titre 3 - privileges mobiliers

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TITRE III LES PRIVILEGES MOBILIERS CHAPITRE 1 ER – GENERALITES Section 1. Notions 1. Le privilège est défini par l'article 12 de la loi hypothécaire, comme une caractéristique inhérente à la créance, que le législateur reconnaît à celle-ci en raison de sa qualité et qui permet à son titulaire d'être payé par préférence sur le produit de réalisation des biens sur lesquels il porte 1 . 2. La loi présume que certaines créances méritent une faveur particulière pour des raisons d'humanité, d'équité, d'intérêt public, d'équilibre budgétaire des organismes publics ou d'intérêt public, ou en considération de divers facteurs économiques ou sociaux. La date de la créance, de même que l'importance ou le montant de celle-ci, sont indifférents 2 . 3. N'étant rien d'autre qu'un droit d'être payé de manière préférentielle sur le prix 3 , l'exercice du privilège suppose, en principe, la liquidation de tout ou partie du patrimoine du débiteur en raison de la mise en œuvre d'une procédure d'exécution d'origine individuelle ou collective, portant sur un, plusieurs ou tous les biens du débiteur, au profit de deux, plusieurs ou tous ses créanciers. En d'autres termes, l'exercice d'un privilège suppose un concours entre les créanciers du débiteur, et ne modifie pas le rapport de droit noué entre le débiteur et le créancier privilégié. Avant la survenance d'un concours, rien ne permet de distinguer la créance chirographaire de la créance privilégiée 4 . SECTION 2. CLASSIFICATION 4. Les privilèges peuvent être classés en quatre catégories en fonction de l'assiette des biens sur laquelle ils portent. On distingue ainsi: 1 STRANART, Les sûretés réelles, Story-Scientia 1988, p. 56; « Les sûretés réelles traditionnelles – Développements récents », in Le droit des sûretés, J.B., 1992, p. 93. 2 STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles – Développements récents », in Le droit des sûretés, J.B., 1992, p. 93. 3 STRANART, Les sûretés, Story-Scientia 1988, p. 56. 4 STRANART, « Chronique de jurisprudence – Les sûretés réelles », Rev. Banq. 1975, p. 283.

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TITRE III

LES PRIVILEGES MOBILIERS CHAPITRE 1ER – GENERALITES Section 1. Notions 1. Le privilège est défini par l'article 12 de la loi hypothécaire, comme une caractéristique inhérente à la créance, que le législateur reconnaît à celle-ci en raison de sa qualité et qui permet à son titulaire d'être payé par préférence sur le produit de réalisation des biens sur lesquels il porte1. 2. La loi présume que certaines créances méritent une faveur particulière pour des raisons d'humanité, d'équité, d'intérêt public, d'équilibre budgétaire des organismes publics ou d'intérêt public, ou en considération de divers facteurs économiques ou sociaux. La date de la créance, de même que l'importance ou le montant de celle-ci, sont indifférents2. 3. N'étant rien d'autre qu'un droit d'être payé de manière préférentielle sur le prix3, l'exercice du privilège suppose, en principe, la liquidation de tout ou partie du patrimoine du débiteur en raison de la mise en œuvre d'une procédure d'exécution d'origine individuelle ou collective, portant sur un, plusieurs ou tous les biens du débiteur, au profit de deux, plusieurs ou tous ses créanciers. En d'autres termes, l'exercice d'un privilège suppose un concours entre les créanciers du débiteur, et ne modifie pas le rapport de droit noué entre le débiteur et le créancier privilégié. Avant la survenance d'un concours, rien ne permet de distinguer la créance chirographaire de la créance privilégiée4. SECTION 2. CLASSIFICATION 4. Les privilèges peuvent être classés en quatre catégories en fonction de l'assiette des biens sur laquelle ils portent. On distingue ainsi:

1 STRANART, Les sûretés réelles, Story-Scientia 1988, p. 56; « Les sûretés réelles traditionnelles – Développements récents », in Le droit des sûretés, J.B., 1992, p. 93. 2 STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles – Développements récents », in Le droit des sûretés, J.B., 1992, p. 93. 3 STRANART, Les sûretés, Story-Scientia 1988, p. 56. 4 STRANART, « Chronique de jurisprudence – Les sûretés réelles », Rev. Banq. 1975, p. 283.

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- les privilèges sur tous les biens, meubles et immeubles; - les privilèges sur tous les biens meubles et sur la valeur résiduaire des immeubles; - les privilèges spéciaux sur meubles; - les privilèges immobiliers. 5. Les privilèges immobiliers produisent des effets proches de ceux qu'engendre l'hypothèque, de sorte que leur examen, parallèlement à celui de l'hypothèque, se justifie davantage. SECTION 3. APPLICATION DE LA LOI DANS LE TEMPS 6. Par deux arrêts de principe des 22 février 19855, la Cour de cassation a précisé qu'une loi nouvelle attachant un privilège à une créance existante ou étendant un privilège octroyé déjà à une telle créance, s'applique immédiatement et bénéficie donc aux créances nées antérieurement à sa mise en vigueur, pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits irrévocablement fixés, tels que ceux que les créanciers puiseraient dans une situation de concours survenue avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle6. CHAPITRE II – PRIVILEGES SUR TOUS LES BIENS : LE PRIVILEGE POUR

FRAIS DE JUSTICE § 1. Textes 7. Aux termes de l'article 17 de la loi hypothécaire, « les frais de justice sont privilégiés sur les meubles et les immeubles, à l'égard de tous les créanciers dans l'intérêt desquels ils ont été faits ». 8. L’article 19 alinéa 1er,1° de la loi hypothécaire « Les créances privilégiées sur la généralité des meubles sont celles ci-après exprimées, et s’exercent dans l’ordre suivant : 1° Les frais de justice faits dans l’intérêt commun des créanciers ». § 2. Créance garantie

5 Pas. 1988, I, 742 avec les conclusions de Madame l'Avocat général Liekendael; Rev. Not. 1988, p. 294; J.T., 1988, p. 294; J.T., 1989, p. 2091; R.W., 1988-1989, p. 193 et 31 octobre 1988, Pas., 1989, I, 227; J.L.M.B., 1989, p. 718, note CAEYMAEX; R.G.D.C., 1991, p. 66 et la note LECHIEN; contra: Liège, 28 juin 1984, J.L. 1986, p. 605. 6 STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles – Developpements récents », in Le droit des sûretés, J.B., 1992, p. 54; voir encore: Cass.,17 juin 1987, R.W., 1987-1988, p. 397.

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9. Les frais privilégiés sont tous les frais faits par un créancier sous l'autorité de la justice pour la conservation et la liquidation d’un ou de plusieurs avoirs du débiteur dans l'intérêt de ses créanciers7, et non pas seulement, même si telle n’était pas son intention lorsqu’il y a consenti, dans l’intérêt exclusif du créancier qui les a encourus. L’illustration la plus parlante de ces dispositions légales se trouve dans la saisie intentée avant le concours mais n’ayant pu conduire, antérieurement à la survenance de celui-ci, à une distribution de sommes au profit du créancier saisissant. Pour la créance-cause de la saisie, le créancier, du moins en raison de sa seule qualité de premier saisissant, ne bénéficie nullement d’un privilège, mais il le peut, au contraire, pour le remboursement des frais encourus, sous l'autorité de la justice, pour mener la procédure d’exécution, non jusqu’à son terme mais jusqu’à sa caducité et sa récupération par la masse des créanciers. Quelle est la mesure de ce remboursement privilégié ? 10. Comme le rappelle un jugement ud tribunal de commerce de Gand du 16 février 20048, les frais engendrés par la saisie-exécution de la voiture d’un futur failli sont privilégiés sur le fondement des articles 17 et 19-1° de la loi hypothécaire. Il n’en est rien, en revanche, ainsi que l’avait précisé le même tribunal, dans un jugement du 15 mars 20019, des dépens et de l’indemnité de procédure, qui n’ont pas contribué au maintien d’un bien dans le patrimoine du débiteur, ou à sa liquidation, au bénéfice concret des autres créanciers de ce débiteur. 11. Ne peut davantage, estime la Cour d’appel de Bruxelles, dans un arrêt du 23 mai 200310 être privilégié sur cette base, le prix des fournitures de gaz, même si elles ont été effectuées sur l’ordre du tribunal. La condamnation à fournir un bien ou à prester une obligation prononcée par le tribunal ne s’identifie pas, en effet, à l’autorité de la justice, réglant et vérifiant la régularité des actes de procédure nécessaires à la conservation ou à la liquidation des biens du patrimoine du débiteur. § 3. Assiette du privilège 7 MOREAU-MARGRÈVE, Chronique not. Liège, vol. VIII, pp 8-9, n° 5 ; Ledoux, Chronique de jurisprudence – Les sûretés réelles, Dossier J.T., n° 43, 2003, p. 33, n° 13. 8 T.G.R., 2004, 109. 9 T.G.R., 2001, 172. 10 J.L.M.B., 2004, 973 et R.D.C.B., 2003, 787.

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12. Le privilège est général parce qu'il est susceptible de s'étendre à n'importe quel bien, meuble ou immeuble, du débiteur, mais ne grève réellement que le ou les biens conservés11. 13. Dans la plupart des cas, il n'est dès lors pas strictement logique de classer le privilège pour frais de justice dans la catégorie des privilèges sur tous les biens, car il s’agit d’un privlège relatif quant aux biens formant son assiette, en ce sens qu’il ne peut être invoqué que par rapport aux biens que les frais exposés ont concernés soit en les administrant, soit en les réalisant, soit encore en les conservant12. Toutefois, il arrive que l'activité d'une personne désignée pour accomplir un mandat de justice conserve l'universalité des biens de la personne dont le patrimoine se trouve géré par le tiers ainsi mandaté. Dans ce cas, le privilège porte effectivement sur tous les biens13. § 4. Opposabilité et rang 14. Le privilège ne peut être opposé qu'aux créanciers qui ont tiré un profit actuel et certain des frais exposés14. 15. Il bénéficie de la disposition de l'article 19 in fine de la loi hypothécaire prévoyant que lorsque la valeur des immeubles n'a pas été absorbée par les créances privilégiées et hypothécaires, la portion du prix restant due est affectée de préférence au paiement des créances privilégiées générales15. 16. Le profit actuel et certain se détermine par la preuve que les créanciers ont, par l'action de celui qui a fait les frais, épargné des débours qu'ils auraient nécessairement dû exposer eux-mêmes16. L'intervention du créancier doit donc avoir été objectivement utile, en ce sens que l'intention qui y a présidé n'importe pas; seul le résultat doit être pris en considération. L'utilité effective et objective est une question de fait, qu'il appartient aux cours et tribunaux d'examiner cas par cas. Généralement, le juge procède à une ventilation des frais en recherchant acte par acte, le résultat qu'il a permis d'obtenir17.

11 STRANART, Les sûretés, p. 58. 12 LEDOUX, Chronique de jurisprudence – Les sûretés réelles, Dossier J.T., n° 43, Larcier, 2003, p. 35. 13 VEROUGSTRAETE, Manuel la faillite et du concordat, p. 433, n° 755. 14 LEDOUX, « Chronique », J.T., 1987, n° 34; MOREAU-MARGREVE, « Les sûretés - Chronique de droit à l'usage du Palais », 1987, p. 87; STRANART, Les sûretés, p. 59. 15 VEROUGSTRAETE, Manuel de la faillite et du concordat, p. 434, n° 758. 16 LEDOUX, "Chronique", J.T., 1984, n° 34, p. 304; MOREAU-MARGREVE, « Les sûretés », in Chronique du droit à l'usage du Palais ; Liège, 1987, p. 87; STRANART, Les sûretés, p. 60; Bruxelles, 16 mars 1995, J.T., 1995, p. 811. 17 STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles » in Le droit des sûretés, p. 97; Liège, 10 mars 1986, Jur. Liège 1986, p. 373; Comm. Liège, 13 décembre 1988; R.D.C.B,. 1989, p. 812; Bruxelles, 22 juin 1989, R.W., 1989-1990, p. 1193; Comm. Liège, 15 novembre 1989, J.L.M.B., 1991, p. 492, note CAEYMAEX.

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17. Il est admis actuellement que les honoraires du curateur de faillite constituent des frais de justice privilégiés, même envers les titulaires de sûretés spéciales, dans la stricte mesure du profit effectivement tiré par ceux-ci de l'intervention du curateur. Par son arrêt du 13 septembre 1991, la Cour de cassation a décidé, en effet, que lorsque le curateur a vendu un bien grevé d'une hypothèque ou d'un privilège spécial, les frais et honoraires nécessaires à la réalisation du bien doivent être prélevés en vertu des articles 17 et 21 de la loi hypothécaire, par priorité sur le produit de la vente de ce bien grevé et qu'il était contraire aux dispositions précitées ainsi qu'à la nature du privilège et de l'hypothèque, de prélever par préférence tous les frais et honoraires du curateur sur l'ensemble du produit de la réalisation de tous les actifs en ce compris ceux grevés d'un privilège spécial ou d'une hypothèque18. Les honoraires du curateur constituent, en réalité, des dettes de la masse et non des créances privilégiées en qualité de frais de justice. Toutefois, cette question de qualification est indifférente pour déterminer le rang des honoraires du curateur, car l'utilité effective pour les créanciers du failli est également le critère permettant l'admission et la priorité d'une dette de la masse. 18. En revanche, lorsqu'un immeuble dépendant d'une succession vacante est saisi et vendu à la requête d'un créancier hypothécaire, le curateur à succession vacante ne bénéficie pas, pour ses honoraires et frais, du privilège prévu à l'article 17 de la loi hypothécaire, en l'absence de devoirs réellement accomplis dans l'intérêt du créancier hypothécaire. Les droits de celui-ci doivent dès lors être exercés par priorité tout comme en matière de succession bénéficiaire19. § 5. Illustrations 19. La créance garantie peut être constituée de frais judiciaires tels que les frais de citation20, d'obtention du jugement, d'expédition, de signification, de frais de saisie y compris les frais relatifs aux incidents de la saisie, dans la mesure où ceux-ci aboutissent au maintien et à l'exécution de la saisie21, ainsi que les frais extrajudiciaires faits sous l'autorité de la justice, à savoir les honoraires et débours des auxiliaires et mandataires de justice, tels que huissiers, curateurs, commissaires au sursis, administrateurs provisoires désignés sur le fondement de l'article 8 de la loi sur les faillites22.

18 R.D.C.B., 1992, p. 333, note VAN BUGGENHOUT et GREGOIRE; voir également, Comm. Namur, 16 décembre 1999, J.L.M.B., 2000, p. 1002, Comm. Namur, 22 mai 1997, J.T., 1997, p. 586 ; Liège, 19 janvier 2001, R.R.D., 2001, p. 305 ; Comm. Bruxelles, 11 mai 2000, R.D.C.B., 2000, p. 815, note VAN BUGGENHOUT et PARIJS ; Mons, 21 décembre 2000, J.L.M.B., 2001, p. 1733 ; Bruxelles, 15 mars 2001, R.D.C.B., 2002, p. 51, note PARIJS. 19 Civ. Bruxelles (sais.), 8 décembre 1986, Pas., 1987, III, 37. 20 Comp. Comm. Hasselt, 3 mars 1994, R.D.C.B., 1995, p. 620. 21 Bruxelles, 6 janvier 1972, Pas. 1972, II, 60; STRANART, Les sûretés, p. 59 ; DIRIX, « Overzicht van rechtspraak, Voorrechten en hypotheken, 1991-1997 », T.P.R., 1998, p. 543. 22 VEROUGSTRAETE, Manuel de la faillite et du concordat, p. 434, n° 757; Comm. Gand, 23 avril 1975, J.C.B. 1980, II, 35; Gand, 24 juin 1984, T. Not. 1983, p. 301; Comm. Namur, 19 octobre 1982, J.L. 1983, p. 18; Comm. Liège, 18 octobre 1982, J.L. 1983, p. 21.

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20. En revanche, ne bénéficient pas du privilège les honoraires de l'avocat, son intervention n'étant ni obligatoire ni faite sous l'autorité de la justice23 ; n'en bénéficient pas davantage les honoraires d'un notaire pour des prestations étrangères à sa mission d'officier public24. CHAPITRE III – PRIVILEGES GENERAUX SUR MEUBLES SECTION 1. INTRODUCTION 21. Les privilèges généraux sur meubles portent sur tous les meubles du débiteur, mais, en principe, subsidiairement aussi sur les immeubles de celui-ci, « lorsque la valeur des immeubles n'a pas été absorbée par les créances privilégiées ou hypothécaires »25. 22. Les privilèges généraux sur meubles servent, selon le voeu du législateur, la satisfaction d'intérêts sociaux, politiques ou de sécurité sociale26. Ils sont énumérés par l'article 19 de la loi hypothécaire. A cette liste s'ajoutent d'autres privilèges créés par des lois particulières. SECTION 2. LE PRIVILEGE DES FRAIS FUNERAIRES § 1. Texte 23. Aux termes de l'article 19, alinéa 1er-2° de la loi hypothécaire, sont privilégiés sur les meubles du débiteur, les frais funéraires en rapport avec la condition sociale et l'état de fortune du défunt. § 2. Créance garantie 24. Ce privilège peut être invoqué par toute personne qui a supporté ou fait l'avance des frais funéraires, qu'il s'agisse de l'entreprise de pompes funèbres ou du proche qui en a réglé la facture. Ainsi, le fils qui a payé les funérailles de son père failli bénéficie du privilège des frais funéraires, sans qu'il ait à justifier d'une subrogation dans les droits de l'organisateur de l'enterrement. 23 Comm. Hasselt, 1er décembre 1977, L.R.L. 1981, p. 63. 24 Liège, 4 décembre 1975, J.L., 1975-1976, p. 137. 25 Article 19 in fine de la loi hypothécaire – Sur l'origine historique de cette situation, voy. T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, pp. 197-199. 26 STRANART, Les sûretés, p. 61.

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25. Des dépenses florales conformes aux usages bénéficient du privilège27. 26. Sont généralement également considérés comme bénéficiant du privilège, les frais liés aux soins, au parement ou au transport de la dépouille et donc au linceul, à la chapelle mortuaire, à la mise en bière, à la décoration de la maison mortuaire, à l'office funèbre, aux honoraires du ministre officiant, à l'impression et à l'envoi des faire-part de décès, à l'inhumation et à l'incinération. En revanche, sont privés du privilège, les frais faits pour l’achat des vêtements de deuil de la famille et du personnel du défunt, les offices religieux postérieurs à l'inhumation, le repas servi après l'office funèbre ou la tombe28. § 3. Rang 27. Le rang du privilège des frais funéraires est fixé par l'article 25 de la loi hypothécaire. Il prime tous les autres privilèges à l'exception du privilège des frais de justice, du privilège des frais de conservation et du privilège de l'hôtelier, du transporteur et du gagiste, pour autant qu'eux-mêmes ne soient pas primés par le vendeur. SECTION 3. LE PRIVILEGE DES FRAIS DE DERNIERE MALADIE § 1. Texte 28. L'article 19, alinéa 1er, 3° de la loi hypothécaire reconnaît un privilège aux frais de dernière maladie prodigué au débiteur (et non à sa famille), pendant un an avant la survenance du concours. § 2. Créance garantie 29. Ce privilège est donc attaché, aux honoraires des médecins, chirurgiens, sages-femmes, gardes-malades, pharmaciens, kinésithérapeutes, infirmiers et infirmières, pourvu qu'ils soient conformes aux barèmes en usage, ainsi qu’au prix des médicaments, au coût de l'hospitalisation, etc. 30. La dernière maladie n'est pas nécessairement celle dont le débiteur est décédé. Il suffit qu'elle soit celle qui précède le concours des créanciers. L'article 19, alinéa 2 précise, en

27 Comm. Charleroi, 29 novembre 1988, J.L.M.B. 1989, p. 1500; T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 203. 28 CATTARUZZA et GEORGES, Privilèges et hypothèques, pp. 154 et 155 et réf. citées.

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effet, que l'époque indiquée au paragraphe 3 est celle qui précède la mort, le dessaisissement ou la saisie, source du concours29. § 3. Rang 31. Le privilège des frais de dernière maladie s'exerce après celui des frais de justice et celui des frais funéraires, en fonction de leur place dans l'énumération de l'article 19 de la loi hypothécaire. SECTION 4. LE PRIVILEGE DES FRAIS DE SUBSISTANCE § 1. Texte 32. L'article 19, alinéa 1er, 5° de la loi hypothécaire accorde un privilège aux « fournitures de subsistance faites au débiteur et à sa famille, pendant six mois ». 33. Là encore, cette période est celle qui précède la mort, le dessaisissement ou la saisie du mobilier, source du concours30. § 2. Créance garantie 34. Le terme « subsistance » doit être entendu largement. Il recouvre tout ce qui est nécessaire à la consommation journalière du ménage du débiteur: nourriture, eau, gaz, électricité, mazout, etc. pourvu que soient préservées les limites de la tempérance31. 35. Le privilège est refusé aux frais consentis pour la subsistance d'une personne morale32. § 3. Rang 36. Le privilège des frais de subsistance s'exerce après les privilèges sociaux examinés ci-dessous, en fonction de leur place dans l'énumération de l'article 19 de la loi hypothécaire. SECTION 5. LE PRIVILEGE DES TRAVAILLEURS 29 CATTARUZZA et GEORGES, Privilèges et hypothèques, p. 164 et réf. citées. 30 Article 19, alinéa 2 de la loi hypothécaire. 31 Trib. Civ. Bruxelles, 13 février 1892, Pas. 1892, III, 311; J.T., 1892, p. 330. 32 Liège, 16 décembre 1985, R.P.S., 1986, n° 6403, p. 218, obs. P.C.; J.L.M.B., 1986, p. 183; T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 203.

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§ 1. Texte 37. L'article 19, alinéa 1er, § 3 bis accorde un privilège, « pour les travailleurs visés à l'article 1er de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, la rémunération telle qu'elle est définie à l'article 2 de ladite loi, sans que ce montant puisse excéder 7.500 euro; cette limitation ne s'applique pas aux indemnités comprises dans la rémunération et qui sont dues aux mêmes personnes pour rupture de leur engagement. Le montant prévu ci-dessus est adapté tous les deux ans par le Roi après avis du Conseil national du travail ». § 2. Créance garantie 38. Les créances nanties du privilège général visé à cet article sont les créances d'indemnité compensatoire de préavis ou d'indemnité complémentaire due par l'employeur en cas de rupture abusive du contrat de travail conformément à l'article 63 de la loi du 3 juillet 197833, ou encore l'indemnité d'éviction due à un représentant de commerce34, au même titre que les créances d'arriérés de rémunération, mais sans le plafond fixé pour ces dernières35. 39. Sont également privilégiés tous les avantages pécuniaires (primes ou gratifications contractuelles, treizièmes mois, etc…) qui s'ajoutent à la rémunération en espèces proprement dites, ainsi que les avantages en nature (mise à la disposition du travailleur, d'une voiture, d'un logement, etc…)36. 40. Il en est de même de l'indemnité forfaitaire pour frais de déplacement, qui est un avantage évaluable en argent auquel le représentant de commerce a droit à charge de son employeur en raison de son engagement37. 41. En revanche, la créance d'allocation de prépension versée par le dernier employeur comme complément des avantages accordés par la sécurité sociale, n'est pas privilégiée38. 33 Comm. Bruxelles, 4 février 1980, J.C.B., 1980, p. 531; Comm. Verviers, 6 septembre 1988, J.L.M.B, 1988, p. 1509; Liège, 18 mai 1989, J.L.M.B., 1989, p. 1022; Trib. trav. Gand, 30 septembre 1989, J.T.T., 1989, p. 263; Comm. Charleroi, 22 octobre 1986, J.L.M.B., 1987, p. 819, obs. PARMENTIER; Rev. Rég. Dr., 1987, p. 44, obs. CAEYMAEX; Comm. Verviers, 6 septembre 1988, J.L.M.B., 1988, p. 1509. 34 Comm. Bruxelles 4 décembre 1984, R.D.C.B., 1985, p. 328. 35 Sur la portée du terme "rémunération" au sens de cette disposition, voy. PARIJS et VAN BUGGENHOUT, « Het voorrecht van de werknemers (artikel 19-3bis) een op hol geslagen sociaal voorrecht », R.D.C.B., 1990, pp. 820 et suiv.; CLOQUET, « Les concordats et la faillite », in Les Novelles, Droit commercial, t. IV, 2ème éd., p. 602, n° 2067; Mons, 22 septembre 1993, J.L.M.B., 1995, p. 140. 36 T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 204. 37 Anvers, 19 février 1991, R.W., 1991-1992, 1065, note; Chron. D.S. 1992, p. 409, note. 38 Cass., 19 juin 1974, R.N.B., 1976, p. 495; Comm. Bruxelles, 27 décembre 1984, R.D.C.B., 1986, p. 226; Liège, 24 septembre 1986, J.L.M.B., 1987, p. 107, obs. CAEYMAEX; C.T. Liège, 12 février 1990, J.L.M.B., 1990, p. 1105, obs. Cl. PARMENTIER; Bruxelles, 19 décembre 1990, R.D.C.B., 1991, p. 711;

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42. Ne le sont pas davantage les intérêts dus sur la créance visée à l'article 19 alinéa 1er - 3 bis de la loi hypothécaire39. 43. Le personnel intérimaire ne bénéficie pas du privilège et pas davantage la société d’intérim. En effet, le travailleur intérimaire ne preste pas en exécution d’un contrat conclu avec l’utilisateur de sa main d’œuvre et n’est pas reliée à lui par un rapport de subordination. Par ailleurs, il ne perçoit de lui aucune rémunération. La société d’intérim, quant à elle, est prestataire de services envers l’utilisateur, ce qui n’engendre en soi aucun privilège, ni en nom propre ni en qualité de subrogé du travailleur40. 44. Avant la loi du 26 juin 200241, le travailleur ne pouvait réclamer le paiement que de sa rémunération nette et non brute; c'était dans cette mesure également que pouvait dès lors s'exercer le privilège42. Désormais, l’article 2 de cette loi précise que la rémunération privilégiée est celle qui existe avant l’imputation des retenues pour les organismes sociaux et l’Etat. 45. La rémunération brute du travailleur se décompose dans le chef de l'employeur en plusieurs obligations parallèles: la rémunération nette, due au travailleur, les cotisations dues à l'ONSS et le précompte professionnel dû au fisc43. En conséquence, dès lors, qu’en règle, le privilège établi par l’article 19 § 3 bis de la loi hypothécaire ne s’applique pas aux cotisations de sécurité sociale dues par les travailleurs ni au précompte professionnel qui concernent la rémunération à laquelle le travailleur a droit en vertu des prestations effectuées

Anvers, 30 juin 1997, R.W., 1997-1998, p. 1374 et obs.; Comp. Comm. Bruxelles, 10 janvier 1989, R.D.C.B., 1990, p. 980; Liège, 30 juin 1989, J.L.M.B. 1989, p. 1498 ; Mons, 20 février 2003, J.L.M.B., 2004, p. 962 ; R.R.D., 2004, p. 143. 39 Cass., 17 avril 1980, Pas., 1980, I, 1028; Liège, 1er juin 1982, J.L., 1983, p. 261, obs.; Mons, 6 novembre 1989, R.D.C.B., 1990, p. 977; J.L.M.B., 1990, p. 1086; Cass., 16 juin 1988, Pas., 1988, I, 1250; J.L.M.B., 1988, p. 1093; J.T., 1988, p. 632 et obs. Y. DUMON, R.C.J.B., 1990, p. 5 et note VEROUGSTRAETE, R.D.C.B., 1988, p. 765; Liège, 4 juin 1986, J.L.M.B., 1987, p. 148, obs. CAEYMAEX; voir encore: GEINGER, COLLE et VAN BUGGENHOUT, « Overzicht van rechtspraak - Het faillissement in het gerechtelijk akkoord », T.P.R., 1991, pp. 407 et suivantes; T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, pp. 200 et suivantes; COPPENS et T'KINT, « Examen de jurisprudence - Les faillites, les concordats et les privilèges », R.C.J.B., 1991, pp. 576 et suivantes; GREGOIRE, « L'exécution transformée des obligations sociales de l'employeur failli », Rev. de l'ULB 1991, pp. 39 et suivantes. 40 Comm. Hasselt, 3 mars 1994, R.W., 1994-1995, p. 1089 ; Comm. Anvers, 27 mars 2002, R.W., 2002-2003, p. 1471 ; Comm. Louvain, 20juin 2002, R.A.B.G., 2003, p. 1209, note Carlier. 41 M.B., 9 août 2002. 42 T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 205; Cass., 17 novembre 1986, Pas. 1987, I, 337; Cass., 6 février 1987, Pas. 1987, I, 676; Cass., 16 mars 1987, Pas., 1987, I, 845; Cass., 23 mai 1996, Pas., 1996, I, 509 ; R.W., 1996-1997, p. 563, avec les conclusions de Monsieur l'avocat général et obs. WERQUIN; J.T, 1997, p. 252; Cass., 25 juin 1982, Pas., 1982, I, 1268; Cass., 21 juin 1985, Pas., 1985, I, 1349; Cass., 5 octobre 1992, Pas., 1992, I, 1112; R.W., 1992-1993, p. 826; Cass., 23 novembre 1992, Pas., 1992, I, 1295; R.W., 1992-1993, p. 1036; J.T., 1995, p. 736, obs. T'KINT; J.T.T., 1993, p. 63; Comm. Namur, 22 octobre 1992, Rev. Rég. Dr., 1992, p. 40; Comm. Bruxelles, 20 juin 1989, R.D.C.B., 1989, p. 989, note VAN GELDER 43 Cass., 23 mai 1996, Bull. Cass., 1996, p. 509 ; Pas.,1996, I, 509.

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antérieurement à la faillite, le curateur est tenu de calculer la créance du travailleur relative à des demandes nées antérieurement à la faillite sur la base de la rémunération brute, diminuée des cotisations de sécurité sociale du travailleur et du précompte professionnel forfaitaire fixé sur la base des revenus bruts diminué des retenues obligatoires et doit verser le précompte professionnel retenu à l’administration pour autant que le rang des privilèges respectifs l’y autorise44. 46. Le privilège ne s'étend pas aux dommages-intérêts qui indemnisent un préjudice distinct de celui qui résulte de la rupture du contrat de travail45. SECTION 6. LE PRIVILEGE DU PECULE DE VACANCES § 1. Texte 47. Aux termes de l'article 19, alinéa 1er, 4° de la loi hypothécaire, sont privilégiées - les créances de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité et celles des organismes

assureurs définis à l’article 2 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994, pour les prestations de l’assurance soins de santé, de l’assurance indemnités ou de l’assurance maternité versées indûment,

- les sommes dues en vertu de l'arrêté-loi sur les vacances annuelles des travailleurs salariés à

titre de cotisation ou de rémunération de vacances, pour l'exercice échu et pour l'exercice en cours.

§ 2. Créance garanties 48. La créance en remboursement de prestations d’assurance versées par l’Institut national d’assurance maladie-invalidité bénéficie du privilège. 49. Bien que ne faisant pas partie de la rémunération, le pécule de vacances est directement payé par l'employeur aux travailleurs employés46. En revanche, le pécule de vacances des travailleurs ouvriers n'est pas dû par l'employeur, mais est payé par une caisse spéciale alimentée par des cotisations versées à cette fin à l'ONSS par l'employeur. § 3. Rang

44 Cass., 21 janvier 2005, avec les conclusions du Ministère public, Arr. Cass., 2005. 45 Comm. Liège, 14 septembre 1982, J.L., 1983, p. 45, obs. P.F. 46 T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 207, n° 402.

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50. L'article 19, alinéa 1er, 4° de la loi hypothécaire consacre des privilèges immédiatement inférieurs à celui reconnu à la créance de rémunération. SECTION 7. LE PRIVILEGE DES ORGANISMES ET ASSUREURS SOCIAUX § 1. Texte 51. L'article 19, alinéa 1er, 4° ter nonies (second) de la loi hypothécaire, confère un privilège aux cotisations dues: - à l'Office national de sécurité sociale et celles dont il assure le recouvrement pendant

cinq ans à compter de la date d'exigibilité des cotisations ou de la date de la notification prévue à l'article 22 de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs;

- à la Caisse de secours et de prévoyance en faveur des marins et celles dont (elle) assure

le recouvrement, pendant cinq ans à compter de la date d'exigibilité des cotisations; - au Fonds des maladies professionnelles; - au Fonds de sécurité d'existence; - au Fonds des accidents du travail; - au Fonds social pour les ouvriers diamantaires; - au Fonds des accidents du travail. 52. Il octroie également un privilège aux cotisations et aux majorations dues aux caisses d'assurances sociales pour travailleurs indépendants et à la Caisse nationale auxiliaire d'assurances sociales pour travailleurs indépendants, durant cinq ans à dater du jour où les montants sont exigibles. 53. Le délai de cinq ans au cours duquel le privilège peut s'exercer est suspendu par la mort du débiteur, le dessaisissement ou la saisie, même partielle, de ses biens47. Pour éviter la péremption due à l’écoulement de ce délai, l’Office doit poursuivre l’exécution forcée de sa créance à l’encontre du débiteur. La circonstance qu’avant sa faillite, la société débitrice ait été mise en liquidation n’a pu constituer un obstacle à l’introduction d’une telle

47 Trib. Trav. Namur, 7 décembre 1992, J.L.M.B., 1993, p. 751.

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poursuite. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans son arrêt du 4 janvier 200148 en des termes sans équivoque : « La mise en liquidation d’une société commerciale n’entraîne pas en soi l’interdiction pour un créancier jouissant d’un privilège général de recourir à une voie d’exécution individuelle contre les biens du débiteur ». Et la Cour suprême d’en déduire qu’est légalement justifiée la décision qui refuse d’admettre au passif privilégié de la faillite d’une société commerciale la créance de l’Office national de sécurité sociale au motif qu’il eût pu et dû, pendant les périodes où la société était en liquidation, recourir à des voies d’exécution pour éviter la péremption de son privilège. 54. Bénéficient de même d'un privilège général, en vertu de l'article 19 alinéa 1er, 4° quater de la loi hypothécaire, les cotisations principales, ainsi que les versements supplémentaires dus par les employeurs assujettis à la loi sur les allocations familiales, et, en vertu de l'article 19 alinéa 1er, 4° septies, les cotisations dues au Fonds d'indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d'entreprises. 55. Sont enfin privilégiés, selon le prescrit de l'article 19 alinéa 1er 4° octies, les cotisations, majorations et intérêts prévus par la loi instituant une Commission Sociale Nationale pour les petites entreprises. 56. La plus grande partie des décisions rendues sur la portée du privilège bénéficiant aux diverses espèces de cotisations sociales concerne les sommes dues à l'Office national de sécurité sociale. § 2. Créance garantie 57. Il était de jurisprudence constante que le privilège garantit le paiement des cotisations en principal, mais non les intérêts et les majorations49 avant l’entrée en vigueur de l’article 44 de la loi du 3 juillet 2005 portant diverses dispositions en matière sociale50. 58. Cette limitation s'appliquait également aux cotisations dues par les travailleurs indépendants à la caisse d'assurances sociales à laquelle ils sont affiliés51, avant sa suppression expresse par une loi du 25 janvier 1999. § 3. Assiette 48 DAOR, 2001, p. 283, note TAS; Pas., 2001, I, 18; T.R.V.,2001, p. 169, note. 49 Cass., 7 avril 1986, Pas., 1986, I, 959; R.G.D.C., 1990, p. 325, obs. GREGOIRE; Cass., 23 février 1989, Pas., 1989, I, 646; R.W., 1989-1990, p. 83; J.L.M.B., 1989, p. 874. Liège, 21 décembre 1987, J.L.M.B., 1988, p. 230. 50 M.B., 19 juillet 2005. 51 Cass., 22 février 1988, Pas., 1988, I, 742, avec les conclusions de Mme LIEKENDAEL; R.N.B., 1988, p. 294; J.T., 1989, p. 201; R.W., 1988-1989, p. 193; Cass., 31 octobre 1989, Pas., 1989, I, 227; J.L.M.B., 1989, p. 718, obs. CAEYMAEX; Liège, 1er février 1990, J.L.M.B., 1990, p. 1482; Comm. Liège, 10 mai 1988, R.D.C.B., 1989, p. 980.

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59. L'on sait que conformément à l'article 30 bis de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, celui qui contracte avec un entrepreneur non enregistré est solidairement responsable des dettes de celui-ci envers l'ONSS, à concurrence de 50% du prix total des travaux. La créance de l'ONSS de ce chef bénéficie du privilège général institué par l'article 19, 4° ter de la loi hypothécaire, non seulement sur les meubles de l'entrepreneur, mais également sur ceux du cocontractant de celui-ci52. 60. Dans le cadre d’un concordat judiciaire, les privilèges généraux ne sont d’aucune utilité. Et pour cause, l’exercice d’un privilège suppose le concours et le concordat, selon notre opinion – loin d’être partagée par tous – n’en est pas un. C’est pourquoi il faut approuver un jugement du tribunal de commerce de Liège du 16 avril 200253 qui décide qu’une mesure d’échelonnement de créances, visant celle de l’Office national de sécurité sociale, intégré dans un plan de règlement élaboré en vue de l’obtention du sursis définitif, s’impose effectivement à lui comme aux autres créanciers. 61. La loi du 20 juillet 2005 portant des dispositions diverses prévoit l’insertion, dans l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants54, d’un article 16 ter, rédigé comme suit : § 1er. La cession, en propriété ou en usufruit, d'un ensemble de biens, composés entre autres d'éléments qui permettent de retenir la clientèle, affectés à l'exercice d'une profession libérale, charge ou office, ou d'une exploitation industrielle, commerciale ou agricole ainsi que la constitution d'un usufruit sur les mêmes biens, n'est opposable à l'organisme percepteur des cotisations qu'à l'expiration du mois qui suit celui au cours duquel une copie authentique de l'acte translatif ou constitutif a été notifiée à l'organisme percepteur des cotisations. § 2. Le cessionnaire est solidairement responsable du paiement de toute créance visée à l'article 16bis due par le cédant à l'expiration du délai visé au § 1er, à concurrence du montant déjà versé ou fourni par lui ou d'un montant correspondant à la valeur nominale des actions qui ont été attribuées en échange du transfert avant l'expiration du délai précité. § 3. Les §§ 1er et 2 du présent article ne sont pas applicables si le cédant joint à l'acte de cession un certificat établi exclusivement à cette fin par les organismes percepteurs de cotisations dans les trente jours qui précèdent la notification de la convention.

52 Cass. 23 février 1989, J.L.M.B., p. 874. 53 J.L.M.B., 2002, p. 1373. 54 L’on relèvera par ailleurs qu’en ce qui concerne les cotisations de sécurité sociale des travailleurs salariés le même dispositif est mis en place par la loi du 3 juillet 2005 portant des dispositions diverses relatives à la concertation sociale et introduisant un nouvel article 41 quinquies dans la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. Ce nouveau régime n’entrera en vigueur qu’à une date à déterminer par le Roi.

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La délivrance de ce certificat est subordonnée à une demande introduite en double exemplaire par le cédant auprès de l'organisme percepteur des cotisations. Le certificat est refusé par l'organisme percepteur des cotisations si, au jour de la demande, le cédant a une dette liquide et certaine à l'égard de l'organisme ou si la demande est introduite après l'annonce de ou au cours d'un contrôle par un contrôleur social. Le certificat est soit délivré soit refusé dans un délai de 30 jours à dater de l'introduction de la demande par le cédant. § 4. Ne sont pas soumises aux dispositions du présent article les cessions réalisées par un curateur, un commissaire au sursis ou dans le cadre d'une opération de fusion, de scission, d'apport d'une universalité de biens ou d'une branche d'activité réalisée conformément aux dispositions du Code des Sociétés. § 5. La demande et le certificat visés au présent article sont établis conformément aux modèles arrêtés par le Ministre des Classes moyennes. » L’entrée en vigueur de cette disposition a été fixée au 1er janvier 2006. SECTION 8. LE PRIVILEGE DU FONDS D’INDEMNISATION DES

TRAVAILLEURS LICENCIES EN CAS DE FERMETURE

D’ENTREPRISES §1. Texte 62. Inséré dans l'article 19, alinéa 1er, 3 bis de la loi hypothécaire, le privilège du Fonds d'indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d'entreprises garantit les créances du Fonds « basées sur l'article 8, alinéa 1er de la loi du 30 juin 1967 portant extension de la mission du Fonds (…) ». 63. En revanche, « les créances du Fonds (…) basées sur l'article 8, alinéa 2 de la loi du 30 juin 1967 (…) dans la mesure où ces créances ne peuvent plus être recouvrées par la subrogation légale, et les créances de ce même Fonds basées sur l'article 18 de la loi relative à l'indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d'entreprises » sont privilégiées à un rang inférieur, à savoir celui de l'article 19, alinéa 1er, 4° quinquies de la loi hypothécaire. § 2. Créance garantie 63. La détermination de l'assiette de ce privilège suppose que soient comprises les conditions d'intervention du Fonds. A cette fin, deux types de dispositions légales doivent être examinées: celles qui régissent l'intervention du Fonds d'indemnisation des travailleurs

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et celles qui lui reconnaissent une action récursoire contre l'employeur. Leur portée peut être ésumée de la manière qui suit. a. Création d’un Fonds d’indemnisation des travailleurs

licenciés en cas de fermeture d’entreprises (le « Fonds ») 64. Créé par l'article 9 de la loi du 28 juin 1966 relative à l'indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d'entreprises55, le « Fonds d'indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d'entreprises » a reçu pour mission initiale de payer aux travailleurs intéressés, en cas de carence de l'employeur, une indemnité de fermeture accordée, calculée et modalisée conformément aux dispositions des articles 4 à 6 de la même loi. b. Extensions de la mission du Fonds 65. La loi du 30 juin 1967 portant extension de la mission du Fonds d'indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d'entreprises56 élargit, comme son intitulé l'indique, l'obligation d'intervention du Fonds, en le chargeant, « lorsque l'employeur ne s'acquitte pas de ses obligations pécuniaires envers ses travailleurs, de leur payer: 1° les rémunérations dues en vertu des conventions individuelles ou collectives de travail, 2° les indemnités et avantages dus en vertu de la loi ou de conventions collectives de travail »57. 66. Les « obligations pécuniaires » de l'employeur envers ses travailleurs comportent les rémunérations et les arriérés de rémunération, y compris les avantages considérés comme formant partie intégrante de la rémunération, les pécules de vacances des travailleurs employés et les indemnités de rupture de contrat. Ces charges nouvelles imposées au Fonds d'indemnisation des travailleurs se sont simplement ajoutées, sans rien y ôter, à son obligation ancienne de verser l'indemnité de fermeture prévue par la loi organique précitée du 28 juin 1966. 67. Une deuxième loi d'extension de la mission du Fonds d'indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d'entreprises promulguée le 12 mai 197558 assigna au Fonds, l'obligation de payer aux travailleurs âgés, à défaut de leur employeur, les indemnités complémentaires de prépension auxquelles ils ont droit en vertu d'une convention collective de travail.

