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LES JEUX DÉFENDUS

DE LA PRÉSIDENTE

D U M Ê M E A U T E U R C H E Z L E M Ê M E É D I T E U R

N ° 1 : LE MONSTRE D'ORGEVAL N ° 2 : LE CARROUSEL DE LA PLEINE LUNE N ° 3 : L'ABOMINABLE BLOCKHAUS N ° 4 : LES SÉMINAIRES D'AMOUR N ° 5 : LE MARCHÉ AUX ORPHELINES N ° 6 : L'HÉROÏNE EN OR MASSIF N ° 7 : UN CHANTAGE TRÈS SPÉCIAL N ° 8 : LES REQUINS DE L'ÎLE D'AMOUR N ° 9 : LA CITÉ DES DISPARUES N ° 10 : LE CYGNE DE BANGKOK N ° 11 : LA MANTE RELIGIEUSE N ° 12 : LE JEU DU CAVALIER N ° 13 : LA CROISIÈRE INTERDITE N ° 14 : LE HAREM DE MARRAKECH N ° 15 : LA MAISON DES MAUDITES N ° 16 : LA PERMISSION DE MINUIT N ° 17 : LES CAPRICES DE VANESSA N ° 18 : LA VIPÈRE DES CARAÏBES N ° 19 : LE VOYOU DE MONTPARNASSE N ° 2 0 : LES FILLES DE MONSEIGNEUR N ° 21 : LA NUIT ARABE DE MONACO N ° 22 : LA FERMIÈRE DU VICOMTE N ° 2 3 : LA PUNITION DE L'AMBASSADEUR N ° 2 4 : LA SECTE DES AMAZONES N ° 25 : LES SIRÈNES DE L'AUTOROUTE N ° 2 6 : LE BOUDDHA VIVANT N ° 2 7 : LA PLANCHETTE BULGARE N ° 28 : LE PRISONNIER DE BEAUBOURG N ° 2 9 ; LES ESCLAVES DE LA NUIT N ° 3 0 : LES POUPÉES CHINOISES N ° 31 : LES SACRIFIÉS DU SOLEIL N ° 32 : L'EXÉCUTRICE N ° 33 : LA PRÊTRESSE DU PHARAON N ° 3 4 : UN CANAL ROSE POUR CIBISTES N ° 3 5 : LES FANATIQUES DE LA VIDÉO N ° 36 : LES ANGES DE PIGALLE N ° 3 7 : SOSIES SUR MESURE N ° 3 8 : LA MARQUE DU TAUREAU N ° 3 9 : L'ÎLE AUX FEMMES N ° 4 0 : LA CHÂTELAINE DE L'ORDRE NOIR N ° 41 : LA PRINCESSE DES CATACOMBES

N ° 42 : LA DISPARUE DE SUNSET BOULEVARD N ° 43 : LE PARFUM DE LA DAME EN GRIS

N ° 4 4 : LES FEMMES MYGALES DE CÔTE-D'IVOIRE N° 45 : LA DANSE DES COUTEAUX N° 4 6 : LES AMANTS DE SINGAPOUR N° 4 7 : LA VEUVE DU LAC N° 48 : LES FANTASMES DU NOTABLE N ° 4 9 : LA BÊTE DU LUBERON N° 5 0 : CARNAVAL A VENISE N ° 51 : LES NUITS BLANCHES DE LA TOUR EIFFEL N° 52 : LOVE TELEPHONE N° 53 : GOLF-PARTY N ° 54 : L'ENFER DU COLLECTIONNEUR ' N ° 55 : LES SOMNAMBULES DU DOCTEUR MARLY N ° 56 : LES ENVOÛTÉES DU MARABOUT N ° 5 7 : LA TUEUSE D'HOMMES N ° 58 : LA DIVA DU BOIS DE BOULOGNE N° 59 : LA FOLIE DE BARBE-BLEUE N ° 60 : LE MANIAQUE DU PARKING N ° 61 : LE BATEAU DES FILLES PERDUES N ° 6 2 : LE DÉMON DU PEEP SHOW N ° 63 : LES CHASSEURS DE MIREILLE N ° 6 4 : LA PLAGE AUX NYMPHES N ° 6 5 : NUITS DE CHINE N ° 66 : LA FILIÈRE MEXICAINE N ° 6 7 : LES SECRETS DE MADAME MAUD N ° 6 8 : LA FEMME MASQUÉE N ° 69 : TRANSPORT DE FILLES N ° 70 : LA SECRÉTAIRE DU PATRON N ° 71 : LA PANTHÈRE DES PALACES N° 72 : LES PROFANATRICES N ° 73 : LA TENTATION DE CAROLINE N° 74 : LA LOUVE DES BEAUX QUARTIERS N ° 75 : LES STRIP-TEASEUSES DU PETIT ÉCRAN N ° 76 : LES MAÎTRESSES FEMMES DE SAINT-TROPEZ N° 77 : LE RODÉO DU PLAISIR N ° 7 8 : LES PROIES DU COMMANDO N° 79 : LA FEMME-FAUCON N ° 8 0 : LA TIREUSE D'ÉLITE N ° 81 : LES VOIX DU DÉSIR N ° 82 : LES TAXIS DE L'AMOUR N ° 83 : L'ALLUMEUSE N ° 8 4 : MAÎTRE ET ESCLAVE N ° 85 : GIGOLO STORY N ° 86 : LA CAVALIÈRE DE L'APOCALYPSE

Gagnez le prochain titre de « BRIGADE MONDAINE »

en répondant au questionnaire que vous trouverez à la fin

de ce volume.

MICHEL BRICE

B R I G A D E

M O N D A I N E LES JEUX DÉFENDUS

DE LA PRÉSIDENTE

PRESSES DE LA CITÉ PARIS

Les dossiers Brigade Mondaine de cette collec- tion sont fondés sur des éléments absolument authentiques. Toutefois, pour les révéler au public, nous avons dû modifier les notions de temps et de lieu ainsi que les noms des personnages.

Par conséquent, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait totale- ment involontaire et ne relèverait que du hasard...

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1 de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque pro- cédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© PRESSES DE LA CITÉ/GECEP, 1988. ISBN 2-258-02292-4

CHAPITRE PREMIER

Elles étaient trois à se déhancher au rythme d 'un slow d 'avant le déluge, sur lequel coui- naient, de temps en temps, des « effets Larsen » parce que la sono était pourrie et que la taulière du baraquement , la mère Pinart, question ava- rice, elle se posait là : difficile de trouver plus « ra t » qu'elle...

Trois filles. Une brune, une Noire et une rousse. Cette dernière était de loin la moins jeune. C'était aussi la plus grande et la mieux balancée, une vraie déesse avec tout ce qu'il fallait — des épaules aux cuisses en passant p a r les seins et les fesses — pour rendre dingue n ' importe quel homme normalement constitué. Et puis, elle savait des choses que les deux autres, t rop jeunes peut-être pour connaître la vie, ignoraient encore. Elle savait, p a r exemple, qu 'un regard, quand on s'y prend comme il faut, peut devenir encdre plus affolant qu 'une caresse.

De temps en temps, à travers la grande vitrine de la baraque foraine, elle accrochait les yeux d 'un passant. Et celui-ci, instantanément , sen- tait quelque chose d' incongru bosseler son pan-

talon, juste à la bonne hauteur . Il n 'y avait pas à dire : c 'étai t de la magie pure, quasiment de la sorcellerie. Un don irrésistible, en tout cas.

