corbin, h. et eliade, m., À propos des conférences eranos, ascona, tip. bettini & co., 1968

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Page 1: CORBIN, H. et ELIADE, M., À propos des Conférences Eranos, Ascona, Tip. Bettini & Co., 1968

HENRY CORBIN ET MIRCEA ELIADE

À PROPOS DES

CONFÉRENCES

ERANOS

Page 2: CORBIN, H. et ELIADE, M., À propos des Conférences Eranos, Ascona, Tip. Bettini & Co., 1968

HENRY CORBIN

LE TEMPS D' ERANOS

Le plus souvent, celui qui évoque Eranos s'entendposer des questions de ce genre: Qu'est-ce donc queEranos? Comment est constitué le cercle 'd' Eranos, 1' Era-nos-Kreis? Quels sont ses travaux et qu'est-ce qui lesinspire? (1)

Les pages qui suivent, peuvent répondre au moinsindirectement à ces questions. Elles furent écrites à lademande de la Bollingen Foundation, comme préface dela traduction anglaise du vingtième volume de l' EranosJahrbuch. (2)

L'auteur a essayé d'y exprimer quelque chose d'é-prouvé en commun, non seulement par ceux qui avecle cours des années sont 'devenus plus particulièrementles supports de l'esprit d'Eranos, mais par tous ceux qui,à un moment ou l'autre, à un degré d'intensité variantavec les personnes, n'ont pas refusé l'aventure spiri-tuelle qui se joue autour ou au coeur de chaque sessionde l' Eranos - Kreis. Si dans les pages qui suivent, certai-nes lignes semblent vibrer, peut-être, sous un coupd'archet trop vigoureux, que l'on veuille bien expres-sément se souvenir de l'intention qui les motiva.

1) L'un de nous, Adolf Portmann, professeur de zoologie à l'Université deBâle, a excellemment formulé le sens des tâches passées et à venir d'Eranos:Adolf Portmann, Yom Sinn und Auftrag der Eranos Tagungen. ( Eranos-Jahrbuch XXX, 1961 Rhein Verlag, Zurich )2) Man and Tinte, Papers from the Eranos-Yearbooks edited by Joseph Camp-bell, vol 3 (Bollingen Series XXX, 3). 1957 (Princeton University Pressand Routledge & Kegan Paul, London). Notre texte français original a étépublié dans le recueil In memoriam du Dr Roger Godel: Roger Godel, del ' humanisme à l 'humain. Paris, Belles-Lettres, 1953.

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Que des hommes de science, représentant les spécia-lités les plus diverses, et venant de tous les horizonsgéographiques, aient rendez-vous chaque année à Asco-na, au bord du Lac Majeur, ce n'est point, bien entendu,ce trait extérieur qui fait l'originalité de leur rencon-tre. Cette originalité se dévoile seulement à qui encomprend l'esprit.

Pour faire comprendre cet esprit, peut-être suffira-t-il de dire qu'en partant de son domaine de recherchespropres, le souci dominant auquel obéit chacun desconférenciers (une dizaine en général), est d'exposer cequi lui apparaît essentiel pour l'homme à la quête dela connaissance de soi-même, c'est-à-dire pour la va-lorisation plénière de toutes les expériences humainesayant une signification permanente, éternelle. Toutesles conférences s'ordonnent à un même centre: cetteimage ce soi-même que l'homme découvre dans sonpropre Univers. Et cette „ordination” s'accomplit dansla liberté spirituelle absolue, sans présupposition dog-matique, de quelque nature que ce soit. D'où, sans autreentente préalable qu'un thème général proposé un anà l'avance, se renouvelle chaque année l'instant privi-légié d'une convergence, d'un paroxysme, qui opère ladouble rencontre, à la fois scientifique et humaine,aussi bien entre les conférenciers qu'entreeux-mêmeset les auditeurs.

Et leur conviction à tous est que les volumes del'Eranos-Jahrbuch qui forment déjà une bibliothèque, pro-longeront leur message au-delà de la génération quiles aura produits.

II est possible que dans un siècle ou deux, un peuplus ou un peu moins, quelque historien des idées, s'il

en existe encore, ou quelque étudiant en mal dek thèse,découvre dans le phénomène Eranos au XXe siècle, lesujet rêvé d'une monographie. Celle-ci ressemblerapeut-être à tant d'autres qui depuis l'avènement de lacritique historique ont été consacrées aux „écoles”, aux„courants d'idées” du passé, pour en montrer les „cau-ses”, en expliquer les „influences”, les „migrations desmotifs”, etc.

Mais, il est à craindre que s'il se contente de, prati-quer à son tour une méthode scientifique qui aura eutoutes les vertus, sauf la vertu initiale qui eût été defonder son objet en reconnaissant la manière dont ellecommence par se le donner à elle-même, — i] est àcraindre que notre historien futur manque complète-ment le phénomène Eranos. Peut-être pensera-t-il l'avoir„expliqué” par une dialectique des causes, ingénieuseet profonde. En revanche, il n'aura pas pressenti quele vrai problème eût été de découvrir non pas ce l7ui ex-plique Eranos, mais ce que Eranos explique en Ivértu dece qu'il implique: par exemple, l'idée d'une communautévraie, rassemblant orateurs, et auditeurs, communautési paradoxale qu'elle n'offre aucun des caractères aux-quels s'intéressent les statistiques et la sociologie.

