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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France Saint Martin, évêque de Tours (2e édition) / par l'auteur de "Saint Stanislas Kostka" (Mme Bourdon)

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  • Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

    Saint Martin, évêque deTours (2e édition) / par

    l'auteur de "Saint StanislasKostka" (Mme Bourdon)

    https://www.bnf.frhttps://gallica.bnf.fr

  • Bourdon, Mathilde (1817-1888). Auteur du texte. Saint Martin,évêque de Tours (2e édition) / par l'auteur de "Saint StanislasKostka" (Mme Bourdon). 1859.

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    Droits de reproduction et de traduction réservée-

  • I

    Première» années de S. Martin.

    C'est l'histoire du plus populaire de nos.saints que nous voulons raconter, l'histoire

    de ce saint apôtre de.la Gaule , au tombeau

    duquel venait s'adoucir la barbarie des rois,

    francs ; qui a reçu la prière et les hommages

  • 8 SAINT MARTIN

    de tout ce que la France a compté d'hommesgénéreux et illustres ; qui a donné son nomà tant d'églises ; qui'a servi de protecteur àtant de corps de métiers, à tant de pieusesconfréries ; dont la fête a été célébrée long-

    temps par des rejouissances de famille,

    comme celle d'un père chéri et vénéré ; etqui, en dépit des révolutions, est demeuré,avec le saint archange Michel, avec les mar-tyrs Eieuthère et Dénis, avec le grand roisaint Louis, un des célestes protecteurs decette France qui lui fut si chère

    , et que l'on

    voit, parmi ses institutions nouvelles, se ratta-cher à ses vieux souvenirs, comme on appuie

    une tente fragile et légère contre une anrtique colonne à l'épreuve des orages et du

    temps.

    Saint Martin naquit dans la Pannonie , auquatrième siècle de l'ère chrétienne. L'Egliserespirait sous le sceptre de Constantin; la

    1 La Pannonie fait partie de l'Autriche actuelle.

  • CHAPITRE I 9

    guerre que les hommes faisaient au Seigneur

    et à son Christ avait cessé; de toutes parts

    des temples s'élevaient sur les ossements des

    martyrs ; ce n'était plus sous les sombres

    voûtes des catacombes que les chrétiens ail-

    laient prier ; la religion, honorée et floris-

    sante,

    peuplait jusqu'aux déserts, et répan-

    dant dans les solitudes de la Thébaïde des

    légions d'anachorètes ; mais comme l'Eglise

    ne peut vivre sans lutter, l'ivraie de l'erreur

    se mêlait à la semence de la vraie foi, et cefurent les généreux combats livrés à l'hérésie

    d'Arius au nom de la seule doctrine véri-

    table, qui surtout illustrèrent le nom de

    Martin,

    et le placèrent au rang des. saints,des apôtres et des docteurs.

    Martin appartenait, à une famille distin-guée

    ,qui, selon une antique tradition ,

    tirait son origine des rois de la Pannonie ;il fut élevé à Pavie, dans le Milanais, où sesparents s'étaient retirés Ses parents étaient

  • 10 SAINT MARTIN

    païens; mais lui, dès ses plus tendres an-nées, aspira au bonheur du. baptême. A l'âge

    de dix ans, il s'enfuit de la maison de sonpère, courut à l'église des chrétiens, et sol-licita la grâce d'être reçu au nombre descatéchumènes. Le prêtre y consentit, luiimposa les mains et le marqua au front du

    signe de la croix. Sans doute, la grâce puisr.

    santé de Dieu avait parlé au coeur de cet en-fant par les doux exemples de vertu que lui

    donnaient quelques enfants chrétiens de sonâge, et peut-être

    , pourla première fois,

    la parole évangélique fut-elle enseignée aufutur apôtre des Gaules par la voix de quelque

    innocent et doux enfant, compagnon de sesjeux , qui lui parla, dans un langage enfan-tin

    ,de Jésus et du paradis.

    A ce premier attrait succéda une autregrâce. Il entendit parler des solitaires de la

    Thébaïde et du désert de Tabenne, des An-

    toine, des Pacôme, des Hilarion, et il con-

  • CHAPITRE l 11

    çut un profond amour pour la vie êrémitique.

    La faiblesse de son âge seule l'empêcha de;

    courir vers ces déserts, asiles de la pénitence'

    et de l'amour. Dès lors, sa vocation fut dé-

    cidée, il fut au fond de l'âme, serviteur de

    Dieu, religieux et prêtre; tout autre état nefut pour lui qu'un accident transitoire qui nepouvait l'arracher à sa véritable destinée,

    .

    Cependant, des édits-impériaux ordon^

    naient d'enrôler, pour le service militaire,

    les fils des vétérans. Le père de Martin , qui

    voyait avec peine les pieuses inclinations de;

    son fils, profila de celte loi pour l'enlever à>

    ses projets d'avenir, et il le livra lui-même

    aux cllîciers de/ l'empereur. Martin fut reçudans l'armée des Gaules parmi les jeunes

    recrues de cavalerie. La chasteté, là bonté;,

    la douceur du jeune catéchumène frappèrent

    d'admiration tous ses.compagnons d'armes;il n'était pas encore régénéré; dans le Christ,!

    et il se montrait déjà un digne prédicateur de.

  • 12 SAINT MARTIN

    l'Evangile; il aimait et secourait les pauvres,et sur sa solde militaire , il se réservait seu-

    -iement de quoi vivre au jour le jour. Il arriva

    qu'ayant tout donné, il ne lui restait plus que

    ses armes et ses vêlements. C'était au milieu

    d'un hiver tellement rigoureux que plusieurs

    personnes étaient mortes de froid. Le corpsd'armée dans lequel servait Martin hivernait

    alors dans Amiens, ville considérable et ré-sidence du gouverneur des Gaules. Martin ,passant sous une des portes de la cité, yrencontra un pauvre tremblant de froid etdemi-nu. Il implorait la pitié des passants,

    mais nul ne l'écoutait. Martin seul s'arrêta ,ému de compassion, devant cette image vivante

    du Sauveur Jésus, venu en infirmité ; mais il

    ne possédait plus rien, rien que ses vête-

    ments. Il ôta son manteau ^ tira son épée, le

    coupa en deux, et remit cette moitié aupauvre mendiant. Les passants se mirent à,

    rire, trouvant très-plaisante la figure que

  • CHAPITRE I 13

    faisait Martin, vêtu de la moitié d'un man-

    teau ; mais la nuit suivante, le jeune soldat,

    se trouvant couché dans une hôtellerie d'A-miens, vit soudain apparaître devant lui la

    figure majesuieuse de Jésus-Christ couvertde la moitié du vêtement que Martin avait

    donné la veille au pauvre. Une voix lui or-donne de considérer attentivement le Sei-

    gneur et de reconnaître le vêtement qu'il adonné. Et Jésus lui-même

    ,s'adressant à un

    choeur d'anges radieux qui l'environnait, leur

    dit :

    « C'est Martin ,simple catéchumène, qui

    m'a rejvêtu de cet habit. »0 douce parole ! ô délicieux encouragement

    à la charité ! sainte et précieuse confirmationdes paroles de l'Evangile : Ce que vous ferezà l'un d'entre ces petits, c'est à moi que vousle ferez ! Qui n'aimera, qui ne servira les

    pauvres, puisque les aimer, les servir, c'estaimer et servir Jésus lui-même ? Acquérir le

  • 14 SAINT MARTIN

    ciel devient facile, puisqu'un verre d'eau

    peut être le prix dont on paie la bienheu-

    reuse éternité.

  • II

    Baptême de S. Martin.

    Suivant la.eoutume de son siècle, Martin ,quoique âgé de dix-huit ans, n'était encoreque catéchumène ; mais comme s'il eût voulu

    correspondre à là faveur céleste qu'il venait

    de recevoir,

    il se disposa aussitôt à recevoir

    le saint baptême. Il quitta, pour quelque

    temps, les drapeaux, afin de se mieux pré-parera cette grande action ; mais on ignoreen quel lieu le sceau du christianisme fut

    imprimé à cet homme, en

    qui devait vivre la

    perfection du chrétien. Ce que l'on sait,c'est que Martin , devenu disciple de

    Jésus,

  • l6 SAINT MARTINaspira aussitôt à une vie plus parfaite et sedisposa à quitter la carrière des armes.

    Deux ans s'écoulèrent avant qu'il pût

    mettre ce projet à exécution. On était en336. Le corps d'armée dans lequel servaitMartin se trouvait sur les frontières de la

    Gaule et de la Germanie, auprès de la ville

    de Worms, Les barbares menaçaient l'em-

    pire,

    et dans l'attente d'une bataille pro-chaine

    , Julius, quj commandait les troupes,

    se disposa, suivant l'usage, à leur faire unedistribution d'argent. Chaque soldat était

    appelé à son tour. Quand Martin fut nommé,

    il crut le moment favorable pour demander

    son congé; car, résolu à ne plus servir, ilpensait ne pouvoir, sans injustice, accepter

    un don uniquement destiné à ceux qui de- j

    vaient faire partie de l'expédition. Il s'avança

    au pied du tribunal où Julius était assis :

    « Jusqu'ici, dit-il, j'ai servi sous tesordres ; souffre que maintenant je serve sous

  • CHAPITRE II 17

    es ordres de Dieu. Que celui quia dessein

    de combattre reçoive tes libéralités. Pour

    moi, je suis soldat du Christ,il ne m'est

    plus permis de combattre. »Julius .l'interrompit avec colère , et

    lui dit

    que c'était la peur ,.et non la religion , qui:le portait à se rétirer du service. Martin ner

    se troubla point à cef injuste reproche; il

    répondit avec calme : « C'est donc à la

    lâcheté et non à la foi que l'on attribue madémarche ;eh bien ! demain

    ,je me placerai

    sans armes devant le front de l'armée, et,au nom du Seigneur Jésus, sans épée, sans,casque, sans bouclier , n'ayant d'autre dé-fense que le signe de la croix ,

    je pénétrerai

    sans crainte au milieu des baillons ennemis.

    Cette parole hardie irrita Julius; il fitsaisir le saint et le fit jeter aux fers , enattendant qu'on l'exposât, le lendemain,

    sans armes aux barbares. Mais, au lever du

    jour, un envoyé des Germains pénétra dans le

  • 18 SAINT MARTIN

    camp romain, sollicitant la paix et protes-

    tant que ses Compatriotes s'abandonnaient à

    la générosité de leurs ennemis. Ce succès

    inattendu changea le coeur dé Julius : Martin,

    fut mis en liberté et reçut son congé. Il

    rentra aussitôt dans lés Gaules, et se dirigea

    vers ht ville de Poitiers , où l'attirait sansdoute la réputation de l'illustré évêqué, del'éloquent docteur qui en occupait alors le

    siège pontifical.