— Entrez, les gars ! N'hésitez pas ! Le specta- cle va commencer ! A l ' intérieur elles vont tout vous montrer ! Je dis bien : Tout! Du nu inté- gral ! Vous n 'en perdrez pas un poil, c'est le cas de le d i re ! Avec elles, les vieux se sentent rajeunir et les jeunes sont encore plus jeunes ! Allez, sortez vos porte-monnaie, qu'est-ce que c'est deux malheureuses pièces de dix francs quand on vous offre le Paradis ? Entrez vite, c'est ici qu 'on s 'amuse ! Avec les plus belles filles de Paris ! De la jeunesse, du sexe, de la séduction ! Tout!

La voix de la Pinart, dans sa cabine vitrée, s 'érailla sur les derniers mots. En réalité, elle s 'appelai t Pinartier. Josette Pinartier. Mais tout le monde dans le milieu des forains la surnom- mai t la Pinar t et ça remonta i t à la nui t des temps. A l 'époque, très précisément, où elle avait épousé Alfred Pinart ier qui l 'avait fait gr imper sur scène pour la première fois.

En ce temps- là , Alfred é ta i t bonimenteur , comme elle aujourd 'hui . Pendant qu'il racolait le chaland, elle, elle mont ra i t ses fesses à l'inté- r ieur et des types a t t rapaient le torticolis à ras de la scène pour lui voir la racine des cheveux ou le blanc des yeux en par tan t du bas, c'est-à-dire de son entre-cuisses...

Maintenant, Alfred sucrait les fraises vingt- quat re heures sur vingt-quatre, Josette s'égosil- lait au micro et tout ça ne la rejeunissait pas.

— Alors, mon b o n h o m m e ? repri t la Pinart. Tu viens t 'éclater, oui ou non ? C'est pas possible, des types comme toi ! Mais puisque je te dis que

dès que tu seras à l ' intérieur, tu vas tirer une langue comme ça !

Elle en avait agrippé un, tout près de sa cabine, qui hésitait sur le trot toir du boulevard Rochechouar t . Un grand Noir, un « Black » coiffé d 'un bonnet en coton rouge et vêtu d 'un vieux blouson vert-de-gris dans lequel il grelot- tait.

On était aux premiers jours de janvier, il était un peu plus de vingt-deux heures trente, les alentours de Pigalle étaient presque déserts et le thermomètre allait descendre cette nuit à moins dix, d 'après ce qu'ils avaient annoncé à la télé. Bref, toutes les conditions étaient réunies pour qu'on frôle une fois de plus la catastrophe côté recettes. Et ça durai t depuis huit jours. Après un mois de décembre except ionnel lement doux, l 'h iver s ' é ta i t a b a t t u sur Paris comme une douche glacée. Trois jours de chutes de neige, des vents sibériens, le dégel pendant deux jours, juste le temps de transformer les trottoirs en ornières boueuses et, là-dessus, il s 'était remis à geler de plus belle.

Aussi loin que portaient les regards, les toits des voitures en s ta t ionnement étaient couverts de neige et les silhouettes des rares passants rasaient les murs préc ip i tamment en essayant de ne pas déraper sur le verglas. Un stand sur deux, d'ailleurs, était fermé. La Pinart, ce soir, avait failli en faire autant . Et puis, elle avait changé d'avis au dernier moment parce que l 'appât du gain avait été plus fort.

Son baraquement était l 'un des plus beaux, l 'un des plus r ichement décorés, juste avant le métro Anvers, entre un ball-trap et une piste d 'autos-tamponneuses qui, ce soir, avait laissé

ses installations démontées. En revanche, dans un renfoncement, entre deux baraques, il y avait le Tunisien, c'est-à-dire Othman, le mar- chand de frites et de merguez qui tenait le coup, devant ses braseros qui l'empêchaient de se transformer trop vite en glaçon. Ça faisait flotter sur le boulevard une odeur de graillon qui s'insinuait jusque dans la cabine de Mme Pinar- tier et derrière la vitrine où les deux brunes et la rousse poursuivaient héroïquement leurs tortil- lements de hanches lascifs pour trois pelés et deux tondus...

— On va pouvoir s'accrocher pour nos six cents balles, si ça continue, fit remarquer Tina à voix basse.

Tina était une Ghanéenne noire comme la nuit, avec de magnifiques fesses couleur choco- lat et une superbe coiffure « afro » bouclée qui lui donnait l'air d'être auréolée d'un nuage de fumigènes ténébreux. Même pas dix-neuf ans et elle ondulait comme une liane dans les méan- dres de la musique, en essayant de mettre en valeur sa croupe monumentale. C'était ce qu'elle avait de mieux comme argument, son derrière, et elle le savait. Tout ce qu'elle pouvait faire pour le moment, vêtue comme elle était d'une minijupe vert pomme et d'un soutien-gorge vert également mais fluo, c'était électriser le client en remuant les fesses de telle façon qu'il ait envie de voir à l'intérieur tout ce qu'elle ne pouvait lui montrer à l'extérieur. C'était la loi. Sur le trot- toir, en v i t r ine pas question d'exhiber le commencement d'un sein ou le début d'une fesse. Mais à l'intérieur, comme était en train de hurler la Pinart dans son micro, ils en crache-

raient leurs boyaux si seulement ils se décidaient à entrer.

— Paris by night! siffla Julia, la rousse qui était au centre. Tu parles ! Quelle merde, oui !

— Pigalle est plus ce qu'il était, ajouta la brune de l'autre côté, une maigre avec des seins minuscules sous son maillot de danseuse rose très collant et qui se prénommait Cindy.

Son atout à elle, c'était sa touffe de poils extraordinairement exubérante, une vraie forêt bouclée et luisante qui lui mangeait le ventre et les cuisses. Mais ça aussi, impossible de le montrer sur le trottoir de Rochechouart.

— On n'aura pas dix personnes dans la bara- que, c'est moi qui vous le dis, reprit la grande rousse.

— Parle pas de malheur, gémit la Ghanéenne. J'ai besoin de ces six cents balles pour payer mon proprio, moi. Ça fait trois mois qu'il attend un acompte. Et pas sur le dernier loyer, non ! Sur ceux de novembre, de décembre et de janvier, ma vieille !

— Elles vont vous montrer tout ! Tout ! Elles ne vous en cacheront même pas un petit bout ! gueulait toujours la Pinart, dans sa cabine.

— Tu n'as qu'à lui proposer de baiser avec lui, suggéra la rousse, il passera peut-être l'éponge sur tes dettes...

— Ça me ferait mal, fit la Ghanéenne. Le Noir que venait d'apostropher la Pinart

était revenu se planter devant la vitrine, la bouche ouverte, les yeux fixes. Et la main droite dans la poche de son pantalon, qui remuait imperceptiblement au rythme des coups de reins des filles. Il ne quittait pas la rousse du regard.

— En tout cas, fit Cindy en le montrant, en

voilà un qui a décidé de s'astiquer sans rien payer !

— Je me le ferais bien, émit la grande rousse avec un coup d'oeil de connaisseuse. A dix contre un qu'il est monté comme un cheval...

— Oh, toi tu te ferais n'importe qui, coupa Tina, très « Couvent des Oiseaux » brusque- ment.

— C'est un crime ? questionna la rousse sans cesser de sourire à travers la vitre au Noir dont les mouvements de poignet saccadés s'accélé- raient au fond de sa poche comme si, tous les deux, lui et elle, ils étaient en communication télépathique.

Les néons roses, verts et rouges, qui tombaient sur Julia, celle qui dansait au centre du trio, la fardaient de lueurs brutales et irréelles. La baraque des Pinartier était couronnée d'une énorme enseigne rose qui représentait alternati- vement une paire de fesses et un cœur. Au- dessous, une autre inscription au néon annon- çait : Crazy Girls. Autour, sur la façade, bariolées dans un style très « BD », des filles de toutes les couleurs se tordaient et se pâmaient dans des poses sensées éveiller, chez le client mâle, le cochon proverbial qui y sommeille. Un panneau indiquait « Nu intégral ». Un autre « Strip-tease forain ». Un troisième, sobrement mais carré- ment : « Les plus beaux Q de Paris. » Et après tout, à regarder les filles dans la vitrine, ce n'était pas une publicité mensongère...

