table des ma t iÈres

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Daniel Sollat TABLE DES MATIÈRES 7 MON PÈRE 7 La maladie 20 L’usine Benjamin à Nanterre 22 Sa jeunesse 24 La famille Bouchez à Pacy-sur-Eure 28 Sa rencontre avec maman 31 La famille s’agrandit 34 Rue Chevreul 38 Le cirque AMAR 41 La carrière aux loups 44 Conflit familial 46 Oncle Gaston 49 Grand-mère Suzanne 51 Le Docteur Carrière 57 Hôpital Claude Bernard 64 LA VIE SANS PAPA 64 Mon séjour à l’hôpital 67 La vie à trois 72 Mon premier boulot chez Buffière, déjà des regrets 88 Mon embauche chez Charles 92 LE TEMPS DES COPAINS 92 Le cinéma « Le Carnot » 93 La carrière du Champ aux Melles 95 La routine 98 La chasse aux chardonnerets D. Sollat.indd 4 09/11/2015 09:39:00 Tranche de vie d’un gars des Fontenelles à Nanterre (1949-1962) 102 Mes ambitions s’envolent 105 La Maison des jeunes 108 L’Algérie 110 La boulangère 119 Le travail à la chaîne 122 Le judo 126 Juin : Le mois des fêtes 132 Kermesse de la paroisse des Fontenelles 139 La cellule du P.C aux Fontenelles 144 Vacances à La Charité sur Loire 186 Charles en veut toujours plus 189 Ma ceinture jaune 192 Mon frère 195 Chiffonniers et ferrailleurs 200 Le père Raboisson 202 Claude part au service militaire 206 Les frasques de François 211 Claude part pour l’Algérie 218 Grand-père Sollat 221 Bébert et Carmen 222 La bière Lutèce 227 L’usine SIMCA 229 Les congés payés à Cabourg 237 Ma ceinture marron 241 Un ogre nommé EPAD 242 Des idées nouvelles… 245 L’Armée m’appelle D. Sollat.indd 5 09/11/2015 09:39:00

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Daniel Sollat

Tranche de vie d’un gars des Fontenelles à Nanterre (1949-1962)

Table des maTières

7 MoN père7 Lamaladie

20 L’usineBenjaminàNanterre

22 Sajeunesse

24 LafamilleBouchezàPacy-sur-Eure

28 Sarencontreavecmaman

31 Lafamilles’agrandit

34 RueChevreul

38 LecirqueAMAR

41 Lacarrièreauxloups

44 Conflitfamilial

46 OncleGaston

49 Grand-mèreSuzanne

51 LeDocteurCarrière

57 HôpitalClaudeBernard

64 LA VIe SANS pApA64 Monséjouràl’hôpital

67 Lavieàtrois

72 MonpremierboulotchezBuffière,déjàdesregrets

88 MonembauchechezCharles

92 Le TeMpS DeS CopAINS92 Lecinéma«LeCarnot»

93 LacarrièreduChampauxMelles

95 Laroutine

98 Lachasseauxchardonnerets

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Tranche de vie d’un gars des Fontenelles à Nanterre (1949-1962)

102 Mesambitionss’envolent

105 LaMaisondesjeunes

108 L’Algérie

110 Laboulangère

119 Letravailàlachaîne

122 Lejudo

126 Juin:Lemoisdesfêtes

132 KermessedelaparoissedesFontenelles

139 LacelluleduP.CauxFontenelles

144 VacancesàLaCharitésurLoire

186 Charlesenveuttoujoursplus

189 Maceinturejaune

192 Monfrère

195 Chiffonniersetferrailleurs

200 LepèreRaboisson

202 Claudepartauservicemilitaire

206 LesfrasquesdeFrançois

211 Claudepartpourl’Algérie

218 Grand-pèreSollat

221 BébertetCarmen

222 LabièreLutèce

227 L’usineSIMCA

229 LescongéspayésàCabourg

237 Maceinturemarron

241 UnogrenomméEPAD

242 Desidéesnouvelles…

245 L’Arméem’appelle

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Tranche de vie d’un gars des Fontenelles à Nanterre (1949-1962)

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Emile Leymar, à gauche, pompier de Nanterre, grand-père maternel de Daniel, en manoeuvre avenue Félix-Faure, vers 1930.

Ecole des Fontenelles, avenue Georges-Clemenceau.

