantdes « condamnationsjudiciaires » dues par lescompagnies auxspoliés, ets’informe sur les formalités exigées despersonnes spoliéespour lareprised’effet des contratssuspendus parsuite dunon-paiement des pri-mes à leur échéance.Il brosseainsiles grandes lignes du tableau quel’onvoudrait connaître aujourd’hui.Les réponses des groupementsprofes-sionnels sont si sommaires quel’enquêtetourne court234.

Dernièreinitiative, celle dudirecteur des assurances.À la suited’une plainted’un assuré,il demande auComitéd’organisation defairesavoir auxcompagnies quele remboursement des sommesduesdoit êtreassorti duversement d’unintérêt235. La Réunion descompagniesd’assu-rances surla vie répond surla based’un raisonnement comptable, etpriele directeurdebien vouloir« reconsidérerla question»236.

À beaucoupd’égards,la phase derestitution, comme celle despoliation, a été abordées par lescompagniesdans unesprit debusinessas usual.

Unpremier bilan ?Il est malheureusementimpossible de tracer unpremier bilan

de cerétablissementdes Juifsdansleurs biens.Quandle bienn’a pas étéaliéné et que le propriétaireestprésent,il sembleavoir été restituésans

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trop dedifficulté. Il a été aussi possible dedisposertrèsvite du solde descomptes.L’essentiel, pourtant, estla restitution elle-même,le change-ment de mains. Des restitutionsamiables ont eulieu très tôt,souvent endehors de touteforme juridique. Le bilan précis de cesinitiatives localeset de ces restitutions amiables est impossibleà établir,carles administra-tions n’ont pas retrouvé aussitôt lefonctionnementroutinier quiproduitde belles archives :il nousreste de ces premiers mois,dans lesArchivesnationales, quequelquescartons, et les Archivesdépartementales nesemblent pas plusriches.Le seul bilan un peu précisestcelui quedonneTerroine pour sa région dans sonrapport de fin de mission, le29 décembre1944.Il montrel’impact prévisible de la déportation : lesspoliés présentspour revendiquerleursbiens peuvent seuls obtenir unerestitution définitive ;leursayantsdroit peuventêtre nommés mandatai-res, maisle dossier reste ensuspens.Ensecondlieu, il met en évidenceladifférence considérable qui sépare les spoliations consommées etcellesqui ne l’ont pas été.Quandla vente a eulieu, la restitution est àpeineengagée. Plusieurs raisonsla retardent : l’opposition des acquéreurs,plusforte que celle des administrateursprovisoires; la nécessitéd’un actejuridique, dont la loi n’a pasencoredéfini la forme et lesmodalités,pourabolir la venteeffective ; la plus grandecomplexitéenfin des comptesàdresser entre acquéreurs, administrateurs et spoliés, les acquéreursrefu-sant de restituerle bien sansrecevoir en retourle montant deleur achat,qui se trouveparfoisencore dans lescaisses desnotaires.En revanche,quandl’immeuble ou l’entreprisen’avaient pas été vendus etfaisaienttoujours l’objet d’une administration provisoire,la restitution est prati-quement achevéedansla région Rhône-Alpes,avant mêmela fin de1944.On peut penserqu’il en est de même,dans une largemesure,dansles régions méridionales où les résistantsrestent influents et où desservi-ces oeuvrent aux restitutions.Elle est au point mortdans la zoneoccupée,et notamment dansla Seine, oùla spoliations’étaitréalisée précocement,vigoureusement, et sur unelarge échelle.

LesordonnancesderestitutionDans le premier chapitre de ce rapport, lesordonnances des

16 octobre1944, 14novembre1944et21 avril 1945ont été évoquées.Lesdeuxpremières parent au plusfacile : elles s’attachent au cas desbienssousadministration provisoire, repoussant à plus tardcelui des spolia-tions consommées.Ce dernier cas est aucoeur de l’ordonnance du21 avril.

Leseffets del’ordonnancedu 14novembreCetteordonnance est une demi-mesure.Elle renvoieà un texte

ultérieur les restitutions desbiens vendus.La position qu’elle adoptepour l’ensemble du territoire national n’apporte de solution quepour les

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régions oùla restitutionaété abandonnée auxinitiatives des intéressés età l’action de la justice. À Paris, leséquestre duCGQJ a été confié auxDomaines, et son personnellicencié. Les Domaines nefont rien. D’oùl’impatience et lemécontentementtrèsvif des spoliés, qui necompren-nent pascette inertie.

L’ordonnance du 14novembre«relative à la nullité desactes despoliations accomplis parl’ennemi et sous soncontrôle »a pourtant pro-duit quelqueseffets dansl’ex-zone occupée. Pourla Seine,où 30 000dossiersd’aryanisationavaient été ouverts, etpour la plupart des dépar-tements dela zoneoccupée oùl’on avait comptéautour de 11000spolia-tions, c’est le premier acte qui compte.L’ordonnance prévoit que lespersonnes physiques oumorales dont les biens ont été placéssousadmi-nistration provisoire rentrent de pleindroit en possession de leurs biensdans undélai d’un mois aprèssommationfaite par l’intéressé.La restitu-tion doit être constatée par un procès-verbal dressé enquatre exemplai-res.Lesadministrateurs provisoiresdoivent rendre descomptesdétaillésde leur gestiondont ils sont personnellement responsables.Un mois leurestaccordépour sedéclarer àla direction du Blocus quiprendla tutelledes restitutions au ministère des Finances.Quand lespropriétairessontabsents ou horsd’étatde reprendre leursaffaires,les administrateurssontconsidéréscommegérantsd’affaires ettenus de continuerleur gestionjusqu’àce quele propriétaire leur réclame leurscomptes. Cependant, àlarequête des ayantsdroit, desfamillesou duministèrepublic,le présidentdu tribunalpeut nommer un autreadministrateur provisoire quipeut êtreun parent ou unallié. C’est, en apparence dumoins, unemesuretrèspositive pour lesspoliésdont elle rappelletrèsclairement les droits.

Le cas des biens pris àDrancy offre une illustration des méritescomme lesinsuffisancesde l’ordonnance de novembre.À la Libération,Maurice Kiffer demeure liquidateur des comptes ducamp deDrancy.Àcetitre, et en relationavecl’UGIF, il a la charge de recevoir lesdemandesde restitution quilui sontadressées par lespersonnesconcernées.Lesarchives dela préfecture ont conservé lescorrespondances sur ce point :soixante-dixlettres, ce qui estpeu. Quandla demande atrait à uninter-nementpostérieur au 18juin 1943,MauriceKiffer répond que sa compta-bilité ne possèdeaucunetrace desbiens en question.

Surles 7411 comptes ouverts parMauriceKiffer à la Caisse desdépôts et consignations,207ont fait l’objet de déconsignations,pendantla période de fonctionnement ducamp pour unetrentaine d’entreeux,après la guerre pourla grandemajorité. En vertu de l’ordonnance denovembre,la CDC est invitée parlettre commune en date du24 février1945à « rembourserimmédiatement auxisraélitesle montant desconsi-gnationsréaliséesen exécution del’article 21 de la loi du 22 juillet 1941 ».Le service des consignations procède à des déconsignations dèsdécembre 1944. En tout, 178 comptes sont déconsignés dansl’après-guerre, etleur solde ordonnancé auprofit de leurs propriétaires

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ou de leurs ayants droit.C’est très peu : 2,5 % des comptes encoreouverts à la Libération. Des remboursements seferont jusqu’au15 novembre 1951. La somme globale restituée s’élève à1 081 158,75francs,soit 10,1 %des 10 693562,25francsencoreconsi-gnésà l’époque.

L’ordonnancedu 14novembre1944,commela lettre communedu 24 février 1945,n’envisagentla restitutionqu’aux seuls intéressés :« Vousne devrez procéder àaucunpaiemententrelesmains de personnesautres quelespropriétaires israélitessansl’accord amiable ou judiciairede ces derniers. » Or l’immensemajorité des internés de Drancy ont étédéportés et leur sort, le plussouventtragique,demeureinconnu jusqu’àl’ouverture descamps enavril-mai 1945 etle retour detrès rares dépor-tés. Cette disposition apour effet de rendre pratiquementirrecevabletoute demande derestitution.Lesfamilles de déportés se trouventdoncen difficulté.Le ministère des Prisonniers, déportés et réfugiés intervientauprès dela CDCpourqu’elle assouplisse les règles deremboursement.Il faut attendrele 28mars1945pour quediversesmesures permettant derécupérer lesbiens soient proposées.Si un israélite déporté esttitulaired’un compte bancaire oupostal, lesfonds consignés pourraientêtre ver-sés sur ce compte sursimpledemanded’un intéressé,sans quela CDCdiscutesa qualité ou ses pouvoirs ;si le bénéficiaire dela consignationn’est pas titulaired’un compte, le service ducontentieux« procèdeàl’ordonnancement au nom du conjoint del’israélite, des consignationsinférieuresà 5 000 fr. sursimpledéclarationd’uneautoritéadministra-tive(maire ou, àParis, direction de laPolice générale à la Préfecture depolice) attestant quel’intéressé estdéportéen Allemagne » ; enfin, « dansledésir de donner unesolution favorable et rapide àdessituations dignesd’intérêt, d’effectueraux mains duconjoint,desascendants oudesdes-cendantsenligne directele remboursementdesconsignationsinférieuresà 10 000 fr.faites pour le compted’un israélite déportéenAllemagne.Sicette propositionestacceptée, le retrait seraopérépar la partie prenante,sur la seule remised’une pièceattestant ladéportation »237.

Le 12 avril 1945, cespropositions sontacceptées,sousréserveque les bénéficiaires s’engagentà reverser lessommesperçues encasderéclamation ultérieure du déportétitulaire de la consignation rem-boursée238. Cette procédure est étendue aux comptesinférieurs à10000 francs.Les demandes derestitution adressées par les ayant droitsà la CDC contiennent, à partir de cette date, l’engagement de remettrelasomme au« retour éventuel »du titulaire dela consignation.C’est l’ordon-nance du21 avril 1945qui règle en sonarticle 22 le cas des sommessupérieures à 10 000 francs en prévoyant la nomination d’un

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administrateur provisoire de droitpour lesconjoints,ascendants et des-cendants qui présentent unedemande derestitution.Lesadministrateursprovisoires ontla qualité de représentants légaux qui leurpermet d’obte-nir le remboursement dela totalité dela somme consignée.

Pourtant, l’ordonnance de novembre1944a aussi des consé-quencestrès négatives.La prise en main des restitutions par ladirec-tion du Blocus qui confie aux Domaines leséquestre desbiens etdossiers del’ex-CGQJ,retire, àLyon, tout fondementlégal auservicedu professeur Terroine qui ferme le 31 décembre.Ailleurs, où les délé-gationsrégionalesreposaient surd’autresbasesjuridiques,elles survi-vent avec uneactivité réduite. Un peuamers, lesresponsables desrestitutions se démobilisent,tandis quele mécontentementaugmenteparmi lesspoliés.

La miseenplace d’unedoubleadministrationC’est au moment oùTerroine exprime sondésaccordavec

l’ordonnance du14novembre etdécide de retourner à ses travauxscien-tifiques que la tendances’inverse et que les ministèrescommencent às’occuper des restitutions.Deux services administratifssontalors créés.Le premier ala charge de contrôler les administrateurs provisoires,lesecondcelle deveiller aux restitutions.

Le premier servicecréé parle décret du2 février 1945,estplacéauprès duministèrede la Justice239 : c’est le Servicetemporaire de con-trôle des administrateurs provisoires et liquidateurs debiensisraélites.Qu’il reprenne paradoxalementl’intitulé d’une administration deVichy,le SCAP,n’est qu’àmoitié surprenant car sa mission est identique :véri-fier la gestion, lescomptes et lesrémunérations des administrateurspro-visoires etexaminer les plaintesformuléescontre eux par les spoliés oupar le Servicedes restitutions.Il est dirigé par uncontrôleur général del’Enregistrement,Goumeau, qui a pouradjoint un autrehaut fonction-naire de l’Enregistrement, Maurice Bonvallet.Les deux hommesétaient,au ministère des Finances, lesexperts dusujet depuis plusieursmois.Leur rattachement àla Justice assurela liaisonentreles deux administra-tions. Le Service decontrôle est supprimé au1er août 1947240, maisBon-vallet poursuivra sonactivité comme conseillerfinancier auprès delaChancellerie.

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Le secondservice est celui des restitutions desbiens desvicti-mes des lois etmesures de spoliation.Créé auprès duministère desFinances,sadirectiona été aussitôt confiée au professeur Terroine241, cequi, à soi seul, constitue unedécisionclaire. On peutparler en effet de« modèlelyonnais »242, car il s’agit de transposerà l’échelle nationale ceque Terroine aréalisédansla région Rhône-Alpes où sonaction aconnuun certain retentissement. Son premier rapportd’activité avait étécom-muniqué augénéral de Gaulle parY. Farge243 et il était connu dudirec-teur du Blocus qui, tout ensoulignant quela situation à Paris nepermettait pas des mesuresaussi énergiquesqu’à Lyon,avait proposé sanomination.

Terroine s’attaque aussitôt àla tâche, etcommence par sedébattrepour obtenir les locaux et le personneldont il a besoin.Malgréson énergie, son service n’entre enactivité queprogressivement et lesmois defévrier et marssont encore de longs moisd’attentepour les spo-liés. D’autantque les mesuresrelativesaux biens vendus sefont toujoursattendre et que leur préparation ne s’engage passous desauspicestrèsfavorables.L’ordonnanceet le décret du2 février 1945ont biendurci laposition en imposant aux acquéreurs de sedéclarer, aux administrateursprovisoires de rendreleurs comptes sous unmois, et en les obligeantainsi que les notairesà consignerà la Caisse desdépôts etconsignationles sommesqu’ils détiennent dans leurs comptes244, mais les premièresversions du textelégislatif en préparation, siattendu et depuis silong-temps,pour réglerle casdes biens vendus, nedonnent passatisfaction.Le débat quelui consacrel’Assembléeconsultative provisoire,le 15mars,présente de cefait une réelle importance.Lescommissaires dugouverne-ment qui y participentsont deux personnes qui aurontla charge demettre enoeuvre cetexte : le directeur duBlocus etTerroinelui-même.Le rôle de René Cassin,président du comité juridique et vice-présidentdu Conseild’État est déterminantpour infléchir les textes enfaveur desspoliés.

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Les débats confirmentla différence considérable quisépareParis etla province.ÉtienneNouveau, un avocatrésistantdont l’interven-tion est décisive,n’hésitepas àle souligner :dansla plupart desvilles deprovince,la réintégrations’estfaite par le consentement populaire.Il citeen exemplela petite ville de Charente dontil est originaire etil men-tionne, avec les plusgrands éloges, l’action conduite à Lyon, pourdénoncerl’atmosphère qui règnedansla capitale. «C’estsurtout àParisque cetteordonnance aura sonplein effet. On nesauraitmieux souli-gner quela restitution n’a pas beaucoupavancélà où n’existait aucunservice pourla susciter.

L’ordonnancedu21 avril 1945L’enjeu majeur dela discussionn’estpasle principe même dela

restitution, qui a déjà été affirmé par lestextes précédents ;c’est la défini-tion d’une procédure simple,efficace etrapide. Un précédent, défavo-rable aux spoliés,sertde repoussoir :l’arrêté Peyrouton, du 3avril 1943,par lequelle pouvoir provisoire du général Giraud, enAlgérie, avaitorganiséla restitution desbiens placéssousadministration provisoire.Cet arrêté exigeait quele spolié manifestât d’abord savolonté dereprendre son bien par unexploit d’huissier ;l’acquéreur dubienspoliése voyait garantirle remboursement de sonachat; enfin, les litigesétaient portés devant lesjuridictions de droitcommun.Il en était résultédes procéduresinterminables, peu favorables aux victimesdont lesdroitsétaient malaffirmés.

L’ordonnance du21 avril 1945adopte unesolution novatriced’une grandesimplicité245 : une ordonnance duprésident du tribunalcivil saisipar simple requête exonérée defrais, et statuant« enla formedu référé ». Le référéétaitune procédured’urgencerelativementrécente,mais qui ne pouvait aboutirqu’à desmesuresconservatoires : lejuge desréférésn’était pas compétent sur le fond.C’estd’ailleurspourquoi uncer-tain nombre deprocédures engagées par des spoliés surle fondement del’ordonnance du 9 août1944 n’avaientpas abouti.La grande innovationde l’ordonnance du21 avril est de donnercompétence au président dutribunal surle fond pour constaterla nullité ou prononcerl’annulationdes actes de spoliation(article 17).Sadécision était immédiatement exé-cutoire,l’appel possibleselon uneprocédure d’urgencedans undélai dequinzejours n’était pas suspensif.

L’ordonnancedistinguaitdeuxgrandesséries de cas, maisà ladifférence destextes préparatoires,elle les soumettaità la mêmejuridic-tion selon lesmêmes formes.Surce point, le débat du 15 marsavait étédécisif. D’une part (titre I) les spoliations etventesforcées, c’est-à-diretoutes les mesures exorbitantes dudroit commun,tel qu’il existait au

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16 juin 1940, prises en vertusoit des décisions del’autorité de fait sedisant gouvernement del’État français,soit à l’instigation de l’ennemi,quand bien mêmele spolié leuraurait prêté son« concours matériel»(article 1). D’autrepart (titre II), les actes«accomplis avec le consente-ment del’intéresséetrelatifsà desbiens,droitsou intérêts n’ayant pas faitpréalablementl’objet de mesures exorbitantes du droit commun ». Cesactes sont « présumésavoir été passéssous l’empire de la violence »(article 11) etle juge prononceleur annulation.L’ordonnancerépondnotamment, par cetitre II, aux situationsconfusesnées deventesconsenties avant toute nominationprovisoire par des Juifs quitentaientainsi desauver une partie deleur patrimoineavantla spoliationprévi-sible.La restitution porte sur le bienspolié, maisaussi sur tous ses pro-duitspendantla période oùle propriétaire en a été dépossédé ; seuls lesacquéreurs qui,dans le cadre dutitre II, prouventavoir acquis le bien aujusteprix, en conserventle fruit jusqu’à lademanded’annulation.La poli-tique quis’affirme ici viseincontestablement àrétablirdansla totalité deleurs droitsla totalité des spoliés, et passeulement ceux pourlesquelslaspoliation est indiscutable.

La distinction établie étaitlourde de conséquences.En effet, encas de venteforcée la nullité est deplein droit et le juge se borne àlaconstater;il ne peutrien faire d’autre. La spoliation étant nulle dèsledépart, l’ordonnance respected’une certaine manièrele principe denon-rétroactivité des lois : elle n’annule pas unacte qui aurait eu, à unmoment quelconque, unelégitimité quelconque;elle constate que cetacten’aurait jamaisdû exister.La spoliation est un vol, etl’acquéreur setrouve de cefait dans uneposition analogue aureceleur :c’estun posses-seur demauvaisefoi (article 4) ets’il doit être remboursé duprix de sonacquisition, 10% de cettesommedoiventêtre prélevés au profit du Tré-sor (article6). En cas de venteeffectuéeavecle consentement duspolié,le jugeprononcel’annulation maisla discussion est possible.L’acquéreurpeut être considéré comme debonnefoi s’il prouve qu’il a acheté aujusteprix ; c’est alors au spolié qu’incombela preuve dela violencesubie(article 11). Delà, un contentieux, certains tribunauxfaisantapplicationde l’article 11 dans les caspourtantvisés parl’article 1. Le débatfut tran-ché par un arrêt dela cour de cassation du4 juin 1947(épouxSilbersteinc. Garnier). Une cour d’appelavait considéréque, dansla vente d’uncommercele 29 mai 1941,il résultait de diverses circonstances et desrap-ports personnelsexistantà l’époque entre lescontractants que les ven-deurs avaient consenti àla vente; en conséquenceelle avait faitapplication del’article 11 de l’ordonnance.La cour de cassations’estbornée à constaterqu’un administrateur provisoireavait éténommé endécembre1940; de cefait, et sans autrediscussion, elle a statué queleconsentement despropriétaires«constituaitdans cescirconstances u nconcoursmatériel »,au sens del’article 1 et elle a cassél’arrêt de la courd’appel.

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L’ordonnance du21 avril ouvre une nouvellephasedansl’his-toire des restitutions, d’autantqu’elle coïncide avecla fin de la guerre,l’ouverture descamps etle retour des rares rescapés.

LesrestitutionsjudiciairesL’ordonnance du21 avril était à peine promulguéeque, àParis

notamment, les spoliés s’empressentd’utiliser les recoursqu’elle leurouvrait. L’afflux est tel que plusieurs chambres dutribunal civil de laSeine s’occupent de ces procédures.Leurs archives permettentd’ensuivre l’activité.

Elle est immédiate.À la fin du mois demai,soit unmoisaprèslapromulgation de l’ordonnance,le juge parisien avait déjà rendu154ordonnances enla formedu référé.En juin et juillet, il en rend742 et765,et encore432en août, puis671en septembre.À la fin de l’année, cesont 3622 affaires qui ont été traitées.

L’activité judiciaire sepoursuit au cours desannées suivantes etelle ne faiblira véritablement que très tard, àpartir du secondtrimestre de1948et surtout en1949. Qu’on enjuge par leschiffres.À la fin de 1946,6 140jugementsont été rendus, 8246 à la fin de 1947,9 409à la fin de1948.En 1949,un peu plus de400 jugements interviennent,portant letotal en fin d’année à 9843,et un peu moins en1950,avec10 207juge-ments au total.Par la suite n’interviendront plus quequelquesdizainesde jugements par an. Certes,cette statistique sommaireinclut les juge-ments d’appel,qu’il conviendrait de déduire.En revanche, ellen’inclutpas les référésdevant le tribunal de commerce qui ont été égalementnombreux :2000environ. L’ampleur et le rythme dela restitution judi-ciairene fontdonc aucun doute.

Alors que les tribunauxcivils et de commercesaisis dèssep-tembre1944en application de l’ordonnance du9 août 1944,n’étant pashabilitésà jugersur le fond selonla procédure normale duréféré, nepre-naient au mieux que des mesures conservatoires, les procédures menéesdansle cadre de l’ordonnance du21 avril 1945 semblentefficaces.Cesjugements obéissenttous au même cadre, quele magistrat secontenteparfoisd’indiquersous uneforme abrégéeà songreffier afin quecelui-cirédige l’ordonnance : 1)nullité, 2) réintégration, 3)expertiseetc. Cettelecturetrès répétitivedonne lesentiment dejugementsrendus ensérie.

Ils manifestent unegrandedéterminationà rétablir les spoliésdansleurs droitsdans lesplusbrefs délais.Le juge n’attend pas l’éventuelretour des déportéspour faire droit auxrequêtes de leurs enfants, etd’ail-leurs l’ordonnance du21 avril ne le lui permetpas.Il ne selaissepasattendrir parla situationpersonnelle desbénéficiaires dela spoliation :toute acquisition effectuée aprèsla nominationd’un administrateurpro-visoire estnulle de pleindroit, sansqu’il y ait lieu deconsidérerquoi quece soit d’autre. En général, l’acheteur ne se présente même pas à

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l’audience et ne sefait pas représenter, sachant quec’est inutile. Parfois,il tente pourtant de se défendre.

Dans un certainnombre decas,le juge se borneà ordonnerl’expulsion des occupants (del’immeuble ou dufonds), sansconstaterlanullité d’une vente oud’une résiliation de bail,pour la raisonqu’il nesemble pasqu’il y aiteu un actejuridique d’aryanisation, maisunesimplearyanisation defait, opérée par des voisins.Il arrive parfois quele spoliésoit débouté, mais de telles décisionssemblentfondées etconcernentgénéralement des procédures dedroit communengagées avantl’aryani-sation et indépendammentd’elle.

Sansdoute,la justice n’a-t-elle pas ététoujoursaussi stricte etcertainsjuges ont-ils été plus indulgentspour les acquéreurs. GérardLyon-Caen citeplusieurscas, rapportés notamment pasLa Gazette duPalais, où des tribunaux ont invoqué un« rôle juridique essentiel jouépar le spolié, oul’existencede pourparlers entrelui et l’acquéreur avantla nomination del’administrateur provisoire, ouencore un« désir devente » depuis longtemps exprimé parle propriétaire,pour appliquerl’article 11et nonl’article 1 de l’ordonnance du21 avril 1945246. Un seulcas de ce typea été retrouvédansl’enquête surl’aryanisation.