    Saint HiJaire, que l'on a nommé le Rhôûé

    dé l'éloquence latine, naquit à Poitier, d'unefamille païenne et gauloise. Il étudia d'abord,

    sans sortir de sôïl pays, alors rempli d'écoles.

    Il se maria , etvécut d'une vie de loisir et

    d'étude. Mais peu à peu ses réflexions setournèrent vers le culte nouveau, et il ra-conte lui-même dans ses écrits comment il

    est passé du mépris des plaisirs sensuels à

    là recherché de la Divinité, de cette recher-

    che à la croyance d'un seul Dieu ; de cette

  • CHAPITRE II 1 9

    croyance à celle d'un divin Médiateur etd'une âme immortelle.

    Régénéré dans le Christ, Hilaire montabientôt lès degrés du sacerdoce; il s'unit,dans ses écrits à Jean Chrysostôme, Félo-

    quent partriarche de Constantinople, pourdéfendre le Symbole de Nicée et s'opposer.;

    aux progrès de l'arianisme. Bientôt il eut à

    combattre et à souffrir pour la véritable doc-,

    trine, car l'hérésie avait trouvé un puissantappui dans l'empereur Constance. Hilairelutta sans se décourager : il lutta contre lesdisciples d'Arius

    , soutenu par le lils de

    Constantin; il lutta contre le paganisme re-naissant

    , soutenu par Julien l'Apostat, et lébannissement fut enfin le prix de ses travaux.Il fut exilé en Asie , et ne revint à- Poitiers

    que pour y mourir.Avant de partir pour son exil , il avait

    connu et distingué Martin ; il avait devinél'honneur et l'espoir de l'Eglise dans cet

  • 20 SAINT MARTIN

    homme sorti tout récemment des armées;il résolut de se l'attacher plus étroitement

    et, pour cela, de le vouer au ministère sacré.

    Martin voulut commencer par les débuts lesplus humbles; il reçut l'ordre d'exorciste etvécut parmi les jeunes clercs qui formaient

    la communauté de saint Hilaire ; se formant

    ainsi à la vie religieuse que, le premier, il.devait populariser dans les Gaules. Mais cetteexistence paisible et recueillie dura peu de

    tempsr. Martin reçut dans son sommeil unavis céleste : celui de visiter sa patrie et sesparents retenus encore dans les liens de la

    gentilité, et d'exercer à leur égard son zèle

    religieux. Hilaire n'osa supposer à l'ordre

    de Dieu; et son disciple partit avec tristesse ,déclarant aux clecrs , ses amis et ses frères,qu'il' aurait à souffrir de grandes adversitésdans le voyage qu'il allait entreprendre. Il

    traversa les Alpes cottiennes ; mais dans les

    détours déserts de ces montagnes, il fut

  • CHAPITRE 11 21

    arrêté par des brigands qui le dépouillèrent,

    lui lièrent les mains, et le confièrent à l'un

    d'entre eux pendant qu'ils allaient au loin

    piller la campagne. Celte homme conduit le

    saint dans un endroit écarté, et là, il luidemande qui il est; Selon la coutume des

    martyrs dont le souvenir était vivant dans

    ce siècle ,Martin répond qu'il est chrétien.

    » — Avez-vous peur? demande le brigand.

    » — Jamais, répond le saint, je ne mesuis senti plus tranquille. La miséricorde du

    Seigneur se montre surtout dans les épreuves

    de ses enfants, et si j'ai peur, mon frère ,ce n'est que pour vous, qui bravez la loi de

    Dieu et vous rendez indigne de la miséricorde

    du Christ. »Martin continua à parler avec chaleur, et

    bientôt le voleur convaincu, désarmé, dé-

    noua les liens du saint, le remit dans saroute, et avant de le quitter, le supplia deprier Dieu pour lui. Cet homme embrassa

  • 22 SAINT MARTIN

    plus tard la vie religieuse , et ce fut lui-même qui raconta comment et par qui il

    avait été converti,

    .

    Parvenu au milieu de sa famille, Martin

    réussit à convaincre sa mère et à l'amener

    aux eaux du baptême ,faisant naître pour

    le ciel celle qui l'avait fait naître pour laterre. Sept de ses parents suivirent l'exemple

    de sa mère ; son père seul demeura obstiné

    dans le mal.

    A l'époque où saint Martin revint dans son

    pays, l'hérésie arienne se répandait, comme

    une contagion , dans toutes les contrées oùle christianisme avait pénétré ; elle infectait

    surtout l'Illyrie , dont la Pannonie formait

    une province ; et ces nouvelles persécutions

    sévissaient dans l'Eglise contre ceux qui gar-daient intact le dépôt de la foi sacrée

    , etqui confessaient que Jésus-Christ est Dieu,

    égal à son l'ère, dogme nié par les disciplesd'Arius. Presque seul défenseur de la doc-

  • CHAPITRE II 23

    trine véritable dans cette contrée que souil-

    laient ou le paganisme ou l'hérésie , Martin

    combattit avec un courage inexprimable pourla véritable Eglise. Son zèle reçut la récom-

    pense qu'il ambitionnait : il fut jugé dignede souffrir pour Jésus-Christ. On l'accabla

    d'abord de mauvais traitements ; puis<

    parl'ordre des évêques ariens

    ,il fut publique-

    ment battu de verges, et banni de sa ville,

    natale,

    à l'époque même où son maître et

    son ami, saint Hilaire, souffrait l'exil pourla même cause.

    Martin regagna l'Italie, et s'arrêtant àMilan

    ,il résolut d'y fonder un monastère,

    La vie cénobitique avait été presque incon-

    nue à l'Occident, jusqu'à l'époque où saintAthanase, venant visiter l'Italie , amena aveclui deux moines extrêmement distingués parleurs taleuts et leurs verjus

    ,- et qui firent;aimer la vie pénitente dont ils offraientl'exemple. Cependant

    , autémoignage de

  • 24 SAINTE MARTINl'historien grec Sozomène, on n'avait point

    encore vu ni en Italie, ni dans les Gaules,

    de communauté de philosophes ou de moi-

    nes avant saint Martin ; et c'est à juste titre

    que ce saint est nommé d'ordinaire le père-

    des moines, ou

    mieux des cénobites ,d'Oc-

    cident. Il réunit autour de lui quelques

    disciples, parmi lesquels l'histoire nommeMaurilius, enfant que Martin instruisit dans

    les saintes lettres, et Gaudiatius, qui, plustard, monta sur le siège épiscopal de Na-

    varre. Mais la secte impérieuse qui avait

    banni saint Hilaire des Gaules, qui avait

    chassé Martin de son pays natal ,vint le

    troubler une seconde fois parmi le religieux

    recueillement de la vie monastique. L'evêque

    de Milan, saint Denis, fut, par les intrigues

    des ariens, relégué en Cappadoce , et unhérétique, Auxence, monta sur son siège.

    Installé dans le sanctuaire par la force

    séculière,

    il s'en servit- aussitôt pour oppri-

  • CHAPITRE II 25

    mer Martin , quisouffrit encore une fois avec

    joie persécution pour la justice. Auxence

    l'accabla d'outrages, et finit par le renvoyerde Milan.

    Le saint se retira dans une île située enface de la côte de Gênes, et nommée au-jourd'hui Isolelta d'Albenga. C'était uneroche sans verdure et sans habitants ,

    Martin, suivi d'un seul disciple, vécut quel-

    que temps de la vie érémitique. Des faits

    merveilleux se rattachent à son séjour dans

    cette île. Nous n'en citerons qu'un seul.Martin se nourrissait de plantes et de racines

    sauvages.. Un jour il maugea d'une plantequ'il ne connaissait pas, et qui se trouvaitêtre l'ellébore noir ou rose de Noël, poisonactif et violent. A peine eut-il achevé sonrepas, qu'il se sentit malade, et il comprit

    que la mort était proche. A ce péril immi-

    nent il oppose la prière, et aussitôt toutdanger disparaît. Le Maître n'a-t-il pas dit

    3

  • 26 SAINT MARTIN

    dans son saint Evangile : Vous boirez des

    breuvages mortels, et ils ne vous nuiront pas ?Peu de temps après son arrivée dans l'île

    d'Albenga,

    Martin apprit que Constanceavait autorisé saint Maire à retourner à Poi-tiers. Martin prit aussitôt le chemin de laGaule, la Gaule qu'il ne devait plus quitter,

    qui allait devenir le théâtre de ses combats,

    de ses vertus et de la gloire populaire et

    sainte qui environne son nom. Heureuse

    Gaule, s'écrie un poète, à qui le retourd'Hilaire rend deux grands pontifes à la fois !

  • III

    8. Martin, élu évêquè de Tour»

    Saint Hiiaire reçut son fidèle disciple

    avec une joie extrême , etil lui permit d'é-

    lever un monastère non loin de la ville de

    Poitiers. Martin choisit, pour y établir le

    lieu de son repos, une vallée paisible, etlà, dans un lieu nommé Locociocum, au-jourd'hui Ligugé, il fonda le premier mo-nastère des Gaules, et y attira auprès de lui

    de nombreux disciples.

    Parmi eux se trouvait un catéchumène

    jaloux de se former à l'école des saints. OrDieu permit qu'en l'absence de Martin

    ,cet

    homme fût saisi d'une fièvre violente dont il

  • 28 SAINT MARTINmourut, et sa mort affligea d'autant plus lesfrères assemblés, qu'il n'avait pas encore reçule baptême. On allait lui rendre les derniers

    devoirs lorsque Martin arriva, et à l'aspectdu cadavre, à la pensée de cette âme qui

    avait paru devant son Juge avant que d'êtrelavée dans le sang de Jésus-Christ, il pleura

    comme Jésus avait pleuré au tombeau de

    Lazare. Bientôt toute son âme fut remplie

    de l'Esprit-Saint. Sur son ordre, tous les

    assistants s'éloignent ; il reste seul dans la

    cellule, dont il ferme soigneusement les por-

    tes, et il s'étend sur le corps glacé , où , par

    une fervente prière ,il s'efforce de rappeler

    la chaleur et la vie, Deux heures s'écoulent

    ainsi : l'oraison de Martin montait, ardente

    et forte , vers leDieu et le Maître de la vie,

    et il fut exaucé.

    Les yeux fixé sur le visage du mort, il

    vit l'existence ranimer ce corps, les yeux se,rouvrir à la lumière, l'âme reprendre pos-

  • CHAPITRE III 29

    session de ce qui n'était qu'un cadavre, et

    ravi de joie il poussa un grand cri. Les

    frères accoururent à la cellule , etils y con-

    templèrent vivant celui qu'ils avaient laissé

    mort. Le ressuscité reçut aussitôt le baptême,

    et ce fut Martin qui, après lui avoir rendula vie corporelle, l'engendra aussi à la vie

    de la grâce. Ce miracle répandit par toute

    les Gaules la réputation du saint, et la mé-moire s'en est conservée jusqu'à nos jours :on montre encore, au lieu où le catéchumène

    revint à la vie, une petite chapelle avec la

    statue de saint Martin.

