la négociation diplomatique

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1 Université de Strasbourg Institut d’Études Politiques de Strasbourg La négociation diplomatique : enjeux, stratégies, normes et langage Robert Yann Mémoire de 4 ème année Direction du mémoire : VAHLAS Alexis, Maître de conférence de droit public juin 2012

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Despre negociere diplomatica, strategie, norme si limbaj. Analiza normativa a negocierilor diplomatice. Actori si obiective.

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    Universit de Strasbourg

    Institut dtudes Politiques de Strasbourg

    La ngociation diplomatique : enjeux, stratgies, normes et langage

    Robert Yann

    Mmoire de 4me anne

    Direction du mmoire : VAHLAS Alexis, Matre de confrence de droit public

    juin 2012

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    L'Universit de Strasbourg n'entend donner aucune approbation ou improbation aux

    opinions mises dans ce mmoire. Ces opinions doivent tre considres comme propres

    leur auteur.

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    Sommaire

    Introduction ........................................................................................................................ 4

    I.Analyse sociologique de la ngociation diplomatique .................................................... 8

    1.Les acteurs et leurs objectifs .................................................................................. 9

    2.Les contextes ........................................................................................................ 14

    3.Les enjeux de la ngociation diplomatique .......................................................... 17

    4.Les stratgies ........................................................................................................ 25

    Conclusion partielle ......................................................................................................... 29

    II.Analyse normative de la ngociation diplomatique ..................................................... 32

    1.La norme et la diplomatie ..................................................................................... 32

    2.La norme et la ngociation ................................................................................... 40

    3.La ngociation diplomatique : entre stratgie et normes, le politique .................. 53

    Conclusion partielle : Quels fondements pour la norme ? ............................................... 57

    III.Le langage, cur de la ngociation diplomatique ....................................................... 59

    1.Le langage : outil stratgique sous contrainte ...................................................... 59

    2.La norme et le langage : la langue diplomatique, reflet des mcanismes des processus de ngociation ......................................................................................... 61

    3.La ngociation diplomatique dans l'agir communicationnel ................................ 63

    Conclusion gnrale ......................................................................................................... 67

    Table des matires ............................................................................................................ 70

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    Introduction

    Il est remarquable de constater que les phnomnes qui nous sont les plus proches sont bien souvent ceux que nous dfinissons le moins. Un flou conceptuel entoure nos motions les plus intimes, nos habitudes les plus anodines et nos ides les plus triviales. Or c'est bien le rle de la pense comme de l'art que d'clairer ces lments, afin d'assurer notre esprit une assise intellectuelle toujours plus importante dans l'existence. C'est dans cette perspective que nous avons abord le phnomne que nous nous proposons d'tudier. L'expression tout est ngociable renvoie en ralit bien plus que ce que sa triviale vnalit laisse supposer. bien considrer nos interactions, la ngociation dispose d'une place prpondrante dans notre quotidien : les priorits, les projets de vacance, les sorties, le salaire, les prrogatives sont ngocis. Mais plus encore, dans une vision largie, le sens est ngoci en permanence : lors d'une conversation, ou lors de la lecture d'un mmoire d'tudiant. C'est ainsi qu'apparat l'tendue relle du phnomne de la ngociation.

    Le Petit Robert 2011 dfinit la ngociation comme une srie d'entretiens, d'changes de vues, de dmarches qu'on entreprend pour parvenir un accord tandis que le Littr (tome 5, 1964) propose l'action d'arranger les diffrends publics et surtout internationaux . Ces deux dfinitions se croisent sans se superposer. La ngociation est assimile un dialogue, un change, une dmarche ou, plus largement, une action ce qui laisse penser qu'il est trs difficile d'apprhender synthtiquement et intuitivement la globalit phnomne. Une telle entreprise de dfinition, malgr tout l'intrt qu'elle reprsente, ne saurait tre traite ici faute de temps et de moyens. Il nous est cependant possible d'ouvrir la brche intellectuelle dans l'hermtisme du concept afin d'clairer le phnomne, au prisme de l'une de ses manifestations. Il s'agit donc de prsenter la ngociation dans une certaine perspective pour en dessiner plus nettement les contours. La perspective cependant ne saurait tre l'apanage d'une seule discipline : une vision strictement sociologique ou linguistique de la ngociation serait redondante avec d'autres travaux et relativement strile intellectuellement ce que nous dmontrerons.

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    Le phnomne de la ngociation pouvant tout d'abord se dcliner selon les individus et les situations par et dans lesquels elle est pratique, nous avons dcid de nous pencher sur l'environnement le plus propice la comprhension de la ngociation par sa distanciation maximale des psychologies individuelles : la ngociation diplomatique. En effet, l'objectivation de cette forme de ngociation par l'institution tatique, le dtachement du caractre et des intrts individuels du ngociateur des buts de la ngociation grce la reprsentativit configuration que l'on ne retrouve que trs peu ailleurs permet d'aborder le phnomne avec une part moindre d'interfrences d'ordre psychologique ou individuel. De plus, les analyses de la diplomatie elle-mme, dont la ngociation constitue une part importante, n'abondent pas et d'autant moins dans une perspective transdisciplinaire. Comme l'affirme C. Villar dans Le discours diplomatique (Paris, L'Harmattan, 2006, p. 18) : le constat du manque de travaux sur la diplomatie apparat redondant travers de nombreux crits . La diplomatie souffre galement d'un flou conceptuel dans sa dfinition. Le Petit Robert (2011) indique qu'il s'agit d'une branche de la politique qui concerne les relations entre les tats ; reprsentation des intrts d'un gouvernement l'tranger, administration des affaires internationales, direction et excution des ngociations entre tats . Le Littr (tome 3, 1963) affirme qu'elle est une connaissance des rapports internationaux, des intrts respectifs des tats ; relations entre les tats entretenues au moyen des ambassadeurs . Notre travail vise donc pallier une double lacune : aborder le phnomne de la ngociation et celui de la diplomatie, chacun l'aune de l'autre, tant chacun profondment reprsentatif de l'autre. La ngociation, comme indique dans la dfinition du Littr, renvoie surtout aux changes de vues internationaux donc la diplomatie. La diplomatie est constitue par l'acte de ngocier, subsidiaire celui de reprsenter un tat, selon le Larousse. La superposition des deux concepts nous offre une possibilit d'approche intressante et surtout signifiante des particularits de chacun de ces concepts pris sparment. La question fondamentale la fois simple par la forme et complexe par le fond s'intitule donc : Qu'est-ce que la ngociation diplomatique ? La mise bout bout des dfinitions linguistiques qui, comme nous l'avons soulign, sont divergentes et lacunaires, n'apportent pas de rponse claire

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    l'interrogation. La ngociation diplomatique peut tre dfinie comme l'action d'arranger les diffrends publics (Littr) dans les reprsentations des intrts d'un gouvernement l'trange, [l']administration des affaires internationales, [la] direction et [l']excution des ngociations entre tats (Larousse), pour garder les dfinitions les plus englobantes. Mais qu'est-ce que l'arrangement de diffrends publics ? Comment amne-t-on les intrts se rencontrer et concider ? Un change de vues n'est-il que l'exposition des intrts ou des revendications ? Dans le cadre de la diplomatie, on peut galement s'interroger sur les conditions de la ngociation : n'est-elle fonde que sur les critres de la puissance et les moyens de nuire ? Qui la mne et dans quelles cas aboutit-elle ? Ces diverses problmatiques trouvent leur sens dans l'origine de leur mergence : la recherche d'une dfinition satisfaisante du phnomne de la ngociation diplomatique.

    La problmatique tablie, nous souhaitons expliciter la mthode utilise pour le raisonnement. Comme expos auparavant, notre travail prtend la transdisciplinarit. Nous considrons que le cloisonnement des savoirs, des mthodologies et des outils conceptuels sont un frein la comprhension totale des phnomnes ; que lorsqu'il s'agit d'une entreprise aussi fondamentale qu'une dfinition, le regard unique qu'apporterait une discipline spare des autres serait ncessairement lacunaire et probablement trs inadquat la richesse relle du phnomne. Nous ne pouvons cependant prtendre la saisie globale et totale de l'objet mais nous nous concentrerons sur les principales disciplines affrant ce sujet. Il y a donc, dans notre mthode, une profonde ncessit d'mettre des considrations pistmologiques et d'articuler le raisonnement autour de ces considrations qui soulveront la fois les limites d'une discipline et ses apports au sujet. La ngociation diplomatique est un champ explor par des spcialistes venus dhorizons pluriels : lconomie industrielle, la thorie des jeux et la micro-conomie, la psychologie sociale, la sociologie des organisations, le droit, lhistoire et la science politique notamment 1. Or nous souhaitons dpasser galement une exposition type catalogue des diffrentes perceptions disciplinaire du phnomne pour tenter

    1 COLSON, Aurlien, De l'Acadmie de Torcy l'Institut diplomatique : pourquoi et comment

    enseigner la ngociation aux diplomates ? Les cahiers Irice 2009/1 (n3).

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    d'unifier les diffrentes thories et approches au sein d'une recherche conceptuelle d'ordre philosophique. La sociologie, la thorie des jeux, le droit, l'histoire, la science politique et la philosophie de l'espace public, de la norme et du langage seront donc mobiliss pour participer l'rection d'un concept complet, unifi et critique relatif au phnomne. Nous aborderons le sujet par l'angle sociologique : la tentative de conceptualisation sociologique de la ngociation en gnral, applique la diplomatie, dmontrera le critre essentiellement stratgique de la ngociation diplomatique. L'analyse bifurquera ensuite vers la question de la norme : le droit, la science politique et la philosophie exposerons la ncessit pour la ngociation diplomatique d'tre fonde sur un horizon de lgitimit : c'est le critre normatif de la ngociation diplomatique. Enfin, afin de dpasser ce qui semble s'instituer comme une dichotomie fondamentale, nous en appellerons la philosophie du langage qui nous mnera une tentative d'unification du concept et de dfinition prcise et suffisante de la ngociation diplomatique.

  • 8

    I. Analyse sociologique de la ngociation diplomatique

    Le corps diplomatique en France jouit gnralement d'un certain rayonnement, d'une aura que lui confre son statut de reprsentant de ltat. C'est l'exemple du diplomate la Ferrero Rocher . Ainsi, la ngociation diplomatique peut tre considre avec les mmes illres, concevant de faon mythique les processus de communication diplomatique. L'apport de la sociologie et d'une analyse qui envisage de faon rigoureuse et prcise les acteurs du monde diplomatique et leurs relations est de dpasser des visions strotypes de la ngociation diplomatique pour les replacer dans un contexte de luttes, d'influences et de forces diverses. Ainsi, fonde sur une analyse historique, l'tude sociologique du phnomne rvle une certaine structure de la ngociation et permet sa comprhension dans une perspective concrte.