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Daniel Sollat dans la classe de Georges Belfais à l’école des Fontenelles (1951).

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Tranche de vie d’un gars des Fontenelles à Nanterre (1949-1962)

aumoinssurunmètredehauteur.Oh!Unebonnechaleurdouceserépand

aussitôtdansl’atelier,jenesuispasmécontentdemoncoup.Jeretourneaux

manivellesdutour,jesuisbien,lachaleurmecaresseledos,mesmembres

sedégourdissent.Lamachineseréchauffe,lejetblanccontinud’arrosageest

montéentempératureaucontactdel’outil,pourpreuveuneévaporationde

fumées’endégageau-dessus.Lefroiddisparaîttoutdoucement,unmoment

debien-êtresefaitsentir,lagrisailledel’ateliers’estompe.Latâcheroutinière

me paraît moins pénible mais ce moment de jubilation ne dure pas. Je

surveilleducoindel’œillapendulequipatine,ellen’avancepas.Soudain,le

froidmesaisitledos.Jemeretourne,laporteenboiscoulissanteestgrande

ouverte, je comprendspourquoimaintenant! J’aperçoisuncamiongaré le

longdutrottoirdontlechauffeurs’activeàbaisserlesridelles,iln’apasl’air

trèsréchauffé.Jepesteintérieurement,ah!ilabienchoisisonjourpournous

livrercelui-là.Jefaiscommelesautres,j’arrêtemamachine.Onseretrouve

toussurletrottoiràdéchargerlescaissesdepiècesàusiner.Unecorvéeque

jedéteste:ilfauts’ymettreàdeux,tellementellessontlourdes.Lepoidsdes

caissesetlefroiddecanardmecisaillentencorepluslesmains.Çadureun

bonmoment,toutlemondeestgelé,jegrelottedepartout.Ahenfin!,c’est

fini.Charlesquiaaussidonnéuncoupmain,fermelagrandeporteenbois.

Chacunrespireungrandcoup,onseretrouvetousautourdelacloche,qui

aperdudesonénergie,seréchaufferunbrinlesmains.Ehpuisquoi!On

retourneauboulotenattendantmidi…

La chasse aux chardonnerets

J’ail’airfinavecmespetiteschaussuresauxboutspointusetauxsemelles

finesdecuirdouteux,onappelleçadeschaussuresitaliennes.Detoutefaçon

je n’ai pas le choix, je n’ai que celles-là.Boudiné dansma veste (car en-

dessousj’aimisungrospullenlaine)jemesuisaussientourélecoud’un

grandcache-col.Quandjesuisarrivéaupetitmur,unbrefbonjouràBébert,

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Pierrot son jeune frère et Roger leur frère aîné.Tout le monde appelle ce

dernier «Rouquin» en raison de sa couleur de cheveux. Les deux mains

danslespoches,lecolrelevé,lacasquettekakiaméricaineenfoncéesurla

tête,lesyeuxrivéssurlaplaine,ilnesesouciepasdufroid.Ilm’aàpeine

regardéquandj’aiditbonjour.Pourundimanchematinilssesontlevéstôt.

Pendantunebonnepartiede lanuit ilaneigé,oh riend’extraordinaire,un

légervoileblancrecouvrelaplaine.D’ailleursquelquesfloconstourbillonnent

encore,çacacheunpeulavisibilité.Rouquindit:

-«Bébert!VaavecPierrotjusquechezlepèreJules,pourlesrabattre,j’ai

l’impressionqu’ilssesontposéslà-bas.»

V’làBébert et son frangin partis de l’autre côté de la plaine, habillés «en

hiver de banlieue», en direction des grands arbres du père Jules.Moi je

resteassissurlepetitmur,jelesregardepartir,c’estunehistoiredefamille,

jeneparticipepasàlachasseauxchardonnerets,jenesuisquespectateur.

Fautêtrepatient,pourespérerattraperunoiseauoudeux,c’est le fortde

Rouquind’attendre.Jefaiscommelui j’observeet j’attends.Lamatinéese

déroule,lescopainsduquartierarriventpetitàpetit.Laconsigneestdene

pas faire de bruit, éviter de parler trop fort: on ne sait jamais ça pourrait

effrayerlesoiseaux.Alorsqu’ilnesepasserien,JulienLefeu,unpassionné

aussi,demandeàRouquinàmotscouverts:

-«T’asmisunappelant?»

