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L'exégèse christologique de saint Cyrille d'Alexandrie * Peu de Pères ou de Docteurs de l'Eglise ont joui autant que Cyrille d'Alexandrie, mort en 444, des éloges et approbations des papes et des conciles oecuméniques. Peu après son décès, Chalcé- doine compare sa doctrine à la sagesse de Léon le Grand ; ce pape recommande les écrits du docteur alexandrin précisément parce qu'ils concordent entièrement avec la foi des saints Pères. Con- stantinople II et Constantinople III, en 553 et 681 respectivement, lui rendent hommage, ce dernier concile vengeant sa mémoire de l'accusation de monothélisme \ Si la raison fondamentale de tant d'éloges est relative à sa défense de l'unité et de la divinité du Christ Sauveur, sans qu'ils paraissent inclure une mention directe de l'exégèse cyrillienne, ils ne sont pas néanmoins indépendants d'elle. Les conciles oecuméniques, à partir de celui d'Ephèse, présidé par Cyrille, en retenant largement la christologie cyrillienne, ont substantiellement fait leur sa lecture de l'Ecriture et, tout parti- culièrement, du Nouveau Testament, sur plusieurs points fonda- mentaux. Aujourd'hui encore, au sein d'une chrétienté divisée, Cyrille d'Alexandrie est un point de ralliement tant pour les Eglises non chalcédoniennes que pour celles, catholiques 2 et orthodoxes, qui se veulent fidèles au concile de 451. Après avoir présenté quelques-unes des vues de Cyrille sur l'exégèse et sa méthode, nous verrons brièvement comment il la met en œuvre à propos de l'Ancien et surtout du Nouveau Testa- ment, non sans nous attarder à sa lecture johannique et paulinienne des mystères fondamentaux du christianisme : Trinité, Incarnation, * Ces pages forment le chapitre X de l'ouvrage intitulé Introduction à l'His- toire de l'Exégèse des Pères Grecs et Orientaux et qui paraîtra prochainement aux Editions du Cerf. Ce livre devra être suivi d'un autre. Introduction à l'exé- gèse des Pères latins. Les mêmes Editions publieront également l'étude Les Per- fections du Dieu de Jésus-Christ. L'annotation qu'on trouvera ici ne reproduit qu'une partie des très nombreuses références qui accompagneront le texte dans le volume annoncé. 1. Cf. DZ-SCH 554, 557 ; PIE XII, Enc. Orientalis Ecclesiae, 9 avril 1944 : AAS 36 (1944) 130. Sur les différentes appréciations de la christologie cyrillienne et de son évolution, on pourra se reporter à G.-M. DE DURAND, O.P., Introduc- tion à Deux dialogues chrisfologiques, SC 97, Paris, 1964, p. 149 s. ; et surtout à A. GRILLMEIER, Christ in Christian Tradition, London, 1975 2 , t. I, p. 473-483. 2. Les différentes Eglises diocésaines à l'intérieur de l'unique et universelle Eglise catholique.

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  • L'exgse christologiquede saint Cyrille d'Alexandrie *

    Peu de Pres ou de Docteurs de l'Eglise ont joui autant queCyrille d'Alexandrie, mort en 444, des loges et approbations despapes et des conciles oecumniques. Peu aprs son dcs, Chalc-doine compare sa doctrine la sagesse de Lon le Grand ; ce paperecommande les crits du docteur alexandrin prcisment parcequ'ils concordent entirement avec la foi des saints Pres. Con-stantinople II et Constantinople III, en 553 et 681 respectivement,lui rendent hommage, ce dernier concile vengeant sa mmoire del'accusation de monothlisme \ Si la raison fondamentale de tantd'loges est relative sa dfense de l'unit et de la divinit duChrist Sauveur, sans qu'ils paraissent inclure une mention directede l'exgse cyrillienne, ils ne sont pas nanmoins indpendantsd'elle. Les conciles oecumniques, partir de celui d'Ephse, prsidpar Cyrille, en retenant largement la christologie cyrillienne, ontsubstantiellement fait leur sa lecture de l'Ecriture et, tout parti-culirement, du Nouveau Testament, sur plusieurs points fonda-mentaux.

    Aujourd'hui encore, au sein d'une chrtient divise, Cyrilled'Alexandrie est un point de ralliement tant pour les Eglises nonchalcdoniennes que pour celles, catholiques2 et orthodoxes, quise veulent fidles au concile de 451.

    Aprs avoir prsent quelques-unes des vues de Cyrille surl'exgse et sa mthode, nous verrons brivement comment il lamet en uvre propos de l'Ancien et surtout du Nouveau Testa-ment, non sans nous attarder sa lecture johannique et pauliniennedes mystres fondamentaux du christianisme : Trinit, Incarnation,

    * Ces pages forment le chapitre X de l'ouvrage intitul Introduction l'His-toire de l'Exgse des Pres Grecs et Orientaux et qui paratra prochainementaux Editions du Cerf. Ce livre devra tre suivi d'un autre. Introduction l'ex-gse des Pres latins. Les mmes Editions publieront galement l'tude Les Per-fections du Dieu de Jsus-Christ. L'annotation qu'on trouvera ici ne reproduitqu'une partie des trs nombreuses rfrences qui accompagneront le texte dansle volume annonc.

    1. Cf. DZ-SCH 554, 557 ; PIE XII, Enc. Orientalis Ecclesiae, 9 avril 1944 :AAS 36 (1944) 130. Sur les diffrentes apprciations de la christologie cyrillienneet de son volution, on pourra se reporter G.-M. DE DURAND, O.P., Introduc-tion Deux dialogues chrisfologiques, SC 97, Paris, 1964, p. 149 s. ; et surtout A. GRILLMEIER, Christ in Christian Tradition, London, 19752, t. I, p. 473-483.

    2. Les diffrentes Eglises diocsaines l'intrieur de l'unique et universelleEglise catholique.

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    don de l'Esprit, Eucharistie, Eglise lecture laquelle le 11 con-cile du Vatican a fait cho. Nous aurons ainsi l'occasion de citerabondamment l'immortel chef-d'uvre de saint Cyrille d'Alexan-drie : ses commentaires sur l'Evangile de saint Jean.

    I. LA METHODE DE CYRILLEET LA CONTEMPLATION SPIRITUELLE OU THERIA PNEUMATIK

    Cyrille, hritier de la tradition exgtique de l'Eglise d'Alexandrie,y introduit cependant d'importantes nuances nouvelles. Il reprendles grandes catgories de ses prdcesseurs : sens littral et sensspirituel, skopos ou but, gnose des mystres, au sein d'une con-centration christologique encore plus pousse, s'il est possible :

    Le but3 de l'Ecriture inspire est de signifier le mystre du Christ aumoyen d'objets sans nombre. On peut l'assimiler une magnifique citqui possde non pas une, mais plusieurs images de son Roi, toutes expo-ses publiquement partout. L'Ecriture ne nglige rien pour atteindre cebut... Si le sens littral contient quelque chose de laid, rien n'empchel'Ecriture de s'en servir d'une manire lgante. Son but (sfcopos) n'estpas de nous exposer les vies des patriarches. Loin de l. Mais plutt denous communiquer une connaissance de son mystre de salut, par le moyenduquel la parole qui le concerne devient claire et vraie.

    Pour Cyrille, dans ce texte, le sens littral parat totalement auservice du sens spirituel : la signification du mystre du salut, quiest le Sauveur, le Christ lui-mme.

