impacts des changements climatiques dans les pays en ......département des sciences et gestion de...

12
Impact des changements climatiques dans les pays en développement In : Refonder les politiques de développement: Les relations Nord-Sud dans un monde multipolaire. Zacharie A. (Ed.), 2010. Eds. La Muette, Bruxelles, Belgique. 1 Impact des changements climatiques dans les pays en développement Pierre Ozer 1 Département des Sciences et Gestion de l’Environnement, Université de Liège Résumé Le réchauffement planétaire est un enjeu global. Nous retraçons ci-après les évidences scientifiques des tendances passées et à venir avant de nous recentrer sur les conséquences du changement climatique pour les pays en développement. Il est évident que les effets des bouleversements climatiques seront beaucoup plus marqués dans les pays les plus vulnérables tant leurs possibilités d’adaptation sont limitées. L’exemple des pays du Sahel est mis en exergue pour montrer l’ampleur de la problématique par rapport à laquelle les pays développés ont une très grande part de responsabilités, historique, actuelle et très certainement à venir. 1 Contact: Pierre Ozer, +32 (0) 498387905, [email protected]

Upload: others

Post on 17-Jun-2020

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Impacts des changements climatiques dans les pays en ......Département des Sciences et Gestion de l’Environnement, Université de Liège Résumé Le réchauffement planétaire est

Impact des changements climatiques dans les pays en développement In : Refonder les politiques de développement: Les relations Nord-Sud dans un monde multipolaire.

Zacharie A. (Ed.), 2010. Eds. La Muette, Bruxelles, Belgique. 1

Impact des changements climatiques dans les pays en développement

Pierre Ozer1 Département des Sciences et Gestion de l’Environnement, Université de Liège

Résumé Le réchauffement planétaire est un enjeu global. Nous retraçons ci-après les évidences scientifiques des tendances passées et à venir avant de nous recentrer sur les conséquences du changement climatique pour les pays en développement. Il est évident que les effets des bouleversements climatiques seront beaucoup plus marqués dans les pays les plus vulnérables tant leurs possibilités d’adaptation sont limitées. L’exemple des pays du Sahel est mis en exergue pour montrer l’ampleur de la problématique par rapport à laquelle les pays développés ont une très grande part de responsabilités, historique, actuelle et très certainement à venir.

                                                                 

1 Contact: Pierre Ozer, +32 (0) 498387905, [email protected]

Page 2: Impacts des changements climatiques dans les pays en ......Département des Sciences et Gestion de l’Environnement, Université de Liège Résumé Le réchauffement planétaire est

Impact des changements climatiques dans les pays en développement In : Refonder les politiques de développement: Les relations Nord-Sud dans un monde multipolaire.

Zacharie A. (Ed.), 2010. Eds. La Muette, Bruxelles, Belgique. 2

Les changements climatiques observés et les effets constatés

Le réchauffement du système climatique est sans équivoque. On note déjà, à l’échelle du globe, une hausse des températures moyennes, une élévation du niveau moyen de la mer, et une fonte massive de la neige (Figure 1).

Figure 1 : Variations observées a) de la température moyenne à la surface du globe, b) du niveau moyen de la mer à l’échelle du globe, selon les données recueillies par les marégraphes (en bleu) et les satellites (en rouge), et c) de la couverture neigeuse dans l’hémisphère Nord en mars–avril. Tous les écarts sont calculés par rapport aux moyennes pour la période 1961-1990. Les courbes lissées représentent les moyennes décennales, et les cercles correspondent aux valeurs annuelles. Les zones ombrées représentent les intervalles d’incertitude (GIEC 2007).

Les dix années les plus chaudes depuis 1850, date à laquelle ont débuté les relevés instrumentaux de la température à la surface du globe, ont été observées au cours des douze dernières années (1997-2008) (CRU 2009). L’augmentation des températures au cours des cent dernières années (1906–2005) atteint 0,74 °C. Les températures ont augmenté presque partout dans le monde, quoique de manière plus sensible aux latitudes élevées de l’hémisphère Nord.

L’élévation du niveau de la mer concorde avec le réchauffement. Sur l’ensemble de la planète, le niveau moyen de la mer s’est élevé de 1,3 mm/an depuis 1870, de 1,8 mm/an depuis 1961 et de 3,1 mm/an depuis 1993, sous l’effet principal de la dilatation thermique mais aussi de la fonte des

Page 3: Impacts des changements climatiques dans les pays en ......Département des Sciences et Gestion de l’Environnement, Université de Liège Résumé Le réchauffement planétaire est

Impact des changements climatiques dans les pays en développement In : Refonder les politiques de développement: Les relations Nord-Sud dans un monde multipolaire.