-«Ouibiensûr!»

-«Onnel’entendpasbeaucoup!»

Rouquinsedécide:

-«Jevaisallervoirsitoutvabien!»

Il traverse la rueetentredans laplaine.Aunevingtainedemètresde là,

setrouveungrosbouquetdebuissonvertoùdesfloconsdeneigerestent

accrochés. Tout à côté, des groupes de chardons encore en graines ont

pousséàhauteurdesoixantecentimètres.Leschardonneretss’ennourrissent

àcettepériode.Rouquin,aupetitmatin,aplantésesgluauxdanslaterre.Il

lesainstallésdeboutenformantdescercles,aumilieu,quelques-unsontété

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posésàplat.Ilafaitplusieurscerclesàproximitédeschardonssansoublier

d’enmettredessus.Aumilieuduparterreenglué,l’appelantestdanssacage,

biencachéparlesherbes.Deretouraupetitmur,Rogerdit,àquiveutbien

l’entendreetenserassurant lui-même,que toutvabien.Laboîteestbien

cachée,lepetitgrillagedudessusnelegênepaspourvoirleciel,l’appelant

nesifflepascaraucunchardonneretn’estpasséau-dessusdelacage.De

loin,onvoitrevenirBébertetPierrot.Ilssesontécartésenvirondecinqàsix

mètresl’undel’autreenessayantdejouerleurrôlederabatteurs.Ilsarrivent

prèsdenous,lefroidlesasaisis,leurschaussuressonttrempées,leurbasde

pantalonestmouillé,ilsgrelottentmaisilssontbiencontentsd’êtrerevenus

ausec...Rouquindemandealors:

-«Vouslesavezvus?»

-«Oui!répondBébert,ilsétaientdanslesarbresdupèreJules,tuavaisvu

juste,Rouquin.»

-«Quandons’estapproché,reprendPierrot,ilssontpartisducôtédechez

lesTonnellier,maisilsontdûrevenirlelongdelacité«Lelièvre»,detoute

façonilsnepeuventquerepasserparici!»

Rouquindemande:

-«Qu’est-cequec’estcommeoiseaux?»

-«Jecroisqu’ilyacinqousixbruants,répondentlesdeuxfrangins,etpeut-

êtreunchardonneretconfirmeBébert.»Rouquinal’aircontentetprécise:

-«Bon,onvaattendre?»

Laneigelégèrequitourbillonnaittoutàl’heureacessédetomber,leciels’est

dégagé,c’estbonpourl’appelant.Iln’estpasloindemidi,j’aitropfroidaux

piedsdansmeschaussuresitaliennes,jedécidedoncderentrerpuisjedis

àBébert:

-«J’yvais,jesuistoutfrigo,j’teverraitoutàheure.»

Ilacquiesceparunpetitmouvementenmerépondant:

-«Moiaussi,j’aileschaussettestrempées,jenesensplusmespiedsmais

jeresteaveclesfrangins,onnesaitjamais.»

Jesaluetoutlemonde,forcementpersonnenerépond:ilssontabsorbésà

scruterleciel.

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Dans lafinde l’après-midi je retourneaupetitmur, jeveuxsavoirpour les

oiseaux.Bébertestlà,ilattend.Ilfumeunecigarette,moiaussi,parfoisjeme

laissetenter.Jem’empressedeluidemander:

-«Alors,pourlespiafs,Bébert,commentças’estpassé?»

Ilmeracontequ’ilsenontattrapéunetm’expliquelesdétailsdelaprise:

- «L’appelant, d’uncoup, s’estmisà siffler.Onne lesavait pasvusvenir

lespiafs.Ilsétaienttroisouquatre,quedesbruantsavecleurspetitestêtes

mouchetéesdegris.Ilsontfaitunvolstationnaireau-dessusdelacagede

l’appelant et là on a vraiment vu que c’était des bruants avec leurs belles

ailestoutejaunes.Ilsonttournéunmomentdansleciel.Onnebougeaitpas,

personneneparlait.Puisd’uncoup,ilsontpiquésurleschardons.Monfrère

Rouquinadit«Baissez-vouspournepasleseffaroucher».Onaattenduun

petitmoment, riennesepassaitalors le franginestallévoir.Quandon l’a

rejoint,ilavaitunoiseaudanslamainavecungrandsourireauxlèvres.Tout

doucement,avecprécaution,iltiraitsurlesgluauxpournepasleblesseren

disantunpeudéçu:«C’estdommagecen’estpasunchardonneret.»Etlà

jeluidis:

-«C’estbon,vousêtescontentsmalgréquecesoitunbruant?»

