a.de margerie - théodicée - vol 2

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,,THHODICTEÉr'tinns

SUR D IETJ

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THTODICETÉ'runus

$UR DIEU, LA CRÉTTTIOI{ ET LÀ I'ROYIDEI{tlE

II

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1,',rntainebleau. - Irriprinrerie E, BouRcES

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.

TF{TTTTCEE

LA IDl]}{Ctr

AMETIEE DE MARGERIEPROFESSEUR DE PHILOSOPIIIU A L,\ I.,\CL-I,'I'É I)TS T,Ii'f'I'ItI.]S DI N^\NCY

Or-rvragc cr,.rrtLorruei par l'.\cadéniic lratrcaise,

TForslÈME Éotrtoru

REVI'E Dr ,rUCirtUXtÉR

IITUDES

SUR DIEUCRÉATIOI\ trT LA PROV

P,\ R

PARISuBBArfirE ÂCADÉ|rll0Ut

DIDIER ItT C'u, LIBRÀIRtis"35, QUAI DES AUGUSTINs,35t'

rg'i4'fous clroits réservés.

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DEUXIÈIITE PARTIEFb

LA

CRHATIOI\ ET LA PITOVIDET\CE

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THÉODICNg. Éruoss

sun DIEri, [a cnÉarI0N ET IA pRovtDEN{E

nnuxrÈ ur PaRTTE

Of,APITRD PNEMIER

[À cnÉlrtox

Cdmmeut iI faut [raiter la question dos rapports cld Dicu et du

; Commencer pat la démoustration directe de la création; employercomme contre-épreuve la critique du dualisme et du panthéisme.

I. Ce que c'est que la création. - Sa possibilité fondée sur la toute-puissance de Dieu. - sa réalité prouvée par la coutingeuce du moncle.

- Le pouvoir créateur, privilége de l'être nécessairc.Il. Le clrnnxent de l'acte créateur, mystère impénétrable. ; La bonté

de Dieu, motif cle la créatiou. - eue la création n,introduit pas lasuccession en Dieu.

Dans la première par[ie de ce livre, nous aïotls cotl;sidéré Dieu en lui-même; dans la seconde? où nousentrons en ce moment, nous étudierons ses rapports.aveo le monde.

La question des rapports de Dieu et du monde ndnous est pas absolument nouvelle; la mé[hode générale

que nous avons suivie pour démontrer l'existence deDieu nous en a donné, à chaque pas, la solution impli-cite. Nous ll'avons pas une seule fois, on voudra bien

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I cii.rprlnr i.

s'en souyenir, étudié I'idée de Dieu comme un concepl

abs[rait, imaginé par I'esprit en dehors de toute relationavec les choses réelles que nous percevons'par les sens

ou la conscience. C'es[, au confraire, en analysant leIini, le relatif , l'imparfait, le contingent, que nous

avons été conduits, par plusieurs chemins, à chercher

son explication, son prinoipe et son terme dans l'être

infini, absolu, parfait et nécessaire ; c'est toujours danset par ses rapports avec le monde que Dieu s'est pré-senté et imposé à notre raison. Mais jusqu'ici, ces rap-ports n'on[ été pour nous qu'un moyen de démonstration

et non un objeL d'étude. I1 est temps de les considérerdirectement et pour eux-mêmes. Et il importe d'autantplus

de le fairequ'ils

sontredevenus

denos jours

,comme ils I'ont été dans I'antiquité, la grande pierre

d'achoppement de la philosophie, I'occasion ou le pré-texte des systèmes qui altèrenl le plus gravemenf tantôt

Ia notion de I'infïni, tantôl la notion du fini, le plus sou-

vent l'une et I'autre à la fois.

Commencerons-nous notre étude par I'examen de ces

erreurs, et n'arriverons-nous à la vraie solution du pro-blème, je veux dire au dogme de la création, que par

l'éliminabion des théories dualistes et padthéistes ? Nous

le pourrions sans doute, et peul-être cet ordre serait-itr

préféré par le plus grand nombro des esprits de ce

temps. Toutefois, en y regardant de près, il me semble

que ce détour est inutile, et qu'il vaut mieux tout d'abordétablir directement la grande vérité contenue dans le

mot de création. sauf à demander ensuite à l'examen

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L.\ CRÉÂTItIN. i)

des doctrines rivales une confirmation et une contre-

épreuve. Je sais bieil qu'historiquemen[ l'idée de créa-tion est tard venue dans la philosophie, que I'antiquitétou[ entière I'a non-seulement méconnue, rnais ignorée,

e[ qu'elle esl entrée dans la raison moderne non à titrede découverte scienbi{ir1ue, mais à titre d'enseiguemen[révélé. Cepenclant, qu'importe après lout ? Cette rérité

qu'elle n'avait pas devinée, la raison la possède e[ ladémontre, et la démontre si bien qu'il n'y en a pas,

dans toute la métaphysique, de plus facile à étahlir;Four qui croit à Dieu et au monde, pour qui se rentlcompte de ce qu'il dit et de ce qu'il pense lorsqu'il al'-

firme leur existence réelle et distincte, le fai[ de la créa-

tion resplendit aveo une évidence qu'on ne ne sauraittrop tôt mettre eu lumière. Qu'il laisse celte évidence

pénétrer jusqu'à lui, et j'osd dire qu'il sera à jarnais

préservé des doutes e[ tles négations'qui troublent an-jourd'hui tant d'âmes. À la vue des fénèbres où elles se

perdent, iI nléprouvera plus qu'urte snrplise mêlée d'.une

compassion sincère, q,t iI sera très-fortement préparé à

soutenir, à leur profit e[ au profit de la vérité, une luttedécisive contre les systèmes sophistiques qui compTo-

mettent la philosophie contempolaine

I

Le succès de cette recherche dépend [out entier,del'exactitude aïec laquelle nous aurons posé'Ie problèmei

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6 sHAPITRE I"

c'est-à-dire de la justesse et de la clarté des idées qui

rêpondront dans notre esprib aux deux réalités dontnous voulons déterminer le rapport. Nier ou I'une ouI'autre, absorber celle-ci dans celle-là ou celleJà danscelle-oi, fausser celle des deux qu'on ne peurrait pasajuster autrement à un système préconçu, ce ne seraitpas avoir résolu la question, ce serait I'avoir dénaturée;

et c'est uri risque qu'on courl si on ne I'aborde pas avecdes données précises e[ cer[aines qui en rendent la so-lution possible.

Or, ces données, nous les possédons; mâlgré I'im-perfeotion e[ les étroites limites de notre connaissance,luous sarolls de bieu et du monde ce qu'i[ est néces-saire de savoir pour déterminer leurs rappor[s.

Et d'abord, ce que je sais du monde est, je I'avoue,bien peu de chose à cô[é de ce que j'en ignore. Je neconnais point ses dimensions, ni le nombre des êtresqui le composent, ni I'essence d'aucun d'eux; je ne puisjarnais être assuré soit de posséder la liste complète deses éléments, soit d'avoir atteint, dans tou[e son éten-

due, une seule de ses lois véritablement générales.lTlaisje ,sais et j'affime très-cer[ainement deux choses quime suffisent :

La première, c'est que le monde es[ réel, réel dansla nature, réel dans I'humanité. - Que les sages dis-putent à leur aise touchant I'essence de la matière;

qu'ils la fassent consister, comme Descartes, dansl'étendue, ou, comme Leibnitz, dans la force, ou, comme

d'antres plus sensés peut-êlre, dans la force et l'étendue

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 A CNÉATION.

tout ensemble, ces spéculations métaphysiques sup*

posent une vérité constante dont il ne leur est pas per-mis de s'écar[er sans se condamner elles-mêmes et sans

aller contre l'évidence: à savoir, qu'il y a des corps.

Ces corps, je les vois, je les touche, j'agis sur eux, jesubis leur action, je ne puis, quelque effort que j'yfasse, douter de leur réalité. .tslle est inférieure, mais

elle est; et si j'applaudis au moraliste qui m'engage àélever mes pensées au-dessus du monde de la matière

et à vivre sur[ou[ de la vie de I'esprit, je ne puis fairo

autre chose que sourire quand un rêveur entreprend de

me prouver que ce monde n'existe pas. - Ce que j'aËfirme touehant le monde de la matière, je I'affirme avec

une énergie au moins égale, touchant le monde de I'es-prit auquel j'appartiens par la partie supérieure de mon

être. À chacun des actes dont ma vie psychologique se

compose, je vois éclater l'évidence de ma propre réa-

lité. Je sens que je ne suis pas un phénomène, ni unmode, ni un attribut de quelque substance autre que

rnoi ; je sens que moi, moi-même, je suis une personne,

c'est-ildire une force distincte de toute autre, vivante,inlelligente, libre, responsable, et je n'écoute aucune

doctrine qui commenoe ou finit par me demander lesacrifice de ma personnalité.

Je sais en second lieu que ni I'existence de la nature,ni la mienne, ne sont des exislences nécessaires, et

j'affirme la contingence du monde en même temps quesa réalité.

Nous a\rons déjà indiqué ce[te infirmité essentielle et

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I

(

8 CEAPITRE I.

.commune à tous Ies êtres finis. Ne craignons point de

revenir sur une vérité dont I'oubli a produit toutes lesfolles du dualisme et du panthéisme. Autour de moi, jevois toutes choses naître et périr. La science me montreles astres eux-mêmes soumis à cette loi; elle me ra-conte en particulier que la planète que j'habite a com-mencé par être une vapeur diffuse et nlest arrivée à sa

forme et à sa solidité présente que par des condensa-tions successives. Cet universel mouvement de nais-sance et de mort constaté"par les sens dans l'étroit ho-rizon de la vie terrestre et transporté par la science dansle champ immense des espaces célestes, qu'est-il, sinonla preuve et comme I'intuition de I'universelle contin-genoe de la nature? E[ moi, moi qui, seul avec ma pen-sée, vaux plus que tout l'univers matériel, que suis-jeà mon tour, sinon un être contingenf, une vie quis'échappe, qui se renouvelle en moi sans moi, qui parconséquent n'a point en moi sa raison d'être et son prin-cipe ? Pensez-y, dirai-je à ceux qui ne croient point àla contingence du monde; avez-vous toujours existé ?

Seriez-vous, auriez-vous jamais été sans I'acte libre etpar conséquent contingen[ quivous a donné naissance?Yous qui ne pouvez point ajouter à votre taille la hau-teur d'une coudée, avez-vous, dans votre existence pré-sente, la source et la racine de votre existence future ?

Pouvez-vous, par la puissance de votre volonté ou par

la fécondité de votre essence, prolonger votre vie d'uneseconde ? Que si vous dites qu'à la vérité votre moi estcontingent sous sa forme ac[uelle, mais qu'il est néces-

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LA CRÉATION. 9

saire et éternel dans les éléments qui se sont réunis

poul' constituer sa personnalité présente, j.e vous cle-mande pour qui vous vous prenez; et je rous prie deconsidérer que votre âme n'est pas un agrégat, maisune force simple; que sa spiritualité, mille.fois démon-trée, aperçue d-'ailleurs sans démonstration par le regal,tlde la conscience, répugne à toute hypothèse q'i prétendexpliquer sa naissance par

une combinaison de par-ticules élémentaires; qu'ainsi il faut choisir ou de radéclarer élernelle et nécessaire en tant que moi et per-sonne' ou d'avouer qu'elle est contingente dans sollfond, et qu'elle a eu besoin, pour passer de la possi_bilité à la réalité, d'un ft,at qui la produisit d'une seulepièce. Mais si la conti'gence de l,esprif est aperçue par

une intuition iùmédiate de I'esprit lui-même, queileaberration ne serait-ce pas, et quel renversemen[ de lahiérarchie naturelle des choses? que de.nier la contin-gence de la matière, c'est-à-dire de ces molécules inertesqui occupent le plus bas degré de l'être e[ qui. réuriesen un tout organique, tombant sous les prises de ma

volonté et de ma puissance, en un moL clevenant moncorps, subissenl mon acfion, reçoivent de moi le mou_vement, se tiennent à mes ordres, se comportent à monégard comme un instrument et comme un serviteur."/concevez ces molécirles dans leur isolement ou consi-dérez-les dans leurs combinaisons, et tlemandez-vouss'il vous est possible de les regarder

comme néces_saires, c'est-à-dire comme telles que leur non-existenceimplique contradiction. Le bon sens et la raison vous

{.

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{O CHAPIÎNE I.

répondent que chacune. doelles, que par conséquent

chacun des corps qu'elles forment en se groupant, quepar conséquent I'univers qui es[ I'ensemble de ces corps,

doit être conçu comme étant de soi indifférent à I'exis-

tence ou à la non-existence, comme possible avaut

rltêtre réel, comme exigeant, pour la réalisation de cetl,e

possibilité, I'intervention dottne force productrice étran-

gère et supérieure.Yoilà ce que nous savons du monde. Yoici ce que

nous saYons de Dieu:Premièrement, nous savons et nous al'ons démontré

qu'il esb une réalité vivante. D'où il suit immédiatement

que toute doc[rine où Dieu est présen[é comme un être

en puissance, comme une abstraction, comme un idéal

conçu par I'espril, et n'existant point en dehors de notrepensée, doib être écartée oomme absolumelt fausse e[

insoutenable.Secondemeut, nous savons qu'il esl t;É[re parfait,

qu'il possède dans une indivisible simplicité la plénitu.de

absolue de l'être. D'où il suit que toute doctrine qui sup-

pose en lui I'imperfection et la divisibilité' toute doc-trine qui te soumel à une loi de progrès ou de déca-

dence, toute doctrine, eil un mot, qui le limit'e à un

degré quelconque corrompt sa notion, et, poussée à ses

dernières conséquences, la détruit.

Dieu, dis-je, a la plénifude absolue de l'Ûtre. Q'est-ce

à clire ? Qu'il es[ toutes choses ? Nullement, ce seraitdire que toutes choses sont Dieu, ce serait mettre en luila multiplicité, l'imperfection, la limite, ce serait inbro-

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I'I

Ii

[A CRÉATION. TI

duire dans sa vie le mal quo les êtres libres introduisent

dans Ia leur par I'abus de la liberté. Mais cela veut direqu'aucun degré d'être ne peut hors de lui exister ouêtre conçu qui n'ait en lui sa source et son principe.certes, Dieu n'est point limité par une existence quin'est pas lui, mais vient de lui et n'a de réalité que cequ'elle lui emprunte; car Dieu sans doute possède tout

ce qu'il doune. Mais il serai[ limité par une existencequi ne tiendrait rien de lui. I,e degré de réalité indépen-dante que posséderait cet[e existence manquerait àDieu, et Dieu n'aurait plus la plénitude de l'être.Dieu

es[ l'être parfait. par conséquent tout ce que laraison conçoit comme portant en soi le caractère de laperfection et de la réatité doit lui être attribué.

D'aprèsce p{incipe, nous avons pu légitimement délerminerI'idée de Dieu en y me[tant la réalité éminente et souve-raine de tous les attributs qui, à la vérité, ne se trouvent

. en nous qu'à l'état d'imperfection et de mélange, maisqui, en eux-mêmes, s'ajustent sans peine à I'idée de per-fection absolue. Par exemple, si I'homme pense et aime

en.homme, c'es[-à-dire, avec.toute sorte de limitaiionset de défaillances, en soi dependanf, la pensée et I'amourappartiennent à la catégorie de l'être et non à la caté-gorie du néant; et il nous suffit d'écarler ces bornes etces faiblesses pour nous trouver en présence de deuxperfections très-positives, par cqnséquent de deux attri-

buts divins. La même méthode nous conduit à reconnat-tre en Dieu I'attribut de la puissance. En soi, Ia puis_sance, c'est-à-dirè, la force active, la vertu de pro:

)'

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l2 CEÀPITRE I.

duire au dehors, par une fécondité spiri[uelle, des effets

qui gardent I'empreinte de leur cause, est manifeste-ment une perfection. En nous, cette perfection est im-parfaite parce que ce[te puissance est limifée de toutes

parts. Éliminez ces limi[es, éIiminez la nécessité de

I'efforf, la souffrance qui I'accompagne' I'épuisement

qui le suit, I'intervalle d'inaction dont la force finie a

besoinpour se réparer, la dépendance oùr elle est à I'é-

gard des instruments dont elle use et des ma[ériaux

qu'elle travaille, son impuissance à s'exercer au delà d'un

certain rayon, éliminez en un mot tout le négatif qui

convient au fini en tant que fini; il reste ce qui convient

à Dieu e[ ne convient qu'à Dieu, la puissance pure''

absolue, infinie, incondilionnée, la toute-puissance,

qui ne s'arrête que devant I'impossibilité métaphysiqueet devant la contradiction absolue, laquelle, étant incon-

cevable, es[ par là même irréalisabler.Yoici donc, en face I'un de I'autre, les deux termes,

désormais éclaircis, dont iI s'agit de déterminer le rap-

porb : le monde réel et contingent; Dieu réel, parfait et

tout-puissant. Toute discgssion métaphysique qui n'ac-

| . Coricevoir I'ahsurde et le"ootr"airtoire,

ce serait pour lapensée de Dieu se détruire elle-même. Le réalisor' co seraitla destruption radicale de son essence. Si l'égalité des troisângles d'un triangle à deux droits est une vérité nécessaire,

en d'autres termes, une vérité qui fait partie rle I'essence di-

vine, c'est anéantir cette ossence de supposer que Dieu puisseou concevoii ou .réaliser un triangle tlont les trois angles

soient.inégaux à deux droits.

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LA CRÉATION. I3

cepte pas ce point de départ demeurera impuissante

et stérile, comme le serait, en ma[hématiques, toute'discussion d'un problème donl les données ne seraientpoint éntendues. Au conlraire, telle est la vertu des

idées claires et des questions bien posées qu'ici les

données du problème, entendues et acceptées, condui-sent immédiatemenb à sa solu[ion. Osons dire davan-tage : p,our tout esprit qui possède la vraie notion de

Dieu et la vraie notion du monde, i[ n'y a plus de pro-blème; dans I'une comme dans l'autre, le dogme de lacréation est contenu et implici[ernent âffirmé.

D'une par[, quand j'énonce la contingence du monde,quand j'affirme qu'en lui la possibilité est distincte de

la réalité, et qu'il ne peu[ passer de I'une à I'autre qu'en

vertu d'uire action étrangère qui le produit totalementdans sa,matière comme dans sa forme, j'affirme que lemonde est créé; car ces mots produ,ctî,on totale sontla définition même de la cr'éation. Cette action uéa-trice, à qui appar[ient-elte? À quelque agen[ autre que

Dieu? À peine oserait-on le soutenir, tant il semble

évident que la vertu de produire de toutes pièces, dansses éléments comme dans son. organisalion, une sub-stance auparavant non existante esl un privilége in-communicable de la [oute-puissance. Mais sans insistersur cette considéral,ion, prenons garde que ce créateurqui, par hypothèse, ne serait pas Dieu, appartiendraitdès lors à la série des choses con[ingentes, de celles en

qui Ia possibilité est logiquement antérieure à la réalité.Il ne serait donc pas son principe à lui-même; il n'au-

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14 c[a?ITRE r.

rait l'être que d'emprunt; il serait créé, et la question

qui se posait pour le moncle recule jusqu'à lui. Sihaut qu'on remonte de créateur créé en créateur créé,il faut bien venir à I'incréé, à la source primitive, auprincipe duquel tout part. Si tout est créé, rien n'estuéé; s'il n'y a pas de source, iI n'y a point d'écoule-ment; s'il n'y a pas, en dehors et au-dessus du contin-gent,

unprincipe nécessaire,

Ia réalisation du, contin-gent n'est pas possible; s'il n'y a pas un être par soi,l'être par emprunt cesse absolument d'être concevable.En d'autres termes, le monde n'est qu'à condition d'avoirété créé, et n'a pu être créé que par un créateur exis-tant par lui-même, c'est-à-dire, par Dieu. Mais, de fait,le monde est; donc il y a un créateur, e[ ce créateur est

Dieu.I)'autre part, quand j'énonce I'existence de Dieu, c'est-

à-dire, de I'infini, j'affirme implicitement deux choses :

I'une que, s'il peut y avoir, et s'il y a du fini, oe fini ne

fait pas partie de l'essence divine où il ne pourrait en-trer sans la détruire; I'autre que ce fini, qui n'est pas

f)ieu, ne peut être e[ n'esf que par Dieu. J'arrive doncde nouveau? par une considération tirée de la na[ure de

Dieu, au résultat oir rn'a condui[ la considération dumonde, à savoir que, s'il peut y avoir autre chose que

Ilieu, cel au,tre ch,ose ne peu[ venir que de Dieu et n'estpossible qu'autant qu'il y a en Dieu nne puissance de

production totale, d'un seul mot une puissance créatrice.

Ainsi, Ia puissance créatrice de Dieu est la condition

nécessaire de la possibilité du.monde; et puisque cette

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tA CRÉATION. ,15

possibilité, étanl réalisée, es[ incontestable, il faut né-

cessairement faire enbrer Ia notion de pouvoir créateurdans Ia notion de la toute-puissance divine, et conce-voir celle-ci comme une force absolue, inconditionnée,agissant par elle-même, et n'ayant besoin de chercherhors de soi ni le modèie, ni I'iustrument, ni les maté-riaux de son æuvre.

En résumé, soit que je regarde Dieu,

ilpossède en

soi la puissance créatrice; soit que je regarde Ie moilde,il a besoin d'un créateur. Dire que Dieu est, c'es[ direque la créa[ion es[ possible; dire que le monde est,c'est dire que la création est réalisée.

L'origine du monde n'est donc un problème à résoudreque pour qui n'à éclairci ni I'idée du monde, ni. I'itlée

de Dieu. Four qui voit la réalité et la contingence dupremier, la réalité et la perfection souveraine dusecond,il u'y a plus de cluestion, il'n'y a qn'une vérilé évitlenteet un fait immédiatemen[ aperçu.

IILes questions et les diffïcultés commencent quand

on passe du fait à son explication. Le monde a été uéé,puisqu'il est; créé parDieu, puisqu'en dehor.s du monde,

.il u'y a que Dieu. $ais commen[ et pourquôi? C'est icique la raison hésite, et peut à bon droit se défier d'elle-même, en présence d'obscurités peut-être impéirétrables.Mais c'est ici elcore que trop souven[ elle se trouble et

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,16 CUAPITRE I.

s'égare. Après s'être inconsidérément flattée de tout

comprendre et de tout expliquer, elle se laisse découra-ger par les difficultés qui I'arrêtent, et, par une rétroac-tion très-peu justifiée, elle laisse le doute se répandre

sur les vérités mêmes qu'elle a démonstrativement éta-tablies. Il impolte de ne point succomber à ces fai-blesses eb o de ne point abandonner les vérités une

> fois connues, quelque diffioulté qui survienne. Il ne

> faudrait pas s'étonuer que nous ne sussions peut-,r être pas si bien les résoudre. Cela viendrait de ce que

r rrous ne saurions pas le moyen par lequel Dieu agit,> chose qui le regarde, et non pas nous et dont il a pu)) se réservel le secret sans nous faire tor[ t. ) A mettre

les choses au pis, à supposer que la question du com-

,mant et du pourquoi de la création llous fiit ici-basabsolument insoluble, ces desidarata de notre science

toujours si courfe n'ébranlent nullement la solidité des

résultats définitivement conquis. Qu'il soit ou non ex-pliqué, le fail subsiste, et ce serai[ se vouloir bien du

mal à soi-même-que de renoncbr à ce que I'on sait, par

dépib de ne pas tout savoir.Comrnent Dieu crée-t-il? Question insoluble et vaine,

si on la pose arec la prétention de connaitre le procédé

divin et la façon dont le Créateur s'y prenrl pour pro-

duire son ouvrage. Dans I'action de Dieu au dehors,

comme dans sa pensée, comme dans son amour, il y a'quelque chose d'incommunicable et, par conséquent,

f . Bossnet, T'raité ilu libre arbitre, ch. tY.

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tA OREATION. 17

d'inaccessible; il y a uu mystère auquel it faut se rési-

gner dès qu'on aborde I'infini. Or, ce[te résignation, tou-jours raisonnable e[ nécessaire, est ici d'autant plusfacile, que le même mys[ère enveloppe, proportionsgardées, l'action même des forces finies c1ui. sont dansla nature e[ celle de la force personnelle qui eSt nous-mêmes. Nous supposons dans les corps, pour rendre

compte des mouvements planétaires, une force en ver[ude laquelle chacun d'eux exerce une aotion à distanceet sor[ de lui-rnême pour attirer les autres corps yers

lui, suivant la loi dont Newton a donné la formule. Ce-pendant nul physicien ne prétend comprendre I'attrac-tion, ni expliquer le contntent de cette force dont leseffets sont manifestes e[ dont l'essence res[e profondé-ment mystérieuse. La physiologie décrit les phénomènesvitaux, elle eroi[ à la vie puisqu'elle en voi[ les mani-festations extérieures; elle n'espère point pénétrer lesecre[ tle cette force qui relie en un tout organique lesmolécules inerles de la matière et maintient, à traversleur perpétuel écoulement, I'unité et I'identité de Ia

plante ou de I'animal. Nous croyons à l'empire de notrevolonté sur notre organisme ; nous croyons et nous sen-tons qu'elle a la'vertu de mettre en mouvement ceux denos organes qui lui sont soumis. Comment cet empires'exerce-t-il? Nous n'en savons absolument rien, et sila curiosi[é demande : Com,ment celrc se fait-i,l? la science,

comme le bon sens, ne sait répondre que ceci : Cel,a sa/ait. Nous disous, à la vérité, Qû0 la volonté commandeet gue le corps abéit. Mais si nous nous entendons

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.18 L]HAPITRE I.

nous-mêmes, rlous savons bien que cette explication

n"est qu'un aveu d'ignoranoe déguisé sous une méta-phore, et qu'elle revient à dire : nous ne savons pas

comment les choses se passen[; nous yoyons seule-ment QUe, quant à I'effet produif, elles se passent

comme si la volonté était un maitre qui parle, et le corpsun serviteur qui entend et qui agit en sachant ce qu'il

falt. L'action d'une force quelconque est donc, dans sonfond, un mystère. Et e,e qui donne au mystère de I'ac-tion divine un caractère privilégié, c'est que cette actiona pour terme non plus un mouvemen[, non plus un

arrangement ou une combinaison de matériaux préexis-

tants, mais la production intégrale d'une substanbe.

Quand nous faisons des choses subsistantes, des objets,une montre, un bâtirnent, une statue, iI nous faut une

matière. Quand nous n'agissons pas sur une matière,nous ne savons produire que des modes e[ non pas des

ê[res.. Nous produisons intégralement nos résolutions I

elles n'étaien[ pas, elles deviennent par un acte de

nolre volonté. ]ltais nos résolutions ne sont pas des

êtres; nous ne les posons pas hors de nous comme des

substances distinctes; elles ne sont rien de plus que des

manières d'ê[re de nous-mêmes, des phénomènes de

notre vie. Ce que Dieu produit porte et porte seul, par

sa réalité substantielle et subsistante, la marque d'unepuissance infinie. Cela est et cela doit-ê[re. Comment

cela est-il? Nous ne le comprenons pas, et nous com-prenons très-bien que nous ne devons pas le compren-

dre, Nous comprenons aussi que cela est mystérieux

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ra caÉÀTIoN. {9

sans être contradictoire; que tirer un être du ttéanb, ce

n'est pas, comûIe on l'irnpute puérilement au dogmechrétien, prendre le néant pour matière, rnais fairepasser du possible au réel par une production totale;

qu'un tel effet ne dépassopoin[ la cause infinie à laquelle

la raison le rapporte, et qu'en vertu de la rÈigte ub aatu'

ad, posse oalet, clnsequenr,ia, il pouvai[ être produit, puis-

quril I'a été.It faut donc en prendre son parli, I'art de créer n'estpoint de ceux dont I'esprit humain puisse surprendre larecette, et nous sommes aussi incapables de la connaitreque de I'employer. Mais on peut, en dernandanL com-meut Dieu crée, avoir des visées plus modestes et cher-'cher seulement, dans la mesure d'une raison finie,quels caraotères conviennent ou répugnent à I'acte

créateur, par exemple s'il doit être conçu comme in-conscien[ ou comme éclairé, comme ihtal ou comme

libre. À ces questions, d'où dépend toute la doctrine tlela Frovidence, la raison ne reste pas sans réponse. Ellenous dit que Dieu n'est pas une force aveugle, que son

omniscience qui s'étend à toutes choses e[ jusqu'auxactions libres, enfermées, ce semble, dans les inacces-sibles replis des volontés humaines, embrasse à plusfor[e raison" son action, qui est lui-même. Tout ce qu'ilfait, il le sait; eb comme il corlnail les possibles dans son

essence qui en est la source, le principe et le modèle, il

connaî[ leur réalisation dans sa rolonté qui les appelleà I'être. La raison ajoute que Dieu, lorsqu'iI crée, agi[ en

verlu d'une dé[errnina[ion libre e[ non pal'une néces-

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']O (.]EAPITRE I.

sité de sa nature. Rien de ce qui est irnparf'ait, contin-

gent, fini, inférieur à lui, ne sauraif imposer à Dieu lanécessité d'agir. Il ne peut pas ne pas s'aimer, parce

qu'il se connaï[ comme infiniment digne d'être aimé;

son amour est naturellement et nécessairement fixé par

un objet qui lui est adéquat, je veux dire par lui-même.

Mais le monde n'est pas adéquat à Dieu; il ne peut donc

déterminer nécessairement son ac[ion. De plus, Dieusans le monde est déjà Dieu tout enlier; il a par lui-même et en lui-mênne la plénitude de l'être; il se suffit

et n'a pas besoin du monde. Dire que la création es[

nécessaire, c'est donc fausser tout à la fois la notion du

Créateur et de la créature; car c'est, d'une part, ôter

auxchoses leur caractère de contingence, e[ c'est,

d'autre part, me[tre eu Dieu l'imperfection, le devenir

e[ la limite, en l'e concevant comme n'étan[ point com-

plet sans le monde et comme n'amit'ant que par la créa-

tion à la plénitude de son développement.

Mais puisque la création est un acte d'intelligence et

de liberté, elle a, dans'la pensée divine, son motif et son

but. F{ous est-il impossible de les devinqr? I{e pouvons-nous pas, en éliminant ceux qui ne eonvierrnent nul-lement avec I'idée de la perfection divine, apepe,luoir

;

de loin ceux qui ont présidé à la naissance du mnnde ?

Nous le pouvons, sans aucun doute. Déjà nous $a;yons que Dieu, en ciéant; n'obéit à aucune nécessité

interne, bien moins enpore à aucune contrainte ext.é-rieurô. Àjoutons qu'il ne crée pas par devoir;iI 4ly apoin[ de de[te là où il n:'y a pas de créancier. Il rie crée

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I-r cnÉlrtox. 2l

pas par intérêt; il se suffit à lui-rnême, e[ I'existence du

monde ne lui ajoute ui un degré d'être, ni un'ilegré debéatitude. hlais quand nous disons que Dieu' sans y

être obligé, ni contraint, ni excité par son propre avall-

tage, a gratuitement répandu hors de lui le don de

l'ê[re, savons-nous ce que ces négations af{irment ?

. Elles affirment que Dieu a créé par bonté; elles é[en-

dent à la production totale des choses la btilte doctrineque Platon, imbu d'un préjugé tlualiste, avait restreinte

à leur organisation. < Dieu est bon, I est-il dit dans le

Tim,ée, <t et, dans celui qui esl bon, il n'y a.jamais> d'envie d'aucune sorte. ttranger à ce sentiment, il)) a voulu 'que tout fùt bon au[ant que cela était

r: possible. > Oui, cela est vrai eb cela est beau; I,Étre

qui est le bien par essence e[,n'agit quten vue du '

bien, a trouver bon de se communiquer. ll ne I'a pas

voulu pour son propre bien, qui est éternellement

complet, éternellement infini, éternellement .indépen-_

dant de I'existence des créatures;' iI I'a voulu, parce

qu'il est porté à se répandrer I et ce qu'il q voulu, il

' I'a fait .par une libre et toute-pdissante effusion de sa '

.hon é; : : : ' '... ' Ainsi, lexistence dil monde, bien loin de:li'mitef '

I I'Êffe de Dieu, en manife.ste la réalité souveraine et

'f inépuisable. fécondité. Un monde éternel, nécessgile,

existant par'trui-même,. démentipait ta to.-ut,o-.Fuissa4ce

, '', de Dieu gui ne lraurail poinr *éé :l,,n9ïWurrll "tb",

b

É.

,..7'' .#

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ù2 CHAPITRE. 1.

néan[ir; un monde contingen[ l'affirme e[ la démonlre.

Craindre que l'exisbence des ê[res qn'il a produits, quin'ont qu'en lui le principe de leur réalité, qui ne sub-sistent que par son action conservatrice, lui retire qqel-que chose, c'est prendre I'expansion de sa féconditépour une limitation de son être, et coesl,, en vérité, nepas s'en[endre soi-même.

Res[e une dernière difficulté. On craint que l'actecréa[eur ne parfage l'étemité en deux moitiés, dont ilfinirait I'une et commencerait I'autre; qu'il ne nousoblige à concevoir Dieu comme se décidant un jour àfaire ce quoil n'avait point fait encore; et .qu'ainsi iln'introduise dans sa vie la succession et le changement.Cette

objection nous est déjà connue; elle ne nous rrpoint arrêtés quand elle s'est produite à propos de lacoexistence du temps et de l'éternité; elle ne'nous arrê.tera pas davantage à propos de la création, Au fond,à quoi se ,réduit-elle ? À signaler un des aspects dumyslère total qui.nous cache le secret de la vie divine,Le monde est, et Dieu est; donc Dieu coexiste au monde.

D'autre part, le monde dure, e[ Dieu ne dure pas; doncDieu coexiste au monde oir tortt est successif, sans su-bir lui-même la loi de la succession. Cette coexistenceest tout à Ia fois absolument certaine et absolumentinexplicable. Il en est de même de la création. pourqui saib ce que r'.uf qou Dieu, iI est clair que Dieu fait

éternellement tout ce qu'il fait, et qu'il ne sort pas, parun acte transitoire, d'un 1epos où il rentrera quand cetacte sera accompli; pour qui sai[ ce que c'est que le

-'{- a;

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I

ta cnEATr0rf. 2:i

monde, il esl également évident que chacuo des êtres

qui le composent a un commencsment e[ une durée.Donc, du cô[é de Dieu, la création appartien[ à l'éter-nité; du côté du monde, au temps. L'acte créateur necomrnence pas, Ia chose créée commence.

Il faut citer ici Fénelon, qui a plus approfondi qu'au-cun autre métaphysicien cebte haute question du tcmps

et de l'élernité : <t Quelque eflort que je fasse, ô monr Dieu pour ne point multiplier vo[re éternité pai lar multitude de mes pensées bornées, il m'échappe tou-> jours de vous faire semblable à moi, et de diviser> vofre existence indivisible. Souffrez donc que j'entr6.)) encore une fois dans votre lumière inaccessible.n N'est-il pas vrai que vous.avez pu oréer une chose

r avant que d'en créer une autre? Puisque cela estr, possible, je suis en droit de le supposer. Ce que vousr n'avez pas fait encore ne viendra sans doute qu'aprèsD ce que vous avez déjà fai[. La création n'est pàs ses;n lement la créature produite hors de vous; elle ren-r ferme aussi l'action par laquelle vous produisez cette

r créature. Si vos créations sont les unes plus tôt quen les autres, elles sont successives; si vos actions sontD successives, voilà une succession en vousl et, par.r conséquen[, voilà le temps dans l'éternité même.

I

r Four démêler cetle difficulté, je remarque qu'il y ar: entre vous et vos ouvrages toute la différence qui

r doi[ être entre I'infini eL le fini, entre le permanent> et le fluide ou succe.ssif. Ce qui est fini et divisible,jr peu[ être comparô avec ce qui est fini et divisible :J

Ét

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')& 0HAPIIRE I,

D âinsi vous avez mis un ordre e[ uu airangement dans

) vos créatures par le rapporl de leurs bornes; mais) cet ordre, cet arrangement, ce rapport qui résulte des

> bornes ne peut jamais être en I'ous qui n'êtes ni divi-r sible ni borné. Une uéature peut donc être plus tÔt

)) que I'autre, parce que chacune d'elles n'a qu'une

) existence bornée; mais il est faux et absurde de pen-

) ser que yous soyez créant plus tôt I'une que I'autre.> Yotre acl,ion par laquelle vqus cré,ez est vous-même ;

) autrement vous ne pourriez a$r sans cesser d'être

u simple et indivisible.u ll faut donc concevoir que vous êtes éternellentent

> créan[ tout ce qu'il vous plait de créer. De votre part,

)) vous uéez éternellemen[ par une action simple, in-> finie et permanente qui est vous-même : de sa part,

r> la créature n'est pas créée éternellement; la borne

> esf en elle e[ non point dans votre action. Ce que

. ) vous ué,ez éternellement n'est que dans un temps ;

r c'es'b que I'existence infinie et indiviqible ne commu-

r nique au dehors qu'une existence divisible eb bornée.

> Yous ne uéez donc point une chose plus tÔt que> I'autre, quoiqu'elle doive exister deux mille ans plus

r tôt. Ces rapports sont entre vos ouvrages; mais ces

> rapporl,s de bornes ne peuvent aller jusquoà vous.' r' Yous connaissez ces rapports que vous avez faits;)) mais la connaissance des bornes de votre ouvrage ne

)) mef aucune borne en vous. Vous voyez, dans ceo couis d.'existences divisibles et bornées, ce que i'ap-> pelle le présent; mais rous royez ces choses hors de

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,[a cRÉarloti. 25

D vous; il n'y en a aucune qui vous soit plus présente

)) queI'autre.

Yousembrassez tou[ également

parvotre> infini indivisible; ce, qui n'est plus n'es[ plns, et sa

> cessation est réelle; mais la même existenc,e perma-)) nente à laquelle ce qui n'es[ plus était présent pen-r dant qu'il était, est encore la même lorsqu'une> autre chose passagère a pris la place de celle qui estn anéantie. l ,,

t. Fénelon, Traitë de l'enistence ile Dieu, deuxième partie,ch. v, art. 3

tÎ.

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1'

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CtrÀPITRE II

tts DUAI,IS&TE BT tE PANTTTÉISME

Décadence du rlualisme; vitalité persistante du panthéistne.

l. Deux dualismes : Io le dualisme manichéen, ou hypolhèse cl'un

principe éternel du mal. Réfutatiou.sommaire. - 2" Le clualismo

philosophique, ou hypothèse de l'éternité de la matière. -- Sur quel

préjugé il est fonilé. - Platon et Aristote.I1, La consubstantialité de Dieu et du monde, dogme fondamental du

panthéisme.

-Que cette doctrine nâ d'autre base scieltiflgue quc

les clifrcultés ddclogrne de la création. - Solutio[ de ces difficultés.-' Que la contraclictioq est I'essence clu panthéisme, et'la négationtlu devoir son tcrlne.

La question des rappor[s de Dieu e[ du mollde peut

receroir trois solutions. Ou. bien le monde est co çu

comme a)'ant été librement produit par Dieu dans sa

ma[ière comme dans sa fbrme : c'es[ la doctrine de la

création. Ou hien une existence nécessaire et indépett-

dante de Dieu est attribuée au monde : c'est'le dualisme.

Ou bien Dieu et le monde sont réunis dans l'unité d'une

même substance: c'est le panthéisme. Il rt'y a, dis-je,.:'

que ces tiois solutiOns, car ce n'es[ pas résoudre le pro-

blème gildd€ supprimerl'un de ses lermes, soit en niantDieu, comme le fait l'athéisrne contre lequel on[ été di-rigées nos, premilres ébudesl soil eu ttiôu[ le rnonde,

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28 IiI{APITRE II.

comme le f'erait unidéalisme trop visiblement insensé

.:pour avoir jamais été poussé jusqu'au bou[ r.

Nous avons établi, par,une démonstration direc[e, lapremière cles trois solutions possibles. Nous devons

rnaintenaut la contrôler par l'étucle des deux systèmes

qui I'ignorent ou la reje[[ent.

Le dualisme e[ le panthéisme tiennent tous deux une

place consitlérable dans le développement des religionse[ des philosophies de I'antiquité. hlais la vitalité eL

I'influence du dualisme semblent définitivement épui-séeso e[ i'élude de cette doctrine autrefois si puissante

ru'a plus qu'un in[érêt historique. Le panthéisme, au

contraiie. n'a point acher'é soir rôle; il demeure anjour-

{. Un ellort très-puissant a cependant été fait en ce sens

par Ia philosophie grecque avant Socrate. Tandis que l'Écoleionienne inclinait à réduire toute la réalité aq multiple, au

devenir, aux phénomènes qui s'écoulent, c'est-à-direr au

monde, I'Ilcole d'Éléo nie le multiple et noadmet d'autre réa-

lité que I'urr, Cest-à-dire, Dieu. Lapremière est poussée vers

I'athéisme par son esprit et ses principes;. la second'e estpoussée par les siens vers un id.éalisme absolu qui serait lanégation totale d.u monde, non-seulement de sa réalité sub-stentielle, mais même de sa réalité phénoménale. Mais un telparadoxe ne saurait êtro souteng dans sa pleine riguour et

poussé jusqu'à son dernier terne par I'esprit le plus résolu-ment chimérique. Aussi voyons-nou.s Parménide ajou[er à sa

thèse de I'unité seule enistan'te ane <loctrine physique destinéeà rendre compte des phénomènes; en quoi il leur reconnait,

comme à regret, uno quasi-réalité phénoménale; son rigide

icléalisme, en I'assotrplissant un peu' devient pauthéisute.

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l,E DUATTsME ar LE paNTuÉlsun. gg

d'hui encore I'un des plus redoutables adversaires de la

philosophie spiritualiste et chrélienne. Tour à tourrlogme religieux et système métaphysique, il règnesans par[age dans l'Inde brahmanigue; sous le voiled'une my[hologie poétique, it fait le fond du polylhéismegrec; il s'introduit dans I'idéalisme de l'Éôole d'Élée;il pénètre par un côté dans la doctrine rJ'Aristote,

malgré Ie bon'sens de ce grand socralique et son vifsenfiment de la distinction de Dieu et du monde; il està lui seul toute la- physique stoicienne; un peu plustard c'es[ lui cJui donne son unité à la vaste synthèse oùl'éclectisme alexandrin réuni[ les systèmes de la Grèseet les croyances de I'Orient. La scolastique orlhodoxe

lerencontre

encore comme son plus obstiné contra-dicteur. Il apparal[ en ltalie avec Giordano Bruno auxpremiers jours de la Renaissance. Àu dix-septièmesièole, il s'élève avec Spinoza comme une pro[estationisolée, mais puissante, contre la direction chrétienne ducartésianisme'dont il emprunte e[ dénature les prin-cipes. Au début de notre siècle, il est le terme où laphilosophie allemande vient aboutir avec Hégel. Parminons enfin, sous forme d'esprit plutôl que de systènte,

il pénètre. dans toutes les directions de la pensée con-temporaine et réussit, en bien des rencontres, à marquerde son empreinte la philosophie, I'histoire, la science de

la nature, I'art même et la poésie.

Je pourrai donr: être très-cour[ sur le dualisme, et ilfaudra que je sois assez long sur le panthéisme.

lI

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s0 CHAPITRE II"

I

On entend par dualisme toute doctrine qui suppose

la coéternité de deux principes indépendants I'un de

I'autre quant à leur origine et au fond de leur être.Mais ces deux principes peuvent être conçus de deux

manières très-tlifférentes. Dans Ie dualisme manichéenet en général dans les religions dualistes, il s'agi[ sur-tout d'expliquer I'origine du mal. Au lieu de le rap-porter à ses véritables causes, c'est-à-dire, à I'imper-fection inhérente aux choses finies et à l'abus de laliberté, on imagine deux êtres-principes, également

intelligents, ac[ifs, pnissants, sources I'un de tous lesbiens, I'autre de tous les maux et de tous les désordres,engagés I'un .con[re I'autre dans une lutte qui n'a pas

commencé et ne doit pas finir. 0n en[end bien quenous ne songeons pas à discuter cette. conceptionthéologique, qui est tout juste aussi sérieuse que lesthéomachies d'Homère. L'hypothèse d'un principe éter-

nel e[ divin du mal est, en.métaphysique, ce qu'onpeut imaginer de plus puéril et de plus contradictoire;et 1'hypothèse d'un Dieu bon, éternellement contrariédans ses desseins et limité dans sa puissance par unprincipe opposé qui serait invincible à tous ses efforts,détruit la notion de I'infini et de I'absolu dans ce qu'elle

a de plus élémentaire.Le dualisme philosophique mérité d'êfre traité plus

sérieusement, ne fùt-ce qu'en consiclération des grands

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32 oUaPITRE I1'

puissant, sage et bon,d'autre part un fond préexistant'

sur lequel cette action peut soexercer'

Lesdeuxpluspuissantsespritstlel'antiquité'Platonet Àris[ote, ont subi le joug de ce[te hypothèse qui n'est'

on le voit, qu'un préjugé fondé sur la plus trompeuse

des analogi*u. Muit il y a entre eux cet[e différence que

Ie Dieu d'Àristote est le principe de I'ordre tlu monde

sans savoir qu'il I'est, au lieu que le Dieu de Flaton est

véritablement une providence, dans Ie sens spiritualiste

et presque chrébien du not'Enfermé dans sa pensée solitaire' le Dieu d'Aristote

ne s'abaisse pas à connailre le mondb et n'entre d'au-

cune façon en rapport avec lui' [1 n'agit point sur lui

par voie d'initiative persoirnelle et à la façondes causes

àfficientes, mais par $a présence et à titre de cause'

fînale, par une at'traction morale qu'Àristote appelle

l'attraitdudésirableetdel'intelligible'C'estlemonde'c'esllamatièrequi, spontanément' parun instinct e[ uu

ressort naturel, pu ont teudance innée au bien' gravite

,'*tt Ui.u et s'organisepar rapport à lui ;

-doctrine

qui s'entendrait encors si Àristote la restreignait à

. l'ordre moral, au mouvement des ârnes vers Ie bien

qu'elles peuven[ aimer parce qu'elles q*J:nt]u connai-

tre, mais doctrine absùument inintelliginte lorsqu'elle

prétend expliquer I'organisation du monde matériel'

c'es[-à'dire d:une collection d'être incapables de pen-

sée et d'amour, incapables par conséquent de ressentirl'attrait du désirable et de I'intelligible'

Platon au contraire est, sur cette question des rap-I

tII

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LE DITaLISME ET rn paNTuÉtsun.

ports de Dieue[ du monde, aussi près de ra véritéqu'on peu[ l'être quand on ignore le mo[ unique e[ tofar

de l'éuigme. u Dleu, r dit-il dans le p"**rg, d.a Tintëedont j'ai déjà cité les premiers mots, < Dieu voulant que> tout fùt bon et qu'' n'y eût rien de mauvais autant)) que cela est possible; en outre, voyant que toutes> les choses visihres n'étaient pas en repos, mais s,agi-

, [aient d'un rnou.r,ement confus et désordonné, les> prit du sein du désordre e[ les soumit à I'ordre, pen_,' san[ que cela étai[ préférable. > yoilà le dogme dela Providence nettement affirmé, e[ re motif souveraine-ment libre et désintéressé de l'action divine clairemen[aperçu. Ce

''estpas tout, et Flaton s,approche encore

plus de la solution complète rru prohlèmu. férimnlement,la ma[ièrc I'embarrasse; il pressent que le prétenduconcours qu'elle apporte à Dieu est en réalité uneattein[e à Ia puissance et à la souveraineté divines; ilentrevoit que son existence indépendante et nécessaireest en conlradiction avec l'esprit d'unité qui règne dansson système comme dans toute

grande métaphysique.Il voudrait bien se passer de la matière; it t'eitÀrue, illa réduit à presque rien, il en pade en termes dédai_gneux; il I'appelle un pur rëceyttacle, un genre ùtforme,insaisissable, diffi,cil,e à, conceuoîr et à definir, iresqueun, rtort-êrre. Mais il s'arrête en si bon chemin ei admetqud ce non-être existe. Il laisse ainsi en dehors de

Dieu un principe indépendant qui limite son être etdéfie sa puissance. Il laisse égaleme't hors de lui lemonde des âmes; en effet, la création étant écartée. ees

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94" CHAPITRE II"

substances immatérielles et simples nepeuvent êbre

eonçues que de tleux manières : ou comme des por[ions

de l'essence divine, ce qui.est le panthéisme; ou comme

des forces indépendantes de Dieuo possédant, sans les

avoir reçues, leurs facultés essentielles, ne tenan[ de

Dieu ni leur être, ni leur organisation, ni par conséquent

leur destinée, ne lui devant rien, n'ayant ni lois à rece-

voir de lui, ni comptes à lui rendre; conséquences ex-trêmes que repousse la hau[e moralité dtt platonisme,

mais que la logique impose à sa métaphysique. Ainsi

Platon est en marche vers I'idée d'un Dieu créateur; soll

espri0 la cherche; ses principes I'invoquent; ses grands

dogmes s'y ajustent, et s'y ajustent si bien que le pla-

tonisme n'est devenu complet qu'en I'acceptant de lamain du christianisme; bien des fois on croit qu'il y

touche, que Ia distinction, si profondément marquée

dans son système, entre le temps mobile et l'éternité

permanente, entre ce qui devient eL ce qui est' entre

l'écoulemen[ des choses et I'immu[abitité divine va I'y

conduire; etcependant

ils'arrête si près du term-e, et

n'arrive point à ce complément nécessaire de sa belle

théorie des trdées et Ia Frovidence. 0lest là un faib histo-

rique aussi s.urprenant qu'il est incontestable. E[ c'est

aussi un fait très-instructif que je recommande aux spi-

ritualistes séparés, nos alliés dans la question présente.

Pour rencontrer le dogme de la création, il leur faut

sorbir de la philosophie, il leur faut remonter à la Genèse

qui I'a conservé dans un coin du monde, ou descendre

jusqu'à l'Évangile gui I'a mis en r:irculation et l'a fait

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LË DUÂTIS}TE ET ÛE PÂNTI{BIS}IE. 3ts

entrer dans la science e[ dans le sens commlm de I'hu-

manité. Quand ils défendent avec nous le dogme de lacréation comme le mot de ralliement qui nous dislingueles uns et les autres des philosophes négatifs, it fautqu'ils sachent qu'ils défendent une vérité d'importationchrétienne. Sans le christianisme, il y a toute apparencer1u'ils seraient encore dualistes comme Platon, à moinsqu'ils ne fussent devenus panthéistes comme Hégel.

IT

Venons au panLhéisme. Ce que j'ai dit U, *on histoireet de sa puissance de renouvellement à toutes les épo-

ques de la civilisa[ion indique assez avec quelle variétéde formes il a dù se produire suivant la diversité destemps, dès lieux et des esprifs. L'histoire de ses méta-morphoses est trop intéressante et trop nécessaire d'ail-leurs à Ia parfaite intelligence de sa forme contempo-raine pour que nous négligions de la parcourir. Mais

afin de nous reconnaître à travers ses diversités succes-sives, il est bon de dégager avant tout l'idée fondamen-tale qui s'y retrouve toujours; €t d'indiquer les raisonssur lesquelles il se fonde, les difficultés auxquelles ilprétend échapper, les mystères qu'il repousse, les con-tradictions par lesquelles il les remplace.

Disons donc tout d'abord que le panthéisme consisteessentiellement à concevoir Dieu et le monde oommeconsubstantiets I'un à liautre; et pour.mesurer la portéC

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3ti THAPIÎRE II.

de cqtte idée, demandons à ses partisans contemporains

les raisonsqui

laleur reoommandent. si j'ai bien com-

pris ces raisons, elles, ne se présentent. pas comme

démons[rations directes de la doctrine panthéiste, mais

comme objections insurmontables contre les doclrines

rivales.

Les panthéistes ne veulent pas plus que uous du dua-'

lisme. Comme nous, et pour les mêmes raisons quenous, ils rejettent I'hypothèse d'une matière préexisLante

imaginée pour servir de sujet à I'opération divine'

L'idée d'une unité suprênre d'où tout part et où tou[

aboutil est-très enracinée dans leur esprit, et ils com-

prennenl à merveille que poser en face de Dieu ur

second principe éternel et nécessaire comme lui, c'estporter une a[teinte morlelle à I'intégrité de la nature

divine.Ils ne veulent pas non plus de la création pour les

motifs suivan[d :

D'abord ils Ia repoussent au nom de la science. La

science,disent-ils, a pour mission de tou[ comprendre

e[ de tout expliquer; par conséquent elle ne saurait

accepter une solution qui se place ouver[ement en dehors

et au-dessus de la raison, e[ se donne non 'comme

inexpliquée, mais comme absolument et décidément

inexplicable.Ils ajoutent qu'on limite Dieu et que par conséquent

on le dé[rui[, dès qu'on admet une substance réellecomme existant hors de lui. Il importe peu qu'elle ait

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tE DUALIS}IE ET LE PANTHEIS}IE. 37

en lui son principe; dès qu'elle est autre chose que

Dieu, Dieu n'est point infini, car il ne I'est qu'à la con-dition d'être tout.

Enfin, ils imputent à la créafion d'abaisser la naturedivine, en faisant sorlir le Créateur de son éternitéimmobile pour entrer dans la succession et dans Iadurée, dans le multiple e[ dans le divisible; ils luireprochent

d'humaniser Dieu et de revenir aux vieillesmythologies? en imaginant dans l'Ê[re pur des détermi-nations anthropomorphiques, en lui prêtant des motifs,des délibéra[ions, des plans préconçus.

De ces répugnances, de ces reproches adressés à cequ'ils appellent dédaigneusement la vieille théodicéeclassique, que faudrait-il conclure en bonne logique?

Que, selon leurs principes, il.ne peut y avoir autrechose que Dieu; que le monde n'existe en aucune ma-nière. et"que la vérité est dans un idéalisne absolu,plus rigoureux e[ plus persévérant encore que celui del'école éléatique. Ce serait là, en effet, le dernier moldu panthéisme si la nature était mue[te et se ]aissail

oublier. Mais le fini existe, il a qgelque réalité, il a toubau moins une réalité de phénomène à défauf d,une réa-lité de subslance. Et quand je pourrais feindre que les,choses extérieures n'ont pas même cette existence phé-noménale, ûâ pensée toute seule, ma pensée finie,

. hésitante, instrument fragile des recherches mêmes qui.

onl Dieu pour objet, organe. des négations audacieusespar lesquelles on essale de supprimer le multiple, mapensée témoigne par son existence qu'il y a, outre I'in-

JT.

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38 cËlPlrnn ti.

fini, quelque chose encore dont il I'au[ tenir corûp{'e.

Comment dônc, après'avoir nié doune manièrê absoluela possibitité même du fini et du multiple, leur rendra-

[-on une place dans la science?

Ne pouvant, après tout, supprimer le monde, le pan'

théisme fabsorbe en Dieu; il lui retire sa réalité sub-

stantielle, et fait de Dieu le suiet de ce qui reste, c'esb-à-

dire de saréatité phénoménate. Il n'y a qu'une seule

substance, I)ieu, hors de qui rien ne peut ni exister, niêlre conçu. Mais cette substance unique a deux aspecbs'

Envisagée sous le premier, elle est l'ê[re pur et indé-

terminé, I'absol'u, I'uta sans mélange de multiple; envi'

sagé sous le second, elle devient le relatif, le multiple'

le.fini; elle es-[ la substance déterminée et développée

par des rayonnements, des épanouissements, des émænations suscessives. Dieu toqt entier est la réunion de

ce fonds absolu qui cons[itue son essence, et"ile cette

phénoménalité qui en est, sous le nom de monde et de

nature, Ie développement inépuisable.

Ainsi I'entendent tous les panthéistes, à I'exception

ûe ceui qui, comme les stoïciens, n'ont pas su élcvera$seu haut leurs pensées pour comprentlre que Dieu

doit être cherché au delà du monde.

Pour Spinoza, Dieu, I'Ètre infini en tout sens est dé-

terminé par une infinité d'attributs dont chacun est in-

fini dans sa direction particulière; et chacuu de ces

attributs sedéternine

àson tour pat une infinité de

modes dont chacun, n'exprimant que paÉiellement I'at-

tribut auguel iI se rapporte, nua qu'uue grandeur finie.

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lii nûalrsMn br ln paNrnnlsun. g0

De cette infinité d'attributs nous n'en connaissons que

' deux, l'étendue et la pens ée, et nous les connaissonspar leurs modes qui sont Ia nature matérielte et la .a-ture spirituelle. chaque corps est un mode de l'étenduedivine, chaque âme un mode de la pensée divine. L,es_sence infinie, la tofalité des attributs de I'essence, latotalité des modes de chaque attribut, voilà'Dieu toutentier, à la fois

infini e[ fini, à la fois Dieu, na[ure e[humanité.Pour les alexandrins, re monde est un écourement

nécessaire de Dieu; le fini déborde de I'infini, cornmed'un vase le trop prein de sa liqueur. Il sor[ de Dieu parémanation, il y rentre par résoqition; avant commeaprès, Dieu est l'unique substance conçue d'abord commeenfermée en soi, puis cornme manifes[ée au dehors pardes rayons qui sont quelque chose d'elle-même sansêtre elle tou[ entière.

Pour Hégel, Dieu esf l'être abstrait e[ indélermi'é,principe'de toufes les déterminations, genne de tousles développements, passant par degrés de la réalité pu.

rement matérielle à la ÉaLité, vivan[e, de Ia vie à Iasensibilité, at[eignant enfin dans la raison de l,hommela conscience de lui-même.

Pous fous, le monde fait partie de Dieu; Dieu n,estplus Dieu si vous retranchez de Ia totalité des chosesle plus petit phénomène; il est lâ sorume du fini et deI'infini. < Poinf de

finisans

infini, e[ aussi poin[ d'ir-> fini sans fini. Le fini, c'es[ l,étendue, c'est la durée.> c'est le mouvenrento c'es[ [a nature I |infi'i, c,es[

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40 CtrÀPITNE II.

>.1'immensil,é, c'est l'éternilé, c'est la cause absolue,

> c'est la substance infinie, c'est Dieu. Ainsi donc,> point .de nature sans Dieu, point de Dieu sans une

)).nature où il se développe et se déploie. La nature

)) sans Dieu n'est qu'une ombre t'aine: Dieu sans la

)) nature n'est qtt'une morte abstraction. Du sein de

r l'éternité immobile, de I'immensité infinie, de la cause

r toule-puissan[e, de l'Êtresans

bornes,s'éohappent

) sans ôesse, par u1e loi nécessaite, une.variété infinie

> d'ê[res contingents et imparfaits qui se suocèdent

r dans le temps, qui sonb juxtaposés dans I'espace,

r qui sortent sans cesse de Dieu eb aspirent sans cesse

, à y retttrer. Dieu et la nature ne sont pas deux êtres,

r: mais l'Être unique sous sa double face; ici, I'unité

, qui se mul[iplie; là, la multiplicité qui se rattache'à> I'unité. D'un côté, suivant I'expression de Spinoza, la

( nature naturantg , natwra, natut'ans,' de I'autre côté,

,r la nature naturée , nal'u,t"o naturatu. L'être vrai n'est

) pas dans le fini ou dans I'infini, il est leur éternelle,

r nécessaire et indivisible coexistence{. >

Le panthéisme, on le voit, n'a d'au[re base scienti-fique que ce qu'it appelle les impossibilités du système

de la créalion.Il aura donc été réfuté de toutes les ma-

nières possibles et il devra être repoussé tout à la fois

comme inutile et comme insoutenable, si I'on prouve

trois choses : la plemière que la doctrine de la création

| " saisset, Essad d,e phitosophie religï,eu\e, 2u éclaircisse-

ment : définilion du pauthéisme, t' tl,'p' 326-327'

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LE DUALISftI}: IiT I,E PANTHÉISME. 4I

repose sur les données les plus certaines de la raison et

de I'expérience; - la seconde, que ses difficultés réelles

viennent uniquement de I'impuissance nécessaire de

notre raison à c,omprendie I'infiui, et que ses impossi-bitités prélendues viennent de l'idée très-fausse que Ie

panthéisme se fait de la nature de Dieu et de la nature

de I'acte créateur;

-la troisième, que le panthéisme

n'échappe à ces difficultés e[ à ces mystères qu'en sejetant dans I'absurde, c'est-à-dire dans des assertions

contradictoires qui se détruisent elles-mêmes.

La première partie de cette tâche est remplie. Lacréation a étê directement démontrée, e[ j'ose dire que

ni dans la métaphysique, ni dans une autre science

quelconque, il n'y a de vérité plus rigoureusement éta-blie. Contre cette évidence de la démonstration, aucune

difficulté particulière ne peul prévaloir. À moins de

renoncer absolument à I'usage de la raison et de se je-ter dans le pur scepticisme, on doit tenir pour cerlainqu'aucune objection victorieuse, aucune preuve con-lraire ne saurait être opposée à une affirmation légiti-memen[ déduite de principes évidemmeut vrais; les

difficultés qui peuvent être élevées contre elle ont toutes

une solution, eb s'il arrive que cette solution nous

échappe, la cause en est dans I'imperfection de nobre

intelligence, et non dans quelque défaut du côté de lavérité.

La seoonde réfutabion a déjà été donnée, en partie,par la réponse aux objections du panthéisme contre

I'idée d'un Dieu créateur; nous ne ferons donc guère que

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42 CHAPITRE II"

reproduire,sous une forme nouvelle, les éclaircisse-

ments qui ont terminé le précédent chapitre'

{o Que I'idée de création répugne à Ia raison, c'est

une asÉerlion purement gratuite, où je ne puis voir

qu'une réminiscence du vieux préiugé contre lequel

pluton s'est vainement dpbattu. Àucun panthéiste n'a

jamais apporté, contre cbtte idée prise en soi, d'autre

argumentquecelui-ci:lacréationestimpossible'Àucun n'a jamais intliqué un principe de raison qui fùt

avec elle en contradiction, même apparente' Les récla-

mationsqu'ellesoulèveontleurracinedansuneconfu-sion déplorable entre ce qui dépasse la raison et ce qui

la dément; on ne veut pas voir que si la raiqon a le

tlroit de repousser ce qui la contredit, elle a le devoird'accepter ce qui Ia dépasse, quand ce qui la dépasse

est une vérité certaine. Àssurément, nous ne compre-

nons pas Ie comment de la créalion, parce que le se-

cret en demeure caché dans les profondeurs de la puis-.

sance divine; mais, dès que nous arons l'idée de la

puissance divine,nous Yoyons clairement que le pou-

voir oréaf,eur y est nécessairement compris, et qu'il est

letrai[distirrctifdelaforceinfiniecomparéeauxforcestnies; dès que I'existerice réelle du monde nous est

donnée,llousvoyonsquel'actecréateureslavecelleen corrélation nécessaire, comme le seul moyen de faire

passerlecontingentdelapossibilitéàlaréalité'

- 9o Que I'existence d'uhe substance autre que Dieutimite t'Être divin, cela est très-vrai, si cette substance

esl conçue colnme intlépendante de Dieu et existant

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IJE DUATISME ET [E PANTEÉTsuT. &8

par elle-même; cela est insoutenable si elle est conçue

comme n'ayant commeucé et ne continuant à être que

par lui. L'infinité de Dieu ne consiste pas à être toutes

choses, même les choses imparfaites et r.nauvaises;

elle consiste à posséder dans une indivisible unité laplénitude absolue de I'ttre, à être te principe et à con-tenir la réalité éminente de tout ce qui n'est pas lui, On

ne limite pas Dieu en disant qu'il est fécond, on le li-mite en enseignant qu'il est stérile.

3o Dire que la création abaisse Dieu en le soumettantaux lois de la durée successive, c'est s'arrêter devantune difficulté qui conduit logiquemen[. Iorsqu'on refused'en prendre son parti, à nier la coexistence de Dieu et

du monde; car si la succession est introduite en Dieupar I'acte créateur, elle ne l'est pas moins par la pré-

sence de l'Être éternel à tous les moments de la duréedu monde. Si, au contraire, on reconnalf, comme il fautbien le reconnaitre, que Dieu existe tlans le passé, leprésent et I'avenir du monde, sans subir pour cela lesdéterminations du temps, il n'y a pas plus de difficultéà admettre que Dieu; par un acte qui, de sa part, est

éternel e[ simple, produit les êtres qui, de la leur, sontsuccessifs et multiples.

4o Enfin, accuser d'anthropomorphisme Ia théologie

spiritualiste parce qu'elle accorde à Dieu la pensée, labonté, la puissance, c'est confondre I'indéterminé avec

I'infini; c'estrejeter gratuitementla plus naturelle et laplus scientifique des méthodes qu'emploie la métaphy-sigue, celle gui consiste à rqettre en Dieu tout ce gui

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44 CHÀPITRE II.

porte en soi le caractère de la perfection, tout ce qui

s'accorde avec I'idée d'infini.La création étanl, démontrée, les impossibilités qu'on

lui oppose étant ramenées à ce qu'elles sont, à des

obscurités" qui résultent de la disproportion de notreintelligence avec I'infini, le panthéisme s'écroule comme

un édifice sans base I il n'est plus que la prétention de

substituer une hypothèse arbitraire à une vérité cer-taine. De plus, cette hypolhèse, prise en soi, se ramène

à une contradiction qui renverse la raison; envisagée

dans ses suites, elle conduit à des conséquences quirévol[ent la conscience et suppriment Ia morale.

La contraction est formelle, éclatante, Si on I'osaitdire en un sujet sérieux, elle est risible; car elle con-damne pour tout de bon le panthéisme aux impossibi-lités dont I'apparence le révoltait tlans I'idée mal com-

prise de la création, réalisant ainsi le conte de I'hommequi se noie de peur de se mouiller. Qu'ou en juge:

Le panthéisme prend pour point de départ I'idée de

I'absolue et inviolable perfection de Dieu; il a tant de

respect pour la majesté irnmuable de la nature divine,qu'il craindrait de I'humaniser en lui attribuant la pen-sée, la puissance et l'action créatrice. E[ il enseigne ex-

pressément que le monde, ce même monde où Dieu ne

doit pas descendre comme créateur sous peine de sedéterminer et de se limiter, fait partie de I'essence di-vine, que les imperfections, les ignorances, les erreurs,

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I..,8 DUATISME ET IE PANTEÉISMD. 43

les fautes, les sottises, les crimes don[ ce monde oflre

le spectacle sont des actes de la vie divine, que c'estDieu qui sommeille dans la pierre, végète dans la

plante, sent dans I'animal, nait et meurt dans toute la

nature vivante, erre et pèche dans I'homme.

Le panbhéisme défend avec un soin si jaloux, avec un

si ombrageux scrupule, la dignité de la raison humaine,

qu'il rejette fièrement en son nom ce qui la dépasse. Dtil affirme ce qui lâ ttétruit, il nie la distinction du vraiet du faux, il remplace le principe de contradiclion par

le principe de I'identité des contradictoires. Il dit que le

parfait est imparfait. que I'absolu est relatif, QUele né-cessaire est contingent. II di[ cela nécessairement; ces

-

propositions contradictoires sont son essence. e[ il n'es[

lui-même qu'à condition de les affimer. La formule

propre de l'absurde esl la formule propre du panlhéisme ;

et lorsque le dernier et le plus complet complet des pan-

théistes, Hégel, a proclamé I'indentité du pour et du

contre, de Ia thèse et de I'antithèse, de l'être et du

néant, il a obéi non à un caprice, mais à Ia loi logique

de son système; il a donné le premier et le dernier motdu panthéisme.

Yoità donc ce que le panthéisme fait de Dieu : une

contradiction. Il le détruit en lui infligeant les imperfec-

tions inhérentes au contingent, et, les vices qui sont

I'abus de la liber[é dans les êtres finis. La philosophie

spiritualiste et chrétienne dit :<

Dieu fait le monde par)) un acte mystérieux de sa toute-puissance. r Le pan-théisme répond : u Cela est impossible, parce que cela

3.

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46 cHAPITnE II.

) est mysférieux. Dieu asl le monde. n Et le mystère dis-

paraît remplacé par une contradiction.Il ne dénature pas moins I'homme par ce qu'il lui

donne et par ce qu'il lui ôte. Ce qu'il donne, c'est le

rang d'être nécessaire, de membre rle Dieu; et cela

contre'la voix intérie.ure qui m'atteste ma contingence

et I'atteste à toute âme humaine. Ce qu'il lui ôte, c'est

la personnalité et la liberté. Un mode, un phénomènene dit pas ntoi; il n'est pas même une chose, combien

moins une personne I Il n'est que la dépendance, lamanifestation, I'action ou la passion d'une personne ou

d'une chose. Pour que je sois,libre, pour que je puisse

dfue moi, it faut que je sois une personne, une force

disposant d'elle-même. Si je suis un développementné-

cessaire de la nature divine, visiblement il est inutilede parler de liber[é

Il est inutile aussi de parler de morale. Elle n'estpossible que par la réunion des deux conditions sui-vantes : d'abord, qu'il y ait entre le bien et le mal une

distinction intrinsèque et que cette distinction me soit

connue; puis, qu'il y ait en moi un pouvoir tle choisirentre ce bien et ce'mal. Une seule de ces deux condi-tions ne suffit pas sans I'autre. Supprimez la dis[inctiondu bien et du mal en maintenant la liberté, la liberféelle-même n'est plus qu'une force sans loi. Elle n'aplus d'écarts, puisqu'elle n'a plus de'règle. Elle peut

encore être bien ou mal avisée, suivant qu'elle auradiscerné ses intérêts avec plus ou moins de perspicacité

et de jusbesse; elle ne peut plus être vertueuse ou cri-

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IJE DUAIIS}TE ET IJE PANTEûISMN. I*7

minelle. Quand les actes entre lesquels un agent libreestappelé à choisir ne sont pas moralement qualifiables,le choix de I'agent lui-même ne peut avoir aucun ca-rac[ère moral qui le rende digne de blâme ou d'éloge,

de châtiment ou de récompense. - Supprimez le pou-voir de choisir en maintenanb la distinction du bien et

du mal, I'action mauvaise n'est plus criminelle, l'aclion

bonne n'est plus vertueuse, il n'y a plus ni responsa-bilirc, ni devoir. Dès lors, le philosophe ne peut plusporter sur les actes humains qu'un jugement esthé-

tique, et non plus un jugement moral. Il peut contem-pler avec plaisir les âmes nécessiiées au bien, avec ré-pugnance les âmes nécessitées au mal; iI ne peut plus

songer, sans se rendre ridicule, à imposer à la naturehumaine des règles iui, fatalement obs,ervées ou fata-lemen[ violées, sont, dans I'un et I'autre cas, également

inutiles.Le panthéisme supprime à la fois les deux condi-

tions. Il supprime la premièrp, car, à moins de blas-phémer jusqu'à dire Dieu criminel, il est obligé d'en-

seigner que tout esb innocent et de proclamer I'indiffé-rence morale de toutes les actions, puisque toutes les

actions sont divines. Il supprime la seconde," carI'homme, tel qu'il le conçoit, n'étant qu'un instrumentaux mains du seul agent, moins que cela, un phéno-

mène de la vie du seul vivan[, subit et transmet I'ac-

[ion, mais n'agi[ pas lui-même.Donc, en vertu de ces deux négations, le panthéisme

est obligé de ne laisser aucune place à la morale, Il a

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48 cEAPITnE II.

beau les atténuer ou les voiler, il ne peut les désavouer,

car elles sont vraiment les frui[s de ses entrailles. Et ilaurait beau vouloir en tirer une morale,.il n'en peultirer que la négation du devoir.

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CSAPITRE III

IIISTOIRE DU PANTHÉISME

LES STOïCTENS

Panthéisme matérialiste. Les stoiciens. - Panthéisme idéaliste. Lesalexandrins.

I. Grands côtés du stoïcisme. Sa norale. Idée do la vio misonnable,irlée de I'ordre, de la loi universelle, de la Providence. - L'hymneds Cléanthe.-Idée de l'unité du genre humain. - Idée de la liberté,

II. Faiblesse du stàicisme. - Carabtère panthéiste et matérialistede sa métaphysique. - Son Dieu-nature.

-

Sa Providence identique

au Destin. - Les âmes, phénomènes de Dieu. - Négation de la li-berté. - Que la foi au devoir ne subsiste, chez les stoiciens, quepar une inconséquence.'

Si nous voulons nous reconnaître à travers les nom-breuses varié[és du panthéisme philosophique, nou$

devons distinguer dans cette grande déviation de la

raison deux directions différentes. Parmi les philosophesqui nient la dictinction substantielle du fini et de I'in-IÏni, les uns, prenant leur point de départ dans la na-ture, ne savent point la dépasser et cherchent Dieu nonpas au-dessus, mais au dedans du monde; les autres,

s'étan[ élevés à Dieu d'un seul élan, s'étant, comme on

I'a dit, enivrés de I'absolu, ne savent plus redescendrejusqu'à la nature; ne croyan[ pas qu'aucune réalitésoit possible hors de Dieu, c'est en Dieu qulils cherchênt

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bO oEAPITRE III.

le monde. Cette prédilection des premiers pour le sen-

sible, et des seconds pour le divin, conduirait, si elleétait absolue, les uns jusqu'à I'athéisme, Ies autresjusqu'à I'idéalisme; et, de fai[, les physiciens de I'école

ionienne et les métaphysiciens de t'éoole d'Élée ont été,

ou peu[ s'en faut, jusqu'à ces deux termes extrêmes.

Les premiers ont conSu le monde comme un tout éter-

nellement vivant qui, trouvan[ eu lui-même le germeactif de ses développements et de ses transformations,

dispense la raison de reoourir à un principe supérieurpour expliquer son existence et ses lois {. Les seconds,

débutant par affirmation de l'Être, de I'[In, de l'Àbsolu,ont cru qu'elle appelait, par une corréla[ion nécessaire,

la négation dumultiple

et durelatif, c'est-à-dire du

monde qu'ils nomment ercore le non-être; et ce fut par

une sorte de faiblesse et de condescendance pour les

vaines opinions des hommes, qu'après avoir retiré à la

nature toute existence réelle, ils voulurent bien lui rentlre

quelque exislence phénoménale, la réalité d'une ombre

ou d'un rêve. Que si ces deux tendances opposées

n'on[ point été généralement suivies jusqu'à leurs plusrigoureuses conséquences, si la première noa point

banni tout sentiment du divin et la secontle tout senti-

l, Je parle ici des ioniens dynamistes. Les ioniens méca-nistes ont une autre concoption du monde, et leur physiquo

se rapproche plutôt de celle cl'Épicure. Mais Dieu n'a pas

plus de place dans Ie mécanisme d'Anaximandro gue dans ledynamisme de Thalès. Il faut descendre jusqu'à Anaxagorepour rencontror I'idée de Dieu shez les ioniens.

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EISTOIRE DU PANTffÉISME. - IES STOICIXNS. 5I

ment de Ia réalité con[ingente, elles ont du moins pro-

duit les deux grandes formes du panthéisme, Ia formenaturaliste, et la forme idéaliste. D'après les panthéisfes

de Ia première école, il n'y a que la nature; mais cornme

ils croient encore quelque peu au divin, ils ajouten[

que la nature est Dieu et font de grands effor[s pour

retrouver dans Ie Cosmos la réalité des attributs de la

divinité. D'après ceux de la seconde école, il n'y a queDieu; mais comme ils sont obligés de tenil compte tlu

monde, ils voien[ en lui un écoulement de Dieu ou ullphénomène de la vie divine. En un mot, les uns, partaut

de la nature, I'exaltent jusqu'à l'identifier avec Dieu; les

autres, partant de Dieu, I'abaissent jusqu'à I'identifieravec

le monde; etla dîfférence des deux esprits et des

deux méthodes se retrouve jusque dans la presque iden-

tité. des résultats.Ces deux directions onf été suivies avec éclat dans I'au-

tiquité; à la première appartient la physique stoicienne,

à la seconde la métaphysique alexandrine. Occupons-

nous d'abord du panthéisme naturaliste des stolciens.

I

On ne doit parler du stoicisme qu'avec un setttiment

de respect. Il y a droit en souvenir du rôle honorable

gu'il a joué à toutes Ies époques de son his[oire. Dans lemonde grec, il s'éleva comme une protes[ation indignée

contre les basses doctrines d'Épicure; comprenant gue

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12 CEAPITAE III.

c'en était fait des vieilles vertus politiques, il substitua

à I'esprit de cité, étroit, intolérant, égoisle, un senti-ment plus large et plus pur, le sentiment de I'humanité.À Rome, il eut I'honneur de fournir ses principes et sesformules aux âmes généreuses qui, désespérant avecraison du présent, et ne sachant pas tourner vers I'ave-nir leurs regards et leurs espérances, voulaient du

moins conserver intacte la dignité de leur carac[ère aumilieu des abaissemenls et des hontes de I'Empire, sous

des maîtres qui s'appelaient Néron, Domi[ien, Caracallaet Commode. Enfin, ce fut lui aussi qui fournit aumonde romain, en la personne de Marc-Aurèle, le meil-leur de ses princes.

Ce sont là des titres qu'on ne peut oublier. Toutefois,

ni la noble attitude prise ou inspirée par le stoïcismenni Ia hauteur du but moral qu'il proposa à I'activitéhumaine ne sauraient le soustraire au jugement de laqritique philosophique. Nous avons le droit de contrôlersa métaphysique, de rechercher si la raison s'accom-mode de sa théologie, et si les stoiciens en ont pu dé-

duire une morale autrement que par une inconséquencequi les honore, mais qui condamne leurs principes.

Nous présenterons d'abord, en nous bornant auxpoints essentiels, cette morale elle-même, qui est legrand côté du stoïcisme; puis la rapprochant de lamé[aphysique, ou plutôt de la physique à laquelle Zénonet

sessuccesseurs

I'ont associée, nous examinerons ceque vaut en soi cette forme du panthéisme et à quellesconséquences elle conduit.

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EISTOIRE DIJ PANTdISilE. _ I,ES STOibIENS. 53

La maxime fondamentale de la morale stolque est

celle-ci : vivre conformément à la nature. Les s[oïciens

savent que celte formule se plie à des interprétations

fort diverses. L'école c"vnique, qui I'a ou invenbée ou

adoptée, prétend vivre selon la nature en foulant auxpieds toutes les convenances sociales, y compris la

pudeur, en revenant, au milieu de la civilisation, à la

grossièreté et à la naïve effronterie de la vie sauvage.Les épicuriens aussi s'en accommodent volontiers; car

il est, disent-ils,'dans la nature de I'homme et de toutêtre sensible de rechercher le plaisir comme le souve-

rain bien, de luir la souffrance comme le souverain

mal. a licoutez, ,r dit Lucrèce, o les aboiements de la

)) nature. Que réclament-ils? une seule chose, I'exemp-r, tion de la douleur î. , Ni les uns, ni les au[res n'ontcompris le sens profond du mot nature. La nature d'uu

être quelconque ne doit point être cherchée dans les

attributs qui lui sont communs avec des espàces infé-rieures, mais dans ceux qui lui sont propres, dans ses

caractères spécifiques,

-la nature d'une plante dans la

puissance végéta[ive, celle d'un animal dans la sensi-

biliÉ et le mouvement spontané. Or, I'homme a, il est

vrai, une nature sensible qui fait dè lui un animal.

IIIais il a en outre une nature plus haute qui n'appar-tient qu'à lui, la nature raisonnable; et c'est par elle

Nil aliud. sibi naturam latrare nisi ut.....Corpore sejunctus dolor absit.

Lucrèce, De rerum natura, L, tt"

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54 oHAPITRE III.

seulement qu'il est homme. I)onc, vivre conformément

à la nature, à sa nature, à celle qui le distingue et lefait ce qu'il est, c'est, pour I'homme, vivre conformé-ment à la raison.

Cette nouvelle formule veut encore être expliquée.Par la constitution même de notre être, le principtat de

l'âme et la direction de la ryie appartiennent à la raisan;

celle-ci est, de droit, rb dlep.ovrxbv, ce qui commande àsoi-même et à tout le reste. Donc, vivre selon la natureet la raison, c'es[ d'abord maintenir celle'ci dans son

indépendance sans cesse menacée par les passions; et,

après qu'on I'a soustraite à leur servitude, c'est encore

les soumettre elles-mêmes à son empire. Or, cette ha-

bitude de maintenir l'âme libre et maltresse chez ellene s'acquier[ que par I'efforb, par I'abstention et larésistance, pâr la prudence et la justice, par la tempé-rance et la force, en un mot, par la vertu. Donc, ofe

cottforme ù, Lu natwt'e, aie conforme ù, l,a raison, cela

veut dire ate uertueuse. Donc pour I'homme, en tantqu'il est homme,

iln'y a qu'un seul bien, celui-là

même qui est I'objet de la vertu, l'honnête; et il n'y a

qu'un seul mal, le déshonnête. Les autres choses que

les hommes poursuivent avec tant'd'ardeur, richesses,

honneurs, plaisirs, beauté et santé du corps, sont des

avantages qu'on peut légitirnement préférer à leurs

contraires; mais entre ces prëférables el l'honnête il y

a un abime qu'on ne marque point assez en appelantcelui-ci le premier des biens, et ceux-là des biens infé-

fieurs" trls diffèrent de lui non en degré, mais en nature;

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UISTOINE DU PÀNTHÉISME. * IES SIOICIENS. 55

ils ne sont pas des biens, et leurs contraires ne sont pas

des mauxIl faut marquer avec plus de précision encore le

caractère propre de la vie morale. Toute action qui, parelle-même, tend à maintenir l'empire de la raison doi[,à ce titre, être jugée conforme aux fins de la nature etrangée dans la eatégorie des convenables (r,r,a0{r.ovra).

Mais cette conformité ne suffit pas pour la rendre abso-lument vertueuse e[ droite (rarég0rop.a). La plupar[ des

honnêtes gens accomplissent les actions convenables(celles que les Latins appelten[ offici,a) par une sorted'inslinct spontané qui vient de leur heureux naturel.C'est assez pour le résultat extérieur de I'ac[e, ce n'es[

pas assez pour sa valeur morale. Les choses qui sont,en soi, bonnes, honnêtes et belles, il faut, disent lesstolciens après Àristote, les faire à cause et en vue deleur beauté. Les seules actions vraiment dignes de lanature raisonnable sont celles qui s'accomplissent parcette considération réfléchie du bien; et notre vie n'esttout ce qu'elle doit être que quand nous l'avons dé-gagée des impressions passionnées de la sensibilitépour la mettre sous la direction exclusive des motifsra[ionnels

Yoilà, certes, une noble conception de la vie hu-maine. La verlu peut désormais être proposée ag1grandes âmes comme un but digne d'eiles, aux âme$

éprises de la beau[é comme la plus parfaite des æuvresd'art. Mais, pour fonder la morale, il ne suffi[ pas de

présenter le bien cornne admirable, il faut I'imposer

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56 ÛHAPITnf, III.

comme obligatoire. Comment les stoicieus arrivent-ils à

lui donner cet[e valeur, et comment font-ils entrerI'idée du devoir dans leur doctrine des mæurs? Enposant ce principe général, QUe tout être a sa loi, loiphysique pour les êtres aveugles qui la suivent sans laconnaître, loi morale pour les ê[res doués de raison quisavent où elle les mène. Demandez-vous aux stoïciens

pourquoi tout ê[re a sa loi? ils le savent : c'est parceque le monde tout entier n'est pas soumis au hasardornais à I'ordre;-pourquoi I'ordre règne dans le monde?ils le saven[ encore : c'est pal'ce que la nature.est régiepar une Providence. < Quand nous regardons le ciel et,r tout ce qui s'y passe, r dit le stoïcien Balbus, dans le

de naturo Deorum, < s'il y a quelque chose d'évident)) pour notre raison : c'est qu'il est gouverné par une> intelligence suprême et divine. > Tous les auteursanciens qui se sont occupés du stoïcisme primitif, Cicé-ron, Plutarque, Diogène Laêrce, s'accordent à signalercomme une de ses idées favorites cette conception d'unordre universel et d'une Providence suprême qui en est

le principe.llais nous avons mieux gue ces témoignagesétrangers. Parmi les fragments originaux, malheureuse-ment peu nombreux, des premiers maltres du Portique,le plus important, sans contredit, et le plus beau est

inspiré par I'idée de la Providence et de la loi éternelle.

Je veux parler de I'hymne de Cléanthe à Jupiûer. Il faut

citer tout entier ce'magnifique morceau de poésie et demétaphysique religieuse; nous y trouverons, sauf I'idée

de création, à peu près tout ce gue la raison,'réduite à

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nslonx DU PANTITÉISIfE. - ùns sroÏbmNs. 5i

ses propres forces, peut affirmer ou pressentir touchant

à I'acfion de Dieu dans le monde et dans I'humanité,I'idée de la prière, I'idée de la grâce, I'idée de I'ar[ divinqui tire le bien du mal, I'idée de I'unité du monde,

I'idée surtout de la souveraineté de la loi éternelle et de

la raison divine, véritables fondements de la morale.< Le plus glorieux des immortels, toi qu'on adore

) sous mille noms? ê[re éternellement tout-puissant.> maitre de la nature, toi qui gouvernes auea l,oi foutes) choses, ô Jupiter, salut C'est le devoir de tout nor-r tel de te prier. Car c'esl, de toi que nous sommes nés,) et que nous tenons le don de la parole, seuls entre> tous les ê[res qui vivenL e[ rampen[ sur la terre. C'es[> podrquoi je t'adresserai mes hymires et je ne cesserai

> de chanter ton pouvoir. Ce monde immense qui roule> autour de la terre te suit où tu le conduis e[ se sou-> met docilement à tes ordres. C'est que tu tiens dans> tes invincibles mains, la foudre, ton minis[re enflammé,n.au double trait, la foudre animée d'une vie immor-r telle. Tout dans la nature frissonne à ses coups. Par

r elle tu diriges la raison universelle qui circule dans> tous les êtres et se mêle aux grands comme aux petits> luminaires du ciel. Tant, ô roi suprême ton empire> est grand et universel Rien ne se fait sans toi sur la> terre, rien dans le ciel éthéré et divin, rien dans la) mer, h.ors les crimes que les méchants commettent

> dans leur folie. Par toi, ce qui es[ excessif rentre dansu la mesure, Ia confusion devient ordre et la discordeu harmonie. Ainsi, tu fontls tellement ce qui est bien

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$g cit,r.plrnn rri.