Zacharie A. (Ed.), 2010. Eds. La Muette, Bruxelles, Belgique. 3

glaciers, des calottes glaciaires et des nappes glaciaires polaires. Le phénomène semble donc s’accélérer (GIEC 2007).

La diminution observée de l’étendue des zones couvertes de neige et de glace concorde elle aussi avec le réchauffement. Les données satellitaires dont on dispose depuis 1978 montrent que l’étendue annuelle moyenne des glaces a diminué de 2,7% par décennie dans l’océan Arctique. Les glaciers et la couverture neigeuse occupent une moins grande superficie dans les deux hémisphères (GIEC 2007).

Entre 1900 et 2005, les précipitations ont fortement augmenté dans l’est de l’Amérique du Nord et du Sud, dans le nord de l’Europe et dans le nord et le centre de l’Asie, tandis qu’elles diminuaient au Sahel, en Méditerranée, en Afrique australe et dans une partie de l’Asie du Sud. Il est probable (probabilité de 66% à 90%) que la sécheresse ait progressé à l’échelle du globe depuis les années 1970 (GIEC 2007).

Il est très probable (probabilité de 90% à 95%) que les journées froides, les nuits froides et le gel ont été moins fréquents sur la plus grande partie des terres émergées depuis cinquante ans et que le nombre de journées chaudes et de nuits chaudes a, au contraire, augmenté. De plus, la fréquence des vagues de chaleur sur la majeure partie des terres émergées, des précipitations extrêmes dans la plupart des régions et des élévations extrêmes du niveau de la mer dans le monde entier s’est probablement accrue (probabilité de 66% à 90%) (GIEC 2007).

Il est très probable (probabilité de 90% à 95%) que les températures moyennes dans l’hémisphère Nord ont été plus élevées pendant la seconde moitié du XXe siècle que durant n’importe quelle autre période de cinquante ans au cours des cinq derniers siècles, et il est probable (probabilité de 66% à 90%) qu’elles ont été les plus élevées depuis 1 300 ans au moins (GIEC 2007).

 

Les causes de l’évolution du climat

Les variations de la concentration de gaz à effet de serre (GES) et d’aérosols dans l’atmosphère, de la couverture végétale et du rayonnement solaire modifient le bilan énergétique du système climatique.

Les émissions mondiales de GES imputables aux activités humaines n’ont cessé d’augmenter depuis l’époque préindustrielle. Depuis 1750, sous l’effet des activités humaines, les concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone (CO2), de méthane (CH4) et d’oxyde nitreux (N2O) –les trois principaux GES (Figure 2)– se sont fortement accrues (Figure 3). Elles sont aujourd’hui bien supérieures aux valeurs historiques déterminées par l’analyse de carottes de glace. Ainsi, en 2005, les concentrations atmosphériques de CO2 (379 ppm) et de CH4 (1774 ppb) ont largement excédé l’intervalle de variation naturelle des 650 000 dernières années. La cause première de la hausse de la concentration de CO2 est l’utilisation de combustibles fossiles (pétrole, gaz, charbon) et, dans une moindre mesure, le changement d’affectation des terres. Il est très probable (probabilité de 90% à 95%) que l’augmentation observée de la concentration de CH4, constituant principal du gaz naturel, provient principalement de l’agriculture, de l’élevage et de l’utilisation de combustibles fossiles. Quant à la hausse de la concentration de N2O, elle est essentiellement due à l’agriculture (gestion des sols et des effluents d’élevage), même si l’épuration des eaux usées, la combustion des

Page 4: Impacts des changements climatiques dans les pays en ......Département des Sciences et Gestion de l’Environnement, Université de Liège Résumé Le réchauffement planétaire est

Impact des changements climatiques dans les pays en développement In : Refonder les politiques de développement: Les relations Nord-Sud dans un monde multipolaire.

Zacharie A. (Ed.), 2010. Eds. La Muette, Bruxelles, Belgique. 4

combustibles fossiles et les procédés de l’industrie chimique jouent également un rôle important à cet égard. On peut avancer avec un degré de confiance très élevé que les activités humaines menées depuis 1750 ont eu pour effet net de réchauffer le climat. Il est par contre très improbable (probabilité inférieure à 10%) que la variabilité naturelle puisse expliquer le réchauffement climatique actuel. Au contraire, à lui seul, le forçage total produit par l’activité volcanique et les fluctuations du rayonnement solaire depuis cinquante ans aurait probablement dû refroidir le climat (probabilité de 66% à 90%). Seuls les modèles qui tiennent compte des forçages anthropiques parviennent à simuler correctement les configurations du réchauffement observées et leurs variations (GIEC 2007).