C'est pourquoi, si l'on évoque ici l'éventualité denotre historien futur, ce n'est nullement par ! vanitéd'une gloire anticipée, mais plutôt avec la crainte quel'âme d'Eranos ne se perde un jour dans cette aventure.S'il n'eût été touché par cette crainte, celui que l'onpressentit pour remplir un rôle de soliste en tête duprésent volume (1), se fût fait scrupule de se détacher1) 1l s'agit, on le rappelle, du volume Man and Tinte, désigné -dessusdans la note 2, page 1.

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ainsi du choeur de ses confrères. Mais il s'est convaincud'une chose. Tout ce volume est consacré à la questiondu temps, que chacun de nous a envisagée sous l'anglede ses méditations habituelles. Or, s'il est vrai que touten expliquant les choses et les êtres par leur temps, leshistoriens comme tels n'ont guère l'habitude de com-mencer par s'interroger sur la nature du temps histo-rique, il y a peut-être dans le thème de ce volume lameilleure mise en garde contre l'équivoque d'une for-mule tendant à expliquer Eranos „ par son temps”.

Il conviendrait de méditer ce que peuvent signifierces mots: le temps d'Eranos. Car l'on n'expliquera pasEranos en disant que ce fut un phénomène „bien de sontemps”, c'est-à-dire du temps de tout le monde, suivantla formule qui apporte tant d'apaisement aux confor-mismes inquiets ou hâtifs. Il ne semble pas du toutqu'Eranos ait jamais eu le souci „d'être de son temps”.Ce à quoi, en revanche, il aura peut-être réussi, c'està être son temps, son propre temps. Et c'est en étantson temps propre, qu'il aura réalisé son propre sens,en acceptant volontiers de paraître à contre-temps.Ce ne sont pas certaines choses qui donnent son sensà Eranos; c'est plutôt Eranos qui donne leur sens à cesautres choses. Comment dès lors, faut-il concevoir quece soit non pas „en étant de son temps”, comme disenttant de braves gens, mais en étant soi-même son temps,que chacun explicite et accomplit son propre sens ?Est-il possible de l'esquisser en un très bref rappel ?

Pourquoi notre hypothétique historien futur se met-tant en devoir d'expliquer Eranos par les circonstances,les „courants” et „influences” de l'époque, en manque-rait-il le sens et l'essence, la „raison séminale” ? Pour

la même raison qui fait, par exemple, que la premièreet ultime explication des diverses familles gnostiquesévoquées dans le présent livre, ce sont ces gnostiqueseux-mêmes. On pourrait supposer toutes les circon-stances favorables, opérer toutes les déductions pos-sibles, on ne raisonnerait jamais que dans l'abstrait,s'il n'y avait le fait premier et singulier des consciencesgnostiques. Ce ne sont point les „grands courants” quiles suscitent et les font se rencontrer; ce sont elles quifont qu'il y ait tel ou tel courant et qui en opèrent larencontre.

Aussi est-il probable que le mot „ fait”, tel qu'onvient de l'employer, ne signifie pas exactement ici ceque le langage commun de nos jours a l'habitude d'en-tendre par ce mot; il signifierait plutôt ce à quoi lelangage commun l'oppose, lorsqu'il distingue les per-sonnes et les faits, les hommes et les événements. Pournous le fait premier et dernier, l'événement initial etultime, ce sont précisément ces personnes, sans les-quelles n'adviendrait jamais quelque chose que nousappelons „événement”. Il faut donc renverser les pers-pectives de l'optique vulgaire, substituer l'herméneu-tique de l'individuel humain à la pseudo-dialectiquedes faits, acceptée partout et par tous aujourd'huicomme une évidence objective. C'est qu'en effet il afallu que l'on commence par s'abandonner à la „con-trainte des faits”, pour imaginer en eux une causalitéautonome qui les „explique”. Or „expliquer”, cela neveut pas encore dire forcément „comprendre”. Com-prendre, c'est plutôt „impliquer”. On n'explique pasle fait initial dont nous parlons, car il est individuel etsingulier, et l'individuel ne peut être déduit ni expli-

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qué: individuum est inefabile.

En revanche, c'est l'individuel qui nous explique,lui, quantité de choses, à savoir toutes les choses qu'ilimplique et qui n'auraient pas été sans lui, s'il n'avaitcommencé à être. Pour qu'il nous les explique il faut lecomprendre, et comprendre c'est percevoir le sens dela chose même, c'est-à-dire comment sa présence dé-termine une certaine constellation des choses, qui dèslors eût été tout autre si d'abord il n'y avait eu cetteprésence. C'est là tout autre affaire que de déduire lachose de relations causales présupposées, c'est-à-direde la ramener à autre chose qu'elle-même. Et c'est làsans doute que l'on accusera le plus volontiers le con-traste avec nos habitudes de pensée en vigueur, cellesque représentent toutes les tentatives de philosophiede l'histoire ou de socialisation des consciences: l'ano-nymat, la dépersonnalisation, l'abdication de la volontéhumaine devant le réseau dialectique qu'elle a com-mencé par tisser elle-même, pour tomber dans sonpropre piège.