    Quel que fût son amour pour la solitude,

    Martin la quittait fréquemment pour allerprêcher l'Evangile dans les bourgades duPoitou

    ,livrées encore à l'idolâtrie.

    Deux siècles après, un des successeurs desaint Martin , l'illustre Grégoire de Tours,parlait en ces termes des travaux apostoliquesdu bienheureux :

  • 30 SAINT MARTIN

    a Alors notre lumière se lève, et la Gaule

    est éclairée des nouveaux rayons de ce flam-

    beau ; c'est-à-dire qu'à cette époque com-

    mença de prêcher. dans les Gaules ce bien-

    heureux Martin, qui, prouvant au peuple parde nombreux miracles que le Fils de Dieu

    est vrai Dieu, détruisit l'incrédulité des gen^tils. »

    Il y avait six ans que saint Martin avait

    fondé son monastère de Ligugé, lorsque saint

    Hilaire mourut, comblé d'oeuvres et de mé-

    rites ; laissant comme un double gage de ses

    travaux ,l'arianisme vaincu dans les Gaules ,

    et saint Martin préparé à sa mission. Dans le

    soldat il avait deviné l'apôtre, dans l'humble

    exorciste il avait préparé le pontife, et les

    jours approchaient où la puissance et la sain-

    teté du disciple d'Hilaire allaient rayonner

    sur toute la Gaule.

    Un second miracle, aussi éclatant que le

    premier, sembla le désigner à l'enthousiasme

  • CHAPITRE III 51

    populaire. Il passait un jour auprès de la

    maison des champs de Lupicin, homme ho-,

    noré dans le monde. Tout-à-coup, son

    oreille

    est frappée par des cris et des gémissements ;,inquiet, ému, il se présente , et

    demande

    quel est le sujet de cette douleur. On lui ap-prend qu'un serviteur de la maison s'est.

    pendu et vient d'être trouvé sans vie. AussitôtMartin entre dans la chambre où gît le ca-davre ; resté seul, il se Couche, sur ce corps.inanimé, et prie. Bientôt la figure du mort

    se ranime; il ouvre des yeux languissants,fait un effort pour se lever.... le bienheureux

    le prend par la main et l'amène, plein de.vie, sous les yeux de la foule transportée de.

    joie et d'une sainte frayeur.

    En ce temps florissaif, entre toutes lesvilles des Gaules, la cité des Turones

    -,

    villeantérieure aux Romains ,

    célèbre par sa po-pulation nombreuse, la beauté féconde de

    SES campagnes arrosées par la Loire et le

  • 32 SAINT MARTIN

    Cher, et par les guerres que son peuple avait

    soutenues contre César. Chrétienne depuis

    les premiers temps du christianisme, elle

    s'honorait d'avoir été évangélisée par saint

    Catien-, disciple de saint Pierre; son peupleétait resté fidèle, et il venait d'élire, aprèsla mort de saint Lidoire

    ,le moine Martin,

    évêque de Tours.

    Rien n'était moins attendu par le saint re-ligieux que son élévation à l'épiscopat, et

    ceux même qui l'avaient élu sentaient la dif-

    ficulté de l'arracher à cette retraite qu'ils'était choisie et où il espérait passer sa vie

    entière. Un habitant de Tours, nommé Ruri-cius, se chargea de l'entreprise , et sous unprétexte innocent et habile, il décida le saintà sortir de l'enceinte du monastère. Des

    troupes de citoyens de Tours attendaient dans

    la rue, et dès que le saint parut, ils s'enemparèrent et le conduisirent à leur ville.

    « Sédition de suppliants, dit le poète , sou-

  • CHAPITRE III 38

    lèvement pacifique, tumulte sans colère ; ce

    peuple garde celui qui doit le garder unjour. »

    Arrivé à Tours, conduit à l'église, il ytrouve une multitude innombrable qui s'é-r

    crie en le voyant :

    « Martin est digne d'être évêque ! Martitt

    évêque de Tours !»Une faible opposition se manifestait ce-

    pendant ; le saint déplaisait à quelques-uns

    parce qu'il n'était pas orné des grâces mon-daines, que ses vêtements étaient pauvres

    ses cheveux rasés comme ceux d'un moine,

    sa figure pâle et austère. Mais le voeu. du

    peuple l'emporta : Martin fut élu et sacré

    évêque de Tours, le dimanche 4 juillet 372.

    Le mode d'élection qui l'avait élevé àl'épiscopat n'avait alors rien d'extraordinaire.

    Ce fut le désir du peuple manifesté par lavoix d'un enfant, qui porta saint Ambroise

    sur le siège épiscopal de Milan ; Eusèbe,

  • 34 SAINT MARTIN

    évêque de Césarée, fut élu également parl'acclamation-populaire; Synésius

    ,citoyen

    distingué de Ptolémaïde, fut élevé aussi parses compatriotes à la dignité épiscopale ;mais ces élections populaires étaient toujours

    soumises à l'autorité suprême du souverain

    pontife, qui seul avait le droit de ratifier

    ce que le clergé et le peuple avaient voulu.

  • IV

    Martin,

    évêque de Tours.

    Voilà donc l'humble moine revêtu de l'é-

    piscopat, et celui qui n'avait désiré que la

    vie cachée et l'obéissance, élevé au comman-dement. Dieu le permit ainsi, parce qu'ilsavait que dans l'âme constante de Martin,

    ces honneurs ne pouvaient opérer aucunchangement, et que les vertus du religieux

    seraient encore et toujours les vertus de l'é-

    vêque. La même humilité régnait dans son

    coeur, la même pauvreté éclatait dans sesvêtements. Plein d'autorité et de grâce, ilremplissait les fonctions épiscopales sans

  • 36 SAINT MARTIN

    abandonner l'esprit ni les austérités dumoine. Son logement fut une pauvre cellule

    en planches de chênes-, attenante à la mu-raille extérieure de l'église. La foi, la puretédes moeurs, la charité, la piété admirable enparoles et en oeuvres, soutenaient en lui la

    ,

    dignité dont il était revêtu et le peupleaffluait autour de la pauvre demeure de sonpasteur, afin de recevoir ses enseignements.

    Personne ne l'entendait parler sans puiserdans.ses discours une haute idée de la loi

    divine ; personne qui, avec lui , ne se re-pentît de sa vie passée, ne méprisât les

    choses temporelles et n'aspirât à la célestebéatitude ; et la vie du saint évêque confir-

    maient ce que ses paroles avaient avancé.

    Pour se dérober un peu à ces visites '

    continuelles qui l'empêchaient de prier, saint

    Martin construisit un monastère, à deux ?milles de la cité, en un endroit sauvage etretiré

    ,qui n'avait rien à envier à un désert,

  • CHAPITRE IV 37

    Une montagne à pic l'enfermait comme une

    Haute muraille ; les replis de la Loire en-serraient le reste du vallon. C'était là, d'après

    une ancienne tradition, que saint Galien

    avait rassemblé les mauvais chrétiens de la

    contrée,

    et l'on montrait encore un autel

    taillé dans le roc, où le saint apôtre avaitcélébré les mystères du christianisme. Quatre-

    vingts disciples se rangèrent sous la conduite

    du bienheureux. Ils habitaient,

    les unsdes cellules de bois , les autres des grottescreusées dans le rocher ; ils vivaient dans unegrande pauvreté , une exacte abstinence, unjeûne perpétuel, une prière assidue, ou-bliant le monde et ne cherchant que le ciel.Cependant, dans ce monde qu'ils mépri-saient, la plupart d'entre eux avaient éténobles et riches ; ils avaient possédé de

    grands biens, habité des palais, vécu dans

    la mollesse et dans la bonne chère avantque de venir se loger dans ces grottes et ces

  • 38 SAINT MARTIN

    cabanes. Ils réalisaient la parabole de cemarchand de l'Evangile, qui vend toutes sesrichesses pour acheter une perle d'un grandpris, et tous instruits par Martin, s'applau-dissaient de l'heureux échange qu'ils avaientfait. Dans la suite on en vit plusieurs devenirévêques. Quelle ville, quelle église n'auraitdésiré avoir des prêtres sortis du monastèrede Martin !

    Le saint unissait, chose fréquente dansles premiers jours de l'Eglise

    ,la vie mo-

    nastique à la vie cléricale ; seulernent, il n'a-vait assigné d'autre travail à ses moines quel'écriture ou la copie des Livres saints, et lemonastère de Marmoutier fut un des premiers

    asiles où se conserva le dépôt sacré des lettresreligieuses et profanes..

    Martin ne tarda pas à prouver que sonamour pour la solitude ne l'empêcherait pasde se produire même à la cour , et que sonhumilité monastique saurait affronter l'or-

  • CHAPITRE IV 39

    gueil des rois. Il fut obligé, pour solliciter

    la grâce d'un condamné, de se rendre auprès

    de l'empereur Valentinien Ier. Ce prince,

    successeur de Jovien ,avait témoigné, sous le

    règne de Julien l'Apostat, d'une héroïque fi-

    délité à la foi chrétienne ; il était ferme et

    vaillant , mais des emportementsterribles

    Obscurcissaient l'éclat de ses qualités. Lors-

    qu'il apprit que l'évêque de Tours se dis-posait à lui demander une audience, il laréfusa absolument. Peut-être subissait-il ennette circonstance l'influence de Justine

    , sort

    épouse, zélée disciple d'Arius. Martin essayaune première, puis une seconde fois, de pé-nétrer jusqu'à ce prince superbe. Ses effortsdemeurèrent inutiles. « Alors, dit le poète ,il abandonne le palais tumultueux de ce roi

    terrestre, pour aller frapper au seuil du

    Christ éternel et pénétrer dans cette courqui juge les rois mêmes. » Il se couvre'd'un

    cilice, s'abstient de boire et de manger, et

  • 40 SAINT MARTIN

    ne cesse de prier jour et nuit. Le septièmejour, un ange lui apparaît et lui ordonne dese rendre sans crainte au palais impérial : ill'assure que les portes ne lui en seront plus fer-mées et que l'esprit de l'empereur s'adoucira.Confiant en cette promesse, Martin se dirige

    vers le>palais. 11 entre, personne ne l'arrête ;il se trouve devant Valentinien ,

    qui lui fait

    un accueil insolent ; mais tout-à-coup le

    siège impérial paraît environné,de flammes;

    l'empereur, se lève , confondu ; il embrassel'évêque, lui accorde toutes ses demandes etle comble d'honneurs et de caresses. Le Dieuqui élève l'humble et abaisse l'orgueilleux

    avait frayé la voie au bienheureux. Ne fait-il

    pas la volonté de ceux qui le craignent?