Figure 2: Parts respectives des différents GES anthropiques dans les émissions totales de 2004 (GIEC 2007).

Page 5: Impacts des changements climatiques dans les pays en ......Département des Sciences et Gestion de l’Environnement, Université de Liège Résumé Le réchauffement planétaire est

Impact des changements climatiques dans les pays en développement In : Refonder les politiques de développement: Les relations Nord-Sud dans un monde multipolaire.

Zacharie A. (Ed.), 2010. Eds. La Muette, Bruxelles, Belgique. 5

    

Les changements climatiques projetés et les effets attendus

La poursuite des émissions de GES au rythme actuel ou à un rythme plus élevé devrait accentuer le réchauffement et modifier profondément le système climatique au XXIe siècle. Il est très probable (probabilité de 90% à 95%) que ces changements seront plus importants que ceux observés pendant le XXe siècle. En effet, un réchauffement de minimum 0,2 °C par décennie au cours des vingt prochaines années est anticipé dans plusieurs scénarios d’émissions. Par ailleurs, même si les concentrations de l’ensemble des GES et des aérosols avaient été maintenues aux niveaux de 2000, l’élévation des températures se poursuivrait à raison de 0,1 °C environ par décennie durant le XXIe siècle (GIEC 2007).

Parmi les changements anticipés à l’échelle régionale, les scénarios indiquent une contraction de la couverture neigeuse, une augmentation d’épaisseur de la couche de dégel dans la plupart des régions à pergélisol (sol dont la température reste égale ou inférieure à 0°C toute l’année) et une diminution de l’étendue des glaces de mer. Selon certaines projections, les eaux de l’Arctique seraient pratiquement libres de glace à la fin de l’été d’ici la deuxième moitié du XXIe siècle (GIEC 2007).

Figure 3 : Concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone (CO2), de méthane (CH4) et d’oxyde nitreux (N2O) durant les 10 000 dernières années (grands graphiques) et depuis 1750 (médaillons). Les mesures proviennent des carottes de glace (symboles de couleurs différentes correspondant aux diverses études) et d’échantillons atmosphériques (lignes rouges). Les forçages radiatifs correspondants par rapport à 1750 sont indiqués sur les axes à droite des grands graphiques (Giec 2007).

Page 6: Impacts des changements climatiques dans les pays en ......Département des Sciences et Gestion de l’Environnement, Université de Liège Résumé Le réchauffement planétaire est

Impact des changements climatiques dans les pays en développement In : Refonder les politiques de développement: Les relations Nord-Sud dans un monde multipolaire.

Zacharie A. (Ed.), 2010. Eds. La Muette, Bruxelles, Belgique. 6

Par ailleurs, une hausse de la fréquence des températures extrêmement élevées, des vagues de chaleur et des épisodes de précipitations extrêmes est très probable (probabilité de 90% à 95%). Avec ce même niveau de probabilité, une augmentation des précipitations aux latitudes élevées et, au contraire, une diminution sur la plupart des terres émergées subtropicales, conformément aux tendances relevées à la fin du XXe siècle, devrait se produire. Les zones tropicales devraient connaître une augmentation probable (probabilité de 66% à 90%) de l’intensité des cyclones. Notons également que l’on estime avec un degré de confiance élevé que, d’ici le milieu du siècle, le débit annuel moyen des cours d’eau et la disponibilité des ressources en eau augmenteront aux hautes latitudes et dans certaines régions tropicales humides, alors qu’elles diminueront dans certaines régions sèches des latitudes moyennes et des tropiques (GIEC 2007). Bon nombre de zones semi-arides souffriront d’une baisse des ressources en eau imputable aux changements climatiques, ce qui accentuera les processus de désertification (Zeng et Yoon 2009).

Avec un degré de confiance élevé (au moins 9 chances sur 10 de tomber juste), il apparaît que les effets du réchauffement climatique ne vont pas seulement se limiter à la seule augmentation des aléas naturels d’origine climatique mais vont avoir des incidences planétaires sur nos sociétés (Figure 4).