55 M.B. 2 juillet 1966. 56 M.B. 13 juillet 1967. 57 Article 2 § 1 de la loi du 30 juin 1967. 58 M.B. 12 juin 1975.

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68. La loi du 12 avril 1985 chargeant le Fonds d'indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d'entreprises du paiement d'une indemnité de transition59 accorde aux travailleurs repris par un nouvel employeur après la faillite ou le concordat judiciaire par abandon d'actif de leur entreprise initiale, un droit à une indemnité de transition à charge du Fonds « pour la période qui prend cours à la date de l'interruption de leur activité consécutive à l'interruption totale ou partielle d'activité de l'entreprise et qui prend fin à la date de l'engagement par le nouvel employeur »60. 69. Enfin, la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprises61 régit les conséquences de la cessation définitive de l’activité principale de l’entreprise, lorsque le nombre de travailleurs est réduit en-desous du quart du nombre de travailleurs qui y étaient occupés en moyenne (pourvu, pour que s’applique la loi, qu’ils soient au moins au nombre de vingt) au cours de l’année civile qui précède l’année de la cessation d’activités, ainsi que de la reprise de l’actif d’une entreprise en faillite ou faisant l’objet d’un concordat judiciare. La loi confie au Fonds le soin de payer une indemnité de fermeture aux travailleurs concernés, lorsque l’employeur, le curateur ou le liquidateur n’a pu le faire. En cas de faillite, de concordat judiciare ou de tranfert conventionnel, le Fonds a également pour mission de payer l’indemnité due ne cas de licenciement collectif. c. Double limitation réglementaire de l’intervention du Fonds 70. Le Roi a assigné un double plafond à l'intervention du Fonds. D'une part, aux termes de l'article 7, alinéa 1er de l'arrêté royal du 6 juillet 1967, pris en exécution de l'article 6 de la loi du 30 juin 1967 portant extension de la mission du Fonds d'indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d'entreprises62, la rémunération n'est prise en compte, tant pour le paiement des sommes dues pour les prestations exécutées en cours de préavis, pour les arriérés de rémunération, les indemnités de congé, pour les pécules de vacances des employés que pour les indemnités complémentaires spéciales, qu'à concurrence de 75.000 francs par mois. 71. D’autre part, selon l’article 7, alinéa 3 du même arrêté royal, « le montant maximum des ements ffectués par le Fonds en application de l'article 2 de la loi du 30 juin 1967 précitée, ne peut dépasser 900.000 francs par travailleur et par fermeture d'entreprises », sauf l'indemnité spéciale de prépension et sous réserve d'indexation éventuelle tous les deux ans. d. Retenues d’ordres social et fiscal 59 M.B., 19 juin 1985. 60 Voir sur l'ensemble des missions du Fonds: « Het sluitingsfonds en de problematiek van het faillissement », T.P.R., 1987, pp. 217 et suivantes. 61 M.B., 9 août 2002. 62 M.B., 13 juillet 1967.

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72. L'article 5 de la loi du 30 juin 1967 prévoit que, lorsque le Fonds assure, à défaut de l'employeur, les paiements prévus à l'article 2, c'est-à-dire, lorsque le Fonds exécute à la place de l'employeur, les obligations pécuniaires de celui-ci, il est tenu d'effectuer les retenues imposées en application des législations fiscales et relatives à la sécurité sociale, et d'en opérer le paiement aux organismes intéressés. Le Fonds s'acquitte ainsi du versement des cotisations sociales et du précompte professionnel. 73. Le Fonds assume la même obligation lorsqu'il assure le paiement de l'indemnité de transition63. e. Recours du Fonds envers l’employeur 74. L'exercice des privilèges reconnus au Fonds suppose qu'il se prévale envers l'employeur des actions récursoires que lui ouvre son intervention effective en faveur du travailleur. Sur quels fondements légaux repose ce recours? 75. L'article 18 de la loi organique du 28 juin 1966 prévoit que « l'employeur qui ferme son entreprise est tenu de rembourser au fonds le montant des indemnités que celui-ci a payées en application de l'article 9 alinéa 2 de la présente loi », sans autre précision quant à la mesure ou aux modalités de cette action récursoire. 76. L'article 8 de la loi du 30 juin 1967, quant à lui, précise que le Fonds est « subrogé » de plein droit envers l'employeur-débiteur aux droits et actions du travailleur pour le recouvrement des rémunérations, indemnités et avantages qu'il a payés (alinéa 1er), ainsi qu'aux droits et actions des organismes sociaux pour le recouvrement des cotisations (alinéa 2). 77. Quel est le régime juridique de ces divers recours, à l'égard de l'employeur, du Fonds d'indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d'entreprises? Quatre hypothèses doivent être distinguées, en fonction du contenu de l'obligation du Fonds d'indemnisation des travailleurs: le Fonds intervient tantôt pour payer au travailleur une indemnité de fermeture, tantôt pour assumer les « obligations pécuniaires » de l'employeur défaillant, ou encore pour assurer le versement d'une indemnité de transition. Enfin, le Fonds effectue, lorsqu'il paie, les retenues fiscales et sociales qui s'imposent. 78. Ayant versé au travailleur, l'indemnité de fermeture qui lui est accordée par l'article 9 de la loi précitée du 28 juin 1966, le Fonds bénéficie d'un simple recours à exercer contre l'entreprise fermée, sans que l'article 18 de la loi ne prévoie expressément la subrogation du premier dans les droits du travailleur à l'égard de la seconde.

63 Article 10 de la loi du 12 avril 1985.

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79. Ce recours simple entre-t-il dans le champ d'application des articles 1249 et suivants du Code civil, relatifs au paiement avec subrogation? Les conditions de la subrogation légale sont au nombre de trois: pour être subrogé aux droits de l'accipiens, sans devoir exiger pour cela l'accord exprès de ce dernier, mais par le seul effet automatique de la loi, il faut (1) que le solvens paie une dette; (2) qu'il paie celle-ci effectivement; (3) qu'il s'agisse (exclusivement ou partiellement) de la dette d'autrui, au règlement de laquelle le solvens est intéressé en raison de l'existence de l'une des trois situations prévues à l'article 1251 du Code civil. Dans le système ainsi établi par le Code civil, la subrogation légale apparaît comme une dérogation au principe général selon lequel l'acquisition des droits d'autrui suppose le concours des volontés de celui qui acquiert et celui qui transmet. A ce titre, la subrogation légale doit être considérée comme étant de droit strict, ne souffrant pas, en conséquence, l'extension par analogie64. Ainsi, n'est pas légalement subrogé aux droits du créancier celui qui, n'étant tenu ni avec le débiteur, ni pour lui en vertu du contrat (et ne se trouvant pas dans l'une des trois autres situations traitées par l'article 1251 du Code civil), peut seulement être obligé de remplir les engagements du débiteur si celui-ci reste en défaut65. Tel est précisément le cas du Fonds d'indemnisation des travailleurs qui, n'étant pas tenu, avec l'employeur ou pour l'employeur, au paiement de l'indemnité de fermeture, mais assumant simplement l'obligation légale propre d'en assurer le paiement à défaut d'exécution, ne peut bénéficier du mécanisme subrogatoire pour vanter les droits du travailleur accipiens, à l'égard de l'entreprise défaillante. 80. Certes, le Fonds dispose, comme le lui accorde l'article 18 précité, d'un recours contre l'employeur, mais cette créance n'épouse pas les caractéristiques de celle dont pouvait, avant le paiement, se prévaloir le travailleur licencié, dont le Fonds ne tient donc pas son droit au remboursement. Ce recours forme un droit autonome, distinct de celui du travailleur, qui n'apparient qu'au Fonds, et avant lui, n'appartenait à personne; ce droit au remboursement naît exclusivement de l'exécution par le Fonds de sa propre obligation légale. Du caractère restrictif de la notion de subrogation légale et de l'origine propre de la créance du Fonds envers l'employeur, découle l'inapplicabilité au Fonds des divers bénéfices subrogatoires et notamment de l'attachement à sa créance du privilège reconnu à celle du travailleur66.

64 Cass., 30 mars 1944, Pas., 1994, I, 283. 65 Cass., 27 mai 1980, Pas., 1980, I, 144. 66 Mons, 5 mai 1992, R.G.D.C., 1993, p. 240, note GREGOIRE.

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81. En revanche, la loi de redressement du 22 janvier 1985 reconnaît au Fonds un privilège propre, introduit à l'article 19, alinéa 1er, 4° quinquies de la loi hypothécaire pour ses créances basées sur l'article 18 de la loi du 28 juin 1966. Actuellement, fort de ce nouveau privilège, le Fonds d'indemnisation, privé du bénéfice subrogatoire, peut toutefois espérer dans la mesure que lui confère son rang en fonction des possibilités de chaque liquidation, échapper aux réductions spoliatrices imposées aux créanciers chirographaires67. 82. Comme on l'a exposé ci-dessus, le Fonds, chargé d'assurer l'exécution des obligations pécuniaires de l'employeur, au sens de l'article 2 de la loi du 30 juin 1967, se trouve subrogé envers l'employeur-débiteur, par l'effet de l'article 8 alinéa 1er de la même loi, aux droits et actions du travailleur bénéficiaire de l'intervention. 83. Quel est la portée de cette subrogation? Il est constant que lorsque le Fonds verse les sommes dont le paiement est garanti par la loi au profit du travailleur, il exécute sa propre dette68, de sorte que l'article 8 précité ne peut être compris comme une application particulière, en matière sociale, de la règle générale exprimée à l'article 1251, 3° du Code civil. L'arrêt rendu le 13 décembre 1992 par la Cour de cassation, à laquelle était soumise la question de la solution du concours entre le travailleur partiellement payé et le Fonds69 a décidé, en ce sens que: (…) le Fonds d'indemnisation, quoique payant en exécution d'une obligation propre qui lui est imposée par la loi, les rémunérations, indemnités et avantages dus au travailleur, bénéficie néanmoins à l'encontre de l'employeur d'une subrogation; cette subrogation, si elle a pour effet de transmettre au subrogé, à concurrence de ce qui a été payé par lui, la créance du subrogeant avec tous ses éléments et accessoires et notamment en l'espèce, avec le privilège conféré au travailleur par l'article 19, 3° bis de la loi hypothécaire, ne peut cependant nuire au créancier originaire pour la partie de sa créance qui n'a pas été payée par le Fonds d'indemnisation et réduire les droits dont il aurait disposé pour obtenir ce reliquat si le paiement partiel avait été effectué par le débiteur lui-même; la solution inverse serait inconciliable avec le but poursuivi par le législateur qui, par la loi précitée du 30 juin 1967, a voulu, dans le cas de fermeture d'entreprises, accroître les garanties, de sorte que le travailleur licencié reçoive ce qui lui est dû par l'employeur; dès lors, en décidant que le

67 Voir GEINGER, COLLE et VAN BUGGENHOUT, « Het faillissement en het gerechtelijk akkoord », T.P.R., 1991, p. 574, n° 228; voir également SWENNEN «Het sluitingsfonds en de problematiek van het faillissement », T.P.R., 1987, p. 218-225. 68 WANTIEZ et BEAUFILS, « La subrogation en droit social » in La subrogation, Colloque du Jeune Barreau de Mons, 1992, n° 2. 69 J.T., 1983, p. 172, note REGOUT-MASSON ; CAEYMAEX, note sous Comm. Bruxelles, 7 avril 1987, J.L.M.B., 1987, p. 1386; voir également Cass., 6 décembre 1982, Pas., 1983, I, 432; J.T., 1983, p. 361; Chron. Dr. Soc. 1984, p. 14, note STORCK et WILLEMS; R.D.C.B., 1983, p. 250; obs. sous Cass., 16 octobre 1989, R.D.C.B., 1990, p. 163; R.W., 182-1983, col. 801 avec les conclusions du Procureur général LENAERTS, alors avocat général; J.T., 1983, p. 361; GEINGER, COLLE et VAN BUGGENHOUT « Het faillissement en het gerechtelijk akkoord », T.P.R., 1991, p. 576.

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demandeur ne bénéficiait pas pour le paiement du reliquat de sa créance d'un droit de préférence par rapport à la créance dont le défendeur réclamait le paiement à l'employeur et que, partant, la répartition entre les deux créanciers devait se faire au marc le franc, l'arrêt viole l'article 8 de la loi du 30 juin 1967 (…). Par cet arrêt, la Cour de cassation faisait écho à sa décision antérieure du 6 décembre 1982 (déjà citée ci-dessus), où elle déclarait: En imposant au Fonds cette obligation de caractère subsidiaire, la loi du 30 juin 1967 a pour but d'étendre, en cas de fermeture de l'entreprise, les garanties données au travailleur d'obtenir le paiement de ce qui lui est dû par l'employeur; en vertu de l'article 8 de la loi précité, le Fonds est, pour les sommes payées en application de l'article 2, subrogé de plein droit aux droits et actions du travailleur, vis-à-vis de l'employeur-débiteur; il serait inconciliable avec l'obligation de caractère subsidiaire que la loi impose au Fonds et avec le but poursuivi par le législateur que l'application de l'article 8 ait pour effet de réduire les garanties données au travailleur et de causer préjudice à celui-ci, dans le cas où le Fonds n'a payé qu'une partie de ce qui est dû par l'employeur". La Cour en conclut qu'"il se déduit de l'économie de la loi qu'en cas de concours du privilège conféré au travailleur par l'article 19, 3°bis de la loi hypothécaire avec le privilège du Fonds, en tant que subrogé aux droits du travailleur, ce dernier peut exercer ses droits, pour ce qui lui reste dû par l'employeur, par préférence au Fonds. 84. Selon l'enseignement de la Cour suprême, c'est, on l'aperçoit, l'économie de la loi de 1967 – et non la règle générale exprimée par l'article 1252 du Code civil, selon lequel « La subrogation (…) ne peut nuire au créancier lorsqu'il n'a été payé qu'en partie; en ce cas, il peut exercer ses droits, pour ce qui lui reste dû, par préférence à celui dont il n'a perçu qu'un paiement partie » – qui justifie la préférence reconnue au travailleur créancier. 85. Ultérieurement, l'article 96 de la loi spéciale du 22 janvier 1985 a, pour contourner cette jurisprudence, reconnu à la créance du Fonds, fondée sur l'article 8 alinéa 1er de la loi du 30 juin 1967, un privilège de même rang que celui du travailleur: le concours se résout donc par le partage au marc le franc70. 86. Quoi qu'il en soit, même si le législateur a pris le soin d'établir par une disposition spéciale une égalité entre le travailleur et le Fonds que l'esprit de la loi organique de ce dernier excluait, les arrêts précités de la Cour de cassation portent au-delà de ce concours, leur enseignement fondamental: c'est au sein même de l'économie de la loi qui la crée, que le régime de la subrogation spéciale doit être recherché.

70 VAN BUGGENHOUT et PARIJS, « Kanttekeningen bij artikel 96 van het Wet van 22 januari 1985 », R.D.C.B., 1985, p. 615; GEINGER, COLLE et VAN BUGGENHOUT, « Het faillissement en het gerechtelijk akkoord », T.P.R., 1991, p. 574; WANTIEZ et BEAUFILS, « La subrogation en droit social », in La subrogation, Colloque du Jeune Barreau de Mons, 1992, n° 2; Grégoire « L'exécution transformée des obligations sociales de l'employeur failli », Rev. Dr. ULB, 1991, p. 54 ; Cass., 17 avril 2000, J.T., 2000, p. 425 ; Bull. Cass., 2000, n° 256.

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87. Contraint à le faire par l'article 5 de la loi du 30 juin 1967, le Fonds effectue les retenues sociales et fiscales sur les versements qu'il opère au profit des travailleurs de l'employeur défaillant. Il ne dispose toutefois, nous l'avons vu, que d'une action récursoire limitée, que lui reconnaît l'article 8 alinéa 2 de la même loi: « Le Fonds », énonce cette disposition, « est subrogé de plein droit aux droits et actions des organismes visés à l'article 5, 2°, pour le recouvrement, auprès de l'employeur débiteur, des cotisations payées en vertu du même article ». L'article 5, 2°, auquel il est ainsi fait référence, rappelons-le, proclame que le Fonds assure, à défaut de l'employeur, l'obligation de payer aux organismes intéressés les cotisations patronales imposées par la législation relative à la sécurité sociale. De la combinaison de ces dispositions légales, découle que le Fonds d'indemnisation dispose d'une action subrogatoire spéciale, l'autorisant à vanter auprès de l'employeur les droits de l'ONSS. 88. Dans la ligne de ce qu'elle avait décidé par ses arrêts précités des 6 et 23 décembre 1982, la Cour de cassation a estimé que: en imposant au Fonds (l') obligation de caractère subsidiaire (de payer aux organismes intéressés les cotisations patronales imposées par la législation relative à la sécurité sociale), la loi du 30 juin 1967 a pour but d'étendre, en cas de fermeture d'entreprise, les garanties données à ces organismes d'obtenir le paiement de ce qui leur est dû par l'employeur; (…) qu'il serait inconciliable avec l'obligation de caractère subsidiaire que la loi impose au Fonds et avec le but poursuivi par le législateur, que l'application de l'article 8 ait pour effet de réduire les garanties données aux organismes précités et de causer préjudice à ceux-ci, dans la mesure où le Fonds ne leur a payé qu'une partie de ce qui est dû par l'employeur; partant, il se déduit de l'économie de la loi qu'en cas de concours de privilège conféré à l'Office national de sécurité sociale par l'article 19, 4° ter de la loi hypothécaire, avec le privilège du Fonds, en tant que subrogé aux droits de cet Office, ce dernier peut exercer ces droits, pour ce qui lui reste dû par l'employeur par préférence au Fonds71. Aucune loi spéciale n'ayant été promulguée pour contredire cette jurisprudence, le principe de la subsidiarité de l'intervention du Fonds, avec ses conséquences en cas de concours telles que les dégage la Cour de cassation, forme le droit positif72. 89. La question des droits du Fonds d'indemnisation en cas de versements des retenues fiscales, se présente de manière toute différente. Dans son arrêt du 21 juin 198573, la Cour de cassation a estimé que « si le précompte professionnel retenu en application de la législation fiscale fait partie des rémunérations, indemnités et avantages sur lesquels la retenue a été opérée, il n'est payé ni par le Fonds ni par l'employeur au

71 Cass., 9 novembre 1990, Bull. et Pas. 1991, I, 259 ; R.W., 1990-1991, 1035, note. 72 Anvers, 21 novembre 1990, Pas., 1991, II, 74, note P.M.; Gand, 5 décembre 1991, T.G.R., 1992, 80. 73 Pas.,1985, I, 1349.

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travailleur lui-même, (…) celui-ci (ne pouvant) opposer un droit ou une action en vue du paiement en mains propres, des montants qui ont été retenus en vertu de la législation fiscale et qui doivent être versés par le Fonds, comme par l'employeur, à l'organisme intéressé ». Or, énonce la cour, « en application de l'article 8, alinéa 1er de la loi du 30 juin 1967, (le Fonds) n'est subrogé qu'aux droits et actions du travailleur vis-à-vis de l'employeur pour les rémunérations, indemnités et avantages qu'il a payés réellement au travailleur ». Le Fonds ne peut dès lors, légalement se prétendre subrogé dans les droits du travailleur, pour le paiement des retenues fiscales et se prévaloir, sur cette base, du privilège inscrit à l'article 19, 3° bis de la loi hypothécaire. 90. Non subrogé dans les droits du travailleur envers l'employeur dans la mesure des retenues fiscales, le Fonds ne pourrait l'être davantage dans les droits du fisc. En effet, le principe de la subrogation du Fonds dans les droits des organismes bénéficiaires des retenues se loge à l'article 8 alinéa 2 de la loi, lequel dispose, rappelons-le, que le Fonds est subrogé de plein droit aux droit et actions des organismes visés à l'article 5-2°: « Le Fonds ne peut dès lors fonder sa prétention à une subrogation quelconque à l'égard de l'employeur sur les articles 5 et 8 alinéa 2 de la loi du 30 juin 1967 »74. Privé de toute subrogation pour la récupération des avances fiscales, le Fonds ne peut se prévaloir du privilège inscrit à l'article 19, 4° quinquies de la loi hypothécaire, qui ne joue que dans la mesure où les créances basées sur l'article 8 de la loi du 30 juin 1967 ne peuvent plus être recouvrées par la subrogation légale75, ce qui suppose que le mécanisme subrogatoire ait pu être utilisé en partie. SECTION 9. LES AUTRES PRIVILEGES DE L’ARTICLE 19 DE LA LOI

HYPOTECAIRE § 1. Le privilège de la victime d’un accident du travail 91. L'article 19 alinéa 1er 4bis, 1ère phrase de la loi hypothécaire octroie un privilège général à la créance d'indemnités appartenant à la victime d'un accident du travail ou à ses ayants-droit. § 2. Le privilège du Fonds national de retraite des ouvriers 92. L'article 19 alinéa 1er 4 bis , 2ème phrase de la loi hypothécaire reconnaît un caractère privilégié aux créances du Fonds national de retraite des ouvriers mineurs vis-à-vis des employeurs.

74 Cass., 21 juin 1985, Pas. 1985, I, 1349. 75 Même arrêt du 21 juin 1985, Pas. 1985, I, 1349.

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93. Cette disposition légale énonce que le privilège « prend rang immédiatement après le 4° et le 4° bis de l'article 19 de la loi du 16 décembre 1851 sur les privilèges et hypothèques ». § 3. Le privilège garantissant les créances reposant sur la loi sur la

protection des eaux de surface contre la pollution 95. L'article 19 alinéa 1er 4° nonies (premièrement) attribue un privilège général aux sommes et intérêts de retard dus par une entreprise en vertu des articles 24 et 25 de la loi sur la protection des eaux de surface contre la pollution. § 4. Le privilège de l’assureur intervenant en cas d’accidents du travail 96. Le législateur a, par deux fois, inséré à l'article 19 de la loi hypothécaire, un privilège général sous le nonies. 97. En vertu du second nonies de l'article 19 alinéa 1er, 4° de la loi hypothécaire, bénéficie d'un privilège général la créance de l'assureur pour les indemnités et les rentes afférentes à un accident du travail payées pendant la suspension du contrat d'assurance. § 5. Le privilège des auteurs 98. L'article 19 alinéa 1er, 4° deciese reconnaît un privilège général aux auteurs pour leurs créances en vertu de la loi du 30 juin 1994 relative aux droits d'auteur et aux droits voisins. SECTION 10. LES PRIVILEGES DU TRESOR § 1. Le privilège du receveur des impôts sur les revenus 99. Aux termes de l'article 15 de la loi hypothécaire, « les privilèges à raison des droits du Trésor public et l'ordre dans lequel ils s'exercent sont réglés par les lois qui les concernent ». 100. L'article 422 du Code des impôts sur les revenus 1992 dispose que « Pour le recouvrement des impôts directs et des précomptes en principal et additionnels, des intérêts et des frais, le Trésor public a un privilège général sur les revenus et les biens meubles de toute nature du redevable, à l'exception des navires et des bateaux. Le privilège grève également les biens meubles et les revenus du conjoint et des enfants du redevable dans la mesure où le recouvrement des impositions peut être poursuivi sur lesdits revenus et biens ».

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101. L'article 423 poursuit en indiquant que « le privilège visé à l'article 422 prend rang immédiatement après celui mentionné à l'article 19-5° de la loi du 16 décembre 1851. Par dérogation à l'alinéa 1er, le privilège en matière de précompte professionnel a le même rang que celui qui est visé à l'article 19, 4° ter de la loi du 16 décembre 1851. L'affectation par préférence visée à l'article 19 in fine de la loi du 16 décembre 1851 est applicable aux impôts et aux précomptes visés dans le présent Code ». 102. Se trouve garanti par ce privilège général, le recouvrement des impôts sur les revenus, des intérêts, des frais ainsi que des taxes additionnelles provinciales, auxquels s'ajoutent depuis la loi du 22 juillet 1993, les précomptes en principal et additionnels. En revanche, les accroissements d'impôts et les amendes ne sont pas privilégiés76. 103. Aux termes de l'article 10 de la loi du 23 décembre 1986 relative au recouvrement et au contentieux en matière de taxes provinciales et locales, « les règles relatives au recouvrement, aux intérêts de retard et moratoires, aux poursuites, aux privilèges, à l'hypothèque légale et à la prescription en matière d'impôts d'Etat sur le revenu sont rendus applicables aux impositions provinciales, communales, d'agglomération et de fédération (…) »77. 104. Les biens et les revenus du redevable78, ainsi que ceux de son conjoint et de ses enfants dans la mesure où le recouvrement des impositions peut être poursuivi sur lesdits revenus et biens, constituent l'assiette du privilège général sur meubles du Trésor. En revanche, le privilège ne s'étend pas aux biens des personnes condamnées comme auteurs ou complices d'infractions fiscales et qui sont solidairement tenues au paiement de l'impôt éludé sur la base de l'article 458 du Code des impôts sur les revenus 199279. De la même manière, même si l'article 399 du Code des impôts sur les revenus 1992 donne à l'administration fiscale le pouvoir de recouvrer l'impôt dû par les membres des sociétés civiles et associations sans personnalité juridique sur les biens de ces sociétés et associations elles-mêmes, il est admis cependant que le privilège général ne s'étend pas à ces biens lorsque la société ou l'association est dotée d'une personnalité juridique de droit commun, malgré sa transparence fiscale80.

76 T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 213, p. 412 ; VEROUGSTRAETE, Manuel de la faillite et du concordat, p. 441, n° 773 ; Gand, 4 avril 2001, T.G.R., 2001, p. 265. 77 Sur cet article, voir COENRAETS, « Les règles relatives au recouvrement des impôts communaux et l'article 10 de la loi du 23 décembre 1986 »,, Rev. Dr. Comm. 1993, pp. 212 à 229. 78 Y compris les créances résultant des retenues effectuées par le maître de l'ouvrage, lorsque le redevable est entrepreneur, conformément à l'article 30 bis § 3 de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 sur la sécurité sociale des travailleurs – Gand, 22 octobre 1987, R.D.C.B., 1988, p. 477. 79 Mons, 11 octobre 1984, Bull. Contr. n° 665; n° 2374. 80 VEROUGSTRAETE, Manuel de la faillite et du concordat, p. 442, n° 773.

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105. Avant la loi du 22 juillet 1993, l'alinéa final de l'article 19 de la loi hypothécaire selon lequel « lorsque la valeur des immeubles n'a pas été absorbée par les créances privilégiées ou hypothécaires, la portion du prix qui reste due est affectée de préférence au paiement des créances énoncées au présent article », était considéré comme étant étranger aux privilèges du Trésor81. Le nouvel article 423 précité du Code des impôts sur les revenus prévoit à présent expressément que « l'affectation par préférence visée à l'article 19 in fine de la loi du 16 décembre 1851 est applicable aux impôts et aux précomptes visés dans le présent Code ».. Le privilège général du Trésor est donc aujourd'hui un privilège général sur meubles et sur la valeur résiduaire des immeubles82. 106. Pour rendre plus efficace l'exercice du privilège, l'article 442 du Code des impôts sur les revenus 1992 oblige l'huissier chargé d'une vente publique de meubles (volontaire ou sur saisie-exécution mobilière) d'en informer le receveur des contributions par lettre recommandée au moins huit jours d'avance, ce qui permet à ce dernier de faire valoir sa créance et de participer, sur la base de son privilège, à la distribution du prix. Dans le même ordre d'idées, les article 433 et suivants du Code des impôts sur les revenus 1992 obligent le notaire requis de dresser un acte de vente ou de constitution d'hypothèque, d'en avertir le receveur du domicile du propriétaire d'immeuble (ainsi que le receveur du ressort dans lequel est situé le bien), afin de mettre ces derniers en mesure de notifier au notaire le montant des impôts dus, la notification emportant saisie-arrêt entre les mains de ce dernier. Enfin, l'article 442 bis du Code des impôts sur les revenus 1992 prévoit que la cession en propriété ou en usufruit d'un ensemble de biens composés entre autres d'éléments qui permettent de retenir la clientèle affectés à l'exercice d'une profession libérale, charge ou office, ou d'une exploitation industrielle, commerciale ou agricole, ainsi que la constitution d'un usufruit sur les mêmes biens n'est opposable aux receveurs des contributions qu'à l'expiration du mois qui suit celui au cours duquel une copie de l'acte translatif ou constitutif certifiée conforme à l'original a été notifiée au receveur du domicile ou du siège social du cédant. Si, dans le courant du délai d'un mois, le cessionnaire effectue des versements ou attribue des actions ou parts, au cédant en contrepartie du transfert, il sera tenu solidairement des dettes fiscales dues par le cédant à l'expiration de ce délai, à concurrence des montants versés ou de la valeur nominale des actions ou parts.

81 Cass., 22 novembre 1990, R.P.S., 1991, n° 6567, p. 124, obs. T'KINT; Rev. Not. 1991, p. 214 et obs. LEDOUX; J.T., 1991, p. 366, obs. MOREAU-MARGREVE; DIZIER-WILKIN, « L'article 19 in fine de la loi hypothécaire est-il applicable au privilège mobilier du Trésor public en matière d'impôts sur les revenus ? », R.N.B., 1982, p. 291; Civ. Namur (saisies), 20 février 1987, R.N.B., 1988, p. 477, obs. LEDOUX; Civ. Dinant (saisies), 16 décembre 1988, R.N.B., 1989, p. 474. 82 CATTARUZZA et GEORGES, Privilèges et hypothèques, p. 24 à 28.

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Ces dispositions ne s'appliquent pas (i) si le cédant obtient un certificat établi par le receveur montrant l'absence de dette fiscale et (ii) si la cession est réalisée par un curateur, un commissaire au sursis ou dans le cadre d'une fusion, scission ou apport de branche d'activité réalisée conformément aux prescrits du Code des sociétés. 107. Un système similaire est désormais mis en place pour assurer la récupération de la TVA et des cotisations sociales. 108. Relevons qu’un arrêt de la cour d’appel de Gand du 4 avril 200183 met en perspective deux privilèges de même rang : celui de l’Officie national de sécurité sociale et le précompte professionnel, situés l’un comme l’autre au niveau de l’article 19 alinéa 1er 4 ter de la loi hypothécaire. Cette similarité n’englobe pas pour autant, note l’arrêt, la mesure de la créance garantie car s’il est de jurisprudence constante que le privilège garantit les cotisations en principal, mais non les intérêts et les majorations84, le privilège tel qu’établi par l’article 422 du Code des impôts sur les revenus 1992 garantit, quant à lui, non seulement le précompte professionnel en principal mais également les intérêts et les frais. 109. Dans le cadre d’un règlement collectif de dettes, le plan judiciaire peut légalement écarter l’effet de tout droit de préférence quel qu’il soit. Selon un arrêt de la cour d’appel d’Anvers du 26 juin 200285, cela implique que le solde restant dû par le débiteur, après réalisation de ses biens saisissables, soit remboursé au marc le franc entre les créanciers, sans prise en considération du privilège général du fisc. Il s’agit là d’un prolongement hardi, appliqué à la situation d’un règlement après réalisation des biens saisissables, de l’enseignement de la Cour de cassation, exprimé dans son arrêt du 31 mai 200186, mais dans le cadre d’un règlement judiciaire sans réalisation des biens, ce qui rend parfaitement compréhensible la position de la Cour suprême. Elle y déclare, en effet, qu’à défaut de plan de règlement amiable, le juge des saisies peut, conformément à l’article 1675/12 § 1er du Code judiciaire, imposer, en respectant l’égalité des créanciers, un plan de règlement judiciaire pouvant notamment comporter le report ou le rééchelonnement du paiement des dettes en principal, intérêts et frais, et la suspension, pour la durée du plan, de l’effet de sûretés réelles, sans que cette mesure puisse en compromettre l’assiette. Cette réserve ne tend qu’à conserver intact le gage commun des créanciers ; le juge des saisies peut, en présence d’un privilège tel un privilège général sur les revenus et les biens meubles de toute nature du débiteur, imposer un plan de règlement prévoyant la répartition au marc le franc des revenus disponibles de celui-ci dès lorsqu’il s’agit d’assurer le paiement des dettes sans réalisation du gage commun des créanciers.

83 T.G.R., 2001, 265. 84 Cette situation est modifiée par l’article 44 de la loi du 3 juillet 2005 portant diverses dispositions en matière sociale – M.B., 19 juillet 2005. 85 NjW, 2003, 133, note VERVOORT. 86 J.L.M.B., 2002, 48, note CAEYMAEX, J.T.I, 2001, note Pas., 2001, 1014, avec les conclusions de Monsieur l’avocat général DE RIEMACKER, R.W., 2001-02, 596, note DE WILDE, R.N.B., 2001, 640, avec les conclusions de Monsieur l’avocat général DE RIEMACKER, T. Not., 2002, 735.

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§ 2. Le privilège du receveur de la TVA 110. Les articles 86 et 87 du Code de la TVA ont créé un privilège général sur les meubles du redevable pour le recouvrement de la taxe sur la valeur ajoutée. L'article 86 dispose que « Pour le recouvrement de la taxe, des intérêts et des frais, le Trésor public a un privilège général sur tous les biens meubles du redevable à l'exception des navires et bateaux (…) ». L'article 87 précise que « le privilège prend rang immédiatement après celui mentionné à l'article 19-5° de la loi du 16 décembre 1851. L'affectation par préférence visée à l'article 19 de la loi précitée est applicable à la taxe visée dans le présent Code ». 111. Comme le texte précité l'indique, la créance garantie est la taxe elle-même, à laquelle s'ajoutent les intérêts et les frais, mais à l'exclusion des amendes et des intérêts de retard sur les amendes87. 112. Avant l'intervention de la loi du 22 juillet 1993 rendant applicable de manière expresse le droit de préférence subsidiaire sur le prix des immeubles prévu à l'article 19 in fine de la loi hypothécaire, le privilège attaché aux créances du receveur de la TVA était donc exclusivement mobilier. Actuellement, il est placé sur le même pied que celui bénéficiant à la créance d'impôts directs88. 113. Le commissionnaire-expéditeur qui, en cette qualité, fait transporter des marchandises en son nom mais pour compte de son commettant et effectue diverses opérations dont le paiement de la TVA à l'importation est subrogé dans les droits issus de l'article 86 du Code de la TVA89. 114. Le privilège prend rang après le privilège de l'article 19 alinéa 1er, 5° de la loi hypothécaire90. 115. La loi du 10 août 2005 modifiant le Code de la taxe sur la valeur ajoutée et le Code des impôts sur les revenus 1992, en vue de lutter contre l’organisation d’insolvabilité dans le cadre des cessions frauduleuses d’un ensemble de biens, entrée en vigueur le 19 septembre 2005 prévoit l’insertion dans le Code de la taxe sur la valeur ajoutée d’un article 93 undecies B, rédigé comme suit :

87 VEROUGSTRAETE, Manuel de la faillite et du concordat, p. 443, n° 778. 88 MOREAU-MARGREVE, « Le privilège général sur meubles du Trésor public et l'article 19 de la loi hypothécaire », J.T., 1993, p. 707; VAN HAEGENBORGH, « Wijzingen aan de fiscale voorrechten », R.W., 1993-1994, p. 321; Comp. Ph. MALHERBE, « La procédure fiscale. Quelques modifications récentes », in Regards fiscaux sur la 48ème législature, 1995, pp. 305-306. 89 Comm. Charleroi, 24 octobre 1989, R.D.C.B., 1990, p. 987 ; J.P. Soignies, 2 mars 1999, J.L.M.B., 1999, p. 1271. 90 VEROUGSTRAETE, Manuel de la faillite et du concordat, p. 444, n° 779.

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§ 1er. Sans préjudice de l'application des articles 93 ter à 93 decies, la cession, en propriété ou en usufruit, d'un ensemble de biens, composés entre autres d'éléments qui permettent de retenir la clientèle, affectés à l'exercice d'une profession libérale, charge ou office, ou d'une exploitation industrielle, commerciale ou agricole ainsi que la constitution d'un usufruit sur les mêmes biens, ne sont opposables au fonctionnaire chargé du recouvrement qu'à l'expiration du mois qui suit celui au cours duquel une copie de l'acte translatif ou constitutif, certifiée conforme à l'original, a été notifiée au fonctionnaire chargé du recouvrement du domicile ou du siège social du cédant. § 2. Le cessionnaire est solidairement responsable du paiement des dettes fiscales dues par le cédant à l'expiration du délai visé au § 1er, à concurrence du montant déjà payé ou attribué par lui ou d'un montant correspondant à la valeur nominale des actions ou parts attribuées en contrepartie de la cession avant l'expiration dudit délai. § 3. Les §§ 1er et 2 ne sont pas applicables si le cédant joint à l'acte de cession un certificat établi exclusivement à cette fin par le fonctionnaire chargé du recouvrement visé au § 1er dans les trente jours qui précèdent la notification de la convention. La délivrance de ce certificat est subordonnée à l'introduction par le cédant d'une demande en double exemplaire auprès du fonctionnaire chargé du recouvrement du domicile ou du siège sociale du cédant. Le certificat sera refusé par le fonctionnaire si, à la date de la demande, le cédant reste redevable de sommes à titre de taxe, d'intérêts, d'amendes fiscales ou d'accessoires ou si la demande est introduite après l'annonce d'un contrôle ou au cours d'une mesure de contrôle ou après l'envoi d'une demande de renseignements relative à sa situation fiscale. Le certificat est soit délivré, soit refusé dans un délai de trente jours à partir de l'introduction de la demande du cédant. § 4. Ne sont pas soumises aux dispositions du présent article les cessions réalisées par un curateur, un commissaire au sursis ou dans le cadre d'une opération de fusion, de scission, d'apport d'une universalité de biens ou d'une branche d'activité réalisée conformément aux dispositions du Code des sociétés. § 5. La demande et le certificat visés au présent article sont établis conformément aux modèles arrêtés par le ministre ayant les Finances dans ses attributions. » § 3. Le privilège du receveur des droits de succession 116. Aux termes de l'article 84 du Code des droits de succession, « il est établi au profit de l'Etat, pour garantir le recouvrement du droit de succession, un privilège général sur tous les biens meubles délaissés par le défunt, ayant rang immédiatement après ceux mentionnés aux articles 19 et 20 de la loi du 16 décembre 1851 et à l'article 23 du livre II du Code de commerce (…). Ces garanties couvrent également les intérêts, ainsi que les frais de poursuite et d'instance ».

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117. Selon l'article 85 du même Code, « le privilège sur les meubles est éteint à l'expiration des dix-huit mois à compter de la date du décès, si, avant ladite époque, le receveur n'a pas commencé des poursuites judiciaires ». 118. La créance garantie couvre le droit de succession lui-même, les intérêts moratoires et les frais de poursuite91. 119. L'assiette du privilège attribué au receveur des droits de succession est limité aux biens meubles du débiteur. § 4. Le privilège de l'administration des douanes et accises 120. En vertu de l'article 313 § 4 de la loi sur les douanes et accises, l'administration des douanes et accises possède un privilège général s'exerçant sur tous les biens meubles du redevable des droits, sur les biens qui garnissent les usines ou les entrepôts du débiteur, même s’il ne lui appartiennent pas92. 121. L'article 313 § 4 de la même loi dispose que le privilège prend naissance à dater du jour où la dette est contractée et s'éteint à l'échéance d'un délai de trois années après la date d'exigibilité de la dette. Il prime toutefois le porteur des warrants représentatifs des marchandises dédouanées, par application de l’article 313 § 2 de la loi précitée93. 122. Ce privilège prend rang après ceux mentionnés aux articles 19 et 20 de la loi hypothécaire, à l'instar du privilège garantissant le recouvrement des impôts directs. 123. Il est applicable également pour le recouvrement des taxes visées par les lois coordonnées du 4 avril 1953 concernant les débits de boissons fermentées ainsi que les taxes provinciales sur les débits de boissons fermentées ou spiritueux. § 5. Le privilège garantissant le recouvrement des taxes assimilées au

timbre 124. L'article 202-2 du Code et Règlement général des taxes assimilées au timbre confère un privilège général sur tous les biens meubles du redevable pour le recouvrement des taxes assimilées au timbre, des intérêts et des frais.

91 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, p. 93. 92 Gand, 4 mars 1999, Alg. fisc., t. 1999, p. 125, note DESTERBECK. 93 Cass., 27 mars 2003, R.W., 2004-2005, p. 429.