) iLV€c ce qui ne I'es[ pas, qu'il s'établib dans le touf

D une loi unique, éternelle, que les méchants seuls> abandonnent et méprisent. Les malheureux ils dési-> rent sans fin le bonheur, e[ ils ne voienù ni n'enten-r den[ la loi commune de Dieu qui leur procurerait uner vie heureuse aves I'intelligence, s'ils voulaienl l'écou-> ter. Ils se précipitent, sans souci de I'honnête, cha-D cun vers I'objet qui I'attire.

Ceux-ci sepassionnenl,

)) pour la possession disputée de la gloire; d'autres cou-r rerlt à des gains sordides; beaucoup s'abandonnenf à

'r la mollesse et aux voluptés du corps. Mais, ô JupiterlD auteur de tous les biens, toi à qui la foudre eb lesD nuages obéissenf, retire les hommes de cette funeeber igporance; dissipe cette erreur de leur âme, ô Père I

l et donne leur de trouver cette sagesse qui te, guideD e[ paf qui trf gouvernes I'univers avec justice, afinn QUêy glorifiés, nous puissions te glorifier à notre tour,r chantant sàns fin tes ouvrages, eÆmme il convient à

> l'ê[re faible eb mortel. II n'est pas de plus grand bienD pour les hommes e[ pour les Dieux que de célébrer

> éternellement, par de dignes accen[s, la loi oommune> de tous les êtres. t)

Les stoïciens n'ont pas laissé stérile cette grande idée

de la loi commune et de l'harmonie universelle. De lamélaphysique ils I'onb fait descendre dâns la morale,

et du monde dans I'humanité. Si la nature est une, si

tous lesêfres qui

lacomposent dépendent les uns des

aulres, combien cette unité est plus profonde et cette

dépendance plus étroite lorsqu'on les considère ddns ld

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fiIsloIRE Dti pa\THÉISvE. - LES srclIhENS. $g

genre humain Tous les hornmes on[ même essence e[

même origine; ils sont de même famille, puisqu'ilsappellent Dieu leur père. L'humanité est donc un tou[

solidaire; ce qui est bon ou mauvais pour elle, I'es[

aussi pour chacun de s.es membres; et ceux-là s'abu-

sent misérablement qui croient trouver leur bien dans

le mal d'autrui; car, dit poétiquement frIarc-Àurèle, ce

rlwi n'est, Ttas u,tile ù, laruclue ne sawrai,t êttfe util'e ir'

tlabeitte. Donc le bien que la ver[u poursuit, ce n'es[

pas le bien particulier de chaque homme, mais le bien

de tous; ou ptu[ôt le bien individuel se confoud avec le

hien commun; et ainsi, par un dernier et admirable

développemen[, la conception stoïcieune de la vie, s'a-

chève en celle-ci : vivre pour le bien général.

Le,stolcisme a donc reconnu e[ accepté la premièredes conditions nécessaires à l'é[ablissement de la mo-rale, à savoir la distinction du bien et du mal e[ l'exis-tence d'une loi obligatoire, Il parait admettre également

la seconde, à savoir le libre arbitre. Bn effet, à quelque

époque qu'on le prenne, on voi[ que c'es[ son travail

conshant de souslraire Ia liber[é à la servitude des pas-sions pour Ia soumettre, pil une obéissance volontaire,

à Ia loi de I'honnête. Les derniers stolciens surtout ne

tarissent pas sur cet arbicle; et nous pouvons les citer

avec confiance en une mal,ière où ils sonl restés fidèles

à l'espril de leurs devanciers. Pour Epictète, en parti-

culier, distinguerce qui dépend de nous de ce qui n'ett

dépend pas, malntenir inviolable le domaine de la li-berlé que les passions tendent sans cesse à envahir,

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60 CHAPIIRh III.

c'es[ boute la sagesse, c'es[ le secret de la vie heureuse

et de la vie vertueuse. II semble même pousser à I'ex-cès ce souci de I'indépendance personnelle, et I'on dilait'qu'elle est pour lui rton-seulement le moyen eb la con-

dition de la vertu, mais la vertu [out entière. Écoutons

les premières maximes de son flIanuel : < Tout ce qui> est daus la uature dépend de nous ou n'en dépend

)pas. Ce qui dépend de nous, ce sont nos opinions,

)) lros penchants, nos désirs, nos répugnancesl, en unr lnot: toules nos ac[ions; ce qui n'en dépend pas, ce

r sor[ les corps, les biens de for[une, la réputation, les

> dignités, enfin tout ce qui n'est pas no[re ouvrage.

,r Les choses qui dépenden[ de nous sonf libres par

, Ieur nature, rlen ue peut les forcer ni leur faire

> obstacle; celles qui n'en dépendent point sont faibles,> esclaves, incertaines, étrangères. Souviens-toi donc

r {u0 si tu crois libre ce qui est dépendant par sa na-r ture, si tu regardes ce qui n'est pas en ton pouvoir

) comme une chose qui te soit propre, tu trouveras

> des obs[acles à chaque pas ; tu seras affligé; tu accu-

l serâs les hommes et les dieux; au lieu que si tur prends seulemen[ pour tien ce qui est réellement à

> toi, et pour él,ranger ce qui esf à autrui, tu u'éprou-) veras jamais ni contrainle, ni obstacle dans tes ac-

> tions; tu n'accuseras ni ne blàmeras personne? [u ne

1. Non pas directement, mais en vertu de I'influence que la

volonté et les habitudes volontaires exercent à la longue surles inclinations. C'os ainsi qu'il faut entendre la doctrined'lipictète.

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.EISTOIRE DI] PANTtrTISME. _

)) feras rien malgré toi, personne

> n'auras point d'ennemis et ilr fâcheux. >

lt

I,ES STOICIENS. 6I

ne pourra te nPire, tu

ne t'arrivera rien de

II

Prise à parf et consirlérée en elle-mêrne, la morale stoï-cienne se présente donc comme une doc[rine fortemen[liée dans toutes ses parties, et à laqueile rien ne manquede ce qui est nécessaire pour coltstituer la science dudevoir. Replaçons-là dans I'ensemhle du système dontnous I'avons défachée, elle n'est plus qu'une magni-fique inconséquence.

Le début même de la physique des slolciens (car Ia

nétaphysique chez eux est devenue une physique)montre combien ils ont abaissé I'idée de Dieu que Fla-ton e[ Àristote alaienl maintenue à une si granàe hau-teur. Ils sont matérialistes, non pas seulement en ce qui re-regarde l'âme humaine, mais dans le sens le plus absolndu mot. Selon eux,l'immatériel n'estpas possible; tout ce

qui est ou peut être est corps. À la vérité, le corps n'estpas pour eux chose absolument inerte et passive. Ils ydistinguent deux principes qu'ils appellent la substanceet Ia rluali,të, oa, comme nous dirions en un langageplus philosophique, la matière et la force. Mais cetteforce est corporelle elle-même; c'est un fluide, un souf-fle, un feu qui, dans les corps inorganiques, constitueleur imparfaite unité, et qui, dans l'être vivant, es[ leprincipe de son organisation et du concours de ses di-

II

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69, cfiÀPrfnE ï11.

\ierses par[ies à une fiu commune. Subslance et tlualité,

matière eb force, ce lle son[ pas là deux éléments sépa-rables I'un de I'autre, ce sont les deux faces d'une même

et indivisible réalité; il n'y a ni matière sans force, nifrrrce sans matière. Or (et ici se dessine avec son carac-

tère matérialiste I'hypothèse panthéistique des stoïciens),

ce qui est vrai de la constitution des corps individuels

loest aussi de la cons[itutiongénérale de I'univers. le'

quel n'est pas un agrégat incohérent d'individus isolés'

mais un tout organique, une unité vivante, un animal.

Il a sa substance, sa matière; .it a ausei sa qualité' sa

force; un même esprit I'anime :

6 t o c Maria ac terras, cælumque profondum,

Lucentemgue globum lunæ, titaniaque astraSpiritus intue u|tn t

il se répand dans [ous ses fitembres, rnens infuisa per

drtus l il rnet erl mouvemen[ toufe 8a masse, totam, agitat

malem I il se mêle à son corps immenseo mflg?lo se cof'

ltore miscet, Ce souffle, ce[ esprit qui joue dans Ia naturele même rôle que liâme humaine dans le corps humain,

ë$t vraiment l'âme du monde; ûro âme corporellee un

fluide igné qui circule dans ses-plus intimes replis,

YoiIà ee qu'est la nature; l'être universel au'dessus du'quel il n'y a rien.

Quoidonc? Niavons-uous' affaire

icir1u'à un nâtura"

l. Virgite, Énéldë, l; vI,;

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- HSTOAN DU PANTEÉISME. - tES STOIbIENS. 63

lisme grossier, et le stoïcisme n'est-il qu'une résurrec-tion du système d'Iléraclite qui, lui aussi, avait conçule feu comme principe dynamique de tous les développe-ments du monde? Non, ce fluide qui vit et fait vivrela nature, oette âme universelle don[ nos âmes ne son[que des parcelles un ins[ant détachées et destinées à s'yabsorber de nouveau quand elles auront joué leur rôle

éphémère, ce n'est pas le feu tout matériel que nousvoyons de nos )'eux; c'est un souffle plus épuré, c'estun principe d'ordre en même temps que de mouve-ment; c'es[, disent les stoïciens, ull feu ar[iste qui pro-cède méthodiquement à la production des choses. Ilpossède en lui-même cette raison dont la nature, har-

monieusement réglée, garde partout I'empreinte. It estla cause des causes, il es[ la source et la substance desâmes particulières ; il ne peut, par conséquent, être infé-rieur à aucune d'entre elles; et puisque parmi celles-ciil s'en trouve qui vivent de la vie raisonnable, il fautdonc que ce[te vie ne lui soit point étrangère, il fautmême qu'il I'a possède au degré souverain. Donc, commele corps de ce grand animal qui s'appelle la nature, estle plus beau des corp.s, son âme aussi est la plus par-faite des âmes; elle est belle, elle est sage, elle estheureuse, elle est Dieu. Elle est enfin la Providence dumoncle, non à la. façon du Démiurge de Platon qui tra-vaille sur le dehors, mais une Providence immanante,

opérant sur elle-même, et entretenant I'ordre et la viedans celte matière totale qui forme avec elle un toutsolidaire,

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h& CHAPITITE III.

La physitlue stoïcienne n'a donc pas supprimé Dieu,mais 'elle a profondément altéré sa notion, d'abord. enle faisaut corporel, par conséquenl étendu, multiple ettlivisible, puis en enseignant que, comme le monde nepeut se passer de lui, il ne peut, à son tour, se passerdu monde. Ce n'eSt pas tout. La providence du DieustoTcien est une providence esclave. Elle ne fait point

librement son æuvre; elle est le premier anneau d'uusystème de causes enchainées les unes aux autres, etcet auneau lui-même esl, rivé à la nécessité. Tout dansla nature suit la loi de ce faturn interne; chacun de sesdéveloppements, principe impérieux de celui qui doitle suivreo est, aussi la conséquence forcée de ceux qui

le précèdent, et sa vie totale s'accomplit avec cette in-flexible rigueur jusqu'à ce que, le cycle ayant été par-couru, la dernière heure de la grande année ayantsonné, la représentation étant achevée, tout s'absorbedans une combustion générale, après quoi tout recom-menceraidentiquement de même, pourfinir de nouveauet recommencer encore sous la loi d'une naissance et

d'une renaissance é[ernelles. Il est vrai, la providences[oïcienne n'estpas aveugle, car elleconnail la nécessitéqui I'enchatne; elle n'est pas capricieuse et désordon-née, car elle contient en soi le principe de I'ordre ;

mais elle est fatale, et son vrai nom est le Destin. Lapoésie qui a le secret d'animer toutes choses, I'insbinc[

religieux qui a besoin de prêter à I'objet de ses adora-tions un cæur accessible à la pitié, pounont bien, mêmesur des lèvres s[oïciennes, invoquer ce fatum inflexible

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:

NSTOINE DU PANTEÉISME. .: tns STOïbMNS. 65

comme un Dieu libre et personnel, comme un père plein

de bonté. Mais ce ne sera là qu'une longue métaphoue,un trait d'union entre les dogmes austères de la méta-physique et les symboles de la religion positive. Aufond, le dieu des stoïciens reste ce.qu'ils I'on[ conçutout d'abord,-la vie universelle et impersonnelle, fa[a-lement répandue et fatalement développée dans la na-ture. La loi éternelle que célèbre l'hymne de Cléanthen'est point Ia loi morale, expression de la sainteté ab-solue et lumière des êtres libres, c'est la loi de causalitéqui tait naitre les phénomènes les uns des autres et lesréunit tous en une série où il n'y a place, ni pour lacontingence, ni pour le libre arbitre.

Enfin, puisque ce Dieu corporel, puisque cette Pro-

vidence sans liberté est par essence la vie universelle,les âmes particulières ne sont que ses formes acciden-telles, et leurs actions ne sont que les déploiements de

son ac[ivité. Voilà tlonc l'être parfait aussi profondé-'ment engagé que possible dans l'imparfait et dans lemultiple, dans la naissance et dans la mort, dans les

faiblesses et les vices de I'humanité. En iain Cléanthes'écriera : u O Jupiter rien ne se fai[ sans toi, exceplé, les crimes que les méchants commettent dans leurr folie > L'exception ne peut être maintenue que parun désaveu de toute la théologie stoïcienne, et ce crid'une conscience religieuse est la condamnation de cettethéologie déteslable. Selon les principes du stoicisme,

ces crimes son[ les défaillauces.de la vie de Dieu, etDieu es0 nécessité à les oomnrettre par la même loi de

4.

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I

j

I

j

II

66 cEAPITaE III.

développement qui I'enchahre àla production du monde"

Dès que la nature est divine, chacun de ses détails es[divin, y compris le péché, et il faut choisir, ou de ren-

verser la notion de Dieu en mettant le mal dans son

essence, ou de détruire la morale en niant la distinctioirdu vioe et de la vertu.

Les stoïciens paraissent avoir été fort embarrassés de

cette alternative. o Ile ne pouvaient pas ignorer, u fli1très-sagemen[ Bitter, u lâ difficulté commune à tous les

> systèmes qui considèrent le monde contingent comme

r étant la vie de Dieu, à savoir d'expliquer comment

> les imperfections, les défaufs, le mal physique et le> mal moral dont le monde nous offre Ie spectacle, peu-

> vent s'accorder avec la vie parfaite de Dieu. Ils s'oc-

D cupèrent beaucoup de cette question, sans toutefoisr> p{lrvenir à la résoudrer. r En somme, après avoir

équivoqué sur la natnre du mal, sur I'arb merveilleuxqui le fail concourir malgré lui à I'ordre universel, ilss'aperçurent que le mal, surtout le mal moral, esl en

soi irréductible au bien. Plus attachés à leur morale

qu'à leur Dieu, ils se résignèrent à cette énormité mé-taphysique qui introduit le mal comme mal dans la viedivine, et soumet Dieu à cette fatalité odieuse. C'est

ainsi que Chrysippe avouait qae beaucoup d,e nëcessité

est mêlé ù,la formation d,a monde, et que, comme d,ans.l,e

rnënage le mi,eun ad,mi,ni,stré, il sc perd, cepend,ant

quelques gowttes d,e uî,n, ow quelques grai,ns de bIë,,ainsi

l, Riter, Histodre ile Ia philosophie ancienne, t. rn, p. 493"

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EISTOIRX DU PANTHÉISME. - LES STOICIENS. 67

clans le monde, tout parfai,t qu'i,l,"est, beaucotr,p de choses

sortt sans but.À ce prix, ont-ils du moins sauvé la morale? Nulle-

ment, car ils n'ont pas sauvé la liberté. Llhomme, dans

leur système, n'échappe pas à cette nécessité qui, selon

Sénèque, lie aussi les dieux. u À la vérité, r dit unrécent historien du stoTcisme, < ils ne lui refusent pas

> cette volonté qui le fait maître de lui-même. Mais)) ce[te volonté se réduit, suivant eux, à la spontanéitéu en ver[u de laquelle on se détermine soi-même, il esIr vrâir mais toujours par des causes autécédentes, des-

)) quelles la détermination résulte d'une manière inévi-> table et fatale r. r

Allons plus loin; cet[e spontanéité même, ils ne la

laissent subsister que par une inconséquence. Fragmentde l'âme divine, I'homme n'est ni une personne, ni unagent véritable. Il n'est qu'un instrument; moins que'cela, un phénornène. Ce n'est pas assez de reconnaîtreque ses actions sont fatales parce qu'elles sont déter-minées; il faut dire qu'elles ne sont pas siennes. C'est

en Dieu, leur véritable auteur, qu'elles sont fatales ettout à la fois. spontanées; en I'homme qui n'est que leureanal elles sont transmises, impersonnelles et pure-

ment mécaniques.

Que m'importe, après cela, ce que les stoïciens me

donnent ou me prometlent en échange de ce qu'ils me

retirent? S'ils

m'accordent

le droit dequit[er

la vieà

1. Ravaisson, "Essai sur IamCtaphysigue il,'Aristote, t fi, p. 157,

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68 CEAPITNE III"

mon heure et non à celle de Dieu, je ne suis pas plus

libre en me retirant de la scène qu'en y restant; etcomme ce n'est pas moi qui y joue mon rôle, ce n'estpas moi non plus qui t'interromps. Qu'ils me permettent

l'orgueilleux espoir d'égaler Jupiter, de le dépasser

peut-être lorsque j'aurai réalisé en moi I'idéal du sage,

je sais bien, ils savent bien e[ ils avouent presque eux-mêmes que je n'a[teindrai point cet idéal; et ce rêve

d'une félicité et d'une divinité imaginaires n'est pointure compensation suffisante pour la perte de mon librearbitre qui seul, avec la raison, fait de moi un être

moral, capable de verLu, de mérite et de récompense.

Ainsi, quelque soin que prenne le stoïcisme de voilerI'idée du Destin sous I'idée de la Providence, quelque

efforf qu'il fasse poirr préserver son Dieu des imperfec-tions de la nature et des péchés cle I'homme, quelque

adresse qu'il déploie pour mettre d'accord sa doctrinepratique et sa doctrine spéculative? nous reconnaissons

en lui les deux traits caractéristiques du panthéisme :

en métaphysique, la contradiction introduite dans la

na[ure de Dieu; en morale, I'impossibilité logique demaintenir la notion du devoir. De ces deux énormités,

les stoïciens ont accepté la première; ils ont rejeté la

seconde par une inconséquence qui juge leurs prin-cipes. Leur théologie est détestable, parce qu'elle est

panthéiste; leur morale ne vaudrait pas mieux si elle se

rattachait à leurs dogmes métaphysiques; elle n'est

belle que parce gu'elle leur a été infidèle.

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CEAPITRE IV

HISI'OIRE DTI PANTHEISITE

tES ALEXANDRINS

Grandeur et fragilité de la pLilosophie alexandrine. - plotin; songénie.

Méthode dialectique; ascension du sensible a. l'intelligible. - Théoriodes trois hypostases. Répartition arbitraire des attributs divinsentre ces trois principes distincts. Le néant placé au sommet d.eschoses. - Théorie de l'émanation. Le mond.o, écoulemenl de Dieu.

Suppression de lapersounalité.

- Vains efrorts des alerandriuspour échapper aux conséquences morales de leur système.

L'école d'Alexandrie joue un rôle d'une haute impor-tance dans I'histoire de la philosophie. Elle clôt tout lemouvement intellectuel de la cililisation hellénique;elle en résume les idées et, en même temps, elle lesagrandit par la combinaison des doctrines savantes dela Grèce avqc les doctrines mystiques du panthéisme

oriental. Elle s'empare des trois grands systèmes issucdu mouvement socratique, le Platonismer l'Àristoté-lisme, le Stoïcisme; elle les rapproche, les superpose,les enchaîne entre eux par un double lien, d'abord par

la méthode dialectique qui les traverse tour à tour etconduit de I'un à I'autre, puis, parle dogme del'ëma-'natiott, gui, du sommet laborieusefnent aiteint, permet

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70 oHAPITRE IV"

de redescendrepas à pas jusqu'aux étages inférieurs. Elle

les fond ainsi en une vaste synthèse métaphysique dans

laquelle il faut voir iout autre cbose qu'un pur syncré-

tisme, qu'un mélange confus d'éléments hétérogènes.

C'est une vraie synthèse, au sens étymologique du mot,

une combinaison systématique dont les éléments sont

employés en proporbions définies, un édi{ice savamment

ordonné auquel-rien ne manque... que la solidité; c'estle plus beau des châteaux de cartes philosophique

qu'ait pu élever la main d'un homme de génie.

Car Plotin, son vérifable fondateur, est bien un

homme de génie. Àucun métaphysicien n'unit à une

pénétration plus subtile un sentiment plus vif et plus

profond du divin. Ce n'est point un esprit sec et pure-ment géomé[rique comme Spinoza; c'est un cæur et un

grand cæur, en même temps qu'une puissante imagi-nation et une vaste intelligence; c'est un Malebranche,

plus original et plus profond, mais qui n'a pu garder

cette règte et cette mesure que l{alebranche trouva

dans sa foi et n'eùt pas trouvées dans sa raison. On ne

rencontrera point dans toute I'histoire de la philosophie

un autre système qui, faux dans son ensemble, con-

tienne une aussi riche abondance de vérités métaphysi-ques et de vérités morales.

Il faudrait, pour les faire connaltre et pour justifier

ces éloges, entrer dans des détails qui ne sauraient ici

trouver lerrr place. Je ne puis offrir de Plotin et de son' système que les grands traits, {ui sont précisément

eeux où I'erreur et la déviation s'accusen[ avec le plus

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"htstonn DU paNlgÉrsun. - LÈs ÀLExaNDRrNs. 7.1

d'évitlence. Du moins pourra-t-on reconnaître que ce

sont les déviations d'un grand esprit, disons plus en-core, d'un esprit naturellement droit qui se débat contreles conLradictions du panthéisme, recule devant ses coll-séquences morales, et fai[ tout au monde pour maintenirla distinction de Dieu et de I'univers au sein d'un sys-tème donf I'essence est de les confondre. Que si, même

entre de telles mains, même sous cette forme, la plusséduisante don[ il se soit jamais enveloppé, le panthéismereste ce que nous avons dit, le renversement direct de laraison et de la conscience, l'étude du panthéisme alexan-drin sera peut-être, pour le dogme de la création, la plusdécisive des contre-épreuves.

Plotin cherche l'explication du monde I et, cotnme tou$ '

les grands métaphysiciens, il devine, il sait a prûori

r1u'elle ne peut se trouver qu'au delà du monde, dans

liabsolu, en Dieu, Le problème étant posé, Ia solution

étant prévue, du moins quant à rtn caractère fondamen-

tal, la méthode es[ naturellement indiquée I c'est cellequi va; par toutes les forces de l'âme, par le cæur aussi

bien que par l'esprito du sensible à I'intelligible, du vi-sible et de lohumain à I'invisible et au divin; c'est ladialectique. Aussi bien et mieux peut-être gue Platon

son maitre, Plotin connatf et décrit la double préparafion

ffiorale par laquelte il faut disposer l'àme à ce mouve-

ment de ltascension dialeetique; c'est en lui inspirantIe dédain du sensible et en relevant en elle le sentiment

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72 ctraPrlRE iV.

de sa dignité qu'on pourra la conduire, suivant la belle

fotmule des scolastiques, ab enterioribus ad, i,iterùoro,ab i,nteriori,bu,s ad su,periora. < Comment se fait-il Que, les âmes oublient Dieu leur pèrd ? Comment se fait-il> qu'étant issues de Dieu, elles le méconnaissent et se

o méconnaissent elles-mêmes?... Elles se sont avancées

> dans la route qui les écartait de leur principen et main-

'tenan[ elles sonl arrivées à un tel éloignement de Dieu,

o à une telle apostasie (ë.æéaracq) qu'elles ignorento même qu'elles en on[ reçu la vie. De même que des

r enfan[s séparés de leur famille dès leur naissance, et

) nourris longtemps loin d'elle, en arrivent à mécon-r naitre leurs parents ainsi qu'eux-mêmes, ainsi les

n âmes ne voyant plus ni Dieu, ni elles-mêmes, se sont

r dégradées par I'oubli de leur origine, se sont attachéesr à d'autres objets, ont prodigué leur estime et leur), amour aux choses extérieures et ont brisé le lien quir les unissait aux choses divines. L'ignorance où ellesr soilt de Dieu a donc pour cause leur estime des objets> sensibles et leur mépris d'elles-mêmes. Pour conaertir

u à Dieu les âmes qui se trouvent dans de pareilles dis-> positions, pour les élever au principe suprême, il faut, ,) raisonner avec elles de deux manières. D'abord, on

r doit leur faire voir la bassesse des objets qu'elles es-

r timent maintenant. Puis, il faul leur rappeler I'origine> et la dignité de l'âmet. r Lorsque l'âme est ainsi dis-posée, on peut ramener son esprit aux choses sensibles

l, Plotin, Enndail;e Y. l. I, $ l.

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EISTOIRE DU PANTIIIINIIE. - tES AIEXANDRINS. i3

dont on a détaché son cæur. Désormais,ces choses neseront plus pour elle un objet qui I'arrête ef I'enchaine,

mais un point d'appui pour monter plus haut. En ana-lysant les.opérations psychologiques auxquelles donnelieu la vue du sensible, on y trouvera des idées et desjugements dont la sensation a fourni I'occasion, maisnon point la matière, idée et jugement de I'ordre, idée et

jugement du beau, idée et jugement du bien. Entourésde choses mulliples, relatives, contingentes, à leur as-pect nous concevons et nous ne pouvons pas nous em-pêcher de concevoir I'un, I'absolu, le nécessaire. Il y adonc en nous un instinct e[ une affirmation spontanéedu divin ; il y a de nous à Dieu un chemin naturellement

ouverl à la raison; et c'est la gloire de Plaûon d'avoirtransformé cet instinct en une méthode scientifique, etd'avoir fait dans ce chemin des pas donf la trace, aprèstant de siècles, esû encore lumineuse.

Flotin s'y engage après lui; et la première chose qu'ilaperçoit, en fixan[ sur le monde le regard de sa raison,c'est I'ordre et I'harmonie. C'était ce grand spectacte

duiavait condui[ les stoïciens à la conception de l'âme uni:verselle. Flotin la leur emprunte, mais en I'adoptant, ill'ép.ure et la transforme. les stoïciens se représentaientl'âme du monde comme un principe cor'porel, un soufflede feu ; Flobin affirme'sa spiritualilé. Les stoïciens I'en-gageaient dans la matière; Flotin la dégage et déclarg

qu'elle vivifie le monde sans se mêler à lui. Les stoï-ciens la répandaient dans I'espace et I'y faisaient cir-culer comme un fluide qui n'est présent à chacune des

lr

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1à TEAPIfRË TV.

parties de l'étendue que par une por[ion de sa substancelFlotin enseigne qu'elle est parlout tout entière' sans

dilïusion, ni division locale; elle est présente au monde

sans être dans le monde; elle n'es[ point contenue en

lui, elle le contien[ par son action e[ sa puissance, et

en même temps elle le dépasse. a Coes[ l'Àme universelle

u qui a produit, en leur soufflant un esprib de vie, tous

r les animaux qui sont sur la terre, dans I'air et dans

n la mer, ainsi que les astres dir ins, le soleil et le ciel

> immense I c'es[ elle qui a donné au ciel sa forme e[

rr qui préside à ses révolutions régulières, eb [out cela

r sans se môler aux êfres auxquels elle communique lar formen le mouvemen[ e[ la vie. EIle leur est, en eflet,

> forL supérleure par son auguste nalure I tandis quen ceux-ci naissent ou meurent selon qu'elle leur donne

r la vie ou la leur retire, I'Ame est essence et vie é[er-r nelle. Four s'élever àcette con[emplation, l'âme doil en

> êFe digne par sa noblesse, s'êtte aflranchie de luerreur

> et s'être dérobée aux objets qui fascinent les regards

r des âmes vulgairesu ê[re plongée dans un recueillement>. profond, faire taire aul,our d'elle non-seulement I'agi-r talion du corps qul I'enveloppe et le tumulfe des sen-

> sâtions, mais encore toul ce qui I'en[oure. Que tou[n se taise donco et la terre, e[ la mer, e[ I'air e[ le oiel

> même. Que loâme se représente la grande Ame qui,u de tous cô[és, déborde dans celte masse immobile, s'y

u répand, la pénèlre intimement et I'illumitte, comme

> les rayons du soleil éclairent e[ dorenl un nuage somà

l bfe, C'est ainsi que l'âme, en descendant dans le

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f,ISîOINX DÛ PANIffiISME. - IES AIEXANDRINS. ?$

) monde, a tiré ce grand corps de I'inertie où il gisait,' lui a don'é le mouvement, la vie et I'immortali[é..., L'Àme esf présente da's tous les points cle ce coïps> immense, elle en anime toutes les parties, granrles ou> petites. Quoique celles-ci soient placées dans des lieux> divers, elle ne se divise pas comme elles, elle ne ser fractionne pas pour vivifier chaque individu. Elle vi-> vifie tou[es choses en même temps, en res[ant [ou-> jours en[ière etindivisible{. >

Un pas de plus, e[ Flotin arrivera, en traversa't leDieu-na[ure des stoiciens, au vrai Dieu, Frovidence dumonde, éternellement distinct de son ouvïage, au Dieuda Timëe. Un au[re encore, et il atteindra le Dieu créa-

teur où tout le conduit, colnme il semble que tout ydevait conduire son maitre. Flolin ne fait ni le second,ni le premier de ces pas. Le Dieu du monde ter qu'il leconçoi[, I'Ame universelle, supérieure au Dieu stoicien,reste inférieure au Démiurge de platon et à l'idée queFlotin lui-même se fai[ du principe suprême e[ p'emier.Selon lui,

cette Àme auguste, toute dégagée qu'elie estde Ia matière, parlicipe elle-même âu mouvemenlqu'elle imprime e[ n'est poin[ irnmuable. Elle pense ;mais sa pensée esl discursive eL procède par réflexionset raisonnements, par prévisions et souvenirs. Elle estéternelle; mais, appliquée à la protluction et au $ouver_nement des choses du temps, eile entre eile-même dans

la succession et dans la durée, Enfrn, puisque son æuvre

|' Plotin, Ennéade Z, l. l, g 2.

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io cHÀPIlnE Iv,

es[ sage et belle, iI faut qu'elle la fasse d'après un plan

préconçu.; et ce plan elle n'a pu le former qu'en con-

sultant un idéal, un modèle? un archétype dont la réa-

lité est au.dessus d'elle, comme l'idéal de I'ar[iste est

au-dessus de Ia pensée'qui le contemple. si donc I'Àme

divine suffit à expliquer le monde, elle ne suffit pas à

s'expliquer elle-même; elle ne saurait être le terme où

s'aruêtera le mouvemen[ ascensionnel de Ia dialectique.Qu'y a-t-il donc au-dessus de l'Àme? Sans doute un

principe qui possède dans l'itnmutabilité ce que I'Àme

possède dans Ie mouvement. ce principe, c'est I'Intelli-

g.n.t pure, le Noûq, la pensée imnnobile, immanente,

nolr successive, se suffisant à elle-même et n'agissant

point au dehors; c'est le Dieu d'Àristole,Ia pensée

qui se pense elle-même (vér1or; vo4oétoç vdriotç) 'et ne

pense qu'elle-mêne, la pensée qui, n'exerçant aucune

action sur le monde et ne s'abaissant ,pas même à le

conlaître, [rouve dans l'éternelle conscience de sa per'

fection sa vie et sa béatitude. Mais Plotin ne s'en tien[

pas à la doctrine d'Àris[ote ; it Ia complète e[ Ia rectifie

par ta théorie des idées platoniciennes; il enseigne

que cette pensée solitaire es[ cependant le principe de

liordre qui règne dans le'ronde.

Elle contien[ en effet

I'archétype suivant lequel le Démiurge organise la ma-

tière ; elle esb le centre des itlées é[ernelles dont ]a réu-

nion constltue le monde intelligible. Essences .parfaites

chacune en son genre; distinctes les unes des autres'mais se pénétrant réciproquement de la façon la plus

in[ime, réalités souveraines dont les choses d'ici-bas

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EISToIRE DU paNTnÉlsun. - LES arDxaNDRrNs. 77

ne sont que I'ombre e[ le pâle reflel, ces idées sont la

substance même du Dieu que la dialectique atteint au-dessus de I'Ame. Pour cette Àme qui les contemple, lesconsulte et les traduit dans la matière, elles sont unobjet supérieur. Pour le Noùç qui les contien[, elles son[un objet adéquat, elles sont lui-même. En tant qu'ellesson[ pensées par lui, elles sont l'Être; en tanl qu'il lespense, il est I'Intelligence; elles et

luine sont qu'un,

&.p.ça rb Ëv.

Comprenons ici la pensée et I'embarras de plotin.Comme les stoïciens et comme le bon sens, il reconnaî[que I'ordre manifesté dans le monde suppose la présenceet I'action d'une force ordonnatrice, à la fois puissan[eet intelligente, d'une force dont le vrai nom est Dieu.

Comme Platon, il voit bien que cette force est supé-rieure aux conditions matérielles des éléments qu'elleorganise I et comme lui encore, il admet que cette har-monie, ce concours, cette unité des choses impliquentdans I'ordonnateur divin un plan qui se comporte àl'égard du monde comme le modèle àl,égard de la copie.

Enfin, aussi bien qu'Aristote, il sait que la pensée di-vine doit être conçue comme immuable, comme placéeen dehors de la durée et de I'espace, comme trouvanten soi un objet infini, égal à sa- puissance inûnie deconnaître. JusqueJà it est dans la vérité, et les doc-trines qu'il a recueillies chez ses grands devancierssont enfre elles dans un parfait accord. Mais c'est làque, sur les pas d'Aristoie, il s'égare en ne voyant passet accord. Comme Aristote, il craint que la pensée di-

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78 CHAPITRE IV.

viue, en agissant sur le dehors, ne devienne mobile et

successive, qu'en connaissanf I'imparfait elle n'en con-tracte [a souillure; qu'en s'é[endant à un obje[ autre

qu'elle-même elle ne s'avoue impuissante à se suffire.

Il ne voif pas que I'action de Dieu, idehtique à son es-

sence, en garde le caractère et reste en soi immuable et

immanente, bien que ses effets soient extérieurs et suc-

cessifs. Il ne voil pas que Dieu, se connaissant autant

qu'il est connaissahle, connaî[ nécessairement loute

l'étendue de sa puissance et tout le ftat de sa volonté,

qu'il voit daus I'une tou[ le possible e[ dans I'autre tout

le réel, e[ qu'ainsi c'est en se connaissant lui-même

qu'il connaît ce qui n'est pas lui. Dès lors la question

se pose pour Flotin Sous la forme d'une de ces anti-

nomies que to triliquc de la raison Pwre a rendues sicélèbres :

Thèse : Le monde exige I'action intelligente et puis-

sante de Dieu.

Antithèse : Dieu, conçu comme être absol.u et intelli-gence immuable, ne peut agir sur le monde.

t'est là une contradiction'e)ipresse que Plotin ne

pourra résoudre que par une contradiction nouvelle. Et

cette contradtction consistera à partager entre un Dieu

supérieur e[ un Dieu inférieur, ou plutôt entre un élé-

ment supérieur et un éIément inférieur du même Dieu,

Ies deux fonctions divines qu'il juge inconciliables, la

Fensée et la Providence; à introduire en Dieu, quoi?

non pas Ia distinction des personnes, c'est-à-dire unmystère qui dépasse la raison sans la cor-rtredire, et iA-

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EISTOIAE DU PAI'|TEÉSIME. - LES ATEXANDBINS. T9

dique le seeret de la vie divine sans altérer la notion d,e

sa perfection, mais I'inégalitéo le plus et Ie moins dansI'absolu, les degrés de perfection dans la perfection

sans degrés; en haut, la pensée immuable enfermée en

elle-même; en bas, l'âme mobile et successive, regar-dant au-dessus d'elle pour consulter son modèle, au-

dessous d'elle pour s'appliquer à son (Duvre, et chargée

des fonctions de Frovidence comme d'un offioe inférieurauquel le Dieu immuable ne daigne pas descendre,

Du moins ce Dieu supérieur que Plotin a sl profon-

dément séparé du monde est-il le Dieu suprême? bn Ie

devraif croire, à I'entendre eélébrer en termes magni-fiques la mâjesté immobile et l'éternité toujours pré-

sente de la Fensée pure{. Il n'en est rien cepepdant,

Àppliquanl à I'intelligence le même proeédé d'analyseeffrénée qui I'empêchait d'aceep.ter, eomme prineipo

premier, I'Ame, c'est-à-dire le Dieu-Providenae, Plotin

1.. a Veut-on auivsr à reconnaitre la d.ipnité ile I'intelll-D gence ? Après avoir admiré le monde sensible en eonsid.é-

> rant srr grandeur et sa boauté, la régularit6 éternelle de son

D mouvement, Ies dieux visibles ou cachés, les animaux et> Ies plantes qu'il renferme, gu'on s'élève à I'arcbét.ypo da ce> monde, à un monde plus vrai; qu'on y contemple tous les> intelligibles qui sont éternels comme lui, et qui y subsisteut> au sein de la science et de la vie parfaite. Là préside I'in->> telligence pure, la sagcsse ineffable; là se trouve Ie vrai> royaume de Salurne, qui n'est autre cboso que I'Intelli-

) gence pure. Celle-ci embrasse en effet toute esseuce im-r> mortelle, toute intelligence, toute diviuité, toute tme; et> tout y est étgrngl çt iprnuahle. Pourquoi .l'Intelligenog

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80 oHAPITRE IV.

croit voir qu'il ne tien[ pas encore I'unité absolue, der-

nier terme de la métaphysique, seul principe qui sesuffise pleinement à soi-même. Tout multiple, ne trlt-ilcomposé que de deux éléments, implique, au-dessus

d'eux et au-dessus de lui-même, une unité supérieurequi les relie. Donc, là où il reste quelque trace de mul-[iplicité, là ne se trouve pas encore le principe premierque poursuit la dialectique. Or, la multiplicité, loind'être bannie de I'intelligence, ysubsiste nécessairement

et la constitue; elle subsiste dans la distinction du sujetet de I'objet, du Moi divin en tant que pensant et du

Moi divin en tant que pensé; elle subsiste dans I'objetmême, qui est le monde intelligible, formé de la somme

>> changerait-elle, puisque son état est heureux ? A quoi aspi->r rerait-elle, puisqu'elle a tout en elle-même ? Pourquoi

'r voudrait-elle so développer, puisqu'elle est souverainemonù> parfaite? Ce qui la rend telle, c'est qu'elle ue renferme quo>> dos choses qui sont parfaites, et qu'elle les pense; et elle>> les pense, non parce qu'elle cherche à les counaltre, mais) parcs qu'elle los possède. Sa félicité n'a rien de contingent :

>> I'Intelligence possède tout dès l'Éternité; elleest elle-même> I'-Éternité véritable dont le temps offro I'image mobilo dans

> la sphère de l'âme. Elle euibrasso toujours toutes choses>> simultanément. Elle est: il n'y a jamais pour elle que le>> présent; point de futur, car elle est <téjà ce qu'olle peut>> être plus tard; point de passé, car nulle des choses intelli->> gibles ne passe; torrtes subsistent dans un éternel présent,>> toutos restent identiques, satisfaites rle leur état actuel.

> Chacune est intelligense et ôtre,' toutes ensemble, elles sont>'Intelligence universelle, loÊtro universel. r>

Plotin, Ennéade, 7, l. r, S 4,

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HISTOIRE DU PANTHEIS}IE. - .LES ALIiIA){DRNS. 8I

des idées éternelles, lesquelles sont distinctes les unes

des autres, quoique parfaitement unies entre elles. Ce

n'est donc là qu'un Dieu multiple : IIo).r1ç oûroç ô Oeéç.

En vain redirez-vous à Plotin la belle parole de Platon:Nows laisserons-nous faci,lement perswader que I' augustenatttre de Dieu est ë,trangère à l'intelligence? oa cetteautre d'Àris[ote : Si, le princùpe pre'mier était cléTtouruu

d,e.pensëe, quel,l,e rnajestë et quel, drott à, r1,os respects l,uiresterait-il encore P En vain lui remontrerez-vous que ladistinction logique du sujot et de I'obje[ se ramène,dans l'acte de la conscience divine, à la plus parfai[eunité ; que les idées de la raison, différentes les unesdes autres, et par conséquent multiples au regard denotre esprit qui les connaîl

mal,sont

réciproquementidentiques et par conséquent une en Dieu qui les con-nait bien; qu'enfin la puissance même de concevoircette multiplité réelle des choses, qui est une imitationimparfaite et fragmentaire de l'Étre absolument simpleet complet, n'introduit point la multiplicité en Dieu, pasplus que la puissance de produire des êtres finis n'in-troduit en lui la contingence et la limite. Une fois lancéà la recherche de son unité chimérique, une fois ac-coutumé à réparfir les fonctions e[ les caractères tle ladivinité entre des hypostases inégales, Platon ne s'ar-rête plus. Comme il a cru monter en passant de l'âme àI'intelligence, il eroit monter encore en concevant, au

delà de I'intelligence, un troisième principe qu,il appelleI'Unité, dernier terme de I'ascension dialectique.

Que veut-il dire ? Que I'essence divine est absolu-Éi'"

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82 ctrAPITRE IV.

men[ simple ? Nous le disons'aussi. Que pour concevoir

Dieu d'une manière qui ne soit pas trop indigue de lui,il faut employer courageusement la méthode d'élimina-tion, et ne rien laisser dans celte idée souveraine qui

sente en quoi.que ce soit I'ipfirmité de la créature?

Nous le disons encore,'et c'est la première règle de

notre méthode de dégager des conditions du fini tout

ce que nous affirmons de Dieu, de nier absolument delui tout attribut dans lequel ce dégagement ne peut ê[re

opéré. Ftotin entend tout autre chose; il ententl que

la méthode d'élimination doit être employée, seule et

employée à outrance; qu'il faut, pour atteindre le prin-

eipe premier, éliminer non-seulement les conditions de

l'être fini, mais la notion même de l'être dégagée de

toute condition; que tout effort pour éclaircir la notion

de Dieu par des déterminations ou attribu[ions positives

esl, vain i {u0, quelque soin qu'on prenne de ne rien

attribuer à Dieu qui ne s'accorde avee I'idée de la per-

fection absolue, de concevoir en lui I'être sans limite,

la pensée sans ténèbres, sans travail et sans succes-

sion, l'amour sans erreurs et sans défaillances, la vo'Ionté sans changements et sans caprices, la puissance

sans en[raves, en un mot, l'être, la pensée, I'amout, la

volonl,é, la puissance, à l'état plein et'pur, on n'arrive

qu'à faile descendre'l'lL,ilti,té de son rang suprême, L'Un

ne pense pâs, il est att-dessus de ta pensée. L'Un

n'est pas, il est au-dessus de I'ê[re. Il ne faut pas direde lui qw'i,|, est I'Un ; ce serait encore le multiplier et

I'abaisser, Il faut dire : I'Un, et se taire.

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MSTOIRE DU PANTEÉISME. - IES &E]TANDRINS. 83

C'es[ ainsi qu'une dialectique intempérante, égarée

par de .vains scrupules et des espér'ances également in-sensées, condui[ ce gtand espril à placer au sommet

des choses, non point la perfeclion de I'ê[re et la pléni-

tude de la vie, mais un [erme abstrait et vide, un Dieu-

néan[. Dès lors, engagé à la poursuite d'un fantôme, ilest logiquemen[ condamné à toutes les folies du faux

mysticisme. ll sent bien que le principe suprême, telqu'il I'a rôvé, n'offre plus aucune prise à la raison, et

que concevoir I'unité sans I'êl,re, concevoir ce qui n'estpas, c'est concevoir le rien ou ne rien concevoir. Il fqutdonc qu'il renonce à la pensée, et qu'arrivé à ce point,il la rejette comme un instr"ument désormais inutile,

non-seulement la pensée discursive qui cherche et qui '

raisonne, mais la pensée contemplative qui se repose

avec un ravissement serein dans la vérité conquise et

possédée. Il faut qu'il s'adresse à l'extase,

Comprenons bien le caractère de ce procédé, ou plu-tôt de cet état qui n'a rien de commun avec I'extase

chr'élienne. Celle-ci est proprement la transfiguration de

I'intelligence; c'esI la condilion céles[e substituée dès

ici-bas, par une grâce spépiale eb de couffe durée, à lacondition terrestle; c'est Dieu écartant tout à coup les

' voiles de la foi, éclaiiant les obscurités de la raison, se

monlranl f'ace à face e[ tel qu'il est dans une vision in-tuitive, élevant l'âme au-dessus d'elle-même et I'inondant

d'une clarlé qui fai[ pâlir l'éclat des choses créées plusgue ne pâlissent les étoiles quand le soleil apparait au-

' dessus de I'horizon. L'extase alexandrine est la suppres-

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84 IjHAPITRE Iv"

sibn de la pensée. L'âme qui s'élève ou s'abaisse jusque-

là ne connait pas et n'aime pas l'Un qu'elle cherehaitet qu'elle a trouvé; car, comment connattre eb commentaimer ce qùi n'est pas intelligible et ce qui n'est pas ?

Elle devient'elle-même ce néant ; et, en le devenant,

elle perd non-seulemen[ Ia personnalité et I'exisfenceindividuelle, mais jusqu'à I'existence impersonnelle que

le panthéisme consent d'ordinaire à lui laisser; et demême que le néant est le sommet des choses, l'anéan-tissement est le sommet de la pensée.

C'est de ce rt'éanl qu'il faut redescendre aux réalités.lci, la doctrine de Plotin subira la loi commune de tous

les panthéismes, qui est'd'introduire en Dieu même.l'imperfection

et le mal, après avoir repoussé l'idée decréation comme attentatoire à I'immutabilité eb à I'in-finie réalité de I'ttre divin. Le panthéisme ne veut pas

de la création, parce qu'à son avis elle suppose un Dieuqui ne se suffit pas à soi-même; parce qu'elle le limiteen"plaçant en face de lui des réalités qui ne sont pas

lui; parce qu'elle lui prête des intentions, des calculs,

des mouvements.de cæur et d'esprit qui I'assimilent àl'homme;en un mot, parce qw'elle le détermi,ne. Onvientde voir à quelles conséquences insensées cette crainted'abaissei Dieu en le déterminant â poussé Flotin..Pourque son Dieu soit parfait et souverain, pour qu'il soitl,'Un et l,e premier', il n'a trouvé qu'un moyen? c'est de

dire qu'il n'est pas; c'est de le mettre au-dessus de l'êtie,ce qui, quant au résultat, revient exactement à le mettleaudessous. Voilà donc toute possibililé de communi-

r

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HISTOINE DU PA}NBÉIS}IE. _ tES ATEXANDRII{S. 85

cation entre Dieu et le monde absolument supprimée,

puisqu'il n'y a dans le principe suprême ni puissance,ni volonté, ni intelligence, ni existence, en un mot, rien de

ce qu'il faut pour agir. Et cependant, le monde existe,et il ne peut venir que de Dieu. Les alexandrins en

conviennent, et, d'autre par[, I'esprit d'unité.qui règne

dans leur système leur fait rejeter bien loin I'hypothèse

dualiste d'une manière existant par elle-même; poureux comme pour nous, c'es[ par Dieu qu'il faut toutexpliquer. Que feront-ils donc ? Ce l;ieu auquel ils ne

veulent pas accorder la liberté de produire, ils lui im-poseront l,a nëcessilë cle produi,re. Ce Dieu qu'ils craignentd'abaisser dans son action, ils I'abaisseront dans lefond même de son essence. À la création qui laisse en

dehors de Dieu les imperfections du fini et du multipleils substitueront l'ëmanation qai plaee ces imperfectionsen lui, qui introduit dans son essence non plus les at-tributs positifs que nous affirmons, et qu'ils nient comme

opposés à I'absolue indétermina[ion du principe tlivin,mais les déterminations mêmes du fini, la borne, la

défaillance, la succession, le mal. Et leur Dieu existantet non-existant, pensan[ gt non-pensant, mohile et im-mobile, parfait et impa.rfait, n'est plus que le lieu chi-mérique où se réalise I'impossible identité'des contra-dictoires.

Suivons Plotin dans son effort pour déduire l'être du

néant, et dans les altérations successives qu'il fait subirà sa propre notion de'Dieu. Nous verrons dqns cette

descenbe de I'Un au multiple sa doctrine prendre' un

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86 cf,APITRn Iv.

carac[ère précisément inverse de celui qu'elle nous a

offer[ dans le mom,ent de I'ascension dialectique. Parcrainte du fini, du mull,iple, du dé[erminé, Flolin éle-vait Dieu au-dessus même de la pensée et de l'ê[re;par nécessité d'expliquer le monde, il va meftre dansI'essence divine d'abord la dualité, puis le mouve-ment, la succession, le devenir, puis le mal, puis la

matière.E[ d'abord, I'tin, qui n'est pag, a produit l'être et lapensée. Fourquoi cet[e producticin ? Comment se fai[-ilque l'[Jn, dont I'essence (si le mof d'essence lui peut ê[reappliqué) est tou[ entière dans sa séparation Absolued'avec toul ce qui lui est inférieur, ait franchi cetabîme? Lorsqu'on nous demande le pourquoi de la

créa-tion, nous savons que répondre, et Flaton, bien avantnous, avait répondu : Dieu, est bort. A supposer mêmeque nous ne sussions pas la réponse, nous serions dumoins assuré qu'il y en a une, car nous savons que Iacréation esl un ac[e d'intelligence et de liberté aussi

bien que de puissance, et qu'elle a, par conséquent, son

molif e[ son bul dans la pensée du.créateur. Mais il.nes'agil point ici de création; il s'agit d'émanalion, o'est-à-dire, du mouvement par lequel l'tin se développe en

une secorlde hypostase qui est la pensée et l'ê[re. Nous

ne savons pas, e[ Flolin ne sai[ pas la raison de ce déve-

Ioppement;bien plus, nous savons qu'il n'a pas de rai-

son, et nous savons qu'il a une raison de ne pas s'accorn-plir. Car ce développement qui se produit dans le sein

de 'l'essençe divine est une dégrada[ion selon Plotin

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[rSTgrRE DU pANTEÉISME. - LES ÂT,nxANpRrNS. g7

lui-même. Lors donc qu'il I'explique pâr une nécessité

interne, par une loi de la nature de I'Un (èv fi gûoer fivtb noreîv), il avoue qu'il es[ dans la néeessité de I'essence

divine de s'abaisser, qu'elle n'est constiluée dans sa

plénitude que par I'adjonction de I'imparfai[ et du mul-tiple, en un mot, que I'imperfection entre dans I'essence

et la définition du parfait.

Ce n'est pas tout. La loi qui a donné naissance auNoû6 inférieur à I'Lln ne s'arrête pas à lui : et la même

métaphore qui nous présente la seconde hypostase

comme un écoulemen[ du trop-plein de la première,s'appliquera à la producbion de la troisième. De I'In-telligence l'Àme érnanera à son tour; et ce second

abaissement de I'essencedivine

introdui[ en elle non

plus seulement la dualité, mais la mul[iplicité indé-finie, la mobilité, la succession, touf ce qui fait de

Dieu, en tant qu'âme, une nature si for[ inférieure à

Dieu, en tanf que pensée, combien plus à Dieu en tantqu'uni[é

Voilà donc Dieu déjà tombé bien bas. Et cependant

il n'est pas encore descendu dans le monde dont lanaissance est le grand mystère à éclaircir. La double

dégradation que nous venons de signaler, il la subit en

tant qu'il est Dieu, et non en temps qu'il est le principesubstanliel des choses. Plotin voudrait bien ne pas lui en

infliger d'autre. Entre Dieu et le monde il prétend main-

tenir une dis[inction radicale. Arrivé à l'âme, il s'arrêtecomme au dernier terme d'une série : Ici, dit-il, finit l,'or-dre d,es choses d,iui,nes. Mais cet arrê[ n'est point possible,

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IJUAPITRE IV.

et cette démarcation est arbitrairement tracée. La loi

universelle de l'émanation dolt sorti,r ilon ploin et enl;iereffet; 0t, comme elle gouverne le passage de I'Un à

I'Intelligence et de I'Intelligence à l'Àme, elle gouverne

aussi Ie passage de Dieu au monde' pour lequel princi-

palement elle a été invoquée. sous cette loi, I'univer-

sali[é des choses, de Ia première à la dernière, de I'un

suprême à la plus infime matière,ne constitue pas deux

groupes séparés; elle forme utte série unique et con-

iinou qui se développe suivant une même ligne descen-

dante I e[, dans cette série, ce qu'un terme quelconque

étaitàl'égarddeceluiquileprécède,letermesuivantle sera à son égard.Donc, l'Àme s'épanouit dans le montle

par un rayonpement semblable à celui qui lui a donné

naissance.Lemontleluiestsubord.onnéprécisémentcomme elle-même est subordonnée à I'lntelligence et

I'Intelligence à I'Unité. -Le saub, iI est vrai, semble plus

brusquà et Ia disbance plus considérable ; de Ià les 1é-

gions d'hypostases intermédiaires imaginées par les

ior..**uurs de Plotin et, avanl eux' par les Gnostiques

pour combler cet intervalle' Mais le caractère de-la re-iation,le mode tle production par écoulement' sontrestés

les mêmes. Àu même titre que l'Àme, quoique non pas

au même degré, le monde sensible avec toutes ses mi-

sères, le montle humain avec toutes ses folies ef ses

crimes font partie de I'essence divine' La matière elle-

même y a sa place; elle n'estque la dernière et la

seule infécontle des émana[ions de la substance uni-

verselle.

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HISTOIRE DU PANTHEIS}IE. - LES ATEXANI)RINS. 89

Eufin, au mouvement de production, qui est lp pre-

mière loi générale du monde, correspond le mouvementde retour ou de résorption qui est la seconde. De mêmeque toute hypostase a une tendance en bas d'où résultela procttrction d'une hypostase inférieure, elle a unetendanoe en haut par laquelle elle aspire à s'identifieret à se confondre avec I'hypostase supérieure. Toutedésorganisation

ettoute

morf satisfont à cette aspirationnaturelle; toute âme qui cesse d'animer un corps ,(que

ce soit le corps d'une plante, ou d'un animal, ou d'unhomme), s'absorbe et se perd dans l'Àme universellelorsque le cycle de ses transmigrations est achevé; celle-ci, à son tour, se rattachant à son principe, devientI'Infelligence; I'Intelligence enfin arrive, en suivant la

même loi, à perdre l'être et la pensée, eb devienf I'Urrsans couscience, sans vie çt sâns réalité. Ni les âmes,ni les choses sensibles n'étaient donc substantiellementdistinetes des hypostases divines al;ec lesquelles ellessont appelées à se confondre. Elles s'en sont, il estvrai, distinguées un instant par une individualité men-

songère; mais le fond de leur essence est divin; ce qu'ily a de visible en elles n'est qu'un phénomène de la viedivine. Et de même que, dans la métaphysique stol-cienne, il n'y a que la nature revêtue de quelques attri-buts divins, de même, dans la métaphysique alexan-drine, il n'y a que Dieu chargé de toutes les imperfec-tions de la nature.

Demandera-t-on quelie place iI reste'pour la libertédes âmes dans ce[te série inflexible d'émanations et

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90 TEAPITRE Iv.

dans cette vie universelle qui rend la personnalité im-

possible? quelle place pour le devoir dans un monileoù apparemment tout est bien, puisque toul es[ divin?Logiquemenl, aucune. fr[ais disons hautement que les

alexandrins ont eu horreur de pousser la logique jus-qu'à ce terme extrême. La pluparl d'entre eux se débat-

terlt contre elle, et lui échappent en substituant au

raisonnement le 'sentiment et la conscience morale.Flobfn, en particulier, tient ferme contre son propresystème dans la question du libre arbitre; et sa morale,bien qu'elle soi[ d'un caractère trop con[emplatif et

mystique, est toute pénétrée par la notion du devoir,par I'aspiration à I'idéal, par le sentiment d'une lutte

énergique à soutenir contre les basses inclinations des

sens. Ce n'était pas en vain qu'il avait subi la saineinfluence morale du stoïcisme, inconséquent cornme lui,et I'influence meilleure encore de Flaton qui pouvait

enseigner la vertu' sans démen[ir sa métaphysique. Ce

n'étai[ pa$ en vain non plus qu'il avait vécu cô[e à côte

avec la religion chrétienne, en présence des grands

spectacles d'héroïsme et de charité qu'elle offrait auxregards de ses ennemis. Comme Porphyre, qui fut tout

à la fois le plus considérable de ses disciples et le plus

habile des adversaires du christianisme, Plo[in savait

bien qu'on ne pouvait lutfer avec honneur contre le

dogme nouveau qu'en essayanl d'égaler la pureté e[ la

hauteur morale de ses préceptes. La négation de laIiberlé e[ du devoir son[ doric chez les philosophespJeïandrins deux conséguences gue la logigue leur ip-

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UISÎOIRE DU PANTITÉISME. _ tES .{-[EXANDRINS. gI

pose, mais que leur conscience repousse et que leuresprit

prévenu ne veut pas même apercevoir. Il faut'arriver à spinoza pour voir la force des principes avoirenfin raison des scrupules de la conscience, e[ le pan_théisme nous épargner, en se jetant résolûment danscet abîme, la peine de prouver qu,il y doit fatalementconduire.

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CEAPITRE V

HISTOIRE DU PANTITÉISM3]

"SPIN OZA

Difflculté d'une exposition fldèle du spinosisme. - Méthode do spi-noza; sa rigueur apparente. - Que son panthéisme repose sur unepétition de principe. Sa déflnition de la substance. Réfutation-

En combien de manières spiuoza abaisse la déflnition de Dieu. Qu,ilfait de Dieu la substance même d.u mal et du d.ésordre.Conséquences psychologiques,

morales, politiques. Fatalisme. Néga_tion de la clistinction entre le bien et le mal. anarchio. Despotisme.

Il est malaisé d'être clair en trai[ant du spinosisme.Fort énigma[ique en plusieurs points de sa doctrine quiexercent encore aujourd'hui la sagacité des commenta-teurs, Spinoza, par sui[e du mode d'exposition qu,ila adopté dans son Etlti,que, ne peut être suivi jusqu'aubou[ sans un effort d'espri[ continu et pénii"lle. comme ilprocède à la façon des géomètres, par définitions, puispar axiomes, puis par démonstràtions déduites les unesdes au[res, on ne saurait avancer dans l'étude de sonsystème qu'à condition de conserver, en passant à une

proposition nouvelle, le souvenil de toutes les propo-sitions précédentes, e[ tout est à recommencer si I'onperd un seul instant ce fir qui tend sans cesse à se

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gl* CEAPIfRË V.

rompre. De là aussi la presque impossibilité d'une ana-lyse qui soit toul à la fois complète e[ abrégée. Spinoza.en effet, a le langage d'un géomètre comme il en a lamélhode; chacun de ses théorèmes est une formuleportée au plus haut point de condensation; chacune deses démonstra[ions ne conlient de paroles que le strictnécessaire. De là encore la difficulté, au moins appa-rente, de renverser par une rétutation déoisive un sys-tèrne qui cache avec un ar[ infini sa fragilité réelle sousun air de rigueur démons[rative. De là enfin pour nousI'impérieuse obligation d'étudier de près le panthéisme

sous cette forme nouvelle? la plus scien[ifique que nôusayons encore rencontrée, e[ de chersher le défaut de

cet[e armure qu'on veut faire passer pour impénétrable"Il ne s'agit pas seulement de me[tre en garde les rares

lecteurs del'Ettticlue contte les séductions de sa géomé-

trie sophis[ique; iI s'agit surtout de dissiper le préjugébeaucoup trop répandu d'après lequel Spinoza auraitopposé aux dogmes de la créaLion et de la personnalité

divine des arguments invincibles,Àu reste, le procédé mêne donb Spinoza fail un cons-tant usâge va nous indiquer la méthorle à employerdans cetle éturte, et nous dispensera de suivre'dans le

dernier dé[ail la longue série de ses théorèmes, de ses

scholies et de ses corollaires. Fresque toujours la dé-duc[ion en esl vérilablement rigoureuse. Les principeset, les premières propositions un_e lbis acceptés, il n'estplus possible de se refuser aux conséquences qu'il en

tire; leur ensemble agit sur les esprits imprudents à la

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fiISTOIRx DI] PA\TBÉISME. - SPINOZA. 95

façon de ces engrenages homicides qui ne lâchent plusle bras ou la main qu'ils onf saisie, e[ attir.en[ fatale-men[ le corps tout entier pour le broyer à son tour.Ainsi, ce n'es[ pas dans le courant de ses démons[ra-tions que Spinoza s'égare e[ nous égare par quelqueerreur inaperçue de raisonnement, c'esb à Ia sourcemême; eb c'est dès le début qu'il faut I'arrêter; plus

iard, il serai[ trop [ard. Ses axiomes, ses tléflnilions,les propositions qu'il en déduil immédiatemenl, voilà ceque nous devons sournetlre à un examen sévère. Leparalogisme se cache là e[ non ailleurs; en le cherohan[

dans cet espace rigoureusemenl circonscrit, nous avonsbonne espérance de le démêler et de le mettre en pleine

évidence.

le panthéisme de Spinoza repose tout entier sur unaxiome e[ sur une définition.

L'axiome es[ celui-ci : Tout ce qui es[ et tout ce quipeut être conçu comme existant, se ramène aux troiscatégories de substance, ùoattribu,t et de modet. - Àprendre les Lermes dans leur acception universellementadrnise, Ia subslanee, c'est l'être réel ou possible, lachose, quelle qu'elle soit, qui possède ou peu[ posséder

't. Éthique. Première partio : de Dictt. Déffnilions III, IV et

V. - Réunies; ces trois déflnitions forment, dans la doctrinede Spinoza, un véritable axiome et un principo fondamental.Spinoza suppose manifestement que ces trois termes épuisenttoute la réalité.

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96 cHaPTTRE v:

certaines qualités, qui existe ou peuf exister dtune cef-taine façon; I'atl,ribut, c'est sa qualité; le mode, c'es[

sa manière d'être. Une âme humaine est une substance;

ses facultés sont des atlributs; chacune de ses opé-

ra[ions ou de ses affections. chacun de ses états est unmode.

Rien de plus inoffensif et de plus vrai clue cet axiome,

si I'on conserve au mof substanoe la signification habi-tuelle que nous venons d'indiquer. Spinoza, d'ailleurs,semble la maintenir, lorsqu'il pose en principe : Que

towl ce qui est est en, soi, ou en autre chose {; et lorsqu'ildéfinit I'at[ribut : Ce qwe lu raisoru conçoiï dans laswbstance clnxme constitu,ant Eon essence 2 , et lgs

modes : l,es affections de lu su,bstattceï. E[ cependantc'est de là que le panthéisme va sortir, grâce à une dé-{inition de la substance qui ne convient qu'à Dieu et

réduit tout le reste à n'ê[re qu'un attribut ou une ma-nière d'être de la substance divine. Spinoza, en effet,

défini[ la substaltoe : Ce qwi est en, soi cl, est conçw parsoi, c'est-it-d,ire, ce dont Ie concepl peut êtra formé sans

a,Lroir besoitt, dw cottcept d,'une autre cltose4. il ajoute

ainsi à la notion commune de la substance une nouvelle

idée, I'idéecl'être conçu po,r soi; et par là, rayant de lacatégorie des substances et reléguan[ dans la catégorie

des attributs ou des modes touf ce qui n'est pas Dieu,

t. Éthiqua. Fremière partie : Axiome I,2. Ibid,., Définition IV.3. Ibdd., Définition V.'4. Ibdd., Définition III.

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hISTOIRE DU PAI\TUEISME. -. SPINOZA. 9i

il résoud du premier coup, dans le sens du panthéisme,

la question de la distinction de Dieu et du monde. Bneffet, à la vérité, je suls en m,oi,, c'est-à-dire, que j'aiconscience de n'être ni une qualité, ni une manièred'être de quelque autre substance, d'être au contraireul sujct qui possède cer[aines qualités et éprouve cer-taines modifications; et c'est à cette condi[ion seule-nrenb que je puis dire moi. Mals je ne suis pas clr?,çu

ltar ntoi,I car, dit très-bien Spinoza, I'effet ne peut être

conçu que par sa cause, eu d'autres termes, la connais-sance de l'efl'et dépend de la connaissance de la cause

et I'implique r; d'oir il suit, comme tous les mébaphy-

siciens le savent à merveille, que, pour me connaitretel que je suis, comme être conbingent, comme effet par

rapport à Dieui j'ai besoin de connaltre ce Dieu qui estma cause première. Je ne suis donc pas une substance,au sens nouveau que Spinosa donne à ce terme; eL

comme je puis dire de tous les êtres contingents etfinis, de tout ce qui n'est pas Dieu, ce que je dis de

moi-même, il faut reconnaître qu'il n'y a qu'une subs-

tance, qui est Dieu.Mais ce panthéisme est aussi aisé à renverser qu'il I'aété à construire. II suffit pour cela de lever l'équivoquesur lequel il se fonde. Oui, dans le sens donné par ladéfini[ion, il est bien vrai qu'il n'y a qu'une substance,c'est-à-dire, qu'il n'y a qu'uu Dieu. Mais il n'en résulteen aucune façon qu'au -dessous de cette substance

l. Êtltique. Première part,ie : Axiome IV.I.

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gÉ cnÀprtnfl V.

unique, it ne puisse pas y avoir d'autres êtres dont

chacun, étan[ en soi sans être conçu par soi, doive êtreappeté.substance, non plus au sens spinoziste, mais ausens habituel, le seul dans lequel it faut maintenir contrele panthéisme la pluralité des substances. Jusqu'à ce quecetle irhpossibilité soil démontrée, I'axiome fondamen-tal qui résul[e des trois définitions de Spinoza demeure

une pure hypothèse, et nous avons le droit de tui nierque tout ce qui noesf pas sa suhstance unique en soifnécessairemement l'attribul ou le mode.

Spinoza ne parait point avoir ignoré qrie de cette dé-rnonstration dépend toute la valeur de son système, et ila entrepris de la donner en une série de propositionsdisséminées dans

lespremières pages

de l'Etluiqu,e,mais faciles à rapprocher et à ramener à une folme ré-gulière. En les soumettant à cette opération logique, onobtient un double raisonnement dont la formule est lasuivante :

{o Il ne peut y avoir plusieurs substartces de mêmeatiribut; car elles se confonùraient par cette identité et

ne seraient en réalité qu'une seule subslance{.Or, plusieurs subs[ances qui ne sont pas de même

atl,ribut n'ont rien de commun 2 et ne peuven[, pâr colt-séquent, ê[re conçues loune par I'autre (en vertu de

I'axiorne V)3.

t . Éthique. Premièro partie; Proposition V.2. Ibid. Proposition II.3. Axiome Y z Les cltoses qui, n'ont entre el,les rten de com-

mùn ne peatsent se conceaoir l'u,ne par fautre, ou, en d'autres

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HISTOIRE DU PÀNTEÉIsME. - spnvozr 99

Donc, s'il y a plusieurs substances, elles n'ont riende commun, et le concept de I'une n'enveloppe pas leconcept de I'autre (en ver[u du même axionre).

2o Or, si deux substances n'ont rien de commun etque le concept de I'une n'implique pas le concept deI'autreo I'une ne peut ê[re cause de I'auJre { ; car le con-cept de I'effe[ impliquant le concepl de la cause, si I'une

était cause de I'autre, le concepl, de celle-ci implique_rait le concep[ de celle-là, ce qui êst contre la conclu-sion du premier raisonnemen[, et contre la suppositiorrmême..

I)onc, une substanue ne peut pas être cause d'uneautre substance e. Donc, la production d'une substanceest absolumen[ impossible B.

Donc, toute substance estnécessaire et existe par soi a. Donc le nécessaire, I'ab-solu, I'infini, étant termes synonymes, toute substanceesf infinie en même temps que nécessaire B. I)onc,comme il n'y a qu'un infini, il ne peut exister et on nepeut concevoir aucune autre $ubs[ance que Dieu 6, qnquelque sens qu'on prenne le mot de substance.

Tel est le réseau dons il faut absolument rompre lespremières mailles, si I'on ne veut point s'en laisser en-

termes,le concept de I'unen'enueloppe pas ie concêpt d,e l,autro.t. Éthtqae. Première partie; nràposition III.2. Ibùd., Proposition VI.3. Ibid., Corollaire de laproposition VI.4. Ibid., Proposition VII.5. Ibid., Proposition VIII.6. Ibid., Proposition XIy,

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IOO 'OHAPITRE V;

veloppersans espoir de délivrance. La déduction de

Spinoza est irréprochable dans sa forme; le principe

posé, les conséquences suivent par la force de Ia logi:que; c'est au principe lui-même que nous delons de-

mander compte de ce qu'il est et de ce qu'il vaut..Revenons donc au point de départ, et interrogeons

Spinoza sur le sens qu'il donne à ce principe, qw''il ne

peut y auoi,r d,ewn swbstances d'e rnôme attrtbut. En- 'tend-it seulement que si deux subs[ances n'avaient qpe

les mêmes attributs,'sans que I'une d'elles en possédât

quelqu'un qui fit défaut à I'autre, sans qu'il y eùt,

entre un attribut dans ta première et le mêne attri-

but dans la seconde, aucune différence de degré, ces i

deux substances se confondiaient en une seule parla totale identité de leur essence ? Cela serait vrai' et

ne conduirait à aucune conséquencè inquiétante; car

en[re cette absolue identité d'attributs,'quant au nom-

bre et quant au degré, et .I'âbsolu isolement de deux

êtres qui n'ont rien de commun, il reste place pour:

untroisième rapport, pour le rapport de deu; êtres

. {ui, tout à n fàis, se rapprocheirt et se distinguent;

qui se rapprochent parce qu'ils possèdent I'un et I'autre

cerlains attributs susceptibles d'être désignés par un

nom commun, qui se distinguent d'abord en ce que

ces a[tributs ne sont pas. chez tous deux au même de-

gré, ensuiûe en ce que I'un d'eux possède en propre un

. ou plusieurs,atffiibuts qui ne sê rencontrent'.point chezI'autre. - Pour que le principe de'Spinoza produiso la

colséquence qu'il en veut tirer au profit du panthéisne,

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lrrsrolnr DTt paNlnÉtsur. - sPINoza. r0{

il l'aut donc I'interprêter dans son'sens I"e plus rigou'

reux : à savoir, qu'il ne peut y avoir deux substancesdistinctes ayant en commun ne fùt-ce qu'un seul attri-

but, soit qu'elles I'aient d'ailleurs au même degré ou à

, des degrés inégaux.Or, rien n'esf moins évident ni 'moins démontré

qu'une telle affirmation. Spinoza donne ici pour axiome

une hypothèse purement arbi[raire, disons mieux, une

hypothèse manifestement fausse; et I'on. peut démon-

trer aisément la possibilité de cette coexistance qu'ildéclare impossible.

Parlons géométriquement, comme Spinoza nous y

convie :

,Premièrement, voici une substance qui a pour attri-

bu['A. et B. En voici une autre qui a pour attribut A-- et C. Elles sont de même atbribut; car elles ont en com-

mun llattribut A. Se confondent-elles? Oui,'selon le

principe de Spinoza. Non, selon le plus vulgaire bon

sens qui les distingue I'une de I'autre par I'attribut B,

lbquel est Ie pro.pre de la première, et par I'atfribut C,

lequel est le proprc de,-la seconde.En second lieu, Spinoza considère I'attribut comme

quelque chose d'absoln qui n'est pas susceptible de

plus ou de moins, et pour lequel il n'y a pas de situa-

tion intermédiaire entre être infiniment e[ n'être point.

llais rien n'e_st plus arbitraire que cette négation o

priorù de la possibilité du fini, et Spinoza' en posant

comme axiome la thèse qui faisait le fond du pan-théisrne insensé des liléa[es. commence par une mani-

0.

*

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sorle que, la formule

de I'autre 4P9.ss1[sa,'

distinguer?

IO2 CIAPITRE V.

feste pé[ition de principe la démonstration de sa propre

doctrine. Qui empêche, en eflet, de considérer I'attributabsolu, I'attribut à l'état infini et divin comme un idéaldont telle substance finie se rapprochera plus et telleautre rnoins ? Et parmi celles-ci, en supposant que deuxsubstances n'aient que des attributs communs À, Bet C, gui empêchera que la première possède chacund'etrx dans une autre proportion que la seconde, en

de l'un étant AE9 s1 h formulefr

inégalité de mesure suffise à les

Laissons ces abstractions, et me[tons les choses à laplace des signes. n

Voiei un attribut qui s'appelle la vie. En voici unautre qui s'appelle la sensibilité ou faculté d'avoir con-science des phénomènes de la vie. En voici un troisièmequi s'appelle intelligence, entendement, raison, ou fa-eulté de connaltre le vrai. Puis. voici trois êtres, unarbre, un animal, un homme. Tous trois sont vivants

ou possèdent la vie; ils sont donc de même attribut. Seconfondent-ils ? Oui, selon Spinoza; non, selon le bonsens, et j'ajoute selon ma conscience, qui m'a[teste queje ne suis ni un arbre, ni un cheval, ni une modifica-tion d'une certaine substance unique el, universelle quiaurait pour modes, phénomènes, affecfions ou actes,tantôt

unpeuplier,

tantôt un lion, tantôû un homme.En quoi donc se distinguent-ils ? En ce que I'essence

du premier est constituée, porr emprunter le langage

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EISTOIRN.DU PA".\TffiISUE. _ SPINOZA. TO3

de. Spinoza lui-même, par la vie seule, I'essence du

second par la vie, plus le sentiment, I'essence du troi_sième par la vie et le sentimenï, plus la pensée.

Poursuivons. Voici un zoophyte et voici un mam_mifère d'un genre élevé. L'essence de I'un comme deI'autre est la sensibilité avec le mouvement spontanéqui en est la suite ou I'accompagnement, d'un seul

mot, l'animalité. Se confondent-ils en une même sub-tance ? Out encore, selon Spinoza; non encore, selonla raison. En quoi donc se distinguent-ils? En ce queI'animalité, c'est-à-dire, la somme de leurs attributs com-muns, n'es[ pas chez le premier au même degré quechez le second.

Nous pouvons doni, sans confondre les êtreset sansles jeter pêle-mêle dans I'océan d'une substance uni-

verselle, leur reconnaître des -at[ributs communs, parce.qué Ia mesure n'en es[ pas la même chez tons, et parceque, à côté des points de ressemblance, chacun d'euxoffre quelque trait qui constifue sa physio'omie indi-viduelle. Et nous devons nier comme également con-

traire à la raison et à I'expérience, le principe d'oùspinoza tire les redoutables conséquences qu'on vientde voir, En somme, il prétend étahlir en deux manièresl'impossibilité de la création et la consubstantialilé de

' Dieu et du rnonde : d'abord, par une définition de lasubstance qui ne convient qu'à la substance nécessaire,

infinie, divine, et qu'il n'é[end aux substances finies etcontingentes qu'à l'aide d'un double sophisme, je veuxdire à I'aide d'une pétition de principe déguisée sôus

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IO{ 'CHAPITRE \"

une aml.,BuÏ[é de langage; - puis, par une démons-

tration fondée sur un axiome équivoque, lequel, étantéclairci, ou ne contient en aucune façon les consé-

quences qu'on en tire, ou doit être repoussé comme

absolument et visiblement contraire à la vérité. son

panthéisme est donc une doctrin'e sans base; à le regar-

tler de près, il n'en reste rien, sinon une construction

ruineuse qui s'écroule à mesurequ'on

yajoute une

nouvelle assise; rien, sinon une série de déductions

c1ui, en ce qu'elles ont accidentellement d'acceptable

et de sensé, ne sont que de pures inconséquences' mais

qui, en ce qu'elles on[ de rigoureux, sont à chaque pas

contredites par le bon sens et par la conscience. ces

conséquences, dont nous allons indiquer quelques-unes,

achèveront de juger le spinosisme. si elles sont détrui-tes d'avance par la réfu[ation direc[e de leur principe'

leur absurdité ou leur immoralité intrinsèque ajou-

teron[ à cette réfutation elle-mêrne, une confirmaEiott

éclalante.

Selon Spinoza, il u'y a qu'une substance; e[ cette

substance, qtti est Dieu, est absolument infinie' Mais

comment fâut-il concevoir cette inlinité de I'essence

divine? c'esb ici que nouspouvons nousdonner Ie spec-

tacle des inévitabies contradictions du panthéisme.

on se souvient de laméthorle recommandée et pra-

tiquée par les plus grands maîtFes de la théodicée spi-

ritualiste et chrétienne. Ils veulent qu'avant tout, on

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HISTOIRE DU PANTEI{ISME. - SPINOZA. {O5

s'attache fortement à la notion de la simplicité absolue

de I'essence divine. Fuis, ce principe étant inviolable-ment maintenu, ils enseignent que tout ce qui porte en

soi le caractère de Ia perfection et de l'être, a en Dieu

sa réalité éminente. Àvec eux' nous pouvons donc

affirmer de Dieu plusieurs choses, et le désigner par

des noms qui se rapportent à plusieurs attributs; mais,

en même [emps, nous $avons que cette pluralité est ennous, non en lui, et qu'elle ne porte aucune atteinte à

la simplicité de son essence dans laquelle ces attributs,

distinctB au regard de notre raison, sont wn de la plus

parfaite unité. Nous ajoutons encoTe que' comme ces

attribuls se rejoignent dans I'unité de I'essênce, les actes

divins aussi sont réciproquement indentiques etne

sont, en réalité, qu'un acte unique qui est Dieu lui-

même. Ainsi, nous nous tenons à égale distance et de

ta chimère toute négative des alexandrins qui, de peur

d'abaisser et de muttiplier Dieu, lui retirent l'amour,

la pensée, la vie, l'être même, et de cette conceptiott

vraiment indigne de lui qui le représenfe comme un

composé ou un total d'attributs substantiellement dis-tincts en[re eux, dont chacun ne serait ou n'exprimerait

qu'une partie de son essence.

Spinoza donne à la fois dans ces deux écueils oppo-

sés. D'une part, c'est à lui qu'appartient cette formule

que nous trouverons si fort en honneur auprès des

panthéistes de notre temps : que toute délermination estune négation, omtti,s d,eterm,i,nati,o negatio esl,'- d'où iI

suivrait logiquement que l'Ûtre souverainemeirt posi-

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.t06 CHAPIÎRE V.

tif, I'lns real,issimwm, Dieu, est aussi l'Ûtre souverai-

nement indéterminé. D'autre part, sa métaphysique,qui oonçoit le monde comme un phénomène de la viedivine, ne peut être qu'une détermination à outrance,

introduisant en Dieu, je dis en Dieu lui-même et nonpas seulement dans notre façon de le concevoir, une

multiplicité et une mobilité infinies.

Et d'abord I'essence divine est, suivant lui, réellementconstituée par un nombre infini d'attributs dont chacunest infini dans sa sphère particulière{. Il est clair, en

effet, que du moment où I'on abandonne la notion de lasimplicité absolue de I'essence divine, du moment oùI'on ne fait plus consister I'infini dans I'iinité parfaite,

supérieure à tout nombre, il faut bien le mettre dansI'infinité numérique, impuissante et grossière copie de

I'infinité véritable.Yoilà donc une première et inévitable dégradation de

I'idée de Dieu. En voici une seconde qui n'est pas moinsnécessaire. Le monde, dans la doctrine panthéiste, n'estni une substance, ni une collection de substances; car

il n'y a qu'une substance véritable, qui est Dieu. Lesêtres qui le composent ne sont pas non plus des attri-buts de Dieu: car ces êtres sont finis, tandis que chacundes attributs divins est infini en son genre. Ils appar-tiennent donc à la dernière des. trois catégories aux-quelles Spinoza ramène toute la réalité, et chacun d'eux

constitue une de ces modifications Iinies en nature et

'1, Éthtgue. Premibre partie; Déffnitiou Yf,

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EISTOIRE DU PANIBÉISME. _ SPINOZA. IÔ?

infinies en nombre qui découlent de chacun des attri-

buts divins{. Pris dans leur ensemble, ils se rapportentexclusivement à deux de ces altributs, la pensée etl'étendue; car Spinoza enseigne expressément que dansle nombre infini des attributs de Dieu, ce sont là lesdeux seuls que nous connaissionse, bien que, par uneétrange et inexplicable'contradiction, il enseigne aussi,

d'une manière non moins expresse, que nous avonsune idée adéquate de I'essence divines. - Bemarquonsen.passant I'étrange idée que Spinoza nous donne'dela nature de Dieu lorsqu'il lui al[ribue, non pas I'im-mensité, c'est-à-dire, l'omniprésence d'un esprit incor-porel et infini qui est partout tout entier, mais l'étendueproprement di[e, l'élendue en longueur, largeur 0t pro-fondeur, l'étendue multiple et divisible dans laquelle lesgéomètres tracent leurs figures 4,

- Mais ce n'est làque le moindre grief de ta métaphysique et du sens

cornmun contre la théorie spinosiste. Ce qui en fait lecaractère propre e[ ce qui donne à'celte forme nouvelle

du panthéiste une physionomie par[iculièrement auda-

cieuse, c'es[ la hardiesse avec laquelle elle affirme quede chaque.attribut divin doit découler une infinité de

choses in{iniment modifiées, en d'au[res termes une in-finité de modi{ications finies qui en expriment I'essenceet en font partie intégrante, Far là le fini, la limile, I'im.

tt. Éthique.Première partie; Proposition XVL

2. Ibid. Deuxième partie : De I'd,nte. Propositions I et II,3. Ib'id.., Propositiou XLVII.4. lbid., Proposition Il: Dieu est we ohosè ëteniluat

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{od cHlPltnn v.

perfection, le désordre physique e[ le désordre moral

. sont introduits en Dieu non plus subrepticement e[ encachette, mais ouvertement et scientifiquement; ils sont

donnés comme consbituant la vie divine, précisément au

même tilre que la série de nos modifications et de nos

actes, constitue la vie de nos âmes.

De cette no[ion de Dieu considéré comme chose éten-

due et chosepensante, résultent la définition du corps et

Ia définition de l'âme. Tout corps est un mode tle l'é[en-

due divine; toute âme est un mode de la pensée divine"

Mais iI faut remarquer ici que, selon les principes de

Spinoza, Ie mol d'âme est un mot mal fait; car il tend à

désigner une substance? un ê[re flxe servant de sujet à

un certain nombre de phénomènes, une foqce capable de

proiluire certains acles en vertu d'une initiative person-nelle. Ce que le langage vulgaire appelle une âme, ilfaut I'appeler une idée, afin d'en exprimer I'existence

purement phénoménale. Allons plus loin; puisque la

vie psychologique ne nous apparait pas comme immo-

bile, mais comme constituée par une série de phéno-

mènes qui, selon Spinoza, ne se rapporten[ point au moicomme à un sujet substantiel et distinct d'eux-mêmes,

ce que nous nommons âme n'est en réalité qu'une série

successive d'idées.

Mais cette idée ou ces idées, quel en est I'objet pro-

pre? Pour entendre sur ce point la doctrine de Spinoza,

il faut savoir qu'entre les développemen[s d'un attributde Dieu et les développements de tous les autres, iI y a

un exact parallélisme. A chaque mode de l'étendue

t

l

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lIISTOnx DU PANTBÉ:IIE. - SPIN0ZA. {09

dir'ine correspond un motle de la pensée divine, ou,

pour mieux dire, chaque mode de Ia pensée n'estqu'un

"mode de I'étendue en tan[ qu'aperçu par I'entendemetrt

divin. Donc I'objet de cette idée ou de cette succession

d'idées que le vulgaire appelle une âme, noest au[re

chose qu'un mode correspotltlant de l'étendue; et I'âme

humaine peut êlre exac[ement déflnie I'idée du corps

humain.Disons enfin, pour compléter cette métaphysique et

cette psychologie, que Dieu, ce Dieu dont les âmes

humaines et les corps humains ne sonb,que les modifi-

cations, n'es[ pas libre, puisque tout découle en lui de

la néoessibé de sa nature. 'L'homrne I'est beaucoup

moins encore, et cette universelle fatalité des choses

divines e[ humaines es[ un des points sur lesquels Spi-noza revient avec le plus de complaisance. < Il n'est'

> poin[ de la nature de la raison, )) nous dit-il, < de

)) concevoir les choses comme contingentes, rnais bien

)) comme nécessaires (2' par[ie, prop. XtW). Il n'y a

> poinf dans l'âme de volonÛé absolue .ou libre; mais

> l'àme est délerminée à vouloirceci ou cela par gne

) cause qui, elle-même, esb déterminée par une autre,

> et celle-ci encore par une auLre, et ainsi à I'infini,, (ib. prop. XtVm). L'expérience et la raison sont d'ac-

> cord pour établir que les hommes ne se croient libres

r qu'à cause qu'ils ont conscience de leurs actions et

> ne I'ont pas des causes qui les déternninent, et que

> les décisions de I'âne ne sont rien autre chose que)) ses appétits, lesquels varient par sui[e" des disposi-

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1,4,0 ôHapIlRE V.