    Plus prcisment et les travaux d'A. Kerrigan l'ont tabli la distinction entre sens littral et sens spirituel vise avant tout,non les intentions du sujet, auteur humain ou auteur divin, maisles objets considrs : appartient au sens littral ce qui est humain,au sens spirituel ce qui est divin. Point de vue qui non seulementne contredit pas les approches antrieures ou postrieures (dis-tinguant les intentions respectives des auteurs, humain et divin, dutexte), mais encore s'harmonise avec elles et les complte : l'auteurhumain a en vue un sens que l'on peut qualifier d'humain, savoirle sens littral ; l'Auteur divin vise un sens divin : le sens spirituel.L'un s'intresse particulirement aux penses des hommes, l'autre celles de Dieu. Le premier considre ta aisthta, les ralits peruespar les sens, et aussi ta anthrpina, c'est--dire les traits et activitscaractristiques de l'tre humain, soit individuellement, soit engroupe. Au contraire, le sens spirituel se rapporte aux dogmes

    3. Cyrille utilise le mot de skopos ; sur la notion de skopos dans l'exgse deCyrille et son arrire-plan dans l'exgse profane, voir A. KERRIGAN, O.P.M.,St. Cyril o[ Alexandria, Interprter of th Old Testament, coll. Anal. Bibl. 2,Rome, 1952, p. 87 ss, 224 ss.

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    divins et aux mystres ( tout ce que Pie XII, dans l'encycliqueDivine Af fiante Spiritii, appelait le sens spirituel thologique).

    Ainsi ressortent du sens littral l'ascendance davidique de Jsus,comme ses dclarations la Samaritaine ; Nous adorons ce quenous connaissons (Jn 4.22). Jsus s'exprimait comme un Juifet comme un tre humain, qui a l'obligation connaturelle d'adorerDieu. Au contraire, en disant Priez le Seigneur de la moissond'envoyer des ouvriers sa moisson (Le 70,1-3), Jsus ne seprsente pas seulement comme celui qui prie, mais encore commele divin Seigneur de la moisson.

    Plus tard, aprs la crise nestorienne, quand il examine les paroleset les uvres du Christ, Cyrille distingue avec soin trois catgoriesd'expressions : celles qui se rapportent ses attributs divins (phnaitheoprepeis), celles qui dcrivent ses traits humains (phnai anthr-poprepeis) et enfin celles qui connotent simultanment son huma-nit et sa divinit, les expressions intermdiaires ou mixtes (phnaimesai, kekrammenai}. Notons-le au passage : sans l'observer, desexgtes modernes retrouvent semblables distinctions, certainementprpares, chez Cyrille, par la considration du sens littral etdu sens spirituel.

    On peroit donc comment Cyrille d'Alexandrie a fait voluerles notions de sens littral et de sens spirituel : partir d'uneobjectivatton de ces notions, il en dcouvre et prsente la vivantesynthse dans le Sujet suprme et unique, le Christ, et dans les deuxdimensions de son tre thandrique. La concentration christo-logique de la mthode exgtique rejoint celle de l'attention dogma-tique.

    Le point est d'autant plus frappant que, simultanment, Cyrillerenonce l'une des convictions d'Origne : ses yeux, certainspassages de l'Ancien Testament prsentent un sens littral, maisnon un sens spirituel. Notamment, Cyrille applique ce principe certains aspects lgislatifs des Ecritures, par exemple certainstraits de l'arche d'alliance, dpourvus ses yeux de toute signi-fication mystique. Le sens spirituel est toujours, pour Cyrille,d'une manire ou d'une autre, relatif au mystre du Christ : toute contemplation spirituelle (theria pneumatik) regarde versle mystre du Christ . Un sens scripturaire sans relation avec lemystre du Christ ne peut tre spirituel, il ne peut tre que littral.L'admission de la possibilit d'un tel sens, de sa ralit en plusieurscas, constitue une volution radicale par rapport Origne.

    La notion-clef de l'exgse cyrillienne est donc celle de theriapneumatik, laquelle il vient d'tre fait allusion. Que signifie-t-elleexactement pour le patriarche d'Alexandrie ? Cette expression que

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    Cyrille favorise entre toutes pour dsigner le sens spirituel del'Ecriture implique une vision (theria) ouvrant l'esprit aumystre du Christ (cf. Le 24, 27.44) ; mais cette vision est pneu-matique , spirituelle, car dans son exercice l'esprit humain estaid par l'Esprit divin et saint dpasser le masque de la lettreet l'ombre des ralits apparentes .

    Cette vision spirituelle du sens spirituel des Ecritures est, pourCyrille reprenant, avec ses nuances personnelles, les enseignementsde Clment et d'Origne, un charisme et une gnose, une rvlationqui enrichit l'esprit de l'exgte en lui communiquant la con-naissance de la vrit, c'est--dire des profondeurs divines con-tenues dans les Ecritures et du mystre du Christ. La gnose de latheria pneumatik nous apporte la vision de Dieu ou theoptia,par laquelle et en laquelle l'Inaccessible, plein de condescendance,se fait accessible envers nous. Gnose, thoptie, vision pneumatique :ce don n'est accord qu'au croyant soumis au Christ, non au Juifincrdule. Aussi le docteur d'Alexandrie ne se lasse-t-il pas dedemander Dieu, pour lui-mme comme pour ses auditeurs, ledon si prcieux de cette gnose biblique.

    Quoique Cyrille tende tantt largir4 et tantt restreindre'le cercle des chrtiens dous de gnose, il se diffrencie en toutcas de Clment d'Alexandrie sur un point important : Cyrilleattribue aux prtres le rle d'illuminateurs bibliques que Clmentassignait aux gnostiques seuls.

    II. CYRILLE, LECTEUR CHRTIEN DE L'ANCIEN TESTAMENT

    Assurment, Cyrille n'ignore pas qu'il est lui-mme l'un de cesprtres charismatiques et qu'il a reu le don si instamment demand :celui de la theria pneumatik des Ecritures de l'ancienne Alliance.

    Ce que nous avons dj dit montre que sa lecture de l'AncienTestament n'est pas seulement chrtienne, mais surtout telle. Passeulement chrtienne, puisqu'il admet qu'un certain nombre depassages ne comporte pas de sens spirituel ni d'allusion au mystredu Christ. Mais surtout chrtienne : car, pour le patriarche d'Alexan-drie, successeur des Aptres, c'est son charisme prophtique d'ex-

    4. La gnose consiste dans les raisonnements mettant les gens simples enmesure de savoir que le Christ est Dieu et qu'il est vraiment et rellement le Filsde Dieu (S.P.N. CYRILLI ALEXANDRINI In D. Joannis Evangelmrn. dit. Ph.E.PUSEY, rd. anast, Bruxelles, 1965, t. II, p. 494, 9 ss : commentaire sur Jn 14. 22).On notera la pointe anti-arienne.

    5. Il s'agit des rrieoi ou parfaits, qui ont atteint la puret de l'esprit [ibid.,p. 494, 13 ss).

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    gte de l'Ancien Testament que le Christ ressuscit lui a com-muniqu en ouvrant son esprit au Sien (cf. Le 24, 27.44). Commentcomprendre autrement ce que dit Cyrille : une fois le Fils uniqueincarn, mort et ressuscit, une fois consomme toute son conomieparmi nous, quelle occasion y a-t-il encore de prophtie ou deprdiction ? Prophtiser n'est donc rien d'autre que la facultd'interprter, l'hermneutique des prophtes 6 ? Le prophte chr-tien est celui qui a reu le charisme de reconnatre l'accomplissementdes prophties de l'Ancien Testament dans le Nouveau.

    La Loi ancienne tait une illumination accompagne de tnbres,contrastant avec les rayons sans mlange irradis par le Soleil deJustice, l'Etoile du Matin, le Christ. Elle continue d'clairer d'unelumire lunaire, quoique l'Evangile brille dans la splendeur solairedu midi, grce au Christ qui manifeste, dans l'Esprit, sa con-naissance de la Loi et des Prophtes. Reprenant une catgorie deClment d'Alexandrie, Cyrille appelle photagogie (phtaggia)cette lumineuse interprtation de la Loi ancienne par le ChristJsus. Nous en avons besoin, car la Loi de Mose a t entnbrepar les ombres procdant de la lettre. A propos de 2 Co 3, 16, Cyrillecrit : Le Seigneur montre la vraie face de la Loi (celle qui a tglorifie) aux sages sanctifis en esprit et rendus illustres parla foi au Christ. L'activit illuminatrice du Christ est inex-tinguible, car elle est perptue dans l'Eglise par les aptres, lesvanglistes, les didascales et les prtres de tous les temps, devenus leur tour des astres capables d'illuminer ceux qui vivent dansles tnbres.