    Martin procédait avec calme et douceur à

    l'accomplissement de sa mission. Quand il

    eut fondé son monastère et assuré la régula-

    rite des saints offices dans l'église cathédrale

    de Tours, alors il quitta la vie,de solitaire

  • CHAPITRE IV 41

    pour mener la vie d'apôtre , etil commença

    la visite de son vaste diocèse, affermissant la

    foi, détruisant l'idolâtrie,

    éclairant l'erreur

    et prêchant partout la pure et sainte doctrine

    du Christ. Les pratiques du paganisme s'é-

    taient surtout réfugiées dans les campagnes ;

    on y trouvait encore des temples, des arbres,des fontaines consacrées, soit aux dieux im-

    portés par les Romains ^soit aux mystérieuses

    divinités invoquées par les druides. Un jour,

    dans ses courses apostoliques, saint Martin

    rencontra un temple fort ancien ; il le fit dé-

    molir sous ses yeux. Auprès du temple s'éle-

    vait un pin également dédié au dieu ou, pourmieux dire, au démon à qui jadis l'on sa-crifiait en ce lieu. Le saint évêque voulut

    aussi le faire abattre ; mais alors le magistrat

    de ce village et la foule des gentils se mirent

    en devoir de l'empêcher. Martin leur repré-

    senta doucement l'inanité des croyances quis'attachaient à une créature, à un morceau

  • 42 SAINT MARTIN

    de bois, fait pour l'usage de l'homme, des-tiné à son service, et non pas à son culte.

    Comme il parlait ainsi, un d'entre euxlui dit :

    « Si tu as quelque confiance en ce Dieu

    qui est le tien et que tu honores, nous allonsnous-mêmes couper cet arbre; toi, reçois-le

    au moment de sa chute ; et si ton Seigneur,

    .comme tu l'appelles , est avec toi, tu n'enéprouveras aucun tort. »

    Martin accepta sur-le-champ. Il se laissa

    placer et lier du côté où le pin s'inçljnait etmenaçait de tomber. Les gentils se mirent

    aussitôt à couper l'arbre au pied ; la foule

    attendait avec impatience ; les moines, com-r

    pagnons de Martin ,étaient pleins d'effroi;

    mais lui ,confiant et intrépide attendait

    sans crainte. Le pin chancelle, il tombe , il

    se précipite sur l'évêque, qui va être écrasé

    sous le choc. Mais lui, élève la main et fait

    le signe de la croix. Aussitôt, comme si un

  • CHAPITRÉ IV 43

    tourbillon l'eût précipité en arrière, l'arbre

    se renverse du côté opposé ,et cela avec

    une telle violence, que les paysans qui secroyaient en lieu sûr, faillirent être écrasés

    sous ses énormes branches. Un seul cri s'élève

    vers le ciel ; Martin et ses religieux remer-cient le Seigneur

    ,le peuple incrédule con-

    fesse le Seigneur Jésus ; la foi se répand

    dans toute cette contrée, et des églises etdes monastères remplacent les temples et les

    bois consacrés aux faux dieux.

    Près d'un autre bourg, appelé aujourd'huile Louroux, se trouvait un temple enrichi

    d'offrandes. Saint Martin voulut le faire dévtruire, mais il s'en vit empêché par unemultitude de gentils

    ,et ce ne fut pas sans

    mauvais traitements qu'ils le repoussèrent/Il se retira dans une solitude des environs ,et là, pendant trois jours, sous le ciliée etla cendre, prosterné, il ne cesse de prier

    et de prier avec larmes. Deux anges lui.

  • 44 SAINT MARTIN

    apparaissent et l'engagent à retourner au'temple. Il obéit, et sous les yeux d'une mul--titude qui paraît frappée d'aveuglement etd'effroi, il renverse les autels et les idoles,

    et détruit entièrement l'édifice profane. A là

    vue de ces ruines, les gentils comprennentqu'une influence divine7 à pu seul les retenir-dans la stupeur et la crainte qui les ont-empêchés de résister à un seul homme. Pres-

    que tous croient, au Seigneur Jésus et s'em-

    pressent de confesser que le Dieu de Martin

    doit seul être adoré. Quand aux idoles, disent-

    ils, elles sont, dignes de tout mépris,

    puis-

    qu'elles n'ont pu se défendre elles-mêmes.

    Dans un ,autre lieu où le bienheureux

    renversait des idoles, un gentil voulut luidonner un coup de poignard ; mais tout-à-

    coup l'arme disparut d'entre ses mains

    enlevée par une puissance invisible. Du reste,-

    il arrivait souvent que la prédication évan-

    gélique disposait si bien. les esprits que les

  • CHAPITRE IV 45

    païens eux-mêmes couraient démolir les tem-

    ples où ils avaient si longtemps sacrifié. Lé

    même fait se reproduisait par toute la Gaule

    à la voix des saints évoques ; mais aucun

    d'entre eux ,d'après le témoignage des his-

    torieps, n'obtenait sur l'esprit des idolâtres

    les mêmes succès que le grand évêque de-

    Tours.Rentré dans son monastère de Marmou-

    tier, le saint y retrouvait l'ennemi multiplequ'il venait de vaincre et d'humilier dans leslieux mêmes si longtemps témoins de savictoire ; le démon ,

    chassé des temples,chassé des coeurs de ses anciens adorateurs,venait troubler Martin dans sa crainte,

    comme il troublait Antoine parmi les aus-térités du désert. Il apparaissait au bienheu-

    reux ,tantôt sous des formes hideuses ,

    tantôt sous le vain appareil d'une majestéempruntée ; mais toujours il se voyait re-poussé par la prière et par le signe puissant

  • 46 SAINT MARTIN

    de la croix, et il se voyait contraint d'obéir

    à Martin lorsque celui-ci imposait lès mains

    aux possédés et priait pour eux avec deslarmes si puissantes sur le coeur de notreDieu.

    L'empire surnaturel que saint Martin exer-çait sur les démons, il le possédait aussi, parl'ascendant de ses vertus , sur le coeur deshommes. La ville de Tours avait alors, pourgouverneur ou comte , un seigneur nommé

    Avitien, d'une humeur sauvage et sanguinaire

    mais qui, cependant, avait quelque respectgour la douceur et là piété du saint évêque.Il arriva qu'un jour Avitien ramena à Toursune troupe de prisonniers dont la sentencede mort était prononcée, et qui devaient lelendemain expirer dans les supplices. Martin

    apprend la nouvelle un peu avant minuit.

    Il se lève aussitôt, se dirige vers le pré-

    toire et se prosterne devant le seuil. Avitien

    dormait : un ange fond sur lui et le frappe :

  • CHAPITRE IV 47

    « Le serviteur de .Dieu, dit cet ange, estcouché devant ta porte, et tu reposes! »Entendant ces mots, le comte tout troublé,

    saute à bas de son lit, appelle ses valets,et tremblant, s'écrie que Martin est à la

    porte, et qu'il faut sur-le-champ l'introduiredans le palais.Les gens d'Avitien ne luiobéissent pas; ils vont à peine au-delà des

    premières entrées, reviennent et assurent leur

    maître qu'ils n'ont trouvé personne à la

    porte.. Avitien se laisse persuader et s'endort

    de nouveau. Mais le même songe le tour-

    mente ; on l'avertit de nouveau que Martin

    est au seuil de sa maison. Avitien se lève,

    il s'avance jusqu'au pérystile, et là le bien-

    heureux s'offre à ses regards.

    « Pourquoi, Seigneur, lui dit le comte,pourquoi avoir agi de la sorte envers moi ?

    Tu n'as pas besoin de parler, je sais ce quetu désires

    ,je vois ce que lu demandes. Re-

    tire-toi au plus vite ,de peur que ton affront

  • 48 SAINT MARTlN

    n'attire sur moi la colère céleste et que je

    n'en sois consumé.

    Après le départ du saint, le comte appelle

    ses officiers de justice ,leur ordonne de re-

    lâcher tous les prisonniers, et ne tarde pas à

    quitter la ville où sa présence inspirait la

    terreur. Cependant on remarqua que l'in-fluence et les conseils de saint Martin ren-dirent Avitien plus doux et plus pacifique.

  • V

    8. Martin aux Conciles de Sarragosseet de Bordeaux.

    Ainsi que nous l'avons dit au commen-

    cement de cette histoire, l'Eglise, triom-

    phante des persécutions, avait trouvé dans

    son propre sein des ennemis plus cruels queles tyrans qui, pendant quatre siècles, l'a-vaient si durement opprimée. Les sanglants

    édits des Néron, des Domitien, des Com-mode

    ,des Dioclétien, les combats du cirque,

    les chrétiens jetés aux bêtes, les raffinementsde la cruauté romaine exercés dans Je pré-toire des magistrats sur des hommes inno-

  • 30 SAINT MARTIN

    cents, sur des femmes, sur des enfants,n'avaient fait qu'augmenter le nombre des

    disciples du Christ. Le sang des martyrs,disait Tertullien, est la semence des chrétiens;

    et l'Eglise, mère affligée mais fière', seréjouissait de ce nombre infini d'enfants quechaque jour elle enfantait à son divin Epoux.Mais l'hérésie, -plus perfide que les persé-

    cuteurs, lui ravissait les âmes que le Sauveur

    a payées à si haut prix, et sous des dehors

    spécieux, les attirait dans le piège de larébellion et de la mort. L'hérésie d'Arius etcelle de Priscillien se répandaient alors dans

    un grand nombre de provinces de l'empire ;l'Espagne et le midi dès Gaules en étaient

    particulièrement infectés, et les évêquesfidèles se résolurent à ouvrir des conciles

    pour exposer aux peuples la vraie doctrine

    et séparer l'ivraie du bon grain. Le premier

    concile contre Priscillien se tint à Saragosse;

    saint Martin y assista, prêtant avec joie à la

  • CHAPITRE V 51

    vérité l'appui de son nom et de sa répu-

    tation éminente. A son retour d'Espagne,

    passant par Vienne, sur le Rhône, il y vit

    pour la première fois ce Paulinus qui devint

    plus tard saint Paulin de Noie. Dans unelettre de celui-ci à Victrice, on lit :

    «Tu daignes, je crois, te souvenir quej'ai vu autrefois ta sainteté à Vienne, chez

    notre bienheureux père Martin, à qui leSeigneur t'a égalé, malgré l'inégalité del'âge. Depuis lors, bien que j'aie eu peu de

    temps pour te connaître, j'ai toujours ressenti

    pour toi une grande affection. »A celte époque, Paulin était encore ,

    il

    l'avoue lui-même,

    aveuglé par les soucis du

    siècle. Il était né à Bordeaux, en

    355,

    d'une

    famille illustre; son père , PontiusPaulinus ,

    était préfet du prétoire dans les Gaules, etle premier magistrat de l'empiré d'Occident.A cette haute naissance

    ,Paulin joignait un

    esprit élevé et pénétrant, un génie riche et

  • 52 SAINT MARTIN

    fécond, une

    brillante éloquence, dispositions

    qu'il avait cultivées par une étude assiduedes diverses branches de la littérature. Au-

    .sone fut son maître d'éloquence et de poésie,et-à peine âgé de trente ans, il fut honorédu consulat.