    Nous nous proposons ainsi de nous pencher sur les diffrents travaux sociologiques entrepris sur la ngociation qui, ramens au cas des ngociations diplomatiques laide dexemples, nous livreront les fondements pistmologiques de cette approche disciplinaire. Ainsi sagit-il la fois de rvler le caractre novateur et ncessaire dune telle approche, mais galement den souligner les limites : notre analyse sapparente donc une critique pistmologique de la conception sociologique des ngociations diplomatiques.

    Avant danalyser la ngociation elle-mme dans ses processus et procds, il faut dfinir ceux qui sengagent dans le processus de ngociation ainsi que leurs objectifs afin de poser les cadres danalyse pour une comprhension adquat du phnomne dont nous traitons. Cette opration est loin dtre anodine : la dfinition des acteurs et organismes traits est essentielle au travail sociologique. En effet, nous montrerons que les postulats

    de la discipline sont prsent ds la dfinition.

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    1. Les acteurs et leurs objectifs

    Le terme diplomatie a merg en lien direct avec ltat et le pouvoir central. Ds lors persiste une tradition stato-centre dans la conception de la diplomatie et de la ngociation diplomatique. Or, cette ralit a volu et aujourdhui, la ngociation diplomatique est un phnomne qui regroupe de plus en plus dacteurs. Il sagit prsent de les dfinir, afin de souligner l'importance croissante du rle de la diplomatie dans un monde qui se complexifie et des rapports qui se dmultiplient.

    A. Les tats

    a. De la vision stato-centre sa remise en cause

    De lAntiquit au systme international au sens moderne (trait de Westphalie, 1648), la ngociation diplomatique s'effectuait entre un nombre restreint d'acteurs. Le systme international, et la diplomatie en consquence, se fondent alors sur des entits prdominantes que sont les tats. Dario Batistella dfinit le systme international de cette poque comme un ensemble dEtats souverains entretenant des interactions suffisamment rgulires pour que le comportement de tout un chacun soit un facteur ncessaire dans le calcul prsidant au comportement des autres 2. La souverainet interne et externe de ltat est affirme, dcoulant des trois critres runis que sont une population, un territoire et une autorit publique. Le fonctionnement de la diplomatie en est largement altr. Le principe dimmunit diplomatique peut dsormais se fonder sur un systme de croyances partages quest la centralit de ltat et de sa souverainet. De mme, les mtiers de la diplomatie sinstitutionnalisent par et dans ltat, et adoptent une forme fige : les diplomates sont dsormais les reprsentants des entits tatiques, qui constituent les acteurs fondamentaux des relations internationales, cest--dire du systme international.

    2 Ibid.

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    Peu peu cependant, les chercheurs en sciences sociales et politiques se sont interrogs sur lhomognit de lentit tatique. Allant lencontre de la tradition de pense qui concevait ltat comme un ensemble unifi, les travaux en sociologie de laction publique ont dmontr lhtrognit et les forces contradictoires voire conflictuelles existant au sein de la structure tatique. Il nous revient danalyser ce phnomne laune de la diplomatie.

    b. Dpasser la vision d'une ligne diplomatique homogne au sein des tats

    La diplomatie est, linstar du corps administratif en gnral, un ensemble htrogne au sein dun tat il contient diffrents acteurs aux diffrents objectifs qui peuvent parfois entrer en contradiction. Un exemple permettra d'illustrer clairement cette thorie.

    Dans ladministration franaise, les ngociations diplomatiques impliquent diffrents acteurs. Un cas frquent est la collaboration entre les diplomates du Ministre des Affaires trangres et les militaires de la Dfense. Il existe entre ces deux corps des diffrences de mthodes et dobjectifs voiles par une vision de ltat unifi et homogne. Selon la convention de Vienne du 18 avril 1961 et le dcret du 1er juin 1979, la premire fonction du chef de mission diplomatique consiste reprsenter ltat accrditant auprs de ltat accrditaire 3, tandis que la Dfense est suppose assurer la protection du territoire, de la population et des intrts franais 4 . Si, bien souvent, ces deux objectifs peuvent tre concilis, des situations dans lesquelles ils entrent en opposition peuvent merger. Prenons lexemple de la confrence de Dublin (2008)5.

    La confrence visait limiter les armes sous-munitions. Or larme franaise

    disposait de quatre types darmes sous-munitions ; le travail des diplomates consistait

    3 http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere/missions-et-organisation/actions-

    exterieures/article/representation 4 http://www.defense.gouv.fr/portail-defense/ministere/le-role-du-ministere-de-la-defense

    5 DUFOURNET, Hlne, Les militaires en ngociation diplomatique : Le jeu de la Dfense

    franaise la confrence de Dublin sur les armes sous-munitions, Res Militaris, vol 1, n3.

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    en la ngociation de clauses de destruction darmes sous-munitions qui engagerait la France dans un processus international de dsarmement sans pour autant la dfavoriser. Il fallait ainsi ngocier la dfinition prcise darmes sous-munitions et des exceptions appliquer la limitation notamment dans la mesure ou certaines armes usage stratgique prcis ne constituait quun faible risque pour les population civiles, problme lorigine de la confrence. Les militaires de la Dfense franaise, quant eux, avaient lobjectif dassurer la France les moyens de prserver lintgrit de son territoire ; il sagissait de parvenir maintenir oprationnelles les armes sous-munitions.

    Une ngociation entre la dlgation diplomatique et ltat-major sensuivit, la Dfense acceptant de dlaisser certains modles pour en prserver dautres. Comme le montre larticle dH. Dufournet, ces ngociations se droulrent en plusieurs tapes, en parallle aux ngociations diplomatiques de la confrence. Une ngociation interministrielle, organise par de vritables diplomates de l'interministriel 6 sous l'arbitrage du premier ministre, a permis de dfinir une ligne de stratgie diplomatique qui ne ft pas respect par le cabinet du ministre des Affaires trangres. Les militaires ont alors tent d'approcher une ONG norvgienne prenant part la confrence afin d'assurer la prise en compte de leurs revendications vitant une grande manuvre diplomatique proscrite et un conflit interne. Ltat desprit tait bien loin de lunit nationale la mfiance vis--vis de corps aux techniques et objectifs divergents prvalait.

    On constate cependant que les acteurs de ces ngociations sont toujours relis aux tats, bien quil sagisse de leurs divergences internes. Les analyses de R. Fisher7 dveloppent un autre aspect de cette diversit interne aux tats qui faonne la diplomatie : les diplomaties de type 1 et 2 montrent quau sein mme des dlgations diplomatiques, diffrents groupes de travaux se forment et ngocient entre eux pour llaboration dune posture commune.

    6 EYMERI-DOUZANS, Jean-Michel, Dfinir la position de la France dans l'Union

    europenne. La mdiation interministrielle des gnralistes du SGCI , in NAY, Olivier & SMITH, Andy (ss.dir.), Le gouvernement du compromis. Courtiers et gnralistes dans laction politique, Paris, Economica, 2002, pp.149-175. 7 FISHER, Ronald, Coordination entre les diplomaties de type 1 (officielle) et de type 2 (parallle)

    dans des cas russis de pr-ngociation, Ngociations,2006/1 (n5)

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    Ce stato-centrisme est radicalis durant la Guerre froide, o les relations internationales sont domines par deux tats, savoir lUnion des Rpubliques Socialistes Sovitiques et les Etats-Unis. Cependant, aprs 1989 et la disparition de lURSS, la recherche en sciences politiques sest interroge sur la place donner aux tats dans les relations internationales, jusqu remettre en cause sa position centrale sur certain domaine

    La multiplication des acteurs8

    De nouveaux acteurs entrent sur la scne diplomatique aprs 1989. Les organisations non-gouvernementales (ONG) intgrent de plus en plus les arnes de ngociation diplomatique, comme lors de la confrence de Dublin mentionne prcdemment. Ainsi, des associations comme Human Right Watch ont un certain poids dans les ngociations de paix et de dsarmement, considre comme des reprsentants lgitimes des intrts des populations civiles. Cest une nouveaut radicale au vu des thories originelles de ltat, seul reprsentant souverain de la population sur son territoire.

    Cette irruption de la socit civile dans la ngociation implique beaucoup dautres acteurs comme les lobbies, groupes dintrt, communauts pistmiques (terme instaur par P. Haas), groupes dexperts ou think tanks . Les objectifs de ces acteurs diffrent de ceux des tats, ce qui complexifie grandement les processus de ngociation. Le modle des coalitions de cause dfinies comme un ensemble compos dacteurs issus dorganisations gouvernementales et prives varies, qui, dans le mme temps, a) partagent un ensemble de croyances normatives et causales et b) participent, dans un degr non ngligeable, une activit coordonne dans le temps 9, permet dunifier conceptuellement cette diversit dacteurs non-tatiques. Enfin, l'importance des organisations internationales est souligner : si elles sont constitues par les tats, certaines ont une capacit ngocier par elles-mmes comme

    8 ROSENAU, James, Turbulence in World Politics: A Theory of Change and Continuity, Princeton

    University Press, 1990, 504p. 9 SABATIER, P., The Advocacy Coalition Framework : Revisions and Relevances for Europe, p. 4-5 ;

    cit. dans BERGERON, SUREL, VALLUY, LAdvocacy Coalition Framework : Une contribution au renouvellement des tudes de politiques publiques ? in Politix, XI/41, 1998.

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    l'Union europenne ou disposent d'un poids diplomatique trs important l'Organisation des Nations Unies ou l'Organisation Mondiale du Commerce. La monte en puissance de ces organisations inter-tatiques, transnationales ou rgionales complexifie encore le jeu des diplomates sur la scne internationale.