> tions variables du corps (3" partie, prop. II, Scho-

> lie). Toutce que je priis dire à ceux qui croientqu'ils)) peuvenf parler, se taire, en un mot agir en vertu> d'une libre décision de l'âme, e'est qu'ils rêvent lesD yeux ouverts. (ib.),

Spinoza, comme I'a très-bien dit M. Saisset, nie doncle libre arbitre de toutes les façons donÛ on peut le nier.

Quellesconséquences pratiques

doivent résul[er de cetbenégation, on le devine aisément; et Spinoza, d'ailleurs,épargne à la critique le soin de les découvrir en les dé.duisant lui-même aveo une extrême rigueur.

La première, c'est que le rÀal n'existe pas, et que c'estun préjugé de regarder cer[aines actions comme crimi-nelles ou méprisables, puisqu'elles se font, aussi bien

que toutes les autres choses, suivant les lois éternellesde la nature et résultent de la nécessi[é de I'essence di-viner. Si donc elles nous paraissent impies, horribles,injustes et honteuses, cela vient de ce que nous conce-vons les choses avee trouble et confusion et par des

idées mutilées 2.

Tout est donc innocent, pulsque tout est divin. Rienn'es[ coupable parce que rien n'est libre. Chaque hommefait, sans responsabiliÉ, sans mérite ni démérite, cequ'il est invinciblement déterminé à faire. L'idée du de-voir disparait ainsi tout entière de la vie morale des

t. Éthique, guatrième partie : ile l;Esclaùage, propositiou L,Bcholie.

2, Ibiil,,, proposition LXXUI, Scholie.

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irisrotnn nu raNrniISME. - sptttoll. 'll t

individus, et notre auteur est trop conséquent avec lui-

même pour la laisser subsister encore dans la vie despeuples. En appliquant au droit public, dans le Trgc-

tal,tls t heolog ico-pol,i,ticus, les principes de l' ii,thùqu e, Spî'

noza achève de nous mon[rer où ils conduisent, et

donne une leçon fort instructive aux hommes d'É[at qui

croient à I'innocuité pratique des grandes erreurs mé-

taphysiques sur Dieu èt ses rapports avec le monde.Laissons-le développer lui-même, avec une tranquillehardiesse, la série de ces conséquences. I,eur rigueur logi-que es[ parfaite, sauf en un point que nous indiquerons;

et leur exposition suffirait, s'il en était.besoin encore, à

la condamnation du principe d'où elles découlent.

< Le droit naturel n'est autre chose que les lois de la

r nature de chaque individu, selon lesquelles il est dé-r terminé naturellement à agir d'une certaine manière.u Far exemple, les poissons sont .naturellement faits) pour nager; les plus grands d'entre eux sont faits) pour manger les petits ; et, par conséquent, en vertur du droit naturel, tous les poissons jouissent de I'eau,

r etles plus grands mangent les petits..., Or, tout ce qu'un être fait d'après les lois de sâ

D nature, il le fait à bon droit, puisqu'il agit comme il> y est déterminé par sa nature, et qu'il ne peuû agif) autrement. C'est pourquoi, comme le sage a Ie droitr absolu de faire tout ce que la raison lui dicte, ainsi

> I'insensé et l'ignorant a droit sur tout ce que I'ap-> pé[it lui conseille ou 1è tlroit de vivre selon les lois de

r I'appétit...

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lI2 C-BAP.ITRE V.

D Donc, quiconque est censé vivre sous le seul em-

> pire de la nature a droit absolu de convoiter tout ce> qu'iljuge utile, qu'il soit porté àce désir par la saine

)) raison ou par la violence des passions; il a te droit, de se I'approprier de toute manière, par force ou par

r mse; par conséquent de tenir pour ennemi celui qui,r I'empêcher de satisfaire ses désirs. Le droit de la)) nature? sous lequel naissent tous les hornmes et sous

> lequel ils vivent la plupart, ne leur défend que ce

r {u0 auoun d'eux ne convoite et ce qui échappe à leur> pouvoir

> Le droit de chacun s'é[end donc jusqu'où s'étend

)) sa puissance. Car la naiure, considérée d'un point> de vue général, a un droit souverain sur touL ce qui

> est en son pouvoir, puisque sa puissance, c'est la> puissance même de Dieu qui possède un droit sou-

> verain sur toutes choses. Mais; 00mme Ia puissance

u de la nature n'ês[ que la puissance de tous les indi-u vidus réunis,'il suit que chaque individu a droit sur

> toub ce qu'il peut embrasser{. >

II suit del"à que

lespactes n'obligenb pas morale-

menf ceux qui les ont consentis. a Àucun pacte n'a

> de valeur qu'en raison de son utilité. Si I'utilité di"spa-

> rait, le pacte s'évanouit avec elle et perd toute son

r autorité. Il y a donc de la folie à prétendre enchaîner

,r à jamais quelqu'un à sa parole, à moins qu'on ne

l. Tractatus l,heologico-politiaus, ch. xvr, passim.

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EISTOINE DU PANTMTISME. - SPINOZÀ. {{3

u fasïe en sorte que la rupture du pacte ne lui procure

r plus de dommage que de profit r. >

La question de droit se réduib ainsi à la question de

force, et Spinoza

va montrer tout à I'heure

Que la loi du plus fort est toujours la meilleure.

u Car, puisque le droit naturel ile chacun est déter-r miné par sa puissanbe, autant on cède à un autre de

> cettô puissance, volontairement ou par force, autant

r on lui cède nécessairement de son droit. Et ainsi,r celui qui a un souverain pouvoir pour contraindre

> les hommes par la force et les retenir par la crainte> du dernier supplice, celui-là dispose sur eux d'un)) souverain droit, et il gartlera ce droit tant qu'il aura> le pouvoir d'exécuter ses volontés. Àutrement, qui-) conque sera plus fort que lui ne sera pas tenu de lui,r garder obéissance e. >

Tel est le fontlement dupouvoir politique. < Bt

voilà,>

ajoute Spinozaavec une rare hardiesse d'inconséquence,

< de quelle manière peut s'établir une société et se

D maintenrr l'inaiolabil,itë du pacte commun sans bles-

) ser aucunement le droit naturel. Il suffit que chacun

r transfère tout le pouvoir qu'il a à la société, laquelle,) par là, aura seule sur toutes choses Ie droit absolu

Tractatus theologi,co-pol,iticus, ch. xvr, passim.

lraetatus theologieo-politi cas, cap. xvt.,,.,

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,l,ll cf,aPIlRE V.

) de souveraineté, en sorte que chacun sera obh$é de

> Iui obéir, soit librement, soit par la crainte du der-> nier supplice. On voit que Ie Souverain n'est limité

D par aucune loi, et que tous sont tenus de lui obéir en

> tou[es choses; et c'es[ ce dont iis ont dù demeurer

r d'accord tacitement ou expressément, lorsqu'ils lui

D ont tranféré tout leur pouvoir de se défendle, c'est-

> à-dire tout leur droit. Donc, à moins de vouloir être> les ennemis de l'État, et d'agir conti"e la raison qui

)) nous engage à le défendre tle toutes nos forces, nous

)) sommes obligés absolument d'exécuter tous les or-

> dres du Souverain, même les plus absurdes{' >

Mais entendons bien que cette prétendue obligation

morale n'est qu'une contrainte matérielle,et que le rlroit se

déplace en même temps que la force' < Car, > ditSBinoza,

) nous sommes obligés à cette obéissance tant que Ie

> Souverain, roi, noble ou peuple, garde Ia puissance

> qu'il a euee. > une insurrection vaincue était crimi.

nelle, une insurrection viciorieuse est 1égitime, et e'est

le succès qui tlécitle. Ainsi, toute oppression est per-

mise si elle est soutsnue par de gros bataillons; touterévolte est sainte si elle doit réussir, et la théorie de

.I'extrême tlespotisme est en même temps la théorie de

I'extrême anarchie.

Qui croirait après cela que Spinoza ose parler de

Tr actatus theologicogol,ôttcus, caP' xY{'

lbid,t.3.

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Irl

EISTOIRE DU PANTHÉISME. - SPINOZÂ. ,r {5

vertu? Il en parle cependa4t. Il a une morale. Il con-

çoit et propose un idéal.de la vie humaine, lequel con-

siste pour chaque homme à augmenter la puissance de

son être en diminuant les passionS qui sont la source

des idées confuses, des troubles et des craintes, et en

les remplaçant par des idées claires ou adéqua[es, pourtout dire, en s'efforçant de devenir un mode plus élevé

de la pensée divine. lllais, enoore'que Spinoza n'aitpoint osé donner une place dans sa morale à l'idée du

devoir, trop visiblement inconciliable avec les principes

de sa métaphysique, cette morale, toute mutilée qu'elle

esto ne saurail être prise au sérieux. Après qu'on m'a

répété sur tous les tons que je ne suis pas libre et que

tous les actes dont je me crois I'auteur résultent de lanéaessité de la nature divine, on a mauvaise grâce à

m'offrir des conseils pour la direction de ma vie. Sans

valeur par elle-même, une telle entreprise, si elle est

sincère, ne prouve que I'indestructible vitalité du sen-

timent moral qui pénètre malgré tout jusque dans les

systèmes d'où il est expressément exclu.

Quand nous avons rencontré une docfrine moralechez Flotin, nous avons dù sans doute en signaler laradicale inconséquence. llfais chez lui cette inconsé-quence est entre les par.ties les plus élevées et les plus

abstrai[es de sa métaphysique et tout I'ensemble de sa

philosophie pratique; elle n'est pas entre une psycho-

logie qui nierait formellement le libre arbitre e[ le de-voir, et gne discipline morale qui les implique I'un et

I'aqtre, Four I'apercevoir, il faut avoir faib quelque ef-

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{T6 CEAPITRE V.

fort d'esprit, il faut avoirreconnu et démontré I'incom-

patibilité essentielle de tout pan[héisme, même sous sa

forme la plus adoucle et la plus religieuse, avec les

conditions nécessair'es de la moralité. Plotin croit à là'liberté et au devoir; il y croit toujours; il"dit les rai-sons de sa foi ; il la défend contre les doctrines qui I'at-

taquent. Ce n'est que par voie de raisonnément, en le

mettant pour ainsi dire au pied dumur, qu'on lui prouvequ'il n'a pas le droit tle la conserver. Nous venons de

voir.qu'il en est tout autrement de Spinoza. Non-spu-lement son panthéisme mène à nier la liberté et la

distinction du bien et du mal; mais lui-même, sans at-

tcntlre qu'on presse ses principes, en déduil les con-

séquences psychologiques et pratiques avec une fÏdélitéscrupuleuse. C'es[ de sa bouche que nous avons re-

cueilli, non à titred'aveu,'mais àtitre de doctrine hau-

tement professée, ta négation de la responsabilité et du

devoir. C'est lui-même qui nous instruit sur la moralité

de sa doctrine. Et quand, après cela, il entreprend de

construire une morale, de donner des conseils, de pro-

poser un idéal, il nous instruit encore par I'hommage

que la loi morale et la liberbé arrachent à leur plus in-flexible adversaire.

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CIAPITBE VI

HISTOIRE DII PANTHÉISME

tE PANTHÉtsun atmMaND

Obscurités de la philosophie allemande. - Son imporfance dans laquestion présente. - thégélianisme, dernière forme du pan-

théisme.I. Comment un d.ogmatisme effréné est sorti du scepticisme d.e Kant.

- Fichte ; son moi, absolu et créateur; athéisme et panthéismo im-ptiqués dans sa doctrine.

II. Schelling.

-Les deux faces de I'absolu, I'esprit etla nature.

-L'absolu concu comme un germe, comme un être en puissance.qui'. te se réalise que dans le moude. Idée du processu,s do l'être. -La

contracliction fondamentale du panthéisme arrive à son maximum.

- Hégel. Il développe et complète Schelling. - La logique de

I'absurde ; ideniité rles contradictoires. - Loi du tléveloppement de

I'idée : thèse, antithèse, synthèse. - La scierice de la nature con-struite a prlnrl. - Le Dieu-néant. - Le néant créateur. - Dernierterme et dernière déflnition du panthéisme..

C'est à propos de Hégel, beaucoup plus qu'à propos

de Spinoza, que I'historien du panthéisme est fort en

peine entre le devoir d'être clair et la presque impossi-bilité de n'ê[re poin[ obscur. Àprès avoir vécu dans ces

ténèbres. et passé de longs jours à creusei cette mine où

l'on ne" travaille point à l'aise, la lentation lui seraitforte d'entrer en matière en se faisant plaindre un pell,

et de se venger sur I'intolérable métaphysique qu'il7.

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T{8 CEÀPITRE VI. - IISTOIRE DU PÀNTEÉISME.

vient de subir en lui tlisant tout d'abord son fait : à sa-

voir qu,elle est inintelligible, que là où elle se laisse en-tendre (et Dieu sait ce qu'il en cotrte), elle est insensée

et vide, et qu'en sodrrne, elle ressemble assez à une sa-

vante mysliflcation, ou, comme le tlit un de ses admira-

teursr, ù, wne rilowrnel,l,e d,f,atecti,qttei 0)1t' gobetet d'w Tties'

tid,i,gitatewr slus lequel, on ne trl?me que ce'qw on' g a

mr,as. Nous pourrions dire cela sans nous brouiller avecl'Àllemagne contemporaine, où le règne de cette méta-

.physique n'est plus qu'un souvenir importun, où I'on

appelle couramment Fichte, schelling et Hégel.l,es trois

.sopltisles, et où I'on traite leurs systèmeS de oharlnta'

ni,sme ph,i,Iosophi,que et de batelage i,ntel,Iectuel', vérlfiant

à la lettre l,oracle que Goëthe prononçait lorsque I'en-

gouement était'dans toute sa ferveur : a Yoici vingt ans

D gue les allemands font tle la philosophie transcen-'

> dante; s'ils viennent jamais à s'en apercevoir, ils se

D trouveront bien tidiculBs: > Ils s'en sont aperçus, et

ils se sont trouvés plus ritlicules que nous n'eussions

jamais osé le leur {ire.

Ne continuons pas cependant de cétler à la tentation,et traitons sérieusement une question sérieuse. Nous

sommes en présence d'un.mouvement d'idées qui a été

très-puissant pendant un.demi-siècle et qui mérite, ne

fùt-ce qu'à ce titre, d'ê[re regardé de près' De plus, la

métaphysique allemande, discréditée comme doctrine-en

Allemagne, I'es[ beaucoup moins en France, ety est'

1, M. Schérér, Reotte iles deuæ Monilesrdu lp février 186l'

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TE PANTEÉISME ATIEUÀND. "{{9

comrne esprit, plus vivante et plus funeste qu'il y a

vingt ans. Enfin, cette métaphysique est la dernièreforme systémafique du panthéisme, e[ il est intéressantde voir ce que I'esprit moderne a su faire pour renou-veler une doctrine qui semblait avoir été, avec Spinoza,jusqu'au bout de son principe. C'est avec Hégel que lepanthéisme dit son dernier mot en logique et en méta-

physique. Il est très-important de connaitre eb de pro-clamer ce dernier mot, pour achever la démonstrationhistorique de la théodicée spiritualiste et chrétienne.

I

Pour se rendre compte" d.u mouvement, da processus

qui a.conduit la pensée allemande jusqu'à Hégel, il fautremonterjusqu'à Kantet à la Crùtiqu,e d,el,araisonpure,

Le kantisme, dans ses conclusions dernières, se ré-sume en deux avis ofliciels à I'adresse des philosophes.

Le premier, affiché à la por[e du moi, est celui-ci :

d,ëfense d,e'sorti,r. Le second, affiché à la porte de I'ab-solu, ou si on I'aime mieux, de la métaphyqique et de

la théodicée, est celui-ci : tlèfense d,'entrer. De ces deuxprohibitions, la première, il es[ vrai, semble atténuéepar une tolérauce qui n'es[ que de la faiblesse. Quoiqu'ilnous enferme dans le suLrjeotif, Kan[ nous permet de

croire à la réalité phénoménale du monde extérieur;mais en* revanche, en nous-mêmes aussi nous n'attei-gnonsz selon lui, gue le phénomène,, et toute l propo.si-

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I2O CEAPITRE VI. - ETISTOND DU PAI{TEÉISME.

tion dogmatique sur la nature de l'âme et ses attribu[s

essentiels n'a que la valeur d'une hypothèse. Quant à lasesonde défense, elle est sans ré-mission aucune. L'ab-solu nous est absolument inaccessible; car, slil nous est

donné de Ie concevoir, il nous est impossibl'e de savoirs'il existe. Toute preuve de I'existence de Dieu est dé-

truile par une preuve contraire; et, à défaut des antino-

mies,.l'impuissance où nous sommes de démontrer Iavaleur objective des idées de la raison nous interditI'accès d'ûn domaine où nous ne serons jamais certainsd'avoir rencontré la réalité.

Kant crut donc en avoir {ini avec la métaphysique

par la Critique d,e la raisorl, pure. Il Se trompait; itn'avai[ ni supprimé le besoin de I'absolu, ni ôté à ta

raison la foi en son droit et en son pouvoir de s'éleverjusqu'à Dieu. La métaphysique ressuscita donc,.maisnon pas, comme onl'aurait pu croire, sous la forme doune

réaction directe contre le scepticisme. Elle ressuscita

en se rattachanb à la doc[rine même qui la prosuivait; et

le plus audacieux dogmatisme, uniquement appliqué à

la recherche, disons m[eux, à" la oonstruction de I'ab-solu, ne fut d'abord que le développement très-ina[tendudu principe subjectif

Tel est en effet le caractèæe*du système de Fichte,disciple e[ continuateur, mais continuateur très-infidète

du sceptique de Kænigsberg.Imaginez'un homme qu'on enferme, au prirltemps,

- int Lieblichen Mai,, eomme dit Schiller, - dans une

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TE PANTBÉISME ALTDMAND. tl,}tl,

prison obscure. Cet homme veut faire contre mauvaisefortune bon cæur. Il est poéte d'ailleurs; et il se dit :

puisqu'on ne veut pas me permettre d'aller jouir dusoleil et de I'ombre, de.la fraîiheur des ruissêaux, de

 a transparence du ciel, deb mélodies du rossignol, ce

que je ne.puis aller voir je vais le créer ici même. Sans

sortir de ma geôle, je me donnerai la nature itout en-tière dans de fraiches idylles, riantes eb mélancoliquescomme elle, da'ns des chansons où je ferai passer toutesa lumière et toute sa verdure, tous.ses bruissemen[set toutes ses fleurs, toutes les sensations qu'elle donneet tous les sen[iments qu'elle éveille; et je uoirai en

elle; et ceû[e nature que j'aurai créée sera vraimen[ lanature, et ce sera celle-là même qu'on prétendait m'in-terdire.

Yoilà précisément ce que Fichte a voulu faire, nonpas par la poésie, mais, comme il croit, par la science.

Il a voulu se donner I'absolu, crëer l,'absolw sans sor[irde la prison subjective dont son maitre avait emportéla clef. Que dis-je, sans en sortir? Il eommence par larendre plus étroite; il a une si grande foi dans sa puis-

sance de se donner le non-moi en le tirant de lui-mêmequ'il ne croit pas avoir besoin de cette réalité obleôtiveque Kant accordait par grâce aux phénomènes extérieurs.Laissez-lui Le Mai 4e la Mëd,ëe de Corneille, e[ il diracomme elle : c'est, assez, G'est assez pour créer lhbsolu,'plril:

crëer Diero, comme il lui échappa de le dire devant

un auditoire qui ne paratt pas en avoir été surpris.Yoilà I'entrepriôe. En gros, vo:ci I'exéeution. Il n'y

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1.92 oEÂPITRE VI. _ EISTOIRE DU PANTffISME.

faut que la première lettre de l'alphabet et un sigre

algébrique. A=A, avec cela Fichte va toub refaire.

A:À est un jugement absolu, absolu, dis-je, dansle rapport qu'il exprime. II n'affïrme pas en effet l'exis-

tence de A, il n'indique même pas ce qu'est cet À; mais

il affirme absolument que si A est, il est A, que si À est

posé comme suje[, il I'est néc,essairement comme attri-but. Il y a donc là un rapport absolu, et ce rapport est

posé dans le moi qui juge; il contient donc I'affirmationabsolue du moi par lui-même, et le jugement À:Aimplique celui-ci : moi:moi; je suis moi.

Le rnoi, conlinue Fichte, est done le principe pre-

mier, puisqu'il est appliqué dans le jugement À:À,le plus abstrait et le plus immédiat en apparence des

jugements absolus; it se pose dono lui-mêrhe, et s'ilest vrai de dire qu'il s9 pose parce qu'il est, il est vraiaussi qu'il esf parce qu'il se pose. En se posant, ildevient, il se fait, il se crée. En effet, il n'y a pas de

moi sans consclence; or? ce n'est que du moment où le

moi dit :' je suii moi, qu'il acquiert la conscience de lui-même. Donc, en disant z ie swis, il se procluit. C'est ce

que Tichte exprime par cette formule : le rnoi pose pri-m'itiuemerùt son prlpre êttre. Et il conclut que, puisque

le moi se pose, puisqulil se produit, puisqu'il est son

propre principe, puisqu'il est par soi, il estl'absolrr', iL

es[ I'infini {.

Je ne sais si I'on aperçoit te touJ de passe-passe qui

1. Wilm, H\çtoire i ,e ?aphdlosopkie albàanil,e, t.II, p. 222,

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tE PANTEÉISME AITEMAND. 123

nous rend'I'absolu sans sortir du subjectif. Comme

Fichte, mais sans faire intervenir I'algèbre, Descartes

avait affirmé I'existence du moi; et ce fpit primitif, im-pliqué dans toufe opération intellectuelle, lui avait servide point de dépar.L pour s'éIever à Dieu, en opposantau sentiment de sa propre imperfection l'idée de,l'êtreparfait'présen[e à sa conscience.. Mais là où Descartesavait dit clairement:. Je suis, ou: Le nzoi, s'affirme,,

Fichte dit avec une équivoque : Le moi se plse. Yous lelaissez dire; parce que ce mo[ de poser, fort en honneurdans la métaphysique allemande, vous paraît synonymede percevoir ou d'affirmer. Mais, dans la langue de

Fichte, poser signifie affirmer en'produisan[ ou produireen affirmant. Le moi se pose, traduisez .. l,e moi, se crëe;tfaduisez encore : le m,oi, eEl, cûwse d,e \wi-m,ême; fiaùlvsez enfln : le nzoi, est l,'absol,u etI'i,nfi,ni,.

C'est déjà beaucoup d'avoir remis la raison humaineen possession de |'absolu, bien que ce nouvel absoluqui s'appelle moi, ne soit pas tout à fait la même choseque I'absblu d'autrefois qui s'appelait Diea. iTlais s'ilnous faut plus encore, si notre moi s'ennuie de sa soli-

tude souveraine, il _a de quoi se donner une compagnie,toujours sans sortir de lui-même et par un déploiemenlde sa vertu créatrice. En même terhps qu'il se pose, i/s'oppose; en d'autres termes, en même temps qu'il se

connait comme actif, il se connaît comme passif, parconséquent comme limité ou déterminé par l,e non-moi,,

- en français, par les choses extérieures. L'acte de laconsgience implique'donc, Iorsqu'on sai[ en faire I'ana-

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12& 0BAPITRD vI. _ MSTOIRE DU PANTmISME.

lyse, I'exislence objective du monde, et il semble qu'en

dépit de sa prétenlion de tout tirer de lui-même, Fichte

reconnaî[ par là le fait pfimitif de conscience qui nousdonne dans une intuition simultanée le moi et'[e non-moi, distincts I'un de I'autre et ayant. chacun une exis-tence à part, bien qu'il y ait entre eux acfion et réaction

réciproque. Mais il a promis de tout ramener à un prin-

cipe unique; et puisque ce principe est le moi, il faut

que le moi crée le monde comme il se crée lui-même.C'est encore le verbe plser qui achlvera, comme il I'acommencée, la construction du système. Le moi absolu

se pose comme déterminé par le non-moi'; ou, en con-struisant autremen[ la'phrase, en tournant par l'actif,comme disent les grammairiens, le môi pose le non-moi

comme le déterminant lui-même. Le moi donc, en

même temps qu'il se pose lui-même; pose, c'est-à-direprodwit, æëe le non-moi qui le limite. Toute la 'réalité

que le monde possède, c'est le moi qui la lui donne par

un prélèvement sur sa propte féalité. La limitation du

moi par le monde est donc purement fictive; 'c'es[ une

borne que le moi se donne à lui-même. Elle ne I'em-

pêche pas d'être en soi absolu et infini; et, d'autre part,en reconstruisant l'objec[if par un acte créateur du moi,

elle réconcilie la doctrine subjective qui enfeime Ie moi

en lui-même avec la foi du genre humain qui aftirme laréalité du monde et de Dieu.

Yoilà par quelle porte le dogmatisme est rentré dans

laphilosophie allemande.

Quellesqu'aienf été les pré-

tentions de ce[ idéalisme subjectif à Ia rigueur scienti-

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LE PANTEÉISIITE ALLEXIAND. .12Ù

fique, un tel système ne se discute pas. Si un paysan

courbé sur sa charrue me disait avec I'aecent d'une

conviction sincère : Je su,is le ytape, ou:.je sui,s l,'emyte-reu,r, je songerais peut-être à le recommanderau méde-

cin de sa commune, mais point du tout à argumentercontre lui. Quand un penseur que l'Àllemagne a consi-déré comme une de ses plus hautes inteltigences? quand

un homme qui a joué un rôle considérable et houorable

dans I'histoire de son pays vient me tenir les propossuivan[s : Le m,oi, le mien, le vôtre, celui du premielvenu est absolu; le moi es[ infini, le moi.crée la nature,que gagnerais-je à réfuter cette hallucination métaphy-sique? Je ne puis faire qu'une chose : rechercher? pour

. me tenir en garde contre elle, la cause qui a produitcet[e iucroyable aberration d'esprit. Cette cause, je ladécouvre aisément dans le scepticisme de Kant. Ensei-gnez les maximes de ce scepticisme à un esprit, natu-rellement peu soucieux des choses divines, elles ne

feront que le confirmer dans la direction étroite e[ bassequi lui est habituelle, e[ il trouvera forf bon qu'on luiinterdise I'accès de I'absolu, puisque I'absolu lui est

indifférent ou antipathique. Au contraire, si vous im-plantez ces maximes négatives dans un esprit doué dusens métaphysique et sollicité vers I'absolg par unmouyement naturel, il est facile dti voir dans quelle

situation violente vous le placez. D'une par[,' vous avez

barré tous les chernins qui pouvaient le conduire à unesolution raisonnable du problème de

I'absolu. I)'autrepart, nous n'avez pas supprimé le problème, Il se pose

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126 CBAPITRE VI. - EISTOIRE DU PANTEÉTSIW.

ensore impérieusement devant la raison, mais il se pose

en des termes impossibles, et il I'oblige à faire une dé- -

pense énorme dlimagination, de réflexion et de sciencepour trouver une solution manifestement insensée.

L'esprit qui accepte le problème dans ces termes se con-

damne d'avance à rester en dehors du bon sens; mais

en même temps il rend un éclatant témoignage à I'irré-

sistible instinct qui appelle I'âme humaine vers I'absolu,

c'es[-à-dire, ïers le divin, puisque, plutôt que d'y renon-cero elle se résigne à le poursuivre à travers I'absurde.

Un mot encole pour fixer la place de la doc[rine de

Fichte dans I'histoire des grandes erreurs auxquelles a

donné lieu la question de Dieu et du monde. Telle que

nous venons de I'exposer, elle est purement négativei

Non-seulement elle supprime la uéation en posant le

moi comme principe de tui-même, elle supprime encore

Dieu en divinisant I'homme; c'est à I'homme, à son

moi absolu et infïni, qu'elle attribue les caractères

incomrnunicables de l'être divin. Le moï de chacun,

rlit-elle, est lui-même la substance unique absolue; par

conséquent, le monde extérieur n'es[ qu'un produit de

I'astivité du ,moi, ou plutÔ[ il n'est encore que le moise limitant lui-même; iI n'est qu'une modification,

qu'un développement interne, qu'un phénomène de son

unique et infinie roatité. considérée par rapport à I'idée

de Dieu, cette doctrine est done I'athéisme; par rapport

au moi, elle est la plus audacieuse anthropolâtrie; par

rapport au monde, elle est un panthéisme subjectif ;

dans son ensemble, elle est le 4ernier'terme et Ie dernier

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TE PANl[fiSME ALTEMAND. t2t

excès de l'orgueil humain. Il est vrai que Fichte, reve-nant au spinozisme qu'il avait dépassé, essaye d'intro-

duire après coup une distinction entre Ie moi individueret le moi pur dont il vient de déduire les caractères.considéré au point de vue de la réflexion pratique, cedernier seul serait infini et absolu, il serait ptaàé horsde nous, il serait notre principe, il ser.ait Dieu. Mais cen'est point là une rectification dont on puisse tenircomp[e. Àprès

qu'on a déctaré que re moi de chacun estla substance unique absolue, après qu'on a fait de cettedéfinition le principe e[ r'essence même de la métaphy-sique, on n'a plus re droit de distinguer le moi absorudu moi individuel. une telle distinction n'aurait de va-leur que si elle é[ait, ce qu'elre n'est assurément pas,un

désaveu totar qui ne raissât rien subsister du sys-tème; on ne peut donc y voir qu'un expédient imaginédans des vues pratiques e[ une inconséquence à raqueilela critique ne saurait s'arrêter. comme le dit très-bienM. Wilm, le plus complet et lç plus exact des histo_riens de la philosophie allemande, il ne s,agit, dans ladoctrine de Fiehte, ni d.un moi général, Qui n,est

qu'une abstraction, et qui d'aileurs ne saurait avoird'autres caractères que les moi, indivituers, ni d'un ntoid,iain extérieur et supérieur à l,homme, mais du moihumain, du moi de Fichte, du mien et du vôtre;c'est ce moi-Ià qui, selon Fichte, est I'absolu, l,infini,Ia source du'non-moi; c'est lui qui,est Dieu, ce quifevient à dire

gu'iln'y

a pas de Dieu,

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{28 CBÂPITRE VI. _ EISTOIAE DU PANTHÉTSME.

II

L'objet spécial ile cette étude nous dispensera d'in-

sister longuement sur le système de schelling, qui nous

arrêterait davantage si nous nous proposions de retracer

I'histoire complète de Ia philosophieallemande. II nous

suffira de montrer comment il marque la transition de

la doctrine de Fichte, qui lui sert de point de départ, à la

doctrine de Hégel, où il se retrouve tout entier avec plus

de hardiesse et de rigueur.

Pour Schelling ' comme pour Fichte dont il fut, à

ses débuts, le disciple et le commentateur, l'esprit, le

rnoi, est absolu. Mais il n'es[ pas I'absolu tout en[ier,eb la natuie est quelque chose de plus qu'une pure

création du moi. La base de la science est élargie; le

moi qui, avec Fichte, trouvait I'absolu sans sortir he

Iui-même, le trouve aussi hors de lui; I'objectif reprend

sa place à côté du subjectif, et la réalité, une dans sa

racine, est conçue sous sa double face de nature etd'esprit.

Qu'est-ce donc que cette réalité unique ? Schelling

répond sans hésiter : c'est I'absolu. on voit quel che-

min la pensée allemande a Tait quelques années seule-

ment après la Crttiqwe .d,e l,o rai,son pure, et comment

c'est par laporte

dupanthélsme qu'elle rentre dans le

domaine de la métaphysique. Mais gu',est-ce en soi que

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LÈ TTNTNÛSME ALLEIIÀT{D. Tg9

I'absolu? Est-ce l'Ûtre parfait, comme le définissait

Spinoza, fidbte en ce point à I'esprit de I'école car[é-

sienne? Nullernent. Dans son état primitif, I'absolu tt'est'

qu'un germe obscur, sans détermination et sans con-science, nous dirions un pur néant s'il n'y avait en luiune puissance de devenir, un ressor[ intérieur, une sourde

aspiration au meilleur, qui le pousse à se développer

et à se réaliser suivant des lbrmes de plus en plus éle-

vées et parfaites. La réalisation de I'absolu, c'est le

monde. Et de même qu'une semence vivante produitpar des évolu[ions successit'es tout ce qu'elle contenai[

implicitement, sa tige, ses bourgeons, ses feuilles, ses

fleurs e[ ses fruits, de même ce germe éternel qui est

I'absolu, devient successivement toutes choses par un

progrès continu et par le passage asceudattt d'un règne

à un règne plus élevé. De là ce[te formule de Schelling:

<r La nature ) ou I'absol'u a soûrmeille dans la plante,

> elle rêve dans I'animal, elle se réveille dans l'homme. D

C'est en I'homme, en effel, que I'absolu arrive à la con-

science de lui-même; et là ertcore il se développe dans

I'histoire par le progrès de Ia civiliqation. < L'histoire,, dans son ensemble, est une manifestation continue

) et successive de I'absolu, et dans cette manlfesta[ion) nous pouvons admel,tre trois périodes. La première

> est celle où ne domine encore que le destin, comme

> force entièrement aveugle. La seconde est celle où ce.

, qui paraissai[ comme destin se révèle comme nature., La troisième sera celle où I'absolu se manifestera

)) comme Frovidence. Quand cette période sera, Dieu

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i3o cnAprînx u. - nsioim nu peNrsÉlsuf,.

> sera{. r C'est ainsi que I'absolu es[, comme s'exprimel'Écriture , mais dans un tout autre sens , I'al,pha et

l,'omëga, I,e principte et la, fin; le principe, en qualité de

germe, d'æuf ëternel,,.dirait un panthéiste indien; la lin,en qualité d'idéal toqiours poursuivi, jamais complète-ment réalisé"

Deux idées, I'idée de I'identité substantielle de lanature et de I'esprit dans le sein obscur de I'absolu ;

l'idée du développement, du devenir, du processw* d,e

l'être, du progrès vers un idéal, de la réalisation pro-gressive de Dieu dans Ie monde et surtoub dans l'hu-manité, tel est tlonc le fond évidemment panthéistique de

la doctrine de'Schelling, Elle diffère en deux points duspinozisme : d'abord en ce que les modes de l'étendueet les modes de Ia pensée (le monde de la nature et le

monde de I'esprit, dansle langage

duphilosophe

alle-mand), ne sont plus donnés comme constituant deux

séries, deux courants parallèles qui se côtoient sans se

mêler ; ils forment une série unique et progressive,

) une éahelle contihue et homogène où chaque formel de I'existence conduit à une forme supérieurs 2 ; > -sebondement, en ce que I'absolu, qui, pour Spinoza,

était en soi l'Être parfait et soûverairlement réel, estdésormais conçu comme une pure abstraction qui ne se

réalise (et toujours incomplètement) que dans le temps

| . Schelling, Sgstème de I'iildal,isme transaendantal, quatrièmepartio, E.

2. E. Saissot, Essoi da philosophi,e rel,ùgiéuso, t I, p. 400.

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iE ÈaNTmirsME AT,LE'MaND. ,ig,t

êt dans l'espace, par la nature et par l,humanité. Ledisciple de Descartes attribugit encore à Dieu une réa-lité indépendante du monde, et ne voyait dans les choses

finies que des modifications passagères eX, pour ainsidire, accessoires de I'infini ; par là il se rapprochait dela doctrine de l'émanation et faisait quelque effort pourmaintenir Dieu à son rang souverain en atténuant laréalité du monde, Ce que le disciple de Fichte sacrifie,ce n'est plus le monde, c'est Dieu. Four lui, toute la

réalité es[ dans les êtres finis et relatifs ; I'absolu nedevient quelque chose qu'à condition de n'être plusI'absolu ; et l'on peut dire que la doctrine de Schellingmarque dans I'histoire du panLhéisme le point précisoù il se résout définitivement en a[héisme.

Ce f'ut dans cet é[ât que Hégel trouva la philosophiede I'absolu. Il en conserva le fond métaphysique ; mais,en même temps, il la développa et la compléta en,deuxmanières. D'abordn touf en liexposant en un langagesystématiquement obscur et presque inintelligihle, il yintroduisi[ une cerfaine lumière et un certain ordre en

dégageant et en précisant la méthode dont le panthéismeidéaliste est I'appliaation régulière. Puis, il donna Ia théo.rie scientifique dt procexrus, ou progrès, dont Schellingavait seulement affirmé I'existence? en formulant les loisqui le régissenl dans chacune des sphères de la vieuniverselle, dans la nature comme dans l'humanité;

dans I'art comme dans la science, dans la politique

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I32 CIAPITNN VI. - EISTOITE DU PÀNÎHÉISIVIE.

comme dans la morale. Sous ce doublti aspect, la phi-

Iosophie de Hégel est de toutes les formes du pan-

théisme ce[e qui promet à notre étude les résultats les

plus complets et les plus décisifs.

La inéthode hégéIienne est proprement la Iogique du

panthéisme arrivée à la pleine conscience d'elle-même.

Nous le savons, ce qui condamne tout panthéisme

aux yeux du sens commun et de la raisott, c'esû la con-

tradiction énorme qui y est inévitablement impliquée,,Étant d.onnés, d'un côté, Dieu absolu, nécessaire et

parfai[, de I'autre, le monde imparfaib, conlingent et

relatif, le panthéisme enseigne que celui-ci esl con-

substantiel à celui-Ià; il introduit dans la vie divine les-

imperfections et les lirnites du fini, c'est-à-dire, la con-

tradiction dans les idées et dans les termes. cette con-

trarliction,les alexandrins I'avaient voilée de leur mieux

par la doctrine de l'émanation, qui prélendaiL et qui

semblait presque préserver Dieu des souillures et des

misères du monde. Blle se montre déjà plus à découver[

chez spinoza, pour qui les corps et les âmes sont déci-

dément d,es modes de l'Être infini et parfait' Àvec

Schelling, elle persiste eb s'aggrave; car' au lieu quespinoza concevail I'absolu comme parfait en soi et n'in-

trotluisai[ I'imperfection que dans ses manières d'êÛre, à

titre de phénomène passager, pour schelling I'absolu

esf en soi I'imperfection même, un germe enveloppé,

une vir[ualibé qui n'est rien afin de pouvoir successive-

ment devenir toutes choses. La ualure et I'humaniténe

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tr rLNruÉISME artEMAND. t;JB

sont plus désormais de simples manifestations de Dieu;elles le réalisent. À mesure que I'humanité grandit, Dieuse fail; Dieu n'est donc rien actuellement et par lui-

même; l'Être pur, l'Ûtre absolu et sans mélange n'aq.ue la valeur d'une matière indé[erminée dont le seulmérif,e esf sa tendance à devenir quelque chose; it estau plus bas degré de l'être; il n'est qu'un terme abs[raitqui ser[ de point de départ au progrès des êtres parti-culiers, seuls réels et seuls existants.

La contradiction fondamentale du panthéiste arrivedonc avec Schelling à son muni,nl,um. Elle ne consisteplus seulement à introduire dans I'absolu, à titre com-plérnentaire et accessoire, quelque élément incompa-tible avec lui. On pose I'absolu, Et, en même tempsqu'on le pose, on le définif par des caractères directe-ment opposés à ceux qui consti[uenl son essence; on

enseigne que I'absolu es[ I'imperfection souveraine, etl'on ramène ainsi te panthéisme tout entier à une for-mule explicitement et formellement contradictoire.

Or, quand une doctrine s'es[ ainsi mise elle-même aupied du mur, quand elle a pris le parti d'afficher toutco qu'elle cachait, d'avouer tout ce qu'on lui imputait,

e[ d'épargner à ses adversaires la peine de la réduire àI'absurbe en s'y réduisant elle-même, il n,y a plus pourelle que deux alternatives : ou se rétrac[er entièrement,ou s'insurger systématiquement contre le bon sens etcontre la logique. Flus d'un panthéiste a dù choisir lapremière, Iorsqu'il a vu de quel prix on paye le droit derester panthéiste. ilégel choisit résolument

la seconde.n.

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I}L c,ua.urnn vi. - usrolnr nu raxrufisuÉ. '

Tous les voiles étanb déchirés, la contradiction im-pliquée dans la philosophie de I'absolu étant montée dufond où elle se dissimulait à

lasurface

où elle s'étale,Hégel la reconnaît, I'accepte à titre de contradiction eten fait son principe fondamental. Il déclare qu'elle estdans son système parce qu'elle est ilans les choses. Si,en effet, ellê est dans les choses, il faut bien qu'elle se

retrouve tlans la science qui est I'accord de I'idée et de laréalifé; et si elle est dans la science, il faut bien qu'elle

soit dans la législation générale de toute science, dans la .

logique. Que si, jusqu'ici,la logique nel'a point admise, ilfautrenouvelerla logique, et [elle est I'entreprise de Hégel.

L'axiome fondamental de la logique, depuis Aristotequi I'a créée, c'es[ le principe de con[radiction en vertuduquel on ne peut affirmer et nier, dans le même sens

e[ sous le même rapport, un même attribut d'un mêmesujet. Mais cette logique-là est Ia logique vulgaire etinférieure, la logique de I'entendement. Le fondementde la logique nouvelle, de la logique ile la raison, commeHégel ose bien l'appeler, c'est, nous le savons déjà,I'identité des contradictoires, prinoipe en vertu duquelndlle assertion n'est plus vraie que I'assertion opposée,Le bon Kant s'était cru bien hardi en relevant dans lamé[aphysique une demi-douzaine de contradictions. Ity en a bien d'autres ; à vrai dire, il n'y a pas autre chosedans la soience et dans la nature; et comme chaqueidée et chaque réalité, tout en se contredisanT elle-même;ne cesse pas d'être identique à elle-même, il en résulte

clairement que les contratlictoires sont idenfiques l,un

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I.,E PANTBEISME ALIEMANI). {35

à l'autre. Par exemple, la lumière pure est l'obscurité

pure; le positif et le négatif sont même chose, à cepoint qu'on peut, selon llégel, tenir pour bonne, l'équa-tion suivan[e : f y - y: 2 y; le fini est identiqueà I'infini; le néant, en tant que néant, en tant que sem-blable à lui-même, est précisément la même chose quel'Ê[re. Le sens commun, iT est vrai, s'inquiète de ces

identités et les croit destructives de toute science; maisla philosophie s'en accommode et leur fait bon accueil,car elle sait que la contradiction est le principe mêmede la réali[é. On noa donc rien gagné contre le pan-théisme quand on I'a convaincu'de me[lre la conbradic-tion dans le sein même de I'absolu. Il convient sans

difficulté de ce dont on I'accuse, et ce qui le condamneau tribunal du sens commun vulgaire est au contraire,pour la raison,supér'ieure, le signe cer[ain de sa vérité.

"lTIais il ne suffit pas d'avoir montré, que la contra-diclion est Ia loi des choses; il faut encore amener cette

l. On sera peut être curieux de savoir,comme4t I'hégélia-

nisme donne cette démonstration. La voici, i,n eætenso, tolle'quela présente \(. Véra, traducteur et rsulgari,sateur de Hégel :

c La différence, I'opposition et la contradiction consti[uent lar loi universelle des choses, et il noy a ni sur terre, ni dans leo ciel, pour me servir de I'expression de Hégel, rien qui échapper à cetto loi. Dans la nature tout est contradiction et lutte, etr il n'y a, ni on ne saurait concevoir d'être, depuis I'obscur

rinsecte qui

rampe à la surface de la terre jusqu'aux vastesr rïrâss€s qui roulent dans loespace, qui pounait exister sans, la présence d'éléments, de tendances et d.s forces opposées.I Dpns les mathématiques, I'opposition est dans |9 npmbrq,

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,136 CUAPITRE VI. - fiISTOIRE DU PANTEÉISME.

loi à une formule précise et complèle, et déterminerainsi le morleconstantd'érolution des idées et desêtres.C'est à quoi llégel procède à peu près comme il suit.

Il est dans la nature de toute chose de traverser troisphases, trois moments successifs : le moment d'enve-

loppement ou de la chose en soi, c'est la th,èse; le mo-ment où la chose sor[ de soi en se détruisant elle-même,

en posant sa propre négation, c'est I'antithèse; le mo-ment où elle revient sur elle'même en ramenan[ à uue

unité supérieure l'opposition des deux premiers mo-

' dans Ia ligne, dans le plan et dans les solides, - opposition, de I'unité et de la dualité, du nombre pair et du nombre

r impair, du nombre entier et du nombre fractionnaire, de la, ligne droite et de'la

ligne brisée, de la ligne perpendiculairer et de la ligne verticale, etc. Dans Ie domaine de Ia morale.D nous rencontrons les oppositions de la liberté et de la né-r cessité, et I'antagonisme des tendances et des motifs der I'action. Dans la métaphysique et dans les autres sphèresr de Ia pensée, nous trouvons les oppositions de la cause et der I'effet, de la substqnce et des accidents, de I'inffni et du ffnio

l etc.l et enfln, si nous considérons I'homme, nous verronsr qrr'il est composé des éléments les plus contradictoires,r d'âmo et de corps, de joie et tle tristesse, d'amour et de haine,r de rire et de larmes, de sant6 et de maladie, etc., et qu'ilr est de tous les êtres,celui oir Ia contradiction et la luttesont, les plus intenses. >> (Logique ile Hdgel, t, I, Introil,uctiort du

traducteur, p. A3-AA.)

Il est clair qu'on pourrait continuer cette description pen-dant tout un volume. L'espïit humain n'a pas attendu Hégetpour savoir que tout n'ost pas url, dans la naturo et dans lapensée, qu'il y a des lignes droites et des lignes brisées, des

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tE PANTEÉISME ÂI,LEMAND. {37

ments, c'est la syùth,èse. A son tour, cette synthèse de-

vient une thèse plus riche et plus élevée que la précé-dente; mais, cette nouvelle thèse aussi s'oppose à elle-

même, par cette raison qu'elle contient en soi sa propre

contradiction; elle se brise en une antithèse qui la nie

et qui se réconciliera avec elle dans une seconde syn-

thèse. Si donc on parb de cette doctrine, fondamentale

pour Hégel comme pour Schelling,que tout ce qui est

est un développement de I'absolu, on aura dans cette

triple formule : affirmation,, nëgation, conci,l,î'ation, la

loi même de la t'ie" e[ dans la richesse croissante des

êtres spirituels et des ê[res matériels, des forces libres lt Ou.

forces fatales, et qu'il y a contraste, opposition, lutte même,

si I'on veut, entre le d.roit et le non-droit, entre loâme et lecorps, entre la liberté et la nécessité. Mais, admirez-vous

comme l'énumération de css contradictions prouve démons-

trativement leur identité et liilentité de tous les contradic-

toires, du pair et de I'impair, du plus ou du moins, de I'inffni

et d.u fini, de l'être et ctu néant ? Or, cotte énumération est

tout I'argument de Hégel. II montre gue los choses ou lss itlées

d.ont I'une est la négation de l'autre sont en oppositionet en

lutte;'et iI appelle cela démontrer qu'elles sont iclentiques.'

visiblemento pour établir I'axiome fondamental de la nouvelle

logique, il s'appuie sur cet axiome lui-même, et son raisou-

nement revient à celui-ci :

Les contradictoires sont identiques ;

Or, l'être et le néant, Ie fini et I'infini, etc., sont contradic-

toires';

Donc, I'être et Ie néant, le ffni et f inffni, etc., sont iden-tiquos.

Ce qu'i.l fallait tlémontrer. '8..

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,138 CEÀPITRE YI. _ HISTOIN.E DU PANTEÉISME.

thèses, antithèses et sythèses qui naissent les unes des

autres, la loi du progrès. Tou[ va par trois, les époqueshistoriques, les religions, les forces de la nature, les

corps simples, les catégories de corps célestes; et tou-jours les trois mesures du rhythme, les trois termes de

la série soutienneut.entre eux les rappor[s d'affirmation,négation et conciliationa. Que s'il y. a dans la réalité

quelque élément ou quelque groupe d'ê[res qui neeonsente point à entrer dans ces cadres tracés d'avance,

1. < Suivant Hégel, le passage de la thèss à I'antithèse, et de> celle-ci à la synthèse, est la loi universelle du progrès qui>> entralne toutes choses; Cest le rythme éternel'du poëme rlen la création I c'ost le syllogisme indéfiniment répété de lar pensée absolue, dans le systèmo de la Nature et dans lo sys->> tème de I'Flistoire. Tout I'exprime et la manifeste, la logiquoD oommo la philosophie de la Nature, et celle-ci aussi bienr q;uo la philosophie de I'Esprit. Les noms changent avec lesr termes tlu rapport, mais le rapport qui fait la loi est im-r muable et identique. Dans la logique, ce sera I'universel, ler particulier et loindividuel ; ou l'êlre, le néant et le deoonï,r ;r ou la notiono le jugement et le raisonnement. Dans la phi-

>'Iosophie de la Nature, ce sera loespace, le temps et la me-r -surol ou le mécanisme, le dynamisme et I'organisme; ou la> répulsion, I'attraction et Ia pesanteur; ou ,le soleil, les satel-> lites et les planètes; ou I'azote, l'opposition d.e l'hydrogèner et de I'oxygène, et le carbone; la sensibilité, I'irritabilité etr la reprocluction. Dans la philosophie de I'Esprit, ce serar loâmor la personne et I'esprit pur; ou lâ sensibilité, I'enten->> dement et la raison; ou i'individu, la famille et l'4tat ; ou> fOriedt, le mond,e gréco-romain et le monde moderne; ou>> le symbolisme, .le classicisme et Ie romantisme; ou len panthéisme,le polythQisme et le ehristianisme. n{ais aq fogd,

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IE PANTEÉISME AILEMAND. {39

c'est tant pis pour ces rebelles, et la sc'ience les traite

avec le plus profond dédain. À la vérité, < Hégel.divi-,D nise la nature en tant que, dans ses formes"générales,

> elle semble se conformer aux dé[erminations logiquesr de I'idée j mais il ta méprise en tant que, dans ses

> détails et sa variété, elle se refuse à se laisser em-) prisonner dans ses catégories. Àu lieu de reconnaître

r I'insuffisance de la philosophie à cet égard, il accuseD en propres termes la nature elle-même d'impuissance,> de I'impuissance de demeurer fidèle a'ux détermina-p. tions logiques et d'y conformer exactemen[ ses pro-> duitsl. > Pareillemen[, il fait peu de cas du terme qui,

dans chaque triade ou trilogie, représente le moment'

enveloppé, indigent, enfantin de la thèse non encore

vivifiée par la contradiction. Par exemple, en astro-nomie, les étoiles fixes sont la thèse, les satellistes I'an-tithèse, et les planètes la synthèse; il ne faut donc pas

admirer beaucoup les étoiles. < Elles appartiennent au

> monde mort de la répulsion; elles sont le domaine de

r la dispersion abstraite e[ indéfinie, et le hasard

D exerce une influence réelle sur leur groupement. Quer: le calme des étoiles lixes intéresse le sentiment, {u0r: les passions s'apaisent dans la contemplation de cette

r simplicité placide. Mais ce monde Ià, au point.de vue

>> c'est partout et toujours la même loi, le même rhythmo, le> même syllogismo, avec des éléments divers. u

Vacherot, la Métaphgsique et Ia Sci,encer 13" entretien, Phi,-losopltte al,lenr,and,e (t. m. p. 17).

1, Wilm, Eistqîrç d,e laphilosophôe allerna,nd.e,

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,I4O CEA}IIAE \T. _ EISTOIRE DU PANTEÉISME.

,, philosophique, est dénué de I'intérêt qu'il peut avoir

D pour le sentiment. Cette éruption de lumière est toufr aussi pel admirable qu'une éruption cutanée sur

> I'homme, ou que la grande abondance des mouches 1. 'Nous ne suivrons point llégel dans les différentes

parties de sa construction de la nature, æuvre arbitraire

et fragile qui rappelle, mais sans avoir I'excuse de la

naiveté et de I'ignorance, les hypothèses audacieuseset puériles de la philosophie grecque à soh aurore. As-

sisbons seulernent au début de cette genèse universelle,

et voyons ce que devient, dans la ltlt'il'oso7th,i,e d,a l'ab-

solw, cet absolu lui-même dont elle fai[ le principe et la

substance de toutes choses.

Pour Hégel, I'absolu c'esl l''idëe. Nous avions toujours

cru que l'idée n'étaif pas un être, mais l'acte ou la mo-

dification d'un être; qu'elle ne pouvaib par conséquenf

exister que dans un être pensant, e[ qu'une idée sans un

esprit qui la perçùt é[ait la plus chimérique des abstrac-

tions. Hégel a changé tout cela j Ce n'est plus I'esprit qui'

en s'éclairant et se cultivant, acquier[ Ies idées; c'es[ I'i'dée qui, en se développant, acquieft la conscience d'elle-même et devient espr[t. Insiste-t-on pour savoir ce que

c'est qu'une iclée dont personne n'a conscience? LIn hé-

gélien répondra que c'est l'absolu dans le moment de Ia

thèse, que d'ailleurs I'idée esl identique à l'être, et

qu'ainsi la formule du maltre revient à cette tléfinition,

acceptée par [ous les métaphysiciens : I'absoln c'est

î. Hégel, Ene,l1ct'oPëiltla, $ 268.

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tE PANTEÉIStrIE AT,T,NMÂND. 4'41'

l'Être pur, ou plusclairement : I'absolu c'est Dieu'

Et, en effet, nous voyons qu'Hégel a une conception

très-distincte et très,juste de l'Étre absotu qui est la

source de toute réalité, et du procédé naturel par lequel

la raison s'élève jusqu'à lui. o L'ttre même, I difil,< c'est la'ttéfinition métaphysique de Dieu. L'Être pur,

r €st le principe et le commencement... L'absolu c'esl'

, l'Être... Ce qui revient à celte définition, que Dieu est> la plénitude de toute réalité : conception'qu'on obtient

> en la dégageant des limites que renl'erme toute réalité,

r de telle sor[e que Dieu soit Ia réalité souveraine, la

> toute réalité. )

Eh bien c'est de cette réalité souveraine qu'il faut

dire qu'elle est identique au néan[. Pourquoi? Pour deuxraisons. D'abord par cette raison générale que les contra-

dictoires sont identiques ; puisque Ie néant, le n'ê'ffe pas,

est I'oppos é del'être,il tui est identique; puisque I'absolu "

est, iln'est pas. Ensuite, parune autre raisonplus particu-

lière, à savoir, que I'absolu, en tant que tel, en tant que

thèse non encore détruite par I'antithèse, est souveraine

ment indigent. < Cette conception (la conception de I'ab'> solu) est de toutes la plus abs[raite, la plus naÏve et la

> plus pauvre; u l'Être souverainementréel est le plus bas

degré de l'être. Pourquoi? Parce qu'il est souverainement

indéterminé. Pourquoi indéterminé ? Parce que, suivant

la formule spinoziste, toute détermination est une néga-

tion qui ne saurait convenir à la réalité souveraine.Je supplie qu'on veuille bien suivre cette argumenta-

tion sophistique.

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142 cnarrrnr w. - HrsrOrRE nu ru.urfflsun.

L'absol,w est souaeradnement rëel,

;d,onc à1, enclul,.tout

ce qwi est négatif (c'est ce qu'enseignent d'un communaccord tous les vrais métaphysiciens). 0r, Iowte dëter-mi,nation est xcne nëgation, (c'est ta thèse des pan-théistes) ; cl,ottc l,'absol,tt est i,ttd,ëternti,në. Voilà la pre-mière partie de la preuve.

Voiciia. secontle,: Les êtres sont d,'autant, plws rëel,s

qw'i,Ls sonl pht s d,ëterminës,'c'est-à-dire qu'ils possèdentun plus grand nombre d'attributs. Réciproquement, .

pl,us wtt, ôtre est i,ttd,ëterminë, moins il, est rëel,; si son

indétermination est absolue, il est absolument sans

réalité et se aonfond avec le néan[. Dottc l,'ôIre sowueraù-

nement rëe|,, ëtan"t absol,ument i,ttdëterminë, est absol,w-

ment, non rëel,.Ce qu'il fallait démontrer.OR voit bien que le sophiste joue ici sur les mo[s. Il

commence par prendrc d,ëtermi,nali,on dans le sens del,imi,te; en affirmant que D[e.u esb indéterminé, il aI'air de dire très-justement qu'iles[infini. Puis, rendantau mot sa véritable valeur, il appelle détermination toutattribut réel, toute qualité positive; d'où il conclut avee

. raison que la réalité d'un être est proportionnelle à sa

détermination plus ou moins parfaite, et que I'être ab-solument indéterminé est un non-être. Le leoteur can-dide n'aperçoit pas que le même mot est pris d'aborddans un certain sens, puis dqns un autre sens absolu-mdnt opposé; et il conclut avee llégel, en admirant la

vertu toute-puissante de la logique, que Dieu est lemoins réel des êtres, précisément parce qu'il est la

féalité souveraine,

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Ln pauturûisun armMaNo. U*3

Nous voici dqno revenus à la doctrine insensée de

Plotin, qui, lui aussi, refusait I'Être à I'unité suprême,c'est-à-dire à l'absolu, à Dieu. Que dis-je? nous tombonsbeaucoup plus bas. Dans la pensée de Flotin, l'Un n'estpas, parce qu'il est au-dessus de I'ttre ; dans la pensée

de Hégel, I'absolu est le non-être, parce qu'il est au-dessous de la réalité. ,

Et c'est de ce néant que Hégel fait non-seulementlepoint de dépar[, mais le principe actif de toute réalité;

c'est lui qui, revenant à I'ITtre par la synthèse du deve-nir, se développe dans le monde de la nature e[ dans lemonde de I'esprit. u Si pauvre et si vide qu'il soit, lEtre), pl.wl identique au néant, recèle dans son sein toute> la pléni[ude de l'être concret, qui en résulte par le

> seul mouvement de la pensée (entendez. de l'idée) :

r c'est là une création véritablement en nih,î,\o. L'idée> absolue, concrète, l'univers, l'esprit, Dieu même nais-r sent de la seule action de la pensée pure sur l'ÊtreD pur, du vide sur le vide, du néant sur le néantt. >

-,Aussi ne doi[aon pas s'étonner de voir le néant en

grande recommandation dans l'école hégélienne. < Le> néant, l> dit U. Michelet de Berlin, ( a autant de droit> à I'existence due l'Étre lui-même. Le néant est une

I u catégorie plus riche que l?Être2. ))

llieut s'anêter là. Àussi bien ne peut-on aller plusloin ni ce.scendre plus bas. Et maintenant nous pouvons

1. Wilm, a,f,. Eëgel, d.ans le Dictionnaire des scipnces pkil,oso'phiques,

2; Michelot, dsguæses ile logique, p, 4i

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\

,144 cHAPITRE vI. - HIslonE iru rauruÉIS-\IE.

juger Ie panthéisme, cat il n'y a plus rien en lui qui

n'uit été amené à la lumière. sa contradicfion radiialeest avouée; et nous savons qu'on ne peut plus rester

panthéiste qu'à condition de renverser et retourner la

raison. Nous yoyons d'où il part et oir iI arrive. son

point de dépar[, c'est le refus d'admettre la création par

Dieu; son. terme, c'est la doctrine du néant créateur.

Son premier mot, c'est qu'il faub laisser I'absolu dans

sa majesté immuable, ne point le compromett're et

I'abaisser en lui prêtant une action sur le monde; soll

dernier mob, c'est que l'absolu es[ identique au néant.

Le panthéisme ne s'est pas établi tout d'abord dans

cette posibion désespérée. Pour échapper au mystère de

la créabion, il dut sans doute, dès le débu[, déclarer le

monde consubsbarrtiel à Dieu; mais, en même temps, ilcrut avoir pris des précautionspour maintenirla distinc-

tion .des essexces dans I'unité de la substance, pour

sauver la personnalité de Dieu et préserver sa sainteté

des souillures du monde. Ces précautions se sont trou-

vées vaines, et après avoir, autan[ que possible, sacJifié

le monde à Dieu, it a fatlu finirpar sacrifier Dieu au

monde, par faire de I'absolu un germe obscur, un abs-

trait, un néant qui n'arrive à la réali[é que dans I'uni-

nur*. Et ainsi, de cehte longue hisloire, se dégage une

conclusion qui donne tou[ ensemble et la définitionou

panthéisme et Ia loi de son développement:

Le panl,h,ëi,smr est une d'ëuiatiotf intel'letl'wel'l'e qwi'

i,m,pl,i,que l,e rettuersemen't tle I'a roisott' et n powr 'ternxe

l,'ath,ëi,sme.

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CUAPITRE VII

HISTOIRE DU PÀNTNÉISME

LES inÉns uÉoÉlrnxnns EN FRANcE

I. Iqflltration de I'hég'élianisme clans notre Uttérature et no [re science.

- Qu'il y a chez nous une philosophie hégélienne. - Ses deux ap-paritions en F'rance.

II. M. Cousin. - Qu'il a été séduit par le côté dogmatique ile la phi-losophie hégélienne. - La préface des Fragmentc; formules panthéis-tiques. - Les legons da 1828; philosophie de l'histolre construite a

pmori,;'fatalismo

historique. - M. Cousiu guéri de I'hégélianisme.I1I. Les nouveaûx hégéliens. - L'école critigue. En quoi elle se rap-proche du.posilivisme ; en quoi elle -s'en sépare. - Qu\elle gaide

l'idée de Dieu en supprimant Dieu. - M. Renan. Dieu, catégoriede I'idéal.

I

L'invasion des iddes hégéliennes en France ne seraltguère à redo-uter s'il était absolument nécessaire, pouren subir I'influencs,.d'avoir lu les quinze volumes de

I'Encyclopédie de Hég91, ou tout au moins les deuxvolumes de sa Logique. Quelques fidèles, j'allais direquelques dévots ou quelques apôtres, comme 1l[. Yéra,

qui a entrepris de nous le traduire e[ mêm.e de nous lefaire comprendre, quelques his[oriens, commetrI. Wihn, qui nous a donné, avec une patience exemr

rr. 9'

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II+6 cHÀPiTBx VII.. - frISTUIRx DU PANTHÉISMÉ.

plaire, la très-complète e[ très-fidèle analyse de son sys-

tème, - quelques critiques, cornme le P. Gra[ry oucomme 1\I. Saisset, qui ont roulu remonter jusqu'à sa

source le couran[ contre lequel lultent de concert la phi-losophie spiritualiste et la philosophie chrélienne; tels

sont les lecleurs attitrés de [Iégel. Dlais I'homme qui en-

treprend de le lire pour son plaisir et son profit person-

nel, sans arrière-pensée de réfula[ion ou de prosélytismeauprès du public, cet homme-là est très-rare ; plus rare

eneore celui qui, a.vant commencé, continue; le plus rare

de tous, celui qui, ayant continué, achève.

Et eependan[ I'infil[ration des idées hégéliennes dans

les intelligences françaises, la présence et I'action parminous d'un espril qui vient ite llégel et, à travers Hégel,

de Kan[, ne sauraient être con[estées que de ceux qui ne

savent ou ne veulent pas voir; e[ ce faib constitue, avee

larenaissance du naturalisme ma[érialiste, le phénomène

le plus saillant, Ieplus dangereuxaussi, que nous offre,

dans ces dernièr'es annnées, I'tristoire de la philosophie

française. Or, précisément parce qu'il s'agil ici d'infil-

tration la[ente e[ disséminée plubô[ que d'invasion àmain armée sur un point parliculier de notre terri[oirescientifique, I'histoire de ce[te influence es0 très-difficileà faire d'une manière précise, Elle se manifesf,e moinspar des systèmes qu'on puisse saisir corps à corps que

par des tendances; e[ ces [endances elles-mêmes échap-

pent aisément à I'attention du critique qui ne les cheroheque dans telle ou telle direction isolée de I'ac[ivi[é intel.lec[uelle, C'est à çondition tle les cottsidérer dans lettr

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Lrs nnrs nÉeÉlm^rxus ri Enricn. llki

uuiversali[é que, les retlouvalt partouf les nètnes, oll

pourra en reconnaitre le oaraotère, en assigner l'origittee[ en mesurer te péril. En histoire, c'es[ un cer[ain fata-

lisme foncté non plus, comme au[refois, sur de fausses

analyses psychologiques, mais sur une concep[ion pan-

théistique cle I'humanité, seul personnage réel et

immorbel d'un drame où les inrlividus disparaisseut,

absorbés dans la vie totale comme d'insignifiants phé-nomènes. En morale, c'est un affaiblissemenb de la foi

au caractère absolu clu clevoir, une disposition à expli-

quer toutes les actions humaines par une loi de déve-

loppemen[ où le mal a sou rôie à jouer comme le bien, e[

où tous deux se rapprochenl par des uuattces clui tenden[

à les colfondre ; c'esb uneildulgence qui conpreld tottt

eb n'est pas loin de [oub jus[ifier, sous prétex[e que t'ou[

es[ ce qu'il rloif être, e[ que chaque chose est bie[ à sa

place, En poésie, coest utl culte de la nature, qui n'es[

plus seulement le sentiment ltf e[ vrai .tle ses beautés,

ni l'élan de la raisotl et du cæur vers l'au[eur de tant

de merveilles, mais une foi rague à la divinité de la na-

ture elle-même, une adoration de la vie universelle et

une aspiration à s'y absorber. En esthétique, c'est un

dédain des règles qui supprimeles principes éternelsde

I'ar[ en rnême temps que les préceptes artificiels

par lesquels les vieilles écoles enchaînaient sa liberté

Iégitime ; c'est luhistoire, c'est-à*dire, loexplication des

Guvres d'arb par les influences de race' de traditions'de milieux, substituée à la crifique, c'est-à-dire à la

diseussion tle leur valeur intrinsèque. Ert toutes choses,

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{48 cuaprrnn îrt. - uisrornn nu raxruÉrslru.

c'est une inclination à voir le d,iuitt, partouf, à condition

qu'on ne verra Dieu nulle par[, à condition aussi que cedivin ne sera, comme le monde d'Héraclite, qu,un cleue-nir étetnel où tout se fait, mais où rien n'esf, et où I'es-pri[ ne trouve rien d'absolument vrai à quoi il puisses'attacher.

Tel est bien, de I'aveu même de ceux qui en acceptent

les tendances et les resulta[s, le caractère de I'espritnouyeau ; et si on ,les interroge sur ses origines, ilsn'hésiten[ point à le rattacher àllégel. Écou[ez par exem-ple U. Schérer, et apprenez de lui quelles idées |'hégé_lianisme a fait passer dans la substance même de I'es-prit moderne, quelle pensée vivante se cache sous I'en-veloppe scolastique d'une æuvre que lui-même,1T[. sché-rer? a déclarée stérile, parce qu'elle esf contiadictoiredans son essence et dans ses termes.

< Il est un principe qui s'est emparé avec force der I'esprit moderne et que'nous devons à Hégel. Je veux)) parler du principe en vertu duquel une assertion n'estD pas plus vraie que I'asser[ion opposée.

> La,loi de la con[radiction, tel est, dans ce système,> le fond de cette dialectique qui esb I'essence même desr choses. Cela veut dire que l,out est relatif et que les> jugements absolus sont faux. Cette découverte du ca-)) ractère relatif des vérités est le fait bapital de I'his-u toire de la pensée contemporaine. Il n'y a pas d'irlée

r dont la portée soib plus étendue, I'action plus irrésis-r tible, les conséquences plus radicaleÉ. Aujourd'huio> rien n'est plus parmi nous vérité ni erreur" Il faut

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LES IDÉAS HITCÉIIXNNES EN FRANCX.',49

)) inventer d'autres mots. Nous ne voyons plus partouU

) que degrés e[ que nuancesr nous admettons jusqu'àr I'identité des oontraires. Nous ne connaissons plus

> la religion, mais des religions; la morale, mais des

)) mæurs; les principes, mais des faits. Nous gxpliquons

r tout; et, comme onl'a dit, I'esprit finit par.approuver

> ce qu'il explique. La verlu modeme se résume dans

> la lolérance.> Tout n'est que relatif ;... bien plus, [out n'est que

> relation Yérité féconde pour la science. Le vrai> n'est plus vrai en soi. Le vrai, le beau,le jus[e même

>j se font perpétuellement. Ainsi nous comprenons tout,) parce que nous adme[tons tout. Nous nous préoccu-

)) pons moins de ce qui doit être que de ce qui est. LaD morale, qui est I'ahstrai[ e[ I'absolu, tmuve mal son

)) compte à une indulgence qui est peut-être insépa-> rable de la curiosité. Les caractères s'affaisseut pen-> dan[ que les espri[s s'é[endent et s'assouplissent;...> mais aussi quelle merveilleuse entente de I'histoire n

Ce n'est pas que la oonscience ne s'alarme de cette

révolution, e[ que ceux-là mêmes qui la FaluenL comme

la loi de I'avenir ne trouvent bien quelque chose à re-gret[er dans un passé qu'ils croient irrévocable. Cette

protestation de la conscience morale contre la nouvelle

tendance philosophique, cette antinomie d'un cæur resté

droit et d'une raison égarée sont un des signes du temps

et marquent bien le trouble profond que la doctrine dacleuenir a jeté dans les âmes. 0n s'at[risle en considérant

ce bouleversement, < tant d'esprits désorierttés, tant de

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,T5O LIIIAPITIIB vII. .- HISTUIRE DU PAI{THI1Is}TE.

)) croyances déracinées, tant d'obscurités et de doutes

> dans les cæurs, la fin de tant de choses fortes et) grandes; , e[ I'on s'écriê avec I'accent d'une douleursincère : < L'absolu esl rnor[ dans les âmes Qui Ie res-> susciterar? >

Le mal n'est pas à ce degré. La foi à I'absolu. n'estpas morte ilans toutes les âmes; mais, visiblemen[, url

esprit souffle parmi nous, qui l'a éteinte chez plusieurset affaiblie chez un beaucoup plus grand nombre. J'osedire que le salut de no[re génération et de celle qui vientapr'ès nous, le salu[ dans la vie scientifique, le salu[dansla vie morale, le salul dans la vie soaiale et politique,dépend de la guestion de savoir si cet esprit sera vaincuou vainqueur; si

lascience gardera ou perdra

lesprinci-

pes nécessaires sans lesquels elle ne saurait faire unpas ; sila vie pratique aura ou non, dans laconscience,des lois certaines à observer, et, dans la raison, la con-oeption d'un bul à poursuivre; sile mouvement, des so-

ciétés, plus rapide et plus ardent que jamais, sera uneagitation sans lumière et sans objet ou un progrès ré-

gulier vers la r-érité recherohée arec foi et vers la jus-tice embrassée aYec amour..

Je ne puis insister davantage sur cet[e universellediffusion des idées hégéliennes. Pour la suivre dansJoutes les sphères où elle a pénétré, à peine serait-ceassez d'un rolnme auquel encore iI faudrait ajouter,

comme pièces à l'appui, toute une gl'ande moitié de

1. E. Solrérer, Re:,nte rles Deuæ-Moncles, dq 15 février 1861.

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{ I2 0IAPITRE vII. - IISTOIRE Du PANTBÉISME.

qui ne se ressemblent guère; il est tout à la fois le plus

audacieux dogmatisme e[ la plus flot[ante des négations.Le dogmal,isme est dans ses formules, disons plutôtd,ans sà formu,l,e unique et universellement applicable,qui donne la clef de tous les mystères etpermet de cons-truire a ytriori, tou[es les sciences, y compris celle de lanature et celle de I'histoire. Comme tout ce qui est, ré-

sul[e, selon lui, du développement logique de I'idée, ilsuffit d'être maitre de l'idée et de la loi de son évolutionpour imposer à sa traduc[ion, à son image, je veux âireà la réalité, la formule qui exprime cette loi. De Ià I'ex-plication de toutes choses, depuisles choses astronomi-ques jusqu'aux choses morales, par ce rhythme à trois

temps : thèse, antithèse et synthèse; de là le tlédain desfaits qui ne s'ajustent pas à cette mesure, et la façon ca-

valière d'écarter, comme étant au-dessous de la science,les objections empruntées à ces faits. D'un autre côté,par la nature même de la formule universelle, par la loide contladiclion qui est la vie même de I'idée et, parsuite, de la réalité, par la synthèse éternellement mobiledu deaenir,.ce dogmatisme, que rien n'arrête et n'étonne,devient, en rnétaphysique, la négation explicite de I'ab-solu, c'est-à-dire de toute vérité nécessaire et é[ernelle;en sor[e que cette doctrine qui commence par mettrepartou[ I'absolu, le nécessaire, le divin, aboutit à sup-primer Dieu et peut se définir avec exactitude un pan-

théisme qui se termine en athéisme.

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TES IDÉES HÉGÉLIENNES B\ FRANCE. {53

II

Le premier de ces deux aspects ful le seul qu'on

aperçut d'abord, tout illuminé de la brillante éloquence

de 1ïI. Cousiir.qui, le premier, il y a bientrlt quarante

ans, in[roduisit I'hégélianisme en France. 1lI. Cousinavait commencé, sous les auspices de M. Royer-Col-

lard, par attaquer vigoureusement le sensualisme du

du dix-huitième siècle et par battre I'école de Condillac

avec les armes de la philosophie écossaise. Mais cet[e

philosophie, un peu ébroi[e, prudente jusqu'àla timidité,

éprise de la psychologie jusqu'à ajourner indéfiniment lamétaphysique, ne pouvait suffire à un esprit qui tentlait

naturelleruent au grand e[ qu'animait alors toute I'ardeur

de la jeunesse. L'licosse I'avait initié à Ia psychologie;

l'Allemagne I'initia à la mé[aphysique. II passa le Rhin;

il vit et fut séduit; puis, revenu en France, il proclama

et répanditson enthousiasme un peu irréfléchi pour une

philosophie qui embrassait tout dans ses vastes spécu-

lations, rendail compte de tout par ses formules, ratta-

chaib à une irnité supérieure le monde de la nature et Ie

monde de I'espritbrisés en mille fragmen[s par la philo- '

sophie dissolvante du dix-huitième siècle, et semblait se

résumer tout entière dans le mo[ éblouissant de progrès.

Grâce à sa merveilleuse facilité d'assimilatiott,. il-s'im-prégna de la philosophie nouvelle e[ la fit sienne ; sanS

trop s'inquiéter d'accorder ses maîtres de {825 et ses

"9.

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IbL cHAPITaE vII. _ IISTOIRE DU PANTH}:Is}TB.

mai[r'es de {8{5, il fuf aussi bon Àllemand qu'il avai[

é[é bon Ecossais ; et comme il était un ,,^tr,Igarisateurincomparable, il sut mettrê en beau français, il sutmême revêfiir d'une apparence de clar[é, des thèsesqu'une traduction littérale n'aurait pu ni faire accepter,ni faire entendre.

DIême transforméeset adoucies, ces thèses con[enaient

le panthéisme tou[ en[ier, témoin cette phrase célèbrede la préfaoe des Frugntents pltil,osophi,ques, si souvente[ si jus.tement reprochée à M. Cousin, qui vourlraitbien, j'imagine, ne I'avoir point écrite. < Le Dieu de la> conscience n'es[ pas un Dieu abs[raito un roi solitaire> relégué par delà la création sur le trûne désert d'une>

éternité silencieuse et d'une exis[ence absolue qui, ressemble au néan[ même de I'existence: C'est un Dieu, à la fois rrai et réel, à la fois subslauce et cause,> toujours substance e[ toujours cause, n'é[at[ sub-)) stance qu'en tant que cause e[ cause qu'en tan[ quer substance, c'es[-à-dire étau[ cause absolue, un e[ plu-> sieurs, éternifé et temps, espace et nombre, essence e[

> vie, individualibé et totalilé, prinoipe, fin e[ milieu, aur sommet de l'ê[re e[ à son plus humble degré, dnfini,> et fini toat ensemble, triple enfin, c'est-à-dirc it, l,u

> la fois Dieu,, na,ture et ltwmwtitë, > Puis, comme s'ileùt craint de n'être pas compris s'il ne joignait à la tbr-mule du panthéisme I'argument favori de tous les pan-

[héistes:. ( en efTe[, , ajoutai[-il, ( si l)ieu n'est tou[, ilr n'est rien. >

ll[, Cousitr: p€rr cette déclaratitin solennelle, trànspor-

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/

, [[S IDXNS IIÉGÉI..IEN}{ES BN FRAIVCE. I5S.

tai[ dans laphilosophie

française le principe que Schel--ling et llégel professaient en commun, t'idée de I'ab-solu devenant [rutes choses, I'idée de I'identité radicalede Dieu et du monde. Mais ce qui I'atfirait surlout c'é-tait moins le principe en lui-même que ses applications;c'était le jour nouveau qu'il paraissaitrépandre sur toutescience; c'était prinoipalement la facilité qu'il donnaitde créer de tou[es pièces la philosophie de l'histoire.Rien n'est plus curieux à ceb égard que les éloquen[es

leçons de lll. Cousin, à la Sorbonne, en {828. Depuis,son bon sens à dù en sourire e[ sa sagesse les regret-ter plus d'une fois; mais il est hon qu'elles subsistentcomme un exemple de la fascination qu'une idée fausse

et fragile, pourvu qu'elle ait de gr.ands aspects, peutexercer sur une imagination brillante. I,à reparut, bienque déjà un peu adoucie, la confusion de Dieu et dumonde, si hautement avouée dans les Fragntcnts. LàiLfut dit, avec une confiance dont l'école même de M. Cou-sin a bien rabattu depuis, que c le mot de mystère<

n'appartient pas à la langue de la philosophie. > Làfut proclamée la souveraineté bienveillante et sereino dela philosophie qui, < heureuse de roir les masses, le)) peuple, c'est-à-dire à peu près le genre humain tout> entier, entre les bras du christianisme, se contente de> lui tendre doucement la main et de I'aider à s'élever> plus hauf encore. l Mais làsurtout I'histoire du genre

humain ful faite, les yeux fermés, au lrom des idées,avec une confiance et une candeur éfonnantes.

[a nouvelle mé[hode simplifiait tout et remplaçait

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;\

{56 CEAPITRE \TII. - UISTOI&N DU }ANTEÉISIiIE.

I'investigation laborieuse des faits par la déduction ra-pide des idées. - Youlait-on savoir, par exemple, com-bien il y a d'époques dans I'histoire de I'humanité? Rienn'é[ait pl]rs simple. Il fallait seulement comprendre que

I'histoire développe successivement tous les élémentsessentiels de la nature humaine; qu'une époque n'es[pas au[re chose qu'un de ces éléments dér'eloppé à par[,

et occupant sur le théâtre de I'histoire un espace detemps plus ou moins considérable, avec la mission d'yjouer le rôle qui lui a été assigné, rl'jr déployer toutesles puissances qui sont en lui, et de ne se retirer qu'a-près avoir livré à l'histoire tou[ ce qui é[ait dans son

seinl ( que par conséquent, i,l, ctoit y avoir autan[ d'é-

D poques qu'il y a d'élém?nts. > Or, il y a dans I'hu-manité trois éléments, le fini, I'infini, le rapport du liuià I'infini. Dohc, il doit y avoir, donc il y a. ni plus nimoins, trois époques correspondantes.

Youlait-on savoir, je dis dans le dernier dé[ail, [e ca-raotère 'de chacune de ces trois époques ? Rien de plusfacile encore.

IIsuffisait d'analyser

chacun des troisélémenfs, et I'on pouvait comp[er que tous les carac[ères

de chacun d'eux aurait, dans l'époque chargée de le dé-velopper, sa traduction littérale. < Par exemple, ,> disait-on, r< I'idée du fini est-elle un élégnent nécessaire de la> pensée? il faudra bien que cet étément ait son déve-> loppement historique complet, c'est-à-dire son épo-

)) que spéciale consauée exclusivement à la domination> de I'idée du fini; car il est impossible que cette idée> ait tout son dér'eloppement si elle n'est pas dévelop-

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I58 cHAPITRE VII. * UISTOIBE DU PANIUÉNME.

> la nréthoile déjà employée,s'adresser

àla pensée et

r rechercber dans quel ordre les différents éléments de

> la pensée se sucoèden[ tlans la réflexion. >

La vie totale de I'humani[é étant ainsi conçue comme

un développement nécessaire, il suirait que, dans I'his-toire, tout est bien et tout es[ à sa place, parce que tout

esb ce qu'il faut qu'il soit. De là ces propositions hardies

et inquiétan[es, moralïtë de l,a aicl,oire, ubsol'wtion duuai,nquent', inscriùes au sommaïre dcs leçons ef ôéve-

loppées dans leur contexte. < J'ai absous la vic[oire, Itlisait-on, a colttrilIe nécessaire et ulile; j'erttreprends

)) maintenanb de'I'absoudre comme juste, dans le sens

r [e plus étroi[ du mot; j'entreprends de démontrer la

n rnoralité du succès. On ne voit ordinairement dans le) succès que te triomphe de la foroe, e[ une sorle de

> sympathie sentimen[ale nous entraîne vers le vaincu;> j'espère avoir démontré qu'accuser le vainqueur e[

) prendre par[i contre la victoire, c'est prendre parli) contre I'humanité et 3e plaindre du progrès de la ci-

> vilisation. Il faut aller plus loin, ilfaut prouver que

> le vaincu doit être vaincu e[ a mérité de l'être;il faut

r pror\'er que le vainqu'eur non-seulement serl Ia civi-r lisafion, mais qu'il esf meilleur, plus moral, et que

r c'est pour cela qu'il est vainqueur. I E[ on le prouvait.

J'ai hâte de dire que ce furent là, pour M. Cousin, des

péchés de jeunesse. Même en {826, plus encore en {828,

on pouvai[ deviner que I'hégélianisme ne devait pas

ê[r'e l'état définitif de sa pensée, mais une phase à $ar-courir, une illusion dont il se délromperait quelque jout.

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TES IDÉES I{ÉûÉTIEI{NES AN FNÀ}{EE. IS9

Déjà, en effet, s'il ne faisai[ pas ses réserves, it faisaitdu moins ses efforts pour garder une place à la notiondu Dieu moral, du Dieu saint, du Dieu personnelo duvrai Dieu. Aussi le vimes-nous bientôt, llon pas renier,mais oublier les ambitieusés formules allemandes et se

ranger à la grande tradition spiritualiste qui va de Pla-ton à Descartes et à LeibnlLz.'Le livre r/ra Yru,i, dro Bear.t

et d,r.r, Bien, dernière expression tle sa pensée dogmatique,est aussi éloigné que possible des phrases mal sonnan-tes des Fragntents; les théories historiques de {828 nesont pour lui qu'un brillant souvenil oratoire; et si I'onpeut regre[Ler que-]tr. Cousin n'ai[ pas pris la peine de

réfuter assez direclement lui-même les principes qu'il a

jadis enseignés, et dont il roiI les conséquences se déve-lopper solls ses )eux, on doit reconnailre qu'il les a

abandonnés. Il est redevenu, e[ il resle le chef d'uneécole spilitualiste..., hélas e[ non chrétienne; et dansce petit groupe fort éclairci par d'éclatantes déserlions,il est encore le plus respec[ueux de tous enveis le chris-tianisme. Entre la philosophie chré[ienne et lui, il n'y a

plus, comme autrefois, l'abime du pgnthéisme, maisseulement un obs[acle, je yeux tlire le préjugé rationa-liste, Ia chimère de I'absolue indépendance de la raisonindividuelle; et cet obstacle ne liendrait pas devant uuedemi-heule de méditation sérieuse.

. IIITingt-cing ans plus tard, et sous les yeux de la gé-

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160 CEAPITBE YII. - UISIIURN DU PANTHÉTSUN.

nération présente, l'hégélianismer a reparu parmi nous,

mais sous un tout autre aspect, guéri de beaucoup d'il-lusions, ayantacquis, en revanche, une consciencebeau-

coup plus nette de ce qu'il veut et de cc qu'il ne veut

pas. On a renoncé à contruire a ytriora la science de

I'homme et la science de la nature. Bien plus, quoique

I'on n'ait poin[ cessé de proclamer la toute-puissance de

I'idée et la souveraineté de la raisott, on fail professionde ne croire à I'existence d'aucune réalité si eile n'est

constatée par I'expérience. Mais I'expérience n'at[eint

que les choses contingentes; Dieu ne tombe pas sous

ses prises. D'où il suit qu'on met Dieu en dehors de la

science, et qu'on re[rouve, par I'application d'un prin-

cipe de méthode,le résultat négatif qu'Ilégel tléduisait de

sa notion métaphysique de I'absolu.