Bébertexplique:

-«Biensûr!,maismonfrèreRouquinauraitpréféréunchardonneret,ilest

tellementbeaucepetitoiseauavecsapetitetêtedetouteslescouleurs.Tous

lesamateursd’oiseaux rêventd’enavoir un,maisonenvoit demoinsen

moinsmaintenant.Avoirattrapéunbruantlesatisfait,maintenantonverras’il

arriveàl’apprivoiser?»

VoilamaintenantBébertquisemetàm’expliquerdequellefaçonRouquinva

s’yprendrepourquel’oiseaupuissevivreencage:

-«Toutd’abord,illemettradansunecageavecundrapdessuspourqu’ilne

puissepasvoirlejour,sinonilvasefracassersurlesbarreaux.Puis,dans

un jouroudeux, il laisserapasserunpeude lumièreafinqu’ils’habitue. Il

attendrasaréactionetsitoutvabien,illuidonneraunpeud’eaudansune

coupelleetquelquesgrainesàcôté.S’ils’aperçoitqu’ilamangéetbu,alors

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La Maison des jeunes

Jepenseàcequem’aditClaude,cematin,avantdepartirau travail.Ce

soirJean-Claudenousemmèneraitvoir lanouvellemaisondes jeunesque

lamunicipalitéamiseà ladispositionpour les jeunesdeNanterre.Lebus

nousmènejusqu’àLaBoule.Onsepointetouslestroisdevantuneassez

bellemaisonancienned’allurebourgeoiserécemmentacquiseparlavillede

Nanterre. Jean-Claude,enguideconfirmé,nous la fait visiter,elleagardé

aussisoncaractèredemaisonbourgeoiseàl’intérieur.Ons’attardeunpeu

danslasalledetélévisionaurez-de-chausséeoùdeuxpéquinsécrouléssur

leschaisesregardentunfilm.Dans l’escalierenboisquiconduitauxdeux

étages supérieurs, on croise d’autres jeunes qui vont et viennent dans la

maison,ilsnoussaluentcommedeshabitués.Personnenenousdemande

rien,letourdelamaisonestvitefait.Maintenantquel’onestàl’étage,Jean-

Claudetientànousfaireécouterdelamusique.Unepilededisques33tours

estposéesur la table, jedécouvrepour lapremière foisun tourne-disque.

JeregardeJean-Claudemettreundisquesurlaplatine,ledisquetourneet

alors,j’entendsaccompagnéed’uneguitare,unevoixgravechanter,«Quand

Margotdégrafaitsoncorsagepourdonnerlagougoutteàsonchat».Jemedis

qu’ilestvraimentosécegars-là!Jean-Claudeesttoutcontentdenousfaire

découvrirBrassensquejeneconnaissaispas.Enfindecompte,jem’aperçois

qu’iln’yapasgrandmondecelundisoir,danslamaison.Curieuxd’écouter

delamusiquedontj’ignoraisl’existence,jepasseenrevuelapilededisques

etjedécouvred’autreschanteurscommeLéoFerré.Mouloudjiaunebonne

têtesurlapochettedudisque,j’aienviedesavoircequ’ilchante.Jean-Claude

etmonfrèreontdisparu, jemelancedanslamanœuvredutourne-disque.

Mouloudjichantedesavoixchaudeauxintonationsmélancoliques«Comme

unpetitcoquelicot».Tout-enécoutantlachanson,jevoisdeslivresdéposés

surdesétagères;deslivres,onenabienquelques-unsàlamaison,maisje

n’aijamaisréussiàenfinirun.Quandjelis,jen’arrivepasàmeconcentrer,

jeperdslefildel’histoire, j’abandonne.Parcontreavecles illustrés jevais

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jusqu’aubout.Pourtantàregarder les titresdes livresetà les feuilleter j’ai

enviedeleslire.L’heuretourne,Claudevientmedirequ’ilfautrentrer.Jene

saispaspourquoi,jemedisquejereviendraidanscettemaisondesjeunes,

jevaissûrementapprendrebeaucoupdechoses.