Ainsi, les ressources en eau font se raréfier dans les régions où elle fait déjà souvent défaut, essentiellement dans les pays du Sud. En conséquence, sans nous projeter dans un siècle mais plutôt avec une vision à court terme, le GIEC (2007) estime que 75 à 250 millions de personnes supplémentaires devraient souffrir d’un stress hydrique2 accentué par les changements climatiques en Afrique subsaharienne d’ici 2020 ; et que ce chiffre devrait être trois fois supérieur en Asie.

Les impacts du réchauffement climatique hypothèqueront la survie de certains écosystèmes comme la contraction des zones humides, l’extension des zones arides ou la forte mortalité des coraux entraînant de la sorte un risque d’extinction accru pour 30% des espèces de la planète, ceci étant estimé pour une augmentation de température de 2°C par rapport à la moyenne 1980-1999 (GIEC 2007).

La production alimentaire sera fortement impactée, surtout pour les petits producteurs pratiquant une agriculture de subsistance. Ainsi, dans certains pays africains, les rendements de l’agriculture pluviale pourraient chuter de 50 % d’ici 2020 avec un accès à la nourriture fortement diminué dans de nombreux pays impliquant de lourdes conséquences en matière de sécurité alimentaire et de malnutrition. Dès à présent, il est malheureusement démontré que les rendements des principales cultures au Sahel se sont dégradés au cours de ces dernières décennies à cause de l’action combinée de l’augmentation des températures et de l’aridification croissante (Ben Mohamed et al. 2002 ; Van Duivenbooden et al. 2002). Ces mêmes évolutions climatiques affectent négativement les pâturages et, de facto, l’élevage, dans différentes parties du globe très vulnérables telles que le Sahel ou la Mongolie (Erdenetuya 2004 ; Hountondji et al. 2009). De manière plus globale, il est établi que les rendements de grandes cultures telles que le maïs et le blé seront affectées plus rapidement et plus durement dans les basses latitudes, au contraire des moyennes et hautes latitudes qui bénéficieront du réchauffement. Ainsi, pour une augmentation de 2°C, le maïs subira une réduction de rendement de 5% dans les pays en développement alors que l’augmentation sera de l’ordre de 3% dans les pays

                                                                 

2 Une population est soumise à un stress hydrique lorsque la nécessité d’une alimentation en eau douce assurée par prélèvement d’eau est un frein au développement.

Page 7: Impacts des changements climatiques dans les pays en ......Département des Sciences et Gestion de l’Environnement, Université de Liège Résumé Le réchauffement planétaire est

Impact des changements climatiques dans les pays en développement In : Refonder les politiques de développement: Les relations Nord-Sud dans un monde multipolaire.

Zacharie A. (Ed.), 2010. Eds. La Muette, Bruxelles, Belgique. 7

développés. Par contre, pour une augmentation de 4°C, la baisse sera supérieure à 20% dans les régions tropicales et les rendements seront inchangés dans les moyennes et hautes latitudes. Le constat est plus accablant encore lorsque l’on considère le blé. Pour une augmentation de 2°C, les rendements seront inchangés dans le Sud, mais connaîtront une augmentation de 15% dans le Nord. Pour une augmentation de 4°C, les pertes de rendement seront de l’ordre de 30% dans les basses latitudes contre une légère amélioration dans les moyennes et hautes latitudes (Parry et al. 2007).

Les régions littorales, notamment dans les zones deltaïques densément peuplées et à faible énergie de relief, seront fortement impactées par l’augmentation du niveau de la mer combinée à la subsidence des sols, à la rupture d’approvisionnement en sédiments par les fleuves à cause des barrages qui stockent les alluvions, à la dégradation de la végétation littorale naturelle (mangrove) et à l’approvisionnement à même la plage en sable pour la construction. Dans ce cas également, les pays en développement sont beaucoup plus vulnérables car les infrastructures pour contrer le recul des côtes sont inexistantes et ont un coût important. Depuis 2008, et jusque 2050, les Pays-Bas allouent une somme d’un milliard d’euros annuellement pour consolider et surélever les digues protectrices. Il en coûte donc aux Pays-Bas 0,2% de son PIB annuel pour entretenir les infrastructures existantes. Par contre, cette même somme représente 2,4% du PIB annuel du Bangladesh pour protéger 22000 km2 de son territoire dont l’altitude ne dépasse pas 1,5 mètre et où vivent 17 millions de personnes ; alors même que les infrastructures de défense sont absentes. Et la situation est bien pire encore en Mauritanie, pays par ailleurs dramatiquement frappé par la désertification, où la capitale Nouakchott concentre 40% de la population nationale dont près de la moitié vit sous le niveau de la mer simplement protégée par un cordon dunaire dont l’épaisseur se contracte chaque année. Là, un milliard d’euros équivaut à 57% du PIB national…