La nouvelle école cri[ique, tout idéaliste qu'elle est,

semble par là se confondre avec la philosophie dite po-

sitive, c'est-à-dire, avec le pur sensualisme. Elles sont

cependant separées I'une de I'autre, malgré I'identité de

Ieurs.conclusions, par une nuance qu'il impcirte de sai-

sir. Le positivisme, sans nier que I'gsprit ait eu autre-fois I'itlée de Dieu et en garde encore quelque chose,

soutient. que cette idée est en voie de disparaitre'et de

1. On entend bien que je ne désigne pas par ce mot une école

qui"reconnaisse expressément HégeI pour son chefr et qui s'en-

gage à le suivre dans t-outes ses doctrines. Je I'applique, bra-

aital,is ca,usa, à toutes les opinions philosophiques qui se rat-tachent au mouvôment hégéIien et le coutinuent chacune à sa

manière.

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tDS IDÉES EÉGÉIIXNI{ES EN FRANCE. ,16I

se dissiper comme un rêve. S'il faut I'en croire? nous

n'avons besoin d'elle ni pour organiçer la société nou-velle, ni pour constituer la science {ui, renonçantà la recherche chimérique, de I'absolu, des causes pre-mières et des fins dernières, renonçant, en un mot, àexpliquer le monde, s'appliquera désormais tout en-tière à la détermina[ion expérimentale des lois. Elle a

. donc achevé son rôle et doit nous devenir de plus enplus étrangère{. Nos hégétiens sont moins modeslesdans leurs prétentions scientifiques. S'ils renoncent àconstruire le monde a priori, ils ne renoncent point àI'expliquer, e[ ils pensent qu'on peu[ aisémen[ se passerde Dieu pour mener à bien une telle enlreprise. PourI'un, la nature

esl un être véritable, une réalil,é indivi-duelle qui possède, à I'exception d'un seul, tous lesattribu[s réservés par la vieille métaphysique à la naturedivine; qui, par conséquent, n'est pas Dieu, puisque cetal[ribut, à savoir la perfection, lui faÏt défaut, mais qui,tou[ en étant impqrfaite, se suflit pleinement è elle-même, et qui, subsistant éternellement et nécessaire-

ment, infinie dans sa subsfance ef finie dans ses mani- .

festa[ions, spirituelle dmrs les âmes e[ corporelle dansla ma[ière, s'avance vers un idéal de perfection donteilô se rapproche incessamment sans I'atteindree. pourun autre, le monde, conçu non plus comme une unitévivante, mais comme un [out collectif, s'explique tout

{. Voir, plus bas,le chapitre rx.1. Voir Ie chapitre suivant.

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16I cHAPITRE VIT. * HISTOIRU DU PANTHÉISMX"

entier par deux principes, le temps, factuur unùuersel,

grand, coefficiett[ d,e l,'ëternel, deuenir, e[ la tendance au

progrès, gcrm,e fë,corr,cl sans l,eqwel, le temps reste éternel,-

lentent stër'i,l,e, cottscience obscut'a de l'uttiuers qui t'en4 ;,

sa faire, ressot't irtt'ime qtti ytottsse le Ttossib\e ù' enister eÛ

t'altpel,le à une aie de qtl,us en, pl'us dëueloppëor. Pour

tous, Dieu esf inutile à l'explica[ion des choses. Cepen-

dant, ils ne songent poinl à supprimer I'idée tle Dieu;elle est pour eux I'obje[, ou plutôt l'æuvre la plus éle-

vée de la raison, et sans elle, ils tiennent qu'il n'y a

pour I'homme ni progrès, ni grandeur morale. Ils se

piquent d'avoir le sentimenf du divin et d'enseigner

ulle philosophie excellemmen[ religieuse; et ils nous

donnenf ainsi le spectacle assurémenl très-nouveau d'un-athéisme rnystïque Qui, après avoir cessé de croire,

conlinue d'adorer encore.

Essa,vons de voir clair dans les ambiguïtés eb les

sous-entendus de ielte si[uation intellectuelle dont les

écrits de M. Renan nous offrent la traduclion la plus

savamment nuancée, la plus mobile aussi et la plus

difficile à saisir.

Que &f. Rettan rejette absolument I'itlée d'un Dieu

créateur, e[, avec elle, I'idée d'une Providence active,

intervenant à un degré quelconque dans les affaires du

monde, cela es[ parfaitemenb évident. < En dehors de

> I'homme, ) nous dit-il, a on noa jamais constaté un

> seul acte libre intert'enant dans le courant des choses.

1, E. Renan, Rcy,"rc cles Deux-Mondrs, du 15 octobre ,|863.

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T64 cHAPITRE vII. - HISTOIRD DU PANTEÉnUn"

d'Aristote plulôt qu'à un continuateur de tlégel. En

effet, il continue : < Dieu est plus que la totale exis[ence;> il est en même temps I'absolu. Il est pleinement et

) sans réserve; iI est éternel et immuable, sans progrès

> ni devenir. > Aristpte avait dit de même : Dieu est

I'acte pur; en lui rien n'est en puissance, tout est actuel.

Il .v aurait donc, d'une part, un Dieu enfermé dans son

irnmutabilité éternelle, étranger au monde et n'exerçantsur lui aucune action directe et libre; d'aubre par[, un

monde tendant spontanément au meilleur, au parfait,

à I'absolu, c'esFà-dire, à Dieu; e[ Dieu serai[ ainsi le

principe de I'ordre universel, non à titre de Frovidence,

mais à ti[re de cause linale, ce qui est proprement la

théorie d'Aristote.Ce n'es[ pas tout; M. Renan, bien qu'aYec une nuance

de scepticisme mélancolique, nous rend I'idée du Dieu

moral, du Dieu père des âmes, du Dieu que I'humanité

peut invoquer e[ bénir. Ce qu'aucun hégélien sincère

ne fera jamais, iI en[re, par la prière, en communica-

tion avec ce Fère céleste : o O Père céleste r lui dit-il,

> j.'ignore ce que tu nous réserves. Cette foi que tu ne) lrous permets pas d'effacer de nos cæurs est-elle une

> consolalion que tu nous as ménagée pour nous rendre> supportable notre de'stinée fragile? Est-ce là une bien-

> faisante illusion que ta pitié a savamment combinée,

)) ou bien un instinct profond, une révélation qui suffit

, à ceux qui en sonb dignes? Est-ce le désespoir qui a> raison, et ta vérité serai[-elle triste? Tu n'as pas voulu

r Qu€ ces doutes reçussent une claire réponse, afin que

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lÈs rrrÉns mieÉuuxsrs E\ FR.\NCE. 165

r la foi au bien ne restât pas sans mérite, et que la vertu

r ne fùt pas un calcul. Une claire révélation efit assimilér l'âme noble à l'âme vulgaire; l'évidence, en pareille> ma[ière, eùt é[é Tne atteinte à notre liberlé; c'es[ de) nos dispositions intérieures que tu as voulu faire dé-> pendre notre foi. Sois béni pour ton mystère, bénir porr t'être caché, béni pour avoir. réservé la pleine

I liberté de nos cæurs I I >

Je trouve cependant à ces effusions pieuses je ne saisquel air d'ambiguïlé qu'il faut absolument éclaircir, nefùt-ce que pour I'honneur de la philosophie critiqueelle-même et de sa loyauté. DI. Renan ajoute à mes in-quiétudes, je ne veux pas dire encore à mes soupçons,lorsqu'il m'apprend que l'humanité

{ui, enreligion,

se trompe souvent et nécessairement sur les qnestionsde personnes, ( ne se trompe pas sur I'objet même> de son cul[e, et que ce qu'elle adore est réellementr adorable; r qu'en effet, .< ce qu'elle adore dans les)) caractères qu'elle a idéalisés, c'est la bonté e[ Ia beautér> qu'elle y a mises e. n Et lorsqu'il remonfre aux parti-

sans de la vieille théologie et de ta vieille métaphysiquequ"e ta uraie thëotogie < est la science du monde et der I'humanité, aboutissant, comme culte, à la poésie et> à I'art, et par dessus tout à la morale3, > en vérité,

1. E. Reuan, A,oenir de la mëtaphystque, Reuue iles Deuæ-Moniles,lS janvier 1860, p. 392.

2. Id. , Études d'hi,stoire reli,gi,euse, préface, p. xxrr.3, Id., Aaenïr de Ia mdtaphysique, p. 3Bd.

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{ot; cri.urtnn \.tt. IIISTuIRE DI; PANTUÉtsrm.

je ne sais plus commeirb le mett're d'accord avec lui-

. même, ni cornment deviner ce qu'il pense.Peu[-être y parviendrai-je en lui posant une question

bien claire à laquelle on ne puisse répondre que par

un oui ou par un non, ou par une déclaration de scep-

ticisme : Dieu existe-t-ll? J'avoue que, selon les raffinés'de la critique, cette qtrestion donne une très-pauvre idée

de celui qui la pose. Ils la trouvent grossièioe, inintelli-gen[e et brutale. Selon eux, il ne s'agit point de ces

formules, e[ c'esb dégrader la religion que de l'enfer-

mer dans nn uedo déterminé. < L'homme qui prend

n la vie au sérieux et emploie son activité à la pour-

r sui[e d'une fin généreuse, voilà I'homme religieux;, I'homme frivole, superficiel, sans haute moralité,

r voilà l'impie {. r Soi[. Mais la quesl,iotl, tou[e impor-tune e[ malséante qu'elle est, subsiste toqiours. Il petlt

être de mauvais goirt de I'adresser à un esprit délicat

eb amoureux du demi-jour; mais frl. Renan voit bien

que si on la maintienb, il faut y répondre, et il répond :

n À ceux qui, se plaçant au poin[ de vue de la subs-

,) tance, me demanderonb:- Ce Dieu est-il ou n'esf-ilr pas? * Oh I Dieu répondrai-je, c'est lui qui esfo et

r tout le reste paraî[ être. > Ài-je torb? Feut-être, mâis iene suis pas encore satisfait': d'abord parce que j'ai lu

dans la phrase qui précède immédiatement celle-ci: que

Dieu est l,e grancl sott' wniqtte qLce rendenl nos facwl'tës,

aibratr,t sintultanëmettt, ce qui n'est pas clair ; Puiqt

î. E. Renan, Etu'des d,'lr,istoire reldgieuse, Préfacer p' xv"

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[hs nÉns uÉcÉtulxNrs EN FRÀl(cE. l0î

parce que je ne sais si ce Dieu es[ celui donb hI. Reuan

nous dil qu'il est I'absolu,, l't4tcrttel,, ï'immtrnble, santltrogrès n,i cleuenir, ou si c'est le Dieu r/a lu' arate tltëo-

I,ogi,e,. de celle qui, comme on I'a vu, es[ l,tr, science du'

monde et cle l,'h,u,mani,ld. Je continue donc et je lis ce

qui suit: n Supposé même que, pour nous philosopltes'r un autre mot fùt préférable, outre due les mots abs-

> traits n'expriment pas assez clairemen[ la réelle exis-r tence, il y aurait un imrnense inconvénient â nous

D couper ainsi tou[es les sources poétiques du passé, et

r à nous séparer, par no[re langage, des simples quir adorent si bien à leur manière. Le mot Dieu étant en

) possession des respects de I'humanité, ce mo[ ayanlr pour lui une longue prescription eb ayanb été en-

r ployé dans les belles poésies, ce serait renverser

r toubes les habi[udes du langage que de l'abandou-D ner. Dites aux simples devivre d'aspiration à la vérité,> à la beauté, à la bonté morale, ces mots u'aurohI pour

)) eux aucun serts, Dites.leur d'aimer Dieu, de ne pas

n offenser Dieu, ils vous comprendront à merveille.

> Dieu, Frovidence, immortalité, autan[ de bons vieuxD mo[s, un peu lourds peut-êLre, que la , philosophie

D interprèlera dans des sens de plus en plus raffinése

r mais qu'elle ne remplacera jamais avec at'antage,

> Sous une forme ou sous une autre, Ilieu sera tou-> jours le résumé de nos besoins suprasensibles, la ca'

t> tëgorîe de l,'iclëal, (c'est-à-direo la forme sous laqttelle)) nous concevons l'idéal), comme I'espace et le temps

> sont les eatégories rles corps (c'est-à-dire, les formes

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{6s cIIAPI'iRE vIL i- HISToIRE DII PÀluEÉISuE.

r sous lesquelles nous concevons les corps)' En d'au-

r: tres termes, I'homme, placé devant les choses belles,r bonnes ou vraies, sort de lui-même; e[, suspendu

, par un charme céleste" anéantit sa chétive personna-

) lité, s'exalte, s'absorbe. Qu'est-ce que cela, si ce n'est

r adorer? rÀ ce coup, je crains d'avoir compris, et je crois de-

viner pourquoi M. Renan, au lieu d'exprimer clairementsa pensée, comme iI I'eùt pu sans doute, oblige ses lec-

teurs à la poursuivre à travers tant d'obscurités et de

détours.

IT[. Renan conçoit Dieu en deux manières; ou plutôt

deux idées, dont il peut à son gré choisir l'une ou I'au-

tre, correspondent,dans sa pensée et dans sa langue, à

ce bon t'ieux mot un peu lourd. Tantôt Dieu est pour

lui la collection des êtres, la nature et l'humanlté, objet

c\e la araie ttt'ëologie; tantÔ[ il est I'absolu, l'éternel,

I'immuable, sans progrès ni tlevenir. Lors donc qu'on

l'accuse de panthéisme, il oppose pour réponse. sa se-

conde définition; comment serait-il panthéiste, Iui qui

'affïrme que Dieu n'est pas i,tt, fieri,, qu'il est absolu etparfait, toutes choses qui assurément ne conviennent

pas au monde et à I'humanité? Lorsqu'on I'accuse d'a-

théisme, iI répond, sous-entendant sa première défini-

tion, qu'il croit très-sincèremenf à la réalité de Dieu'

Mais regardez-y de plus près; Ie Dieu dont il affirme la

réelle existence, qu'est-il? Rien autre ohose que lemonde. Le Dieu dont it af{irme la perfection, qu'est-il?

Rien autre chose qu'une catégorie. un résumé de nos

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LIIS IDÉES HÉGETIENNES EN FRANCE. 160

besoins suprasensibles, un idéal, en un mot une con-

ceplion sans objet réel. Quand M. Renan dit que Dieuest, eela veut dire que le monde existe. Quand il dit que

Dieu esf I'absolu et le parfait, cela veul, dire que Dieun'existe pas. Un athéisme qui dissimule trop habilementses négations sous des affirmations panthéistiques,voilà toute sa doctrine.

{0t.

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CIAPITRE VIII

}IISTOIRE DU PÀNTTTIî$MB

LES IDÉES HÉGÉLIENNES EN FRANCE (suite)

Enseignemen[ contenu tlans I']ristoire du pantlréisme coutcmporain.

-M.vaclrerot.Caractèredesacloctrine;pantlréismerestreintparl'athéisme. - Parti pris contre le mystère; contratliction eù rléca-

rlence intellectuelle qui en résultent. - opposition arbitrairemenf

ipaginée entre l'iclée cle I'inflni et I'itlée clu parfait. - Réalil,é cle

i;Oii" i"n"i cgui est lo uronde; non-réalité de l'Être parfait qui est

Dieu. - CoJmologie panthéiste, théologie athée' - Suppressiou

i[évitable de la personnalité, d.e la morale, de l'idée de I'ordrc. -Prétentions religieuses de cet athéisme.

.Insistons encore sur le pan[héisme colltemporaiil'

Les formes Tiyantes et acluelles de I'erreur soll[ tou-jours celles qu'il impor[e le'plus de collnaîbre, puisque

c'est contre elles que la vérité doit être dét'endue. Et,

dans la questiOn présente, il se l,rouve que I'histoire

de ces formes e$b en elle-mêrne parÛicLllièrement ins-tructive.

Nous lui devons d'abord les plus précieux renseigne-

ments sur la contradiction logique qui est I'essence et

la loi du panthéisme. Car, c'est de nos jours, e[ pour

ainsi dire sous nos yeux' que cette con[radicLion, d'a-

bord atténuée et dissimulée, s'es[ dégagée tout entière;c'es[ de nos iours que les panthéistes, après se l'ê[re

longtemps cachée à eux-mêmes, I'ottt aPerçue et avouée;

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172 cHAPITBE vIII. _ HISTOIRI DU PANTEI:ISME.

c'es[ de nos jours qu'ils ont pris le seul parti qui leur

restât encore, Ie parti de professer hautement que la

contradiction dans les termes, formule précise de I'ab-surde, n'est pas le signe de I'erreur, mais le signe de

la vérité. Ç'a été la fonction propre tle Hégel de faire

faire ce dernier pas à la doctrine panthéiste. En fondant

une nouvelle logique dont le principe premiel est le

renversement total de la raison, iI a nettement intliquéà I'esprit moderne à quel prix I'on peut en linir avec

I'idée spiritualiste et chrétienne du Dieu personnel et

créateur.

' Les diverses variétés du panthéisme contemporain

ne marquent pas avec moins d'exactitude le terme final

. où cette grande hérésie philosophique vient fatalemen[aboutir. Bn concevant l'Être absolu comme la substance

même de toutes choses, en introduisant dans son es-

sence la limite, l'imperfection, le mal, elle fait à l'idée de

Dieu une blessure mor[elle, et elle y dépose une sernence

d'athéisme qui, tÔt ou tard, s'y développera jusqu'à en-

vahir le sol entierde la métaphysique où elle a germé.

Tôt ou tard, il y a'ura quelqu'un parmi les panthéistes-

qui verra ce que, de tout temps, les adversaires du pan-

théisme ont vu et démontré : à savoir que I'Être uni-

versel qui a potrrr modes, actes ou phénomènes la ccil-

lection des choses limitées et imparfaites, n'est pas

I'Être parfait; qu'il n'est pas Dieu; et qu'en conséquence,

puisqu'il épuise tou[e la réalité, il n'y a nulle part, nien lui, ni hors de lui, quelque chose qu'on puisqe appe-

ler Dieu. d.insi, par la force même de sou principe, le

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tES IDÉXS IÉGÉLIENNES EN FRAI{CE. IJ3

panthéisme se résoudra en une doctrine qui, d'une

par[, conservera I'un de ses caractères primitifs, I'ab-sorption des êtres particuliers dans 1'Ûtre universel, et

qui, d autre par[, s'avouera décidément athée, en dé-

clarant que cet Ûtre universel, au delà duquel il n'y a

rien, n,est pas Dieu. Que si cet[e dernière évolution

s'accomplit à une époque où I'itlée du parfait ail été

mise en pleine lumière et soit entrée définil,ivement dansla conscience publique, oll ne niera pas cetbe idée en tant

que phénomène psychologique, mais on lui retirera toute

valeur objectil'e, on la concerra comme un idéal de la

pensée auquel ne correspond uul objet réel. Et si cette

doctrine négative a pour interprète. utte âme naturelle-

ment religieuseet portée à certaines effusions pieuses

du cæur, il se pourra que celle-ci se fasse illusion jus-qu'à adorer ce phénomène sulTjectif, ce concept auquel,

après I'avoir tlépouillé de toute réalité, elle couserve

Ie nom de Dieu, jusqu'à croiro qw'e\l'e croit 'a ce Dieu

dont elte nie expressémen[ I'existence, et jusqu'à eutrer

dans une indignation sincère contre quiconque appel-

lera sa doctrine par son vrai nom, qui esl I'athéisme. Eb

ainsi I'on aura l'éLranle spectacle d'un théologien dévot

qui s'attache à prouyer que I'objeb de son culte n'existe

pas, eb d'un athée prosterné devant le Dieu qu'il sup-

prime.

En indiquant, sous forme de prévision loitttaine ,

I'extrême timite de rlécomposition i[tellectuelle où tendle panthéisme, je m'aperçois que j'ai décrit et presque

résumé une doc[rine contemporaine, la doctrine pro-' {0.

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|74 THAPITaE vrII. - HTST0IRE nu pal,{rnÉlslrn.

fessée par M. Yacherof dans le livre inl,italé, l,a "Mètaplryst-

que et la Science. J'ai étudié de très-près ce volumineuxouvrage; à travers les contradis[ions tanlôt appareutes

et tantôt réelles qui y abondent, j'espère avoir saisi son

esprit et I'esprit de son auteur ; je crois savoir les rai-sons intellectuelles qui I'ont éloigné de cet[e foi au Dieucféa[eur qui, dans un pays chrélien, est Ie premier étatde tout intelligence; je suis certain

de savoir cequ'il

me[ à la place de ce qu'il supprime, e[ je n'ai nullecraiute de me tromper sur les noms qui conviennent àsa métaphysique.

Ces noms, que je sais, je les dirai sans scrupule,quelque répugnance e[ quelque indignation qu'ils irrs-pirent à ['au[eur. Dans la pol,émique philosophique,

lorsqu'il s'ag [ de désignations qui soulèvent nécessaire-men[ la conscience puhlique contre la doctrine qu'ellesqualifient, il y a, ce me semble, deux fautes à éviter :

I'exagération qui les applique mal à propos, et la mollecondescendance qui craint de les appliquer lorsgu'ellessont évidemurent le 'rrai nom, le nonr propre. d'un

système. Il ne suffil pas qu'ure doctrine contienne desprincipes qui, pressés et conduits à leurs conséquencesextrêmes, conduisent au panthéisme ou à I'athéisme,pour que la doctrine elle-même soit le pan[héisme ouI'athéisme. Si l'auteur de la doctrine n'a pas aperQu

ces conséquences, s'il les a repoussées, s'il a cru colt-stammen[ qu'elles ne

découlaientpas

de ses principes,de telles qualifications manqneraient assurémen[ dejustice. Par exemple, encore que la psychologie sensua-

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IES IDÉES uTIcfimNxES EN FRANCE. Ii5

Iis[e conduise logiquement à nier Dieu, e[ que la ps.v-

chologie de Locke soit onver[ement sensualiste, je megarderai bien de dire que Locke est athée, car il ne l,eslpas; - ou que son système est I'athéisme, car I,.&'ssaa

slllr l,'cntendentent h,untain enseigne, au con[raire, etprouve l'existence de Dieu. Le vrai nom de ce systèmeest sailsual,îsme, et j'aurai renpli tout le devoir de la.critique philosophique en montrant que I'athéisme ensorl par ufle conséquence légi[ime, mais lointaine eténergiquement repoussée par I'auteur. Slais. si une doc-trine enseigne formellement qu'il n'y a qu'une sub-slance et que les individus ne sont que des phénomènesde l'Étre unilersel ; si une autre affirme et essa; e dedémontrer que Dieu n'exisle pas, par quel nom faudra-

t-it désigner Ia première, e[ par quel nom la seconde ?

Évidemmen[ par ceux qu'elle porte dans le dictionnaireet dans la langue philosophique. Ou il ne faut pas lesnommer, ou il faut dire de ta première : c'es[ le pau-théisme, et de la seconde : c'es[ I'athéisme. Ces désigna-tions ne son[ point des calomnies; elles ne son[ point

des violences qui remplacen[ la discussion par des nomsodieux et discréditent d'avance les doctrines qu'il fau-drait comhattre; elles sont des noms propres; c,es[notre droit, c'est notre devoir de les employer; et si lachose est visiblemen[ l'a[héisme ou le panthéisme, il ya qnelque puérilité à se plaindre que nous la désignionspar les

seuls mots qui disent ce qu'elle est{.

t. A moins qu,on ne refasse le dictionnaire. IU. Renau dé-

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176 oEAPITRE YIII. - HISTOIRE DU PÀNTUÉISME.

J'applique immédiatement ces règles équitables à la

mêtaphysique de Il[. Yacherot.Le panthéisme complet consiste : {o à absorber les

individus dans un Ûtre universel au delà duquel il n'y

a point de réalité; 2o à dire que cet Ûtre universel est

Dieu. Sur le premier point, M. Yacherot, nous le ver-

rons, est pleinernenb, d'accord avec le panthéisme. Sur le

second, il s'en sépare avec énergie ; il signale vivementI'outrage que subit I'inviolabilité divine dans une doc-

trine qui divinise toute réalité, même basse, et toute ac-

tion, même scélérate. <, Comprenez,I dit-il, < I'erreur,ie> dirais presque le crime'du panthéisme. Dans cette

> doctrine, les faits sont érigés en lois et en droits; Ie

> monde, dans se3 plus tristes réalités, est proclamé

> I'expression adéquate de Dieu; erreur monstrueuse...

) en ce qu'elle imprime à tout également le cachet de la

> divinité. Entre ne I'oir Dieu nulle part et le voir partout,

D mon choix serait bientôt fait; si j'étais condamné à

> cetfe alternative, je préférerais I'athéisme. Contre la

> réalité de la nature e[ de l'histoire livrée à I'aveugle

> fatalité, je puis me réfugier dans ma raison qui jugen et dans ma conscience qui proteste. Contre cette même

> réalité, idéalisée et "divinisée, où sera le refuge de

flnlt I'athée : L'h,ommè friaole et sansh.aute'moralitë. Llabonneheure; mais encore faut-il qu'il fournisse un mot pour dési-

gner I'homme quï, dit que Dieu n'gniste pas. Pour uous' nous

demand.ons qu'il nous soit permis de désigner cet homme-làpar Ie mot qui, ramené à ses deux racines grecques' veut dire

précisémenl, :l'homrne quù dit que Dieu n'eæîste pas',

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IES IDÉES HÉûÉLMNNES EN FMNCE. ,177

D l'âme honnête ?. . . Quandj'entends

reprocher auxr panthéistes de profanèr,.de souiller le saint nom de

> Dieu, en le mêlant au plus viles et aux plus tristes> réalités, je cherche ce qu'ils peuvent répondre, et je> ne trouve que de vaines subtilités r. n lTI. Vacherot

n'est donc panthéiste qu'à demi; il I'est par I'idée de

l'Être universel, où toute individualité disparaît; mais

il l'èst avec une importante restriction, qui est le refus

d'appeler Dieu cet Ûtre universel. Or, cette restriction,

qu'est-elle ? L'athéisme. I)'une part, en effet, il admet

une substauce universelle hors de laquelle il n'y a rien.

D'autre part, il dit que cette substance n'est pas Dieu.

Rapprochez ces deux affirmations; elles se traduisent

immédiatement et nécessairement par une troisième :

iI n'y a point de Dieu. C'est I'athéisme, athéisme impli-cite si le soin de dégager ce[[e troisième affirmation.esllaissé à I'intelligence du lecteur, athéisme explicite si

l'auteurditlui-même de sa bouche, et.écrib lui-mêmcdesa plume : Le' vrai Dieu, c'est-à-dire, I'Être parfait,

n'existe pas: M. Vacherot le dit et l'écrit vingt fois, etc'est pour prouvet qu'il a raison de le dire qu'iJ a fait

son livre. Il es[ donc explicitement athée.

Pourquoi'l'est-il? Quelle raison puissante l'a si pdi-calement séparé de la croyance commune du genre

humain ? Une seule, celle-là même qui, depuis l'é[a-blissemen[ de la foi ehré[ienne, éloigne toutes les écoles

panthéistes du dogme de la création in[roduit par le

l, La mëtaphysigue et la scienceo t, II, p. 251-52.

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{78 0HAPITRE vul. - IISTUME IJU PANTHÉISME,

christianisme dans la philosophie: la raison du mys-tère.

Nous sayons ce qu'elle vaut. Enf'ermés que nous

sommes dans une portion étroite du temps et de l'espace,

réduits à ignorel toujours beaucoup plus de choses que

llous n'en pouvolls connaitre, ne sachant le tout de

rien, nous rencontrons partout, même dans I'ordre natu-

rel et dans le monde contingent, des mystèresn c'est-à-dire des véri[és que nous avons le droit d'affirmer surle témoignage certain de nos facul[és, mais que nous ne

pouvons pénétrer jusqu'au fontl de manière à en avoirla notion adéquate. Nous savons d'avance que si lemonde matériel et nolre âme elle-même ont pour nous

de telles obscurités, il y en aura, à plus forle raisou,dans toutes les vérités qui ont pour objet I'infini et ses

rappor[s avec le fini, et qu'ainsi le mystère est un des

éléments nécessaires de toute mé[aphysique e[ de toube

théodicée. Enfin, si nous sommes sages, nous recon-naissons que le my'stère n'es[ nulle part plus acceptable

que dans l'ordre surnaturel, c'est-à-dire dans I'ordredes vérités que la raison ne peut ni découvrir par ses

propres forces, ni démontrer par ses propres principes;nous concevons qu'il a sa place nécessaire dans la doc-

trine révélée, et que toute religion sans mystères est une

religion fausse I e[ nous disons à nos alliés spiritua-lisles, que, s'ils rejel[ent apriot:i le christianisme parce

qu'il est mystérieux, ils préparent eux-mêmes, contre lavérité philosophique, une objection qu'ils n'auront plus

le droit de combattre.

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LLs nrnus uÉçÉuttxxui ns rnrst' ;. lTtl

M. \'acherot aperçoil, [rès-net[entett[ cet[e solidarité

de ta métaphysique spiri[ualiste et tle la foi religieuse ;

et iI donne aux défenseurs non chrétiens du dogme de

la création un très-salutaire avetitissement, lorsqu'il ditque si la scieuce accepte ce dogme myst{rieux, on ne

voi[ point pourquoi e]le ne se résignerait pas à tous les

mystères de la théologie orthodoxe r. Pour lui, il n'ac-

cepte ni ceux-ci, ni celui-là. Le mystèretr'es[ jamais, à

son avis, qu'un symbole.qu'il fau[ expliquer et compren-

dre, ou uue chose ininlelligible, un pllr néant de la

pensée, ou enfin une absurdi[é qu'il I'au[ mépriser. Ilu'admel pas qu'il y ait en métaphysique des véri[és tout

à ta fois accessibles eb supérieures à l'esprit hutnain,

qui peul, les démon[rer, mais ne peuf tti en expliqtrer le

conunent,, ni en sonder [ou[ela profondeur, ni en nestl-rer toutela portée. Il procède commesi I'esprit ltumaitt,suivan[ la formule du sophiste Plotagoras, était la me-sure de toute chose, e[ comme s'il était possible d'arri-ver à un état intellectuel où il ne reslùb plus d'obsculibé

sur auculle questiou. Il ne voit dans la vieille e[ so-

lide distinction entre ce qui dépasse la raison et cequi la conlredit, qu'une subtilité scolas[ique. Dès lors'le mys[érieux e[ I'absurde éLant termes synot]ymes,

rien ne reste debou[ de l'édifice de la métaphysique

spiritualiste rltti a des mystères à sa base et à son

somme[.

Quisuivrait jusqu'au bout de pareils principes ver"

1.. Itn m,ë.taphys'îr1ue at la scienee, Avaut-propoS, p. xIlIr

T

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,T8O ctr{PITRn VI[. _ ETSTOIRE DU PANTHIIISME.

rai[ bien vite où conduit cette orgueilleuse prétention à

connaitre le dernier mot de toutes choses. Comme. enfai[, nous n'avons le dernier mot d'aucune,.il faudraitenfin avouer que nous ne pouvons absolument rien sa-

voir, et la pr'étenlion de tout comprendre aboutirait auplus absolu scepticisme. Bien que M. Yacherot se dé-robe, en dépit de la logique, à ces conséquences extrê-mes, il porte cependant la peine de sa révolte contre lagrande loi du mystère, imposée par Dieu à toute intel-ligence humaine en compensa[ion du glorieux privilègequ'elle a reçu d'atteindre la vérité infinie. L'horizon desa pensée se réfrécit et tend visiblernent à s'enfermerdans la sphère petite et basse de son expérience per-sonnelle. Il ne croit plus qu'à ce dont la réalité finie lui

offre quelqae specinren,; il nie jusqu'à la possibilité detout ce qui dépasse les conditions et les limiles im-posées au moi 0ù à Ia nature. Parce que notre forcepersonnelle et celles que nous voyons agir autour denous ne vont qu'à modifier quelque matière préexis-tanbe, il déclare contradictoire et impossible, même à

une puissance'infinie, la production totale d'une sub-stance, et la créa[ion n'es[ pour lui qu'un mot ininfelli-gible. Parce que I'âme el, la nature subissent la loi duchangement et de la durée. il nie qu'un êlre immuablepuisse exister au delà de l'âme et de la nature. Parceque notre esprit n'arrive à la science -que par un progrèslaborieux, il rejette la possibilité d'une intelligence éber-

nellement en acte, embrassant d'un regard la vérité to-tale. Parce que nous n'exerçons les fonc[ions spirituelles

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tES IDÉES rÉCfuMNNNS NN FRANCE. {8{

de la pensée que sous cerLaines conditions organiques,

il érige en loi nécessaire ce fait humain, assurémenlI'un.des plus mystérieux que nous offre la réalité, et ildéclare qu'il est impossible de penser sans ceryeau{.Àprès quoi, il a bonne, grâce sans dgute d'adresser à lathéologie orthodoxe, cornme il I'appelle, I'imputationd'anthropomorphisme, et de .nous reprocher d'abaisser

Dieu à notre taille, parce que nous me[tons en lui lapensée, la puissance et I'amour

Qui[tons ces préambules et pénétrons dans le fond de

la doctrine. Le pan[héisme athée de M. Yacherot repose

tout entier sur une division, capitale à son sens, des

idées de la raison en deux catégories distinctes eû oppo-

sées: d'une part I'idée de I'absolu, du nécessaire, de

I'universel, de I'infini; d'autre part, I'idée du parfait.

0r, cette distinction est absolumen[ arbitraire et fausse.

En effet, nous avons démontré f identité radicale et sub-

stantielle de toutes les idées rationnelles dont I'objet

commun est Dieu. L'analyse psychologique nous a per-mis de constater que nous Ies atteignons toutes par lemême procédé, par un élan naturel de la raison qui,effaçant les limites, conçoit I'absolu eh présence du re-latif, le nécessaire'en présence du contingent, I'univer-sel, c'est-à-dire le principe unique tle toutes choses, en

présence tlu multiple, I'infini en préÈence du fini, le

l, La métaqthysiqu,e et la science, Avantgroposr p. .xrr-xrY,t'l

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{8.r CIIAPIîRE VIII. - IIISTOIRE DU PAI{THXISild.

parfait en présence de I'imparfait. Nous comprenons

que nier quelqu'une de ces idées, c'est implicitement lesnier toutes en niant le procédé rationnel qui nous con-duit aux unes comme aux autres i Que, réciproquement,I'affirmation de I'une quelconque d'entre elles impliqueI'affirmation de toutes les autres; qu'elles ne sont que

des aspects divers d'une même réalite souveraine; que,

par ex€mple, concevoir l'Être infini et concevoir I'Ûtreparfait, c'est concevoir le même Ètre, à savoir l'Ûtre

donl la réalité n'est limilée par aucune des bornes ou

négations qui se rencon[rent dans les choses finies et

imparfaites. Enfin, nous sommes certains que toutes

ces idées ont une l'aleur objective, et qu'étant entourés

de choses contingentes, limitées et imparfaites, é[ant

d'ailleurs incapables de créer de toutes pièces quetque

idée que ce puisse être, nous ne concevons le néces-

saire, le parfait et I'infini que parce qu'il y a réellementhors de nous un ttre infini, parfaiû et nécessaire,

M. Vacherot accorde et enseigne tout cela pour son

premier groupe d'idées rationnelles. Il croit àl'existence

d'un Étre universel, infini et nécessaire; et, pour luicomme pour nous, 'la raison d'y croire, c'est I'idéemême que nous en'avons, À l'égard du second groupe

consti[ué tout entier par I'idée du parfait, il prend une

attitude toute différente et fort imprévue. Suivanf lui,au lieu que I'idée de l'infini implique la réali[é de son

objeû, I'idée du parfait exclub la réatité du sien. Parceque nous conceyons I'infini, l'Ûtre infini existe. Parceque nous concevons, ou quoique nous collcevions le

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Lr:s urÉrs uÉuÉlttisxEs E\ I'R \\eË. t83

parfaib,l'È[re

parfaid''exis[e

pas. J'ai cherché aveo Ie

plus grand soin sur quelle raison bonue ou mauvaise,

sur quelle apparence sérieuse ou frivole, Ia pensée de

I'auteur fonde une distinction qufl lui est si chère, e[

j'avoue n'en avoir rencontré absolument aucune. De son

aveu, I'idée de I'infini et l'idée du parfaif se forment eu

nous de la même manière et suivant la même loi. Leur

valeur objective est donc la même ; et il faut choisir oude la refuser, ou de la leur accorder à l,outes deux à la

fois. Entre ces deux situations, dont loune est le scepti-

cisme e[ I'au[re le dogmatisrne, il n'y a poinb de situa-

tion intermédiaire où I'espril puisse se tenir; et I'oppo-

sition que M. Yaoherot imagine enbre deux no[ious

indissolublemeut, liées I'ttne à I'aubre esI tton-seulemeuIarbitraire, mais contradictoire.

C'esb sur ce[te contradiction qu'es[ fondée sa ffiétâ'

physique, qui se résume eu deux chapitres, I'uu affit"-

matif, c'est la cosmologie ; l'autre négatif, c'es[ la l,ltéo-

logie.

lo Lnidée de l'Être in{ini et universel, c'es[ I'idée dtt

rnonde, Four la nouvelle métaphysiclue, le monde est

plus que la collection des phénomènes révélés par I'ex-périence, plus que I'unité de système à laquelle la

science les ramèue. < Il est I'Iltre universel lui-même,

> sujet et cause de tous les phénomènes dont il parait

> n'ê[re que le théâtre{,... ttre véritablement un ttre

l. La mëtapltysique et lct scienco, t' III, p. 290.

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t81 cll{prTnn Vm. - HISToTRE DU pA-\THÉrs:trE.

D organique en qui tout nait, croit et se forme par le> développement d'une force internet,... Iltre qui se> suf{ità lui-même et n'a nul besoin d'un principe hy-)) percosmiquez. > Ce[ ûtre-Tout est < l,Être universel,> absolu, nécessairea. Il peu[ e[ doit être conçu, comme> infini enpuissance, en fécondité, en beauté, en bonté,D puisque rien ne borne sa force créatrice et sa vertu

> bienfaisante. > Bien enbendu que ( cetle infinité n,ap-> partient qu'au tou[, e[ ne réside que dans la faculté,> dans la subs[ance mêrne de l'Être universel ; elle ne> se retrouve dans aucune de ses æuvres, dans aucuur de ses modes, dont le caractère est essentiellementr lini a. >

2oEn célébran[ ses merveilles, < des poëtes, des phi-r losophes, , parmi lesquels il faub compter souvent

M. Yachero[, a I'onû nommé le Dieu vivant, oubliant> qu'il mérite fous les noms excepté celui-là. > Le vraiDieu est parfaitement distincb clu monde que les pan-théistes ant cri,m,inellenteltt confondu avec lui. Soumisaux conditions du temps et de I'espace, aux lois du chan-gement, dumouvenren[ e[ de la vie, le monde n'es[pointparfait ; vouloir qu'il le soit,. c'est vouloin changer lanature des ehoses 5. Le vrai Dieu est immuable e[ im_rnobile, il est l'Ûtre parfait, et c'est lui seul que la foi

1,. La mdtaphystque et la scien:e, t. III, p. 394.2. Ib., t. III, p. 243.3. Ib. Avant-propos, p. xvul.tL, Ib., t. II, p. l9B, {gz,ô, Ib,, t. III, p. 2b4.

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tES IDÉES NÉCÉT,MMTES EN FRANTIE. I85

du genre humain et le cri de toute conscie-nce religieuse

saluent du nom de Dieur. lllais ce l)ieu n'existe pas'C'est ( un être de raison dont la perfeetion est tout

> itléale. C'est le Dieu de la pensée pure, le Dieu que

r Flaton et Descartes poursuiven[ en vain comme un

r être réel. Ce Dieu-là n'a pas d'autre trône que I'es-

> prit, ni. d'autre vérité que I'idée. Quand les théolo-

r giens lui assignent pour objet un être réel, ils réali-> sent une abstractionz. > En quoi ils fonl une opéra-

tion non-senlement vaine, mais contradio[oire. Le Dieu

parfait n'existe pas, parce qu'il ne peut pas exister' Si

le concppt de perfection n'est qu'un idéal de la pensée,

la raison en est qu'enislence et perfection sont'i'ncont''

pati,bl,ess; ce sont deux mots qui lr,wrlent d,'effroi de se

aoi,r accowplésa. Fuis donc qu'il est de I'essence de laperfection d'être purement idéale, il faut que la théolo-

gie choisisse d'un Dieu parfai[ sans réalité, ou d'un

Dieu réel sans perfection. Le premier est encore, à titre

d'idéal,le plus tligne objet tle la pensée humaine. Quant

au Dieu réel, c'est le Cosmos. Àvec toules ses imperfec-

tions, < c'est encore un Dieu bien grand et bien beauD pour qui te contemple des yeux et de la philosophie

< et de la sciences. r,

De cette incompatibilité entre la réalité et la perfec-

7. La métaph,gs'ique et Ia seience, l'.lII, p. 236'

2. Ib., t. In' P. 217-18.

3. Ib., t. II, P. 192-3.4. Ib., t. II, P. 81.

5. Ib., t. III, p. 217-48.

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.186 crraprrnE vrrr. - Iusr0rnD * ,n*roÉr*"u"

tion, de ce caractère purement idéal a[tribué. au Dieu

parfait qui seul est le vrai Dieu, il suit logiquernent queI'exis[ence toute subjective de ce Dieu dépend de I'exis-tence des êtres pensants; car il n'est qu'une idée deleur esprit, et il n'existe qu'en tant qu'il est pensé pareux. Si donc il n'y avait plus d'être de ce genre pourconcevoir I'idéal, I'idéal ne serait pas : il n'était pasquand ces

êtres n'avaientpoint encore fait leur apparitiondans le monde, et c'est du jour db leur avénement qu'ila commencé d'être. M. Yacherot accepte, avec une sé-rénité parfaite, cette conséquence de ses principes.< Vous I'avez dit, )) répond-il à l'interlocuteur qui la luipropose avec inquiétude, ( supprimez les êtres pensants,> l'Être infini et universel (le Cosmos) existerait tou-

r jours; mais le Dieu vrai aurai[ cessé d'exister. pour-> quoi le nier ? Yous yoyez assez clair dans ces ques.> tions pour n'être plus la dupe des mots r.

))

Telles son[, ramenées à leurs points fondamenLauxn lacosmologie et la théologie de IIl. Vacherot.

Sa cos.mologie est parfaitement panthéiste. Sous la

réserve de I'attribut de perfection, M. Yachero[ recon-naît au monde tous les caractères de la divinité, €t,en dépil de ses bonnes résolutions, il lui échappe fortsouvent, comme on en a vu un exemple, d'appeler le .

Cosmos Dieu, réel, et Dieto uiuant. Il subit d'ailleurstoutes les nécessités du panthéismeo sauf la nécessitéde diviniser

le désordre et le mal.

l. La mëta1thysi,que etla science, t. tit, p, Zz7.

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I

IJES IDÉES TTÉcÉI.rnuuES EN FnANCE. II}T

Il voudrait sauver la personnalité humaine dont il a

Ie sentiment énorgique. I ne le peut, et la logique de ses

principes le conduit à énoncer en termes explioites des

propositions qui la suppriment absolument, Quand ilenseigne que toute réalité est parlie intime de l'Être in-fini t, que l'Être universel esi sujet et cause de tous les

phénomènes dont il parait n'être que le théâlre 2, quo

tout ce qui n'est pas l'Étre proprement di[ (c'est-à-dlre,l'Étre en soi, l'Êtreuniversel), n'est qu'un phénomène3,

ces propositions générales, qui ne reçoivent e[ n'admet-[en[ aucune exception, contiennent manifestemen[ cette

proposition particulière que le moi n'est ni sujet nicause, mais seulement phénomène, ce qui est propre-ment

la doctrinede Spinoza dans

cequ'elle

a deplus

destructif de la personnalité et du libre arbi[re.

trl voudrait sauver la morale. Il ne le peut pas davan-tage : d'abord, parce que I'absorption des individus dans

le Tout supprime Ia moralité du même coup que la li-berté; puis, parce qu'il est impossible, ainsi que KantI'a loyalement reconnu, d'accorderàl'idée du bien moral

une valeur obligatoire, si l'on refuse à I'idée de Dieuune valeur objective. Quand il dit qu'il est démontré que

la loi morale n'a point à chercher ses fondements en

I)ieu a, il dit exactement le contraire de la vérité, et sup-prime purement et simplement la question du fondemen[

7. La mëtaphgsdque et lascience, t. III, p. 321.

2. Ib., t. III, p. 290.

3. Ib., t. III, p, 294.

4. Ib., t. III, p. 392,I

I

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-llIJ

I

'I88 cuAPITnx vm. - HISTOIRE DU PANTuÉISMa"

de la morale. Quand il ajoute que la loi morale n'est

pas écrite en Dieu et que c'est la conscience humainequi est le vrai livre de la loi {, il ne veut pas voir que laconscience en est I'organe, I'interprète souvent infidèle,mais non point du tout I'auteur et la source; qu'elle enaperçoit, mais n'en constitue pas I'autorité; et que cettelégislation souveraine, éternelle, infaillible, subsiste

quelque parb indépendamment des intelligences impar-faites à qui elle se révèle.

Enfin, il voudrait rendre compte de cet ordre uni-versel qui éclate dans le Cosmos et s'impose à notre foien même temps qu'à notre admiration, et il ne le peutpas non plus. L'Être-Tout, tel qu'il le conçoi[, n'est pas

même lefeu,

artiste des stoïciens,_l'intelligenceuniver-selle qui pénètre dans tous les détails de la vie cosmi-

que: Il n'est in[elligence et volonfé que dans les indivi-dus pensants; ét si on I'appelle omniscient, c'est, commedit Strauss, ( parce qu'il embrasse toutes les intelligen-l ces {lnies qui, dans leur ensemble, représentent tousr> les degrés possibles du savoir. u Ilans la nature il est

instinctet nécessité2, ce qui revient à dire que, dans lanature, I'ordre universel noes[ que le développemeutd'une force aveugle; en d'autres termes, à nier I'auteurintelligent d'une Guvre intelligibles. M. Yacherot croitsorbir d'embarras en disant que le monde n'est pas une

7. La mdtaphysique et la science,

t.III, p. 393.

2. Ib., t. ilI, p. 306.

3. La mëtaphysique et lasctence, t. III, p. B{0. Je me permetsde recommander la lecture du paragraphe tout entier; je ne

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tES TDÉES ffiEÉITNMTNS EN FRANC'E.

ceuvre, et qu'il ne faut pointici chercher la relation de

l'ouvrage à I'ouvrier. Soit; du moins est-il une vie; et laraisonvous somme tl'expliquer comment vous n'êbes point

en contradiction avec vous-même lorsque vous afflr-mez, d'une part, que cette vie est merveilleusemen[ or-

tlonnée suivant les rapporbs de moyen à fin et d'organe

à fonction, d'autre parb, que l'Étre vivant est aveugle-

Que si vo.us supposez dans la nature une certaine aspi-ration à I'idéal, un cerlain ins[inct, une certaine ten-

d,ance qui la pousse à réaliserDieu en elle-même, d'abord

vous dites une chose inintelligible, puis vous n'atténuez

nullement la contrailic[ion; elle se retrouve tout entière

dans ce double caractère que vous prêtez à la nature,

d'être tout à fait aveugle et de tentlre incessammentau

parfait par une aspiration qui produit I'ordre universel.

Quant à la théologie, qui soutient avec la cosmologie

le rapport de I'idéal au réel{, il esL, je pense, inutilede redire une fois de plus le uom qui la caractérise. Ce

qu'on a le droit de remarquer avec quelque sévérité,

c'est qu'elle repose sur une assertion absolument gra-

tuite qui, pour être répétée à satiété, n'acquiert pasplus de valeur. hI. Y'acherot ne discute aucune des

preuves sur Ia foi desquelles le genre humain uoit à la

réalité de Dieu; il les écarte toutes a priori' par cette

connais pas d'eremple d'une lutte plus opiuiâl,re contre lebon sens.

1. << La théologie n'est qu'une cosmologie id.éale, ,> et Ia cos-

mologie r uns théologie réalisée. , (La mëtaphgsique et la

scd,mce, t. III, p. 285.)

tt.

{89

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,Igt) cHAPITRE vIII. - EISTOIRE DU PANTEÉISME.

formule décisive : Perfection, et rë,alitë sottt termes contra-

d,ictoircs. Et cette formule, comment Ia justifïe-t-il? EnI'affirmant, en posant qu'il ne peut y avoir de réalité quedans les conditions imparfaites de I'espace, du tempset de Ia vie ; que la perfection est une abstraction; qu'ilfaut choisir d'urr Dieu parfait ou d'un Dieu réel. Tel estle procédé constant de la métaphysique nouvelle, et

j'ose dire que ni les quatre-vingts pages de la théo-logie de h[. Vacherot, ni les trois volumes de son livre,ne contiennent d'autre démonsfration que celle-tà de lanon-existence de Dieu. Àinsi, tandis que Ia métaphy-sique spiritualiste, qui peut invoquer en faveur de safoi en Dieu une ltossessi,ott, contemporaine de I'humanité,ne se croit pas ponr cela dispensée de la justifier

auxyeur de la raison, la métaphysique nouvelle, qui pré-tend nous désabuser de cette foi comme doun rêve,érige cavalièrement sa négation en un axiome qu'elleimpose à I'esprit humain comme I'ar[icle premier d.'unsymbole infaillible; et, ce faisant, elle se rend le témoi-gnage d'avoir introduit dans la théologie I'esprit et les

procédés de la science posi[iveElle s'en rend un autre beaucoup plus invraisemblable

encore. Elle se dit et se croit religieuse. Quelque accou-tumé quoon soit à Ia voir prendre avec les mots les plusclairs et avec les idées les plus familières à la raisontoutes les libertés imaginables, on n'était point préparé

à celle-là, et ses protestations pieuses, ses élans d'ado-ration et d'amour en présence de l'Ûtre dont elle a sirésolùment, si constamment nié I'existence, produisent

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IES IDÉES rÉEÉITNWNES EN FNANCE. .I9I

I'impressiondoun coup de théâtre. Laissons un librecours

à ces effusions d'athéisme mys[ique : a Nous voyons

> enfin Dieu, ce grand mystère de la foi et de la scicnce,

r sortir de ses redoutables ténèbres. II vient à nous, il> se révèle dans la pure et éclatante auréole de la pen-> sé0... Idéall idéall n'est-tupas leDieu que je cherche?

> Je I'ai cherché longtemps, ce Dieu que je croyais

r: caché. J'ai cru le trouver dans la nature et dans I'hu-> manité. Partout je n'ai vu, jen'ai saisi que des idoles.> Les formes les plus belles de la nature sont des réa-> lités; Dieu n'y est pas. Les plus nobles manifestalions> de I'humanité sonf encore des réalités; Dieu n'y est

) pas davantage. Àlors j'ai essayé de traverser la scène

> mobile du monde pour pénétrer jusqu'au fond immua-> ble. au principe inépuisable de la vie universelle. Là,o j'ai cru voir Dieu. Mais ce Dieu vivant, que d'imper-> fections, {û0 de misères il étale si je le regarde dans

r le monde, son acte incessantl Et si je veux le voir an

> soi et dans son fond, je ne trouve plus que l'Ûtre en

> puissance, abîme ténébreux, où I'admirable philoso-> phie grecque ne trouvait que chaos et que non-être.> Dieu ne pouvai[ pas être où n'esf pas le beau, le pur,r le parfait. Où le chercher alors, s'il n'est ni dans le> monde, ni au delà du' monde ? Où le chercher, sinon

> en toi, sainb ldéal de la pensée? Oui, en toi seul est

> la vérité pure, l'È[re parfait, le Dieu de la raison.

r> Tout ce qui est réalité n'en est que I'image et que> l'ombre... Tu n'es pas seulement divin, sublimeldéal'> tu es Dieu; car tlevant ta face toute beauté pâlit, toute

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192 cEAPITII utr. - EISTOTnI Du PANTmJSME.

r vertu s'incline, toute puissance s'humilie. L'univers> est granrl, toi seul tu es saint : voilà pourquoi toi seul> es Dieu. .. Pour toi seul I'amour, Dieu de la beauté et de

> la vérité. Mais qu'on te laisse dans ton ciel avec laD pure auréole de la pensée. Yeut-on te réaliser, on fait> de toi une idole ou une vaine entité. II y a longtempsD que la foi du genre humain te poursui[, te trouve, te

> contemple et t'adore sous les idoles et les abstractions.> Mais le jour n'est-il pas venu enfin de te voir dansl tout I'éclat de ton essence, de t'adorer, comrne ditr I'apôtre 1 en esprit et en uëritë? Plus d'abstractions,> plus d'idoles; et l'athéisme, désormais sans raison,> devin[unmobvide de sens'... Oui, tu es bien I'ttre

> parfait, dans le sens pur du mot; tu es l'Étre dont> toutc l'essence, toute la vérité est dans la perfection.r Tu es I'Ûtre immuable; tu habites au tlelà du temps> et de I'espace; de toi seul on doit dire : Il, est, quandr de tout le reste on,dit : II c\eaient... Qui donc a pu te> dire é[ranger à la beauté, à la justice, à I'héroisme,> à Ia sainteté, à tout ce qui élève

les intelligences etr purifie les cæurs, quand rien de beau, de juste, de> grand, de saint, ne se fait sans toi? Est-ce que ton) nom n'est pas le nom de toute vertu, de toute vérité> pure? S'agit-il de science, c'est ta lumière qui brille.> S'agit-il de vertu, c'est ta flamme qui brrllè. Tu te

1. Il faut méditer cette naiveté. M. Vacherot a raison. S,il. est convenu que la doctrine qui ilit que Dieu n'oxisto pas,n'est point lnathéisme, lathéisme est un mot vido de sens.

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I.,ES IDÉES UÉCÉI,IOMTNS EN FRANCE. {93

> fais voir dans nos grandes pensées; tu te fais sentir

> dans nos pures amours et nos saintes amitiés. Etre) sans voix, sans figure, sans matière, Esprit pur, c'e$t

r: de ton refletque toutes choses dans la vie universelle,) reçoivent la beauté, I'harmonie, la vérité qui en font> le charme et le prix. Qui donc osera nous dire que tu> n'es qu'une abstracbion, IdéaI suprême? Quelle Béalité

r possède ta Vérité et ta Yertu? Àbstraction pour I'ima-r gination qui ne croit qu'à ce qu'elle peut se repré-

D senter, pour la selsation qui ne saisit que des réali[és,

> tu es la souveraine Yéri[é pour I'intelligence qui veut

) penser, pour l'âme qui veut aimer. C'est I'imaginationr qui es[ idolâtre; c'es[ la sensation qui est athée; avec

> I'aurore de la pensée commence le règne du vrai Dieu.r Idéallliléall Tu ês bien le Dieu quê je cherchel Ta

> lumière est la seule qui puisse faire évanouir à jamais

> les deux fantômes de t'Idolâtrie et de I'Athéisme {. >

Je ne sais ce qu'on pensera tle cet hymne et de cette

prière. Four'moi, je n'ai pu les lire sans un sentiment

profond de tristesse. Quoi donc t Sommes-nous descen-

dus à ce degré de confusion intellectuelle 'et d'indiffé-rerce pour la véri[é, sommes-nous devenus à ce pôint

incapables de discerner Le oui dn n'on, quoun même

homme puisse, dans un rnême livre et dans un même

ins[ant, nier Dieu et I'invoquer, et que ce[ homme soit

écouté, eb qu'iI se prenne lui-même au sérieux? Cet

homme est doué d'un esprit sincère, il croit à la liberté

l. Lamétaphysique et la science, t. III, p. 278-82.

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,IgI* CtrAPITRE \I[I" - MSTOINE DU PANTESISME"

et au devoir; il est religieux par certains côtés de son

âme, et il dit : Dieu n'est pas. Il dit : Dieu est parfait, etil n'est pas. I dit : Dieu est saint, et il n'est pas. It dit :

Dieu est I'objet suprême de la raison, et il n'est pas. Ildit : Dieu est le vrai, et il n'est pas. À ohaque page d'unchapitre presque aussi long qu'un livre, il répète : Dieun'est pas; et i,l ne aoit,loas qu'en disant cela, il est athée.

Qu'a-t-il fait de sa raison ?

trl en a fait ce que le panthéisme fait toujours, à undegré quelconque, des raisons qu'il parvient à séduire;il l'a changée, retournée, tordue, si j'ose le dire, en uninstrument de conûradiction. IT[ais ici la contradictiondépasse [outes limites connues. Il y a des contradictions

timides qui, à force de se voiler et de s"adoucir, se ca-chent même à leurs aufeurs; celles, par exemple, du néo-platonisme. Il y a des contradictions effrontées quis'avouent et se reconnaissenb elles-rnêmes pour cequ'elles sont; celles, par exemple, des sophis[es quifurent les contemporains de Socrate et celles de ÏIégel.Peut-il y avoir, en dehors de la folie pure, des con[ra-dictions qui tout à la fois s'affichenl et n'aien[ pointconscience d'elles-mêmes? Bst-il possible qu'un hommedise à la fois deux choses contradictoires, celles-ci, parexemple : J'affirme que Dteu n''eniste pas;fafftrme queje crois en, I)iew, e[ que, les disarrt, il croie ne pas se

contredire? Le livre de fttr. Yacherot prouve que oela est

possible; et c'est en quoi, même après Spinoza, mêmeaprès Hégel, il contient un enseignement très-salutaireà qui le sait comprendre.

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t

IûEAPITRE IX

tE POSITI VISME

Un mot sur M. Aug:uste Comte et sur le deruier état de sa pensée

religieuse. - L'esprit positiviste; qu'il fait toute la force de la phi-losophie dite positive, - Analyse de cet[e doctrine uégative: -Io Classiffcation des sciences; qu'elle ne donne aucune place auxsciences morales;la psychologie absorbée dans la physiologie etlaphrénologie. - lo Loi générale de I'histoire. Les trois états, théo-logique, métaphysique, positif. - Ce que c'est que l'état positif.Interdiction de la recherche des causes; suppression de Dieu. -'Critique. Est-il vrai quo nous ne puissions atteindre les causes ? Lemoi,, Diew - Conséquences scientifigues et morales du positivisme.

Le panthéisme actuel que son espri[ et ses négations

rapprochent de plus en plus du pur matérialisme me

conduit, par une transition naturelle? à la ltltil,oslryh,ie

pos'i,li,ue.

Si je ne m'étais pas interdit de mêler les détails bio-graphiques à la discussion des itlées et des systèmes, ily aurait quelque intérêt et quelque instruction à suivre

le fbndateur du positivisme dans les diverses phases de

sa vie intellec[uelle. II est cer[ain que ( M. Àuguste> Comte, homme simple, honnê[e, profondément con-

) vaincu, dévoué à ses idées, modeste en apparence) quoique au fond prodigieusement orgueilleux, se crut) sincèrement appelé à ouvrir pour I'esprit humain et

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,I

4,96 CEAPITRE IX.

)) les sociétés humaines une ère nouvellerr)) 0[ qu'à ses

yeux la loi, sociale qu'il avaib découverte devait pro-duire dans I'ordre morale une révolutibn au moins égaleà celle qu'amena dans la science de la nature la décou-ver[e de la loi d'attraction universelle. Cependant, par_ *

venu, à travers douze années de patient labeur, à I'ex-position intégrale de sa doctrine, lorsqu'il eut, comme

il le croyait, démontré l'ëuunou,issentent prochain etdéfinitif de toute métaphysique et de toute théologie,lorsqu'il eut supprirné Dieu, il s'aperçut qu'il avait faitle vide dans les âmes, et que sa ph,i,l,osophie posùtiuen'était au fond qu'une négation. Il s'accornplit alorsdans son esprit une évolution remarquable, que ,ses dis-ciples expliquent et excusent en la rapportant

aux trou-bles fréquents de son éfat mental, mais qui, à monsens, eut une raison plus profonde. trl avait retiré auxbesoins moraux de l'humanité, à la faim et à la soif desâmes l'alirnent légitime qu'elles trouvent dans la vraiereligion ef dans la saine philosophie; mais il n'avait puréduire au silence ni chez lui-même, ni chez personne,

ces besoins immortels; et n'ayant plus de quol les satis-faire autrement, il les satisfit'par des rêves insensésauxquels il donna un caractère religieux.

Dieu étant supprimé, que restait-il encore? Troischoses : les loas naturelles, donI la détermination consti-tue, selon lui, l'unique obje[ de la science, - la natu,re,.

{. M. Guizot, Mëmoirespour sernsir ù, l,hûsto'ire de mon, temps,t. III, p. 125 et suiv.

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-

LE POSITIVIS}IB. I97

c'est-à-dire, I'ensemble des êtres soumis à ces lois,

-et, dans la nature, l'luuntani,ti. 1T[. Comte divinisa ces

trois choses. D'abord, il réuni[ dans la conception du

Destirt les lois immuables de I'Univers; et, les objecti-

vant dans I'espace infini, il adora celui'ci sous le nom

de Grancl-Mil,ieu,. Secondement, il conçut la Terre et les

autres astres du système planétaire comme autant

d'êtres individuels, de personnages bienveillants, occu-pés, dans la période qui précéda I'apparition de I'homme,

à lui préparer un séjour{; eL il annonça que Ia situation

de I'homme régénéré par la science posibive sera, à

l'égard de ces grands indiridus, précisément ce qu'étai[

la situation de I'homme primitif à l'égard de ses fé[iches,

à I'égard du collier, du coquillage, du morceau de boisauxquels il adressai[ ses'adorations après leur avoir

a[tribué une volonté et une influence sur sa vie; 'en sorte

que l'é[at nouveau sera? pal'ce côté du moins, un retour

l. n II est permis tle supposer que notre planète fut douée

r d'intelligencg avant que le développement social y devlnt

r possible. Aiors la ten'e vouait ses forces à préparer le sé-r jour de I'humanité... Obligée de subir les lois fondamentalesr tlu système planétaire,'ello pouvait développer son activitér physico-chimique de manièrs à perfectionner i'ord,re astro-r nomique. EIle put ainsi rendre son orbite moins excen-r trique, et dès lors plus habitable. A plus forte raison put-

r elle modifier sa figure générale. I De même, c chaque pla-

Inète d.ut perfectionner sa constitution matérielle. À mesure

l qu'elle s'améliorait, sa vie s'épuisait par excès d'innervation,r mais aves la consolation de rendre son dévouement plus

>> efficace. I (Aug. Comte, Sgrtthèse su,biectioe, p. î1.)

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{98 OUAPITRE IX.

avoué au fétichisme et une adoration de la planète

Terre sous le nom de Grand, Fëtiche. Enfin, le GrandEtre, celui vers qui tout converge et en vue duquel lesas[res eux-mêmes modifient spontanément leurs orbitese[ leur figure, I'homme collectif, l'lrumanitd dut êlre etfut pour M. Comte I'objet suprême du cult-e à venir. Il yaura donc, pour remplacer la Trini[é chrétienne qui

n'a plus de rôle à jouer dans le monde, une nouyelle eta inaltérable trinité qui dirigera nos conceptions tou-> jours relatives d'abord au Grand ûtre, puis, au Grandr B'étiche, puis, au Grand Milieu... On y vénère au pre-r mier rang I'en[ière plénitude du type humain, oùr I'intelligence assiste le sentiment pour diriger I'acti-> vité. Nos hommages y glorifient

ensuite le siége actif> e[ bienveillanf, dont le concours, aol,ortlaire quoi,rlue> atteugle, est toujours indispensable à la suprême exis-r tence, ) et, en oufre, < les astres vraiment liés à la> planète humaine, surLout le soleil et Ia lune, quer rlous devons spécialemeni honorer. r Enfin, n à ce> second culte succède celui du théâtre,. passif autan[

) qu'ayeugle, mais toujours bienveillatt l, , où s'éla-borent les conditions les plus générales de la vie hu-maine, c'est-à-dire le culte de I'espace.

$lais je dois me borner à ces indications rapides, enrecommandant aux méditations du lecteul l'hommagenon suspecl rendu par ces délires eux-mêrnes, à la per-

pétuité des instincts religieux que l'aurore du positi-

1, AuE. Comte, Synthèse suhjeetiae,, p.ZA.

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LE POSITIYIS]IN. ,I99

visrne devait dissiper comme des rêves. Ce que je dois

faire connaltre, c'est Ie positivisme lui-même avant etaprès cette phase mythologique qui n'a été qu'un acci-dent personnel à son fondateur.

Il y a dans le positivisme un espril et dne doctrine;e[ celle-ci,

à vrai dire, n'est puissante et inquiétante queparce qu'elle est le produit, l'expression, ta formulescien[ifique de celui-là. Il faut donc avant tout chercherà comprendre I'esprit positif ou le positivisme; c'estseulement à cette condition que nous connaitrons lesfondements de la doctrine positiviste et pourrons appré-cier sa valeur.

Le terme positif est équivoque? et suivant I'acceltqu'on y met, suivant les sentiments de celui qui le pro-nonce' il dési$ne deux caractères ou cleux fendancesfor[ dissemblables.

D'abord on peut opposer et I'on oppose souventI'homme posi[if à I'homme d'imagination, et I'on ap-

pelle ainsi celui qui sait ce qu'il fait, qui n'agit quede sang-froid et après réflexion, qui ne risque sesdémarches, sa fortune ou sa vie que pour de bonnesraisons et en vue d'un résultat qu,il sait n'ê[re pointchimérique. Un tel caractère peut être celui d'un hon-nête homme e[ d'un homme vertueux, bien plus, d'unhéros, mais

d'unhéros

de sens rassis, en qui I'on sou-halterait seulement un peu plus d,élan, un peu plus detendresse e[ de chaleur de cæur, un peu plus de eon_

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2OO. OEAPITRE IX.

fiance dans ce premier mouvement qui, chez lui du

moins, est toujours bon.$Iais on entend aussi, et plus souvent peut-être, par

homme positif, celui qui ramènê toutes choses aux in-térêts palpables de la vie présente et s'y établit comme

sur le seul terrain solide; celui qui, réglant sa vie à la

façon d'un livre de ôomptes, n'y fait figurer à titre de

valeurs réelles que les bénélices immédiatemenb appré-oiables en chifrres; celui pour qui les idées, les principes,

les inspirations du dévouement ne sont ni des mobiles

raisonnables d'action, ni des forces pouvant conduire

à un résultat sérieux; celui. enfin pour qui la raison

noest point du tout la lumière'supérieure qui montre

rlans le présent, le devoir, et dans I'avenir lointain, un

but suprême de Ia vie, auquel la vie même, au besoin,

doit être sacrifiée, - mais bien plutôt la prutlence qui

enseigne à traiter toutes les questions comme des ques-

tions d'affaires, et à ne voir au bout que le profit. A ce

point de vue, une société conduite par I'esprit positif, ce

sera celle or) les individus s'occuperont uniquement des

biens de ce monde ; où les chefs se borneront à protégerl'ordre matériel; où se bien por[er, s'enrichir, jouir,

sera le but exclusif de lactivité personnelle et de I'acti-

vité sociale; où, par conséquent, les grands intérêts de

l'âme seront sciemment laissés de côté comme autant

de rêves et de chimères.

Or, sous toute manière d'agir il y a une manière depenser qui I'explique et la justifie bien ou mal. Ici, la

doctrine implicite dont I'esprit positif, dans sa seconde

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tE P0sITrTrstrE. 201

acception, doune la traduction pratique, c'est le ma[é-

rialisrne, c'es[-à-tlire cette idée, trop favorisée par nos

penchants égoistes e[ sensuels, que la réalilé visible e[

tangible esb toute Ia réalité i Que, par conséquent, I'uti-lité matérielle es[ le seul bien que nous ayons à pour-

suivre. De I'ordre pratique transportez cette doctrine

dans I'ordre intellecfuel et spéculatif, où nécessaire.-

ment elle acquerra une conscience plus nette d'elle-même; elle y produit aussitôt un esprit qui tend à en-

fermer la pensée dans l'é[ude du monde matériel eb à

rayer de la science toute la série des vérités ntorales.

Ce[ esprit, iI importe de le remarquer, n'es[ en aucune

façon I'esprit nécessaire et normal tles sciences dites

posi[ives. À ]a véri[é, il est de leur essence dene poittl

s'occuper du monde moral; leur départemenf esb autre,

et aussi leur méthode, car ce n'est pas avec des théories

métaphysiques ou avec des principes de morale que se

faib Ia science de la nature, mais ayec des observations

aidées d'instruments, avec des hypothèses que I'expé-

rience contrôle, de même que ce n'est pas avec Ies orga-

nes des sens ou avec les réac[if's d'un laboratoire que

se démontren[ les vérités de la métaphysique et que

s'établissent les lois de la vie psychologique, mais avec

des principes suivis dans leurs conséquences, avec des

analyses et des réflexions porlan[ sur les phénomènes

intérieurs. llais il n'est point de I'essence des sciences

positives de nier ce qui tt'esf pas elles et de tendre àsupprimer I'autre moitié, la moitié supériettre des con-

naissailces humairtes, pas plus qu'il tt'es[ de l'essence

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202 CHÀprTÂE If.des sciences morales de proscrire l'étude des réalitésmaférielles. Tou[ au contraire, si I'univers visible estun domaine qu'il leur est interdif de franchir, elles peu-vent du moins en atteindre Ia limite. Farvenues à uncertain degré supérieur de leur dévetoppement, ellesconduisent au seuil des sciences morales; elles setournent en démonstration de I'ordre universel et en

confirmation expérimentale du dogme de la providence;elles remplisseitt doune admiration religieuse l,âme deCopernic; elles donnen[ à Kepler le droit de revendiquercomme sa plus glorieuse récompense le titre de contem-plateur des æuvres du Toul-Puissant; elles inclinent etdécouvrent le noble front de Newton chaque fois que le

nom de Dieu est prononcé devant lui.Cependant, avouons-le, telle est la faiblesse de l.'esprilhumain qu'en s'enferman[ dans un ordre dé[erminé derecherches, on s'expose, s'y l'on n'y prend garde, àdédaigner, puis à contester, puis à nier toutes les vérités{ui ne sont poin[ comprises dans oette sphère exclusive,C'est parmi les métaphysiciens absorbés dans la con-templation des idées que se rencontrent, depuis Xéno-phane jusqu'à lllalebranche et à Berkeley, les rêveufspour qul ltexistence des corps est une illusion ou unproblème; c'est parmi les physiologistes exclusiremen[occupés des phénomènes et des organes de la vie maLé-rielle qu'il faut chercher les aveugles qui nient le prin-

cipe spirituel de la vie morale. Et ceux-ci sont toujoursplus nombreux que ceux-là, grâce à la tyrannie dessens rlui incline sans cesse rers le visible et le tangible

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Lr PusITIVIsilE. 9o:']

ies désirs de notre cæut et les yeux de notre espri[. Que

s'il advient que les scieuces morales, étudiées au reboursde leur direc[ion régulière, fournissent elle$-mêmes des

armes contre les vérités de leur domaitte, si elles

ramènent, par de faus,ses analyses, toutes nos connais-

sallces à la sensation comme à leur source commune,

si, de plus, un puissant développement des sciences de

la nature coïncide avec un no[able affaiblissement desconvictions religieuses dans les âmes, il arrivera ce qu'on

pouvait aisérnent prévoir; ces sciences positives pren-

dront l'espri[ positivisfe, eb, n'admettant d'autres prooé'

dés que ceux dont elles font un si puissant usage, elles

nieront les vérifés que ces procédés ne peuven[ atteindre.

E[ c'est là que nous en sommes.Doune part, les ât-

teintes profondes que la foi religieuse a reçues depuis

deux siècles n'ont pu rester sans.action sur le développe-

ment scientifique. D'autre part, le sensuâlisme, momell-

tanémenf vaincu dans la sphère de la philosophie pure,

ne I'a pas été sur le terrain des sciences physiques eb na'

burelles qu'il avai[ pénétrées de son espri[; il n'a cessé de

sty manifester non pas chez tous, mdis chez plusieurs,par uû parti pris de dédaigner la métaphysique comme

une chimère, d'écarter I'idée de Dieu comme une hy'pothèse inutile, de chercher des raisons en faveur de I'a-théisme et du matérialisme dans" les admirables décou-

vertes qui témoignent Ie plus hautemenb en faveur de

I'âme et de ta Providence. En{in, dans la philosophiemême, cef esprit négatif trouve pour appoint et poÏrappui, non-settlement le seusttalisme aujourd'hui re-

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2OI CHAPITRE lX.

naissant, mais le panthéisme idéaliste de l'école hégé-

lienne. Taudis que le premier élimine Dieu comme uneconception chimérique, le second le réduit à l'état

d'abstraction, d'Ûtre pur identique au néant ; e[ tous

deux, partis des points les plus opposés, se rétrnissent

ainsi dans une négation commune.

C'est cet esprit, très-répandu, très-actif, très-difficile

à détruire qui donne une puissance réelle à la doctrine,en soi très-mince, Qug je dois maintenant exposer, en

me tenant le plus près possible de la pensée positiviste,

étendue d'abord par M. Comte dans les six énormes vo-lumes dl Cours cte phitosoptuie positiue, puis condensée

et, comme on I'a dit spirituellement, trad,w'i,te ett fran-paas par M. Littré dans quelques ouvrages d'une lecture

plus courte e[ plus facile.

La philosophie positive, réduite à ses éléments essen-

tiels, se oompose premièrement d'une classification des

sciences; secondement d'une loi historique eb sociale

que }tr. Comte donne pour sa grande découverle. Toutesdeux uient, chacune à sa façon, les réalités spirituelles

qui sont I'objet des scienoes morales en général et en

particulier de la théodicée et de Ia psychologie.

Lo L'entreprise de soumettre les différentes par[ies

du savoir humain aux lois d'une classifioation régulièren'es[ pas nouyelle. Elle a été tentée bien des fois depuis

Bacou jusqu'à lI. Àmpère et à M" Cornte; e[, suivaut

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LE IOSITIVISIIE. 20ir

la diversité des points de vue où I'on se place, elle peutêtre exécutée en plusieurs manières. Si I'on a surtoutégard à la différeuce des objets, on prendra pour basede la classifica[ion ]a distinction des sciences physiqueset des sciences morales. Si I'on s'abtache plus spéciale-ment à la diversité des mé[hodes, on divisera lout d'a-bord les sciences en expérimentales ou inductives, e[rationnelles ou déductives. L'on aura ainsi deux modes

de"groupement dont on peul disouter la valeur compa-rative, mais qui son[ tous deux légitimes en ce qu'ilssont fondés tous deux sur des distinctions réelles, etembrassent, sans rien omettre, la totali[é du savoirhumain. La classification proposée par lI. Comte, jus-qu'au point où elle atteint la limite qui sépare le monde

matériel du monde moral, esb également fort acceptable.Elle repose sur un principe simple e[ vrai, à savoirle degré de complexi[é des idées, des faits ou des lois,et la relation de chaque science tan[ avec celle qui laprécède qu'ayec celle qui la suit. BIle a en conséquencepour premier terme la science la plus abstraite, cellequi se con[ente des données les moins nombreuses etles plus simples, je veux dire la science de la quantité,La mar,h,ëmatique. Yient ensuite I'astronomie qui appli-que à un seul ordre très-peu complexe de phénomènes,aux mouyemenfs concrets des astres dans I'espace, leslois abstraites fournies par la géométrie et la méca-nique. La troisième science atteint des faits d'une

complication beaucoup plus haute, mais en revanched'une généralité beaucoup moindre; c'est la physique

II. t2

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906 I]HAPITnE Ix.

qui, emprun[ant aux mathématiques leurs formules, à

à I'aslronomie la grande loi de la gravitation dont la pe-santeur terresfre n'est qu'un cas particulier, s'enferme

ilans l'étude des lois qui agissent sur'tous les corps de

notre globe, non pour altérer leur composition, mais pour

modifier leur état, quelle que soit d'ailleurs leur natureparticulière. A la physique se superpose la chimie quiétudie les corps non plus au point de vue des aclio{ts

générales qui leur sont communes à tous, mais au pointde vue des actions parliculières qu'ils exercent les uns

sur les autres en ver[u de leur composition élémentaire.

Par une spécialisation nouvelle, la science passe ensuite

à I'examen des phénomènes qui ne se produisent que

dans les êtres animés, soumis il est vrai, comme tous

les au[res, aux lois physiques e[ chirniques, mais régisen oufre par des lois qui leur sont propres? par les loisde la vie, soif de la vie inférieure ou végétative, soit de

la vie supérieure ou animale. Appliquée à cet objet bionplus complexe que les précédents, elle prend le nom

de biologie.

Cebte classificatlon paratt irréprochable, et je ne voisrien à reprendre dans le plan de II[. Comte, si ce u'est Ia

pré[ention de suivre dans l'édueation I'ordre hiérar-chique qu'il a établi dans la science, sans" soinquiéter de

la résisLanae opposée par l'espril éminemment concret

des enfants à un programme d'étuiles qui les mettrait

tout d'abord en présence de I'abstraction pure. Mais, ar-

rivé à la vie animale, I'auteur commence à manifester

I'espri[ néga[if de sa dogtrine' trl tte s'arrête pas pour re-

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TE POSITIVISIITE" 201

commencei dans l'ordre moral une série conespoltdan[eà celle qu'il a établie dans I'ordre ma[ériel; il reste dansla série physique et ne s'élève à l'homme que commeau degré supérieur de.cette série uniquer. Il conçoit lemonde (non pas le monde physique par opposition aumonde moral, mais la réalité totale) ( comme constitué)) par la matière et les forces immanentes à la matière.

r Au delà de ces deux termes, la science positive neu connâît rien 2. , L'homme n'est pour elle que le degrésupérieur de l'animali[é; l'étude spéciale tle I'hommert'est que.le dernier chapitre de la biologie, et c,est parles procédés du naturaliste et du physiologiste qu'elledoit se faire. D'ori I'on voit, pour le dire en passant,

combien M. Comte est conséquent avec I'esprit généralde sa doctrine en maltraitant fort la méthode psycholo-gique et en saluant dans la phrénologie I'unique pro-cédé légitime d'observation morale, combien, au coll-traire, lI. Littré çst hérétique et imprudent en accep[antI'observation directe des phénomènes de conscienceoprocédé tou[ spirituel et spiritualiste

QUi, dumême

coup, élève la psychologie au-dessus de la classificationpositiviste, e[ ramène, par ]a distinction des néthodes, ladis[inction des substances.

Bnfin, l'étude de I'homme collectif, la déterminationhistorique des lois immuables qui gouyernent la vie de

l. Aug. Comte, Cou,rs ile Tthitosophie .positiae, 45" leeon : Desfortctiotts irttellectuelles et morales, ou cÉnÉnner,ns; passim.

2. Littré, Préfa:e du Cou-s de Tthiloso1thie posîti.,^e, p. rX..

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208 CEAPITRE IX.

I'humanité esb le terme dè ta série e[ le grand objet de laphitosophie positive. C'est une science tout à fait nou-

velle, une création de ll{. Comte; du moins le croil-il; et

pour assurer sur elle son droit d'inventettr, il lui donne le

nom de soc iolog ie ,qui certainement est tout à fait nouveatt .

L'on voif déjà le grand postttlatumi du positivisme,

je veux dire la négation a priori, I'éliminalion pure et

simple de tout ce qui n'est pas le monde matériel au

delà duquel, comme il I'avance avec hardiesse, il ne

connait rien. Déjà aussi I'on voi[ poindre une consé-

quence à laquelle les dîsciples du maitre voudront en

vain échapper, je veux dire la négation du libre arbitre,

d,e ln prëtencl.ue li,berté ntorale, dit M. Comte. Si la pensée

de I'homme n'es[ qu'un produit organique, si son actionest déterminée par des lois du même ordre que celles

qui gouvernettt toutes les forces immanentes à la ma-

tière, en quoi consistera sa liberté ? ( À suivre partout

r sâns effortles lois propres aucascorrespondant. Quand

)) uu corps tombe, sa liberté se manifeste en chemi-

> nant selon sa nature vers le centre de la terre, avec)) une vitesse proportionnelle au temps, à moins que

r l'interposition d'un fluide ne modifie sa spontanéité {.)'}

Le tibre arbitre de I'homme ne sera pas autre chose.

9o Laissons-nous cependant introduire par M. Comte

dans cette science sociologique qu'il a créée, et dont il va

nous révéler la loi fondamentale, découverte par lui,

comme il veut bien nous I'apprendre' en 4822. c Cette

l. Catëchism'e posititsi,sle, p. '104'106.

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LN POSITIVISME. 209

r loi conSiste en ce que chacune de nos conceptions

r principaleso chaque branche de nos connaissances)) passe successivement par trois états théoriques diffé-)) rents : l'état théologique ou fictif, l'état métaphysique> ou abstrai[, l'ébat scientifique ou positif. De là trois)) sortes de systèmes généraux de philosophie, ou de

) conceplions sur I'ensemble des phénomènes, qui

> s'excluent mutuellement : la première est Ie point derr départ nécessaire de I'intelligence humaine; la troi-> sième, son état fixe et défini[if ; la seconde est uni-)) quement destinée à servir de transition.

> I)ans l'étab théologique, I'esprit humain, dirigeant( essentiellement ses recherches vers la nature intimeu des ê[res, vers les causes premières e[ Iinales de tous

r les effets qui le frappent, en un mot vers les connais-

) sances absolues, se représente les'phénomènes comme

> produits par I'action direc[e et continue d'agents sur-r naturels plus ou moins nombreux dont I'intervention> arbitraire explique toutes les anomalies apparentes

r de I'univers.

Dans l'état métaphysique, a qui n'es[ au fond qu'unen simple motlification générale du premier, lês agents

D surnaturels sonl remplacés par des forces abstraites,

> véritables entités (abstracbions personnifiées) inhé-)) rentes aux divers êlres du monde, et conçues comme

r capables d'engendrer par elles-mêmes tous les phé-

u nomènes observés{.,,

l. Cours de philosophie posùtioe, 2' édit. t. I, p. &9.12.

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9IO 0EAPITRE Ix.

)) Enfin, dans l'état positif, I'homme reconnaissant sa

> yrai position au sein de I'ordre dont il fait partie,)) comprend que I'ensemble des phénomènes est déter-> miné par les propriétés des choses d'où résultent des>' immuablesr. >

Dans eette série à trois termes, le premier, commepoint de départ nécessaire, le troisième comme état dé-

finitifde I'humanité dans

I'avenir, sont de beaucoup lesplus iinportants, et le second noa de valeur que commepassage do I'un à I'au[re. Àrrêtons nous done d'abord à

l'état théologique.&I. Comte y marque [rois degrés qui se succèdent par-

tout dans un ordre invariable. Premièremenl < I'huma-u nité a dr) commencer par un état complet de pur

> fétichisme, constamment caractérisé par le libre essor> de notre tendance primi[ive à concevoir tous les)) corps extérieurs commê animés d'une vie analogue à> la nrltre 2, )> à les diviniser et à les adorer. De ce pre-mier état, I'esprit humain arrive, à travers des transitionsdont la principale est le culfe des astres, aupoly[héisme

qui commence à resserrer le domaine fictif du surnatu-rel dans des limites plus étroites, en retirant le caracbèredivin aux objets individuels dont I'univers se compose?pour en faire I'apanage exclusif d'un nombre plus res-treint d'ê[res privilégiés, chargés chacun d'un départe-

l. Littré, conseraation, rdaolution et posttdoôsme, p. lg.2. Cours ite pkilosophie posititser Sl" leçon.

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[E POSITIVISME.

meltt étendu{ dans Ie gouvernemontde la nature. Enfin,

la dernière phase de l'état théologique est marquée parl'établissement du monothéisme qui, introduisant dansla conception du monde la notion de I'uni[é et de I'ordreuniversel, eb favorisanb singulièremen[ par là le dévelop-pement de la science, prépare de loin I'avénement durégime positif. Chacun de ces systèmes correspond à uncerlain é[at général des idées, des mæurs et des institu-tions; ôhacun d'eux, par conséquent, est légitime etbienfaisant à son heure I chaaun enfin, marquant unprogrès sur celui qui le précède, devient à son tour ré-trograde e[ funeste lorsqu'il s'oppose à l'épanouissemen[de celui qui doit le remplacer. C'est ainsi que le mono-théisme, sous sa forme la plus complète qui est le catho-

licisme, a été, pendant toute la période du moyen âge,un principe très-puissant de civilisation, et a produitdans l'ordre intellectuel, dans I'ordre moral, dans I'ortlrepolifique et social la profonde révolu[ion elui sépare lemonde moderne du monde auciens. Après quoi, d.eve-nant un obstacle au progrès ultérieur, il fallut qu'il suc-combât.

llais de l'état théologique, dont le catholicisme étaitI'expression suprême, à l'état positif, qui en est l,anti-tltèse absolue, Ie passage ne pouvait être immédiat. cetteimpossibili[é fut la raison d'être de l'état métaphysique,

{. Littré, conseroatiott, etc., p. tg.2' Littr6, conseraation, etc., et cours ile phitosophie Ttositiae,54" lecon, passim,

2ll

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212 CtrAPITRE IX.

dont le rôle essentiellement uitique, négatif et révolu-

tionnaire consiste uniquement à hâler la décompositionde I'ancien ordre de choses, à balayer les fÏctions surna-

- turelles et à préparer ainsi I'ère de ta philosophie posi-

tive. Celle-ci, trouvant le terrain libre, s'y établira paci-

fiquement; et, recueillantlebénéfice d'une lutte que les

mélaphysiciens auront, sans le savoir, engagée à son

profit, ellepourradésormais' sans péril, rendre à unpassé

disparu pour toujours une justice que I'esprit de la

phase révolutionnaire avait rtù lui ref'user. c'est à elle

qu'il es[ réservé de prendre définitivemen[ congé de

Dieu, sans oubl'ier iantaî,s ses seraices ytrouïsoiresl'

E[ maintenant, qu'est-ce que l'é[at positif donI toutes

lesthéologies ettoutes les métaphysiques ont été, comme

on vient de le voir, les préparations insconscientes? 0e

qui le caractérise essentiellement, c'es[ I'élimination de

cet absolu que I'esprit humain poursuivai[ si vainement

au début de la carrière scientifique. < Àujourd'hui, une

)) autre voie s'est faite, celle de I'expérience et de I'in-> duclion; elle ne peut oonduire aux notions absolues;et,

> quand on les demande àla raison, on lui demande plus> qu'elle n'a. L'esprit de I'homme n'est ni absolu, ni in-

> fini, et essayer d'obtenir rle lui des solutions qui aient

)) ce caractèrg c'es[ sortir des conditions immuables de

> Ia nalure humaine. Ce qui ne peut pas être connu ne

> doit pas être cherché. > En même temps que I'esprit

humain, éclairé par la science positive, renonceà l'ab-

l. Catëchisme Posùtinsi'ste.