Sur le trottoir, le Noir au bonnet de laine rouge était au bord de l'extase. Il eut un soubre- saut, comme un hoquet vite réprimé et, sans quitter Julia des yeux, il se tétanisa pendant deux ou trois secondes. Puis quelqu'un le bous-

cula, un vieux monsieur en pardessus gris foncé coiffé d'un chapeau comme on n'en fait plus, et il sembla se réveiller. Il se secoua, cligna des paupières et vira des talons précipitamment pour traverser le boulevard et se fondre parmi les passants, sur l'autre trottoir.

— Dommage, regretta Julia entre ses dents. C'était sûrement la plus habillée de toutes.

Longue robe fourreau moulante asymétrique en soie noire — une épaule découverte et l'autre entièrement masquée, bas de soie noire, escar- pins noirs, boucles d'oreilles et collier de perles. Une vraie « dame ». Mais la robe était fendue très haut et, à la faveur de certains mouvements qu'elle faisait, on pouvait apercevoir la nais- sance d'un slip en dentelle noire et d'une gué- pière également noire. Et au-dessus de tout cet ensemble ténébreux, il y avait sa chevelure fauve qui ruisselait de lumière, une magnifique cri- nière de rousse incendiaire qui rougeoyait autour du triangle de son visage très blanc où les lèvres, maquillées écarlates, avançaient dans une moue pas vraiment farouche...

Deux ou trois passants venaient de s'arrêter devant la vitrine.

— Y en a marre ! décida Julia, il faut les décoincer, nom d'un chien. Sinon, on en a jusqu'à l'année prochaine à se mettre la cein- ture.

Six cents francs. C'était le tarif de la soirée pour chacune d'entre elles. A condition qu'il y ait dans la salle au moins dix clients par passage. Pas évident, ce soir. Les types, frigorifiés, avaient la tête ailleurs.

Tina, Cindy et Julia faisaient partie de « l'équipe de nuit » de la baraque des Pinart.

C'est-à-dire qu'elles exhibaient leurs charmes alternativement, sur la minuscule scène éclairée par des spots orange, entre sept heures et demie du soir et minuit et demi. L'autre équipe, celle du jour, commençait à trois heures de l'après- midi (sauf le dimanche où le spectacle démar- rait vers midi). En principe, chacune d'entre elles avait cinq minutes pour son show. Mais les plus « accros » pouvaient faire durer, si elles sentaient que la salle était réceptive. Tout dépendait de l'ambiance. Et aussi du moral de l'artiste. Si elle avait la « pêche » ou pas.

Chacune avait ses fans, des spectateurs qui revenaient spécialement pour l'une d'entre elles et pas pour les autres. A ce jeu-là, c'était incon- testablement la rousse Julia qui ramassait la mise. Parce qu'elle se donnait vraiment en scène. Elle y croyait. Elle aimait ça. La ligne de coke qu'elle s'expédiait direct dans les sinus avant de se précipiter sur les planches, ne devait pas y être pour rien non plus... Tous les hivers, depuis trois ans, elle faisait un malheur dans le strip forain des Pinart, le plus « chic » de tout le quartier de Pigalle. Très vite, elle était devenue, malgré ses trente-cinq ans bien sonnés, la vedette incontestée du Crazy Girls.

— Attends, je vais les allumer, moi, tu vas voir ça, reprit Julia entre ses dents.

Elle fit un pas en avant vers la grande vitre qui les séparait du trottoir et les deux autres reculè- rent d'un pas, la laissant faire. Au début, Julia avait eu des problèmes avec elles, surtout avec la Ghanéenne qui avait tendance à les régler à coups de poing dans la gueule. Mais, petit à petit, elles étaient devenues copines. Tina et Cindy avaient fini par reconnaître sa supériorité

indéniable. Julia avait quelque chose de plus que les autres. On avait même l'impression qu'elle ne faisait pas vraiment ça pour l'argent. Mais alors, pourquoi ? Mystère.

— Ils veulent un avant-goût de paradis, on va pas les décevoir, dit-elle encore.

Elle était tout contre la vitre à présent, sculp- turale dans sa robe fourreau noire avec ces spots qui lui giclaient des éclaboussures de lumière sur les épaules et les cheveux.

Elle écrasa sa bouche contre la paroi vitrée. De l'autre côté, sur le trottoir de Roche-

chouart, il y avait deux ou trois ombres vagues, indécises. Des hommes, bien sûr. Et puis, der- rière encore, un peu plus loin, un couple. Très jeune. Presque des adolescents. Serrés l'un contre l'autre à ne faire plus qu'un dans la nuit. Julia ne voyait pas leurs visages mais c'était pas compliqué de deviner que ceux-là, elle ne les aurait pas facilement. L érotisme des jeunes, ça ne fonctionne pas comme celui des adultes. C'est autre chose...

— Le spectacle va commencer! gueulait la Pinart dans son micro. Il n'y en aura pas pour tout le monde ! Dépêchez-vous ! C'est le début du grand voyage avec les plus belles filles de Paris ! Elles vous emmènent en expédition dans leur savane très intime ! Attention aux tigres plan- qués dans les buissons ! Allons-y, allons-y !

Sans arrêter d'onduler des hanches et de la croupe, Julia entreprit d'agrandir très douce- ment son décolleté. Comme elle portait une robe asymétrique, découpée en diagonale sur sa poi- trine et que l'une de ses épaules, la gauche, était déjà nue, ce n'était pas très difficile de laisser entrevoir quelques centimètres supplémentaires

de son sein gauche. Un peu de sueur perlait entre les masses jumelles volumineuses et rondes de sa poitrine.

— Bon sang, lâcha Tina derrière la rousse, elle va nous faire avoir des emmerdes. Regarde les guignols qui s'amènent !

Mais Julia les avait déjà repérés, les guignols; deux policiers en tenue se rapprochaient tran- quillement sous un lampadaire. Cette soirée de janvier n'annonçait pas une nuit « chaude » pour les flics, c'était le moins qu'on pût dire. Il suffisait de voir le manque d'entrain des deux ou trois prostituées — des travestis probablement — qui tapinaient comme d'habitude au coin de la rue de Clignancourt. Et les boniments déses- pérés des chasseurs en train d'essayer d'alpaguer le client, boulevard de Clichy. Dans les bars à hôtesses du coin, ce n'était pas non plus vrai- ment la joie...

A vingt-deux heures quarante-cinq exacte- ment, Julia remonta son décolleté d'un imper- ceptible mouvement d'épaule. Toujours ondu- lant et serpentant au rythme du slow, elle recula de deux pas pour se retrouver à la hauteur des autres filles.

Les gardiens de la paix passèrent lentement le long de la vitrine. A peine jetèrent-ils machinale- ment un coup d'œil du côté de la minuscule scène illuminée où les trois strip-teaseuses conti- nuaient la parade. Irréprochables à nouveau.

Julia attendit qu'ils se soient fondus dans la nuit.

Il y avait maintenant sept ou huit spectateurs immobilisés sur le trottoir. Toujours en retrait,

le couple d'adolescents n'avait pas bougé non plus.

Se déhanchant, pivotant sur elle-même, elle revint vers la vitrine. Cette fois, elle allait leur sortir le grand jeu. Et s'il n'y avait pas une émeute sur le trottoir dans cinq minutes, elle ne s'appelait plus Julia, la plus grande salope que le monde ait jamais vue d'après ses amants, beaucoup trop nombreux pour qu'elle puisse en faire le compte...