Finalement, la santé publique sera également touchée suite aux vagues de chaleur, aux inondations et aux périodes de sécheresse notamment ; mais aussi à cause de l’aggravation des effets de la malnutrition et à la migration de certains vecteurs pathogènes. Les inégalités Nord-Sud sont flagrantes ici aussi. Si la Belgique dispose de 423 médecins par 100000 habitants, le Burundi n’en a que … 3 (WHO 2008). Par ailleurs, sécheresse et désertification se traduisent par la multiplication des tempêtes de sable dans de nombreuses zones arides du monde, et notamment au Sahel (Ozer 2000). Quel est leur impact sur la santé des populations ? Si il est démontré que la mortalité augmente de près de 10% à Barcelone lors du passage d’une fraction de ces poussières sahariennes, aucune étude n’a encore été entreprise sur le continent africain, pourtant beaucoup plus exposé à ces processus de dégradation de la qualité de l’air (de Longueville et al. 2009).

Ces incidences négatives vont aller crescendo avec l’augmentation des températures globales (Figure 4).

Page 8: Impacts des changements climatiques dans les pays en ......Département des Sciences et Gestion de l’Environnement, Université de Liège Résumé Le réchauffement planétaire est

Impact des changements climatiques dans les pays en développement In : Refonder les politiques de développement: Les relations Nord-Sud dans un monde multipolaire.

Zacharie A. (Ed.), 2010. Eds. La Muette, Bruxelles, Belgique. 8

 

Figure 4 : Exemples d’incidences planétaires anticipées des changements climatiques selon l’ampleur de la hausse de la température moyenne à la surface du globe au XXIe siècle. Les traits noirs relient les diverses incidences entre elles, les flèches en pointillé indiquent que ces incidences se poursuivent avec le réchauffement. La disposition du texte permet de voir approximativement à quel niveau de réchauffement s’amorce l’effet mentionné. Les chiffres relatifs à la pénurie d’eau et aux inondations représentent les répercussions supplémentaires des changements climatiques relativement aux conditions projetées selon divers scénarios. Ces estimations ne tiennent pas compte de l’adaptation aux changements climatiques. Toutes ces incidences sont affectées d’un degré de confiance élevé (GIEC 2007).

La migration comme moyen d’adaptation aux effets des changements climatiques

Il reste à comprendre comment ces populations fragilisées s’adapteront aux effets du changement climatique. Souvent commentée, la stratégie d’adaptation des plus pauvres touchés par des événements climatiques extrêmes (soudains ou lents) ainsi qu’affectés par des processus lents de dégradation environnementale serait la migration. On parlera dès lors des réfugiés climatiques, à savoir les personnes forcées à se déplacer à cause de modifications climatiques (élévation du niveau de la mer, sécheresse, événements climatiques extrêmes, extension des zones désertiques, etc.).

Le nombre de ces réfugiés climatiques, estimé à 20 millions en 2008, est –semble-t-il– appelé à augmenter ces prochaines décennies (Laczko et Aghazarm 2009). Les chiffres les plus souvent avancés présentent une fourchette variant de 200 millions à 1 milliard de réfugiés climatiques d’ici à

Page 9: Impacts des changements climatiques dans les pays en ......Département des Sciences et Gestion de l’Environnement, Université de Liège Résumé Le réchauffement planétaire est

Impact des changements climatiques dans les pays en développement In : Refonder les politiques de développement: Les relations Nord-Sud dans un monde multipolaire.

Zacharie A. (Ed.), 2010. Eds. La Muette, Bruxelles, Belgique. 9

2050 (Myers 2002 ; Christian Aid 2007). Trois facteurs principaux expliquent ce nombre important de personnes contraintes à se déplacer au cours des prochaines décennies : [1] l’augmentation de la dérégulation climatique affectant [2] des zones pauvres non préparées et globalement sans stratégie d’adaptation aux changements dans [3] des régions connaissant un accroissement démographique soutenu.