    La question du retrait de ltat 10 sest donc pose au sein de la discipline des relations internationales. Nous insisterons sur le fait que la lgitimit de ces nouveaux acteurs repose sur un accord des tats au sein de lONU ou du Conseil de lUE par exemple. La diplomatie reste encore traditionnellement une affaire dtats , qui implique toutefois des acteurs non-tatiques. Il apparat que cest justement dans le cadre de la multiplication des acteurs que sest le plus dvelopp le recours la diplomatie plutt quaux actes unilatraux. La recrudescence des relations sur des bases contractualistes, due la fragmentation et la diversification des acteurs sur la scne internationale, a donn un rle central la ngociation diplomatique. Cest galement la fragmentation thorique progressive des acteurs de la ngociation, fonde sur le constat dune diversification pratique des acteurs, qui lgitime la perception des ngociations diplomatiques comme une arne o se rencontrent diffrentes forces. Linnovation de la sociologie est davoir mis en lumire les rapports de force internes aux agents traditionnels de la ngociation (ltat, lorganisation, la dlgation). Ainsi, la dimension stratgique de la ngociation prend une nouvelle dimension plus vaste et complexe, que dautres disciplines le droit ou lhistoire ne sont plus mme dapprhender conceptuellement. La diversification des acteurs implique une monte en puissance des conceptions strictement stratgiques de la ngociation, dans lanalyse thorique du phnomne. Ce sont donc deux tendances qui caractrisent l'volution de la diplomatie, donc de la ngociation diplomatique, donc de son tude : la diversification des acteurs et la complexification des relations. La dmultiplication des acteurs, avec la fin du monopole des tats en matire de diplomatie, associe l'augmentation croissante des enjeux, des revendications et la technicit accrue des sujets donnent une position centrale la

    10 BADIE, Bertrand, Un monde sans souverainet Les tats en ruse et responsabilit, Paris, Fayard,

    1999, 36p.

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    diplomatie, qui doit dsormais s'adapter ces nouvelles conditions. Avec elle, c'est le regard port sur les ngociations diplomatiques qui doit s'adapter. C'est galement l'chec priori d'une tentative de typologie de la ngociation diplomatique qui semble condamne s'embourber dans le dtail ou dans l'impossibilit d'tablir des catgories suffisamment englobantes.

    La ngociation diplomatique a vu son importance saccrotre dans un souci dadaptation stratgique un cadre nouveau de complexification des relations internationales. Les considrations stratgiques se sont dveloppes avec la multiplication des acteurs, mais aussi avec lvolution des contextes dans lesquels ces acteurs ngocient. Notre analyse sociologique devra donc sorienter sur les contextes de la ngociation, qui en posent le cadre, les conditions et mettent en lumire certaines de ses caractristiques.

    2. Les contextes

    Les contextes de la ngociation sont dfinis par A. Strauss dans un ouvrage fondamental en la matire, Negotiations : Varieties, contexts, processes and social order, comme doubles : un contexte structurel et le contexte de ngociation.

    A. Le contexte structurel

    Ce contexte est le cadre gnral au sein duquel se droulent les ngociations. Il chappe lemprise des acteurs et les influence indpendamment de leur volont. Cest lenvironnement social, conomique, technologique et politique qui forment la fois des contraintes et des ressources pour les ngociateurs. Linfluence de ce contexte sur la ngociation fait lobjet dtudes plus approfondies sur lindividu dans son environnement. Nous nous concentrerons cependant sur le contexte qui constitue une arne perue comme telle par les acteurs des rapports de ngociation dans la mesure o notre analyse sociologique porte sur les rapports de force de la ngociation.

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    B. Le contexte de ngociation

    Ce contexte regroupe une varit trs importante de facteurs qui influencent plus ou moins directement la ngociation et permet de mettre en lumire les rapports de force qui la composent.

    Nous reprendrons la typologie de A. Strauss11, reprise et explicite par R. Bourque et C. Thuderoz12 :

    1) Les relations de pouvoir : elles apparaissent dans le refus ou lacceptation par une partie de lexploitation par une partie suprieure. Lultimatum en est le meilleur exemple13 : sa force coercitive reprsente les relations de pouvoir qui forment le cadre de la ngociation. Ainsi, les ngociations de paix en 1919 entre les vainqueurs de la Premire Guerre mondiale et les vaincus ont dbouch sur le trait de Versailles, fond sur la possibilit pour les allis dmettre un ultimatum inacceptable pour le vaincu (la poursuite de la contre-offensive en Allemagne).

    2) Le nombre de parties prenant part la ngociation dtermine certains rapports de force ; plusieurs petits tats peuvent user dune technique de dissuasion vis--vis de ltat fort dans le cas dune ngociation multilatrale.

    3) Les normes et valeurs des participants permettent aux diplomates de jouer sur des effets de surprise en scartant de ces valeurs ; cela donne lieu des techniques subtiles de dstabilisation.

    4) Exprience, stabilit, reprsentativit : les deux premiers facteurs peuvent sembler vident ; un ngociateur expriment et dont la posture est stable dispose de plus de pouvoir de ngociation. Les enjeux de la reprsentativit restent encore flous pour les chercheurs aujourdhui, bien que le degr de

    11 STRAUSS, Anselm, Negotiations : Varieties, contexts, processes, and social order, Jossey-Bass, 1978,

    275 p. 12

    BOURQUE, Reynald, THUDEROZ, Christian, Sociologie de la ngociation, Repres, Paris, 2002, 124 p.

    13 KRAMER, R. M., SHAH, P. P., & WOERNER, S., When ultimatums fail: Social identity and

    moralistic aggression in coercive bargaining in. KRAMER R. & . MESSICK D. (Eds.), Negotiation as a social process (pp. 285308), Thousand Oaks, CA: Sage, 1995.

  • 16

    reprsentativit dun ngociateur, ainsi que sa lgitimit, jouent un rle non-ngligeable.

    5) La frquence des rencontres cr du lien social dans une certaine mesure et diminue la marge dimprvisible, cest--dire de pouvoir des ngociateurs (voir la thorie des zones dincertitude). Des rencontres frquentes institutionnalisent et objectivent les relations. Ce contexte est particulirement utilis par la diplomatie tasunienne, par le concept de soft hegemony.

    6) Nombre et nature des enjeux : des enjeux nombreux augmentent la possibilit de compromis et de package deal, une solution la ngociation par concessions mutuelles, et facilitent ainsi les ngociations. A linverse, un enjeu central et unique peut donner lieu une opposition frontale qui rend la ngociation difficile. De plus, les enjeux tangibles, cest--dire objectifs, sont plus intgratifs que des enjeux intangibles, de nature psychologique ou personnelle (les symboles, religions, etc.). Cette distinction de nature peut renvoyer une autre distinction entre les conflits dintrts, plus clairement dfinis et faciles rsoudre, et les conflits de valeurs, plus incertains et complexes.

    7) Le caractre public ou priv des ngociations influence grandement leur droulement. Lauditoire 14 a une influence directe ou indirecte sur le ngociateur, selon son degr de dpendance la ngociation. Les difficults qui naissent travers les doubles ngociations entre ngociateur et entre le ngociateur et son auditoire soulvent le dilemme de maintenir les ngociations dans un cadre priv et informel, alors quil concerne un vaste auditoire ce qui est bien souvent le cas pour les relations diplomatiques.

    8) Solutions de rechange : la dfinition dune meilleure solution de rechange (MESORE)15 pose un repre de ngociation qui donne un avantage stratgique comme point de repre vis--vis duquel les propositions de la partie adverse seront mesures.

    14 Pour une analyse prcise de l'influence de l'auditoire sur la ngociation, voir LEWICKI, Roy &

    LITTERER, Joseph, Negotiation, R.D. Irwin, Homewood, ILL, 1985, 368p. 15

    FISHER Roger & URY William, Getting to Yes : Negotiating Agreement Without Giving In, New York : Penguin Books, 1983.

  • 17

    Force est de constater que dans les analyses du contexte lui-mme prdomine la vision de la ngociation comme un rapport de force stratgique ou deux entits, certes htrognes comme nous lavons montr, sopposent immanquablement et tentent, par des techniques de ngociation fondes sur le contexte, dobtenir des accords de l adversaire sans trop lui dlaisser. En effet, les huit points noncs relvent tous dune analyse strictement stratgique de la ngociation, mme si certains font allusion aux critres objectifs dun dialogue de ngociateur (les lments 5 et 6 du contexte). En loccurrence, ds lapproche des contextes, lanalyse contient dj en filigrane une conception positiviste des relations communicationnelles, et prsente dj des limites pistmologiques visibles. Selon R. Bourque et C. Thuderoz, ces lments du contexte de ngociation sont des ressources 16 du ngociateur, avec lesquelles il peut influencer plus ou moins volontairement le droulement de la ngociation. Il ne sagit pas de poser le processus de ngociation comme un processus guerrier de pure opposition ; nanmoins, il convient de mettre en lumire la vision principalement a-normative (mais pas anti-normative) de toute ngociation que donne l'analyse sociologique des contextes. Une intgration systmatique du cadre normatif de la ngociation lanalyse contextuelle apparat dans le cadre du contexte structurel , bien que, ici encore, la norme nest envisage que comme force sociale plus ou moins contraignante vis--vis dautres forces.

    Cest ainsi quil nous faut nous intresser ltude des stratgies et procds de ngociation pour mettre en valeur lapport de la sociologie lanalyse ainsi que ses limites pistmologiques.

    3. Les enjeux de la ngociation diplomatique

    A. Introduction : formules gnrales de la ngociation

    16 BOURQUE, R., THUDEROZ, C., Sociologie de la ngociation, p. 62

  • 18

    La procdure gnrale de la ngociation a fait lobjet de tentatives de conceptualisation sociologique, de faon dfinir le fondement stratgique de toute ngociation et donc, dans notre cas, de la ngociation diplomatique.

    Une formule en trois tapes est propose par W. Zartman et M. Berman17. La

    ngociation dbute avec un diagnostic de la situation et la dcision des parties impliques dans la situation problmatique dengager une ngociation afin de rsoudre le conflit diagnostiqu. Ds cette tape apparat un premier calcul : la ngociation sera engag si elle peut dboucher sur une situation plus profitable pour les deux parties qu'une absence de ngociation. La deuxime tape est la ngociation dune formule, cest--dire un cadre gnral daccord : la dfinition des intrts et revendications de chacun, la dfinition des termes, la reconnaissance du champ d'application de la ngociation, de ses possibilits et de ses limites. Cest l la partie centrale de la ngociation, o le cur de la problmatique est attaqu. La troisime tape consiste en la ngociation des dtails, cest--dire les changes des contreparties.

    Cette formule a lavantage doffrir une simplification thorique du procd de ngociation et met en lumire un point essentiel : limportance fondamentale de la ngociation du cadre gnral des accords. Contrairement lopinion courante, les contreparties auxquelles aboutissent les ngociateurs ne constituent quune part minime du travail de ngociation : le vritable enjeu se trouve au niveau de la formule dentente ou des rgles du jeu . L se situe galement notre enjeu pistmologique : comment lapproche sociologique aborde-t-elle ce cadre gnral et donc lenjeu de la ngociation ?