    Dans ce contexte, la manire dont Cyrille aborde Mose retientl'attention par sa complexit. D'une part, le patriarche d'Alexandrieexalte le prophte Mose7 : l'avance, le lgislateur d'Isral voit(blepn} la gloire du Christ, Satan conquis, les lpreux guris,la mer calme d'un mot , et il n'ignore mme pas que la Loine justifie personne, que le Christ librera le monde de seschanes et introduira les croyants dans l'Eglise. Mose, pour Cyrille,connat jusqu'au symbolisme de ses propres actions : ainsi les douzepierres riges pour les douze tribus d'Isral voquaient l'avancepour Isral les douze Aptres et l'universelle Eglise du Christ.Mose apparat donc, pour Cyrille, comme un super-prophte du

    6. CYRILLE, In 1 Co 14,2: PG 74, 889 C; un peu plus loin (892 A), Cyrillenuance (to prophteuein en toutois to diermneuein esti ta ton prophfn) ce quitait trop absolu dans sa premire expression (prophtiser n'est rien d'autre que lafacult d'interprter les prophtes).

    7. Cf. A. KERRIGAN, op. cit.. p. 227-229. Kerrigan montre comment Cyrille suitici Origne ; tous deux ont-ils subi l'influence de Philon ? Cela n'est pas impos-sible, car Philon exalte en Mose le prophte ; cf. B. BOTTE, La Vie de Mose parPhilon. dans Cahiers Sioniens 8 H9541 59 (177).

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    Christ. D'autre part, le mme Cyrille ne se lasse pas de souligner quel point Mose a besoin du Christ pour son propre salut et quel point toute sa grandeur s'clipse devant celle du Christ. Aucunecontradiction en ces diverses approches : c'est cause du Christque Mose est dou d'une connaissance extraordinaire dont l'objettranscende le sujet. Ce qui est plus paradoxal, c'est que Moseest dou, aux yeux de Cyrille, d'une connaissance prophtique dontle Christ pr-pascal, en son humanit, ne semble pas, pour lui,si clairement pourvu8.

    Nous ne pouvons entrer ici dans plus de dtails au sujet del'exgse vtro-testamentaire de Cyrille, influence par celle desaint Jrme et si longuement analyse, il y a quelques annes,par le P.A. Kerrigan. Disons seulement, si on la compare avecl'ancienne cole alexandrine (Clment, Origne), qu'elle marqueun progrs dcisif sur deux points : non seulement, ainsi quenous l'avons dj soulign, Cyrille reconnat que certains textesde l'Ancien Testament ne prsentent pas de sens spirituel, maisencore corollaire ncessaire il admet, comme Grgoire deNysse l'avait dj fait, l'existence d'un sens littral mtaphorique.On serait tent de dire que sa mthode reprsente une synthsedes meilleurs lments des deux coles d'Antioche et d'Alexandrie.

    III. CYRILLE D'ALEXANDRIE, EXGTE DOCTRINALDES MYSTRES FONDAMENTAUX DE LA NOUVELLE ALLIANCE

    L'exgse cyrillienne du Nouveau Testament veut avant toutfaire ressortir la doctrine rvle qu'il contient et partir de423 au moins l'exposer dans le contexte de la lutte contrel'arianisme et contre le nestorianisme. Ce caractre polmique, sisouvent, quoique non toujours, prsent, rejoint d'ailleurs le carac-tre polmique de bien des crits no-testamentaires eux-mmes notamment des ptres de Paul, face au judo-christianisme ht-rodoxe, et de la littrature johannique face aux courants prgnos"tiques et au judasme pharisien. Prcisment, Cyrille s'est abon-damment nourri de Paul et de Jean.

    Nous verrons d'abord son interprtation des mystres du chris-tianisme dans le grand commentaire de l'vangile johannique, avant

    8. Cf. H. DU MANOIR, Dogme et spiritualit chez saint Cyrille d'Alexandrie,Et. de thol. et d'hist. de la spir.. 2. Paris, 1944, p. 150-161 ; suivant cet auteur,il y aurait, aux yeux de Cyrille, une relle diffrence, dans la science humainede Jsus concernant le jour du jugement, entre le temps qui prcde la Rsurrection

    c.llit

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    la priode nestorienne9, puis son insistance sur l'unit, la prennitet la primaut absolue et universelle du Christ.

    Pour Cyrille, contemplant la continuit du plan divin de salut,l'Incarnation du Fils est le grand moyen choisi par Dieu pourrendre l'humanit le don de l'Esprit Saint (avec les biens dela vie divine), ce don qu'elle avait perdu par suite du pch.Il y a plus : le nouvel Adam ne se limite pas rendre l'humanitles biens perdus, mais encore, la diffrence du premier Adam,il enracine dfinitivement en elle l'Esprit Saint.

    Bien que des refus individuels soient possibles, l'humanit neperdra plus jamais ce bien dfinitivement acquis : l'inhabitation duSaint-Esprit dans le nouvel Adam. Tel est le thme dvelopp parCyrille dans son commentaire de Jn 7, 39 : le Fils unique s'estfait homme afin qu'en lui la grce de l'Esprit ft conserve toute la nature humaine, d'une manire stable (ararofs). Cyrilleprcise : le Fils unique... s'est fait homme pour condamner lepch dans la chair... et nous rendre fils de Dieu (cf. Rm 8.3).Autrement dit, le Fils unique a poursuivi en s'incarnant non seule-ment le but de l'expiation de nos pchs, mais encore celui defonder notre adoption divine.

    Commentant Jn 1, 32ss ( j'ai vu l'Esprit descendre du ciel commeune colombe et il est demeur sur lui), Cyrille est soucieux decombattre les interprtations hrtiques niant l'galit du Fils avecl'Esprit et avec le Pre, dans le contexte du Baptme de Jsus.Il souligne trois points : l'Esprit n'advient pas au Christ demanire extrinsque, le Christ ne participe pas l'Esprit Saint,leur intriorit mutuelle est enracine dans leur commune natureet essence. Le Baptme du Christ ne signifie pas que le Christavait besoin pour lui-mme de l'Esprit Saint ni son infriorit parrapport cet Esprit.

    Cyrille attaque donc l'interprtation ariennel0 du Baptme duChrist vu comme une participation accidentelle l'Esprit reuextrinsquement ; si elle tait vraie, le Christ aurait reu au Baptmece qu'il n'avait pas encore ; il serait donc imparfait ; comment

    9. Cf. G. JOUASSARD. L'activit littraire de saint Cyrille d'Alexandrie jusqu'428. Essai de chronologie et de synthse, dans Mlanges E. Podechard. Lyon,1945, notamment p. 168 s. : en 423, probablement, il s'est produit comme untournant dans l'activit littraire de saint Cyrille. Celle-ci se portera dsormaisvers la polmique dogmatique, avec pointe nettement dirige tout d'abord contrel'arianisme, et presque exclusivement contre lui . . . II y a un mystre quant aupourquoi de l'activit nouvelle dploye par Cyrille {ibid: p. 169).

    10. Nous la devinons travers ses textes ; il serait assurment intressant depouvoir citer les auteurs ariens ; mais les recherches de Grillmeier (cf. supra.note 1) ne semblent gure avoir clair ce point, si l'on en juge par les renvoisauxquels nous invite son Index des matires (p. 200 ss).