Ce qui concrètement existe, ce sont des volontéset des rapports de volonté: volonté qui défaille, vo-lonté impérieuse ou impérialiste, volonté aveugle, vo-lonté sereine et consciente d'elle-même. Mais cesvolontés ne sont pas des énergies abstraites. Ou plutôtelles ne sont et ne désignent rien d'autre que les sujetsvolontaires eux-mêmes, ceux dont l'existence réellepostule que l'on reconnaisse l'individu et l'individuelcomme la première et seule réalité concrète. J'admet-trai volontiers être ici en affinité avec un aspect de lapensée stoïcienne, car précisément un des symptômescaractéristiques dans l'histoire de la philosophie en

Occident, n'est-il pas l'effacement des prémisses stoï-ciennes (1) devant la dialectique issue du péripaté-tisme? La pensée stoïcienne est herméneutique; elle eûtrésisté à toutes les constructions dialectiques qui pè-sent sur nos représentations les plus courantes: enhistoire, en philosophie, en politique. Elle n'eût pascédé à la fiction des „grands courants”, du „sens del'histoire”, des „volontés collectives”, dont aussi bienpersonne ne peut dire au juste quel est le mode d'être.

C'est qu'en dehors de la première et ultime réalitéqui est l'individuel, il n'existe que des manières d'être,par rapport à l'individu lui-même ou par rapport à cequi l'entoure, et cela veut dire des attributs n'ayantaucune réalité substantielle en eux-mêmes, si on lesdétache de l'individu ou des individus qui en sont lesagents. Ce que nous appelons les „événements ” , ce sontégalement les attributs de sujets agissants; ils ne sontpas de l'être, mais des manières d'être. Comme actionsd'un sujet, ils sont exprimés dans un verbe; or unverbe ne prend de sens et de réalité que par le sujetagissant qui le conjugue. Les événements, psychiquesou physiques, ne prennent d'existence, ne „prennentcorps” que par la réalité qui les réalise et dont ilsdérivent, et cette réalité ce sont les sujets individuelsagissants, lesquels les conjuguent „à leur temps”, leurdonnent leur propre temps, qui est toujours par essencele temps présent.

Ainsi donc, détachés du sujet réel qui les réalise,les faits, les événements ne sont que de l'irréel. Tel estl'ordre qu'il a fallu renverser pour aliéner le sujet

1) Voir l'excellent livre de Victor Goldschmidt, Le système stoïcien etl ' idée du temps. Paris, J. Vrin, 1953.

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réel, pour donner en revanche toute la réalité auxfaits, pour parler de la loi, de la leçon, de la matéria-lité des faits, bref nous laisser prendre au réseau d'ir-réels construit par nous-mêmes et dont le poids retombesur nous sous forme de l'Histoire, comme la seule„objectivité” scientifique que nous puissions concevoir,comme la source d'un déterminisme causal dont l'idéene serait jamais venue à une humanité qui eût con-servé le sentiment du sujet réel. Détachés de celui-ci,les faits „ se passent”. Il y a du passé, et du passé „dé-passé”. D'où les ressentiments contre le joug du passé,les illusions progressistes et inversement les com-plexes réactionnaires.

Cependant, passé et futur, eux aussi, sont des attri-buts exprimés par des verbes; ils présupposent le sujetqui conjugue ces verbes, un sujet pour qui et par qui leseul temps existant est le présent , et chaque fois leprésent. Dimensions du passé et du futur sont aussibien chaque fois mesurées et conditionnées par la ca-pacité du sujet qui les perçoit, par son instant. Ilssont à la dimension de cette personne, car il dépendd'elle, de l'ampleur de son intelligence et de sa gé-nérosité de coeur, d'embrasser la totalité de la vie,totius vitae cursum, de totaliser, d'impliquer en elle-mêmeles mondes en reculant jusqu'à l'extrême limite ladimension de son présent. C'est cela comprendre, et c'esttout autre chose que de construire une dialectique descauses ayant fini d'exister dans le passé. C'est „inter-préter” des signes, non plus expliquer des faits maté-riels, mais des manières d'être qui révèlent les êtres.L'herméneutique comme science de l'individuel s'op-pose à la dialectique historique comme aliénation dela personne.

Passé et futur deviennent ainsi des signes, parce queprécisément un signe est perçu au présent. Il faut quele passé soit „mis au présent” pour être perçu comme„faisant signe” (si la blessure, par exemple, est unsigne, c'est qu'elle indique non pas qu'un tel a été blessé,

dans un temps abstrait, mais qu'il est ayant été blessé).L'authentique dépassement du passé ne peut être quesa „mise au présent” comme signe. Et je crois que l'onpeut dire que toute l'oeuvre d'Eranos est en ce sens unemise au présent. Ni le contenu de ce livre-ci, ni celui desvingt-quatre autres volumes déjà parus (1), n'offrentle caractère d'un simple dictionnaire historique. Tousles thèmes traités y prennent la valeur de signes. Et s'ilest vrai que, même un jour à venir, l'acte d'Eranos dontl'initiative persévère depuis vingt-cinq ans (2), ne pour-rait être „expliqué” en le déduisant simplement decirconstances qui autoriseraient l'historien à dire qu'il„fut bien de son temps”, c'est parce qu'Eranos est lui-même un signe. Il ne peut et ne pourra être comprisque si on 1' interprète comme un signe, c'est-à-direcomme une présence remettant sans cesse et chaquefois „au présent”. Il est son temps parce qu'il met auprésent, de même que chaque sujet agissant est sontemps, c'est-à-dire une présence qui met au présenttout ce qui se rapporte à elle. Une présence active netombe pas „dans son temps”, c'est-à-dire qu'elle n'estpas „de son temps”, au sens de la formule simplistequi croit expliquer un être en le situant dans un tempsabstrait qui est le temps de „tout le monde”, et partantn'est le temps de personne.

1) En cette année 1968, trente-six volumes.2) Depuis trente-cinq ana, en cette année 1968.