Certainstribunaux, cependant,semblentavoir agiaveclégèreté,sinon dansleursjugements, dumoinsdansleur nominationd’administra-teurs-séquestres.Aux termes de l’ordonnance du14novembre1944,illeur incombait eneffet de les nommer,à la requête d’un membre delafamille ou du ministère public,quandle spolié était absent.La plupartdes tribunaux, dans de telscas, désignaient un membre dela famille ouune familledésignée par une organisationjuive. Plusieurs,cependant,ont nommé précisément l’acquéreur dubien, s’attirant les protestationsdu Servicedes restitutions247. Le tribunal deNice s’estdistingué par unepratique pour le moinscurieuse :il nommaitadministrateur-séquestre, àtour derôle, sesdeuxgreffiers.Lors de son inspection, en1946,l’un desadjoints de Terroine découvre cette pratique sur laquellela Fédérationdes sociétésjuives de Franceattire son attention,demandant àêtrechargée du séquestre des biens spoliés quin’ontpas été revendiqués248.

L’ordonnancelaissait les intéressés libres de s’adresser au tribu-nal civil ou au tribunal de commerce, etnous ignorons commentils sesontrépartisentre lesdeux juridictions. Mais on sous-estimerait àcoupsûr les restitutionsjudiciaires si l’on oubliait la voie des tribunaux decommercedont l’activité nous est moinsbien connue enraison ducarac-tère privé deleursgreffes et d’un contrôlemoinsdirect par lesstructuresgouvernementales.

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Dans l’ensemble,la voie judiciaire a étéfiable. Enrevanche, ellen’a pas toujours ététrèsrapide.Le jugement neréglait pas tout, en effet :une expertise devaitfixer les mouvements destocks, les investissementsréalisés par l’acquéreur, ses bénéficesetc.pourdéterminer cequ’il devaitau spolié ; des contestationss’élevaient, desappelsintervenaient.Enattendant,l’acquéreur bénéficiaitencore dubien tandis quele spolié,privé de son gagne-pain,survivait parfois grâceà la charité publique,plussouventgrâceà la solidarité des diversesorganisationsjuives. Situa-tion difficile à tolérer pour lespersécutés, et qui nourritbien desranc-oeurscompréhensibles, mêmes’il était dansla définition du retour audroit de respecter les formes dela plus stricte légalité.

L’oeuvre duServicedecontrôleet duServicedesrestitutions

Pendant quelestribunaux statuent, lesservices créés audébutde 1945entrent enaction.Le Servicede contrôle des administrateurss’estconcentré sur sa missionpropre : examiner si les plaintesdéposéescontre les administrateurs provisoiresétaient fondées.À Paris,l’expertiseaété faite par Bonvallet et ses services, mais enprovince,il a fallu trouverdes experts. Ils ont étéchoisis généralement parmi desexperts-compta-bles locaux, recommandés parle parquet ou parl’administration desFinances.Goumeau etBonvallet ont effectué denombreusestournées enprovince,pour rencontrer cesexperts etsuivre leurs dossiers. Ils se sontemployés à leurfaire remettrecorrectement et rapidement leurs rapports,non sanspeine,car leurshonorairesétaientfixés parle tribunal en fonc-tion de la valeur desbiens,souventfaibles, et non dutravail effectif, cequi explique desnégligences et des retards.À la mi-1948,sur4 069plain-tes déposées essentiellement par lesvictimes des spoliations,3657avaient été traitées et expertiséespour jugement249. Au cours de l’annéesuivante,jusqu’à la datede prescriptionfixée au1er août 1949,quelquesplaintes de spoliés (treize) ontencore étéenregistrées, maissurtout leService desrestitutions a porté plainte defaçon générale et systématiquecontre tous les administrateurs provisoires qui n’avaient pas renduleurscomptesainsi que l’ordonnance du14novembre1944leur enfaisaitobli-gation : 1 939nouvelles plaintes ont étéainsi enregistrées au1er juin1949.Au total, plus de 6000 plaintes ont été déposées ;presque toutesont été instruites avantle 1er août 1949250.

L’action du Service desrestitutions est plus large.C’estaussi unserviceplus étoffé. Le professeurTerroine obtient dupersonnel,parfoisd’anciensagents duCGQJsauvés de l’épuration parleur connaissance

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des dossiers.Avant les compressions de personnelmises enoeuvreàcompter du1er octobre1946 et quiporterontl’effectif à 83agents,il com-prenait 192personnes, ce quiétait peupour «refaire en sens inverse ceque1 044 agents (del’ex-CGQJ)ont fait en plus detroisans d’untravailcontinuet persévérant»251, mêmesi l’organisationest beaucouppluseffi-cace. D’autant que les attributions du servicesont étendues etjustifientl’organisationadoptée par Terroinepour répondre à sesdeuxmissionsprincipales. Unepremièresection est chargée dela dévolution desmeu-bles252. La seconde sectionhérite des dossiers del’ex-CGQJ qu’elleregroupe tous àParis,dans leslocaux où ellefinit pars’installer,71 bou-levard Pereire, enavril 1946.Elle s’attacheà le faire savoir aux spoliéspour qu’ils puissent retrouver leurs dossiers. On voit ainsile serviceécrire aux préfetspour lui demander de luienvoyer les dossiersqu’ilsdétiennent etfaire insérer parleur intermédiairedansla presselocale desavis à l’intention des spoliés.

En province, cette action estrelayée par les délégations régiona-les,notamment enzone sud où leurcréation est administrativementfaci-litée par l’organisation de l’ex-CGQJ en directions régionales253. Cesdélégations ont pourobjectifassigné nonseulementd’informer l’écheloncentral, mais destimuler, voire de susciter les restitutions amiables.Ter-roine l’indique avec fermeté au délégué régional deToulouse quiluiavait adressé sa démission et celle de son adjoint,estimantqu’aprèsl’ordonnance du21avril 1945, satâchen’avait plus de sens : les missionsqu’il lui assignesont,dansl’ordre, de susciter des accords amiables, deconseiller les spoliés, de suivrel’action des tribunaux et de procéder àladévolution dumobilier retrouvé254. C’esten fonction de ces critères quel’activité des délégués régionaux est appréciée.

Le Service des restitutions multiplie les investigations.Ildemanded’abord à sescorrespondants enprovince delui signalertoutesles décisions dejustice. Plus tard, unecirculaire du 20 septembre1945fera établir par lesparquets unétat,par cour d’appel, des référés et déci-sionsprises en application desordonnances du 14novembre1944et du21avril 1945.Les parquets semblentavoir répondu etils fournissent cesétatsmensuelsjusqu’en 1948255. Surtout, Terroineva chercherl’informa-tion à la source, en adressant descirculaires aux spoliéspour leur

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demanders’ils ont recouvréleurs biens àl’amiable ou s’ils ont entreprisune procédure.Il envoied’autres circulaires aux administrateurs provi-soires, pourvérifier qu’ils ont bien rendu leurs comptes auxspoliés,conformémentà l’ordonnance du14novembre1944.La mêmecirculaireest adressée parfoisà plusieurs reprises aux mêmespersonnes. Unecir-culaire derappel est adresséeà ceux quin’ont pas demandé à leur admi-nistrateur soncompterendu degestion :«Dois-je interprétercomme u nquitus àl’égard devotreadministrateurle fait de nepas luiavoir réclaméson compte degestion ? »D’autrescirculairessontadressées aux adminis-trateurs quin’ont pasrenduleurs comptes degestion, auxbanques etagents de changepour qu’ils signalent les actionnaires spoliés, auxacquéreurs qui se sontfait connaître en application de l’ordonnance du2 février 1945,d’autresencore aux propriétairesdont ceux-ci ont achetélesbiens256.

Cette intenseactivité postalen’est passansrésultats : leserviceaurait obtenu40 % de réponses de toutes sortes257. On retrouve effecti-vementdans de nombreuxdossiers parfois les circulairesTerroine rem-plies, parfois desenveloppesretournéesà l’envoyeur avecla mention« n’habite pas àl’adresseindiquée », dont on ne peutpréjuger dusensétant donnéel’ampleur deschangements dedomiciledans cesannées depersécution. L’objectif de Terroine, en multipliantainsi les sourcesd’information, est de déterminer si lesspoliations ont été réparées ounon. Il veut classer les dossiers del’ex-CGQJ en deuxséries :dossiers« revendiqués » et«non revendiqués». Une note de service interne expli-cite ces instructions :il s’agitde fairematériellement ce classement, et declasserà part les dossierspour lesquels unquitus a été donné258. C’estpourquoi tous lesdossiers conservésdansla sérieAJ 38 desArchivesnationalessont répartis endeux groupes,R et NR, revendiqués et nonrevendiqués.Dans lesdossiers classésR, on trouve généralement uneréponse à une des circulaires Terroine, mais pas toujours. Certainesréponsesfigurent dansle dossier del’administrateurprovisoire, d’autresencoren’ont été réintégréesdans aucundossier259.

Si le servicen’avait pas compétencepour saisirlui-même lestri-bunaux, en cas derefusde restitution ou de reddition decompte,il luiincombait de signaler aux procureurs descoursd’appel les biens deleurressortrestésen déshérenceafin qu’ils fassentnommer un administra-teur-séquestre. Cetteactivité prit uneimportanceparticulière en1947.Letemps desrestitutions amiables et des décisionsjudiciaires se terminait,

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et il fallait régler la question des actes de spoliation quin’avaient pasencore étéannulés,notamment« pour faire rentrer danslessuccessionsvacantesles biensspoliésayant appartenu àdesdéportés »260. L’ordon-nance du21avril (article23) imposait, eneffet, auministèredes Financesde transmettreà celui de la Justice les biens qui,six mois plus tard,n’auraient pas été restitués.Ce délai étaitbeaucouptrop court, mais en1947, par unenote du 3juin, le Servicedes restitutions demandeà sesdélégations de dresser leslistesdes biens nonvendus qui continuentàêtre gérés par un administrateur provisoire et desbiensvendus pourles-quelsle propriétaire légitime ou ses ayants droitn’ont pasfait valoir lanullité des actes despoliation.Ceslistesdoiventêtre transmises auxpar-quetsavant le 31 décembreafin qu’ils nomment desséquestres àl’admi-nistration de ces biens nonrestitués.

De fait, d’innombrableslistes d’entreprises ou d’immeubles,manuscrites ou dactylographiées, surchargées de ratures, complétées pardes listes plus tardives, ont été adressées auxprocureurs descoursd’appel261. Mais lesrésultatsne sont pas pleinementconcluants, ceslis-tes n’étant pasfiables.Lesparquets deprovince quin’étaient passurchar-gés de dossiers ontfait faire des enquêtesindividuellessur chacun desbiens figurant sur leurslistes.Elles aboutissentà la conclusion que lesbiens ont étérestitués, etqu’il n’y a donc paslieu de nommer unséquestre.Mais cetteconclusion ne vaut paspour Paris etla Seine, oùlaspoliation avait été considérable et où précisémentle parquet areculédevantle nombred’enquêtesà diligenter.

Le dernier volet del’actiondu Servicedes restitutions est desus-citer les restitutions amiables.L’impact de son actiondans ce domaine estdifficile à cernercar bien desaffaires ont dû se réglersans son concours.Mais il accordait à ces restitutions unegrande importance etil s’estemployé à les repérer.

Le plus souvent, eneffet, la seule tracedont nous disposonsd’une restitution amiable estla réponse àl’une ou l’autre des circulairesTerroine.Danscertains cas, elleémane dela victime elle-même, oud’unde ses proches,safemmeou ses enfants. Dansd’autrescas,on la trouvedans le dossier del’administrateur provisoire, sommé derendre sescomptes.Parfois, il s’agit de réponses sommaires, qui tiennent en unephrase, comme danscette réponse :« Nousavons pu reprendresans diffi-culté la direction de notre affaire, l’administrateur provisoireayant faitson possiblepour en éviter la vente. »262 Parfois même,c’est un simple

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« oui » au verso dela circulaire Terroine, en face dela question :« Avez-vousconclu unaccord amiable avecvotre acquéreur ? », commedanscetteréponse du 3 décembre1945que double,le 6 avril suivant,une réponse, un brinirritée, à unecirculairede relanceinutile : « Jevousai déjà envoyé unquestionnaireet je vous informais que jem’étaisarrangé à l’amiableavecmon acquéreur. Mon affairem’a étérétrocédéeau mois de juillet 1945. »263 D’autres fois,ce sont devéritables lettres.Une grandediversité desituationsapparaissentainsi :ici, c’estun acqué-reur debonnefoi qui ne fait pas dedifficulté pour restituerle bien;ail-leurs apparaîtla connivence,parfois soupçonnée parle CGQJ,entre lespolié et son administrateur ou son acquéreur.

Même en dehors descas de connivence,il est fréquent quelarestitution s’opère parententedirecteentre le spolié et ledétenteur dubien.Au détour d’undossier,nous apprenons quel’acquéreura renduspontanémentle bien; de toute façon,il savait qu’onl’obligerait à lefaire,et peut-êtredans desconditions plus pénalisantespourlui. D’autresrestitutions passent parl’intermédiaire d’un administrateur-séquestre.Beaucoupdépendici des intérêts enjeu. Les acquéreurssont plusâpresquandleur position estprécaire et que lebien spolié estdevenuleurgagne-pain.Les choses se passent mieux entregens dumêmemonde quiont une réputation à préserverdansleur milieu professionnel.

Ces restitutions amiables auraient dûêtre sanctionnées par desprocès-verbaux enbonne et dueforme. Oril est exceptionnel de retrou-ver de tels procès-verbaux; pourqu’ils figurent au dossier,il faut quel’administration ait eu une raison dele demander, par exemple que lespolié demandeaprès avoir recouvré son bien quele montant delavente,consigné àla CDC,soit remboursé à l’acquéreur subrogé. En géné-ral, les restitutions amiables ontlaissépeu de traces etil estdifficile d’enévaluer l’importance.D’oreset déjà,il apparaîtcependant que,parmi lesbiens dontnous avonsla preuvequ’ils ont été restitués, parexempleparce que lesspoliés les déclarent au titre del’impôt de solidarité natio-nale, ou parcequ’ils figurent dansleur déclaration de succession, unebonnepartie ontfait l’objet de ce type de restitutionsansavoir laissélamoindretracedans lesdossiers du service.C’estsouventle cas quand lesbiensplacéssousadministration provisoiren’avaient pas étévendus ouliquidés. La voie la plus simple etla plus rapide du retour au droitéchappeainsi, pour partie, à notre investigation.

L’ordonnance du21 avril renvoyaità une autreordonnance leremboursement desprélèvements exercés sur les produits des spolia-tions pour le compte dela Treuhand ou duCGQJ, ainsi que lesfraisd’expertise ou deshonorairesd’administrateurs provisoires.Elle ignoraitaussile remboursement desdivers prélèvement sur lescomptesbancai-res -amende dumilliard, prélèvements duCGQJ,« 2 % » desDomaines,

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5 % de l’UGIF. Il fallut attendrela loi de décembre1945,et surtoutcelledu 16 juin 1948pour que ces questions soientréglées,leremboursementétant mis àla charge del’État.

La fin de la restitutionLesprélèvements furent remboursés endeuxtemps : en appli-

cation d’une loi de décembre1945,pour les« 2 % » ;en application d’uneloi de 1948pour la masse restante.Ceslois sont tardives par souci, dansle contextemonétaire et financier particulier dela Libération, deménagerles finances del’État.

En décembre1945, l’Étatchoisit deprendre en charge lesprélè-vements de«2 % effectuéspar lesDomaines.S’il exprimeici un soucid’équité, il veutaussicoupercourt auxmises encaused’une administra-tion qui a prêté sonconcoursà la spoliation, et en a, de plus,tiré profit.Lesfraisde régie furent remboursés àhauteur de99 % de leur montant.

Restele « milliard ». Dès1944, l’Étatdécide deprendre en chargeson remboursement, parce qu’unepartie dessommesa étéutiliséeparleCOSI264. Les sommes provenant dela vente des biens des déchus delanationalité devaient aussi être remboursées parl’État. Pourtant,il fallutqu’une action enjustice, s’appuyant sur l’ordonnance du 21avril 1945,fût déclenchée contrel’OFEPAR, pour quel’État passe àl’acte. La loi du16juin 1948permet doncle remboursement aux spoliés des sommesprélevées sur leur compte bancairedans le cadre du paiement del’amende, ainsi que celui des prélèvements de10 % et de5 %. La liquida-tion de ces prélèvements a été confiée àl’OBIP : 5 101 demandes derem-boursement ont étéintroduites, dela promulgation de cetteloi au30 novembre1951,date de forclusion.

Les remboursements effectués parl’OBIP atteignent desmon-tants considérables, quecetorganismechiffre, dans une note de1954,à3 107,8MF 265. Mais il estdifficile d’identifier ce qui relève,dans ces rem-boursements, del’aryanisation économique oud’autres préjudices,concernantd’autres victimes.La loi de 1948englobe toutes lesvictimes :organisations etsyndicatsdissous parVichy, personnesdéchues delanationalitéfrançaise,parmi lesquelles de très grosses fortunes avaient étéconfisquées. Selon les estimations, de 1272MF à 1 350MF auraient étéremboursés à des spoliésjuifs. Ce qui est frappant,c’est,quel quesoit lebien, le très faiblepourcentage de spoliés -inférieurà 10% - qui fait lademande deremboursement.Les raisons de ce comportementsont

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multiples : recul devant de nouvellesformalités administratives,senti-ment qu’après lesannéesd’inflation qui suiventla guerre, retrouver uncapitalaugmenté des intérêtsn’envalait plusla peine, volonté detournerla page.

Le rapport surla spoliation financière présente uneanalysecompteàcompte desremboursements.Ils concernent 63% des comptesespèces et62 % des comptestitres des victimesjuives. En valeur, cetterestitution s’élève à74 % pour lesespèces, 93% pour lestitres. Cestauxsontinférieurs àceux concernant lesmêmesbiensspoliésquandils n’ontpas été prélevéspour l’amende.Pour ces derniers,les pourcentages ennombre sontrespectivement de 77% et de 82% et en valeur de 84% etde95 %. Il estdifficile de donner uneexplicationà cesdifférences.Il estpossible que certains,dont les comptesavaient été prélevés pourl’amende, sesoient lassés etaient abandonné lesformalités nécessairesau remboursement.

Car la décision -difficile à comprendre aujourd’hui -fut géné-ralement de ne pasfaire de publicité, de ne pasécrire individuellementaux spoliéspour lesinformer de leurs droits.Il n’y eut pas de Terroine enmatière de prélèvements. Un seulexemple,celui desPTT qui s’étaientinterrogésà la suite de l’adoption dela loi de 1948sur l’éventualitédeprévenir les titulaires descomptes etlivrets prélevéspour l’amende despossibilités deremboursement, en leur envoyant un avis personnel.Lesecrétaired’ÉtatauxPTT,EugèneThomas, élu du Front populaire, refon-dateur avecDaniel Mayerdu parti socialistedansla clandestinité, arrêtépar la Gestapo, déporté àBuchenwald, s’opposeà l’envoi d’un courrier.Il ne souhaite niraviver chez lesspoliés dedouloureuxsouvenirs, nienvoyer un courrier fondé sur uncritère discriminatoire.

Dernière question :l’émigration ou la déportation est-elle res-ponsable dela non restitution ?Dans ce domaine selit l’extrême hétéro-généité sociale dela populationdéfinie commejuive. Plus de90 % desdéposantsjuifs étaient français. Orla déportation a massivement frappéles étrangers : les troisquarts desdéportés étaient de nationalité étran-gère.La fréquence dela déportationsembleinversementproportionnelleà l’importance dela fortune.Ainsi, le pourcentage dedéportés parmi lesdéposants, tels quel’a établi avec une part d’approximationla Mission,setrouveraitentre 3 et11 %,c’est-à-direbien en dessous d’un taux globalde déportation évalué à20 à 25 % de la populationjuive, selon quel’onprennele chiffre de 300000 ou 330 000pour 1939.

La volonté quia présidé àla restitution comme sonamplitudene font aucun doute.Pourtant,la restitution nefut pas complète, enrai-son dela déportation et dela mort d’une partie deceux quipossédaientces biens,mais aussiparce que certainsspoliés, pour des raisons quin’appartiennentqu’à eux, jugèrent inutile de procéder aux démarchesqu’elle impliquait. Desconsignations ont dormi àla Caissedes dépôts etconsignations,comme celles provenant des biens desinternés deDrancy

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ou cellesprovenant del’aryanisation. Une partie descomptesbloquéspendantl’Occupationn’ont pas été réactivés, etsont tombés en déshé-rence. Des sommes ont,pour certaines d’entreelles, été« déchues »,notamment parla Caissedes dépôts,sansrespecter lesrègles de ladéchéance.Il est donc possibled’affirmer qu’il subsiste une spoliationrémanente,faible si on la compare auxrestitutions, mais quin’est pasnégligeable.Nous avançons, avecgrande prudence, desestimationsdansla conclusion générale.

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Restitutions et indemnisationsdesbiens pillés

À la libération duterritoirenational,l’essentieldesfruits du pil-lage a quittéla Francepour uneAllemagne qui capitulesans conditionsle 8 mai 1945.Dèsla fin de l’Occupation seposela question deretrouverces biens, sur leterritoire national comme hors desfrontières, et de lesrestituer.

La quasi-totalité ducontenu des appartementsvidés danslecadre dela Möbel Aktion n’ayant pas été retrouvé,la question dela resti-tution devient celle del’indemnisation.Pour les citoyensfrançais etpourune partie des biens,cette question est englobéedans lecadretrès largedes dommages de guerre etd’occupation.La question dupillage del’or,sans considération depropriété, est traitée à part.À partir de1957,quelleque soitla nature desbienspillés etpourvuqu’ils aient été emportés enAllemagne,tous -Françaiscomme étrangers - peuventbénéficier delaloi fédérale de restitution,la loi BRüG.

Retrouver les « biensculturels »et les restituer

La Commission derécupérationartistiqueLe 19 septembre1944,à l’initiative des Muséesnationaux, se

réunit pour la première foisla Commission de récupération artistique(CRA), crééeofficiellementpardécretle 24novembre1944et rattachéeau ministère del’Éducationnationale.Elle a pourtâche de récupérer, auxfins de restitution, lesoeuvresd’art, les souvenirs historiques, les objetsprécieux, lesdocumentsd’archives,les livres et les manuscrits.Bref, unensemblehétérogènedontla pertesignifierait pour la France unappau-vrissement du patrimoine et qui est désignésousl’appellation de« biensculturels»266. Présidée parAlbert Henraux,président dela société desamis duLouvredepuis1932,ellecompte en1945dix-sept employés, unetrentaine en 1949. L’organisation du travail est confiée à Michel

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Florisoone, conservateur duLouvre, qu’une expérience au ministère desAffaires étrangèresa familiarisé avec les échanges culturels internatio-naux. RoseValland en assurele secrétariat.La commission siège aumusée du Jeu de Paume,là où étaient entreposés les tableauxpillés parl’ERR, jusqu’à sontransferten août1946dans des locaux situés au20bisavenueRapp et au 3 rue deMonttessuy. Unesous-commission deslivresest créée, àl’initiative de Marcel Bouteron, directeur des bibliothèques.Elle commenceà fonctionner le 1er janvier 1945.La présidence en estrapidement confiéeà JulienCain, redevenuadministrateurde la Biblio-thèque nationale après son retour de Buchenwald267.

Pour qu’un dossier soit ouvert àla CRA, il faut quele proprié-taire del’objet réclamé ou sonayantdroit ait auparavantfait une déclara-tion à l’Office des biens etintérêts privés (OBIP). Créé en 1919pourveiller auxbiens desressortissants françaisà l’étranger,il estréactivé parl’ordonnance du 13 décembre1944,avecla tâche de«recenseret resti-tuerl’ensemble desbiensspoliésen Franceparlesoccupants ettransportéshors du territoire national ». Les demandesdoivent être aussi précisesque possible, fondées sur des piècesjustificatives, des listes d’oeuvres,des attestations, des polices d’assurances, des photos...2 289 dossierscontenant un nombrevariable de réclamations parviennent parl’OBIP àla Commission.Celle-ci en rejettecertaines :les preuves depropriétésontinsuffisantes ou les objets ne ressortissent pas à sacompétence.Lesdossiersjugésrecevablessontsystématiquement dépouillés.À partir dece dépouillement est constitué unfichier de 85000 fiches dactylogra-phiées, classéesensuite par techniqueartistique : peintures, dessins,tapisseries, céramiques...Un classement par ordre alphabétiqued’artistesest opérédans chaquerubrique quand cela est possible, notammentpour lestableaux.Les oeuvres repéréescomme étant passéesdanslecommercependantl’Occupationfont l’objet d’un fichier spécial.