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    pourrait-il tre Dieu, consubstantiel au Pre ? La prsuppositionfondamentale que Cyrille combat est celle-ci : le Baptme dans leJourdain serait, pour Jsus, un commencement absolu dans le do-maine spirituel. Pour les ariens, il rsulte du Baptme que leChrist n'tait pas naturellement saint ; il est donc d'une naturediffrente de celle du Pre.

    Au contraire, pense Cyrille, le vrai sens de l'Onction dans leJourdain (cf. Ac 70,38) est de manifester que Jsus a reul'Esprit Saint comme tant l'un d'entre nous, afin de rendre cetEsprit qu'elle avait perdu l'ensemble de l'humanit : le Saint-Esprit est descendu sur le Christ comme sur les prmices de lanature humaine renouvele, selon que le Christ est apparu commeun homme capable de sanctifier. Cyrille insiste : le saint parnature, le Verbe du Pre, a sanctifi en lui-mme, par l'Esprit,le temple de sa propre chair. Cyrille fait ici allusion au premierchapitre de l'vangile lucanien (7,35). La vision de la descentede l'Esprit sur Jsus a t donne au Jourdain Jean le Baptistecomme un signe extrieur d'une sanctification intime et ant-rieure, dit Cyrille".

    Ainsi la chair, par elle-mme incapable de sanctifier (cf. Jn 6. 64),peut le faire parce qu'elle a t assume par le Verbe : le Verbeincarn possde l'Esprit en plnitude, alors que les autres enparticipent seulement.

    C'est donc par le Christ et grce lui que l'Esprit Saint rsidedans les croyants. Mais quand ce Don de l'Esprit, communiqupar le Verbe sa propre humanit au moment de son Incarnation,a-t-il t communiqu aux autres hommes ? Cyrille rpond : aprsla Rsurrection du Christ, en deux moments distincts : au soir dePques, puis le jour de la Pentecte. C'est ainsi qu'il rpond un problme que les exgtes et thologiens de notre temps con-tinuent d'agiter : comment concilier Jn 20, 22 et Ac 2,4 ? Si lesAptres ont dj reu l'Esprit au soir de Pques, quel besoinavaient-ils de le recevoir nouveau postrieurement, le jour dela Pentecte12 ? Pourquoi mme Jsus n'a-t-il pas donn cet Esprit,son propre Esprit, mme avant Pques, alors qu'il tait venu ici-basprcisment pour le donner ?

    11. CYBILLE, In lo: commentaire de ]n 17, 18-19 : PG 74, 549 C-D ; cf.PIE XII, Enc. Mystici Corporis : AAS 35 (1943) 219: de ce Souffle de grceet de vrit le Fils de Dieu a om son me dans le sein immacul de la Vierge .Enseignement prpar par saint Cyrille : le Christ est oint et sanctifi...sanctifiant lui-mme, par son Esprit, son temple (PG 74, 560 A).

    12. Voir sur ce sujet S. TROMP, De Spirifu Christ! anima. Rome, 1960, Sectiotertia, c. 2-4, p. 86-106, o sont examins et compars diffrents textes de saintCyrille, soit entre eux, soit avec la pense de saint Jean Chrysostome ; et A.MANZONE, La dottrina dello Spirifo Santo nell'in loannem di S. Cirilo d'Ales-sandria, extrait d'une thse dfendue Rome, p. 50 ss.

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    C'est essentiellement en approfondissant le sens de Jn 7, 37-39que Cyrille dcouvre les raisons de cette conomie divine. L'Espritn'avait pas encore t donn parce que Jsus n'avait pas encoret glorifi , dit l'Aptre Jean. Pourquoi ? Le Christ est ressuscitd'entre les morts comme prmices (cf. 1 Co 15, 20) de la naturehumaine renouvele. La plante nous ne pouvait jaillir deterre avant la naissance de la racine, le Christ ressuscit, la vieimmortelle. C'est pour cela que c'est seulement aprs sa Rsurrectiond'entre les morts que le Christ a souffl sur nous l'Esprit vivifiant,en nous restituant l'ancienne dignit et en nous reformant sonimage. Le docteur alexandrin ajoute encore : l'Esprit procde(proeisi) dans les saints, par le moyen du Christ, selon qu'il con-vient chacun, suivant la distribution du Pre .

    Quant au double don de l'Esprit, Pques et la Pentecte,Cyrille pense que le premier revt un caractre exemplaire d'anti-cipation partielle par rapport l'universalit du second : il con-venait que le Fils appart comme co-donateur de l'Esprit avec lePre dans la ralisation de la promesse universelle de Jol (2, 28).Le souffle du Ressuscit sur les Aptres, en vue de signifier ladonation du Souffle divin de l'Esprit, en renvoyant au souffleinitial du Dieu crateur en Gn 2, 7, manifeste tout la fois, pourCyrille, l'unit du plan divin dans l'Ancienne et la Nouvelle Al-liances, le Fils comme dispensateur de l'Esprit et la ralisationanticipe, travers le Fils, de la promesse faite par Dieu, enfaveur de tous, et communique au moyen de Jol.

    Ces considrations sur les relations entre le Christ, son Esprit,le Pre et le genre humain nous permettent de voir, dans lasplendeur d'un bel exemple, les proccupations de Cyrille ; inter-prter les Ecritures dans le double contexte de leur unit totale,divinement prserve de toute contradiction, et de la tradition del'Eglise, tradition vivante que Cyrille a reue et veut transmettreintacte. Chez Cyrille revient souvent l'expression hoi Parres kaih Graphe, les Pres et l'Ecriture : car les Pres et l'Ecriturene faisaient qu'un dans sa pense ; dans ses disputes thologiques,souligne H. du Manoir13, l'argument scripturaire et l'argumentpatristique ne peuvent se sparer ; et ce sont prcisment les Presqui aident Cyrille considrer l'unit du dessein de Dieu traversl'unit indivisible de la Bible : vaste organisme qui s'accommodedes diversits humaines les plus grandes, les inclinant toutes unmme dessein .

    13. Cf. H. DU MANOIR, Dogme et spiritualit... (cit supra, note 8), p. 20,457 : telle est l'expression du florilge de textes patristiques recueillis Ephse

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  • EXGSE CHRISTOLOGIQUE DE CYRILLE D'ALEXANDRIE 409

    Nous venons d'voquer rapidement l'explication cyrillienne duBaptme du Christ, scne de l'vangile johannique que l'vqued'Alexandrie lit au sein d'une thologie paulinienne des deux Adam :le lecteur a peru que, dj avant la crise nestorienne, Cyrille,pleinement convaincu de la vrit de l'humanit du Christ, attacheplus d'importance encore sa divinit. Lui-mme le disait sansambages dans sa Lettre pascale de 423 ; (Le Christ) est hommedans l'ordre visible, suivant la nature de la chair, parfait quant l'humanit et cependant il est plus vraiment Dieu (qu'il n'esthomme).

    Telle est l' intuition fondamentale 14 de Cyrille dans sa lecturedu Nouveau Testament au sein de la tradition de l'Eglise ; intuitionglobale que l'Eglise, notamment celle d'Alexandrie, lui a transmiseen lui faisant lire l'ensemble de l'Ecriture (y compris l'AncienTestament) la lumire de la dclaration johannique [1. 14) sur le Verbe fait chair et qui retentit sur toutes ses interprtationsde textes particuliers. Faisant pleinement droit, mme si ce n'estpas autant que nous le souhaiterions aujourd'hui, aux distinctionsncessaires dans la structure ontologique complexe du mystre duChrist, Cyrille, la diffrence de Nestorius, redoute un dualismefoncier et procde une lecture unifiante des Ecritures multiplesrassembles dans la Bible unique, en vue d'y dcouvrir le Christun et unique, l'unificateur de l'univers, homme et, encore plus,Dieu.