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125. Ce privilège prend rang après ceux mentionnés aux articles 19 et 20 de la loi hypothécaire. § 6. Le privilège garantissant le recouvrement des impôts régionaux 126. Les législateurs régionaux disposent, dans une certaine mesure, de la compétence nécessaire à l'établissement d'impôts et taxes. Citons notamment le privilège garantissant le recouvrement : - de la taxe sur les déchets (article 32 du décret du 25 juillet 1991 de la Région wallonne), - des taxes levées par la Région Bruxelles-Capitale (article 50 de l'ordonnance du Conseil

de la Région Bruxelles-Capitale du 22 décembre 1994), - de la taxe à charge des occupants d'immeubles bâtis (article 21 de l'ordonnance du

Conseil de la Région Bruxelles-Capitale du 23 juillet 1992). § 7. Le privilège garantissant les créances au titre de prélèvement sur la

production du charbon et de l'acier 127. La loi du 12 juin 199094, en son article 1er, dispose que « Pour le recouvrement des prélèvements sur la production du charbon et de l'acier ainsi que des majorations de retard prévus aux articles 49 et 50 du Traité du 18 avril 1951 instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier approuvé par la loi du 25 juin 1952, la Communauté bénéficie d'un privilège de rang et d'assiette identiques à celui dont dispose le Trésor public en vue du recouvrement de la taxe sur la valeur ajoutée (…) ». 128. Il s'agit des créances de prélèvements destinées à permettre à la Haute Autorité de la Communauté de se procurer les fonds nécessaires à l'accomplissement de sa mission. Selon l'article 50, 2° du traité, « les prélèvements sont perçus annuellement en fonction de leur valeur moyenne sans que le taux puisse excéder 1 p.c. (…) » (sauf autorisation). 129. L'assiette de ce privilège est constituée de tous les biens meubles du débiteur. 130. Cette loi est applicable aux procédures de recouvrement en cours à la date de son entrée en vigueur (article 2 de la loi). Toutefois, la Communauté ne peut exciper de son privilège à l'égard des tiers ayant déposé à cette date la déclaration de créance visée par la loi sur les faillites ou la loi sur le concordat judiciaire95.

94 M.B. juillet 1990. 95 STRANART, Les sûretés réelles traditionnelles – Développements récents, J.B., 1992, p. 101)

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§ 8. Le privilège des expéditeurs et courtiers garantissant le

recouvrement des droits payés par eux à l'Etat pour compte d'autrui

131. L'article 136 de l'arrêté royal du 18 juillet 1977 accorde aux expéditeurs, courtiers, commissionnaires et agents en douane, durant les six mois qui suivent le paiement avancé par eux des droits et taxes et, en général, de toutes sommes versées à l'Etat pour compte d'autrui à l'occasion du dédouanement de marchandises en Belgique, un privilège général sur tous les biens meubles de leurs débiteurs. 132. Ce privilège est réservé aux commissionnaires indiqués dans le loi et ne saurait être étendu aux frais faits par les commissionnaires-transporteurs, ni aux droits payés par un Etat étranger96. § 9. Le privilège du Fonds de protection des dépôts et des instruments

financiers 133. L'article 15 § 1er de la loi du 17 décembre 1998 créant un Fonds de protection des dépôts et des instruments financiers et réorganisant les systèmes de protection des dépôts97 dispose que: « les créances du Fonds en principal et accessoires sur un établissement de crédit ou sur une entreprise d'investissement au titre des ressources des systèmes de protection des dépôts et des instruments financiers sont privilégiées sur la généralité des biens meubles de cet établissement ou de cette entreprise ». 134. Ce privilège prend rang immédiatement après ceux mentionnés au 4° nonies de l'article 19 de la loi hypothécaire. CHAPITRE IV – LES PRIVILEGES SPECIAUX SUR MEUBLES SECTION 1. INTRODUCTION 135. Les privilèges spéciaux sur meubles se caractérisent par la spécialité de leur assiette, constituée d'un ou plusieurs biens mobiliers, dont le produit de réalisation est affecté à la satisfaction de la créance98. 96 Comm. Courtrai, 13 juillet 1978, J.C.B. 1979, p. 301; VEROUGSTRAETE, Manuel de la faillite et du concordat, p. 447, n° 788. 97 M.B. 31 décembre 1998, p. 42104. 98 STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles - Développements récents » in Le droit des sûretés", J.B. 1992, p. 102.

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136. On range traditionnellement les privilèges mobiliers spéciaux en trois catégories: les premiers rappellent la technique du gage, sous réserve de leur origine légale et non conventionnelle; les deuxièmes reposent sur l'enrichissement apporté au patrimoine du débiteur ou la conservation d'un de ces éléments grâce à l'intervention d'un créancier; les troisièmes, enfin, assurent la protection d'un créancier, en sa qualité de victime ou de partie placée en position de faiblesse. SECTION 2. LES PRIVILEGES RAPPELANT LA TECHNIQUE DU GAGE A. Le privilège du bailleur d’immeuble § 1. Textes 137. Aux termes de l'article 20, 1° de la loi hypothécaire, constituent une créance privilégiée, « les loyers et fermages des immeubles, sur les fruits de la récolte de l'année, et sur le prix de tout ce qui garnit la maison louée ou la ferme, et de tout ce qui sert à l'exploitation de la ferme, à savoir: s'il s'agit d'une maison, pour deux années échues; en outre, pour l'année courante, ainsi que pour celle qui suivra, et même, si les baux sont authentiques ou si, étant sous signature privée, ils ont une date certaine, pour tout ce qui est à échoir. Dans ce dernier cas, les autres créanciers ont le droit de relouer la maison pour le restant du bail, et de faire leur profit des loyers, à la charge toutefois, de payer au propriétaire tout ce qui lui serait encore dû. S'il s'agit dune ferme, pour une année échue des fermages et pour l'année courante. Le même privilège a lieu pour les réparations locatives et pour tout ce qui concerne l'exécution du bail. Le propriétaire peut saisir les meubles qui garnissent sa maison ou sa ferme, lorsqu'ils ont été déplacés sans son consentement et il conserve sur eux son privilège, pourvu qu'il en ait fait la revendication, à savoir: lorsqu'il s'agit d'un mobilier qui garnissait une ferme, dans le délai de quarante jours; et dans celui de quinzaine, s'il s'agit de meubles garnissant une maison ». 138. En outre, l'article 10 alinéa 2 de la loi Section 2 du Chapitre II, du Titre VIII du Code civil portant les règles particulières aux baux relatifs à la résidence principale du preneur dispose que la garantie éventuellement consentie au bailleur par le preneur et consistant en une somme d'argent d'un montant inférieur ou égal à trois mois de loyer doit être placée sur un compte individualisé ouvert au nom du preneur auprès d'une institution financière et productif des intérêts à capitaliser, sur l'actif duquel le bailleur possède un privilège pour toute créance résultant de l'inexécution totale ou partielle des obligations du preneur. L'alinéa 5 du même article prévoit qu’« il ne peut être disposé du compte bancaire de garantie, tant en principal qu'en intérêts, qu'au profit de l'une ou l'autre des parties, moyennant production soit d'un accord écrit, établi au plus tôt à la fin du bail, soit d'une copie d'une décision judiciaire. Cette décision est exécutoire par provision, nonobstant opposition ou appel et sans caution ni cantonnement ».

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§ 2. Créance garantie 139. Les créances garanties par le privilège de l'article 20-1° de la loi hypothécaire peuvent être décrites de la manière suivante: - s'agissant du bail d'une maison – c’est-à-dire le bail d'une habitation, d'un magasin, d'une

usine ou de tout immeuble loué, y compris une carrière99 ou d’un terril100, autre qu'une ferme – le privilège garantit:

- les loyers échus des deux années antérieures. Ces années se comptent à partir de la date anniversaire du bail. L'expression « deux années écoulées » vise les deux années qui, dans le temps,

précèdent l'année au cours de laquelle le privilège est invoqué, et non une créance composée de loyers antérieurs, qui serait équivalente au montant du loyer de deux années101,

- les loyers échus et à échoir de l'année en cours et de l'année qui suit l'année en cours,

l'année « en cours » étant celle au cours de laquelle le privilège est invoqué, - lorsque le bail a date certaine, les loyers à échoir jusqu'à son expiration. Dans ce cas,

les autres créanciers du preneur sont autorisés à relouer l'immeuble jusqu'au terme de la location et à en percevoir le loyer. Le droit ainsi reconnu au bailleur de percevoir, à l'aide du produit de réalisation des biens formant l'assiette de son privilège, des loyers non échus suppose que le bail, auquel le concours ne met pas automatiquement fin, ne soit ni résilié de commun accord ou à la demande de l'une des parties (car dans ces cas, la dette dont l'objet est le paiement des loyers futurs serait caduque en raison de la dissolution du contrat qui en constitue la cause, au cours de son existence), ni poursuivi pour les besoins de la liquidation (car dans ce cas, les loyers constitueraient des dettes de la masse). La mise en oeuvre du privilège pour les loyers à échoir est donc extrêmement rare, car elle suppose le maintien d'un contrat de bail relatif à des locaux qui ne sont pas utilisés dans l'intérêt de la liquidation. Certes, même s'ils n'utilisent pas les lieux loués pour les besoins de la liquidation, les créanciers du failli, requis de payer au bailleur les loyers à échoir,

99 Cass., 2 octobre 1968, Pas., 1969, I, p. 132. 100 Mons, 30 décembre 1992, J.L.M.B., 1993, p. 1481 ; R.D.C.B., 1994, p.891. 101 Cass., 17 juin 1982, Pas., 1982, I, 1225 et suivantes; R.N.B., 1982, p. 282 et les conclusions de M. le Procureur général CHARLES, R.N.B., 1983, p. 544, même si ceux-ci ne sont devenus exigibles qu'à la suite d'une décision judiciaire intervenue ultérieurement ; Liège, 21 novembre 1984, J.L., 1985, p. 22 - ce qui implique qu'une attention particulière soit protée sur la question de l'imputation des paiements ; Comm. Bruxelles, 26 janvier 1978, J.C.B., 1978, p. 404.

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peuvent relouer l'immeuble jusqu'au terme et encaisser les fruits de ce nouveau contrat. On aperçoit immédiatement que, dans la pratique, le bailleur préfère conclure lui-même un nouveau contrat de bail avec un tiers après avoir obtenu la résiliation de celui qui le lie au failli102. Il faut noter que la seule jurisprudence existant sur cette question prive le bailleur du droit de préférer à la résiliation, l'exécution forcée du bail (et donc le paiement des loyers à échoir), lorsque le contrat n'est pas utile à la liquidation, sur la base du principe de l'exécution de bonne foi et de la théorie de l'abus de droit103,

- les réparations locatives et tout ce qui concerne l'exécution du bail, c'est-à-dire

l'ensemble des charges nées, pour le preneur, de l'exécution du bail, telles que les intérêts de retard, la contribution du preneur au paiement du précompte immobilier lorsque la convention le prévoit, l'indemnité pour dégâts locatifs, l'indemnité de relocation, etc104.

A l'inverse, une indemnité d'occupation due par suite d'une occupation sans titre ni

droit n'est pas un loyer au sens de l'article 20, 1° de la loi hypothécaire105. Ne sont pas davantage privilégiées les redevances à payer par l'emphytéote, lorsqu'elles sont recognitives de propriété et n'équivalent pas aux fruits106 ou les sommes dues en exécution d'un contrat de leasing, bien qu'il soit important, dans ce cas, d'examiner soigneusement la portée du contrat107.

N’est pas non plus garantie, décide le tribunal de commerce de Gand, par une jugement du 1er avril 2004108, une indemnité d’occupation due par le failli dont le bail commercial a déjà fait l’objet d’une résolution judiciaire avant la faillite sans qu’il n’ait été procédé à l’évacuation des lieux, car cette dette n’est nullement liée à l’exécution du bail.

- S'agissant d'une ferme (loi du 15 avril 1884, article 9, modifié par la loi du 10 mars 1929):

102 Sur cette question, voir STRANART, Les sûretés, Story-Scientia, p. 63; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, 1ère édition, p. 115 et suivantes; T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite de créanciers, p. 224; LAURENT, Cours de droit civi", t. XXIX, p. 415 et suivantes; MARTOU, Des privilèges et hypothèques, p. 90 et suivantes; DELVA, Voorrechten en hypotheken, Story-Scientia 1985, p. 87; DIRIX en DE CORTE, Zekerheidsrechten, p. 94; VAN COMPERNOLLE, « Les sûretés réelles traditionnelles en droit belge », in Les sûretés, Feduci, p. 102. 103 Trib. Verviers, 6 mai 1992, inédit. 104 Bruxelles, 26 novembre 2001, DAOR, 2001, p. 365 ; Comm. Hasselt, 30 avril 1998, p. 680, note DERIJCKE. 105 Comm. Gand, 12 avril 1990, R.D.C.B,. 1991, p. 738, note ; Gand, 28 octobre 2002, Huur, 2003, p. 136. 106 Bruxelles, 5 novembre 1975, R.N.B., 1975, p. 698. 107 DIRIX, « Actuele trends in de zakelijke zekerheidsrechten », in Het Zakenrecht, absoluut niet een rustig bezit, Cycle W. Delva 1991-1992, p. 23; COPPENS et T'KINT, « Les faillites, les concordats et les privilèges », Ex. Jur. R.C.J.B., 1991, p. 559; Liège, 13 novembre 1999, J.L.M.B., 1991, p. 622, note KILESTE ; Gand, 9 janvier 1998, R.D.C.B., 1999, p. 341 ; DU JARDIN, « Le Leasing et le privilège du bailleur de l’immeuble (ou comment sauver les meubles) », J.R., 1994, pp. 113-118. 108 Comm. Gand, 1er avril 2004, T.G.R., 2004, p. 101.

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- les fermages de l'année antérieure et de l'année courante, - les dommages-intérêts pour l'inexécution des obligations du fermier relatives aux

réparations locatives et à la culture. § 3. L’assiette 141. L'assiette du privilège est constituée du prix de tout ce qui garnit la maison louée ou la ferme et de tout ce qui sert à l'exploitation de la ferme. L'assiette du privilège est donc formée des meubles corporels introduits dans les lieux loués, en exécution du contrat de bail (mais non lorsqu'ils le sont à un autre titre et notamment en vertu d'une autorisation précaire ayant précédé la conclusion du contrat)109 ayant un rapport normal avec l'utilisation et la jouissance de l'immeuble conformément à sa destination (mobilier, linge, vaisselle, meubles de bureau, marchandises en stock, instruments d'exploitation, récoltes, etc)110. Le privilège du bailleur peut s'étendre même au véhicule qui se trouvait au moment de la faillite sur le parking loué en même temps que les bureaux111. Ne sont pas grevés du privilège, en principe, les espèces, les bijoux personnels, les titres au porteur, les véhicules, sauf s'ils ont un rapport naturel avec l'activité exercée dans les lieux loués112. 142. Le bailleur peut exiger la vente et l'exercice de son privilège sur le produit de réalisation de biens appartenant à un tiers, pour autant qu'il n'ait pas su ou n'ait pas dû savoir, au moment de l'introduction des biens dans les lieux loués, qu'ils n'appartenaient pas au preneur113. Ainsi, il a été jugé que le propriétaire de biens donnés en location-vente qui a négligé d'informer le propriétaire bailleur d'un bien immeuble de son droit de propriété sur les biens contenus dans les lieux loués ne peut s'opposer à l'exercice par le propriétaire de son privilège de bailleur114. Le bailleur conserve même son privilège sur ces biens en cas de sous-location des lieux à la société faillie115. 143. Dans un arrêt du 3 décembre 2001116, la cour d’appel de Bruxelles a fait une nouvelle application de ces principes en estimant que les véhicules utilisés à des fins professionnelles

109 Cass., 25 novembre 1993, Pas., 1994, I, n° 141. 110 Comm. Verviers, 11 juin 1981, J.L., 1982, p. 298 ; Bruxelles, 26 novembre 2001, DAOR, 2001, p. 365. 111 Comm. Bruxelles, 6 juin 1991, R.D.C.B., 1992, p. 336 ; Bruxelles, 26 novembre 2001, DAOR, p. 365. 112 T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers" p. 226, n° 439; STRANART, « Les sûretés réelles et traditionnelles – Développements récents » in « Les sûretés », J.B. Bruxelles 1992, p. 104; Comm. Bruxelles, 23 février 1988, R.N.B., 1988, p. 367; J.L.M.B., 1988, p. 118, note CAEYMAEX. 113 Bruxelles, 26 noembre 2001, DAOR, 2001, p. 365, R.W., 2002-2003, p. 1302, note ; Cass., 4 décembre 2003, R.W., 2004-2005, p. 623, note STORME. 114 Comm. Bruxelles, 24 juin 1980, J.C.B., 1981, p. 522; Bruxelles, 29 octobre 1990, J.L.M.B., 1991, p. 938, note PARMENTIER; R.D.C.B, 1991, p. 938;voir également Comm. Verviers, 11 juin 1991, R.D.C.B., 1992, p. 338 115 Comm. Bruxelles, 1er septembre 1987, R.D.C.B., 1988, p .491. 116 R.W., 2003-2004, p. 421.

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peuvent être considérés comme des bines garnissant les lieux lourés ; aucune obligation d’examen relatif au droit de la propriété de ces véhicules n’incombe au bailleur ; sa bonne foi est présumée. 144. Toutefois, la présomption légale de bonne foi juris tantum accordée, selon le droit commun, au bailleur, peut être renversée par des présomptions de l'homme montrant que le bailleur pouvait ou devait savoir que les biens appartenaient à un tiers, sans toutefois qu'il ait pour autant une obligation de s'informer. Pour que la bonne foi du bailleur soit altérée, il faut, selon la jurisprudence traditionnelle, qu'en les circonstances de l'espèce, ce dernier n'ait pu conserver « le moindre doute » sur la situation juridique du bien117. La tendance de la jurisprudence récente va cependant dans le sens d'une interprétation plus exigeante de la présomption de bonne foi reconnue au bailleur. Dans un jugement du 5 février 1992118, le tribunal de commerce de Bruxelles a privé la société bailleresse, elle-même commerçante, du privilège qu'elle entendait exercer sur des véhicules automobiles et du matériel informatique utilisés par le preneur failli, au motif qu'elle ne pouvait ignorer l'usage notoire de recourir, s'agissant de biens de cette nature, au financement avec réserve de propriété en faveur du bailleur de fonds ou à des techniques de location ou de leasing permettant d'éviter de mobiliser l'argent. Selon ce jugement, qui rompt en cela avec la jurisprudence traditionnelle, la bailleresse, en sa qualité de « professionnelle d'envergure » ayant développé une branche d'activité immobilière, « devait se douter de l'appartenance des biens litigieux à un tiers et ne peut dans ces conditions se prétendre de bonne foi (…), la bonne foi (ne pouvant) correspondre dans un tel contexte à un comportement statique ». Il faut préciser qu'en l'espèce, la bailleresse « avait la possibilité en ce qui concerne le matériel informatique de vérifier objectivement l'appartenance de celui-ci par les plaquettes qui y étaient apposées, ce qu'elle était » estime le tribunal « en mesure de contrôler au moment de l'entrée des biens dans les lieux ». Dans le même sens, l'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 3 juin 1981 va même jusqu'à exiger du bailleur de faire preuve de prudence en interrogeant son locataire sur le point de savoir si ce dernier est bien propriétaire du matériel professionnel appelé à garnir les lieux loués119. 145. Dans le même ordre d'idées, il a été décidé que le bailleur ne peut invoquer son privilège à l'égard des biens qui meublent les lieux loués s'il est généralement d'usage et connu dans le secteur industriel concerné que ces biens sont donnés en consignation120. 146. L'application de la théorie de l'abus de droit permet également de limiter les droits du bailleur sur les meubles n'appartenant pas au preneur mais formant pourtant l'assiette du privilège121.

117 Bruxelles 29 octobre 1990 précité; T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 226 et 227; GEINGER, COLLE, VAN BUGGENHOUT, « Overzicht van rechtsprak - Het faillissement en het gerchtelijke akkoord », T.P.R. 1991 , p. 582. 118 Inédit - S.A. Lease Plan Management/S.A. Assurances Générales de 1824. 119 Liège, 3 juin 1981, R.D.C.B., 1983, p. 318, obs. KRINGS; Sur ces questions, voy. DU JARDIN, « Le leasing et le privilège du bailleur d'immeuble (ou comment sauver les meubles?) », J.T., 1994, p. 113 ; Bruxelles, 26 novembre 2001, DAOR, p. 365. 120 Comm. Verviers, 11 juin 1991, R.D.C.B., 1992, p. 332.

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147. Dans le cadre d'un bail à ferme, le législateur a inséré dans l'assiette du privilège du bailleur, les fruits de la récolte de l'année, même s'ils sont encore pendants par racines » (dans ce cas, les fruits encore immeubles par nature, pourront être mobilisés par anticipation par l'effet de la saisie offerte au bailleur conformément aux articles 1529 et suivants du Code judiciaire), transportés ou entreposés en d'autres lieux. Les fruits des récoltes antérieures, quant à eux, ne sont grevés du privilège que s'ils "garnissent" encore les lieux loués au moment de la mise en oeuvre des droits du bailleur. 148. Inspiré de la technique du gage, le privilège du bailleur suppose que les biens en formant l’assiette demeurent dans les lieux loués, jusqu’à l’exécution. C’est ce que rappelle un jugement du tribunal de commerce de Hasselt du 12 décembre 2002122 en énonçant que le privilège du bailleur sur les meubles meublants doit être considéré comme un gage tacite impliquant que le preneur détienne les biens en quelque sorte, pour le compte du bailleur. En conséquence le privilège disparaît lorsque les biens son déplacés. L’exercice du privilège suppose donc qu’au moment du concours se trouve encore du mobilier dans le lieux loués. Le bailleur en supporte la charge de la preuve. Si lors de l’ouverture de la faillite, le bien ne contient aucun meuble meublant, le bailleur ne peut plus invoquer le privilège prévu à l’article 20-1° de la loi hypothécaire. 149. Enfin, comme indiqué plus haut, l'assiette du privilège reconnu au bailleur d'une résidence principale est constituée de la créance du preneur envers la banque dans les livres de laquelle se trouve inscrite la somme représentant la garantie locative123. § 4. Particularités 150. Le bailleur dispose de deux procédures conservatoires spéciales destinées à assurer la préservation de l'assiette de son privilège, même lorsqu'aucune procédure d'exécution forcée, d'initiative individuelle ou collective, n'est encore ouverte. Il s'agit de la saisie-gagerie et de la saisie-revendication.

121 MOREAU-MARGREVE, « Heurs et malheurs du gage sur fonds de commerce », note sous Cass., 8 avril 1976, R.C.J.B., 1980, p. 583; STRANART « Les sûretés réelles traditionnelles - Développements récents », J.B. Bruxelles 1992, p. 104; sur ces questions voir VAN OVERLOOP « Het voorrecht van de verhuurder », Jr. Falc. 1979-1980, pp. 27-34). 122 Huur, 2003, p. 105; R.W., 2003-2004, p. 1067. 123 Article 10, alinéa 2 de la loi du 20 février 1991 ; Comm. Hasselt, 30 avril 1998, R.D.C.B., 1998, p. 680, note DERIJCKE ; J.P. Gembloux, 15 septembre 1998, J.J.P., 2000, p. 50, note GRÉGOIRE.

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151. La saisie-gagerie est une forme spéciale de saisie mobilière conservatoire, réservée au bailleur, mais ne le privant pas du droit de recourir, dans les conditions habituelles, à la saisie conservatoire du droit commun124. 152. L'article 1461, alinéa 1er du Code judiciaire reconnaît aux bailleurs, qu'il y ait bail écrit ou verbal, le droit « de faire saisir, sans permission du juge, un jour après le commandement, pour loyers et fermages échus, les effets et fruits qui garnissent les lieux et terres loués ». L'avantage que cette procédure spéciale présente par rapport à la saisie conservatoire de droit commun est qu'elle ne requiert pas l'autorisation du juge des saisies. L'inconvénient, toutefois, réside dans l'obligation de faire précéder la saisie proprement dite, d'un commandement, dont la signification, un jour au moins auparavant, risque de ruiner l'efficacité de l'opération. 153. La saisie-gagerie rend les biens indisponibles et peut être opposée, par exemple, à un second bailleur chez qui se seraient retrouvés les biens saisis125. 154. La saisie-revendication à laquelle le bailleur a le droit de recourir en vertu de l'article 20-1er in fine de la loi hypothécaire, constitue l'expression procédurale d'un véritable droit de suite sur les meubles déplacés sans son consentement. Ce droit doit être mis en œuvre conformément à la procédure de saisie-revendication réglée par les articles 1462 à 1466 du Code judiciaire. L'intentement d'une telle procédure permet au bailleur d'obtenir la réintégration dans les lieux loués des biens déplacés même si ces derniers se trouvent entre le mains de tiers de bonne foi. Hormis cette dérogation au droit commun, la saisie-revendication est soumise aux conditions d'exercice de la saisie conservatoire et se déroule selon des articles 1413 et suivants du Code judiciaire. La saisie-revendication doit être écartée lorsque le consentement du bailleur a été donné pour le déplacement des biens. Ce consentement peut être présumé lorsque le déplacement s'inscrit dans le cours normal de l'activité du preneur. Ainsi, ne pourraient être revendiquées, les marchandises, les récoltes, le matériel déclassé126. En outre, en fin de bail, le bailleur ne pourrait, sans titre, s'opposer à l'enlèvement des biens garnissant les lieux par le locataire127. Dans le cadre d’un bail de maison, le délai pour intenter la saisie-revendication est de quinze jours, alors que, dans le cadre d’un bail à ferme, il s’élève à quarante, comme l’indique l’article 20-1° de la loi hypothécaire. La raison de cette différence, explique la cour d’appel de Bruxelles, dans un arrêt du 19 août 2002128, réside dans la circonstance que la surveillance d’un fonds rural est plus difficile que celle d’un bâtiment. Le délai commence à courir à compter du déplacement des biens, décide, à bon droit, le même arrêt, contrairement à ce qu’estime un arrêt de la cour d’appel d’Anvers du 27 juin 2002129, qui

124 VAN COMPERNOLLE, « Les sûretés réelles traditionnelles en droit belge » in « Le sûretés », Feduci, p. 105; PARIJS, « De verhuurder, een bevoorrechte schuldeiser », R.D.C.B., 1989, p. 530) 125 Comm. Charleroi, 2 juin 1999, J.L.M.B., 2000, p. 649, note CAEYMAEX. 126 T'Kint, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 230. 127 Comm. Bruxelles 6 juin 1985, R.D.C.B., 1986, p. 307. 128 J.L.M.B., 2003, p. 1708. 129 Anvers, 27 juin 2002,R.W., 2003-2004, p. 956.

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estime que la date de départ dudit délai est celle de la connaissance du déplacement par le bailleur. 155. Enfin, le bailleur se voit reconnaître une dernière faveur exorbitante du droit commun par le législateur, sous la forme du tempérament à la règle de la suspension des voies d'exécution en cas de faillite du preneur. Au contraire des autres créanciers privilégiés spéciaux ou nantis d'une sûreté, le bailleur est en effet autorisé par l'article 26 de la loi sur les faillites à mettre en oeuvre ses droits en reprenant la possession des lieux loués, sans avoir à attendre l'audience de clôture du procès-verbal de vérification des créances130. 156. Le respect des privilèges relève de la mission des gestionnaires de la procédure d’exécution. Lorsqu’il s’agit d’une liquidation, il revient au liquidateur, rappelle un arrêt de la cour d’appel de Gand du 15 mars 2001131 de veiller, sous sa responsabilité personnelle, à ce que la créance du bailleur soit acquittée, à concurrence au moins des fonds que la liquidation a obtenus grâce à la vente de meubles formant l’assiette du privilège du bailleur. Ne font pas partie de cette assiette, en revanche, les sommes concernées à titre de garantie locative restées la propriété des preneurs dans le cadre d’un bail commercial132. B. Le privilège agricole § 1. Texte 157. Aux termes de l'article 4 de la loi du 15 avril 1884 sur les prêts agricoles, « Les prêts faits aux agriculteurs peuvent être garantis par un privilège stipulé dans l'acte, et portant sur les objets qui sont affectés au privilège du bailleur par l'article 20 de la loi du 16 décembre 1851. L'acte indiquera la nature et la valeur des objets grevés du privilège ». § 2. Créance garantie 158. Peuvent être assorties du privilège visé à l'article 4 précité, toutes les créances résultant de prêts ou d'ouvertures de crédit faits soit aux agriculteurs, soit aux sociétés coopératives de crédit agricole133. La circonstance que l'agriculteur ou la société souscrivant l'emprunt exerce une seconde activité parallèlement à l'agriculteur n'est pas une entrave à l'application du privilège134. 130 VEROUGSTRAETE, Manuel de la faillite et du concordat, p. 449, n° 795. 131 J.O.S.C., 2003, p. 356. 132 J.P. MEERELBEKE, 11 mars 2003, T.G.R. 2003, p. 60. 133 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, p. 226, n° 296. 134 Liège 2 février 1996, J.L.M.B., 1996, p. 87.

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§ 3. Assiette 159. Le privilège du prêteur agricole porte sur les mêmes objets que celui du bailleur, à savoir les fruits de la récolte de l'année, le prix de tout ce qui garnit la ferme et tout ce qui sert à son exploitation, y compris les animaux et les éventuels immeubles par destination. 160. Des principes identiques à ceux exposés pour le bailleur, sont applicables au privilège agricole. Ainsi, déclare un arrêt de la cour d’appel de Liège du 7 mars 2002135, le privilège agricole est un gage sans dépossession au profit du prêteur agricole dont l’assiette, fluctuant au gré des nécessités de l’exploitation, porte sur tout ce qui garnit la ferme et peut même inclure des biens appartenant à des tiers dès lors que le prêteur peut, de bonne foi, croire, qu’ils sont la propriété de son débiteur, la bonne foi étant présumée. Le droit pour le créancier titulaire d’un privilège agricole de saisir tout ce qui garnit la ferme a pour base l’apparence de propriété dans le chef du fermier. La règle qui lui permet de faire vendre tout ne peut plus être invoquée lorsqu’il sait ou doit savoir que le fermier n’est pas propriétaire des biens meubles sur lesquels il souhaite exercer son privilège. Le bonne foi présumée du prêteur s’apprécie au plus tard au moment de l’introduction du bétail dans les lieux, la connaissance ultérieurement acquise que ces biens ne sont pas la propriété du débiteur étant sans influence et ne permettant pas de la soustraire à l’assiette du privilège. § 4. Particularités 161. L'existence et la conservation du privilège agricole sont soumises à une double formalité : - les indications de l'acte de prêt : le contrat de prêt ou d'ouverture de crédit doit être

constaté par un acte, qui peut être sous seing privé, mais, dans ce cas, doit être enregistré (article 17 de la loi du 15 avril 1884); cet acte doit indiquer la nature et la valeur des objets grevés par le privilège, afin de permettre la mobilité et le remplacement des biens affectés au remboursement du prêt;

- l'inscription dans un registre tenu par le receveur de l'enregistrement : l'inscription (ou

plus exactement la transcription) de l'acte contenant le privilège doit se faire dans le registre du bureau de l'enregistrement de l'arrondissement dans lequel sont situés les bâtiments de la ferme; cette inscription détermine le rang du privilège en cas de concours avec d'autres prêteurs agricoles, des créanciers hypothécaires (pouvant exercer leurs droits sur des immeubles par destination) et le bailleur de la ferme.

162. Une controverse existe quant à la solution à réserver aux surgissants entre le privilège du prêteur agricole et le privilège du vendeur d’effets mobiliers corporels. Selon les uns, le prêteur agricole doit être assimilé au bailleur. En cette qualité, il ne pourrait être primé par 135 J.T., 2002, p. 714.

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le vendeur que si ce dernier lui a notifié le non-paiement du prix du bien livré à l’exploitant agricole, le dépôt de la facture au greffe du tribunal de commerce étant à cet égard insuffisant136. Selon les autres, la connaissance du non-paiement de ce prix peut naître, au contraire, dans le chef du préteur agricole du dépôt de sa facture par le vendeur, assurant par là la primauté de son privilège137. 163. Le prêteur agricole bénéficie des mêmes procédures de saisie-gagerie et saisie-revendication que le bailleur pour conserver l'assiette de son privilège. Le créancier ne peut toutefois revendiquer les animaux lorsque ceux-ci ont été abattus. Le privilège peut se reporter sur le prix de vente des carcasses s’il est encore identifiable138. Le non exercice de la saisie-revendication dans le délai de quarante jours fixé par l'article 20-1° alinéa 5 de la loi hypothécaire en cas de déplacement de matériel d'exploitation agricole formant l'assiette du privilège ne prive pas le créancier du droit de faire valoir son privilège dans le cadre de la procédure d'exécution139. 164. Les opérations de cession ou de subrogation dans une créance nantie du privilège agricole, pour être opposables aux tiers, doivent être elles-mêmes transcrites et, en outre, mentionnées en marge de l'acte de prêt transcrit. C. Le privilège de l’hôtelier § 1. Texte 165. Aux termes de l'article 20-6° de la loi hypothécaire, sont privilégiées « les fournitures de l'hôtelier sur les effets du voyageur qui ont été transportés dans son hôtel ». § 2. Créance garantie 166. La créance garantie doit exister dans le chef d’une personne qui fait profession de loger des voyageurs. L'idée de logement est plus importante que celle de nourriture, qui est accessoire. Il faut que la créance concerne un voyageur, c'est-à-dire une personne de passage, sans intention d'installation, quelle que soit la durée de la visite. Toutefois, le privilège de l'hôtelier disparaît lorsqu'une chambre est donnée en location à long terme,

136 Bruxelles, 9 juillet 1999, R.W., 1999-2000, p. 822. 137 Gand, 17 février 1993, R.W., 1993-1994, p. 987, note Van Haegenborgh ; R.D.C.B., 1994, p. 66. 138 Anvers, 5 juin 2000, R.W., 2000-2001, p. 1312, note SAGAERT. 139 Cass., 28 février 1991, Pas., 1991, I, 621; R.W., 1991-1992, p. 327; STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles - Développements récents » in « Le droit des sûretés », J.B., 1992, p. 106.

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pour faire place à celui du bailleur140. Le privilège s'attache aux fournitures faites au voyageur, à ses serviteurs, à ses animaux, à ses biens. § 3. Assiette 167. Le privilège grève les effets du voyageur, comprenant sans distinction, les bagages à l'exclusion des vêtements qu'il porte, les emplettes et les cadeaux, même si ces objets ne lui appartiennent pas, l'hôtelier étant contraint de faire crédit sans pouvoir s'informer sur la solvabilité de ses clients et l'origine de leurs effets. Fait également partie de l'assiette du privilège de l'hôtelier, la voiture garée dans le parking de l'hôtel141. 168. L'exercice du privilège est lié à la présence des effets du voyageur dans l'hôtel. L'hôtelier est démuni d'action en revendication142. Il dispose toutefois du droit de rétention143. D. Le privilège du transporteur § 1. Texte 169. Sont privilégiés, en vertu de l'article 20-7° de la loi hypothécaire, « les frais de voiture et les dépenses accessoires, sur la chose voiturée, pendant que le voiturier en est saisi, et pendant les vingt-quatre heures qui suivront la remise au propriétaire ou au destinataire, pourvu qu'ils en aient conservé la possession ». § 2. Créance garantie 170. Le privilège bénéficie à toute personne qui se charge habituellement ou même accidentellement de transporter des objets mobiliers, par terre, par mer ou par cours d'eau, et garantit le coût du transport proprement dit, tel qu'il ressort de la lettre de voiture ou du connaissement, et les dépenses accessoires comprenant le coût éventuel des réparations à la chose même ou à l'emballage, les frais d'emmagasinage, de douane, de transit et autres sommes nécessaires pour que les objets transportés parviennent à destination. La question de savoir si le transporteur par air bénéficie du privilège est controversée144.

140 Civ. Bruxelles, 5 juin 1878, Pas., 1878, III, 352. 141 DELVA, Voorrechten en hypotheken", p. 82. 142 Voy. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, pp. 187 et suivantes; DERIJCKE, Voorrechten, n° 157. 143 CATTARUZZA et GEORGES, Privilèges et hypothèques , p. 150, n° 9. 144 Voir STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles - Développements récents » in Le droit des

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§ 3. Assiette 171. Le privilège porte sur le produit de réalisation de la chose même qui a donné lieu aux frais dont le transporteur réclame le paiement. Ce produit ne peut être grevé de la créance de frais antérieurs afférents à d'autres choses, précédemment transportées. 172. L'exercice du privilège est lié à la détention des objets transportés par le transporteur, lequel peut les conserver par l'effet de l'exception d'inexécution et le droit de rétention nés du contrat synallagmatique d'entreprise de transport. Pour laisser au destinataire le temps nécessaire à l'examen des choses et à leur agréation, le privilège est maintenu, sans détention, pendant vingt quatre heures après leur livraison ou quinze jours en cas de transport fluvial145. E. Le privilège du commissionnaire et de son bailleur de fonds § 1. Texte 173. L'article 14 de la loi du 5 mai 1872 portant révision des dispositions du Code de commerce relatives au gage et à la commission prévoit que « Tout commissionnaire a privilège sur la valeur des marchandises à lui expédiées, déposées ou consignées, par le fait seul de l'expédition, du dépôt ou de la consignation, pour tous prêts, avances ou paiements faits par lui, en sa qualité de commissionnaire, soit avant l'expédition des marchandises, soit pendant qu'elles sont en sa possession. Ce privilège ne subsiste que sous la condition que le commissionnaire ou un tiers convenu entre les parties a été et est resté en possession des marchandises. Dans la créance privilégiée du commissionnaire, sont compris avec le principal, les intérêts, commissions et frais ». 174. L'article 15 précise que « Si les marchandises ont été vendues et livrées pour le compte du commettant, le commissionnaire se rembourse, sur le produit de la vente, du montant de sa créance, par préférence aux créanciers du commettant ». 175. Le bailleur de fonds, quant à lui, défini par l'article 16 comme celui « qui fournit au commissionnaire en espèces ou valeurs commerciales les sommes nécessaires aux prêts, avances ou paiements dont il est parlé au §1er de l'article 14 ci-dessus, jouit, pour garantie du remboursement des sommes fournies et des intérêts », énonce le même article 16, « du même privilège sur les

sûretés, J.B. 1992, pp. 104-105 et les réf. citées. 145 Voir DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, pp. 192 et suivantes; STRANART, « Le sûretés réelles traditionnelles - Développements récents », J.B., 1992, p. 105)

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mêmes objets et de la même manière qu'il est dit aux articles 14 et 15 ci-dessus. Ce privilège ne subsiste que sous la condition que le bailleur de fonds ou un tiers convenu entre les parties ait été nanti, par le commissionnaire, du connaissement ou de la lettre de voiture ». 176. Organisant le rang respectif des deux privilèges, l'article 17 énonce que « Le privilège du bailleur de fonds prime celui du commissionnaire ». § 2. Créance garantie 177. La créance garantie couvre toutes sommes dues en raison de la commission (toutes avances, intérêts, commissions, frais de toute nature exposés pour le compte du commettant), à condition que ces sommes aient été exposées par le commissionnaire en cette qualité146. Tous les types de commissionnaires sont visés : le commissionnaire à la vente, comme à l'achat, le commissionnaire expéditeur147, ou les sociétés de bourse148. § 3. Assiette 178. Le privilège s'exerce sur la valeur des marchandises à lui expédiées, déposées ou consignées. Le terme « marchandises » couvre également les denrées, les objets fabriqués, les titres, les actions, etc.149. 179. Le privilège du commissionnaire peut s'exercer sur les marchandises qui sont en sa possession au moment de cet exercice150, même si les sommes dont le paiement est poursuivi résultent d'avances consenties antérieurement à l'expédition de ces marchandises par le commettant au profit du commissionnaire151. Il est même admis que le commissionnaire puisse exercer son privilège sur des marchandises détenues actuellement, pour garantir des créances afférentes à des biens précédemment libérés ou rendus et qui ne sont plus en sa possession. C'est dès lors à bon droit qu'il a été décidé que les créances du commissionnaire sont garanties par toutes les marchandises dont il a la possession, et qu'aucun rapport ne doit exister entre la créance et la chose sur laquelle le privilège est exercé152. Bien entendu, lorsqu'un tel rapport existe, le commissionnaire peut invoquer sur

146 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, p. 207; STRANART, Les sûretés, p. 67, n° 47 ; Comm. Anvers, 26 février 1993, Dr. Europ. Transp., 1994, p. 112 ; Civ. Liège, 1er mars 1990, J.L.M.B., 1990, p. 1112 ; Bruxelles, 9 mai 1990, J.L.M.B., 1990, p. 149. 147 Cass., 5 novembre 1936, Pas. 1936, I, 407. 148 CATTARUZZA et GEORGES, Privilèges et hypothèques, p. 208. 149 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, p. 208, n° 263; Liège, 27 juillet 1887, Pas., 1988, II, 77, R.P.D.B., V° Commission, n° 178 et ss.; STRANART, Les sûretés, p. 67. 150 Comm. Tongres, 20 septembre 1994, R.W., 1994-1995, p. 785. 151 Cass., 30 avril 1870, Pas., 1870, I, 476) 152 Comm. Liège, 12 décembre 1989, R.D.C.B., 1990, p. 989; STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles - Développements récents » in Les sûretés, J.B. 1992, p. 105.