Pour illustrer le propos, la région sahélienne présente tous les ingrédients pour compter un nombre important de réfugiés climatiques dans les décennies à venir. En effet, la bande sahélienne est affectée depuis des décennies par les processus de désertification qui se traduisent notamment par une dégradation quantitative et qualitative des ressources forestières (Ozer 2004). Ainsi, au Niger, l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) estime que les ressources forestières ont diminué de 37% entre 1990 et 2000 (FAO 2001). Par ailleurs, des inventaires réalisés dans 14 terroirs villageois de la Mauritanie au Tchad montrent que la richesse floristique des formations forestières est restée stable dans deux terroirs et a diminué partout ailleurs jusqu’à 57% (Gonzalez et al. 2004). En outre, sur un total de 123 espèces ligneuses répertoriées dans le Sahel, 20 ont disparu, 79 sont en déclin, 11 sont stables et 13 (dont 11 exotiques) ont progressé durant ces trente à cinquante dernières années (Wezel 2004). Mais la désertification se traduit également par la dégradation des sols. Ainsi, pour nourrir une population sans cesse croissante, les surfaces agricoles cultivées augmentent partout au Sahel, les périodes de jachères diminuent, et les rendements des cultures se dégradent. Ainsi, dans l’est du Niger, Mortimore et ses collègues (2001) ont mis en évidence une augmentation de près de 400% des superficies cultivées de mil entre 1979 et 1998, alors que les rendements se sont réduits d’environ 25%. Ailleurs, dans le sud-ouest du Burkina Faso, Gray et Morant (2003) rapportent que plus de 55% des agriculteurs interrogés estiment que la fertilité de leurs sols a diminué au cours des dernières années, alors qu’aucun d’entre eux ne perçoit une amélioration. La productivité végétale globale s’est dégradée dans 37,8% du Sahel entre 1982 et 1999 malgré un retour progressif de la pluviométrie vers la normale (Hountondji et al. 2009). Notons que le Niger n’est plus autosuffisant depuis 1975 et doit importer chaque année une part croissante de son alimentation (Bost et al. 2009). Par ailleurs, 91% du potentiel total des terres agricoles cultivables au Niger sont actuellement exploités (Brown et al. 2008). Les marges de manœuvres sont donc extrêmement limitées...

D’autre part, le Sahel a toujours vécu des alternances d’années relativement pluvieuses et d’années accusant de lourds déficits pluviométriques. La dernière longue et dramatique période de sécheresse s’est étendue de 1980 à 1987 (Ozer et al. 2003). A cette époque, la population sahélienne d’Afrique de l’Ouest était de 27 millions d’habitants (Tab. 1). Or, l’avenir est plus qu’incertain puisque la majorité de modèles climatiques montre qu’il est fort probable que le Sahel subisse une réduction importante de la pluviosité (qui serait alors équivalente à la sévère sécheresse de l’année 1984), de manière structurelle, dès le milieu du XXIe siècle, du fait du réchauffement climatique (HELD et al. 2005, MILLY et al. 2005). Le problème majeur réside dans le fait que les projections démographiques tablent sur une population sahélienne de 160 millions de personnes à l’horizon 2050 (Tab. 1). Autant dire que ces prévisions, si elles se confirment, ne sont guères réjouissantes. En effet, 74% de la population sahélienne actuelle (62 millions) vit avec moins de 2 US$ (1,4 EUR) par jour et que 17% des sahéliens sont sous-alimentés alors même que les précipitations sont normales (Tab. 1).

Page 10: Impacts des changements climatiques dans les pays en ......Département des Sciences et Gestion de l’Environnement, Université de Liège Résumé Le réchauffement planétaire est

Impact des changements climatiques dans les pays en développement In : Refonder les politiques de développement: Les relations Nord-Sud dans un monde multipolaire.

Zacharie A. (Ed.), 2010. Eds. La Muette, Bruxelles, Belgique. 10

Tableau 1 : Indicateurs socio-économiques des pays sahéliens de l’Afrique de l’Ouest.

Indicateur Sénégal Mauritanie Burkina Faso Mali Niger Population totale (millions) en 1980 ‡

5,6 1,5 6,9 7,2 5,9

Population totale (millions) en 2010 ‡

12,9 3,4 16,3 13,3 15,9

Population totale (millions) en 2050 ‡

26,1 6,1 40,8 28,3 58,2

Population avec moins de 2 US$/jour (%) †

56 63 81 72 86

Population sous-alimentée (%) en 2004-2006 *

25 8 9 10 28

Sources : ‡ FAO (2009a) ; † Bost et al. (2009) ; * FAO (2009b)