    Lenjeu est dfini par C. Dupont comme tout ce qui va avoir du poids sur lensemble des intrts, proccupations, besoins, attentes, contraintes et risques ressentis (plus ou moins explicitement) par les ngociateurs 18. Dans cette dfinition, nous nous concentrerons sur le terme d intrts , que nous jugeons central.

    17 ZARTMAN, William & BERMAN, Maureen, The Practical Negotiator, Yale University Press, New

    Haven, 1982, 250p. 18

    DUPONT, Christophe, La Ngociation. Conduite, thorie, application, Dalloz, Paris, 1994, 386p.

  • 19

    B. La dfense des intrts 19

    De manire gnrale, on affirme que les diplomates dfendent les intrts du pays quils reprsentent. Or la notion dintrt elle-mme est relativement floue et appelle diffrentes analyses et interprtations. La question qui se pose ici est donc : comment les sciences sociales analysent-elles et interprtent-elles la notion d intrts dans le cadre de la ngociation?

    D. Lax et J. Sebenius dfinissent deux catgories dintrts : les intrts intrinsques et instrumentaux. Les intrts intrinsques portent sur le rglement du problme des conditions favorables. Par exemple, dans le cadre de la confrence de Dublin (2008), la Dfense franaise avait pour enjeu de ngociation le maintien des systmes darmement sous-munition franais ce qui constitue un intrt intrinsque, dtach des ngociations ultrieures. Un autre exemple parlant sont les ngociations pour la

    reconnaissance des frontires qui ne sattachent quaux conditions favorables pouvant tre obtenues immdiatement. Le but dune ngociation diplomatique axe sur ce type dintrts est la prservation ou le gain davantages sans considration des relations diplomatiques dans le temps, donc sans prise en compte de ce que nous avons nomm le cadre gnral des ngociations . On se situe ainsi clairement dans une analyse en termes de rapports de force o les deux parties cherchent obtenir les meilleurs avantages pour eux-mmes court terme. Les intrts instrumentaux renvoient aux effets dune ngociation sur les transactions futures : il sagit de poser les rgles du jeu des ngociations qui, ultrieurement, pourront savrer avantageuses. Le cas des confrences de paix est particulirement intressant en ce quil renvoie dans une large mesure ces intrts instrumentaux. Ces confrences visent dtendre une situation potentiellement ou effectivement belliqueuse, mais constituent en elles-mmes loccasion dun largissement des possibilits de ngociation futures. Le but est de permettre le dialogue cest--dire, stratgiquement, la confrontation dans un cadre de ngociation entre des puissances, en prsentant ce dialogue comme plus profitable aux parties que la situation existante ; les confrences de paix sont donc intrinsquement prospectives, elles

    19 LAX, David & SEBENIUS, James, Manager as Negotiator, Free Press, New York, 1987, 416p.

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    envisagent surtout les rapports futurs en tant quelles prtendent les permettre. Dans le cas de la confrence de Madrid de 1991, une tentative de la communaut internationale de ngocier un processus de paix entre Isral et Palestine notamment, la russite de la rencontre fut la dmonstration d'une possibilit de ngociation future qui mnera aux accords d'Oslo en 1993 et au trait de paix isralo-palestinien en 1994. Ce sont donc, la confrence de Madrid, les intrts instrumentaux qui ont t privilgis, au dtriment des intrts intrinsques.

    Ce qui peut, premire vue, tre navement considr comme un geste de bon-vouloir, une ouverture lautre, une aspiration la paix, savre donc tre plus complexe : lanalyse de la distinction quoprent D. Lax et J. Sebenius entre intrts intrinsques et instrumentaux nous permet de placer les rapprochements diplomatiques entre puissances opposes comme le rsultat dun calcul stratgique ayant en vue les intrts instrumentaux des puissances en prsence. Il apparat ainsi que les ngociations de paix ou de dsarmement se situent toujours encore, dans une perspective sociologique, dans un rapport stratgique dopposition dintrts desquels la norme est priori exclue pistmologiquement.

    Il convient dapprofondir lanalyse de ces rapports par une dconstruction de la notion dintrts qui reste en soi peu claire dun point de vue sociologique. Pour certains chercheurs, les intrts sont en ralit le pouvoir. Toute ngociation porte sur un enjeu gnralis : le pouvoir 20. Le concept de pouvoir appelle donc tre dvelopp sociologiquement.

    C. Les zones dincertitudes

    M. Crozier et E. Friedberg ont probablement contribu le mieux la dfinition du pouvoir dans une analyse fonde sur les zones dincertitudes. Une relation de ngociation dans le cas de M. Crozier et E. Friedberg, de ngociation intra-organisationnelle, bureaucratique se fonde pour chacun des acteurs en prsence sur la recherche du contrle de zones dincertitude afin dobtenir un pouvoir relatif sur les

    20 BOURQUE, R., THUDEROZ, C., Sociologie de la ngociation, p. 53.

  • 21

    autres acteurs. Leur dfinition de la zone d'incertitude est la suivante : En dfinissant des secteurs o laction est plus prvisible que dans dautres, en mettant sur pied des procds plus ou moins faciles matriser, [les structures et les rgles de l'organisation] crent et circonscrivent des zones dincertitudes organisationnelles que les individus ou les groupes tenteront tout naturellement de contrler pour les utiliser dans la poursuite de leurs propres stratgies, et autour desquelles se creront donc des relations de pouvoir. Car le pouvoir, les capacits daction des individus ou des groupes au sein dune organisation dpendent en fin de compte du contrle quils peuvent exercer sur une source dincertitude affectant la capacit de lorganisation datteindre ses objectifs elle, et de limportance comme de la pertinence de cette source dincertitude par rapport toutes les autres qui conditionnent galement cette capacit. Ainsi, plus la zone dincertitude contrle par un individu ou un groupe sera cruciale pour la russite de lorganisation, plus celui-ci disposera de pouvoir 21. Ces zones impliquent donc des situations, comptences et opportunits non rglementes pour lesquelles des relations de pouvoir informelles se mettent en place. Il sagit par exemple dune certaine expertise en armement nuclaire, qui permet au diplomate qui en dispose de mener, dans une certaine mesure, les ngociations. Cette expertise, si elle est reconnue, lui donne le pouvoir informel (dans le sens de non-reconnu par le droit international) de dfinir mieux que les autres parties ce qui sera considr comme une arme nuclaire pouvoir fondamental dans le cadre dune confrence de dsarmement. Le pouvoir [] constitue [] un acte relationnel o se marchandent des gestes, des attitudes ou des capacits daction. La ngociation apparat ainsi comme un mode lgitime de structuration des jeux organisationnels, dont lenjeu est laccroissement, pour chaque membre de lorganisation, dune zone dincertitude (ou dautonomie, donc de plus grande libert daction). 22 Il sagit ainsi pour les diplomates prenant part une telle confrence de se soustraire ce pouvoir afin dobtenir un avantage stratgique. Ils peuvent tenter dacqurir une telle expertise pour chapper lemprise informelle de la zone dincertitude en matire de dfinition darmement nuclaire. Ils peuvent galement et

    21 CROZIER, Michel & FRIEDBERG, Erhard, Lacteur et le systme, Paris, Seuil, 1977, p. 67

    22 BOURQUE, R., THUDEROZ, C, Sociologie de la ngociation, p. 22.

  • 22

    cest bien souvent la faon dont les dlgations diplomatiques procdent rclamer la rglementation objective de lexpertise afin dchapper la part darbitraire que constitue un pouvoir informel. Cette deuxime solution renvoie la concertation avec des communauts pistmiques, des acteurs extrieurs rgulant lexpertise ou la dfinition par crit, avant le dbut des ngociations, des expertises considres comme lgitimes et valables dans le cadre de la confrence. Ce qui ressort de cette analyse des rapports de ngociation est le contenu de la notion de pouvoir , dintrts. Les diplomates recherchent donc avant tout, dans une perspective sociologique toujours, la mainmise sur les zones dincertitude, qui par ailleurs abondent dans un droit aussi peu codifi que le droit international, et ainsi un pouvoir sur les autres ngociateurs. Finalement, ce pouvoir renvoie la capacit

    deffectuer des choix qui semblent arbitraires ou imprvisibles aux yeux des adversaires. On constate ce pouvoir titre d'exemple dans la relation de dpendance conomique entre deux tats qui naurait pas t objective, cest--dire nonce clairement, dans sa nature et ses consquences en matire de ngociation, et qui octroie une autonomie, une force contraignante de son autonomie, ltat qui domine la relation de dpendance.

    Il y a dans cette analyse une bonne approche du pouvoir, notamment en ce quelle explique la ncessit, dans de nombreuses ngociations diplomatiques, dtablir en prvision les attributions et comptences afin de restreindre les zones dincertitudes. Plus gnralement donc, nous pouvons qualifier avec J.-D. Reynaud les pouvoirs comme les rgles constitutives du systme, les rgles du jeu 23. Cette dfinition a une porte plus tendue que celle de M. Crozier et E. Friedberg ; on peut donc largir lanalyse du pouvoir en explicitant ses diffrentes caractristiques, ce qui permettra de saisir lenjeu de la ngociation au prisme des travaux sociologiques.

    D. Le pouvoir

    Le pouvoir en ngociation contient diffrentes caractristiques qui sont toutes des

    23 REYNAUD, Jean-Daniel, Les Rgles du jeu. Laction collective et la rgulation sociale, A. Colin,

    Paris, 1989.

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    enjeux stratgiques. Ainsi, toute ngociation peut se comprendre comme un jeu somme nulle avec uniquement deux bilans possibles : le gain ou la concession, cest--dire lobtention ou la perte de positions de pouvoir.