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En bref, tout le constraste est là. Avec des signes,avec des „hiérophanies” et des théophanies, on ne faitpas de l'Histoire. Ou plutôt alors, le sujet qui est à lafois l'organe et le lieu de l'histoire, c'est l'individualitépsycho-spirituelle concrète. La seule „causalité histo-rique”, ce sont les rapports de volonté entre les sujetsagissants. Les „faits” sont chaque fois une création nou-velle: il y a discontinuité entre eux. D'où percevoirleurs connexions, ce n'est pas formuler des lois nidéduire des causes., mais comprendre un sens, interpré-ter des signes, une structure d'ensemble. Aussi conve-nait-il que fût au centre du présent livre l'esquissede C.G. Jung sur la synchronicité, parce qu'elle estelle-même au centre d'une nouvelle problématique dutemps. Percevoir une causalité dans les „faits” en lesdétachant des personnes, c'est rendre possible sansdoute une philosophie de l'Histoire, c'est affirmer dog-matiquement ce sens rationnel de l'Histoire sur lequelnos contemporains ont construit toute une mythologie.Mais c'est alors réduire le temps réel au temps phy-sique abstrait, essentiellement quantitatif, celui de l'ob-jectivité des calendriers profanes dont ont disparu lessignes qui donnaient une qualification sacrale à chaqueprésent.

11 nous reste à prendre mieux conscience de l'abdi-cation du sujet s'aliénant ainsi lui-même dans l'His-toire objective. Il aura fallu préalablement que lesévénements cessent d'être perçus au plan des signes,pour être ramenés au plan des données. Les signes ontété ainsi laïcisés. Mais il aura fallu que toute notrethéologie prépare elle-même, par une inconsciente etfatale complicité, la laïcisation dont elle est victime.

Le sens de l'Histoire: plus n'est besoin de la naissanced'un Dieu dans la chair pour le faire découvrir. Unephilosophie de çlasse prétend le 'détenir et l'imposer,parce qu'elle n'est après tout qu'une théologie laïquede l'Incarnation sociale.

La caricature de notre propre image (Ivan Kara-mazov se contemplant dans le miroir) nous inspired'autant plus d'effroi, que nous n'avons précisément àlui opposer que nos propres traits qu'elle nous réflé-chit caricaturés. Or, on ne rivalise pas avec et contreune socialisation scientifique, matérialiste et athée,par un conformisme de braves gens ne trouvant dejustification à leur être que dans leur activité sociale,ni de fondement à leur connaissance que dans les„sciences Sociales”. Le non qu'il s'agit de clamer, pro-cède d'un autre impératif. Il puise son énergie à l'é-clair dont la verticale conjoint le Ciel à la Terre, nonpas à quelque ligne de force horizontale se perdantdans un illimité d'où ne se lève aucun sens. Car cequ'on appelle „évolution” n'aurait de sens qu'à l'é-chelle cosmique; mais nos philosophies sont trop sé-rieuses pour prendre à leur propre compte cette curio-sité tout au plus excusable chez des Gnostiques etdes Orientaux !

Et pourtant, que l'on veuille bien s'arrêter un ins-tant à la signature de ces quelques pages. Avec unnom de lieu elle porte une double date incorporanttrois calendriers; une date de l'ère chrétienne, une dateiranienne où le nom officiel du mois correspond à cet-lui du calendrier de l'ancienne Perse préislamique,tandis que le millésime est celui de l'hégire solaire(tout le reste de l'Islam, en dehors de l'Iran, comptant

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en années lunaires). C'est un simple exemple. S'ima-gine-t-on que la mise en concordance de ces ères, leurmise ensemble „au présent”, leur conjugaison au pré-sent, peut résulter d'une simple équation mathémati-que, à l'aide d'une table de concordances ? On répon-dra oui, si l'on a la naïveté de supposer que tous leshumains ont partout le même âge, les mêmes désirs,les mêmes aspirations, le même sens des responsabi-lités, et que la bonne volonté et une bonne hygiènesuffiraient à les mettre d'accord dans le cadre dutemps objectif abstrait, le temps mathématique uni-forme de l'Histoire universelle.

Mais l'on répondra certainement non, si l'on a lesentiment aigu des différences, le souci des droits dupluralisme contre tout monisme, que celui-ci soit bienintentionné ou qu'il soit brutal et inavoué. Ce dont ils'agit, c'est d'un rapport entre temps qualitatifs. L'Occi-dental peut être de beaucoup l'aîné, et il peut êtresouvent le cadet de l'Oriental, selon le domaine oùils se rencontrent. Mais il est peut-être vrai aussi queseul l'Occidental soit à même de sécréter l'antidote,et d'aider l'Oriental à surmonter la crise spirituelleque l'impact de l'Occident a provoquée chez lui, et quia déjà ruiné à jamais plusieurs civilisations tradi-tionnelles.

Par ce simple exemple, on entrevoit la vraie tâchedont nous n'avons peut-être pas même commencé deprendre conscience. Il s'agit de percevoir ensemble lesmêmes signes; il s'agit pour chacun de nous de les in-terpréter chaque fois selon le sens de son être propre,mais il s'agit aussi d'en constituer une herméneutiqueconcordante, comme jadis s'accordaient les quadruples

et les septuples sens des Ecritures sacrées. Pour cela,il importe de ne plus s'enfuir dans un temps abstrait,le temps des collectivités anonymes, mais de retrouverle temps subjectif concret, le temps des personnes. Etce n'est là, en son fond, qu'ouvrir la source vive de lasympathie inconditionnée, préexistante à notre proposdélibéré et conscient, la sympathie qui opère le grou-pement des humains, et qui fait d'eux, elle seule, des„contemporains ” .