Certes, au Sahel, il a été récemment démontré que la majorité des flux migratoires provoqués par les catastrophes naturelles sont avant tout internes et circulaires, une partie des migrants tendant à rejoindre leur région d’origine dès que possible (Henry et al. 2004 ; Brown 2008 ; Laczko et Aghazarm 2009). Les mouvements sont complexes, se faisant tantôt entre zones rurales, tantôt de zones rurales à zones urbaines (Beauchemin et Bocquier 2004 ; Ozer et Ozer 2005). Même si il est estimé que la migration internationale est un mouvement qui requiert une certaine organisation et des ressources dont les personnes qui ont perdu leurs moyens d’existence ont peu de chances de disposer, des zones sensibles potentielles de migration internationale ont néanmoins clairement été identifiées. Ces zones devront généralement faire face simultanément à des défis socio-économiques considérables ainsi qu’à des catastrophes climatiques lentes qui auront définitivement des conséquences sur la sécurité alimentaire. La région sahélienne fait ainsi partie des régions qualifiées de « préoccupantes » par les plus récentes expertises internationales (Laczko et Aghazarm 2009).

Conclusion

Le réchauffement planétaire est un enjeu global. Son origine est clairement anthropique. Cependant, il appert que nous ne sommes pas tous égaux face aux impacts actuels et à venir des changements climatiques. Les plus vulnérables du village planétaire subiront les effets dramatiques tantôt des sécheresses, tantôt des inondations et autres événements climatiques extrêmes, tantôt de l’élévation du niveau de la mer ou encore de l’extension des déserts. Le paradoxe, c’est que les pays responsables de cette situation chaotique sont les plus nantis qui rechignent actuellement à reconnaître leur responsabilité historique dans ces bouleversements. Or, il suffit d’analyser les émissions de CO2 dues à la seule combustion d’énergie fossile qui ont été émises dans l’atmosphère par les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) depuis 1971 pour se rendre compte de la hauteur de leurs responsabilités (IEA 2009). Ainsi, ces pays ont émis 66%, 53% et 45% du CO2 planétaire en 1971, 1990 et 2007 respectivement, alors que la part de leur population n’était de que 23%, 20% et 18%... En d’autres termes, les émissions de CO2 par habitant des pays riches ont été, à ces dates, 6,4 ; 4,5 ; et 3,7 fois supérieures à un habitant

Page 11: Impacts des changements climatiques dans les pays en ......Département des Sciences et Gestion de l’Environnement, Université de Liège Résumé Le réchauffement planétaire est

Impact des changements climatiques dans les pays en développement In : Refonder les politiques de développement: Les relations Nord-Sud dans un monde multipolaire.

Zacharie A. (Ed.), 2010. Eds. La Muette, Bruxelles, Belgique. 11

du « Sud ». Le déséquilibre entre le Nord et le Sud est donc bel et bien gigantesque lorsque l’on considère les causes et les conséquences du changement climatique.

Références

Beauchemin C., Bocquier P., 2004. Migration and urbanization in Francophone West Africa: an overview of the recent empirical evidence. Urban Studies, 41: 2245-2272. Ben Mohamed A., van Duivenbooden N., Abdoussallam S., 2002. Impact of Climate Change on Agricultural Production in the Sahel – Part 1. Methodological Approach and Case Study for Millet in Niger. Climatic Change, 54: 327-348. Bost F., Carroué L., Colin S., Girault C., Le Goix R., Radvanyi J., Sanmartin O., 2009. Images économiques du monde. Géoéconomie – Géopolitique 2010. Armand Colin, Paris. Brown M.E., Funk C.C., Verdin J., Eilerts G., 2008. Response to “Ensuring food security”. Science, 320: 611-612. Brown O., 2008. Migration and climate change. International Organization for Migration Research Series No 31, IOM, Geneva, Switzerland. Christian Aid, 2007. Human Tide: The Real Migration Crisis. Christian Aid Report, May 2007. http://www.christianaid.org.uk/Images/human-tide.pdf CRU (Climate research unit), 2009. Global warming 2009. http://www.cru.uea.ac.uk/cru/info/warming/ De Longueville F., Henry S., Ozer P., 2009. Saharan Dust Pollution: Implications for the Sahel? Epidemiology, 20: 780. Erdenetuya M., 2004. Application of remote sensing in climate change study: vulnerability and adaptation assessment for grassland ecosystem and livestock sector in Mongolia project. AIACC Annual Report, Washington, DC. FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations), 2009a. FAO statistical database. Population statistics updated September 2009. http://faostat.fao.org/ FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations), 2009b. Food security statistics updated November 2009. http://www.fao.org/economic/ess/food-security-statistics/en/ FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations), 2001. State of the world’s forests 2001. Rome, Italy, FAO Forestry Paper No. 140. GIEC, 2007a. Bilan 2007 des changements climatiques. Contribution des Groupes de travail I, II et III au quatrième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). GIEC, Genève, Suisse. http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar4/syr/ar4_syr_fr.pdf Gonzalez P., Sy H., Tucker C.J., 2004. Local knowledge and remote sensing of forest biodiversity and forest carbon across the Sahel. in: The Sahel. Lykke A.M., Due M.K., Kristensen M., Nielsen I. (Eds.), SEREIN Occasional Paper No. 17. Institute of Geography, Copenhagen, Denmark, 23-36. Gray L.C., Morant P., 2003. Reconciling indigenous knowledge with scientific assessment of soil fertility changes in southwestern Burkina Faso. Geoderma, 111: 425-437. Held I.M., Delworth T.L., Lu J., Findell K.L., Knutson T.R., 2005. Simulation of Sahel drought in the 20th and 21st centuries. PNAS, 102: 17891-17896. Henry S., Schoumaker B., Beauchemin C., 2004. The impact of rainfall on the first out-migration: a multi-level event-history analysis in Burkina Faso. Population and Environment, 25: 423-460. Hountondji Y.C., Sokpon N., Nicolas J., Ozer P., 2009. Ongoing desertification processes in the sahelian belt of West Africa: an evidence from the rain-use efficiency. in: Recent Advances in Remote Sensing and Geoinformation Processing for Land Degradation Assessment. Röder A., Hill J. (eds.), ISPRS Series, Taylor and Francis, 173-186. IEA (International Energy Agency), 2009. CO2 emissions from fuel combustion – Highlights 2009. IEA, Paris, France. http://www.iea.org/co2highlights/co2highlights.pdf Laczko F., Aghazarm C., 2009. Migration, environment and climate change: assessing the evidence. International Organization for Migration (IOM), Geneva, Switzerland.