Ça n’a pas traîné, le samedi suivant, j’y suis retourné seul, dans l’après-

midi.Ce n’était plus pareil.Quand je suis entré, le hall était encombré de

garçonsetdefillesquidiscutaient.Jen’avaispaslamoindreidéedeceque

j’allais faire, le plus simple c’était d’aller voir la télé, aumoins j’aurai une

occupation.Personnedans la salle, j’ai regardéunmoment leposte: rien

d’intéressantàl’écran.Iln’yavaitpasunchat,j’aicomprispourquoi.Ah!je

medis,jevaisallervoiraupremiermerappelantquel’onpouvaitécouterde

lamusique.Effectivement,j’entendisdelamusiquequinem’apasvraiment

séduit.Parcontre,ilyavaitdumondequiparlaitfort,laplupartn’écoutaient

pas ledisque,seul, legarsqui l’avaitmissur l’électrophone,semblaitêtre

intéressé par lemorceau. Jeme suis faufilé pourm’adosser aumur, puis

j’attendis,aucunnesepréoccupaitdemavenue.Enfait, lesgarsparlaient

cinéma,mesconnaissancesenlamatièreserésumentaucoupdecinédu

vendredisoir.Ilsavaientl’aird’enconnaîtreunrayonsurlecinoche,j’aiécouté

sansriendire.Auboutd’unmomentilsontéchangésurlethéâtredisantque

c’étaitplusdirectquelecinéma,lesacteursétaientsurlascène,avecenface

d’eux lepublic, c’étaitautrementplusdifficile.Le toutsepassaitdansune

ambianceden’importequoi,maisplutôtchaleureuse.Sanssavoirpourquoi,

tout lemondeest redescendu, laissant legarçonécoutersamusiqueseul.

Alors,jelesaisuivis,ons’estretrouvédanslehalld’entrée,ilscontinuaient

àdiscuter.J’avaisl’impressiondefairepartiedugroupe;certes,jenefaisais

qu’écouter,d’ailleursjen’étaispasseulàsuivrelemouvement.L’après-midi

s’estpasséesimplement,jen’yaivuquedesgenssympathiquesquim’ont

donnél’enviederevenir.Depuis,j’aicomprissonintérêt,c’estpourquoidès

quejelepeux,jefileàla«M.J»,(ouilaM.Jc’estplussimpleàdire).Moins

timoréqu’audébut(carj’avaistoujourspeurd’interveniretdedireunebêtise)

jesuismaintenantmoi-même,jediscuteavectoutlemonde.Jesuisdevenu

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assezcopainaveccertains,surtoutaveclesgarçonsquiparlaientcinémaet

théâtremais,delààprendrepartàleurconversation!…mesconnaissances

enlamatièresontassezlimitées,alorsj’écouteetjem’informe.D’ailleurs,j’ai

commencéà lireun livre:commequoi,desfois, l’endroitoù l’onsetrouve

peut-êtrepropiceàdonnerenviedelire!Unsoirdelasemaine,j’attendais

ausous-soldans lasalledeping-pongquedeuxgarsterminent leurpartie

pour joueràmontour.Jen’étaispasseulàattendre,deuxautresgarçons

attendaientpourtaperlapetiteballeblanche.Lepetitàlunettedisaitàl’autre;

tudevraislireCamus!J’aitendul’oreille,legarçonexpliquait:«Commence

parl’Étrangertuverras,c’estsimple,directe,iln’yapasdemotscompliqués;

l’histoiresepasseenAlgérie,c’estuntyped’origineFrançaisequiestaccusé

d’avoir tuéunArabedansdes circonstancesparticulières.Enfin je ne t’en

dispasplus, tun’asqu’à le lire, tuneseraspasdéçu!»Enparlantàson

copain,j’avaisl’impressionqu’ils’adressaitaussiàmoi.Aumoins,jepouvais

commencerparune lecture conseillée. Jemesuisdoncprocuré l’ouvrage

eteffectivementcelacommençaitfort:«Aujourd’hui,mamanestmorte...».