    R. Bourque et C. Thuderoz dfinissent quatre caractristiques du pouvoir. Le pouvoir est relationnel est li limprvisibilit des comportements. Il renvoie une marge dautonomie qui dveloppe lincertitude chez le ngociateur adverse et permet donc dinstaurer des cadres de ngociations, des rgles du jeu plus avantageuses stratgiquement. Cette caractristique est conceptualise par Crozier et Friedberg dans lActeur et le Systme. Le pouvoir li au degr de dpendance constitue une autre forme de pouvoir, comme nous lavons prcis plus haut. Il permet daccrotre les zones dincertitude et les enjeux de la ngociation, en augmentant la difficult dtablir une MESORE qui poserait des limites aux revendications des ngociateurs. Lapplication rapide et immdiate, en 2012, des mesures prconises par lUnion Europenne en Grce est un exemple flagrant du pouvoir de ngociation quoffre la situation de dpendance au plan de renflouement europen dans laquelle se trouvait le gouvernement hellne. Le pouvoir est contingent, provisoire et relatif ; il dpend de conditions extrieures qui peuvent se modifier. La distribution du pouvoir est lie ces conditions. Ainsi, la ngociation diplomatique doit prendre en compte cette contingence dans la dfinition des rgles : elle constitue en effet une forme de zone dincertitude qui avantage de fait ceux en meilleure position de pouvoir positions quils sefforceront de prserver. La dure de validit dun trait et les mesures coercitives en cas de rupture permet de pallier cette incertitude en obligeant un tat respecter les clauses quand bien mme de nouvelles conditions lui permettent de revendiquer une nouvelle position de pouvoir. Les clauses du Trait de Versailles (1919) imposant lAllemagne louverture de ces frontires commerciales et labsence de tarifs douaniers avaient cette fonction dencadrement de la zone dincertitude que pouvait constituer la reprise conomique de lAllemagne et sa puissance commerciale potentiellement retrouve.

    Le pouvoir est coercitif ; il se mesure la capacit de sanctionner lorsquil nest pas respect. La capacit diplomatique dinstaurer le cadre gnral des ngociations qui est, rappelons-le, ce que nous avons dfini comme lenjeu fondamental des

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    ngociations et donc le vritable contenu du pouvoir - dpend de la facult de ltat reprsent faire appliquer ce cadre par sa capacit prendre des mesures de rtorsion donc sa capacit de nuisance. Cette forme de coercition est moins puissante que le monopole tatique de la violence lgitime sur son territoire, mais reprsente nanmoins une capacit de nuisance l'aune de laquelle se mesure le pouvoir. Ainsi, dans le cadre des accords commerciaux conclus entre les tats-Unis et le Maroc au sein de lOMC (2004), les tats-Unis disposent de la capacit sanctionner tout non-respect par des restrictions limportation et/ou l'exportation et ainsi, de la capacit dfinir le cadre des ngociations commerciales. Rappelons cependant que le pouvoir de ngociation nest pas strictement coercitif ce qui exclurait la possibilit de la persuasion. Un pouvoir coercitif potentiel est suffisant, ce qui pose galement les questions relatives la stratgie du bluff . De ce fait, le rapport de coercition est le plus souvent un rapport terme indtermin.24

    Cette dernire caractristique est importante en tant quelle se distancie dfinitivement dune vision normative du pouvoir : il ny a pouvoir que lorsquil y a possibilit de coercition. On peut comprendre le doute des chercheurs quant au pouvoir dinstances qui ne disposent daucun moyen de coercition rel et ne se rfrent qu la norme ONG, communauts pistmiques et certaines instances

    internationales. Lexemple de la non-application du Pact de Stabilit et de Croissance au sein de lUE, et labsence de sanctions lgard de la France et de lAllemagne prouvent sociologiquement une absence de pouvoir des institutions europennes dans lapplication des principes normatifs quelles tablissent. Le pouvoir diplomatique semble donc ncessairement li la force coercitive des parties la ngociation. Cette conception avalise le ralisme dans ltude des relations internationales contre lidalisme qui considrerait la norme sans force contraignante et montre ainsi ses limites saisir l'ensemble des situations de ngociations, qui ne sauraient se rduire des phnomnes de coercition effective ou potentielle.

    24 BACHARACH, Samuel & LAWLER Edward, Power and Politicsin Organization, Jossey Bass, San

    Francisco, 1980, 249p.

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    Les notions dintrt et de pouvoir sont prsent claircies et posent les bases (sociologiques) de la ngociation diplomatique : leur enjeu. Il convient dsormais de se pencher sur les stratgies de ngociation, soient les procds par lesquels sexpriment les pouvoirs respectifs des puissances en prsence. Une premire approche intressante se fonde sur la thorie des jeux, qui exprime les rapports stratgiques sous forme mathmatique et simplifie et offre ainsi un bon outil conceptuel pour concevoir stratgiquement la ngociation diplomatique.

    4. Les stratgies

    A. Les apports de la thorie des jeux

    La thorie des jeux se concentre essentiellement sur la stratgie de la ngociation. La stratgie est dfinie par A. Rapoport comme un plan prdtermin donn par le joueur avant le dbut de la partie ( un tiers par exemple), prvoyant le choix qui sera fait dans les diffrentes situations pouvant se prsenter au cours du jeu 25. Ainsi, le diplomate dfinit par avance, selon les conditions dont il a connaissance, quels seront ses choix et dcisions en fonction des comportements du diplomate adverse. Lorientation du diplomate sera dtermine par lquilibre rsultant de la somme pondre des effets produits 26.

    Les facteurs qui influenceront ces orientations comportent le rapport de force entre les parties, la nature des relations entre les parties, les thmes en dbat, le poids respectif des enjeux et lexistence ventuelle dune MESORE. Les stratgies correspondent donc des priorits que se fixent les diplomates dans la ngociation sous la contrainte de ces facteurs. Selon quel modle sarticulent alors ces priorits ? R. Bourque et C. Thuderoz proposent une brve description de lapproche de la thorie des jeux : les parties sont juges monolithiques et rduites deux, saffrontent dans des jeux non-rpts et faiblement contraignants ; les ngociateurs ont un accs

    25 RAPOPORT, Anatol, Fights, Games and Debates, University of Michigan Press, Ann Harbor, 1960, p.

    142. 26

    ROJOT, Jacques, La Ngociation, Vuibert, Paris, 1994, p.106.

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    facile aux informations et savent les traiter ; laccord quils tablissent concerne souvent (ou se traduit dans) un nonc chiffr, de grande simplicit 27. Une telle approche nous permet de saisir laspect stratgique de la ngociation dans sa conception sociologique : une quation mathmatique se forme, avec pour objectif les intrts donc le pouvoir et comme variable les contextes et facteurs du jeu. Plusieurs exemples viennent illustrer ce postulat thorique. T. Schelling dveloppe le point focal28, qui correspond un point daccord naturel entre les parties, issu de lanticipation des comportements de lautre. Cest une solution qui polarise la coordination des choix sans quil y ait ncessairement coordination. Cette forme doptimum se retrouve dans lune des variantes les plus clbres de la thorie des jeux : le dilemme du prisonnier , labor par le mathmaticien A. Tucker. A linverse, ce dilemme montre une situation qui dbouche, lorsque chaque ngociateur se proccupe de ses intrts propre, un sous-optimum. Cest aussi ce que montre lquilibre de Nash en conomie qui, appliqu la sociologie de la ngociation, montre quune ngociation diplomatique o les acteurs (Etats-Unis et URSS) se confrontent directement en tchant dobtenir le plus davantages (puissance militaire) conduit un situation sous-optimale et insatisfaisante pour les deux parties (course aux armements et inscurit). Dautres travaux29, inspirs notamment de microconomie et des fonctions dutilit, exposent un modle similaire danalyse mathmatique de la ngociation en vue dune solution optimale.

    La premire conclusion tirer de la thorie des jeux est la ncessit dune concertation qui permet dacclrer et de simplifier le consensus contre la recherche plus alatoire dun point focal, et galement de ne pas se maintenir dans une situation sous-optimale de recherche de gains individuels sans considration pour les intrts de lautre partie. La deuxime conclusion, la plus importante dans notre dmonstration, renvoie au prsuppos pistmologique qui rside dans une approche par la thorie des jeux. La ngociation diplomatique sy trouve rduite une simple expression mathmatique, qui

    27 BOURQUE, R., THUDEROZ, C., Sociologie de la ngociation, p. 47.

    28 SCHELLING Thomas, Strategy of Conflict, Cambridge, Harvard University Press, 1960,

    particulirement pp.83-118. 29

    Le modle de choix conflictuel de Carl Stevens, les zones de ngociations et les fonctions dutilit de Walton et McKersie.

  • 27

    expose lacte mme de ngociation comme la rsolution dune quation dans un contexte donn avec un objectif donn. Le diplomate peut alors tre assimil une fonction de rsolution de lquation, selon les trois tapes dfinies prcdemment : la dfinition du problme (la ncessit mathmatique dune ngociation lors dune situation sous-optimale), la reconnaissance de la possibilit dune solution (envisager les variables et les rsultats potentiels) et lchange davantages (la rsolution vers un optimum suprieur pour les deux intrts en ngociation). Ces thories sont pour la plupart trs incompltes et ont essuy de nombreuses critiques30, notamment sur leur caractre trs abstrait. Cest entre autre l'absence de prise en compte de la ngociation comme jeu somme nulle cest--dire un jeu o le modle gagnant-gagnant est impossible. En ralit, la ngociation diplomatique ne se contente pas de dgager de faon mathmatique un optimum pour les deux parties (qui dailleurs ne sont pas unifies, nous lavons montr au dbut) en parfaite rationalit et anticipation, mais doit dvelopper des stratgies de ngociation qui, si elles procdent dun calcul rationnel, ne pensent pas laboutissement de la ngociation en termes doptimum pour toutes les parties.

    B. Ngociation distributive et ngociation intgrative31

    La stratgie de ngociation diplomatique doit tre envisage diffremment dune rsolution dquation : elle comporte des mthodes, des approches du problme diffrentes selon les gains escompts et les conditions de la ngociation. R. Walton et R. McKersie vont tenter de dfinir les stratgies de ngociation en les fondant sur des mathmatiques pour expliquer lmergence dune ngociation mais en dveloppant ensuite un modle binaire de processus de ngociation.

    La ngociation distributive (ND) correspond une ngociation somme nulle : les parties cherchent maximiser leurs gains contre lautre partie. Les diplomates y considrent donc les enjeux comme parfaitement opposs et envisagent lobtention dun gain pour lun comme ncessairement au dtriment de lautre. Il sagit, par exemple, de

    30 BOURQUE, R., THUDEROZ, C., Sociologie de la ngociation, p. 47

    31 WALTON Richard & MCKERSIE Robert, A Behavioral Theory of Labor Negotiations. An analysis of

    a social interaction system, McGraw-Hill, New York, 1965.

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    ngociations en matire de rpartition de titres territoriaux : la dfinition de la frontire entre deux tats implique, pour tout gain qu'effectue une partie, une perte quivalente pour l'autre partie. Le diplomate se situe lorsqu'il ngocie des titres territoriaux, dans un jeu somme nulle, o toute concession est une perte : c'est une ngociation distributive.