Ce que nous voudrions appeler le sens d' Eranos, etqui est aussi tout le secret d'Eranos, c'est qu'il est notreêtre au présent, le temps que nous agissons personnel-lement, notre manière d'être. C'est pourquoi nous nesommes peut-être pas „de notre temps”, mais noussommes beaucoup mieux et plus : nous sommes notretemps. Et c'est pourquoi Eranos n'a même pas de déno-mination officielle, ni de raison sociale collective. Cen'est ni une Académie, ni un Institut, pas même quel-que chose que l'on puisse, suivant le goût du jour, dé-signer par des initiales. Non, ce n'est vraiment pas unphénomène „de notre temps”. Et c'est pourquoi il estcapable de mettre en déroute le futur historien dia-lectique et déductif. Il n'intéressera pas même les ama-teurs de statistiques, les sondeurs d'opinions.

Si l'on veut à tout prix des courbes et des graphi-ques, je ne connais qu'une référence: la grande pla-nisphère que le Dr. Daniel Brody, notre courageuxéditeur, eut l'idée de déployer sur les murs de l'expo-sition commémorant le vingtième anniversaire de1'Eranos•Jahrbuch dans les locaux du Rhein-Verlag, à Zu-rich. Planisphère sillonnée de lignes multicolores, abou-tissant toutes au même centre: un point invisible sur

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l'immensité de la carte, Ascona, sur les rives du LacMajeur. Le profane y eût immédiatement pressentiquelque chose de familier: les courbes indiquant lesparcours d'avions, les lignes de grands trafics. Etpourtant elles n'annonçaient rien de tout cela, maissimplement le parcours de chacun de nous, depuis lesdifférents points du monde, vers le centre qui nousréunit. Ces lignes n'avaient aucun sens statistique:elles étaient des signes, le signe fait à chacun de nous,et par chacun de nous.

De la réponse à ce signe résulte le concours d'in-dividualités agissantes, autonomes, révélant et expri-mant chacune, dans une liberté totale, leur manièrede penser et d'être originale et personnelle, en dehorsde tout dogmatisme et de tout académisme; une con-stellation de ces volontés, et une constellation desinondes qu'elles apportent avec elles, qu'elles ont prisen charge, en les mettant au présent, le présent d'Eranos.Un ensemble, une structure, non pas un résultat con-ditionné par les lois de l'époque ni les engouements àla mode, mais un ensemble fort de sa seule normeintérieure et centrale: une volonté féminine généreuse,énergique, tenace, celle de Mme Olga Froebe-Kapteyn,invitant chaque année, autour d'un thème nouveau,à une création nouvelle.

Et c'est pourquoi tous ceux-là même qui au sens dulangage courant „ne sont plus”, ne cessent cependantd'être présents au présent d'Eranos. Un travail immenses'est fait. Des essais, des oeuvres, ont vu le jour, desoeuvres qui peut-être n'auraient pas fait éclosion, si'rnnps ne les eût mises au présent. Son sens finalement:

celui d'une symphonie dont l'exécution serait reprise

chaque fois en sonorités plus amples et plus profondes,— celles d'un microcosme dont on ne peut attendreque le monde lui ressemble, mais dont on peut espérerque l'exemple se propage dans le monde.

Téhéran, 21 décembre 1956.30 Azar 1335.(Moscia, septembre 1966).

En 1962 Olga Froebe-Kapteyn quittait ce monde.Mais avant sa mort elle avait pris soin d'assurer lacontinuation d'Eranos en créant la „Fondation Eranos”dont les responsables devaient être Adolf Portmannet Rudolf Ritsema, familiers tous deux, depuis de nom-breuses années, des rencontres d'Eranos et très prochesde Madame Froebe-Kapteyn. La Fondation permitainsi de maintenir le cadre et les ressources d' Eranos,

et d'assurer les rencontres annuelles en conservantl'esprit dans lequel Madame Froebe_Kapteyn les avaitinstituées. En outre, une fondation auxiliaire a étéétablie, sous la dénomination Amis d'Eranos. Elle a pourbut d'assurer les ressources financières qui permet-tront le maintien des rencontres d' Eranos dans les an-nées à venir.

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MIRCEA ELIADE

RENCONTRES A ASCONA

On sait qu'une des caractéristiques d'Eranos, à Asco-na, est que les conférenciers ne s'adressent pas à unauditoire de spécialistes. Mais ils ne font pas non plusce qu'on appelle oeuvre de „vulgarisation”; ils n'ex-posent pas les derniers progrès obtenus dans les dif-férents domaines de la science. L'originalité d'Eranostient surtout au fait que les conférenciers arrivent àse débarrasser aussi bien de leur timidité que de leurscomplexes de supériorité. Les conférenciers, bien que„spécialistes” dans un seul secteur de la science, serendent compte qu'ils ont tout intérêt à se familiariseravec les méthodes appliquées et les résultats obtenusdans d'autres champs de recherches. Et cela, non paspar simple curiosité ou par le désir d'un encyclopé-disme naïf, mais parce qu'Eranos, à Ascona, est un deslieux privilégiés où l'on prend conscience des vraiesdimensions de la culture. Tôt ou tard, tout savant de-vra affronter ce problème et connaître par sa propreexpérience ce que veut dire être „culturellement créa-teur”. Or, il n'y a pas de culture possible sans untravail soutenu d'intégration dans une perspectiveunitaire des progrès marqués dans les différents do-maines de la recherche. Plus encore: il n'y a pas deculture véritable si, en fin de compte, les créationsqui la constituent ne se réfèrent pas à l'homme et àsa destinée.