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L[ POSITIVISME. 9,T3

solu, il renoltce à la recherche des causes, surtout descauses premières et finales, comme à une enquête quine peut point aboutir ; il supprime le problème de I'ori-gine e[ de la destination du monde . Il le supprime,d'abord parce que ce problème attire l'esprit humaindalrs la région inaccessible et fictive de I'absolu, alors -

que ( le travail de la science a eu pour résultat de dé-D mon[rer que nulle part il n'y a place pour I'interven-> tion des Dieux d'aucune théologie. > Il le supprimeencore parce que sa solution, quelle qu'elle fùt, reste-rait nécessairement à l'é[at de pure hypothèse, par I'im-possibilité évidente d'une vérification expérimentale.L'expérience étant la source unique de notre savoir, tout

ce qui échappe à son contrôle dans le présent et dansI'avenir esb en dehors de la science; tout ce qui n'estpas connaissance r'érifiée ou vérifiable est connaissanceimaginée', pure fiction e[ stérile anlusement de I'esprit.C'est à ce critérium suprême qu'il faut rapporter toutes

les théories; c'est devant lui que s'évanouit I'hypothèse

d'un ê[re surnaturel ; et c'est encore lui qui écarte I'opi-nion concernan[ la vie future. < La science n'ayant pu> constater un fait quelconque de vie après la mor[,r cette croyance, qui pouvait ôtre vraie, ne s'est pas

r trouvée telles. > L'esprif humain est donc éveillétu

|. Littré, conseruatiortr, etc., p. 39, et Cours il,e philosophia,positiue, l,"u leçon.

2. Littré. Prëface du Cou,rs ile phùlosophde posittue, p. xn-XIII.3. Littré, eonseroation, etc,, p. 123.

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214 CEAPITBE IX.

long rêve où l'entretenaien[ la théologie et la métaphy-

sique; il s'enferme résolùment dans le cercle du contin-gent et du relatif r; il s'attache uniquement à l'étude des

phénomènes, en vue ct de découvrir, par I'usage bien> combiné du raisonnement et de I'observation, leurs> lois effectives, c'est-à-dire leurs relations invariables> de succession et de similitude. L'explication des faits,

> réduite à ses termes réels, n'es[ plus désormais que> la liaison établie entre les divers phénomènes parti-> culiers et quelques faits généraux dont les progrès de

> la scienoe tendent de plus en plus à diminuer le nom-> bree. ,

Telle es[, dans son ensemble, la doctrine positive:

une négation fondée sur une classification des sciencesqui élimine a prî,ori loul le côté rnoral des connais-

sances humaines, et sur une philosophie rle I'histoirequi prend pour accordée I'abolilion prochaine et défi-

nitive de toute religion et de toute métaphysique. On me

dispensera de beaucoup insister sur la faiblesse de cette

thèse historique qui, véritablement, arrange un peu trop

les faits à sa façon. Elle ne tienl compte ni de I'imposantensemble de traditions qui'nous montrent au berceau de

I'humanité, au lieu des puériles folies du fé[ichisme,la haute et pure lumière du monothéisme, ni de ces vas.

tes systèmes panthéistes qui ont régné et règnent encore

sur des porLions considérables de notre globe. De ce que

T.ittré, conseroat'îott, etc., p. 39.

Cours il,e philosophie positbe, 1"u leçon.t..)

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LI P(JSITI\-IS}1E. 2IS

la uotiou tlu surna[urel, dégratlée par le fé[ichisme qui

la localise dans chaque objet matériel, divisée en frag.ments par Ie polythéisme qui parlage en plusieurs dé-parbements les fonctions de la providence, a é[é enfinreportée à sa véritable place, en Dieu qui seul est au-dessus de la nature, elle conclut, par le plus étrangecontre-sens? que le surnaturel a perdu'du terrain à cha-que progrès del'humanité, et que, chassé de posil,ion en

position, relégué dans le domaine de I'absolut, il est en

voie de disparai[re. Elle imagine entre la religion et lamétaphysique un antagonisme auquel I'histoire de tousles grands sièoles philosophiques donne un solennel dé-

menti. Bn [out, oubliant que, selon ses propres princi-pes, tou[ ce qui n'es[ pas vérifié n'es[ qu'une hypothèse,

elle prend ses désirs pour la mesure de la réalité; etf irnpuissance d'une pe[ile école à s'élever jusqu'à Dieu,lui est une preuve suffisanfe que I'humanité tout en-tière est déeidée à se passer de lui.

Je ne pousserai pas plus loin la critique de ces thn-taisies qu'on veul bien nous donner pour loi fondamen-

tale de la sociologie et pour démonstration historiquedes négations positivis[es. Mais je veux, avant d'indiquerles conséquences pratiques de ces négations, exa-miner un insfanl leur valeur en les rapprochanb de laréalité.

L'absolu, di[-orl, nous es[ inaccessibte. Soit; maissur cela j'ai deux remal'ques à faire : I'uue qu'on de-

{. Littré, Prëfaca du Cours ita phitosolthia gtositi.,,e, p. xrur

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2,T6 TIAPITAE IX.

vrait bien nous expliquer comment nous en avons

I'idée, puisqu'apparemment nous ne I'avons pas puisée

dans Ia sphère des phénomènes contingents et relatifsoù I'esprit humain est, dit-on, enfermé; I'autre, qu'on

devrait bien aussi, à ce compte, rayer de la liste des

sciences celle qui, selon &I. Comte, est la base de toutes

les autres, à savoir la science mathématique. Quelteque soit en effet I'origine psychologique des déflnitions

et des axiomes qui servent de principe à ce[te science,une chose esf certaine, c'est que les vérités qu'elle dé-

mon[re onl toutes un caractère absolu, nécessaire et

universel; qu'elles ne sont point des généralisations de

I'expérience obtenues par I'induction opérant sur des

observations ajoutées les unes aux autres; qu'elles pré-

tendent s'imposer a priori à la raison; bien plus, que,prises dans leur rigueur, elles ne sont poittt suscep-

tibles d'une vérification expérimentale; d'où il faudrait

conclure, selon les règles de la méthode posi[ivisle que,

n'appartenant pas - à la connaissance vériflée ou véri-

fiable, elles apparbiennent à la connaissance imaginée.

La doctrine positiviste, créêe par un géomè[re, aura

sans doute quelque répugnance à renoncer aux mathé-matiques. Mais'l'élimlnation de I'absolu lui commande

impérieusement ce sacrifice; et si elle ne s'y résigne

point en géométrie, elle a mauvaise grâce à nous I'im-poser en métaphysique.

Il faut, di[.on encotre? renoncer à la recherche tou-

jours infruc[ueuse des causes et ne demander aux faitsque leurs lois effectives. Ici, je crains qu'on n'érige en

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],[ POSITIYISITE.'I7

impuissance absolue de I'esprit hurnain une inlirmité et

' une lacune particulière aux sciences qui ont pour objetle rnonde extérieur.

Oui, il est bien vrai que les forces de la nature noussonl cachées, et il semble qu'à leur égard nors ne puis-sions guère dépasser des conjectures qui ne nous ap-prennent pas scientifiquement si ces causes sont une

ou plusieurs. Sans doute,. à mesure que nous aperce-vons des analogies plus é[roil,es et. des relations plusconstantes entre deux ordres de phénomènes, entre les'phénomènes électriques et les phénomènes magnétiquespar exemple, nous sommes conduits à penser, avecune probabilité croissauto, QUg ces phénomènes se rat-tachent à

une même force dont ils ne constitueirt quedeux applicaLions différentes; mais cette probabilitén'esl pas la certitude e[ ne perce pas, d'ailleurs, lemystère qui enveloppe I'essence .de la force supposéecommuue; d'où I'on peul, légitimemenl conclure que,dans cette sphère, la science a pour objet la détermi-ilation des lois beaucoup plus que la recherche tles

causes.IIIais j'applique I'observation à des phénomènes cl'urr

au[re ordre. Je vis e[ j'agis ; je me sens, je me regardelilre et agir. Dans cette conscience et tlans ce regard,j'atteins ulte cause, llon pas une cause au repos, maisune cause dals l'exercioe de son ac[ivi[é. Je me sais

irnmédiatement cause de mes actes; non-seulemênt'

cause, mais canse éclairée, se détermirrant cl'après desmotifs et se dirigeanf vers un bu[ préconçu; non_seu_

I[. ,t3

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9,I8 CÊÀPIîRE TÎ.

lemen[ cause éclairée, mais cause libre, c'est-à-direcapable de choisir et ayant, pendant que dure son ac-tion, le pouvoir de la suspendre ou de la diriger en

sens contraire; non-seulement cause libre, mais cause

puissante, cnesf-à-dire capable de vaincre certains obs-

tacles in[érieurs ou extérieurs; non-seulement cause

puissante, mais cause simple, et non point résultante

de plusieurs forces distinctes, puisque cetle cause ditmoi et quoelle a conscience de son unité.

Je donne donco en chacun de mes actes libres, le

démenti le plus formel à Ia thèse de I'inaccessibilité des

causes. Ce n'est pas tout;je trouve dans ma raison unprincipe absolu, souverain, supérieur à I'expérience, le

principe de causalité qui, si je sais I'entendre, m'en-seignb que tou[e ehose contingente a une cause capable

de la produire, eb que par conséquent la série totale des

choses contingentes se rattache à une cause nécessaire,

sans quoi, n'ayanf point son principe ell elle-même, cette

série res[erai[ é[ernellement à l'état de possibilité non

réalisée. Contre I'impérieuseévidence de ce principe, au-

cune négation o priori de I'absolu ne saurait prévaloir;

aucune exhor[ation positiviste ne saurait empêcher laraison de le suivre jusqu'au bou[, d'affirmer {û0,puisque le monde esb contingent, il a une cause néces-

saire, et que, puisqu'il est ordonné, il a une cause or-donnatrice.

Yoici donc, en présence l'une de loautre, la thèse duposi[ivisme et, comme M, Comfe le di[ avec dédain, la

thèse de la mé[aphysique. qui esl la nôtre,

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LE POSITIYIS}IE. 2{9

Le positivisme dit : L'expérience des sens ne uousdonne que des fai[s, qui, tous, ont le carac[ère contin-gent et relatif. Donc, ii nous est absolument impossibletl'atteindre une cause quelconque; et la cause absolueet suprême, placée en dehors de la sphère contingente.est de toutes Ia plus impossible à concevoir, par con-séquent la plus chimérique.

La métaphysique dif : L'expérience de la conscienceatteint directemenf unè cause qui esl le tnoi, intelligentet libre; donc, il n'est pas vrai que toute proposition quiaffirme une cause soib en dehors de la science. La rai-son affirme d'une manière absolue le principe de cau-salité, et, au nom de ce principe, elle conalut immé-

diatemen[, de I'existence du monde contingen[ et ordonné,l'existence d'une cause nécessaire e[ intelligente quiest Dieu.

Qu'on choisisse.Mais qu'on sache encore ceci : en acceptant la thèse

négative du positivisme, on va tout droit à la suppres-'

sion de la science, non-seulement de la science quicherche les causes, rnais de la science qui s'arrête auxlois. Qu'est-oe en effet que le positivisme,? C'est, on levoit bien' maintenant, le sensualisme pur? éliminantDieu et l'âme, parce qu'ils ne sonfi pas donnés par laperception exlérieure e[ ne sont point suscepfibles d'unevérifica[ion qui parle aux sens. 0r, le sensualisme n'est

pas seulemenl enfermé dans Ie sensible, il est enferméaussi dans le particulier. trl sait que tel corps, à unmoment donné, possède telle propriété, par exemple

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.r90 f[ÀPITrr]r IX.

la pesau[eur; îl ue sait pas si cette propriélé esl, perma-

nente; iI ne sai[ pas, avant d'ett avoir f'ait I'épreuve, si

un autre corps la possède égalemenL. Il peul coustater

que tel phénomène se produit d'une cerlaine manière

qui s'exprine par ûne formule malhématique; il peut

répéber cen[ fois la même observation sur d'autres phé-

nomènes semblables eL retrouver toujours la même for-

mule; mais cetfe accumulation d'expériences ue luidonnera rien de plus c1u'elle-même; je veux dile rien

de plus que la loi des phénomènes observés. Four les

dépasser, pour é[endre cet[e loi à tous les phénomènes

de même ordre, poul lui attribuer le double caraclère

de la constance dans la durée et de la généralité dans

I'étendue terresl,re, o.u planétaire, ou s[ellaire, il fautquelque chose que I'expérience ne donne Pâs, une

idée qui, avant d'être confirmée par elle, l'éclaire et la

dirige, une idée absolue dans sott essence e[ rationnelle

dans son origiue, I'idée de I'ordre. Supprimez cette idée

qui esl l'àme et le fonilemen[ de l'induc[ion, [ou[ le tra-vail de I'esprit humain aboutit à dresser des catalogues

de faits individuels, et la science qui a pour objet le

général est impossible à constituer.

Si donc on venf suivre fldèlemenl la méfhode clu po-

sitivisme, il ne suffit pas d'éliminer ce qu'il élimine, ilfau[ encore renoncbr à ce qu'il conserve arbitrairement,

iI faub borner la pensée à la pure sensation et effacer

résolùment, dans l'ordre même des connaissances sen-sibles, le trait qui dîstingue llintelligence humaine de

I'intelligertce anitnale.

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LE PO SITIVIS]TB. 2ùI

Il va sans clire qu'il faut également effacer la morale.

À supposer même que les principes du posifivisme luiouvrissent I'accès des lois physiques, ils lui in[erdisent

certainement I'accès de la loi du devoir. Outre qu'il est

visiblement incapable de rendre compte du caractère

impératif avec lequel cette loi s'impose à la conscience,

il ne saurait aucunement la faire rentrer dans la défini-

tion qui, selon M. Comte, marque la limite denos re-

cherches légitimes. Le devoir n'es[ point < une relation> invariable de succession et de similitude entre lesr phénomènes; > il n'es[ pas l'expression de ce qui est,

mais I'expression de ce qui tloit être; eb comme la réa-li[é nous le montre aussi souvent violé qu'otrserré, iln'est susceptible d'aucune vérilication expérimentale.

De même donc que la vraie liberté est celle de la pierrequi chemine, selon sa nature, vers le centre de la terre,

de même la vraie loi morale n'est qu'un cas par[iculierde la loi physique qui règle inrariablement et fatale-rnenf la succession des phénomènes.

Je sais bien que c'es[ néanmoins la prétention des

positivistes de conser\er la loi morale, bien plus, de luidonner une perfection e[ une efficacité supérieures à tou[ce qui s'est vu sous le régime théologique. Rien, à les

en croire, ne saurai[ donner une juste idée de l'énergieet de la ténacité qu'auront, à tous égards, les règles

morales 1, lorsque, prenant l'humanité pour iiléal etpour

objet de notre culte, nous serons constnmment

l. Cows de philosophie gtosîlirte 1'e, édit,. t, YI, p. 85{-55.

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:222 TBAPTTRE IX.

dirigés par la pensée de I'influence que nos actes pri-

vés ou publics peuvent exercer sur ses destinées à venir.Mais s'il est facile de cétébrer, par anticipation, lesvertus idéales d'une soeiété qui n'existe pas encore, ilI'es[ beaucoup moins d'accorder les prescriptions lesplus modestes de la morale avec une philoiophie quis'enlève à elle-même tout n-Ioyen d'arriver à la nofion

du devoir. L'absolu est I'essence dè la morale, et lesphénomènes contingents de la vie humaine n'acquièrentunevaleur aux yeux de la conscience que par leur con-formité avec une règle immuable. La négation de I'ab-solu esf I'essence du positivisme. C'es[ pourquoi leposi[ivisme est condamné à suppriruer le devoir commeil a supprimé Dieu e[ l'âme. la raison et la liberté,

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CEAPITRE X

QUESTIONS SUn tA PROYTDENCE

La Provirlence. - Qu'elle est déjà rlémontrée. - Est-ll posslble doconnail,re quelque chose du plan de son couvre et des lois ds songouvernement ?

1. Que la conservation du monde est la création continuéo. Démons-tration et explication de cette formule.

11. Que le moncle u'est pas inflni dans lo temps et dans I'espaco.Preuve mathématique.

111. Que Dieugouverue le monde par d,es lois. - eue.sa providenceest particulièro en même temps que gétérale. - possibilité du mi-

racle.IY. Que les êtres intolligents et libres sont au sommet ilo la créaflon.

- Que Dieu les a faits pour lui, et la uature matérielle pour 9llI. -Qu'il est ainsi la ûn tol,ale du monrle.

Je n'ai nullement I'intention de démontrer qu'il y aune Providence, c'e$t-à-dire, que Dieu gouverne le

monde avec puissance et avec sagesse, avec justice e[avec bonté. Four nous, la preuve de cet[e grande véritén'est pas à faire; elle est faite. Lorsque, promenant nosr€gards sur le monde, nous avons vu éclater dans sonensemble et dans ses détails un ordre dont assurémentle principe n'est pas dans le monde lui-même, lorsquenous avons suivi I'action

des loisgénérales

qui ramè-nent la multitude infinie des êtres à une unité systéma-'tigue don[ ces êtres n'ont pas conscieuce, lorsque l'é-

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ù24 IHAPITBE X.

tude des règnes organiques uous a montré en chaque

individu vivant un pelit monde où toutes les facultéset tous les organes conspirent à une fin unique, où cha-que appareil es[ approprié à sa fonction et où chaque

besoin trouve de quoi se satisfaire, lorsque nous avons

admiré avec quelle perfection et quelle exactitude des

êtres dépourvus de raison accomplissent spon[anément,

sous la mystérieuse influence de I'instinct, des actesqui supposent tantôt I'infaillible prévision de I'avenir,tantôt la plus haufe science géométrique, tantôt laconnaissance la plus profonde des lois de la physiolo-gie, nous avons établi du même coup que Dieu existe

et que ce Dieu est Providence, c'est-à-dire, qu'il est leprincipe intelligent de I'ordre intelligible dont I'univers

matériel offre I'inépuisable speo[acle. Lorsque, passant

du monde de la nature aumonde de I'esprit, nous avons

entendu dans la conscience la révélation d'une loi clue

la conscierlce"noa pas faite et qu'elle proclame obliga-toire, d'une loi qui, librement observée, conduit chaque

âme humaine au bien et au bonheur, doune loi qui,

rattachant tous les hommes entre eux par ce double liende la justice et de I'amour, maintient dans le monde '

moral I'harmonie et I'unité, d'une loi enfÏn qui, violéepar le mauvais usage tle la liberté, [riomphe cependant

tôt ou tard par I'expiation ou le châtiment, nous avons

encore retrouvé la Providence, mais sous une forme

plus haute que dans le monde inférieur de la matièreet de ta fatalité? sous la forme du bien moral, c'est-à-

dire.-sous la forme de,la Sainte[é qui.est la source du

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QTIESTIONS SUR LA PROVIDENCE. 22,ï

devoir e[ le rnodèle proposé à la rerlu, sotts la forme de

la Bonté qui, gratuitemenb, appelle les âmes à une fiusublime, sous la forme de la lTliséricorde qui pardonne

au repentir, sous la forme de la Justice qui dis[ribue

suivant un ordre éternel les peines e[ les récompenses.

Enfin, lorsque, abordan[ le problème de I'origine des

choses, nous ayons reconnlt la contingence de tout ce

qui n'es[ pas Dieu, lorsclue nous avons établi que lemonde n'a pll passer.de la possihiliÉ à Ia réalité que

par un acte libre de la volonté divine, lorsque, sachant

que Dieu se sutflt pleinement à lui-même, ttous avons

affirmé son désintéressemenb absolu dans la produc[iott

des êtres, c'esI toujout's la Providence qui s'est montrée

et démontrée à notre raison dans la souveraineté de ceû

acte créateur que la tsonlé inspire e[ que la Puissance

exécute sur un plan conçu par la Sagesse.

La Providence es[ donc pour nous ..désormais une

r,érité cer[aine e[ non pas un problème à résoudre où

une thèse à démontrer. Mais cetle vérité, nous pouvons

essayer de I'approfondir, afin d'en acquérir non point

une convic[ion plus entière, mais une intelligence plusexacte eb moins incomplè[e. Dieu a créé le monde sui-vant un plan excellent. Quel est ce plan? nous esl-ilinterdit d'en connaître ou d'en soupçonner quelque

chose? - Il le gouverne avec ulle sagesse infinie. Est-il

impossible à notre raison de deviner quelques-uns des

principes et des procédés de ce[te adrninistration souve:-raine ? Je ne saurais me le persuader, alors .sur[out queje e,onsidère le but que les soiences de la na[ure pour-

{3.

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226 CEAPITRE X.

suivent avec tant d'ardeur e[ de succès. Quand I'astro-nornie calcule les distances des corps céles[es et retrouvedans leurs actions réciproques l'application d'une for-mule qui les ramène à I'unité d'un même système;quand la physique, loin de se laisser décourager parI'infinie diversité des phénomènes, y pressent et y dé-couvten[ les règles constantes qui les expliquent; quand

la bo[anique eL la zoologie reconnaissen[ dans les végé-taux et les animaux autant de machines vivantes oùtous les rouages concourent à la production d'un effettolal e[ où chaque organe cst adapté à sa fonction parûi-

"culière;quand elles substituent aux classifications ar[i-

ficielles des classifications plus vraies qui réfléchissent,pour

ainsi dire, dans la soienoe I'ordle même fu la na.ture, que font toutes ces sciences, sinon se partager errprovinces ce que Dieu nous laisse voir de la création,et reconstituer, ehacune en son domaine, quelques sl,ro-phes du poëme universel, quelques articles de la légis-lation divine? Ce qu'elles font, la philosophie ne peut-elle, en joignant à leurs lumières les principes qui tuisont propres, le tenfer à son four dlun point de vue plusgénéral et plus élevé? Àssurément, cette généralité mêmerend I'entreprise beaucoup plus difficile, et nous ne de-

rons point oublier que ce que nous découvrons de l'æu-rre divine est toujours bien peu de chose à côté de ce

que nous en ignorons. Mais plus il y a.' oomme nous le

savons d'avarlce, d'harmonie et d'unité dans l'æuvretofale, plus il est permis d'espérer que la connaissancede ses par0ies accessibles sera féconde et instructive, Il

i

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QITESTIONS SUR IJA PR0VIDENCE. 227

n'y a donc nul inconvénient à saï,ure l,a roison jasqu'où,

el,le nous mène, quancl on est d,ëcidë à s'an"êter où, ellenows qwitte.Là où elle verra clair, nous lui devrons uneforce nouvelle pour défendre le dogme de la Providence,désormais mieux conuu, contre les objections qui pré-tendent le détruire et contre les hypothèses qui se flaftentde le remplacer. [à où elle se troublera et ne saura plus

répondre aux questions dont nolre curiosité n'est jamaisà couri, nous lui devrons encore une détermination plusexacte des limites de notre in[elligence.

Laissons-nous guider par ce[ esprit à la fois résolu e[prudent, et efforçons-nous d'éclaircir la notion de taProvidence et de son action dans le monde, en méùtantles questions générales qui

se mppor[ent à ce magni-fique sujet; leur discussion successive donnera à ce cha-pitre son ordre e[ sa division na[urelle.

I

Le premier ao[e de la Providence, celui qui établi[ unrapporl effectif entre Dieu et le monde, c'est la création.La conservation esl le second. Qu'est-ce donc que I'acteconservateur du monde? Je réponds sans hésiter, avee

l'école carfésienne, avec la philosophie chrétienne pres-

que tout entière, que c'es[ I'acle créa[eur continué, et'je pense que, pour acoepter cette définition, il suffit de se

tenir en garde contre ces tror-npeuses anglogies de Dieu

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228 CHAPITRE X.

à I'homme qui conduisirenf I'antiqui[é à résoudre la

queslion de I'origine ilu monde par la grande emeurdualiste.

Pour I'homme, qu'est-ce que protluire? C'est opérer

sur une matière préexistante, soit en rapproclianl ou en

séparant ses parties, soil en disposant les circonsLances

dans lesquelles l'eflet voulu doit naturellement se pro--

d.uire. Et qu'est-ce que conserver? Ç'est, d'une part,placer I'objet dans les conditions favorables à son entre-

tien où à sa réparation, et coest, d'autre parl, éloigner les

forces dont I'action tend à I'altérer ou à le détruire.

Nptre pouvoir conservateur ne va pas au-delà, parce que

les choseso dans leur fond et dans leurs derniers élé-

ments, ne sontpas plus dépendantes de nous quant à

leur persistance dans l'ê[re que quant à leur production

initiale. Il en est tout autremenb de Dieu. Pour lui, pro'

duireo c'est créer, e[ cela par deux raisons : d'abord

parce qu'il est tout-puissant et n'a besoin, pour appeler

les êtres à I'existence, d'autqe chose que de sâ volonté

infailliblement suivie de son eflet; puis, parce que

tout être qui n'est pas Dieu est contingent dans son

fond le plus intime e[ ne peut, par conséquent, pas$er

de la possibilité à la réalité que"par un acte souverain

qui le produise tout entier dans sa matière comme dans

sa forme.Supposez maintenant que I'acte méateur ne soit point

continué, que de l'être con[ingent à sa canse nécessairetoute communication soit brusquement coupée, que

Dieu se"retire de son tBuvre et la laisse à elle-même,

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QTIESTIONS SUB LA PROITDENCE. 9?9,

que va-t-elle devenir? Je dis qu'elle va tou[ aussitôt

s'anéantir, non parce qu'elle fi"est pas défentlue contreI'influence hostile de quelque force extérieure à elle,

mais en.vertu de sa propre nature, parce que., n'ayantpoin[ en soi le principe de son existence, et cessant,

par hypothèse, de la recevoir d'ailleurs, elle ne sauraitla conserver un instant. Représentez-vous un objet

reposanl sur une main qui le l,ient suspendu au-dessusd'un abime. Que la main qui le soutient vienne à se

relirer tout d'un coup, il faudra bien qu'il tombe. Ou

eneore, regardez un ruisseau alimenté par une source;-

que la source vienne à se tarir ou à envoyer ses eaux

dans une autre direction, le lit res[e à sec. Ces deux

images me paraissenl représenter assez exactement la

situation des ê[res aontingents, portés par la main di-vine au'-dessus du non-être, n'a"vant d'existence qu'au-tanl qu'ils la reçoiven[ d'une source supérieure, ne pou-

vant par censéquent Ia garder par eux-mêmes comme

uue propriété qui leur serait essentielle. L'être conbingenI

est'donc tr'ès-inexactemen[ défini dans un livre de phi-

losophie I l'êl,re qui ne peut ltar I'ui,'mâme ni com,nt'encer

ni, cesser cI'êtrg. On prend ici très'mal à propos la cessa-

tion de I'existence comme un acte positif, comme le

résultat d'un effort qui impliquerait I'actiott d'une puis-sance d'ordre tout à fait supérieur, tandis qu'en réalité

elle n'est qu'une pure négation, la limite où l'ê[re contin-

gent s'arrê[e de lui-même à chaque instant si I'existence

l. Truit{ tles Faotùtés ttre l'ri.ma,par Atl. Garnier. t. II. p. 22'5.

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g3O CEAPITRE X"

cesse de lui être communiquée, le résultat infaillible de

I'interruption de I'acle divin qui le maintient dans laréalité. Il faut corriger Ia définition, et dire : I'êne con-tingent est celwi qu,i, ne pewt par l,wi-m,êm,e ni, aommencer

tt,i cotttinu,er d,' être.

Nous disons donc que la conservation oon[inue lacréation. Nous ne disons pas qu'elle la renouvelle, et

llous ne devons pas crqire qu'elle se résolve en unesérie d'ac[es distincts qui, à chaque instant, cessent

et recommencent, en sorte qu'à chaque instant l'ê[recontingent soit anéanti, puis créé à nouveau. tlne tellehypo[hèse, ou plutô[ une telle irnagination, serai[ mor-telle à I'identité des êtres, car 0e qui est anéanti I'estpour toujours, et la puissance créafrice de Dieu ne vapas à le faire revivre, mais à produire un nouvel êtr'e

substantiellement différent du premier. Surtout, elle

serait mortelle à la liberté humaine, puisqu'à chaque

instan[ I'homme serait uéé de toutes pièces dgr.ns un é[at

déterminé, dans certaines dispositions morales dont ilne serait pas I'auteur e[ ne pourrait être responsable.

L'ac[ion conseryatrice prolonge, aveg une continuitiénon interrompue, Ia parole créatrice qui appelle cha-que être contingent à I'existence, elle maintient le rroiraisonnable dans son identité et dans le libre exercice

de son activilé personrlelle. Il ne faut point se la repré-

sen[el comme les mouvements alternatifs d'un bras

qui, s'abaissant e[ se relerant, laisse toniber, puis ra-masse tour à tour I'objet que .la main por[ait, maiscomme la tension permanente d'un bras qui soutient

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QUESTI0NS suR tÀ PROVIDENCE" 231,

I'objet par un acte unique qu'enlretien[ la continuité de

la volonté.Tel est donc le rappor[ de dépendance qui uniL le

monde contingent à l'Être"nécessaire. Ce n'est pas seu-

lement la dépendance initiale de tout efÏet par rapport

à sa cause quelcottque; ce n'est pas seulement, une dé-

pendance négative et, pour ainsi dire, éventuelle résul-

tant du pouvoir qu'aurai[ Dieu d'anéantir son æuvrepar un acte spécial de destruction ; c'est la dépendance

. totale, continue et posi[ive d'un être qui cesserait d'exis-

ter s'il cessai.l de recevoir I'existentle par la prolonga-

tion de I'acle qui la lui a primitivement donnée. En un

mot, le monde dure parce que Dieu le fait cIu,rer,' Qtre

Dieu s'abstienne, le monde périra. C'est pourquoi je ue

saulais nullemenl accepter I'argumen[ célèbre qui croitprouver l'immor[alité de l'âme par sa simplicité. a Lar rlor[, r' dit-on, < n'est qu'une dissolutiol de par[ies ;

r l'âme n'étant poin[ composée de parties, esL indisso-> Iuble;donc elleesl immortelle. > Cet argumentétablità merveille une vérité d'ailleurs évidente"par elle-même,

à savoir que si l'âme doit périr, elle ne périra paspar uue décomposition à laquelle répugne sa ttature.

Il ne prouve pas, il ne peut pas prouver que l'âme

soi[ impérissable par essence. Aussi bien elle ne

l'est pas ; et les raisons cle croire à son irnmortalité doi-ven[ être cherchées non dans sa nature métaph,vsique,

incessamment défaillante, ooudamnée, comrÀe toutechose contingente, à rentrer dans Ie non-être si elle

n'est soutenue pa.r la toute-puissance qui I'en a tirée,

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I

ù}2 CIIAPITRE T.

mais dans l'élude de sa nature morale, de ses élans vers

I'infini e[ l'éternel, de tous les signes enfin qui nous ré-vèlent la destinée divine à laquelle son auteur I'a libre-ment appelée.

tI

Le monde esl-il infini daus sa durée déjà écoutée et

dans son étendue ac[uelle t?- Je commence par re-

connaïtre qu'ainsi enteudue,l'idée de I'infinité du monde

n'es[ point, nécessairemen[ du moins, une idée pan-théistique ; ellene transporte pas à I'univers les attributsincommunicables de la nature divine; I'in{inité numé-rique (évaluable, si l'on veut, en années et en kilomè-tres) qu'elle prête au monde, n'es[ pas I'infinilé vérita-ble. Le véritable infini, c'es[ l'Ûtre plein et, parfait; laperfection et la plénitude ne sauraient se rencon[rerdans une collection, même numériquement infinie,d'êtres imparfaits et contingents. Le véritahle infini es[

sirnple et indivisible, indivisible daus sa substance quin'est poin[ localement étendue, indivisible dans sa viequi est la permanence absolue, supérieure aux condi-

1. Cette question, souvent agitée parmi les métaphysiciens,sernble tenir aujourd'hui ùne grande place dans les préoccu-pations de la science rationaliste, qui, visiblernent, incline à

lui donnel une solution affirmative. C'est en ce sens qu'elle a

été traitée fort au long par M. Saisset, dans son .Essa.a' il,e phi-losophie reltgieuse {5" rnéditation et 3e éclaircisseinent).

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QUESTIONS SUN I,A PROVIDENCB. ,33

tiors de la durée ; le monde, même à le supposer, salls

limites, est multiple et divisible, tant dans ses partiesétendues etextérieures les unes aux autres quedans les

instants distinc[s et successifs dq sa vie. Àussi voyons-

nous que saint Thomas, for[ intraitable sur I'ar[icle du

pauthéisme qu'il a énergiquemeut comhaltu en læper-

sonne de ses représentants arabesi considère la ques[iott

de I'infhie durée du monde dans le passé comme uilede celles cJue la philosophie ne peut résoudre. À la

véribé, il réfute victorieusement les arguments qui pré-

tendent établir cette durée infïnie; mais il n'accorde

aucune valeur démonstrabive à ceux qui la contba[tent.

Seule, l'autorité de la révélation le tire d'incertitude e[

lui permet d'affirmer que le monde a commencé.

Nous pensons, pbur notrepart, qu'ici saint Thomas a

[racé d'une main moins sùre que de coutume les limitestlu pouvoir de la raison, et nous nous rallgeolts à I'avis

tle son illustre ami saint Bonaventure, qui estime qu'en

cette malière elle a droit de prendre parli.Nous disons d'abord qne la bhèse d'un moude hfini,

même à supposer qu'il soit impossible de la démontrerfausse, reste une hypolhèse tout à fait vaine et ue sau-rait jamais prendre rang dans la science? parce qu'il es[

impossible à la raison de savoir si elle es[ vraie. Du

momen[ où l'on n'est pas panthéiste, c'est-à-dire du

momenb où I'on admet que Dieu était libre de créer ou

de ne pas créer le monde, il faut admeltre aussi qu'ila

ébé libre de lui mesurer l'ê[re comme il l'a roulu. Pour

oser lui tertir ee discortrs : Il est 't't"ei., r'orls plltuez. ne

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234 CEAPITRE X"

rùen ytrodwi,ra, ntuis si uous crëez, uous deuez orëerun,

wniaers i,nfi,ni, il fau[ appuyer sur de bien bonnes rai-sons la loi qu'on lui impose. Or, on l'appuie sur des

raisons très-faibles. Si I'on dit que I'infini numériquo

peut seul représen[er d'une manière sulfisante I'indivi-slble infinité de I'essence divine, je réponds que Dieu se

reftète beaucoup plus fidèlemenb dans une seule âme

intettigente et libre, qui le connaît e[ l'aime, que dans

une série infinie d'années écoulées ou d'ê[res étendus

actuellement existants. Si I'on exige une création sans

bornes comme témoignage obligé {e la puissance di-I'ine, je réponds que Ia toute-puissance éclate dans la

création d'un seul atome, et que la production intégrale

d'une subsbance est la marque e[ Ie privilège d'une

force sans limite. Si I'on objecte que, dans la doctrinede la création bornée, il n'y aurait pas de rat'son suffr-

sante pour que'le monde eùt commenoé dans I'infinité

du temps à telle date plutôt qu'à telle autre, et pour

c1u'il fùt placé plulôt ici que là dans l'infinité de I'es-

pace, je réponds qu'on tombe dans une méprise contre

laquelle [oub métaphysicien devrait être en garde, etqu'on prête à ces deux Ttossibùl'itë.s, qui sont le temps et

I'espace,'une réalité qu'elles n'ont point en dehors des

choses successives et étendues. Avant les êtres qui

durent, il n'y a point de temps; car le temps, qui est le

rapport des choses successives, ne commence qu'avec

elles. Àu ttelà desêtres étenrlus actuellement existants,

il n'y a pas une étendue réelle qui s'appelle I'espaoe;

cpr l'étendue, propriété et rapport des êtres ma[ériels,

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I

I

I

t

QUESTIONS SU& IJÀ PAOVIDENCE. 935

n'existe qu'en eux et pour eux. Donc, demander pour-

quoi le monde n'a pas commencé plus tôt, c'es[ deman-der pourquoi le temps n'a pas commencé avant le temps ;

e[ demander pourquoi iI n'est pas placé dans un autrelieu que celui qu'il occupe, c'est demander pourquoi iln'y a pas de lieu en dehors du lieu I c'est, comme on levoit, faire, dans I'un et dans I'autre cas, une question

impertinenle eI vide de sens. Enfin, si I'on nous sommede dire pourquoi il y aurait des limites à la création, on

demande compte à Dieu des proportions qu'il lui a plude donner à son ouyrage. Manifes[ement Dieu n'est pas

obligé de répondre, et c'est bien vainement qu'on cher-che ce qu'on ne peu[ savoir ni par I'expér'ience que ces

questions dépassent, ni par la raison à qui Dieu n'a pas

révélé les dimensions de l'univers.ll est donc irnpossible de démontrer que le monde est

sans limites. Est-il possible de démontrer qu'il est limité ?

En d'autres termes l'hypothèse de son in{inité peut-elleêtre reconnue contradictoire ? Je n'en tloute point pour

ma parL, e[I'on jugera.

Supposons d'abord que le monde, comme on le pré-tend, n'a point commencé. Divisons en années la durée

sans bornes qu'il a déjà traversée, et nommons o lasérie infinie de ces années écoulées. Fuis comparons-la,d'une part, avec la série qui sera écoulée dans un ôtr,

dans un lustre, dans un siècle, dans dix siècles, d'autrepar[ avec celle qui ébait écoulée il y a un an, il y a unlustre, il y a un siècle, il y a dix siècles. Comme il u'yê pas de dégrés dans I'infini. comme I'infini es[ néces-

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QTTESTIOI{S SUR- La lnuvmnxcr.

Concluonsque le tnonde a des lirnites daus sa durée

passée eb dans sott étendue actuelle. Quelles sonb ces

limites? Nous n'ett savous rien et n'ett pouvons rien

savoir. Assurément, les progrès de ta géologie e[ de I'as-

fronomie les on[ reculées dans des propor[ious formi-

dables; le monde, nous tt'en pouvons douter aujour-

rl'hui, esf ilcomparablement plus vaste et plus ancieu

c1u'on ne pourait i'imaginel quand otr s'en tenaii; au

témoignage des sens e[des dates hisloriques. II se pettI

que de rouïeaux progrès llor.ls permettett[ de remouler

beauconp plus haut et de regarder beaucoup plus loin

ellcore: et I'autori[é du récit mosaÏque, si l'on etttend

par les six jours de Ia création auiant tl'époques d'une

durée indéterminée (ce qui est uue inlerplétalion par-faitemenb orthodoxe), ne gêne en rien à cet égard Ia

liberté cle uos conjeclures. L',imagittation se perd dans

ces irnmensités qui sonl pour elle, je le reconnais de

grand cæur, comme une représentation sensible de l'itt-

finité dlrile. &Iais ta raison sait que des milliarcls de

siècles et des miltiardscle lieues sou[ aussi éloignés de

I'infini rér.itable qu'un instant et qu'un poirlt; et, dans

cebte ex[ensioti croissante qui écrase et aunule uotre

pelitesse relatire, elle ne v0it ni une induc[ion favo-

rahle à l'ilaclmissible hypothèse cl'utl uttil'ers infini,

ni un [erme de comparaison qui abaisse la gran-

deur morale de I'ltomme, à jamais supérieur, par la

pensée et par. la ver.tn, à l'aveugle et fatale immensil,é

des mondes.

:l3i

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e38 CHÀPiTRÉ X.

III

Cornrnen[ Dieu gouverne-t-il le monde?trncontestablement par des lois générales. A priori Ia

raison af{irme qu'il en est ainsi ; a,posteraora,

l'expé-rience le cons[ate el,le confirme.La raison nous assure que? si Dieu fait une æuvre,

il la fait digne de lui; Il ne la rend pas sans doute égale

à lui-même, parce qu'il es[ impossible eb contradictoireque l'être conliugent égale I'être nécessaire; mais, de

même qu'il y manifes[e son pouvoir en la produisant

intégralement e[ sans ]e secours d'une matière préexis-tante, il y manifeste aussi sa sagesse en y metbant de

I'ordre. Cela veut dire que les êtres créés ayant une finà atteindre, il y aura harmonie entre Ia destination de

chacun d'eux et sa nature. Cela veut dire que le monde

étant composé d'êtres,mulliples, divers et inégaux, il y

aura hiérarchie dans I'inégalité, unité dans la mul[ipli-cité, simplioi[é de rnoyens dans la variéLé des effets,

Cela veut dire, d'un seul moL, qu'il y aura des lois; et

c'est ce qu'affirme implicitemenl notre foi primitive à

I'ordre de la nature; foi qui ne suit pas la science expé- ,

rimentale, rnais la devance, l'éclaire et la rend pos-

sible.Nous savons donc, par une convic[ion toute sponta-

née qui s'appuie instinclivement sur la notion du Dieu-Frovidence, que la nature esf soumise à des lois; et

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QIIESTIONS SUR TA PROVIDENCE.

I'expérience a pour objet, non point de reconuat[re s'ily en a? mais d'en déterrniner la formule. C'es[ à elle,par conséquenf, de rechercher suivant quelles propor-tions I'ordre divin de la nature combine la variété avec

I'unilé dans chaque règne e[ dans chaque ordre de phé-tromènes. Far exemple, les ressemblanôes que nous

observons enbre les divers groupes d'êtres vivants et

sen[ants s'arrêtent-elles aux grandes analogies qui ré-sullent des analogies mêmes de lgurs destinations ? ou

bien la simplioité léconde des voies divines se mani-feste*t-elle dans le règne ùout en[ier par une unité plusprofonde de plan et de composition organique? Parexemple encore, les lois donf se compose aujourd'hui

chacune des grandes dirisions de notre science phy-sique sont-elles réellernent dis[inctes les unes des au-tres, et l'ordre consiste-t-il dans I'harmonie et le con-cours mutuel des forces réciproquemeut indépenclantes

dont le mode d'action esf exprimé par ces lois? ou bienune éfude plus approfondie nous arnènera-t-elle à les

rattacher les unes aux au[reg par des liens plus intimes,à en réduire notablement le nombre, peut-être à les ra-mener toutes à une loi unique et universelle dont cha-cune d'elles ne serait qu'un cas particulier? Àucune de

ces hautes questions ne peu[ être résolue par la spécu-lation pure. Celle-ci peut bien suggérer des hypothèses

fécondes comrne celles qui conduisiren[ Képler à devi-ner les grandes lois des mouvements planétaires; maisc'es[ à i'observation pa[iente, à I'expérimentation in'telli-gênbe qu'il appartient de contrôler avec rigueur les plus

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QUESTIONS SLTR tA PIIOVdENCE. àLl

gouvemement du monde ne le détournent de la sereine

conl,emplation de lui-même, du moins nous figurons-nous volontiers que la dignité e[ I'immuable unité de

sa pensée perdraienl, quelque chose à descendre dans

les menus détails de la vie universelle. Il faut com-prendre que c'est là une erreur grossière, que I'intelli-gence de Dieu, embrassant [outes choses d'un seul re-gard, ue court aucull risque de se disperser dans la

raliété presqu'infinie des phénomènes, et que sa Provi-

dence, absolument particulière en même tentps qu'all-

solumenb générale, veille sur chaque individu aYec

autant de sollicitude que si cet individu était, à lui seul,

[ou[e la création. Ici encore I'expérience confirme ce

que la raison pose en principe absolu. Si la Providence

générale éclale dans I'ordre universel, la Providence par-ticulière, pour laquelle il n'y a pas d'infiniment petit,

se manifeste avec une splendeur égale dans les imper-ceptibles merveilles que le microscope nous r'évète ou

nous laisse deviner. Nous pouvolls donc I'affïrmer, le

monde ne contient pas un dé[ail dont il ne soit tenu

comp[e dans I'organisation de I'ensemble. Parmi lesrésultats indéfiniment variés qu'amènenI I'enlre-croise-

nent des lois de la tta[ure inorganique e[ le conflit des

êtres vivants, aucult tt'esI si iirsignifiaut qu'il n'ait été

préyu e[ voulu, qu'il n'ai[ sa place dans le tout, qu'il

n'eûtre comme un élément dans ceb ordre universel d'où

le hasard seul est banni. Les anomalies elles-mêmes

ne sont point des anomalies ; elles ont leurs lois dont

'nous comlnellçous à décour rir les frrrmules ; il tt'esl pas

I[" ,t&

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2&c) crlaPrlÀÉ t.clouteux qu'el'les n'aien[ aussi leur raison d'être. C'est

une des conquêtes et une des gloires de la science con-temporaine d'avoirmontré qu'elles ne se produisent pas

au hasard, mais qu'elles résultent de causes dont onpeut suivre I'action régulière. Ce sera l'æuvre de lascience à venir de chercher et de découvrir à quoi ellesservent; et si la vie présen[e con[inue à nous dérober

en partie ce secref, la vie future nous le rélélera toutentier.Maintenant, ces lois générales sont-elles conbingentes

ou sont-elles nécessaires ? Il y a ici, ce me semblet unedistinotion à faire entre la néaessité absolue qui excluttotalemen[ la contingence et la nécessité conditionnellequi se concilie aisément avec elle. En prenant r:ette dis-

tinction pour point de dépar[, j'accepterai volontiers ladéfinition célèbre de Montesquieu : Les loi,s sont les

ru,pports në,cessa,ires qui rësu,l,tenl, de I,q, nature des clto-ses, et je reconnaîtrai qu'il y a, dans la nature, des loisnécessaires, étan[ donnée la nature telle qu'elle est. Farexemple, supposé que I'attraction soib une propriété

réelle des corps, j'adrnetl,rai que la loi d'a[traction estune loi nécessaire? en ce sens que les corps, ayant unecertaine nature, nepeuvent pas nepasagir suivantcettenature" Mais cet[e nature elle-mêrne est contingente,par conséquent modifiable; d'où iI suit que tout change-ment qu'elle viendrait à subir dans un, ou dans plu-

sieurs, ou dans l'universalifé des êtres qui la possèdententralnerait dans la loi une modification correspondante,toul de même que, quand I'industrie humaine produit

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ù4& CHAPITRE X.

attractive de la Lerre est vaincue pâr ma force IIIUSCU-

laire. Or, au-dessus de toutes les lois, c'est-à-dire, de

toutes les forces naturelles en action, il y a la force in-Iinie, il y a Dieu, qui, sans agir mécaniquemen[, peut

produire, par sa seule volonté, tous les effets mécani-ques possibles, mettre ell mouyemen[ les corps que

leur loi [ient au repos, immobiliser ceux que leur loi

met en mouyement. Que si. Dieu use de cette puis-sance, la loi n'aura poin[ été abrogée; à parler exacte-

tement, elle n'aura pas même été suspendue, et n'aura

point cessé de tendre à produire son effet; elle aura

été dominée par une loi plus haute, par la loi souve-

raine en ver[u de laquelte tout effet voulu par la Cause

toute-puissante est immédia[emenb et infailliblementréalisé. J'ose le dire, pour quiconque croit à ttn Dieu

créateur, la possibiiité rnétaphysique du miracle est

démontrée par ces explications? ou rien ne I'est. La seule

question qui puisse, en cette matière, ê[re sérieusemen[

discutée, - et elle le sera plus loin t,- est de savoir

s'il est convenable et conforme à I'ordre que Dieu use

d.e sa toute-puissance pour produire, par une action di-

recte, des efrets qui dépassett[ la portée des foroes nabu-

relles agissant suivant les lois qu'il leur a primitivemett[

assignées

N

Enfiu, outre ce que nous sa\:olts

1. Voir, plus bas, Ie chapitre xIII.

expérimentalement

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QUESTIONS SUR LA PRÛVINENI]E. 21ti,T

de I'ordre du monde dans le peu qui uous est accessible,

que pouvons-nous deviner duplan général de

lacréa-

tion? Une seule chose, mais fort importanle et qu'otl

peu[, ce me semble, affirmer sans térnérité d'une ma-

nière très-positiveo c'est que les êtres iutelligents et

libres y occupent une place principalq, et que le monde

a véritablement é[é fait potlr eux. Bn effet, il esl démon-

tré que Dieu, absolument désintéressé dans la produc'

tiou de I'tutivers, ne l'a créé que par bonté. Mais ne

communiquer I'existence qu'à des choses qui tt'auraient

point conscience du bien qu'elles reçoiven[, tt'oclroyer

ce don magnifique qu'à des êtres naturellement et né-

cessairement incapables d'ett jouir, ce serai[ plutôt Ie

caprice ou la fatalité d'une efiusiott aveugle que I'acte

d'urte bonté libre et in[elligente. Il fallait donc qu'il yeùt, dans le monde, tles êtres capables de couuaitre et

tle goù0er le bienfait de I'existeuce eb de trouver le bon-

heur dans I'accomplissemeu[ de leur destinée. On le

voit, ce qui s'explique du premier coup' ce que I'esprit

entend saus effort, c'es[ I'existeuce de la créa[ion spiri-

tuelle; ce qui arrête un instanl la raisotl, c'es[ I'exis-tence, en apparence intttile, dtt monde risible. Nous

comprenons aisémen[ pourquoi Dieu appelle les âmes à

la vie; elles sont des vases merveilleux qui savent gar-

der et savourer eux-mêmes les dons précieux qu'il y

verse. Mais à quoi bon les corps?à quoi bon ces trésors

de beaulé, de force, d'organisatiou, de fécondité, inul,i-

lemen[ prodigués, ce semble; à tles êtres inconscienl,s

qui n'en sauraieut, profiter? Ils sertent cependant à

t4.

,.:;4-::" ,.:

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246 CEAPITRE X.

guelque chose; et quand nous n'en pourrions pas soup-

çonner la destination dans I'ensemble de l'æuvre divine,ruotre foi en cette Providence qui ne fait rien en vairr

n'en serait point ébranlée. $Iais il nous est donné d'a-voir sur ce point I'intelligence de ce que nous croyons,

et de comprendre" que I'existence des êtres pensants

explique le monde matériel e[ lui donne dans le plandivin une desLination très-haute.

Dieu ne peut agir au clehors qu'en se proposant une

fin digne de lui, adéquate à son action et à son essence,

inlinie et parfaite comnle il I'est lui-même. En d'autrestermes, Dieu est nécessairement la fin de sa propre ac-tion. Il a donc fhit le monde pour lui, nou pas pour son

u[ilité, non pas pour aue[nenter sa félicité qui ne sau-

rait croitre, mais pour que le .monde fùt le narrateur etle témoin de sa gloire e[ pour que tendant vers lui iltrouvât sa fin dans celui qui est son principe. Maiscomment le monde serait-il le témoin de la gloiredivine s'il n'avait pas une pensée pour la contempler et

un cæur pour I'adorer? E[ commen[, en second lieu,

le monde peut-il tendre à Dieu ? Il ne le peut quepar la pensée et par l'amour, par le double attrait,dudésirable et rle l'intelligible, comme I'a dit profondément

Àristote. Les êtres intelligents et libres sont évidem-

ment constitués de manière à ressestir ce double attraitqui les conduit à la fin suprême de toutes choses; et

c'est ainsi que la création, dans cette moitié supérieure

d'elle-même, revient direetement à Dieu.

$Iais revenir à Dieu n'est pas la seule fonction de$

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CSAPITRE XI

OBJBCTIONS CONTRE I,A PNOYIDtr]I{CE

Comment il faut aborder la question de la Providence. ._ Cotnmentles esprits rnal préparés trouvent partottI cles objections contre elle,

- Réponse généra1e à toutes les difflcultés, tirée cle I'insuffisanceet de l'incompétence du savoir humain.

Objection tiréc de l'imperfection des êtres ou mal métaphysique. Ré-ponse. - Objectiou tirée du désordre. Réponse. - Objection tiréede la souffrance. Répouse. Du rôle de la douleur. -.. Objeclion tiréedu mal moral. Réponse. - Objection tirée de I'injustice dans larépartition cles biens et cles maux. Réponse. - L'immortalité.

Lorsque j'aborde la question de la Providence avec

un esprit bien préparé, lorsque, avaul de me demanr]er

si Dieu gouverne le moude, je me suis assuré que Dieues[, qu'il est parfait, que rien n'existe hors de lui quitre yienne de lui e[ ne subsiste par lui, la réponse s'offred'elle-même? et ma raison la voit dans une plénitude

d'évidence qui ne me permelr aucune hésitation e[ ne

me laisse aucune inquiétude. Je sais que Dieu, dans laproduction des choses, a été souveraiilement libre, non

d'une liberté sujette, comme la mienne? aux erreurs e[

aux repentirs, mais d'une liberté elui est sagesse infinie

en même temps que puissance absolue; et dès lorsI'existence du monde m'es[ une preuve suffisante que

Dieu a eu raison de le faire et qu'il l'a faif sur un plan

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950 0HAPITRE XI.

ox.cellent. Je sais encore que Dieu, éternellemen[ et in-finiment heureux en lui-même, n'a point cherché dansla création de l'univers une sa[isfaction d'intérê[ et unaccroissement de bonheur, qu'il a voulu exclusivementle bien de son æuyre, qu'il I'a faite par bonté rlésin[é-ressée, pour se communiquer et se répandre, et dès lorsj'accepte aisément le mystère de la création qui, je le

vois avec. évidenoe, es[ un mystère de bonté et de ten-dresse. Enfin, je sais que l'être parfait n'a pu se pro-poser, en créant, quoune fin parfaite comme lui, quepar conséquent il a voulu être le terme du monde comme

il en es[ le principe, et qu'il I'a fait pour revenir à lui.Je oonstate que les êtres intelligents et libres sonl cons- '

titués de manière à tendre directement à cette fin divinepar le mouvement de leur raison capable de connaître

Dieu, et de leur volonté capable de I'aimer; et je com-prends que, si la na[ure matérielle et visible n'y peu[

atteindre par elle-même, elle y arrive indirectemenfpar le concours qu'elle prête aux uéatures raisonnables,par le langage qu'elle parle, par les traces qu'elle garde

de la sagesse et de la puissance de son au[eur, tout de

même que, darts ce peti[ monde qui est l'homme,le corpsparticipe à la dignité et à la destinée de la personne

tout enlière en aidant le moi spirituel à vivre sa vie, à

faire son devoir et à atteindre sa fin. Âinsio dans ladualité et I'opposilion apparente de la nature et de I'es-

prit, j'aperçois I'ordre, la hiérarchie, I'unité du plan etla grancleur infinie du but.

'Puls, je eleseentls de ces hauteurs, et je consul[e I'e;ç-

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OBIECÎIONS CONTRE TA PROVIDENCE. 2$t

pérlence, non pas pour remettre en question des vérités

désormais hors d'at[ein[e, mais pour apprendre d'elle cequ'elle sait de ce plan unilrersel dont ma raison affirmeI'exisfence. sur ce nouveau théâtre, ie vois I'ordre écla-ter partout, dans les rois les plus générares qui main-tiennent la régularité des mouvements célestes, dans leslois particulières qui règlent la production de chaque

classe de phénomènes, dans la superposition hiérar-chique des grands règnes de la nature, dans I'accordmerveilleux c1ui, chez tous les êfres vivants, se mani-feste entre chaque organe e[ I'organisme tout entier.entre chaque organe et sa fonction, entre chaque fonc-tion particulière e[ Ia destination totale de l'être. si, ausein de cet[e immense harmonie, j'aperçois quelquesgroupes de phénomènes qui semblent échappm e fouteloi, quelques organes ou quelques organismes dont Iafonction ne se laisse pas deviner, je n,en conçois niétonnement'ni inquiétucle, car je sais que les secrets dela nature ne se découvrent pas en un jour. J,attends, etje laisse la science poursuivre s'n æu're. ying[ ans

plus tard, je I'interroge de nouveau, e[ elle rne montrela loi de ces phénomènes réfractaires e[ la destinationde ces organes inutiles.

Ainsi I'expérience confïrme ce que je sa'ais d'avance :que. dans la nature, il n'a a pas de place pour le dé_sordre, ni pour le hasard; que ce que les hommes ap_

pellent ainsi, c'est ou un orclre dont ils noonf pas lesecret, ou une causg qu'ils ne sont pas parvenus à con-naitre; que l'u' et I'autre enfin n'es[ qu'une apparence,

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È59 IJIIÀPITIIE XI.

un fan[ôme tlui se rapetisse à mesure que la science

grandit, et qui disparaltrait totalement devan[ urescience complète. Je rapporte donc de l'étude de la na-

ture une foi plus éclairée en la Providence, un senli-

m,ent plus vif de ce[[e sagesse qui gouverne la créa[ion

par des lois générales, de cet[e bonté qui ne méprise

rien de ce qu'elle a appelé à I'existence et veille sur une

fleur avec la même sollicitudeque

sur I'universalitédes

mondes. Et je dis enmoi-même : Puisque la Providence

s'exerce ainsi dans le monde de la matière qui n'esl,

r.lu'un instrumeut et un serviteur, combien plus dans le

monde des esprits qui est la raison d'être de la nafiure

e[ le somme[ de la créationl Est-ce t7ue, selon la parole

de I'Evanglle, ie ne acerlfi pa,s 1tl,tr,s que beuucowlt c\e pas-

sereann? et capendant'ttto't?, Père cël,este les n'ou,rrit. Pour-quoi quoi me déIier de ce Père qui, en me donuanf une

na[ure supérieure, m'appelle à une Ïitr plus haute? Et

pourquoi tlouter qu'il puisse e[ c1u'il veuille m'y eon-

duire, si je n'entrave pas les desseins de sa bonté par

rnes résistances? Sans doute, il se pourra que, dans le

monde des âmes, le plau providentiel se développe ets'achève à des hauteurs où mes yeux ue sachen[ pas le

suirre clès cette vie. ll se pourra c1ue, dans cette sphère

morale où la liberté s'exerce, le désordre soit à la sur-

face et semble dominer; il se pourra que le dénoùmenf

qui doit tout exptiquer en meltant tottt à sa place se

fasse longtemps ail,endre; ilse pourra même qu'il ne

soit jamais visible ici-bas aux esprits dont une enve-

loppe terres[re et des membres périssables émoussent le

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ôBrEclroNs 00NfRE rÀ pRovrDENcE.. 9$g

fegard a. Ce qui ne se pourra pas, c'est que le mat ait le

dernier mo[, que les dessins de Dieu ne soient pasaccomplis, {tre les âmes n'aienl pas ce qui leur es[ né-cessaire pour atleindre leur fin, e[ qu'ayant voulu sé-rieusement., dans la mesure de leurs lumières et de leursforces, répondre aux inten[ions du Créateur, elles soient.fïnalement frustrées dans leur espérance.

Yoilà de quel regard une âme qui a su entre[enir enelle-même le sentiment du divin contemple le mondede la nature et le monde de I'esprit. Dans le premier,I'ordre et la beau[é qu'elle rencontr.e la ravissent d'ad-miration, et le désordre apparent n'est pour elle queI'inexpliqué, le champ ouvert aux,progrès ultérieurs dela science, le mysl,ère enfin, dgnt la vue claire et directeesL réservée à une autre vie. Dans le second, le mal luiapparait comme l'abus de ce don magnifique qui est laliber[é morale, la tentation, comme une épreuve qu'onpeut traterser et comme un ennemi qu'on peut vaincre,la possibilité de faillir, comme la condilion du mérite etde la récompense.

On courl risque d'arriver à des conclusioqs bien dif-férentes si I'on s'es[ dispeusé de cette préparation né-cessaire, et si i'on s'engage sans principe et sans guide

dans le champ immense des recherches purement expé-rimentales..Ûubliant les preuves directes et démons[ra-tives qui donnent au dogme de la Frovidence.la raleur

{. Temenique bebetant arlus moribundaque membTa. .

Virgile, Bndiilo, L,.Vfirs

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28& .ôHAPITRE XI.

d'une vérité nécessaire, oubliant que, dans le cercle

même de I'expérieuce, ta foi à I'ordre universel est le

point de dépar[ de là sciencè et la condition de la dé-

couver[e des lois qui régissent la naLure, on remet per-

pétuellement cette foi e[ ce dogme en problème; et dès

l'ors, I'imperfection des êtres créés, les anomalies,' la

souffrance, I'inégale répartition.des biens et des maux'

le péché, en un mot tous les désordres apparents ouréels dont la nature nous offre le spectaele se présen-

tent à la raison troublée comme autan[ de difflcultés

lnsurmontables, e[ ne lui permettent.plus de croire qu'un

monde où'dè telles clmses se rencontrent soit produit

et gouverné par un bieu bon, sage, puissant et juste.

Dd là naisserit toutes les doctrines qui, à un degré Quel'conque, mettent le mal et I'imperfection dans la cause

même du rironde, tou[es les variétés du dualisme, depuis

I'hypothèse manichéenne jusqu'à celle de la matière

éternelle, et toutes les variétés tle la doptrine du hasard,

depuis I'atomisme de Démouite et d'Épicure jusqu'à la

sëIecti,ort, natu,rel,le ile M. Darwin. De lâ, chez tant does-

prits gub le surnaturel fatigue, une mauvaise pente à

querellerlaProvidence à propos de tout ce qu'elle fai[

e[ de tout ce qu'elle ne fait pas. De là surtout, chez eeux

qui ne uoient pas d'at'ance et absolument à Ia sagesse

et à la bonté de Dieu, une disposition habituelle à I'ac-

suser d'injustice toutes les fpis qu'ils sont ou pensent

être mal partagés en ce monde, et à transformer en griefsoontre Ie gouvernernent divin les maux personnels dont

la raison Ïeur échappe et dont le plus souvent ils s'exa-

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OBJECTIONS CO)ITRE LA PRI]VIDT.'\T18.'55

gèrenf la rigueur. De là enfin, pour.tou[ dire en un mot,cet affligeant phénomène, que la plus certaine e.t la pluséclatante des vérités de la philosophie religieuse est

aussi la plus atlaquée.Il ne nous est point permis cle fermer I'oreilnle à ces

objections et à ces plaintes. Nous les écouterons avec at-tention et nous les discuterons sérieusement; mais nous

n'aurons garde de permebfre qu'elles troublent un setrlinstant la sérénité de notre foi; car no-us savons d'a-vance qu'elles sont sans valeur e[ que, loin d'avoir unfondement réel dans la science, elles ont .leur sourcedans I'imperfection du savoir humain.

Et c'es[ aussi la conscience de cette imperfection iné-

vitable qui npus fournit la première e[ la meilleure ré-ponse aux objections contre la Providcnce, en leur oppo-sant à toutes une fin de non'recevoir sur laquelle on nesaurait trop insister.

En effet, que savons-nous du plan de la création con.sittéré dans son ensemble? Deux choses seulement : lapremière, qw'il g a mr, plan,'c'est-à-dire, un ordre uni-versel, une hiérarchie qui embrasse toul, des lois aui-quelles rien n'échappe'; - la seeonde, que, par suitede la suhordination du monde physique au monde mo-fal, les êtres intelligertts et libres occupent dans ce plarl .

une place privilégiée et principale. euant au reste, quantà l'étendue de l'æuvre divine dans le temps eË dans I'es,-

pace, quant aux relations et aux dépendances des choses,quant à la nature eL à la fln particulière des êtres, nousn'en savons (la révélation mise à part), que ce que noug

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986 cIraPrTBE xI,

en pouvons apprendre lentement et peu à peu par une

expérience bornée au petit coin de I'univers qui nouses[ accessible. C'es[ une banali[é, mais une banalitétoujours oubliée e[ l,oujours bonneà rappeler, QUe nolresavoir n'est qu'un infiniment petit en comparaison de

notre ignorance, e[ que, même dans le champ étroit ou-vert à notre observation, les conquêles progressives de

la science laissent dans I'ombre beaucoup plus de"pointsqu'elles n'en peuvent me[tre en lumière. Cependan[, si

incomplètes que soienl ces données, il est visible pour

la bonne foi et pour le bon s.ens qu'à les prendre en gros,

sans épiloguer et, comme dirait.Leibnitz, sans chicaner

sur les détails, elles appor[ent aux démons[ralions rafion-

nelles de la Providence une confimatiou magnifique; que

la proportion de I'ordre y dépasse celle du désordre

mêrne apparent, dans une mesure incalculable; que celle-

ci elle-même est, grâce aux progrès des sciences de lanature, en voie de décroissance rapide, e[ qu'ên vertu

de la plus légitime induction, on peut dès à présen[ con-clure, toule métaphysique à par[, que ce qui parait en

rester encore u'est ni le fait de Dieu, ni le fait de I'uni-yers, mais le fait de notre ignorance.

Yoilà des choses qu'il ne faudrait jamais oublier quand

on esl tenté de s'ériger en crilique de l'æuvre de Dieu.

D'une par[, nous vo]ons habituellemen[ I'ordre et I'har-monie s'y manifester avec une incomparable splendeur.

D'au[re part, le plan de la création a certainement deshauteurs e[ des profondeurs que nous ne poulons pas

même soupçonner. La providence cle Dieu, à la fois uni-

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L)BJEOTIONS CONTNE LA PNO\TMENUE. 257

verselle et irdividuelle, embrâsse un ensemble et descend

à des par[iculari[és dont, la grandeur et la petifesse nouséchappen[ égalemen[; et comme toul tient à tout dansson ceuvre; comme la perfection d'un ouyrage dont lavariété est infinie résulte principalemeul du rappor[ mu-tuel de ses parlies et de leur concours à I'unité totale,le bon sens nous crie que, pour le juger dans le plus

mince de ses dé[ails, il faudrait a.loir la connaissanceparfaite non-seulement de ce détail hlt-même, ma.is detous les autres...

E[ là-dessus, nous prenons à l'égard de Dieu un atli-tude d'accusateurs et de juges. Il n'y auraif rien à diresi nous nous bornions à faire des questions, et à re-chercher avec une curiosité respectueuse quelle a pu

ê[re en ceci ou en cela I'intention tle la Providence, ré-signés d'ailleurs à lui laisser son secret, s'il lui plai[ dene point nous le livrer, et résolus à croire à sa sagessealors même qire nous lte devinerions ni la fin qu'ellepoursuit, ni les moyens qu'elle emploie. _Slais nous nefaisons pas des questiotts, nous faisons des objectiotts.

Quand nous ne vo):olls pas la raison d'être d'un phéno-mène, nous disons qu'il n'a pas de raison d'être; quandnous ne voyons pas sa loi, nous disons qu'il n'a pas cle

loi ; ou du moins, parce qu'à peine oserait-on aller jus-que-là en présence de ces sciences de la nature qui dé-couvrent chaque jour quelque loi nouvelle, nous disonsque ces lois

son[ aveugles e[ qu'elles ne portent point lamarque de la honté, ni même de la justice, ni même deI'inlelligence. Nous avons beau savoir a priori, que la

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2SB CUÀPITBN XI.

Bagesse de Dieu est infinie , et a plsteri,orù que notre

ignorance est-immense; nous avons beau avoir apprispar notre propre expérience que, pour avoir le mot desénigmes qui nous étonnent ou .nous scandalisent etpour aôsotcclre l,es d,ieau t, comme dit un poéte, il suffitde prendre un peu patience et de laisser le tissu desévénements se continuer quelques jours de plus; conéanmoins, nous nou$ érigeons en

critiques do ceque

nous ne connaissons pas ou connatssons mal, etnous nesemblons pas soupçonner premièrement, que cela estimpie si nous croyolls en Dieu, secondement que, n'ycrussions-nous pas, cela est ridicule, et que si, derrièrele moi qui censure, il y avait un au[re moi pour l'écou-ter dire, le premier donnait la comédie au second.

Oui, il faut comprendre que cela est ridicule, et quebeaucoup de trai[s d'ignorance présomptueuse dont

l, Sæpe mihi dubiam traxit sententia mentemCurarent superi tenas, an nullus inessetRêctor et incerto fluerent mortalia casu.

Nam cum dispositi quæsissem fædera mundi,Præscriptosque mari ffnes, annique moatus,Et lucis noctisque vices; tunc omnia rebarConsilio ffrmata Dei...Sed cum res hominum tanta caligine volviAdspicerem, lætosque diu florere nocentes,

. Vexarique pios; rursus labefacta cadebatRelligio....

Abstulit hunc tandem Rufini pæna tumultum,Absolvitque Deos.

Claudien, in Rufinum, L, \

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OBJECTIONS CONT&E IJA PBOVIDENCE. 259

nous rions de bon cæur ne le son[ pas à ce degré,

Nous rions d'un novice au jeu.d'éohec.s qui, sachantà peine mouvoir ses pièces, se cons[i[ue juge du camp

enlre deux champions illustres: ue jouez pas ainsi,dit-il à celui qu'il favorise, vous allez vous faire prendre I

vous venez de manqûer un coup magnifique I il fallaitmettre votre roi dans cette case et votre lour dans cette

autre Lejoueur

continue sa partie et la gagne. Aprèsquoio s'il est d'humeur très-complaisante, il montre au

cettseur qui avait la bonté de I'aver[ir de sa faufe, quo

cette faute-là a tout sauvé, et qu'en suivant le conseilqu'on lui donnait, il perdait tout.

Nous rions quand deux soldats, à la veillée, diocutentet critiqrient le plan de lèur général. Ils ne sont point

dans sa confidence, De I'ordresuivantlequel cçnt millehommes sont en mouvement, du but final de I'expédi-tion, des ruses de guerre qui doivent donner le chango

à I'ennemi, ils ne savent absolument rien. Ils voientseu-lement la place assignée.à leur régiment ; tôut au plus

aperçoivent-ils dans le lointain un va-et-vientde [roupes

qui se meuvent dans une confusion apparente. Du pointoù ils sont placés, ils ne peuvent ni embrasser I'ensem-

ble, ni se rendie compte des dé[ails. Ils sont il'ailleursfort ignorants de la stratégie et dela tactique. Leur chefs'appelle M. le. Prince, ou M. de Turenne, ou le grandGustave, ou le général Bonaparte. Et avec de telles don-

nées et une telle compétence, ils prononcent hardimentque ce chef manæuvre mal, et qu'à sa place ils auraien[fait autre chose.

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.]60 CUAPITRE XI.

. Îrlous rions d'un politique de village qui contrôle les

négociations d.'utt Congrès où sont réunies les plus lbr[estêtes de la diplornatie, et qui, sans connai[re le passé,

sans s'inquiéter de loavenir, salts savoir ce qui est

praticable e[ sans trop se douter ile ce qui est juste,

refai[.à sa façon, sur une table de cabare[, la carte de

I'Europe.

. Nous rions quand un médiocre amateur de littéra-ture, appréciant une tragédie d'après une scène dont ilâ mal entendu quelques vers, condamne la marche de

la pièce sans en connaitre le point de dépar[, ni les péri-

péties, ni le dénoùment; crilique les caraclères dont iln'a pas suivi les développements et dont peut-être il ne

saurait comprendre la beaubé, et choisif justement,

pour les signaler aux sévérités du public, les passages

qui, mis à leur place e[ envisagés dans leur rapporl

avec I'ouvrage tout en[ier, font Ie plus d'honneur au

génie du poête.

Nous avons raison de rire, et pourtant il n'y a là que

des æuvres humaines que les hommes on[ le droit de

juger. Que devons-nous donc penser de nous-mêmeslorsque nous osons critiquer I'æuvre de Dieu, infini-ment moins connue de nous que le plan de campagne

d'un général ne peut l'être du dernier conscri[ ? Et com-

men[ justifierons-nous aux yeux du bon sens ce[te

tgnorance qui ne se connai[ pas elle-même, e[ cetle pré-

somption que les legons cen[ fois répétées de I'expériencene parviennenl. poinl corriger ?

Ceç réflexions et ces comparaisons contiennent, pour

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,OBIECTIONS CONTRE TA PROVIDENCE. 26I

quiconque les voudra médi[er, la meilleure défense pos-

sible de la Providence ; car elles frappen[ d'impuissancetoutes les objections, en les conraincan[ a ltriori defrivolité. La théodicée aurail le droil de s'en tenir là e[

de passer outre à toules les attaques en leur opposant

cette enceptiort, cl,'ittcontpëtence. Et si elle consent à en-trer dans le détail, ce n'est point qu'elle veuille quitler

cette position inexpugnable, mais c'es[ qu'elle sail que,Ie plus souvenl, la Frovidence a mis, dans les faits mê-

mes qu'on invoque contre elle, de quoi la justifier auxyeux de la raison.

On s'arrête d'abord à I'imperfection des êtres. Onaccuse ce que Sénèque, rappor[ant cette objection, ap-pelle la ntalignitë c\e Ia nal,u,re{ envers les êtres dontle monde se compose. L'homme en particulier, dit-on,n'a pas lieu d'être conlen0 d'elle. Notre science est bor-née, nolre intelligence est débile, nos forces sr.rnt promp-tement vaincues. Il en est de même aux étages inférieursde la création. La plupar[ des ê[res sont mal armés

contre les influences hostiles qui les menacent, et s'ilsavaienf une voix, ils s'en serviraient pour se plaindre deleur condilion. En tout, il semble que, soi[ dans I'hu-manité, soit dans les autres règnes, les choses pour-raient être mieux qu'elles ne son[.

J'indique seulement ce grief un peu vague, counu

{. < Major pars mortalium de malignitate naturæ congue-ritur, > (Sén., de Broodlate odtæ, cap. l.)

,15.

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262 CIAPITRA XI.

dans l'école sous Ie nom d,e mal, rnétaythgsi,que, Male-

branche et Leibnitz y ont ontrépondupar la doctrine de

I'optimisme, d'après laquelle le monde, tel qu'iI est cous-titué, avec les imperfections de ses parties isolées, est

cepentlant le meilleur de tout les possibles entre les-quels le choix divin avait à s'exercer. Mais I'optimisme,quelle que soit au fond sa valeur, n'est qu'une théorie

qui prête à des diffioultés sérieuses et ne peut guèreêlre démonstrativement établie. Four résoudre la diffi-culté, nous n'avons pas besoin de théories, le bon sens

suffit. A quoi revient en elfet l'objection du mal méta-physique? À ceci: qu'on se plaint de ce qu'ott a reçu,

parce qu'on a pas reçu davanlage. Or, avant tout, une

telle plainte est manifes[ement injuste dans la bouche

de qui n'avail droit à rien. Si Dieu, comme nous I'avons

démontré, était libre de créer ou de ne pas créer, si tout

ce que nous possédons est de sa part une libér'alité pu-rement gratuite, c'est répondre à ses trienfaits par une

singutière ingratitude que d'exiger, au delà des dons

qu'il nous a faits, d'autres dons qu'il n'entrait pas dans

ses conseils de nous accorder. - En outre, si la beautéet la perfection relatives de I'univers résulfent de I'ordrequi y est établi, si ceL ordie a pour forme régulière la

hiérarchie savante qui superpose les règnes les uns aux

au[res, ne fallai[-il pas qu'il y eùt des êtres inférieurs ?

Si I'homme se plaint de n'être pas un ange, pourquoi

I'animal, auquel on veut bien prê[er une voix, ne trou-verait-il point mauvais de ne pas être un homme, et le

végétal de ne point être un animal ? Pourguoi tous les

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OBJECTIONS CONTRE IJA PROVIDENCE. 263

êtres ne voudraient-ils pas occuper le premier rang ? On

yoit où cela mène : à proscrire celte variété dans I'unitéqui est un des plus admirables caractères de la création,et à blâmer I'art divin d'avoir suivi les règles que I'ar[humain lui emprunte. - Enfiri, supposons que ces ré-clamations indiscrè[es pussent être entendues, et que leCréateur fit mon[er le niveau de tous les êtres suivant

leur caprice, les plainles dureron[ toujours. Car quelquedegré de perfection qu'il plaise à Dieu de donner à sescréatures, elles demeureront imparfaites parce qu'ellessont créées. Elrtre ce qu'elles sonl e[ ce que Dieu est, ily aura toujours une distance infinie ; il y aura donc tou-jours, pour les êtres qui ne veulent point se contenter

du sor[que

leplan

divin leur a fait, quelque chose deplus à réclamer. Finalemen[, se plaindre de I'imperfec-tion des êtres, c'es[ se plaindre de ce que I'imparfaitn'est point le parfait, de ce que le fini n'est pointI'infini, de ce que le monde n'est pas Dieu. C'est là,je I'avoue, uo grief auquel je ne trouve rien à ré-pondre,

Soit, dira-t-on; nous n'onposerons plus au Créateur

I'imperfection inhérente à toute créature, et nous re-connaissons que lui contester le droit de produire unmonde imparfait eb fini c'es[ déclarer la création impos-sible, ce qui est trop visiblement absurde. Mais cette

sagesse que vous célébrez et dont vous donnez pourmarque I'ordre universel et le caractère de finalité em-preint, selon vous, dans toutes les lois et dans tous leg

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964' CBAPITBE XI.

organismes vivants, comment la conciliez-vous avec Ie

fait trop réel du désordre ? Il es[ cer[ain qu'il y a des

monstres, c'est-à-dire des ê[res qui ne son[ pas consli-tués suivan[ Ie type normal de leur espèce. Chez les

uns, des organes uécessaires à la vie font complètement

défaut, et I'ê[re ne peul pas dépasser la ériode embryon-naire. Chez d'au[res, ils existen[, mais ils sonb arrê-

tés dans leur développement; condamné à rester incom-ple[, l'ê[re, il es[ vrai, ne meurL pas, mais il traine une

vie mutilée et misérable qui, au point de vue de I'ordre,est pire assurément que la mor[. Chez d'autres, au con-traire, des organes qui devraient ê[re simples sonl dou-

bles e[, constituant de véritables superfétalions, encom-

brent d'un bagage inutile l'ê[re en qui on les rencontre.il y a donc daus la nature tantôt des fins à la fois clare-men[ marquées et irnpossibles à a[teindre faute do

I'organe or mlyen, nécessaire, tantôt des organes ou m0.yens auxquels aucune fïn ne répond. D'ori viennent,selon vous, ces deux variélés du désordre? Du hasard,comme I'a cru toute I'antiquité ? C'est reconnaitre que la

création éohappe en partie au gouyernement de la Fro-vidence, e[ qu'il y a dans les causes naturelles uneénergie désordonnée dont elle n'a pas su se rendr.e

maîtresse ; c'est nier la toute-puissance divine de Dieului-même ? c'est faire de lui une cause capricieuÀe, unartiste mal habile qui, à son escient ou à son insu, a

mis du mal dans soll æuvre. J'avoue que j'éprouve toujours une extrême surpriseà,vohle,trouble où.cet[e diffioulté jette beaucoup d'es-

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OBJECITONS CONTRX TA PROVIDENCE. 265.

prits. En présence du spectacle incomparable que nous

offr'e la na[ure dans son plus vaste ensemble e[ dans ses

plus imperceptibles détails, quand il est visibleparl'ex-périence que le monde es[ l'æuvre d'une pensée supé-rieure au monde, quand il est absolument certain parla raison que Dieu est nécessairement infini dans ses

atLributs comme dans son essence, dans sa puissance

comme dans sa sagesse et dans sa bonté, on se laissedécortcer[er par des excpl,ions qui apparaissen[ noyées,pour ainsi dire, dans I'immense océan de I'harmonie et

de la finalité universelle; et parce qu'on n'en connaltpas la place et la raison d'ê[re dans le plan divin, onproclame qu'elles sont injustifiables et décidément in-dignes de la sagesse divine

;e[ I'on ne voit, pas qu'on

prend en ceci une posi[ion tout à fait intenable. Où

veut-on en venir en effet ? A nier que I'univers soi[ leproduil d'une cause inlelligen[e ? C'est se jeter dans uneimpossibilité pour échapper à une difficulté; car si I'ona peine à concilier avec I'idée d'une cause providentiellela proportion infiniment peti[e de désordre que le monde

semble con[enir, corrtment accordera-f-on avec I'idéed'une cause aveugle la propor[ion infinimen[ grande

d'ordre e[ d'harmonie qu'il contient réellement ? Il fau-dra donc ou revenir à I'absurde hypothèse de mani-chéisme, ou bien, tout en reconnaissanI que le monde

a été fait sur un plan, pour un but, par un auteur très-

pulssant et très-sage, dire que cel,[e sagesse et cettepuissance sont en défaut dans'certains cas parliculiers,imagination de toutes la plus fausse et la plus puérile ;

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266 cf,ÂPrTsE XI.

car, pour quiconque a la plus légère teinture de méta-

physique, il y a peub-être moins de déraison à sou-tenir uettement et précisément que Dieu n'existe pas

qu'à dire qu'il existe. mais qu'il n'est pas infini et par-.

fait.Nous retrouvons donc ici une nouvelle application de

cet[e grande loi si souvent vérifiée en philosophie : à sa-

voir que, si I'on rejette des vérités préalablement dé-montrées parce qu'elles contiennent du mystère et que

nous n'en entenflons pas toutes les dépendances et

toutes les suiles, on tombe inévitablement dans I'ab-

surde. Une tout autre atlitude convienf à la science hu-maine. Qu'elle reconnaisse tout d'abord, avec I'llamletde Shakspeare, qu'il y a beaucoup plus de choses dans

le ciel et sur la terre que ne peul en rêver notre philo'sophie t. Qu'elle comprenne que la disproportion im-mense de no[re intelligence avec la-grandeur de l'æuvre

divine a pour conséqence nécessaire de nous offrir dans

la nature beaucoup d'êtres et de phénomènes dont la

raison nous échappe, parce que cette raison est pré-

cisément dans quelque autre chose que nous ne connais-sons pas. Après quoi, dans la question présente, elle

verra clairement qu'il est impossible de prouver que les

anomalies elles-mêmes noont pas leur raison d'être ; que

si un ê[re qtretconque possède un organe inutile à lui'

't . There are more things in heav'n and eartb, Horatio,Tban are dreamt of in your philosophy.

flamlet, act. L sc. Y,

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OBJECTION.S CONTRE LA PROVIDENCE. 969

appelés que pour un temps, alors qo'il, n'avaient à

remplir qu'une des[ination temporaire?

Quant à la souffrance, elle es[ assurément un mal

positif ; e[ nous ayons toute raison de croire, en dépit

de Descarles, que les animaux en ressentent les attein-

tes. &[ais, outre que la souffiance est souvent pour eux

un avertissement e[ se juslifie par le coneours qu'elle

apporte à teurj instinc[ naturel de conserval,ion, elletrouve une compensation très-ample dans les jouissances

mêmes que la vie leur apporte; et il est impossible de

prouver que la somrne des premières dépasse chez eux

la sornme des seeoirdes. Les causes morales qui prolon-

gent pour'nous la douleur n'agissent pas sur eux; ils

n'en ont ni laprévision

lointaine, ni lesressouvettirs

amers ; ils nlen pâtissent que dans'les moments où elle

esL actuellernen[ 'ressentie et dans ieux oir elle ést

imminenl,e; elle n'qs[ dans leur vie qu'un mat accidentel,

tandis que la rnie elle-même lbur esb un bien .continu e[

permane4t. En somme, s'ils poûllaienb faire, pour leurprop{e. gqmpte, .la balance des biens e[ des maux, iln'ei est auoun Qui n'avouât qug, tout competisé, I'exis-tence lui est êncore uu bienfait.

ûrst dans lhurnanité tlue les souffrances méritent

d'être .regarldées de pl'us près. Eltes y tienhenb assuré-

meqf, urie.' gran.dq placel et il esl vrai, qu'il y a des

vies três-dures; dures pour le borps qui' souffre de ld,

maladie, des. infÏrmités, de la misère, deS suêttrs malpqyées; durbs pour le' cdur qiie lg-l ohagrins dévorent,

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270 cuÀPrrnE xr.

s'il es[ généreux, affligent plus qu-e les siens, Fourquoi

donc la douleur entre-t-elle pour une proportion siconsidérable dans le tissu de la vie humaine?

Quand je n'en saurais rien, je me fierais encore, à laProvidence comme un fils au père dont il connait latendresse. Mais n'en sais-je donc rien? Eb si, dans telcas donné, il m'est impossible de désigner précisémenl,

. la raison particulière qui a déterminé Dieu à charger dece fardeau u.ne âme dont il veut cer[ainement le bien et

le bonheur, ne puis-je pas indiquer plusieurs raisonsgénérales qui, tantôt séparémen[, tantôt toutes ensem-ble, justifient les apparentes rigueurs de la.Providence ?

Dans le cercle même de notre expérience personnelle,

n'avons-nous pas plus d'une fois démêlé, à lravers Io

mystère de la douleur, un mystère de 'sollicitudo et

d'amour? Est-ce que I'admirable travail qui d'un petitenl'ant fera un homme vertueux sous la main de sonpère et de sa mère, peut et doif s?accomplir sans dou-leur? Est-ce qu'il n'a pas fallu apprendre à ce cæuifaible et à cette volonté indocile l'arb de souffrir et I'art

de se soumettre, I'art de s'abstenir et I'ar[ de se vaincre ?