    La ngociation intgrative (NI) renvoie la convergence des intrts dans la ngociation : les diplomates cooprent pour la rsolution de problmes 32. La confiance rciproque et la recherche de solutions mutuellement acceptables guident la ngociation on recherche un modle de type gagnant-gagnant . Il peut sagir par exemple de ngociations entre tats europens afin dadopter une position commune lONU ; la coopration y est ncessaire pour donner une cohrence globale et donc une force la position commune, force diplomatique qui naurait pas t telle si les tats staient positionns sparment. Il est donc parfois de lintrt des diplomates dadopter le mode de la NI pour accrotre les gains de son pays.

    Ainsi, R. Walton et R. McKensie enrichissent la thorie des jeux expose initialement en exposant les deux aspects de la ngociation : comme jeu somme nulle ou non nulle. Leur modle se fonde galement sur les courbes dutilit, afin dimbriquer leur thorie dans une ide du diplomate comme homo oeconomicus et dancrer la stratgie intgrative dans la recherche dintrts particuliers. La coopration nexiste donc quen tant quelle est stratgiquement profitable pour les partis. Selon les gains escompts pour chaque mode de ngociation, le diplomate devra choisir la ND ou la NI. Si une entreprise franaise se retrouve en concurrence avec une entreprise tasunienne pour lexploitation

    dun puits ptrolier au Tchad, les diplomates franais de NDjamena devront dcider sil faut adopter une stratgie ND (sopposer aux intrts tasuniens et ngocier un maximum davantages auprs des autorits locales) ou une stratgie de NI (cooprer avec les diplomates tasuniens pour tablir une situation optimale pour les deux parties). Ce choix dpendra des facteurs que nous avons dvelopp auparavant : les acteurs engags, le contexte structurel, les contextes de ngociation, les enjeux, les courbes dutilit. Autre exemple : le concept diplomatique de rapprochements stratgiques .

    32 Cette dmarche est inspire des processus de sociologie de la ngociation. Voir MARCH J. & SIMON

    H., Les Organisations, Editions dOrganisation, Paris, 1951.

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    Lors de la confrence de Dublin sur les armes sous-munitions, comme nous lavons vu auparavant, est apparu une divergence dintrts entre la Dfense franaise et la dlgation diplomatique du Quai dOrsay. En loccurrence, pour parvenir ses fins (prserver trois des quatre types darmes) contre les engagements diplomatiques franais (sacrifier deux types pour en sauver deux), la Dfense eut recours un rapprochement stratgique avec une Organisation Non Gouvernementale norvgienne33. Tous deux, recherchant la satisfaction de leurs intrts particuliers, convinrent de sentraider pour peser plus lourd dans les ngociations. Les intrts gnraux et les objectifs de chacun taient trs diffrents, mais une coopration apparaissant profitable aux deux parties, il y eut un rapprochement stratgique qui permt lobtention de gains autrement inaccessibles. Lutilisation dune stratgie de NI (ngociation intgrative) est donc prsente comme le produit dune rflexion calculatrice et stratgique non pas comme un accord sur les normes ou un rapprochement idologique, mais comme une combinaison avantageuse dans la poursuite des intrts particuliers des deux organisations.

    Conclusion partielle

    Nous avons vu que les acteurs prenant part aux ngociations se sont fragments de deux manires : on peut constater une diversification des acteurs sur la scne des ngociations diplomatiques, mais aussi une mise en lumire thorique dune division des acteurs eux-mmes, dont lunit pistmologique a t mise mal par les travaux des sciences sociales. Cette fragmentation dbouche sur une augmentation importante 1) de la frquence des ngociation et 2) des besoins dlaborer conceptuellement des outils stratgiques plus complexes.

    Ces outils se retrouvent au niveau des contextes. Le contexte structurel est indpendant de la volont des diplomates, mais le contexte de ngociation peut devenir une arme stratgique, un outil doptimisation des gains pour celui qui le matrise. Lanalyse du contexte permet llaboration dune pense stratgique et conflictuelle dans

    33 DUFOURNET, H., Les militaires en ngociation diplomatique, pp. 10-11.

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    lobjectif de servir les intrts de lacteur reprsent (le plus souvent, ltat). Les enjeux de la ngociation sont au cur de ces intrts ; or la sociologie a

    apport de nombreuses thories quant la nature de ces enjeux. Nous avons vu que, finalement, cest dans la notion de pouvoir que se retrouvent assembles et unifies la plupart de ces thories. La ngociation diplomatique cherche lobtention du pouvoir sur des bases de stratgies communicationnelles.

    Ces stratgies elles-mmes nous permettent de mettre en avant les postulats stratgiques de lanalyse : les approches en termes de jeux dveloppent laspect calculateur des stratgies dans un contexte mathmatis. Les approches duales en stratgies intgratives et distributives elles-aussi exposent les modalits de dcisions stratgiques au regard de loptimum dans la satisfaction des intrts particuliers reprsents par le diplomate.

    Plusieurs point spcifiques l'analyse sociologique (et ds lors partiels) sont relever dans cette partie :

    1) La notion de pouvoir, lie aux intrts, serait centrale. Elle exprimerait la raison dtre de la ngociation, son objectif ultime : la coopration ou l'opposition se situeraient toujours dans un horizon d'accroissement du pouvoir pour les parties ngociantes. Cest donc intimement dans le rapport de force que la ngociation trouverait sa ncessit. Elle rpondrait un agrgat dintrts (viter le conflit guerrier direct, obtenir des gains sans risquer de dommages).

    2) La stratgie calculatoire serait le mode daction premier des diplomates dans cette analyse, en vertu des intrts dcrits prcdemment. Elle serait donc au fondement de laction communicative diplomatique et constituerait le prsuppos pistmologique dun dialogue diplomatique. En dautres termes, un diplomate ne pourrait sattendre, dans une rencontre avec une dlgation dun autre tat, qu un comportement stratgique.

    3) Le caractre normatif de la ngociation est cart priori non mesurable et impropre lanalyse stratgique, la norme est pistmologiquement exclue de la rflexion sociologique. Elle nest pas prsume inexistante certaines thories y font rfrence mais elle ne peut tre prise en compte, au vu des postulats

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    pistmologiques explicits auparavant.

    Lanalyse sociologique nous fournit une grille de lecture et dinterprtation intressantes : la ralit concrte de la ngociation semble mieux dfinie dans lanalyse sociologique. Le rapport de force et linteraction stratgique a-normative forment un modle de comprhension de la ngociation diplomatique qui en relve certains traits saillants et en simplifie les processus discursifs. Le langage diplomatique est ainsi expliqu en partie par ces jeux stratgiques dans le but dobtenir du pouvoir. Cependant, il est important pour notre comprhension du phnomne de sintresser dautres approches. En effet, lanalyse sociologique est un apport certain la comprhension, mais se limite, comme nous lavons vu, des prsupposs pistmologiques qui limitent lapproche. Comment considrer les ngociations diplomatiques afin de cerner le phnomne de faon plus globale et polyvalente ?

    De fait, il faut souligner que la ngociation diplomatique soriente en fonction des orientations politiques qui guident la politique trangre. Or les orientations politiques sont le produit et les agrgats de visions du monde idologises, de principes normatifs sur le politique lui-mme, soit la manire de faire vivre ensemble et de structurer une communaut notamment vis--vis dautres communauts. La scne internationale est certes une arne o sopposent diffrentes forces mais ses forces elles-mmes sont mues par des valeurs et des noncs normatifs structurants. Si lanalyse sen tient au caractre strictement discursif de la ngociation, elle en relve les rapports de force sans en cerner les enjeux normatifs. Il semble cependant ncessaire dtudier ces enjeux pour notre comprhension du phnomne ce que la sociologie nest plus capable de faire, au vu de ses fondements.

    Cest donc vers la science politique, dans ses analyses juridiques et philosophiques, quil nous faut nous tourner : la norme doit tre comprise comme structurant galement le discours diplomatique, donc la ngociation diplomatique. Il faut rintgrer la norme la rflexion et montrer que la ngociation diplomatique ne saurait tre comprise sans les principes normatifs qui lencadrent.

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    II. Analyse normative de la ngociation diplomatique

    La difficult analyser de faon globale le phnomne de la ngociation diplomatique tient avant tout la difficult de la norme s'implanter intellectuellement comme un facteur structurant. La dconstruction par la mthode sociologique a marqu la science politique, tout en cartant l'intgration de la norme comme principe objectif. Ce choix pistmologique a ouvert des formes d'analyse prcises et intressantes, mais a galement recouvert une ralit d'importance. Si la fin de la mtaphysique thologique et du transcendantalisme philosophique a port un coup la place de la norme au sein des sciences humaines tendance qui trouve aujourd'hui son aboutissement dans les Critical Legal Studies34 de nombreuses thories contemporaines ont tent de replacer la norme dans l'analyse du rel. Si notre analyse change de discipline, elle change galement de forme. Nous tenons donc signaler que le recours la classification et catgorisation des thories sera dlaiss au profit d'un cheminement philosophique et dmonstratif, qui tentera de soulever par le raisonnement les fondements normatifs de la ngociation diplomatique. Dans le cadre de la ngociation diplomatique, nous verrons l'importance de la norme dans une analyse la fois du cadre structurel et des moyens de la ngociation. Ainsi, c'est la fois dans les contextes diplomatiques, qu'ils soient juridiques ou culturels, et dans le langage mme que s'ancre la norme. Elle est une catgorie structurante de la ngociation et bien plus qu'un simple outil stratgique.

    34 UNGER, Roberto, The Critical Legal Studies Movement, Harvard University Press, 1986, 136p.

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    1. La norme et la diplomatie

    L'analyse se portant avant tout sur la norme, qui sera le point central et

    l'articulation du raisonnement visant rendre compte de faon globale du phnomne de ngociation diplomatique , il s'agit tout d'abord de placer le concept de norme dans ses rapports aux autres concepts, la ngociation et la diplomatie. La premire tape revient dfinir prcisment la norme pour en saisir la ralit. Car c'est bien sur ce point que nous dpasserons la logique strictement sociologique : dmontrer, dans un premier temps, la ralit de la norme pour en dgager, par aprs, les fondements et les articulations.