Ces fiches servent aussi àla préparation d’un vaste répertoiredes biens spoliés en plusieurs volumes,compilé en1947et 1948 parleBureau des restitutions duCommandement en chef enAllemagne etmisà jour à plusieurs reprises. Carla focalisation actuelle sur les« bienscultu-rels » ou le pillage des appartements desJuifs ne doit pasfaire oublierqu’ils constituent un aspectseulement dupillage général dela France268.Du matériel industriel ou de transport, des chevaux... ont été transférésen grandequantité en Allemagne par l’occupant. Troistomes de cerépertoire illustré dephotos de l’époque concernent les travaux dela

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Mission : le tome 2, qui regroupetableaux, tapisseries,sculptures;letome 3consacré aumobilier; le tome 4 enfin, qui recense argenterie,céramiques ou objets précieux.Le répertoire est trèslargementdiffusépar le Bureau central des restitutions,car il doit mettre en alerte les pro-fessionnels.La CRA, quant àelle, disposed’une centaine d’exemplairesde chacun desvolumes,qu’elle adresse auxmusées et aux galeries, enFrancemais aussià l’étranger,notamment enAllemagne occupée, enAutriche et auxÉtats-Unis.

Retrouver les«biensculturels »Si une petitepartie des objetspillés estretrouvée en France,

dansle train de l’ERR arrêté par des éléments dela 2e DB en gared’Aul-nay,dans les immeubles ou les dépôts del’ERRou à l’ambassaded’Alle-magne à Paris, l’essentiel est récupéré dans les territoires del’ex-III e Reich.

L’histoire dela façondont lesoeuvresont été retrouvéesdans desdépôts enAllemagneou enAutricheet dontelles ont été rassembléesdansles collectingpoints, où elles sont inventoriées en vue de préparer leurretour dans lespays où elles ont étépillées, estdésormaisbien connuegrâce auxacteurs qui ont raconté leur odyssée et à un certainnombred’études récentes269. Parmiles découvertes,la plus importanteestproba-blement celle de Rorimer270 à Neuschwanstein, en mai1945. Cars’ilretrouve alors 1300tableaux,il met aussila main sur les archives del’ERR,comprenant notamment leslistes desaisieet des documents photographi-ques.Desmilliers de fiches de descriptionsd’oeuvres(propertycards)sontconfectionnées,qui donnenttous lesélémentsde provenanceconnus.

La Commission de récupération artistiquetravaille encontactétroit avec lescollectingpoints,celui deBaden-Baden en zonefrançaised’occupation, de Düsseldorf enzone britannique, de Wiesbaden et deMunich enzone américaine oùsontrassemblées lesoeuvres retrouvéesdans lesdépôts del’ERR,mais aussidans lescollections de Göring,Hitlerou Ribbentrop,ainsi que d’autresayantfait l’objet d’achats,notammentpar les musées allemands. En mai1945,la CRA envoie enAllemagne unepremière mission ;Pierre-LouisDuchartrela représente de façonperma-nente auprès des forces d’occupation, alors queRose Valland estnommée chef dela section desBeaux-Artsde la division des affairesinternationales du groupefrançaisdu conseil de contrôle.

La CRA bénéficie aussi des résultats des interrogatoiresmenéspar lesAméricainsen Allemagne ou enAutriche, des enquêtes réaliséespar les services de renseignementsfrançais(DGER), de celles quisont

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conduites dans les cadres des procéduresjudiciaires relevant,pour lesFrançaisdes cours deJustice,pour lesAllemands dela justice militaire.

À partir d’août 1945, lespremièresrecherches ontporté leursfruits.Desconvois en provenance deMunich (quarante du14août 1945à décembre1949),de Wiesbaden, de Düsseldorf (six du4 mars1948 au15 octobre1950) rapatrient lesoeuvresretrouvées. Dejuin à août1946,setient à l’Orangerie des Tuileries uneexposition des plus bellesoeuvresrentrées en France271. Jusqu’au31 décembre1949,terme del’activité dela Commission, desdizaines detrains reprennentle chemin deParis.

L’OBIP avait recensé 96812 demandes, qui neportaient pastoutes sur des« biensculturels et provenaient enpartie seulement despoliésjuifs 272. 61 233objets ont été retrouvés,la plupart (58477) enAllemagne ou en Autriche, d’autres (1 895) en France oudansd’autrespays européens(861). Environ 40 000 objets dont despropriétairesavaient signaléle pillage sontrestés introuvables, détruits par lesbom-bardements, auxmains de particuliersdont l’identité est ignorée, cachésdans despaysneutres, dérobés par des éléments des armées d’occupa-tion en Allemagne.

Quoi quesignataire dela déclaration des Nationsunies du5 jan-vier 1943273, une des quatre puissances occupantes del’Allemagne,l’Union soviétique, nes’estime pasconcernée parla politique de restitu-tion mise enplace par les occidentaux.L’effondrement ducommunismea permis de lever partiellementle voile sur lespratiques de cepays.En1945,Stalineavaitdonné des consignesprécisespour quel’Armée rougerapporte au pays tout ce sur quoi ellepouvait mettrela main encompen-sation des destructionsmassives opérées par les Allemands sur son terri-toire.OEuvres,archives,biens divers sontexpédiés parfourgons entiersversl’URSS. La disparition d’un trèsgrand nombred’objets, devaleuriné-gale, mais comprenantaussi de grandschefs-d’oeuvre, estlourde designification. Des oeuvrespeuventréapparaître à n’importequel momentsur le marché oudans desmusées.La focalisation,pleinementjustifiée,du travail de la Missionsur le cas desMNR ne doit pasmasquerl’impor-tance desoeuvres nonretrouvées etl’état de veille et devigilanceperma-nentes quidoit êtremaintenu ouinstituédans ce domaine.

Les restitutions ont été particulièrementimportantes pour lesgrands marchands et les grandscollectionneurs.La qualité des oeuvresqu’ils possédaient les rendaientfacilement identifiables.Ils pouvaientaussi fournir lesdocuments -listes destocks, inventaires,assurances,

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passages enexposition... -permettant d’appuyer leurs demandes, etlepillage de leurs collectionsavait fait l’objet de notestrès précises del’ERR.

Lorsque la CRA est dissoute, le 31 décembre1949, 45 441oeuvresou objets ont pu être restitués.Il restetoutefois15792objetsdis-paratesrapatriés ou recouvrés en France quin’ont pas alors retrouvé depropriétaires.

Deux organismesprennent en quelquesorte le relais :l’OBIP,qui reprend lesattributions dela CRA est désormais chargé des restitu-tions desoeuvres retrouvées, etla Commission dechoix.

Le devenirdesobjetsnonrestitués :la Commissionde choix

L’ordonnance du 11avril 1945 est formelle : lesobjets nonrevendiqués un an aprèsla date légale de cessation des hostilités sontvendus par lesDomaines.À deuxreprises, ledélai est prorogé.

Dès mars1948,les musées font valoir que certainesoeuvresnonrestituées présentent une qualité artistique qui lesrenddignes des collec-tions nationales.Leur passage en ventes publiquesobligeraitl’État, pours’enporteracquéreur, à delourdesdépenses, qui nepeuventêtre envisa-gées comptetenu dela modestie des budgetsd’après-guerre. De cefait,certaines pourraientêtre amenéesà partir à l’étranger. Lesmuséesexpri-ment ici un souci permanent et qui ne manque pas de noblesse :ladéfense etla préservation du patrimoine national.

Le décret du30 septembre1949tient compte de cesobserva-tions. S’il met fin aux activités dela Commission de récupérationartis-tique à dater du31 décembre dela même année,il prévoit dans sonarticle5 lacréation dedeuxcommissions de choix,l’une pour leslivresetles manuscrits,l’autre pour lesobjetsd’art, présidée parJacquesJaujard.Parmi ses membres, le directeur desMusées de France, desreprésentantsdes Domaines, del’OBIP, des conservateurs deMuséesnationaux et del’inspection générale desMuséesde province.

La Commission dechoix tient, entre le27 octobre 1949 et le17 juin 1953,huit brèvesséances -guère plus d’uneheure, une heure etdemie. Cesséancesserventsurtout à valider les listes préparéesaupara-vant par lesmusées.Aucune archiven’a été trouvée qui permettrait decomprendre comment ceslistes ont été établies.La Commission dechoixsemble avoirtravaillé avec une extrême légèreté.Environ2 000 oeuvres,soit 15 % des quelque 15000 objets, ont été ainsiretenues, sur descritè-res trèslarges,définis lors dela séance du21 décembre 1949 :« Lestableaux de hautequalité, dignes duLouvre,puis lesoeuvresde maîtressecondairesmaissignées ou datées oules oeuvrescurieuseset raresdesti-nées auxsallesd’étude du Louvreet à sesréserves.Ensuite uncertainnombre de tableaux ontétéenvisagésdansl’intention deles proposeraux

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musées historiques.La province a fait aussil’un des soucis particuliersde ce classement.Enfin il a étépenséquel’occasionpouvait êtresaisiedecommencer unecollectiond’oeuvres quiseraientdestinées àpourvoir lesambassades, ministères et autres organismesofficiels »274. Les faux etpastiches ont étéégalement retenus, pouréviter leur mise sur lemarché.

Les oeuvres ainsi choisies sontexposées de1950 à 1954aumusée de Compiègne,afin de permettre à leurs éventuels propriétairesde les réclameravant d’être placéessousla garde des muséessouslesigleMNR (Muséesnationauxrécupération275), OAR (objetsd’art récupé-ration), AOR (antiquités orientales récupération),MSCR (musée deSèvres, céramiques,récupération)pour lescéramiques conservées aumusée national deSèvres,etc. Le reste est remisà l’administration desDomaines pourêtre vendu auxenchères,nousy reviendrons.

Quesont les MNR ?L’année 1954marquedoncla fin dela restitution en matière de

biensculturels etle début de l’accommodation à cestatut horsnormequ’estcelui de« MNR ». Lesoeuvres ainsisélectionnéessont devaleur iné-gale, mais ontrouveparmi elles des Cézanne,Boucher,Chardin, Cour-bet...Le statut deMNR - il faut le souligner - estla marque dela volontédes musées de ne pas s’approprier desoeuvres surlesquellesils savent àl’époque bien peu dechoses et qui nesusciteront guère leurcuriosité.Ainsi, en 1975,la direction desMuséess’est interrogée surla question desavoir si la prescription trentenaire s’appliquaità ces oeuvres ;ellesdeviendraientainsi la propriété des Musées.La Chancellerietranche ledébat : «l’action en revendication est par natureimprescriptible». LeConseild’État arrive à uneconclusion identique,tout enrecommandantquele législateurfixe un délai légal de revendication de cesoeuvres.LaMissionparvient au mêmeconstat quele Conseild’État, à l’exception desoeuvresdont la rechercheaprouvéqu’ellesn’étaient pasissues dela spo-liation et qui peuvent sans aucunproblème devenir propriété desMusées.

L’État et les muséessont donc en quelquesorte frappés de para-lysie devant ces objets austatut étrange.Cette situation n’est pas sansprésenter des analogies avecla façon dont la Caissedes dépôtsa étéincapable derégler correctementla déchéance trentenaire dessommesprovenant des consignations des biensjuifs spoliés. La guerre, écritSimone de Beauvoir évoquantle 8 mai 1945,« nousrestait surles bras

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comme un grandcadavre encombrant, et il n’yavait nulle place a umonde oùl’enterrer »276. Les MNR font partie de ce« grand cadavreencombrant».

Pendant quarante ans,rien nebouge.LesMNR restent oùils ontété placés,dans lesministères, lesambassades, les musées parisiens ouprovinciaux.Certainssontexposés. Enrègle général, le sigle« MNR » estindiqué surle cartel de présentation del’oeuvre quandelle estexposée,mais il est devenu pourtous uneénigme. On a reproché auxmusées -non sansraison -l’absence detransparencedepuisla longue expositiondesoeuvresà Compiègne de1950à 1954et l’abandon detoute recherchedes propriétaires de cesoeuvres en vue d’éventuelles restitutions.Cesreproches -justifiés pour le passé - nesont plusvalables aujourd’hui.

En effet, lesquelque2 000 oeuvres confiées àla direction desMusées deFrance sont, ainsiqu’il était prévu, répartiesdanstrois direc-tions :musées deParis et Mobiliernational qui,ainsi qu’il était suggéré,les a prêtées àdivers ministères et institutions (résidencesprésidentielles,du Premier ministre, Assembléenationale...) ou ambassades.Surrecom-mandation dela Mission, il a été procédé auretrait desoeuvresde ceslieux et à leur regroupementdans lesréserves de l’administration géné-rale du Mobilier nationalou desMuséesnationaux277.

Depuis novembre1996,cesoeuvressont présentées sur Inter-net 278. Enavril et mai1997,cinq muséesnationaux - leLouvre,Orsay, lecentre Pompidou,Sèvres,le château de Versailles - et centvingt muséesde province ont présenté lesoeuvresconfiées en dépôt en indiquantclai-rement qu’elles proviennent de la récupération des annéesd’après-guerre.Le ministèredesAffaires étrangèresa publié lecataloguedes171 oeuvresnon restituées surles 333pilléesde la collectionSchloss.Enfin, la direction des Musées achèvela rédaction du catalogue desoeuvrespicturales dontelle a la garde.

La relance dutravail de restitution nepeut sefaire qu’en avald’une rechercheétablissantl’origine de l’oeuvre et son pedigree.C’estcette recherche,systématique, méticuleuse,longue,aléatoire, qui a étéentreprise,oeuvreparoeuvre,par lesMuséesnationaux aidés parle per-sonnel quela Missiona mis à leur disposition.Travail de fourmi au résul-tat incertain.

La complexité tientautant à l’abondance desdocumentsd’archi-ves et à leur dispersionqu’à leur imprécision ouà leurs lacunes.Mais elletient surtout à ce que lesoeuvres ou objets rassemblés parle hasard deleur récupération en Allemagne ne présententaucuneunité, ni surleplan artistique, ni sur celui de leurorigine. En aucun cas, il n’est

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représentatif desoeuvrespillées pasplus que decelles restituées.Cerésidu estun agrégat.

Les chercheursbénéficient notammentd’un fichier informa-tique élaboré parla direction desArchives du ministère des Affairesétrangèresà partir desdocuments del’OBIP, des archives de l’Occupa-tion françaiseen Allemagneet de celles dela CRA. Ils bénéficient aussi,au ministère dela Culture, des archives desMuséesnationaux, notam-ment des notes prises aujour le jour parRoseValland entre1941et 1944alorsqu’elle était en poste au Jeu de Paume.Les difficultés principalesconcernent lesoeuvres «régulièrement» achetées sur le marché par desparticuliers ou par les musées allemands.Fairetoutela clarté impliqueraitque marchands et galeristes ouvrent leurs archives,montrantainsila facecachée du marché del’art. Cettetransparence -certessouhaitable -vadenosjours à l’encontre dela culture de ce milieu.

Le travail effectué dans les divers fondsd’archivesen France,mais aussidansceux de Coblencedepuisla fin de 1998,a produit desrésultats appréciables. Pourtant, lesoeuvressur lesquellesl’ignorancereste totaledemeurentmajoritaires.Le travail devra se poursuivre,sansoptimisme excessif sur sesrésultats.Dans ce domaine, commedansd’autres,il faut accepterl’idée que le passé conserve et conservera deszonesd’obscurité.

Pour les2 143oeuvres etobjets a été élaborée une grille d’ana-lyse 279 qui permet declasser les oeuvres en trois catégories.

La première(groupeA) rassemble lesoeuvresspoliées aveccer-titude oufortesprésomptions.Cesontcelles qui figurentdans lesinven-taires del’ ERRou dont la dernière trace en Franceest attestéechez uncollectionneurjuif, ou encorecellesdont on nesait rien sur la situationen Francedans l’avant-guerre ousousl’Occupation, mais qui ont étéretrouvées en Allemagne mêléesà des oeuvres spoliées oudont lesinter-rogatoires menés par lesAlliés ont débouché sur unverdict despoliation.Au 1er mars 2000,ce groupe comprend 163oeuvres.

La deuxièmecatégorie(groupeB) rassemble les oeuvresdontl’historique estinexistantpour l’avant-guerre ouinterrompu aumomentde la guerre et qui ont été retrouvées enAllemagnesanstraced’achat;celles dont l’historique s’interromptavant-guerre etreprend avec unachat allemand surle marché français ; celles dont l’historique com-menceavecune acquisition allemande surle marchépendantl’Occupa-tion, par son retour enFrance, ouencore par unvol au cours delapériode de l’Occupation,dont on ignore toutà la fois l’auteur et la vic-time ; lesoeuvresdont l’historique est inexistantpour l’avant-guerre etqui ont été retrouvéesdans unstock du marchand allemand Gustav

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Rochlitz 280 ; lesoeuvresenfin querienne permetencored’identifier dansla documentationexploitée.Cettezoned’ombre regroupe leplusgrandnombred’oeuvres,1817, au1er mars 2000.

La troisième catégorie enfin(groupe C)rassemble, au1er mars2000, 163 oeuvresdont il est possibled’affirmer qu’elles n’ont pas étéspoliées.Ce sont des commandes allemandes ou desoeuvresdont l’his-toire comporte unachat allemand antérieur àl’Occupation ;cellesenfindont l’historique estcomplet, continu et nefait place àaucune possibilitéde spoliation.

Le travail de recherche a néanmoins permisd’opérer des restitu-tions. En1999,dix-neuf oeuvres ont étérenduesà leurspropriétaires ouayants droit : un tableau deMonet, Nymphéas,aux héritiers de PaulRosenberg;cinq oeuvresà ceux du collectionneurFredericGentili diGiuseppesuite à une décision dejustice.Des peintures etobjetsd’art ontété restitués auxfamilles des galeristes André,Jacques etJean-ArnoldSeligmann, cedernier résistantfusillé au montValérienen 1941,et auxhéritiers de JacquesBacri.Des procédures de restitutionsont encours.Lavaleur des objetsestd’une telleimportancequ’il est impossible deresti-tuerà la légère. Chaquedemandenécessite de méticuleusesvérifications.

Parallèlement, le ministèredes Affaires étrangèresintervientrégulièrementpour faire restituerdesoeuvresà des particuliers ouentre-prendre desnégociationsavec des instancesd’autres pays. Ces actions ontabouti àla restitution au ministère dedeuxoeuvresprovenant dela collec-tion Schloss :Vasede tulipesde Dirck Van Delen,rendue par unmuséenéerlandais, et unportrait de Rembrandt,Vieillard à la toque etbarbeblanche,revenu desÉtats-Unis.Leur restitution auxhéritiersde la familleSchlossest en cours. Des négociationssont actuellement menées auxÉtats-Unis,en République tchèque et enBelgiqueafin de récupérertroisautresoeuvresde cette collection, ainsi qu’auJapon en vue derechercherune peintureimpressionnisted’une autre collection particulière.

Les autres restitutionset les ventespar lesDomaines

Quellesrestitutions ?À l’exception de certainsbiens quiressortissentpour l’essentiel

à la CRA et d’unepartie des pianos, les spoliés ne récupèrent au mieuxque des résidus devaleur incertaine.Dans leslettres quipartent duSer-vice des restitutions en réponseà leursdemandesreviennent comme unelitanie les mêmesremarques : les meubles sont en« faiblequantité», en

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« infimequantité», il y a un« petitnombred’objets », « jenevouscachepasquevousavez unechance infime deretrouvervosbiens»281.

À la libérationdu territoire, lesAllemandsn’ont pas encoreexpé-dié enAllemagnela totalitédesfruits de leurpillage.Ça et là, des meubleset des objetsd’usagecourant sontrécupérésnotammentdans lesmagasinsdu quai dela Gare (dit« campd’Austerlitz »), mêlésà d’autres d’originesprobablementdiverses,provenant deréquisitions,abandonnés dans deslocaux occupés par les divers services allemands :6 000à 7 000locauxpour la seuleville deParis,selon diversesestimations.

Comme pour l’ensemble des restitutions, lesprincipes sontclairs : ce qui a été spolié ou pillé doit êtrerendu.Mais de l’énonciationdu principe à samise en oeuvre,la distance estdans ce cas incommensu-rable. Parce quepour l’essentiel,lesobjetsne sont pluslà ; parce que lespropriétairessont pour beaucoupabsents, déportés oupartis enzonelibre, et qu’ils ne regagnentParis quetardivement;parce qu’enfin laquestion des biens des Juifs dansla France dévastéen’estpasla prioritédu gouvernementprovisoire.

Une partie (impossible à évaluer) desbiens abandonnés estdoncsoumiseà la réglementation ordinaire :récupérée par lesDomai-nes, elle est vendue par leService central desventes dumobilier del’État(SCVM) créé enfévrier 1940ausein dela direction générale del’Enregis-trement, des Domaines et duTimbre.Les ventes font en principel’objetd’un procès-verbal contradictoireentre le service « livrancier »,c’est-à-dire celui qui remet les objets, etle Service central desventesdomaniales.Ceprocès-verbalcomprendl’inventairedétaillé desbiens etl’indication approximative de leur valeur.Or, malgré des investigationsapprofondies,la Mission historique du ministère del’Économie, desFinances et del’Industrie n’a pas retrouvé defonds contenant ces pro-cès-verbaux(que cesoit pour la Seine ou les autres départements), quiont été trèsnombreuxà la Libération. Nousretrouvons,ici commedansd’autresaspects dutravail de la Mission, l’immenselacune que constituele peu d’archives desDomaines.

Les ventes sefont aux enchèrespubliques, annoncées par unepublicité adéquate.Mais elles peuvent aussi sefaire « à l’amiable »,c’est-à-dire paraccordentrele SCVM et l’acheteur.Ellessont en principeenregistréesdans lesvingt jours deleur approbation par les Domaines oude leur réception parle receveur contrôleurgénéral.Il est prévu de teniraujour le jour un répertoire des cessionsd’objetsréalisés par les Domai-nes. Dansla période quinousintéresse, de1944à1946,il semblerait quecompte tenu del’afflux considérable des biensà céder, le dispositif

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réglementairen’ait pas été toujoursrespecté.Les ventes amiablessontparticulièrementnombreuses : 135000 lots auraientainsi étévendus àl’amiable contre 3190par adjudication.

La Mission historique duministère del’Économie,des Financeset de l’Industrie a retrouvé de rarestraces de certaines de ces ventes àl’amiable, notammentcellequi a été effectuée le 14 décembre1946auprofit de l’Union des femmesjuives pour la protection dufoyer 282. Pour35040 francsde l’époque,prix résultantde l’expertiseeffectuéepar lessoins desservices duBoisdu ministère dela Productionindustrielle, sontvendus lesmeubles nécessairesà la vie des enfants :chaises,tables,litspliants enfer, matelas ordinaires...Cesmeubles proviennent dudépôt duPalmarium,c’est-à-direprobablement dupillage des appartements desJuifs. On ne peutqu’être frappé rétrospectivement par un fonctionne-ment administratif conforme àla loi et à la réglementation, serein etaveugle : des meublespillés auxJuifs, devenuspropriété del’État, nesont pasdonnés(« rendus »)mais vendus auxvictimes les plus dému-nies : les enfants dont lesparents sontmorts en déportation ou ont étéfusillés. Le même mécanisme estmis au demeurant enoeuvrepour lespianos283.

Enfin, certainesventes sontassortiesd’un droit préférentielaccordé auxvictimescandidates.Ellesdiffèrent desventesàl’amiablecarellessontsoumises aux enchères.Les victimes ontalors un droitpriori-taire d’achat à unprix égal à l’enchèrela plus élevée. Undépouillementdu BOAD 284 montre qu’en1947, 1948 et 1949,principalement enpro-vince, 134 des5 532ventes de meublesfurent assorties decet accès pré-férentiel.En 1950,c’est le cas d’uneseule vente.

C’estseulement enmars1945,septmois aprèsla libération delamajeure partie duterritoirenational, quele Servicedes restitutionsprenden chargele résidu des pillages, restéjusqu’à cettedatesousla responsa-bilité des Domaines.