    C'est dans ce contexte et sous cette lumire qu'il approfonditquelques textes-clefs du Nouveau Testament, sur lesquels il re-vient souvent : Jsus-Christ est le mme hier et aujourd'hui et ill'est pour l'ternit {He 13, 8) ; il s'est abaiss dans le mystrede sa knose, tout en conservant sa gloire divine {Ph 2. 5-11) :c'est ainsi qu'il est le Premier-N parmi beaucoup de frres et mmede toute la cration (Rm 8,29; Col 1, 15), l'aptre et le grandprtre de la foi que nous professons (He 3, 1 ) et nourrissons dansla participation l'Eucharistie par laquelle nous lui devenons con-corporels (cf. Ep 3,6}. Reprenons successivement et rapidementavec lui ces textes majeurs. C'est chacun d'entre eux que Cyrilleapplique l'intuition fondamentale qui tait dj la sienne avantque Nestorius n'appart et laquelle il n'avait aucune raison derenoncer face aux analyses dissociatrices du patriarche de Con-stantinople : l'unit du Christ est antrieure et suprieure toutemultiplicit en lui.

    14. Cf. le remarquable article de Mgr G. JOUASSARD, Une intuition fondamen-tale de saint Cyrille d'Alexandrie en christologie dans les premires annes de sonpiscopat. dans Rev. des Et. Byzantines XI (1953) 175-186 (Mlanges Jugie).Ces pages sont sans doute les plus pntrantes jamais crites sur le sujet.

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    Aprs avoir comment plusieurs fois " dj la dclaration del'auteur de l'Eptre aux Hbreux Jsus-Christ est le mme hieret aujourd'hui, et il l'est pour l'ternit (13, 8), Cyrille y revientdans un de ses derniers crits, compos vers 437, Quod mus sitChristus. en ces termes :

    II n'y a qu'un Fils et Seigneur, le Verbe antrieur aux sicles, lequels'est soumis la gnration par une femme, selon la ehair, aux dernierstemps du monde. Et que le Verbe n'ait pas chang une fois devenu unhomme tel que nous, c'est ce que l'auteur inspir nous indique en disant : Jsus-Christ est le mme hier et aujourd'hui, il le sera dans les sicles. Par hier. il dsigne le temps pass, par aujourd'hui le prsent, par dans lessicles le futur et l'avenir... S'ils demandent avec insistance : Celui quiest d'hier et d'aujourd'hui, comment serait-il dans tous les sicles ? ,nous rtorquerons, nous, en retournant la question en sens inverse : LeVerbe qui existe dans tous les sicles, comment pourrait-on lui attribuerd'tre d'hier et d'aujourd'hui, puisqu'aussi bien le Christ est un et ne selaisse pas diviser, selon le mot du divin Paul ?

    Dans un commentaire consacr ex professe l'Eptre aux H-breux et dans une lettre Acace de Mlitne, Cyrille placeHe 13, 8 parmi les expressions moyennes , celles qui mani-festent que le Fils est ensemble et en mme temps Dieu et homme (et sont ainsi distinctes, nous l'avons vu plus haut, tant des ex-pressions divines que des expressions humaines). Dans un autretexte, sur He 13. 8, il avait encore prcis sa pensela :

    C'est de Jsus-Christ et non exclusivement du Verbe qu'il est affirmqu'il est le mme hier, aujourd'hui et jamais. Mais comment la naturehumaine possderait-elle l'immutabilit et la permanence dans l'identitalors qu'elle est soumise au mouvement et avant tout ce mouvementqui la fait passer du nant l'tre et la vie ?... En vertu de l'unionavec la chair qui lui est propre, c'est encore lui qu'on dsigne commeexistant hier et comme prexistant.

    Autrement dit, Cyrille reprend des penses habituelles chez lui :le nom d'Oint, de Christ, s'applique au Verbe en tant qu'incam,mais ce Verbe incarn ne cesse pas d'tre le Verbe temel, ceque l'auteur de l'Eptre commente manifestait en disant : le Christest le mme hier et pour l'ternit.

    15. Notamment dans sa 8e ef(re pascale (PG 77. 568 B) : (le Christ) a t,est et sera Dieu suivant la nature, avant et aprs la chair (en par kai esti kaiestai theos kata phusin. kai pro sarkos kai meta sarkos).

    16. CYRILLE, Dialogue sur l'Incarnation. SC 97, p. 288 s. On peut dire que larponse l'objection ici prsente et traite est complte ailleurs par Cyrillelui-mme : faisant allusion 1 Co 8.6, l'vque crit dans Le Christ est un {SC97, p. 401 : rien n'empche de penser que par lui tout soit venu l'existence,selon qu'on le conoit comme Dieu et cotemel au Pre. Sur les noms de/sus et de Christ dans les uvres de Cyrille et de Pres antrieurs, on lira avecnrnfit la savante note de G.-M. np. DUBAND. SC 97. n. 346 s.

  • EXGSE CHRISTOLOGIQUE DE CYRILLE D'ALEXANDRIE 411

    II est intressant et on l'a fait plus d'une fois de comparerles deux exgses, cyrillienne et nestorienne, de He 13. 8 : chezle nestorien Andr de Samosate ( selon ce qui est visible duChrist, hier et aujourd'hui, selon ce qui est intelligible, dans tousles sicles, selon l'unit de filiation : un seul et le mme ) , l'unitest comme reconstitue aprs coup, suivant la pntrante obser-vation de G.-M. de Durand ; au contraire, chez Cyrille, l'unit estdonne au dpart. Ce qui est exprim de manire particulirementclaire dans le texte suivant " :

    Les proprits naturelles du Verbe issu du Pre lui ont t conservesmme lorsqu'il est devenu chair. Il est tmraire par consquent d'oserintroduire une coupure. Car unique est le Seigneur Jsus-Christ (7 Co 5, 6)et par lui le Pre a tout cr (/n 7,1-3). Il est compos de propritshumaines et d'autres qui sont au-dessus de l'humain pour donner une sortede moyen terme (anthrpinois te au kai fois huper antrpon idimasin eishen ri fo metaxu sunkeimenon). Il est en effet Mdiateur entre Dieu etles hommes, selon les Ecritures ( I Tm 2,5]. Dieu par nature mme avecla chair, vritablement mais non, comme nous, purement homme, demeu-rant au contraire ce qu'il tait une fois devenu chair (anthrpos de alfhs,kai ou psilos kath'hmas. ail'on hoper en kai ei gegone sarx}. Car il estcrit : Jsus-Christ hier et aujourd'hui est le mme, il le sera jamais.

    Pour Cyrille, le Christ est Mdiateur parce qu'il est Synthse. Etrecompos ", Dieu et Homme ; la diffrence radicale entre sonhumanit et la ntre consiste en ceci : Jsus n'est pas seulementhomme, il est avant tout Dieu. Jsus est aujourd'hui le Christ parcequ'il est, hier et demain, ternellement, le Verbe.

    Le lecteur contemporain pourrait tre tent d'objecter Cyrilleet sa lecture de He 13, 8 que hier ne signifie pas seulement nimme ncessairement une prexistence temelle. Sans doute. Il fautreconnatre toutefois que l'interprtation de Cyrille est en parfaiteharmonie avec l'ensemble de l'Eptre aux Hbreux, qui nous prsentele Fils comme le crateur temel des mondes (1.2; 7,3) 19.

    C'est peut-tre encore plus propos de l'hymne christologiquede l'Eptre aux Philippiens que s'exprime l'intuition essentielle deCyrille (pour reprendre l'expression de Jouassard), savoir: plusencore qu'homme vrai, le Christ est Dieu.

    Dans treize des vingt-neuf homlies pascales qu'il pronona de414 442, Cyrille cite Ph 2, 5-11. Ds la premire, il lie, non sans

    17. CYRILLE, Dialogue sur l'Incarnation, SC 97, p. 286 s. On notera l'usagefait de l'adverbe metaxu. si important dans la philosophie de Platon.

    18. Le texte cit [sunkeimenos] prpare la doctrine de Constantinople II, en553 : elle affirme, dans la personne du Christ, l'unit suivant la synthse (h katasunthesin hensis : Dz-ScH 425).