Est-ce qu'il n'y a pas, dans l'éducation, la'douleur de

I'étutle, la douleur de I'obéissance, la douleur du sacri-fice, la douleur de I'expiation ? Or, nous aussi nous

$ommes des enfanfs dont Dieu fai[ l'éducation; et de

tous les moyens qu'il emploie pour mener celle-ci à son

terme, la douleur est peut-être le plus efficace. La vertu,condition actuelle de I'acquisition du bonheur à venir,est un sacrifice; il n'y a pas de sauifice qui ne soit

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OBJECTIONS CONTN I,A PNOVDENCB. 271

une immolation douloureuse, et il n'y a de caractères

forts que ceux qui ont appris à souflrir. C'es[ I'honneurde la nature humaine de s'élever el de s'épurer à ceprix; e[ puisqu'elle est habituellemenf trop.faible pouroser entrer d'elle-même par urle initiative hérolquedans ce rude chemin, c'e$t donc une marque de labonté divine de nous y pousser la première en dépit de

nosrépugnances, de nous présenter, de nous imposêr cebreuvage amer et sain que nous n'irions point chercher.Condifion de la vertu, la souffrance est aussi la con*

di[ion du perfectionnement dans toutes les autres direc-tions de I'ac[ivité humaine. Trouvejt-on mauvais qusI'homme soit perfec[ible ? et si on le trouve bon, pour-quoi se plaint-on de ce qui est pour lui le point de départde [out progrès ? Otez la souffrance qui vient de I'igno-rance, il n'y a plus de science; ôtez la souffrance deI'anarchie, il n'y a plus de régisration 'i de pouvoirsocial; ôtez la souffrance de la faim, ,du froid, de lanudi[é, il n'y a plus d'agricul[ure ni d'i'dustrie. Àime-rait-on mieux que I'homme végétât daus le sommeil de

toutes ses fàcu'ltés, e[ que la conquête des biens dont iljouit ne firt en aucune façon son ouvra.ge?La souffrance est une expiaLion et possède une ver[u

purificative toutes les fois qu'on I'accepte volon[aire-menf. de la main qui I'envoie. Si quelqu'un était sa'spéché, peu[-être pouriait-il ne pas I'accueillir sous ce[teforme; mais qui donc est sans péché

parmi nous?La souffrance es[ une leçon de dé[achement; carc'est surtout quand la vie esI rude qu€ nous apprenons

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ù7T, CTAPITRE XI.

à n'y'poiut meltre notre cæur e0 à étendl'e nos désirs

au delà de l'étroit et sombre horizon où elle nousenferme. Déià, les choses étanf ce qu'elles sont, nous

avons tan[ de peine à comprendre que nous.sommes ici

pour tendre ailleurs, et à ne pas clouer nos âmes à la

passagère existence tle ce monde, en dépit des leçons

que nous donnent ses ennuis e[ ses tris[esses I Qu'eus-

sions-nous fait si elle eùt été pour nous sans travail etsans larmes, et si rien n'étai[ venu nous avertir qu'elle

n'est point le lieu de notre rePos ?,

Enfin, la souffrance peu[ êlre une punition; et, à ce

titre, elTe est la condition e1i rétablissemen1 de I'ordre

et la sanction de la mmale. c'est la lOi, et une loi éter-

nellement juste, que toute violalion du devoir qui n'est

pas expiée par les souffrances volontaires du repentir

soil expiée par les souffrances forcées du châtiment. llfaut qu'e[fin Dieu ait raison; il faut que la persévérance

dans la peine suive et égale la persévérance dans la

révol[e. Puisque la vie doiti avoir un dénotrment et

l'épreuve un terme; puisqu'à I'é[at présen[, mobile et

transiloire, doi[ suecéder uil élat permanent où chacunaura la deslinée définitive qu'il se sera préparée à lui-même, la puni[ion, en même temps qu'elle est un mal

justement subi par le méchant qui se I'es[ atl,irée,

demeure un bien à l'égard de I'ordre universel {ui,sans elle, ne reslerait pas \tainqueur du mal et du dé'

sordre.

Ceci nous amène à ta question du mal moral'

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OBÎECISONS CONîAE LA PROVIDENTE. 9i3

Si par mal moral on entend le péché, æuvre person-

nelle de celui qui le commet, je ne saurais concevoirqu'on en tire une objec[ion contre la Frovidence. cette

objection vau[ contre le Dieu clu panthéisme qui pèche

lui-même e[ lui seule en chaque âme criminelle; elle ne

vaul pas contre le vrai Dieu, créateur et disl,incl du

monde, qtti n'es[ point I'auleur du péché; e[ I'on énonee

une fâusselé absolunrenl graluite quand on avauce qu'ila placé I'homme dans des conditions où il lui es|; impos-

sible, quelque moyen qu'il emploie e[ quelque secours

qu'il invoque, de ne pas violel la loi du devoir. Le péché

est l'æuvre exclusive de Ia liberté'humaine abusan[ pour

le inal des forces qui lui ont ébé clonnées pour le bien.

Seplaindre qu'il y en ait dans le monde et en faire

remonter la respousabilité jusqu'à Dieu, c'es[ donc blâ-mer Dieu d'avoir fait des êtres lihres,, c'est-à-dile des

êtres capables de tendre à lui par la pensée e[ par

I'amouilc'es[ dire que I'abus, non pas fatal et inévitable,

màis possible e[ facultatif des plus beaux dons coRleuus

dans les trÔsors de la libéralité divine, devait fermer la

nain de Dieu ouverte pour les répandre. Telle est bienla thèse désespérée qu'implique'I'objec[ion tlu rnal moral

qui esf le péché; e[ c'es[ assez, je pense, de.l'aloir mise

en lumière pour êtle dispensô de la disculer.

Que si par mal moral oll entetrd celte redoutable

puissance des inslincts égoistes e[ bas que nous expé-

rimentons en nous-mêmes, on pose un probtème dontla philosophie, réduite à ses seulesressources, netrouve

pas la solution. Il faut ici qu'elle cottsulbe les vieilles

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97,^ cBaPrCaË lt.archives du geure humain, eb qu'elle constate I'aceord

qui règne entre les faits actuels analysés par la psycho-logie et la [radition primitive d'une déchéance origi-nelle, tradition [ransmise dans son intégrifé par la ré-vélation mosaïque et chrétienne, conservée avec .desaltérations diverses dans la plupar[ des religioûs ill-tiques. c Si en effet le corps pèse si fort à mon esprit,

> si ses.besoins m'embarrassenf et me gênent, si les> plaisirs e[ les douleurs qui me viennent de son cCrté

D me cap[ivenL et m'accablenl, si les sçns qui dépendentr des organes corporels prennent le. dessus sur la raisonr âv€c tanf de facilibé, enfin, si je suis captif de ce corpsr {u0 je devrais gouverner, ce nous est à tous un sujetr de

croire,ce que ,d'ailleurs

la foi nous aenseigné,

> qu'il y a quelque chose de dépravé dans la sourceD commune de nobre naissance l. ,

Là aussi ge trouve pour la question même du malphysique, un dernier supplément d'explication, unedernière raison, mys{érieuse elle-même, du mystère de

la souffrance. Si le cæur de I'homme a tort de murmu-

rer contre les conditions ac[uelles de la vie terrestre,adoucies par [ant de consolations et soutenues par une

êspérance dont la beauté dépasse infiniment leur rigueuf,il n'a pas torb cependant de devinet' qluer dans le planprimitif de l'humanité, la bonté divine avait fait la loi de

l'épreuve plus facile e[ plus douce. Les chré[iens savent

qu'il en est ainsi, et que, dans I'ordre physique commo

l. Bossuet, Cannaissnnce de Di,ou, et'd,e soi-même, ch, tY,

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oBJBcTToNS 00NlnË La prrovlDnrtr. q75

dans I'ordre moral, les fils d'Àdam ont recueilli I'héri-.

tage de leur père et subissent, sous la double forme de

la souffrance et de la soncupiscence, les suites de lafaute originelle. Ils ne font nulle difficul[é d'avouer que

le secret de cette transmission héréditaire se cache pardelà la porlée de notre râison; mais ils ne-le tournentpoint en grief con[re la justice du gouvernement divin;

e[ tout au contraire, ils y trouven[ une occasion de seprosterner? avec uu sentiment plus profond doadoration

e[ d'amour devant la honté infinie qui, faisant sortir laréparation de la ruine elle-même, substitue au plan primi-tif dérangé par la liberté rebelle de I'homme un plan doune

valeur plus haute oùla naturehumaine devaitrecevoir, parI'Incarnation, l'incomparable honneur

de l'unionper-

sonnelle avec la nature divine,

Que si le spiritualisrne rationaliste s'insurge contreeefte transmission héréditaire'qui perpétue dans I'hu-tnanité, avec la tache originelle, la souffrance e[ la concu-piscence, s'il s'en fait une objection contre le Dieu que

. les chrétiens arloren,t, son objec[ion, qu'it le sache bienl

se retourne con[re les vérités mêmes qu'il conserve etâtteint avec une force précisémenl égale, le Dieu de laraison e[ de la philosophie. Car la loi d'hérédité n'es[pas moins visible dans l'ordre naturel que dans l'ordresurna[urel l e[ si la foi enseigne I'hérédité de Ia dé-

chéance originelle; I'expérience atteste par dès faifs

consfants et décisifs I'hérédité des maladies du corps?I'hérédité des prédispositions in[ellectuelles, I'héréditédes irrclinâtiorrs morales. Dans les deux ordres, Ie mys-

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276 CHAPIîRE XT.

tère est le même; dans I'un, comme dans I'autre, il est

l'épreuve de notre foi:ÏIais dans llun e[ dans I'au[re, cette épreuve est facile;

et uous serions inexcusebles de nous plaindre d'uneProvidence infinimenl libérale qui met toujours à no[re

disposition le bonheur sans mesure e[ saus. terme, etqui nous honore en nous appelant à le mériter par des

luttes où elle ne nous manquejamais

si nous ne refu-sons pas de nous appuyer sur elle.Nous ne devons pas oublier, en effet, que la ualure

humaine, bien que dépouillée de ses dons surnafurels

et blessée dans ses puissances naturelles elles-mêmes,

resle intelligente et libre, capable de faillir, mais capa"

ble aussi de résister e[ de réargir con[re les penchants

corrompus, pourvu qu'obéissant à un de ses plus pro-fonds inslincts, elle veuille bien appeler la force divine

au secours de sa faiblesse. Sans doute il n'est pas urdes fils d'Àdam qui ne senfe eil lui-môme ces deuu

lugrnmes qui se livrent Ltnc glcert'e cruelle, e[ celte concu-

piscence de la chair contre l'espri[, e[ ces sollicitations

de l'égoisme, qui donnenl à la verlu le caraclère d'une'réac[ion contre la nalure. Mais assurément aussi il n'en

es[ pas un à qui Dieu ne veuille donner ce qu'il faut

d'énergie pôur vaincre dans cette lutte. Dire que Dieu

demande de nous I'impossible; qu'il condamnera soit

une ignorance invinoible, soit des fautes inévitables;qu'il pourra

advenirque nous ayons fait vainement touI

ce qui é[ai[ en nous, cela, en fait, es[ absolument faux,

et c'esb, en principe, une hérésie contre la vérité reli-

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UBJECTIONS'CONTRE tA PROVIDENCE. 27i

gieuse aussi bien que con[re la vérité métaphysique.Dieu

veutque

tous les hommes soienl sauvés; illes

appelle tous au bonheur par la vertu; e[ tous, par leconcours de sa grâce et de leur liberté,,peuvent atleindreoù il les appelle. Mais Dierr respecte cette liberté; et s'illeur plail de ne rien faire de ce qu'il faudrait pourconquérir le bien qu'il leur propose, ils sont mal venusà lui imputer soil le désprdre dont ils sont seuls respon-

sables, soi[ les conséquences désastreuses que leur ob'sti-nation dans le mal doit irrévitablement eutrainer'.

Àprùs les explications qui précèdeu[, I'objecfion vul-gaire tirée du partage inégal, inirpte dit-on, des biense[ des maux enl,re les hommes, mérite à peine de nous

at'rê[er, bien qu'elle soit le grand scandale des âmesauxquelles la foi man{ue avec Ie courage. Il est très-rrai qu'il y a des hommes de bien dont le malheursernble égaler la ver[u, e[ des méchants à qui tout sem-ble réussir. Il es[ [rès-vrai aussi que sa cel,te uùe ëtait,

l,a 't:ie t, et si chacun y trouvait sa destinée totale e[ défi-

nilive, un tel contrasfe, ne se rencontrât-il qu'une foisdans l'hisloire de I'humanité, serai[ un terrible dénen[idonué à la Fror,idgnce. $[ais si nos années [errestres,au lieu cle contenir le drame toul entier, s'atrê[ent à sa

première scène; si elles ne sont que la préparation de

la deslinée fïnale dont nons serons nous-mêmes les

libres artisans, 'tfout change'd'aspec[; les o]rjets se

t. Le P. Lacordaire.

II.

I

I

I

i

t

I

{6

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978 cuanrnn xi. - oBJEctroNS cot[TRE t,a pnovrDnNcË.

replacen[ dans leur vraie- perspective; les biens et les

maux de la vie se réduisent à ce qu'ils sont' en effet,c'est-à-dire, h très-peu de chose; les souffrances des

bons ne sont plus qu'une épreuve rapide qui contienten germe une récompense ir.nmortelle; et leur conditionprésente, elle-même, relevée par I'espérance et par fa. ,

"

mour, est déjà meilleure que celle des méchants. AinsiIa Frovidence, en laissant ici-bas quelque chose de visi-btenient inachevé, adresse elle-même nos regards ailleurs,et les souflrances de Ia vertu son[ la révélation de I'im-mortalité,

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CEAPITRD XII

DES THEORIES QUI,SUPPRTMENT I'ACTION DE tAPAOYII}ENCE DÀNS tÀ NÀTURE

ET

EN PARTTCUTTER DE tA THÉORIE DE M" DARWTN"

Fondement rationnel de ta foi à la Providence. - Efforts tentés àplusieurs époques pour ébrauler le fonclement expérimental. -anité de ces tentatives.

L'épicurisme. Idée de la Provid.ence remplacé par f'idée du hasard.Réponse de Fénelon..- Lamark. Théorio de la prod.uction desorganes et de la formation des ospèces sous I'action d,es besoinsfavorisée par les circonstances. - caractère chimérique cle cettehypothèse.

M. Darwin et son traité ile l|0ri.gine d,es espèces.-Théorie de la sélectiounaturelle. - Ses impossibilités. - Démentis que lui donne I'expé-rience. - Fixité des espèces. - Fiualité d.es organes et des ins-iincts. - La Providence proclamée par la scieuce.

Il y a deux manières d'élablir scien[ifiquement ledogme de la Providence. Il suffit d'ouvrir les yeux pourapercevoir que le monde est une æuyre d,art, d'unebeauté et d'une perfection incomparables. Cetartn'étantpoint dans la natul.e elle-même, c'est-à-dire dans I'en-semble des forces aveugles qui la composent, il fautbien qu'il soi[ dans un ar[isûe extérieur et supérieur à.

elle, dans une cause intelligente qui, ayant fpit le monde

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980 cHApITRE xrr. - DEs rHÉoRIEs QUI suppRMENT

sur unplan et pourun bu[, veille sans cesse

àce.que

son plan ne soil pas dérangé et à ce que sonbutne soitpas manqué. Cette preuve o, ytostcriorl, qui a pour pointde départ I'expérience tout entière e[ trouve une confir-mation lquvelle dans chaque'progrès des sciences de

la nature, restera toujours Ia plus frappante et la plus

efficace, la seule accessible à I'immense majorité des

hommes qui, dit très-bien Fénelon, ne peuvenf compren-dre qu'une philosophie sensible e[ populaire. Mais elle

n'est pas Ia seule; et, à supposer qu'elle nous fit défaut,

le dogme de la Proyidence ne perdrait lien de son auto-

rité sur les esprits qui savent réfléchir; car il se déduit

directement, avec une invincible évidence, des principes

les plus constants de la métaphysique.Supposons pour un ins[anf que la nature nous soit

un livre fermé, et que nous ne puissions chercher Dieu

que dans la conscience ; nous I'y trouverons révéIé à la

raison par les idées du nécessaire, de I'infini e[ du par-

fait. Ces idées n'ont pa$ assurément leur modèle et leurobjet dans le monde, qui ne nous montre partout qu'im-perfection, limite et contingence ; ' elles impliquentI'existence hors du monde et au-dessus du monde d'un

être réel qui leur corresponde, et cet"ê[re réellement

nécessaire, infini et parfail, est ce que nous appelons

Dieu. llfais si Dieu existe, il esl le principe de tout ce

qui n'est pas lui; et le monde, contingent puisqu'il

n'est pas Dieu, vient de lui non par une émanationdécessaire qui impliquerait I'absurde consubstantialité

du fini et de I'infini, mais par une création libre. Il n'y

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L'ACTION DE LA PROVIDENCE DANS LA NATURE. 98I

a donc rien dans I'univers qui n'ait son principe dans

la puissance, la pensée et la volonté divines; car le motde création dit [out cela, et nous ne saurions conceroir

Dieu sans voir'en lui la cause unique et totale de ce qui

est dans le monde, de son organisation comme de sou

ê[re, de ses lois et de sa vie comme de sa subsfance, de

sa forme comme de sa matière.

Il suit de làque

toutethéorie de la nature qui sup-

prime l'idée de la Providence et des causes finales, c'est-

à-dire, I'idée d'un plan conçu, voulu, réalisé, surveillé

par ta callse première, I'idée d'une intervention de Dieu

dans la production et I'organisation des ê[res, est né-

cessairement fausse quand elle ne serait pas absut'de en

soi. En admeltant, contre tout bon sens' qu'il nous fût

à la rigueur possible, si I'idée de Dieu nous manquait,d'expliquer l'ordre qui règne dahs le monde par le jeu

inconscient et aveugle des forces de la nature, cette

explication, quelle que soit sa formule, tombe à I'instant

devant ce fait démonstrativement établi que Dieu existe,

qu'il est créateur, et que la nature elle-même est pro-

tluite intégralemen[ par un acte dq I'intelligence et de labonté divines. Blle se rédult donc, tout au mieux, à un

jeu d'esprit, sans valeur scientifique. Ne pouvant avoir

la prétention d'ê[re autre chose qu'une hypothèse, elle

s'évanouit nécessairement en présence d'une elplication

différenle qui n'est plus une hypothèse' mais une vérité

absolumentcertaine.

Voulons.nousapercevoirplusdistinetementencorelecaractère purement fictif de toute théorie scientiflque

16.

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282 cEApnnx xII. * DEs rffoRIES QUI suppnrMENT.

qul efrace de propos délibéré la notion de la Providence,

par exemple de tous les systèmes d'histoire naturellequi ne voient dans les merveilles de I'organisation ani-male que des produits du lemps, des besoins, des habi-tudes ou

"des circonstances ? Éxaminons comment cesthéories posent lo problème qu'elles moient avcjir résolu.Le voici dans les seuls term'es qui marquent nettement

leuresprit

et leur caractère :<

On supposera que cen rlui est n'est pas, c'est-à-dire, que Dieu, qui esl le prin.r cipe de I'ordre du monde, n'en est pas le principe; etu I'on cherchera comment on pourrait s'y prendre pour> expliquer sans lui ceb ordre qui vient de lui. 0n ar déjà une explication vraie, certaine, démontrée; on

. > feindra qu'elle fait défaut, et I'on essayera de laD remplacer par une autre. r La science qui pose dansces termes et dans cet esprit la question de I'ordre dumonde ne ressemble-t-elle pas à un homme qui se di-rait : < J'ai deux jambes, et ces deux jambes me don-> nent Ia solution pratique du problème de la marche.> Je ferai abstraction d'elles ; et feignant que je ne les

D ai pas, je chercherai si je ne pourrai pas résoudre') autrement le problème, par exemple en marchant surD sur les mains. > Encore cetto image est-elle fort in_complète; car il pourrait absolument se faire que nousperdissions I'usage de nos jambes et que nous noustrouvassions bien d'avoir appris à marcher Ia tête enbas. Il ne se peut pas, au contraire, que

l,idée de IaProvidence cesse de contenir I'explication vraie duproblème de I'ordre naturel, et il est parfaitement vairi

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L'ACTION DE I,A PROVIDNNCE DANS LA NATTIRE. 983

de se procurer une solution de rechange dont, en aucun

cas possible, on n'aura que faire.On le voit, nous n'avons point à craindre que la soli-

di[é du dogme de la Providence soit ébranlée par lesthéories dont je parle, quelque bruit qu'on ait fait ouqu'on fasse autour d'elles. - D'abord elles ne son[ quede pures hypothèses, soit que leurs auteurs I'avouent ou

qu'ils n'en veuillent pas convenir. Si j'en crois en par-ticulier I'impression finale qui reste de la lecture dulivre de M. Darwin, la thèse de I'auteur, même en I'ac-ceptant tout entière avec un excès de complaisance,prouverait que la dil'ersité des formes organiques ouespèces, à FU, à la rigueur, être progressivement pro-duite d'une manière inconsciente par certaines forcese[ en vertu de cer[aines lois naturelles; mais je ne pense

pas qu'on rencontre chez lui aucun argumen[ ni aucunfait tendant sérieusement à démontrer que les chosesont cltt, ,, yrrrrirr. ou se sont possëes effectivement commecela.-En second lieu, les naturalistes qui se complaisentdans ces théories prennent une position équivoque dont

ils ne peuvent sor[ir que de deux manières. Ou bien ilsiront résolùment où les pousse I'esprit qui est au fondde leurs systèmes, je veux dire la tendance à écarterDieu ; et ce[ esprtt les conduira au pur naturalisme etau pur athéisme, c'est-à-dire, au comble de I'absurde etau renversement total de la raison ; sur ce terrain nous

n'aurons plus à les suivre. 0u bien ils laisseront à Dieusa grande fonction de créateur, et dQs lors il leur seraimpossible de lui dénier, sans se contredire, le carac-

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184 c[apITRE xII. - nns tuÉonms QuI suPPnIMENT

tère de Providence, et de ne pas reconnattre sa sagesse

dans I'organisati0n des choses? comme ils reconnaissen[sa puissance infinie dans leur exislence : et voilà les

causes finales, le plan, le dessein, les rappor[s inten-

tionnels rles organes aux fonctions qui reprennent leur

place dans les théories mêmes qu'on avait imaginées

pour s'en passer. Supposons, par exemple, ce qui est la

doctrine commùne des naturalistes hostiles aux causes'finales, supposons que les formes vivantes n'aient poittb

é1,é direcûemen[ produites par le Ûr'fateur, mais soient

issues d'un frès-pe[it nombre de lypes primitifs par

quelque procétlQ naturel de transformation' Àccordons

à I'on que ces formes naissent sous I'influence des mi-

lieux :comme le résulta[ de ces développements es[

toujours un organisme [rès-parfait et très-approprié à

ses fonctions, il en résultera que I'influence des miliettx

est providentielle et non for[uite ; car si elle agissail

au hasard, on verrait nécessairement ce qu'on voit

l,ottjours tà oùr le hasard domine, Le désordre I'emporter

sur I'ordre et le nombre des formes irrégulières, défec-

tueuses, manquées, dépasser, dans une proporbion incal-culable, le nombre des formes rë,tr,ssies. Àccordons à un

second que I'animal a la puissance de se faire à lui-

même ses organes sous I'empire du besoin; à un troi-

sième,quedesprogrèsinsensibles,héréditairementaccumulés dans la descendance directe d'un animal'

sous I'empire d'une loi qui shoisit touLe morlificationavantageuse et écarte tou[e modification nuisible' peu-

ventàlalonguetransformerunnerfsimplementsensi-

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L'À(]TION DE LA PR(JVIDENLIA DANS TA NAITIRE. 985

ble à la lumière en ce merveilleux instrument d'optiquequi s'appelle l'æil d'un aigle; est-ce que celte plasticité

de l'être vivant, est-ce que cette puissance de se don-ner par une continuité d'efforfs les organes dont il a

besoin, est-ce que cette accumulation progressive de

différences insaisissables poursuivant sans relâche e[

atteignant enfin un résul[at d'une perfection presque

idéale, es[-ce que tout cela n'offrirait pas au plus hautdegré le caractère intenlionnel? Et si touI cela s'opérait

dans et par des ê[res inconscients, est-ce que les æuvres

d'un arû si profond ne feraient pas apercevoir, derrièreI'ouvrier aveugle qui les exécute, la pensée supérieure

qui les a conçues, la puissance e[ la sagesse qui les con-

duisent à leur achèr'ement ?Puisqu'il en est ainsi, et puisque le dogme de la.Pro-

vidence esl hors de toute atteinte, on se demanderapourquoi Ia philosophie spiritualiste s'arrête à discuterdes systèmes qui ne sont et ne peuvent être que des

hypothèses; hypothèses fausses et inconséquentes en

tan[ qu'elles inclinent à éliminer de la nature e[ de lascience la {inali[é et I'intention providentielle; hypo-hèses absurdes si elles cèdent à cette tendance jusqu'à

se confondre avec cette négation extrême qui s'appelle

I'athéisme ? Le voici :

' Sans doute, la Providence n'est plus pour nous en

question;'mais il s'agit de savoir si la preuve expéri-

mentale de celte grande vérité gardera son rang et savaleurl si le magnifique spectacle de I'univers continuera

d'être pour nous, ce qu'il a toujoirrs été pour I'humanité,

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986 cEAPITaE XII, * DEs THÉOHES QUI sUPP&IMENT

un sigue de Dieu et une perspective ouverte sur l'inflni,Il n'aurait plus ce caractè,re si, en présence des plus sa-

vantes merveilles de la vie et de I'organisation, I'espritdu philosophe avait le droit et le devoir de rester incer-tain sur la signi{ication de ce langage de la nature, et sinous devions conclure, au nom des progrès dela science

moderne, qu'un tel ouvrage peut aussi bien s'expliquer

par un concours de forces aveugles que par I'actiond'une cause intolligente. À ce point de vue, il y a, sans

doute, quelque in[érêt et quelque utilité à suiwo lestentatives faites, à diverses époques, pourrendre comptede I'état actuel du monde par des théories d'où I'idéedes causes linales et I'intewention d'un pouvoir surna-

turel fussent soigneusement' bannies.

La première altaque dirigée'aveo réflexion contre les

causes finales au nom de la science de la nature partitde l'épicurisme. < Ne t'imagine pas, r dit Lucrèce,

r {û0 nos yeux si clairvoyan[s nous ont été dônnésr -pour voir autour de nous; que nos jambes se termi-> nent en pieds tlexibles afin que nous puissions mar-> cher à grands pas devant nous; que des bras vigou-D r€ux, que des mains opposées et adroites nous ont,, êté donnés pour nous servir aux usages de la vie.

> Tout ce qu'on interprète ainsi, on I'interprète à contre-) sens; rten n'est dans notre corps pour que nous puis-l sions en faire usage ; mais ce qui s'y trouve décide

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L'ACTION DE IA PNOVIDENCE DANS tA NATUAE. 28?

D I'usage que nous en faisons n. o On a ici une applica-

tion audacieuse de la docfrine du hasard à celui desouvrages de la nature qui I'exclut le plus évidemment,à un de ces organismes incroyables'de complication etmerveilleux d'uniûé qui, comme tlit Leibnitz, son[ ma-chines jusque dans l'infiniment petit de leurs détails.Cette doctrine indignait Cicéron, qui la déclaraithonteusepour un philosophe (quid, turpiu,s ph,il,osopho?)

; etil

semble qu'aujourd'hui, en présence des progrès de lascience et des merveilles d'appropriation qu'elle découvrechaque jour dans les êtres vivants, elle ne puisse plusêtre prise au sérieux par personne. Et cependant, e3t-elle bannie de I'esprit de tous les naturalistes ? et leparli pris de plusieurs d'entre eux contre les causes

finales est-il autre chose quoune disposition à grossir Iapart de l'accidentel et du fortuit dans la nature, au pré-judice de celle de Dieu ? Quand je rencontre dans unlivre d'histoire naturelle cette asser[ion singulière :

a I'oiseau vole parce qu'il a des ailes, mais aucun vrair naturaliste ne dira qu'il a des ailes pour voler 2, r j0

rne demande si ce n'es[ pas enoone Lucrèce que j'en-tends ; et contre ces retours à la vieille doctrine du ha-sard les vieilles réponses de Fénelon, très-légèrement

{. Lusrèce, De reru,m,nû,htrd,,2. \{. Janet dit là-dessus, avec beaucoup de raison et dres*

prit : < En (uoi ceg deux propositlons I I'oisoau a des ailes

)) pour voler, l'oiseau vole parce quoil a des ailes, sout-elles> contradictoires ? En supposant que I'oiseau ait des ailest) pour voler, ne faut-il pas que le vol résulte de la structure

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.ùâs cBAprrRE xu. - DEs THÉoilnS QUI SInPRntENT

modifiées, .me paraissent fort bonnes à relire. o J'en-

,r tends certains philosophes me dire que tous nos. dis-D cours'sur I'ar[ qui éclate dans Ia nature ne sont qu'unu sophipme perpétuel. Dans tous les êtres, me diront-ils;> les organes sont appropriés aux fonctions, iI est vrai;'> mais vous concluez mal à propos que ces ê[res sont

l, éÉ fai[s avec art. Il est vrai rlue chaque être se sert

r> des organes que la nature lui fournit e[ qui lui sont

> commodes; mais la nature n'a pas fait ces organes

> tout exprès pour sa. commodité. Par exemple, des

o villageois grimpent tous les jours par certaines pointes

, de rochers au sommet d'ttne montague ; il ne s'ensuitr: pfls néanmoins que ces poin[es aient é[é taillées avec

r âr[ comme un escalier porlr la commodité des hommes.

> des ailes ? De ce que le vol est un résultat, vous n'avez pas

> le droit ds conclure qti'il noest pas un but. Fauclrait-il done,

> pour que vous reconntssiez un but et un choix, qu'il y ettl dans la nature des effets sans causesn ou des effets dispro-> portionnés à ieurs causes ? Des causes finales ne sont pas

> des miracles; pour atteindre un certain but, il faut que

i> I'auteur des choses"ail choisi des causes secondes précisé-

>> ment proportionnées à l'effet voulu. Par conséquerlt, quoi> d'étonnant qu'en étudiant ces causes, vous puissiez en

> déduire mécaniquement les effets ? Le contraire serait im->'possible et absurde. Ainsi expliquez-nous tant qu'il vous

> plaira quoune aile étant donnée, il faut que I'oiseau vole.

> Cela ne prouve pas dutout qu'il n'ait pas des ailes pour

>> volei. De bonne foi, si I'auteur de la nature a voulu queles

r> oiseaur volassent, que pouvait-il faire de mieuxque

do leur> donner dgs ailes? >>

(Reoue ilos Doua'Mondes, t"'décembre t863.)

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L'ACTION DE tA PROVIDEI{CË DANS LA NATUAE. 89

D Tout de même, quand on est à Ia campagne pen-

r dant un orage et qu'on rencontre une caverne, onr s'en sert comme d'une maison pour se metlre à cou-r> verf ; il n'es[ pourtant pas vrai que cette caverne ait,, été faite exprès pour servir de maison aux hommes.r Il en est de même du monde entier; it a é[é fait sans> dessein; mais les êtres qui le composent, se trouvantr constitués d'une cerbaine façon,

ont tourné à leur) usage I'organisation qu'ils avaient for[uitement reçue. rVoilà I'objection. Yoici la réponse :

< Il ne s'agit pas de comparer le monde à une ca-) verne informe qu'on suppose faite par le hasard; ilr s'âgit de le comparer à une maison où éclaterait lar plus parfaite architectur'e. Le moindre animal es[

r d'une strucbure e[ d'un ar[ infiniment plus admirable) que la plus belle de toutes les maisons. Un voyageur.D entrant dans le Saïde, qui esl le pays de I'ancienne> Thèbes à cent portes, et qui est maintenant désert,D y trouverait des colonnes, des pyramides, des obé-> lisques, avec des inscriptions en caractères inconnus.

> Dirail-il aussitôt : les hommes n'ont jâmais habité) ces lieux; aucune main d'homme n'a travaillé iei;> c'est le hasard qui a for.mé ces colonnes, qui les a> posées sur leurs piédestaux et qui les a couronnées> de leurs chapiteaux ayec des proportions si justes;> c'est le hasard qui a taillé ces obélisques d'une seuler pierre et qui y a gravé tous ces caractères? Ne dirait-o il pas, au contraire, avec toute la certitude dont l'es-> prit des hornmes esl capable : ces magnifiques débris

II" l7

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ggO cu.q,i'nnx xu. - lns ruÉouns QUI suppntunsf

ir sont les restes d'une architeoture majestueuse qui

> florissait dans I'ancienne Égypte? Yoilà ce que lar simple raison fait dire au premier coup d'æil e[ sans

) avoir besoin de raisonner. Il en est de même du pre-

> mier coup doæil je[é sur I'univers. On peut s'embrouil-

> ler soi-même après coup par de vains raisonnemenfs

) pour obcurcir ce qu'il y a de plus clair; mais le

> simple coup d'æil est décisif. IJn ouvrage tel que le> monde ne se fait jamais de lui-même; les os, les

> tendons, Ies veines, les ar[ères, Ies. nerfs, les muscles

o qui composent le corps de I'homme, on[ plus d'art

r et de proportion que toute I'architecture des anciens

r Grecs et des Égyptiens. L'æil du moindre animal sur-

) passe la mécanique de tous les ar[isansensemble r. u

[a doctrine du hasard reste donc aujourd'hui ce

qu'elle était au temps de Fénelonr ce qu'elle était au

temps d'Épicure : une abdioation de la raison, si elle

n'est qu'un aveu d'ignorance, -- un renvelsement de

la raison, si on donne le hasard, c'est'à-dire I'absence

d'intention et de dessein, pour un principe d'ordre. Si

donc un naturaliste refuse de rapporter à une cause

intetligente les adapta[ions merveilleuses qui se révèlent

dans tout être vivant, dans chaoun de ses organes et

dans chacune des parties'de chdque organe, iI ne peut

plus se contenter de les rapporter à un cas forbuit; il

{. Fënelon, Traitë de l'enislence d,e Dieu, prémièr'e partie,

0h. ur.

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i,irc,uox DE t^\ pRTJvIDBNCI DA)is ta NATURE. 2|)l

faut qu'il indique leur origine; qu'il dise les ciruses qui

Ies ont produites; qu'il spécifie les circonstances qui ont

favorisé ce[[e productiou.

C'est ce que tenla Lamark, du reste, autant que je

puis croire, sans intention hostile à la Providence. Lanature, selon lui, tend à la complication progressive

des formes organiques. Elle n'a pas créé du premier

coup les organismes aujourd'hui si distincts qug nousappelons espèces, mais seulement un tfès-petit nomhre

de types très-simples, peut-être un seul, duquel ou des-quels les espèces son[ descendues par des transforma-tions et des multiplications successives d'organes. ( Dur temps et des circonstances favorables, voilà les deux

r principaux moyens qu'elle emploie pour donnerr I'existence à ses producfions {. , Mais ces moyens ne

sufflraient pas s'il n'y avait dans l'être vivant quelqueprincipe d'activilé interne capable de metlre à profït lesopplftunitë& que lui offre la nature. Ce principe, appelépar Lamatk pouuoir de la aie, agil selon"les deux loissuivante : {o dans les circonstances favorables, le besoin

produit les organes; 9o I'habitude les développe.Il n'est, je pense, aucult lec[eur qui ne voie l'abimc

qui sépare ces deux lois I'une de I'autre. La seconde estparfaitement vraie, et les applications soen produisen[chaque Jour sous nos yeux, mais seulement dans leslimites marquées par l'organisation générale de chaque

l. Lamark, heahorches sur l'organisatton des eorps oioctrr,ts4

p. 5r.

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"zlt criapifnË fit. - ùhs runonlxs QIII sIJpPRIMENT

ê[re, organisabion, dit irès-bien Cuvier, o {ui forme un

> ensemble, un'syslème unique et clos dont les parties)) se correspondent et concouren[ par leurs réactions à

>r urre même action définitive, de telle sor[e qu'aucune

> de ces parties ne puisse changer sans que les autres

r ne changen[ égalemenl1. , La première, au contraire,

n'est qu'une affirmation gra[uite à I'appui de laquelle

on ne sauraib citer aucun fait positif.Lamark, cependanf, donne la seconde pour preuve

de la première. Aussi, pour que cetle preuve ait quelque

raleur, est-il obligé d'étendre au delà de toute limite

I'influence de I'habitude et de lui rapporter des lrans-

formations organiques qui différeraienb bien peu d'une

création véritabte. Laissons-le choisir lui-même ses

exemples. < On sent ,r dib-il, ( que I'oiseau de rivage,

r qui ne se plaît poinl à nager, et qui cependant a

, besoin de s'approcher des bords de I'eau pour y trou-

D ver sa proie, sera conbinuellement exposé à s'enfon-) cer dans [a vase. Or, cet oiseau, voulant faire en sorte

o que son corps ne plonge pas dans Ie liquide, faib tous

)) ses effor[s pour étendre et allonger ses pieds. Il en> résulte que la longue habitude que ce[ oiseau et tous

D ceux de sa race contractent d'étendre et d'allonger

> continuellement leurs pieds, faib que les individus de

> cette race se trouvent élevés comme sur des éehasses,

> ayant obtenu peu à peu de longues pattes nues... L'ott

> senû encore que le même oiseau, voulant pêchersans

{. Cluvier, Discours sul le$ rét:olutions du globe.

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L'ACTION DE LA PROVIDENCE DANS LA NATURE. E93

) mouiller son corps, est obligé de faire de continuels

> efforts pour allonger son col; or, Ies suites de ces> efforts habituels, dans cet individu et dans ceux de

D sa race, ont dù, avec le temps, lui allonger singuliè-

) rement le col, ce qui > (ajoute Lamark sans se douter

de la singulière naïveté de sa preuve) t est, en eflet,

> constaté par le long col de tous les oiseaux de

> rivage{... À ces exemples on peut joindre celui de la> forme de la girafe, animal herbivore qui, vivant dans

> des lieux où la terre est aride et sans herbage, se

r trouve obligé de brouter le feuillage des arbres, et de

> s'efforcer continuellement d'y atteindre 2. ,De savoir comment vivra la girafe jusqu'à ce que soll

col,primitivement de longueur modeste, arrive, à [ra-

vers une longue suite de générations, à la hauteur des

feulllages dont elle doi[ se nourrir, Lamark ne semble

point s'en êbre inquiété, et nous ne voulons point dis-cuter oe côté de son hypo[hèse. Ce que nous tenoris à

faire remarquer, c'est qu'ici, dans I'imagination du na-

turaliste, les deux lois du besoin et de I'habitude con-

courent à produire un développement {ui, à ce dégré,ressemble for[ à une création d'organes. Et, en eflet,

c'est jusque-là, jusqu'à la production d'utr organe entiè-

rement nouveau, que ,doi[ aller, dans I'hypothèse des

complications progressives, la puissance de la vie,

1. Lamark, Recherclrcs sur l'organisation, cles corps vioanls,p. 57-58.

2. Id., r'b., p. 208,

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294 cHAPITBD XII. - DES TEÉORIES QUI SUPPRIMENT

toutes les fois qu'un changement dans les conditions

d'existence en fait naitre le besoin. II faut que les na-geoires puissent s'allonger et s'articuler spontanémen[

soit en pattes et en pieds, soi[ en ailes, lorsqueo l'élé-

ment liquide venau[ à manquer, l'être qui était poisson

a besoin de se mouvoir à la surface du sol ou de se sou-

tenir dans les airs; et iI faut qu'à cette transformation

dans les organes dumouvemenf correspondent, dans

toufes les parties de I'organisme, des transforma[ions

analogues; I'animal devra, par exemple, échanger ses

branchies contre des poumons e[ ses écailles contre"des

plumes, sans quoi son unité serait brisée, son adapta-

tion à ses nouvelles conditions d'existence resterait in-complè[e, et sa mort deyiendrait inévitabte. Il est trop

clair qu'ici nous ne sommes plus seulement dans le pays

des hypothèses, mais dans celui des uhimères, et que

le fait du dévploppement des organes par I'exercice, ne

conduit en aucune manière à doter les besoins les

désirs e[ les efforts, du pouvoir de créer de nouvelles

fonctions et de nouveaux organes. < Quiconque,. u dit

cuvier, ( ose avancer sérieusemenb qu'un poisson, à forceu cle se lenir au sec, pourrait voir ses écailles se fentlil-

r ler et se changer en plumes, et devenir lui-même un

u oiseau; ou qu'un quadrupède,, à force de pénétrer

I dans des voies étroites, de se passer à la filière,

> pourraib se changet en serpent, ne fait autre chose que

)prouver la plus profonde ignorance de I'anatomie r'

u

t, Cqvier, Anatomie comParëe, P, 100t

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I/'ACTION DE IJA PBOVMENCE DANS tA NATUB ' 295

J'aborde maintenant t'hypothèse plus récente, et déià

célèbre, de M. Ilarwin, Fort différente de selle de La-mark, quant a;ux rnlyens cle modificatinn' ampl'oyës pûr

l,a nature, elle a Ie même point de départ, à savoir l'idée

de la production progressile et spontanée des formes

organiques, à partir d'un très-petit nombre de types

primitifs, peut-être d'un seul a I elle vise au même but;

ou du rnoins arrive au même résultat, à remplacerI'action intentionnelle de la Frovidence par I'action in-consciente des forces tle la nature. Un passage trop peu

remarqué du livre de M. Darwin révèle, aveo une sor[e

de candeur, cette pensée dominante et ce[te invingible

répugnance pour tou[e manière de voir qui réserverai[

lapart

de Dieudans I'explication des choses. A nos

yeux et, on peut le dire, aux yeux de lout le genre

humain, la perfection des organismes actuellement

exisbants a[[este I'intervention d'un organisateur tout-puissant et tout sage. Four I [. Darwin, elle prouve tout

au contraire que ces êtres n'ont pas été si bien faits du

premier coup, et qu'avant de réussir, la nature a dtl

1. < Je penso que tout lo règne animal est tlescondu de

>> quatre ou cinq types primitifs tout au plus, et le règne-

> végétal d.'un nombre égal ou moindre. L'analogie me con-> duirait même un peu plus loin, c'est-à-dire à la croyanco

> que tous les animaux et toutes les plantes descendent d'un

>; seul prototype; mais I'analogie peut être un guide trom-)) peur. r> (Darwin, de l'Or[gine des espèces' p. 669.) II fauttenircompte cle cette réservel mais iI faut remarquer aussi Eretoutle reste du paragraphe est consacré à faire ressortir Ia pro-babiUté cle cette aualogig'

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i96 oHApITRE xII. - DEs rHÉoRrES QUr suppRIMENT

s'y reprendre à plusieurs fois. < Chaque être vivant,

r surtout chez les animaux, est si admirablement adapté> à ses conditions d'existence qu'il semble, dès le pre-r mier abord, improbable que des inslruments aussir parfaits aient été soudainement produifs dans leurn perfection, de même qu'une machine compliquée ne> saurait avoir été inventée par un seul homme avec

r tous ses perfectionnements successifs {. > It es[ visi-ble que l'idée d'un ordonnateur divin est ici écartée u,

priori; Ie raisonnement par analogie que SI. Darwin in-voque serait d'une absurdité trop manifeste, si I'auteurne supposait pas d'avance que la force organisatricequi agit dans Ie monde n'est pas celle de Dieu, mais une

force imparfaite et progressive comme celle dont I'indus-trie humaine dispose. Ce sera là sans doute Ia conclu-sion de tout le livre de l'origine des espèces ; mais, dèsle début, c'en es[ déjà le principe ou tout au moins le

ltostu,latumL'originalité de la nouvelle théorie n'est donc pas

dans son esprit, quiestfort ancien, ni dans ses résultats

qui sont fort semblables à ceux que Lamark avait déjàcru atteindre; elle est dans la théorie elle-même e[ dansla façon dont elle s'y prend pour se. passer de la Provi-dence.

M. Darwin constate que dans les espèces domesti-

ques, les produits d'un couple quelconque ne sont par-

f . Darwiu, de l'Ori.gitte des eqtèces, Ayant-Propos, p. 2,

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L'ACTION DE [A PROVIDENCE DANS LA NÀTURE. 297

faitement semblables ni à leurs parents, ni les uns aux

autres. Chacun offre, à cô[é des carac[ères communs àtous, quelques traits qui lui sont propres e[ constituent

sa physionomie individuelle. Ces tlifférences, tout ac-

cidentelles qu'elles sont et tout insignifianl,es qu'elles

paraissent, servent cependant de point de départ à la

formation des races domestiques, si profondément dis-

tinctes entre elles. L'éleveur intelligent met à par[ commereproducteur futur I'individu en qui il a rencontré quel-

que particularité qui lui plaît; il I'accouple aveo un

au[te individu o{Trant accidentellement le même carac-

tère, et iI retrouve ce caractère dans lous les produits de '

la seconde génération. Parmi ceux-ci, il choisit encore

ceux en qui le trait qui a fixé ses préférences est plus

fortemen[ accusé; e[, continuant d'opérer d'après lemême principe, il voit, à chaque génération, le" lypequ'il poursuivait se préciser davantage jusqu'à sa réa-lisation complète dans une race nouyelle qui es[ son

æuvre. C'est ainsi qu'en accumuiant héréditairement,

et toujours dans la même direction, des différences pri-

mitivement fortuites, on a pu créer"tant de races de che-vaux, de chiens, rle bæufs, de moutons, de pigeons,

offrant chacune un caractère par[iculier qui domine

tous les autres et lïappe dès le premier coup d'æil. Ces

races sont vraiment ce qu'on a voulu qu'elles fussent..< Il semble, > dit un écrivain anglais, lord Somerville,(

qu'on ait esquissé une forme parfaite, e[ qu'on lui ait) ensuite donné I'existence. > Appelons sëlection, arti-fi,ciel,l,e méth,orliqwe ôe procédé qui, à chaque génération,

17.

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298 cuAprrnn xrl. - nES TtrÉoRIES QUI SUprBIMENT

choisit côrtains individus de préférence à tous les autres,

en vue d'un perfectionnement délerrniné qu'on veut in-troduire dans I'espèce. Bt appelons sëlecti,on artifi,ciell,e

incortsciente celle qui résulte de ce que chaque pro-priétaire d'animaux domestiques, sans songer à lacréal,ion d'urte variété nouvelle, s'efforce naturellement

de posséder les meilleurs individus de chaque espèce et

d'en multiplier larace.

Àinsi,un homme qui désire un

chien d'arrêt se procure le meilleur chien qu'il peut,

mais sans avoir aucun désir ou aucune espérance d'al-térer Ia race d'une façon permanente par ce moyen.

Néanmoins, nous pouvons admeltre que ce procédé,

continué durant des siècles, modifierait quelque race

que ce fùt en I'améliorant {.

Or, le fait des di{Iérences accidentelles entre les in-dividgs se rencontre dans les espèces sauvages aussi

bien que dans les espèces domestiques; 0t, selon

III. Darwin, il y est le point de départ d'unè sëlecaiort, na'twrel,le,, dont les résultats sont bien autrement profonds.

Sans doute la nature est aveugle, et ce n'est que par

métaphore qu'on peut lui prêter I'intention de modifierles espèces en accumulant les différences. Mais ce

qu'elle n'ob[ient pas par dessein et par volonté, elle

I'obtient par l'action d'une loi nécessaire dontM. Darwin

a fait la clef de voùte de son édifice scientifique, et qu'il

appelle la lu,lte pou,r I'a Di,e oa côncwrcence aitale (ltrug'gte

forl,i,fe). La nature,

dit-ilavec vérité, produit dans

l. De t'Origine des esPèces, P. 58.

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L'ACTION DN LÀ PNOVIDENOE L,A NAruAE. 999

chaque espèce beaucoup plus d'individus qu'elle n'ên

peu[ nourrir. Les êtres organisés tendant à se mul-tiplier suivant une progression très-rapide, iI en naît

beaucoup plus qu'il n'en vivra, et la loi de Malthus

s'applique dans toute sa rigueur au règne organique

tout entier, sans qu'il existe ici, remarque notre au-

teur, aucun mo) en artificiet d'accrottre les subsistan-

ces, ni aucune abstention prudente dans les ma-riages{. O'es[ donc à qui saura le mieux maintenir sa

place à un banquet où il y a plus d'appelés que d'élus,

à qui saura lutter plus énergiquemen[ pour sâ propre

subsistance, soi[ contre les individus de son espèce ou

d'une autre espèce, soit contre les difficultés des con-

di[ions où il se trouve placé. De là il résulte'quetout

individu qui apportera à cette mêlée une supériorité

quelconque sur ses collcurrents devra I'emporLer sur eux.

e[ donner naissance à une postérité mieux armée que Ia

leur pour un combat qui se continue sans relâche'

Dans cette postérité, ceux-là, à leur tour, auront plus

de chance d'être élus en qui Ia supériorité héréditaire-

ment transmise sera plus for[ement accusée; et ainsi,un avantage d'abord accidentel et insensible s'ajoutant

à lui-même à chaque génération nouvelle, cette accu-

mulation continue donnera enfin naissance une race pef-

"fectionnée, plus vivace el] raison même de ces perfec-

tionnements successifs.

supposons maintenant que les conditions d'existencQ

7, De l'.Origine das esPèces P. 94t

DANS

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300 oHÀIITRE xII. - DEs rrÉonms QrrI suppnlrlrnNT

viennent à changer soit pour plusieurs espèces à la fois,

soit pour une d'elles. Parmi les individus ainsi sournisà ce régime.nouveau, ceux-là s'en accommoderont lemieux dont l'organisation y était pour ainsi dire adaptée

d'avance par quelque trait particulier et accidentel. Parexemple, que le climat d'une contrée vienne à se refroi-dir, tout quadrupède qui se trouvera fortuitement avoir

urt poil plus fourni et plus chaud que ses congénèresdevra, toutes choses égales, se défendre mieux qu'euxcontre la température nouvelle. Àinsi, telle particularitéindividuelle de conformation n'eù[ éÉ, [ant que les con-ditions de la vie restaient les mêmes, qu'une bizarrerieinutile ou une déviation fâcheuse; elle deviendra, si ces

conditions changent, un avairtage réel pourl'être qui lapossède. La sélection naturelle, qui fait triompher dans

ces luttes pour la vie les ê[res les mieux préparés à lessouteniro accumulera héréditairement cette modifica[ionutile qui, d'abord accidentelle, deviendra le principenonplus d'un simple perfectionnement, mais d'une transfor-mation de I'espèce, disons mieux, de la naissance d'uneespèce nouvelle.

Enfln, comme le temps dont la nature dispose pouraccuuruler les dilïérences est sans bornes, e[ ces diffé-rences elles-mêmes sans nombre, il n'y a pas non plusde limite au pouvoir e[ aux effets de la sélec[ion natu-turelle. M. Darwirr célèbre ies effets e[ ce pouvoir avec

une sorle d'ivresse. > Fuisque I'homme, par ses moyens> de sélection, peut produire de si grands résultats, que> ne peut faire la sélection naturelle ? L'homme qe peut

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.L'ÀCTION DE LA PROYIDENCE DANS LA NATIIRE. 3O'I

) agir que sur des caractères visibles et extérieurs; la

) rla[ure ne s'inquiète point des apparences,. sauf dans> les cas ou elles sont de quelque utilité aux êtres vi-) vants. EIle peut agir sur chaque organe interne,

) sur la moindre différence organique ou sur le méca-

) nisme vital tout entier. L'homme ne choisit qu'en vue

> de son propre avantage, etlana[ure seulementen vue

>

'de

l'être dont elle prend soitt; elle accorde unplein

> exercice à chaque organe nouvellement formé, et I'in-> dividu modifié est placé dans les co.ntlitions de vie qui

> lui sonb les plus favorables... Les caprices de I'homme

n sottt si changeanbs, savie est si courte I Comment ses

> productions ne seraient-elles pas imparfaiteso en

) cùmparaison de celles que la nature peut perfec-

r tionner pendanb des périodes géologiques 'tout en-> tières?... On peut dire par métaphore quelasélection

r naturelle scrute journellement, à toute heure et à

> travers le monde entier, chaque variation, même la

r plus imperceptible, pour rejeter ce qui est mauvais,

)) conseryet et ajouler tout ce qui est bon, et qu'elle

> travaille ainsi, insensiblement et en silence, par[outu e[ toujours, dès que I'oppor[unité s'en présente, au

> perfectionnement de chaque être organisé. Nous ne

) royons rien de ces len[es et progressives transforma-> tions, jusqu'à ce quelamain du temps les ait marquées

> dê sou empreinte en traversant le cours des âges {. u

Ainsi, c'est par des accumulatîons insensibles, in-l. De I'Origine des espèces, p. 119-12t.

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302 cEAPITRE XII. * DES THÉOAIES QUI SUPPnII{ENT

conscientes, aveugles, que la nature, ayant pouT ma-

tériaux quelques types très-inférieurs,. quelques orga-nismes très-rudimentaires, peut-être moins que cela, la

uësicule germinatiae commune à I'animal e[ au végé-

tal, a produit tous ces admirables organes devant les-quels le naturaliste s'agenouille; tous ces iustruments

de précisionquifonctionnent avec tant d'aisance, y com-

pris l'æil de l'homme ou de I'aigle; tous ces instinctsdont I'infaillibilité nous confond, y compris I'ins[inclprophétique du nécrophore et I'instinct géométrique de

I'abeille.

Tel est, en résumé, cet ingénieux et fragile système,

qu'il convient tout d;abord d'appeler de son vrai nom,

une hEpotkèse. M. Darwin, en efl'et, ne prouve ni par

expérience, ni par raison Ia nécessité ou la réalité de sa

thèse. Toutes ses explications, toutes ses inductions,tous ses raisonnements par analogie ne vont absolumentqu'à en é[ablir La possibilitè. Je ne dis pas que M. Dar-win borne Ià ses prétentions. Je sais bien au contraire,

qu'il se flatte d'avoir retrouvé les parchêmins établis-sant la descendance commune de tous les vertébrés, et

la très-proche parenté de I'homme et du singe. Mais je

dis qu'en lui accordanl un à un tous les posl,ulata de

son livre, on lui aura en réalité accordé une seule chose,

à savoir que la théorie de la sélec[ion naturelle explique

d'une manière acceptable la multiplicité et la perfectiondes espèces acfuellgs, - concession d'où iI ne résulte

nullement que cette explication doive être préférée à

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L'ACTION DE I.,A PAOVIDENCE DANS I.,A NATURE, 303

toute autre comme la meilleure, encore bieu moius

comme la seule bonne.Mai's cette concession même, y a-t-il lieu de la faire ?

La théorie de M. Darwin réunit-elle du moins les con-ditions d'une hypothèse.acceptable ? S'accorde-t-elle avec

les faits qu'elle prétend expliquer ? Les analogies sur les-quelles elle s'appuie ont-elles une valeur sérieuse? Ne

prête-t-elle aux causes qu'elle invoquequ'une action dontces causes soientcapables? Essayons, en nous appuyantsur les témoignages les plus certains de la science, cle ré-

pondre à ces questions qui sont bien des questions d'his-toire naturelle, mais qui, par'un certain cô[é, le plus grand,

sontaussi des questions de méthode et de métaphysique.Je me place tout d'abord à la racine même de la nou-

velle théorie, e[ je remarque que la sélection artificiellen'a jamais eu le pouvoir de transformer une espèce en

une autre espèce. Les variétés qu'elle obtient, quelque

étendues que soient leurs limites et quelque frappantesque soient leurs différences, n'ont jamais ni entamé les

caractères principaux de I'espèce, ni fait obstacle à la

fécondité indéfinie des races d'une même espèce les unes .avec les autres, ni produit une espèce nouvelle. Àvec unpère et une mère de I'espèce chien, I'industrie hurnainea fait des variétés sans nombre depuis le King-Charleslilliputien jusqu'au dogue énorme; elle n'a jamais ob=

tenu autre chose qu'un chien, jamais un chat, ou seule-

ment un loup ou un chacalr. Bien plus, il a é[é

1, < tes eflets les plus marqués de l'inflrience de l,hommg

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304 CHAPIrRE XII. - DES THEORIES QUI SUPPRIMENT

impossible de jarnais créer, par le croisement" de deux

espèces voisines, une espèce intermédiaire douée die laféconttité continue qui est le caractère spécifique par

excellence. Àccouplés entre eux, les produits hybrides

ont été le plus souvent stériles dès la première géné-

ration, et jamais ils n'ont pu dépasser la quatrième;

croisés avec une des deux espèces d'où ils provenaient,

ils ont rapidement perdu les caractères qui les en dis-

tinguaient, et ont fini par se confondre avec elle.

) se montrent sur I'animal d.ont il a fait le plus complètoment

>> la conquête, sur le chien. Transportés par les hommes dans

>> tout I'univers, soumis à toutes le$ causes capables d'influer

> sur leur développement, assortis dans leurs unions au gré

..> de leurs maltres, led chions varient pour la couleur, pour

>> I'abondance du poil qu'ils perdent même quelquefois en->> tièrement, pour sa nature, pour la taille qui peut différer

)) comme un à cinq dans-Ies dimensions linéaires,'pour Ia

>> forme des oreilles, du nez, de la queue' pour la hauteur

>> relative des jambes, pour le développement progressif du

) cerveau dans les variétés domestiques, d'oir résulte la

>> forme même do la tôten tantôt grêle, à museau efffIé, à front

> plat; tantôt àmuseau court, à front bombé..

'.Enfin, ot

>> ceci est le maximum de variation connu jusqu'à ce jour dans

>> le règne animal, it y a des races de chiens qui ont un doigt

> de plus au pied d.o derrière avec les os du tarse correspon-

, dants, comms il y a, dans I'espèce humaine, quelques fa-

> milles sexctigitaires. Mais dans toutes ces variationsn les

,> relations des os restent les mêmes, et jamais la forme des

>> dents ne cbange d'une ntanière appréciable; tout au plus y

> a-t-il quelques inctividus oir il so développo une fausse mo->> laire de pluso soit d.'un côté, soit do I'autre' >

Curiier, Discours sur les réttol,uttons du globe'

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L'ACTION DE LA PROVIDENCE DANS LA NATT]RE. 305

On Ie vo t, I'exemple que lI. Darwin invoque, et qui

serl d'introduction à sa théorie, loin de faVoriser I'hy-pothèse de la mutabilité des espèces, atteste que leur

fixité résiste du nnoins à tous les efforbs de I'industrie

humaine. C'est pourquoi notre aubeur,' après avoir fort'

exalté le pouvoir sëtectif de I'homme, le réduit à très-

peu de chose en Ie comparan[ aux effe[s prodigieux qu'il

prête et qutil doit prêter à la sélecLion naturelle. Cepen-dant, si I'homme disposai[ en cette matière d'uu moyen

qui ne fùt point à I'usage de la nature, et si ce moyen

était tel que rien ne pùt se faire sans lui, il faudrait

bien reconnaltre que I'homme, avec sa courte vie, peut

plus ici que la na[ure avec des siècles sans nombre. Ce

moyen, c'es[ le choix desparents. Pour

fai,rewe tace

tlouée de tet caractère voulu eb déterminé, il ne suffit

pas de lui donner pour père un sujet qui offre la pre-

mière ébauche de ce caractère; il faut I'unir à une mère

en qui le même trait se rencontre. Àutrement, I'accident

qu'on voulait perpétuer s'aflaiblit dès la seconde généra-

tion, eL disparaî[ra à la troisième ou à la quatrième.

C'est à ce double choix e[ à ces unions méthodiquementassorties que I'indus[rie humaine préside, non pas une

fois pour tou[es et au début, mais à chaque génération

nouvelle; par là, e[ par là seulement, le trait qu'on veut

donner à une race va se précisant de plus en plus au

tieu de s'effacer rapidement, oomme il arriverait si la

production était livrée à elle-même. Or, dans la nabure,la product'ion, est l,iurée ù, el,l,c-m,ëm,e. C'est sous I'in-

flugnce d'un instinct aveugle, eb nou sous la loi d'une

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L'ACTION DE LÀ PRIJVIDENCE DANS DA NATÛNE. . 307

seul de ses caractères, en remontanf aussi haut que pos-

sible vers I'origine de la période géologique actuelle r.Les descriptions de Galien et d'Aristote,. Ies représenta-

tions gravées sur les obélisques, les momies trouvées

dans les .hypogées de t'Egypte sonb autant de témoi-gnages attestant que depuis 2,000, 3,000 eb 4,000 ans,

les types spécifrques d'animaux actuellement vivants

se sont conservés sans la moindre altération. Dansl'hypo-thèse de M. Darwin, au contraire, les espèces ne pou-vaient pas rester immobiles. En admettant que la per-sistance des mêmes condi[ions de vie les dispensât de se

transformer en espèces nouvelles, du moins devaient-elles se perfectionner sous I'influence de la sélec[ion na-turelle; car, nous dit notre auteur, aucune d'elles n'estsi bien appropriée à ses conditions d'existence qu'elle nepuisse, par de nouveaux progrès, s'y adapter mieuxencore.

Les faits et la raison sont donc ici parfaitement d'ac-cord contre la théorie de la sélection naturelle. Les faitsmontrent qu'elle n'amène pas les résultats qu'on lui

attribue; la raison démontre qu'elle ne peut pas lesamener. L'exemple des effets de la séIection artificielle,si imprudemmen[ allégué par l[. Darwin, fournit lameilleure réfutation de son lypothèse; il met en reliefla fixité des espèces naturelles par opposition à la varia-

(Godron, de I'Espèce et des Races dans les étres organæy's, t. I,p. 17.)

It {d.?ibl

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308 cEApITRE xII. - DES THXoRIES QUI suPPRIMENT

bilité des racgs de création humaine; et, en même temps,

il fait comprendre pourquoi I'homme si faible réussit Iàoù la nalure si puissante échoue. L'homme réussit parce

qu'il apporle I'intelligence, le dessein, la volonté à une

æuyre qui les réclame; la nature échoue parce qu'elle

n'y apporte que des forces aveugles ; et nous revenons

ainsi à cette vieille conviction du sens commun et à

cette belle maxime d'Anaxagore : que la Pensée, c'est-à-dire la Providence, est la cause et Ia raison de toutes

choses.

Je sais bien que, pour les naturalistes de l'école à la-quelle apparlien[ M. Darwin, les faits de lapériode géo-

logique actuelle ont une très-mince valeur. Du haut de

l'éterrrité qu'ils at[ribuent à la nature, ils regardent avec

tlédain celte durée infiniment petite de six à sept milleans. Toutefois, si pendant ce temps la séIection.natu-

relle n'a absolument rien fait, on. ne voib pas que ce

zéro d'action,'même multiplié par I'infïni, puisse jamais

faire quelque chose. D'ailleurs, ou bien les périodes

géologiques antérieures à la nôtre ne se sont succédé

que par I'action lente des causes actuelles, de celles qui,aujourd'hui même, préparent insensiblement la période

fu[ure, comme le veut sir Charles Lyell, - ou bieno

chacune d'elles a êté amenée brusquement par une ré-

volution violente. Dans le premier cas, il n'y a pas lieu

de uoire que la sélection naturelle, parfaitement inac-

tive depuis 6,000 ans, ait produit "à ces datesreculées

des efiets qu'elle ne produit plus aujourd'hui- Dans Ie

second cas, pour résister au changement squdain de

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L'ACTION DE I,A PR0VDENCE DANS LÂ NATURE: 309

touLes leurs conditions d'existence, les êtres alors vivants

auraient eu besoin de subir dans l'ensemble de leur or-ganisme une transformation également soutlaine. Or,

la sélection naturelle qui n'opère qu'à la longue, ne

pouvait pas produire ces adaptions implovisées; prise

de coult e[ n'ayanl point à sa disposition les siècles

dont elle a besoin pour transformer les espèces en accu-

mulant les différences, elle étai[ impuissaute à sauverses élus. En somme, ou elle n'a rien fait, ou ce qu'elle

a entrepris a été immédiatement interrompu, et les es-pèces qu'elle commençail à produire ont péri avant d'être

achevées. Enfin, < si cette transformation progressive> des êtres ébait un fait réel, si les animaux e[ les végé-> taux les plus simples avaient, en se perfectionnant,> donné naissance à des ê[r'es plus complexes, la paléon-> tologie en découvrirait des traces. En passant d'une> période géologique à l'au[re, on trouveraib des êtres) en voie de transformation, de véritables intermédiaires, qui représenteraient toutes les phases de ces méta-, morphoses. ÏIais loin de là, nous observons, au con-

> traire, en ooflrparant les êtres organisés de deux> périodes successives, une interrupbion brusque entre> les formes animales ou végétales; nous cons[atonsr {u0 des Faunes et des Flores distinctes se remplacent> dans la série régulière des formations, et tous ces

> faits viennent nous démontrer la pluraii[é de la suc-

r, cession de créations organiques spéciales aux divers, âges de notre planète. L'espèce n'a donc pas plus> varié pendant les temps géologiques que durant la

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I

310 cÉapÏlnx xrl. - nns ruÉonrrs QUr suprnnrni{ti

n périodé de I'homme; les révolutions que notre globe a

n subies, et dont iI porte les s[igmates indélébiles n'on[D pu altérer les types originairemenb créés; les espèces

> ont conservé leur sbabilité jusqu'à ce que des condi-n tions nouvelles aient rendu leur existence impossible;> alors elles ont péri, mais elles ne se sonl pas modi-D liées r. u

Àinsi I'hypolhèse de la séleetion naturelle n'a pas seu-lement contre elle ses impossibilités intrinsèques et les

faits historiques qui la démentent; les antiques annales

de la vie sur qotre globe la condamnent encore par

l'autorité de leur témoignage et par celle de leur si-lence.

:

Ë0 maintenanl, il est inutile de nous arrêter aux dé-tails et de chercher de nouveaux arguments dans les

faits particuliers qui, de son ayeu même, embdrrassent

le plus notre auteur. Tels son[ certains instincts remar.quables des animaux, e[ certains organes très-parfaits,

en[re lesquels liæil es[ te plus atlmirable. Nous dironscependant un mot des uns et des autres pour montrer

combien est vain l;espoir de se passer de la Providence

dans I'explication des choses, et jusqd'où un esprit;

d;ailleurs très-ingénieux e[ très-savant, est obligé de

descendre quand il veut, en dépit des faits; maintenir à

tou[ prix un sys[ème préconçu.

l; Godron, d,e I'Espèce et des Raceq t. I'P. 331'334,

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L'ACTION DE TA PAOVIDENCE DANS IA NATURE. 3I I

{o M. Darwin insiste beauconp sur les modifications

hérérlitaires e[ progressives que des conditions nou-velles d'existence amènent dans les instincts des ani-maux. .Ie ne veux contester ni la possibilité, ni la réalité

de ces changements e[ de ces progrès. Mais, quelle que

soit leur limite, je n'y saurais voir I'effet exclusif dnune

sélection nalurelle ou de quelque autre force opérant

sans dessein et sans conscience. Tout au contraire, cetteptasticitë de l'ins[inct, ces ressources irtattendues, ce[te

ver[u de s'adapter à des conditions nouvelles et de deve-

nir à I'heure di[e ce qu'il faut qu'il soit pour le bien de

l'être vivant. m'offrent au plus haut degré le caraclère

de I'appropriation et de la finalité; j'y reconnais les

marques d'une intelligence qui, n'étant assurémeut pointdans I'animal, doil ê[re quelque par[ hors de lui, au-dessus de lui, dans une pensée supérieure à l'aveugle

nature, dans une Providence qui dirige les êtres vers ullbut qu'ils ignorent et qu'elle connait pour eux. Cette

Frovidence se montre donc avec une complète évidehce

dans les instincts qui se perfectionnent par une sorte

d'éducation natufelle, Mais elle se montre arec plusd'éclat encore dans ceux Qui sont nécessairemenl par-faits dès I'origine, et pour lesquels il n'y a pas de milieueutre n'être poin[ et être pleinemen[ développés. Car ilne faut point accorder à M. Darwin qu'il n'y en ait pas

de tels, e[ que tous les instincls commencent par une

phase d'imperfec[ion grossière pour s'élever par un pro-grès insensible à l'état où nous les voyons aujourd'hui.Àucune transilion de ce genre ne saurait être admise

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312 ùEArITnE xiT. - Dxs rHxoRrrs QrJI srJPi'RIriÈNr

pour plusieurs d'entre eux, par exemple pour I'instinc[

qui nous est offert par divers insectes lorsqu'ils déposentleurs æut's. < Ces animaux ne verront jamais leur pro-r géniture et ne peuvent avoir aucune notion acquise> de ce que deviendront leurs æufs, et cependant, ils> ont la singulière habitude de placer à côté de chaque> æuf un dépôt de matière alimentaire propre à la nourri-

r lure de la larve qui en naîtraa,

et cela, alors même)) que le régime de celle-ci diffère tdtalement du leur 2,

> e[ que les aliments qu'ils déposent ainsi ne leur seraien[> bons à rien pour eux-mêmes 3. >

2o L'æil parait avoir beaucoup embarrassé M. Darwinqui reconnait < qu'au premier abord, il semble de la> dernière absurdité de supposer que cet organe, si

> admirablement bons[rui[ pour admettre plus ou moinsr de lumière, pour ajuster le foyer des rayons visuelsr à différentes distances et pour en corriger I'aberrationr sphérique et chromatique, puisse s'être formé paru selection naturellea. o Cependant, il ne se découragepas, et pourvu qu'on lui accorde qu'un nerf peut être

sensible à la lumière, iI croit possible d'arriver, par de-grés successifs, de ce modeste point de départ à I'æiI leplus parfait. Or, c'es[ en quoi son entreprise est visi-blement chimérique. Il a beau décrire les différenbs sys-

l. Exemple, le nécrophore.

1. Exemple, le pompile.3. Milne-Edwards, Zool,ogie, p. 239.

4'. De l'origùne des espèces, p. 271.

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L,ACTION DË LA }hOVINENCE DANS tA NATTJNË. 3I3

tèmes d'appareils visuels qu'offren[ les divers embran-

chements du règne animal; entre le nerf sensible à lalumière e[ I'æil le plus simple, il y a un intervallebrusque où on ne saurait placer d'intermédiaire. Carl'æil le plus simple est déjà un très-parfait instrumentd'oplique, et le nerf susceptible d'être ébranlé par lesondulations lumineuses n'a rien absolumen[ qui offre cecaractère. &I. Darwin commence par

chercher dans lanature qui nous présente tous les degrés de l,organisa-tion, quelque trace des transitions qu'elle devait offrir.entre ces deux extrêmes, si elle passait réellernent deI'un à I'autre. Fuis il s'aperçoit qu'il cherche en rain;il reconnaît que les intermédiailes manquent, et finale-ment il comble I'intervalle à force de. suppositions arbi-

traires qui le fonl entrer à pleines voiles dans la doctrinedu hasard, dernier mot, en effet, de foutes les théoriesqui ne veulenl point expliquer par I'intellige'ce les æu-vres de I'infelligence.

Et c'est aussi ce dernier mot qui les juge. Chaquefois que I'idée du hasard a voulu se glisser ou s'intro-

duire de vive foroe dans I'explicalion de la nature, enmême temps qu'elle était repoussée instinctivemen[ parle bon sens, elle trouvai[ dans la science même surlaquelleelle prétendait s'appuyer uue réfutalion péremptoire,Ilpioure, et, avanb lui, les sophistos avaien[ cherché, dansla physique peu avancée de leur temps, des argumentspour établir que les choses s'arrangent comme elles peu-

venl et que les Dieux ne s'occupent pas du monde; cefut cet[e physique elle-même, tout incomplète qu'elle

{8

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3t4 crulrlRE ru. - DES ruÉontns Qut supPnntnnr, tfc,

étai[, qui fourni[ à Socrate, aux Stoïciens, à Cicéron,

des armes pour chasser du domaine de la philosophieles partisans du hasard. Il en est de même aujourd'hui;la science de notre siècle, à mesure qu'elle pénètre plus

avant dans les mystères de I'harmonie universelle, ré-

siste avec plus d'énergie aux tentatives souvenb renou-

velées pour affaiblir le témoignage qu'elle rend au gotl-

vernement divin du monde, e[ chaque objec[ion qu'ol]lui emprunte ajoute un argument de plus à la démons-

tration de la Providence.

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.. OEAPITRE XIII

LE MIRÀCLE ET LA PRIÈR'E

lât

Importance philosophique de ces deux questions. - Leur importancereligieuse. - D'oùr vient la répugnance des spiritualistes séparés

contre le miracle et la prière ?

1. lctée âu miracle. Que le monde a commencé par un miracle. - Con-tingence de Ia nature. Que ses forces sont toujours soumises à laforce divine. - Harmonie de f idée du miracle et de I'idée de l'ordre.Aperçus sur les raisons possibles du miracle.

11. La prière. - Points sur lesquels tous les spiritualistes sont d'ac-cord. - Préjugés rationalistes conlro la prière de demande..Témoi-gnage du genre humain en sa faveur, Témoignage de la conscience.

: Objections et, répouses.

La question du miracle et la questibn de Ia prière ap-

partiennent certainement à Ia philosûphie. Tant qu'elles

ne sont pas abordées et.résolues, la doctrine de la Pro-

vidence reste incomplète, e[ la raison n'a pas dit [out

ce qu'elle sai[, ou du moins tout ce qu'elle peut et doitsavoir concernant les rapports de Dieu et du monde.

Quelle est la puissance du Créateur sur les lois par les-quelles il gouverne I'univers? Est-il à ce pointenchalné

par elles qu'il ne puisse plus intervenir dans le monde

de la nature ou dans le monde de I'esprit par un acte

direct de sa volonté ? ou ,bien, .au contxaire, reste-t-iltoujours maî[re de suspendre ou de modifier le cours

ofdinaire des choses pour des fins digues de sa sàgesse

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316 f]HAPITRE XIII.

-I)'autre part, quelle doit être I'attitude des êtres in-

telligents e[ libres en présence d'une Providence de quiils ont reçu et reçoivent encore tout ce qu'ils ont ? Con-vient-il qu'ils attendent ses dons comme le payementd'une detle ? ou bien le sentiment de leur dépendanceet de leur faiblesse leur impose-t-il le devoir de lui de-mander la lumière et la force pour connaître et attein-

dre leur destinée ? Ce ne sont point là des problèmesqui dépassent la portée de I'intelligence humaine; lesens commun de I'humanité les a depuis longtemps ré-solus, e[ notre théodicée serait métaphysiquement bienimpuissante et moralement bien stérile si elle ne pou-vait les résoudre à son tour.

Nous devrions donc, sous peine de laisser dans notredoctrine une injustiliable lacune, leur donner une place

dans ces études et les discuter avec quelque étendue,quand bien même il nous serait possible de nous dé-sintéresser du grand débat religieux qui, sous milleformes et malgré tout ce quoon peut dire de notre frivo-lité ou de notre indifférence, est encore la préoccupation

principale de notre temps. Mais leur extrême importancedans ce débat, auquel la philosophie ne doit pas et nepeut pas rester étrangère, nous est une raison de plusde nous y arrêter. Ils vont en effet nous amener à choi-sir entre deux spiritualismes, celui qui, de parti pris,se tient en dehors de toute foi positive, et celui qui,

allant jusqu'au bout de Ia raison conduit les espritsdroits et les cæurs sincères jusqu'au seuil de la révéla-tion chrétienne. Déjà, sans doule, I'histoire du dogme

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LE MINACLE ET tA PRIÈRE. 3IT

de la création a dù, si nous avons su la comprendre,

luous éclairer sur ce choix qui décidera de notre avenir.Nous arons constaté ce fait capital que toute la science -

antique, que toutes les religions non chrétiennes ont,

é[é impuissantes à expliquer d'une manière raisonnablela coexistence de Dieu et du monde, et que notre foiphilosophique à un Dieu créateur est historiquement de

provenânce chrétienne. Si donc la raison moderne doitau chris[ianisme, et au christianisme seul, de ne plus

osciller entre I'erreur dualiste qui allère la notion de

Dieu en imaginant hors de lui une matière é[ernellement

indépendante, et I'erreur panthéiste qui lui porte une

atbeinte plus profonde encore en identifiant le fini avec

I'infini, ce bienfait, à défaut d'autres preuves, suË

firait à montrer que le sor[ de la vérité philosophique esI

étroitement enchaîné au sor[ de la vérité 'religieuse, e[

que le. niveau de la foi spiritualis[e monte ou baisse itt-failliblement avec le uiveau de la foi chétienne. Mais cet

exemple noest pas le seul, et la conclusion que nous ell

avons tirée s'impose avec une nouvelle évidence à qui-

conque obsert'e I'attitude de la philosophie contempo-raine dans les deux questions que nous allons étudier.

Bien que la notion du miracle et la notion de la prière

l'assent partie l'une et I'autre du domaine dela raison, ilest cerlain qu'en fait, elles ne sont conservées aujour-

d'hui que dans la philosophie chrétienne. Partout ail-

leurs elles sont niées, méconnues oualtérées, non-seu-

lement par la philosophie négative qui voudrait bannir

Dieu du monde, et réussit trop souvent à le bannir de la{8.

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3,I8 I]HAPITRE XIIL

raison humaine, mais par le spiritualisme rationaliste

qui oroit au Dieu créateur et au gouvernement de laProvidence. Évidemment ces notions le gênent, et nous

le voyons prendre à leur égard une attitude pour le

moins défiante, dont les raisons se laissent aisément

deviner. Le miracle joue un si grand rôle dans llétablis-

sement du christianisme, il résiste avec tant de puis-

sanoe à tout effort pour lui re[irer sa valeur historique,son oaractère surnaturel éclate si bien dans la faiblesse

même de toutes les hypothèses imaginées pour I'obscur-cir, enfin le témoignage qu'il rend à la divinité de larévélation est d'une autorité si imposante, qu'il faut ou

I'aceepter tel qu'il est, avec toutes ses conséquences, ou

combattre a pri,ori, saréalité en soutenant que sa notion

même est en soi absurde et contradicloire. C'est pour

cela que dans la question du miracle, le rationalisme

renverse la règle ab actu ad' Ttosse aalet consequentia;

au lieu de dire; Le miracle est, donc il est possible, ilraisonne ainsi: Le miracle n'est pas possible, donc iln'est pas.- D'autre part, la prière qui demande humilie

si fort I'orgueil philosophique, en lui imposant I'aveu dela faiblesse de I'homme et de sa dépendance à l'égard

de Dieu, qu'il est presque impossible de la reconnaîtrepour un" devoir et pour une eondition de la vertu sans

abjurer plus qu'à demi, pâr ce seul fait, le préjugé ra-tionaliste. - Enfln, lechristianisme est si excellemment

la religion de la prière, la prière enseignée sur la mon-tagne revient si naturellement aux lèvres qui I'ont une

fois prononcée, le philosophe qui s'imposerait la loi et

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I,E MIBACIE ET TA PRIÈRE.

I'habitude de prier en spiritualiste courrait un si gros

risque de finir par prier en chrétien, qu'il y a vraimentde quoi s'elfrayer et de quoi reculer devant un tel péril.Il faut donc ou qu'on nie I'efficacité et I'obligation de laprière, ou qu'on la dénature par une explication rationa-liste qui la réduise < à n'être au fond qu'un ferme pro-o pos de faire le bien et une aspiration vers Dieu {. r

Nousprenons

acte de ces répugnances et nous les[rouvons bien fondées. Nous croyons, comme les ratio-rtalistes en ont le sentiment instictif, qu'admetfre lapos-sibilité du miracle et Ia nécessité de Ia prière, c'est avoirfait un pas décisif versle christianisme. Nous disonsdeplus, eb nous espérons montrer que celte possibilité etcetfe nécessité ne sont pas seulement des articles de

foi, mais encore des vérités scientiflquement démontra-bles. Que si la raison et la logique nous forcent ensuiteà conclure que la philosophie chrétienne, qui seule saitconserver dans son intégrité Ie dépôt des vérités naturel-les, est la vraie philosophie, e[ que la vraie philosophieconduit au christianisme, nous ne condamnerons,point,

la logique et la raison, et nousnoaurons garde de repousser des vérités qu'elles nous auront apportées par unchemin si rapide et si sùr.

I

ll n'y a point tle rlifficulté sur la définition du miracle.

l. Jules Simop, lareligton naturelle, p. 382.

319

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I

I

I

I

)

IIt

390 CEAPITRE XIII.

Ceux qui admettent sa réalité historique et ceux qui

nient jusqu'à sa possibilité le conçoivent égalementcomûre un effet qui ne peut être protluit par les forces

de la nature. agissant suivant les lois qui leur sont pro-pres. C'est une loi de la nature que les mouvements pla-

nétaires, étant causés par un système de forces cons-

tantes, sont continus 9t sans inLerruption; la cessation

momentanée de la révolutionde la terre autour du so-

leil serait donc un miracle. Donner la vue par une pa-

role à un aveugle de-naissance serait encore faire un

miracle, parce que c'es[ uneloi des êtres vivants qu'ayant

perdu ou n'ayant jamais possédé I'usage d'un de leurs

organes, ils ne puissent le recouvrer ou I'acquérir que

par des causes et des moyeus physiologiques, et non

pas par I'action directe et unique d'une cause morale.Bnfin la résurréction d'utt morl serait un fait miracu-

leux, parce que les forces de la nature sont reconnues

incapables de rappeler la vie dans un corps d'où elle s'est

effectivemenb et pour tout de bon retirée.

Sur cela, j'admire par quelle étourderie un philosophe

spirilualiste, e[ qui croit à la uéation, peut se persuaderqu'il ne crdit pas à la possibilité du miracle. Non-seu-

lement il croit que le miracle est possible, mais il af-

firme, ap.paremment sans s'en douter, que le miracle est

réel à l'origine des choses, et que c'est par lui que tout

ce qui est a commencé d'être. En effet, Ies lois de Ia na[ure

ne commqncent d'agirque quand les êtrès dont la na-

ture se compose ont commencé d'existèr. Elles donnen[

la formule des actions réciproques de ces êtres: mais

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LE MINÀCLE NT LA PNIÈRE. 32I

cen'es[ pointpar elles que

ces êtres existent. Elles n'ontpoint de ver[u créalrice, et la production intégrale d'unseul atome de matière dépasse visiblèment leur puis-sance. La production du monde est donc a fortiori anellet qui n'a pu être causé par les forces de la natureagissant suivant les lois qui leur sont propres; elle estmiraculeuse, et il est absolument vrai de dire que qui-conque croit à la création croi[ au plus grand de tousles miracles.

Soit, dira-t-on ; là où les forces de la nature n'exis-tent pas encore, il est clair qu'elles ne sauraient agir;ce n'est pas d'elles, mais de la puissance de Dieus'exerçant directement que peut partir le mouvemenf ini-

tial qui leur donnera naissance e[ constituera leurslois" IIais il n'en êst pas moins vrai que les lois na-turelles, une fois é[ablies, sont immuables : car, que

sont-elles, sinon les rapports nécessaires qui dériventde la nature des choses ? Cette nature étant posée, lesphénomènes dont sa vie totale se compose s'enchai-nent les uns aux autres avec une inflexible rigueur où

il n'y a place pour aucune èxception ; et quand on ima-gine, par exemple, qu'à un momenb donné, la terre apu cesser, p&T miracle, de tourner autour du soleil, onénonce une proposition aussi contradictoire que si I'onparlait d'un toul devenu miraculeuser.nent plus petit quesa partie.

On le voit, c'est sur la célèbre définition des lois, telleque la donne Montesquieu, que s'appuie la théorie deI'impossibilité métaphysique du miracle. Aussi cette

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922 CEAPITNE XIII.

définition, entendue comme on I'entend ici, est-elle à

bon droit contestée par tous les philosophes chrétiens,et, avec eux, par tous les philosophes spiritualistes qui

tiennent à Ia distinction fondamentale de l'expérience

et de la raison, du contingent et tlu nécessaire. Mais

neus avons déjà rendu à la formule de Montesquieu sa

véritable valeur {, et nous savons en quel sens on peut

admettre que, dans le monde matériel, toute loi dérivenécessairement de la nature des ê[res qu'elle régit. Nous

savons que cette nature elle-même est contingente i Que,

si elle peut être détruite, à plus forte raison peut-elle

être modifiée par addi[ion ou par diminution 2, et

qu'ainsi, dans la mesure où Dieu voutlrait modifier tem-

porairement (comme il le peut touiours) la nature desê[res qu'il a créés, dans cette mesure la loi qui les ré-gissait jusqu'alors cesserait de leur être applicable. -Nous savons de plus que ce moyen n'es[ pas le seul

dont la puissance de Dieu dispose pour susperdre les

lois qu'elle a établies; qu'en effe[ ces lois n'étant que

I'action régulière et constante des forces {inies de la na-

ture, chacune d'elles est inévitablementneulralisée dans

ses eflets-par toute force agissant en sens opposé avec

une énergie supérieure ; que, par exemple, la loi d'ex-pansion à laquelle les gaz obéissent est combattue et

{. Yoir plus hqut,'p. 24t.