L’ordonnancedu 11 avril 1945Alors qu’une ordonnance est enpréparation, Terroineattire

l’attention du ministre desFinances surla question des«biens meublesrécupérés parl’État à la suited’actesde pillage ».

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L’ordonnanceen préparation285, explique-t-il, quelles quesoient ses dispositionsdéfinitives, distinguera nécessairement lesbiensidentifiables deceux qui ne lesontpas.Or, «l’état danslequel setrouventactuellementcesbiens ne permet, ni la séparation entrelesdeuxcatégo-ries, ni l’identification deceux de lapremière, celapour la presquetota-lité ». Et de décrire la répartition des divers objets : desmeubles setrouvantdans deslocaux quiabritent des services publics,600tonnes delivresencaissées dans unimmeuble dela rue de Richelieu«occupéparleservicede l’armée, et les occupantsfaisant d’ailleurs desprélèvementsdansles caisses ». Mais surtout,la Foire deParis,où les meubles ont étédirigés parle service desDomaines àpartir defévrier 1945 :« desamon-cellements énormes oùs’entassent, sur plusieursmètresde hauteur, aussibien desmeubles destyleque de laliterie, du mobilierle plus vulgaire,desfourneaux à gaz, un nombreconsidérable decaissescontenant desobjetsles plus disparates (vêtements,vaisselles,matériel decuisine,etc.) ». Ainsi,selonTerroine, toutevisite estpour l’heure inutile,rien nepeutêtre tenté« ni pour la restitution desobjets identifiables, ni pour la répartition desautres. Il faut avanttoutprocéder à unserviced’exposition et auclasse-ment detout cematériel ».C’est pourquoiTerroinedemanded’abord unvaste emplacementàla Foire de Paris ;puis, que lesmeubles et les objetsdes différents dépôts de Parissoientrassemblés, classés et répartis endis-tinguantceux qui peuventêtre identifiés etceux qui ne le peuvent pas etdoivent être distribués286. Il obtientsatisfactionet les meubles sontexpo-sés dansle hall E 60 de la Foire deParis.

L’ordonnance du 11avril 1945règle enprincipe la dévolutionde certains biensmeublesrécupérés parl’État à la suite d’actes de pillagecommis par l’occupant.Elle a pour objet les meubles meublant et lesmeubles corporelsassimilésénumérésdans sonarticle 1er; ces meublesdoivent avoir été appréhendés parl’ennemi et récupérés parl’État. S’ilssont tombés aux mains departiculiers,rien ne permet de les retrouverautrement que par desprocédés de fortune : le receleur découvert estpassible despeinesprévues auCodepénalpour recel. Si les bienssontdevenus biens ennemis,ils sont sousséquestre; l’ordonnance nes’applique pluss’ils ont été transportés en Allemagne.

Après l’adoption decette ordonnance,l’administration inter-vient doublement : d’abord parl’organisation decommissions de classe-ment à l’échelon départemental, séparant les biens endeux masses :ceux qui sontidentifiables etceux qui nele sontpas,puis parla restitu-tion desbiensidentifiables.Ces derniersfont l’objet d’une demande auService des restitutions. En cas delitige, une action est engagéedevantlejuge de paix.La situation esttrès différente de ce qui est prévupour lesbiens « aryanisés »déjà examiné dans cerapport, caril n’y a pas ici

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d’acquéreur.Il s’agit d’une simple revendication, qui se compliquequand le bien estrevendiqué par plusieurspersonnes.Le succès delarevendication dépenddonc de la preuve. Or l’ordonnance du 11avril1945exclut la preuvepar témoin.Le pillé doit doncproduire desfactu-res,des déclarations aufisc... Les biens identifiables et non revendiquésdans undélai dedeux anssuivantla datelégale de cessation deshostili-tés - dateignoréelors de l’adoption del’ordonnance -deviennent pro-priété desDomaines et leuraliénationpourraavoir lieudansla forme desaliénations de produits domaniaux.

Or, un deslitiges récurrents entre lesDomaines etle Servicedesrestitutionsporte surla définition desbiens soumis àrépartition ouà res-titution. Dèsavant l’adoption de l’ordonnance, leService desrestitutionsla juge insuffisante ou ambiguë surplusieurs points.D’abord, parcequ’elle exclut de son champd’application ce qu’uneordonnancepubliéeauJournalofficiel du 7 octobre1944adéfini comme «biensennemis detoute n a t u r e et placésousséquestre desDomaines. Or,«l’administra-tion desDomainesa fait uneconfusionregrettable,entrelesbiensappar-tenanteffectivement àdessujetsennemis[...], et le mobilier abandonnépar l’ennemi dansles appartements réquisitionnés depuisla guerre auprofit demilitaires et de fonctionnairesennemis. [...] Dans lamajoritédescas,[...] lesmeubles étaientprélevéssur lesmobilierspris aux israélites,etentreposésdans desmagasinsgénéraux avant d’être envoyés enAlle-magne »287. Une autrenote, non datée, mais toujours signée parTer-roine, estencoreplusclaire :« Del’enquête à laquelle je mesuislivré, soitpar l’examendesréclamationsinnombrables et souventviolentesreçuespar le service des restitutions,soit par un long entretienavecMonsieur ledirecteur des Domaines, j’ai pu meconvaincre que la quasitotalité desbiensplacés sousgarde desDomainesestd’origine juive. »Lesexceptionslui paraissent inférieuresà 10 %. « Dansces conditions, conclut-il, lesisraélitesdéjà mécontents de la non restitution de leurspropres meublesnemanquerontpasd’accuser legouvernement delesspolierune secondefois en leur faisantsupporterla chargedesréparationsde dommagesdeguerre qui lui incombe. »

Terroinepropose - et, sur cepoint, il estentendu - defaire par-tager aux spoliésla responsabilité de restitution enla confiant à uncomité placésousl’égide du président del’Entraide française,JustinGodart.Cettecommissioncomprend ledirecteur duService des restitu-tions, un représentant dugarde desSceaux, duministère des Prison-niers, Déportés etRéfugiés, du directeur général de l’approvi-sionnement del’Entraide sociale, duCRIF et de diversgroupements :Association des victimes du nazisme,Mouvement nationalcontre leracisme, Association des victimes del’Allemagne et deVichy, Associa-tion de défense des spoliés.

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Conformément à l’ordonnance du 11avril 1945,complétée parl’arrêtéministériel du 17 mai 1945, des« commissionsde classement desmobiliers » dépendant duServicedes restitutions se mettent enplacedans chaquedépartement288. Ellesclassentles meubles endeuxcatégo-ries : les meublesidentifiables, quipeuventêtre rendus àleurs légitimespropriétaires, et lesmeubles nonidentifiables quel’Entraide françaiseattribuera à des« spoliésnécessiteux». Or,malgréles remarques deTer-roine surl’origine d’au moins90 % des biensrécupérés,30 % seulementsont redistribués auxJuifs. LesArchivesnationales conservent, départe-ment par département, les procès-verbaux de ces commissions. Unétatrécapitulatif permet de constater quedanscertainsdépartements,il n’yeut pas de commission, parce que l’occupation allemandefut ténue et nenécessitapas deréquisitions,parce quelesJuifsy étaient peu nombreux,ou que la Möbel Aktion n’eut pas le tempsd’être mise enroute. Dansd’autres, il y eut des restitutions.Parfois est indiquéle montant delavente par lesDomaines decertains des objets récupérés289.

L’assurance que lesmeublesrestés sur le territoire français sontbien mis à la disposition duService des restitutionsrestepourtant unedifficulté récurrente, sil’on en croit l’échange de lettres enjanvier-février1946entre le préfet dela Seineet le ministre del’Intérieur, le Troquer,qui débouche sur une intervention de Terroine auprès duministre delaProductionindustrielle290. Le préfet dela Seinenotequ’à la Libération,un certainnombred’administrations ont réquisitionné deslocaux dontles meublesfurent enlevés, par les Domaines,la Productionindustrielleet la préfecture dePolice ;que les Domaines louent des mobilierstandisquela Productionindustriellebloque les meubles surplace et les attribueàdes bénéficiaires de sonchoix291. Maissurtout,Terroine souligne cefaitmassif:la répartition n’intéresse qu’un certainnombre despoliés ; elle neréparera que partiellement lespertes subies.Il serait judicieux de prévoirdansl’avenir un dédommagement plus complet des pertes292.

Si l’on s’en tient au cas parisien, les propriétaires éventuels desobjets identifiablessontinvités à lesvoir au stand60 dela Foire deParis,à les identifier et à les récupérer.Pouréviter defausses reconnaissances,on leurdemande,avant toutevisite, un inventaire de leursbiens.La pro-cédure estdoncla façonsuivante : unepersonneécrit au Service des res-titutions 293 ; elle explique engénéralla façondont son appartement a étévidé. Le service répond par unelettre type qui accuse réception et

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demande uninventaire détaillé desobjets dérobés, et une attestation dela concierge ou du gérant del’immeuble qui précisela date dela spolia-tion. Cette pièce doit être légalisée parle commissaire de police. Aprèsréception de cesdocuments,le Servicedes restitutionsadresse uneauto-risation de visite dustand60 dela Foire deParis« entenantcompte de ladate devotre spoliation et del’ordre établi pour les convocations quidébute par les derniersspoliés (août 1944) dont les bienssontsupposésêtre restésen France »294.

Lesarchivesconservent unfichier de restitution de mobiliers295

et des procès-verbauxd’objetsmobiliers identifiables296. Cependant cesdossierssemblentlacunaires,notammentpour la série des procès-ver-baux.Les fichescomportent desindications sommaires : nom etadressedu propriétaire, numéro(s) du procès-verbal de restitution, date(sansdoute dela restitution) etnuméro derestitution.Il suffit delire ces fichespourvoir le petit nombre etla modestie de ce qui a étéretrouvé. Parfoisdes indications supplémentaires permettent desavoir quele dossieraététransmis àla CRA. Le Service desarchives économiques etfinancièresconserve unesérie complémentaire de procès-verbaux de restitutiond’objetsmobiliersidentifiables,classéspar ordre numérique297.

Parle biais del’OBIP, un certainnombred’objets sonteffective-mentrécupérés, plus rarement des mobiliers ordinaires.Cesderniers seretrouvent parfois - sansqu’il soit possible dedonner des raisons -dansles lots relevant dela CRA. Parmiles quelque 13500 objetsvendus parles Domainesfigurent parexemple des sommiers.

Un bilan impossibleIl estdifficile, voire impossible, de présenter un bilan des resti-

tutions. Unenote duServicedes restitutionssoulignel’ensemble des dif-ficultés :

« Lavisite dustand 60 au parc desexpositions à laPortede Ver-saillesoù sont entreposésles meublesdéclarésidentifiablespar la Com-missiondeclassementdonnelieu à différentsincidents.Un grand nombre devisiteursestiment que lemobilier qui setrouve à ladisposition desintéressésest insuffisant.D’autres demandent àvisiter lemobilier mis à la disposition de l’Entraide française, et qui a étéjugé nonidentifiablepar lesexpertset la Commissiondeclassement.Certainsmeubles sont revendiqués par plusieursvisiteurs.Laplupart despersonnesdépossédéesne veulentpas se rendre compteque le mobilierdont ils ont étéspoliésa ététransporté en Allemagne, et qu’il ne se trouve

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plus à leur dispositionenFrance.Il y aura lieu, semble-t-il,de faireunedéclaration,soit à la radio,soit à la presse,pour effacerlesillusions quisont néesdansl’esprit de beaucoup devisiteurs[...][...]au préalable, il s’agit derégler la question de la restitution du mobilierqui se trouveentreposédanslesentrepôts desDomaines et qui, enpartie,provient desspoliations.J’ai fait à cet effetdespropositions qui sont àl’étude. Il paraît eneffet difficile defaire uneventilation entrelesmobi-liers qui ont étéachetéspar la Préfecturede la Seine en exécutiondesclauses del’armistice, en vue depourvoir au cantonnement destroupesd’occupation, achats quisechiffrent àplusieurs centaines demillions defrancs, etles mobiliers dont les troupes d’occupation s’emparèrentsansréquisition, niachat.Une commissiondanslaquelle lesreprésentants des différentsservicesduministère desFinances(blocus,domaines,restitutions)ainsi quelesasso-ciations despoliés,seraientreprésentés,pourraient établir unediscrimi-nation entre lemobilier appartenant auxspoliéset celui qui a étéacquispar la Préfecturede la Seine.Cettediscrimination serait nécessairementarbitraire, maispourrait apaiserdans unecertaine mesurelesspoliés.Pour éviter des incidents etéclairer les spoliés, une communicationsembledevoirêtre faite ainsique jel’ai proposéplus haut. »298

Parmi ces objets,environ 2 000 pianos entreposésdans lessous-sols duPalais deTokyo, dont le chef duService desrestitutionspense enfévrier 1945,avec unbel optimisme,« quepour bon nombrel’identification et par conséquentla restitution seront relativementaisées »299.

La questiondespianosLespianosreprésententdansla restitution,commeils l’ont été

dansle pillage, un cas particulier,mieuxcirconscrit, etdont il est possiblede raconterl’histoire de façon détaillée etcertaine.Maissurtout,ils cons-tituent, à l’exception des objets rapportésd’Allemagne par lessoins delaCRA, le seul ensemble importantd’objets de valeur.Ils arrivent de par-tout, del’hôpital Beaujon ou deLariboisière, d’un café situé auPetit Cla-mart, du ministère del’Air, du lycée Montaigne, desgrandshôtels delacapitale réquisitionnés par les Allemands,comme l’hôtel Meuriceou leCrillon. Ils sont en nombredans lesdépôts dela Dienststelle Westenoudu Sonderstab Musik.Leur recensement estterminé le 20 avril 1945.

Les pianos sontexposésdansdivers lieux : austand 63 delaFoire de Paris, au Palmarium dujardin d’acclimatation,au Palais deTokyo. Commencent alors desvisites. Commepour lesautres biens,lespolié doitauparavantavoir fourni une description de son instrument.Sicertains reconnaissent unpiano etsont seulsà le revendiquer,il leur

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appartient de lefaire transporterà leur domicile300. Uneliste des person-nes ayant retrouvéleur pianofigure dans les archives duServicedesres-titutions301. Parfois,plusieurs personnesreconnaissentle même pianocommeétantle leur ;si le litige ne peutêtre réglé parle Servicedesresti-tutions302, l’affaire passe devantle juge de paix qui tranche.

Si des pianossont restitués, unnombrepratiquement égal nel’est pas. D’autre part,certains propriétaires ne récupèrent pasleurs ins-truments qui ont probablement été emportés enAllemagne.Les pianosdont la visite est encoreorganisée auPalmariumdu Jardind’acclimata-tion ou auPalaisde Tokyojusqu’enmai 1947restent des biensidentifia-bles non revendiqués.Le 25 mars 1946,le professeur Terroinefait unpremier bilan :2 073pianos ont été retrouvés;900d’entre euxenvironont été ou sont sur lepoint d’être restitués ;presquetoutes lesdemandesde visite présentées auServicedes restitutions ont été satisfaites.Il restedonc,note Terroine, 1 200 pianos quiseront vendus par lesDomainesconformémentà l’ordonnance du 11avril 1945,deux ansaprèsla datelégale de cessation deshostilités.

Parmiles spoliés quin’ont pas récupéré leurpiano, insisteTer-roine, « figurent un certain nombre de professionnels -professeursdemusique ou dechant, artistes,élèvesdu Conservatoire,etc.Pour lesuns,poursuit Terroine,cet instrument constituait legagne-pain ; les autressontdansl’impossibilité de poursuivre,sans lui, leur études». Or il est,dans la période del’après-guerre,extrêmementdifficile de louer oud’acheter un piano. Terroinepropose donc,« plutôtque delaisserinutili-sés et exposés aux intempérieslesinstruments[...] de consentir àcette caté-gorie despoliés,un prêt »selon lesmodalités des locations consenties parles Domaines303. Terroine évaluele nombre debénéficiairesd’une telleopération à une centaine.Le 25mars1946,il reçoit une réponsepositive.

Les contrats de prêtsont tous dumême type304. Ainsi pourM. K., compositeur de musique,dont lesdeuxpianos à queue, un Ouryet un Steinway,pillés, n’ont pas été retrouvés et qui sollicite,« enqualitéde compositeur de musique,[...]le prêt d’un piano dequalité autant quepossibleanalogue àcelle de monSteinway,instrument quim’est indis-pensable pour melivrer à la compositionmusicale ». Il choisit au

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Palmariumun Bechstein.Il s’engage alorsà payer les honoraires du com-missaire-priseur chargé d’en estimerla valeur,qu’il fixe à 110000 francs.Le pianolui est prêtépour unedurée de six mois à dater du9 décembre1946,renouvelable de troismois en trois mois par tacitereconductionsans quele prêt puisse excéderdeuxans. M. K. s’engageà assurerlepiano (le contratd’assurance estjoint au dossier), à l’entretenir et le répa-rerà sesfrais,à payer lesfraisde transport du pianojusqu’à son domicile,à notifier le prêt à sesfrais par acted’huissier.

À l’expiration du délai dedeuxans, enjanvier et février 1949,les Domaines proposent aux personnesà qui a été prêté unpiano del’acheterou dele rendre. Un expertprocèdeà une nouvelle expertise.Lagrandemajoritédes spoliés rachètentdonc un piano àl’État alorsqu’ilsn’ont pas récupéré celui qui leur avait été volé.Avec le recul dutemps,cette procédure semblesingulière.Le montant global de cette cession estd’au moins3 687000francs.

Dans son bilan du14janvier 1948,lechef duServicedesrestitu-tions insiste surle travail accompli enmatière depianos.Il fait état de8 000 pianos signalés commedisparus parleurs propriétaires et de2 221 récupérésdansle seul département dela Seine ;1 356ont été ren-dus, 134 prêtés,443 remis aux Domaines ;288 sont encore dans lesdépôts.

Les 13500objetsLe nombreexact des objets passés parla Commission de récu-

pération artistiquevarie légèrementselon les documents. Cesvariationss’expliquent aisémentquand onsait quedanscertainscomptages desgroupesd’objets (service de table parexemple) peuventêtre comptéscomme une unité ouchacune despièces le composant.La liste dequelque12463 objets a été établied’après les archivesde l’OBIP 305,l’organisme qui les a transmis auxDomainespour que cesderniers lesvendent.Sa lecturemontrele caractère hétéroclite desbiens quila com-posent, en grandepartie du mobilier courant (sommiers, chaises,lits,tables).Seuls1 527 d’entre euxsont desobjets identifiables.Quelquesobjets,très minoritaires,proviennent de commandesnazies,comme despiècesd’un service de porcelaine fabriquépour Göring parla manufac-ture deSèvres. D’autres ont une réelle valeur.

Cesobjets sontvendusà partir de1950dans lessalles deventedes Domaines, rue deRichelieu,après avoirfait l’objet d’annoncesdansle BOAD. La nature des objetscommandele type devente. Certainstableaux atteignent des enchèrestrès élevées,commeLa Maréchale de

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Luxembourg et sa famille, deLancret,adjugéà 3 200 000francsle 5mars1951.Le mêmejour, L’intérieur d’une tavernede vonEstadeest vendu705000 francs. Le 7 juin 1951, un Corotatteint 3900000 francs. Lesobjets defaible valeursont adjugés par lots etpeuvent de cefait êtremêlés à des objets d’autresprovenances.Au 15juin 1953, leproduit totaldes ventes se monte à96 120000francs306.

Les objetsprovenantdesinternésdeDrancy,Pithiviers,Beaune-la-Rolande

Le 8 décembre1947, le coffre 608, loué par la préfecture dePolice à la Banque deFrance, estouvert et son contenuinventorié.L’inventaire de 116pages est conservé dans lesarchives dela préfecturede Police.Une informationfaite en direction des institutionsjuives donneapparemment peu derésultats.Lesobjets sont alorsassimilés àceuxlais-sés au greffe d’uneprison.À partir du 2 juin 1948, ils sont remis auxDomaines quiprocèdent à leur vente et consignele produit à la CDC.Uncertainnombre de cesconsignations a étéretrouvédans lesarchives dela CDC.

Ainsi, les montants des ventes par les Domaines apparaissentpar bribes, dansle casdes pianos,celui des meubles venduspour équi-per les maisons d’enfantsdont les parents sontmorts en déportation ouont été fusillés ouencore lesventes des 13500 objets provenant delaCRA 307. Cesbribeslaissentpenserqu’ellesne furent négligeables, ni parleur nombre, ni parleursmontants.

LesdiversesindemnisationsLes objets pillésdans lesappartements ontfait l’objet de deux

types d’indemnisations complémentaires.La première indemnisationrelève dela législation française des dommages deguerre. Comme toutela législationfrançaisede la République, elle ignore les distinctionsreli-gieuses et ethniques.Seulecompte, pour leslégislateurs,la nationalité decelui qui a subi des dommages.La législationallemande, elle,prend encomptela spécificité dusort desJuifsdansl’Allemagne nazie et lespaysqu’elle occupa etpilla. Elle pose comme principequ’un bien nepeutêtreindemnisédeux fois. Dansle cas dela France,les dossiersd’indemnisa-tion allemands,comme lessommes del’indemnisation, prennent encompte lesindemnisations autitre desdommages deguerre.L’or pillénotammentdanslescoffres debanques parle Devizenschutzkommandoest quantà lui en partie remboursé parl’État.

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Les dommagesdeguerreLe pillage des appartements et des locaux professionnels des

Juifs, bien souvent confondusquandil s’agit de petits artisansjuifs, lestailleurs ou fourreurs notamment, constitue un élémentinfime del’ensembleconsidérable des dommages de guerre.

La loi fondamentale d’indemnisationpour les dommages deguerre subis au cours dela période1939-1945est celle du 28 octobre1946308. Elle proclame «l’égalité et la solidarité detous les Françaisdevantleschargesde la guerre», affirme le droit à la réparation intégraledes«dommagescertains, matériels et directs causés auxbiensimmobi-liers ou mobilierspar fait deguerredanslesdépartements français». Lesétrangerssont exclus dela réparation, saufs’ils ont « servi,ou l’un desascendants, des descendants oule conjoint pendant la guerre de1914-1918ou cellede1939-1945dansles formationsmilitaires françai-sesou les formationsmilitaires alliées». C’est, pour notre domaine, uneexclusiond’importancecar une grandepartiedesJuifs victimesdu pil-lagesontétrangers.Lesdommages de guerren’indemnisent pas nonplusla perte d’éléments« somptuaires »dont la définition juridique n’est pasaisée.Il faut sereplacerdansle contexte des annéesd’après-guerre, cel-les d’une pénurie extrêmedans uneFrance où, aprèsquatre annéesd’occupation et de pillage généralisé, lesbombardementsalliés, les des-tructionsdues aux combats dela Libération, tout est à reconstruire.Lesomptuaire s’opposeainsi au nécessaire.À titre d’exemple, ni les bijouxni les oeuvresd’art ne sontindemnisés.

Quelles ont été les méthodes d’indemnisationdansle cadre desdommages de guerre, méthodes qui,répétons-le, neconcernent pas lesseuls sinistrés ou spoliés dufait de leur définitioncommejuifs, maiss’appliquent parexempleà ceux dont leshabitations ont été entièrementdétruites par les bombardements ?Trois méthodes furent appliquées.L’indemnité de reconstitution des biensmeubles etd’usagecourant oufamilial est totalequand le sinistré apportela preuve dela valeur dumobilier détruit.Quand,sans pouvoirapporterla preuve dela valeur dumobilier, il peutjustifier de sa consistance, l’indemnité estencoretotale,calculée d’aprèsle prix forfaitaire d’objets de mêmenature.Quandlesinistré ne peut produireaucunepreuve, le coût dela reconstitution estfixé forfaitairement à 90000 francs parfoyer, majoré de30 % par enfantou ascendantvivant au foyer et de 15% pour toute autre personnevivanthabituellement au foyer.Les dossierssonttraitésdansle cadre de com-missions départementales oucantonales.