Bouche entrouverte, yeux mi-clos, tête ployée en arrière, elle avança la jambe droite, ce qui eut pour effet de rejeter en arrière les pans de sa robe noire haut fendue sur le devant et de laisser entrevoir, en un éclair, le serpent noir d'une jarretelle au sommet de sa cuisse.

— Bande de cochons, dit-elle derrière la vitre, je veux que vous ayez envie de me la mettre ! Tous !

Sa main droite glissa le long de sa hanche et, du bout des doigts, elle ouvrit encore un peu plus sa robe. Cette fois, ce fut la naissance de son slip de dentelle noire qui apparut.

Il était vingt-deux heures quarante-neuf. De l'index, Julia sembla hésiter le long de

l'ourlet de sa petite culotte noire. Derrière elle, Cindy et Tina fouillaient des yeux ce qu'elles pouvaient apercevoir du trottoir, terrorisées à l'idée que les guignols de tout à l'heure ne rappliquent...

L'index de Julia était remonté vers son ventre, dans l'échancrure de la robe. Toute sa jambe droite était nue maintenant, avec la jarretière du

bas noir qui étranglait délicieusement sa cuisse blanche de Vénus grasse et rousse.

— Saloperie de saloperie ! grogna l'un des spectateurs d'une voix altérée.

Ils étaient une dizaine à présent qui se rappro- chaient lentement de la vitrine.

De plus en plus renversée en arrière, Julia erra du bout des doigts le long de l'ourlet supérieur de son slip. Toujours dansant, elle continuait de gigoter des fesses et à creuser ses reins de jument en chaleur. Tandis que les doigts de sa main droite caressaient le haut de son slip, sa main gauche enveloppait alternativement ses seins gonflés dans une esquisse de caresse que les hommes, sur le trottoir, suivaient avec des regards de voyageurs perdus dans le désert et devant qui on promène un plein camion de bouteilles d'eau minérale.

Vingt-deux heures cinquante. Les doigts de Julia étaient en train de baisser

l'élastique de son slip noir. Derrière, fascinées par l'audace de la rousse, Cindy et Tina avaient ralenti l'allure et oubliaient de danser. Sur le trottoir ils étaient douze maintenant. Immo- biles. Sous le choc.

Les dentelles noires du slip se froissaient en descendant sous les doigts de Julia.

La première boucle de sa toison flamboyante apparut à vingt-deux heures cinquante et une pile. Un magnifique copeau d'or qu'elle roula entre ses doigts en éclatant de rire.

— Putain de garce ! gronda l'un des types qui était en train de se ripoliner en rouge brique.

Julia descendit encore son slip et ce fut la

moitié de sa toison intime, cette fois, qui appa- rut. Il y eut comme une sorte de houle frisson- nante qui remua le public. Julia était une vraie rousse, à deux cents pour cent, avec une fourrure luisante et bouillonnante, une vraie jungle exu- bérante qui frisait, sauvage, très haut sur son ventre.

Elle glissa les doigts plus bas et esquissa une amorce de masturbation. Entre ses cils, elle aperçut une minuscule silhouette qui se rappro- chait de la vitrine. Un mètre soixante maximun, un grand pardessus sombre qui lui descendait presque aux chevilles. Pas tout à fait un nain. Un nabot en tout cas. Un demi-homme. Mais monté comme quatre, sous son pantalon, une vraie « queue d'âne », c'était l'expression qu'elle avait utilisée la première fois qu'elle avait eu l'engin en main. Une célébrité du quartier aussi. Et un habitué du strip de la mère Pinart, quand Julia s'y produisait. Il était fou d'elle, vraiment din- gue. « Un vrai Rubens », il n'arrêtait pas de lui répéter, quand elle le laissait entrer dans sa loge et qu'elle consentait à se faire grimper par lui. « Un vrai Rubens... Je baise un vrai Rubens... » Toutes les conversations du gnome étaient émaillées de références artistiques. Ce qui n'avait rien d'étonnant puisqu'il était peintre.

— Tout va bien, songea-t-elle en le voyant se rapprocher au rythme dandinant de ses minus- cules jambes torses. Tout va bien, voilà Tou- louse.

Ce n'était pas son nom, Toulouse. Seulement son surnom. Mais tout le monde l'appelait ainsi à Pigalle. Ce qui le mettait parfois en colère, les soirs où ils avait bu un coup de trop.

« Je m'appelle Albi ! disait-il alors de sa voix

suraiguë. Marcelin Albi, bande d'ignares ! C'est écrit au bas de mes toiles ! Un jour, le monde entendra parler de moi. »

En attendant cet avenir radieux, il se prépa- rait une petite cirrhose de derrière les fagots dans les bars et les cafés du quartier avant de rentrer chez lui, dans son atelier de la rue de la Goutte-d'Or et de se précipiter sur ses toiles qu'il sabrait jusqu'à l'aube de coups de pinceau rageurs et déchaînés.

Toulouse, alias Marcelin Albi, se campa à ras de la vitre de trois centimètres d'épaisseur, apprécia en connaisseur le spectacle de la grande rousse en train de mimer d'indicibles plaisirs solitaires, puis il lui adressa un clin d'œil et se dirigea vers la cabine où officiait la Pinart pour se faire délivrer un billet d'entrée.

Il fut le premier à pénétrer dans la salle du Crazy Girls. Il était vingt-deux heures cinquante- trois.

Julia, derrière le vitrine, soupira de soulage- ment. Les autres allaient suivre maintenant.

— Fini la rigolade pour pas un rond ! lança- t-elle à travers la vitre en retirant sa main et en laissant se refermer sur ses cuisses les pans de sa robe de soie noire. Si vous voulez voir la suite du programme il va falloir payer !

Elle rejoignit Cindy et Tina. — Ça va, les rassura-t-elle. J'ai allumé la

mèche. Maintenant, vous allez les entendre cré- piter, tous ces mecs. Un vrai feu d'artifice ! Moi, je vais me préparer.

Elle disparut au fond de l'estrade, derrière un rideau écarlate. Se préparer, ça voulait dire s'enfiler sa ligne de coke rituelle avant d'entrer

en scène. Il ne fallait pas qu'elle rate sa presta- tion, ce soir.

Surtout pas ce soir. Jusqu'à présent, les choses s'étaient bien

déroulées. Elle ne pouvait pas se permettre de déraper.

Elle allait attaquer la deuxième phase de l'opé- ration.

La plus importante. L'enjeu de la soirée, pour elle, ce n'était pas

ces six cents malheureux francs après lesquels Cindy ou Tina tiraient la langue. Non. C'était bien autre chose.

Un chiffre qui scintillait, dans sa tête, bien plus fort que tous les clignotements de néon de la baraque de la Pinart.

Vingt briques. Vingt briques pour montrer son cul. Vingt briques pour même pas un quart

d'heure d'exhibition. Vingt bâtons pour elle toute seule. Seulement voilà : elle n'était pas n'importe

qui. Et il n'y avait qu'elle, au Crazy Girls à savoir ce que valait exactement son nom, son vrai nom.

De l'or, tout simplement. Son poids d'or massif. Vingt bâtons. Derrière, assourdie par les tentures, parvenait

encore la voix de la Pinart qui s'essoufflait à racoler le client en lui promettant des déprava- tions insensées.

Mais ce n'était déjà plus la peine. On faisait la queue devant la caisse, maintenant.

Il était vingt-deux heures cinquante-quatre.

— D'où téléphonez-vous ? questionna rapide- ment Bireau.

— Je... D'un bistrot, boulevard Montparnasse. Le Sélect...