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les marchandises détenues, un droit de rétention153. Dans la mesure où le privilège du commissionnaire est comparable à celui du créancier gagiste, le régime de l'article 2279 du Code civil lui est applicable par analogie154. Ce fondement du privilège conduit à en reconnaître l'exercice au commissionnaire sur des marchandises n'appartenant pas au commettant, pourvu qu'à l'instar du véritable gagiste ou du bailleur, il ait été de bonne foi lors de l'entrée en possession155. 180. Lorsque le véritable propriétaire des marchandises entend – ce qu’il est autorisé à faire156 – intervenir à la procédure de réalisation de son privilège introduite par le commissionnaire-expéditeur, il échappe au délai de trois jours laissé au débiteur pour faire opposition à dater de la signification de l’ordonnance d’autorisation rendue sur pied des articles 4 et suivants de la loi du 5 mai 1872 sur le gage commercial157. 181. La bonne foi du commissionnaire expéditeur n'est pas présente si la lettre de voiture permet de suspecter que le commettant n'est pas propriétaire158. Le privilège est perdu lorsque le commissionnaire perd la détention des biens soit matériellement soit par titre. Ainsi, l’expédition de la marchandise en entrepôt loué par le destinataire entraîne l’extinction du privilège159. 182. En revanche, un avertissement donné au commissionnaire, après que celui-ci a exercé son droit de rétention sur des marchandises qu'il croyait appartenir au commettant est inopérant à altérer sa sûreté160. 183. Par exception à la règle selon laquelle le commissionnaire ne peut exercer son privilège que sur les marchandises se trouvant en sa possession, l'article 15 précité prévoit le déplacement du droit de préférence sur le prix de vente en espèces ou effets de commerce, des marchandises vendues et livrées pour le compte du commettant. 184. Le privilège du bailleur de fonds s'exerce sur les mêmes biens et dans les mêmes conditions que celui du commissionnaire, mais il lui est préférable, puisque ce dernier doit sa propre créance aux avances du bailleur de fonds161. 185. L'article 136 de la loi générale du 18 juillet 1977 sur les douanes et accises accorde au commissionnaire pendant l'année qui suit le paiement, un privilège sur tous les biens meubles

153 CATTARUZZA et GEORGES, Privilèges et hypothèques, p. 212, n° 12. 154 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, p. 209, n° 265. 155 Comm. Liège, 12 décembre 1989, R.D.C.B., 1990, p. 989 ; Anvers, 16 février 2004, R.W., 2004-2005, p. 1147 ; Cass., 21 mars 2003, R.W., 2004-2005, p. 1154, note STORME. 156 Prés. Comm. Courtrai, 30 janvier 2001, R.W., 2000-2001, p. 1349, note. 157 Anvers, 16 février 2004, R.W., 2004-2005, p. 1147 ; R.D.C.B., 2005, p. 531, note LIBOUTON. 158 Civ. Liège, 1 mars 1990, J.L.M.B., 1990, p. 112. 159 Bruxelles, 15 juillet 1993, J.L.M.B., 1995, p. 904. 160 STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles - Développements récents », J.B. Bruxelles, 1992, p. 105. 161 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VIII, n° 268bis.

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du commettant, et ce en garantie du recouvrement des droits et taxes, ainsi que, de manière générale, de toutes les sommes versées à l'Etat belge par le commissionnaire pour le compte du commettant à l'occasion de l'importation ou de l'exportation de biens162. SECTION 3. LES PRIVILEGES REPOSANT SUR L’ENRICHISSEMENT APPORTE

AU PATRIMOINE DU DEBITEUR OU LA CONSERVATION D’UN

DE SES ELEMENTS A. Le privilège du conservateur § 1. Texte 186. En vertu de l'article 20-4° de la loi hypothécaire, sont privilégiés "les frais faits pour la conservation de la chose". § 2. Créance garantie 187. Les frais faits pour la conservation sont toutes les dépenses sans lesquelles la chose eût péri, totalement ou partiellement, ou serait à tout le moins devenue impropre à l'usage auquel elle était destinée, comme, par exemple, les réparations faites à un véhicule sans lesquelles il aurait été mis hors d'usage163, à l'exclusion des travaux de fabrication164, d'amélioration, de révision, de transformation, de fonctionnement, de plus-value165, de fourniture d'énergie166, sauf si l'absence d'énergie aurait causé un dommage irréparable aux installations167 ou encore des frais d'alimentation du bétail168. 188. Les prestations donnant lieu à la naissance du privilège peuvent être tant manuelles qu'intellectuelles169. Il peut s'agir également de prestations de gardiennage170.

162 Comm. Tongres, 20 septembre 1994, R.W., 1994-1995, p. 785. 163 Comm. Gand, 5 février 2001, T.G.R., 2001, p. 271, note PVC ; Comm. Gand, 16 févirer 2004, T.G.R., 2004, p. 108 ; Voir toutefois Gand, 23 octobre 1984, R.W., 1984-1985, 2477, qui considère que la vente de pièces détachées à replacer sur un véhicule ne peut donner lieu qu'au privilège du vendeur. 164 Anvers, 7 mai 1984, R.D.C.B., 1986, p. 116. 165 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, pp. 157-158, n° 198; Cass., 9 mars 1972, Pas., 1972, I, 641; J.T., 1972, p. 406, note SOREL; STRANART, « Chronique de jurisprudence - Les sûretés réelles », Rev. Banque, 1975, n° 30, p. 296 et les réf.; Les sûretés, p. 68 et les réf.. 166 Anvers, 12 décembre 1983, R.D.C.B., 1984, p. 531; Comm. Liège, 27 avril 1982, J.L., 1984, p. 604; Bruxelles, 28 février 1991, R.D.C.B., 1991, p. 729; J.T., 1991, p. 524 ; Comm. Gand, 16 février 2004, T.G.R., 2004, p. 108. 167 Liège, 28 mars 1988, J.L.M. B., 1988, p. 887). 168 Comm. Audenaerde, 18 janvier 1990, R.D.C.B., 1992, p. 341. 169 Comm. Charleroi, 7 septembre 1988, J.L.M.B., 1989, p. 30, note CAEYMAEX; Comm. Liège, 21 décembre 1982, J.L., 1983, p. 161; LEDOUX, « Chronique de jurisprudence - Les sûretés réelles », J.T.,

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189. Par un important arrêt du 11 juin 1987171, la Cour de cassation a précisé que n'était pas pris en violation de la loi, l'arrêt attaqué ayant considéré que pouvait donner lieu à la mise en oeuvre du privilège du conservateur, la récupération de frais de TVA destinés à permettre la mise en circulation de certains meubles sur le marché belge. Cet arrêt a été analysé en doctrine, comme consacrant la notion de conservation de l'aptitude juridique du bien172. On peut également déduire de cet arrêt que l'usage que les frais doivent avoir sauvé s'apprécie in concreto dans le chef du débiteur, et non in abstracto en fonction de l'usage habituel pour lequel le bien est généralement conçu. § 3. Assiette 190. La chose conservée doit être un bien meuble corporel ou incorporel, telle une créance sauvegardée grâce à l'activité d'un comptable173, individualisé, identifiable, demeuré dans le patrimoine du débiteur174, et y ayant existé avant que les frais aient été exposés175. Dans une espèce ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 1987176, un sous-traitant invoquait le privilège sur la créance du failli contre le maître de l'ouvrage qu'il prétendait avoir conservée en exécutant les travaux. La Cour de cassation rejette cette analyse au motif que la créance ne se trouvait pas dès la conclusion du contrat de sous-traitance dans le patrimoine du failli et qu'elle n'y était entrée qu'au fur et à mesure de l'exécution des travaux par le sous-traitant. 191. Par un arrêt du 28 mars 1988, la Cour d'appel de Liège a eu étrangement à affirmer cette évidence que les frais consacrés à préserver les qualités sportives d'un joueur de football ne pouvaient être privilégiées sur le fondement de l'article 20-4° de la loi hypothécaire, la valeur d'un être humain dépendant essentiellement de son choix et de sa volonté, notions incompatibles avec celle de "meuble"177.

1981, p. 322. 170 Liège, 29 septembre 1994, J.L.M.B., 1995, p. 145. 171 Pas., 1987, I, 617; R.C.J.B., 1988, p. 405, note J.L. 172 T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, n° 505, p.261; Comp. MOREAU-MARGREVE, Chronique de droit à l'usage du notariat - Le sûretés, p. 95; STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles – Développements récents », J.B., 1992, p. 107; sur cette question, voir KNOCKAERT « Het voorrecht van de kosten tot behoud van de zaak » Jr. Falc., 1995-1996, pp. 21-232; voir également Liège, 6 mars 1986, J.L., 1986, p. 260. 173 Mons, 17 janvier 1994, J.L.M.B., 1994, p. 863 ; Comm. Bruges, 6 février 2002, T.W.V.R., 2002, p. 41. 174 Cass., 24 avril 1986, J.T., 1987, p. 84; Gand, 22 février 1996, A.J.T., 1996-1997, p. 227, note BLOMMAERT; Comm. Hasselt, 3 mars 1994, R.W., 1994-1995, p. 1089. 175 Sur ces questions, voir PARIJS, « Het voorrecht van de kosten gemaakt tot behoud van de zaak art. 20-4° Hyp. W. », R.D.C.B., 1988, pp. 425-432. . 176 Pas., 1987, I, 1123; R.D.C.B., 1988, p. 756, note RAES. 177 Liège, 28 mars 1988, R.D.C.B., 1990, p. 972; dans le même sens Comm. Charleroi, 2 janvier 1985, R.D.C.B., 1986, p. 380.

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192. Le privilège du conservateur n'a pas lieu si le bien conservé est un bien immeuble178 ou un meuble immobilisé179, sauf, dans ce dernier cas, si le créancier a procédé au dépôt de sa facture au greffe du tribunal de commerce territorialement compétent180. 193. Le dépôt de la facture assure la conservation du privilège en dépit de l’immobilisation de son assiette mais aussi permet d’invoquer la tierce complicité du tiers acquéreur qui, en tant que revendeur professionnel de voitures, devait être attentif au danger de l’acquisition de voitures prises en leasing, en location ou financées. Ce revendeur aurait dû s’adresser au greffe du tribunal de commerce pour obtenir les informations nécessaires à la détermination de la situation de la créance du vendeur initial. Le préjudice de celui-ci réside dans la perte du bénéficie de son privilège en raison de l’aliénation de son assiette. La cour d’appel de Gand, par un arrêt du 20 février 2002181, prononce donc la condamnation in solidum du vendeur intermédiaire et du tiers complice, au paiement de la créance du vendeur initial. 194. D'après la jurisprudence de la Cour de cassation, l'immobilisation est réalisée lorsque les objets mobiliers sont affectés par le propriétaire à l'exploitation du fonds et que celui-ci est spécialement aménagé à cette fin, que ces objets soient nécessaires ou simplement utiles à l'exploitation182. Ne seront dès lors pas des meubles immobilisés les camions et les bennes utilisés sur des chantiers de démolition par une entreprise se livrant à cette activité183. 195. N'engendre nullement une créance garantie par le privilège du conservateur, l'action qui s'adresse à l'ensemble du patrimoine du débiteur184 ou à un secteur d'activités de celui-ci, telle celle d'honoraires de l'avocat, du comptable, du conseil en gestion, ou du notaire185. 196. Plus délicate est la question de savoir si le fonds de commerce peut constituer l'assiette du privilège du conservateur. La question est controversée. Par un arrêt du 28

178 Comm. Bruxelles, 26 juin 1984, R.D.C.B., 1984, p. 312 ; Comm. Gand, 17 décembre 2004, T.G.R., 2004, p. 78. 179 Liège, 14 janvier 1986, J.L. 1986, p. 184, obs. CAEYMAEX. 180 Article 20-5° , alinéa 2 et 3 de la loi hypothécaire; Comm. Bruxelles, 29 septembre 1992, R.D.C.B., 1994, p. 80; Comm. Courtrai, 28 septembre 1989, R.D.C.B., 1990, p. 985; Liège, 24 mars 1989, J.L.M.B., 1989, p. 878. 181 R.D.C.B., 2002, p. 475 ; T.G.R., 2002, p. 69. 182 Cass., 11 septembre 1980, Pas., 1981, I, 36, note J.V.; R.C.J.B., 1981, p. 173, note HANSENNE; J.T., 1981, p. 407, note VERBRAECKEN; R.G.E.N., 1981, p. 365; R.W., 1980-1981, col. 1663. 183 Liège, 24 mars 1989, J.L.M.B., 1989, p. 878; Bruxelles, 15 avril 1985, Pas., 1985, II, 116; Comp. STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles - Développements récents », in Les sûretés, J.B., 1992, p. 107. 184 Comm. Gand, 25 octobre 2001, T.G.R., 2002, p. 3 ; Gand, 5 mai 2003, R.A.B.G., 2003, p. 1200, note BEKAERT « Het voorrecht van de advocaat voor de kosten gemaakt tot behoud van de zaakl : een hopeloze poging ? ». 185 STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles - Développements récents », in Les sûretés, J.B., 1992, p. 110 et les réf.

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février 1991186, la Cour d'appel de Bruxelles a tranché le problème dans un sens négatif, généralement approuvé en doctrine187. Le fonds de commerce, dit la Cour d'appel, ne doit être tenu pour une universalité juridique que dans le cadre de sa mise en gage, telle que l'organise la loi. En revanche, dans un arrêt du 28 novembre 1986, la Cour d'appel de Liège estime que le caractère conservatoire de certaines prestations de l'avocat peut être reconnu, et que le privilège des frais de conservation peut s'exercer sur un bien incorporel, tel un fonds de commerce188. B. Le privilège du vendeur d’effets mobiliers impayés § 1. Texte 197. Aux termes de l'article 20-5°, alinéa 1er, de la loi hypothécaire, est privilégié "le prix d'effets mobiliers non payés, s'ils sont encore en la possession du débiteur, soit qu'il ait acheté à terme ou sans terme". § 2. Créance garantie 198. La créance privilégiée est le prix de vente. Le privilège s'attache tant au principal qu'aux accessoires du prix, du moins dans la mesure où ceux-ci constituent la corrélation de l'enrichissement de l'acheteur189. A l'aune de ce critère, la jurisprudence reconnaît un caractère privilégié aux intérêts contractuellement convenus pour rémunérer l'octroi de délais de paiement, car ils constituent la contrepartie de la jouissance gratuite de la chose dont s'est enrichi l'acheteur190. En revanche, les intérêts de retard et la clause pénale

186 J.T., 1991, p. 524; R.D.C.B., 1991, p. 729, note PARMENTIER. 187 STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles - Développements récents », in Les sûretés, J.B., 1992, p. 110; T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 266, n° 513; dans le même sens: Anvers, 28 avril 1997, R.W., 1997-1998, p. 368; Comm. Hasselt, 23 février 1995, R.W., 1996-1997, p. 660; Comm. Louvain, 21 novembre 1995, A.J.T., 1995-1996, p. 466; Comm. Hasselt, 3 mars 1994, Limb. rechtsl. 1995, p. 69; Comm. Namur, 22 avril 1982, R.D.C.B., 1982, note L.D.; Bruxelles, 2 juin 1988, p. 1111; Comm. Gand, 18 décembre 1987, J.L.M.B., 1988, p. 11526; Comm. Bruxelles, 30 avril 1987, R.D.C.B., 1988, p. 468; J.L.M.B., 1987, p. 814; Liège, 28 mars 1988, J.L.M.B., 1988, p. 857, note CAEYMAEX; Comm. Bruxelles, 11 novembre 1988, R.N.B., 1989, p. 198; Bruxelles, 20 avril 1976, Pas., 1977, II, p. 80; Comm. Bruxelles, 29 octobre 1991, R.D.C.B., 1992, p. 342; Comm. Bruxelles, 26 novembre 1991, R.D.C.B., 1992, p. 340; Comm. Gand, 19 janvier 1989, J.L.M.B., 1992, p. 462; Bruxelles, 8 juin 1989, R.D.C.B., 1992, p. 252, note LECHIEN; Bruxelles, 20 janvier 1993, J.L.M.B., 1995, p. 137; R.D.C.B., 1994, p. 64; Comm. Hasselt, 8 avril 1993, R.D.C.B., 1994, p. 90; Comm. Dendermonde 1er 1993, R.D.C.B. 1994, p. 939; Comm. Hassels, 7 juin 2001, R.W., 2002-2003. 188 Liège, 28 novembre 1986, J.L.M.B., 1987, p. 120, obs. CAEYMAEX; également Comm. Mons, 8 janvier 1990, J.L.M.B., 1991, p. 495, note CAEYMAEX. 189 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, p. 175, n° 213; T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 240, n° 464. 190 LEDOUX, « Chronique de jurisprudence - Les privilèges et les sûretés », J.T., 1981, n° 61, p. 323 et les réf. citées.

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sanctionnant le non paiement à l'échéance, en ce qu'ils tendent davantage à réparer le préjudice du vendeur qu'à représenter un bénéfice de l'acheteur, ne sont pas privilégiés191. La taxe sur la valeur ajoutée, quant à elle, est, en tous cas, privilégiée car elle est une partie intégrante du prix192. § 3. Assiette 199. L'assiette du privilège est le bien vendu, pour autant que ce dernier n'ait pas été aliéné193, fût-ce par échange, transformé ou immobilisé. 200. Il est nécessaire, pour que le privilège s'exerce, que le bien soit encore la propriété de l'acheteur. Toutefois, si le prix consenti par le tiers acquéreur est encore identifiable dans le patrimoine de l'acheteur initial sur le patrimoine duquel survient le concours, le privilège du vendeur pourra s'exercer par l'effet de la subrogation réelle194. Il en va de même lorsque le véhicule impayé est échangé avec un autre véhicule195. La simple perte de détention, avec maintien de la propriété dans le chef de l'acheteur n'entraîne pas la disparition du privilège, alors que la revente du bien produit cet effet, dès avant la livraison196. Toutefois, le sous-acquéreur d'un bien grevé du privilège peut en subir les effets s'il s'est rendu complice de la violation des obligations de l'acheteur197. 201. Le privilège disparaît également lorsque la chose a subi des transformations matérielles au point d'être méconnaissable. Dans un tel cas, le privilège est caduc à défaut d'assiette identifiable. Cette solution, qui a toutefois été controversée au motif que l'enrichissement de l'acheteur est indépendant de la transformation de l'objet198, est actuellement acquise. 202. Selon l'article 20-5° alinéa 2 de la loi hypothécaire, le privilège « cesse d'avoir effet si (les) objets mobiliers (sur lesquels il porte) sont devenus immeubles par destination ou incorporation (…) ». Cette disposition rappelle que le privilège du vendeur présente un caractère mobilier l'entraînant à disparaître en cas d'immobilisation de son assiette, formant un actif propre à recevoir la charge d'une hypothèque.

191 T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 241, n° 464. 192 Bruxelles, 8 novembre 1978, J.C.B., 1979, p. 305; COPPENS et T'KINT, « Examen de jurisprudence - Faillites et concordats », R.C.J.B., 1979, n° 88, p. 424; contra Comm. Bruxelles, 10 février 1977, J.C.B., 1988, p. 114. 193 Bruxelles, 3 janvier 1990, J.L.M.B., 1990, p. 1084 ; Comm. Bruxelles, 7 février 1996, R.D.C.B., 1997, p. 1205. 194 Bruxelles, 24 janvier 1964, R.W., 1963-1964, col. 1151. 195 Comm. Arlon, 10 février 2000, J.L.M.B., 2002, 241. 196 T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 241, n° 467. 197 Comm. Namur, 19 mars 1991, J.L.M.B., 1992, p. 1134; Liège, 24 décembre 1991, J.T., 1992, p. 202. 198Gand, 23 juin 1984, Pas., 1985, II, p. 12.

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203. Ce sacrifice du vendeur à la consolidation du crédit immobilier connaît une limite par le maintien du privilège dit « industriel »199, dans les conditions décrites à l'article 20-5°, alinéa 2 in fine et suivants: le privilège disparaît « sauf s'il s'agit de machines, appareils, outillage et autre matériel d'équipement professionnel, employés dans les entreprises industrielles, commerciales ou artisanales. Dans ce cas, et pour ces objets, le privilège est maintenu pendant cinq ans à partir de la livraison; toutefois, il n'a d'effet que, pour autant que, dans la quinzaine de cette livraison, une copie certifiée conforme par le vendeur, de la facture, même non acceptée, ou de tout acte constatant la vente, soit déposée au greffe du tribunal de commerce de l'arrondissement dans lequel le débiteur a son domicile et, à défaut de celui-ci, sa résidence (…) ». 204. La nature du bien d'engagement professionnel s'apprécie in concreto en fonction de l'activité exercée réellement par l'acheteur200. La seule circonstance que le bien pourrait faire partie des fonds de commerce de l'acheteur n'est pas nécessairement probante en soi201. Il s’agit de tous les biens durables destinés, au moment de leur achat, à être employés dans l’entreprise. L’usage auquel l’objet est destiné est, selon la cour d’appel, plus déterminant que sa nature. En conséquence, un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 9 octobre 2003202, considère que les meubles de cuisine que le commerçant expose dans une salle d’exposition pour en promouvoir la vente sont des biens d’équipement au sens de l’article 20-5° de la loi hypothécaire, de sorte que, pour autant que la facture en ait été déposée dans les quinze jours de la date de livraison des derniers éléments, le bénéfice du privilège doit être reconnu à la créance du prix de vente. 205. Lorsque le vendeur s'engage à livrer une machine et, en outre, à la monter pour la rendre propre à l'usage auquel elle est destinée, la livraison n'est parfaite qu'après l'achèvement du montage, de sorte que le délai de quinze jours précité ne prend cours qu'à cette date203 sans qu'il soit nécessaire d'attendre que le bien soit opérationnel204. Ce délai est un délai préfix et ne peut être prolongé, conformément aux règles du Code judiciaire205. L'accomplissement de cette formalité conserve le privilège jusqu'au terme de la liquidation, en cas de faillite ou de saisie immobilière pratiquée avant l'expiration des cinq ans206.

199 Pour une comparaison entre ce privilège et celui du vendeur de matériel agricole, voir DEBACKER, « Le privilège du vendeur de matériel agricole est-il plus sûr que celui du vendeur ordinaire et que celui du vendeur de matériel industriel, commercial et artisanal ? », Rev. Banque, 1984, p. 53. 200 Comm. Namur, 4 janvier 1996, Rev. Rég. Dr. 1996, p. 276; Comm. Charleroi, 26 mars 1991, J.L.M.B., 1993, p. 172. 201 Cass., 5 décembre 1986, Pas., 1987, I, 427. 202 J.L.M.B., 2005, p. 867. 203 Comm. Liège, 17 janvier 1984, J.L.M.B., 1984, p. 231; R.D.C.B., 1986, p. 376. 204 Comm. Liège, 9 janvier 1990, R.D.C.B., 1990, p. 991. 205 Cass., 1er octobre 1998, J.T., 1999, p. 211m; Comm. Audenaerde, 27 janvier 1987, R.W., 1987-1988, p. 89; R.D.C.B., 1987, p. 713; COPPENS et T'KINT, « Examen de jurisprudence – Les faillites, les concordats et les privilèges », R.C.J.B., 1991, p. 564. 206 Article 20-5°, alinéa 4 de la loi hypothécaire.

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206. Le domicile d'une personne morale au sens de cette disposition légale constitue en principe son siège social207. La formalité doit être respectée même si l'acheteur est une société en formation208. 207. Les greffiers près les tribunaux de commerce sont tenus sur indication préalable de l'identité de l'acheteur, d'assurer à toute personne qui en fait la demande, communication sans frais et sans déplacement, de la copie de la facture ou de tout acte constatant la vente, même si ces documents sont imparfaits. Ils n'ont pas à délivrer un écrit établissant l'existence du dépôt209. 208. Lorsqu'une commande globale a fait l'objet de plusieurs factures dont une seule est déposée au greffe, le privilège ne s'étend pas à la totalité du matériel livré; il se borne à celui qui fait l'objet de la facture déposée210. 209. Par ailleurs, il a été décidé que le privilège du vendeur de machines, appareils, outillage et autre matériel d'équipement professionnel, employés dans les entreprises industrielles, commerciales ou artisanales, ne peut être étendu à la vente d'une voiture automobile de luxe dont il n'est pas prouvé par le créancier qu'elle était utilisée par l'acheteur pour les besoins de son commerce211. § 4. Autres garanties 210. Le vendeur bénéficie des garanties de droit commun que sont l'exception d'inexécution et le droit de rétention qui lui permettent de ne pas livrer la chose qu'il détiendrait encore tant que le prix n'en a pas été payé par l'acheteur. A ceux-ci s'ajoute le droit de résolution sanctionnant l'inexécution du contrat par l'acheteur et conduisant à libérer le vendeur de son obligation de livrer la chose lorsque cela n'a pas été fait, ou de la revendiquer dans le cas inverse. Le vendeur peut, en outre, contractuellement prévoir que la clause résolutoire précitée sera renforcée, au point d'agir automatiquement, sans contrôle judiciaire préventif, dans les conditions que la convention détermine. Enfin, le contrat peut encore réserver au vendeur la propriété du bien vendu jusqu'au paiement complet du prix de vente212.

207 Comm. Ypres, 26 octobre 1992, R.D.C.B., 1994, p. 88. 208 Liège, 6 décembre 1990, J.T., 1991, p. 496. 209 Réponse du Ministre à la question n° 111 de M. de Clippele du 9 juillet 1984, R.N.B., 1984, p. 611. 210 Comm. Charleroi, 1er février 1983, R.D.C.B., 1984, p. 253. 211 Mons, 17 novembre 1976, Pas., 1977, II, p. 141; Comm. Tongres, 30 mai 1995, DAOR n° 38, p. 87; Mons, 20 novembre 1990, R.D.C.B., 1991, p. 706. 212 Sur ces questions, voir SCHREUDER, « La protection juridique du vendeur impayé d'effets mobiliers », A.D., 1979, pp. 13-76; GOSSELIN, « Protection du vendeur: les garanties légales et conventionnelles », A.D., 1994, pp. 935-971.

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211. Tant le droit de rétention que l'exception d'inexécution sont opposables aux tiers en cas de concours survenant sur le patrimoine de l'acheteur213; en revanche, le droit de résolution, de droit commun ou contractuellement renforcé, doivent être invoqués avant l'ouverture de la voie d'exécution concernant le bien vendu214. 212. En ce qui concerne la clause de réserve de propriété, l'article 101 de la loi sur les faillites dispose que « la faillite ne porte pas atteinte au droit de revendication du propriétaire des biens détenus par le débiteur. Toutefois, les biens meubles vendus avec une clause suspendant le transfert de propriété jusqu'au paiement intégral du prix ne peuvent être revendiqués auprès du débiteur, conformément à cette clause, que si celle-ci a été établie par écrit au plus tard au moment de la délivrance de ces biens. Ainsi, ils ne peuvent être devenus immeubles par incorporation ou être confondus avec un autre bien meuble. A peine de déchéance la revendication doit être exercée avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances ». L'invocation fructueuse d'une clause de réserve de propriété en cas de faillite suppose donc l'établissement d'un écrit. Cette exigence n'est qu'une condition d'opposabilité aux tiers des effets de la clause, mais non de validité. Hors du concours, l'efficacité de la réserve de propriété ne requiert pas entre les parties, l'établissement d'un écrit, pourvu que l'échange de leurs consentements à ce sujet soit certain215. 213. Le vendeur se voit enfin reconnaître deux actions dites « en revendication » d'une nature particulière216. En premier lieu, l'article 20-5°, alinéa 6 de la loi hypothécaire attribue au vendeur impayé, en cas de vente au comptant, le droit de "revendiquer les objets vendus" dans les huit jours de la livraison. L'utilisation de la notion de "revendication" s'explique par l'influence de l'ancien droit, lui-même imprégné de droit romain, dans lequel le transfert de propriété ne s'effectuait qu'au moment du paiement du prix. En droit actuel, en revanche, le bien appartient en principe à l'acheteur à la faveur du seul échange de consentement, de sorte que l'utilisation du terme "revendication", qui désigne la reprise de possession de choses dont le revendiquant est propriétaire, est inadéquat. Actuellement, le droit de "revendication" prévu à l'article 20-5°, alinéa 6 de la loi hypothécaire doit être analysé comme une sorte de mesure conservatoire, de nature à permettre la récupération des choses livrées par le vendeur, armé à nouveau par ce biais du droit de rétention et de l'exception d'inexécution tous deux opposables aux créanciers de l'acheteur en cas de concours. Cette mesure est soumise aux mêmes déchéances que le privilège en cas d'aliénation, de transformation ou d'immobilisation du bien concerné. La déchéance intervient également en matière de faillite

213 Cass., 7 novembre 1935, Pas., 1936, I, 38; Cass., 7 octobre 1976, Pas., 1977, I, 154. 214 Cass., 21 mars 1929, Pas., 1929, I, 139; Cass., 28 mai 1946, Pas., 1946, I, 204 avec les conclusions de Monsieur le Procureur général CORNIL; Cass., 31 mai 1956, Pas., 1956, I, 1051; Cass., 9 février 1933 – deux arrêts, Pas., 1933, I, 103. 215 CATTARUZZA et GEORGES, Privilèges et hypothèques, p 81. 216 Sur la revendication pouvant appartenir au donneur de leasing, voir BRULS et BUYSSCHAERT, « La location-financement ou leasing immobilier – Chron. Jur. 1988-1993 », J.T., 1994, pp. 461-471.

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ou de concordat, pour la raison que toute saisie-revendication se trouve dans ces deux situations. La reprise du bien par le vendeur en devient ainsi impossible matériellement217. En second lieu, l'article 104 de la loi sur les faillites dispose que « pourront être revendiquées les marchandises expédiées au failli tant que la livraison n'en aura pas été effectuée dans les magasins ». L'utilisation de la notion de "revendication" est contestable dans ce cas comme dans celui de l'article 20-5°, alinéa 6 de la loi hypothécaire. En effet, l'acheteur est propriétaire de la marchandise achetée par l'échange des consentements ou par la spécification, éléments antérieurs à l'expédition. Le droit institué par l'article 104 de la loi sur les faillites, dit droit de « stoppage in transitu », ne s'identifie dès lors pas à proprement parler à une action en revendication. Il s'analyse comme une mesure conservatoire de nature à rétablir le vendeur dans la position favorable que lui confère la conservation de la détention des biens vendus. Par un arrêt du 18 novembre 1971218, la Cour de cassation a décidé que le « stoppage in transitu » ne trouvait à s'appliquer qu'en cas de faillite de l'acheteur et non dans un autre cas de concours. C. Le privilège des sommes dues pour semences, frais de récolte et

ustensiles servant à l'exploitation § 1. Texte 214. L'article 20-2° de la loi hypothécaire prévoit que sont privilégiées « les sommes dues pour les semences ou pour les frais de la récolte de l'année, sur le prix de cette récolte, et celles dues pour ustensiles, servant à l'exploitation sur le prix de ces ustensiles ». § 2. Créance garantie 215. Les frais de récolte sont ceux qui sont relatifs à l'action même de récolter, c'est-à-dire la moisson, la cueillette, la vendange ou tout travail nécessaire pour recueillir et mettre en sûreté les fruits arrivés à maturité. Ils sont privilégiés sur le prix de la récolte de l'année, et sur celui des années antérieures ou postérieures219, pourvu que ces récoltes ou leur prix soient encore identifiables220. En revanche, si les travailleurs fournissent leurs prestations dans le cadre d’un contrat de travail, elles ne seront pas considérées comme étant

217 CATTARUZZA et GEORGES, Privilèges et hypothèques, p. 76. 218 Pas., 1972, I, 262 avec les conclusions de Monsieur le Procureur général DUMON, alors avocat général; J.C.B., 1971, p. 492; J.T., 1971, p. 62; R.C.J.B., 1973, p. 5, note HEENEN. 219 CATTARUZZA et GEORGES, Privilèges et hypothèques, p. 547; Comm. Bruges 31 janvier 1991, R.D.C.B., 1991, p. 753; Cass. 16 décembre 1994, R.W., 1994-1995, p. 1364, note VAN HAEGENBORGH. 220 Cass., 16 décembre 1994, R.W., 1994-1995, p. 1364, note VAN HAEGENBORGH.

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nécessairement et directement liées à la récolte et leurs créances de rémunération ne seront dès lors nullement privilégiées221. 216. Les sommes dues pour les ustensiles servant à l'exploitation comprennent non seulement le prix d'achat de ces objets, mais également le coût des réparations et des améliorations qui y ont été apportées. Le privilège porte sur le produit de réalisation de ces ustensiles222. § 3. Assiette 217. Les sommes dues pour les semences sont privilégiées sur le prix de la récolte provenant directement de ces semences impayées223. 218. Ne sont pas privilégiées, en revanche, les sommes dues à un fournisseur de plantes de culture224. SECTION 4. LES PRIVILEGES ASSURANT LA PROTECTION D'UN CREANCIER

EN RAISON DE SA POSITION DE FAIBLESSE OU DE VICTIME A. Le privilège du sous-traitant § 1. Texte 219. En vertu de l'article 1er de la loi du 19 février 1990 complétant l'article 20 de la loi hypothécaire et modifiant l'article 1798 du Code civil en vue de protéger les sous-traitants225, l'article 20 de la loi hypothécaire est complété par un 12°, libellé comme suit: "12° pendant cinq ans à dater de la facture, la créance du sous-traitant contre son cocontractant-entrepreneur pour les travaux qu'il a effectués ou fait effectuer à l'immeuble du maître de l'ouvrage, (est privilégiée) sur la créance se rapportant à la même entreprise qu'à ce cocontractant-entrepreneur contre le maître de l'ouvrage. Le sous-traitant est considéré comme entrepreneur et l'entrepreneur comme maître de l'ouvrage à l'égard des propres sous-traitants du premier".

221 VAN OMMESLAGHE, « L. Hyp., Art. 20, 2” in Privilèges et hypothèques, Kluwer, 2004. 222 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, p. 151 et suivantes ; De Backer, « Le privilège du vnedeur de matériel agricole est-il plus sûr que celui du vendeur ordinaire et que celui du vendeur de matériel industriel, commercial et artisanal ? », Rev. Banque, 1984, p. 54. 223 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, n° 192; DE RIJCKE, Voorrechten, P.R. 62, n° 105. 224 Comm. Gand, 24 décembre 1999, R.W., 2001-2002, p. 350. 225 M.B. 24 mars 1990.

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§ 2. Créance garantie 220. La créance assortie du privilège est celle qui, issue du contrat d'entreprise en sous-traitance, appartient au sous-entrepreneur à l'encontre de l'entrepreneur principal, relativement aux travaux sous-traités226. 221. Seules les prestations matérielles, et non les services intellectuels fournis par un bureau d’études peuvent emporter la reconnaissance du privilège227. Dans le même ordre d’idées, les frais afférents à la mise à disposition de grues et de personnel228 ou à la livraison de béton déversé sur le chantier, même si cette matière a été fabriquée en fonction de critères spécifiques229 ne peuvent davantage bénéficier du privilège. En outre, peuvent être privilégiées les sommes dues pour des travaux effectués sur un immeuble précisément concerné par le chantier à l’occasion duquel fut conclu le sous-traité, à l’exclusion de créances relatives à d’autres immeubles du même maître de l’ouvrage230. Le sort des créance provenant de la réalisation de biens meubles façonnés en vue d’une installation dans l’immeuble du maître de l’ouvrage est plus délicat à déterminer. Si de tels objets ont été livrés par le fournisseur à l’entrepreneur général et ensuite par ce dernier au maître de l’ouvrage, le privilège doit être refusé231, alors qu’il peut être reconnu au façonnier chargé par l’entrepreneur principal, d’effectuer lui-même les actes d’incorporation232. Les immeubles par destination, en revanche, telles les chaises, les tables, demeurent hors du champ d’application du privilège, selon la jurisprudence233. 222. Par son arrêt du 22 mars 2002234, la Cour de cassation a décidé qu’« en vertu de (l’article 20-12° de la loi hypothécaire), la créance du sous-traitant contre son cocontractant-entrepreneur est privilégiée, pendant cinq ans à dater de la facture, pour les travaux qu’il a effectués ou fait effectuer à l’immeuble du maître de l’ouvrage sur la créance se rapportant à la même entreprise qu’à ce cocontractant-entrepreneur contre le maître de l’ouvrage ; (…) cette

226 STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles - Développements récents », J.B. Bruxelles, p. 115. 227 Anvers, 17 décembre 1998, R.W., 1998-99, 1046. 228 Comm. Gand, 17 juin 1997, R.W., 1997-1998, 680, R.D.C.B. 1998, 116. 229 Comm. Gand, 1er octobre 2001, R.G.D.C., 2002, 146. 230 BRULS, « Le droit du sous-traitant au paiement du prix dans le droit privé, Act. dr. 1992, 235 ; JACMAIN, « L’article 20-12° de la loi loi hypohtécarie », in Privilèges et hypothèques, Kluxer, n° 7. 231 Civ. Liège (saisies), 15 mai 1995, J.L.M.B., 1996, 881. 232 Comm. Liège, 25 juin 1997, J.L.M.B., 1998, 1246. 233 Comm. Liège, 25 juin 1997, précité, J.L.M.B., 1998,1246 ; Civ. Liège (saisies), 15 mai 1995, précité, J.L.M.B., 1996, 881. La question est toutefois discutée en doctrine – Voy. CAEYMAEX, « Les créances des sous-traitant », in Le point sur le droit des sûretés, Formation permanente CUP, 2000, 258 ; CUYPERS, « De rechtstreekse vordering en het voorrecht van de onderaannemer », R.W., 1997-98, 807 ; RENARD et VAN DEN ABEELE, « Les garanties offertes aux sous-traitants en cas de défaillance de l’entrepreneur général », Entr. et Dr., 1997, 147. 234 J.T., 2002, p. 447; D.A.O.R., 2002, p. 266, avec les conclusions de Monsieur l’Avocat général DE RIEMACKER ; R.W., 2003-2004, p. 812 ; R.J.I., 2002, p. 129.

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disposition, en tant qu’elle se réfère à la créance du sous-traitant pour les travaux qu’il a effectués ou fait effectuer, est conçue en termes généraux et vise tant le prix de ces travaux que les accessoires de ce prix ; qu’il résulte des travaux préparatoires que le législateur s’est donné pour objectif de protéger le sous-traitant contre les risques d’insolvabilité de l’entrepreneur avec lequel il a contracté ; que la proposition de loi initiale, qui prévoyait uniquement un privilège, fut complétée par une action directe contre le maître de l’ouvrage laquelle porte tant sur le principal que sur les accessoires de la créance ; (…) que le moyen, qui soutient que l’article 20-12° de la loi hypothécaire ne concerne pas les intérêts de retard ni l’indemnité due en vertu d’une clause pénale manque en droit ». Cet arrêt, qui tranche une controverse qui divisait la doctrine et les juridictions de fond, fut pris sur les conclusions conformes de Monsieur l’Avocat général De Riemacker. Ce dernier relève que deux thèses peuvent être développées sur cette question. D’une part, selon certains, si la créance pour les travaux est le prix dû pour ceux-ci, il en résulte que ne sont pas privilégiées les sommes dues au sous-traitant pour d’autres causes que celles du prix des travaux exécutés, tels que les amendes de retard, les clauses pénales, frais de justice ou dommages-intérêts235. Selon les autres, en revanche, si la créance est celle qui naît du contrat d’entreprise, toutes les sommes dues en vertu de la relation contractuelle, y compris les accessoires du prix, doivent bénéficier du privilège236. Pour opter entre l’une ou l’autre voies, le haut magistrat, suivi par la Cour, retient deux critères : le libellé même du texte et sa ratio legis. Il est vrai qu’ainsi que les conclusions le soulignent, les termes utilisés par l’article 20-12° de la loi hypothécaire vise la « créance », sans limitation. Il est vrai également que les travaux préparatoires révèlent le parallélisme parfait entre les objectifs poursuivis par l’octroi du privilège et ceux recherchés par la reconnaissance de l’action directe, de sorte qu’il paraît raisonnable de conférer la même portée à la créance-cause de l’une et l’autre garanties. La Commission de la justice, ayant préféré ne pas avoir à choisir entre les deux options, a considéré que « l’action directe (…) devrait profiter aux sous-traitants les plus importants qui auront les moyens de mettre en œuvre une action judiciaire onéreuse » et « que les petits sous-traitants (…) seront protégés par le privilège ». L’Avocat général estime que « Le but de la loi a donc bien été d’éviter les faillites successives d’entreprises et, partant, de permettre au sous-traitant de rentrer le plus rapidement possible dans ses frais. Le rattachement de la créance privilégiée au contrat (…) paraît par ailleurs être en conformité avec l’arrêt de principe rendu (par la Cour de cassation) le 21 décembre 2001 à propos de la question de savoir si l’action directe dont le sous-traitant bénéficie en vertu de l’article 1798 du Code civil contre le maître de l’ouvrage peut s’exercer à raison de toutes les créances que le sous-traitant possède à l’encontre de l’entrepreneur principal ou seulement celles relatives à l’entreprise dont l’entrepreneur principal a été chargé par le maître de l’ouvrage. (…) Par cette décision, (la Cour de cassation) retient que l’action directe se meut 235 Voir pour cette thèse, CUYPERS, « De rechtstreekse vordering en het voorrecht van onderaannemer », R.W., 1998, p. 808; RENARD ET VAN DEN ABEELE, « Les garanties offertes aux sous-traitants en cas de défaillance de l’entrepreneur général », Entr.& Dr., 1997, p. 146. 236 Voir pour cette thèse, DIRIX, « Het voorrecht in de directe vordering van de onderaannemer », R.W., 1990, p. 1233; DIRIX et DE CORTE, Zekerhedenrechten, Kluwer, 1990, n° 228, p. 117.