    Quand saint Martin,

    le pontife humble et

    sans lettres, qui avait passé de la milice dusiècle à la milice du Christ, se rencontraavec le jeune et brillant consul, celui-cin'avait pas encore reçu le baptême. Mais leSeigneur se servit du saint évêque pourdonner à Paulin la double lumière dû corpset de l'âme.

    « Paulin, dit l'historien,de l'évêque deTours, cet homme qui devait plus tarddonner un si grand exemple, endurait dans

    un oeil de très-vives souffrances. Déjà sa pru-nelle était couverte d'un nuage épais. C'était

    une taie qui s'y était formée. Martin lui tou-cha l'oeil avec une éponge. C'en fut assez

  • CHAPITRE V 53

    pour rendre la partie malade saine comme

    auparavant et en chasser toute douleur. Et

    qui pourrait douter, ajoute le biographe de

    Paulin, que, par ses illustres leçons de per-fection évangélique, saint Martin n'ait eubeaucoup de puissance pour lui éclairer les

    yeux de l'âme, lui qui eut le pouvoir de lui

    rendre la lumière du corps ? »En effet, ce fut cette année-là que Paulin

    fut baptisé par saint Dauphin ,évêque de

    Bordeaux.

    .Devienne, où l'avait sans doute conduitla grande voie romaine qui, aboutissant àNarbonne , remontait jusqu'à Avignon, et delà jusqu'à Lyon, Martin se dirigea vers l'Au-

    vergne, où il opéra beaucoup de miracles. Les

    historiens citent un trait qui prouve l'amour

    du saint pour l'humilité et la pauvreté. Il ap-prochait delà ville de Clermoht, nommée alorsArverna. Instruits de son arrivée, les sénateurs

    de cette ville, qui jouissaient depuis longtemps

  • 84 SAINT MARTIN

    du privilège de noblesse romaine, s'avan-

    cèrent à sa rencontre avec des cavaliers etdes chars. Pour lui, monté sûr un âne etassis sur une pauvre housse ,

    il était arrivé

    au sommet d'une montagne, et de là il dé-couvrit la marche triomphale qui s'avançait

    vers, lui.

    « Que veulent, dit-il, ces gens qui s'ap*prochent de nous a«c eet appareil ?

    — Ce sont les sénateurs arverais quivienuent au-devant de toi, lui répond unhomme de cette troupe arrivé avant les

    autres.— Il ne m'appartient pas, reprend le

    saint, d'entrer dans leur ville avec cetteostentation. »

    Et aussitôt, tirant en' arrière la bride de

    son âne, il commença à rebrousser chemin.Les autres le suivent et le conjurent de serendre dans, leur ville.

    «Nous avons appris, lui disaient-ils, la

  • CHAPITRE V 55

    renommée de ta sainteté, et nous sommes

    venus vers toi, car il y a chez nous beaucoupde malades qui ont besoin de ta visite. Mais

    leurs prières furent inutiles. Le saint seborna à imposer les mains aux malades ,attouchement qui leur rendit la santé ; mais

    il ne voulut pas entrer dans la ville entouré

    de ce pompeux cortège qui contristait sonhumilité.

    Un second concile contre les priscilianistes

    se tint à Bordeaux, et, suivant l'opinion

    commune, saint Martin y assista. Les doc-

    trines de Priscilien furent condamnées uneseconde fois par le concile, mais le juge-ment en dernier ressort fut déféré à l'em-

    pereur. On pense que saint Martin n'ap-

    prouva point cette décision , car il se renditimmédiatement à Trêves pour supplier l'em-

    pereur de ne pas répandre le sang et de nepas intervenir dans les causes ecclésias-iques. Cette doctrine était celle de Cons-

  • 56 SAINT MARTIN

    tantim. Quand les hérétiques donatistes le

    supplièrent de leur faire donner des juges :

    « Quoi ! s'était-il écrié, vous me demandezdes juges, à moi qui suis dans le siècle etqui attends le jugement du Christ !»

    Martin soutint cette doctrine devant l'em-

    pereur, et fidèle au sentiment de l'Eglise

    qui ne veut pas la mort du pécheur, mais

    qu'il se convertisse et qu'il vive , il demanda

    et obtint la grâce de Priscilien ; mais après

    le départ du bienheureux évêque, Maxime

    changea d'opinion,

    et livra le malheureux

    hérésiarque à des juges impitoyables qui le

    condamnèrent à mort. Martin n'était pas là

    pour l'arracher du supplice, et Priscilien

    fut exécuté.

    Ce rôle d'intercesseur qu'il avait pris à

    Trêves, auprès de Maxime, qu'il avait rem-pli déjà auprès de Valentinien Ier et du comte

    Avilien, les religieux, les prêtres, lès évo-

    ques surtout s'en étaient dès lors emparé,

  • CHAPITRE V 57

    et ils le remplissaient avec la plus intrépidé

    générosité. La vengeance de ThéodOse me-naçait Antioche ; les deux ministres, chargés

    de ses ordres sanguinaires, se virent tout à

    coup environnés d'une multitude inconnue ,que des -vêtements lugubres, des visages,exténués et pâles faisaient ressembler à unetroupe de fantômes. C'étaient les moines etles solitaires des environs d'Antioche. Ils

    parlent avec une sainte hardiesse, ils offrentleurs têtes pour celles de leurs concitoyens;

    ils protestent qu'ils ne quitteront les juges

    qu'après avoir obtenu grâce. Et pendant cetemps, le vieil et saint évèque Flavien,

    accouru à travers mille dangers, obtenait deThéodose, au nom du Christ qui a par-donné , le pardon plein et. entier de sonpeuple. Plus tard, saint Ambroise vengeasur ce même Théodose, pénitent et humilié,le massacre des habitants de Thessalonique,et l'histoire de l'Eglise nous offre mille

  • 58 SAINT MARTIN

    exemples de cette protection vigilante dont

    les pontifes environnaient le peuple commis

    à leur garde et réfugié à l'ombre des saintsautels.

  • VI

    Miracles de s. Martin.

    Nous avons déjà vu que la sainte mis-

    sion de l'évêque de Tours fut confirmée aux

    yeux du peuple par d'innombrables mira-

    cles ; il avait hérité de la puissance commedu zèle des; apôtres. Nous citerons quejques-

    uns des faits merveilleux dont sa vie.estremplie ; ils auffiront pour expliquer à noslecteurs l'ardente déVotion de nos pères en-vers le thaumaturge des Gaules.

    An moment où le saint quittait la ville de

    Bordeaux, il se dirigea vers le pays, deSaintes, en passant par Blavia ou Blaye.

  • 60 SAINT MARTIN

    Il traversait un pays aride et privé de

    sources et de fontaines, lorsqu'il rencontra

    un homme qui portait de l'eau en un vase.Le puits d'où il l'avait tiré était situé dans

    la plaine à environ mille pas du village. Le

    saint dit à cet homme :

    « De grâce, mon très-cher, arrête-toi unmoment, et donne à boire un peu d'eau au

    pauvre âne que je monte.

    — Si tu crois, répond l'homme, queta bête a besoin d'être abreuvée , va-t-en aupuits

    ,tu pourras y puiser et la faire boire.

    Quant à moi je ne céderai pas ce que je mesuis procuré avec tant de peine. »

    Disant cela il continue son chemin. Tout-à-coùp paraît une femme portant aussi un

    vase rempli d'eau. L'homme de Dieu lui fait

    la même demande. Aussitôt, comme autrefois

    Rébecca :

    « Je vais, dit-elle , tedonner à boire, et

    puis à ta monture. Ce ne sera pas pour moi

  • CHAPITRE VI 61

    une grande peine de puiser d'autre eau. Seu-

    lement, sois satisfait dans ton désir, toi qui

    voyages et qui as besoin. »Et inclinant l'urne, elle offre à boire au

    saint et à la monture du saint. Après cela

    elle remplit une seconde fois son vase et re-prend le chemin du village.

    L'évêque la suit, et voulant récompenser

    cette charité aimable et bienveillante, il lui

    dit:

    « Je veux payer le service que tu m'as

    rendu. »Il met les genoux en terre, et prie Celui

    qui à dit qu'un verre d'eau ne demeurerait

    pas sans récompense. A peine a-t-il achevé

    sa prière que la terre s'ouvre et laisse jaillir

    une source abondante, qui pendant long-

    temps a été l'objet de la vénération dés

    peuples.

    Poursuivant son voyage, le saint arriva

    dans la ville de Trêves. Là se trouvait une

  • 62 SAINT MARTIN

    jeune fille qu'une paralysie cruelle retenait

    sur son lit et privait de l'usage de ses mem-bres. Son corps semblait déjà privé de vie ;à peine un léger souffle la faisait palpiter,

    et ses proches, affligés, n'attendaient plus

    que sa dernière heure.Mais quand le père de la malade eut appris

    que l'évêque de Tours entrait dans la ville ,l'espoir se ranima dans son âme ; il courut

    vers l'église-où Martin se trouvait déjà, seprosterna à ses pieds, fondant en larmes, etlui dit :

    « Ma fille se meurt, consumée par la plus

    triste maladie, et chose plus cruelle que la

    mort même, c'est l'esprit seul qui mainte-

    nant vit en elle : la chair est déjà morte. Je

    t'en prie, viens la voir et la bénir, car j'aiconfiance que ,

    grâce à toi, elle recouvrerala santé. »

    A ces mots, le saint demeure confus ethumilié

    ,il se refuse à ce qu'on lui demande,

  • CHAPITRE VI 63

    ne possédant pas, assure-t-il, un semblable

    pouvoir, lui homme et pécheur. Le mal-

    heureux insiste, et le supplie de venir visiter

    sa fille mourante; les prêtres, les évêques

    qui entourent Martin le pressent à leur tour ;il consent entin, et se rend auprès de lajeune fille. Il a recours à ses armes habi-

    tuelles, la confiance, l'humilité, la prière.

    La face contre terre, il prie ; puis, il se re-lève, demande de l'huile

    ,la bénit, en verse

    quelques gouttes dans la bouche de la ma-lade ; aussitôt elle recouvre la parole. Peuà peu, l'un après l'autre, à mesure qu'il lestouche, les-membres paralysés reprennentla vie, et bientôt, sentant ses pieds raffermis,la malade se lève et marche en présence de

    tout le peuple.

    En cheminant sur le territoire de Bourges,Martin arriva auprès d'un village, auquel lemiracle dont il fut témoin fit donner dans lasuite le nom de Leprosum. C'est celui qu'on

  • 64 SAINT MARTIN

    appelle aujourd'hui Levroux,

    dans le Berry.

    Le seigneur de.ce lieu,

    homme honorable etriche, était lépreux.