— Ne bougez surtout pas, j'arrive, conclut Bireau avant de raccrocher.

Puis il attrapa son loden et se précipita dehors en claquant la porte.

— Qu'est-ce qui lui prend ? fit Tardet en relevant son visage jaune de la Remington.

Rabert haussa les épaules. — T'occupe. C'est les jeunes de maintenant,

tu sais... Allez, continue à taper, on ne va pas y passer la nuit...

Les doigts du jeune policier stagiaire se recro- quevillèrent d'angoisse autour du récepteur, dans cette cabine téléphonique vitrée de la place Saint-Michel.

Cette fois, le numéro n'était pas occupé, il ne répondait carrément plus.

— Merde, merde, siffla-t-il. Qu'est-ce que je fais ?

Il composa un autre numéro. Celui de son propre domicile. Depuis que, dans la R 18, il avait entendu Boris Corentin, par la radio de bord, chercher à obtenir l'adresse correspondant au numéro de téléphone trouvé chez Marcelin Albi, il savait que tout était foutu. Et que, non seulement il était complice de la machination criminelle montée par Philippe Lucas, mais qu'en plus il allait être démasqué...

Au même moment, sur une banquette du

Sélect, boulevard Montparnasse, Frédéric renou- velait les consommations. Bière pour lui et Perrier-rondelle pour Pauline.

— C'est fini, répéta-t-il pour rassurer la jeune fille. Tout va s'arranger. Le flic va venir et on va s'occuper de nous. De toute façon, on ne pouvait pas continuer comme ça, à errer en plein hiver, dans Paris, sans avoir un point de chute...

Ils s'étaient finalement fait virer par le patron des Cannas vers vingt heures trente : celui-ci jugeait qu'il avait déjà pris trop de risques à héberger des mineurs et que ça suffisait comme ça, ils pouvaient aller se faire pendre ailleurs.

Ils avaient recommencé à déambuler jusqu'au moment où ils étaient entrés au Sélect. Il y avait foule, une bande d'Américains ivres morts brail- lait des chansons. L'un d'entre eux les avait invités à boire et ils avaient sauté sur l'aubaine en espérant se fondre dans le décor.

Et puis ils avaient réfléchi et ils s'étaient dit qu'ils étaient maintenant arrivés au bout du chemin. Il n'y avait plus rien à faire d'autre que de rentrer au bercail. Même si l'accueil devait y être plutôt cuisant. Ils n'en menaient pas large mais, au point où ils en étaient, la meilleure solution était peut-être de s'en remettre aux flics, de leur raconter leur histoire et de se faire rapatrier par eux ensuite...

— Qu'est-ce qu'on va déguster à Bordeaux ! reprit Pauline au bord des larmes. Et puis, on sera de nouveau séparés.

Frédéric passa un bras autour de ses épaules. — Tu oublies ce qui s'est passé à 1 hôtel ?

murmura-t-il avec un sourire de fierté. Tu es ma femme maintenant, et ça personne n'y peut rien.

Avenue du Général-Leclerc, dans le trois- pièces dont Marc bireau, grâce au sens de l'épar- gne de ses défunts parents, était propriétaire, le photographe de Charmes, Otto Portex, virevolta sur ses talons hauts et se précipita vers le téléphone en faisant froufrouter autour de lui son jupon de tulle noir. C'était comme ça qu'il s'habillait dès qu'il rentrait à la maison : escar- pins vernis, guêpière noire, bas noirs, jarretelles. Il s'était coiffé aussi, comme d'habitude, d'une longue perruque blond platine très Marilyn Monroe. mais sous le jupon de tulle noir, battait un membre masculin long et droit en parfait état de marche. Un jour, plus tard, lorsque Marc et lui auraient réalisé leur rêve d'aller s'installer en Californie, il entreprendrait une métamorphose complète à coups d'épilation électrique, oestro- gènes, protestérones et anti-androgènes. sans oublier bien sûr, pour finir, l'opération chirurgi- cale qui le transformerait en vraie femme, avec un vrai sexe de femme profond et accueillant. C'était pour ça aussi qu'il leur fallait ce fric : rien que l'intervention dans une luxueuse clini- que privée des Etats-Unis coûtait près de cent mille dollars...

— Tu rentres enfin, chéri ? jeta-t-il dès qu'il eut reconnu la voix de Marc au bout du fil. Dépêche-toi, le dîner est prêt et je t'attends !

— Je m'en fous, glapit Marc Bireau sur un ton que le photographe ne lui avait jamais connu. Tout est en train de foirer et le contact est rompu avec qui tu sais.

— Quoi ? Le répondeur ? demanda Portex. — Il n'y a plus de répondeur. Plus rien.

Le photographe réfléchit un instant. C'était lui le contact entre Lucas et Marc au cas où le maillon le plus important de la chaîne, c'est-à- dire ce répondeur interrogeable à distance, ne fonctionnerait plus.

— J'y vais, décida-t-il. Il faut savoir ce qui s'est passé.

— Tu es malade ? jeta Bireau dans un cri d'angoisse.

Et puis sa voix s'étrangla. A l'autre bout, le photographe avait raccroché précipitamment, sans même l'écouter.

Il redécrocha. Recomposa le numéro de son propre domicile. Ses doigts dérapaient sur le cadran ancien modèle. Il dut raccrocher, redé- crocher, recommencer.

La sonnerie résonna longtemps dans le vide. Otto avait immédiatement filé et c'était trop

tard pour le rattraper. Livide, Marc Bireau s'éjecta de la cabine téléphonique. Le vent glacé sécha la sueur sur son front. Il se mit à tituber sur le trottoir, le cerveau vide, incapable de se concentrer. « Tout est foutu », répéta-t-il plu- sieurs fois entre ses dents.

Jamais ils ne pourraient réaliser leur rêve, Otto et lui, de redémarrer à zéro sur un autre continent, très loin, où personne ne les connaî- trait et où ils pourraient vivre enfin jusqu'aux derniers jours de leur vieillesse l'amour qui les unissait.

Des crampes d'angoisse lui tordirent l'esto- mac. Le plan avait pourtant été admirablement monté. Où était l'erreur?

Il n'y avait pas d'erreur. Ou alors il n'en existait qu'une et elle ne dépendait pas d'eux.

Elle résidait dans le fait que l'enquête avait été

confiée à ce flic hyper-rapide et efficace qui s'appelait Boris Corentin.

Brusquement il rebroussa chemin et se préci- pita à nouveau vers la cabine téléphonique. Les bourrasques étaient tellement cinglantes qu'el- les lui arrachaient des larmes qui partaient en diagonales vers ses joues et les glaçaient.

Il ne voyait plus qu'une seule solution pour éviter la catastrophe totale.

Trois minutes après, de rares passants sur le boulevard Saint-Michel purent voir un grand jeune homme en loden en train de vomir entre deux voitures son trop-plein d'angoisse long- temps refoulé.

Marc Bireau se redressa, la bouche aussi amère que s'il s'était gargarisé avec de l'eau de Javel.

Dans son duplex proche du Panthéon où il venait de l'appeler, Philippe Lucas, le président de l'UAF, avait d'abord hurlé en lui demandant s'il était cinglé de lui téléphoner chez lui. Les consignes étaient absolument strictes : on ne devait communiquer que par l'intermédiaire du répondeur de l'avenue Simon-Bolivar.

Lucas s'était lentement calmé tandis que le jeune policier stagiaire lui racontait que le répondeur avait été découvert par Corentin, qu'à l'heure qu'il était Otto Portex devait être arrêté, et qu'on avait aussi, probablement, identifié sa propre voix parmi les messages enregistrés. Bref, que tout était foutu.