2. Lasèule choso que Dieu ne puisse pas faire à son égard,

ce serait d'ajouter à ses propriétés une autre propriété incom-patible avoc elles, ou de Ia dépouiller d'un attribut nécessaire-

ment impliqué dans ceux gu'elle conserve,

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Ln utna.crn ET la pnrÈnn. 393

taincue par la résistance des vases où cin les enferme,

la loi de la pesanteur par la force musculaire qui, surI'ordre de ma volonté, empêche mon bras de tomberet retien[ caplifs dans ma main les objets que leur poidsentraine vers le sol I que, par conséquent, ce[te forceinfinie qui s'appelle"Dieu peut toujours, par un ac[e de

sa [oute-puissance, empêcher I'une quelconque des lois

du monde physique de produire son effet, et cela sansmodifier la nature même des êtres, ni abro 'er les loisdont il intercepte e0 suspend I'ac[ion.

Il y a donc une très-manifeste contradiction à repous-ser o prior,i Ie miracle comme impossible. On accordesans difficulté que je puis, en soulevalt un fardeauproportionné à mes forces, opposer une résistance vic-torieuse à la loi de I'attration universelle; de I'aveu de

tout le monde, ce serai[ un trait de folie d'oser, en

ilépit des faits, me contester ce pouvoir. L'absurditéniest-elle pas beaucoup plus énorme et la contradic[ionplus visible d'oser dire que Dieu, avec sa puissance infi-nie, ne peut pas suspendre I'action des forces finies de

la nature, e[ que, par exemple, cetle même loi d'attrac-tion le rend rellement impuissant à maintenir notre sys"

tème planétaire dans une immobilité de douze heures?

Mais si les miracles ne sont pas au-dessus de la puis"

sance de Dieu, peut-être sont-ils au-dessous de sa sa=

gesse, et peut-être ftiudra-t-il, tout en reconnaissantleur possibilité métaphysique, contester leur convenaned

et leur possibilité morale ?

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3ù4 CBAPITRE XIII.'On

les conteste en eflet. On invoque e,ontre le miraclela grande idée de I'ordre eb la

régularité du corirs de lanature. 0n nous rappelle que, de notre aveu? c'est pardes lois générales que la Providence régit I'univers, etI'on af{irme que si Dieu peut.absolument déroger à ces

lois dont il est I'aubeur, il n'y déçogera certainementpas. De tels caprices et de tels coups d'État dérange-raient, dit-on, le plan de son æuvie e[ troubleraient

la magnifique harmonie de la vie universelle. Bienplus, en convaincan[ la législation divine de ne pas

suffire à tout, ils convaincraient son auteur de n'avoirpas su tout prévoir. Dieu ne serait plus qu'un de

ces 'législateurs malhabiles qui, avertis par une tar-dive expéfience du vice de leurs instiûu[ions, se voient

reduits à les corriger après coup par des expédientsarbi[rairesCette objection aurait quelque force s'il était vrai que

toute dérogation à une loi, même contingente, constitue,quel qu'en soit le motif, un désordre incompatible avecles principes d'un bon gouvernement. Mais, lorsqu'ils'agi[ d.u gouvernement divin, cela n'est ni évident, nidémontrable; et si la sagesse de la Provirlence se ma-rrifesle en général par Ia constance' des lois, ce coursordinaire n'exclut aucunement la possibiliÉ moraled'une intervention immédiate où le doigt de Dieu semanifeste,par une empreinte plus visible, Ce qui estessentiel dans le gouvernement du monde, c'est I'ordre.

Les lois générales en son[ la forme habituelle e[ nafu-relle, mais non point la forme unique et nécessaire. Les

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I,E }IIRÀCLE ET tA FRIÈRE. 32};

suspendre par caprice arbitraire? sans raison e[ sans but,

ou les suspendre in, entrenris pour parer d'urgence à

des incouvénients qu'on n'a pas su préveniro cela certes

serait contraire à I'ordre, et rien de tel ne peut même

être supposé dans le royàume de Dieu. Les suspendre

par un décret éternel, pour atteirtdre, dans un cas par-ticulier, une fin plus hau[e e[ réaliser un bien plus par-

fait que la fïn et'le bien duxquels ces lois peuvent cou-duire, cela es[ au contraire souverainement conforme à

l'ordre, parce que oela est confornte à la sagesse et à laprévoyance divines. De telles dérogations, s'il y en a, ne

dérangent pas le plan de I'univers; elles en fon[ partie.Elles n'y sont poin[ inlrodui[es après coup; êlles y

ont leur.placemarquée

d'avance,elles

en complètentla beauté en rérélan[ sous un nouvel aspect I'acfion

toujours présente et I'inépuisable fécondité de la Frovi-dence.

Que si I'on nous somme de [racer la limite où ce[te

intervention spéciale de Dieu doit s'enferrner pour rester

d'accord avec sa sagesse, et de décider quels sont les

cas par[iouliers dans lesquels Dieu a le droi[ db fairedes miraoles, on nous tend un piège, et on cherche à

nous attirer sur un terrain où nous ne devons pas péné-

trer. Nous ne somrnes dans le secret,des desseins parti-culiers de la Frovidence qu'aul,ant qu:elle veut bien

nous y mettre; il tr'y a qu'elle qui sache toutes les rai-

sons de oe qu'elle fait; et puisqu'en celte matière, elle.est le seul juge compétent, la réalité .historique d'unfai[ miraculeux cloit nous être la meilleure pl'eure non-

tI. r9

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îa

326 c HAPTTRË xrti.

seulement de sa possibiliÉ métaphysique, mais de sa

convenance moraleToutefois, ce que nous connaissons du plan général

de la création nous permet d'entrevoir a priori' le rangque le miracle y peut tenir et le genre de beauté qu'il ypeut ajouter dans les temps et les lieux ôhoisis par lasagesse divine.

Nous savons, en effet, parce que cela est démontré,que I'ordre physique est subordonné à I'ordre moral;qu'une àme intelligente et libre a plus de valeur que

tles millions d'étoiles; que Ie monde des corps est faitpour aider à I'accomplissement de leur destinée les

êtres dont se compose le montle des esprits. Nous savons

aussi, parce que cela est évidenf, que s'il y a un ordresurnaturel, c{est-à-dire, s'il a plu à Dieu d'appeler les

êtres raisonnables à une fin plus haute que la fin rJâr-quée par leur nalure, I'ordre naturel tout entier se sub-

ordonne et se rapporte à cet ortlre supérieur, Nous en

pouvons immédiatemont conclure que, si Dieu fait servir

à une fin morale ou surnaturelle la suspension momen-tanée de quelque loi physique, loin d'introduire par làle désordre dans le monde de la nature, il le fait, âu con-

traire, en[rer excellemmenl dans l'espri[ de son rôle;car il le met avec une intensité et un éclat extraordi-naires à un service qui fait sa grandeur, au service de

I'espri[ et au service de la grâce,

Supposons, par exemple, qu'il entre dans les des-seins de la miséricorde divine de verser la lumière

flans une intelligence que le spectacle mal compris de

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I,Ë }IIRÀCTE ET LÂ PRIÈRB. :l2T

Ibrdre universel a conduite, non à adorer la providence,mais à la méconnaitre et à ne voir dans les lois de lanature, en apparence immuables, que le jeu fatal d'unsystème de forces mécaniques; et suptr)osons que, pourrendre à cet esprit égaré le sentimenf du rlivin, il daigneinterrompre le cours ordinaire des choses par un de ces

coups d'autori[é où visiblement il agit seul.Supposons encore que Dieu ait.voulu conserver dansle monde, au milieu de la nuit des erreurs? le flambeaudes grandes traditions primi[ives; qu'il ai[ jugé à proposde choisir une lation entre toutes les autres pour enfaire la vestale de la r'érité religieuse, et qu'afin duy

assurer la conservation intégrale de ce dépôt sacré, ilmanifeste son existence, sa présence, son action parune série de merveilles qui montrenf à cette na[ion, ten-tée de naturalisme, la dépendance cle la nature à l,égardde son auteur.

Supposons, enfin, qu'il s'agisse de fonder sur la terréle règne de la religion véritable et l;âutorité d'une parole

qui enseigne des mystères;'r supposons que la Frovi-dence, qui se sert du cours régulier de la nature pourétablir la foi aux vérités naturelles, se serre du miracle;de la vue rendue aux aveugles, des pains mullipliés,de lépreux guéris, des.morts ressuscités, comme dounelettre de méarrce pour établir la foi aux vérités surnatu-

relles; - et supposons que, soutenue par ces témoi-gnages, la bonne nouvelle se répande et se fasse â.ccep-ter; qu'elle produise dans les âmes un épanouissemen[de vertus, dans les sociétés une civilisation. dans le

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328 CHÀTIÎRE trIII.

monde toutentier une révolution pacifique, à quoi rierl

ne puisse être cdmparé ni avant, ni après elle'

supposons tout cela, et demandons-nous s'il serait

permis tle parler encOre de caprice, d'imprévoyance, de

âésordre à propos de ces manifeslations sensibles de Dieu

qui auraienb pour but eb pour résulta[ d'éclairer une

intelligence, tle conserver la vérité à travers les âges,

de renouveler la face du monde; ou bien si, tout au

con[raire, elles ue révéleraient pas avec une incompa-

rable splendeur la beauté e[ I',harmonie du plan univer-

sel, l'exacte appropriation des moyens aux fins, la subor-

dination hiérarchique du règne de la mat'ière à celui

de l'esprit, et du règne de la nature à celui de la grâce,

en un mo[, l'ordre du monde et la sagesse de la Provi-dence.

Disons-le dottc, si courte que soil nolre vue, elle

s'étend assez pour nous montrer, qu'en soi, I'idée du

miraôle ne répugne pas plus aux attributs moraux de

Dieu qu'à ses altributs métaphysiques. sans chercher

à péné[rer laprofoncleur des secrets que Dieu s'est

réservés à tui seul, nous pouvons concevoir des cas

extraordinaires où ce mode d'ac[iou convient éminem-

ment aux fins ile sa Froridence' Fuis, lorsque nous

passons tle ces conceptions hypo[hétiques aux réalités

àe I'histoire, les grancls fai[s miraculeux que celle-ci

rlous offre nous apparaissenb comme aussi bien justifiés'

aussi conformes aux exigences de I'ordre, aussi dignes

de Dieu qrt'ils sonf attthen[iquement attestés'

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LE UINACTE I]T tI PRIÈNE.

II

Il y a, dans la question de la prière, des points surlesquels nous sommes dispensés d'insister, parce qu'àleur égard toub le monde est d'accord; j'en[ends parmiceux qui croien[ en Dieu e[ en sa Frovidence. La prièrequi adore esl le mouvement naturel et comme I'atti[udeobligée de touf être qui se sai[ imparfait, en présence

de la perfection infinie. La prière qui remereie esL unbesoin encore plus qu'un devoir pour toute âme qui n'apas perdu le sentiment de la justice; elle est la formenécessaire d'une gratitude qui doit surpasser toute gra-

titude comme les bienfaits de Dieu surpassent tout bien-fait, et qui, ne pouvant acquitter sa dette incalculable,se soulage en la proclamant. L'une e[ l'autre a danstoute vie bien réglée une place obligatoire que nul spi-ritualiste, en théorie du môins, ne voudrait lul con-tester.

Dfiais I'homma.ge et I'aclion de grâces ne sont pastoute la prière. L'acle que ce mob désigne es[ essen-tiellement un acle de demande, soit qu'il s'adresseà la libéralité de Dieu pour solliciter une faveur, ouà sa miséricorde pour obtenir le pardon en promet-tant Ie repentir. Or, c'est au sujet de cet acte qu.e le

dissentiment commence. Beaucoup de spiritualistes ne

le jugent ni obligatoire, ni utile, ni tout à fait con-forme à la dignité.humaine. Tantôt ils élèvent contre

329

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$30 CUA?ITRD XIII.

lui ptusieurs objections dont nous devrons discuter lavaleur; tantôt ils conservent le nom,. mais supprimentla chose en dé.naturant I'idée que ce nom exprime. Ensomme, I'on peut dire que, parmi les traits qui-distin-guent le spiritualisme chrétien du spiritualisme rationa-liste, I'accepfation ou le rejet de la prière qui demandeest uri des plus franchement accusés.

Constatons d'abord que, dans ce débat où nous avons

à prendre parti, I'humanité n'est pas restée neutre, Elleajoute tout le poids de son témoignage à Ia philosophiequi acoepte la prière, laissant ainsi dans-un absolu

isolement Ia philosophie qrri la rejette. Comme il n'y apoint de na[ion qui soit absolument sans Dieu et qui ne

traduise sa foi religieuse par un culte quelconque, il n'y

a pas non plus de culle dont la prière ne soit le centreet la base. Sans doute, par suite de la diversité des

dogmes, la prière preud des formes très-différentes et

subit bien des déviations. Souvent elle s'adresse à des

divinités sourdes et.impuissan[es. Farfois, elle se désho-nore eb déshonore le vrai Dieu par f impiété de ses de-

mandes, Mais ni ces erreurs, ni oes profanations n'affai-blissent son autorité comme fait universel. Elles fontéclater, au oontraire, toute Ia puissance d'un instinctqu'on peut hien égarer, mais qu'on ne saurait étouffer.En témoignant que I'humanité n'a jamais su se passer

de la prière'et n'a jamais douté de son efficacité, ellesnous invitent à chercher la cause d'un phénomène siconstant, non dans quelque institution politique, dans

quelgue préjugé local, dans quelque circonstance âcci-

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I,D MIRACI,E lFT LA PBItnÏ, 33{

dentelle , mais dans la nature bumaine ello - mpme,

Parlons seulement de la prière qui se rapporte auxgrands intérêts de la vie morale. C'est par elle, si I'onsait prier, qu'il faut commencer et finir; on ne demands

légitimement les biens extérieurs et présents qu'à con-

dition de les subordonner, au moins implicitement, à

ceux de I'esprit et de la vie à venir, Ainsl ramenée à sa

véritable notion, la prière a sa source dans les profon-deurs de l'âme, dans oette psychologie naturelle qui

donne à chaoun de nous le sentiment de sa dépendance

et de sa misère, dans cette expérience de la vie qui nous

apprend à ne faire fonds sur rien ni sur personne,

Sous quelque aspect que je m'envisage moi-même,

j'ai conscience de ma faiblesse, et je reconnais gu'au-

cune assistance humaine ne suflit à la soutenir. - Je

me sens faible contre I'erreur, Que de fois, dès qu'ils'agissait de vertu et de devoir', il a suffi d'une mauvaise

raison pour désarçonner mon bon sens Que de fois les

sophismes intérieurs, l'égoisme, la làoheté, I'orgu'eil,

I'attrait des jouissancgs ont obscurci à mes yeux les

vérités les plus claires Que de fois, après avoir donnéà quelqu'un de mes semblables d'excellents conseils

pour la direction de sa vie, la lumière m'a manqu6pour diriger la mienne I Que -de fois, ayant cherch6

cette lumière dans les livres ou dans les discours des

hommes, j'ai senti qu'elle n'était pas là, et qu'il fallait

ou désespérer d'elle, ou la demander à Celui qui en estla source éternelle I - Je me sens faible eontre la souf-

ftance. J'ai beau en connaitre la théorie, j'ai^beau sayoir

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iiSt CIiAPITRT XIII.

qu'elle a sa place daus l'économie providen0ielle du

monde, qu'elle est la condition et l'épreuve des vertusviriles, qu'elle purifie I'âme eb l'élève en la détachantdu sensible, qu'elle aura dan"s la vie véribable des com-prensa[ions magnifiques ; quand certaines blessuresm'at[eignent, je murmure et je me décourage ? moncæur brisé ne trouve en lui-même que des amertumes,

hors de lui, que des consolations bien chétives. Jecherche url consolateur qui ne se fatigue jamais du

récitdemesmisères, qui veuille et qui puisse les adou-cir, qui me donne la force de les porter, qui m'apprenneà les rendre féeondes par une accep[ation volontaire.

Si je le renco.ntre, je sens que c'es[ vers lui, vers luiseul tout-puissant e[ tout bon, que mon âme s'élancera

toub entière ; et je sens qu'en me permettant de I'invo-quer dans la souffrance, il aura déjà commencé de laguérir. - Je me sens faible sur[ouf en face du devoir.La vertu est si'loin, le chemin si rude, les tentations sifortes, ma volonté si inconstante, mes résolutions sifragiles t Je chancelle à chaque pas ; au lieu d'avancer,

je recule I les conseils, les exemples, les presoriptionse[ les sanctions des lois, tous les secours humains sontpeu de chose, je I'ai souvent éprouvé, pour me dé-fendre de moi-même. Il y a au fond de mon âme une

voix qui implore un appui plus solide et qui, dans lesgrandes crises de la vie rnorale, s'écrie avec angoisse :

Domine salua nos,, perimels.. Mais surtout quand le malest entré en moi, quand iI m'a fait perdre en un jourtout le terrain que j'avais lentement conquis, quand son

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LE }IIRACLE ET tA PRItr:NB. 333

joug s'es[ appesanti par la force de I'habitude, je sens

que je ne suis plus seulement chancelant et faible ; jesuis blessé et gisanf à terre; je ne puis ni me guérir,ni me relever, ni me purifier seul, et la prière qui de-mande la grâce du pardon rient d'elle-même à mes

lèvres.

Et maintenqnt, croirai-je que cet instinct est trom-

peur, que cette lumière, cette tendresse, cette puis-sance, cette miséricorde infinies qui sont en Dieu, ne

répondront point à mon invocation? Croirai-je qu'en lesimplorant, je les détournerai de s'incliner vers.moi'?Sans aller jusque-là, croirai-je que je fais une chosË

inutile en suivant le mouvement qui attire mon cæurvers la prière, et qde je puis me dispenser d'adresser

mes væux à celui qui seul a le pouvoir de les exaucer ?

Je songe que Dieu es[ mon père et ma mère, et,jereuxille souvenir de ce qu'atlendaient de moi. dans lesannées de ma jeunesse, cel autre père et cette autremère auxquels il m'avaient con{ié. Quand j'avais besoinalors d'un conseil, d'une consolation, d'un appui, est-ce

que je n'allais pas les'chercher auprès d'eux? Bst-ceque je me croyais dispensé de leur confier mes misèreset de leur exposer nres désirs, parce que leur tendresseingénieuse les avait devinés par avance ? Puis, s'il arri-vait que je ressentisse la honte e[ la douleur mortellede les avoir offensés, est-ce que, pour expier ma faute,je

croyais avoir assez fait de ne la plus renouveler ?Est-ce que je ne.me jugeais pas obligé, par la justice etpar I'amour, de leur demander, à genoux, s'il le fallait,

r9.

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I

I,.E MIBÀCIrE ET t.d PnIÈnE, 33S

ment indestructible est un besoin imaginaire, ou que

Dieu I'a mis en olle pour qu'il ne fùt point satisfait? D'oùvient onfin la répugnanoe qu'inspire à tant d'hommes

de ce temps le plus facile et le plus doux, ce semble, do

tous les devoirs ?

C'est ici que que nous retrouvons, dans toute sa force,

te préjugé rationaliste. Nous avons vu ce préjugé à l'æu.

vre dans I'ordre intellectuel; il y combat a priori I'idéede la révélation, parce qu'en I'acceptant on avoue que

Ia raison ne se suffit pas à elle-même pour découvrir

l,out ce qu'elle a besoin de savoir, qu'elle est tenue, par

conséquent, de se soumettre à la raison divino et de

cheroher en Dieu la lumière qu'qlle ne trouve point en

elle-même. Fareillenent, dans l'ordre moral, il reje[tolaprière, parce qu'elle conlient I'aveu de notre fragilit6et de no[re impuissance à vaincre, par notre seul effort,

tous les obstacles que la vertu reucontre. Là encore on'

veut gue l'homme se suffise. J'ose dire que quioonquo

aura le oourage de se regarder sincèrement lui-même et

de refaire pour son propre compte, avec son expérience

personnelle, Ie chapitre de psychologie morale que nous

venons cl'esquisser, sor[ira de cette étude parfaitement

désabusé de cette prétention orgueilleuse, et que, dès

lors, Ies objecfions philosophiques que le préjugé

rationaliste amasse contre la notion même de la'prièrelui paraitront, comme elles sont en effet, de très-mince

'valeur.Telles qu'elles sont, il faut cependant les exposer et

lgs résoudre,

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CHAPIT.RE XIII.

On nous dit d'abord : < La prière es[ superflue. Dieu

> connait nos besoins; prétendez-vous les lui apprenl> tlre? il est disposé à y subvenir; prétentez-vous lui en

> inspirer le dessein en'l'importuuaut, de vos demandes?

> Et nç vo)ez-\'ous pàs que vous faites injure ou à sa

)) sagesse, en imaginant qu'elle a besoin d'être avertie,

n qu à sa bon[é, en agissant connme si elle avait besoin

> d'être stimulée? r - Répondons que l'âme qui prielue songe ni à éclairer Celui qui est la lumière, ni à

éveiller la bienveillance de Celui qui est la bonté; elle

songe à faire son devoir. Quand bien même la prière ne

serait pas la condition des gràces divines, cette âme

prierait encore par un.mouvement du eæ.ur et par un

sentiment de justice. Elle comprend qu'altendre les donsde la Providence sans daigner lui parler de ses misères,

sans inoliner le fr-ont ni fléchir les genoux, c'est traiter'atecDieu d;égat à égal, ié ne dis pas assez, de supérieur

à inférieur, en voyanL en lui un débiteur et en se pre-

nanl soi-même pour un créancier; qu'au confraire expo-

ser à Dieu nos besoins et nos faiblesses, implorer avec

une humilité persévérante son assistance et sa miséri-corde, c'est nous replacer à son égaril dans no[re si-tuation vraie, "en reconnaissant no[re dépendance et

. en proclamant que lrous tenotts toul de lui. La prière

de demande annonce d'avauce la prière d'action de

gràce, e[ celui qui s'abstient systématiquement de la

première es[ hien près de se dispenser pratiquemen[ de'Ia seconde.

0n ajoute : n La prière esl; nécessairenieut inefficace,

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LE MIRACLE ET LA PRIÈRE.

l, Elle suppose qu'il est possible de peser sur Dieu pour

r obtenir de lui la révocation de ses décrets éte.rnels,> e[ que ce Dieu, oomme un roi d'une volonté faible et

r changeante, se laissera arracher des faveurs qu'il avait

r l'inten[ion de refuser. Mais si, laissant de côté ces

:r superstitions puériles, on revietlt à la notion scienti-'r fique de I'immutabilité divine, il' faudra reconnai[re

,que Dieu veut toujours ce qu'il a voulu une fois; que

) uos prières demandent ce qui, dans le plan divin, est

n d'avance ou définitivement accordé ou définitivetnent

> refusé i Que, dans un cas comme dans I'autre, elles sont

. ) sans aotion, et qu'ainsi tout se passe avec elles

)) comme tout, se passerait sans elles. )) - Les psycho-

logues qui ont eu à défendre le libre arbitre e[ l'effïca-

cité de la vertu contre les doctrines fatalistes connaissenfà merveille cette objection et sat'ent commenb il y faut

réponttre. Que disent, en effet, les fatalistes? IIs disent

précisément de la vertu ce qtt'on nous ditici de laprière :

que nos actions, que le caractère général de notre vie,

que nos dispositions au moment de la mor[, que, notre

salut ou notre condamnation sont choses prévues etirrévocablement arrêtées dans la pensée divine; que par

conséquent, I'effort est inutile, puisqu'il ne nous empê-

chera pas de nous perdre s'il esl décidé que nous hous

perdrons, et que si au conlraire nous devons nous sau-

ver? nous nous sauverons bien sans lui' Manifestement,

c'es[ lamême objection; si elle vaut contre la prière,

elle vaut aussi contre la liberté; et si la prétention

absurde de changer les volontés éternelles de Dieu était

337

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338 CBAPITRE XIII,

dans l'âme qui prie, elle serait aussi dans I'âme qui

lutte. Or, que répondons-nous à ce fatali,sme ù, Ia turquerqui conduit tout droit"à vivrb les bras croisés? Nousrépondons que l'homme est libre; qu'il se sauve ou se

perd par le bon ou par le mauvais u$age de sa. liberté;que si Dieu prévoit le salut des uns et la perte des

autres, c'esf qu'il prévoit également la libre vertu despremiers et la libre perversion des seconds; qu'il n'estpas vrai tlue les uns seront sauvés quoi qu'ils fassentpour se perdre, et les autres perdus quoi qu'ils fassentpour se sauver, mais qu'au contraire les uns arriverontau salut parce qu'ils y auront librement marchéo et les "

autres à la perdition parce qu'ils sly seront librementprécipités. Il faut répondre de même à ceux qui ne

voient dans la prière, oomme les fatalistes dans I'effort,qu'un rouage superflu dans le grand mécanisme du

monde. Oui, il est certdin que le don de telle grâoe,

oomme le salut de tel homme est éternellement résoludans les conseils divins. Mais ces conseils ne sont pas

des caprices; Dieu, en arrê[ant chacun d'eux, tient

compte de tout ce qui le motive; et de même que laprévision de la vertu et des mérites de tel homme est

contenue rlans le décre[ qui assure son salut, de même

le décre[ qui accorde éternellement telle grâ:ce, contientla prévision de la prière qui I'aura sollicitée. Loih doncque la prière soit inefficacer elle entre comme élément

l. Fatum mahom,etanural l'exBrossiqq latiuo of sa traductiogfrançaise sont de Leibnitz,

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' tE MTRACTLI ET [a FRIÊBE. 339

essentiel dans l'établissemenl du ptan tlivin e[ dans les

raisons de la conduite de la Frovidence à notre égard;Dieu ne I'exauce dans I'éternité que parce que I'homme

la lui adressera dans le temps. Yoilà ce que dit la rai-son. Et l'expérience à son tour - non pas I'expérienoe

négative et nulle de ceux qui ne prient point, non pas

l'expérience incomplète de ceux qui prient et se décou-

ragent, non pas l'expérience mal condui[e de ceux qui

tlemandent comme on exige, et ne savent pas dire à la

fin de leur $rière Yeru,mtanzen non, sîctt't ego uol,o, secl'

si,cwt tn,, mais I'expérience de ceux qui prient avec per-

sévérance, avec humilité, avec intention droite, avec

résignption de leur volonté à Ia volonté divine, - I'expé-

rience proclame comme un fai[ toujours vivant la sou-

veraine eflicacité de la prière et la vérité de la promesseévangéliqae ; Petite et oocf,pi,eti,s, ltwlsale el a'perietu,r

aobi,s,

u Enfin, r llous di[-on, < la prière es[ présomp-

> tueuse, car elle sollicile un miracle; elle prétend,

) pour ainsi dire, contraindre Dieu à déranger pour nos

)) convenances particulières I'ordre général de la na-> ture {. u

I faut répondre d'abord, que la demande d'une fa-

veur, même de I'ordre temporel et matériel, n'impliquepoint essentiellement la demande d'un miracle. Nous

1. On trouvora cotto objection contre la prière de demande

chez presgue tous les spiritualistes séparés, notammenl chezM. Saisset (Essaî' d'e philosopltie rel'igieuse, t. II, P. 201)' et

chez M, Jules Simon' (Rel,igi,on naturelle, p. 379-380).

I

i

I

I

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340 CBApTTRE Xrrr.

savons que, dans l'ensemble de la créa[ion, le monde des

corps est subordonné au monde des esprits ; nous savons,d'autre part, que la Providence divine, à laquelle n'é-chappe aucun détail de son æuvre, tient compte de toutdans l'établissement des lois générales. pourquoi donc.ne les aurait-elle pas établies en prévision de nos priè-res aussi bien qu'en prévision de nos besoins ? QueDieu, entre toutes, les combinaisons et organisationspossibles de I'univers matériel, ai[ choisi de préférencecelle qui lui permettra d'exaucer les prières des êtresintelligents et,libres par le cours même des loisimposéesà la nature, cela peut paraitre incroyable aux esprits quine veulent à aucun prix des causes finales; mais celaest souverainement conforme à'ce que nous savons de

sa Frovidence, de sa sollicitude particulière pour lescréatures raisonnables, et du rang vraiment royal qu'illeur assigne dans I'univeis. '

Répondons ensuife hardiment par cette question:pourquoi ne pas dentdnder un miracle? Sans doute,pour les spirifualistes qui regardent le rniracle de rnau-

vais æil, et qui, sans le proscrire comme métaphysique-ment absurde o.u absolument indigne de la sagesse di-vine, recommandent à Dieu d'en iaire le moins possible,une telle demande est au plus haut, degré indiscrè[e etfâcheuse. Sans doute aussi c'est un orgubil impie que desolliciter impérieusement ces interventions extraordi-naires, et de murmurer quand Dieu les refuse, comme

s'il manquait à la justice qu'il nous doit. Mais quand laprière ne demande à Dieu ce qui dépasse les forces de la

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l'.;

LE MIRAL]LE ET tÀ PRIÈRN.

nature que sous la réserve de son bon plaisir; quand

elle est tout ensemble un acte de foi en sa puissance etun acte de conformité à son voulolr, en rérité ie n'y

vois plus rien qui doive effaroucher les esprits les plus

omhrageux. Assurément, Dieu ne suspend le cours ha-

bituel des choses que pour des raisons dignes de lui.

&[ais ces raisons ne sauraient-elles se rencontrer qu'à

propos des grands événements qui changent la face dumonde ? Est-ce qu'une guérison évidemmen[ miracu-

Ieuse, accordée à la prière d'une âme pure et pieuse, ne

peut pas produire en d'autres âmes quelqu'une de ces

révolutions ignorées ici-bas qui, selon la parole de

l'-Evangile, mettenb la joie daus le ciel ? Et qui osera dire à

Dieu que l'âme d'ttn mendian[ ou l'âme d'un Papou (bien

que hI. Renan déclare ne pas voirde raison pour que

l'âme d'un Fapou soit immortelle)nevalent pas Ia peine

qu'il fasse un miracle pour les appeler à lui? Enfin,

lorsqu'il s'agit de la prière à laquelle toutes les autres

se rapporfent, de la prière qui a pour objet direct les

biens spirituets et les intérêts de la vie à venir, il n'y a

ptus àcraindrequeDieu, en l'exauçant, déroge aux loisde la nature; car on est ici dans le monde moral; et,

dans cette région supérieure de la cité des esprits où

s'entretiennent les rapports de l'âme avec Dieu, il n'y a

pas de lois plus générale et plus constante que I'effica-

cité de la prière. C'est là, c'est dans ce monde intérieur

de la conscience que se produisent tant de beaux phéno-mènes où I'aation de Dieu est visible à quiconque n'est

pas volontairementaveugle: ces illuminalions. ou len[es

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94ù CHAPITRE XIII,

0u soudaines, qui dissipent les nuages derrièrc lesquels

la vérité se cachait, ces ohangements de point devue gui font juger toutes ohoses d'une manière nou-velle, ces inspirations qui donnent à la volonté une$nergie dont elle ne se savai[ pas capable. Et c'est làaussi que toute prière est exaucée, et que toute âmequi sait attendre I'heure de Dieu sans quitter son attitude

suppliante, reçoit les grâces qu'elle a dernandées, oud'autres qui valent mieux enoore. Et c'est là en{in guetout esprit sincère qui n'a pas la vérité, mais qui I'aime,la oherche et gémit de ne pas la posséder est assur6de la re+contrer un jour, pourvu qu'il sache redire laprière de Fénelon en l'adressànt, cette fois, non plus à

la vérité abstraite, mais à la Y6rité subslantielle qui estle Dieu vivant i .( O Yérité I vous commenoez à luire à)) mes yeux. Je vois poindre un faible rayon de lumière)) naissante sur I'horizon I achevez de percer mes ténè-> bres. Il me semble que mon cæur est droit devant)) vous. Je ne crains qué l'erreur. O Yérité t venez à moi ;D montrez-vous toute pure I Que je vous voie et que je

> sois rassasié en vous voyant I >

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CEAPITRE XIV

AÉSUMÉ ET CONCI,USIONS

Retour sur les questions traitées daus ce livre.

-

Sa doctrlne résumée

on XXIV propositions.Difficultés qu'il a fallu vaincre. - Importance et certitucle des résultatsobtenus, - Leurs conséquences dans I'ordre religieux. - Que lesvérités du spiritualisme ne subsisteut iutégralement que dans lesein de la philosophie chrétienue. - Que la vraie phitosophie coq-duit au shrisiianisme.

Nous ayons at[eint le terme de ces longues études

sur le plus grand sujet qui puibse préoccuper la raisonhumaine. Il nous reste à résumer et èt conclure,

Dieu existe-t-il ? Fouvons-uou$ démontrer scientifi-tiuemenû son existence? À-[-il des atbributs gue nouspuissions déterminer? Est-il Créateur? Connathil les

créatures et s'occupe-t-il d'elles ? A-t-it organisé Iemonde suivant un plan et pour un but ? Pouvons-noussavoir quelque chose de la place qu'il a donnée auxêtres intelligents et libres dans I'ensemble de la créa-tion? Sa providence veille-t-elle sur le monde? Est-ellepar[iculière en même temps que générale ? Est-elleasservie aux lois qu'elle

aprimitivemenf établies, ou

peut-elle se manifester extraordinairement par leur sus-pensiou, comTne elle se manifeste habituellenent par

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314 THAPITNE XIV"

leur constance? Bntend-elle les prières des hommes, e[

peut-elle les exaucer sans compromettre I'immutabilitéde ses décrets é[ernels? 1'ets étaient les principaux pro-

blèmes que nous avions entrepris de résoudre.' Ce qui faisait la grandeur, mais aussi la difficulté de

notre dessein, c'est que ces problèmes, bien qu'ils se

rapporlent tous à un centre unique, qui est I'itlée de

Dieu, [ouchent en même temps à toutes les idéesde

I'espri[ humain, à toutes les sciences, à foutes les réalités :

au mondedes corps, à sott origine e[ à ses lois; au monde

des ârnes, à la desbinée de I'homme et à ses devoirs, à

la nature de la raison, à sa puissance et à ses limites.

Et ce qui ajoutait à leur éternêl întérêl pour I'intelligence

et pour le cæur de I'homme un intérê[ plus direct et

plus urgent, c'es[ qu'ils sont aujourd'hui, plus peut-être

qu'à aucune autre époque, le vrai champ de bataille où

se rencontrent la vérité eb I'erreur, les doctrines qui

rlonnen[ la vie eb les doctrines qui donnent la mort; c'est

qu'il n'est pas un d'eux qui ne suscil,e, à côté de la

solution vraie, posilive, féconde, une solution négative

' ou sceptlque, hardiment présentée comme seule con-forme aux progrès de la pensée moderne. Nous les

avons abordés avec ull vif sentiment de leur impor[ance

souveraine, mais aussi avec une lé$itime con{iance

dans la puissance de la raison affermie et éclairée par

deux mille ans d'éducation chrétienne; et à mesure que

ltous avancions, lentement et pas àpas,

noussentions

cette confiance s'accroître par la beauté, I'harmonie et

la parfaite certitude des résultats obtentts.

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ll*S'HA'ITRE

xll..

nous leur devons quelque chose de plus. En les pour-.suivant avec cette méthode ferme et prudenfe, nousavons conquis des vérités positives ; nous avons cons-truit sur des basses solides un édifice que nous pouyonsmaintenant dégager de ses échafaudages afin de le con-sidérer dans son ensemble"

Yoici donc, résumésen brèves formules, les gtandsdogmes de philosophie religieuse que notre spiritua-

lisme chrétien oppose aux négations con[emporaines,Les démonstrations qui les onf établis seront. à peineinrliquées dans ce résumé rapide; mais j'espère qu'ellesdemeurent présentes à I'esprit des lecteurs de ce livre,e[ que l'énoneé de chaque vérité suffira pour en rappeler

la preuve,

La raisorr humai'e est eapable de connaitre la vérité.Les vérités qu'elle atteint sont absolues et nécessaires.Elles ont une valeur objective"

le procédé naturel e[ constant de la raison est celuique Platon a décrit et.employé sous le nom de dialecti-que. Il a pour point de.départ I'expérience, et consiste

às'élever, pâr

un élan qui dépasse et efface la limite,du {ini, de I'imparfaif, du contingent, du relatif quinous entoure, à I'infini, au parfait, à I'absolu, au néoes.saire qui nous domine.

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348 CHAPITRE f,IY.

TI

L'esprit humain n'es[ pas I'auteur des vérités éter-

nelles que sa raison possède. Ces vérités lui sont anté-

rieures et supérieures; elles se réunissent tou[es dans

une vérité suprême, laquelle ne peut avoir son siége et

sa réalité que dans une in[elligence éternelle et parfaitequi esf Dieu.

VII

L'itlée de I'infini et du parfait est dans la raison hu*

maine; elle en constitue le fond et I'objet unique. Elle

ne peut pasavoir

son origine, sa cause e[ son modèle

dans les ê[res contingenls qui sonl tous imparfaits e[

finis, mais dans un être réellement parfait e[ infini qui

est Dieu.

VtrTI

La raison humaine possède la notion d'une loi obli-

ga[oire, dont les prescriptions nous sont révélées par laconscience morale. Cette loi éternelle et parfaibe ne

peut avoir sa source, sa substance qb sa sanction que

dans un être éternel et parfaif qui est Dieu.

IX

Dieu est l'Être, l'Être sans restriction et sans limite.Son essence esl absolument simple, et iI rt'y a poin[ en

tI

II

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RÉSUTIÉ ET CONCIUSIONS. 3{9

elle de distinction réelle d'attributs. Cette nlultiplicité,

telle que la raison humaine la conçoit, vient de I'im-puissance de la raison elle-même à concevoir par une

seule idée i'Ètre infini qui la dépasse infiniment; elle

correspond à la diversité des aspects sous lesquels Dieuse manifeste à nous, e[ des routes par lesquelles nous

arrivons à lui.

XPal l'énumération" de ces at[ribu[s, uous ne péné-

trons pas l'essence intime de Dieu, qui demeure inae-cessible à la raison et ne peuI nous être manifestée ici-bas que par voie de rér'élation, mais nous déterminonset éclaircissons son idée clans la mesure de no[re fai-

blesse' xI

Cette dé[ermination se fai[ suivau[ deux uréthodeségalement légitimes. La première est uns méthoded'élimination, et les attributs qu'elle détermine éclair-

cissent l'idée de Dieu en nianl d'elle ies imperfec[ionse[ les limites qui se rencontreu[ dans les êtres contin-gents et finis. La seconde est posi[ive ; elle consiste à

affirmer de Dieu tou[es les qualités, tous les attribu[squi, en soi, offrent le caractère de la perfection et de laréalité à les affirmer, dis-je, pleinement et absolument,sans aucune tles restrictions, des négations, des limitesavec lesquelles ils s'offrent à nous dans les êtres im-parfaits

"

It.

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3S0 CUAPIÎRE XIV.

XIIEn suivant Ia prernière de ces deux méthodes? nous

affirmons la simplicité, I'immutabilité, I'é[ernité, l'im-mensité de Dieu, et nous le séparons ainsi des êtres

con[ingents, qui tous, à un certain degré, sont multi-

ples, changeants ou susceptibles de changer, successifsdans le temps, lirnités dans I'espace. - La coexistencede l'être éternel qui ne dure pas, qui n'a point de passé

ni d'avenir, avec les êtres finis qui durent, la présence

h tous les êtres étendus de l'Étre immense qui est sim-ple et inétendu sont des vérités absolument certaines etabsolument incompréhensibles,

xIrl

frn suivant la'seconde rnéthode; nous leconnaBsong

en Dieu la plénitude do la science et de loamour, de laliberté et de la béatitude, de la puissance et de la sa-

gesse; de la justice et de la bonté.

xtv

Le monde, ctest-a.dir e1 ce qui n'est pas Dieu, est

contingent et pouvait ne pas être. trl noa commencé e[

ne continue d'exister que par la volonté toute-puissantede Dieu. Il a été librement créé, et il est conservé par unacte qui prolonge et continue l'acte créateur,

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BÉSUMIi ET 0ON0I{USIONS.

fvToute doctrine qui explique autrement que par la

création la coexistence cle Dieu et du montle altère lanotion de I'un et de I'autre: le dualisme, en imaginantune matière éternellement'indépendante de Dieu dans

le fond de son être, le panthéisme plus encore, en con-cevant le monde comme substantiellement identique à

Dieu,

XYI

Le panthéisme considéré en lui-même est destructifde toute morale, parce qu'il divinise le mal; il est mé-taphysiquement absunde et contradictoire, parce. qu'il a

pour essence I'identité substantielle du fini et de I'infini,de I'imparfait et du parfait" Considéré dans ses déve-loppements historiques, il aboutit, sous sa forme la plusrécente, qui est en mêmê temps la plus complète et la

plus logique, à I'athéisme et à ce renversement total dela raison qui consiste à affirmer I'iden[ité des contra-dictoires.

XYII

La raison n'a aucune donnée sur l'étendue du

montle dans I'espace, ni sur son antiquité; mais ellepeut affirmer avec certitude qu'il nlest ni infini nié[ernel.

3bl

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352 CHÀ?ITRE XIV.

XYIIILa créabion est un acte d'intelligenbe en rnême temps

que de puissance. Elle a pour motif la'bonté libre et

gratuite de Dieu qui veub bien se répandro et se commu-

niquer, en réalisant dans le temps les êtres qu'il cott-

çoit éternellement comme possibles.

XIXLe monde ei, donc été fait suivant un-plan, et pour une

fin digne de-la perfection divine. Comme la seule fut

parfaite et adéquate de I'action divine est Dieu lui-même, il est certain que c'est pour lui-même que Dieu

a fait le mottde, nonpas pour augmenter sa béatitude

e[ sa perfection éternel]ement infinies, mais pour sa

gloire, c'es[-à-dire pour que le monde attes[ât e[ connùt

sa perfection, pour qu'il tendit et retqurnât à lui par

I'intelligence e[ par I'amour.

XX

Les êtres intelligents et libres, étant seuls capables

d'atteindre Ia fin suprême pour laquelle l'univers a été

créé, occupent dans le plan divin le rang supérieur et

principal. Ils pont faits pour Dieu, et Ie monde sensible

est fait pour eux, c'est-à-dire, pour les aider à attein-

dre leur destination divine. Et les êtres intelligents, en

se servant de la nature sensible pour s'élever à la con-naissance et à I'amour du Créateur, ramènenf ainsi la

uature elle-même à la'fin universelle.

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nÉ suuÉ nr ooNoru sroNs.

. .:

. XXILa Prov'.id-e4db, - par où iI'faut entendre la puis-

sance, la sagesse, la justice et la bonté de Dieu appli-quées au gouvernement de I'univers, - est à la foisgériérale et particulière. Elle esb générale en tanb qu'ellepréside à I'ensemble, entre[ibnt I'harùonie de- I'uni-vers et dirige ce grand tout vers sa fin. Elle est parti-culière en'ce qu'aucun détail du monde physique ni du

monde rnoral n'échappe à son regard, à son empire

et à sa sollicitude

XXII

Dieu gouverne Ie rnonde par des lols. Nous le savonspar la raison qui, a priori,, croit à ces lois avan[ de ]es

connaître. Nous le sarons par I'expétieuce qpri nous en

révèle quelques-unes. Ces lois sont constantes, mais

.non point immuables. Elles sont contingentes, soit err

elles-mêmes, soit en tant qu:elles sont des rapports

résultant de la nature des êtres contingents. Elles peu-vent donc être suspendues par une intervention directe

de la puissance divine. Cetle intervention s'appelte mi-racle. Si elle a lieu, elle ne se produit pas sans but eb

par un caprice improvisé, mais pour une raison d'unordre plus élevé qne la loi qulelle suspend, et à la place

que lui assigne le plan éternel. EIIe n'est donc pas in-digne de la sagesse divine; loin de déranger llordre dumonde', elle y concourt et ajoute à sa beauté.

90.

353

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354 CSAPITRE XIY,

XXITI

Toutes les objections de fait contre la Providence doi-

vent êtro écartées a pri,orù, Si elles por[ent surl'ensemble

de la création, elles supposent chez ceux qui les présen'

tent la prétention insupportable de juger et de contlam-

ner un plan dont ils ne connaissent qu'une très-faiblepartie. Si on les tire des faits particuliers, on oublie quo

touttient à tou[ dans l'æuvre de Dieu, et que chaque par-

tie ne peut être appréciée qu'à sa place et dans son tap'

por[ avec un ensemble qui nous échappe. L'expérience

elle-même résoud une par[ie de ces objections, d'abord

en réduisant à un infiniment petil la proportion du mal

apparent ou réel dans la magnifique harmonie de I'uni*vers, puis en découvrant, à mesure que les sciences se

perfectionnent, les raisons cachées , I'ordre intime,

I'utitité réello des phénomènes qui semblent au pre-

mier abord les plus désordonnés et les plus fâcheux:

Enflno quoique nous. sachions peu de chose, quoique

souvent nous ne puissions rien sayoir des raisons pro-fondes pour lesquelles Dieu agit dans les cas particu-

ïersj les principes de la raison nqus permettent d'in-diquer d'une inanière générale le pourquoi du mal

pbysiqueo c'est-à-dire, de la souffrance; et le pourquoi

du mal moral, c'est-à-dire, du péché. Le premier,

épreuve, ou enseignenent, ou expiation, ou punition,est en parfaite harmonie avec la subordination du monde

physique au monde moral, et manifeste tantôt la bonté

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BÉSUMÉ ET cONCIJUSIONS. 35S

de Dieu, tantô[ sa justice. Le second a sa source non

point en Dieu, mais dans notre libre arbitre, lequel,étant la condition de la vertu et du mérite, implique lapossibilité de Ia faute et du vice.

XXIY

Des relations de l'homme avec Dieu résulte I'obliga-tion de la prière considérée comme adoration de l'Ètreinfini et parfait par l'être imparfait et fini, comme hom-mage de reconnaissance rendu par la créature au Créa-

teur, comme expression sincère de repentir e[ commehumble appel adressé par I'hommo pécheur à la miséri-corde de Celui qui es[ I'auteur de la loi morale et le juge

infaillible des actions humaines, enfin, comme aveu denotre dépendance, comme demande de la lumière intel-lectuelle, de laforce morale, etmême des conditions exté-rieures et maûérielles dont nous avons besoin pour a[-teindre notre fin, Toutes les objections contre la prièretombent si, d'une part, on renonce à cette idée très-

fausse que I'homme se suffit à lui-même, et sio d'autrepart, on veut bien comprendre que I'influence a[[ribuéeà la prière et les grâces que Dieu lui accorde ne portentaucune atteinte à I'immutabilité des décrets divins. Laprière à sa place marquée dans I'ordre universel, et sonefficacité. esf une des grandes lois par lesquelles Dieurégit Ie montle moral.

Tel est le chemin gue nous avons parcouru. et teUes

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)I

I

I

356 CHAPITRE XI\-.

sont les vuités que nous avons définitivement conqui-

ses. Et maintenant, je réfléchis qu'il s'agissait pour nousde toute la raisono qui n'est rien, si elle n'es.t pas le

sens du divin ;-de toute la morale, {ui, si Dieu n'estpas, tombe infailliblement par terre. I)'un autre côté, je

me représente les doutes, les défaillances, les négations

dont la pensée moderne es[ assiégée en présence de cettequestion de Dieu qui la tourmente et qu'elle rencontre

toujôurs. Je me rappelle 'à travers quels obstacles et

quels ennemis il a fallu nous frayer un passage : à tra-vers le scepticisme qui enferme la raison en elle-même,

à travers la doctrine pdsitiviste qui supprime toutes les

questions de I'ordre ,surnaturel et divin, à travers ces

philosophies de I'absolu qui aboutissent à la négation de

I'absolu, à travers ces métaphysiques délicabementathées qui se donnent pour excellemmenb religieuses etprétendent conserver Dieu 'en niant son existence, à

travers ce na[uralisme perfectionné q;ri tend à bannirDieu de la nature, e[ met au service de la doctrine du

hasard toutes les ressources de la science contempo-

raine. Enfin, je songe aux répugnances que soulèventchez beaucoup de spiritualistes, chez presque tous les

spiritualisfes non chré[iens, les deux idées capitales du

miraole et de la prière ; l'idée du miracle sans laquelle

notre foi en la Providence'est misérablement incomplète,

I'idée de la prière qui est le fondement même de toute

la vie religieuse. Et réunissant ainsi dans ma pensée

toutes les difficultés acluelles de la théodicée spiritua-liste et chrétienne, il ne me semble.pas que ce soit peu

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RÉSUITÉ ET OON0IUSIONS. :]57

de chose de nous être maintenus par la science, par l'é-

tude directe de la raison, par la discussion loyalede toutes les doctrines négatives, en possession des

vérités fondamenlales qu'on nous conteste au nom de lascience.

N'avons-nous fait que cela ? N'avons-nous apportéaucun document à la solution de la grande question re-

ligieuse qui divise si profondément les spiritualisteschrétiens et les spiritûalistes séparés, alors même qu'ilss'unissent, comme aujourd'hui, pour défendre contreI'ennemi commun les grandes vérités de l'ordre natu-rel? Il semble au premier abord que cette question soitrestée étrangère à nos recherches. Nous les avons cons-

[amment maintenues sur le terrain de la philosophiee[ de la science pure. À peine avons nous pro-noncé le nom du christianisme; et si quelqu'un, ju-geant par avance du ton, du caractère et de la mé-thode de ce livre d'après les conviclions manifestées dansses premières pages, a cru que nous allions glisser dansI'apologétique chrétienne ou dans la théologie, celui-là

peut aujourd'hui reconnaltre qu'il s'était complètementtrompé, que nous n'avons pas franchi la limite des

vérités soumises à I'investigation de la raison, et que

nous ayons constamment procédé, non par voie d'auto-rité, mais par voie de libre recherche et de démonstra-tion scientifique.

Et pourtant, notre philosophie a été une philosophiechétienne: une phùl,osopltia, dans le sens le plus scien-tifique du mot, parce qu'elle a eu pour objet des vérités

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368 T,HAPITRE XIY.

accessibles à la raison et susceptibles d'être établies

par ello, pour instrument les facultés naturelles de I'in-telligence humaine, * mais ane ph'i,l,osoph,ie ah'rëti,enne,

parce qu'elle a profité de toutes les lumières que lechristianisme a répandues sur les questions mêmes de'

I'ordre naturel; parce qu'elle s'est trouvée eonstamment

en harmonie avec lui, enfin, parce qu'elle a ë:té une pré-

paration à la foi chétienne, et qu'arrivée à son terme, ellenous laisse plus près du christianisme que nous ne l'é-tions à ses débuts" Le dernier mot de be livre est I'ac-oord radical de la foi et de laraison; le dernierfruitquo

J'en voudrais espérer serait d'avoir détruit ou affaiblidans quelques esprits I'influence du préjugé rationaliste

qui repousse a pri,ari I'idée d'une révélation positive;d'avoiraffermidans quelques autres cette convic[ion sa*

lutaire que la philosophie spiritualiste ne peut ni ef{ica-

cement défendre contre les négations contemporaines les

vérités de son domaine, ni même les conserver pour

son propre oompte qu'à condition de redevenir chétienne

et de renouor I'antique alliance dont elle reeueille

encore les bienfaits, en oubliant un peu trop à qui elle

les doit.

J'indiquais déjà ces conclusions dans I'introductionde oet ouvrage. Je les retrouve maintenant fortifiées par

tout oe que I'histoire et la réflexion viennent de nous

apprendre sur les limites, les besoins, les périls de la'

raison, comme aussi sur le caractère et la portée desvérités qu'elle peut établir.

Et d'abord, dirai-je à ceux qui m'aurottt suivi jusqu'à

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nÉsurrrÉ ET coNctusroNs.

ce dernier chapitre, tenez-r'ous pour vraie la théodicée

spiritualiste dont je viens de résumer les doctrines?Reconnaissez-vous que le progrès légitime de la raison

consiste à les maintenir et à les développer, non point

à les ébranler et à mettre des négations ou des contra-dictions à leur place ? Àpercevez-vous le Iien étroit quiles rattache les unes aux autres, et comprpnez-vous

qu'elles valent surtout par leur ensemble, qu'elles sedéfendent mutuellement, et que toute philosophie quisupprimerait un des grands articles de ce wed,o méta-

physique, par exemple la perfection de Dieu, ou la créa-

tion, ou la Providence, se feraitl à elle-même une

brèche par laquelle les doctqines négatives ou scepûi-

ques entremien[tôt

ou tard? Si vous convenez de toutcela, consultez I'histoire; et demandez-lui la date de

eette philosophie solide dans ses b4ses, complète dans

ses éléments essentiels, progressive aussi, non par lasuccessioir des systèmes qui s'entre-détruisent et .ne

triomphent que pour un jour, mais par I'intelligence de

plus en plus profonde des vérités qu'elle a établies; par

les conséquences de plus en plus étentlues et fécondesqu'elle en sait tirer, Demandez-lui ensuite quelle a été

la destinée de cette philosophie, dans quelles conditionselle a prospéré en maintenan[ et en étendant son do.

tnaine, dans quelles conditions au confraire elle â dé:

cliné et s'est laissée entrainer ou perver[ir. Ce qu'elle

vous répondra, vous le savez d'a\rance, Elle vous dirad'abord que I'antiquité a produit des hommes d'un très.grand génie; que ces hommes ont créé de très-beaux

389

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360 ciIAPiTRE TIV.

systèmes; qu'ils ont démontré en théodicée des vérités

très-importantes, prouvant ainsi, contre quiconque seraitten[é de le nier, Qre la raison humaine est bie'n chez

elle quand elle s'occupe de Dieu. Mais elle ajouteraqu'aucun de.ces systèmes, sans excepter celui de Platonqui doririne tous les autres par sa beauté et sa vérité,n'es[ exempf de très-graves erreurs; que I'idée de lacréation (qui est, si je puis dire, I'idée centrale de toute

métaphysique, puisqu'elle es[ le lien de5 deux termesqui épuisent toute réalité) leur est étrangère à tous;que tous oscillent entre le.pan[héisme.et le dualisme;que la théodicée est encore à faire après Platon; qu'à-p$s lui, au lieu d'avancer, elle décline avec Àris-tote qui nie la Frovidence, avec .Épicure qui enseigne

la doctrine du hasard, avec le stoTciens qui divini-seu[ la nature, avec les alexandrins qui précipitent

la raison dans [outes les folies de l'émanation et de

I'exlase.Tel es[ le premier enseignemen[ de l'trisloire. Et voici

le second :

Dès que le monde rnoderne commence avec le chris-tianisme, la philosophie chrétienne, avant même d'avoirun nom, s'empare des vérités disséminées dans les sys-

tèmes an[iques, les coordonne, les complète, y in[ro-rluit l'idée de créa[ion qui seule pouvait leur donner I'u-rui[é, transforme en une vérité scientifique cette idée que

l'Évangile apportait et que le monde païen n'avai[ pas

connue. La vraie théodicée est fondée, et I'histoire de

ta philosophie chrétiertne ri'esI que le magnifique [ableau

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nÉsuuÉ ET coNclusrolïs. Bdt

des développements et des progrès de la science de

Dieu. llêlée d'abord à la théologie, cette science peu àpeu s'en distingue et s'en dégage, mais ne s'en séparepoint ; dans les grandes philosophies du moyen âge etdu dix-septième siècle, elle reste la. base rationnelle dela foi religieuse; et tant qu'elle demeure dans les con-ditions de cette alliance, malgré la lutle des sysfèmes,

malgré les travers parliculiers des esprits qui la repré-senfent, elle ne se ]aisse entamer par aucune de ces erreursradicales qui I'eussent infailliblement pervertie. À côtéd'elle, en opposition avec elle, se développe la philoso-.phie séparée, la philosophie qui ignore le chris[ianismeou le repousse. Et dans cette philosophie, la théodicéeperrl une

àune'ses conquêtes

; elle recule en deçà duchristianisme, et rerient aux fluctuations sceptiques ouaux erreurs énormes de I'antiquité. Àverrhoès au moyenâge, Spinoza au dix-septième siècle, au dix-huitième Iesensualisme athée ou ma[éraliste, au dix-neuvième-lescepticisme universel o.u le panthéisme sous sa formela plus conséquente et la plus absolue, sont les produits

de cette sfparation et de cette opposifion. C,es{,doncune loi de l'histoire que la philosophie, en s'éloignan[du christianisme, s'éloigne aussi de la raison et laisses'affaiblir ou se perdre la foi aux grandes vérités deI'ordre naturel. Et nous pouvons .affirmer en pleineconnaissance de cause que cette loi contient une me-

nace, - j'aime mieux dire un avertissement salutaire,- à I'adresse des spiri[ualistes sincères qui se flattenlde pouvoir eonserver enfre I'hos[ilité et I'alliance ]'atti-

lI. 2l

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362 CHÀPITRE XI\.

tude impossible d'une neutralité bienveillante, oubliant

ainsi I'origine en grande parbie chré[ienne des véritésqu'ils ont raison de défendre ; oubliant aussi que cetfe

alliance, dont ils ne veulent pas, subsiste malgré eux par

la logique même des choses? que I'affaiblissement de la

foi religieuse a pour contre-coup inévitable un affaiblis-

sement de la foi aux vérités philosophiquesque le chris-

tianisme a rendues à l'humani[é g[ une rétrogradationvers les erreurs dont il I'a déIivrée;oublianf, enfin, ou ne

voulant pas voir queles préjugés quiles retiennen[ loin de

lui sont précisément ceux qui éloignent du spiritualisme

tant d'esprits séduits par les doctrines négatives ou

énervés par les hésitations sceptiques.

Ce dernier point est capital. S'il est certain par I'his-toire que la vraie théotlicée, originairement cons[ituée

dans son ênsemble par Ie concouls de la raison et de la

foin est tenue de rester chrétienne, d'abordr Pât devoir

de jus[ice, puis, parce qu'en reniant spn origine, elle se

condamne à en perdre les bénéfices, iI est certain aussi

qu'à moins d'une extrême inconséquence, les spiritua-

listes de notre temps ne peuvent défendre les véritésqui leur sont communes avec nous qu'à condition de

renoncer à leurs objec[ions contre le christianisme; car

ees objections sonb précisément celles que les athées,

ies pan[héistes et les sceptiques de toute nuance leuropposent à eux.mêmes.

J'ai déjà signalé ailleurs cet ordre de considérationscomme offrarit, aux défenseufs de la foi ahrétienne une

des plus fortes positions qu;ils puissent occuper dans

(

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nÉsuuÉ nt coNtluslol{s. 363

leur controverse contre les spirilualistes séparés. Je le

recommande de nouveau comme une des preuves les

plus éolatantes de l'tnion que Dieu, source des vérités

naturelles comme des vérifés révélées, a établies entre les

unes et les autres. On me permetfra de transcrire ioi les

pages de I'Introduction où ces considérations on[ été

présentées. Elles n'étaient alors que des indications an-

ticipées et des thèses à démontrer. J'ose croire qu'ellesont droit nnain[eqant à une adhésion qup je ne pouvais

pas alors réclamer pour elles.

o La philosophie poussée jusqu'au bout renootttre eb

r doit surmonter pour soll compte les plus graves des

> objections adressées par le rationalisme au principe

r même de la religion révélée. Ces objections en effet'> sont précisément celles que les doclrines négatives.

> font valoir contre la métaphysique spiritualiste; en

D sor[e qu'avoir maintenu le Dieu de la raison contre les

> scepûiques e[ les panthéis[es, ce n'es[ pas seulement

D avoir vaincu tou[es les vàriétés de l'athéisme, c'esb

r du même coup avoir beaucoup avancé la réconciiia-

r tion de la science et de la foi.rr C'es[ là sans doute une considération trop irnpor-

p tante pourqu'il soit possible de l'épuiser en passant.

r ElIe trouvera une place plus ample à la .fin de ces

> études. Frésentement, je ne veux encore ni démon-> trer ni approfondir, mais seulement me faire com-

r prendre, et indiquer.à la controrlerse chrétienne un> des points de vue les plus féconds où elle puisse se

> placer.

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364 cBAprîRE xr\i.

> Quelles sonf donc les objections d,e ltrhrc,iyta qui), retiennent les rationalistes loin de la vérité chrétienne?> \Ioici les principales :

r Le christianisme, disent-ils, blesse Ia raison en luir imposant des mystères.

> I1 nous fait concevoir d'une façon enfan[ine et anti-> scientifique les rappor'ts de Dieu et du monde, en

)) ellseignant que la Frovidence intervient sans cesse> dans la nature pour déranger par des miracles I'oldre) qu'elleyaélabli.

u Il partage le monde en privilégiés et en déshérités,r prêtanf ainsi à Dieu, comnre à un roi capricieux, des> par[ialités indignes de sa justice.'

:l il abaisse encore plus la notion de Dieu en imagi-> nant que l'Ê[re immuable se laisse fléchir parlaprièrol jusqu'à changer ses résolutions éternelles. En tout, il> in[rodui[ dans le divin, c'esb-à-dire, dans l'absolu, un> élément chaugeant, relatif eL humain, qui le détruit.

> Il n'es[ pas question en ce moment de résoudre ces> difficultés, ni même de rendre aux dogmes qu'elles-

> défigurent leur vériLable caractère. Laissant à ceux> qui en ont la charge ce travail de reclification eb der défense, nors llous hornons à affirmer ceci :

r Fremièrernent, les nolions qu'on attaque comme) apparteuanf à la foi font par[ie inlégranle de la phi-,r losophie, j'entends de la philos.ophie qui ne reste pas

> en route par une terreur puérile des inér'itables obscu-r rltés qu'elle rencontre. - L'idée du mystère est dans> la philosophie; ou plutôt la philosophie, la rnétaph.v-

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IIÉSITUI1 BT CONCLTîSIUNS. 365

) sique sont dans le mystère. La création du nonde par.

> un Dieu qui se suffit esf un mysl,ère. La coexistence, de l'éternel qui ne dure pas e[ du suocessif qui dure> est un mystère. La coexistence de la prescience divine> et de la liberté humaine est un rnys[ère. Et tous ces)) nystères son[ contenus dans le m,vstère unique, total,r nécessaire clui enveloppe les rapports du fini et de

r I'infini. - L'idée du miracle est dans la philosophie,)) car la possibilité du miracle résulte, comme consé-) quence nécessaire, de Ia liberté divine et de la Frovi-> dence. - L'idée du privilége est dans la philosophie;) car le privilége, comme on I'appelle, c'est-à-dire I'iné-> galité, la hiérarchie sont la loi visible du monde, la> condition de son harmonie et de sa beauté.

- Enfin,, I'idée de la prière est dans la philosophie; car laprière, €s[ Ia manifes[ation naturelle e[ nécessaire du besoin> e[ du sentimenf religieux, fait universe] qu,on peul> chercher à expliquer, mais qu'oll n'a pas le droit deD nier ou de conclamner.

> Il sui[ de là, en second lieu, que les objections oppo-

> sées par le rationalisme à ces idéeb dans I'ordre sur-,r naturel sonf, au fond, précisément celles que les> docfrines négatives opposent au spiritualisme ra[io-r naliste lui-même. - Cela est évidenl pour I'idée du> mystère; car Ie mysfère de la création est Ia grande> tentation intellectuelle qui pousse aux erreurs pan-

> théistes les esprifs trop faibtes pour lui résisfer. s'ils> ramènen[ le fini et I'infini à I'unité d'une même sub-r stance, c'est parce qu'ils ne comprennent pas com_

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366 CUA}ITRE XIV.

) ment l'Ûire in{ini â pu, Ltrx jlur,oomme ils disent,

> produire par un acte libreo des êtres finis substantiel-n lement distincts de lui. Ne le comprenant pas, ils le

.)) nient, e[ finalement, pour échapper au mystérieux,> ils se jettent dans le contradiotoire. Four les autres> objections, l'identilé n'est pas moins visible. Quanil) un rationaliste reproche au Dieu chréfien, au Dieu

) qui appuie sa palole surle miracle, qui répand inéga-> lement sur les hommes le don surnaturel de la grâce,

, qui daigne écouber et exaucer la prière de ses créa-r tures, quand, dis-je, il lui reproche d'avoir des vo-> lontés changeantes et arbitraires e[ de n'être qu'un> homme idéalisé, je le supplie de considérer que son

> langage ne diffère en rien de celui des panthéistes

r attaquanl la notion du Dieu personnel, libre et créa-> teur. Quoi t disent les hégéliens, non plus aux philo-> sophes chrétiens, mais aux spiritualistes séparés,

> quoi I vous en êtes encore au Dieu personnel I à ce

> Dieu qui sor[ un jour, on ne sait pourquoi, de son

> éternité bienheureuse pour créer I'univers I Conve-

D nez-en de honne foi; votre Dieu personnel est un> être déterminé, particulier, plus puissant et plus in-> telligent que les hommes, mais de la même espèce,

) en un mot : un homme idéalisé {.

, Que ces objections soient réfutables'et que la no-> tion du Dieu libre et uéateur doive en sort'ir victo-

1. E. Saisset, Essaù de philosophie reli,gieuse, i. Ir p. 13;

t, II, p. 68.

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BÉSUMS AT C(]NCIUSIONS. 367

)) rieuse,ie

n'en doute nullement, et jrespère le démon-> tler d'une façon péremptoire. Mais qu'après les aïoirD repoussées en métaphysique, on puisse s'en armei) contre la conception chrétienne des rapports de Dieu> et du monde, voilà ce qui ne saurait se concevoir,r'Si etles ne prouvent rien contre le Dieu de la raison,r elles ne prouvent pas plus contre le Dieu de la foi; et

r si elles valent quelque chose entre des mains rationa-r listes, elles ne valent pas moins entre des mains hégé'> liennes. Encore une fois, il faut choisir. Quoi qu'il> advienne, ce noest pas une petite victoire pour la phi-> losophie chré[ienne d'avoir établi entre les conclusiong> de la science et les enseignernents de l'Évangile uno

> solidarité telle qu'il faille ou les accepter, ou les'reje-> ter ensemble, et que tout spiritualiste rationalistedoive,r sous peine de se contredire, ou pousser son spiritua-> lisrne jusqu'à croire au Dieu de la foi, ou pousser son> rationalisme jusqu'à nier le Dieu de la raison. r

J'espère avoirtenu les promesses que je faisais alors;et je crois pouvoir affirmer que chacune des grandes

vérifés que nous avons établies en théodicée a fait tom-ber un des obstacles, évanouir un rles fantômes quisemblent interdire à tant d'esprits distingués et à tantde cæurs sincères I'accès de la foi chrétienne.

Et d'abord, en marquant les limites de la raison, en

montrant combiel ce qu'elle sait tant au sujet de la

nature divine qu'au sujet des desseins de Dieu sur lemonde, est peu de chose à côté de ce qu'elle ignore,

luous avons ,implicitement établi la possibilité d'une

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368 CHAPITRE XI \'.

révélation qui mettrait l'âme humaine en possession de

véri[és supérieures à celles qu'elle peu[ concevoir parson propre efrorb. Nous avons montré qu'une telle manfestation de la lumière divine élève la raison toin de ladéprimer, la couronne loin de la détruire, et, par unerétroaction merveilleuse dont la philosophie chrétiennenous ofrre le plus bel exemple, rayonne sur les vérités

naturelles elles-mêmes. L'on a pu dès lors comprendredeux choses très-imporfantes : I'une, qu,il n'est paspossible d'opposer au fail de la révélation, lorsqu'il seprésente en réclamant une discussion historique, l,hypo-thèse manifestement fausse de son impossibilité; -'autre, que, s'il plait à Dieu, par une efrusion de bontécontre laquelle on aurait mauvaise grâce à s'élever,

d'appeler les hommes à une destinée plus hau[e, plusparfaite, plus divine que la des[inée indiquée par leurnature Iivrée à elle-même', il est souverainement con-forme à sa providence d'éclairer leur esprib par unelumière supérieure à la lumière de la raison, et d'offrirà leur volonté des grâces et des secours plus efficaces

que ceux dont elle a besoin pour atteindre sa fin pure-ment naturelle.

Secondement, en prouvanf que le mystère a droitde cité dans la philosophie comme dans la religion,.nous avons écarté la principale difficulté qu'on opposeau contenu même de la révélation, puisqu'il est mani-

feste, comme le répèten[ sans cesse les défenseurs desdoctrines négatives, que les mystères les plus profondsde la foi chrétienne n'imposent point à la raison un plus

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AESUMÉ ET CONCIUSIONS. 369

dur sacrifice que les mystères de la foi spiritualiste.

Troisièmemen[, en démontrant Ia possibilité méta-physique et morale du miracle, nous avons écarté lafin de non-recevoir qu'une fausse sciencs lui opposelorsqu'elle le place en dehors de la critique et dédaignede tliscuter aveo quiconque moit au surnaturel.

Enfin, en rétablissan[ la vraie et complète notion dela prière, dénaturée et mutilée par beaucoup de

spiri-tualistes non chr'é[iens, en montrant qu'elle n'es[ pas

moins légitime eb obligatoire sous Ia forme de demandeque sous la forme d'adoration, que son efficacité estune des lois du monde moral, que Dieu, qui en a tenucompte dans le plan général de I'univers, peul l'exaucersans suspendre pour cela les lois du monde physique,

qu'il peut aussi I'exaucer par un miracle sans dérangerI'ordre universel où le miracle à sa place, en un mot,en faisan[ voir que la notion de la grâce esl, comprisedans la lisfe des vérités philosophiques comme danscelle des dogmes religieux, nous avons fait un pas deplus vers la foi sans sortir de la raison.

Et maintenant, tout cela étant scientifiquement cer-tain, tou[ cela étant démontrable et démonlré, la vraiephilosophie étant tenue, sous peine de s'ébranler elle-même, de croire (parce que la rai.son le reut ainsi) à sespropres limites, à la réalité du mystère, à la possibilitédu miracle e[ de la révétation, à la grâce, au devoir dela prière et à son efficacité, si nous parvenons

àfaire

entrer ces vérités, qui sont vérités de I'ordre na[urel,dans I'esprit, dans le cæur. dans la vie pratique des

91.

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APPEI{DICES

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NO fT,

tEsoN D,0uVEBTUAE DU C0IIR' O'rOrOr*E DE tA pgn0s0pElE

cunÉuntrNu

(Faculté des Letties de Nancy,lg novembre 1g50.)

Mnssruuns,

L'organisation de nos Cours nous appelle à choisircette année le sujet de nos entretiens parmi les grandssystèmes qui ont tour à tour essayé d'éclairel I'homme

sur sa nature et sur sa destinée. Loin de songer à m'enplaindre, je me félicite de commencer avec vous cesrecherches historiques que l'état des âmes rend peut-ê[re plus opportunes e[ plus ins[ructives qu'à aucuneautre époque. Il se peut que les esprits supertciels nevoient dans I'histoire de Ia philosophie guoune vaine

curiosité, et les esprits téméraires qu'un inutile retour àdes rêveries surannées. Mais I'historien et le philosophen'ont garde de fermer les yeux aux vives lumières qu'ellerepand sur le double objet de leurs éfudes. Le premier,s'il ne se borne pas au récif ou à la peinture des événe-ments extérieurs, s'il prétend à être plus qu'un annalistee[ plus aussi qu'un poête,

tloit s'attacher à expliquer lesfaits par les mæurs, et les mæurs.par les idées, c'est-à-dire, en premier lieu par les croydnces religieuses

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374 aIPDNDICE L - DE L',HTST0IAE

dont I'influence morale est plus directe, plus univer-

selle et plus profonde que tout autre; puis aussi, parles doctrines qui, des esprits cuttivés où elles sont à

l'état de principes abstraits descendent par voie de con-séquences pratiques dans les régions inférieures, inspi-rent l'art, la littérature, la législation, la politique, et

marquent ainsi de leur empreinte la société tout en-

. tière. Le second, aux prises avec les pressants et redou-tables problèmes qui font, depuis tant de siècles,le tour-ment de I'intelligence humaine, pouna bien un momentconcevoir la folle espérance de les résoudre par I'effortsolitaire de sa raison personnelle. Mais cette naïve illu-sion, que I'ignorance seule exouse, se dissipera bien

vite à mesure qu'il apercevra mieux la hauteur du butet les obstacles de la route; en même temps 'qu'une

légitime curiosité lui inspirera le désir de savoir ce que

I'humanité, depuis qu'elle réfléchit, a pensé de .Dieu, dudevoir, de la vie à venir, .le sentiment sincère de sa

faiblesse lui miera de demander la vérité aux grands

esprits qui se sont consumés à la poursuivre. Il s'en

faudra bien, je le sais, que ses désirs soient pleinernent

satisfaits et que I'histoire des doctrines philosophiques

Iui montre. quelque part cette lumière sans ornbre et sans

mélange à laquelle il aspire. Àu lieu d'un progrès persé-

vérant et paisible dont chaque pas serait pour la science

une conquête iléfiniliveo il aura Ie spectacle d'une lutte

acharnée entre des systèmes qui, presque tous, ontraison les uns contre les autres. Pour quelques théories

profondes? pour quelques démonstrations décisives, il

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DE I,A PHII0S0PEIE CUnrtrnXNn. 375

rencontrera mille sophismes qui tantôt troublelont sa

conscience, et tantôt révolteront son bon sens. Mais cespectacle même, tout humiliant qu'il est pour notreorgueil, est fait pour ins[ruire e[ non pour désespérer

un esprit ferme et sincère. En étudiant de plus pr'ès les

erreurs des philosophes, en s'exerçant à démêler les

vices de méthode, les travers in[ellectuels, les maladies

morales qui leur ont donné naissance, il apprendra lui-même à surveiller plus sévèrement les procédés de son

intelligence et les dispositions de son cæur, peut-êtrernême à se défier un peu de la raison hurnaine, à devi-ner qu'elle a des limites, à souhaiter enfin que Dieu luivienne en aide.

Tels sont, Messieurs, les fruits que I'histoire de laphilosophie protluira toujours dans les âmes sérieuse-ment éprises de la rérité. lflais s'il y a cles époques de

trouble intelleotuel où la raison, tantôt déoouragée et

tantô[ présomptueuse, incerbaine d'elle-rnême et de sa

valeur, flotte à cet égard entre les opinions les plusextrêmes, où, à côté de quelques esprits chagrins qui,

la jugeant exclussivement d'après ses faiblesses, la décla-rent impuissante, beaucoup d'autres elrtreprennent de

Iui persuader qu'elle est souveraine, I'histoire de Iaphilosophie verra son rôle grandir dans ces circons[an-ces difficiles. Seule, elle pourra rendre à la raison I'ines-timable service de fixer ses hésitations sur un point où

elles sont si funestes, et de lui appor[er des faits nom-breux et décisifs qui, tout en dissipant les terreursexagérées dont elle se laisse parfois accabler, l'éclaire-

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?t76 APPENDICE I. - DE L'BISTOIRE

ront aussi sur son insuffisance et ses misères. Qui verra

Ia raison soutenir Socrate dans sa lutte victorieuse contreIes sophistes, élever Platon aux splendeurs du monde

intelligible, conduire Àristote à la découverbe des lois

é[ernellemenf vraies du raisonnement déductif, conclura,

sans doute, qu'elle est autre chose qu'un instrument

d'illusion et de mensonge. Maiç qui aura comparé ce

quela

philosophie enseigne avec ce que I'homme a be-

soin de savoir, qui aura vu d'assez près les philosophes

et leurs doctrines poul. surprendre de tristes faiblesses

dans les meilleures esprits, et de déplorables erreurs

dans les meilleures systèmes, saura sans doute aussi

ce qu'il faul penser des imprudentes flatteries auxquelles

la raison se laisse trop souvenl séduire, et n'aura pas

fait en vain nne étude qui, si elle ne lui a pas irrspiréI'humilité chré[ienne, lui aùra du moins enseigné la

modestie philosoPhiqtte.

Yous avez déjà compris, Messieurs, qu'il s'agit ici de

notre temps et de nous-mêmes; et je n'ai pas, sans doute,

besoin de longs discours pour établir que, sur la ques-

tion capitale des ttroits et tles limites de la raison, lesdoctrines contemporaines offrent au plus haul degré ce

vague e[ cette indécision qui rendent aujourd'hui né-

cessaires les leçons toujours utiles de I'histoire. Si vous

mettez à part les homrnes qui onL su se main[enir ou

se replacer sous cette forte discipline où saint Àugustitt

et Bossuet ontsenti leur génie se mouvoir à I'aise, et

ceux, beaucoup plus nombreux, héIas qui, ensevelis-

sant leur âme immortelle dans les basses préoccupa-

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IrE LA PUILTjSOPHrE LrHRÉTIEN)IE. 3ï7

tions de la vie présente, n'oublient un instant leurs

affaires que pour songer à leurs plaisirs, où en sontaujourd'hui ceux qui pensen[ et qui ne se résignent nià ignorer leur des[inée, ni à profiter, pour la connaitre,tles enseignements que le christianisme a semés dansle monde? Saven[-ils à quoi s'en tenir, je ne dis passur les problèmes qui inquièfent leur raison, mais sur

la valeur même de I'instrument à l'aide duquel ils espè-rent les résoudre ? Les plus sages ne tmhissent,ils pasleurs défiances et leurs regrets, tantôt par les respectssincères dont ils entourent des croyances qui ne sontplus les leurs, tantôt par des tristesses et des décourage-menfs qui touchent au scepticisme? Et les plus auda-cieux sentent-ils au fond de l'âme cette imperlurbableconfiauce qui décidait, it y a cent ans, la raison hu-maine à tenter les aven[ures, e[ à rompre violemmentavec la tradilion chrétienne ? .lTtranifestement, ce siècle-ci,qui n'est pas un siècle croyant, n'es[ pas non plus for[tranquille dans son incrédulité ou dans sou indiffé_rence. Dans le monde intellectuel, comme dans le

moude moral, toub est troublé, tout est inr:ertain e[obscur. Fartout, dans la politique et dans la législalion,dans I'arb et dans la li[térature, dans la science e[ dansl'histoire, sous mille aspects divers, la même questionse dégage et dornine : à savoir s'il convient que I'hu-manité renode avec le christianisme, ou si elle doit

entreprendre de se chercher une nouvelle destinée, e[de se frayer des chemins inconnus en dehors des voiesgu'elle a suivies pendan[ dix-sept siècles avec quelque

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378 APPENDIT1E I, - DE I.,'UISTOIRE

profit et quelque gtoire. E[ cette question elle-même

noest que la forme actuelle et vivante du grand pro-blème que [oute philosophie rencontre à son début :

à savoir si I'homme trouve dans son intelligence et dans

sa volonté assez de lumière et d'énergie pour aonnattre

sa fln et I'atteintlre; ou bien si, pour connaître ôe que

nous sommes e[ devenir ce que nous devons être, nous

avons besoin qu'un principe supérieur à I'humaniténous for[ifie e[ nous éclaire.

Que ce problème puisse être abordé directemen[ et

résoÏu avec certi[ude au moyen de I'observation inté-

rieure, que chacun, sans sor[ir de Lui-même, puisse

acquérir une conscience assez vive des défaillances de

sa raison et iles migères de son cæur pour en eonclureque I'homme ne peut se passer ni de Ia parole de.Dieu,

ni de son secours, je n'ai garde de le contester; et ce[te

conclusion, plus irrésistible à rnesure qu'on descentl

dans les profontl.eurs de l'âme humaitte, est peut-être le

bénéfice le plus net qu'on puisse retirei des études

psychologiques. &[ais, en même temps, je m'effraye des

ressources infinies tlon[ notre orgueil dispose contre

tout ce qui I'offense; et ie prévois que, s'il n'ose con-

tester ouvertement ces révélations de la conscience, du'

moins saura-t-il accumuler autour d'elles assez de

nuâges et de sophismes pour obsurcir et fausser leur

signification véritable.

-

Il est moins facile d'avoir

raison de I'histoire. Les sys[èmes auxquels ont travailléplusieurs géirérations tle philosophes sont des faits in-

traitables, qui ont laissé dans I'humanité des traces

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DE IJA PHIIOSOP}ITE CERÉTIENNE. 379

trop profontles pour qu'on puisse se méprendre sur

leur valeur. Chacun de ces systèmes est pour la raisonun essai de ses forces dans toutes les grandes questions

de I'ordre moral; et s'il es[ injuste de la juger d'après

quelqu'u,n d'eux en particulier, iI est au contraire par-

faitement équitable de la juger d'après leur ensemble,

à moins que le temps, ou les hommes,. ou les circons-

tances lui aient manqué pour se développer librementet donner sa mesure. Et si rien de tout cela ne lui a faif

défaut, si, depuis ving[-quatre siècles, la philosophie a

été cultivée par les plus beaux génies dans les circons-

tanaes les plus tliverses e[ souvent les plus favorables,

iI nous est permis aujourd'hui de llous éclairer sur ce

qu'elle peut dans l'avenir par cequ'elle

a faitdans Ie

passé, et de counaître enfin, par une expérience presque

aussi ancienne que la civilisation, si I'humanité se

suffit à elle-même pour connaitre les desseins de Dieu

sur elle et répontlre aux vues de sa providenoe.

Il est dono vrai que l'é[ude des grands rnouvements

de la pensée philosophique offre à la raison, pour s'é-

clairer sur l'é[endue et les limites de sa puissance, des

lumières qu'elle'ne trouve pas ailleurs. C'es[ pourquoi,

si la liberté m'en était laissée, je oonsaorerais volon-tiers plusieurs années d'enseignement à résoudre, par

une histoire générale de la philosophie, ce problème quiest par excellence celui de notre époque. Mais, puisqu'il

ne devait m'être permis que de jeter un regard de regretsur le magnifÏque horizon dont j'aurais voulu visitertous les somme[s ayec yous, j'ai du moins cherché, en

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380 .\PPENDIOE I. - DE L'HISTOIRE

circonsmivant nos études dans une portion restreinte

de ce vaste domaine, à ne pas perdre de vue la grandeet pressante quesfion que l'histoire de la philosophie

est appelée à résoudre. C'est avec cette pensée que j'aichoisi pour srjet de nos leçons de celte annéeo I'histoiredes développements de la philosophie chrétienne.

Je poumais justifier par beaucoup de bonnes raisons

ma préférenoe pour un sujet moins populaire et moinsexploré que bien d'autres. La valeur intrinsèque d'unephilosophie qui compte parmi ses maîtres quelques-uns

des plus grands esprils et des plus nobles caractères

dont s'honore I'humanité; l'intérêt q'ui s'attache à une

histoire où I'on peu[ suivre pas à pas les progrès de lacivilisation moderne, non dans le tumulte e[ la confu-sion des événemen[s politiques, mais dans le calme

développement de la pensée philosophique e[ religieuse;la nouveauté même d'un sujet que la scienee contem-

poraine a, jusqu'ici, quelque peu délaissé, tandis qu'elle

reconstruisait aveo un soin pieux l'édifice de la philo-sophie antique, et rernettail en lumière jusqu'aux plus

folles rêveries du mysticisme alexandrin; les rapportsde doctrines qui établissent enûre la philosophie de notre

tlix-septième siècle e[ celle des Fères et des Scolasti-

ques une parenté si étroite, que saint A.ugustin, saint

Anselme, saint Thomas, saint Bonavenbure sont en touterigueur les légitimes ancêtres de Descar[es et de Male-

branche, de Eossuet et de Fénelon; toutes ces cottsidé-rations. suffiraient à mettre ma conseience à I'aise, et à

me persuader que je ne vous conduis pas sur un terrain

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' IrË ta ptitlosut'uûl cfiRÉTmNNÈ. '.ls t

où il n'y ai[ rien à moissonner pour la philosophie. Etpourtanb, &lessieurs, elles ne son[ pas potlr moi les prin-

cipales; e[ si elles viennent aujourd'hui cotrfirmer mon

choix, ce ne sont pas elles qui l'ont dételminé. En étu-diant avec vous la philosophie chrétienne, i'ai voulu, -pourquoi ferais-je difficulté de I'avouer? - m'é[ahlir au

cæur même de la quesl,ion qui préoccupe le plus vive-

menl notre siècle, de to, qtoesliott, pos,le,, comme le disaibnaguère un illustre homme d'État qui esl en mêne temps

un grand historien et un profond. penseur' entre catrqtti recorutai,ssent et ceu,fr qui irc recottn'aissenl paç uru

ordre su,rnaturel,, cerl,ain eI, sou,uerain., rluoirlue î,m,11ëttë-

trable ù, la rai,sott h,tcntaitrc.

Itrn effet, s'il ue s'agissait que de ttous dontter le tristeet facile plaisir d'humilier la raison en établissant par

les faits I'infirmité de la philosophie humaine, il uous

suffirait de soumettre à uue sévère analyse les systèmes

qui se sont produits soil alant le chris[ianisme, soi[

en dehors de son action; [rouvant partou[ des ltési-

tations, des lacunes et des erreurs, llous sorlirions de

cet examen assez peu disposés à livrer sans cotttrôle ladireclion de nos âmes à un guide aussi mal sùr de lui-même. Ainsi a procédé Pascal, et vons sayez avec quelle

puissance. Ilettant aux prises les s[oïciens e[ les pyrrho-

niens, réfutanl tspictète par &trontaigne et r\Ionlaigne par

Ilpictète, il contraint enfin la raison éperdue d'abdiquer

entre les mains du christianisme. Mais Fascal (qu'il mesoit permis de le dirè sans manquer de respect à ce grand

esprit un'peu paradoxal), llascal poursuivait un but qui

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382 ÀPPENDI0E r. - Dx l;nrsTolnr

n'es[ pas Ie nôtre. ïl voulait décourager la raison; nous

voulons la raffermir. ïI voulait, - du moins on I'en açcuse, - supprimer la philosophie; nous voulons la, dé-fendre d'elle-même e[ des funestes tentations de son or-gueil. C'est.pourquoi nous croirions n'avoir rien fait pour

elle en lui signalant les écueils où vient échouer la rai-son humaine insurgée contre la raison divine, si nous

ne placions en regard de cette douloureuse expérience letableau rassurant des progrès qu'elle peut accomplir dujour où elle se replace tlans les contli[ions d'un dévelop-pement légitime.