    Saint Martin se détourna de la route pouraller prier dans l'église de ce village, dédiée

    à saint Silvain. Sur le seuil même du temple,

    il se rencontre avec le lépreux ; mais il entre

    sans s'arrêter. Le malade a reconnu le puis^

    sant thaumaturge, le serviteur et l'ami de

    Dieu,

    l'homme puissant qui commande à lamaladie et à la mort, qui, déjà à Paris , aguéri un lépreux par un baiser ; et. aussitôt

    son coeur se remplit de confiance. Il ordonne

    à ses serviteurs d'aller chez lui préparer ungrand repas, et il demeure à la porte del'église avec la foule qui attend la sortie de

    Martin.

    Entouré de ses disciples, l'évèque sort du

    lieu saint, et le lépreux se jette à ses pieds,

    le suppliant de vouloir bien accepter sonhospitalité.

  • CHAPITRE VI 68

    a Sans doute, lui répond le saint d'un air

    doux et gai, c'est la volonté du Seigneur

    que je loge chez toi, mon frère ; conforme-

    toi donc à l'usage : approche et donne à ton

    hôte le baiser de paix. »Le pauvre lépreux désirait vivement tou-

    cher le saint dont les mains et les lèvres

    apportaient la santé ; mais un sentiment' de

    honte ,causé par son mal, le retint ; il n'osa

    pas avancer; le.saint alla vers lui et l'em-

    brassa. Si le lépreux ne fut pas guéri en ce

    moment, peut-être faut-il l'attribuer à lafaiblesse de sa foi.

    Cependant Martin suit avec ses disciples

    son hôte, qui le conduit au logement qu'illeur destine, et où il a prodigué toutes les

    largesses de l'hospitalité. Après le repas du

    soir, le lépreux se mit encore une fois à ge-noux devant son hôte, et le conjura de luiaccorder le soulagement qu'il ne pouvaitattendre de nul autre. Martin lui recommande

  • 66 SAINT MARTIN

    d'avoir confiance dans le Seigneur, et lui pro-met de prier pour lui. Il l'engage à assister à

    la messe solennelle du lendemain, et à parti-ciper aux saints mystères.

    Le lendemain, Martin se rendit à l'église

    pour célébrer le saint sacrifice. Le lépreux

    reçut dévotement la paix de la bouche dusaint, et de ses mains les sacrés mystères,et aussitôt son corps fut purifié ; Je lépreux

    immonde se retira sain et guéri. Ce miracle

    est acquis à la mémoire populaire; une ta-pisserie du xvie siècle

    ,qui existe encore dans

    la petite ville de Montpezat, en offre la re-présentation

    ,et au bas du tableau sont écrits

    ces vers :

    Gomme Martin chantoit la messe,Son hoste estoit de lèpre plein ;En baisant la paix eubt liesse,Car il fut guéri tout à plain.

    Martin, on ne sait pour quel motif, serendait avec ses disciples en la ville de Char-

  • CHAPITRE VI 67

    très. Comme ils passaient près d'un bourg

    très-peuplé, voilà qu'une foule mmenses'avance à leur rencontre ; elle était toutecomposée de gentils, car personne dans cebourg ne connaissait encore le Christ, Mais,

    au bruit de l'arrivée d'un si grand homme,

    l'empressement avait été généra], et la mulstitude accourue pour le voir couvrait au loin

    la campagne. Le zélé de Martin s enflamma

    à la vue de ces pauvres brebis sans pasteur ;il les rassemble autour de lui, et leur prêchela parole de Dieu

    ,exprimant à plusieurs, re-

    prises sa douleur de voir une si grande fouleignorer le nom de notre Dieu. Tout-à-coup ,du sein de cette foule innombrable sort unefemme portant dans ses bras le cadavre de

    son jeune enfant :

    « Nous savons, lui dit-elle, que tu es l'amide Dieu ; rends-moi mon fils ; mon uniqueenfant !»

    La foule se joint à elle et appuie, par ses

  • 68 SAINT MARTIN

    cris et ses voeux , la prière de cette mèreéplorée. Lé salut de cette multitude inviteMartin à demander au Ciel un miracle. Ilprend le petit corps dans ses bras ; puis, àla vue de tous, il fléchit les genoux ; il prie,et rend à la mère son fils fessussité. Alors la

    multitude enthousiaste proclame à haute voix

    que le Dieu de Martin est le vrai Dieu, ettous, aux pieds du bienheureux , le conju-rent de les recevoir au nombre des catéchu-mènes. « Ainsi, dit le poète , la mort d'unseul enfant fait naître une multitude à la vie.

    Pour un qui revient sur la terre, en voilàmille qui entrent au ciel.»

    Le fait suivant semble se rapporter au"même voyage ; il s'est également passé dans

    la ville de Chartres.

    Un père de famille avait une fille âgée de

    douze ans, muette de naissance ; il vint la

    présenter à Martin ,priant le bienheureux

    de délier, au nom de Jésus-Christ, la langue

  • CHAPITRE VI 69

    enchaînée de cette enfant. Celui-ci renvoie

    .l'honneur aux évêques Valentinien et Victrice,qui alors se trouvaient à ses côtés ; mais les

    deux prélats joignent leurs prières à celles

    du père affligé,

    et ils supplient Martin d'acr

    corder ce qu'on detnande de lui. Le saint

    n'ose résister davantage..

    Il fait éloigner lafoule, et reste seul avec les évêques,:le,père

    et la petite muette.; Après avoir prié , il-bénit

    un peu d'huile sur laquelle il a d'abord ré-cité un exorcisme, puis verse dans la bouche

    de l'enfant quelques gouttes de la liqueursanctifiée. Le miracle répond à ses voeux. Lesaint demande à Ja muette le nom de sou

    ...père, elle le prononce aussitôt. Le père.pousse un cri de joie, et fondant en larmes,il embrasse les genoux-de son bienfaiteur, .enavouant que c'est la première parole qu'ilait entendu sortir de la bouche de son en-

    fant.

    Au retour d'un voyage que Martin avait

  • 70 SAINT MARTINfait à Rome pour y vénérer le tombeau des

    saints Apôtres, il revint par les Alpes, ets'arrêta dans la ville d'Agaune, près de la-quelle Eaint Maurice et la légion thébéenne

    avaient été massacrés en haine de la vraiefoi. Théodore, évêque d'Octodure, avaitélevé à Agaune , en l'honneur de ces illustres

    martyrs, une église où les fidèles accouraient

    en foule des provinces les plus éloignées,

    prier et se recommander aux mérites des

    bienheureux soldats du Christ. Saint Martin

    voulut aussi prier en ce lieu célèbre; il serendit à Agaune, vêtu d'un pauvre habit de

    pèlerin. Lorsqu'il eut longtemps et tendre-

    ment honoré les saintes reliques, il pria

    les gardiens de ce trésor de lui donner quel-

    que parcelle de ces saints ossements. Il n'ob-

    tint qu'un refus. Repoussé par les hommes,

    le saint pontife, selon sa coutume, eut re-cours à son Dieu. Il se rendit au lieu témoin

    du martyre de la sainte légion ; là il fléchit

  • CHAPITRE VI 71

    les genoux , etélevant son coeur, ses yeux et

    ses mains vers le ciel, il prie avec une dé-

    votion extrême le Maître du ciel et de la

    terre, devant qui ne se perd pas un cheveude notre tête et qui doit un jour rétablir en

    un clin-d'oeil la substance de l'homme, de

    faire sortir des entrailles de la terre, pourla gloire de sa divine majesté et l'honneur

    des saints martyrs, quelques gouttes de ce

    sang autrefois répandu à flots sur cette terre,

    pour la cause de Jésus-Christ. Ensuite, pre-nant un petit couteau qu'il portait sur lui,d'une main il saisit une touffe d'herbe, del'autre, il la coupe en forme de couronne.Alors, miracle inoui ! de cette herbe ainsicoupée, il voit tomber de grosses gouttes de

    sang. Rempli de joie, il recueille avec res-pect ce sang précieux ,

    témoignage du mar-tyre ; il le distribue à ses compagnons, et,par une inspiration céleste ,

    il retourne à

    l'église d'Agaune, et là révèle aux moines

  • 72 SAINT MARTIN

    étonnés et confondus et son nom et le mi-

    racle que Dieu venait de faire en sa fa-

    veur.Revenu à Tours

    ,il donna à l'église de la

    métropole une fiole du sang des martyrsthébéens, et de nos jours encore, chaqueannée, le là mai, on célèbre dans le diocèsede Sours la mémoire de la réception de cessaintes reliques. Le souvenir de ce miracle

    s'est également conservé à Agaune ; on ymontrait encore, à la fin du XVIIe siècle , unpetit vase plein de sang, revêtu du sceau desaint Martin. C'était une partie du sang mi-

    raculeux qu'ensigne de pardon, sans

    doute,l'évêque de Tours avait laissé à l'église d'A-

    gaune.

    Les miracles du saint étaient admirables,

    mais non moins miraculeuse, non moins

    admirable était sa vie. Son jeûne était per-pétuel , sa frugalité extrême : il couchait surun lit de cendres recouvert d'un cilice, et

  • CHAPITRE VI 73

    quoique évêque et pasteur d'un si vaste dio-

    cèse,

    il conserva toujours l'esprit de pauvreté

    et d'humilité d'un véritable religieux. Voici

    en quels termes parle de saint Martin Sul-

    picé-Sévère, qui avait vécu dans son inti-mité :

    « Le temps où il y a vécu n'a pu lui fournir

    l'occasion du martyre \ mais, par ses voeux et

    ses vertus, il a pu ,il a voulu être martyr.

    S'il eût vécu au temps des Néron et des Dé-cius, et qu'il eût pu prendre part à la lutte,j'en atteste le Dieu du ciel et de la terre ,-c'eût été par son propre mouvement qu'il fûtmonté sur le chevalet, de lui-même il eût

    couru aux feux du bûcher... Il n'a pas, ilest vrai, enduré toutes ces souffrances ; sansrépandre le sang, il a néanmoins accompli sonmartyre; car, de quelles douleurs humainesn'a-t-il pas goûté l'amertume pour l'espoirde l'éternité ? faim, veilles, nudité

    .jeûnes,

    outrages des envieux, persécutions des mé-7

  • 74 SAINT MARTIN

    chants, sollicitude pour les malades, in-quiétude pour ceux qui sont en péril, il atout éprouvé... Toujours on remarqua inva-

    riablement en lui la force pour vaincre, la

    patience pour attendre ,l'égalité d'âme pour

    supporter. 0 homme inestimable pour sapiété, sa miséricorde et sa charité, qui allatoujours croissant et persévéra jusqu'à la

    fin !...».

  • VII

    Autres traits de la vie de S. Martin,

    Nous raconterons dans ce chapitre quel-

    ques traits de la vie du saint évêque,etquelques particularités de ses relations avec

    ses contemporains. Les exemples des saints

    trouvent toujours leur application; car, quelle

    que soit la différence des temps et des

    moeurs, c'est l'esprit intérieur puisé dansl'Evangile qui inspirait leurs actions, et quidoit diriger les noires.