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Dansle cadre de cetteloi, six millions de dossiersenviron ontété déposés ettraités309, dans une période oùla totalité des dommagesde la guerre de1914-1918n’avaient pas été réglée.Les dommages deguerre et d’occupation indemnisèrent, parl’intermédiairedu ministère dela Reconstruction et de l’Urbanisme(MRU) les dommagesconsécutifsaux bombardements, les pertes au cours detransportferroviaire, les pil-lages (et mêmedanscertainscas,ceuxcommis par desFrançaiscollabo-rateurs), les réquisitionsallemandes oualliées non payées, lesactes despoliationquand lesspoliateursétaientinconnus ouinsolvables.Environla moitié de ces dossiersconcernent lesmobiliers, ceuxd’usagecourantcomme ceuxd’usagefamilial. Là encore -est-il besoin de lepréciser ?-lesJuifs forment uneminorité des spoliés,la grandemajorité étant lesAlsaciens-Mosellans et des sinistrés.

Selonune enquête générale lancée enmars1960par la direc-tion desArchives,cellesdes dommages de guerre représentaient un peumoins decentkilomètres linéaires.C’estdire ques’il avait fallutoutes lesconserver,l’État aurait dû construire uncertain nombre debâtimentspour les abriter,affecter du personnel pourles inventorier, les classer,assurer leur conservation et leur communication.En mars 1962,il estdonc prévu de détruire, après échantillonnage, une partie de cesarchives.

Parmi cesmillionsde dossiers, seulsnousintéressentici les dos-siersafférents aupillage des appartementsclassés« mobilier familial » et« mobilierd’usagecourant ou ceux classéscommedommagesprofes-sionnels. Oril a été prévu detous lesdétruireà dater du1er janvier 1963,à quelquesexceptionsprès. Parmi cesexceptions, les«dossiersdont lestitulaires ont demandé laconservationen vued’obtenir le bénéficede laloi fédéraleallemande(loi BRüG) » 310.

En effet, les dossiers desdommages de guerre sontd’un impor-tancecrucialepour la constitution des dossiersd’indemnisation dela loiBRüG. Ils ont été en principe versés auxArchivesnationales enjanvier1965311. Une autre mesure est prise aussi : lespièces nécessaires àlaconstitution desdossiersdansle cadre dela loi BRüGpeuventêtre resti-tuées aux spoliés.C’estainsi quedans lesdossiers duFSJU figurentdespièces originales venant des dossiers desdommages de guerre.

Au sein du FSJU,divers experts ont minutieusementexaminéles indemnisationsdans le cadre des dommages deguerre :75 % des

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demandesprésentéesdans le cadre dela loi BRüG avaientfait l’objetd’une indemnisation dansle cadre desdommages de guerre.

À partir de cesanalyses312 faites par lesexperts, des solutionssont proposéesdansle cadre dela loi BRüG.

Unelégislation allemandederestitutionPendantla guerre, les organisationsjuives présentèrentl’idée

que, la guerrefinie, il devraity avoir tout àla fois réparations etdédom-magements des pertes causées par lescrimes et les spoliations,pour lescommunautésjuives encoreexistantescomme pour lesvictimes jui-ves313. Elles ont posé précocementla question en termescollectifs etindividuels.Leurs revendications présententalors troisaspects, quel’onretrouve dansd’autres situations :1 -Lesautoritésallemandes commed’ailleurs les citoyensallemandsqui,à l’époque nazie, se sont approprié lesbiens desJuifs parexpropriationou par acquisition forcées doivent êtrecontraintes de les restituer.2 - La nouvelle Allemagne doitaccepterle principe des réparationspourtous les dommagescausés àla santé, àla liberté, aux possibilités profes-sionnelles que lesnazis ont fait subir aux Juifs commed’ailleurs auxnon-Juifs.3 - Et, ce qui est radicalementnouveau :l’Allemagne doit accepter leprincipe d’une réparation globaleà l’égarddu peuplejuif en totalitéafinde lui permettred’édifier en lieu etplace des communautésjuives rava-gées en Europe unevie nouvelle et de nouvellesinstitutions.

La question desréparationsprend untour nouveau avecla créa-tion de l’État d’Israël en 1948,la constitution dela République fédéraled’Allemagne en1949,et les accords de Luxembourg en1952et de Parisen 1954.Dansle prolongement des accords deLuxembourg,l’État fédé-ral prend en charge defaçon unifiéela question desWiedergutmachun-gen 314, terme générique allemand désignant les indemnisations, que cesoit pour des dommagesmatériels ou des préjudices portés àl’intégritécorporelle,à la santé ou à l’éducation.Au sens propreil signifie « faire ànouveaule bien » : il sous-entend quel’indemnisationpeutréparercom-plètement le préjudice subi, que le « bien » peut effacer le « mal ». EnAnglais comme enFrançais, lesorganisationsjuives usent du terme de« restitution» mêmesi le terme de « réparation», qui comporte uneconno-tation morale, estcourammentutilisé. La question des « réparations»,hautementcontroversée, crée de violentsremous en Allemagnemais

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aussi,pour desraisons différentes,dansle mondejuif, enIsraël commeen diaspora315.

En Allemagne,une minoritépousseà l’élaborationdes lois deréparation,avec conviction, passion etpersévérance, notamment desavocatsjuifs allemands qui avaientémigré après 1933 et quireviennenten Allemagneaprèsla capitulation demai 1945.Dansle cadre del’ URO(United RestitutionOrganization),ils consacreront leur vieà la questiondes réparations.Mais Konrad Adenauerjoue un rôledéterminant :il acompris quel’Allemagnene pourras’ancrerdansle monde desdémocra-ties si ellerefuse d’indemniser lesvictimes desdommagesinfligés lorsd’unepersécution longue dedouzeannées et sielle ne contribue pas auxfrais de l’installation en Israël des émigrésd’Allemagne puis des survi-vants dela Shoah.

Le 10 septembre1952,à Luxembourg,le chancelier Adenauer,le ministre desAffaires étrangèresd’Israël, Moshe Sharett, et NahumGoldmann signent un accord sur lesréparations qui règle essentielle-ment la question desréparationscollectives. À la demande del’Étatd’Israël,NahumGoldmann aconvoqué à NewYork, le 25 octobre1951,une grandeconférence de vingt et une délégationsjuives qui a pris lenom de ConferenceonJewishMaterial Claimsagainst Germany(pluscouramment nomméela Claim’s) pour soutenir lesrevendications del’État d’Israëlet de tous lesJuifs horsd’Israël.Le 20 janvier 1952,la direc-tion des négociationsavait été confiéeà un praesidiumcomprenantGold-mann et quatre responsables d’organisationsjuives de New York,auxquelss’ajoutent ensuite un Britannique et unFrançais.Lesaccords deLuxembourg constituent une nouveautéradicale.Comme le note NahumGoldmann dans sonAutobiographie :« Il n’y a sansdouteaucunexemplequ’un État ait étéamené àassumer laresponsabilitémorale des crimescommis contre ungroupe ethnique nonorganisé entant qu’État et àavoir à verser d’énormesdommages etintérêts.»316

Deux ans plustard, le 23octobre1954,les troisalliés occiden-taux restituent sa souveraineté àla RFA par les accords deParis.Aupara-vant, P. Mendès-France etK. Adenauer avaient conclu un accord sur lesconséquences dela déportation.C’est dans cecontexte quesont votéesdeuxgrandeslois qui règlent les préjudices subis par les individus,dansleur personne,d’une part,dansleursbiensspoliés, d’autre part.Cesontles lois BEG et BRüG.

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La loi BEG,Bundesentschaedigunggesetz, a été adoptée 18sep-tembre1953317. Elle reconnaît le droità indemnisationpour toute per-sonne qui a subi sousle Reich hitlérien, pour desmotifs raciaux,religieux ou idéologiques, un préjudicedanssavie, son intégritécorpo-relle, sa santé ou sesintérêtsprofessionnels.Sontnotamment concernéesles personnespersécutées apatrides, lespersonnesréfugiées quiavaientcette qualité aumoment dela persécution (sauf si elles étaientautrichien-nes) et qui ont,depuis,acquis une nouvelle nationalité. C’est à ces deuxdernières catégoriesqu’appartiennentla plupart de ceux qui, en France,sans qu’on puisse aujourd’hui en direle nombre, ontbénéficié dela loiBEG 318.

L’URO, qui avait établi desbureaux enAllemagne, en Israël, enAngleterre et en France,joua un rôleessentieldansla mise enoeuvre dela loi BEG,regroupant plus demille membresactifset représentant plusde 300 000victimes.Il joue un rôle essentielaujourd’huiencore pourlaconnaissance historique des persécutions et deleur indemnisation, carila laisséune revue et des archives.L’URO rejoint la Claim’s en 1951.EnFrance,ses avocats (cinqjuristespendant unedizaine d’années) établi-rent, pour la plupart despersonnesrelevant dela loi BEG et résidant enFrance, les dossiers quipermirent l’indemnisation. Aujourd’hui,l’ UROn’est plus dans notrepays représentée que par unepersonneassistéed’une secrétaire319.

La loi BRüGLa loi BRüG(Bundesrückerstattungsgesetz,c’est-à-direloi fédé-

rale de restitution)date de1957.Elle a été amendée en1958, 1959,1964et 1969,la modificationla plus importante étant celle de1964qui donnenaissance àla loi dite BRüG Novelle,la loi BRüG nouvelle.

La loi BRüG n’a pas été votée en principepour lesJuifs deFrance puisqu’elle s’attached’abord et principalement àla restitution desbiens spoliés surle territoire d’application dela loi, c’est-à-direla Répu-bliquefédérale d’Allemagne etBerlin. Pourtant, un de ses articlespermetd’enfaire bénéficier lesJuifs de Francecar il stipule que les«biens de for-tune identifiables »enlevés hors duterritoire allemand sont indemnisa-bles« s’il est prouvéquecesbiens ontététransférés aprèsleurenlèvement »dans leterritoire où s’appliquela loi.

Dès qu’estconnuela nouvelleloi allemande, unbureaud’infor-mationestouvert au25 rue de Berri par le Fondssocialjuif unifié (FSJU)

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avec l’accord desgrandes organisationsjuives. Les organisations sepréoccupent alors deréunir la documentationla pluscomplètepossiblesur les spoliations enFrancepour «constituer un dossier quipuisse, lemomentvenu, servir de base denégociations avec le Gouvernement deBonn »320. Le comité de liaison des organisationsjuives se préoccupeaussi duconcours des pouvoirspublics et notamment duMRU « quis’estdéclaré prêt àcommuniquerles pièces ensapossessiondanslesdossiersindividuels des sinistrés» 321.

Le FSJU,mandaté par l’ensemble des organisationsjuives, mènedonc unedoublenégociation, avecle gouvernement deBonn et avec lespouvoirs publicsfrançais.Les archives quipermettent de reconstituer letravaildu FSJUse trouventdans lesdossiers généraux, conservésà Paris.Lesdossiersindividuelsont été,quant àeux,transférésen1977àJérusa-lem 322.

Jusqu’àla loi BRüG,seuls lesobjets spoliés sur leterritoirede laRFA ouvraient droit à indemnisation.La loi BRüG rompt avec ce principeet admetl’indemnisationdes objets spoliés ailleurs, pourvuqu’il soit éta-bli qu’ils ont été transportés en Allemagne fédérale,mais,dans le texte de1957,cettepreuvedevait êtreapportéeindividuellement et cas par cas.D’où de graves inégalitésentre lesvictimes, selon quela spoliation estbien documentée ou non.Les valeursmobilièresspoliées auxJuifs desPays-Bassont connues par un compte deliquidation complet ; lesoeuvresd’art ont fait l’objet d’inventairesou figurent sur les listesdel’ERR. Mais pour les meublespillés dansle cadre dela Möbel Aktion, ondispose d’inventaire seulement quandils ont été pris dans desgarde-meubles.Le flou règne, ce quicomprometl’indemnisation.

Sur ce point, l’action des organisationsjuives de France, desPays-Bas et de Belgique est décisive. Dèsle mois d’octobre1958,unesolution à cette question dela preuveimpossible est trouvée ;le législa-teur accepte de renoncer auprincipestrict dela preuve dela territorialitéde l’objet spolié pouradoptercelui, plus souple, dela preuve graduée.Commela connaissance historique (etnotammentl’ensemble desdocu-mentsrassembléspour le procès de Nuremberg)permet desupposerque l’objet spolié est en toute vraisemblancearrivé sur le territoire duReich, les administrations dela restitution libèrentle spolié del’obliga-tion de prouver aucaspar casque la spoliation entredansle domained’application dela loi. En revanche, l’indemnisation dépend directementdu degré de probabilitéd’arrivéedel’objet sur le territoirede la RFA ou

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Berlin. Si l’on estime ces chancesà 80 %, le montant d’indemnisations’élèveà 80 % de la valeur de récupération del’objet. Comme il estimpossibled’établir pour chaqueobjet le chemin qu’il a suivi, chacunrecevra80 % de la valeur calculée de ses bienspillés. L’ensemblede cesprincipes a été accepté.En juin 1959,un accordest trouvé avecle gou-vernement de Bonn.Le Fondssocial transforme alorssonbureaud’infor-mation en bureau des spoliationsmobilières qui s’installe dans deslocaux spécialement louésà cet effet, 14 rue Georges-Berger.Dirigé parAdam Loss,ce bureauest un serviceautonome duFSJUayant sonper-sonnel, seslocaux etsa comptabilitépropres.

Avec l’agrément desdeux gouvernements allemand et français,une commission d’expertsindépendantsestconstituée àParis323. Elle estchargéed’examinerchaquedossier,d’établir les basesde l’indemnité àlaquelle sontitulaire peutprétendre.Les demandessont alors transmisespar bordereaux decent avecl’attestationde la commission d’experts auxreprésentants légaux duFSJUen Allemagnequi se chargent de les pré-senter auxoffices de restitution(Wiedergutmachungsämter,en abrégéWGA). Après quelquessemaines dedélai, des décisions individuellessont notifiées par les autoritésallemandes et les indemnitéscorrespon-dantesversées au compte duFSJU dans une banque enAllemagne.L’essentiel des fonds, destiné aupaiement desindemnitésdues auxdemandeurs, esttransféré sur uncompte enmarkschezMM. Rothschildfrères,puis converti enfrancs soit surle marché libre deschanges,soitsur le marché dela devisetitre dansla mesure où les autorisationsrequi-ses sontaccordées.Les règlements sefont donc enfrancs. Unepetitepartie desfonds, de 6% à 10% selon les cas et les périodes, est prélevéepourcouvrir lesfrais du FSJU.Les personnesconsidérées comme néces-siteuses sont exemptées decette participation.Le spolié qui nesouhaitepas passerpar le FSJUpeut présentersadémarche directement ouparunautremandataire324. Dans ce cas,il doit pourtant obtenir, parl’entremisedu FSJU,une attestation dela commission des experts, exigée parle gou-vernement allemand. Uneparticipation de 3 %dumontant del’indem-nité estdéduiteautomatiquement par leministère desFinances allemandet versée aucompte desfrais du FSJU.

Les registres, comme les dossiers correspondants, étaientconservésdans lesarchives desWGAsituéesdansleslocaux du sénat deBerlin. Les WGA,administrationad hoc, n’existantplus, l’ensemble desdossierssont, au moment où nousécrivons, en cours de transfert aux

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Archivesdu LanddeBerlin où ils seront consultables selonla législationallemande.Les dossiers qui attestentle règlementdéfinitif sont quant àeux conservés àla direction financière duLand de Berlin. À Berlin, lachargée de recherche denotreMission travailledésormaispour la Com-mission présidée par PierreDrai qui procède àla consultation et àl’ana-lysesystématiques des dossiers.

Le secondélément del’accord passé avec Bonnconcernelaprise en comptedans lecalcul de l’indemnisation de ce qui a étéversédans lecadre des dommages de guerre.Car la République fédéraleaexigé de déduire du montant à verserdansle cadre dela loi BRüG lessommesdéjàperçuespour dommages deguerre.LesAllemandsne veu-lent pas payerdeuxfois pour le mêmebien.

Lesdossiers consultés àBerlin ou à Jérusalem, ainsique les dos-siers généraux conservés parle FSJU à Paristémoignent del’extrêmecompétence, delagrandeméticulosité et dela volonté dela commissiond’experts de toujours trouverla solutionla plusfavorable aux spoliés.Ilseraitabsurde de reprendre, quarante ansaprès, et sansla connaissanceet les renseignements dontdisposaient ces hommes, untravail qui s’estfait pendant plusd’une dizaine d’années avecle doubleavaldes spoliéset des organisationsjuives. Saufà considérer que l’indemnisation est untravail de Sisyphe,à reprendred’une générationà l’autre, dansl’oubli,l’ingratitude et le mépris de ce qu’ontfait nos aînés.

Pour le législateur,les administrations chargées d’appliquerlaloi et les tribunaux,il ne peut yavoir indemnisation ques’il est prouvéqu’il y a eu spoliation, ce qui impliquele respect de règles précises.Lapremièreconcernel’identité et le statut del’administrationou dela per-sonne qui aprocédé àla spoliation ;la secondele motif de la spoliation ;la dernière est relative àla nature del’objet spolié.

Pourqu’il y ait indemnisation,il faut d’abord quele bien ait étéconfisqué par les autorités duIII e Reichou par les autorités étrangèresagissant directementpour soncompte325. Quand lesautorités spoliatri-ces ne font pas partie dela liste, leur affiliation au Reich doit êtreprouvée, ce quiestparticulièrementdifficile pour certains pays occupés,commela France :il faut en effet prouver quele III e Reichest respon-sabled’une spoliation quia étéfaite par l’intermédiaired’un tiers :admi-nistration del’État français,police,Milice... collaborantavecles autoritésallemandes.Quandil n’estpas prouvé que les spoliations effectuées parles autoritéss’inscriventdans uneopération explicitementordonnée parles autorités d’occupation, elles ne relèvent pas dela loi BRüG.Ainsi desconfiscations qui ont eulieu à l’arrivée dans lescampsd’internement ou

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de transit installéssur le territoirefrançaisen zone nonoccupée ne sontpas indemnisablessi les autorités du camp étaientfrançaises,car rien neprouve alors quecelle-ciont agi sur ordre des autorités d’occupation326.Enfin, la spoliation doit avoir eulieu dansle cadred’une actionofficiellede la forcepubliqueet non au coursd’une « actionsauvage», cequi rendnon indemnisables,par exemple, lesbijoux confisqués parle personneld’encadrement des trains de déportation.

Le deuxième principedéfinissant unespoliation indemnisablepar les autoritésallemandes est sonmotif. La spoliationdoit constituerune persécution motivée par des raisons raciales, religieuses ou culturel-les. Il est donc demandéà toute personneremplissant un dossierd’indemnisation deprouverqu’elle a été persécutéedans cesens, ce quiexclut duchamp dela loi les dommages subis dansle cadre de représail-les. Les formulaires de demanded’indemnisation, quisont en langueallemande, comportent une rubrique oùle requérant doitpréciserle sta-tut dela persécution subie.L’immensemajorité des dossiers deJuifs deFrancecomporte à cet endroitla mention manuscrite«Rasse :Jude »ousimplement« Jude ». Parmi les pièces constitutives del’administrationdela preuve, ontrouve uncertificat d’appartenance aujudaïsme,le plussouventétabli par unrabbin.

La troisièmecondition concernantla spoliation estrelative àlanature del’objet spolié : celui-ci doit être« identifiable » (feststellbar).Identifiablessont tous lesobjets ayant une présencephysique : les objetsdestinésà un usage précis, lesoeuvresd’art, les valeurs mobilières, lescouponsd’obligation, les bijoux,etc.L’argent liquide, commemoyen depaiement,n’est pas considéré comme un objetidentifiablealors que lespiècesd’or le sont.Cettecondition pose problèmepour l’indemnisationdes comptescourants spoliés.Lesdossiers d’indemnisationmontrent quelesJuifs de certainesnationalités étrangèrestitulairesde comptes cou-rantsspoliés par les services de Niedermeyern’ont pas été indemnisésdansle cadre dela loi BRüG même si lesdocuments comptables delabanque oùétait domicilié lecompte etceux de la Reichshauptkassetémoignent dela réalité duvirement.

Au-delàdes principes généraux d’indemnisation,la loi a consi-dérablement évolué de sonadoption en1957à la clôture del’immensemajorité des procédures aumilieu des années1970.Cette évolutionconcernetout à la fois la nature desbiens spoliés et les circonstances de

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la spoliation :elle marquel’aboutissement des négociationsentre lesreprésentants des spoliés de France et le ministère des Finances alle-mand, ainsi quela prise encompte de nouveauxéléments de connais-sance historique dela spoliation.

Dans un premier temps, commela loi requéraitla preuve quelesobjets spoliésavaientété transférés sur leterritoiredu Reich,lesJuifsdontlesappartementsavaientétévidésdansle cadredela Möbel Aktionne pouvaientêtre indemnisés.La « découverte» durapportgénérald’acti-vité de la Dienststelle Westen,en charge dela Möbel Aktion, daté du8 août 1944, qui figurait pourtant dans les documents duprocès deNuremberg327, fut décisive, ainsi quele rapport d’expertise del’Institutnéerlandais dedocumentation surla guerre qui, en1957,à partir desrap-portsd’activité del’ ERR,établit à 80% de l’ensemble du mobilierpillé lestransferts en Allemagne. Après négociation avec les représentants desspoliés,dont le FSJU, le gouvernement allemandprit en 1960unedirec-tive pourl’application dela loi BRüGpermettantd’indemniser les spolia-tions intervenuesdansle cadre delaMöbel Aktion. Elle prend en comptetous lesobjets se trouvantdans undomicile, ycomprisle matériel profes-sionnel quanddomicile et lieu detravail sont confondus(machines àcoudre,etc.), mais à l’exclusion des bijoux, matérielprofessionnelparti-culièrementonéreux(installations de dentistes parexemple) ou objetsd’art 328. Cesobjets sont alors dits« devaleurmuséale »329 ; ils ne peuventêtre indemnisés qu’au cas parcas, et sila preuve est apportéepourcha-cun d’entre eux dela réalité deleur transfert surle territoire d’applicationde la loi.

Cettedéfinition relativement large du mobilier s’explique par lescirconstancesfrançaises dela Möbel Aktion: les famillesjuives qui sesont enfuies, cachées ou ont été déportées avaientlaissé intacts leursdomiciles car ellesn’avaientpu emporteravec elles que des objets degrandevaleur, notamment desbijoux, et ceux-ci ont pu êtresaisis lors del’arrestationou de l’internement,ou encoreà l’arrivée dans les campsd’exterminationallemands330. D’où la différence d’indemnisation331.

La question del’Action meublesétant réglée, seposecelle desobjets emportés par ceux qui fuyaient et quifurent arrêtés. Dès1960,le

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Centre dedocumentationjuive contemporainefait savoir au Fonds socialjuif unifié qu’il possède les souches des carnets defouille du camp deDrancy. Après négociations, lesreprésentants duministère desFinancesallemands’accordentsurl’indemnisationdesbijoux saisissurlesinternésdans les campscontrôléspar lesAllemands,ou lors du passage manquédela lignede démarcation.Cesobjets sont indemnisés àhauteur de50 %de leur valeur de récupération estiméepour 1956332. Mais ce pourcen-tagefut porté à 80% par la suitepour lesbijoux et objets en métaux pré-cieux333.

Au fur et à mesure que le temps passe, que de nouveauxélé-ments deconnaissance historiqueapparaissent et, surtout, quela percep-tion dela politique dela Wiedergutmachungévolue, du côté des spoliéscomme ducôté des Allemands,dans uncontexte de grandeprospéritéen Allemagne, les principes dela législation sur l’indemnisation évo-luent. Dans ce processus continu,la troisièmeloi de modification delaBRüG,promulguéele 2 octobre1964,fait figure d’étapefondamentale.Cette nouvelle loi (BRüG Novelle) supprime touteidée de limites àl’indemnisation.Alors que la loi de 1957avait affecté 1,5 milliard demarks aux bénéficiaires dela loi, tous pays confondus,la nouvelle loidispose quele gouvernementfédéral doitsatisfairetoutes les demandes.Elle fixe une limite dansle temps audépôt des dossiers mais ellen’enretient paspour le montant global : les paiements seront simplementéchelonnéspourménager les capacités de financement dela RFA 334. Defait, en septembre1998,3,9 milliards de marks avaient été versés.

La nouvelle loi s’accompagne d’une levée dela forclusion etpermetla réouverture des dossiers oùla preuven’avait pu êtreapportéedutransferten Allemagne del’objet spolié.Surtout,une modification du§44ouvrela possibilitéd’être indemnisé« pour touteslesspoliationsquiont eu lieu endehors dudomained’application de laBRüG lorsqu’ellesprésentent uncasdedureté particulière ». Cetteformule volontairementvague permet uneindemnisationtrès large :280000 demandes ont étéformulées, toutes nationalitésconfondues,à l’expiration du délai dedépôt.Le nombre de dossiersd’indemnisation deJuifsde France en vertudu §44s’élèveraità 20000,dont plus de4 000portant sur des spoliationsde bijoux au camp deDrancy.