Page 12: Impacts des changements climatiques dans les pays en ......Département des Sciences et Gestion de l’Environnement, Université de Liège Résumé Le réchauffement planétaire est

Impact des changements climatiques dans les pays en développement In : Refonder les politiques de développement: Les relations Nord-Sud dans un monde multipolaire.

Zacharie A. (Ed.), 2010. Eds. La Muette, Bruxelles, Belgique. 12

Milly P.C.D., Dunne K.A., Vecchia A.V., 2005. Global pattern of trends in streamflow and water availability in a changing climate. Nature, 438: 347-350. Mortimore M., Tiffen M., Boubacar Y., Nelson J., 2001. Synthesis of long-term change in Maradi Department, Niger, 1960-2000. Drylands Research Working Paper 39e. Drylands Research, Somerset, UK. Myers N., 2002. Environmental refugees: a growing phenomenon of the 21st century. Philosophical Transactions of the Royal Society B, Biological Sciences, 357: 609-613. Ozer A., Ozer P., 2005. Désertification au Sahel : Crise climatique ou anthropique ? Bull. Séanc. Acad. R. Sc. Outre-Mer, 51: 395-423. Ozer P., 2000. Les lithométéores en région sahélienne: un indicateur climatique de la désertification. GEO-ECO-TROP, Revue internationale d’Ecologie et de Géographie Tropicales, 24: 1-317. Ozer P., 2004. Bois de feu et déboisement au Sahel: mise au point. Science et changements planétaires / Sécheresse, 15: 243-251. Ozer P., Erpicum M., Demarée G. & Vandiepenbeeck M., 2003. The Sahelian drought may have ended during the 1990s. Hydrol. Sc. J., 48: 489-492. Parry M.L., Canziani O.F., Palutikof J.P., van der Linden P.J., Hanson C.E., 2007. Climate Change 2007: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Fourth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge University Press, Cambridge, UK. http://www.ipcc.ch/ van Duivenbooden N., Abdoussallam S., Ben Mohamed A., 2002. Impact of Climate Change on Agricultural Production in the Sahel – Part 2. Case Study for Groundnut and Cowpea in Niger. Climatic Change, 54: 349-368. Wezel A., 2004. Local knowledge of vegetation changes in Sahelian Africa – implications for local resource management. in: The Sahel. Lykke A.M., Due M.K., Kristensen M., Nielsen I. (Eds.), SEREIN Occasional Paper No. 17. Institute of Geography, Copenhagen, Denmark, 37-52. WHO (World Health Organization), 2008. Global Atlas of the Health Workforce. WHO, Geneva, Switzerland. Zeng N., Yoon J., 2009. Expansion of the world’s deserts due to vegetation albedo feedback under global warming. Geophys. Res. Lett., 36, L17401.