    19. C. SPICQ. L'Eptre aux Hbreux, Paris. 1953, t. II, p. 32, 210, 268) souligneque, pour l'auteur de He, le Christ est le Fils de Dieu prexistant. Ce qui suffit justifier, malgr lui, l'exgse traditionnelle de He 13, S.

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    une pointe au moins implicitement anti-arienne20, l'exposition dusens de l'hymne un rappel de He 13. 8 : commentant Ph 2,7(morphn douloii labn : en prenant la condition d'esclave), Cyrilleexplique que le Fils de Dieu, assumant {analabn : prenant debas en haut) notre similitude et devenu homme, n'assumant pasce qu'il tait (sous-entendu la condition divine), mais prenant enoutre ce qu'il n'tait pas (ouk hoper en analabn, all'hoper ouk enproslabn), opre notre salut; car il demeure, comme Paul le dit,le mme hier et aujourd'hui et pour les sicles, sans souffrir aucunevariation dans sa divinit cause de son inhumanation (dia tesenanthrpseos). mais demeurant ce qu'il tait et sera toujours(on hoper en kai estai diapantos) .

    Pour Cyrille, le processus dcrit par Paul aux Philippiens n'estpas celui d'une diminution ( la manire knotique moderne) oud'un accroissement (de style arien) 21 de la divinit comme telle,mais d'assomption (proslabn, explicitation du labn paulinien)de l'humanit, et c'est paradoxalement en cette assomptionmme que consiste le dpouillement de la knose ! Une telle as-somption, loin de changer le Fils, qui demeure le mme hier,aujourd'hui et pour l'ternit {He 7.3, 8), aboutit au changementde la condition humaine, dans le Fils unique et chez tous sesfrres.

    Prcisons et approfondissons ces points.En parfaite harmonie avec la position prise ds la premire

    homlie pascale en 414, Cyrille, dans son crit Le Christ est un,vers la fin de sa vie, dfinit ainsi la knose :

    Le Verbe de Dieu, subsistant en la forme de Dieu le Pre, empreintede sa substance, gal en toutes choses Celui qui l'engendre, s'est anantilui-mme. Et en quoi consiste l'anantissement ? A ce qu'assume la chairet prenne la forme d'esclave, ce que s'assimile nous Celui qui n'taitpas pareil nous selon sa nature propre, mais bien suprieur toute lacration... Mme alors il tait Dieu, ne tenant pas d'un don ce qui luiappartenait par nature.

    20. Ainsi que le note P. HENRY. Knose. dans DBS. Paris, 1957, t. V,col. 68, Cyrille a reconstitu l'exgse arienne de Ph 2. 5-11 de la manire sui-vante : II possde le Nom qui est au-dessus de tout nom en salaire de sonhumiliation ; il n'est pas par nature Dieu ou Fils, mais il est devenu cela par unaccroissement, ek prosthks. Ce qui ncessite un accroissement est imparfait etdans le besoin pour ce qui regarde sa nature propre... Si donc lut a t donnle Nom au-dessus de tout nom, il n'tait pas cela par nature, mais il l'est devenuplus tard par grce. Celui qui est dans un tel tat n'est pas Dieu, car c'est rcent (PG 75, 328 C-D). Dans le mme article (col. 65-70), P. Henry prsente unetentative de reconstitution de l'exgse arienne partir de sa rfutation par lesPres.

    21. Cf. P. HENRY, art. cit., col. 68 : comme les knotistes modernes, les ariensadmettent un changement dans l'tre et les caractres du Verbe, mais alors que,pour ceux-ci, le changement est du plus au moins, chez les ariens il est du moins

  • EXGSE CHRISTOLOGIQUE DE CYRILLE D'ALEXANDRIE 413

    L'Incarnation est donc, pour le Verbe, une assomption d-pouillante : l'assomption d'une nature cre, tant donn la conditionde faiblesse, de mortalit et d'ignominie dans laquelle elle setrouve, devient, pour le Verbe crateur, dpouillement de la gloireexterne laquelle il a droit.

    Cyrille exprime et dfinit d'innombrables manires le mystre decette knose, de cet abaissement par lequel le Sanctificateur estsanctifi22, celui qui nomme tout reoit, par manire de grce,le Nom qui est au-dessus de tout nom, celui qui donne tout semet en posture de recevoir, puis effectivement reoit l'Esprit Saint,la gloire et le Nom.

    Prcisment, pour Cyrille, si l'Incarnation est permanente, laknose, elle, a t la fois permanente et transitoire. Permanentesi l'on considre la sanctification de Celui qui est le Saint paressence ; transitoire, si l'on considre la mortalit assume : leMonogne est devenu homme, non pas pour demeurer toujours aufond de sa knose, de son anantissement, mais afin, tout enl'acceptant avec toutes ses consquences, de se faire reconnatremme en cette situation pour le Dieu par nature qu'il tait et afind'honorer en soi la nature humaine en lui donnant part aux dignitssacres et divines.

    Ici se trouve nouveau clairement exprime, en contexte deknose, et au sein d'une des dernires uvres de Cyrille, l' intuitionfondamentale qui hante sa pense depuis la premire homliepascale : la gloire du Christ, insparable de sa divinit, demeureau sein de l'anantissement qu'est l'assomption de la nature hu-maine , ainsi que le notait en 1960 Augustin Dupr la Tour23.Tel est le magnifique paradoxe qui n'a cess de fasciner Cyrille toutau long de sa carrire d'exgte, de prdicateur et de docteur.Ecoutons plutt Aug. Dupr la Tour24 :

    Comment la gloire divine peut-elle subsister au sein de la knose duVerbe ? Pour exprimer ce paradoxe, qu'il lui semble indispensable demaintenir pour sauvegarder l'intgrit de la divinit, Cyrille reprend commeun leitmotiv le schma de l'hymne christologique de l'Eptre aux Philippiens2,6-11. Cette frquence mme souligne sa proccupation. Le Verbe estdescendu dans une condition misrable et sans gloire. Mais la doxa duChrist est ce point lie sa phusis, la gloire est ce point l'expression

    22. CYRILLE. Le Christ est un, SC 97, p. 395, note 2 ; G.-M. DE DURAND citedeux textes de Cyrille : celui qui, comme Dieu, donne et distribue tous lasanctification, conjointement avec Dieu le Pre, est sanctifi avec nous en cequ'il a d'humain ; et c'est l ce qu'on appelle la knose (De adoratione et culfuin spiritu et verifate, X : PG 68, 692 A) ; recevoir par manire de grce le Nomau-dessus de tout nom, c'est ce qu'on appelle la knose et l'abaissement rdemp-teur du Verbe (Dial. De Trin. ; PG 75, 828 B).

    23. Aug. DUPR LA TOUR, La Doxa du Christ dans les oeuvres exgtiques desaint Cyrille d'Alexandrie, dans Rech. de Se. Relig. 48 (1960) 523.

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    adquate de l'tre mme, qu'il maintiendra un aspect glorieux jusqu'aucur mme de la knose et soulignera tous les signes qui le traduisent.

    Si bien que le schma paulinien se retourne : le Verbe fait chair aban-donne l'clat de la gloire divine. Mais, bien que devenu homme, il de-meure Dieu, car sa divinit est sa vritable nature. Aussi conserve-t-ilsa gloire qu'il possde kafa phusin. Refuser la do-ica divine au Verbe durantsa condition knotique quivaudrait, en effet, pour Cyrille nier sa naturedivine. Ainsi la mme intuition fondamentale continue guider l'ex-pression cyrillienne en la contraignant maintenir le paradoxe.