Tout cela paraît tellement évident qu'on n' osepresque pas le rappeler de peur de répéter un truïsme.

Et pourtant, pendant de nombreuses années, certainesdisciplines qui étudiaient les expériences les plus pro-fondes de la psyché humaine et leurs expressionsculturelles, se sont développées parallèlement sansque leurs résultats se soient intégrés et articulés, envue d'une connaissance plus exacte et plus complètede l'homme. Les études d'histoire des religions, d'eth-nologie, de paléo-ethnologie et d'orientalisme ont ra-rement été regardées comme des phases, distinctes mais

solidaires, d'une même recherche. C'est seulement dansles tout derniers temps qu'on a commencé à considérerces disciplines comme susceptibles de révéler des si-tuations existentielles de l'homme dignes d'intéressernon seulement le psychologue et le sociologue, maisaussi le philosophe et le théologien.

C'est peut-être le plus grand mérite d' Eranos quede provoquer et d'encourager les rencontres et le dia-logue entre les représentants des différentes scienceset disciplines .de l'esprit. C'est grâce à de telles ren-contres qu'une culture peut se renouveler en élargis-sant courageusement son horizon. A Ascona ce sontsurtout les psychologues des profondeurs, les orienta-listes et les ethnologues intéressés à l'histoire des re-ligions qui se sont rapprochés et ont collaboré avecle plus de succès. Cela s'explique peut-être par lefait que, chacune de ces disciplines implique la ren-contre et la confrontation avec un monde inconnu.étrange, voire „dangereux”. Dangereux puisque sus-ceptible de menacer l'équilibre spirituel de l'Occidentmoderne. Certes, la confrontation avec ces mondeétranges ne comporte pas toujours le même degrédedanger, car certains étaient déjà connus depuis quelque

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temps. Ainsi, par exemple, les études des orientalistesavaient peu à peu familiarisé l'Occident avec l'excen-tricité et le fabuleux des sociétés et des cultures asia-tiques. Mais l'ethnologue découvrait des mondes spi-rituels obscurs et mystérieux, un univers qui, mêmes'il n'était pas le produit d'une mentalité pré-logique,comme le croyait Lucien Lévy-Bruhl, n'en était pasmoins étrangement différent du paysage culturel fa-milier aux Occidentaux.

Evidemment, c'était surtout la psychologie des pro-fondeurs qui révélait le plus de terrae ignotae, et, parle fait même, donnait lieu aux confrontations les plusdramatiques. On pourrait comparer la découverte del'inconscient aux découvertes maritimes de la Renais-sance et aux découvertes astronomiques rendues possi -

bles par l'invention du télescope. Car chacune de cesdécouvertes mettait au jour des mondes dont on nesoupçonnait même pas l'existence auparavant. Cha-cune effectuait une sorte de „rupture de niveau”, ence sens qu'elle brisait l'image traditionnelle du mondeet révélait les structures d'un Univers jusqu'alors ini-maginable. Or, de telles „ruptures de niveau” ne sontpas restées sans conséquence. On sait que les décou-vertes astronomiques et géographiques de la Renais-sance ont modifié radicalement l 'image de l'Universet le concept de l'espace; en outre, elles ont assuré,pour au moins trois siècles, la suprématie scientifique,économique et politique de l'Occident, tout en ouvrantla voie qui mène fatalement vers l'unité du monde.

Les découvertes de Freud constituent égalementune „ouverture” ; mais cette fois-ci il s'agit d'une„ouverture” vers les mondes submergés de l'incon-

scient. La technique psychanalytique inaugurait unnouveau type de descensus ad inferos. Lorsque Jung dé-cela l'existence de l'inconscient collectif, l'explorationde ces trésors immémoriaux — les mythes, les sym-boles, les images de l'humanité archaïque — commençaà ressembler aux techniques océanographiques etspéléologiques. De même que les plongées dans lesprofondeurs marines ou les expéditions aux fonds descavernes avaient mis au jour des organismes élémen-taires, depuis longtemps disparus de la surface de laTerre, de même les analyses rapportaient des formesde la vie psychique profonde, auparavant inaccessiblesà l'étude. La spéléologie mettait à la disposition desbiologues des organismes tertiaires et même secon-daires, des formes zoomorphiques primitives qui ne

sont pas fossilisables, c'est-à-dire, des formes qui avaientdisparu de la surface de la Terre sans laisser de traces.Par la découverte des „fossiles vivants”, la spéléologieavançait considérablement la connaissance des moda-lités archaïques de la vie. De même, les modalitésarchaïques de la vie psychique, les „fossiles vivants”enfouis dans les ténèbres de l'inconscient, devenaientmaintenant accessibles à l'étude grâce aux technique:élaborées par les psychologues des profondeurs.

On comprend alors pourquoi les rencontres d'Asco-na sont si stimulantes : les spécialistes de différent:mondes „étranges”, „exotiques” ou „insolites”, peu-vent s'y entretenir longuement sur l'efficacité de leur:méthodes, la valeur de leurs découvertes et la signi.fication de leurs aventures culturelles. Chacun de ce,spécialistes a consacré sa vie à l'étude d'un mondfnon-familier, et ce qu'il a appris dans ce long com

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merce avec les „autres” le force de modifier radica-lement les clichés traditionnels sur l'homme, la reli-gion, la raison, la beauté. Ces découvertes et ces con-frontations font d'ailleurs partie du Zeitgeist. L'essord'Eranos a coïncidé avec le réveil politique et culturelde l'Asie et, surtout, avec l'entrée des peuples exoti-ques et primitifs dans l'Histoire. La rencontre avecles „autres” — qui constitue en quelque sorte le signesous lequel s'est développé Eranos — est devenu, aprèsla deuxième guerre mondiale, une fatalité de l'Histoire.