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dans la relation triangulaire contractuelle, à savoir : l’exercice de cette action directe à l’origine du contrat de sous-traitance lequel s’inscrit ensuite dans le contrat d’entreprise liant l’entrepreneur principal au maître de l’ouvrage. Un raisonnement analogue peut être tenu concernant le privilège des sous-traitants lequel s’inscrit également dans la relation triangulaire contractuelle. La créance du sous-traitant contre son cocontractant-entrepreneur pour les travaux qu’il a effectués ou fait effectuer à l’immeuble du maître de l’ouvrage, qui bénéficie du privilège de l’article 20-12° alinéa 1er de la loi hypothécaire, se rapporte au contrat de sous-traitance et vise donc tant le prix facturé que les accessoires contractuellement arrêtés »237. § 3. Assiette 223. Le privilège doit s'exercer sur la créance, issue du contrat d'entreprise principal, de l'entrepreneur principal à l'encontre du maître de l'ouvrage. L'entreprise doit porter sur des travaux effectués à un immeuble et ne peut donner naissance au privilège s'il s'agit de façonnage d'objets mobiliers remis à l'entrepreneur principal et installés ensuite chez le maître de l'ouvrage238. 224. L'exercice du privilège suppose qu'une procédure d'exécution forcée ait été introduite et que la créance de l'entrepreneur se trouve encore dans son patrimoine à ce moment. Elle ne peut dès lors avoir été antérieurement ni payée ni cédée239. § 4. Particularité 225. Par ailleurs, la limitation du privilège aux créances constatées par des factures établies dans les cinq années précédant l'exercice du privilège est motivée par la considération que "si le sous-traitant n'a pas exercé son droit de créance pendant plus de trois ans (période portée à cinq ans en cours de discussions parlementaires), il paraît (…) plus plausible que sa faillite éventuelle soit due à la négligence plutôt qu'à un manque de connaissances juridiques"240. Les travaux préparatoires ne précisent toutefois pas si l'exercice de la créance devant prendre place dans les cinq années de la facturation consiste en l'introduction d'une action judiciaire tendant à l'obtention d'un titre exécutoire ou en l'intentement d'une procédure

237 Voir les conclusions de Monsieur l’Avocat général DE RIEMACKER précitées au D.A.O.R., 2002, p. 266. 238 Civ. Liège (saisies), 15 mai 1995, J.L.M.B. 1996, p. 881; Bruxelles, 8 novembre 1995, DAOR, 1995, p. 89 ; Comm. Liège, 25 juin 1997, J.L.M.B., 1997, p. 1247 ; R.D.C.B., 1997, p. 665, note VAN BUGGENHOUT ; Comm. Verviers, 10 novembre 1997, R.D.C.B., 1998, p. 462 ; Anvers, 17 décembre 1998, R.W., 1998-1999, p.1046 ; Gand, 21 février 2001, R.D.C.B., 2002, p. 449 ; Comm. Hasselt, 24 décembre 2002 , R.A.B.G., 2003, p. 1195, note GOOSSENS ; dans le même sens: Comm. Ypres, 6 février 1995, R.D.C.B., 1996, p. 564) 239 CAEYMAEX, Manuel des sûretés mobilières, p. 80/4; Comm. Liège 10 janvier 1995, R.D.C.B., 1997, p. 562) 240 Pasin. 1990, p. 339.

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d'exécution forcée au sens strict. A notre avis, cette seconde réponse est correcte car seule la saisie (individuelle ou collective) consacre l'exercice d'un privilège. Il convient, dès lors, d'être attentif à ce délai de déchéance, en introduisant la procédure judiciaire suffisamment tôt pour que l'exécution du titre puisse être requise avant l'expiration du délai quinquennal. En cas de factures successives, un délai de cinq ans court à dater de l’établissement de chacune d’elles241. § 5. L’action directe a. Notion 226. Pour protéger le sous-traitant en dehors de l'intervention d'une telle procédure d’exécution forcée, l'article 2 de la loi précitée du 19 février modifie l'article 1798 du Code civil en ce sens: "Les maçons, charpentiers, ouvriers, artisans et sous-traitants qui ont été employés à la construction d'un bâtiment ou d'autres ouvrages faits à l'entreprise ont une action directe contre le maître de l'ouvrage jusqu'à concurrence de ce dont celui-ci se trouve débiteur envers l'entrepreneur au moment où leur action est intentée. Le sous-traitant est considéré comme entrepreneur et l'entrepreneur comme maître de l'ouvrage à l'égard des propres sous-traitants du premier". Les travaux préparatoires expriment l'opportunité du cumul des deux protections ainsi accordées au sous-traitant242. D'une part, le privilège assure le respect de la créance du sous-traitant dans la procédure de faillite, malgré son inertie et son incompétence juridiques éventuelles. D'autre part, l'action directe permet au sous-traitant plus actif de faire valoir ses droits sans être contraint de prendre l'initiative d'intenter une procédure d'exécution forcée ou sans attendre que s'ouvre une procédure collective. L'action directe ne doit pas nécessairement être exercée dans un délai de cinq ans calculé à dater de la facturation. b. Créance-cause 227. Certaines décisions judiciaires avaient estimé qu’au contraire de l’assiette du privilège du sous-traitant, l’assiette de l’action directe du sous-traitant devait s’étendre à toute dette certaine du maître de l'ouvrage, même si le montant de celle-ci n'est pas encore liquide et exigible243 et ne concernait pas seulement l’entreprise visée par la facture du sous-traitant. La Cour de cassation a précisé que la créance-cause de l’action directe est celle qui appartient au sous-traitant à raison des travaux relatifs au chantier confié par le maître de

241 BRAUN, « La sous-traitance », in Guide de droit immobilier, p. 65. 242 Voir la justification de l'amendement présenté par M. WATHELET, Chambre, Doc. parl. 1981-1982, n° 294/2 et le rapport fait au nom de la Commission de la Justice par M. VERHAEGEN, Chambre, Doc. Parl. 1982-1983, n° 294/3) 243 Liège 23 mai 1996, J.L.M.B., 1997, p. 589.

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l’ouvrage à l’entrepreneur principal et ensuite, par celui-ci au sous-traitant. Cette précision a été clairement apportée par un arrêt de la Cour de cassation du 21 décembre 2001244. Dans l’affaire qui fut ainsi tranchée, une société était intervenue sur deux chantiers séparés, comme sous-traitant du même entrepreneur principal, chaque chantier ayant été attribué par un maître de l’ouvrage distinct. Lorsqu’il fut déclaré en faillite, l’entrepreneur principal demeurait débiteur d’importantes sommes non encore payées au sous-traitant pour l’un et pour l’autre chantiers. Sur la base de l’article 1798 du Code civil, le sous-traitant fit citer les deux maîtres de l’ouvrage, devant deux tribunaux de première instance distincts, situés dans des arrondissements différents, à savoir celui de Charleroi et celui de Tournai, relevant l’un comme l’autre du ressort de la Cour d’appel de Mons. Au premier degré, les deux maîtres de l’ouvrage furent nécessairement condamnés séparément. Saisie par ces derniers, la Cour d’appel, après avoir joint les affaires, condamna, par son arrêt du 30 septembre 1999, les maîtres de l’ouvrage ensemble pour la totalité des sommes restant dues au sous-traitant à raison des deux chantiers litigieux, sous la seule restriction que cette condamnation commune devait se limiter au plus faible des montants dus à l’entrepreneur principal. En décidant de la sorte, la Cour d’appel de Mons montrait qu’elle faisait sienne la thèse selon laquelle le sous-traitant peut agir à l’encontre du maître de l’ouvrage pour obtenir le paiement de toute créance généralement quelconque qu’il aurait sur l’entrepreneur principal245. Cette thèse ne fut pas consacrée toutefois par la jurisprudence de la Cour suprême, qui énonce sans équivoque qu’« en vertu de l’article 1798 alinéa 1er du Code civil, les sous-traitants qui ont été employés à la construction d’un bâtiment ou d’autres ouvrages faits à l’entreprise ont une action directe contre le maître de l’ouvrage jusqu’à concurrence de ce dont celui-ci se trouve débiteur envers l’entrepreneur au moment où leur action est intentée ; que le sous-traitant ne peut agir directement contre le maître de l’ouvrage qu’à raison des créances se rapportant aux travaux relatifs au chantier confié par le maître à l’entrepreneur principal et, ensuite, par celui-ci au sous-traitant ; que l’arrêt, qui énonce que la créance du sous-traitant et celle de l’entrepreneur principal ne doivent pas procéder « de travaux réalisés sur le même chantier » et condamne les (maîtres de l’ouvrage chacun) pour le tout à payer (les sommes dues au sous-traitant) viole l’article 1798 du Code civil »246. C’est en ce sens que s’étaient antérieurement prononcés plusieurs éminents auteurs247.

244 R.D.C.B., 2002, p. 443, note DERIJCKE, « Etendue de la créance-cause et de la créance-objet de l’action directe visée à l’article 1798 du Code civil ». 245 En ce sens, : RENARD ET VAN DEN ABEELE, « Les garanties offertes aux sous-traitants en cas de défaillance de l’entrepreneur général », Entr. et Dr., 1997, p. 134 et ss., spéc. p. 139. 246 R.D.C., 2002, p. 444. 247 WERY, « L’action directe du sous-traitant contre le maître de l’ouvrage : bilan de sept années d’application du nouvel article 1798 du Code civil », R.R.D., 1997, p. 169 ; CUYPERS, « De

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228. Reste que la créance doit en tous cas émaner d’un sous-traité conclu entre l’entrepreneur principal et le sous-entrepreneur relativement à des travaux immobiliers248. La notion de sous-traitance suppose l’existence d’un contrat d’entreprise, autrement dit d’un louage d’ouvrage qu’il convient de distinguer avec soin, même si la tâche n’est pas toujours aisée, du contrat de vente ou du contrat de louage de choses. Relevons en substance qu’il s’impose que coexistent un contrat d’entreprise principal, un sous-contrat d’entreprise, ayant en tout ou en partie le même objet que le contrat principal, exécuté de manière indépendante, mais sous l’entière responsabilité de l’entrepreneur principal à l’égard du maître de l’ouvrage249. Pour le surplus, seule l’analyse de l’intention réelle des parties, interprétée souverainement par les cours et tribunaux, selon les méthodes et sous le couvert du contrôle marginal de droit commun, doit conduire à la juste qualification du contrat, le louage d’ouvrage devant, pour que s’applique l’action directe, caractériser principalement l’accord des parties contractantes250. 229. Il est admis que la créance-cause de l’action directe comprenne le principal et tous ses accessoires251. 230. L’action directe ne peut être introduite qu’à partir du moment où la créance du sous-traitant envers le maître de l’ouvrage est certaine, étant entendu qu’il suffit pour cela qu’elle ne soit pas sérieusement contestée, qu’elle soit liquide et exigible252. Cette exigence s’explique par l’objectif même poursuivi par l’action directe, recherchant la condamnation du maître de l’ouvrage au paiement des sommes effectivement dues au sous-traitant. Selon le droit commun, l’action directe se prescrit par dix ans253, à compter du jour où le paiement de la créance aurait dû intervenir. 231. Par un arrêt du 27 mai 2004254, la Cour de cassation a décidé que le sous-traitant employé dans le cadre d’un marché public jouit, comme le sous-traitant intervenant pour la réalisation d’une entreprise privée, de la protection de l’article 1798 du Code civil. Cette

rechtstreekse vordering en het voorrecht van de onderaannemer » in Overeenkomstrecht, Kluwer, 2000, pp. 437 et ss., spéc. pp. 453-454. 248 Sur la nature immobilière des travaux, voir infra et Trib. Liège, 15 mai 1995, J.L.M.B., 1996, p. 881 ; Bruxelles, 8 novembre 1995, D.A.O.R., 1995, p. 89 ; Comm. Verviers, 10 novembre 1997, R.D.C.B., 1998, p. 462 ; Anvers, 17 décembre 1998, R.W., 1998-1999, p. 1046 ; Comm. Gand, 1er octobre 2001, R.G.D.C., 2002, p. 146 ; Comm. Hasselt, 24 décembre 2002, R.A.B.G., 2003, p. 1195, note GOOSSENS. 249 BRAUN, « La sous-traitance » in Guide de droit immobilier, p. 47 ; JACMAIN, « L’article 20-12° de la loi hypothécaire » in Privilèges et hypothèques, Kluwer, n° 2. 250 Liège, 29 janvier 1999, J.L.M.B., 1991, p. 637 ; T.B.R., 2000, p.312. 251 Cass., 22 mars 2002, J.T., 2002, p. 447 ; D.A.O.R., 2002, p. 266 avec les conclusions de Monsieur l’Avocat général DE RIEMACKER ; R.W., 2003-2004, p. 812 ; Res. Jur. Imm., 2002, p. 129, motifs ; Bruxelles, 19 décembre 2002, R.J.C., 2003, p. 138 ; Mons, 9 janvier 2003, J.L.M.B., p. 1041. 252 Comm. Liège, 24 décembre 1999, R.R.D., 2000, p. 493. 253 JACMAIN, « L’article 20-12° de la loi hypothécaire » in Privilèges et hypothèques, Kluwer, n°26. 254 R.D.C.B., 2004, p. 897.

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garantie vient donc s’ajouter à celle que lui offre l’article 23 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services. 232. Ainsi qu’on l’a vu, dans son arrêt du 21 décembre 2001255, la Cour de cassation a estimé que « le sous-traitant ne peut agir directement contre le maître de l’ouvrage qu’à raison des créances se rapportant aux travaux relatifs au chantier confié par le maître de l’ouvrage à l’entrepreneur principal et, ensuite, par celui-ci au sous-traitant ». Cette formulation implique que l’action directe ne peut se mouvoir que dans le strict cadre triangulaire des deux niveaux de contrats relatifs à un même chantier256, bien que, pour certains, eu égard à la traduction néerlandaise officielle de l’arrêt, utilisant les termes « ten beloop » pour exprimer « à raison », il pourrait s’agir d’une limitation quantitative et non qualitative de l’assiette257. Le doute ne semble plus permis désormais eu égard à l’intervention de l’arrêt de la Cour de cassation du 29 octobre 2004258, selon lequel l’action directe du sous-traitant contre le maître de l’ouvrage a pour objet toutes les créances relatives à l’ouvrage visé par le sous-traité, que l’entrepreneur principal puise dans son contrat avec le maître de l’ouvrage. c. L’assiette 233. L’assiette de l’action directe est formée de la créance de l’entrepreneur principal, y compris ses accessoires, indépendamment de l’incertitude temporaire dans laquelle a pu se trouver le maître de l’ouvrage quant au destinataire de son paiement. Ainsi que l’a décidé à bon droit la Cour d’appel d’Anvers, le fait que le maître de l’ouvrage s’interroge sur la question de savoir qui, de l’entrepreneur principal ou du sous-traitant a droit à quel montant, n’enlève rien au fait que ces parties peuvent percevoir les intérêts dans la mesure où leur demande principale en paiement à l’encontre du maître de l’ouvrage est déclarée fondée259. La même Cour d’appel a précisé, dans un arrêt du même jour, que le maître de l’ouvrage ne peut invoquer la circonstance qu’il s’était déclaré disposé à payer mais ne savait pas à qui il devait le faire pour obtenir une réduction des intérêts260. C’est dans le même sens que se prononce, à bon droit, la Cour d’appel de Bruxelles261. 234. Il n’est pas requis cependant, pour que l’action directe puisse produire son effet, que la créance de l’entrepreneur principal envers le maître de l’ouvrage soit exigible lors de

255 Voir supra, R.D.C.B., 2002, p. 443. 256 WERY, « L’assiette de l’action directe du sous-traitant », D.A.O.R., 2002, p. 265. 257 DE RIJCKE, note sous Cass., 21 décembre 2001, R.D.C., 2002, p. 448 ; Comp. T’KINT ET DE RIJCKE, « Overzicht van rechtspraak (1990-2004) – Het voorrecht en de rechtstreekse rechtsvordering van de onderaannemer tegen de bouwheer », R.D.C.B., 2004, p. 864. 258 R.G.C., 03.0366, N, www.Cass.be. 259 R.D.C.B., 2002, p. 466. 260 R.D.C.B., 2002, p. 470. 261 Bruxelles, 19 décembre 2002, R.J.T., 2003, p. 138.

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l’introduction de la poursuite par le sous-traitant262. Il n’est pas davantage nécessaire qu’elle soit déjà à ce moment entièrement liquide263. d. Modalités d’exercice 235. Il est crucial de déterminer le mode à adopter par le sous-traitant pour la mise en œuvre de son action directe, car de cet élément découle plusieurs conséquences fondamentales. En définitive, l’exercice de l’action directe emporte le transfert au bénéfice du sous-traitant de la créance appartenant jusque là à l’entrepreneur principal mais désormais détournée du patrimoine de ce dernier pour ouvrir, à l’encontre du maître de l’ouvrage, un droit tangentiel, dégagé, pour l’avenir, des aléas du rapport juridique intermédiaire. De cet instant de transfert, part notamment la ligne de distinction entre les exceptions pouvant être invoquées par le maître de l’ouvrage et celles qui lui sont refusées. L’opération est classique en matière d’action directe en général. 236. En effet, on appelle action directe, l'action que possède un créancier en son nom personnel contre un tiers, débiteur de son débiteur, en vue d'obtenir le paiement de ce qui lui est dû par ce dernier264. L'action directe repose sur deux rapports juridiques distincts: elle trouve sa source dans le contrat entre le titulaire de l'action et le débiteur intermédiaire, mais emprunte l'objet de son droit, ou à tout le moins la limite maximale de celui-ci, dans le contrat conclu entre le défendeur à l'action et le débiteur intermédiaire265. Ainsi, "le titulaire de l'action directe est une personne qui, étrangère au contrat conclu par son débiteur, devient néanmoins créancière du débiteur de celui-ci par l'effet de la loi"266. 237. L'utilisation de l'action directe n'est qu'une faculté pour celui qui en bénéficie. En conséquence, bien que par le jeu de l'action directe, un créancier soit investi du pouvoir de détourner à son profit exclusif le bénéfice d'un contrat conclu entre le défendeur à l'action et le débiteur intermédiaire267, ce dernier conserve, aussi longtemps que l'action directe n'est pas intentée, le droit de poursuivre le débiteur final268. En règle générale, le paiement exécuté à la suite d'une telle poursuite est libératoire pour le débiteur. Il n'en va autrement que lorsque l'assiette de l'action directe se trouve d'emblée 262 Cass., 19 octobre 2004, précité, R.G.C. 03.0355 N, www.cass.be. 263 Liège, 30 juin 2000, J.T., 2001, p. 597. 264 Enc. Dalloz, V° Action directe, n° 8. 265 SIMONT, « L'action directe de la victime d'un accident automobile contre l'assureur du propriétaire de celle-ci », R.C.J.B., 1962, p. 469. 266 HAYOIT DE TERMICOURT, conclusions précédant Cass., 18 octobre 1945, Pas., 1945, I, 240. 267 NONET, « Action directe et inopposabilité des exceptions », Ann. Dr. Liège 1963, p. 62, n° 2; JASSOGNE, « Action directe et privilège du sous-traitant, R.R.D., 1991, p. 121; CAEYMAEX, « De nouvelles garanties pour les sous-traitants », Entreprendre, nov. 1990, p. 45. 268 MARTY et RAYNAUD, T2, p. 718, n° 695c.

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réservée à son bénéficiaire, indépendamment de la mise en oeuvre de ses droits, comme le prévoit la loi, par exemple au profit de la victime, créancière d'un assuré et disposant d'une action directe envers l'assureur. Dans de telles hypothèses, l'action directe est dite "parfaite" selon une terminologie de la doctrine française, et le paiement effectué par le débiteur à une personne autre que le bénéficiaire de l'action directe, ne serait pas libératoire269. 238. Le transfert de la créance du débiteur intermédiaire au profit de son créancier est doublement limité: d'une part, il n'opère qu'à l'instant de l'introduction de l'action; d'autre part, il est à la mesure du montant le plus faible, s'agissant d'une comparaison entre la dette du débiteur intermédiaire envers le demandeur et celle du défendeur envers le débiteur intermédiaire270. L'action directe se distingue ainsi de la cession de créance, malgré le transfert de droit qu'elle implique271. 239. En revanche, hormis son origine légale et non conventionnelle, l'action directe s'identifie, quant aux effets qu'elle produit, à la notion de délégation: le paiement par le défendeur à l'action272. Il est généralement admis que l'intentement de l'action directe n'est soumis à aucune formalité et qu'il peut dès lors être réalisé par simple lettre, voire même par simple demande verbale, pourvu qu'elle soit prouvée, réclamant le paiement au débiteur du débiteur du demandeur273. 240. Repérer l'instant de l'intentement de l'action directe est donc indispensable à la détermination du départ entre les exceptions que le défendeur à l'action directe peut opposer avec succès au demandeur, et celles dont l'invocation lui est refusée. En effet, sauf dans les cas où la loi prévoit que le droit exclusif existe ab initio et n'est pas subordonné à la mise en oeuvre de l'action directe, c'est-à-dire dans les cas d'actions directes "parfaites", (voir supra), c'est l'exercice de celle-ci qui imprime un blocage, une immobilisation de la créance du débiteur intermédiaire, par la mainmise qu'elle entraîne274.

269 MARTY et RAYNAUD, T2, p. 719, n° 697, 2°; adde: NONET, « Action directe et inopposabilité des exceptions », Ann. Dr. Liège 1961, p. 74; Enc. Dalloz V° Action directe, n° 90. 270 BRULS, « La loi du 19 février 1990 complétant l'article 20 de la loi hypothécaire et modifiant l'article 1798 du Code civil, en vue de protéger les sous-traitants, une réforme d'efficacité limitée », Actualités du droit 1991, p. 777, n° 36; SIMONT, « Contribution à l'étude de l'article 1798 du Code civil », note sous Cass., 21 février 1964, R.C.J.B., 1964, p. 39; BEUDANT, Cours de droit civil, T. XII, p. 249. 271 Enc. Dalloz, V° Action directe, n° 20; MARTY et RAYNAUD, Droit civil, T2, p. 716. 272 Enc. Dalloz, V° Action directe, n° 18. 273 Enc. Dalloz, V° Action directe, n° 60. 274 NONET, « Actions directes et inopposabilité des exceptions », Ann. Dr. Liège 1963, p. 72; JASSOGNE, « Action directe et privilège du sous-traitant », R.R.D., 1991, p. 124; CAEYMAEX, « De nouvelles garanties pour les sous-traitants », Entreprendre, nov. 1991, p. 45; Enc. Dalloz V° Action directe, n° 82.

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En conséquence, seules les exceptions dont la cause remonte à un événement antérieur à l'exercice de l'action directe sont opposables au créancier poursuivant275. Ainsi, en va-t-il de la nullité de la créance du débiteur intermédiaire, ou de l'exception d'inexécution dont l'existence est réputée contemporaine à la naissance du contrat synallagmatique276 ou encore de la compensation pour autant que les conditions de réciprocité, certitude, liquidité et exigibilité se soient trouvées réunies avant l'intentement de l'action directe277. 241. L'emprise exercée sur la créance antérieurement à l'action directe à l'initiative d'un tiers entrave également l'efficacité de cette mesure278. La saisie-arrêt conservatoire est de nature à empêcher par l'effet immobilisateur qu'elle produit, le transfert des droits qu'entraîne l'intentement de l'action directe, celle-ci ne pouvant recevoir l'exécution qu'après la levée éventuelle de la saisie279. 242. En cas de transformation de la saisie conservatoire en saisie-exécution, le transfert du produit de la créance saisie au profit du demandeur à l'action directe n'est pas davantage possible. Dans le cas du sous-traitant, c'est le privilège qui pourrait alors trouver à s'exercer par la simple participation à la procédure d'exécution. Action directe et privilège sont, en effet, deux garanties appelées à protéger leur bénéficiaire dans des situations différentes; la première peut être utilisée lorsque la créance visée (celle du débiteur intermédiaire sur le défendeur à l'action) ne fait pas l'objet d'une mesure de saisie particulière ou globale; le second intervient au contraire en cas de concours, donc de saisie280. 243. Comme l'a écrit à juste titre Monsieur Dirix, si les effets de la saisie-arrêt s'opposent à l'efficacité de l'action directe, il en va de même a fortiori de la faillite, car cette procédure n'est autre qu'une mesure collective de saisie globale d'origine légale281. 244. Certes, l'action directe intentée avant la faillite peut se poursuivre après le jugement déclaratif, puisque la créance visée, comme on l'a déjà relevé, quitte le patrimoine du futur failli pour rejoindre celui du créancier agissant. La faillite ou la saisie postérieures frappent dès lors dans le vide et ne peuvent atteindre un actif qui, par le voeu de la loi, a changé de titulaire.

275 VAN OMMESLAGHE, « Ex. jur. Les obligations », R.C.J.B., 1986, p. 188, n° 84. 276 Cass., 13 septembre 1973, Pas., 1974, I, p. 31, R.C.J.B., 1974, p. 511; Comm. Liège, 26 octobre 1994, R.D.C.B., 1996, p. 555. 277 Enc. Dalloz, V° Action directe, n° 92. 278 DIRIX, « Het voorrecht en de directe vordering van de onderaannemer », R.W., 1989-1990, p. 1235; BEUDANT, « Cours de droit civil français », t. XII, p. 252; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. 2, p. 934, n° 921. 279 DIRIX, Obligatoire verbondingen tussen contracten en derden » , Kluwer, pp. 106 et ss. 280 JASSOGNE, « Action directe et privilège du sous-traitant », R.R.D., 1191, p. 126. 281 DIRIX, “Het voorrecht en de directe vordering van de onderaannemer" R.W., 1989-1990, p. 1235; comp. CLOQUET, « Faillite et concordat » in Les Novelles, t. IV, n° 1411; SIMONT, « Contribution à l'étude de l'article 1798 du Code civil », R.C.J.B., 1964, p. 40.

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Cette question était toutefois controversée avant les arrêts de principe de la Cour de cassation des 27 mai 2004282 et 23 septembre 2004283. Il fut certes toujours admis que l’action directe exercée avant la survenance de la faillite de l’entrepreneur principal pouvait continuer à prospérer postérieurement au jugement déclaratif284. Cette solution s’explique aisément par l’effet de transfert du patrimoine de l’entrepreneur principal vers celui du sous-traitant agissant, qu’entraîne l’exercice de l’action directe sur la créance qui en forme l’assiette. Sortie, dès avant le concours, des actifs de l’entrepreneur failli, cette créance échappe à l’emprise de ses créanciers, laissant le sous-traitant libre de s’en prendre sans entrave au maître de l’ouvrage. Nulle discussion à ce sujet285. En revanche, le problème de la détermination de la nature et la mesure de l’impact de la faillite sur l’avenir d’une action directe non encore exercée, divisait profondément doctrine et jurisprudence. La faveur était accordée à la thèse selon laquelle l’action directe est un droit propre et exclusif du sous-traitant ne pouvant subir les avanies rencontrées par le patrimoine de l’entrepreneur principal par le maître de l’ouvrage entre les mains du curateur286. Une importante doctrine se prononçait également en ce sens287.

282 Cass., 27 mai 2004, R.D.C.B., 2004, p. 897. 283 Cass., 23 septembre 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1437, note HENRY ; N.j.w., 2005, p. 146, note VANHOVE et VAN LOOCK, « Rechtstreekse vorderinig van onderaannemer en samenloop. Hof van Cassatie schept duidelijkheid ». 284 HENRY, note sous Cass., 23 septembre 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1439. 285 Voir notamment, T’KINT et DERIJCKE, , « Overzicht van rechtspraak – Het voorrecht en de rechtstreikse rechtsvordering van de onderaannemer tegen de bouwheer », R.D.C.B., 2004, p. 857, n° 9. 286 Liège, 27 février 2001, R.R.D., 2001, p. 137 ; Liège, 31 mars 1995, J.L.M.B., 1995, p. 1340 ; Comm. Verviers, 10 novembre 1997, R.D.C.B., 1998, p. 462 ; Civ. Turnhout, 21 mai 1997, R.W., 1997-1998, obs. DIRIX ; Civ. Gand, 14 février 2001, Entr. & Dr., 2001, p. 110 ; Comm. Termonde, 13 mars 1998, Entr. & Dr., 1998, p. 254 ; Comm. Bruxelles, 31 juillet 2002, Entr. & Dr., 2002, p 317 ; Comm. Bruxelles, 30 juin 1994, R.D.C.B, 1994, p. 928 ; Comm. Liège, 28 octobre 1994, R.R.D., 1994, p. 542 ; R.D.C.B., 1996, p. 555 ; Liège, 31 mars 1995, J.L.M.B., 1995, p. 1340 ; Gand, 10 décembre 2002, Njw, 2003, 932, note ; Liège, 25 juin 1998, J.L.M.B., p. 1475 ; Entr. & Dr., 1998, p. 247, note DUMON et ZENNER ; R.P.S., 1999, p. 289 ; R.D.C.B., 1999, p. 186 ; Bruxelles, 25 juin 1903, RG 2000/2251 ; Mons, 6 octobre 2003, RG 2002/840. 287 RENARD et VAN DEN ABEELE, « Les garanties offertes aux sous-traitants en cas de défaillance de l’entrepreneur général », Entr. & Dr.,1997, pp. 134 et suiv. ; ZENNER, Dépistage, faillites et concordats, Larcier, 1998, p. 955 ; Caeymaex, « Les créances des sous-traitants » in Le point sur le droit des sûretés », C.U.P., 2000, p. 270 ; Wéry, « L’action directe du sous-traitant contre le maître de l’ouvrage : bilan de sept années d’application du nouvel article 1798 du Code civil », R.R.D., 1997, p.184.

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La Cour d’appel d’Anvers, cependant, en décidait autrement, considérant que l’action directe du sous-traitant contre le maître de l’ouvrage à concurrence de ce dont celui-ci se trouve débiteur envers l’entrepreneur ne peut être intentée que lorsque la créance de l’entrepreneur sur le maître de l’ouvrage est encore disponible dans le patrimoine de l’entrepreneur288. Certaines juridictions de fond optaient également, de temps à autres, pour cette solution289, encouragées dans cette voie par plusieurs auteurs290. 245. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 27 mai 2004, une société avait exécuté des travaux en qualité de sous-traitant dans le cadre d’un marché public conclu entre une entrepreneur principal et la Région flamande, maître de l’ouvrage. Dans un premier temps, un créancier, autre que le sous-traitant principal protagoniste de l’affaire, fit pratiquer une saisie-arrêt entre les mains de la Région flamande. Quelques mois plus tard, mais avant que la procédure de saisie soit vidée, l’entrepreneur principal fut déclaré en faillite. Ce n’est qu’ultérieurement que le sous-traitant fit citer la Région flamande aux fins d’obtenir le paiement direct de sa créance. Par arrêt du 29 novembre 2001, la Cour d’appel de Gand décida que l’action directe était fondée et condamna la Région flamande à payer au sous-traitant le prix des travaux réalisés par lui. Sur le pourvoi formé par la Région flamande, la Cour de cassation accueillit l’un des moyens développés devant elle, pris de la violation des articles 7 et 8 de la loi hypothécaire, ainsi que 16, 23, 25, 26, et 99 de la loi sur les faillites. La Cour a estimé qu’en vertu des articles précités, la faillite a pour effet de rendre indisponible la créance de l’entrepreneur principal et que l’action directe ne peut être intentée qu’aussi longtemps qu’elle ne connaît pas ce sort. Dès lors, elle cassa l’arrêt de la Cour d’appel de Gand291. 246. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’un des arrêts prononcés le 23 septembre 2004 par la Cour de cassation, plusieurs sous-traitants étaient intervenus dans le cadre de la réalisation d’un chantier confié par l’Etat belge à un entrepreneur principal. Ce dernier fut déclaré en faillite par jugement du tribunal de commerce de Charleroi, après que, par voie de citations ou d’interventions volontaires, les sous-traitants eurent poursuivi la condamnation de l’Etat belge, maître de l’ouvrage, au paiement de diverses sommes, sur le fondement de l’action directe prévue par l’article 1798 du Code civil. L’ensemble de ces instances fut donc introduit postérieurement au jugement déclaratif de faillite de l’entrepreneur principal. La curatelle fut citée en intervention forcée.

288 Anvers, 13 décembre 2001, R.D.C.B., 2002, p. 466, obs. DERIJCKE. 289 Civ. Bruxelles, 8 septembre 2000, R.W., 2000-2001, p. 1102 ; Comm. Louvain, 24 février 1998, R.G.D.C., 1999, p. 213 ; Civ. Hasselt, 3 novembre 1997, Limb. Rechtsl. 2000, obs. VANGOMPEL. 290 DIRIX, « Rechtstreeksevorderiing en samenloop », R.W., 1995-1996, p. 264; « Posities van schuldeisers en hun zekerheidsrechten » in Faillissement en gerechtelijk akkoord: het nieuw recht, Kluwer, 1998; « Het voorrecht en de directe vordering van de onderaannemer », R.W., 1998-1999, p. 1231; CUYPERS, « De rechtstreekse vordering en het voorrecht van de onderaannemer », R.W., 1997-1998, p. 703; GRÉGOIRE, «Chronique de jurisprudence – Les sûretés réelles et les privilèges», IIème partie, FF Bank. Fin., 2001, p. 91. 291 Voir pour un commentaire circonstancié et à juste titre approbateur : WINDEY et HÜRNER, « L’action directe en cas de faillite », R.D.C.B., pp. 905 et svts.

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Le tribunal de première instance de Charleroi, après avoir joint les causes comme connexes, condamna l’Etat belge à payer à la curatelle une somme provisionnelle destinée aux sous-traitants, globalement, ainsi qu’au banquier gagiste sur fonds de commerce. Pour le surplus, le tribunal désigna un expert avec pour mission de décrire les travaux effectués par chacun des sous-traitants afin de déterminer le décompte de leurs créances respectives. Le tribunal réserva à statuer sur le conflit entre les sous-traitants et le créancier gagiste. La Cour d’appel de Mons confirma le jugement a quo pour l’essentiel et renvoya la cause au tribunal de première instance de Charleroi en application de l’article 1068, alinéa 2 du Code judiciaire. Cet arrêt est fondé sur les motif suivants : « En cas de faillite ou de mise en liquidation de l’entrepreneur principal, l’action directe reste acquise aux sous-traitants qui peuvent l’exercer au détriment des autres créanciers dudit entrepreneur général. L’action directe permet, en effet, aux sous-traitants d’extraire leurs créances contre le maître de l’ouvrage du patrimoine de l’entrepreneur général et d’échapper à tout concours avec les créanciers de ce dernier. Entre un créancier privilégié (le gagiste sur le fonds de commerce de l’entrepreneur principal) et le titulaire de l’action directe, il n’y a pas de conflit de rang, puisque les droits en cause sont de natures différentes. Le droit du créancier gagiste s’analyse en un droit de préférence sur le fonds de commerce grevé tandis que l’action directe consiste en un droit exclusif de réclamer le paiement de la créance de son débiteur directement au débiteur de celui-ci. Ce droit exclusif exclut précisément tous droits des autres créanciers sur la créance concernée par l’action directe, que les créanciers prétendent se prévaloir sur cette créance de leur droit de gage général ou d’une sûreté réelle. Partant, le droit du sous-traitant n’est pas entravé si la créance de l’entrepreneur principal fait partie de son fonds de commerce gagé et ce, quelle que soit la date à laquelle le gage a été rendu opposable aux tiers »292. A l’encontre de cet arrêt, un moyen unique de cassation fut présenté à la Cour suprême, pris de la violation de l’article 1798, spécialement alinéa 1er du Code civil, du principe général de droit selon lequel les créanciers dépourvus de cause légitime de préférence sont traités de manière égale dans une situation de concours, dont les articles 8 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, 437, 450 et 451 du Code de commerce, tels qu’ils étaient applicables au moment des faits en litige, actuellement remplacés par les articles 16, 22 et 23 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, sont des applications particulières, et pour autant que de besoin, pris de la violation de chacune de ces dispositions. En substance, le moyen faisant valoir que, pour produire ses effets, en faveur de son titulaire, l’action directe octroyée au sous-traitant par l’article 1798, l'alinéa 1er du Code civil doit être intentée avant que ne soit mise en œuvre une mesure entraînant l’indisponibilité de la 292 Motifs cités par HENRY, J.L.M.B., 2004, p. 1439.