Il n'y a que quand on est mort qu'on est foutu, c'était une des maximes favorites de Lucas. En apprenant qu'un nouveau témoin s'était fait

connaître et que ce dernier attendait le policier au bar du Sélect, à Montparnasse, Lucas avait échafaudé un nouveau plan.

— Foncez au rendez-vous, avait-il ordonné à Marc Bireau, et restez là-bas avec votre témoin, je vous envoie quelqu'un. Ne bougez surtout pas !

Grelottant, secoué de spasmes, Marc Bireau attaqua à grandes enjambées le boulevard Saint- Michel.

Otto s 'étai t laissé cueillir sans la moindre résistance sur le palier du septième étage, ave- nue Simon-Bolivar, pa r Boris Corentin surgi d ' u n recoin d ' ombre et qui lui cha toui l la i t l 'oreille du bout de son RMR Spécial Police.

— Je n'ai rien fait, je ne sais rien, vous pouvez me couper en petits morceaux, je ne dirai rien, annonça-t-il immédiatement .

— Tu me prends pour la Gestapo ? demanda Boris.

En le fouillant, il eut la stupéfaction de décou- vr ir que, sous sa grosse veste de shet land à car reaux blancs, le photographe por ta i t une guêpière noire de soie damassée.

— Ça commence bien, soupira-t-il. Revenu en bas, dans la loge de la concierge,

avec son prisonnier, il composa le numéro du Quai des Orfèvres. Dans le bureau des Affaires Recommandées, il n'y avait plus que Rabert et Tardet.

— Bireau vient de part ir , expliqua Rabert . Juste après avoir reçu un coup de téléphone. Il ne nous a pas dit où il allait.

Les sourcils de Boris se rapprochèrent. Tous les messages adressés au Quai des Orfèvres étaient enregistrés. Il fallait retrouver la trace de celui-ci.

— Mais pourquoi ? questionna Tardet. Qu'est- ce que tu as derrière la tête ? Tu ne penses tout de même pas que...

— Dépêche-toi, cria Boris, je t'expliquerai plus tard.

Dix minutes passèrent. Corentin se rongeait l'ongle du pouce droit et Otto Portex, vert de rage, assis dans un fauteuil, essayait de prendre l'air de celui qui n'est en rien concerné par le problème.

— Vous aurez des ennuis, menaça-t-il. Vous commettez une grosse erreur.

Boris était en train d'éplucher sa carte de presse. Journaliste professionnel. Photographe. Employé par la revue Charmes... Le téléphone se mit à grelotter.

C'était Rabert à nouveau. Le message avait bien été enregistré.

Il émanait d'un bar de Montparnasse, le Sélect. On avait demandé Boris Corentin et Bireau avait pris la communication. Avant de disparaître...

— Boris, repri t Rabert. Qu'est-ce qui se passe ?

— Il se passe tout simplement, dit-il avec lenteur, que le coupable qu'on recherchait à l'extérieur, on l'avait à portée de main. Chez nous.

Il soupira. — Enfin, l'un des coupables... — Merde, émit seulement Rabert, stupéfait. — Comme tu dis, murmura Corentin. Il n'eut pas le temps d'ajouter un mot. La

porte de la loge venait de claquer. Le photo- graphe cavalait dans le hall de l'immeuble.

— Vous ne pouviez pas faire quelque chose ? cria Boris, vert de rage, à l'adresse de la concierge.

— Avec quoi ? demanda-t-elle. J'ai des rhuma- tismes, des varices, des....

Boris avait giclé de sa loge avant qu'elle n'ait terminé sa litanie. Revolver au poing, il débou- cha dans l'avenue Simon-Bolivar.

Le photographe n'était pas très loin, au carre- four de la rue de Belleville et de la rue des Pyrénées. Boris le vit passer dans le halo d'un réverbère, traverser le croisement, obliquer sur la droite dans la rue de Belleville, retraverser. Il avait à peine cent mètres d'avance sur Corentin qui allait pouvoir l'attraper sans aucun pro- blème.

Lancée comme un obus dans la pente de la rue de Belleville une camionnette des NMPP (1) dépassa Corentin. Là-bas, Otto Portex retraver- sait la chaussée en diagonale, il y eut un hurle- ment de gomme arrachée aux pneus de la camionnette. Le bruit de ferraille d'un pare- chocs cognant des voitures en stationnement, un hurlement bref, et puis plus rien.

Quand Boris arriva à sa hauteur, Otto était couché en travers de la rue, la cage thoracique broyée et les mâchoires tordues dans une espèce de rire d'un autre monde comme en ont souvent ceux qui sont morts de mort violente.

— Vous avez vu? C'est ce dingue qui a tra- versé sous mes roues ! Il s'est jeté contre ma voiture ! Vous êtes témoin.

(1) Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne.

L e c o n d u c t e u r d e l a c a m i o n n e t t e a v a i t s a u t é à

t e r r e e t e s s a y a i t d e r e t e n i r C o r e n t i n . C e l u i - c i n ' a v a i t p a s l e t e m p s d ' a t t e n d r e l ' a r r i v é e d e s f o r c e s d e l ' o r d r e .

— P l u s t a r d , d i t - i l e n r e b r o u s s a n t c h e m i n e t

e n r e c o m m a n ç a n t à c a v a l e r . — F u m i e r ! O r d u r e ! c r i a l e c o n d u c t e u r f o u

f u r i e u x .

C o r e n t i n n e l ' e n t e n d a i t p l u s . L e v e n t g l a c é l u i c i s a i l l a i t e n s i f f l a n t l e l o b e d e s o r e i l l e s . I l n ' y a v a i t p a s u n e m i n u t e à p e r d r e s ' i l v o u l a i t s a u v e r l ' i n c o n n u d u S é l e c t q u i a v a i t c o n t a c t é l a p o l i c e , t o u t à l ' h e u r e . L e t r o i s i è m e t é m o i n d u m e u r t r e

d e P i g a l l e . E t l e f u t u r q u a t r i è m e m o r t d e c e t t e s é r i e

s a n g l a n t e .

CHAPITRE XVII

Bou leva rd M o n t p a r n a s s e , seules quelques brasseries historiques, la Coupole, le Dôme, la Rotonde, é ta ien t encore ouvertes, j e t an t de g randes taches de lumière sur les t ro t to i rs enneigés.

Et bien sûr aussi, face à la Coupole, le Sélect. La R 18 gris métallisé que pilotait Boris freina

sec, dérapa un instant sur une plaque de verglas et te rmina son rétablissement en faisant miauler ses pneus.

Sous ses yeux, à l ' instant où il se rapprochai t du Sélect, une CX noire en décollait et lui passait sous le nez en accélérant comme si elle a t taquai t la dernière boucle des vingt-quatre heures du Mans.

Au volant, un type au crâne rasé et au visage dur. Près de lui, un autre type du même genre. Derrière, trois silhouettes. Corentin distingua mal les deux premières parce qu'il venait d'iden- tifier la troisième.

Celle de l ' inspecteur stagiaire Marc Bireau. — C'est parti , fit Boris, en accélérant à son

tour.

Dans la CX, personne ne parlait. Les deux skins devant, Dirty et Trevor, étaient beaucoup trop bourrés pour faire la conversation. Le coup de fil de Lucas les avait cueillis là-bas, dans leur repaire de la banlieue est, ce casse de voitures où Zuckerman avait été déchiqueté par Satan, le pitt-bull qu'ils avaient récemment volé chez un éleveur de Seine-et-Marne et avec lequel ils s'entendaient très bien parce qu'entre tueurs on a des affinités... Quand le président de l'UAF les avait contactés, ils étaient vautrés dans leur baraquement au milieu d'un océan de canettes de bière vides. Il leur restait juste assez de lucidité pour comprendre que l'heure était grave et que le chef attendait d'eux une intervention aussi rapide qu'efficace. Il s'agissait ni plus ni moins que de liquider un jeune flic ainsi que celui ou ceux qu'on trouverait avec lui, au Sélect, à Montparnasse. Tout en leur laissant croire bien entendu jusqu'au dernier moment qu'on les emmenait dans un endroit où ils seraient en sécurité.