Unephrasequimerappellelamortdemonpère.Ducoup,jeprendsplaisir

àlirelasuitequiestvraimentprenante.Partagerdessoirées,encompagnie

dejeunesvenantd’horizonsdifférents,m’enrichitquelquepeu.Jesorsdema

plaineetdemonboulotpeuenviable.Maintenantquejeviensrégulièrement

àla«M.J», jedécouvred’autresactivités,commelelabophoto, lareliure

delivreoulamaquetted’avionsenbois,ilyenapourtouslesgoûts.Peut-

êtreque laphotopourraitm’attirer?Lesmaquettes, la reliurenesontpas

tropdansmescordes.Puisilyalessortiesplussportives,commeleskien

hiver.J’aibeauréfléchir,jenevoispascommentjepourraisallerfaireduski

leweek-endavecmonboulot?En revanche, jesuis toujourspartantpour

sortirenforêtdeFontainebleau,lesdimanchesauxbeauxjoursoupourles

sorties piscines, pourquoi pas?Pour l’instant, jeme sens proche du petit

groupe de garçons qui parlent cinéma et théâtre. J’aime bien cette façon

décomplexéequ’ilsontd’aborderlessujetsdeconversation.Ilsontlesensde

ladérision,ilssevannentlesunslesautresdansunespritsainquineporte

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jamaisàconséquence,etpourcetteraison,jemeretrouvesouventaveceux.

Bientôt, jeseraides leurspourallervoirdesconcertsdechanteurssur les

scènesParisiennesetaussidécouvrirdespiècesdethéâtre,ditesd’avant-

garde,jouéesdanslesbanlieuesdegauche.Jenepeuxpasdirequejesois

impatientd’yaller,maislacuriositémegagne.

L’Algérie

Ilyadessoirsoùjenemesenspaslecouraged’allerjusqu’àl’avenueprendre

lebuspourdescendreàla«M.J»; iln’yaurasûrementpersonneaupetit

mur.Alors,jemereplongedansmonbouquin«L’étranger»quim’emporteen

Algérie.Qu’est-cequejeconnaisdel’Algérie:pasgrand-chose.Enclasse,il

estarrivéunefoisquelemaitrenousenparle.C’étaitunecoloniefrançaise,

parmid’autres,enAfrique. Ilnousracontaitqu’audébutde laconquêtede

l’Algérie,Abdel-kader,ungrandchefdetribu,combattaitl’arméeFrançaise.

Aprèsplusieursannées,etdebatailles,ilserenditetfutprisonnierenFrance.

Ces souvenirs d’histoire un peu flous et tellement loin dans mon esprit,

n’évoquentplusgrand-chosepourmoi.Toutefois,jemesouviens;c’étaitun

après-midiàl’école,faitexceptionnelnousavionseudroitàuneséancede

cinémadanslepréau.Laprojectiond’unfilmsurl’Algérie,nouslamontrait

heureuse, baignée d’un soleil éclatant, des orangeraies à perte de vue,

un foisonnement de cultures céréalières avec un peuple arabe rompu aux

travauxdeschamps.LaFrancerayonnaitdemillefeux.Onvoyaitaussides

enfantsalgériens,crânesrasés,piedsnus,habillésdeblanc,montantsurdes

bourricotsavecunepetitebaguetteàlamainpourlesfaireavancer.Tousles

élèvesriaientdevoircesenfantsagirdelasorte,ilsnenousressemblaient

enrienetpourtantilsparaissaientpleindejoiedevivre.

Aujourd’hui ce n’est plus pareil, l’Algérie me semble moins idyllique. Les

imagesquejevoisauxactualités,leplussouventaucinéma,montrentdes

militairesdepartoutetuncommentateur,sevoulantrassurant,expliqueque

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làseulement,ilsaurasil’oiseaupourravivreencaptivité.Sitoutvabiendans

troissemainesvoiredavantageetsilachanceestaveclui,onauraunbeau

siffleurdanslamaison.»

Je l’écoute avec attention, Bébert me raconte tout ça avec une certaine

émotion.Queçasoitdesmoineauxde rueque l’onappelledespiafs,des

chardonneretsoudesbruants,enfin toutcequi tourneautourdesoiseaux

chezeux,çacompte…

Mes ambitions s’envolent

L’hiverprendfin, iln’yapluslieud’allumerlefeu.Jeviensd’attraperseize

ans, un anniversaire ignoré. Deux ans de travail affligeant, le calvaire se

poursuit, les journéess’éternisent, lesfinsdesemainesontsemblables les

unesauxautres, lamonotoniem’agrippe.Et là,cematin,unenouveauté !