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Les spoliations qui ont eu lieu enAlsace-Lorrainedès1940sontexclues de toutes lesprocédures générales - ayanttrait à la France -évo-quées plus haut.Cetteexception est due enpremier lieu à la situationjuridique particulière decette région, quipour lesNazis, faisait partieintégrante duReich. Les biens mobiliers des«ennemis dupeuple et d uReich »(Volks-undReichsfeinde), parmi lesquelsétaient comprisles Juifs,y ont été confisqués surla base d’ordonnances du chef del’administra-tion civile, et revendus ouattribués au profit duReich,mais à desperson-nes physiques oujuridiques vivantdansla région335. Cette particularité aune conséquence importante, car on ne peut passupposer,commedansle cas del’Action meubles, que les bienssontarrivés surle territoiredel’Allemagnede l’Ouest.Finalement, un décret du ministère des Financesallemand, daté du6 novembre1961336, fixe l’indemnisationà 80 % del’ensembledu préjudicesubis’il est prouvé que l’acquéreur desmeublesspoliésétait un ressortissant allemand. Eneffet, denombreux«citoyensdu Reich »(Altreich) s’étaientinstallés enAlsace-Lorrainedansle cadrede la politique de« germanisation »et étaient« repartis »avecleursmeu-bleslorsdu retraitdel’arméeallemande.C’estle Servicedes biens et inté-rêts privés qui fournissaitle documentattestantl’origine de l’acquéreurdesmeublesspoliés.

L’indemnisations’estfaite en deux vagues.La première vagueest constituée dedemandesdéposées entrela promulgation dela BRüG,le 19juillet 1957,et le 1er avril 1959.Le second groupe de demandes,motivées par l’application dela BRüG Novellearrive entrele 2 octobre1964et le 23 mai1966.La BRüGNovelle a permis, onl’a vu, à de nom-breuses personnes quin’avaientpas déposé dedemanded’indemnisa-tion àla fin des années cinquante defairevaloir leurs droits ; elle aaussipermis àceux quiavaient été déboutés aumotif du manque depreuvede transport des objets spoliés surle territoire dela RFA defaire réouvrirla procédured’indemnisation.Il n’estdonc pasrarede constater quecer-taines procédures, commencéesdans lesannées cinquante, nes’achè-vent qu’unedizaine d’années plus tard etqu’unepersonneprésente,àplusieurs années de distance,le même dossierdeux fois.

Il estimpossible,danslecas des JuifsdeFrance,dechiffrer avecexactitudele nombre de personnes qui ont étéindemnisées, voire mêmele montant global del’indemnisation. Cettedifficulté est, en partie, due àl’inexistence d’un traitementstatistique del’indemnisation parle minis-tère desFinances allemandmais aussi aufait que les demandesd’indem-nisation émanant desJuifs de Franceont été,pour partie, faites par desmandatairestelsquele FSJUet, pourpartie,le fait d’initiativesindividuel-les. Le bilan qu’a dresséle FSJUau terme de sonactivitépermet de se

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faireuneidéeapproximativedu nombre dedossiers d’indemnisationdesJuifsde Francequi sont conservés danslesarchivesdela directionfinan-cière supérieure deBerlin et les administrations dela restitution à Berlin.D’aprèsles déclarationsd’Henri Posener, membre dela Commissiondesexperts, 37 877 dossiers ont ététraités. Cechiffre comprendaussibien lesprocéduresindividuelles,lesdossiers dela première vague queceux dela seconde.Il exclut cependant lesdossierspour lesbijoux spoliés àDrancy et qui nesont paspassés parla Commission des dossiers,soit4 683demandes.

L’OFD considère quant à elle qu’elle conserve quelque40 000dossiers concernantla France - unepersonne pouvantavoir plu-sieursdossiers - et quel’indemnisation globale sesitue entre450 et500millions deDM.

Le cas particulier de l’orSurles quelquesmilliersde coffres appartenantàdes personnes

considéréescommejuives, un peu plus dedeuxcents contenaient del’or. Les ouverturesforcéespratiquées parle DSK en 1940-1941et lesdéclarations de coffres «juifs » dejanvier 1942en avaientinformé lesAlle-mands.Les deux tiers de cescoffres ont été spoliés,pour la plupartdurantle premier semestre1944,lorsque les occupants ontexigé que lesbanquesleur livrent les avoirs en or et en devises des« Juifsennemis».

L’arrêté du 16 avril 1945relatif aux prélèvements del’ennemi apermis aux établissements et aux particuliers de déclarer cespertes.Lesaccordsinteralliés deParis,du 14janvier 1946,ont conduità la distribu-tion entre les paysvictimes de l’or retrouvé en Allemagne.Le totalretrouvé s’avéralargementinférieur aux attentes.La France a recouvrémoins dela moitié del’or dontelle attendaitle retour.Lesparticuliers ontété remboursésà la hauteur de62,5% en deuxtranches ouvertes en1953et 1958.En 1968,une extension du champ dela loi BRüG a autoriséleremboursement del’or pour les personnes quiavaient été considéréescommejuives. Plusd’un millier de dossiers ont alors ététraités à cetitre.Ils ne concernentpas, saufexception, descoffres,mais des pillagescom-mis dans lesappartements oulors de l’internementà Drancy.

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Conclusion générale

L’ampleurdela spoliationLa spoliation a été une entreprised’une ampleursous-estimée

jusqu’ici. Ampleur des objectifstout d’abord.Lancéepar lesAllemandsen zonenord dès lesdébuts del’Occupation, assumée parVichy etétendue parlui à l’ensemble duterritoirenational à partir dejuillet 1941,elle a porté sur l’ensemble desbiens.

Il faut distinguer entre les spoliationsproprement dites,c’est-à-direorganisées par des texteslégislatifs ou réglementairesdontVichy a pris la responsabilité, et les pillages allemands, carla charge delarestitution ou dela réparationincombe àl’État françaispour lespremiè-res,à l’État allemandpour lessecondes.

La vente oula liquidation des entreprisesindustrielles,commer-ciales ou artisanales etcelle desimmeubles,la vente desactionsfrançai-ses déposéesdans lesétablissements financiers et lesbanquessont desspoliations ausensstrict. De même, les prélèvements sur lescomptesbancairespour payer l’amendedu milliard ou financerl’UGIF (Uniongénérale desIsraélitesdeFrance),ou le retraitaux internés, à leurarrivéedans lescamps, de leur argent et de leursbiens, identique aux dépôtsaux greffes des prisons,maisqui devient avec les déportations unespo-liation de fait. Pillages,en revanche,que le vol par les Allemandsdesoeuvresd’art qu’ils avaient repéréesdepuislongtemps, celui del’or, desdevises et des valeurs étrangères prélevéesdans lescoffres, ou encorel’expédition en Allemagne parwagonsentiers desmeubles etobjetsdivers prisdans lesappartementsqu’ils ont systématiquement vidés.Mais, réunis, spoliations, pillages et interdictions professionnelles ontviséenfait à dépouiller systématiquement les Juifs de leursavoirset à lespriver de leur outil detravail. N’ont échappé à cette entreprise que lesobligationsfrançaises,cependantbloquées, et les immeubles constituantla résidenceprincipaledesJuifs.

Ampleur des réalisations ensuite.Chiffrer la spoliationestuneentreprisedélicate,complexe, etdoncdifficile, car nos travauxcondui-sent souvent à desestimations approximatives quireposentelles-mêmessur des hypothèses discutablespar définition. Souvent,nousavons étéconduits àfaire des règles detrois pourestimer, àpartir desdonnées plusou moinsfiables que nousétablissions sur une partie des biens, desordres de grandeurpourla totalité d’entre eux. Pourjustifié qu’il soit, leprocédén’en est pas moins un peualéatoire,car il n’estpas établi que lesbiens connus soiententièrementà l’image de l’ensembledes biensspo-liés. Nous ne sommes donc pasdans la position du comptable qui

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disposerait del’ensemble deschiffres. Néanmoins, onpeut considérerque notre estimation fournit unordre de grandeur acceptable.

Au total, 80000 comptes bancaires et environ de 6000 coffresont été bloqués,50 000 procéduresd’aryanisationengagées, plus de100 000objets etoeuvresd’art ainsique plusieursmillions delivres pillés,38000 appartementsvidés.La plupart des secteurs économiques ont étéconcernésdansla quasi-totalité du territoire, lesexceptionss’expliquantpar la faible présence desJuifs qui ne représentaient en1940que 0,7 %dela populationfrançaise,pour près dela moitié habitantla région pari-sienne.Lesmontants enjeu ont été considérables : lescomptestitresblo-qués représentaient6 043millions de l’époque et lescomptes courants1207MF. Les ventes et liquidationsd’entreprises et d’immeubles ontatteintautour de 3milliards, tandis quela valeur des bienspillés estdiffi-cilementestimable.Lesdépôts effectuéspar lesJuifs lors de leur interne-ment dans des camps sesontmontés à 15MF pour Drancy, Pithiviers etBeaune-la-Rolandeet, pour 8 141 internésconnus dans les camps deprovince,à 24,8 MF, sans compter lesvaleurs et les objetssaisis ;mêmesi, en ce domaine,la règle detrois constitue uncalcul rudimentaire, celadonnepour l’ensemble des internés unesommesupérieureà 200MF. Lesrestitutions etremboursements ne porterontévidemment pas surla tota-lité de ces biens.

Ampleur sociale et politique dela spoliationenfin.L’importancede ceschiffres,pour être appréciéeà sa juste mesure, doit êtremiseenrapport avec d’autresgrandeurs économiques del’époque.L’indemnitéd’occupation mise àla charge du gouvernement deVichy par l’armisticese montait à200,puis400MF parjour. L’amendedu milliard, malgré sonénormité qu’attestent lesdifficultésrencontréespourmobiliserla somme,représentaitdeuxjournées etdemie defrais d’occupation :pour lesAlle-mands, une goutted’eau.C’est le signe que savéritable portée estbienplus qu’économique,elle estsociale et politique.Il s’agissaitde consti-tuer les Juifs encommunautépourmieux lesexclure et les asphyxier, aumomentmême où se créaitl’UGIF et se décidaitla « solutionfinale ».

L’importancedesrestitutionsLes restitutions neconstituent pasle symétrique dela spoliation.

Pour des raisons politiques et idéologiques tout d’abord.La Républiquerestauréen’a pas voulu procéder commeVichy, par des mesuresd’exception à rebours.Elle a procédé par voielégislative etjudiciaire, cequi a entraînédeuxconséquences.D’une part, une moindrevisibilité dela restitution,puisqu’elle relève du droit commun.L’indemnisation despillages est sur ce point exemplaire, puisqu’aucunedifférence nefutétablie entre lesbienspillés aux Juifs par lesnazis oulesmiliciens etceuxpillés par lestroupesfrançaises ouallemandespendantla débâcle oudétruits par lesbombardements.Ils furent assimilésà des pillages de

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guerre et indemnisés comme tels par l’ordonnance du 8septembre1945et la loi du 28octobre1946pour lespillages d’appartements, aveccepen-dant une disposition essentielle pour toutes lesvictimes : la possibilitéd’établir la preuve deleur préjudicepar simpledéclarationsousserment.D’autre part, des lenteurs,liées à l’élaborationdémocratique des texteslégislatifs (ordonnances des14novembre1944et 21 avril 1945,loi du16juin 1948),puis aux procéduresjudiciaires, malgréle choix dela pro-cédurerapide duréféré.

Ceslenteurs ont étéaggravées par une lacune majeuredansledispositif deretour audroit, en untemps oùla crise dulogementétaitaiguisée par lesdifficultés des sinistrés :la remise en possession desappartements pourlaquelleles Juifschassés dechez eux nebénéficiaientpas d’une prioritéabsolue et devaient souvent attendrele relogement del’intrus s’il était victime de la guerre à untitre ou à unautre.Tout ceciexplique que, notamment àParis,où la remise enpossession fut pluslongue et plusdifficile que dans les départements, enparticulierceux dela zonesud, lesvictimes dela spoliation eurentl’impression qu’on nes’occupait pas d’eux avecla résolutionattendue,d’où un mécontente-ment sourd et durable.

Lenteà s’affirmer, la volonté politique estpourtant sanséqui-voque :toutes les mesures prises parVichy dansle cadre d’unediscrimi-nation quelconquesont nulles dèsl’origine. Aprèsquelqueshésitationsde la part desbanquess’agissantd’entreprisessousadministration provi-soire,cela permet auxtitulaires de comptesd’en reprendre le contrôle,aprèsjustification de leur identité.Les acquéreurs de biens spoliéssontréputés de mauvaisefoi et le fait qu’ils aient agidansle cadre deslois envigueur sousVichy ne leurconfèreaucundroit acquis.La justice pro-nonce desmilliers de réintégrationsd’office ou d’annulations de cessionsde bail commercial.Dèsnovembre1944,la Commissionde récupérationartistique s’emploie à rechercher,identifier et restituer les objets etoeuvresd’art. En janvier-février 1945,le Servicedes restitutions est créé, àl’exemple des administrations improvisées, maisefficaces,mises en placeà la Libération enzone sud par lescommissaires dela République.Ilinterroge les spoliéspour savoir s’ils sont rentrésdansleurs biens ;ildemande leurs comptes aux administrateurs provisoires et porteraplaintecontre tous ceux quis’y soustrairont.Au ministère dela Justice, leServicede contrôle des administrateurs provisoiresinstruit les plaintesdéposées contre les administrateurs provisoires par les spoliés quileurrefusent leur quittus ou parle Servicedes restitutions.Celui-ci s’organisepourrestituer à leurslégitimespropriétaires lesbiensprivés retrouvés enFrancetandis quel’Office des biens etintérêts privés(OBIP) fait demêmepour ceuxrecouvrésenAllemagne.La loi du 16juin 1948enfinmet à la charge del’État le remboursement des sommesprélevéespourl’amende dumilliard ou versées aux administrateursprovisoires.Le dis-positif de restitutionn’a pas étémis en place aussi rapidementqu’il eut

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fallu, maisil couvrel’essentieldespréjudices.Dansl’ensemble,la Répu-blique restauréea fait sondevoir.

Mais la République, ce sont des hommes.L’histoire a conservéla mémoire des activistes dela spoliation, lesVallat, Darquier et autres.Elle a oublié quelque peu,avecla mémoire desrestitutions,celle desmilitants qui en firent leur cause.Il faut des hommes convaincuspourfaire fonctionner la grande machinerie del’administration.Sansl’inter-vention de personnalitéscommeCassin,président du comitéjuridique,dansl’élaborationdes ordonnances derestitution, comme Terroine,dontle nom même est oublié et qui,pourtant, eut unrôle décisif àla tête duServicedes restitutions, une partie desintentions dela Républiqueseraitrestéevoeuxpieux. Si les conséquencesmatérielles dela spoliation ontété en grandepartie effacées,c’est à leur actionobstinée qu’onle doit.

Leslimites de la restitution :uneévaluation

Pourtant,la restitution est incomplète,pour deuxraisonsprinci-pales.La première estla persécution antisémite elle-même et legénocideauquelelle a conduit : les biens des déportés exterminésavec touteleurfamille n’ont été réclamés parpersonne.Cettequestion des biens endés-hérence est particulièrementimportantepour lesconsignations et lescomptes enbanques qui ont pudormir dansl’attente dela prescriptionlégale et s’éteindre progressivementsans que personne nes’enoccupe,alors que pour les immeubles et les fonds de commerce qui étaientencore sousadministration provisoire,le Servicedes restitutions a trans-mis aux parquets les listes nécessaires àla nomination de séquestres.Toutefois les cas oùaucunayantdroit n’estprésent aprèsla guerrepourréclamer unbien spoliésont autotal moinsfréquents qu’on nel’imagine.Le rapport surl’aryanisationéconomique met en évidence que desbiensn’ont pas été réclamés aprèsla guerre, alors même queleur propriétaireou un ayant droits’estmanifesté,venant mêmeparfoisconsulterle dos-sier auServicedes restitutions. Manifestement,tous les spoliésn’ont pasfait valoir leurs droits.Le fait est évidentpour la loi de 1948 : un peumoins de5 000 spoliés ont constitué des dossiers.

Quatre grands ensembles despoliations et de pillagespeuventêtre distingués.D’abord, les biensvisés parla loi du 22 juillet 1941,c’est-à-direles entreprises et immeublesaryanisés, et les actionsfrançai-ses.Au terme de ses recherches,la Missionaboutit à uneestimation delanon-restitution compriseentre243 et 477 MF, en francsde l’époque.Cette estimationprend en compte autitre de la spoliationinitiale les150MF prélevés sur les comptes-espècespour l’amendedu milliard, lestitresvendus par lesDomaines, lessommesconsignéesà la Caissedesdépôts et consignations(CDC) à la suite des ventes et liquidations

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d’entreprises et d’immeubles et cellesdétenues par les notaires.Il s’yajoute lesfrais divers :honoraires et prélèvementsd’administrateurspro-visoires,frais de régie desDomaines, versements àla Treuhand.Au titrede la restitution,l’estimationintègre lessommesreversées par lesnotai-res ou les administrateursprovisoires, les déconsignations dela CDC etles remboursementseffectués parl’État au titre de la loi du 16juin 1948.Les biens sontconsidéréscomme restituéss’ils sont revenus dans lesmains de leurlégitimepropriétaire, àla suited’une décision dejusticeouà l’amiable,ou encorequandleur ventea fait l’objet, après-guerre etsou-vent renégociation duprix, d’un accordentre lespolié et l’acquéreur.Autotal, la spoliation rémanente représentedans ce domaineentre5 et 10 %du montant total des biens spoliés envaleur, mais unquart de leurnombretotal :lesbiens non récupérés ont une valeur sensiblementinfé-rieure àceux qui ont étérecouvrés.

Deuxièmeapproche desfondsspoliés, en partie inclusedanslaprécédente : les espèces et lestitres bloquésdans lesétablissementsfinanciers en application de l’ordonnanceallemande du 28 mai1941etdela loi du 22juillet 1941.Le blocageaporté sur 1207MF pour lesespè-ces et6 043 MF pour les titres.En extrapolantles conclusionsd’uneenquêtepartielle sur lescomptesprescritsentre1970et 1998,c’est-à-direles comptesfermés en raison deleur inactivitédepuis trente ans, on peutestimer les fondsprescrits à 12MF pour les comptesespèces et 133MFpour les comptestitres, ce quireprésente respectivement 1 % et2,2%des montantsinitialement bloqués.Mais, entre cescomptesprescrits etceux qui donnentsigne de vie aprèsla guerre,il y a tousceux surles-quels nous nesavons rien etdont certains se sont éteintsd’eux-mêmes,progressivement, avant ledélai trentenaire de prescription et quirepré-sentent lemontant non négligeable de1 957MF. Afin de proposer uneévaluation -maison mesurel’approximationet la précaritédu calcul -ila paru raisonnabled’admettrequeles comptes éteints étaient ceux desdéportés ;commecette catégorie représente de 3 à 11% des titulaires decompte,nousavons considéré que11 %de ces sommes,soit 215 MF,étaient tombés en déshérence.Les comptes de zone sud, quin’ont pasété bloqués, ne sont pas comprisdans cesévaluations,bienqu’il soit pro-bable quecertains sont tombés en déshérence.Lesrecherchesfaites parles compagniesd’assurances conduisent à ajouter à cemontant unesomme de2 MF certainementdue,maisavec unmanque deconnaissan-ces telqu’il ne serait pas sérieux deproposer uneévaluation quelconque.

Troisièmegrand ensemble :l’argent et les objetspris aux inter-nés.LesJuifs qui étaient arrêtés et internés étaient, à leur arrivéedans lescamps, dépossédés del’argent liquide qu’ils portaient sur eux ainsi quedes objets qui pouvaient avoir une valeurquelconque :bijoux, montres,etc. PourDrancy, la comptabilité retrouvée établit que12 MF en argentliquide ont été ainsi soustraits aux internés et déposésà la CDC qui en adéconsignétrois aprèsla guerre.Il subsistedonc unespoliation réma-nente de 9MF, à laquelle il faut ajouterla valeur des objetsvendus

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prématurément aprèsla guerre par les Domaines.Mais les internés quiarrivent à Drancyviennent souvent de camps de province oùils ont étédépossédés une premièrefois. Il n’estdonc pas surprenant que les som-mes prélevéesà Drancy soientbeaucoupmoins importantes quecellesqui ont été confisquéesdans lescamps deprovince.Les recherches dugroupe detravail conduisent à proposerpour cette spoliation uneesti-mation del’ordre de 200MF, à laquelleil conviendrait d’ajouterla valeurdes objets soustraits aux internés. Ces prélèvementspouvaientêtre rem-boursés en vertu dela loi du 9 septembre1948,maisnousignoronsdansquelle proportionils le furenteffectivement.

Dernier ensemble à prendre encompte : lesobjets de toutenature, pilléspar lesAllemands,abandonnésderrière eux enFranceoutransportés enAllemagne.Dans cet ensemble debiens, les oeuvresd’artont un statutprivilégié : elles focalisentl’attention de l’opinionpubliqueaujourd’hui comme ellesavaientattisé les convoitisesallemandespen-dant la guerre etmobilisé les résistances dupersonnel desmusées, desconservateurs àl’attachée exemplaire quefut Rose Valland. Quatresous-ensembles peuventêtre distingués : lesoeuvresd’art, archives etbibliothèques qui ont étéla cible de l’EinsatzstabReichsleiter Rosenberg;les mobiliers déménagés parla Möbel Aktion; les objets divers,réquisi-tionnés oupillés ici et là, comme les 8000 pianos, dont2 000 seulementont été retrouvésaprès-guerre;l’or et les valeurspillés dans quelque400 coffresparleDevisenschutzkommando.Danscesquatrecas,l’initia-tive est allemande etla responsabilité deVichy n’est pas directement encause.

La responsabilité française a, enrevanche, été évoquée à pro-pos du sort deces biens après la guerre.Il est incontestable que lesDomaines ontprocédé à desventesprématurées d’objetsdiversdont lemontants’estélevé à96,12MF à la date du 15juin 1953,sommeévaluée àenviron 100MF en septembre1954.D’autre part, les musées de Francen’ont pas poursuivi, avecla détermination montréedans lesannées1945-1950pour la restitution de45 000 objets, les recherches en pro-priété sur les2 000 oeuvres et objetsd’art qui leur avaient étéalorsconfiés.

Si l’on veut cependantévaluer entoute équité la spoliationrémanente à cetitre, il faut d’abord écarterle cas del’or pillé dans lescof-fres.Ainsi, 59kilos d’or ont étépris par lesAllemands ;62 %,soit 36kilos,ont été restitués enapplicationd’accords internationaux.Pour lesautrescas,il est impossible de négligerle fait que les propriétaires de ces objetsont pu être indemnisés.Lesspoliésn’ont pas retrouvéleur mobilier pillé,mais ils ont pu en être indemnisés à undoubletitre. D’abord,en France,mais nonpour tous les étrangers, parla procédure desdommages deguerre, aumême titre queceux quiavaient vu leurappartement dispa-raîtresous les bombardements.Cetteprocédure a été gérée parle minis-tère de la Reconstruction et del’Urbanisme. Elle était forfaitaire,mais

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d’accèsrelativementfacile puisqu’il suffisait d’une déclarationsousser-mentpourétablir la réalité du préjudice.Ensuite,en Allemagne,au titrede la loi BRüG (1957), qui a été gérée en France engrandepartie parleFondssocialjuif unifié. Cetteprocédure a duré une quinzained’années ;les archives conservéesà la direction financière duLandde Berlin mon-trent qu’elle a étéconduiteavec untrèsgrandsérieux.Le Monet que lesmuséesnationaux ontrécemmentrendu à leurs légitimes propriétairesfaisait ainsi partie d’une collectiondontle pillagea été indemnisé par unversement de2,3 millions de marks du gouvernementallemand.Il sem-blerait difficile de justifier que les propriétaires conserventla partie decette indemnitécorrespondant au tableau quileur a été rendu.