C'était un job sérieux dans leurs cordes. Un « stomb » (1) vraiment bien sanglant comme ils aimaient, tout dans la finesse. Et puis ils avaient eu le plaisir de découvrir, au Sélect, qu'il n'y avait pas seulement deux personnes mais trois à prendre en charge et que la troisième était une « meuf » drôlement mignonne qu'ils se promet- taient de mettre « à oilpé » (2) et de niquer

(1) Baston. (2) A poil.

jusqu'à l'os avant de la liquider comme les autres.

Bref, la vie était belle, le chef leur avait promis le paquet pour cette nouvelle opération et ils étaient beaucoup trop nases pour s'intéresser à ces deux phares, là-bas derrière, qui les suivaient depuis qu'ils avaient quitté Paris.

Quant aux trois autres, sur la banquette arrière, ils ne disaient rien. Seul le jeune flic à gueule de technocrate ouvrit la bouche en voyant défiler des patelins de banlieue à n'en plus finir.

— Où nous emmenez-vous ? Il n'obtint pas de réponse. Quant aux adoles-

cents, Frédéric et Pauline, ils se serraient l'un contre l'autre. Mais Marc Bireau les avait aver- tis : « Vous êtes en danger, on va venir vous chercher, j'ai été obligé d'employer les grands moyens pour vous protéger, n'ayez plus peur... »

Ils essayaient de se rassurer avec ça.

Au bout d'une demi-heure, en voyant la CX ralentir très loin devant lui, au bout d'une interminable ruelle déserte bordée de hauts murs de briques, Corentin coupa ses phares et stoppa. Il attendit que la CX ait disparu et redémarra, avançant le plus doucement qu'il pouvait.

Bientôt il se trouva devant un portail rouillé dont le cadenas était fermé et où un panneau indiquait « Interdit au public ».

« Pas le temps de faire des politesses ni d'aller chercher un serrurier », pensa-t-il.

Il revint vers la R 18, manœuvra de façon à se

trouver face au portail et, embrayant la pre- mière, fit rugir le moteur.

Dans un fracas de ferraille, la R18 transfor- mée en projectile pulvérisa le portail rouillé et, calendre à l'agonie, s'élança dans l'une des « avenues » entre lesquelles s'élevaient des dizaines et des dizaines de bagnoles amassées les unes sur les autres.

A l'intérieur du baraquement qui servait de repère aux deux skins, tout le monde s'était pétrifié.

— Bordel de merde ! jeta l'un des crânes rasés, Trevor, en s'emparant de son pistolet mitrailleur Uzi.

Dirty s'était ressaisi également et avait empoi- gné son Colt Government.

Tous deux jaillirent sur le seuil de la baraque et se mirent à arroser l'esplanade du cimetière de voitures sans faire le détail.

Affolé par le vacarme, Satan, le pitt-bull, se mit à bondir sur lui-même. Il était solidement attaché par une chaîne à un gros anneau scellé dans l'un des murs de la baraque, mais ça ne l'empêchait pas de faire des bonds fantastiques en aboyant, les yeux fous, les babines retroussées sur ses crocs de fauve. Frédéric et Pauline pous- sèrent un hurlement et se jetèrent dans les bras l'un de l'autre. Dehors, le crépitement de la fusillade continuait. Hagard, Marc Bireau était en train de réaliser à quel type de mort on destinait ces deux jeunes gens, ce garçon et cette fille qui avaient cru pouvoir trouver auprès de lui aide et protection.

Il les imagina déchiquetés par le monstre, des lambeaux de chairs promenés partout, leurs cadavres transformés en charpie et le fauve

hideux gambadant, la gueule sanglante, au milieu du carnage.

Quelque chose s'éveilla en lui, comme une tardive et fragile lueur d'humanité.

A toute allure il sentit qu'il émergeait de sa propre folie, comme d'une eau profonde et téné- breuse.

Les armes des deux skins continuaient à cra- cher, dehors, leurs projectiles.

Marc Bireau secoua la tête. Sans scrupules ni remords, il avait — par ses

coups de téléphone — envoyé à la mort les deux premiers témoins de l'assassinat de Gérard Klem, ce type choisi au hasard pour être la première victime d'une longue série. Il était complice de tous ces meurtres, il était même la cheville ouvrière de l'opération, celui sans qui rien n'aurait été possible.

Et après ce garçon et cette fille, quand ils seraient eux aussi massacrés, il y aurait encore d'autres morts.

Et puis une autre vérité lui sauta aux yeux : il songea que lui-même serait liquidé par les deux dingues au crâne rasé. C'était d'une évidence aveuglante : Lucas, à présent, ne pouvait pas le laisser en vie, c'était impossible.

Il se dit enfin qu'Otto avait dû être arrêté, que tout était vraiment foutu et qu'il y avait eu assez de carnage comme ça.

Le pitt-bull continuait à s'égosiller en tirant sur sa chaîne, au bord de l'étranglement.

Marc Bireau, sous les yeux épouvantés de Frédéric et Pauline, sortit son RMR Spécial Police de sous sa veste.

L'arme toussa deux fois et le monstre cessa

d'aboyer. Satan, le chien rendu fou par un dressage très spécial, était mort.

Les yeux égarés de Marc Bireau effleurèrent les adolescents.

— Ne bougez pas, dit-il. Et, son arme dans la main droite, il jaillit hors

du baraquement.

Plaqué au sol, juste contre la portière droite de la R 18, son arme de service au poing, Boris sentait pleuvoir autour de lui du verre Sécurit comme de minuscules confetti scintillants. Les balles des deux tueurs aux crânes rasés rugis- saient pas très loin de lui, frappant le ciment qu'ils détachaient avec des petits bruits mats. De temps en temps, il essayait de riposter en essayant de les attéindre aux jambes. Il y avait énormément de questions qu'il voulait leur poser et il tenait à les avoir vivants.

Soudain, il vit surgir, derrière les skins, la silhouette de Marc Bireau. Il ne voyait pas son visage mais il discerna le geste de son bras droit qui se levait. Il se dit que le jeune stagiaire arrivait en renfort pour le canarder.

Le RMR de Bireau toussa et l'un des skins fit en l'air un bond de dix centimètres avant de retomber, visage contre terre, sans le moindre cri.

Déjà l'autre skin, en poussant un rugissement, pivotait dans la direction de Bireau, derrière lui.

Corentin essaya d'empêcher l'inévitable. Il visa le tueur au crâne rasé et fit feu. Le projectile de son RMR l'atteignit au

moment où le skin lâchait une rafale de pistolet mitrailleur en direction de Marc Bireau.

Les deux adversaires s'effondrèrent face à face en même temps.

Après tout ce bruit et cette fureur, un extraor- dinaire silence s'abattit immédiatement sur le cimetière de voitures.

CHAPITRE XVIII

Par une de ces brusques sautes d 'humeur dont le c l imat parisien est coutumier, le temps avait soudain changé. Il pleuvait. La neige avait fondu à toute allure et les eaux grossies de la Seine commençaient à noyer les voies sur berge.

Une moi teur presque écœurante enveloppait Paris mais ici, dans la minuscule loge de Julia, boulevard Rochechouart , il faisait bon et chaud. Ins ta l l é sur l ' un ique chaise du local, Boris a l luma une Gallia.