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créance formant l’assiette de cette action, à savoir la créance de l’entrepreneur principal envers le maître de l’ouvrage. Un tel effet d’indisponibilité peut être engendré comme en l’espèce, par une déclaration de faillite. En effet, selon le pourvoi, dès le jugement déclaratif de faillite, les créanciers du failli ont acquis un droit irrévocable à ce qu’aucun d’entre eux ne soit payé dans une proportion plus forte qu’un autre. Or, en l’espèce, il ressortait des constatations de l’arrêt que les actions directes intentées par les sous-traitants, avaient toutes été intentées postérieurement à la date de la déclaration de faillite de l’entrepreneur principal. C’était donc en méconnaissant les dispositions légales et le principe général de droit visés au moyen que l’arrêt attaqué avait décidé que sont recevables et fondées lesdites actions directes et avait décidé en conséquence de l’affectation à réserver à la condamnation de paiement prononcée par lui. Les motifs par lesquels la cour de cassation accueillit le moyen sont clairs et l’enseignement qu’ils prônent ne pourraient trouver de meilleure expression : « Attendu que l’article 1798 du Code civil accorde notamment aux sous-traitants qui ont été employés à la construction d’un bâtiment ou d’autres ouvrages faits à l’entreprise, une action directe contre le maître de l’ouvrage jusqu’à concurrence de ce dont celui-ci se trouve débiteur envers l’entrepreneur au moment où leur action est intentée ; attendu qu’en vertu de l’article 8 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers, et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence ; attendu qu’aux termes de l’article 16 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, à compter du jour de la faillite, le failli est dessaisi de plein droit de l’administration de tous ses biens et tous paiements, opérations et actes faits par le failli depuis ce jour sont inopposables à la masse ; attendu que la faillite a pour effet de rendre indisponible la créance de l’entrepreneur failli sur le maître de l’ouvrage, de sorte qu’à partir du jugement déclaratif, l’action directe visée à l’article 1798 du Code civil ne peut plus être intentée ». L’arrêt conclut en ces termes : « en considérant qu’en cas de faillite de l’entrepreneur principal, l’action directe reste acquise au sous-traitant qui peut l’exercer au détriment des autres créanciers du failli ; que l’action directe permet au sous-traitant d’extraire la créance contre le maître de l’ouvrage du patrimoine de l’entrepreneur principal et d’échapper au concours avec les créanciers de ce dernier », l’arrêt viole des dispositions légales visées au moyen. Voilà tranchée dans un sens cohérent la controverse relative à l’introduction de l’action directe après la faillite de l’entrepreneur principal. Les concepts d’action directe et d’indisponibilité de la créance se trouvent ainsi harmonieusement et logiquement respectés, sans compromettre pour autant le sort économique du sous-traitant, trouvant, dans le concours, le droit d’être payé par préférence grâce à l’autre branche de l’alternative que constitue le privilège. 247. La référence faite par les arrêts précités du 27 mai 2004 et 23 septembre 2004 au dessaisissement du failli pour justifier l’impossibilité d’introduire l’action directe du sous-

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traitant postérieurement au jugement déclaratif de faillite invitait à s’interroger sur la transposition de la solution retenue à l’hypothèse de la liquidation de la société chargée de l’entreprise principale. L’on sait, en effet, que si la dissolution d’une personne morale emporte bien, comme la faillite, la nécessité de réaliser l’ensemble de ses biens, encore celle-ci n’en devient-elle pas pour autant dessaisie puisque le liquidateur, au contraire du curateur de faillite, n’est pas un tiers mais constitue un organe de la personne morale elle-même, laquelle demeure dès lors, ainsi représentée, à la tête de ses affaires. La question s’était déjà posée dans les mêmes termes au sujet de l’inopposabilité d’une inscription hypothécaire après déclaration de faillite du constituant de la sûreté. Analysée traditionnellement comme un effet du dessaisissement du failli293, cette inopposabilité n’en est pas moins considérée comme étant applicable également à la matière de la liquidation294. En effet, le dessaisissement est un concept participant avant tout d’une modification du régime des biens du débiteur et non d’une altération du statut de celui-ci. Les actifs d’une société en liquidation sont détachés de leur destination naturelle, librement déterminée par la société en fonction de leur utilité pour la réalisation de son objet social, pour être affectés exclusivement au désintéressement des créanciers en concours. Les liquidateurs sont, certes, les organes de la personne morale, à l’inverse du curateur qui n’est qu’un tiers par rapport au failli, mais les limites de cette personnalité se sont réduites par l’effet de la dissolution et son patrimoine ne peut plus évoluer que dans le but de fournir à ses créanciers le meilleur remboursement possible. En réalité, la société n’agit plus dans son propre intérêt mais exclusivement pour le compte de ceux-ci. Elle peut, pour cette raison, être considérée comme étant, d’une certaine manière, dessaisie de son patrimoine295. La société en liquidation subit en quelque sorte, à l’instar du commerçant failli, l’indisponibilité des ses actifs. 248. A la lumière de l’analyse qui précède, l’on peut approuver la jurisprudence de la Cour d’appel d’Anvers, exprimée notamment par son arrêt du 7 novembre 2002296, en ces termes : « Le moment de l’introduction de l’action par le sous-traitant contre le maître de l’ouvrage est déterminant pour apprécier l’opposabilité des d’exceptions ; seules les exceptions nées après l’introduction de l’action ne sont plus opposables au sous-traitant ; vu que le droit du sous-traitant ne naît qu’au moment où il est exercé, il ne porte pas préjudice aux droits d’autres créanciers de l’entrepreneur tels qu’ils existaient au moment de l’exercice du droit d’action directe ; la dissolution et la liquidation de l’entrepreneur principal fait naître une situation de concours entre ses créanciers ; les droits des créanciers sur le patrimoine de l’entrepreneur principal sont fixés à ce moment là ; il s’ensuit que l’action de l’entrepreneur à l’égard du maître de l’ouvrage est devenue

293 Voir notamment: CLOQUET, «Les concordats et la faillite », in Les Novelles – Droit commercial, t. IV, p. 426, n° 1447. 294 Cass., 23 janvier 1992, R.C.J.B., 1994, p. 398, note GREGOIRE, « L’effet d’une mesure conservatoire pratiquée après ‘entrée en liquidation d’une personne morale ». 295 GREGOIRE, «L’effet d’une mesure conservatoire pratiqué après l’entrée en liquidation d’une personne morale », note sous Cass., 23 janvier 1992, R.C.J.B., 1994, p. 430. 296 NjW, 2003, p. 930

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indisponible et que le sous-traitant ne peut plus introduire d’action directe contre le maître de l’ouvrage ». 249. C’est cette ligne de pensée qu’a consacrée à bon droit la Cour de cassation par un arrêt du 23 septembre 2004 également, une décision de la même date ayant été rendue en matière de faillite. Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, une société commerciale était intervenue comme entrepreneur principal dans le cadre de la réalisation de divers chantiers de construction d’immeubles. Plusieurs sous-traitants avaient effectué des travaux sur chacun de ces chantiers, lorsqu’elle décida, par décision de son assemblée générale, d’entrer en liquidation volontaire. Deux banques bénéficiaient, respectivement en premier et second rang, d’un gage sur fonds de commerce. Postérieurement à l’entrée en liquidation, les gagistes sur fonds de commerce firent pratiquer la saisie des actifs de la société. De leur côté, les sous-traitants agirent directement à l’encontre des maîtres d’ouvrages sur le fondement de l’article 1798 du Code civil. Devant les juges du fond, deux questions de principe, relatives aux prérogatives du sous-traitant, s’étaient posées. La Cour d’appel y avait répondu de la manière suivante : en premier lieu, l’action directe du sous-traitant peut être introduite de manière recevable postérieurement à la survenance d’un concours, telle la liquidation, et, en second lieu, le privilège du créancier gagiste ne prime pas les droits des créanciers sous-traitants. Appliquant ces principes, l’arrêt attaqué indiquait, dans son dispositif, quels étaient les montants devant faire l’objet des condamnations prononcées au profit de chacun des créanciers concernés. Saisie, d’une part, par l’entrepreneur principal en liquidation et, d’autre part, par l’une des banques gagistes, la Cour de cassation, après avoir joint les pourvois, accueille le premier des deux moyens formulés devant elle, relatif à l’impact sur l’action directe de l’entrée en liquidation de l’entrepreneur principal et casse dès lors sur cette seule base l’arrêt attaqué. Une fois encore, le motifs exposent de manière limpide l’enseignement prôné par la Cour suprême : « Attendu que l’article 1798 du Code civil accorde notamment aux sous-traitants qui ont été employés à la construction d’un bâtiment ou d’autres ouvrages faits à l’entreprise, une action directe contre le maître de l’ouvrage jusqu’à concurrence de ce dont celui-ci se trouve débiteur à l’entrepreneur au moment où leur action est intentée ; qu’aux termes de l’article 8 de la loi du 16 décembre 1851, les biens du débiteur sont le gage commun des créanciers et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence ; attendu que, dès la mise en liquidation d’une société, les droits réciproques des créanciers dont la créance est née avant la mise en liquidation sont déterminés d’une manière irrévocable ; que ce principe fait obstacle, dès ce moment, à l’intentement par un sous-traitant de l’action directe visée à l’article 1798 du Code civil ; attendu qu’en considérant ‘qu’en cas de (…) mise en liquidation de l’entrepreneur principal, l’action directe reste acquise aux sous-traitants qui peuvent l’exercer au détriment des autres créanciers dudit entrepreneur général ; que l’action directe permet, en effet, aux sous-traitants d’exercer leurs créances contre le maître de l’ouvrage du patrimoine de l’entrepreneur général et d’échapper à tout concours avec les créanciers de ce

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dernier’, l’arrêt viole les dispositions légales visées au moyen », à savoir, en substance, l’article 1798 du Code civil et l’article 8 de la loi hypothécaire. 250. La comparaison des motifs retenus par la Cour de cassation dans les deux arrêts pour rejeter l’action directe du sous-traitant postérieurement au concours montre avec éclat le rapprochement une fois encore souhaité des régimes de la faillite et de la liquidation. Cette jurisprudence de la Cour reçoit l’approbation297. 251. S’agissant de l’admissibilité de l’action directe du sous-traitant en cas de concordat de l’entrepreneur principal, la Cour d’appel de Liège, par un arrêt du 25 juin 1998, a décidé que dans une telle hypothèse, la créance sur le maître de l’ouvrage n’est pas indisponible et qu’une action directe peut donc être envisagée298. Toutefois, plusieurs éminents auteurs ont estimé, quelle que soit la nature du concordat, que l’économie de la loi conduit à écarter l’action directe, au motif que celle-ci devrait être assimilée à une voie d’exécution interdite299. Une autre partie de la doctrine estime, au contraire, que les seuls actes précisément interdits par la loi sur le concordat judiciaire ne peuvent être intentés, le droit commun des contrats demeurant pour le surplus entièrement applicable300. Cette position a été adoptée par l’arrêt précité de la Cour d’appel de Liège301. Elle s’inscrit, selon nous, dans la ligne de l’esprit de la loi sur le concordat judiciaire, qui, certes, interdit les voies d’exécution, mais prône comme principe général (ne connaissant que les exceptions expressément prévues par l’article 28, alinéa 2 qui prive d’effet pendant la

297 JACMAIN, « L’article 20-12° de la loi hypothécaire » in Privilèges et hypothèques, Kluwer, n° 31 ; T’KINT et DERIJCKE, « Overzicht van rechtspraat (1990-2004) – Het voorrecht en de rechtstreekse rechtsvordering van de onderaannemer tegen de bouwheer », R.D.C.B., 2004, p. 857. 298 Liège, 25 juin 1988, R.P.S., 1998, p. 289 ; R.D.C.B., 1999, p. 186, note Bosly, « Les effets du concordat judiciaire sur l’exercice de l’action directe ». 299 VEROUGSTRAETE, Manuel de la faillite et du concordat, Kluwer, 2003, p. 113, n° 162 et 163 ; DIRIX, « Posities van schuldeisers en hun zekerheden » in Faillissement en geretelijk akkoord : een nieuwe recht », 1998, p. 373 ; GERARD et WINDEY, « Action directe des sous-traitants, faillite et concordat judiciaire à contre courant » in Mélanges offerts à L. Simont ; RIKKERS, « L’action directe du sous-traitant prévue par l’article 1798 du Code civil : hypothèses du conflit » in Liber amicorum Hannequart et Rasir, Kluwer, 349, p. 354 ; CUYPERS, « De rechtstreekse vordering en het voorrecht van de onderaannemer », R.W., 1997-1998, p. 806, n° 35 ; BOSLY, « Les effets du concordat judiciaire sur l’exercice de l’action directe », note sous Comm. Liège, 3 avril 1998, R.P.S., p. 321 ; DIEUX et WINDEY, « Nouvelles observations sur la théorie générale du concours entre les créanciers, à la lumière de la loi du 17 juillet 1997 sur le concordat judiciaire et de ses premières applications » in Mélanges offerts à Pierre Van Ommeslaghe », 2000, pp. 377 et suiv. 300 RENARD et VAN DEN ABEELE, Les garanties offertes aux sous-traitants en cas de défaillance de l’entrepreneur général, 1997, p. 142. 301 R.P.S., 1998, p. 289; R.D.C.B., 1999, p. 186, note BOSLY, « Les effets du concordat judiciaire sur l’exercice de l’action directe ».

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période d’observation la clause suivant laquelle la résolution aurait lieu du seul fait de la demande ou de l’octroi du concordat, ainsi que les clauses pénales), le respect, exprimé par l’article 28, alinéa 1er, de la poursuite des contrats conclus avant le jugement accordant le sursis provisoire. De cette règle découle qu’à moins de méconnaître la force obligatoire des conventions, portant non seulement ce qui y est exprimé mais également « toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature », selon le vœu de l’article 1135 du Code civil précisant l’article 1134 du Code civil, toutes les modalités caractérisant les contrats conclus entre le débiteur concordataire et ses créanciers doivent pouvoir, dans leur pleine portée, demeurer applicables et effectives, sans pour autant pouvoir donner lieu à une voie d’exécution. Telle est la limite claire, simple, efficace, à notre sens non discutable, posée par la loi. Nier à un cocontractant le droit d’invoquer la compensation, le droit de rétention ou l’exception d’inexécution conduirait à refuser de reconnaître à la convention les effets qu’elle a légalement entre les parties. Le même raisonnement vaut pour l'action directe, qui, à l’instar d’autres mécanismes, ne représente que l’une des suites qu’attache un texte légal, à savoir l’article 1798 du Code civil, à une convention librement et valablement conclue, c’est-à-dire la convention de sous-traitance. 252. On objectera qu’admettre l’efficacité de l’action directe pendant la période d’observation reviendrait à nier « l’évidence que toutes chances de réussite d’un concordat seraient tuées dans l’œuf si les créanciers nantis d’une sûreté réelle ou bénéficiaires d’un privilège spécial étaient en droit de poursuivre l’exécution forcée des biens qui leur sont affectés »302. Cette objection suppose l’assimilation préalable de l’action directe à une voie d’exécution. Il est, entre ces deux concepts, des points de ressemblance assurément. Ainsi, l‘exercice de l’action directe prive le patrimoine du concordataire de sa créance envers le maître de l’ouvrage, du moins dans la mesure de la créance du sous-traitant. Dès la conclusion du sous-traité, le futur concordataire savait toutefois, et devait prendre en considération dans la gestion de ses affaires, la précarité de cet actif pour la partie correspondant au travail réalisé, en définitive, par un autre. Seule la portion relative à son apport, lié au devoir de coordination propre à sa fonction d’entrepreneur principal, a pu constituer pour lui une valeur économique durable, sur le fondement de laquelle la viabilité de son entreprise pouvait légitimement être envisagée. Rien de tel dans l’exécution forcée. Les engagements existent ; ils sont exigibles mais pour des raisons variées, après mise en œuvre de toutes les éventuelles modalités conventionnelles conçues par les parties pour trouver l’équilibre juridique et économique de leurs relations et obtenir la meilleure exécution spontanée possible de leurs engagements, tels par exemple, le paiement d’acomptes, la constitution d’une provision ou le lien tissé entre plusieurs conventions distinctes, certaines sommes demeurent impayées et ne pourraient recevoir satisfaction que par la voie de la saisie, individuelle ou collective. L’identité du bien qui sera visé par l’exécution est imprévisible ; la publicité donnée à la saisie, même si elle ne résulte que de l’initiative d’un seul créancier peut entraîner d’autres exécutions forcées, de sorte que c’est tout le patrimoine du débiteur qui s’en trouve fragilisé, à un moment et avec une ampleur dont il n’a pas nécessairement pu

302 GERARD et WINDEY, « Action directe des sous-traitants, faillite et concordat judiciaire: à contre-courant », in Liber amicorum L. Simont, p. 401, n° 17.

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prendre la mesure. C’est à l’abri de cela que le débiteur concordataire doit être provisoirement placé, mais pas des conséquences de contrats volontairement conclus, dont il a pu précisément anticiper les suites. e. Pluralité d’actions directes 253. En cas de pluralité d'actions directes, les principes généraux trouvent à s'appliquer : le paiement reste donc le prix de la course303, sauf si les actions sont exercées simultanément. Dans ce cas, seul le partage au marc le franc sera concevable. 254. Sur ce point, les travaux préparatoires pêchent par imprécision, lorsqu'ils affirment qu'en cas d'insuffisance de la créance du débiteur intermédiaire envers le maître d'oeuvre, le partage au marc le franc s'impose, comme règle générale, entre les sous-traitants, sans préciser que cette répartition supposerait la simultanéité parfaite de l'intentement des actions directes en conflit. L'égalité des créanciers ne constitue, en effet, aucunement la règle générale en dehors des procédures d'exécution forcée au sens strict, c'est-à-dire en dehors des saisies d'initiative individuelle ou non, à portée globale ou fragmentaire. Or, l'action directe -même si elle y ressemble par certains aspects et conduit à des effets comparables, voire même renforcés- ne correspond pas à une mesure de saisie304, mais constitue le moyen de provoquer un phénomène de délégation de la créance visée. En exerçant l'action directe, loin de saisir un élément du patrimoine de son débiteur, le demandeur acquiert un droit direct envers le défendeur, droit qui disparaît, en conséquence, du patrimoine du débiteur intermédiaire. En conséquence, les autres créanciers de ce dernier ne trouvent, lors de l'intentement d'une action directe postérieure, que la créance du débiteur, dans la mesure de la délégation qui a bénéficié au premier créancier ayant agi. C'est cette créance ainsi diminuée qui devient l'objet et la limite de leurs propres droits. Les travaux préparatoires errent, dès lors, en droit lorsqu'ils énoncent que "…en cas d'action intentée en application de l'article 1798 du Code civil, et pour autant que le maître de l'ouvrage ne peut honorer toutes ces créances (c'est-à-dire les créances mises en oeuvre par plusieurs actions directes dirigées contre le même maître d'oeuvre), il s'institue un concours avec, le cas échéant, répartition au marc le franc comme le veut la législation générale à laquelle le présent projet ne déroge pas".

303 Enc. Dalloz, V° Action directe, n° 112. 304 Contra: Comm. Liège, 3 avril 1998, J.L.M.B., 1998, p. 1092 , réformé par Liège, 25 juin 1998, J.L.M.B., 1998, p. 1475, note DUMON et ZENNER.

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Il faut en revanche approuver certains membres de la Commission de la justice qui ont exprimé l'opinion "qu'une priorité découle de la date d'introduction de l'action"305. Le passage des écrits du professeur Kluykens relevé par les travaux préparatoires, selon lequel "si d'autres créanciers ont fait une saisie-arrêt sur la créance de celui-ci à l'égard du propriétaire, les ouvriers ne pourront plus être payés directement mais dans ce cas, ces derniers pourraient naturellement, en leur qualité de créanciers de l'entrepreneur, faire à leur tour, une saisie-arrêt sur la créance de manière à se placer en concours avec les premiers saisissants"306 ne saurait être utilement invoqué à l'appui de la thèse selon laquelle la pluralité d'actions directes dirigées contre le même maître d'oeuvre devrait conduire, en tant que telle, à un partage au marc le franc. L'hypothèse retenue par l'auteur est, au contraire, celle où l'action directe est tenue en échec par une saisie-arrêt antérieure et où il ne reste plus au créancier agissant, resté simplement créancier du débiteur intermédiaire, que la possibilité de se joindre à une procédure dirigée contre le patrimoine de ce dernier, dont l'assiette est la créance -non transférée- envers le maître de l'ouvrage. Dans ce cas, effectivement, lors de la distribution des fonds saisis, la répartition entre les créanciers saisissants d'accomplir selon l'ordre des privilèges ou, s'ils sont tous de même rang, au marc le franc. f. Absence de forme 255. La question de savoir quelle forme doit épouser l’exercice de l’action directe fut, depuis l’entrée en vigueur de l’article 1798 nouveau et jusqu’il y a peu, très controversée307. Selon certains, une mise en demeure suffisait308. Selon d’autres, une citation en justice devait être exigée309. Il est vrai qu’avait été rejeté un amendement proposé par Monsieur Simonet, lors de la discussion de la réforme du droit de la faillite, aux termes duquel l’article 1798 du Code civil aurait été complété par un alinéa prévoyant que « la manifestation de l’exercice de l’action

305 Rapport fait au nom de la Commission de la justice par M. ARTS; Sénat, 1989-1990, 855-2. 306 Traduction d'un passage de Beginselen van Burgelijke Recht - vierde deel - De contracten, n° 369, éd. 1952. 307 BRAUN, « La sous-traitance » in Guide de droit immobilier, 2003, p. 59, n° 4.6. 308 Comm. Dendermonde, 13 mars 1996, Entr .& Dr., 1998, p. 253 ; Bruxelles, 17 septembre 1999, R.R.D., 2000, p. 41, note WERY ; Gand, 6 mai 1998, A.J.T., 1998-1999, note VERBEKE; GEORGES, note sous Liège, 23 mai 1996, J.L.M.B.,, 1997, p. 600 ; CUYPERS, « De rechtstreekse vordering en het voorrecht van de onderaannemer », R.W., 1997-1998, p. 797. 309 Anvers, 1er mars 1995, R.W. 1996-1997, p. 477; note BAERT; Comm. Bruxelles, 27 juillet 1998, R.D.C.B., 1999, p. 209, note DERIJCKE ; Civ. Gand, 4 octobre 2000, T.G.R., 2001, p. 15 ; Mons, 29 septembre 2003, R.R.D., 2003, p. 407 ; Gand, 5 juin 2003, NjW, 2003, n° 45, p. 1080, note WG, R.W., 2003-2004, p. 467, note.

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directe par le sous-traitant ne requiert aucune formalité particulière ». Ce rejet autorisait à supputer la préférence du législateur pour la citation en justice310 La première thèse a toutefois convaincu davantage. En effet, relevons, en premier lieu, que retenir le mode de la citation pour l’introduction d’une action directe paraît réducteur. Il existe, selon le Code judiciaire, d’autres voies possibles de saisine, parmi lesquelles notamment le procès-verbal de comparution volontaire ou la déclaration de créance à la faillite du maître de l’ouvrage. L’exigence de la citation comme forme unique de manifestation de l’action directe n’aurait pas offert l’avantage de la clarté absolue ni d’une parfaite sécurité juridique, exempte de discussion. Fallait-il accepter, et avec quelle date, l’action directe formée par conclusions, par voie de demande nouvelle ou reconventionnelle, dans un litige noué entre tous les protagonistes d’un chantier ? La déclaration de créance faite, non pas dans le cadre d’une faillite où l’assimilation à la citation est claire, mais auprès d’un liquidateur de la société maître de l’ouvrage ou du commissaire au sursis du concordat de celui-ci pouvait-elle être admissible ? Autant de questions que la préférence pour la thèse plus formaliste ne résolvait pas, montrant ainsi que le déficit de souplesse inhérent à la radicalité de la rigueur formelle ne se trouvait pas contrebalancé par l’évitement de potentielles contestations. L’expression claire d’une volonté définitive de se prévaloir de l’action directe, adressée au maître de l’ouvrage, doit suffire à entraîner le transfert des droits du créancier intermédiaire vers son propre créancier, à dater de sa réception (puisqu’il s’agit d’un acte réceptice) par le destinataire de cette volonté. 256. Tel est l’enseignement de la Cour de cassation, exprimé avec netteté dans son arrêt du 25 mars 2005311 : « Attendu que l’article 1798 du Code civil octroie, entre autres aux sous-traitants qui ont été employés à la construction d’un bâtiment ou d’autres ouvrages faits à l’entreprise, une action directe contre le maître de l’ouvrage jusqu’à concurrence de ce dont celui-ci se trouve débiteur envers l’entrepreneur au moment où son action est intentée ; que l’exercice de cette action directe du sous-traitant n’est soumise à aucune condition de forme ; (…) que les juges d’appel décident qu’une lettre recommandée ne suffit pas à faire naître l’action directe de l’article 1798 du Code civil et décident sur cette base que ‘dans les circonstances données, l’action de la demanderesse doit être déclarée non fondée’ ; qu’en décidant cela, l’article 1798 du Code civil est violé ». 257. L’absence totale de forme ne saurait concerner toutefois d’autres questions que celles du transfert effectif des droits formant l’assiette de l’action directe, ainsi que de la détermination d' exceptions ouvertes au maître de l’ouvrage. Pour le surplus, rien ne permet d’écarter l’application du droit commun régissant l’exécution forcée des droits de créance.

310 JACMAIN, « L’article 20-12° de la loi hypothécaire » in Privilèges et hypothèques, Kluwer, n° 19 ; DERIJCKE, note sous Comm. Bruxelles, 27 juillet 1998, R.D.C.B., 1999, p. 209. 311 Cass., 25 mars 2005, J.L.M.B., 2005, p. 1040.

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En conséquence, les intérêts moratoires ne peuvent être calculés qu’ à dater de la mise en demeure adressée au maître de l’ouvrage par le sous-traitant. Suivant le même raisonnement, seule la citation en justice est de nature à interrompre la prescription extinctive, d’une durée de dix ans312. 258. Dans un jugement du 5 mars 2001313, le tribunal de commerce de Malines a décidé que l’exercice de l’action directe ne peut faire obstacle, en cas d’échec de celle-ci, à ce que le sous-traitant réclame ultérieurement le bénéfice de son privilège. Cette solution est approuvée en doctrine au motif que les deux garanties coexistent. En réalité, elles sont alternatives. B. Le privilège reconnu aux travailleurs, sous-traitants et

fournisseurs des pouvoirs publics par l’article 23 de la loi du 24 décembre 1993

§ 1. Texte 259. L'article 23 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux travaux publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services crée indirectement un privilège au profit de certains cocontractants d'adjudicataires de travaux publics314. Cet article dispose que: "§1 les créances des adjudicataires dues en exécution d'un marché public de travaux, de fournitures ou de services, passé par un pouvoir adjudicateur (…) ne peuvent être ni saisies, ni cédées, ni données en gage jusqu'à la réception provisoire. §2 A l'exception des avances (faites à l'entrepreneur, qui restent toujours insaisissables), les créances peuvent toutefois être saisies ou faire l'objet d'une opposition même avant la réception provisoire: - par les ouvriers et les employés de l'adjudicataire pour les sommes dues à raison des travaux, des fournitures ou des services servant à l'exécution du marché. §3 A l'exception (des mêmes avances), les créances peuvent également être cédées ou mises en gage par l'adjudicataire, même avant la réception provisoire, au profit des bailleurs de fonds si elles sont affectées à la garantie de crédit ou d'avances de sommes en vue de l'exécution du marché, pourvu que l'utilisation de ce crédit ou de ces avances soit concomitante ou postérieure à la signification de ces cessions ou mises en gage.

312 Comp. WERY, note sous Cass., 25 mars 2005, J.L.M.B, 2005, p. 1042. 313 R.W., 2001-2002, p. 1510. 314 Voir FLAMME et FLAMME, ; « La loi du 24 décembre 1993 sur les marchés publics: révolution ou européanisation ? », J.T., 1994, p. 385.

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§4 La cession et la mise en gage de la créance sont signifiées par le cessionnaire au pouvoir adjudicateur par exploit d'huissier. §5 Les cessions et les mises en gage ne sortiront leurs effets qu'après que les ouvriers, les employés, les sous-traitants et les fournisseurs ayant fait saisie-arrêt ou opposition auront été payés . Les sommes à en provenir ne pourront être imputées par le bailleur de fonds, cessionnaire ou créancier gagiste, à la couverture des créances sur l'adjudicataire, nées d'autres chefs, avant ou pendant la durée d'exécution des travaux, fournitures ou services financés, tant que lesdits travaux, fournitures ou services n'auront pas été réceptionnés. §6 Le pouvoir adjudicataire fait connaître aux cessionnaires de créances et aux bénéficiaires du nantissement de celles-ci, par lettre recommandée à la poste, les saisies-arrêts ou oppositions qui lui ont été notifiées à la requête des créanciers privilégiés". § 2. Créance garantie 260. Ces dispositions sont applicables aux contrats conclus avec (voir article 4 de la loi du 24 décembre 1993): - l'Etat, - les Communautés, - les Régions, - les provinces, - les communes, - les organismes d'intérêt public, - les associations de droit public, - les centres publics d'aide sociale, - les fabriques d'église, - les organismes chargés de la gestion du temporel des cultes reconnus, - les sociétés de développement régional, - les polders et wateringen, - les comités de remembrement des biens ruraux, - les personnes créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général

ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, dotées de la personnalité juridique et dont l'activité est financée majoritairement par des autorités publiques,

- les institutions universitaires de droit privé, pour les marchés subventionnés par une autorité publique,

- les associations formées de plusieurs pouvoirs publics. 261. La créance assortie du privilège est celle dont dispose le fournisseur, l'employé, le sous-traitant envers l'entrepreneur principal en exécution d'un contrat relatif à des ouvrages réalisés pour le compte d'une autorité publique.

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§ 3. Assiette 262. L'assiette du privilège est constituée de la créance de l'entrepreneur principal envers cette autorité. § 4. Particularité 263. Pour la compréhension de la portée de ce privilège, deux périodes doivent être distinguées. Avant la réception des travaux ou des fournitures, il est fait interdiction aux créanciers d'un entrepreneur chargé de réaliser des ouvrages pour le compte d'une autorité publique, de saisir entre les mains de ce dernier, de prendre en gage ou d'acquérir par voie de cession, les sommes ou créances dues par ce dernier pour lesdits ouvrages. 264. Au cours de cette même période, les bailleurs de fonds qui ont procuré du crédit ou des avances au cocontractant de l'autorité publique sont exemptés de l'interdiction de la mise en gage ou de la cession. Toutefois, par dérogation au droit commun, les droits des travailleurs, fournisseurs et sous-traitants exercés, fût-ce par une opposition informelle, avant le paiement de la dette par le pouvoir adjudicateur, produisent leurs effets malgré le gage ou la cession, quelles que soient les dates respectives de l'opposition, d'une part, de la signification du gage ou de la cession, d'autre part315. 265. Postérieurement à la réception des travaux ou des fournitures, les créanciers recouvrent le droit de saisir la créance de leur débiteur envers le pouvoir adjudicateur. En conséquence, la préférence reconnue aux travailleurs, ouvriers, employés, fournisseurs et sous-traitants s'identifie alors à un véritable privilège accordé dans le cadre du concours. § 5. Système similaire 266. Les articles 96 à 99 de l'arrêté royal du 17 juillet 1991 portant coordination des lois sur la comptabilité de l'Etat316 disposent que: "96. Les créanciers particuliers des entrepreneurs et adjudicataires des ouvrages faits ou des fournitures faites ou à faire pour le compte du Ministère de la Défense nationale pour le service des

315 STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles – Developpements récents », J.B. Bruxelles, 1992, p. 117. 316 M.B. 21 août 1991.

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forces armées, ne peuvent faire aucune saisie-arrêt ou opposition sur les fonds déposés dans les caisses des comptables de l'Etat pour être délivrés auxdits entrepreneurs ou adjudicataires. Les créances dérivant de semblables travaux ou fournitures ne peuvent être cédées ni mises en gage. 97. Ne sont point comprises dans les dispositions de l'article 96, les créances provenant des salaires et appointements des travailleurs employés par lesdits entrepreneurs et les sommes dues pour fourniture de matériaux et autres objets servant à l'exécution des travaux faits ou à faire pour le compte de l'Etat ou des fournitures faites pour le compte de la Défense nationale. 98. Sont également autorisées les cessions ou mises en gage de la créance de l'entrepreneur faites au profit de bailleurs de fonds et affectées à la garantie d'ouverture de crédit ou d'avances de sommes en vue de l'exécution de ces travaux ou fournitures. Ces cessions et mises en gage ne sortiront leurs effets qu'après que les travailleurs et sous-traitants auront été payés et les sommes à en provenir ne pourront être imputées par le cessionnaire ou le créancier contre l'entrepreneur nées d'autres chefs, avant ou pendant la durée d'exécution des travaux et fournitures financés tant que lesdits travaux et fournitures n'auront pas été réceptionnés. L'Etat fait connaître aux cessionnaires de créances ou aux bénéficiaires du nantissement de celles-ci, par lettre recommandée à la poste, les saisies-arrêts ou oppositions qui lui sont notifiées à la requête des créanciers privilégiés ou toute présentation de bordereau tenant lieu d'opposition 99. Le Ministre compétent ou son délégué remet à l'entrepreneur ou au fournisseur avec lequel il a traité, un certificat d'entreprise ou d'adjudication qui indiquera la nature et les principales clauses et conditions du marché conclu. Ce certificat, signé par le Ministre ou son délégué portera la mention qu'il forme titre en cas de cession ou de nantissement et qu'il est délivré en unique exemplaire". C. Le privilège de la victime d’un accident § 1. Texte 267. Aux termes de l'article 20-9° de la loi hypothécaire, "pour les contrats d'assurance auxquels la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre n'est pas applicable, les créances nées d'un accident au profit d'un tiers lésé par cet accident ou de ses ayants droit sont privilégiées sur l'indemnité que l'assureur de la responsabilité civile doit à raison du contrat d'assurance. Aucun paiement à l'assuré ne sera libératoire tant que les créanciers privilégiés n'auront pas été désintéressés".

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§ 2. Créance garantie 268. Le privilège est attaché à la créance de la victime d'un accident (ou de ses ayants droit) contre l'auteur de la responsabilité civile, contractuelle ou extracontractuelle de l'auteur du dommage. § 3. Assiette 269. L'assiette du privilège est la créance d'indemnité d'assurance-responsabilité civile de l'auteur du dommage, dont la responsabilité est établie, envers l'assureur de sa responsabilité civile, sans octroi, cependant, d'une action directe contre ce dernier317. 270. Ce privilège avait été abrogé par la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre disposant, en son article 86, que "L'assurance fait naître au profit de la personne lésée un droit propre contre l'assureur. L'indemnité due par l'assureur est acquise à la personne lésée à l'exclusion des autres créanciers de l'assuré". La victime se voit de la sorte attribuer une véritable action directe à l'encontre de l'assureur. Il fut rétabli toutefois par une loi du 16 mars 1994, pour les cas où la loi sur le contrat d'assurance terrestre ne trouve pas à s'appliquer. D. Le privilège de la victime de malversations de fonctionnaires

publics § 1. Texte 271. L’article 20-8° de la loi hypothécaire accorde un privilège aux « créances résultant d’actes et prévarications commis par les fonctionnaires publics dans l’exercice de leurs fonctions sur les fonds de leur cautionnement et sur les intérêts qui peuvent en être échus ». § 2. Créance garantie 272. La créance est celle, constituée de dommages-intérêts, dont dispose, envers certains fonctionnaires publics, tels que l'huissier de justice, le conservateur des hypothèques, le

317 Cass., 18 octobre 1945 (deux arrêts), Pas., 1945, I, 240 et les conclusions de M. HAYOIT DE TERMICOURT; Cass., 8 mai 1971, Pas., 1971, I, 8; Cass., 17 juin 1982, Pas., 1982, I, 1221; Cass., 28 juin 1985, R.C.J.B., 1986, note CORNELIS; il était admis que la loi établissait une saisie-arrêt légale entre les mains de l'assureur au profit de la victime : T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 274 ; Mons, 21 février 1990, R.D.C.B., 1991, p. 1092, note COUSY ; Gand, 17 février 1988, R.G.D.C., 1991, p. 71, note LECHIEN ; contra: Civ. Bruxelles, 21 mars 1998, J.L.M.B., 1990, p. 454.

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receveur de l'enregistrement, le particulier, contraint de faire appel à leurs services et victime de leurs malversations. § 3. Assiette 273. Le privilège grève les sommes que ces fonctionnaires sont tenus de déposer à la Caisse des dépôts et consignation dès leur entrée en charge, qualifiée improprement de "cautionnement"318. Il ne s’agit pas, en effet, d’une sûreté personnelle mais plutôt du versement d’une somme d’argent à titre de garantie. E. La priorité reconnue aux assurés sur les valeurs représentatives

de provisions et les réserves techniques § 1. Position de la question 274. Selon l'alinéa 1er de l'article 18 de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurance, "l'ensemble des valeurs représentatives de provisions ou réserves techniques visées à l'article 16 de la même loi forme, par gestion distincte, un patrimoine spécial réservé par priorité à l'exécution des engagements envers les assurés ou bénéficiaires d'assurances relevant de cette gestion". L'article 16 § 1er, alinéa 1er impose aux entreprises d'assurances "de calculer et de comptabiliser sous le nom de réserves ou provisions techniques les obligations qui leur incombent tant pour l'exécution des contrats d'assurance qu'elles ont souscrits, que pour l'application des dispositions légales réglementaires à ces opérations d'assurance". 275. Par dérogation à l'article 7 de la loi hypothécaire posant la règle de l'unicité du patrimoine et à l'article 544 du Code civil exprimant le principe de la libre disposition des biens dont on est propriétaire, le système mis en place par la loi du 9 juillet 1975 et par le règlement n° 3 de l'Office de contrôle des assurances (dont les fonctions sont assurées aujourd’hui par la CBFA) fixant les règles concernant l'inventaire permanent des valeurs représentatives, entraîne la formation de patrimoines spéciaux, inscrits dans un registre spécial, destiné à répondre des engagements de l'entreprise souscrits envers les assurés ou les bénéficiaires d'assurances, l'affectation spéciale de valeurs équivalentes aux obligations nées des contrats d'assurance et la reconnaissance d'un tour de faveur aux bénéficiaires de contrats d'assurances dans le cadre de la distribution du produit de réalisation des patrimoines spéciaux en cas d'ouverture d'une procédure de liquidation collective. 276. En définitive, l'ensemble des assurés et des bénéficiaires d'assurances, titulaires envers l'entreprise d'assurances, de créances conditionnelles ou à terme, nées d'une activité à laquelle correspond un patrimoine spécial géré de manière distincte par rapport aux autres 318 T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 276.

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activités de la même entreprise, disposent, sur un certain nombre de biens faisant partie intégrante de ce patrimoine spécial et affecté de manière réglementaire et formelle soit par inscription au sein d'un registre spécial tenu au siège de l'entreprise soit par déclaration d'affectation faite à la CBFA, soit par dépôt auprès d'un organisme spécial, soit encore par l'inscription d'une hypothèque légale au registre de la conservation des hypothèques, de prérogatives collectives dont le respect est assuré non par des actions d'initiative individuelle, mais par la surveillance et l'intervention éventuelles de La CBFA, combinée, le cas échéant, à la responsabilité du gestionnaire de la liquidation générale et collective de l'entreprise, d'une part, et aux règles propres à la procédure de liquidation concernée, d'autre part, entraînant, même en dehors de l'ouverture d'une procédure de liquidation générale et collective, l'insaisissabilité des biens affectés, que ce soit à l'initiative d'un assuré ou bénéficiaire d'assurances isolé ou d'un autre créancier quelconque, le remplacement obligatoire par des valeurs équivalentes, de biens affectés, cédés ou volontairement grevés, l'interdiction de la constitution, sauf l'accord de la CBFA, de sûretés nouvelles grevant des biens déjà affectés, et dans le cadre d'une procédure de liquidation générale et collective, un droit de priorité par rapport aux autres créanciers de l'entreprise, autres que les créanciers de la masse et nantis de sûretés réelles consenties antérieurement à l'affectation, prérogatives auxquelles s'ajoute, subsidiairement, un privilège général de dernier rang sur les actifs non affectés § 2. Analyse 277. Définies de la sorte, les prérogatives examinées empruntent plusieurs caractéristiques inhérentes tant à la notion de sûreté réelle qu'à celle de privilège général, sans s'identifier toutefois ni parfaitement à l'une ni entièrement à l'autre. En tant qu'elles comportent la conservation dans le patrimoine de l'entreprise, des biens affectés, avec maintien de cette affectation au bénéfice des assurés, sauf subrogation autorisée par la CBFA, les prérogatives examinées s'apparentent à la sûreté réelle, cette dernière étant, en l'occurrence, d'origine légale. Cette qualification apparaît, au demeurant, plusieurs fois dans les travaux préparatoires. Par ailleurs, en tant qu'elles sont attribuées à un ensemble de créanciers, démunis de droit d'exécution individuelle, et en tant qu'elles portent sur une universalité de biens, les prérogatives en question participent au concept de privilège général. Toutefois, l'assiette de ce privilège étant constituée d'une portion du patrimoine et non de son ensemble, le droit des assurés s'apparente également au privilège spécial. Il faut donc conclure que, dans le système de la loi du 9 juillet 1975, les assurés et les bénéficiaires d'assurances disposent d'une garantie originale, d'origine strictement légale, qui ne leur est reconnue qu'en tant qu'universalité de créanciers et ne leur confère pas de droit d'exécution individuel, qui porte sur l'universalité des biens affectés, mais qui produisent, en

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dehors du concours, un effet conservatoire opposable aux tiers, ainsi que lors de la survenance du concours, un droit de priorité par rapport, sauf exception, à tous les autres créanciers du débiteur, sur le produit de réalisation de ces biens. SECTION 5. LES PRIVILEGES LIES A UNE OPERATION FINANCIERE A. Le privilège de l’assureur § 1. Texte 278. Selon l'article 60 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, "L'assureur a un privilège sur la chose assurée pour la prime relative à la période pendant laquelle il a couvert effectivement le risque. Le privilège n'existe, quelles que soient les modalités de paiement de la prime, que pour une somme correspondant à deux primes annuelles. Ce privilège est dispensé de toute inscription. Il prend rang immédiatement après celui des frais de justice" 279. Cette disposition reprend presque littéralement les termes de l'article 23 de l'ancienne loi du 11 juin 1874 sur les assurances en général. Le jurisprudence antérieure à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle reste donc, en principe, d'actualité319. § 2. Créance garantie 280. L'assureur n'a de privilège que pour une créance de prime correspondant au risque couvert, son droit de préférence étant fondé sur la notion de conservation320. En conséquence, les primes dues après la suspension de la garantie ne sont pas privilégiées321. La compagnie ne peut davantage tenter d’exerce son privilège pour des primes encaissées, en son nom et pour son compte, par un intermédiaire mandaté par elle, mais non encore reversées par lui322. § 3. Assiette

319 STRANART, « Les sûretés », Story-Scientia, 1988, p. 80; voir une étude d'ensemble : ROLAND, « Les droits de la victime d'un accident vis-à-vis de l'assureur de la responsabilité civile de l'auteur du dommage », J.P.A., 1977-1978, pp. 103-130. 320 CAEYMAEX, Manuel des sûretés mobilières, 18/1. 321 Trib. Verviers - J. saisies, 12 février 1993, J.L.M.B., 1993, p. 985. 322 Comm. Gand, 23 octobre 1997, R.D.C.B., 1998, p. 414, note VAN SCHONBROECK.

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281. Le privilège s'exerce sur le bien assuré, corporel ou incorporel. Il peut s'agir, en effet, des créances dont la solvabilité des débiteurs est garantie par un contrat d'assurance-crédit323. B. Le privilège appartenant aux clients des intermédiaires

financiers § 1. Position de la question 282. L'article 77 § 1er de la loi du 6 avril 1995 relative au statut des entreprises d'investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et conseillers en placements pose le principe d'une interdiction faite aux entreprises d'investissement: "Les entreprises d'investissement ne peuvent recevoir des dépôts de fonds" mais y apporte immédiatement une exception: "En ce qui concerne les sociétés de bourse, cette interdiction ne s'applique pas aux dépôts à terme renouvelables à trois mois maximum de leurs clients, en attente d'affectation à l'acquisition d'instruments financiers ou en attente de restitution. La durée des dépôts à terme renouvelés ne peut excéder un au, sauf si une durée plus longue s'avère nécessaire pour ces dépôts dans le cadre d'un contrat de gestion de fortune conclu avec le client". L'article 77 § 2 alinéas 1 et 2 poursuit en précisant les modalités de l'exception au principe: "Les dépôts visés au § 1er alinéa 2 doivent être placés sous forme de dépôts ou de titres de créances liquides et pondérées à zéro pour cent pour le calcul du risque de crédit en application de la directive 93/6/CEE au nom de la société de bourse sur un compte clients global ouvert auprès d'un établissement agréé à cette fin, par catégorie individuellement, par l’autorité de contrôle. L’autorité de contrôle fixe les modalités de cette obligation, ainsi que, le cas échéant, les conditions auxquelles les établissements agréés doivent satisfaire. L'alinéa 1er ne porte pas préjudice à la possibilité pour les sociétés de bourse de placer les dépôts visés au § 1er, alinéa 2 sur des comptes sous-rubriqués au nom des clients individuels ouverts auprès des établissements agréés visés à l'alinéa 1er". L'article 77 § 2 alinéa 3 précise les particularités juridiques caractérisant les comptes visés aux alinéas précédents:

323 Liège, 10 octobre 1996, J.T., 1997, p. 341; J.L.M.B., 1996, p. 140.

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"Les comptes clients globaux et individuels visés aux alinéas 1 et 2 doivent être distincts des comptes ouverts par la société de bourse pour son propre compte auprès du même établissement. Les établissements agréés peuvent, sur les avoirs déposés sur le compte clients global ou individuel, faire valoir de droits résultant de créances propres détenues sur la société de bourse qui a ouvert ces comptes. Ces avoirs ne peuvent faire l'objet d'une saisie-arrêt par les créanciers de la société de bourse". Une dérogation à l'interdiction est autorisée par l'alinéa 4 de l'article 77, § 2, qui dispose que: "Le placement visé à l'alinéa 1er ne s'impose pas pour les fonds exigibles depuis sept jours maximum, pour les valeurs de couverture ni pour d'autres dépôts désignés par l’autorité de contrôle en raison de leur nature spécifique. L’autorité de contrôle fixe les modalités de cette exemption et désigne les actifs dans lesquels les avoirs en cause doivent être placés. Elle peut interdire que tout ou partie de ces fonds soient rémunérés par la société de bourse". 283. L'arrêté ministériel du 31 décembre 1995 portant approbation du Règlement sur le placement des fonds de clients approuve, en son article 1er, le Règlement de la caisse d'intervention des sociétés de bourse sur le placement des fonds de clients. Selon les termes de l'article 1er dudit règlement, celui-ci "(…) s'applique aux: 1° entreprises d'investissement de droit belge agréés en qualité de sociétés de bourse, en ce compris leurs succursales établies à l'étranger; 2° succursales établies en Belgique des entreprises d'investissement relevant du droit d'Etats qui ne sont pas membres de la Communauté européenne, agréées en qualité de sociétés de bourse". L'article 3, alinéa 1er du même Règlement impose aux entreprises d'investissement de placer en permanence les fonds de leurs clients "sous forme de dépôt à vue ou à terme de trois mois maximum sur des comptes clients ouverts auprès d'établissements agréés". L'alinéa 2 de cet article autorise une modalité alternative de placement, "sous forme de titres de créance d'une durée initiale ou restant à courir de maximum trois mois" pour autant que soit nul le risque de crédit attaché à ces titres de créance. L'alinéa 3 du même article précise en outre que les entreprises d'investissement ne sont pas autorisées à courir un risque de change sur les fonds de clients.