A un certain moment, les membres d'Eranos ontsenti qu'un nouvel humanisme serait susceptible de sedessiner à la suite de telles rencontres,. Des phéno-mènes similaires étaient d'ailleurs en train de se pré-ciser dans d'autres parties du monde. Il n'est pasquestion de présenter ici, en quelques lignes, un pro-cessus culturel extrêmement complexe, et difficilementsaisissable, qui est encore in statu nascendi. Disons seu-lement qu'à Ascona, chacun des conférenciers sentque sa création scientifique gagne une nouvelle et plusprofonde signification dans la mesure où il s'efforcede la présenter comme une contribution à la con-naissance de l'homme. D'autre part, on se rendre compteque ce nouvel humanisme en train de naître, ne peutpas être une réplique de l'ancien. Eranos a amplementdémontré la nécessité d'intégrer les résultats desorientalistes, des ethnologues et des historiens des re-ligions, afin d'arriver à une connaissance intégralede l'homme.

Mais il y a autre chose encore, et peut-être est-cele plus important. Les recherches des psychologuesdes profondeurs, des ethnologues, des orientalistes,

des historiens des religions, ont continuellement misen lumière l'intérêt humain, la „vérité” psychologiqueet la valeur spirituelle de nombre de symboles, demythes, de figures divines et de techniques mystiques,attestés aussi bien chez les Européens et les Asiatiquesque chez les „primitifs”. De tels documents humainsavaient été étudiés auparavant avec le détachementet l'indifférence avec lesquels les naturalistes du XIXesiècle croyaient qu'on devait étudier les insectes. Main-tenant, on a commencé à se rendre compte que cesdocuments expriment des situations existentielles, que,par conséquent, ils font partie intégrante de l'histoirede l'esprit humain. Or, la démarche appropriée poursaisir le sens d'une situation existentielle n'est pasl',,objectivité" du naturaliste, mais la sympathie in-telligente de l'herméneute. C'était la démarche même qui

devait être changée. Car, même le comportement le plusétrange, ou le plus aberrant, doit être considéré entant que fait humain; on ne le comprend pas si on leconsidère comme un phénomène zoologique ou un castératologique.

Approcher un symbole, un mythe ou un comporte-ment archaïque en tant qu'expression de situationsexistentielles, c'est déjà leur conférer une dignité hu-maine et une signification philosophique. Cela auraitsemblé absurde et ridicule aux yeux d'un savant duXIXe siècle. Pour un tel savant la „sauvagerie

” ou la„stupidité primordiale” ne pouvait représenter qu'unephase embryonnaire et, par conséquent, aculturellede l'humanité.

Si le plus modeste mythe archaïque méritait d'êtreregardé comme partie intégrante de l'histoire de l'es-

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prit, la place des mystiques et des contemplatifs detoutes les religions ne pouvait être que considérable.L'intérêt pour les disciplines spirituelles et les techni_ques mystiques — spécialement celles, assez peu étu-diées, de l'Orient et du monde primitif — a constitué,dès le début, un des traits caractéristiques d' Eranos.Certes, un tel intérêt risquait parfois d'être mal inter-prété par les personnes non-averties et d'être confonduavec l'engouement suspect pour l',,occulte", spécifi-quement propre aux pseudo-morphoses modernes etaux innombrables mouvements de „spiritualité” bonmarché. Mais, on le sait, il n'existe pas un seul sujetd'étude qui ne soit „compromis”, ou „compromettant”,à un certain moment de l'histoire.

Pour les membres d' Eranos, l'intérêt exceptionneldes disciplines spirituelles et des techniques mystiquesdépend du fait qu'elles constituent des documentssusceptibles de révéler une dimension de l'existencehumaine presqu'oubliée, ou complètement défigurée,dans les sociétés modernes. Toutes ces disciplines spi-rituelles et ces techniques mystiques ont une valeurinestimable parce qu'elles représentent des conquêtesde l'esprit humain qui ont été négligées ou contestéesau cours de l'histoire récente de l'Occident, mais quin'ont perdu ni leur grandeur ni leur utilité.

Or, le problème se pose déjà, et se posera avecune acuité de plus en plus dramatique, aux chercheursde la prochaine génération : comment trouver lesmoyens de récupérer tout ce qui est encore récupé-rable dans l'histoire spirituelle de l'humanité ? Et cecipour deux raisons principales: 1) d'une part, l'hommeoccidental ne pourra pas vivre indéfiniment séparé

d'une partie importante de soi-même, celle qui estconstituée par des fragments d'une histoire spirituelledont il est incapable de déchiffrer la signification etle message; 2) tôt ou tard, le dialogue avec les „autres”— les représentants des cultures traditionnelles, asia-tiques et „primitives ” — 'doit être amorcé non plusdans le langage empirique et utilitaire d'aujourd'hui(et qui n'est capable de viser que des réalités sociales,économiques, politiques, sanitaires, etc.), mais dansun langage culturel, susceptible d'exprimer desréali-tés humaines et des valeurs spirituelles. Un tel dia-logue est inévitable; en somme, il fait partie de lafatalité de l'histoire. Ce serait une tragique naïvetéde croire qu'il peut se continuer indéfiniment au ni-veau mental où il se trouve aujourd'hui. C'est pourquoil'un des buts des conférences d'Eranos fut et reste dedévelopper ce dialogue avec les „autres”. Par là même,Eranos contribue, modestement mais de façon signifi-cative, au travail d'intégration dont dépend la for-mation de la psyché moderne.