Ungarçonencorejeune, latrentaineenviron,grandetmince,discuteavec

le patron dans l’atelier. Ils s’affairent autour desmachines, chacun d’entre

nousregardecegranddégingandéàl’alluresympathique.J’attrapequelques

bribesdeleurdiscussion.LenouveauexpliqueàCharlesquepourêtreplus

compétitif il faut qu’il investisse dans du matériel récent. Charles semble

acquiesceràencroiresesmouvementsdetête,toutenpoursuivantlavisite

del’atelier.J’apprendsqu’iltravaillaitchezSIMCA.Enécoutantunpeuplus,

jecomprendsqu’ilexpliqueàCharlesqu’ilnesupportaitpluslalourdeurde

cettegrosseusine,quelestroishuitauboutdedeuxansilenavaitassez.

Alors,unpetitateliercommeiciluiconvenaitparfaitementetilseréjouissait

deretrouverdeshorairesnormaux.Charlesécouteavecattention,àvoirsa

tête il a l’air d’apprécier ses propos. Si j’ai bien compris il sera une sorte

de chef d’atelier qui aura enmême temps la charge du travail compliqué,

il remplacera aussi Charles pendant son absence. Il devra veiller au bon

déroulementdutravaildechacunetviendraànotreaideencasdeproblème.

Lavisitedutourdel’atelierfutvitefaite.Lacuriositépassée,chacunsemetau

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Tranche de vie d’un gars des Fontenelles à Nanterre (1949-1962)

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Gilbert Leroux terrasse Daniel Sollat. Cours de judo dans le sous-sol de l’école Jules-Ferry en 1958. Derrière, Lucien Villers et Bernard Lelièvre.

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débauchedeboulotà touteblindedurant lasemaine.Merde, toutçapour

gagneruneheure,ils’estfoutudemagueuleetmoijesuisrentrédansson

jeu,maintenantquejemesuisfaitpiéger,iln’estpasquestionquelasemaine

prochaine jemedéglinguecommeuntapé, jevais lever lepied, jepréfère

quitteràl’heurenormale.

Jen’aipasbesoindemeposerdequestion,touslesjourslamêmechose,

leboulot!Letrucducarnet,lecomptagedespièces,c’estoublié!D’ailleurs

Charlesn’estpasrevenuàlacharge,ilabiencomprisquejenejoueraiplus

sonjeu...J’aireprismonmornetrain-trainquotidienàattendrequemajournée

detravailsetermine.J’aiaumoinsuneconsolation,c’estd’arriverauboutde

cesfoutuesjournéesdeboulotpourallermedépenserlesoiraujudo.

Ma ceinture jaune

D’ailleurs j’ai une bonne raison d’être impatient, ce soir il ne faut pas que

je sois en retard.Avant-hier à la fin de l’entrainement, le professeur avait

insistépourqu’onneloupepaslecoursdejeudi.Eneffet,M.Corréaviendra

nousdonneruneleçonetnousferapasserdesgradesdeceinture.Jesuis

intrigué et impatient d’y être. Lemoment est solennel, nous sommes tous

réunisautourdu tatami,nosprofesseurssontenboutde ligne.M.Leroux

prendlaparole:

-«Voilàpourceuxquineleconnaitraientpas,M.Corréaest4émedan,en

fonctiondesadisponibilité,ilnousfaitl’amitiédevenirunefoisparmoisnous

transmettresonsavoiretenmêmetempsfairepasserlesgradesdeceinture

supérieurs.»

Je suis impressionné par le monsieur, je l’observe, sa posture impose le

respect.Detaillemoyenne,robuste,ilestdeboutlesbrasballantsenposition

d’attente,lespiedsbienàplatsurletatami,unvisageabruptauxyeuxbridés

tirantpresquedu facièsmongol, les cheveuxcourtspeignésenbrosse, la

moustacheàlaClarkGable,ilneluimanquequelesourire.Ilajustefaitun

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Daniel Sollat

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petitsalutdelatêtequandM.Lerouxl’aprésenté.Ceinturenoire4émedan,

jen’arrivepasàmesurercequecelareprésente,çameparaîtinaccessible.

Personne ne bronche sur le tapis, c’est l’attente, qu’est-ce qu’il va nous

demanderde faire, jesensque lemonsieurneplaisantepas, le judoc’est

important. Il s’adresse à Desmoulin, une ceinture marronqu’il va prendre

commeassistantdedémonstration:

-«MonsieurDesmoulins’ilvousplait!Pourcommencerjevaisvousmontrer

uneformesimpledu1erdejambe.»