    Le saint avait un disciple nommé en latin

    Brie.tio, et en français Brice,

    qu'il avaitrecueilli dès sa première enfance

    ,et élevé

  • 76 SAIHT MARTIN

    avec beaucoup de soin et de sollicitude.

    Mais l'adolescent n'y répondait pas ; Martinétait souvent le sujet de ses railleries. Unjour, un infirme cherchant l'évêque pour luidemander guérison , aborde - Brictio , alorssimple diacre :

    » voilà que je cherche le bienheureux ,lui dit cet homme avec simplicité, et je nesais où il est ni ce qu'il fait.

    — Si c'est, répond le clerc , ce radoteur

    que tu cherches, regarde là-bas; le voilà

    qui, selon sa coutunie, contemple le ciel,i la façon des insensés. »

    Heureux d'avoir trouvé le saint, le pauvrene prit pas garde à cette moquerie; sa foi

    fut récompensée,

    et il s'en alla guéri.

    Le bienheureux,

    s'adressànt à Brice, lui

    dit : «Ainsi donc, mon" fils, je passe dans

    ton esprit pour un. radoteur ?»Celui-ci, tout confus, nie d'avoir tenu ce

    propos.

  • CHAPITÈE VII 77

    o Est-ce que mon oreille n'était pas au-près de ta bouche, lorsque tu parlais ainsi

    loin de moi! En vérité,

    jeté le dis : j'aiobtenu de Dieu que tu me succèdes dans les

    honneurs du pontificat. Mais, ne l'oublie pas,tu auras, étant évêque, beaucoup de con-trariétés à souffrir. » Briee ne fit que rire, de

    la prédiction.

    « N'avais-je pas raison, répétait-il, dedire qu'il radotait ? »

    L'âge le rendit plus audacieux ; il en vintjusqu'au point de couvrir son vieux maître

    d'injures et de mépris. Le saint le recevaittoujours avec la même, douceur, et ne cessaitde prier Dieu pour lui, car il le voyait enproie à de grandes tentations de colère etd'orgueil.

    « Le Christ a souffert Judas,..

    disait-il.sou-

    vent ; pourquoi ,moi pécheur, ne souffri-

    rais-je pas Brictio ?

    Jamais il ne voulut ni l'éloigner de sa

  • 78 SAINT MARTIN

    personne, ni le priver des fonctions ecclé-

    siastiques qui lui étaient confiées. La prière

    miséricordieuse de Martin fut enfin exaucée :Brice lui succéda sur le siège de Tours;mais ce n'était plus l'homme factieux, vain

    et moqueur, qui avait abreuvé d'amertumela vieillesse du bienheureux ; c'était un péni-

    tent austère, un digne évêque', qui souffrit

    avec la patience des saints de grandes con-tradictions. Qui peut douter que ses vertusn'aient été le fruit de la douceur et des

    prières de Martin ?

    Si clément et si miséricordieux envers sesdisciples et même envers ses ennemis, lesaint évêque se msntrait plein de fermeté etdé dignité sévère dans ses relations avec les

    grands et les princes. Une troisième fois, lesaffaire* de son diocèse, les réclamations des

    pauvres et des prisonniers l'appelèrent à

    Trêves,

    à la cour de l'empereur Maxime. La

    bassesse et l'esprit d'adulation d'une race

  • CHAPITRE VII 79

    dégénérée régnaient dans cette cour demi-

    romaine,

    demi barbare, où l'on voyait, à

    côté des fils des sénateurs de l'ancienne

    Borne, s'asseoir les Alains , les Germains, -qui plaisaient au maître, parce qu'ils étaient

    robustes et adroits à la chasse.

    Maxime inspirait à tous la crainte ; mais

    la fermelé apostolique de Martin lui imprima

    à son tour un sentiment de respect. Il l'in-vita, à plusieurs reprises, à manger à satable ; le saint refusa longtemps, mais enfinil dut se rendre aux prières instantes de l'em-

    pereur. Ce repas fut une fête qui témoigna

    de la haute vénération qu'inspirait l'apôtre

    des Gaules. Vers le.milieu du repas, selonl'usage de ce temps, un serviteur présentait

    la coupe au plus considérable des convives,qui, après avoir bien bu, la donnait lui-même

    au plus digne après lui. Au milieu donc duestin de Maxime , l'échanson vint offrir la

    coupe à l'empereur. Le prince la refuse , et

  • 80 SAINT MARTIN

    veut qu'elle soit d'abord présentée au saint

    évêque, espérant la recevoir à son tour de

    sa main. Martin la reçoit , y trempe ses.lèvres, et la passe au prêtre qui l'accompa-gnait

    ,préférant la dignité sacerdotale à l'au-

    torité et à la puissance de Maxime. L'em-

    pereur et tous les convives admirèrent cette

    action, au

    point d'accepter avec plaisir l'hu-miliation qui en résultait pour eux.

    Or , pendant les entretiens de Maxime avecMartin, il y avait une personne ,qui demeu-

    rait comme suspendue aux paroles du saint :c'était l'impératrice. Sans cesse humiliée

    devant l'évêque , elle lui baisait lespieds,

    et elle obtint enfin la permission de le servir

    elle-même à table. Le bienheureux ne putrefuser cette grâce implorée avec tant de

    persistance. L'impératrice couvrit elle-même

    d'un tapis la sellette de Martin ; elle lui

    donna l'eau pour ses mains , etle servit

    elle-même avec l'humilité d'une esclave.

  • CHAPITRE VII 81

    C'étaient là les grands rayons de lumière,

    de foi,

    de vertu que jetait ce siècle qui re-tournait à la barbarie.

    De retour dans son monastère ,le saint y

    goûta avec grande joie les douceurs de la

    retraite. Toutefois il n'en jouit pas long-temps.' Saint Liboire, évêque du Mans, étaitmalade ; Martin l'apprit et se hâta d'aller le

    visiter. Il arriva près d'un faubourg de la

    ville, et là il trouva un homme qui bêchait,la terre , en chantant des hymnes et des

    psaumes. Dieu , en ce^moment,.révèle au

    saint que c'est celui-là qui doit succéder à

    l'évêque du Mans. Il l'envoie chercher. Le

    laboureur approche , couvert de poussière.

    « Salut à notre pontife! dit le saint ; bénis-

    moi, seigneur Victor !»S'inclinant jusqu'à terre : « Béni soit-tu ,

    mon seigneur ,répond Victor

    ,et bénie soit

    ta parole, toi qui daignes tenir un pareillangage à un pauvre homme tel que moi.

  • 82 SAN1T MArTIN

    » — Faut-il m'exprimer plus clairement ?poursuit Martin ; l'honneur de l'épiscopat

    t'est réservé. »Victor ne savait si le saint parlait sérieu-

    sement ou voulait plaisanter ; il lui répondit :"

    « Qu'en tout temps ton âme se dilate plei-

    nement dans la joie et la gaieté ; pour moi,

    je m'en retourne. »Le saint lui ôta la bêche

    ,l'emmena avec

    lui, en grand hâte, et ils allèrent ensemblevisiter saint Liboire. Ce saint évêque était à

    toute extrémité ; mais l'arrivée de Martin

    le remplit d'une joie ineffable, et après avoir

    reçu des mains de son ami les derniers

    sacrements, il mourut paisiblement entre

    ses bras.

    Martin l'ensevelit avec de grands honneurs,

    et le lendemain des funérailles,

    il convoqua

    le peuple du Mans dans l'église, et lui parla

    en ces termes :

    « Nous ne voulons pas , enquittant cette

  • CHAPITRE VII 83

    ville, la laisser dans le désordre. Il nous faut

    auparavant procurer à votre évêque un suc-

    cesseur qui puisse porter avec éclat sa di-

    gnité pastorale. »Les assistants répondirent :

    « Tout ce que tu jugeras à propos de faire,

    fais-le, car le Seigneur est avec toi. »Alors le saint posant la main sur Victor

    qu'on avait amené près de lui : « Voilà, dit-

    il,

    celui que le Seigneur a choisi pour suc-céder à Liboire.

    » — Comment, répond Victor cette pa-role pourra-t-elle s'accomplir? je suis marié

    et père d'un enfant. »On manda sur-le-champ la femme de

    Victor. Maura, c'était son nom , se prosterna

    aux pieds de saint Martin.

    «Femme, lui dit le pontife, veut-tu queton mari devienne pontife

    ,de la ville dû

    Mans ?»

    Tout épouvantée elle répondit :

  • 84 SAINT MARTIN

    «Je ne suis pas digne, mon Seigneur, quemes yeux voient les merveilles du Très-Haut.

    » — Cependant, insiste le pontife ,. si la

    chose avait lieu, que

    voudrais-tu faire après?

    » — Si je suis assez heureuse ,répond

    Maura , pour être témoin de ce prodige,

    mon mari deviendra pour moi comme un,frère, je ne serai plus pour lui qu'une soeur,et notre unique pensée sera de servir, le Sei-

    gneur. »Satisfait de ce langage, Martin fait asseoir

    Victor dans la chaire, et s'adressant aupeuple :

    « Voici le souverain pasteur assis, au lieu

    de sa dignité. C'est là le grand prêtre que: le

    Seigneur, a choisi ; aimez-le, chérissez-le,

    car le Seigneur est avec lui. Saisi de respectà ces paroles), le peuple se prosterne, etproclame Victor évêque. Martin lui; confère;

    la dignité pontificale, et

    Maura se présentant

    au saint ,lui dit ;

  • CHAPITRE VII 85

    «Fais descendre le voile sur ma tête,

    pour que je plaise au Christ ; qu'un esprit

    droit vienne habiter dans mon coeur , et que

    ta main sacrée me lave de mes souillures.

    »— Que le Seigneur, fui rèpondit-il ,accomplisse ton désir. » Et il fut fait ainsi.

    Après avoir reçu la bénédiction qu'elle

    avait demandée , elle se prosterne encore auxpieds jde Martin :

    « Seigneur, lui dit-elle, je demande quemon fils soit baptisé de ta main, qu'il de-

    vienne ton fils spirituel et te serve tous lés

    jours de sa vie ; car il touche à sa deuxième

    année.»

    Le désir de cette pieuse femme fût exaucé ;Victure, c'était le nom de l'enfant, ne quittaplus saint

    =Martin

    ,qui l'éleva avec le plus

    grand soin,

    le forma à la vertu et lui con-féra le sacerdoce.

    Nous avons raconté les actions de saint

    Martin, sa charité, son zèle , les miracles

  • 86 SAINT MARTIN

    que le Ciel accordait à sa confiance et à saprière ; terminons par ce portrait que l'his-torien Sulpice-Sévère fait de l'esprit inté-rieur qui anima le bienheureux.