    Une telle interprtation, si tonnante soit-elle, correspond par-faitement aux textes de Cyrille comme au sens profond de l'vangilejohannique. A preuve un texte de Cyrille ;

    Alors qu'il tait dans la forme de Dieu le Pre et dans l'galit aveclui, il est venu dans notre condition et est apparu ceux qui taient surla terre (cf. Ba 3, 38) ; mais il n'tait pas sans gloire, mme s'il s'est faitchair. Car il a fait des uvres divines et accompli des signes qui sontdignes d'une admiration immense 25.

    La lecture johannique que Cyrille fait de l'Eptre aux Philippiensle conduit donc reconnatre dans l'hymne christologique l'affir-mation d'une knose glorieuse, voire d'une thophanie de laknose , pointant vers cette thophanie eschatologique duChrist 2

  • EXGSE CHRISTOLOGIQUE DE CYRILLE D'ALEXANDRIE 415

    ainsi : bien qu'tant Dieu, il s'est fait homme. Cyrille reprendet interprte : bien que s'tant fait homme, il demeure Dieu ".

    Observation fondamentalement juste. Encore faut-il noter qu'il y ainversion plutt d'accent que de propositions et que l'interprtationcyrillienne n'est en rien infidle la pense de Paul ; au contraireelle en explicite une composante implicite dans l'affirmation de lapermanence de la forme divine au sein mme de la knose. II y aplus : ainsi que nous l'avons vu, dj Grgoire de Nysse avaitentrevu la ncessit d'une pareille inversion d'accents pour tretotalement fidle l'ensemble de la pense paulinienne.

    Considrant l'Incarnation knotique comme dj glorieuse, lafois invisiblement (nature divine du Christ) et visiblement (sesmiracles), Cyrille tait particulirement dispos recueillir etapprofondir le message paulinien sur la primaut absolue et uni-verselle du Christ, tel qu'il merge de l'Eptre aux Colossiens(7,15) : II est le Premier-N de toute crature. S'il convientde reconnatre qu'en plusieurs endroits Cyrille rapporte cetteaffirmation au Verbe temel, ailleurs, d'une faon plus claire etexpresse, le docteur alexandrin la rapporte au Verbe fait chair, l'Homme Jsus en tant qu'homme : le Verbe est appel Filsunique puisqu'il a t seul engendr du Pre seul, mais il a reule nom de Premier-N quand il est devenu homme et partie dumonde. Sans aucune contradiction, ainsi que le montre le textesuivant : Le mme est Fils unique, en tant que Dieu, Premier-Nparmi nous, comme homme, suivant l'union, conomiquement (oi

  • 416 B. DE MARGERIE, S.J.

    comme homme, mais en mme temps que sa Personne divine estl'ultime sujet d'attribution (comme nous le dirions aujourd'hui)de cette proprit de sa nature humaine. C'est le Fils unique quiest devenu homme comme Premier-N et ne cesse pas d'tre Filsunique pour autant : distinction constante chez notre docteur.

    Sans pouvoir entrer ici dans tous les dtails de l'exgse cyrilliennede Col 1. 15, il parat suffisamment clair que sa lecture anti-arienne de ce verset l'aidait voir dans le Premier-N, commehomme, le principe et fondement de toutes les voies du Seigneur,le premier d'une srie, non pas temporellement, mais prdestincomme tel avant les sicles 2S. Ce n'est donc pas sans raison queplusieurs thologiens et exgtes de l'cole franciscaine29 en ontappel au tmoignage de Cyrille en faveur de la doctrine de laprimaut absolue et universelle du Christ Jsus dans le plan divinde la cration.

    Nous voyons ainsi que l'intuition fondamentale de Cyrille (leChrist est encore plus Dieu qu'homme) ne l'a pas empch demettre en relief le donn biblique exaltant l'humanit du Christ,prcisment parce que cette intuition fondamentale tait elle-mmeinsparable d'une vue sotriologique : le Christ est, non pas l'Hom-me-Dieu, mais le Dieu-Homme Sauveur 3t). Il est le Dieu auquel iloffre lui-mme, comme homme, comme Prtre en tant qu'homme,le sacrifice du salut de l'humanit. Evoquons ici quelques textesen ce sens.

    Cyrille n'est pas seulement le tmoin de la gloire divine duSauveur, mais encore de ses faiblesses humaines et conomiques dans lesquelles continue de briller cette gloire divine :

    II pleura de manire humaine afin de supprimer tes larmes. Il eut peuren vertu de l'conomie, laissant parfois sa chair ressentir ce qui lui estpropre afin de nous remplir de courage... Il a dormi afin que tu apprennes ne pas dormir dans les tentations, mais t'appliquer plutt l'oraison...

    28. Cyrille lit ce verset dans le contexte de Pr 8. 22, interprt comme relatif l'humanit du Christ ; cf. Assertion XV, 159 : PG 75, 267.

    29. Ainsi R. ROSINI, // primogenito in S. Cirilo Alessandrino, dans SfudiaPatauina 12 (1965) 32-64 ; G. BASETTI-SANI, Kyrilliana. Le Caire, 1947, p. 139-196, citant notamment l'Assertion XXXII du Thsaurus. PG 75, 503. Cependantleurs travaux ne paraissent pas toujours partir d'une connaissance approfondiede la christologie cyrillienne dans son cadre et avec ses proccupations propres,courant ainsi le risque d'interprtations anachroniques ce qui ne veut pas direqu'il n'y ait rien en retenir.

    30. Cf. CYRILLE, Le Christ est un. SC 97, p. 354 s. : Ils remplacent le mystrede l'conomie dans la chair par son contraire ; plus question que le Verbe ...s'abaisse jusqu' s'anantir en prenant la forme de l'esclave... tout l'inverse,un homme est hauss jusqu' la gloire de la divinit. (Cf. saint THOMAS, S.Theol. III, qu. 34, a. 1 ad 1 : dans le mystre de l'Incarnation, on doit consi-drer davantage la descente de la divine plnitude sur la nature humaine que lamonte d'une nature humaine .)

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    Prsentant sa vie comme un modle d'existence sainte pour tre utile auxtres terrestres, il s'est appropri les faiblesses de l'humanit. Et dans quelbut ? Pour qu'on croie vraiment qu'il est devenu homme, quoique restce qu'il tait, c'est--dire Dieu.

    Ces lignes31 nous prparent mieux comprendre l'importance,dans la pense de Cyrille, qui n'est pas formellement ni mmematriellement monophysite32, l'importance du thme de la m-diation sacerdotale du Christ, reconnue par lui dans l'Eptre auxHbreux [3, ) : Maintenant que le Logos s'est fait homme, ilest sacrificateur par son humanit... C'est le mme qui sacrifieen tant qu'homme et comme Dieu rgne ct du Pre. Ainsirpondait Cyrille l'accusation lance par Andr de Samosatecontre l'un de ses anathmes, o il avait dclar : Si quelqu'undit que le Christ offre pour lui-mme le sacrifice et non pas unique-ment pour nous n'a pas eu besoin de sacrifice qui n'a pasconnu le pch , qu'il soit anathme.

    On devine, travers cet anathme, une consquence inattenduede l'exgse nestorienne et dualiste de l'Eptre aux Hbreux : leChrist, selon elle, s'offrait non seulement pour nous, mais encorepour lui-mme. Sous-entendu : il avait lui-mme pch et besoinde salut. Aboutissement extrme d'une christologie foncirementdualiste, en mme temps qu'antithse totale par rapport lasotriologie cyrillienne,

    L'exgse de l'vque d'Alexandrie, soucieuse d'exalter ainsi l'hu-manit du Christ sans jamais cesser de surexalter33 sa naturedivine, aboutit sa grandiose vision, johannique et paulinienne, dela concorporaht eucharistique des hommes entre eux et par rapportau Verbe incam34 :

    Pour nous unir, nous aussi, pour nous fondre dans l'unit avec Dieuet entre nous, quoique nous soyons chacun, par nos mes et par nos corps,spars en personnalits distinctes, le Pils unique a invent un moyentrouv en sa sagesse, selon les conseils du Pre.