Ladémonstrationcommence;ilcrochètelajambedeDesmoulinquitombeà

platsurledos,aussitôtrelevéilrecommencelapriseensetournantdel’autre

côtépourquetoutlemondevoielemouvement.Lemanègecontinuepour

quel’ons’imprègnebiendelapriseetpourfinirs’ensuitlecoupdesalut.

-«Àvousmessieurs!»

Ilneresteplusqu’àfairecommelesautres,jedéplorequeBébertetBernard

ne soient pas là. Je me lance dans l’exercice avec un partenaire tout en

regardant legrandprofesseurpasserdecoupleencouplepourrectifier les

positionsetàl’occasion,refairelemouvementsurl’élève.Ilestjusteàcôté

denous,àcoupsûrçavaêtrenotretour:

-«Alorsmessieurs!,montrezmoicommentvousfaitesce1erdejambe.»

Jemelance,j’essaiedemerappelercequ’ilnousamontré,monpartenaire

jouelejeuàmoncrochetagedejambe,ils’étaleenfrappantfortletatami.

-«Pourundébutcen’estpasmal,maissoyezunpeumoinsraidessurvos

jambes,vousverrezlecorpspasseramieux!»

Ilm’impressionneetmesurprend,ilappellechaqueélèveMonsieuretvouvoie

toutlemonde,ilenestpresquedéroutantetcelanousobligeaurespect.La

tournéedesrépétitionsdesdiversesprisesestterminée.Lemomentcrucial

estarrivé,voiciletempsdespassagesdegrade.Chacunestàsaplaceet

attend,lespremiersàpassercommemoisontlesceinturesblanches.Nous

sommesquatreàconcourirpourlaceinturejaune.Jeconnaisparfaitement

uncertainnombredeprisesmaisdelààlesfairecorrectement,cen’estpas

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gagné.Jesuisledeuxièmeàpasserdoncleprofesseurnemedemandera

paslesmêmesprisesqu’aupremier.M.Corréam’adésignécommepartenaire

le grand Perrini ceinture bleue. Je fais une démonstration au sol de deux

immobilisations,ellesontl’airdeluiconvenir.Maintenantdebout,fautpasque

j’meloupe,mafoijem’ensorspasmalavecuntroisièmedejambe,legrand

Perriniabienjouélejeu,ils’estretournécommeunecrêpe.Aprèsçalaprise

dehanche, je l’enrouleethop!, legrands’étale, jesuissûrdemoncoup,

j’aibiensentilemouvement.Legrandmaitresemblesatisfait;restelaprise

d’épaule,alorslà!,çavaêtreplusdifficile,jenelasenspascetteprise.Bon

jem’ycolle,j’empoignePerrini,jetournelesépaulesenpassantmoncoude

droitsoussonaisselle,jesenssapoitrineplaquéesurmondos,j’yvais,je

basculeversl’avantenlefaisantpasserpardessusmoietlegrandvaldingue

surletapis.M.Corréaestsceptique,ilamêmeunpetitsourireencoin:

-«Vouspourriezrecommencer,jetrouvequeM.Perriniestvraimentpassé

au-dessusdevous,jecroisqu’ilseraitmieuxquevousfassiezlemouvement

unpeuplussurlecôté.»

Ilmefaitlegestepourquejevisualisebienlemouvement.J’yretourne,j’enfile

monbrassoussonépaule,vas-yque je l’embarqueplusdecôté, legrand

Perrinifrappeletatamiàtoutevolée;pasdecommentairedumaitre,jesalue

Perrinietlegrandprofesseuretjeretournem’asseoir.Jenevoulaispastrop

lemontrermaisquandmêmej’étaisfier,quandmonsieurCorréam’aremis

la ceinture jaune. Maman était contente: pour une fois que je réussissais

quelquechose,ilfallaitbienqu’ellelerelève.QuantàClaudeilm’adit:

-«Monfrèreceinturejaune,c’esttrèsbien,cen’estqu’undébut,peut-être

qu’unjourtuserasceinturenoire?»

J’aiquandmêmeressentiunepetitepointed’ironiedanssafaçondemele

dire;ilnesefoutraitpasunpeudemagueulemonfrangin?

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