Octobre 1960

Cet essai a été publié en traduction anglaise comme préface à Spiritual

Disciplines, Papers from the Eranos Yearbooks 4, Bollingen Series XXX, 41960 (Princeton University Press et Routledge & Kegan Paul, London).

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LES CONFÉRENCES D' ERANOS 1943

Cultes solaires et symbolisme de la lumière dans lagnose et le christianisme primitif.

1933

Yoga et méditation en Orient et en Occident. 1944

Les Mystères.

1934 - 1935

Symbolisme et direction spirituelle en Orient et enOccident.

1936 - 1937

Formes et aspects de l'idée de salut en Orient et enOccident.

1938

Figure et culte de la Grande Mère (Magna Mater).1949

1939 L' Homme et le monde du mythe.

Le Symbolisme de la nouvelle naissance dans l'ima-gination religieuse des peuples à différentes époques. 1950

L' Homme et le rite.1940 - 1941

Trinité, symbolisme chrétien et gnose. 1951

L' Homme et le temps.1942

1945

L' Esprit.

1946

L' Esprit et la nature.

1947 - 1948

L' Homme.

Le Principe hermétiste dans la mythologie, la gnoseet l'alchimie.

1952

L' Homme et l'énergie.

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1953

L' Homme et la terre.

1954

L' Homme et les mutations.

1955

L' Homme et la sympathie de toutes choses.

1956

L' Homme et le principe créateur.

1957

L' Homme et le problème de la signification.

1958

L' Homme et la paix.

1959

Le Renouveau de l'homme.

1960

L' Homme et la naissance des formes.

1961

L' Homme dans le conflit des structures.

1962

L' Homme créant et subissant son oeuvre.

1963

De 1' Utopie.

1964

Le Drame humain dans le monde des idées.

1965

La Forme: une tâche de l'esprit.

1966

Activité créatrice et naissance des formes.

1967

Polarité de la vie.

1968

Tradition et temps présent.

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LES CONFÉRENCIERS D' ERANOSde 1933 à 1968

Charles R. C. Allberry

Leo Baeck

Hans Bânziger

Julius Baum

Charlotte A. Baynes

Louis Beinaert

Ernst Benz

Rudolf Bernoulli

Martin Buber

Ernesto Buonaiuti

Frederik J.J. Buytendijk

M. Cari v. Cammerloher

Joseph Campbell

Chung-Yuan Chang

Paul Citroen

Vera Chr. C. Collum

Henry Corbin

Walter Robert Corti

Jean Daniélou

Th.-Wilhelm Danzel

Martin C. D'Arcy

Bernard Delfgaauw

Friederich Dessauer

Gilbert Durand

Robert Eisler

Mircea Eliade

Markus Fierz

Joseph Gantner

Erwin R. Goodenough

Pierre Hadot

J. Wilhelm Hauer

Friedrich Heiler

P. Hendrix

Gustav-Richard Heyer

James Hillman

Helmut Hoffmann

Gerald Holton

Stanley R. Hopper

Toshihiko Izutsu

Helmuth Jacobsohn

Edwin Oliver James

Adolf E. Jensen

Cari Gustav Jung

Werner Kaegi

Hans Kayser

Karl Kerényi

Max Knoll

Wilhelm Koppers

Joseph Bernhard Lang

John Layard

Gerardus van der Leeuw

Hans Leisegang

Karl L5with

Louis Massignon

Paul Masson-Oursel

Fritz Meier

Pierre-Jean de Menasce

Reinhold Merkelbach

Siegfried Morenz

Paul Mus

Georges Hermann Nagel

Erich Neumann

Walter F. Otto

Paul Pelliot

Raffaele Pettazzoni

Charles Picard

Helmuth Plessner

Adolf Portmann

Laurens van der Post

Emil Preetorius

Ira Progoff

Jean Przyluski

Henri-Charles Puech

Max Pulver

Gilles Quispel

Paul Radin

Hugo Rahner

Kathleen Raine

Herbert Read

Karl Reinhardt

C. A. F. Rhys Davids

Erwin Rousselle

S. Sambursky

Karl Ludwig Schmidt

Paul Schmitt

Herbert Schneider

Gershom Scholem

Erwin Schrôdinger

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Andreas Speiser

Sigrid Strauss-Kloebe

Daisetz Teitaro Suzuki

Richard Thurnwald

Paul Tillich

Giuseppe Tucci

Séndor Végh

Charles Virolleaud

Boris Vysheslavtzeff

Wladimir Weidlé

J. G. Weiss

R. J. Zwi Werblowsky

Hermann Weyl

Victor White

Lancelot Law Whyte

Hellmut Wilhelm

Walter Wili

Swami Yatiswarananda

R. C. Zaehner

Heinrich Zimmer

Victor Zuckerkandl

Le texte complet de toutes les conférences est publiédans les langues respectives (allemand, anglais oufrançais) dans les volumes annuels de l' ERANOSJAHRBUCH. Tous les volumes depuis 1933 sont envente chez l'éditeur Rhein Verlag, Zurich, Suisse etdans les grandes librairies.

Sur demande nous enverrons une brochure avec latable complète de tous les volumes de 1' Eranos Jahr-buch. Veuillez vous adresser à Rudolf Ritsema, CasaEranos, CH-6612 Ascona, Suisse.

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