    « Encore que ses actions aient pu, d'unefaçon quelconque ,

    être exposées par des

    paroles, sa vie intérieure, sa conduite dechaque jour, son esprit toujours appliqué

    aux choses du Ciel, quelle langue l'expli-

    quera jamais? Quand je nomme sa vie inté-

    rieure,

    je veux parler de cette persévérance

    et de ce tempérament qu'il mettait dansl'abstinence et les prières, de sa puissancedans les veilles et les prières, des nuits pas-sées par lui comme des jours, de son tempsqui n'était jamais yide de l'oeuvre de Dieu

    ,et

    dont il n'accordait rien au repos ou auxaffaires

    ,ni même à la nourriture et au

    sommeil, sans y être contraint par l'ordre de

    la nature ; cela ,je l'avouerai avec vérité ,

    on ne pourrait lé raconter, tant il est vrai

  • CHAPITRE VII 87

    qu'en Martin tout est trop grand pour le

    renfermer dans des paroles.

    » Jamais il ne passa une heure sans s'ap-

    pliquer à l'oraison ou se livrer à la lecture;

    jamais il ne relâcha son esprit de l'exercicede la prière Ne jugeant personne, necondamnant personne, ne rendant à per-

    sonne lé mal pour le mal ; il s'était armé

    d'une telle patience contre toutes les injures

    que lui, souverain prêtre, il se laissait ou-trager impunément par le dernier des clercs ;jamais ces outrages ne furent pour lui unmotif de leur ôter leur emploi, ni mêmede lui retirer leur amitié. Personne jamais

    ne le vit irrité, jamais ému, jamais triste,jamais riant; toujours un, toujours le même,

    portant sur le visage une sorte de joie céleste;

    il semblait ne plus appartenir à la naturehumaine. Jamais sur ses lèvres autre chose

    que le Christ, dans son coeur autre chose

    que la piété, la paix et la miséricorde...»

  • 88 SAINT MARTIN

    Il y a entre les disciples du Christ de cé-

    lestes ressemblances; en lisant ce portrait

    de l'évêque d'un autre âge, ne croirait-on

    pas lire le portrait de saint François de

    Sales ?

  • VIII

    Mort de S. Martin.

    Martin., longtemps d'avance, connut le

    jour de sa mort, et dit aux frères que la dis-

    solution de son corps était proche.

    Un motif survint qui engagea le saint à

    visiter la paroisse de Candes. Les clercs de

    cette église étaient en discorde; il voulut

    rétablir la paix parmi eux, et quoiqu'il sentît

    que sa fin était proche ,'il n'hésita. point àpartir. Il rassembla ses frères, les. embrassa,

    les bénit, et mit à sa place, pour les con-duire , un moine nommé Galbert ; puis ilpartit, suivi de ses plus intimes disciples.

  • 90 SAINT MARTIN

    Sur le fleuve de la Loire, dont il descen-

    dait le cours, il vit des plongeons occupés à

    guetter les poissons :

    « Voilà bien, dit le saint, l'image desdémons ; ils tendent des pièges aux impru-dents , "prennent ceux qui n'y pensent pas,dévorent ceux qu'ils ont pris et ne peuvent

    se rassasier de ceux qu'ils dévorent ! En-

    suite , avec une puissante vertu de paroles,

    le saint commande à ces oiseaux d'aban-

    donner les eaux profondes au-dessus des-

    quelles ils volent, et de se retirer vers des

    régions arides et désertes, et les oiseauxobéissent à cette voix habituée à commander

    aux princes de l'enfer.

    Le saint, arrivé à Candes, réussit dans lebut qu'il s'était proposé, et après avoir ré-tabli la paix autour de lui, il songeait àretourner à son monastère ,

    lorsqu'il sentit.

    ses forces l'abandonner. Il convoque sesdisciples, et leur annonce avec joie que sa

  • CHAPITRE VIII 91

    délivrance approche. Cette nouvelle les rem-plit de douleur.

    « Père, lui disent-ils, pourquoi veux-tuabandonner tes enfants ?A qui laisseras-tu le

    soin de ton troupeau désolé? Qui nous dé-

    fendra lorsque le pasteur aura été frappé ?

    Nous le savons, tu désires posséder le Christ;

    mais ta récompense est assurée,

    tu n'en per-dras rien pour attendre encore. Prends pitié

    de nous que tu abandonnes ! »Le saint, ému de ces regrets, éleva les

    yeux au ciel en versant des larmes :

    » Seigneur, dit-il, si je suis encore né-cessaire à ton peuple , je ne refuse pas letravail : que la volonté soit faite ! »

    Ce mot a excité l'admiration des saints,qui savent combien est véhément le désir quel'âme pure a de posséder son Dieu. SaintBernard s'écrie, en son sermon de la fête desaint Martin :

    « Tu as fait une grande chose, Pierre,

  • 92 SAINT MARTIN

    en quittant tout pour suivre le Seigneur ;mais je t'ai entendu dire sur la montagne où

    il fut transfiguré : Seigneur ,il est bon que

    nous soyons ici ; dressous-y trois tentes. Ce

    n'est pas là le : Si je suis encore nécessaireà ton peuple, je ne refuse pas le travail.

    Ton coeur est prêt, Martin , ton coeur estprêt, soit à rester dans ton corps, soit àêtre délié et à te trouver avec le Christ. Tudésires la mort avec tant d'ardeur, et pour-tant tu ne refuses pas de vivre et de te fati-

    guer encore dans une si pénible attente ! »Le saint, disposé à vivre ou à mourir, ne

    se relâcha point des exercices ordinaires de

    sa piété. Il passait la nuit dans les veilles etl'oraison

    >forçant ses membres défaillants à

    servir encore l'esprit. Il demeurait jusqu'au

    bout étendu sur la cendre et le ciliée , qu'ilpréférait à la couche des rois , et ses dis-ciples le suppliant de promettre qu'on glissât

    au moins sous lui quelques poignées, de

  • CHAPIRRE VIII 93

    paille,

    il leur répondit : « Mes enfants, il neconvient pas à un chrétien de mourir ailleurs,

    que sur la cendre; je pécherais en vous lais-

    sant un autre exemple. »Les yeux et les mains sans cesse élevés vers

    le ciel, il ne relâchait pas un instant del'oraison son esprit infatigable. Les prêtres

    qui s'étaient rendus de toutes parts auprès

    de lui, le priaient de soulager son faiblecorps en changeant de côté :

    « Laissez, dit-il, laissez-moi., mes frères,regarder le ciel plutôt que la terre, et mettred'avance mon esprit dans son chemin pouraller au Seigneur. »

    Comme il achevait ces mots, il vit le ten-tateur auprès de sa couche :

    « Qu'es tu venu faire ici, dit-il, bête,cruelle ? tu ne trouveras rien en moi, mal-heureux. Je serai reçu dans Je sein d'A-braham. »

    En prononçant ces paroles, il rendit son

  • 94 SAINT MARTIN

    âme à son Créateur. Son visage devint blanc

    comme la neige, et son corps sembla revêtir

    la gloire de la résurrection future. Le saintavait alors quatre-vingt et un ans. C'était le

    8 novembre de l'an 397, un dimanche, à

    minuit.

    Des merveilles accompagnèrent le trépas

    du saint ; ses bienheureux amis, ses frères

    dans l'épiscopat, Ambroise, évêque de Milan,

    le bienheureux Séverin de Cologne,

    Sulpice-

    Sévère, furent informés par une visioncéleste que Martin venait d'entrer dans lavie éternelle. Les peuples s'empressèrent

    auprès du corps étendu sur la cendre; les

    habitants du Poitou le réclamaient, parce queMartin avait été religieux dans leur pays ;ceux de la Touraine réclamaient avec plus

    de justice leur père et leur pasteur. Ces der-niers l'enlevèrent pendant la nuit et le trans-'portèrent dans la ville épiscopale. Le cer-cueil entra dans la métropole de Tours, au

  • CHAPITI1E VIII 95

    milieu d'une foule innombrable qui éclatait

    en pleurs. Bientôt, de nombreux miracless'accomplirent au tombeau glorieux de celui

    qui, revêtu de sa chair mortelle, avaitobtenu du Ciel tant de prodige, et les fidèles

    invoquèrent comme leur protecteur dans le

    ciel le saint ami du Christ qui les avait tantfavorisés sur la terre.

    Nous ne citerons qu'un seul de ces pro-diges si nombreux, dont le récit explique la

    confiante dévotion que saint Martin inspira à

    nos ancêtres.

    C'était en 560. Théodomi» était alors roides Suèves de la Galice. Son fils, dangereu-

    sement malade ,n'avait plus que le souffle.

    Or, le père de cet enfant professait l'arianismeainsi que tout son peuple. En outre ce paysétait infecté d'une lèpre dangereuse. Le roi,voyant son fils à l'extrémité, dit à ses cour-tisans :

    « Ce Martin qui fait, à ce qu'on rapporte,

  • 96 SAINT MARTIN

    tant et de si éclatants prodiges dans la Gaule,

    de quelle religion était-il ?

    — De la religion catholique. Tant qu'ilvécut, il gouverna le peuple comme évêque ;il assura qu'on devait vénérer le Fils avec, lePère et le Saint-Esprit, comme ayant aveceux une même substance et une égale puis-

    sance. Maintenant, assis au séjour des eieux,il ne cesse par ses bienfaits de pourvoir auxbesoins de son peuple.

    — Si ce que vous me dites est vrai, ré-pondit le roi, que mes fidèles amis se ren-dent en toute hâte à son temple en y portantde riches présents. S'ils obtiennent la..gué-

    rison de mon enfant, je me ferai instruire dela foi catholique à laquelle il a cru , et j'ycroirai aussi.

    Il envoya donc au tombeau de Martin une

    somme d'or et d'argent égale au poids de sonfils. Ses messagers arrivent et prient pour lemalade devant le sépulcre du bienheureux.

  • CHAPITRE VIII 97

    Mais l'hérésie qui dominait le coeur du père

    empêcha que l'enfant obtînt, une entièreguérison. Ils revinrent, et Théodomir com-mença à comprendre ce que Dieu voulait de

    lui. Il commença par bâtir une église ma-gnifique qu'il dédia au bienheureux , et

    lors-

    que cet édifice fut terminé, il dit :

  • 98 SAINT MARTIN

    ronces., et le schisme et l'hérésie ne comp-tent dans leurs rangs que dès vertus hu-maines, c'est-à-dire incomplètes.

    Le culte de saint Martin se répandit

    promptement par toute la Gaule , etde là,

    dans tout l'univers chrétien. Il fut considéré

    par les religieux , comme leur père et leurinstituteur; par les pontifes , comme leurmodèle ; et par les ' rois et le peuple de

    France, comme leur puissant intercesseurauprès de la bonté céleste. Son tombeau ,sur lequel s'élevait une célèbre basilique,devint un lieu de pèlerinage célèbre, et cher

    s