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L'article 4 du Règlement porte les limites de l'obligation de placement au total porté au bilan des dettes commerciales de l'entreprise d'investissement à l'égard de ses clients, le montant net devant être retenu en cas de convention d'unicité de comptes liant l'entreprise d'investissement à certains de ses clients. Pour les avoir déposés à l'étranger, la protection des déposants doit au moins être équivalente à celle que leur assure le droit belge. C'est ainsi que l'article 5 § 2 prévoit que: "pour les comptes clients ouverts à l'étranger, l'agrément des établissements pouvant être dépositaires des placements est subordonné à l'interdiction pour celui-ci de faire valoir, sur les avoirs que comportent ces comptes, des droits résultant de créances propres détenues sur l'entreprise d'investissement". 284. Enfin, l'article 77 § 3 dispose que: "les avoirs placés sur un compte clients global, ainsi que les avoirs déposés sur un compte sous-rubriqué au nom des clients individuels au cas où le titulaire ne peut revendiquer ceux-ci, sont affectés par privilège spécial au remboursement des dépôts visés au § 1er alinéa 2, à l'exception 1° des dépôts ayant pu être revendiqués par leurs titulaires, 2° des dépôts pour lesquels il a été fait usage de l'exemption visée au § 2, alinéa 4 (c'est-à-dire les fonds exigibles depuis sept jours au maximum, pour les valeurs de couverture et d'autres dépôts désignés par l’autorité de contrôle). § 2. Analyse 285. Les fonds remis par les clients des sociétés de bourse en attendant que l'affectation convenue puisse leur être réservée le moment venu, deviennent, par leur remise, la propriété de ces sociétés, car les genera que sont ces fonds, appartiennent, selon le droit commun auquel il n'est pas dérogé sur ce point par les textes examinés, par leur transfert même, à la personne qui les reçoit. La solution est identique lorsque les fonds sont versés à la société de bourse en monnaie scripturale et non en monnaie fiduciaire. L'inscription au crédit du compte bancaire ouvert au nom d'une société de bourse engendre dans le chef de cette dernière une créance envers l'établissement bancaire dans les livres duquel le compte est tenu. En conséquence, c'est la société de bourse qui possède la créance résultant du compte et non le client émetteur de l'ordre d'inscription du montant déposé au crédit du compte bancaire de la société de bourse.

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Cette analyse est confortée par la reconnaissance, en vertu de l'article 77 § 3 précité, d'un privilège spécial accordé par l'article 77 § 3 aux clients de la société de bourse en cas de concours sur le patrimoine de celle-ci. Le concept même de privilège suppose, en effet, que les biens sur lesquels il porte, appartiennent au débiteur des créanciers privilégiés. Le droit de revendiquer les fonds placés sur le compte clients n'est envisagé qu'à titre d'exception éventuelle au principe général que constitue, par le texte de l'article 77 § 3, le bénéfice du privilège. 286. De réelle parenté avec les opérations de réception de dépôts, dont le monopole est réservé aux établissements de crédit, le dépôt de sommes à une société de bourse tel qu'il est autorisé par l'article 77 § 1 alinéa 2 de la loi du 6 avril 1995, n'en présente guère. Seul le dépôt nécessaire à l'exécution de la mission confiée à la société de bourse, c'est-à-dire nécessaire à "l'acquisition d'instruments financiers", selon les termes de l'article 77 § 1er de la loi du 6 avril 1995 se trouve relevé de l'interdiction. 287. Cette stricte limitation du droit des agents de change au maniement de fonds appartenant à de tiers ressortait déjà de la réglementation précédemment applicable à cette profession. L'ancien article 74 du Titre V, Livre Ier du Code de commerce prévoyait en effet que les agents de change "ne pouvaient accepter des dépôts de capitaux autres que ceux se rapportant à l'exercice de leur profession, ni donner à ces dépôts la forme de dépôts de caisse d'épargne"324. Cette interdiction fut même par la suite assortie de sanctions pénales, en vertu de l'article 15 de la loi du 10 juin 1964 sur les appels publics à l'épargne, applicables à "ceux qui reçoivent du public sous quelque forme ou qualification que ce soit ou qui font appel au public en vue de recevoir des fonds remboursables à vue, à terme ou moyennant un préavis", étant entendu que les agents de change pouvaient recevoir des fonds de tiers dans les limites fixées par les textes réglementant leur profession325. 288. Tout inoffensif qu'ils soient, en raison de leur spécificité, pour le monopole de réception des dépôts reconnu aux établissements de crédit, les dépôts autorisés auprès des sociétés de bourse, laissent cependant peser sur le client déposant, le risque de l'insolvabilité éventuelle de la société de bourse. Une protection spéciale a dès lors paru indispensable. Elle est née comme on le verra, de la combinaison de divers mécanismes traditionnels de garantie.

324 Sur la description de ce système, voir VAN COTTEM, « La réception de dépôts par les entreprises d'investissement », Rev. Banque 1996, pp. 347 et ss. 325 LEBRUN, La protection de l'épargne publique et la Commission bancaire, Bruylant, p. 37 et ss.

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Les montants dont la remise par les clients n'est pas interdite doivent être placés, dit la loi, "au nom de la société de bourse (soit) sur un compte clients global ouvert auprès d'un établissement agréé à cette fin, (..) (soit) sur des comptes sous-rubriqués au nom des clients individuels ouverts auprès (d'un tel établissement)". A la simple lecture de ce texte, l'appartenance de la créance issue du "compte clients" ne paraît pas douteuse: elle fait naître une obligation de restitution du solde créditeur éventuel du compte au profit de la personne au nom de laquelle le compte a été ouvert, sans représentation. Cette créance relève dès lors du patrimoine de la société de bourse. A cet égard, la création ou non au sein du compte global, de comptes sous-rubriqués au nom des clients individuels, ne change rien à l'analyse. Ces rubriques en droit positif belge, ne sont qu'indications comptables, nullement constitutives de droits au profit des personnes tierces à la convention de compte, dont elles empruntent le nom326. Il ne pourrait en aller autrement que si, au-delà de l'indication d'une rubrique reprenant le nom du client, la société avait entendu manifester ainsi son intention d'agir comme le mandataire du client déposant. C'est cette hypothèse sans doute (ainsi que celles où serait applicable un droit étranger conduisant à des solutions différentes de celles prévalant en droit belge), que vise l'article 77 § 3 qui exclut des sommes soumises au privilège accordé aux déposants (voir infra), celles qui auront pu être revendiquées par (ou plus exactement attribuées à) certains clients327. Une convention de solidarité active donnerait également aux clients de la société de bourse un droit de créance direct envers l'établissement dépositaire, ainsi que l'intervention d'une cession de la créance née de ces dépôts, conclue entre la société de bourse et chacun de ces clients. En dehors de ces cas, il faut admettre que les clients de la société de bourse ne disposent pas d'un droit de revendication des fonds figurant sur le "compte clients". En conséquence, que l'insolvabilité de la société de bourse survienne et les sommes inscrites au crédit d'un "compte clients" viendront grossir, en principe, les actifs à répartir entre tous les créanciers en concours. La règle déposée à l'article 7 de la loi hypothécaire de la sujétion uniforme des biens du débiteur à la satisfaction des droits de tous ses créanciers (qui n'est pas formellement écartée sur ce point fondamental, par l'article 77 de la loi du 6 avril 1995) impose cette solution.

326 STRANART, Block et Clevenbergh, « La saisie-arrêt bancaire » R.P.D.B., Compl. VIII, p. 1314, n° 62bis. 327 Comp. VAN COTTEM, « La réception de dépôts par les entreprises d'investissement », Rev. Banque 1996, p. 351.

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290. Nous venons de le voir, la règle de la sujétion uniforme n'est pas formellement écartée, c'est vrai, par l'article 77 de la loi du 6 avril 1995, mais elle est singulièrement aménagée toutefois pour garantir aux clients déposants la restitution de leurs avoirs pouvant être, le cas échéant, menacée par la situation de la société de bourse. Une première limitation au principe de la libre disposition d'un droit par son titulaire, apportée par l'article 77 § 2 alinéa 3 de la loi du 6 avril 1995, oblige la société de bourse à conserver un compte spécial, distinct de ses comptes propres, destiné à recueillir les fonds remis par ses clients. Deuxièmement, et surtout, la société de bourse ne peut disposer des avoirs figurant au crédit des "comptes clients", car selon l'article 9, alinéa 2 du Règlement sur le placement des fonds de clients approuvé par l'arrêté ministériel du 31 décembre 1995, "la somme des avoirs que ceux-ci comportent doit en permanence être au moins égale au montant à placer sur ces comptes conformément à la loi et au règlement", c'est-à-dire un montant égal au "total porté au bilan des dettes commerciales de l'entreprise d'investissement à l'égard de ses clients", comme le précise l'article 4, alinéa 1er du même règlement. Troisièmement et enfin, l'article 3, alinéa 1er, déjà signalé, impose à la société de bourse le placement des fonds remis par leurs clients sous forme de dépôts à vue ou à terme de trois mois auprès d'établissements agréés conformément à l'article 5 du Règlement, ou encore sous forme de titres de créance de risque de crédit nul, exigibles à terme de trois mois au plus. Ces obligations doivent être exécutées sous le regard de l'autorité de contrôle, comme le rappelle l'article 9, alinéa 1er du Règlement précité. 291. Intéressée au premier chef par le régime juridique applicable aux comptes clients ouverts dans ses livres par les sociétés de bourse, l'établissement agréé se voit imposer une importante interdiction légale, dérogatoire au droit commun des relations contractuelles engendrées par la conclusion d'une convention de compte: il ne peut se prévaloir de l'existence de ce compte pour obtenir la satisfaction d'un droit propre. Cette interdiction implique, nous semble-t-il, qu'à l'égard de l'établissement de crédit, le compte clients soit considéré, de manière générale, comme ne faisant pas partie intégrante des actifs de la société de bourse. Il s'agit là d'un aménagement sensible de la règle générale prérappelée, contenue à l'article 7 de la loi hypothécaire. Quelles en sont les implications? En premier lieu, l'établissement agréé ne pourrait se prévaloir d'une clause de compensation ou de fusion de comptes, pour tenter de dégager le solde global de tous les comptes ouverts en ses livres par la société de bourse.

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En deuxième lieu, aucun gage consenti à l'établissement agréé ne pourrait avoir pour assiette la créance à naître du compte clients et aucune cession ne pourrait davantage porter sur celle-ci. En troisième lieu, enfin, la saisie-arrêt entre ses propres mains du crédit du compte clients ne pourrait être valablement pratiquée à l'initiative de l'établissement agréé. 292. L'éventualité de la survenance d'une situation de concours différente de la saisie-arrêt (faillite ou liquidation) doit, selon nous, recevoir une solution différente: dans ces cas, les comptes clients non susceptibles de revendication, ne sont pas isolés du patrimoine de la société de bourse et font au contraire partie des actifs à liquider. La protection des déposants se trouve dans ces cas assurée par le recours à un autre mécanisme: celui du privilège spécial collectif institué par l'article 77 § 3 de la loi du 6 avril 1995. Bien qu'en ce qui concerne les créanciers autres que l'établissement de crédit agréé, seule l'interdiction de la saisie-arrêt soit formellement exprimée par l'article 77 § 2 alinéa 3 de la loi du 6 avril 1995, sans que n'apparaisse le principe plus général de la prohibition de l'invocation d'un droit propre aux créanciers de la société de bourse sur les comptes clients, l'esprit de la réglementation commande implicitement, mais sans conteste, qu'au-delà de l'insaisissabilité de la créance née du compte clients par un créancier de la société de bourse, ce soit l'indisponibilité de cette créance que le législateur a entendu assurer en n'en autorisant, pas plus que la saisie-arrêt, l'engagement ou la cession. C. Le privilège assurant le paiement des droits et amendes § 1. Texte 293. En vertu de la loi du 19 juin 1986 modifiant le Code des droits d'enregistrement328, les jugements et arrêts des cours et tribunaux rendus à partir du 1er novembre 1986 portant condamnation, liquidation ou collocation de sommes et valeurs mobilières sont à enregistrer en débet et les droits dus de ce chef et, éventuellement, les amendes doivent être perçues par l'administration. § 2. Créance garantie et assiette 294. Conformément à l'article 150 du Code des droits d'enregistrement, les droits et charges exigibles du chef d'un jugement ou arrêt sont privilégiés sur les sommes et valeurs qui font l'objet de la condamnation, de la liquidation ou de la collocation. 328 M.B. 24 juillet 1986.

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§ 3. Rang 295. Ces droits ont priorité sur toutes les créances des bénéficiaires des condamnations, liquidations ou collocations. D. Le privilège du porteur de traites § 1. Textes 296. Aux termes de l'article 81 alinéa 1er de la loi sur la lettre de change, "le porteur a, vis-à-vis des créanciers du tireur, un créance privilégiée sur la provision qui existe entre les mains du tiré, lors de l'exigibilité de la lettre, sans préjudice de l'application (des dispositions relatives à la période suspecte en cas de faillite)." 297. L'article 83 de la même loi confère, quant à lui, au porteur "contre le tiré - non accepteur mais provisionné, une action directe en paiement de la lettre de change dans la mesure de la provision". § 2. Analyse 298. Le sort du porteur de traite non acceptée est donc comparable à celui du sous-traitant: d'une part, il dispose d'une action directe dans la mesure de la créance du tireur envers le tiré, constitutive de la provision329 et, d'autre part, d'un privilège sur la provision en cas de concours sur le patrimoine du tireur. 299. En outre, l'article 84 de la loi dispose que "le tiré ne peut plus se dessaisir de la provision si le porteur lui en fait défense. Cette défense pourra être faite par simple lettre missive, qui devra être suivie d'assignation dans les quinze jours de l'échéance. Le protêt faute de paiement vaut défense". 300. Par ailleurs, la mise en oeuvre de l'article 83 ou de l'article 84 précités interdit la saisie-arrêt postérieure de la provision. 301. Comme tout privilège, celui dont bénéficie le porteur de traite ne produit ses effets qu'en cas de concours sur le patrimoine du tiré, car il confère seulement un droit de préférence sur le produit de la réalisation du bien grevé330.

329 Sur la notion de provision, voir VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. III, 2ème éd., p. 263, n° 334. 330 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. III, 2ème éd., p. 272, n° 345.

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302. L'article 81 alinéas 2 à 6 indique l'ordre dans lequel les porteurs de lettres de change peuvent exercer leur privilège sur la même provision. 303. En revanche, la question de la confrontation entre porteurs de traites exerçant l'action directe n'est pas résolue par la loi. L'ordre établi par celle-ci vise la distribution des fonds représentatifs de la provision au profit des porteurs en leur qualité de créanciers privilégiés sur une créance appartenant au tireur, et non l'exercice d'action directement dirigées à l'encontre du tiré. Il convient, en conséquence, de régler la question par référence aux principes généraux: appliquant la règle selon laquelle l'action directe entraîne la délégation de la créance du débiteur intermédiaire envers le sous-débiteur, au profit du bénéficiaire, le paiement prioritaire est, en principe, le prix de la course. Le créancier qui, le premier, a formé l'action directe doit, en conséquence être payé totalement, à concurrence certes de ce qui lui reste dû et de ce qui reste dû à son débiteur, le solde éventuel étant destiné au créancier agissant directement mais postérieurement. 304. Le même raisonnement doit être suivi, semble-t-il en cas de concours entre l'action directe formée par le porteur d'une traite et l'action directe intentée par un sous-traitant. 305. En cas d'exécution forcée sur le patrimoine du débiteur intermédiaire, le privilège du porteur de traite institué par l'article 80 alinéa 1er de la loi sur la lettre de change et celui que reconnaît au sous-traitant, l'article 20-12° de la loi hypothécaire peuvent se trouver en concours. dans ce cas, à défaut de règle légale spécifique relative à la solution d'un tel conflit, seule la règle générale exprimée à l'article 13 de la loi hypothécaire peut être utilisée pour dénouer la confrontation. La question consiste dès lors à se demander quel est celui des deux privilèges que le législateur a entendu valoriser plus que l'autre. L'examen des travaux préparatoires de la loi du 19 février 1990 permet de penser que l'intention du législateur a été de conférer au sous-traitant une priorité absolue. On peut lire, en effet, que le sous-traitant doit être préféré à tous les autres créanciers y compris les créanciers hypothécaires331. Malgré la maladresse de l'observation332, on perçoit la volonté nette du législateur de favoriser autant que faire se peut l'entrepreneur sous-traitant. Il faut, en conséquence, conclure, semble-t-il, à la priorité du privilège du sous-traitant sur celui du porteur de traite. E. Le privilège des intermédiaires financiers

331 Discussion générale, séance du 30 mars 1983, 2099; DIRIX, « Het voorrecht en de directe vordering van de onderaannemer » R.W., 1989-1990, p. 1233. 332 Le conflit entre un privilège mobilier spécial et une sûreté réelle portant sur un immeuble étant impossible – BRULS, « La loi du 19 février 1990 complétant l'article 20 de la loi hypothécaire et modifiant l'article 1798 du Code civil en vue de protéger les sous-traitants, une réforme d'efficacité limitée », Act. Dr. 1991, p. 758.

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§ 1. Texte 306. Aux termes de l’article 31 de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers, « les intermédiaires qualifiés ont un privilège de même rang que celui du créancier gagiste sur les instruments financiers, fonds et devises : 1° qui leur ont été remis par leurs clients en vue de constituer la couverture destinée à garantir l’exécution des transactions sur instruments financiers ou des opérations à terme sur devises ; 2° qu’ils détiennent à la suite de l’exécution de transactions sur instruments financiers ou d’opérations à terme sur devises ou à la suite de la liquidation dont ils sont chargés de transactions sur instruments financiers, de souscriptions d’instruments financier ou d’opérations à terme sur devises qui sont effectuées directement par leurs clients. Ce privilège garantit toute créance de l’intermédiaire qualifié née à l’occasion de ces transactions, opérations ou liquidation visées à l’alinéa 1°, y compris les créances nées de prêts ou d’avances. § 2. Les organismes de compensation ou de liquidation ont un privilège sur les instruments financiers, fonds, devises et autres droits qu’ils détiennent en compte comme avoir propre d’un participant dans le système de compensation ou de liquidation qu’ils gèrent. Ce privilège garantit toute créance de l’organisme sur le participant née à l’occasion de la compensation ou de la liquidation de souscription d’instruments financiers ou de transactions sur instruments financiers ou d’opérations à terme sur devises, y compris les créances nées de prêts ou d’avances. Les mêmes organismes ont également un privilège sur les instruments financiers, fonds, devises et autres droits qu’ils détiennent en compte comme avoir des clients, d’un participant dans le système de compensation ou de liquidation qu’ils gèrent. Ce privilège garantit exclusivement les créances de l’organisme sur le participant nées à l’occasion de la compensation ou de la liquidation de souscriptions d’instruments financiers ou de transactions sur instruments financiers ou d’opérations à terme sur devises réalisées par le participant pour compte des clients, y compris les créances nées de prêts ou d’avances. § 3. La soumission d’instruments financiers à un régime de fongibilité ne fait pas obstacle à l’exercice des privilèges visés au §§ 1er et 2. § 4. Sans préjudice des dispositions plus spécifiques propres aux marchés réglementés prévues par ou en vertu de la loi, les intermédiaires qualifiés et les organismes de compensation ou de liquidation sont autorisés, en cas de défaut de paiement des créances garanties par le privilège prévu aux §§ 1 et 2, à procéder de plein droit, sans mise en demeure et sans décision judiciaire préalable : 1° à la réalisation d’instruments financiers et d’opérations à terme sur devises faisant l’objet de ce privilège ; 2°à la compensation de toute créance sur leurs clients ou participants avec les espèces ou devises en compte qui sont soumises au même privilège ;

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3° à l’exercice, en lieu et place du titulaire, des autres droits visés au § 2. La réalisation des instruments financiers et des opérations à terme sur devises visés à l’alinéa 1er, 1°, doit avoir lieu au prix le plus avantageux et dans les plus brefs délais possibles, compte tenu du volume des transactions ou des opérations. Le droit de réalisation visé à l'alinéa 1er, 1°, permet également de clôturer les positons ouvertes à la suite de la vente ou de l’achat d’une option et d’un contrat de futures ou à la suite de l’exécution d’une opération à terme sur devises. Le produit de réalisation des instruments financiers et opérations à terme sur devises visés à l’alinéa 1er, 1°, et le produit provenant de l’exercice des autres droits visés à l’alinéa 1er, 3°, sont imputés, conformément à l’article 1254 du Code civil, sur la créance en principal, intérêts et frais de l’intermédiaire qualifié ou de l’organisme de compensation ou de liquidation qui exerce le privilège, après exercice de la compensation visée à l’alinéa 1er, 2°. Le solde éventuel en faveur du client ou du participant sera restitué dans les plus brefs délais à l’ayant droit, sous réserve de tout autre droit que l’intermédiaire qualifié ou l’organisme de compensation ou de liquidation peut faire valoir sur ce solde. L’exercice des droits conférés aux intermédiaires qualifiés et aux organismes de compensation ou de liquidation en vertu du présent paragraphe n’est pas suspendu par la faillite, le concordat judiciaire ou le règlement collectif de dettes du client ou du participant, ni par la survenance de toute autre situation de concours entre créanciers de celui-ci. § 5. Le placement par un intermédiaire financier d’instruments financiers sur un compte auprès d’un intermédiaire qualifié ou auprès d’un organisme visé au § 1er ou § 2 ayant pour effet de soumettre ces instruments au privilège de ces derniers nécessite l’accord écrit du client de l’intermédiaire financier, à peine de violer l’article 148, § 3 de la loi du 6 avril 1995 relative aux marchés secondaires, au statut des entreprises d’investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et conseillers en placements. Cette disposition ne porte pas atteinte aux droits que les tiers ont acquis de bonne foi sur les instruments financiers ». 307. Selon l’article 7 de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque Nationale de Belgique, « les créances de la banque découlant d’opérations de crédit sont privilégiées sur tous les titres que le débiteur détient en compte auprès de la banque ou de son système de compensation de titres, comme avoir propre. Ce privilège a le même rang que le privilège du créancier gagiste. En cas de défaut de paiement des créances de la banque visées au premier alinéa, la banque peut, après mise en demeure envoyée par écrit au débiteur, procéder d’office, sans décision judiciaire préalable, à la réalisation des titres faisant l’objet de son privilège, nonobstant la survenance éventuelle d’une faillite du débiteur ou de toute autre situation de concours entre créanciers de celui-ci. La banque doit s’efforcer de réaliser les titres au prix le plus avantageux et dans les plus brefs délais possibles, compte tenu du volume des

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transactions. Le produit de cette réalisation est imputé sur la créance en principal, intérêts et frais de la banque, le solde éventuel après apurement revenant au débiteur ». 308. Enfin, l’article 10 § 1er de la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financiers dispose que « § 1er Sauf convention contraire, le privilège du créancier gagiste prime le privilège légal des intermédiaires qualifiés et des organismes de compensation et de liquidation visé à l’article 31 de la loi du 2 août 2002 si ces intermédiaires ou organismes ont accepté d’inscrire sur un compte spécial dans leurs livres au sens de l'article 4 § 1er, ledit gage portant sur des instruments financiers faisant l’objet du privilège légal ou ont reconnu la mise en gage d’espèces conformément à l’article 2072 alinéa 2 du Code civil. § 2. Le paragraphe 1er est également applicable en ce qui concerne le privilège légal visé à l’article 7 de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque Nationale de Belgique. ». § 2. Créances garanties 309. Les intermédiaires financiers ou les établissements opérant un système de liquidation, telle la Banque Nationale de Belgique, bénéficient d’un privilège spécial pour garantir le paiement de la créance née dans leur chef en contrepartie des services prestés ou avances ou prêts consentis par eux au profit de leurs clients, y compris les établissements participant au système de liquidation. 310. Ces prestations sont relatives aux transactions au comptant, opérations à terme, liquidations ou souscriptions d’instruments financiers, créances ou espèces, auxquelles ils participent. § 3. Assiette 311. Le privilège porte sur tous les avoirs remis par leurs clients (et présumés leur appartenir) ou par un établissement participant œuvrant pour un investisseur, en vue de l’exécution d’une convention sur instruments financiers, créances ou espèces, ainsi que tous les avoirs échéant entre leurs mains, en provenance de tiers et destinés à leurs clients ou à un établissement participant œuvrant pour un investisseur en exécution d’une telle convention. § 4. Rang

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312. L’exercice du privilège des intermédiaires financiers suppose l’accord écrit du titulaire des avoirs qui en constituent l’assiette, en vertu de l’article 31 § 5 de la loi du 2 août 2002. En principe, ce privilège est primé, conformément aux règles du droit commun – selon lesquelles une sûreté réelle l’emporte sur un privilège, sauf disposition légale expresse contraire –, par un gage qui serait constitué sur les mêmes avoirs. 313. Toutefois, à l’occasion de l’obtention de l’accord écrit de l’investisseur visé à l’article 31 § 5 précité, l’intermédiaire financier dispose de l’opportunité de conclure une convention contraire à la règle de la primauté du gage, ainsi que le prévoit l’article 10 § 1er de la loi du 15 décembre 2004. CHAPITRE V – LE CONCOURS DE PRIVILEGES SECTION 1. CONCOURS DE CREANCES PRIVILEGIEES RESOLUS PAR LA LOI A. Privilèges généraux § 1. Privilège des frais de justice 314. Selon l'article 17 de la loi hypothécaire, "Les frais de justice sont privilégiés sur les meubles et les immeubles, à l'égard de tous les créanciers dans l'intérêt desquels ils ont été faits". 315. L’article 19, alinéa 1er, 1° de la loi hypothécaire confirme la primauté de ce privilège grâce à son placement en tête de l’ordre que cet article impose. § 2. Autres privilèges généraux 316. L'article 19 de la loi hypothécaire décrit et classe les privilèges généraux sur meubles. L'ordre d'apparition du privilège dans la loi, au sein de l'article 19, détermine son rang. 317. L’article 26 de la loi hypothécaire indique que « les privilèges généraux sont primés par les privilèges spéciaux ». B. Privilèges spéciaux

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§ 1. Privilège du conservateur 318. Aux termes de l'article 22, "Les frais faits pour la conservation de la chose priment les privilèges antérieurs. Ils priment même, dans tous les cas, le privilège compris dans les trois derniers numéros de l'article 19". 319. On peut se demander ce qu'il faut entendre par "privilèges antérieurs". Le privilège n'a, en principe, pas de date propre. Il s'exerce au moment du concours et ne présente aucune utilité en dehors d'une confrontation avec d'autres prétentions réelles ou personnelles mises en oeuvre sur les mêmes biens. 320. Ce qu'il faut prendre en considération pour l'application de l'article 21 de la loi hypothécaire, ce n'est pas la date du privilège (car cette notion n'a pas de sens), mais la date de la naissance de la créance privilégiée. Cette interprétation de l'article 21 découle naturellement de la notion même des frais de conservation, couvrant selon la Cour de cassation "toutes les dépenses sans lesquelles la chose eût péri totalement ou partiellement ou serait tout au moins devenue impropre à l'usage auquel elle était destinée"333. Le conservateur est privilégié pour avoir sauvegardé un élément du patrimoine du débiteur. § 2. Privilèges du gagiste, hôtelier, transporteur, vendeur ou bailleur 321. L'article 23 de la loi hypothécaire résout d'autres cas de concours, en décidant que "Le créancier gagiste, l'aubergiste et le voiturier sont préférés au vendeur de l'objet mobilier qui leur sert de gage, à moins qu'ils n'aient su, en le recevant, que le prix en était encore dû. Le privilège du vendeur ne s'exerce qu'après celui du propriétaire de la maison ou de la ferme, à moins que, lors du transport des meubles dans les biens loués, le vendeur n'ait fait connaître au bailleur que le prix n'en avait pas été payé". 322. On soulignera la différence notable entre la situation du vendeur lorsqu’il se trouve face au bailleur, par rapport à celle qui est la sienne lorsqu’il est confronté à un autre créancier. L’information doit être expresse et active dans le premier cas, alors qu’elle peut résulter d’un ensemble de circonstances, autres que la notification par le vendeur, dans les autres cas. § 3. Autres concours 323. L'article 24 règle le concours entre le bailleur et le titulaire de la créance des sommes dues pour les semences, pour les frais de la récolte de l'année, ou pour les ustensiles servant à l'exploitation. 333 Cass., 9 mars 1972, Pas., 1972, I, 641.

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324. L'article 25 dispose que "Le privilège des frais funéraires l'emporte sur tous les autres privilèges, à l'exception du privilège, des frais de justice, du privilège des frais faits postérieurement pour la conservation de la chose, et du privilège de l'aubergiste, du voiturier et du créancier gagiste, en tant que ceux-ci ne sont pas primés par le vendeur de l'objet donné en gage". 325. L'expression "frais faits postérieurement pour la conservation de la chose" est plus correcte que celle contenue dans l'article 22 de la loi hypothécaire, où il était question de "privilèges antérieurs". Nous avons vu, en effet, qu'un privilège n'a, en soi, pas de date; c'est la créance à laquelle il est attaché qui naît à un moment déterminé, antérieurement ou postérieurement à une autre créance. 326. L'article 25bis règle le concours entre le privilège du bailleur d'immeuble et le privilège agricole d'une part et le privilège prévu à l'article 20-11° d'autre part (avances consenties conformément à la législation relative à la réparation des dommages provoqués par les prises et pompages d'eau souterraine - non entré en vigueur à ce jour). C. Concours de privilèges de même rang 327. L'article 14 dispose que "Les créanciers privilégiés qui sont dans le même rang sont payés par concurrence". 328. Tout comme l'article 8 de la loi hypothécaire, cette disposition exprime une évidence: les créanciers que rien ne départage doivent être traités sur pied d'égalité. SECTION 2. CONCOURS DE PRIVILEGES NON RESOLUS PAR LA LOI 329. Lorsque le concours entre privilèges mobiliers spéciaux n'est pas réglé expressément par la loi, soit parce que le législateur n'a pas prévu le concours, en raison par exemple, de l'introduction, dans le droit positif, d'un nouveau privilège, inexistant au moment de la rédaction de la loi hypothécaire, soit parce qu'il a préféré ne pas prendre position et abandonner l'interprète à la règle générale de l'article 13 de la loi en vertu de laquelle, entre créanciers privilégiés, la préférence s'établit en fonction de la qualité des privilèges. 330. Il convient donc de rechercher quel est le sens que le législateur a reconnu aux créances en concours, quels sont les intérêts qu'il a entendu protéger en leur conférant un privilège. Dans une étape ultérieure, il faut confronter les intérêts en présence pour déterminer lequel d'entre eux, dans le système général du droit positif, doit être préféré aux autres334. Dans un arrêt du 22 octobre 1986, la Cour d'arbitrage a reconnu aux Communautés et Régions, le pouvoir d'établir des privilèges dans les matières relevant de leur compétence. L'arrêt s'exprime en cas termes: "Chaque législateur peut estimer devoir 334 Cass., 4 novembre 1948, Pas., 1948, I, 608; J.T., 1949, p. 25.

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assortir d'un privilège une créance née des dispositions qu'il a prises pour régler une matière qui lui est attribuée"; et, examinant le pouvoir du législateur décrétal de fixer le rang des privilèges, l'arrêt poursuit "lorsqu'il fixe le rang du privilège qu'il crée, chaque législateur doit mettre en balance l'intérêt qu'il entend protéger en créant le privilège et les autres intérêts qui sont protégés par des privilèges créés par d'autres législateurs"335. SECTION 3. CONCOURS IMPLIQUANT LES PRIVILEGES DU CREANCIER

GAGISTE, DU BAILLEUR, DU COMMISSIONNAIRE ET DE SON

BAILLEUR DE FONDS § 1. Qualité des créances ou antériorité ? 331. L'application de la règle générale de l'article 13 de la loi hypothécaire, qui propose la solution d'un concours de privilèges en fonction de la qualité des créances, n'est pas absolue. Cette règle doit céder le pas, dans certains cas, au principe de l'antériorité. § 2. Concours impliquant un droit de gage 332. Le gage est défini, par le Code civil336, comme un contrat par lequel un débiteur (ou un tiers agissant pour le débiteur) remet une chose à son créancier (ou à un tiers convenu) pour sûreté de sa dette. Dès la tradition (réelle, systématique ou fictive) de l'objet engagé, le créancier gagiste dispose d'un droit réel, opposable à tous, qui lui permet de conserver le bien, de le faire vendre et de payer la créance garantie à l'aide des fonds provenant de l'exécution de la créance engagée, ou de la réalisation de l'objet remis337. 333. L'objet mis en gage échappe-t-il comme on l'enseigne parfois à la saisie des autres créanciers du débiteur ?338 La réponse paraît négative ; le bien reste un élément du patrimoine du débiteur pouvant faire l'objet d'une saisie, individuelle ou collective339. Certes, les autres créanciers du débiteur ont à reconnaître et à respecter les droits (notamment le droit de préférence, le droit de poursuite individuelle, le droit aux intérêts) du créancier gagiste, mais sous réserve de ces limitations, ils disposent d'un droit de recours sur le bien tel que le délaissera le créancier gagiste ayant obtenu satisfaction de sa créance. C'est le

335 Cité par MOREAU-MARGREVE, « Les sûretés » in Chronique de droit à l'usage du Palais, t. 3, pp. 80-83. 336 Article 2071; voy. également article 1er de la loi du 5 mai 1872 sur le gage commercial. 337 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, p. 995, n° 1008; Cass., 19 novembre 1992, R.W., 1992-1993, p. 1021; note VAN HAEGENBORGH, R.G.D.C., 1994, p. 55; R.C.D.B., 1992, p. 27, note VAN QUICKENBORNE. 338 FREDERICQ, Traité de droit commercial belge, t. VII, n° 451. 339 MOREAU-MARGREVE, « Heurs et malheurs du gage sur fonds de commerce », note sous Cass., 8 avril 1976, R.C.J.B., 1980, p. 160; comp. CLOQUET, « Les concordats et la faillite », in Les Novelles, Droit commercial, t. IV, p. 459, n° 1557.

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droit de saisir le bien engagé qui permet d'ailleurs la survenance d'un concours entre le créancier gagiste et les autres créanciers du débiteur. 334. Le conflit entre un droit de gage et un ou plusieurs créanciers du débiteur se résout par l'application du principe de l'antériorité. S'il est opposable aux tiers, le gage en tant que droit réel, a pris date antérieurement à la naissance du concours, alors que les droits des créanciers saisissants n'ont pu constituer des prétentions contradictoires qu'au moment de leur mise en oeuvre, c'est-à-dire au moment du concours. Le conflit qui surgit se dénoue donc naturellement au profit du créancier gagiste, sauf exceptions. 335. Dans le cadre d'un conflit entre un droit de gage et un autre droit réel, lorsque le créancier gagiste se confronte, non plus à un créancier saisissant, ou à tous les créanciers du débiteur réunis en masse, mais au titulaire d'un droit réel sur le même bien, c'est la date d'opposabilité du droit réel nouveau qui marque la naissance du conflit. 336. Ainsi le créancier gagiste d'un fonds de commerce premier inscrit prime le second créancier gagiste, nanti du même fonds, dont l'inscription est postérieure. § 3. Concours impliquant le privilège du bailleur 337. Le droit du bailleur est atypique. Nul ne le classe dans la catégorie des droits réels. Pourtant, même avant la survenance d'un concours, le bailleur dispose pour protéger l'assiette de son privilège, constituée de tout ce qui garnit les lieux loués, c'est-à-dire tout ce qui y a été introduit pour l'usage et la destination de ceux-ci de façon relativement durable340, d'une procédure de saisie-gagerie341, et d'une procédure de saisie-revendication. 338. On voit que le privilège du bailleur possède une consistance particulière. Contrairement aux autres créanciers privilégiés qui ne peuvent exercer leur droit que sur l'assiette de leurs privilèges dans l'état où celle-ci se trouve au moment de la survenance du concours, le bailleur détient sur les biens garnissant les lieux loués, un droit de contrôle, d'opposabilité absolue, dès avant l'éclatement du concours. 339. Cette circonstance implique que pour la solution à apporter à un concours de privilèges impliquant celui du bailleur, le critère redevienne chronologique, et non plus qualitatif.

340 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, n° 152 à 154; DEKKERS, Précis de droit civil belge, t. II, n° 1521; HEURTERRE, « Overzicht van rechtspraak », T.P.R., 1978, n° 73, p. 1193; STRANART, « Chronique de jurisprudence - La publicité foncière et les sûretés réelles », Rev. Banque, 1975, n° 26, p. 291; Comm. Bruxelles, 27 décembre 1973, R.J.C.B., 1974, p. 128; MOREAU-MARGREVE, « Les sûretés » in Chronique de droit à l'usage du Palais, t. III, p. 93. 341 Article 1461 du Code judiciaire.

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La question n'est plus de savoir si le bailleur possède une créance dont la qualité justifie sa prééminence sur d'autres créances privilégiées, mais de se demander -comme en droit commun- à quelle date le droit du bailleur a pris naissance, afin d'appliquer le principe d'antériorité. 340. Par son arrêt du 11 juin 1982, la Cour de cassation a en conséquence décidé que les rangs respectifs du privilège du bailleur et le droit du créancier gagiste sur fonds de commerce dépendent de l'antériorité de l'un par rapport à l'autre342. § 4. Concours entre le bailleur et le gagiste sur fonds de commerce 341. Un premier arrêt de la Cour de cassation du 8 juin 1939343 était généralement interprété en ce sens que le conflit devait se régler selon la règle de l'antériorité344. Une difficulté surgissait toutefois en ce qui concerne la détermination de la date de naissance du privilège du bailleur. Une partie de la jurisprudence préconisait la référence à la date certaine acquise par le bail, à la suite de son enregistrement345 ; d'autres décisions préféraient retenir la date à laquelle le gagiste avait eu connaissance du bail346. 342. La règle de l'antériorité avait toutefois été remise en question par une étude de Madame Moreau-Margrève selon laquelle, c'est en vertu de l'article 13 de la loi hypothécaire qu'il convient de trancher le conflit. Cette théorie impose de préférer le privilège du bailleur, particulièrement valorisé par le législateur, à celui du créancier gagiste, indépendamment de toute considération de date347. Cette opinion s'appuie sur la jurisprudence d'un jugement du tribunal de commerce de Liège du 8 octobre 1976348, d'un arrêt de la Cour d'appel de Liège

342 Cass., 11 juin 1982, I, 1171; J.T., 1983, p. 235, note Fr. GLANSDORFF, R.C.J.B., 1985, note Moreau-Margrève, pp. 378 et suiv.; voy. sur cette question DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, n° 325; VAN RYN et HEENEN, t. I, n° 405; CLOQUET, « Les concordats et la faillite », in Les Novelles, Droit commercial, t. IV, n° 1949; comp. MOREAU-MARGREVE, note précitée, R.C.J.B., 1985, pp. 378 et suiv.; « Les sûretés », in Chronique de droit à l'usage du Palais, t. III, p. 135; Comm. Bruxelles, 5 mars 1996, J.T., 1996, p. 344; Liège, 18 juin 1992, J.L.M.B., 1993, p. 888. 343 Cass., 8 juin 1939, Pas., 1939, I, 925. 344 LEDOUX, « Chronique de jurisprudence – Les sûretés réelles », J.T., 1975, n° 53; J.T., 1981, n° 77; J.T., 1987, n° 92, p. 311; VAN COMPERNOLLE, « Les sûretés réelles traditionnelles en droit belge » in Les sûretés, Feduci, 1984, p. 106. 345 Anvers, 17 décembre 1979, J.C.B., 1990, II, 57; cassé par Cass., 11 juin 1982 précité; Comm. Charleroi, 5 octobre 1977, J.T., 1978, p. 547. 346 Mons, 2 février 1981, Rev. Rég.. Dr. , 1981, p. 167. 347 MOREAU-MARGREVE, « Heurs et malheurs du gage sur fonds de commerce », note sous Cass., 8 avril 1976, R.C.J.B., 1980, pp. 12 et suiv., spéc. n° 32. 348 Comm. Liège, 8 octobre 1979, Jur. Liège 1980, p. 77.