L’ampleurde l’indemnisationallemande est incontestable.Plusde40 000dossiers(noncompris ceux de Drancy) sontconservésdans lesarchives ; lessommes dépenséespourcette indemnisation parle gouver-nement dela RFA ont dépassé450millions de marks.La spoliation réma-nenteserait la différenceentre la spoliation initiale et le montant desindemnisations dela loi BRüG,augmentée dela partie des dommages deguerrefrançais quin’a pasfait l’objet d’une reprisedans lecadre dela loiBRüG.Maiselle est totalement impossible àévaluer, cartoute estimationde la valeur dumobilier pillé serait arbitraire.Au demeurant,nous sor-tons ici de notremission quiétait limitée auxresponsabilités françaises :le pillage estallemand, etle régime deVichy n’y a pas été associé.Avecles ventes decertains objets effectuées par lesDomainesaprèsla guerre,les Françaisont bénéficié partiellement desfruits du pillage allemand,mais cesontdeuxcircuitsfinanciers différents.Il appartenait au gouver-nement allemandd’indemniser les victimes de ces pillagesainsi qu’il l’afait.

RemarquesfinalesNous voudrions,pour conclure, formulerdeux remarques.La

premièreconcernele travail que nous avonseffectué. Nousavonsbéné-ficié de conditionsparticulièrement favorables. Après des débutsdiffici-les, le gouvernement a misà notre disposition lesmoyens humains etfinanciers quenousleur avonsdemandés. Une dérogation généralenousa ouvert toutes les archives quenous devionsconsulter. Nousavons enoutre bénéficié de multiples collaborations quenous nous plaisonsàsaluerici, dans lesorganismes les plusdivers, dans lesarchives et lesmusées, aux ministères dela Culture et dela Communication, des Finan-ces, desAffaires étrangères, des Anciens combattants,à la CDC, auprèsdes notaires, des banques, auCentre dedocumentationjuive contempo-raine.Grâce à ces moyens età ces concours, nous avons pu aboutir dansun délairaisonnable à des conclusions quiéclairent un pan de notrehis-toire sur lequelil était urgent defaire la lumière.

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Nousn’avons paspour autantla prétentiond’avoir épuisélesujet.On l’a vu, bien des aspects restentdans unclair obscur qui appelle-rait un éclairageplus poussé.Tant en ce quiconcerne les compagniesd’assurancesque l’administration des Domaines, des recherchesdevraient être poursuivies. De même,l’indemnisationau titre des dom-mages deguerremériterait une investigationapprofondie.Il convientcependant de ne pas entretenird’illusions : mêmesi toutes lesarchivesétaientdisponibles, si aucun dossier nes’étaitperdu,il serait vain d’espé-rer retracer,deux tiersde siècle aprèsl’événementou presque, ce quis’estpassédanstous lesdétails.Il faut se résigner à ce que denombreuxpointsdemeurentimparfaitement élucidés.

La seconde remarque estsansdoutela plus importante etc’estsur elle quenousvoulons conclure.Lesaspectsmatériels dela spoliationdes Juifs de France et dela restitutionsontcertes capitaux, maisils n’enconstituent pasl’essentiel. Avant d’êtreune affaired’argent,la spoliationa été une persécutiondont le termeétait l’extermination.Aucune histoirene traduira ce que des hommes et des femmes ont vécuquotidienne-ment,avec sonpoidsd’angoisse,d’humiliation et de misère. Certes,c’estle lot de toutes les guerres etd’autres ont également souffert.Mais cen’étaitpas en application delois et de règlements discriminatoires qui lesretranchaient dela communauté nationale du seulfait de leur naissance.Il y a là une exception sans précédentdont il nousappartient defairequ’elle ne se renouvellejamais.

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Recommandationsdu troisième rapport

Notre mission devérité et dejusticenous aconduits à des inves-tigationsdont lesrésultats ont été résumésdans lerapport desynthèse etapprofondis dans les rapportssectoriels.En nous fondant sur unemeil-leure connaissance dela spoliation, comme le Premier ministrenousl’ademandé, nous présentons les recommandations quivont suivre.L’essentiel,pour nous,étant letravail de mémoire,nousplaçons en têtede nos recommandationscelles qui onttrait, précisément, à une meil-leure connaissance dela spoliation des JuifsdeFranceet desrestitutions.

RecommandationsrelativesauxarchivesRecommandationn˚ 1 : Accès auxfonds d’archives

L’accèsàtous les fondsd’archivesdoit êtrelargementfacilité. Lamission recommande que soit accordées de nouvelles dérogationspourl’accèsaux fondsd’archivespubliques non encore ouverts (préfecture dePolice,CDC, Récupération artistique,OBIP, commissaires-priseurs,gen-darmerie etjustice militaire, etc.) et de faire établir etpublier l’inventairede tous cesfonds.Elle considère également que toutes les archivespri-vées (banques,assurances,SACEM, galeristes etmarchandsd’art, etc.)devraientfaire l’objet d’un effort systématique de conservation,d’inven-taire et d’ouverture,dans desconditionsà déterminer.Les archivespri-vées relatives àla spoliation desJuifs de Franceet aux restitutionsdevraient être accessiblesdans lesmêmes conditions que les archivespubliques.

Recommandation n˚ 2 : Conservation des archivesL’ouverturedes archives entraîneleur consultation par de nom-

breusespersonnes. Or pour desraisonspurementmatérielles(nature despapiers), les documents les plus souventconsultésdans les archivespubliques se dégradent defaçon inquiétante.La mission recommandedonc l’enregistrementsous uneforme informatique de ces documents(numérisation), ce qui permettrait en outre d’enfaciliter la consultation.Elle recommanded’autre part avec insistance aux institutions privéesconcernées, et notamment auxbanques etcompagniesd’assurances, de

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se doter devéritables services d’archivespour assurerla conservation etla consultation desdocumentsrelatifs à cette période denotre histoire.

Recommandationn˚ 3 :Conservation des archives et fichiers dela Mission

Les archives dela Mission devant être versées aux Archivesnationales conformément audroit commun, la Mission considère quel’ensemble des fichiers informatiques nominatifsqu’elle a constitués envertu d’une autorisation explicite etrestrictive dela CNIL font partieinté-grante de ce versement et queleur pérennité doit êtreassurée en toutétatde cause dansl’état où ils se trouvent àla fin des travaux dela Mission.

Recommandation n˚ 4 :Fichiers informatiques constituéspar la Mission

D’une part, la transmission àla commission chargée del’exa-men des demandesindividuelles d’unecopie desfichiers informatiquesnominatifs constitués parla Missionserait denatureà faciliter l’indemni-sation desvictimes. D’autrepart, l’accèsà ces fichiersdevraitêtre ouvertà des associations régulièrement déclarées, telles que celles visées àl’article 2-4 du Code deprocédure pénale, seproposant de« combattrelescrimes contrel’humanité oulescrimes de guerre ou de défendrelesintérêtsmoraux etl’honneur de laRésistance et desdéportés ». La consul-tation des fichiers neleur serait autoriséequ’au service du devoir demémoire et excluraittoutecopie; conformément àla loi, la méconnais-sance decette règleexposerait les contrevenants à des sanctionspénales.

RecommandationsrelativesauxrecherchesRecommandation n˚ 5 :Recherches pouridentifier les oeuvresdansles musées

L’effort nécessairement longentrepris par lesMusées de Franceà la demande dela Mission etavec son soutienpour identifier avecpréci-sion lesoeuvres etobjetd’artsdont il est impossibled’affirmer aveccerti-tude qu’ils ne proviennent pasd’une spoliationa déjà abouti à desrésultats importants.Il doit cependantêtre poursuivi.

Recommandation n˚ 6 :Institutions où la recherche doit être poursuivie

La Missiona collaboréavec plusieursministères et de trèsnom-breusesinstitutions publiques ou privées;elle a signalé,dans sonrap-port, combien cescollaborations ont été fructueuses. Ilsauront àcoeurpour la plupart de poursuivreleurs investigations,mais les recherchessupplémentaires apporteront,le plussouvent, des nuances ou desrectifi-cations dedétail aux résultatsauxquels a conduitle travail mené enliai-son avecla Mission. Dansdeuxcas,celui des compagniesd’assurances

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d’une part, celui desDomainesd’autre part,il est particulièrementsou-haitable de prolongerles recherches.

Recommandationn˚ 7 :Sujets sur lesquelsla recherchedoit être poursuivie

À l’exception dela publication dela totalité des textesofficiels,notreMissions’estconcentrée surla France métropolitaine.Nousn’avonspas étudiél’Alsace et la Moselle,annexées defait au Reich ;la spoliationy a été pourtantconsidérable, mais elle résulte del’application directed’une législationallemande à laquellele gouvernement deVichy a étéétranger. Nousn’avons pas traité non plus la spoliation desJuifs enAlgérie, dans lesdépartementsd’Outre-mer, les protectorats et lescolo-nies. Dansle cadre géographique etadministratif quenousavons consi-déré, nous n’avons pu traiter quepartiellement certains sujets quiméritent intérêt, comme les Groupements detravailleurs étrangers(GTE), ou les administrateurs provisoires.Enfin, les monographies fontencoredéfautpour certainscampsd’internement commeRivesaltesouLe Vernet.Il seraitutile d’inciter les institutions derecherche publiques etprivéesà poursuivre les investigationsdans cesdirections.

La mise enoeuvrede cette recommandationdevraitêtre l’unedes missions confiées àla Fondation pourla mémoire.

Recommandationsrelativesaux restitutionsindividuellesRecommandation n˚8 : Principe général

Quand unbien dont l’existenceen1940est établiea fait l’objetd’une spoliation etn’a pas été restitué ou indemnisé, l’indemnisation estde droit quels quesoient lesdélais deprescription en vigueur.

Recommandationn˚ 9 : Restitutions et indemnisations antérieuresL’enquêtede la Missiona montré, d’une part, que denombreux

biens spoliés avaient été restitués envertu de mesuresprises après lerétablissement dela légalitérépublicaine ;d’autrepart, que denombreuxbienspillés ont été indemnisés autitre des dommages de guerre ou parlegouvernementfédéralallemand.Quand un bienspolié oupillé a été res-titué ouindemniséselon desprincipes qui ont été établis parla loi (fran-çaise ou allemande) ou par des accords internationaux, etaprèsvérificationdesdifférentsfondsd’archives,aucunenouvelle indemnisa-tion ne doitêtre envisagée.

En ce qui concerne lesdépôts des internés à Drancypendantlapériode allemande(juillet 1943-août1944),la Missionrecommande queleur restitution soit envisagéeà l’instar de la période françaisesousréservedes indemnisationsdéjàeffectuées.

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Recommandationn˚ 10 : Indemnisations nouvellesAfin d’éviter que des préjudices identiques nedonnentlieu à

des réparations inégales,quand un bienpillé ou spolién’a pas été resti-tué ou indemnisédansles conditions rappeléesci-dessus,l’indemnisa-tion doit respecter les mêmes principes queles indemnisationsprécédentes.

Recommandationsrelativesà laFondationpour la mémoireRecommandationn˚ 11 : Dotation

Les fonds en déshérence detoute naturerésultant dela spolia-tion doiventêtre versés par les institutionspubliques etprivées àla Fon-dation pourla mémoiredont le Premierministre a décidéla création.

Recommandationn˚ 12 : MissionLa Fondationpour la mémoire doit avoir une mission d’histoire,

d’éducation et de solidarité.Sesobjectifs doivent comprendre notam-ment le soutien etle développement dela recherche par des organismespublics ouprivés d’archiveset de documentation surle sort desJuifs, laspoliation et les restitutions, etceci particulièrement au travers duCDJCet du Mémorial du martyr juif inconnu.Elle doit contribuer au dévelop-pement et àla diffusion desconnaissancesdans sondomaine, àl’éduca-tion des générationsmontantes et àla solidarité envers les victimes despersécutions antisémites ainsi qu’enversceux qui leur ont apporté leuraide et enversla Résistance.

L’exterminationdesJuifs a concerné enFranceen premier lieudesimmigrés.La préservation etl’entretiendes langues vernaculaires dela plupart d’entre eux font partie intégrante dutravail de mémoire.

Recommandationsrelativesauxoeuvreset objetsd’artRecommandationn˚ 13 : oeuvreset objets d’art non spoliés

La Missionrecommande que lesoeuvreset objetsd’art dont on ala preuvequ’ils n’ont pas été spoliés soientintégrés définitivement auxcollectionsnationales.

Recommandation n˚ 14 :OEuvres et objets d’art spoliés oud’origine incertaine

La Mission estime quelaisser ces oeuvresdans lesmusées oùelles se trouvent actuellementpeut contribuer utilement àla poursuite

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d’un doubleobjectif de restitution et de pédagogie,sousla condition dela mise enoeuvresystématique des trois actions suivantes :- diffusion la plus large,dans lesmuséesaccueillantdesoeuvresde laspoliation, du catalogue desoeuvresspoliées;- installationaux abordsimmédiatsde chacune desoeuvresspoliées oud’origine incertaine d’uncartoucherégulièrement actualisé, présentantles éléments de connaissance disponibles sur sesorigines ;- miseen place dans chacun de ces muséesd’un siteInternet accessibleau public présentant lesoeuvresspoliées oud’origine incertaine etpro-jection permanente en boucle de cesoeuvres.

Recommandationn˚ 15 : Dépôt au muséed’IsraëlLa Missionrecommandeque, pourportertémoignage dela spo-

liation, quelquesoeuvres significatives,sélectionnéesd’un communaccordparmi lesoeuvres de la Récupération artistique,soient exposéesau muséed’art de Jérusalem, avec une noticerelative àleurorigine et auxraisonspour lesquelles elles ysontdéposées.

Recommandation n˚ 16 : Rapport annuelLa Missionrecommande quela direction des Musées de France

présente augouvernement un rapport annuelfaisant état del’avance-ment des recherches sur lesorigines desoeuvres,des progrès dela resti-tution, des actions menéespour informer le public et des conditionsd’exposition et de conservation des différentesoeuvres et objetsd’art encause. Cerapportserait communiqué àla Fondationpourla mémoire etrendu public avecl’avis du conseild’administrationde celle-ci.

Recommandationn˚ 17 : Coopération internationaleLa localisationd’environ 40 000oeuvreset objetsdivers pillés

demeure à cejour inconnue ; un certainnombre setrouventdans descollections étrangères,publiques ouprivées : certainspeuventréappa-raître. La mise enoeuvrede leur restitution sera une tâche delonguehaleine etelle se heurtera à des résistances.C’est pourquoi il apparaîtsouhaitable de mettre en place une structure permanente decoordina-tion entre les directions des archives duministère desAffaires étrangèreset des musées de France, en vue decoordonner dansla durée cetteentre-prise.Il reviendraità cette structure de poursuivre :- la miseà jour deslistes complètes desoeuvresréclamées et nonrécu-pérées ;- les recherches sur cesoeuvreset leurpublicité, cequi nécessitera desmoyens, notamment en personnelqualifié ;- la coopération internationale enfaveur du retour desoeuvresse trou-vant à l’étrangerà la suite des pillages dela secondeguerre mondiale.Ces actions concernent notammentla Russie,avec laquelle ungroupe detravail permanent sur les biensculturels devrait être créé,l’Autriche quiconserve denombreusesoeuvres,et l’Allemagneavec laquellela Missionrecommande demettre enplace uneinstance intergouvernementale de

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coopération chargée de recouper les documents archivés dans lesdeuxpays et declarifier les opérations d’indemnisation effectuéesdans lecadre dela loi dite BRüG.

Recommandationsrelativesaux banques et aux assurancesRecommandationn˚ 18 : Fusions-acquisitions

Le fait que des fusions, des acquisitions et deschangements destatutssoient intervenusdepuis la guerren’autorise pas les établisse-ments financiers, lescompagnies et lesservices d’assurances à seconsi-dérer comme déchargés des responsabilités contractéespar les sociétésqu’ils ont absorbées ou dontils sont issus. Enconséquence,la Missionrecommande quelors de toute fusion, acquisition ou transmission deportefeuille, soit précisé de manière individualiséela répartition desdépôts et des coffres restéssans mouvement et descontrats nonréglés.De même, les liquidateurs, les structures de défaisance ou lesbureaux demobilisation de créances doivent êtretenus responsables del’identifica-tion et de la gestion des avoirsinactifs ou non versés.

Recommandation n˚ 19 : Prescription et déshérenceL’enquêtedela Missiona montréque,comme leslois de 1895et

1935pourla CDC,celle de1920sur la prescription desavoirsdéposésétaitinégalement appliquéepour plusieurs raisons.D’une part,la non-applica-tion de la loi ne fait pasl’objet d’un contrôle dela part du ministère desFinances.D’autre part, la loi comporte desambiguïtés,notamment en cequi concernele statut des valeurs étrangères.Enfin, le statut juridique descoffres estambigu et autorise des pratiquesdiverses.Lesrègles dela pres-cription et leur application doiventdonc être réexaminées. De même, lesarchivesrelativesaux contratsd’assurancetombés en déshérence doiventêtremieux conservéesafin de préserverles droits des assurés.

Dans de nombreuxpays, des instances diverses ont entrepris untravail d’élucidationanalogueà celuique la Mission a conduit pour laFrance.Il paraîtsouhaitable, en conclusion de cetravail, de susciter uneconfrontation de cesdifférentesrecherches,afin de mettre en évidenced’éventuelles particularités,soit dans la spoliation et le pillageeux-mêmes, soitdans lesprocédures de restitution et d’indemnisation,soit dans lesrecherchesactuelles,la façondont ellessontorganisées etfinancées, lesdifficultés auxquelleselles seheurtent et lesrésultatsaux-quels elles parviennent.

Dans ce but,la Mission recommandel’organisation en 2002d’une conférence des représentants des commissions nationales etassi-milées sur les recherchesrelatives à la spoliation desJuifs et auxrestitutions.

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Annexes

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Annexe 1

Bibliographiesur la spoliationdesJuifs de France

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Sites InternetMinistère desAffaires étrangères :www.diplomatie.fr

La documentationfrançaise :www.ladocfrancaise.gouv.frMinistère de laCulture : www.culture.fr(surl’écran d’accueil,choisir « bases dedonnées», puis «MNR »).Musée nationald’art moderne /Centre Georges-Pompidou :www.centrepompi-dou.fr/muséePologne : web.aec.at/freelance/rax/KUNPOL/UND/BIOSCentre derecherche deBrême : www.beutekunst.de/bremen/sow4(donnel’accèsen ligneà la publication périodiqueSpoilsof war).Washington, National Archives and records administration (NARA) :www.nara.gov/nara/dc/Archives2directions.html

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Annexe 2

Glossaire

L ’astérisque(*) placéaprèsun termesignifie qu ’on trouverauneexplication de ce termedans le présent glossaire.

Administrateur provisoire (AP) ou commissaire-gérant: Lesadministrateursprovisoires,appelés aussi enzoneoccupée commissai-res-gérants,sont les agentsd’exécution de l’aryanisation. Nommés àlatête des« entreprisesjuives », ils ont la charge de les liquider ou de les« aryaniser »,c’est-à-direde les vendreà desnon-Juifs.

Amendedu milliard : Mesure nazie calquée surcelle imposée enAllemagneaux Juifsle 12novembre1938aprèsle pogrome dela Nuit deCristal.En décembre1941 les Juifsde zone occupée sont condamnésàversercollectivement uneamended’un milliard de francs. L’UGIF estchargée decollecterles fonds.

Aryanisation (économique): Néologisme importéd’Allemagnenazie et adapté parVichy qui désignela liquidation ou le transfert dechaque« entreprisejuive » à un aryen,pour éliminer « toute influencejuive dansl’économienationale ».

Association professionnelle des banques(APB): Syndicatuniqueet obligatoire créé parVichy enjuin 1941.L’APB estl’agent de transmis-sion desdécisions dugouvernement deVichy et des Allemands.

Caissedes dépôts et consignations(CDC): Organisme publique,créé en1816,a pour mission de recevoir, d’administrer et de restituer lessommes etvaleurs mobilières quilui sont confiées en application destexteslégislatifsou réglementaires, ou par suite d’une décision adminis-trative oujudiciaire.Lessommes ouvaleurs mobilièressontreçues parlaCDC sousforme de dépôts ou de consignations.La loi du 22 juillet 1941confie àla CDC la charge de recevoir leproduit des ventesopérées parles administrateurs provisoires des biens et valeursappartenant à despropriétairesjuifs ainsiqu’une partie dessoldes des comptesbancaires etles dépôts des internés de Drancy.

Centre dedocumentationjuive contemporaine (CDJC) : Fondé àGrenoble enavril 1943,par IsaacSchneerson(1879-1969)pour rassem-bler lesdocumentsayanttrait à la persécution,notamment économique.Le CDJCest transféréen1944à Paris.Il joue unrôle majeurdansl’analysede la législation antisémite etest l’interlocuteur despouvoirs publicspour unepartie des questionsliées à la restitution.

Collecting points: Lieux en Allemagne où, aprèsla capitulation,ont été rassemblées, inventoriées et parfois restaurées les oeuvresd’artpillées avant leur retourdans leur paysd’origine. Cesopérationssont

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supervisées parle SHAEF,Supreme Headquarters Allied ExperienceForce(le Grand quartiergénéral desForcesalliées).

Comité d’organisation (CO): Organismessemi-publics,sortesde syndicats professionnels obligatoires, les CO sontinstaurés parla loideVichy du 16août 1940.

Commissariat général aux questionsjuives (CGQJ): Créé parlaloi françaisedu 29 mars 1941, ses prérogatives s’étendent auxdeuxzones.Véritable ministère dela politique antisémite,il estle lieu centralde l’imbrication despolitiques de spoliation nazie etvichyste.Le premiercommissaire estXavier Vallat, remplacéle 6 mai 1942parLouis Darquierde Pellepoix.

Commission de récupérationartistique (CRA): Instituée par ledécret du24novembre1944,la CRA estle premier organisme àtravaillerau sauvetage des biensspoliés. Rattachée au ministère de l’Éducationnationale, elle est chargéed’étudier les problèmes posés parle pillage,de recueillir et contrôler lesdéclarations des intéressés ettous lesélé-mentsd’information sur ces objets.La CRA est dissoute le 31 décembre1949, et sesattributionssonttransférées àl’OBIP*.

Comptes espèces : L’ordonnanceallemande du 28 mai 1941impose le blocage des comptes et des livrets decaisse d’épargne, lecompte unique pour tous lesJuifs de zonenord titulaires de plusieurscomptesbancaires, ainsi quela limitation desopérationsà 15000 francspar mois,l’interdiction pour toute personneréfugiée enzone libre detransférer soncompte. Ces opérationssontmises enoeuvrepar le SCAP*.

Comptes titres : La vente desactions françaises et despartsbénéficiairesjuives de zone nordest ordonnée par lesAllemandsle26 avril 1941.Le CGQJ* est chargé de recenser lestitres par l’intermé-diaire des établissements dépositaires.Le produit dela vente destitres estconsigné àla Caissedes dépôts et consignations*.Parla loi du 22 juillet1941 relative auxentreprises, biens et valeursappartenant auxJuifs, sontversés auCDC*, sur ordre duCGQJ*,les « soldesdes comptes dedépôtset généralement toutessommes dont lespropriétairessont juifs ». Cessommes doiventêtre portées,après un prélèvement au profit duCGQJ,sur un compte deconsignation ouvert au nom dupropriétaire dessom-mes versées.

Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) :Fondé en1944dansla clandestinité,le CRIF (alorsConseilreprésentatifdes Israélitesde France) rassemble les différentescomposantes delajudaïcitéfrançaise,Juifs françaiset immigrésconfondus. Représentationpolitique desJuifs, il se donne pourmissionface auxpouvoirs publicsfrançaisla « créationde garanties constitutionnellescontre toute atteinteaux principesd’égalité derace et de religion ;[la] reconnaissance del’égalité des Juifs avec leurs concitoyens,[la] restitution des droits

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civiques, politiques, économiques et de nationalité desJuifspar l’abroga-tion detoutes leslois d’exception ».

Devisenschutzkommando(DSK): Kommando de protectiondes devises présentdanstous les pays occupés par les nazis et dépen-dant duService du Plan dequatre anscontrôlé parGoering.Installédepuisle 16 juin 1940 dans les locaux dela banqueLazard, rue Pil-let-Will, il est chargé debloquer lesdevises,l’or et lesvaleurs libellées enmonnaiesétrangèresdétenues en zone occupée, et desurveiller les cof-fres-forts,quel qu’ensoit le locataire, puis, enjuin 1944,d’organiserlepillage del’or et des devisesétrangèresappartenant aux« juifs résidanten territoireennemi ».