    Ainsi, il faut revenir brivement sur la sociologie de la norme et les ambiguts du terme lui-mme, qui renvoie la fois la normalit , donc une tendance factuelle dtache de tout questionnement thique, et la normativit , soit une prescription. Il apparat donc que la dfinition elle-mme de la norme manque de clart il nous faut prciser cette ambigut avant de poursuivre la dmonstration sur la ralit et l'effectivit de la norme dans le monde diplomatique.

    A. Dfinition de la norme

    La norme recle une profonde ambigut, que cette premier partie a pour but de lever. En effet, l'abondance smantique autour de ce terme normal, norm, normatif peut brouiller l'analyse si certaines distinctions ne sont pas tablies. J. Haglo introduit Norme et symbole par le constat des difficults de la dfinition : il est apparemment plus ais d'numrer ou d'indiquer les normes que de les dfinir 35. J. Haglo tente cependant une dfinition : La norme est un fait ou un objet dans lequel sont associs un symbole et une expression et dont la fonction est de manifester une obligation 36. La complexit de cette dfinition, agrmente de considrations mathmatiques et

    35 HAGLO, John, Norme et Symbole - les fondements philosophiques de l'obligation, Paris, L'Harmattan,

    1998, p.9. 36

    HAGLO, John, Norme et Symbole, p. 314.

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    linguistiques risquent en ralit d'obscurcir notre raisonnement. Nous tenterons donc d'tablir philosophiquement une dfinition plus accessible de la norme avant de poursuivre la dmonstration. Nous le verrons, la dfinition elle-mme renvoie un cloisonnement disciplinaire qui distingue le fait du principe, la lettre et l'esprit.

    La norme comme fait

    La norme comme fait peut trouver son origine dans les mathmatiques et la loi normale gaussienne dont la reprsentation graphique est une courbe en forme de cloche. Cette loi est l'une des principales distribution de probabilit : elle permet le calcul de probabilits avec des paramtres levs. C'est la possibilit d'une dfinition mathmatique de la normalit, en tant que la population prise en compte et dont un critre particulier (la taille des femmes de trente ans) modlis concident plus ou moins avec la loi de Laplace-Gauss. Ainsi, un tat de normalit peut tre dfini pratiquement et mathmatiquement : la norme est le rsultat d'une modlisation mathmatique fonde sur les rpartitions et variances factuelles de critres spcifiques au sein d'une population. La sociologie, l'instar de l'conomie, revendique une proximit avec les sciences mathmatiques et les sciences dites exactes37. C'est ainsi qu'une analyse sociologique prtend s'orienter sur le fait, et pose la norme par induction mode de raisonnement par excellence du sociologue. La norme est le fait dgag par l'analyse sociologique de sa contingence empirique pour tre thoris comme objet de science : c'est l du moins le fondement de la mthode sociologique que propose Durkheim38. La norme devient avec Durkheim un fait social : toute manire de faire, fixe ou non, susceptible d'exercer sur l'individu une contrainte extrieure 39 C'est sur ce fondement que Durkheim peut parler du crime comme phnomne normal 40 : la sparation entre la norme et l'thique par la fondation, ncessaire d'un point de vue pistmologique, de la norme dans le fait et le fait seul que, dans une certaine mesure, nous retrouvons dans le

    37 HAMEL, Jacques, Prcis dpistmologie de la sociologie, Montral-Paris, LHarmattan, 1997, voir

    Introduction pp. 9-22. 38

    DURKHEIM, Emile, Les rgles de la mthode sociologique (1937), Paris, PUF, 2007 (13e dition). 39

    Idem p.14. 40

    Idem pp. 64-75.

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    positivisme juridique durkheimien galement a cart de l'analyse la possibilit d'une transcendance et a, par la mme occasion, occult une ralit normative qui dborde la ralit normalis qu'exposent les travaux sociologiques. C'est galement ce que le philosophe Canguilhem dfinissait comme la norme descriptive.

    Cependant, nous parlons de norme dans son sens thique et de normativit quotidiennement. Notre vision du normal introduit un comportement pourtant sociologiquement catgorisable qui ne se fonde que dans une ide (voire un idal) de ce qui devrait tre normal . Ainsi, le sens commun opposerait Durkheim que le crime n'est pas normal ! - la dfinition de la norme ayant apparemment gliss pour chapper l'emprise du fait strict. Le normal, dans le sens commun du moins, ne se rduit pas un fait qui rgule les comportements sociaux. De mme, la norme juridique ne peut tre conue uniquement comme l'induction de faits pralables : le sempiternel exemple de l'abolition de la peine de mort en France (1981) dmontre, dans le contexte sociologique de l'poque, la possibilit pour le droit de prendre une certaine avance sur le fait le lgislateur ayant tabli une norme non pas induite des comportements (la majorit de la population tant encore favorable la peine capitale) mais dduite de principes thiques.

    La norme comme fait est une conception qui possde une certaine utilit pistmologique, mais ne peut tre juge suffisante. Il faut dsormais intgrer le principe et la dfinition thique dans le concept.

    La norme comme loi

    La norme ouvre galement la possibilit d'une prescription : le il faut remplace le il y a , la maxime thique supplante le fait modlis. Ainsi, la situation normale renvoie une situation juste et moralement acceptable l'anormal renvoyant la dviance thique. La pense contemporaine a largement rejet une telle conception, issue de la philosophie antique et mdivale et bien souvent fondement thologique. La norme peut alors tre assimile la loi morale, le normatif l'impratif (catgorique).

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    A nouveau, il faut admettre l'insuffisance d'une telle dfinition. La fin de la transcendance dans la pense occidentale a sign l'arrt de mort d'une justification de la norme par son origine divine, comme loi drive du Bien suprme. La norme ne saurait tre l'quivalent d'une loi. Tout d'abord, le terme loi possde lui-aussi une ambigut fondamentale entre les principes naturels scientifiquement tablis et les normes juridiques dictes. La norme dans le droit est une rgle qui du fait de son origine (Constitution, Lois, rglements administratifs, Traits ou Accords internationaux) et de son caractre gnral et impersonnel. constitue une source de droits et d'obligations juridiques 41. On le voit, la norme peut contenir une loi, mais ne s'y rduit pas. De mme, la norme a une ralit factuelle. Elle rassemble deux dimensions : l'objectivit de la loi thique et de la transcendance, l'empirisme de la loi scientifique et du fait sociologique.

    La norme comme rgle

    La norme est la fois une prescription (rgle de conduite, de savoir-vivre, thique) et une tendance factuelle modlisable (rgle vestimentaire). On peut envisager une norme comme prescription ou une rgle, c'est--dire un type de proposition reconnaissable en ce qu'il peut gnralement tre paraphras par une phrase introduite par devoir 42. Le rapprochement au concept de rgle permet de rassembler aussi bien la signification prescriptive de la norme et sa signification empirique constate, que sa ncessit lgale et sa flexibilit sociale (la rgle et l'exception). La norme n'est pas transcendante, mais elle ne se rduit pas des constats sociologiques sur les tendances comportementales. Elle n'est pas totalement objective et certaine, mais ne consiste pas qu'en l'agrgation d'opinions particulires constates. En ce sens, la norme ouvre dj le sens de notre rflexion globale : le concept oppose des difficults de dfinition qui renvoient aux difficults que pose la question de la ngociation diplomatique. Oscillant entre la subjectivit des diplomates et l'objectivit des principes qui s'insrent dans la rencontre de ces subjectivits, la ngociation

    41 www.dictionnaire-juridique.com

    42 AUROUX, Sylvain, La raison, le langage et les normes, Paris, PUF, 1998, p. 224.

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    diplomatique est lie la complexit smantique de la norme : entre construction sociale et objectivit de principe, les deux phnomnes ont des parcours conceptuels parallles.

    Ainsi, l'analyse de la norme nous a permis de visualiser les enjeux de l'analyse normative de la ngociation diplomatique. C'est au travers de ce concept que se construiront nos affirmations et notre tentative d'englober largement le phnomne de la ngociation. Les ambiguts de la norme font cho aux ambiguts du dialogue et du discours que nous verrons par aprs. Il nous reste encore dfinir clairement le contexte d'application de la norme. La norme comme rgle peut sembler, premire vue, merger du droit et notamment de la rgulation juridique des relations internationales. Le droit dans la diplomatie semble tre la premire insertion du normatif dans la ngociation : il convient donc de l'tudier en dtail.

    B. Le droit et la diplomatie

    L'analyse de la ngociation diplomatique est dans l'obligation d'intgrer la norme en tant que la diplomatie elle-mme est soumise au droit. Ainsi, le cadre structurel de la ngociation appose-t-il sur cette dernire des contraintes juridiques donc normatives. Cette analyse du droit dans la diplomatie nous permet d'ouvrir le champ de rflexion l'insertion de la norme dans la ngociation. Si, comme nous l'avons vu, elle ne peut tre exclue, nous verrons par quels moyens elle peut y tre intgre notamment, et en

    premier lieu, par le droit. Il faut cependant souligner que l'acte de ngociation lui-mme ne se soumet pas des normes juridiques - comme nous le montrerons par aprs. En ce sens, seul le mtier de diplomate ou la diplomatie en gnral comme institution se trouvent sous l'gide du droit et de ses normes. Les contraintes du producteur orientant la production comme l'indiquait A. Strauss dans l'analyse des cadres structurels de la ngociation , la ngociation subit l'effet de la norme par les impratifs juridiques auxquels est soumise la diplomatie.

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    a. La diplomatie soumise au droit

    Le droit a pntr la diplomatie afin d'en dlimiter juridiquement les contours, avec le consentement des tats. Il est difficile de fait d'tablir clairement en quoi ces contours consistent la pratique diplomatique ayant largement contribu claircir cette dmarcation. Toutefois, les grands principes juridiques de la diplomatie dmontrerons l'intgration, par le droit, de la norme dans la diplomatie, et mettront en lumire le cadre structurel des ngociations diplomatiques, sans lequel une comprhension globale du phnomne n'est pas envisageable. Il est noter d'ailleurs que les grands manuels de droit et d'histoire diplomatique43 tentent de rtablir le pouvoir de la norme dans la diplomatie, avec pour objectif de battre en brche les prjugs courants qui voient dans l'action diplomatique un mlange confus de secrets, de mensonges, de fourberies et de mots couverts.