L 'endroi t était exigu mais f inalement tout à fait sympathique. Cinq minutes auparavant , une superbe Noire, une collègue de Julia, avait fait i r rupt ion pour lui demander une cigarette et elle étai t restée à la fumer en par lant de choses et d 'autres avec une grande décontraction malgré sa nudi té totale et ça avait fait comme des chatouillis dans la moelle épinière de Boris.

Ma in tenan t , sur scène, Jul ia achevai t son numéro dans des rafales violentes de rock. Dans un instant, elle allait le rejoindre.

On éta i t le 10 janvier . Ces derniers jours

a v a i e n t été b ien r e m p l i s : i n t e r roga to i r e s , confrontations, dépositions, rapports.

— Ce qui m 'embête , c'est qu'on ne saura probablement jamais qui était vraiment le cer- veau de tou te l ' o p é r a t i o n , ava i t m u r m u r é Charlie Badolini quand Corentin avait déroulé devant lui le récit de l'affaire.

Il y avait eu des tas de morts. Une vraie hécatombe. D'abord Gérard Klem, cet aiguilleur du ciel choisi au hasard comme première vic- time. Puis les autres, Marcelin Albi et Alexandre Zuckerman... Et enfin ces deux tueurs au crâne rasé. Et puis le policier stagiaire Marc Bireau, qui au dernier moment avait essayé de se rache- ter et l 'avait payé de sa vie. Et puis Otto Portex, le photographe de Charmes, le thorax défoncé par une camionnette. Quant aux adolescents, Pauline et Frédéric, ils faisaient figure de mira- culés au milieu de cette boucherie. Leur retour à Bordeaux n 'avait pas dû être de tout repos, mais ça valait quand même mieux que le destin qui leur était réservé par les deux skins...

In terrogée elle aussi bien sûr, Julia avai t raconté tout ce qu'elle savait. C'est-à-dire l'af- faire du reportage photos qui devait paraî t re dans le prochain numéro du magazine où tra- vaillait Otto. Corentin lui avait reproché de ne pas lui en avoir parlé, lors de leur première rencontre, chez elle.

— Si tu étais venu me voir ce soir-là, à Pigalle, comme tu me l 'avais promis, je t 'aurais tout dit, avait-elle murmuré avec des reproches dans la voix.

Elle avait bien une petite idée sur l 'identité du cerveau qui avait dirigé toute l 'opération, et

c'était exactement la même que celle de Boris Corentin.

C'était aussi celle de Charlie Badolini. — Mais, avait ajouté le chef de la Brigade

Mondaine, il y a des gens contre lesquels il vaut mieux ne pas parler sans preuves et celui auquel nous pensons tous est de ceux-là.

Personne ne prononça donc le nom de Lucas. Certes, la presse nota que les deux tueurs abat- tus, les deux skins, avaient jadis appartenu à rUAF, mais ils en avaient été virés depuis long- temps et aucun parti ne peut être tenu pour responsable des crimes commis par ses anciens militants.

— Un jour, je lui porterai le coup de grâce, avait murmuré Julia, avec de la haine dans la voix.

— Un homme politique n'est jamais fini sauf s'il est mort, avait répliqué Boris Corentin.

La piste sanglante s'était arrêtée net. Rien ne permettrait probablement jamais de remonter jusqu'à Philippe Lucas.

Boris se leva et s'étira. Depuis la veille, Aimé Brichot était réapparu au Quai des Orfèvres et Corentin avait retrouvé son coéquipier de tou- jours, son plus vieil ami.

— Je mentirais si je ne disais pas que tu m'as manqué, lui avait avoué Boris.

— Pourquoi ? avait demandé Brichot qui ignorait tout des derniers événements. Mon rem- plaçant ne faisait pas l'affaire ?

Et Boris lui avait longuement expliqué le déroulement de son enquête et la façon dont il avait fini par comprendre que son coéquipier stagiaire, Marc Bireau, était ce qu'il est convenu d'appeler une « brebis galeuse »...

Un tonnerre d'applaudissements, dans la salle du Crazy Girls, lui fit relever la tête. L'instant d'après, Julia surgissait dans la loge, magnifi- que, ruisselante de sueur, plus monumentale et voluptueuse que jamais.

Elle se précipita sur lui. — Vite, roucoula-t-elle. Si tu savais ce que j'ai

envie que tu me baises, Boris ! Elle se laissa tomber sur le matelas de repos

qui recouvrait presque la moitié du plancher de la loge.

— Baise-moi, souffla-t-elle. Baise-moi le plus fort que tu pourras. Tu ne sais pas ce que ça me fait, de m'exhiber devant tous ces types qui bandent en me regardant...

Il recula, effaré par l'ardeur de la volcanique strip-teaseuse.

— Je ne suis pas venu pour ça ! bafouilla-t-il. Il avait simplement quelques petits complé-

ments d'information à demander à la jeune femme.

— Quoi ? rugit Julia en se relevant. En la voyant se précipiter sur lui, il pivota et

battit en retraite vers la porte de la loge. — Reviens ici ! glapit Julia. Mais déjà il était sur le trottoir du boulevard

Rochechouart. — Reviens ! cria encore la strip-teaseuse. Il hésita un instant. Julia était belle, désirable.

Mais s'il avait cédé à ses avances l'autre jour, chez elle, c'était pour les besoins de l'enquête. Pas question de remettre ça...

Il entendit du bruit dans son dos. La jeune femme surgissait, presque nue, dans l'entrebâil- lement de la porte.

— Reviens ! cria-t-elle encore.

Alors il se mit à courir tandis que, derrière lui, la voix de la jeune femme s'éraillait.

— Dégonflé ! Minable ! Boris s 'arrêta au premier carrefour, juste

devant l'échoppe d'un marchand de marrons. Il en acheta un sachet et, tandis que le marchand lui rendait la monnaie, une grande fille blonde vêtue d'un tailleur couleur feuille morte sous un long manteau de fourrure se rapprocha. Son regard très bleu croisa celui de Boris puis se détourna.

— La même chose, demanda-t-elle au mar- chand.

Puis son regard revint vers Boris et, cette fois, carrément, elle lui sourit.

« Dégonflé ? pensa Boris qui avait encore dans les oreilles la voix indignée de Julia. On va voir si je suis dégonflé ! »

Et, se rapprochant de la jeune femme blonde, il lui demanda si elle était libre pour dîner, ce soir.

— Non, fit-elle sans cesser de sourire. Je suis prise.

Elle laissa passer une seconde. Puis : — Avec vous, termina-t-elle d'une voix rauque

et chaude.

Pour essayer de mieux vous satisfaire, les PRESSES DE LA CITE sollicitent votre concours en vous deman-

dant de bien vouloir répondre à ce questionnaire : Pour répondre, cochez d 'une croix, la case de votre

réponse :

1 - □ Etes-vous un homme ? □ Une femme ?

2 - Quel âge avez-vous ? 3 - Habitez-vous

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4 - Où avez-vous acheté votre dernier BRIGADE MONDAINE ? □ Grande surface □ Gare ou aéroport □ Kiosque de presse □ Librairie tradit ionnelle

5 - Lisez-vous régulièrement un journal quotidien ? □ Oui □ Non

6 - Si oui, lequel ?

7 — Lisez-vous un grand magazine (hebdo, TV, men- suel) ? □ Oui □ Non

8 - Si oui, lequel ? 9 - Ecoutez-vous la radio ?

□ Tous les jours □ Parfois □ Jamais 10 - Si oui, écoutez-vous ?

□ R.M.C. □ Europe I □ R.T.L. □ France Inter □ Radios Libres

11 - Avez-vous déjà entendu les spots publicitaires de nos c a m p a g n e s r a d i o c o n c e r n a n t BRIGADE MON- DAINE ? □ Oui □ Non