Dienststelle Westen: « Service Ouest » placésous l’autoritéd’Alfred Rosenberg etdirigé parKurt von Behr chargé, à partir du débutde 1942,du pillage des appartements et dela redistribution, principale-ment aux victimes allemandes des bombardementsalliés, de leurcontenu.

Direction de l’Aryanisation économique (DAE): Structure établieau sein duCGQJ,dont lescompétences, aprèssafusionavecle SCAP* enmai 1942,s’étendent à tout le territoire,avec un directeur àParis et unautre àVichy.

Dommagesde guerre: La loi du 28octobre1946affirme le droità la réparation intégrale des « dommages certains, matériels etdirectscausés aux biensimmobilierset mobiliers par lesfaits de guerredanstous lesdépartementsfrançais ».Un service dedommages de guerre estinstituédans chaquedépartement.Lesdommages de guerredoivent êtredéclarés avantle 1er janvier 1947 ;le délai est ensuite repoussé au 5juillet1952.

Domaines (direction des): Direction de l’Enregistrement, desDomaines et duTimbre, dénommée communément direction desDomaines.Elle est actuellement rattachéeà la direction générale desImpôts (DGI).Pendantl’Occupation, elle a eu enchargela gestion desbiens des déchus dela nationalité française(ordonnance du23 juillet1940),des valeursmobilièresappartenantà desJuifs (ordonnance du22 juillet 1941).À la Libération,elle gère, conformément à ses compéten-ces traditionnelles, les biens placéssous séquestre, les successionsvacantes, et procède aux ventes des objetssanspropriétaires.

EinsatzstabReichsleitersRosenberg(ERR): Principal serviceallemand chargé dela saisiedes bibliothèques, desarchives,desoeuvreset objetsd’art, des instruments de musique appartenantà desJuifs.

Fonds social juif unifié (FSJU): Fondé en1949, le FSJU estl’organe central de collecte et de répartition des fonds.Il a en chargel’aide sociale etla vie culturelle dela communautéjuive. En 1958,il créeen son sein unBureau desspoliations mobilièrespour la mise enoeuvrede l’indemnisationallemande autitre de la loi BRüG*.

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Loi BRüG: Votée enAllemagnefédéralele 19juillet 1957,cetteloi indemnise les biensemportés enterritoire allemand. Amendée à plu-sieurs reprises(1958,1959,1964 -modificationla plus importante,don-nant naissance àla nouvelleloi BRÜG- et 1969) elle apermisnotammentune indemnisation despillagesd’appartement organisés en France parl’occupant.

Loi du 22 juillet 1941 : Pièce maîtresse ducorpus législatif etréglementaireallemand etfrançais relative auxspoliations des entrepri-ses,biens et valeursappartenant auxJuifs. Elle énonce dans sonarticlepremier son intentiond’« éliminer toute influencejuive dansl’économienationale »prévoyantla nominationd’un administrateurprovisoire*pour« touteentreprise industrielle, commerciale,immobilière ouartisanale »pour « tout immeuble, droitimmobilier, ou droit aubail quelconque »,ainsi quepour « tout bien meuble, valeur mobilière, ou droitmobilier ».Son champd’action est la Francetoute entière,hormis les départementsd’Alsace-Moselleannexés auReich.

M-Aktion : L’opération intitulée « Action meubles », mise enplace au début de l’année1942,vise à saisir lesmeubles au domicile desJuifs pour les destiner auxvictimesallemandes des bombardements etaux administrations d’occupation del’Est. Environ 40 000 domiciles ontété pillés en France.

Militärbefehlshaber in Frankreich (MbF): Commandementmilitaire allemand enFrance(zone occupée uniquement),installé àl’hôtel Majestic. Le Dr Blanke, un avocat,dirige la section chargée del’aryanisationau sein dela division économique.Le décretallemand du18octobre1940,qui définit les « entreprisesjuives »et impose leur recen-sement, autorise leMbF à y nommer unadministrateurprovisoire*.

Office desbiens et intérêts privés (OBIP) : Organisme créé en1919pour sauvegarder les biens desressortissants françaisà l’étranger.Placé sousl’autorité conjointe du ministère desAffaires étrangères et duministère des Finances,il est chargé, par l’ordonnance du 13décembre1944,de« recenseret restituer l’ensemble desbiensspoliés en France parles occupants ettransportés hors du territoirenational ».Par la loi du16juin 1948, l’OBIPsevoit confiéla charge du remboursement desdiffé-rents prélèvements opérés lors des spoliations.L’OBIP est supprimé parle décret du22mars1955et remplacé parle Servicedes biens etintérêtsprivés (SBIP), rattaché auseulministère des Finances.

Ordonnancedu 21 avril 1945 : Texte majeur confirmantla nul-lité des actes de spoliation, prévoyant les procédures de restitution etréglant la situation des acquéreurs des biensspoliés.

Police aux question juives (PQJ): Organisme d’enquêtesanspouvoir d’arrestation, travaillant en liaisonavec lesservices de police.Supprimée par PierreLaval à la fin du mois d’avril 1942, elle est

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remplacée par un organismeà l’intitulé plus neutre,la Section d’enquêteet de contrôle(SEC)*.

Reichskreditkasse(RKK): Organisme de paiement émanant dela Reichsbank.Les biens appartenant auxJuifs allemands,tchèquesetpolonais sontgénéralement versés àla RKK surle compte de FerdinandNiedermeyer(ancien directeur dela DeutscheBankdevenule « commis-saire généralpour la liquidation des entreprises desJuifs de la GrandeAllemagne et despays dela zone dela puissanceallemande »).

Section d’enquête etde contrôle (SEC) : Créée finavril 1942parPierreLaval en lieu etplace dela Police desquestionsjuives (PQJ)*, rat-tachée en novembre1942auCommissariatgénéral aux questionsjuives*,elle traque lesJuifs et les dénonce.

Service de contrôle des administrateurs provisoires (SCAP):Instituéle 9 décembre1940sur instructionde l’Administration militaireallemande, leMbF*, placé ausein duministère dela Production indus-trielle et duTravail, il est soumis au contrôle duMbF, et ne fonctionnequ’en zone occupée.Le 19 juin 1941, il est rattaché auCommissariatgénéral auxquestionsjuives. En mai 1942la DAE et le SCAPfusionnent,maisle SCAP conserve son organisationinitiale.Il ne faut pas confondrele SCAP mis en placeentre décembre1940etoctobre1941avecl’organismedu même nom créé en 1945 et rattachéàla direction desAffaires civiles et au ministère dela Justicepour vérifierles comptes des administrateursprovisoires.Ce dernier service estsup-primé le 1er août 1948.

Service de (oudes)restitution(s) : Créé pardécision du30 jan-vier 1945,le Servicede restitution est rattaché àla direction du Blocus duministère des Finances, et dirigé parÉmile Terroine.Jusqu’à sa dissolu-tion en 1951,il a eu pourmission de restituer lesbiensspoliés à leurslégitimes propriétaires ou à leursayantsdroit.

Sonderstab Musik: Servicecréé durant l’été 1940au sein deEinsatzstabReichsleitersRosenberg,dirigé par Herbert Gerigk, chargéspécifiquement dupillage des bibliothèques musicales et des instru-ments demusique.

Treuhandverwaltung von Kulturgut(TVK): Le Bureau dépo-sitaire dupatrimoineculturelest le principalorganisme chargé parl’Alle-magnefédérale des restitutions àpartir de 1952.

Treuhandund Revisionstelle: Office installédans leslocaux dela BarclaysBank,rue du4 septembre.Il reçoit notammentla taxe verséepar les administrateursprovisoires* équivalant à un mois de leurrémunération.

Union générale desIsraélites de France (UGIF) : Associationunique etobligatoire créée parVichy à la demande desAllemands, parlaloi du 29 novembre1941.Touteslesassociationsexistantessont dissou-tes, à l’exception des associations cultuelles, et leurs biens passentsous

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l’administrationde l’UGIF. Safonctionestde représenter lesJuifsauprèsdes pouvoirspublicsnotamment dans lestâches de prévoyance,d’assis-tance et dereclassement social et professionnel.Elle est financée enpartie parle produit del’aryanisation.

United Restitution Organization (URO): « L’Office unifié derestitution »constituéà Londres en1949,avec desbureaux enAllemagne,en Israël, en Angleterre, en France...par des avocatsjuifs allemands,pourfournir à desJuifs qui n’en ont pas lesmoyens les servicesd’avocatspour toutes les questions derestitutions.L’ URO joue un rôlemajeurdansles procédures de réparation ; aumoment des premiers versements,ilcompteprès de 1000 membresactifs et représentent plus de300 000victimes.

Wiedergutmachungsämter(WGA): « Lesadministrations delaréparation »avecla « Directionfinancière supérieure», l’ Oberfinanzdirek-tion (OFD), sont les deuxorganismes chargés del’application dela loiBRüG*.Les WGAémettent un« avisadministratif » (Bescheid) sur l’indem-nisation.Puisle dossier est transmis àl’OFD duLandde Berlin(la juridic-tion compétente) qui décide, en tantqu’institution représentant leministère fédéral desFinances auprès duSénat deBerlin, du versementd’une sommed’argent.

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Annexe 3

Sigleset abréviations

ADAN

AP

APB

BOAD

BRüG

CADNCARAN

CDC

CDJCCEO

CGQJ

CNE

CO

COSI

CRA

CRIF

DAE

DMFDSK

DW

ERR

FSJUGPRF

JOJOEFJORFJRSO

M-Aktion

MbF

MRL

MRU

Archivesdépartementales

Archivesnationales

Administrateur provisoire

Associationprofessionnelle desbanquesBulletin officiel d’annonces des domaines.

Bundesrueckerstattungsgesetz(Loi fédérale de restitution)

Centre des archives diplomatiques deNantesCentred’accueil et de recherche des archives nationales

Caisse desdépôts etconsignations

Centre dedocumentationjuive contemporaineCaissed’épargneordinaire

Commissariat général auxquestionsjuives

Caissenationale d’épargne

Comité d’organisationComitéouvrier desecoursimmédiat

Commission de récupération artistique

Conseil représentatif des institutionsjuives de FranceDirection del’Aryanisation économique

Direction des Musées de FranceDevisenschutzkommando(Kommando de protection des devises)

Dienststelle Westen(Serviceallemand de récupération desbiensjuifs)

EinsatzstabReichsleitersRosenberg(Service del’état-majorRosenberg)Fondssocial juif unifié

Gouvernement provisoire dela République française

Journal officielJournal officiel del’État françaisJournalofficiel dela RépubliquefrançaiseJewishRestitutionSuccessorOrganization. (Organisationjuive derestitution aux héritiers)

Möbel Aktion (Action meubles)

Militärbefehlshaberin Frankreich (Commandementmilitaire alle-mand enFrance)

Ministèrede la Reconstruction et du Logement

Ministèrede la Reconstructionet de l’Urbanisme

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OBIP

OFD

OFEPAR

PP

PQJRKK

SAEF

SBIPSCAP

SCVMSECSHAEF

SS

TVK

UGIF

URO

VOBIF

WGA

Office des bienset intérêts privés

Oberfinanzdirekion(Direction supérieure des Finances)Omnium français d’étudeset de participation

Préfecture de Police deParisPolice auxquestionsjuives

Reichskreditkasse

Servicedes archiveséconomiques etfinancières du ministère del’Économie,des Finances et del’Industrie (Savigny-le-Temple)

Servicedes biens et intérêts privésServicede contrôle des administrateursprovisoires

Servicecentral desventes dumobilier del’ÉtatSection d’enquête et de contrôle

Supreme HeadquatersAllied ExpeditionaryForce (Grand quartiergénéral des Forces alliées)

Schutzstaffel(troupesde protection)Treuhandverwaltung von Kulturgut(Bureau dépositaire du patri-moine culturel)

Union générale des Israélites de FranceUnited RestitutionOrganization(Office unifié derestitution)

Verordnungsblatt fürdiebesetztenfranzösischenGebiete(Journalofficiel allemand d’occupation)

Wiedergutmachungsämter(les administrations de la« réparation »)

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Annexe 4

Lesmoyensmatérielset humainsde laMission d’étudesur la spoliationdesJuifsdeFrance

Novembre1998 divise lestrente-deuxmois dela Mission endeuxpériodes inégalementpourvues en moyens :- une période qui a subi lesaléas dela mise en place et dela croissancede la mission ;- une période de régime de croisière,bien pourvue.

Jusqu’en novembre1998,la croissancecontinue dela Missionainévitablement généré un certain retard fonctionnel desmoyens par rap-port aux besoins.C’est sur ses moyens propres eneffetquele Secrétariatgénéral duGouvernement devaitsatisfaireles demandes dela Missionetil n’y est parvenu que moyennant,d’une part, une rallonge du Budgetcourant1998 et d’autre part,la fourniture des trois quarts dupersonnelde recherche par desministèrestechniques :Défense, Économie etFinances, Intérieur, Justice, Éducationnationale, un quartétant à sacharge.

Au terme decette période d’intenseactivité le système mis enplace depuisla création dela Mission atteignait seslimites et ne pouvaitplusconvenir, tantà cause del’exiguïté du 13 rue de Bourgogne, delasaturation enpersonnel etmatérielqu’à cause du mode definancementinapproprié.

La nouvelle période a vus’instaurer le régime de croisière quiprévautencoreaujourd’hui :nouveauxlocaux etnouveaufinancement.

Le 1 rue dela Faisanderie -libéré parla délégation interministé-rielle à la coupe dumonde de football - est unhôtel particulier de prèsde 500m2 de bureaux etsalles de réunion surquatreniveaux, sis porteDauphine. Convenablementéquipé enmatérielde bureau et en commu-nication parle Secrétariat général duGouvernement, desservi par lescyclistes de Matignon,il convient toutà fait aux contraintes detravail dela Mission et à ses rencontres avec sesgrandsinterlocuteurs français ouétrangers.

Pour ce qui est des finances, uncrédit annuel plafonnéà dixmillionsde francsa étémisà disposition, non passousforme de« budgetautonome » ainsiqu’il l’a étédit à tort, maissousforme d’unesimplelignebudgétaire duSecrétariat général duGouvernement.Certesce système

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- proche dela gestiondirecte -n’a épargné àla Missionni les contraintestenantà la gestion del’argent public ni la nécessité d’obtenir unaccordpréalablementà chaque dépense, cependant,il fonctionne de manièresatisfaisante grâceà l’excellent état d’esprit du Secrétariatgénéral duGouvernement àl’égarddela Missionet à uneffort de gestion rigoureusede cette dernière.

Ces nouvelles dispositions ont permis :- de mettre en place uneéquipeadministrative et de direction deneufpersonnes (dont deuxappelés du contingent et un chauffeur) ;- de recruter des chercheurs de bon niveau. Par exemple, en décembre1999, soixante-neuf337 sont en fonction, soit : six « chefsde grouped’étude », personnalitésnommées es-qualité par décret àla Mission et ytravaillantbénévolement, parallèlementà leur occupationprivée ; qua-rante-trois contractuels(dont dixvacataires) ; dixappelés dont cinqmisànotre disposition etcinq autresbénévoles ;- de bénéficierd’un parc informatique de trente-troisunités, soit huitpostesfixes et vingt-cinqportables ;- d’aideren personnel divers chantiers de recherche :Finances,ACVG,Quai (Lowendhal,Nantes, Colmar), Culture(DMF, Louvre,Beaubourg),Jérusalem,Berlin ;- defaire dela recherche en province parle biaisd’unecinquantaine dedéplacementsdans quarantedépartements, prolongéessouvent parlamise àdisposition pourtrois mois devacataires qualifiés;- de se déplaceraux USA, Grande-Bretagne,Suisse, Berlin,Jérusalem,notamment àl’occasionde conférences internationales ;- d’organiserdes déjeuners de presse ou detravail et la réceptiondedélégationsofficielles.

Conclusion :Pendantcette période derégime de croisière,le Secrétariat général duGouvernement asatisfait la quasi-totalité desdemandes dela Mission.Depuis le28février 2000,les moyens dela Missiondécroissentlentementau fur et à mesure duralentissement de sonactivité.Au total le Premierministre a jusqu’à présent fourni àla Mission les moyensmatériels ethumains nécessaires àl’exécution dela tâchequ’il lui a assignée.

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Annexe 5

Collaborateursayantparticipéauxtravauxde laMission

Aaron NathalieAfoumado DianeAramendi ThomasAvenel SandrineAzoulay FlorianeBachir-Bey MoussaBagnaudCyrilBalleaCatherineBarazzaBarbier-Sainte-MarieSylvainBastide EddyDe BastierMurielBaury GhislainBaynaudBeckerUtaBénichou RogerBertheletFranckBeucher StéphaneBiarnaisLuc-AndréBotton Éric

BouderIsabelleBoulayFrédéricBouvetJacquesBouvetJean-MarcBrennerCarineCamberlin StéphaneCancel StéphanieCardonFabriceCariguelOlivierCasadebaigFabriceCastelBenoîtCeignouJohannCercus CatherineChambonOlivierCharron-Murat DavidCollard Denise

CoulibalyShalemCusimanoRita

CuyeuThomasDahanNathalieDam SachakDauguetGillesDecocqRichardDestremauFrédéricDevineauMarie-MadeleineDi Castro Ariela

DreyfusJean-MarcDubois ChristopheDubuissonRémiDunn-Vaturi Anne-ElizabethÉtienneSoniaFlonneauGermain

GignouJohannGirard-ClaudonRaphaëlGoguelat ArnaudGomolinskiOliviaHamacheMagy-PaulHarscouët DeSaintGeorgesPaulHauchecorneYvesHeddeMathieuHubertMarie-ChristineHuwart OlivierIguazzi

JaffresErwanJanerThomasJannot JackyJouanicRomainKleinmannLebretonSylvainLemercierSébastienLaclau Delphine

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Lalieu OlivierLaniesseCécileLaunay Fabrice

LazergesAlexandreLévyLorne Fleur-Hélène

Martini Michèle

MastrangeloJean-GabrielMasurel GabrielMenet

MenetSéverineMichel NathalieMillasseauMolho NoraMontchaudÉricMorice-MartinezElsa

OlafsdottirAsdisOmnèsCécilePaillat Édith

PedurtheNathaliePelletancheValériePendaries Pierre

PlanesFlorianPlyer SégolèneDe Poncins Blandine

Portet Stéphane

Prunet CarineQuafurIsabelRabSylvieReis-BorgesHélia

RichezArnaudRionnetRobbe-SauleJean-PhilippeRopars GlenRouillier FreddySanchezMurielleSarrBabacarSarradetSauvetre FlorenceServantHélèneSeyeuxClaire

Simon YannickSkoutelskyRémi

SpadaCéciliaTelles FlavieThiery Saoussen

Tilloy IsabelleTommerayFrançoisTranNicolas

Treton CaroleTrouveNadiaVaillant ChristopheValette ÉmilienneVallin Anne

VandenabeeleChristineVelhagenRudolfVelly PierreVerny Benoît

Villeminoz Jérôme

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Annexe 6

Remerciements

Le travail de la Mission n’aurait pas été possible sans la coopération detrès nombreusesinstitutions quenoustenons àremercier chaleureusement.

Archives nationales deFrance,notammentla section duXXe siècle ducentre historique desArchivesnationalesArchives de Paris, et enprovince, archives départementalesArchives dela préfecture de Police deParis

Archivescentralesdu peuplejuif, àJérusalemArchivesde l’Oberfinanzdirektionde BerlinArchivesfédérales deCoblenceNationalArchivesde WashingtonAssociation française desbanquesAssociation française desentreprisesd’investissementAssociation française des établissements de crédit et desentreprisesd’investissementCentre dedocumentationjuive contemporaineCentreGeorges-Pompidou

Comitéde surveillance desbanquesComitédesurveillancedes assurancesConseilsupérieur du notariatFédération française des sociétés d’assurances

Fondssocialjuif unifiéMinistèredesAffaires étrangères, direction desArchivesMinistèredela Culture et dela Communication, direction desMusées deFrance

Ministèrede la Défense

Ministèrede la JusticeMission de coordination sur les spoliations etrestitutions du ministère del’Économie, desFinances et del’IndustrieMission destravaux historiques dela Caisse des dépôts etconsignations

Mobilier nationalSecrétariatd’État à la Défense chargé des Anciens CombattantsServicehistorique dela Gendarmerie nationale

Servicehistorique dela Justicemilitaire

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Organigramme de la Mission

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Tabledesmatières

Avant-propos

Sommaire

I ntroduction

Une mise enperspective

Un après-guerre

LesJuifsde France :un aperçu démographiqueQuelle communauté ?Le Centre dedocumentationjuive contemporaineet la préparation de la restitution

Le rétablissement dela légalité républicaineet seslimitesAu début des années cinquante, une histoireclose

La résurgence de cesquestions : lesannées1990

Le cas français : les responsabilités propres deVichyLa question des biensspoliés

La spoliation : un « volcivil »La spoliation : inspirationallemande etréalisation française

Vichy s’enprend aux personnes

L’occupants’enprend aux biens :la mise en route del’aryanisationLes comptes en banque

La loi du 22 juillet 1941L’aryanisation

L’administrationde la spoliationDes résultats partagés

Les avoirsjuifsLes comptes de dépôt enzoneoccupée

La gestion destitres et comptes-titresLes avoirs étrangers

L’amendedu milliard

Prélèvements ettaxes individuelles :l’arrêté du 11mai 1943Les contrats d’assurances

Une spoliation defait :les bienslaisséspar les internés des campsfrançais

Un maillage serré etcomplexe

Les dépôts dansles camps d’internement et leurdevenirUn cas particulier : Drancy

3

7

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Les pillages : une affaireallemandePremiers pillages

Le DevisenschutzkommandoLes « biens culturels » :un pillage idéologique

Un pillage préparé delongue dateLes oeuvres transférées en Allemagne

Un marché del’art florissant

L’aryanisationdes galeriesLa Möbel Aktion

Le pillage desappartements :la Dienststelle Westen

Les protestations françaisesLe transport descontenus de ces appartements etleur destination

Une extension enzone sud ?Les instruments demusique

Autre pillage allemand : les biens de Drancyà l’époqued’Aloïs Brunner

Les vols informels

Dansles campsd’internement : le marchénoir

Police auxquestionsjuives et Section d’enquête et de contrôle

Autres exactions

La restitution desfruits de la spoliationLes premiers mois

Les initiatives locales : récupérerles biens aryanisésLe déblocage descomptes

Le versement des sommes dues auxassurésUn premier bilan ?

Les ordonnances derestitution

Les effets de l’ordonnance du14novembreLa mise en place d’unedouble administration

L’ordonnancedu 21 avril 1945Les restitutionsjudiciaires

L’oeuvre du Service decontrôle et duService desrestitutionsLa fin de la restitution

Restitutionset indemnisations des bienspillésRetrouver les« biensculturels» et les restituer

La Commission de récupération artistique

Retrouver les« biensculturels »Le devenir des objets nonrestitués :la Commission de choix

Que sont lesMNR ?Les autresrestitutions et lesventes par les Domaines

Quellesrestitutions ?

7980808181838485858688909293959797

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L’ordonnancedu 11avril 1945

Un bilan impossible

La question des pianos

Les 13500 objetsLes objets provenant des internés de Drancy,Pithiviers,Beaune-la-Rolande

Les diverses indemnisations

Les dommages de guerre

Une législationallemande de restitutionLa loi BRüG

Le cas particulier del’or

Conclusion généraleL’ampleur de la spoliation

L’importance des restitutions

Les limites de la restitution : une évaluation

Remarquesfinales

Recommandations dutroisièmerapportRecommandationsrelativesaux archives

Recommandationsrelativesaux recherches

Recommandationsrelativesaux restitutions individuelles

Recommandationsrelatives àla Fondationpour la mémoire

Recommandationsrelativesauxoeuvreset objetsd’art

Recommandationsrelativesaux banqueset aux assurances

AnnexesAnnexe 1Bibliographie sur la spoliation desJuifs de FranceAnnexe2Glossaire

Annexe 3Sigleset abréviations

Annexe4Les moyensmatériels et humains dela Mission d’étudesur la spoliation desJuifs de FranceAnnexe5Collaborateurs ayant participé aux travaux de la Mission

Annexe6Remerciements

Annexes

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149149150152154162

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