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du 26 mai 1982349, et d'un jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 27 octobre 1981350. 343. De leur côté, la plupart des auteurs, concluant à l'application de la règle d'antériorité, se fondaient sur le motif que le privilège du bailleur serait fondé sur une idée de gage tacite, mais ne s'accordaient pas sur la date à laquelle il prend naissance. 344. Comme le relevait Monsieur Glansdorff351, trois critères pouvaient être pris en considération : - la date de la conclusion du bail, - la date à laquelle le bail acquiert date certaine et devient opposable aux tiers, - la date d'exécution du bail par l'entrée des biens dans l'immeuble. 345. L'opinion selon laquelle la date à retenir serait celle de l'entrée des biens dans l'immeuble, a été avancée par De Page352, et reprise par l'arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 1982 qui décide que "Ce n'est (…) pas la date d'enregistrement du bail qui est déterminante pour établir à quel moment a pris naissance le privilège du bailleur, mais bien la date réelle où la convention de bail a été exécutée et où les meubles ont été introduits dans les biens loués"353. C'est, en effet, la créance garantie qui naît au moment de la conclusion du bail, mais pas la sûreté que la loi y attache. Celle-ci, pour naître et exister, suppose un support, une assiette, un objet: il faut que se trouvent dans les lieux loués, des meubles qui les garnissent. 346. Pour les mêmes raisons, on ne peut lier la naissance de la garantie du bailleur à l'octroi d'une date certaine au bail. En outre, si le législateur prévoit que la créance garantie est plus large lorsque le bail a date certaine (dans ce cas, le privilège porte sur la totalité des loyers à échoir – article 20-1° de la loi hypothécaire), c'est précisément que le privilège "existe de toute façon dans l'hypothèse inverse, même en couverture d'une créance plus réduite"354.

349 Liège, 26 mai 1982, J.T., 1983, p. 238. 350 Comm. Bruxelles, 27 octobre 1981, J.T., 1983, p. 238. 351 Note sous Cass., 11 juin 1982, J.T., 1983, p. 236. 352 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, p. 251. 353 Cass., 11 juin 1982, Pas., 1982, I, p. 1171; pour les commentaires doctrinaux de cet arrêt, voy. VERBIST, note sous Cass., 11 juin 1982, R.D.C.B., 1983, p. 343; ZENNER, « Le droit d'être payé par préférence - Observations sur les principaux privilèges en matière de faillite et de concordats », Rev. Rég. Dr., 1984, n° 15, p. 135; T'KINT et COPPENS, « Examen de jurisprudence - La faillite et les concordats », R.C.J.B., 1984, pp. 569 à 571; LEDOUX, « Chronique de jurisprudence - Les sûretés réelles », J.T., 1987, n° 92, p. 311; MOREAU-MARGREVE, « Les sûretés » in Chronique de droit à l'usage du Palais, vol. III, 1987, p. 135; VAN COMPERNOLLE, « Les sûretés réelles traditionnelles en droit belge » in Les sûretés, Feduci 1984, p. 106 et la note 166; Comm. Bruxelles, 4 septembre 1992, Rep. Not. 1993, p. 122; Civ. Bruxelles, 8 juin 1994, J.L.M.B., 1994, p. 1079. 354 GLANSDORFF, note sous Cass., 11 juin 1982, J.T., 1983, p. 237.

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347. On aperçoit que la solution retenue par la Cour de cassation est la seule possible en droit: le "privilège" du bailleur existe, et est opposable aux tiers, par le biais de la saisie-revendication, dès l'entrée des meubles dans les lieux loués, en exécution du contrat de bail. Il importe peu que l'assiette du privilège soit fluctuante et que sa véritable valeur ne soit prise en compte qu'au moment de la poursuite (il en va de même de la valeur d'un fonds de commerce nanti, par exemple). Ce qui est à rechercher ici, c'est la date à partir de laquelle la garantie du bailleur prend naissance, et non celle où cette garantie est exécutée. Cette garantie ne pouvant exister sans objet, la date du privilège du bailleur à retenir pour la solution du concours est bien, comme l'a décidé la Cour de cassation, la date d'exécution matérielle du bail, par l'introduction de biens dans l'immeuble loué. 348. Que se passe-t-il si les meubles ont été introduits dans les lieux loués avant la conclusion du bail, et si les lieux ont été précédemment occupés par le preneur en une autre qualité? Il a été jugé qu'en ce cas, le privilège n'a pu prendre rang à la date de la présence des biens dans les lieux, car celle-ci ne s'est pas produite "en exécution" du bail355. 349. Si le bail bénéficiant à une personne physique, qui avait garni les lieux loués, a été cédé à une société en vertu d'un apport à cette dernière du patrimoine commercial de cette personne, c'est la date de la cession qu'il faudra prendre en considération pour décider qu'existe le privilège sur les actifs sociaux garnissant les lieux356. § 5. Concours entre le bailleur et le vendeur d'effets mobiliers 350. L'article 23 alinéa 2 de la loi hypothécaire livre la solution du conflit en énonçant que "Le privilège du vendeur s'exerce après celui du propriétaire de la maison ou de la ferme". 351. L'exception au principe, contenue dans l'article 23 aliéna 2 in fine de la loi hypothécaire. 352. L'article 23 alinéa 2 de la loi hypothécaire poursuit toutefois en énonçant une exception: "(…) à moins que lors du transport des biens dans les lieux loués, le vendeur ait fait savoir au bailleur que le prix n'en avait pas été payé". 353. Par un arrêt du 26 février 1982, la Cour d'appel de Bruxelles a estimé que le dépôt de la facture par le vendeur ne suffisait pas à faire connaître au bailleur que le prix de la machine livrée n'avait pas été payé.

355 Comm. Liège, 15 novembre 1983, Jur. Liège, 1984, p. 621; Comm. Verviers, 17 mars 1986, p. 380; Cass., 23 novembre 1993, précité; STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles - Développement récents », J.B., 1992, p. 121. 356 Liège, 10 février 1989, Rev. Rég. Dr., 1989, p. 183.

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L'arrêt se fonde sur deux considérations. Premièrement, selon la Cour d'appel, la formalité du dépôt de la facture est une condition d'existence et de conservation du privilège (article 20-5 de la loi hypothécaire), alors que l'obligation de porter à la connaissance du bailleur, le crédit accordé à l'acheteur tend à fixer le rang du privilège (article 23 alinéa 2 de la loi hypothécaire). Ces deux formalités ne peuvent donc se confondre. Deuxièmement, il serait injustifié d'exiger du bailleur qu'il se renseigne auprès du greffe du tribunal de commerce, alors que la démarche d'avertir le bailleur peut être attendue de la part du vendeur. Ces deux arguments paraissent totalement convaincants357. 354. En effet, les termes de l'article 23 alinéa 2 de la loi hypothécaire sont clairs: pour lui être préféré, le vendeur doit, au moment de la livraison, faire connaître au bailleur que le prix du bien livré n'en a pas été payé. Cette démarche est précisée quant à son contenu (l'information porte sur le non paiement du prix), quant à son destinataire (le bailleur); et quant au moment où elle doit s'accomplir (celui de la livraison du bien). 355. La loi insiste sur la particularité de la démarche requise. Le dépôt de la facture, information générale et non réceptice, ne saurait répondre aux exigences de l'article précité. 356. Par ailleurs, même si, comme le souligne justement Monsieur Glansdorff358, les bailleurs sont de plus en plus professionnels, de sorte qu'il est possible d'exiger d'eux une gestion plus attentive de leurs intérêts, encore ne pourrait-il leur être demandé de vérifier constamment si de nouvelles factures ont été déposées au greffe du tribunal de commerce du lieu de l'immeuble loué. Il est, en revanche, logique de mettre à charge du vendeur qui livre une machine, l'obligation de se renseigner pour savoir si l'immeuble où l'acheteur exerce ses activités, est ou non, pris en location et, dans l'affirmative, de prévenir activement le bailleur (indépendamment du dépôt de la facture) du non paiement du prix. C'est à cette solution que conduisent, selon nous, le texte et l'esprit de l'article 23 alinéa 2 de la loi hypothécaire. § 6. Concours entre le vendeur de machines et le créancier gagiste sur

fonds de commerce

357 Voy. contra GLANSDORFF, note sous Comm. Charleroi, 5 octobre 1977, J.T., 1978, p. 547; et note sous Bruxelles 26 février 1982, J.T., 1983, p. 237; Gand, 17 février 1993, R.W., 1993-1994, p. 987. 358 GLANSDORFF, note sous Bruxelles 26 février 1982, J.T., 1983, p. 238.

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357. Dans une affaire où un vendeur de machines se trouvait en conflit avec un créancier gagiste sur fonds de commerce, la Cour de cassation, par un arrêt de principe du 10 novembre 1967359, a décidé que le créancier gagiste sur fonds de commerce devait être assimilé au créancier gagiste ordinaire, pour ce qui concerne l'application de l'article 23, alinéa 1er de la loi hypothécaire, qui énonce : "Le créancier gagiste (est préféré) au vendeur de l'objet mobilier qui (lui) sert de gage, à moins qu'(il n'ait) su en le recevant que le prix en était encore dû". 358. La première proposition de cette disposition ne fait que consacrer le droit commun: le gagiste, investi de la détention du bien avant le concours, possède un droit réel opposable aux créanciers du débiteur, dont les droits ne se réaliseront que lors d'une poursuite ultérieure. S'il se trouve, au sein des créances ainsi réalisées, des privilèges dont l'assiette comprend ou s'identifie à l'objet nanti, comme c'est le cas du privilège du vendeur impayé, ceux-ci passeront avant les autres créances, mais après désintéressement de la créance garantie par gage. La deuxième proposition de l'article 23 alinéa 1er réserve toutefois l'hypothèse où le gagiste aurait su que l'objet engagé n'était pas payé. Comment interpréter cette exception? 359. Selon l'arrêt du 10 novembre 1967, la connaissance du non paiement du prix de la chose vendue peut résulter du dépôt de la facture au greffe du tribunal de commerce du lieu où l'acheteur a son domicile ou sa résidence. On sait que cette formalité est requise, par l'article 20-5° de la loi hypothécaire, pour le maintien du privilège du vendeur nonobstant l'immobilisation du bien par destination ou la faillite de l'acheteur. L'interprétation donnée par la Cour de cassation à la notion de "connaissance" dans le chef du gagiste, a souvent été critiquée en doctrine. Si celle-ci approuvait généralement la solution dans l'hypothèse où la vente a précédé la mise en gage du fonds de commerce et son inscription360, car le créancier gagiste, prêteur professionnel, dispose, au moment de la négociation du crédit, de la possibilité de vérifier si un vendeur a déposé une facture au greffe, elle faisait valoir toutefois, à juste titre, que le système ne pouvait donner satisfaction dans le cas où la vente avait eu lieu postérieurement à la mise en gage361. Il ne pourrait, en effet, être exigé du créancier gagiste de se tenir

359 Cass., 10 novembre 1967, Pas. 1968, I, 343; R.W., 1967-1968, col. 1033, avec les conclusions de Monsieur le Procureur général KRINGS, alors Avocat général. 360 VINCENT, « Chronique de jurisprudence – La publicité foncière et les sûretés réelles », J.T., 1968, n° 113, p. 732; KIRKPATRICK, note sous Cass., 10 novembre 1967, J.T., 1968, pp. 61 et ss.; LINSMEAU, « Le concours entre le privilège du vendeur de machines et celui du créancier gagiste sur fonds de commerce », J.T., 1972, p. 744, n° 3. 361 VINCENT, « Chronique de jurisprudence – La publicité foncière et les sûretés réelles », J.T., 1968, n° 113, p. 732; KIRKPATRICK, note précitée, J.T., 1968, pp. 62 ; CLOQUET, « Les concordats et la faillite » in Les Novelles, Dr. Comm., t. IV, 2ème éd., n° 1519 ; COPPENS, « Examen de jurisprudence – Faillites et concordats », R.C.J.B., 1969, p. 440, n° 78; STRANART, « Chronique de jurisprudence – La publicité foncière – Les sûretés réelles », Rev. Banque, 1975, p. 315.

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quotidiennement au courant de la consistance du gage, en consultant les registres du greffe pour y repérer éventuellement les acquisitions de matériel faites par l'acheteur postérieurement à l'inscription du gage. Comme le note Madame Stranart362, l'arrêt du 10 novembre 1967, en se bornant à affirmer que la connaissance du non paiement de l'objet vendu pouvait résulter du dépôt de la facture au greffe, ne se prononce pas sur la question de savoir s'il faut opérer une distinction entre les effets d'un dépôt de facture antérieur à l'inscription du gage, ou ceux d'un dépôt qui y serait postérieur. Cette distinction ne devait pas être examinée pour les besoins du rejet du pourvoi dont la Cour se trouvait saisie. On pouvait dès lors penser que le dépôt de sa facture par le vendeur ne constituait qu'un élément de fait, sur lequel les juges du fond pouvaient se fonder, pour rechercher si, au regard de l'article 23 alinéa 1er de la loi hypothécaire, le gagiste "connaît" la situation de l'objet livré. 360. Toutefois, par trois arrêts du 28 septembre 1972363, la Cour de cassation précise que si la preuve de la connaissance du non paiement du prix dans le chef du créancier gagiste peut résulter du dépôt de la facture au greffe, il est indifférent que le dépôt soit antérieur ou postérieur à l'inscription du gage. Le vendeur d'équipements professionnels doit donc être préféré au créancier gagiste, quelles que soient les dates respectives de la mise en gage et de la vente, dès lors qu'il a accompli la formalité prévue par l'article 20-5° de la loi hypothécaire. 361. Comme le relève, à juste titre, Madame Stranart, les motifs des arrêts examinés ne sont pas dépourvus d'ambiguïté364. En effet, l'utilisation, par la Cour de cassation, tant dans les motifs de son arrêt de 1967 que dans ceux de 1972, de l'expression selon laquelle la connaissance du gagiste "peut" résulter du dépôt de la facture, tend à faire penser que cette formalité ne serait qu'un élément, éventuellement parmi d'autres, dont disposerait le juge du fond pour rechercher si le gagiste connaissait, ou ne connaissait pas, le non paiement du meuble. Cette interprétation est cependant en contradiction avec l'enseignement de la Cour de cassation selon lequel le dépôt de la facture effectué conformément à l'article 20-5° de la loi hypothécaire, est suffisant au regard des exigences de connaissance visées à l'article 23 alinéa 1er de la même loi. En conséquence de quoi, le juge du fond qui déciderait que la preuve de la connaissance n'est pas rapportée, alors qu'il constate que le dépôt a été effectué, violerait

362 « Chronique de jurisprudence – La publicité foncière – Les sûretés réelles », Rev. Banque, 1975, p. 315. 363 Cass., 28 septembre 1972, Pas., 1973, I, 103, avec les conclusions de Monsieur le Procureur général KRINGS, alors avocat général. 364 STRANART, « Chronique de jurisprudence - La publicité foncière - Les sûretés réelles », Rev. Banque, 1975, p. 315.

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la loi, car, selon la Cour de cassation, la preuve de la connaissance dans le chef du créancier gagiste, résulte du dépôt de la facture365. 362. La jurisprudence de l'arrêt de 1972 a été confirmée par un arrêt du 7 mai 1987 qui décide que "Le privilège du vendeur de machines, appareils, outillage ou autre matériel d'équipement professionnel employés dans les entreprises industrielles, commerciales ou artisanales, est opposable aux autres créanciers, et, entre autres, au créancier nanti d'un gage sur fonds de commerce du débiteur, lorsque, ainsi que le prévoit l'article 23 de la loi hypothécaire, ce créancier savait que le prix du matériel vendu n'était pas payé; que la preuve de cette connaissance résulte du dépôt au greffe de la facture, même non acceptée, dans la quinzaine de la livraison dudit matériel, conformément à l'article 20-5° de la loi hypothécaire; que la loi ne fait pas de distinction suivant que le dépôt de la facture a été fait avant ou après l'inscription du gage". L'espèce soumise à la Cour de cassation avait été tranchée, en première instance, par le juge des saisies, dans le cadre d'une procédure individuelle intentée par le créancier gagiste, en dépit de la faillite de l'acheteur. Il ressort dès lors de l'arrêt du 7 mai 1987 (R.W. 1987-1988, p. 195), que le dépôt de la facture par le vendeur impayé assure l'opposabilité de son privilège, non seulement dans le cadre du règlement du concours par le curateur, mais également dans celui de la saisie. Il faut dès lors admettre que selon la Cour de cassation, le dépôt de la facture entraîne une présomption de connaissance dans le chef du créancier gagiste dispensant le vendeur de l'obligation d'en rapporter la preuve366. 363. Contrairement à ce qu'avait décidé un jugement du tribunal de commerce de Namur du 29 mai 1975367, pour être préféré au gagiste, le vendeur n'est pas obligé de déposer sa facture avant la livraison du bien non payé. Malgré l'emploi à l'article 23 alinéa 1 de la loi hypothécaire, des termes "en le recevant", la formalité imposée au vendeur industriel n'est pas modifiée dans le cadre du conflit qui l'oppose au gagiste sur fonds de commerce. Le dépôt de la facture peut donc avoir lieu dans la quinzaine de la livraison368. Soulignons toutefois que depuis le 1er janvier 1998, date de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les faillites, le privilège du vendeur ne disparaît plus lors de la déclaration de faillite. Le dépôt de la facture ne se justifie plus que pour éviter la perte du privilège par l'immobilisation du bien vendu. 364. L'interprétation de l'article 23 alinéa 1er de la loi hypothécaire à laquelle s'est ralliée la Cour de cassation, prend résolument le parti du vendeur, au détriment du créancier gagiste

365 STRANART, « Chronique de jurisprudence - La publicité foncière - Les sûretés réelles », Rev. Banque, 1975, p. 315. 366 Voir STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles - Développements récents », J.B., 1992, p. 120. 367 Jur. Liège, 1975-1976, p. 14. 368 COPPENS et T'KINT, « Examen de jurisprudence - Faillites et concordats », R.C.J.B., 1979, p. 427, n° 90.

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sur fonds de commerce. Cette position permet d'éviter, dans une large mesure, que la sûreté du gagiste repose sur un bien impayé, et en conséquence reçoive une exécution au détriment du vendeur et non du débiteur, lequel ne consentirait, en définitive, aucun effort de garantie, obtenant à bon compte, le crédit du gagiste, grâce aux facilités que lui procurerait, par ailleurs, le vendeur, en l'autorisant à payer à terme l'objet engagé. § 7. Concours impliquant le privilège du commissionnaire 365. Certains auteurs ont considéré, par référence au régime du gage, que la date de la mise en possession de l'objet constituant l'assiette du privilège au profit du commissionnaire, permettrait d'en fixer le rang. Ainsi, lorsqu'un concours se produit entre un créancier gagiste et un commissionnaire mis en possession de marchandises qu'il accepte de détenir comme tiers convenu dans le cadre du contrat de gage, on a pu proposer que le concours se résolve selon l'ordre des mises en possession369. Il faudrait donc, selon cette théorie, vérifier si l'entrée en possession des marchandises par le commissionnaire a eu lieu dans le cadre de l'exécution du contrat de commission, ou dans le cadre de l'exécution de la mission de tiers convenu, détenteur pro alio, du gage. 366. Cette solution doit être approuvée. En effet, le privilège du commissionnaire constitue une véritable sûreté réelle légale produisant ses effets, contrairement au simple privilège, indépendamment du concours. Les marchandises peuvent être réalisées, sans saisie, avec l'autorisation du président du tribunal de commerce, au profit du commissionnaire ou de son bailleur de fonds, en dehors de toute confrontation avec d'autres créanciers. Cette caractéristique particulière du "privilège" du commissionnaire et de son bailleur de fonds, conduit à approuver l'application de l'adage "Prior tempore, potior jure" aux concours qui impliqueraient de tels privilèges. 367. Le législateur a toutefois prévu une règle dérogatoire: "Le privilège du bailleur de fonds prime celui du commissionnaire"370.

369 DE PAGE, « Traité élémentaire de droit civil belge », t. VI, n° 1055M; R.P.D.B., Compl. III V° Commission n° 203; STRANART, « Chronique de jurisprudence - La publicité foncière et les sûretés réelles », Rev. Banque, 1975, p. 322, n° 43; Comp. MOREAU-MARGREVE, « Les sûretés » in Chronique de droit à l'usage du Palais, t. III, pp. 144-145; FREDERICQ, Handboek, t. I, p. 275, n° 243; VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 2ème éd. p. 36, n° 45; Cass., 25 mai 1984, Pas., 1984, I, 1155; R.D.C.B., 1984, p. 681; R.W., 1984-1985, col. 2328; Bruxelles, 20 mai 1986, R.D.C.B., 1987, obs. KOEKELENBERG; Gand, 18 janvier 1995, T.G.R., 1995, p. 244; R.D.C.B., 1996, p. 539; Comm. Courtrai, 24 janvier 1995, Dr. Europ. Transp., 1995, p. 661. 370 Article 17 de la loi du 5 mai 1872.

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§ 8. Concours impliquant le privilège du sous-traitant et le créancier gagiste

368. Lorsqu’un gage a été consenti sur la créance d’un entrepreneur principal envers le maître de l’ouvrage, ou lorsque le gage sur le fonds de commerce de cet entrepreneur s’étend aux créances nées de l'activité du fonds, un conflit peut se présenter lors de l'exécution forcée portant sur ce fonds, avec le privilège du sous-traitant. La loi n'a pas expressément réglé ce conflit. Une controverse a rapidement vu le jour à ce sujet. 369. La plupart des commentateurs se sont prononcés en faveur de la priorité du sous-traitant371, eu égard à l'intérêt particulièrement aigu que le législateur avait entendu lui manifester, cette circonstance justifiant la solution sur le fondement de l'article 13 de la loi hypothécaire. 370. Toutefois, une doctrine divergente fit entendre d'autres analyses, parfois diversement fondées. Selon M. Bruls, concéder une supériorité absolue au privilège du sous-traitant aurait le mérite de la simplicité, mais pas de la rigueur scientifique372. Par ailleurs, cet auteur estime que la règle de l'antériorité se révélant selon lui difficilement applicable au cas, le rang du privilège du sous-traitant se situerait juste au-dessus des créanciers chirographaires et privilégiés généraux, au motif que la créance garantie ne présenterait pas une importance morale ou économique suffisante pour justifier une autre solution. 371. Une autre thèse – à laquelle nous adhérions – consistait à soutenir qu'en l'absence de disposition légale en ce sens, le gage sur fonds de commerce constitué et rendu opposable aux tiers avant la survenance du concours doit être préféré au privilège du sous-traitant, car celui-ci, comme tout privilège, ne s'exerce qu'à dater du concours, sur les actifs figurant à ce moment dans le patrimoine du débiteur, dans l'état où ces actifs se trouvent, juridiquement et matériellement. L'actif grevé du gage ne forme dès lors au moment du concours pour le créancier privilégié, qu'une assiette entamée, amoindrie dans la mesure des effets produits par la sûreté antérieure373. 372. La jurisprudence des juridictions de fond révélait les mêmes oppositions.

371 DIRIX, « Het voorrecht en de directe vordering van de onderaannemer », R.W., 1989-1990, p. 1233; T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 268; CAEYMAEX, Manuel des sûretés mobilières, p. 80/7. 372 « La loi du 19 février 1990, complétant l'article 20 de la loi hypothécaire et modifiant l'article 1798 du Code civil en vue de protéger les sous-traitants, une réforme d'efficacité limitée », Act. Dr. 1991, pp. 751 et ss., spéc. n° 14. 373 GREGOIRE, obs. sous Comm. Bruges, 16 novembre 1994, I.R. Droit commercial, 1995, p. 67.

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Dans un jugement du 16 novembre 1994, le tribunal de commerce de Bruges décidait que le privilège du sous-traitant doit toujours primer le gage sur fonds de commerce374. C'est dans le même sens qu'a statué le tribunal de commerce de Liège dans un jugement du 25 juin 1997375. En revanche, la Cour d'appel de Bruxelles a estimé, dans un arrêt du 8 novembre 1995376, que le conflit examiné devait être résolu par application du principe de l'antériorité. Les dates prises en considération par la Cour ne sont cependant pas celle que les principes généraux désigneraient377 : date de la naissance de la créance de l'entrepreneur, pour le gage sur fonds de commerce et date de l'émission de sa facture, pour le privilège du sous-traitant. Enfin, dans un jugement du 5 mars 2001, le tribunal de commerce de Malines avait appliqué également la règle de l’antériorité378, mais était revenu par la suite sur cette jurisprudence pour accorder la primauté au privilège du sous-traitant379. 373. C’est précisément dans l’affaire tranchée en première instance par le jugement précité rendu le 3 décembre 2001 par le tribunal de commerce de Malines, confirmé par un arrêt de la Cour d’appel d’Anvers du 28 novembre 2002380, que la Cour de cassation a rendu un arrêt de principe du 25 mars 2004381. Les faits de la cause, tout à fait classiques, étaient les suivants. Un entrepreneur principal avait été déclaré en faillite par le jugement du tribunal de commerce de Malines du 3 juin 1999. Une banque avait été admise au passif de la faillite pour une créance importante, garantie, notamment par un gage sur le fonds de commerce de la société faillie, régulièrement inscrit au registre de la conservation des hypothèques avant la faillite. Trois sous-traitants avaient également été admis au passif privilégié de la faillite, sur pied de l’article 20-12° de la loi hypothécaire. C’est par procès-verbal de comparution volontaire que les parties avaient saisi le tribunal du commerce de la question du conflit de rang entre le gage sur fonds de commerce et le privilège du sous-traitant. On sait que les juges du fond favorisèrent les sous-traitants.

374 I.R Droit commercial, somm., 1995, p. 67, voir également au sujet de l'action directe, Comm. Liège, 26 octobre 1994, Rev. Rég. Dr., 1994, p. 542. 375 J.L.M.B., 1998, p 1247 ; voir aussi Comm. Verviers, 3 mars 1998, J.L.M.B., 1998, p. 1246. 376 D.A.O.R., 1995, n° 37, p. 89. 377 Voir sur ce point, CATTARUZZA, Le gage sur fonds de commerce, p. 99. 378 Comm. Malines, 5 mars 2001, R.W., 2001-2002, p. 1510. 379 Comm. Malines, 3 décembre 2001, R.W., 2002-2003, p. 713, citée plus haut. 380 RG. 2002/2947. 381 C. 03.0378N/1, ING/Keirs Maetrus et consorts.

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Le grief formulé à l’encontre de cette jurisprudence peut être résumé comme suit. Le gage sur fonds de commerce constitue une sûreté réelle produisant des effets d’opposabilité erga omnes dès l’accomplissement des formalités de publicité prévues par la loi. Ces formalités de publicité avaient été régulièrement satisfaites en l’espèce, conformément aux articles 2074, 2075, 2076 du Code civil, 1er et 2 de la loi du 5 mai 1872 sur le gage commercial, 1er, 2, 3, 4, 8 et 9 de la loi du 25 octobre 1919 sur la mise en gage du fonds de commerce, l’escompte et le gage de la facture ainsi que l’agréation et l’expertise des fournitures faites directement à la consommation, avant la survenance du concours sur le patrimoine de la société débitrice faillie. Les prérogatives liées aux effets du gage sur fonds de commerce, en vertu des article 9, 12, 20-3°, de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, 2079, 2082, 2083 du Code civil, 1er, 2, 9 de la loi du 5 mai 1872 sur le gage commercial, 1er, 2, 8, 9, 11 et 12 de la loi du 25 novembre 1919 sur la mise en gage du fonds de commerce, l’escompte et le gage de la facture ainsi que l’agréation et l’expertise des fournitures faites directement à la consommation, conféraient à la banque le droit d’être payée de sa créance par préférence sur le produit de réalisation des actifs formant l’assiette de la sûreté, y compris dans la mesure où celle-ci recouvrait l’assiette du privilège des sous-traitants, auxquels ces prérogatives avaient été rendues opposables antérieurement à l’exercice de leurs propres droits. En effet, c’est, soutenait la banque, seulement lors du jugement déclaratif de faillite de la société débitrice que se sont produits les effets du privilège invoqué par les sous-traitants, leur conférant certes, en vertu des articles 12 et 20-12° de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, le droit d’être payés par préférence, mais sur le produit de réalisation d’actifs déjà grevés, totalement ou partiellement, d’une sûreté réelle antérieurement constituée et rendue opposable erga omnes au profit de la demanderesse en cassation. Contrairement à la thèse accueillie par l’arrêt attaqué, c’était donc bien l’antériorité et l’opposabilité aux tiers des droits acquis à la demanderesse en cassation, par rapport à l’exercice des droits des sous-traitants, qui devait conduire à lui reconnaître la primauté de rang, et non l’article 13 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851 qui ne régit, à défaut de dispositions particulières, que les conflits de rang survenant entre des privilèges produisant ensemble leurs effets au moment du concours. Pour avoir fait erronément application en l’espèce de l’article 13 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, l’arrêt attaqué avait méconnu la portée de cet article et, pour avoir reconnu aux sous-traitants, le droit d’être payés de leurs créances par préférence à celle de la banque, l’arrêt attaqué a également violé les autres dispositions légales visées par le moyen. L’on comprendra, certes, qu’en pratique, le choix, pour départager les deux créanciers, de la règle de l'antériorité conduit dans tous les cas à favoriser le créancier gagiste par rapport au sous-traitant. Rien n’est plus normal, au demeurant, puisqu’en principe, tel est précisément le but d’une sûreté réelle : prémunir le créancier bénéficiaire contre la plupart des effets du concours, alors que l’objectif de l’octroi d’un privilège n’est que de favoriser un créancier dans le cadre d’un concours. Lorsque le législateur a entendu renverser ce principe, il a inséré dans la loi hypothécaire une disposition spéciale de règlement du conflit de rang en octroyant à un créancier déterminé une prérogative exceptionnelle. C’est exactement ce que le législateur a mis en place en faveur du sous-traitant, non pas, cependant, en résolvant de manière particulière le conflit avec le créancier gagiste, mais en

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lui conférant, à l’article 1798 du Code civil, une action directe à l’encontre du maître de l’ouvrage. Cette action peut être introduite dès avant la survenance du concours et n’est pas de nature à méconnaître la portée des droits du créancier gagiste sur fonds de commerce. Une distinction doit, en effet, être opérée – on l’a vu – entre les prérogatives qui appartiennent à ce dernier lors de la phase conservatoire de la sûreté et celles qui naissent de l’exécution de celle-ci. Au cours de la phase conservatoire, l’effet de garantie ne peut conduire à l’immobilisation absolue et définitive de chacun des éléments disparates formant le fonds de commerce, car seul l’ensemble fluctuant est grevé en tant qu’émanation de la combinaison opérative des composantes qui contribuent à son activité, et non ces composantes prises individuellement. Les prérogatives du créancier gagiste sur fonds de commerce consistent donc dans le pouvoir d’interdire qu’il soit frauduleusement ou fautivement porté atteinte à la valeur du tout. En dehors de ce contrôle à la marge, des biens peuvent être cédés, remplacés ou non, au gré de l’évolution normale des activités du commerçant constituant, pourvu que le fonds ne soit pas dévalorisé de manière significative382. En conséquence, l’action directe exercée par un sous-traitant pendant la phase conservatoire de la sûreté conduit certes à un détournement au profit de ce dernier du provenu de la créance-assiette de l’action directe, c’est-à-dire la créance de l'entrepreneur principal envers le maître de l’ouvrage383, mais cette perte ne saurait être critiquée par le créancier gagiste, en ce qu’elle ne constitue en soi qu’un acte normal engendré par le contrat de sous-traitance et s’inscrivant dans le cadre de son exécution. Cette situation ne se modifie – rappelons-le – que lorsque, soit par le survenance d’un concours portant sur le fonds de commerce, soit par l’exercice par le créancier gagiste sur fonds de commerce de la saisie prévue par l’article 11 de la loi du 25 novembre 1919, ses droits s’exercent sur chacun des éléments de l’ensemble et que s’opère par là une transformation du gage sur l’ensemble en une multitude de gages sur tous et chacun des éléments du fonds, mettant ainsi un terme à la fluctuation de l’assiette de la sûreté. Alors seulement, l’exercice de l’action directe se trouve entravé et alors seulement, le privilège du sous-traitant trouve à s’appliquer, mais après satisfaction des droits du créancier gagiste. En réalité, sauf exceptions, spécialement prévues par la loi, examinées plus loin, le principe de l’antériorité, comme corollaire de l’opposabilité erga omnes des droits réels, s’applique lorsqu’un conflit de droits de préférence oppose (i) une sûreté réelle et un privilège, même spécial, conduisant à une préférence systématique de la première par rapport au second (par exemple, le gage sur fonds de commerce et le privilège du transporteur, sous réserve du droit de rétention que celui-ci peut exercer même à l’encontre du créancier gagiste) ; (ii) deux sûretés réelles, départagées en fonction de leurs dates respectives d’acquisition de l’effet d’opposabilité erga omnes (par exemple un gage sur fonds de commerce et un warrantage384) ; (iii) une sûreté réelle et un privilège mobilier spécial présentant les caractéristiques de la sûreté réelle, à savoir un effet de réservation opposable à tous dès avant la survenance du concours, à partir de la constitution de l’assiette, à savoir le privilège du bailleur, le privilège du prêteur agricole, le privilège du commissionnaire, les privilèges

382 Voir supra : STRANART ET GREGOIRE, « La portée des droits du créancier gagiste sur fonds de commerce, en particulier face au créancier gagiste d’un autre type », R.D.C.B., 1994, p. 26. 383 GREGOIRE, « Chronique de jurisprudence – Les sûretés réelles et les privilèges II, 1975-2000 », Rev. Banque, 2001, II, p. 90, n° 203. 384 Cass., 19 novembre 1992, R.W., 1992-1993, note VAN HAGENBORGH ; R.C.J.B., note VAN QUICKENBORNE ; STRANART ET GREGOIRE, « La portée des droits du créancier gagiste sur fonds de commerce, en particulier face au créancier gagiste d’un autre type », R.D.C.B., 1994, pp. 15 et ss.

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immobiliers, départagés également en fonction de leurs dates respectives d’acquisition de l’effet d’opposabilité erga omnes385. Des dispositions particulières viennent corriger l’application de ce principe, en soumettant le conflit à une solution spécifique. C’est ainsi, par exemple, que l’article 23 de la loi hypothécaire dispose que « le créancier gagiste, l’aubergiste et le voiturier sont préférés au vendeur de l’objet mobilier qui leur sert de gage, à moins qu’ils n’aient su, en le recevant, que le prix en était encore dû. Le privilège du vendeur ne s’exerce qu’après celui du propriétaire de la maison ou de la ferme, à moins que lors du transport des meubles dans les lieux loués, le vendeur n’ait fait connaître au bailleur que le prix n’en avait pas été payé ». De la même manière, l’article 22 de la loi hypothécaire prévoit que « les frais faits pour la conservation de la chose priment les privilèges antérieurs ». Ce n’est que pour les autres cas de conflits (à savoir les confrontations entre privilèges, non spécialement résolues par la loi) qu’il convient d’appliquer l’article 13 de la loi hypothécaire. Aucune règle spéciale comparable à l’article 23 précité, n’ayant été prévue en ce qui concerne le privilège du sous-traitant, il faut conclure que rien ne venant en écarter l’application, le principe de l'antériorité détermine la solution du conflit entre le gage sur fonds de commerce et le sous-traitant. 374. La Cour de cassation a pourtant rejeté radicalement cette thèse. La Cour suprême fonde son enseignement sur une interprétation de l’article 13 de la loi hypothécaire, considéré comme applicable au conflit entre le gage sur fonds de commerce et le privilège du sous-traitant, ainsi que sur les intentions du législateur qui a entendu protéger particulièrement le sous-traitant en lui reconnaissant non seulement un privilège spécial mais également une action directe. Dès lors, poursuit la Cour de cassation, que l’action directe ne peut plus être invoquée postérieurement à la faillite, la protection du sous-traitant disparaîtrait complètement si le gage sur fonds de commerce devait primer le sous-traitant. 375. Ces considérations peuvent laisser le lecteur légèrement insatisfait et perplexe. Elles appellent en effet, au moins trois questions. En premier lieu, la référence faite à l’article 20-3° de la loi hypothécaire, exprimant le droit de préférence appartenant à tout créancier gagiste et non pas seulement au créancier gagiste sur fonds de commerce, jointe à l’assimilation traditionnelle faite par la Cour de cassation du gage sur fonds de commerce au gage de droit commun, notamment pour l’application de l’article 23 de la loi hypothécaire386, permettent de s’interroger sur la portée de la règle de conflit proposée par la Cour de cassation : se limite-t-elle à régler la confrontation entre le gagiste sur fonds de commerce et le sous-traitant ou également entre ce dernier et un gagiste ordinaire ? Si cette seconde interprétation doit prévaloir, alors le recours à l’article 13 de la loi hypothécaire paraît encore plus délicat. En effet, le gage, engendre certes lors du concours un privilège pure expression du droit de préférence attaché à la sûreté, mais, en tant que garantie conventionnelle, il peut assortir n’importe quelle créance principale. Le législateur n’a donc pu conférer à une telle créance un sens particulier, rendant ainsi conceptuellement 385 Voir notamment Cass., 11 juin 1982, Pas., 1982, I, 1171 ; J.T., 1983, p. 235, note GLANSDORFF ; R.C.J.B., 1985, note MOREAU-MARGREVE, pp. 378 et ss. 386 Cass., 10 novembre 1967, Pas., 1968, I, 343 ; R.W., 1967-1968, col. 1033 avec les conclusions de Monsieur le Procureur général KRINGS, alors avocat général ; Cass., 28 septembre 1972, Pas., 1973, I, 103 avec les conclusions de Monsieur le Procureur général KRINGS, alors avocat général ; Cass., 7 mai 1987, R.W., 1987-1988, col. 195.

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impossible la pesée des qualités respectives des privilèges souhaités par l’article 13 de la loi hypothécaire. Il est vrai que cette impossibilité paraît moins radicale lorsque le gage porte sur le fonds de commerce du constituant, car seul un établissement de crédit ou une institution financière est autorisée à être titulaire d’une telle sûreté387. Ainsi, la Cour de cassation a pu considérer, opportunément ou non – il s’agit là d’une autre discussion examinée plus loin – que le sous-traitant devait être préféré en règle à ce type de personnes morales. Si telle est bien l’opinion de la Cour suprême – et cela nous amène à traiter la deuxième question – s’agit-il là d’une fonction juridictionnelle vouée à l’interprétation logique et motivée des normes générales en vigueur, pour en combler le cas échéant les lacunes, et à leur application concrète – ou d’une véritable positon légistique relevant de la politique économique ? Il n’est pas déraisonnable de penser – et c’est ce que faisait valoir le moyen de cassation rejeté par l’arrêt examiné – que la règle de conflit applicable existe déjà dans le droit positif et nulle lacune n’était dès lors à combler : la sûreté réelle, régulièrement rendue opposable aux tiers, prime, en principe, les privilèges, même spéciaux, sauf si le législateur a écarté le droit commun par une disposition spéciale, tels l’article 23 de la loi hypothécaire ou l’article 23 § 5 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux travaux publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services selon lequel « les cessions et les mises en gage ne sortiront leurs effets qu’après que les ouvriers, les employés, les sous-traitants et les fournisseurs (…) auront été payés (…) ». Si le législateur avait entendu faire primer le privilège du sous-traitant sur le gage, il aurait dû et aurait pu manifester cette volonté dans un texte précis. Il ne l’a pas fait. En définitive, la Cour de cassation s’y est substituée. Cette réflexion nous amène naturellement à la troisième et dernière question : celle de l’opportunité de la prévalence du privilège du sous-traitant sur le gage. Ayant antérieurement décidé, à bon droit, que l’action directe du sous-traitant ne pouvait être introduite postérieurement à une cause d’indisponibilité de la créance de l'entrepreneur principal envers le maître de l’ouvrage, la Cour de cassation semble soucieuse de réparer la frustration ainsi créée au détriment du sous-traitant par l’affirmation d’une priorité sur le gagiste. N’est-ce pas précisément en raison de la possibilité ouverte au sous-traitant de faire valoir ses droits, dès les premiers signaux d’inexécution ponctuelle de ses obligations par l’entrepreneur principal, qu’il convenait de ne pas tenter d’assurer une surprotection du privilège du sous-traitant dans le cadre du concours ? Il en va d’autant plus ainsi que l’action directe, exercée avant le concours, c’est-à-dire pendant la période de latence du gage sur fonds de commerce (il en irait autrement pour le gage ordinaire), ne se serait pas heurtée aux prérogatives du créancier gagiste sur fonds de commerce, en raison du caractère fluctuant de son assiette. Le sous-traitant, qui consent à investir du temps et des matériaux sur un chantier sans chercher à obtenir la rémunération ponctuelle de son travail, alors que la loi lui en offre le moyen en temps utile, mérite-t-il une prime à l’indolence ? Par ailleurs, dans certains cas, ne faut-il pas s’interroger sur le type de sous-traitant, pouvant se permettre de faire un crédit long et périlleux à un entrepreneur principal ? S’agit-il là encore d’une entreprise victime du marché ? Faut-il la protéger davantage qu’un dispensateur de crédit professionnel, qui a ab initio délivré des fonds déjà consommés par l’entrepreneur principal sans avoir d’autre moyen de les récupérer que l’exercice d’un droit de préférence ? Autant de questions dont on aperçoit immédiatement le caractère politique, peut-être même idéologique, puisque, à la faveur d’une lecture caricaturale, elle pourrait se réduire à l’opposition entre le capital et le travail indépendant de la petite ou moyenne entreprise. Quelle que soit l’option à favoriser, elle relève en tous cas d’un choix d’orientation touchant davantage au contenu de la loi qu’à son interprétation.

387 Article 1er de la loi du 25 octobre 1919.

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376. Par son arrêt déjà cité du 27 mai 2004388, la Cour de cassation a décidé que le sous-traitant employé dans le cadre d’un marché public jouit, comme le sous-traitant intervenant pour l'exécution d’une entreprise privée, de la protection de l’article 1798 du Code civil. Cette garantie, on l’a vu antérieurement389 vient s’ajouter à la protection offerte par l’article 23 de la loi précitée du 24 décembre 1993.

388 Cass., 27 mai 2004, R.D.C.B., 2004, p. 897. 389 Voir supra, n° 11.