    C. Villar affirme donc qu' partir de la Renaissance, un second moyen de mise en ordre normativiste fut appliqu : le droit international. Des juristes, comme Baltassar Hayala, Alberico Gentile et Hugo Grotius ont cherch ordonner l'anarchie politique d'alors. [] Ainsi, dans la perspective du droit des gens, la diplomatie n'apparat alors que comme une activit qui est la fois instaure par le droit et qui lui est subordonn. Le discours diplomatique en ressort comme un acte protg par le droit qui, son tour, peut fonder des droits et des devoirs, engageant son auteur. [] Or la dimension juridique du discours diplomatique n'est pas restreinte au plan thorique mais, par mouvement anticipatoire, elle a galement un impact pratique 44.

    Historiquement donc, le droit s'est insr dans la diplomatie et en a pos les contours normatifs, c'est--dire prescriptifs. Le droit international a tout d'abord vis rguler les relations internationales et non pas strictement la diplomatie, bien qu'il aie t directement concern par la pratique diplomatique. Il ne sy intresse rellement qu la fin du XIXe sicle avec les confrences de La Haye de 1899 et de 1907 sur le rglement pacifique des conflits internationaux et les lois et coutumes de la guerre 45.

    43 Voir par exemple GENET, Raoul, Trait de Diplomatie et de Droit Diplomatique, 2 tomes, Paris, A.

    Pedone, 1931. 44

    VILLAR, Constanze, Le discours diplomatique, p.204-205. 45

    CHOUKROUNE, Lela, La ngociation diplomatique dans le cadre du rglement pacifique des

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    P. Cahier dfinit lui-mme le droit diplomatique comme l'ensemble des normes juridiques destines rgler les rapports qui se forment entre les diffrents organes des sujets de droit international chargs de manire permanente ou temporaire des relations extrieures de ces sujets 46. Il est finalement incontestable que la norme a pntr et pntre toujours plus la diplomatie par l'intermdiaire du droit.

    b. La diplomatie, cratrice de droit

    De mme, le lien entre la diplomatie et la norme ou, ici, le droit existe dans la rciprocit : la diplomatie produit elle-mme des normes. Les rencontres et sommets diplomatiques ont souvent pour objectif de dboucher sur la ratification d'un trait, la conclusion d'un accord juridiquement contraignant ou l'instauration de coutumes internationales reconnues et acceptes. Les exemples abondent, car les ngociations diplomatiques dbouchant sur une cration de normes juridiques inter-tatiques restent les plus clbres (convention de Genve, convention de Montego Bay, etc). La diplomatie est l'origine de nombreuses normes du droit international. Ces normes sont issues de diverses sources47 : les conventions internationales, la coutume internationale, les principes gnraux du droit reconnus par les nations civilises et la doctrine. Arrtons-nous brivement sur ces sources du droit international public. La diplomatie a bien videmment un rle fondamental dans le cas des conventions. Les conventions rassemblent gnralement des dlgations diplomatiques secondes d'assistants et d'experts et de plus en plus aujourd'hui de reprsentants de la socit civile. Ces dlgations entament les ngociations sur la base de travaux effectues pralablement. L'aboutissement des ngociations dbouche alors sur la forme finale d'une convention qui doit alors tre ratifie par les reprsentants des tats parties : les diplomates. Tout au long du processus, le corps diplomatique joue donc un rle essentiel dans la cration du droit conventionnel48. De mme, les rapports diplomatiques dfinissent galement la coutume

    diffrends. Thorie et pratique du droit international, Hypothses, 2000/1, pages 152-162. 46

    CAHIER, Philippe, Le droit diplomatique contemporain, Paris, Minard, 1962, pages 5-6. 47

    Ces sources sont dfinies l'article 38 du statut de la Cour internationale de Justice. 48

    CAHIER, Philippe, Le droit diplomatique contemporain, pp.373-401 sur les conventions.

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    internationale : le fameux pacta sunt servanda, principe fondamental et coutumier du droit international, jusqu' sa formalisation l'article 26 de la Convention de Vienne (1969), trouve son origine dans les liens diplomatiques inter-tatiques et la volont de leur maintien.

    Les principes gnraux du droit peuvent tre considrs comme source du droit par des juges ou des arbitres internationaux. Dans le cas des arbitres, il peut s'agir d'une mdiation diplomatique, auquel cas les diplomates investis du rle d'arbitre seront en charge de la cration du droit par principes gnraux dgags. Enfin, la doctrine en droit international est galement et surtout dgage par la pratique de ce droit - les diplomates et la diplomatie sont l'origine de production doctrinales, sources de normes en droit international. En droit international priv, les intrts des particuliers et des milieux d'affaires franais l'tranger tant lis aux intrts de la France, la diplomatie a galement une influence sur la production normative de droit international priv.

    Ainsi, la diplomatie a une relation double la norme. Elle est structure par la norme en tant que rgule par des principes juridiques, mais elle est aussi productrice de normes. Ceci tant admis, on conoit alors l'importance de saisir le rle de la norme dans la ngociation diplomatique et pas uniquement d'un point de vue juridique ! Si, comme nous l'avons constat, la norme joue un rle dans la ngociation, nous sommes lgitims dpasser et refonder la vision sociologique-stratgique de la ngociation diplomatique en y intgrant la normativit inhrente aux processus de ngociation. Celle-ci cependant ne saurait se rduire au droit pur, qui n'est lui-mme qu'une manifestation plus ou moins claire de la norme selon qu'il s'agisse d'un trait, o les contraintes peuvent tre disposes avec peu d'ambiguts, ou d'une coutume, o une part de libre apprciation de la porte normative est permise.

    Il nous faut donc prsent entamer une analyse des rapports qu'entretiennent la norme et la ngociation elle-mme.

    2. La norme et la ngociation

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    La ngociation diplomatique est l'acte diplomatique par excellence ; elle est la fonction de la diplomatie et est par l-mme soumise aux contraintes qui psent sur la diplomatie et le corps diplomatique. C'est donc par la diplomatie, dans le prolongement de nos analyses prcdentes, que nous tudierons l'impact de la norme sur la ngociation : il s'agit d'largir la perspective sur la normativit gnrale qui structure le champ diplomatique alors que nous nous en tenions aux principes juridiques appliqus. La norme dans la fonction de la diplomatie c'est--dire, la ngociation diplomatique se situe dans deux aspects : le cadre de la diplomatie et ses objectifs. Le contexte du travail diplomatique est norm juridiquement mais pas seulement. Les objectifs du travail diplomatique rpondent aussi une exigence normative.

    A. Les cadres normatifs (institutions, lgislatifs, culturels)

    La ngociation diplomatique advient dans un contexte. Ce dernier varie selon les rgions gographiques, les interlocuteurs, les coutumes, etc. Les tudes sociologiques ont notamment distingu le contexte structurel du contexte de ngociation. Le premier prempte la ngociation et influence inconsciemment le ngociateur. Le second peut tre utilis par le ngociateur des fins stratgiques il est de l'ordre de l'outil. La ngociation a, au fil du temps, t institutionnalise. Nous montrerons que, dans le processus d'institutionnalisation, elle a galement t norme, structure normativement. La ngociation diplomatique a subi l'influence de l'organisation institutionnelle, dans laquelle elle se dploie dsormais, mais aussi du droit qui en a juridiquement pos les contours. Enfin, plus largement, la ngociation se heurte un contexte socio-culturel trs norm, au sein duquel le ngociateur stratgique peut trouver des outils mais se heurte surtout des contraintes.

    a. L'institutionnalisation de la ngociation

    La diplomatie s'est institutionnalise au fil de son histoire : les rles ont t dfinis de plus en plus distinctement (ambassadeur, expert, ngociateur, mdiateur) au

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    sein d'institutions clairement dfinies (ambassades, consulats, dlgations). La multiplication des confrences, des sommets, des organisations internationales plus gnralement, des lieux de rencontre diplomatique, des arnes de dbat a t constat par de nombreux travaux d'historiens49. Aujourd'hui, l'augmentation des enjeux, des acteurs et des intrts sur la scne internationale a considrablement augment les besoins de ngociation. Pour H. Vdrine : La multiplication des ngociations sur tous les plans, sur tous les terrains, dans toutes les enceintes, oblige absolument avoir un corps de spcialistes polyvalents de la ngociation en soi 50. Or les institutions reprsentent elles-mmes des cadres normatifs : elles posent les rgles de la ngociation, elles en dlimitent le champ d'action. L'institutionnalisation est une rgulation, donc une limitation. Elle est intrinsquement prescriptive, en tant qu'elle inclut ou exclut des parties ou des modalits de confrontation. Elle se pose par ngativit, par souci de ne pas laisser libre cours aux conflits ; elle plaque la norme sur le fait en lui attribuant des critres de dveloppement conceptuellement dlimits. L'institutionnalisation, comme formalisation, normativise le formel et anormalise

    l'informel. L'institutionnalisation du droit de la guerre lors des confrences sur la paix de 1899 et 1907 ou au sein de l'ONU a pos la distinction entre guerres normales et anormales ici l'quivalent de rgulires/irrgulires ou lgales/illgales. L'mergence de la diplomatie ouverte, comme la rclamait le prsident Wilson en 1919, a fait de la diplomatie secrte une mthode anormale de ngociation : l'institution se fait le vecteur entre le fait et la norme.

    Ainsi, l'institutionnalisation de la ngociation diplomatique a mis en lumire sa structure norme la ngociation diplomatique se droule dans un contexte o la norme a toute son importance. La ngociation de plus en plus institutionnalise est donc de plus en plus norme. L'institutionnalisation est juridique, administrative et sociologique. Afin de clarifier encore, prenons un exemple prcis : le principe du diplomate habilit. La ngociation diplomatique requiert un diplomate habilit par un tat ngocier en son nom. C'est une forme d'institutionnalisation en tant que ce principe empche un tat de

    49 Nous renvoyons La Ngociation Sminaire de l'cole doctorale d'histoire coordonn par Pierre

    JOUNOUD, notamment l'article de Claire GANTET, L'institutionnalisation d'une ngociation La ritualisation de la paix de Westphalie (1648) in Hypothses, 2000/1, pages 181-187.

    50 Dclaration et point de presse de M. Hubert Vdrine pour l'inauguration de l'Institut diplomatique,

    Paris, le 15 mai 2001.

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    ngocier avec n'importe qui : les procdures sont formalises. Les normes que cette institutionnalisation dgage sont la ncessit d'une lgitimit pour ngocier, le principe d'habilitation, ou la reprsentativit du diplomate, qui ne ngocie pas pour lui-mme mais au nom d'un tat. Ainsi, la ngociation diplomatique institutionnalise est sous l'gide d'un systme de normes qui la rgule, la formalise, la dlimite. Allons plus en avant dans cette analyse.

    b. Le cadre lgal de la ngociation

    L