Ces couditions, Messieurs, nous croyons les connaitre.

Nous pensons e[ nous disons que la foi religieuse est

pour la science non unjoug

qui- I'opprime ou une bar-rière qui retient son libre élan vers la vérité, mais une

mâle discipline qui accroi[ son énergie en régularisant

ses efforts, un souffle. puissant Qui, tout ensernble

l'élève et la dirige. Nous pensons et nous disons que

ces mystères, dont la pleine intelligence nous est refusée

ici-bas, projettent cependant de merveilleuses clartés sur

la rtie humaine, comme on voit souvent le soleil, caché

derrière un nuage? illuminer I'horizon tout entier du fond

de son impéné[rable retraite.

Mais si ces principes sont vrais, ils doivent aioir leur

démonstration expérimentale et leurconsécration dans

l'histoire. Supposez qu'à un tnoment quelconque de la

civilisation, dâns des circonstances suffisamment favo-rables au mouTenient de l;esprit scidntifique, une phi-lôsophie soit née e[ se soit développée sotts l'influenee

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DE LA PHTT,OSOPIIIE CIIRÉTMNNÉ. 383

volontairemenl subie doune religion véritablement di-

vine; il ne se pollrra pas qu'une telle philosophie nesoit supérieure à toute autre par la sùreté de sa marche,par I'unité de ses vues, par la vérité de ses théories.Sans parti'ciper à l'infaillibilité du dogme révélé, puis-'qu'après [out, elle demeure une science humaine, Ies

erreurs auxquelles sa condition l'expose seront moins

dangereuses, parce qu'aussitôf aperçues, elles seront .

ou abandonnées'ou réprimées. Certaine clu bu[ où elleva, elle sera plus ferme dans ses allures, plus hardie àposer les questions délica[es que ne sauraient l'être lesphilosophies dissidentes qui, pour avoir plus d'une foissenti le sol manquer sous leurs pas teméraires, finissen[trop souven[ par

cet excès de timidité qu'on nomme lescepticisme. Osons dire enfin qu'elle sera plus libre,armée qu'elle est d'avance contre les sophismes quirétluisent en esclavage les raisons vacillantes,

Je ne décris poinl ici un idéal imaginaire. Il y a danele monde une philosophie qui croit à l'alliance de laraison humaine avec la raison divine, une philosophie

qui, n'admettan[ pas la possibilité d'un conflit sérieuxentre la vérité scientifique et la vérité religieuse, jugeinsensé de subordonner la parole de Dieu à quelqu'unede ces spéculations rationnelles oit l'hu,main,, commedit Eossuet, se monfre toujours par quelque endroit;une philosophie.qui, éclairée par I'histoire sur I'incon-

cevable facilité avec laquelle se dissipe entre les mainsdes hommes le dépôt sacré des vérités morales, nlen-tend pas rlue ces vérités, elt devenant des propositions

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384 ÀPPENIJIEIi I. - NE L'}IISTOIRE

scientifiquement démontrées, cesseut d'être en même

temps e[ avant tou[ des articles de foi; une philosophiequi, enseignant à l'hpmme I'art souverain de tendre à

Dieu par toutes.les puissauces de son être, par Ie cæur

aussi bien que par I'esprit, et par I'amour âussi bien

que par la pensée, lui signâle comme les plus grands

obslacles à la contemplation des choses divines I'orgueil

qui le concentre et les passions qui le rabaissent; unephitosophie qui, tou[e pénétrée cle l'éternelle harmonie

du vrai e[ du bien, ajou[e une logique morale à la logi-

que intellectuelle des ecoles ra[ionalistes, e[ exige impé-

rieusement de ses disciples qu'ils élèvent par la prière

et purifient par la verlu leur âme où l'infini viendra se

refléter. celte philosophie n'a pointpassé inaperçue au

milieu du 0umulte de ce rnonde, et les bruyants éclafs

de la science incrétlule n'ont point étouffé son retentis-

sement dans I'histoire. Àu déclin de la t',ivilisa[ion ro-

maine, au sor[ir de la barbarie du dixième siècle, au

sein cles splentleurs du règne tle Louis xlv, elle a véctt,

elle a travaillé, elle a régné. EIle a peuplé nos bibliothè-

clues de ces immenses ouvrages que. notre main débile

a peine à soulever. Elle a formé la pensée des peuples

rnodernes; elle nous a faits ce que nous sommes; et nous

lui devons en grande paftie la puissance même dont nous

usons souveut contre elle. Enfin, elle porte un no*m

illustre qui, mieux que tous mes discours, indique ce

qu'elle est, ce qu'elle veut et sur quelle alliance elle sefonde; elle s'appelle ta philosophie chrébienne.

J'entrepiends, $lessieurs, la tâche difficile de vous Ia

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' DD LA PHTr'oS6PEIE CunÉrirxNn. 3S8

, faire connaitre, et la tâche beaticoup plus aisée de vous

la faire aimer. Àu milieu des tâtonnements'de ses dé-buts et de I'inévitable déclin qui précède chacune deses transformations, au nilieu même des erreurs dedétail qire.vous devez vous attendre à y rencontrer,vous yerrez se constituer ce que I'antiquité n'avait pasTu, ce qu'on ne reverra pas en dehors d"ù christianisme,I'unité de

doctrine dans la liberté des méthodes et rlansla variété des systèmes; vous verrez les graves erreursauxquelles de grands philosophes avaient donné l,auto-rité de leul génie, reléguées enfin dans le domaine tle lasophistique; Tous \rerrsz se former ainsi, sous le patro-nage dtt la philosophie chrétienne, ce[ admirable senscommun des peuples motlernes qui ne permet pas -que

le scepticisme, le matérialisme ou le panthéisme s'é-taleu[ impunément au grand jour; rous verrez enfin,mèmes aux époques de décadence, subsis[er dans leurintégrité les principes qui rendenI la philosophie im-morlelle, l'élan généreux de l'âme vers i'infini, la foilégitirne de la raison chrétienne eil elle-même, la

crolance à l'efficacité phitosophique tte Ia prière e[ dela vertu.

Yous colllprenez ruaintenairt, llessieurs, dans quelesprit et dans quelle espérance nous abordons le vastesujet ofler[ à nos études. En vous faisant assister audér'eloppement de la phiiosophie chrélienne, en yous

monfrant ce quele christianisme a fait pour le progrèsde la raison, e[ ce que la raison à son tour a produit

sons I'inspiration de ce souffle puissant, je ue me pro-

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386 APPENDICE I. - DE L'HISTOIRE

pose pas de vous offrirun spectacle stérile; en remoll-

tant avec vous vers un passétrop peu connu, je ne perdspoint de vue les intérêts de I'avenir. Si I'histoire s'unit

au bon sens pour proclamer I'accord de la foi et de la

science; si une expérience de dix-huit siècles atteste

que la raison humaine s'élève et se fortifie par sa libre

soumission à la raison divine; s'il est vrai que jamais,

dans les temps modernes, la philosophie n'a Pgse sous-

traire à I'influence chrétienne sans retomber dans quel-

qu'une de ses vieitles erreurs, ou du moins sans être

ébranlée dans la possession des grandes vérités de l'or:dre moral, {u0 nous restera-t-il à faire, sinon de resser-

rer cette allianee qui honore I'humanité, rétablit la paix

dans les âmes, eL, rendanb à la philosophie le droit de

signaler et de combattre tou[es les fausses doctrines,lui assure en même temps la victoire dans cette lutte

qui est sa mission ici-bas ?

Je me bornerais, Messieurs, âux explieations qui.préi

càrtent, si je n'e rencontrais sur mon chemin deux ob-jections que je ne puis laisser sans réponse, tant parce

qu'elles sont en grantle faveur auprès de beaucoup d'es-

prits, que parce qu'elles tendent I'une et I'au.tre, quoi-

qu'en deux manières forldiverses, à nier la notion même

de la philosophie chrétienne.

A quoi vous profite, nous di[-on doabord, ce grandefforb et cet appareil de méthodes scientifiques pour

ûécouvrlr fationnellement quelques vérités morales'

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"*.

DE L,a PultosoPgm cunÉrmmsn" 387

loisque ces vérilés, e[ bien d'autres avec elles, sonb

toutes trouvées dans la doctrine chrétienne qui les for-mule avec une précision que vous ne pouyez pas sur-passer, et les enseigne avec une autorité à laquelle vous

ne sauriez prétenclre? Quand le monde était assen'i à.

des cultes menteurs, qui tantÔt restaient muets sur les

grandes questions de I'ordre moral, et tantôt essayaient

d'apaiser avec des fables Ia soif de vérité qui consumeéternellernent I'âme humaine, la philosophie avait saus

doute un rôle magnifique à remplir; et les sages, in-vestis par la force même des choses, du droit de gou-

verner les âmes, chargés par la Frovidence de détrôner

les supersfitions régnantes et de faire triompher I'idée

du vrai Dieu et la pure notion du devoir, exerçaientdans I'humanité un véritable sacerdoce. Mais depuis

que la lumière du christianisme s'est levée sur le monde,

depuis que toutes les incertitudes sont fixées et toutes

les questions résolues, à quoi bon philosopherencore?

et pourquoi se donner la peihe d'apprendre une seconde

fois ceque I'on sait d'avance? Désormais, les âmes sim-

ples trouveron[ dans une foi soumise de quoi répondre

aux besoins de leur esprit comme aux aspirations de

leur cæur.' À ceux qui ont mission d'enseigner, à ceux

aussi qu'une respectueuse curiosité sollicite de pénétrer

plus avanL dans les lumineuses profondeurs du chris-tianisme, la théologie ouvrira le ohamp de ses spécula-

tions; e[ la philosophie ne sera plus cultivée que parquelques esprits arriérés et aveugles qui croiront en

plein jour que la nui[ dure encore, et qui, au milieu

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388 ,\PPENDICE I. - DE L'IIIsTOInE

des clartés donl le christianisme vient d'inonder le.monde, continueron[ de marcher à la pâle bt incertainelumières des systèmes enfantés par la raison humaine.

Àinsi, on.reut bien d'une philosophie provisoire quirègnera sur les esprits en at[endant le ohristianisme;mais on y met cette condition expresse que, du jour où

celui-ci aura fait son apparition dans les âmes, la philo-

sophie jugera sa mission terminée et se retirera de lascène, comme un acteur qui vient d'achever la réci-tation de son rôle. Àvais-je tort de vous dire quoon

lu'ous conteste la notion même de la philosophie chré-tienne?

On la con[este encore dans des inten[ions bien diffé-

rentes, non plus au nom du christianisme, nrais au nomde la raison. "En effet, nous dit-on, qu'est-ce pour laphilosophie que devenir chrétienne? C'es[ accepter unedirection et un contrôle; c'est prêter serment de {idélitéà la foi religieuse; coest, par conséquent, abdiquer son

indépendance. La vraie philosophie n'accepte pas cetteposition subalterne; elle ne relève de personne, e[

comme la raison est son seul guide, seule aussi la rai-son a droit de dénoncer et de relever ses eneurs. Il se

peut qu'un philosophe soit enmême temps un chrétien;rnais il ne se peut pas que la philosophie soi[ chré-tienne; un tel adjectif tue le substan[if qu'on veut luienchatner.

Vous me permetfiez, Messieurs, de répondre d'abordà cet[e seconde objection. Sans doute elle ne vous est

pas nouvelle, et vous savez qne, de nos jours, elle est

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DE L T PHIOSUPHIE CUNÉTIT:NNE. 389

le grand obstacle à la réconciliation si désirable de la

foi et de la science. C'est elte qui retient encore'loin duchristianisme nombre d'esprits éminents et droits, qui,-pleins d'admiration pour ta beauté de sa doc[rine et derespect pour les vertus qu'il inspire, iraient à lui s,ilscroyaient pouvoir acgepter son autorité sans sacrifier lesdroits de laraison; et ce seraif avoir fait beaucoup pour

la pacification des âmes que d'avoir dissipé Ie préjugé surlequel cette objection repose. J'ai déjà, comme je pense,commencé d'y répondre, en indiquant les dangers quefait courir à la philosophie ce rêr'e d'une absolue indé-pendance, e[ ce qu'il y a pour elle de dignité et de pro-fit dans une alliance qui ne la soumet qu'à Dieu, c'est-à-dire, à la raison infaillible et à la vérité éternelle. J'yrépondrai encore pendan[ toute cette année paT I'histoiremême de la philosophie chrétienne. Je prouverai qu'elleest possible, en montrant qulelle est ui,a&nte,. et vous re-connaitrez, je I'espère, que la raison a pu prendre sonpoint d'appui dans le christianisme sans ralentir son

vol vers les choses divines, e[ sans rien perdre de la

rigueur de ses déductions ni de l'exactitude de sesanalyses. Je voudrais toutefois, pour assurer dès au-jourd'hui notre marche, vous soumettre deux remar-ques qui, en dégageant de toute obscurité le sens d'uneobjection dont beaucoup d'esprils s'inquiètent, l]ouspermettront en même temps d'en mieux apercevoir laI'aiblesse.

Disons donc en premier lieu qu'elle implique la néga-tion absolue de Ia divinité du christianisme. Soutenir

22.

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390 ÀPPENDICD I. ; DE L'UISTOINE

que I'intelligence humaine, faillible et bornée comme

elle I'est de I'aveu même de ses plus ferven[s défenseurs'

est dispensée de se soumettre à I'infïnie et immuable

intelligence de Dieu, e'est, pour glorifier la raison, faire

une trop violente-injure au bon sens. D'autre part,

imaginer que Ia religion et la philosophie pourront,

dans le même esprit, faire séparément leur chemin sans

s'inquiéter I'une ile I'autre, en sorte qu'acceptant avecma conscience de chrétien l"enseignement'de l'Église

sur une question quelconque, ie puisse, sur la même

question, être conduit par ma conscience de philosophe

à un résultat diamélralement opposé, e[ tlonner simul-

tanément I'hospitalité de ma pensée à deux solutions

contradic[oires, c'est rêver pour I'intelligence, qui es[inilivisible, un dédoublement chimérique; en réalité, ces

deux conolusions inconciliables se neutraliseront I'une

par I'autre, et du premier coup établiront dans mon âme

le règne du plus parfait scepticisme. De pareilles fan-

taisies ne sauraient avoir accès. dans aucun esprit rai-sonnable; et les plus patients se fâcheraient à bon droit

qu'on vouhlt les leur imputer. Lors donc qu'on enseigne

que la philosophie et les philosophes noont point de

comptes à rentlre au christianisme, et ne doivent se préoc-

cuper ni de ce qu'il enseigne, ni de ce qu'il condamne,

on sous-ententl toujours cette indispensab'.e hypothèse :

que le christianisme n'est pas divin, et que, s'il mérite

des respects parce qu'il est grand, e[ des ménagementsparce qu'il est utile, iI n'a cependant,'puisqu'il est hu-

main, aucun droit de nous imposer sa doctrine ou de

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DE ta PEILosoPEIE cunÉtmmw. 39l

nous faire renoncer à la nôtre. Je n'ai pas niission de

défendre le christianisme contre cette supposition inju-rieuse et de remontrer qu'avant de l'écarter si dédaigneu-

sement, on devrait peut-être prendre la peine de vérifier

ses titres. Il me suflit d'avoir établi que ce[te déclara-

tion d'indépendance cache une déclaration de guerre, et

d'avoir en même temps arraché Ie secre[ tle sa faiblesse

à une objection qui n'a pour tout fondementque

la plustéméraire et la moins justifiée des hypothèses.

Secondement, cette indépendanoe absolue qu'on ré-clame au nom de la philosophie, et à laquelle 1l semble

qu'on veuille tout sacrifier, la vraie philosophie, même

en ilehors du christianisme, n'en jouit pas et n'en veutpas. Je dis, Messieurs, que, toute révélation à part, ily a dans le montle une autorité intellectuelle qui n'apas sa source dans la philosophie, et à laquelle néan-

moins la philosophie se soumet sans rien perdre de sa

dignité, une autorité contre laquelle elle peut bien s'iu-surger dans un mornent de délire, mais à laquelle elle

ne sauralt se soustraire sans perdre à I'instant tout èré-

di[ dans Ie monde, en sorte qu'on lui fait la plus san-glante des injures en I'accusant d'avoir secoué ce joug

sous lequel elle tient à honneur de se courber. Cette

autori[é s'appelle le sens commun. Qu'un philosophe

enseigne, comme Berkeley, que les corps n'existen[ pas,

ou, comme Spinoza, {u0 le monde n'est qu'un mode do

la substance divine, ou, comme ltrelvétus, que le plaisirdes sens est I'unique fin de Ia vie humaine; aussitôt, et

avant [oute discussion, ce philosophe est mis hors la

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:]99. APPEI{DIOI I. - DE L'HISTOIRE

loi du bon sens, et la conscience publique condamne

sa doctrine sans vouloir en écouter la défense. Plustard,je le sais, de vrais philosophes viendron[ qui discute-ron[ méthodiquement son erreur et réfuteront scientifi-que.ment ses sophismes; mais I'arrêt sans appel étaitdéjà por[é, au nom du sens commun, non point au nomde la métaphysique. Je ne dis pas qu'il en ai[ toujoursété ainsi e[ que, par exemple, le fatalisme de l'écolestolcienne ou Ie panthéisme des alexandrins aient sou-levé, dans I'antiquité, I'unanime protestation qui lesaccueilleraient de nos jours. Je sais qu'il y a dans lesens commun des peuples chrétiens une sûreté et uneé[endue qu'on ne trouve point ailleurs; et ce n'est poin[ici le lieu de rechercher les causes de ce remarquable

phénomène et les conclusions qu'il convient d'en tirer.Mais l'existence actuelle et la souveraine autorité de ce

tribunal des esprits demeurent des faits aussi incontes-tables qu'ils sont glorieux pour I'humanité; et I'honneurde la philosophie n'est point de contester ses jugements,

mais de se les rendre favorables. Or, d'où vient au sens

commun cette irrésistible puissance? Vient-elle de la rai-son individuelle? son nom même s'y refuse. Yient-elledu nombre? et depuis quand les questions morales se

décident-elles àla pluralité des suffrages? Non, Messieurs,

si Ie sens commun est le roi souvenû outragé, mais tou-jours légitirne du monde intellectuel, c'est que les véritésqu'il proclame nous apparaissent comme les lois pri-mordiales de notre pensée; c'est que dans cette grande

voix de I'humanité nous entendons la voix de Dieu même,

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DE I.,A PEILOSOPHIN CHRETIENNE. 393

e[ dâns cet accord de toutes les raisons huuraines l'échode la raison éternelle.

Il es[ donc vrai que c'est pour la philosophie unevieille e[ honorable habibude de dépendre de la véri[édivine. Par conséquent, lorsque le christianisme luidemande, en échange des lumières qu'il lui apporbe etde la vigueur qu'il lui communique, d'adhérer loyale-

ment à la parole de Dieu, donl il est le déposifaire, iln'y a rien là dont elle doive se tenir humiliée, nirien qui altère les conditions régulières de son exis-tence. Par conséquent enfin, la philosophie chrétienneesI possible.

Que s'il resle à.cet égard quelque obscurité dans vos

esprits, si vous ne comprenez pas commen[ la philoso-phie, enchainée à un dogme positif comme le dogmechré[ien, peut encore êlre une philosophie, c'estâ-direun libre élan de l'âme vers la vérité, l'examen de lapremière objection, à laquelle it es[ temps de revenir,achèvera de fixer vos incertitudes.

Cet[e objection, résumée en termes à la fois rudes et

précis, se ramenait à dire que la philosophie, excel-lente, faute de mieux, dans les siècles païens, n'estplusbonne à rien depuis le christianisme. Pour la résoudre,.il faut donc mon[rer que la philosophie n'a pas cessé

d'être bonne à quelque chose.

Je ne I'ais d'abord nulle diffTculté de reconnaitre que,

là où le chris[ianisme n'es[ point encore enseigné, I'a-narchie des esprits, I'obscurcissemenf et I'altération des

vérités les plus sainfes créent à la philosophie une situa-

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3g& A?TENDICE I" - DE L'HISTOIRE

tion exceptionnelle, et lui adsurent une dictal,ure quirallie tous les bons esprits en I'absence du souverain

légitime, je veux dire en I'absence d'une religion di-vine, mais qui cesse de plein droit à I'inslant où Dieu

fait entendre sa parole. J'avouerai encore que si, dans

les siècles païens et quantl les tratlitions primitives

sont obscurcies, I'humanité tout entière a besoin des

philosophes pour lui enseigner le peu qu'ils savent tou-chant les choses divines, dans les siècles chrétiens, au

contraire, c'est la religion, et non la philosophie,'qui

réponrl au besoin universel des ârnes ; en sorte que celle-

ci pourrait disparattre de la scène du monde sans que'

directement du moins, la masse de I'humanité s'inquié-

tât ou s'aperçùt de son absence. Mais de ce que I'avé-nement du christianisme a fait descendre la philoso-

phie du trône où le malheur des temps I'avait contrainte

à s'asseoir; de ce que, comme toute autre science, elle

n'a pour auditoire qu'un nombre restreint d'intelligences

cultivées, il ne s'ensuit nullement qu'elle n'ait plus au-

cun rôle àjouer, ni aucun service à rendre. Loin de là,je vois qu'il y a, pour qu'elle subsiste encore, deux raisons, ilont une seule suffirait à la rendre immortelle.

Indiquons d'abord la plus apparente.

En affermissant le règne de la vérité dans le monde,

le christianisme n'a pas tellement changé les conditions

de son existence ici-bas qu'elle cessàt d'être sujette à la

contradiclion. Depuis l'Évangile, comme avanb l'Évan-gile, nous voyolls cette terrible opposition de I'esprit

humain à la vérité se traduire par d'incessantes atfa-

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DE La P[ItosoPEIE cnnÉtrerxr. 395

ques, non-seulement contre les dogmes mystérieux qui

sont I'objet propre de la révélation, mais aussi conlreIes notions de I'ordre na[urel qui sont I'objet propre ile

la philosophie. Depuis comme avant, des sophistes

puissants ont contesté I'existence de Dieu, la certitude,

le devoir, e[ sont parvenus souvent, sinon à ruiner ces

vérités essentielles, du moins à accumuler autour d'elles

des nuages qui les obsourcissent, et à ébranler dans les

âmes ces croyances qui sont le fondement de toutes les

autres. Manifestemeut, il faut accepter ce combat sur le

terrain mêrne où se placent les ennemis de la vérité.

Manifestement aussi l'effort de cette lutte décisive ne

peut pas être soutenu par la théologie proprement

dite, laquelle, prenant pour accordé le fait même de

la révélafion, ne peut discuter utilement que contreceux qui conviennent at'eo elle de son point de départ.

Yous direz à un inuédule que I'Évangile promet à Ia

vertu d'immor[elles récompenses et au crime des châti-

nents éternels, il vous répondra qu'il. ne croit pas à

I'llvangile. Yous direz à un athée que Dieu a parlé aux

hommes, il vous répondra qu'il ne croit point en Dieu.Vous direz à un sceptique que toute vérité est dans le

christianisme; il vous répondra qu'il ne croit pas à la

vérité. Si vous voulez joindre de tels adversaires, eltr-

ployez des armes qui puissent les attoindre; raisonnez

sur des principes qui soien[ aussi les leurs. Àutrement,

vous aurezbeau avoir raisott, votre argumentation n'ira

pas jusqu'à eux. Retranchés derrière leurs négations

absolues, ils continueront de ruiner la foi dans un grand

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396 AÈPENDIOE I. - DE L'EISTOIRE

nombre d'esprits en jetant par terre les vérités naturelles

que toute révélation suppose ; e[ vous assisterez à^ cettedes[ruction sans pouvoir en arrêter les progrès. It fau-dra donc, pour défendre efficacement le christianismecon[re ce genre d'adversaires, se placer en dehors deI'enseignement chrëtien; il faudra en venir à la discus-sion rabionnelle e[ se servir de ce que les adversairesaccordent pour établir ce qu'ils contestent

; il faudraprouver directemen[ I'existence de Dieu, la certitude, ladistinction du bien "et du mal, la vie future, toules lesvérités que la raison pervertie altaque e[ que la raisonsaine a le droit e[ le pouvoir de défendre. Or, établirpar la raison les vérités rnorales, réfuter par Ia raison lessophismes qui les ébranlent, qu'est-ce que cela, sinon

philosopher ? Si donc ce n'est rien faire que d'être I'in-fa[iguable champion de la vérité incessammeirlattaquée,si ce n'est rien faire que de défendre et de fortifier lesprincipes sur lesquels s'élève l'édifice de la foi religieuse,la, philosophie, je I'avoue, n'est bonne à rien. Mais sic'est bien mériter de la raison que de lui signaler les

écueils où le naufrage l'attend ; si c'est rendre service àI'humanité que de démasquer les sophismes qui lui dis-putent ses plus chères croyauees, la philosophie sansdoute est bonne à quelque chose.

. Supposons maiutenant que le chrislianisme règne enpaix et que, faute d'ennemis, la philosophie soit dé-chargée de ce rôle militant qu'elle seule peut remplir;il-Iui en reste un autre, non pas plus utile, mais assu-rément plus élevé ; il lui reste à conduire la raison au

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DE LÀ PÛLOSOPMI CIRÉTIENNE. 39i

plus haut sommet qu'elle puisse atteindre par ses pro-

pres forces, en lui donnant I'infelligence e la pleinepossession? non pas de toutes les vérités que la foi ré-vèle, mais de celles qui, dans ce nombre, sont suscep-tibles d'une démonstration scientifique. En effet, Mes-sieurs, croire n'es[ .pas Savoir, et ces deux situationsintellectuelles offrent une différence capitale, non sous

le rapport de la certitude, mais sous le rapport de lalumière. Dans I'une, I'espri.t es[ conduit les yeux ban-dés, par deà cherÀins qu'il ne connaif pas, jusqu'à des

dogmes dont il ne saurai[ en aucune façon douter parce

que Dieu lui donne sa parole qu'ils sont véritables, maisdont il ne peutnon plus se rendre compte. Dans I'autre,

I'esprit es[placé

lesyeux

ouverts à I'entrée des cheminsqui concluisent à Ia véri[é ; il ne fait aucun pas sans a\-oirauparavant exploré le sol où son pied se pose.Arrivé au

bout, la vérité es[ vraimenL sa conquête; il sait qu'elle

est, il sai[ ce qu'elle est, il sait pourquoi elle est; d'unecertaine façon, il la voit faoe à face; et de là Ie ravis-sement que produit la connaissance du vrai, nôn pas

seulemen[ chez ceux qui le découvrenl, après I'aroirlongtemps ignoré, mais' chez ceux aussi qui, I'ayantd'abord accepté sur la parole du maitre, arrivefit enfin à

le posséder par eux-mêmes. - Donc, si la foi (par oùj'entends toujours I'adhésion de J'esprit à une religiondivine) est, dans son objeL et dans son ensemble supé-

rieure à la raison, parce qu'elle nous aondui[ plus sù-rement et nous élève plus haut; au con[raire, lorsqu'ils'agit d'une vérité dételminie. de la vie future par

II.

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r"- l\

398 APPENDICE I. - DE I'EISTOINË

exemple, I'esprit e$t dans un étatplus parfait

lorsqu'ilarrive à la connaitre par la raison que s'il I'acceptait

simplement par la foi. Par conséquent, s'il.y a dans lareligion, au-dessous des sommets dont notre raison ne

doit pas tenter.l'accès en cette vie, des hauteurs qu'ellepuisse gravir sans vertige; si, comme I'enseigne sainû

Thomas et avec lui toute la philosophie chrétienne, la

révélation eontient des vérilés démontrables à côté d'in-compréhenslbles mystères, il ne saurait y ayoir pour lapensée de plus noble tâche que de s'appliquer à ces dé-monstrations qui dirigeront son activité vers un but di-gne d'elle, et de s'élever ainsi, par une science que lafoi soutient toujours, vers ces régions intelligibles qui

eont sa véritable patrie. Il ne faut donc pas se représen-ter la philosophie chrétienne comme loamusement puérild'un esprit qui se donne Ia comédie à tui-même et qui,

se persuadant pour un ins[anf qu'il ne sait pas ce qu'ilsait, se demande d'un grand sérieux s'il a une âme, ou

si Dieu existe. La philosophie chrétlenne n'est pas I'in-

telligence qui felnt de renoncer à la foi I c'est, suivantI'expression d,oun de ses représentants les plus illustres,tra fod qui cherclue l,'intelligence, E[ puisque I'esprit de

I'homme est fait pour la vérité comme son æil pour legrand jour, puisque la pure vision de la vérité souve-raine est liéfernelle récompense promise à ceux qui luiauront été ndèles ici-bas, c'est entrer pleinement dans

les desseins de la Providence, c'est tendre légitimementà nqtre destinée que de tourner dès cette vie nos regards

lers le foyer tlivin de toute lumière, d'élever nos cæurs

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be l.r PnrosoPurn cmÉrrnnrr. $ttg

et d'agrandir nos àmes pour que ses rayons y pénètrentavec plus d'abondance.

Nous pouvons donc, avec uile confiance raffermiepar les objections elles-mêmes, nous livrer à l'étude de

Ia philosophie chrétienne. Je ne me dissintule pas ce-pendant tout ce qui me manque pour retracer avec exac-

.titude

unehistoire dont les matériaux

sontépars dans

tant de gigantesques ouvrages, e[ pbur éta]rlir avec uneautorité suffisante les conclusions qui doivent êtte lefruit de ces laborieuses recherches. La philosophiechrétienne a passé par trois phases bien tlistinc[es. Née

sous la plume des Pères de l'Église, au milieu des san*glants combats qui ont préparé le triomphe de l'Ér'au.

gile; elle se cons[itue et se développe au moyen âge, et

arrive enfin à la robuste maturité du treizième siècle ipuis, lorsqu'on peut la croire épuisée, lorsqu'elle sem-ble entrainée dans la ruine de Ia scolaslique qui avaitétê sa forme passagère, elle reparait, an dix-septièmesiècle, sous unaspect ttouv€âu1 non peut-êtreavec plus

de force, mais avec plus d'écla[ que jamais. Chacune deces grandes époques eirt offer[ un ample suje[ pour une

année d'études. En me décidant à les réunir, j'ai drt merésigner d'avance à être, sur beaucoup de points, troprapide et trop incomplet, Heureusement, chacune de

ces évolutions de la pensée chrétienne vient aboutir

à un ou deux hommes de génie {ui, dominan[ leursiècle par l'élévation de leur esprit et la sûreté de leurdoctrine, résument en les complétant les travaux de leursdevanciers, et nous offrenl I'expression la plus pure et

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.{oo ai'pniqnrca r. - nE l;mstonÉ

Ia plus brillante d'e tout le mouvement philosophiqueauquel ils se sont associés. C'est ainsi que, dans l,Égliseprimitive, I'alliance de la foi et de la raison, qui est lefondemenl de toute niétaphysique religieuse, a sondéfenseur le plus illustre dans sain[ Àugustin. Àinsiencore, au moyen âge, saint Thomas e[ sainf Bonaven_[ure, frères par I'unité de leurs pensées comnre par I'u-nion de leurs cæurs, distincts cependant comme doi- ,

vent l'être des frères, personnifient aclmirablement I'élé-ment scientifique et l'élément mystique dont se composela philosophie chrétienne. En{in, au dix-septième siè-cle, bien que Fascal, Descartes, lTlalebranche, Leibnitzse rat[achen[ à la grande tradition catholique sinon par

toutes leurs doctrines, du moins par leurs intentions eûle fond de leurs penrrées, il n'est personne qui ne re-connq,isse dans Fénelon, e[ sur[out dans Bossuet, lesreprésentants les plus autorisés de la philosophie reli-giduse. Nous aurons hâte d'arriver à ces maîtres illus-[res I nous resterons longtemps à leur école ; et, sanspasser sous silence nombre d'esprits

éminen[s qui, àcôté d'eux, mais au-dessous d'eux, ont efficacementconcouru aux progrès de la science, nous consacreronsplus de temps et de tlavail à l'étude des grands monu-ments Qui, aux diverses époques de I'histoire, ont

.

été comme les phares lumineux de la pensée chré-tienne.

[e voyageur qui n'a, pour visitet Rome, que quel-a

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DE LA PHIL(ISOPHIE C.HNNTIENNE. 4OI

ques semaines, toujours trop vite écoulées au ruilieu des

splendeurs de cet[e cité deux fois souveraine, se sentd'abord presque découragé en présence des innom-

brables merveilles qui a[tirent ses yeux et se disputenl

ses heures. trl sait qu'il ne peu[ entrer dans une église

sans y rencontrer un chef-d'æuvre, faire un pas salls

heurter une ruine, prononcer ull llom salls évoquer uu

souvenir. S'il conserve cependant lamalheureuse am-

bition de [out'voir, il se condamne d'atance à ne rien

comprendre et à ne rien sentir; et sa mémoire tte peut

rapporter de ce travail ingrat qu'un amas d'images cou-

fuses, oir il n'y a pas plus de place pour les rêveries du

poête rlue pour tes méditations du penseur. Mais s'il a

pu savoir à temps que la Rome des Césars et la Rome

des Ponlifes se résument, avec une précision pleine d'é-

cla[ et de grandeur, en quelques monuments, chefs-

tl'æuvre entre tant de chefs-d'æuvre, et souvenirs entre

tant de souvenirs; si, résisbant aux sollicitations des

ciceroni à gages, il s'es[ décider à n'éludier I'art italienque dans ce qu'il a de plus parfait, à n'interroger le

passé que dans ce qu'il olfre de plus illustre et de plussolennel; s'il a longlemps erré parmi les débris qui

marquent les lieux où fut le Forutn; s'il s'est arrêté au

pietl du Capitole avec un sentiment de respect pour tan[de grandeur, et de pitié pour tanb de néant ; si, "durant

les nuils silencieuses, ses pas ont éveillé les échos du

Cotysée en ruines; s'il a contemplé à loisirles ch,ambres

immortelles où Raphaël a fixé sur la pierre du Yatican

les plus sublimes eb les plus sereines inspirations de Ia

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40E ÂIPENDIIIA I, * DE L'UIST0IRA

peinture; s'il a traversé I'espace autrefois occupé par

los jardins de Néron, dominé aujourd'hui par I'obélisquede marbre dont les inscritions triomphales attestent laviotoire et I'empire du Christ; s'il a franchi le seuil de

Saint-Fierre e[ s'est laissé subjuguer par I'incomparablomajesté de oe temple vraiment universel, il peut alorsee rendre. ce témoignage qu'il a bien vu ,la ville éter-

uelle; qu'il a compris la pensée de ce poëme immensoque, depuis vingt-cinq siècles, la Providenoe continuede graver sur ses pierres ; qu'il a saisi seus son véritableaspect cette physionomie à laquelle rien ne ressemble

en ce monde ; et il a droit d'espérer que les traits prin-cipaux de cette auguste figure ne s'effaceront jamais de

son souvenir.

Nous aussi, Messieurs, uous entreprenons un trop ra'pide voyage à travers les monuments philosophiquesque la pensée chrétienne a multipliés autour de nous

depuis dix-huit sièoles. Nous aussi nous serons obligés

de choisir; et, si légitimes que.soien nos préférences,

lrous ne pourrons souvent nous empêcher de donner

un regret aux livres et aux écrivains qu'il nous faudranégliger. Du moins ferai-je tous mes efforts pour que

vous n'ayez pas à vous repentir d'avoir interrogé sur lesproblèmes que toute philosophie soulève les plus gio-rieux ihterprètes de Ia science chrétienne ; et peut-être

une année passée dans le commerce de ces grands es-

prits nous laissera-tje[e mieux instruits des vrais inté-rêts de la raison, mieux garantis contre les séductions

d'ùne dangereuse indépendanee, et mieux convsincus

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DE IA Putr.,OSOPBIE CENÉTMNNE, 4Og

que Ia philosophie ne peut tenir son rang dans le monde

moral, ni exercer sur les âmes une salutaire influencequ'en respectant les conditions d'une alliance dont uno

épreuve aujourd'hui décisive doit lui faire sentir tout le

prix.

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. l\'2cABAcTÈ;RE CÉxÉneI DE LA PEITOSOPEIE nnS pÉngs

ou L'ÉGusn.

(Faculté des Lettres de Nancy, 26 novembre 1856.)

'MnssIEuRS,

Bien que le christianisme contienne les principes

d'une philosophie profonde, la philosophie chrétienne

noest point contemporaine des premières conquêtes de

l'Évangile. Un siècle et demi s'écoule avant qu'elle ap-paraisse, et il faut, pour rencontrer saint Justin, son

premier représentant, descendre jusqu'à l'ère des Àn-tonins, alors que la religion nouvelle, depuis longtemps

répandue dans tout I'empire, en dépassait déjà les fron-

tières,Deux raisons expliquent cette naissance tardive.

La première appar[ient à I'ordre surnaturel. Cepen-

dant nous avons le droit de I'indiquer ici, car elle res-sort si manifestement des faits, qu'en I'énonçant nous

nous bornons à répéter mot à mot la leçon que nous

dicte l'histoire. CeLte leçon esb que si la prédication del'Évangile, commençant par en haut et s'adressan[ de

préférence aux esprits cultivés? se fùt appuyée sur des

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apPENDIc,E II. - caRALlrÈRE GÉNÉR,tl,, Ett'. 405

raisons scientifiques? on eù[ pu ,itribo., le triomphe de

la religion chré[ienne à l'imrnense supériorité métaphy-sique d'une docLrine {ui, d'un seul coup, reme[tait

llhomme enipossession de toutes les grandes vérilés na-turelles défigurées par le polythéisme ou contestées par

les philosophes; et de la sorte quelque incertitude eùt

été jetée sur le miracle éclatant de la conversion du

monde: C'es[ pourquoi saint Paul disait qu,'i'l' ne aenaitI)a,s o,Dec l,es paroles llersu,asùues de la sagesse lt'umoin'e,

e[ il ajoutait, mais dans un bien au[re sens que Socrate,

qu'il ne sauait rien,,, rlen que ce mystère de la Rédemp-

tion qui confond la sagesse mondaine.L'autre raison, c'est que bien des années s1écoulè-

rent avartt que la 'philosophie des écoles s'inquié[ât

du christianisme et, en commençant à le comba[tre,

le contraignit à philosopher lui-rnême. La philosophie

s'adressai[ aux esprits tlélicats, le christianisme à toutle monde, mais principalemen[ aux petits et aux hum-bles, public que les philosophes ne lui tlisptttaientguère. Pour relever, pour éclairer, pour nourrir ces

âmes simples, jusqu'alors courbées à terre sous le durjoug de la société romaine, négligées par les penseurs,

éblouies et corrompues par les fables païennes, ee qu'ilfallai[, ce n'était pas la science, ni la discussion, maisla foi. Pour elles, les rniraclesdel'Évangile attestés par

des témoins fidèIes e[ renouvelés par les apùtres et leurs

successeurs, I'incomparable pureté de la morale chré-tienne, les fruits d'amour e[ de verlu qu'elle faisait nai-tre sur le sol le plus ingrat, étaient d'assez puissants

2e.

i:, zr'.tl

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406 APPENDTcE TI. - cAnAcTÈBE ÉÉNÉnAI

motifs de croire sans entrer plus avant dans les raisons

philosophiques des choses.Cependant, peu à peu le christianisme oommengait à

faire du bruil dans le monde. Au dédain succédait l'é-tonnement, à l'étonnement la colère. Puis vinrent lespersécutions, et je voudrais pouvoir dire que dans cettolutte de la force contre la vérité, la philosophie est du

moins restée neutre.En même temps, les corhbats de parole et de plumes'engagèrent. Les chrétiens se voyaiont accusés par lespolitiques, non-seulement de résistance aux lois de I'Em-pire, ce qui était incontestable; non-seulement d'im-moralité, calomnie dont I'absurdité n'empêcha pas lesuccès; mais encore d'impiété. De leur côté, les phito-sophes, tantôt en mettant leur érudition et leurs explica.tions ingénieusement sX'mboliques au service du poly-théisme, tantôt en attaquant, au nom de la dignité et de

l'indépendance de la raison, une doctrine qui s'imposaitau nom de l'autorité, ouvraient la campagne contre lechristianisme. Enfin, chacune des conquêtes de l'Église

était balancée par la naissance de nouvelles hérésiesdont quelques-unes, à la vérité, ne portaient que sur des

points de itiscipline, mais dont les autres, plus nom-breuses et plus puissantes, attaquaient dans sa base

llenseignement chrétien, y corÂpris tout, ce qu'il contient

. de rationnellement démontrable.

Le christianisme attaqué trouva des défenseurs. Des. ,g1'mnases des rhéteurs, des écoles philos-ophiques, des

;': t écoles chrétiennes aussi qui commençaient à se fonder,Ë: 

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Da LA pnrlosopul$ n[s ptrus ns l'Éctl$n, 40I

principalement à Alexandrie, sortirent dea apologistes

qui furent aussi les premiers philosophes ohrétions; Do

leur côté, les évêques, chargés de défendre la foi de

leurs peuples contte les séductions du dedans et dudehorso entrèrent aussi dans la lice, et ainsi naguit la ,

philosophie chrétienne au milieu dqcombat,Il est importanto Messieurs, que vous remarqulez bien

et que vous acceptiez, non comme excellente en soi,mais comme inévitable, cette attitude militante que laphilosophie chrétienne présente dès son berceau et

qu'elle gardem jusqu'à la fin de cette première période,

Farcourea la longue suite des æuvres qu'elle e pro-duites, depuis l'Enhortati,on aun Greos jusqu'à lù Çitë da

Diew; presque toutes sont des @uvres de circonstilnoe.Àu point de vue de I'intérêt historique, c'est un attraitde plus; e[ rien n'ês[ plus a[tachant ni plus animé que

le spectacle offert par cette époque héro'igue où les ohre-

tien s, auxq uels leur foi interdi sait la ré si stanoe matérielle,maniaient la plume comne une épée, où pas une héré-

sie, pas une calomnie,.pas un édit depersécution ne se

produisait contre I'Église sans que ving[ champions so

présentassent aussitôt pour venger son honnour, pour

pro[éger 'son unité, poùr réclamer sa liberté. Mais au

point de vue de I'art et de Ia valeur absolue des æuvres

de I'esprit, ce serait un défaut si ce n'eùC été une né-.

cessité. Comparez en effe[ la si[uation intellectuel:led'ùn.

philosophe greo à celle.de n-os premiers apologistes, 0t'vous reoonnattrez combien cellg-ci était peu,favorable à

l'écrivain et au penseur, P.laton tiace à lqisir le plan de

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,--I

t

,

408 APPENI)ICE II. _ CARACTtr]RE GÉNÉRAT

de sa cornposition, surveille ses arguments, polit son

style ; il fait une æuvre d'arb, et c'est sa faute si ellepèche par quelque endroit. ['évêque, à de rares mo-

rnents, prend la plume avec un esprit que mille autres

préoccupations assiègent ; obligé de répondre sur I'heure

à des attaques qu'il n'a pas prévues, il saisit non pas

au. hasard, rnai$ au vol, Ies meilleurs arguments qui

s'offren[à sapensée; il cherche les termesles plus forts,non les plus harmonieux : il compose comme il peut et

non comme il veu[.

. Nous ne trouverons donc dans cetle périotle de lut[es,

qui fut aussi un âge de.décadence littéraire, ni une

science philosophique régulièrement organisée, ni quel-

qu'une de ces æuvres achevées qui nous charment par

leur belle ordonnance et pal leurs formes parfaites. Le, temps et le goùb manquent également pour cela. Ce sera

llhonneur de Ia scolastique de donner à la philosophie

chrétienne I'enchatnementetlavigueur, et ce sera I'hon-neur du dix-septïème sièc1e d'y ajouter la beauté li[té-raire. Mais nous y trouveron's d'éloquents plaidoyers et

de puissantes controverses, où les élémenfs d'une doc-trine,philosophique son[ épars, atfendant la main qui

Atiit les rassembler, où loerreur esb combattue comme

. elle se présente et la véri[é défendue comme elle est

abtaquée, où I'on emploie, suivant qu'on les trouve sous

sa main, les démonstrations de la raison et les enseigne

ments de la foi." be Ià un certain désordr'e au milieu duquel on ne

peui Fi'exposer les travaux de cefte période avec une

Ibrr

t\

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DE I'.,A PHITOSOPEIE DES PÈRES DE L'É(iLISE, 409

rigueur scientifique qui, d'ailleurs, en fausserait le ca-

raotère; ni y espérer un progrès continu et un dévelop-pement suivi. Ce n'est ni I'histoire d'une école, ni le

tableau d'un mouvement uttiforme vers'un but déter-

miné. c'est Ie récit d'une mêlée oir la victoire sans dou[e

demeure au bon parti, mais où chacun, suivant la me--

sure cle ses forces, combab avec plus ou moins d'avan-

'tage, et où ceux qui s'égarent demeurent seuls respon-sables des inexactiludes et des faules de leur polémique.

c'es[ ainsi que nous trouvons chez plusieurs d'entre'les

premiers Fères des expressions mal définies, innocentes

alors, mais qui durent êbre rejetées plus l,ard, à mesure

que I'hér'ésie abusait de leur obscurité. D'autres, 's1

passant de la philosophie de Flaton au christianislne,

ne priren[ peut-être pas assez de soin de laisser tlerrière

eux tout ce que la doctrine et le langage de leur ancien

maître contenait d'inconciliable avec les enseigrtements

de t'Église. .D'autres, au contraire, ne vqyant dans la

philosophie de leur temps que ce qu'elle avait de plus

apparent, ses erieurs, condamnèrent parfois'la raison

en des termes absolus qui rendaient impossible la con-stitulion de la philosophie chrétienne. D'auties enfin,

trop peu familiarisés avec les discussions philosophiques

ou énervés par une jeunesse passée tou[ entière dans

les écoles des rhé[eurs, employèren[ à la défense du

dogme chrétien des armes trop faibles pour un tel com-

bat. on comprend donc qu'il ne'peut être ici questionde juger un ouvrage par sa date, et que, par exemple, ilne faut point s'étonner de trouver Arnobe et Lactanee

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410 $pENDrca u" - cAnacrÈm eÉlrÉnea

fort inférieurs, sous plus d'un rapport, à Tertultienî Et

c'es[ ainsi que, grâce à ]'inégale valeur des esprits quila représentent, la philosophie chrétienne pemble êtro

plus d'une fois'pendant cette première périodeo tantôt en

progrès et tantôt en décadence.

Toutefois, ce développement qu'on .n'aperçoit pas

d'abord et qui assurément, ne s'est point accompli aveo

une régularité inflexible, existe fortement marqué dansI'ensemble. Ainsi, dans l'ÏIglise grecque, le dernier venu

des Pères apologistes et philosophes, saint Athanase,.

est aussi le plus irréprochable; et dans I'Eglise latine,

saint Augustin, qui ferme ce premier âge de la philo-sophie chrétienne, en résume e[ en complète les tra-

vaux avec uneprécision

et unepuissance que nul

n'avait égalées avant lui. Àinsi encore, sur la question

capitale des rappor[s de la foi et de la raison, quelques

incertitudes et quelques dissentiments se manifestent au

début: Tertullien semble trop refuser à la raison, Orr-gène lui trop accorder. Mais peu à peu ces hésitations

se fixent, le milieu vrai et sùr est trouvé et définitive-

ment occupé, une tladition unanime esl léguée à l'épo-que suivante.

Mais, Messieurs, ce qu'il faut principalement envi-

sager, si I'on veut juger avec équité ce premier déve-

loppement de la pensée philosophique ohrétienne, ce

sont les résultats. Ils furent immenses, e[ loon n'en

saurai[ mesurer l'étenilue qu'en comparant ce qu'étaitl'état intellectuel de l'humanité au moment où parut laphilosophie chrétienne avtjc ce gu'il devint sous son in-

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DE TA PUILOSOPIIE DES PÈ&NS DE I'ÉGLISE, 4II

fluence'au quatrièrne siècle, à la veille de I'invasion

barbare"

I. Premièrement, le polythéisme régnait" A la su.rfacesurtout, mais pas seulement à la surface; il avait pousséde trop prcifondes racines dans les m@urs, et aussi dansles esprits, pour que sa caducité seule sulïit à lui arra-

cher I'empire. Sans doute il avait depuis longtempsperdu tout crédit auprès des esprits cultivés; mais,d'une part, il était demeuré la religion réelle du peuple,et d'autre par[, il forçait les philosophes eux-mêmesà e,ompter avec lui et à lui rendre en public un hom-mage dont ils se vengeaient les portes closes. Noussommes loin, je le sais, de cet empire des superstition'spopulaires, et c'est presque faire injure au bon sens d'unauditeur ou d'un lecteur que de s'arrêter à lui prouverI'absurdité métaphysique et les dangers moraux du poly-théisme. Mais it s'en faut bien que le vieux culte futalors cet adversaire désarmé que nous ne nous sentonsplus aujourd'hui le courage de frapper à terre; et I'in-sistance avec laquelle les Pères, depuis sain[ Jus[injusqu'à saint Àugustin, I'ont combattu au nom du bonsens, suffi[ à montrer combien, sous son influencepernicieuse, le bon sens était devenu rare. Il no s'agitpas, remarquez-le bien, pour atténuer les bienfaits duchristianisme en atténuant la gravité du mal dont il a

gpéri le monde, il ne s'agit pas, dis-je, de rechercheren archéologue le sens primitif des fables dont ce culteél,ait composé, et d'établir qu'au fond et à I'origine, tous

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4'.2 APPENDICE II. .- CANÀCTÈRE GÉNÉRAI

ces' symboles représentaient des doctrines respectables

ou des erreurs innocentes. Je n,en sais rien; peu m'im-porte, du moins pour la question présente; et mêmej'accueillerai avec joie tout ce qui viendra établir queI'humanité n'a pas commencé par I'erreur et que lemonothéisme est au début de toutes les religions. lTIaisIa religion ou les religions de I'Empire, telles qu'elles

éfaient crues et pratiquées par le peuple, défenclues parles lois, officiellement acceptées par les philodophes,c'étaient bien Ia religion de la Yénus de la Fable;la re-ligion de la cybèle, dont le culte était accompag.é detant d'orgies impures; la religion du Jupi[er, dont lesaventures, peintes sur les murs des temples, provo_quaient à la débauche ce[[e jeunesse si facile à séduire,que Térence a représen[ée dans un de ses personnages.Et si nous cherehons dans [ous ces cultes locaux, danstoutes ces religions particulières, un credo commun oùelles viennent se réunir, nous trouverons que la sociétéantique, au moment oir le christianisme entra en contactavec elle, était vouée à deux adoralions : I'adoration

de la nature, dont la mythologie avait personnifié et di-vinisé les forces, et I'adoration de I'homme, délire quiatteint son plus Ïraut degré d'audace dans I'apothéosedes empereurs. Le monde antique offrait donc ce tristeet redoutable phénomène d'uue religion manifestementfausse e[ manifestement immorale, aussi'funeste à l'es-

prit, dont elle aleuglait le bon sens, qu'au cæur, dontelle égarait les aspirations; d'une religion sans base '

dans la raison, sans appui dans la conscience, sans

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DE LA PHILOSOPEIE DES PÈRES DE L'ÉGLISE. 4{ 3

autre racine dans les âmes que ses complaisances pour

les instincts suspects de nofre nature, et r1ui, cependant,se tenait en équilibre et dressaif dans le montle le's co-lonnes de son panthéon gigantesque, sans que personne

osât souffler sur ce frêle Édifice.Traversez cluatre siècles, e[ c'est fait. I,e temple est

abal,bu, non-seulemen[ parce que Dieu y a mis sa main

et les martyrs leur sang, non-seulement parce qu'aprèsI'Empire, l'empereur a quitté I'enceinte de ce panthéon

vide pour émigrer dans I'Eglise, mais aussi parce'que

la philosophie chlélienne lui a porté de rudes coups.

Les défenseurs de la foi nouvelle ont [rouvé l'âme hu-maine plongée dans un rêve, e[ ils I'on[ éveillée par

d'énergiques secousses. ( Ils I'onB, > dit Tertullien, < fait

) comparaitre dans toute la rudesse, dans toute.la sim-> plicité de son iguorance primitive; ils I'ont tirée de> la voie publique, du carrefour, de I'atelier; ils onf de-

> mandé à cette é[rangère, à cetle ennemie, de porl,er> témoignage contre les siens, > c'est-à-dire, contre les

superstitions où elle avait été nourrie; et c'es[ de sa

bouche qu'ils ont obtenu, en faveur du vrai Dieu, desaveux dont I'idolâ[rie ne s'es[ pas relevée.

Non, Iflessieurs, elle ne s'en est pas reler'ée. Toutes

les erreurs, par une inépuisable fécondité qui atteste

assez la misère de no[re contlition présente, onf pu

renaitre. En plein christianisme, il y a eu des matéria-

listes, despanthéistes,

des athées, des sceptiques; lepoly[héisme n'a pu un seul instant rétablfu ses autels.Les poëtes? par une licence désormais peu tlangereuse,

-L -i-

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,II4A.PPANDICE IT. * CABACTÈNN CÉNÉNA,L

ont eon[inué à parler des Dieux; mais, pas un philo=

sophe, pas un sophiste même, n'a tenté un effort pourrestaurer cette ruine, \

II. En second lieu, plusieqrs systèmes philosophiques

se disputaient I'empire des esprits éclairés. Je ne parlelci ni de l'épicurisme, qui n'est pas-une doctrine, maisun plaidoyer inléressé des sens contre la raison

etdes

passions contre la vertu ; ni du scepticisme, qui n'estqu'un acte rle désespoir et un aveu d'impuissance. Ileuxécolesu qui doivent compter par les plus nobles tenta-tives qu'ait faites I'esprit humain pour trouver Ie vraiet le bien par ses propres lumières et ses propres forces,

possédaient encore quelque vitalité et quelque influence :

à Bome, le stoïoisme, dont la grandeur morale et lesexagérations mêmes étaient merveilleusement en har-monie avec le vieux caractère romain tel qu'il se con-serva darts quelques âmes fières jusqu'au déclin de

I'Empire; à Àlexandrie, le platonisme, ranimé par lesouffle de I'Orient, et donnant asile, dans son vaste

éclectisme, à toutes les grandes philosophios de laGrèce,

Or, Messieurs, qu'étaient ces deux doctrines, et que

pouvaient-elles pour éclairer et pour conduire lemonde ?

{" Mé[aphysiquemenf, le stoïcisme est une doctrine

très-fausse, comme tout système panthéiste et commetout système matérialiste. Plaçant l'Être premier dans

le moride et non au-dessus du monde, il éteint dans

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lI

I

DE LA FUIITOSOPHJE DAS PÉ&ES DE I..'ÉG[ISE' 4{Ë

I'homme le sentiment du divin et exalte outre mesule

le sentiment de la valeur personnelle, puisque dans lanature, seule divinité que le stoïcien adore, la place laplus haute appartient à I'homme, et que I'homme es[

dès lors non-senlemen[ le pontife, mais ellcore le Dieu

du temple universel. Fâr lào je le sais, le stoÏcisme,

tout matérialiste qu'il est, relève singulièrement I'âme

humaine; et les pensées qu'il lui inspiresont en har-

monie avec la royauté qu'il lui décerne. Mais I'orgueil

es[ pour la vertu un fondement mal assuré; les plus

nobles actions perdent de leur prix qûand il s'y mê10

quelque.chose de cette source impure; et ce sentiment,

qui concentre I'homme dans une adoration solitairo

de lui-même, ne peut s'emparer de sott cæùr sans en

exclure I'amour divin qui est le résumé de la loi morale

et le principe inspirateur de la sainteté. Puis, en même

temps qu'il met à la vertu des conditions décourageantes,

le stoïcisme abandonne à ses propres forces, ou plutôt

à sa faiblesse, I'homme qui la veut conquérir; car il ne

lui laisse ni I'espoir de la récompense, ni la ressdurce

de la prière, ni I'appui de la grâce. Par là, il tombe dansune contradiction pratique que ses principes rendent

inévitable, e[ qui poussera son disciple soit à chercher

dans I'issue toujours ouverte du suicide un refuge à ses

angoisses, soit à se payer à lui-même, par les funestes

satisfactions de I'orgueil, le prix d'une vertu qui n'a

rien de plus à attendre. Par là enfÏn, si le stoicismes'implante aiséurent dans les âmes naturellement éner-

gigues et dures, s'il ajoute encore par ses préceptes et

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â'IIJ APPENDIT1E II, - CARACTÈRE ûÉNÉNAL

sa culture à leur fermeté primitive, il reste sans action

sur le gros de I'humanité, sur les âmes faibles qui ontbesoin d'être soutenhes dans la lutte" eL sur les âmes

tendres qui ont besoin d'aimer.

2o tr,e sentiment du divin, I'aspiralion à I'infini ne

manquent 'poin[ aux platoniciens d'Àlexandrie; maiscette aspiration même les égare, n'ayant rien pour la

contenir eL pour la diriger. Je ne saurais entrer ici dansle délail de leur doctrine et dans la cri[ique approfondiede leurs erreurs. Laissez-moi seulemenb signaler quel-

ques-uns des vices de leur méthocle et de leur rnéta-

physique.

Bn premier lieu, la néthode platonicienne appliquée

sans prudence les conduit à rêver au-dessus du Dieu de

Platon, organisateur et gouverneur d'un monde qu'iln'a pas créé, au-dessus du Dieu d'Aristote,'in[elligencepure absorbée dans la contemplation d'elle-même, au-

dessus de la pensée, au-dessus de la vie, au-dessus de

l'ê[re, un principe qu'ils appellent l'rmitë, et qu'ils dé-

pouillent à plaisir de tous les at[ributs qui font de Dieu

I'objet de notre adoration eb de no[re amour; en sorteque ce principe suprême, qui n'agit pas, qni ne pense

pâs, quî n'esl, ytas (comme ils I'ont expressément en-

seigné), n'est en réalité qu'urt magnifique néaut, der-

nier terme où vient aboutir I'abus d'une dialectique flue

rien ne garantit contre ses propres excès.

Bn second lieu, dépourvus de I'idée de création quifut, comme vous le savez, étrangère à toute I'antiquité,ils expliquent l'existence du monde par une série

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DE I.,,A PHILOSOPEIE DES PNNNS DN I'ÉI}ITSN. ,LTï

d'émauations qui descendent du premier principe jus-

qu'à la plus infime rnatière, proclamant ainsi, quoiqued'une autre façon que les stoïciens, ce dogme de I'unitéde substance qui es[ le fond du panthéisme et qui sup-

prime, quoi qu'on fasse, la liberté de l'homme, par

conséquen[ le méril,e, par cottséquenf le gouvernement

de Dieu dans la vie présen[e et, dans I'autre vie, les

peines e[ les récompenses.Troisièmemen[, pour s'élever à ce prernier principe

qui contredib toutes les tlonnées de la raison, ils s'adres-

sent, non pas à la science, non pas à la contemplatioirpure? non pas à I'amottr, non pas même à I'extase chré-

tienne, faveur exceptionnelle que Dieu accorde à quel-

ques âmes privilégiées lorsque, devançanfi le momen[des réconpenses éternelles, il se trlontre à elles,, facieacl facîent, sicu,ti esf, lnais à une ex[ase qui les inden-tifie avec ce principe suprême, e[ les rctù Dîeta daus

toute la force de I'expression.Enfin, le retourà ce principe, qui est leDieu suprême

eb qui cependant n'est pas, la suppression absolue de

toute personnalité, tranchons le mo[, 'anëantissemedt,est la véritable et dé{initive destinée de la nature hu-uraine; d'où résulfen[, par ulre inévitable conséquence,

le mépris tle I'aclivi[é e[ des æuvres, et une sorle de

quiéfisrne qui ne peut choisir qu'en[re I'immobilité et

I'immoralité. .

$Iaintenant, Messieurs, placez-vous par la pensée auquatrième siècle, dans I'espace de temps qui s'écouleentre le concile de Nic'ée et les dernières années tle saint

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4IS ÀPPENDITE II. _ cÀRACTÈm CÉMinAl

Àugustin, et demandez-vous si c'est à ces deux doctrinesqu'appartient désormais I'empire des intelligenees, et si

c'est de là que partent désormais les grands mouvements

de la pensée humaine. Les écoles sonl encore pleines,

je I'avoue I et nous les entendrons retentir de la voix

des rhéteurs et des philosophes jusqu'au jour où Justi-nien ô[era définitivement aux disciples attardés des an-

ciennes sectes le droit de gémir sur les Dieux qui s'en

vont, et sur la sagesse hellénique obligée de battre en

retraite devant les superstitions barbares, Mais il est

manifeste que la vie de I'esprit n'es[ plus là" Elle est

dans les chaires autour desquelles s'assemblent, pour së

nourrir de vérités et s'exciter à la vertu, ces masses po''

pulaires que les philosophes avaient dédaignées ; elleest dans les monastèfes auxquels saint Basile, dans sa

belle langue devenue chrétienne sans cesser d'être at'tique, trace les règles du travail et de la prière; elle est

dans oefte villa de Cassiciauum où le jeune rhéteuro qui

sera rin jour saint Àugustin, achève, dans les entretiens

de sa mère et de ses amis, sa conversion comrneneéepar saint Àmbroise; e[ s'exerce, avec un admirable nré'

lange de réserve et d'ardeur, à élever son ingénieuse et

brillante éloquence au nirieau des grandes pensées aux-

Qirelles sa vie est désormais consacrée. L'esprit de la

philosophie antique, cet espri[ qui oscillait toujours

entre le'dualisme eb lepanthéisme, est éteint; les æu=

vfes séduisantes qu'il a inspirées von[ tomber dans

I'oubli, eL ne reparaîtront, quelques siècles plus tard,

que quand Ia cirilisation chrétienne sera assez affermie

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)6

DE I,A PIIIIOSOPHTE DES PÈRES DI] L'ÉGLISE' 4I9

e[ les principes de la philosophie catholique assez maî-tres des intelligences pour que la contagion en soit

moins redoutable.

Que si nous cherchons commenb le chris[ianisme a

pu remporter cet[e grande victoire, nous serons éton-"

nés de ne trouver. dans l'histoire de I'Église que fortpeu de documents é[ablissant que la lutte a existé.

Saint Faul, je le sais, a disputé dans Àthènes avec des

philosophes stoïciens ; et, dès le second siècle, nous

voyons s'établir à Àlexandrie utte grande école d'eusei-

gnement chrél,ien, à laquelle appartiennent saint tlé-ment et Origène, et qui ne pu[ manquer de rencontrer

te néoplatonisme et de se mesurer plus d'une fois avec

lui. Iiéanmoins, la littéra[ure chrétienne des premiqrssiècles, où la polémique contre le paganisme tient tanf

de place, ne contient presque rierl qui soil nomlnative-ment et expressément dirigé contre les stoTciens ou les

alexandrins.

Quua donc fail le christiarii$ûlei eb comment a-t-il

vaincu presque sans combattre ? Ce qu'il a fait, Mes-sieurs ? Il a eu, Iui aussi, sa philosophie, A"ux hypothè-ses par lesquelles les sages expliquaienL I'origine du

de et l'origine du mal, cel,te philosophie a'opposé

cérie d'affirmatiotts chrétiennes dont elle a scienli-6ment démontré la vérité. ûn a pu comparer, juger

[choisir. Les stoïciens faisaient la matière éberne]Iè et:

[nfermaient Dieu dans le monde;',la philosophie chré-,[ienne élablit clue Dieu est Ie seul ê[re éternel; qu'il est

nécessairemenl au-dessrls'drt monde, el, ,qqgi s'il régit

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420 ,I?PENDIÛE II. - cÀRAcTÈnn cÉNÉn'tl

la matière, c'es[ en la tlgminant e[ non en s'y absorbant.

Les stoiciens enco{e, fondant leur vertu sur I'orgueil et

admeltant en même bemps I'inexorable e[ nécessaire en-

chatnemen[ de tou[es choses, supprimaient' à la fois Ia

grâce et Ia liberté; la philosophie chrétienne les ré[abli[

e[ les défend I'une et I'autre. Les alexandrins, pour

mettre leur Dien à I'abri de toute mul[iplicité, lui refu-

saient I'in[elligence, la saintelé, la vie eb jusqu'à I'exis'tence ; la philosophie chrétienne, tout en insistantaussi

fortemenL que Flotin et Froclus sur la parfaite simpli-

cité de I'essence divine, n'a garde d'en faire, par la

suppression de [out attribut, un Dieu mbr[ et un incon-

cevable néant; elle enseigne,.d'une part, que les termes

humains n'exprirnent les perfections divinesque de la

nlanière la plus insuffisante et la plus grossière, et

qu'avan[ de les appliquerà Dieu, il'faut les puri{iei, les

dégager de tout ce qu'il y a d'imparfai0 dâns leur accep-

tion ordinaire; d'aufre par[, que cette pluralité d'at[ri-

buts n'ébablit point en Dieu de diversité réelle, e[ n'est

aulre chose que I'en'semble des divers aspects sous

lesquels nous envisageons successivement cette essence

dolt la slmplicité infinie llous dépasse. Les alexandrins

enseignaien[ l'émanation et pré[endaient par là reni1g

compte de I'origine du monde eL de I'origine tlu m

philôsophie chrétienne eiptique le monde par la

tion, et Ie mal par le libre arbitre. Les alexandrins m\

taien[ ls souverain bien dans I'identification deI'âme avI'ab solu, av ec I' u,tt,su p érie u r à, L' ê n" e,' la philo sophie chré

tienne le place dans la possgssion de Dieu par I'amout.

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I,T LA PBILOSOPHID DES PÈAES DE L'ÉûLISE. '42'I

Yous le voyez, ftIeqsieurs, la philosophie chrétienne

a vaincu.moins en combattant qu'en se montrant. Ellette s'es[ pas ]rornée à ces réfutal,ious stéflles et pure-ment néga[ives qui ne melten[ rien à la place de cd

qu'elles renversent. Elle n'a désabusé I'esprit public des

hypolhèses auxquelles il s'étail laissé séduire qu'en ré-pondan[ par tles vérités aux cluestions mal résolues par

ces hypo[hèses. Àjoutons qu'elle a vaincu avec me-sure, qu'elle n'a pas tout condamné dans la philtlsopltie

ddnt elle yenait prendre la place; qu'au conl,raire, elle

a recueiili avec soin tous ceux des malér'iaux de I'ancien

étlifice qui poutaien[ eutrer daus ]a construc[ion rou=velle. Ce'ù'es[ pas par les vivacités échappées à Tertul-

lienqu'il

fautla jugel ici. Sainb

ûlément,eaint Àthanase,

sain[ Àugustin, les rnat[res les plus grands et les.'plus

sùrs de la pensée.chrétienne, s'accordent tous non-seu-lemenl à laisser à la raison la place qui lui couvien[ daris

.les questions de I'ordre moral, nrais enqore à pratiquercette àdmirable méthode dialeclique donl les alexan-drins alaiênt tant abusé, à donner une place dans leur

doctrine à cette profonde dislinction tlu sensible et de

l'intelligible, à cette belle [héorie des idées qui élève leplatr-ruisme si fort atr-rlessns des autres philosophies de

l'antiquité. C'est elt ce sens et clans cette nesure que

les Pères ont été platoniciens; e[ si vous me permetlez

tle jeter d'avance uu regard sur la période suivante,

j'ajouterai que ce platonisme des Pères fut, au moyenâge, un admirable contre-poids à I'influence excessive

usurpée par la méthode et la doctrine d'Àristote. Les

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- I'n, .tppnNntc,n lt. - can^,{.crÈnn oÉuÉnm

grands docteurs de la soolastique auront beau être péri-

patéticiens dans la forme, ils ne le seront point dans lefond, e[ dès qu'il s'agira de ces haufes questions pourIes(luelles lamélhode dialectique est seule féconde, c'est

elle qu'ils sulvron[ sur les pas de saint Augustin qui I'arendue chrétienne

III. Enfin l'$glise, dès ses prernières années, voyaif sa. paix intérieure troublée et son avenir compromis en

apparence par une invasion formidable d'hérésies qulfaisaient effort pour transporter dans son sein des àr-reurs empruntées en partie aux doctrines orientales, en

par[ie aux sectes phitosophiques de la Grèce, ûn se figure

souvent que les hérésies on[ é[é pour le christianisme.un fruit de sa victoire sociale et politique ; et, de.fait,I'arianisure, contemporain de cette victoire, a bien pu,par I'impor[ance et la durée des luttes qu'il souleval

faire oublier les discussions qui I'avaient précétlé. Eteependant, bien avant quri eette grande, hérésie rationa-liste n'éclatât dans t'Église ef ne menaçât de,transformerle christianisme en une philosophie, loorthodoxie r*iho-,lique avait à se défendre, en Orient surtout, contre des

héréqiês qui renaissaient sans cesse et exerçaiènt surllesprit des peuples uqg fascination étrange. Toutes ces

hérésies, généralemenf eomprises sous les noms' de

sectes gnôstiquos .et de sectes manichéennes, avaient

g Four. objet d'expl[quer liorigine du mal, et toutes l'ex;" pliquaient p4rrun ndualisme boauooup plus insensé que

' ,eelui dont flaton ;$nit: pas su se présenqr. Dans le

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DE tA rgr&osorsla DES pÈnns Dp ['ÉGLISE. tr23

platonisme, la matière oppose au divin ouvrier qui la

façonne une résistanoe passive qui ne permet pas au

monde sensible d'arriver à la perfection de I'intelligible..Dans le gnosticisme et, dats le manichéisme, à côté

d'un Dieu bon qui a fait les âmos, il y a un Dieu utâ.u*

vais bu dégradé qui a fait les corps; et la lutte entre lg

bien et'lg mqt est ainsi transportée au sein de Ia divinité

. même. Par là, quoi qu'on pùt faire, on revenait a.u: polylhéi3ine sous sa forme la plus contradictoire. Par'là encore,. ne.voyant dans le monde que I'æuvre à jamais

détestable'dg Satan ou du mauvais principe; on était..r . amené à prendre en dégoùt Ia vie elle-même et la' sôqiété des tommes; et tandis que Ie chrislianisme nous

invitg à louer Dieu dans toutes ses créatures, à userd'ellds pour ilous élever jusqu'à lui, à respecter I'union

. provirlentielle de I'âme et du cbrps tout en luttant avec

'". onergie oûTltre les instints d'une chair corrompue, Io'gnostieisme et le manichéisme euseignaieff i, maudire'.llauteur..des.,ôhoses et les contlitions de la vio présente,'

' â dé-tester l'union de I'intelligence avec la matière, à

supprimer Ib mariage e[ la famille coilrme des æuvres

ttiaboliques. Ajoutez à tout cela I'orguéil d'lrne secle

qui, réservant pour ses initiés. la vraie science ou la

,gnlse,méprise le reste du genre humain; ajoutez I'im: ,.

.moîalité .que t'histoire a constamment peprochée aux i

,seetes qui prosuivent le mariage, quelle que fùt 6'ail-

' leurs 'leur aus[érité apparente; aj'outez, Ies folies dn ,3

système de l'émanation, poussée à,u,q pu$ qui dépasse

toute uo)'altce; ajoutez les iuventidns de.l& magie..les'..'..

',.. ;

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4"24 ÂppENDIc,E Ir. - caRacTERE tiÉNÉRAt

rêveries de I'extase panthéiste, et vous comprendrez le

péril que ces doctrines, avec leur métaphysique absurde,leurs h"vpothèses chimériques, leurs pratiques supersti-tieuses, leurs conséquences antisociales, fai$aient cou-rir au christianisme qui venait au contraire établir. en

esprit et en vérité le cul[e du Dieu unique. De là, l'éner-gie et l'infatigable persévérance avec laquelle ces erreurs,

toujours renaissantes, furent combattues par les Pères.Yons savez avec quel succès; vous savez que, du second

a,u quatrième siècle, ceq hérésies, [outes formiclahlesqu'elles étaienf, n'ont jamais pu réussir à entamerI'Ilg[se. Tandis que I'empire polifique voyai[ de toutesparts tomber ses banières et la barbarie I'envahir, cet[e

autre invasion qui menaçait I'empire des âmes d'unetrarbarie plus redoufable encore, trouva toujours auxfrontières I'invineible résistance tle la philosophie chré-tienne.

Ainsi ta philosophie des Pères, prenant son poinld'appui dans la conscience humaine que le christia-

nisme venail d'éveiller, démoutrant par la scienee ceque l'Église enseignait par la foi, a successivement établicontre le polythéisme, contre les philosophes, contre les

sectes hérétiques, I'unité et la sainteté de Dieu, la con-tingence du monde, la création, la liberté de l'âme et

en même temps sa dépendance à I'égard de Dieu. Elle

nous a légué mieux que des systèmes; elle nous a léguédes vérités et tles principes qui doivent être le fonde-ment et la loi de tout système vraiment philosophiqne,

t

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I}I: LA PHILOSOFHIE DES TÈNNS IE I'ÉtiUST:" &21;

Désormpis, et c'est là un des traits caractél:istiques de

I'esprit nouveau, les vérités fondamentales que I'anti-quité avait tantôt ignorées qt [antôt contestées sont hors

de cause ; il ne s'agif plus de rechercher si on doit les

aceepter, mais pourquoi on le doit. Oir I'antiquité com-

mençait par le doute, on commencera par l'affirmation;et quand Descarles mettra le doute à I'enlrée de son

systèmeo iI sentira si bien le danger tle ce procédé qu'il

s'empressera de déclarer que ce doute est' prouisoire et'

ficti,f et, ltour ai;ttsî, dire, lryperboliqu,e,, qu'il reste à la

surface de l'âme, e[ que les r'érités de la foi n'en sout

poinb atleinles. En un mo[, tandis que les grandes véri-tés de I'ordre na[urel deviendront, par I'enseignement

dogmatique de l'Église, le sens commun du peuple,

elles deviendront, sous I'influence de la métaphysiquechrétienne, le setts commun de la philosophie.

FIIf DES APPENDICES,

24.

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TABLE

DEUXIÈME PARTIEtA CRÉATION ET tA PBOVIDBNCA

CHAPITRE PREIITER

LA CRÉATION.

Comment iI faut traiter la question des rapports de Dieu et du moude.

- Commencer par la démonstra[ion directe de la création; employercomme contre-épreuve la critique du dualisme et du panthéjsme.I. Ce que c'est que la création. -- Sa'possibilité fondée sur la toute-

puissance de Dieu. - Sa réalité prouvée par la contingenôe du moucle.

- Le pouvoir créateur, privilége de ilêtre nécessaire.Il. Le comment do I'acùe créateur. mystère impénétrable. - La bonté

de Dieu, motif de la création, - Que la création n'introduit pas lastrccessiort er Dieu. B

CHAPTTRE IILE DUALISilIE ET LE PANTHÉIS}TE.

Décatleucs du dualisme; vitalitd persistante du panthéisme.l. Deux clualismes : Io lè dualisme manichéen, ou lrypothèso d.'uu

principe éternel .du mal. Réfutation sommaire. - 2o Le d.ualismophilosophique, ou hypothèse de l'éternité de la matière. - Sur guelpréjugé il edt fontlé. - Platon et Aristote.

Il. La consubstautiaiité cte Dieu gt du monde, dogme fondamental du '

pauthéipme. - Que cette doctriue n'a d'autre base scientiflque, queles clifrcultés du dogme de Iacréation.-Solutlon"cle ces difficultés....

- Que la conlradiction est I'essence rlu panthéisme, et la néggtiourlu clévoir soir terme, n

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&ù8 TABLE.

CHÀPITRE TII

HISTOIRE DU PAI.ITHÉISI\IE.E-ss Stoiieiens.

Panbhéisrne matérialiste. Les stoiciens. - Panthéisme itléaliste. Lesalexandrins.

I. Grands côtés du stoïcisme. Sa morale. Iclée de la vie raisonnable,idée cle I'olclre, de la loi universelle, de la Proviclence. - L'hymnede Cléanthe.-Iilée de I'unité du genre hurnaiu. - Iclée de la liberté.

lI. Faiblesse clu stoTcisme. - Caractère panthéiste et matérialiste

cle sa métaphysique. - Son Dieu-nature. - Sa Providence identiqueau Destin. - Les âmes, phénomèncs de Dibu. - Négation de la li-berté. - Qire la foi au clevoir ne subsiste' chez les stoiciens, que

par une incoirséquence. 4S

CHAPITRE IV

HISTOIRE DU PÀNTHÉISIIIE.

f,es Alexendnins.

Grandeur et fragilité tle la philosophie alexanrlrlne.- Plotin; songénie.

ÙIéthorle dialbctique I ascension 4u sensible à l'intelligible. - Théoriedes trois hypostases. Répartition arbitraire des attributs ilivinsentre_ces trois priucipes clistincts. Le néant.placé au somrnet cles

choses. - Théorie cle l'émanation. Le monde, écoulemen[ de Dieu'

suppression cle la personnalité. - vains efforts des alexanrlrinspour ectapper'aux conséquences morales de leur systèmo. 69

' CffAPITRE V

HTSTOIRE DU PANTHÉISME.

SPirnozn.

Diflculté d'uue exposition fidèle du spinosisme. - Méthotle de Spi-roza; sa rigueur apparente. - Que son panthéisme repose sur unepéùitiou de principe. Sa définition de la substance. Réfutation.

En combien cle mhnières Spinoza abaisse la déffnition de Dieu. Qu'ilfait cle Dieu la substance mêrire clu mal e[ du clésordre.

Conséquences psychologiquesr morales, politiques. Fatalisme. Néga-tion de la clistinction entre le bien et le mal. Anarchie. Despo-

tisme . 93

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TABLE.

CEAPITRE VI

HISTOIRE DU PANTHÉISME.Le pantlréismc allernonel.

Obscurités cle la philosophie allemande. - Son inrportance clans laquestion préseute. : L'hégélianisme, clernière forme du pan-théisme.

I. Comment un dogmatisme effréné es[ sorti du scepticisnre de Kant.

- Fichte 1 son moï absolu e[ créateurl athéisme et panthéisme im-pliqués tlans sa doctriue.

II. Schelling. - Les deux faces de I'absolu, I'espril, et la nature. -L'absolu corlcu comme nn germer comme un être en puissance quine seréalise que dans le mbnde. Iclée du_procrsexrs de l'être. -Lacontradiction foudamentale du panthéisrne airive à son maximum.

- Hégel. Il développe et complète Schelling. - La logique deI'absurcle ; identité des contradictoires. - Loi du développement doI'idée : thèse, antithèse, synthèse. - La science de la nature con-struite a priort, - Le Dieu-néant. - Le néant créateur. - Dernierterme et dernière défluition du panthéisme. II?

CHAPITRE VII

HISTOIRE DU PANTHÉISNIE.Les idées hégéliennes en Fnaneri.

I. Inflltration dc l'hégélianisme dans notre littérature et notre science.- - Qu'il y a chez nous ure philosophie hégélienne. - Ses deux ap-

paritions en Franee.II. lI. Cousin. - Qu'il a été séduit par le côté dogmatique de la phi-

losoplrie hégéliennc.

-La prëface des Frogmenls; formules panthéis-

tiques. - Les leçons d,e 1828; philosophie cle I'histoire construite apriori; fatalisme historique. - M. Cousin guéri de l'hégélianisme.

IlI. Les nouveaux hégéliens. - L'école critique. Eu quoi elle sc rap-proche du posil,ivisme; en quoi ellc s'en sépare. - Qn'elle garde

I'idée de Dieu en supprimant Dieu. - M. Renan. Diert, catégoriede f idéal. l4t5

CHAPITRE VIII

HISTOIRE DU PANTHIIISME.Les idées hégétlennes en f'nanee (suitei),

Enseignement conteuu clans I'histoire du panthéisme contemporain.

- M. Vacherot. Caractère de sa doctrine; panthéisme restreintpar

42s

li

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430 TABLE.

I'athéismo. - Partl prls contre le mystère; contradictlon et déca-

rlencointelloctuelle gui en résultent.

- Opposition arbitrairementimaginéo entre I'idée de l'inflqi et l'idée clu parfait. - Réalité det'-Ètre inflni qui est le mond.e; non-réalité ite l'Être parfait qui estDieu. : Cosmolog:ie panthéiste, théologio athée. - Suppressiontnévitable do lh personnalité, d.o la morale, de ltdée de l'ord.re, -Plétentioqsreligieusesdecetatbéisme,, , , , . , , . l,II

CHAPITRE IX

LE POSITIVISME.

Un mot sur M. Auguste Comte et sur le dernier état de sa penséoreUgieuso. - L'esprit positiviste; qu'il fait toute la forco de la phi-losophio ilito po.sitive. - Aualyso ds cette doctrine négative : -1o Classitcation cles sciences ; qu'elle uo donno aucune placo auxsciences. morales; la psychologie absorbée clans Ia physiologie et laphrdnologie. - Bo Loi générale cle lbistoire. Les trois états, théo-'logiquo, métapbysigue, positif. - Co que c'est que l'état positif.Interdictiou do la recbercbe des causes; suppression de Dieu. -.Critiquo. Est-il vrai quo uous ne puissions attoindre les causes ? Lo

wl,Dieu.

-Conséguenaes scientiflgues of morales du positi-

'';iYisEe, r t . t . i ., ... I95

CHAPTÎRE X

QUESTTONS SUR LA PROVTDENCE..La Providonoe. - Qu'elle est déjà démontrée. - Est-il posslble do

connaiho quolquo cbose du plan cle son ceuvre et rles lois de songouvernoment ?

l. Quo la oonservation du monde est la création continuée. Démons-

tration of oxplication de oette formule.11. Que le monde n'est pas iuûni' dans le temps,et dans l'espaco.Pteuve mathématique.

lI1. Que Dieu gouvorne le monde par d.es lols. - Que sa Provldenceest particulière en même temps clue générale. - Possibilité clu mi-raclo.

IV. Quo les êtres intelligents of libres sont au sommet de la création.

- Que Dieu les a faits popr lui, et la nature matérielle pour eux. -Qu'il est ainsi la flu totale du monde. , ng

CHÀPITRE XIOBJECTIONS CONTRE LA PROVIDENCE.

Çonment il faut aborder la questiou de la Providence. - Cqqment

If

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TÀBLE. 431

les esprits rual préparés trouvent partout des objecfions contro ello.

- Réponse générale à toutes les difflcultés, tirée d.e l,insufflsanceet cle l'incompétence d.u savoir humain.Objectiou tirée de I'imperfection d,es êtres ou mal métaphysique. Ré-

ponse. - Objection tirée du désordre. Réponse. - Objectiou tiréede la souffrance. B,éponse. Du rôle de la d,ouleur. - Objection tiréedu mal mgral. Réponse. - Objection tirée de l,injustico dans larépartition des biens et des maux. Réponse. - L,immortalité. Zlg

CHAPIîRD XII

bEs îHÉORTES QUr SUPPRTMENI L'ACîION DËLA PROYIDENCE DANS LA NATURE.

Et en partieulier cle o tltéonÊe rle M. Darwin.t'ondement rationnel de la foi à la providence. - Effor[s tentés à

pluqieurs époques pour en ébranler le fondemeut expérimental. -anité de ces tentatives.L'épicurisne. Iclée de la Providenoe remplacé par ftctée du hasard.

Réponse cle F énelon. -' Lamark. Théorie de la production desorganes et de la formation des espèces sous I'action des besoinsfavorisée par les circonstances. * caractère chimérique de cettéhypothèse.

Nr. Darwin et son traité d,e L'origine iles espèces,-Théorle de la sélec[ion'naturelle.- ses impbssibilités. - Démentis que lui donne l,ox-pé-

' -rience. - Firilé d.es espèces. - Finarité cles organes et d.es ins-tincts. -La Providenee proclamée par la scienae. r . g7g

CHAPTTRE XIIILÉ }IIRACLE ET LA PRIÈRE,

Iniportance.philosophiqne de ces deux questions. - Leur importanidreligieuse. - D'oir vient la répugnance cles spiritualistes séparéscontre Le miracle et la prière ?

1. lctée clu miracle. Que le.moncle a commencé par un miracle. - Con;tingence de la nature. eue ses forces sont toujours soumises à laforce divine. - Ilarnonie de l,idée du miracle el de f idée cle l,ordrs.Apergus sur les raisons possibles du miracle.

11. La prière. - Points sur lesquels tous les spiritualistes sont d,ac-cord. - Préjugés rabionalisfes contre la prière de demande. Témoi_gnage clu genre humain en sa faveur. Témoignage de la conscience.:Objectious et réponses. : . i ; . . i SIE

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l*32 raBiir.

. CHAPITRE XIV

nÉsuuÉ Er coNCLUsroNs.Retour sur les questious traitées tlans ce livre. - Sa doctrine résu-

mée en XXIV propositions,Difficultés qn'il a fallu vainsre.-Importance et certitucle des résultats

obtenus. - Leurs conséquences dans I'ordre religieux. - eue lesvérités du spiritualisme ne subsistent inlégralement que dans laphilosopbie chréticnne. - Que la vraie philosophie condui auchristianisme. B4it

APPENDICES

No {.Lecon d'ouverture du Cours d'histoire de la philosophie chrétienne

(l'aculté des Lettres de Nancy, 19 novembre 1856). 3?3

Caractère général cle laLettres de Nancy. 26

lio 2.

philosophie des Pères tle I'Figlise (Faculnovembre 1856).

té d"es

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