    Par un seul corps, son propre corps, il bnit ses fidles, dans la com-munion mystique, les faisant concorporels avec lui et entre eux. Si nous

    31. CYRILLE, Apologie pour les Anathmatismes contre Thodoret. crite en431 ; PG 76, 441.

    32. Nous faisons allusion ici au sens si discut de la fameuse formule de Cyrille,emprunte inconsciemment Apollinaire : < mi'a phusis to Theo Logo sesar-komen ; cf. G.-M. DE DURAND, 5C 97 p. 134 ss ; J. LIBAEBT, La doctrine...(cit supra, note 27), p. 174-178 ; et, auparavant, la discussion du Cardinal NEW-MAN, Tracts Theological and Ecclesiasfical, London, 1902, p. 329-382, notammentles conclusions, 21, p. 380 ; avec lui concide G.-M. DE DURAND dans son inter-prtation de la formule. Voir encore A. GRILLMEIER, op. cif. (voir supra, note 1 ),p. 480 ; et notre note 27. Cyrille a donn la formule un sens profondment dif-frent de celui qu'y mettait Apollinaire.

    33. Tel est le sens de l'original grec de Ph 2,9 : huperupssen .34. CYRILLE. In lo. 11. 11 : PG 74. 560 : cf. G.-M. np. DURANT). RC. 07. r> 9

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    sommes tous concorporels les uns avec les autres dans le Christ, et nonpas seulement les uns avec les autres, mais encore avec lui qui vient nous par sa chair, comment ne serions-nous pas un, tous, et les uns dansles autres, et dans le Christ ?

    Tout semble indiquer que, pour Cyrille, l'Eucharistie tait lafin prochaine de l'Incarnation du Verbe. C'est par elle que leVerbe incarn vivifie les hommes et les unit entre eux et avec lui.

    Pour lui, l'Eucharistie est l'Eulogie mystique, le corps vivifiantdu Verbe incarn . S'il accorde une grande importance au sacrificedu Christ, c'est surtout la diffrence de tant de thologiensd'poques postrieures l'efficacit divinisatrice de la communioneucharistique qui retient son attention ; il la voit comme une sourced'immortalit : ceux qui reoivent en eux le pain de vie aurontpour rcompense l'immortalit. C'est mme sur ce point que,peut-tre, Cyrille s'oppose le plus profondment Nestorius, pourlequel, pense-t-il, la chair vivifiante du Christ tant rduite celled'un homme ordinaire distinct du Verbe, le fondement de la foien la Rsurrection de la chair disparat et la communion est r-duite un acte de cannibalisme ss.

    C'est ainsi que Cyrille comprend l'enseignement du Sauveurdans son discours sur le Pain de Vie.

    Notre bref survol de l'exgse cyrillienne des mystres fondamen-taux de la Nouvelle Alliance nous permet de comprendre que son in-terprtation ait fascin tant de thologiens au cours des sicles. SaintThomas d'Aquin, Petau, Scheeben, Mersch, Tromp, tous ont tconquis par les vues de Cyrille et profondment influencs parlui. On nous objectera sans doute que cette influence a t surtoutdoctrinale ; sans doute est-ce vrai ; encore faut-il observer quel'exgse doctrinale de Cyrille constitue le trsor que ces tho-logiens ont recherch, trouv et transmis la postrit. C'estpresque toujours en commentant l'Ecriture que Cyrille expose lesdoctrines du christianisme et les approfondit ; son mrite consisteprcisment ne pas s'arrter, dans les Ecritures, des affirmationssecondaires, mais leur moelle doctrinale. Jamais les thologiensque nous avons numrs ne se seraient attards la pense deCyrille s'il n'avait t un exgte doctrinal. Il faut en dire autantde Vatican II, qui l'a souvent cit3a.

    35. Cf. H. CHADWICK, Eucharisf and Chfistology in th Nestorian Controuersy,dans Journal of Theol. Sfudies. New Sries 2 (1951) 156. Nestorius, dit Cyrille,pense que c'est seulement le corps d'un homme qui gt sur les saintes tables desEglises; d'o l'accusation d'anthropophagie; d'o encore le 11e anathme (Dz-SCH 262). De fait, Nestorius disait: ce que nous recevons dans l'Eucharistien'est pas la divinit, mais la chair (Nesforiana, dit. Fr. LOOFS, Halle. 1905,p. 227-230).

    36. Notamment quatre fois dans le dcret Ad Gnies sur l'activit missionnairede l'Holiae. en une oersoective ecclsioloninup. slirtrnit an S 7.

  • EXGSE CHRISTOLOGIQUE DE CYRILLE D'ALEXANDRIE 419

    CONCLUSION

    LIMITES ET AMPLEUR DU CHARISME EXGTIQUEDE SAINT CYRILLE D'ALEXANDRIE

    QUELLE EST SA CONTRIBUTION PROPRE ?

    Il est impossible de le nier : Cyrille a une connaissance ap-profondie et un ardent amour des Ecritures de l'Ancien et duNouveau Testaments. Non seulement la facilit avec laquelle ilallgue, rapproche, commente les textes et s'en sert pour sonargumentation contre ariens et nestoriens montre qu'il possdela Bible littralement, grce notamment sa possible formationmonastique3T et saint Isidore de Pluse, et s'en assimile mer-veilleusement le contenu, mais l'aisance avec laquelle il sait fairejaillir le sens spirituel, christocentrique, prouve qu'il a longuementmdit et got les paroles inspires. Suivant le mot d'Hubert duManoir, les livres inspirs turent les sources vritables de son inspiration .

    Il est donc permis de reconnatre l'aspect autobiographique dujugement mis par Cyrille quand il nous dcrit le charisme pro-phtique d'interprtation des prophtes comme un don accordpar l'Esprit ceux qui se sont propos de garder la charitenvers Dieu et envers leurs frres. Citons-le :

    Quand nous nous serons propos la charit envers Dieu et envers lesfrres, cette charit qui est la plnitude de la Loi tout entire, qu'alorsles autres charismes nous soient aussi ajouts. Alors, en effet, au momenttout fait opportun, nous serons aussi remplis des charismes de Dieuet enrichis de dons donns par l'Esprit, je veux dire de la facult de pro-phtiser, c'est--dire d'interprter les prophtes.

    Bref, si nous cherchons le Royaume de Dieu et sa justice,c'est--dire la charit, plnitude de la Loi, tout le reste, semblenous dire Cyrille, tous les autres charismes, y compris ceux quiconcernent l'exgse, nous seront donns par surcrot, suivant lamesure du don et de la volont de ce libre Esprit qui souffle oil veut. N'est-il pas vrai que pareil charisme n'a pas t refus Cyrille ? Son exgse, notamment en ce qui concerne le NouveauTestament, n'est-elle pas charismatique ?

    Point gnralement reconnu ; et mme personne ne songerait contredire Jouassard : l'vque d'Alexandrie a fait de l'exgse

    37. Cf. H. DU MANOIR, Dogme et spiritualit... (cit supra, note 8), p. 22.Cyrille a-t-il t moine ? A-t-il vcu parmi les cnobites du dsert ? Les historiensse sont souvent pos ces questions sans pouvoir arriver des conclusions certaines.

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    une de ses proccupations principales d'crivain . Jouassard ajoute : II a un got marqu pour l'Ecriture, une sorte de passion 38.

    Mais celui qui avait su, avec tant de pntration, reconnatrel' intuition fondamentale de Cyrille, voyait aussi dans le caractrethologique de son exgse, caractre dont nous avons jusqu'icisoulign l'aspect positif, une limite, en fait du moins :

    Avouons bien vite, au reste, que s'il a t ainsi exgte, et de parti pris,Cyrille ne l'a t que trs imparfaitement... Attentif au texte sacr,l'vque d'Alexandrie a voulu l'tre, c'est vrai ; il a mme su l'tre plusque d'aucuns ne le penseraient, plus que nombre d'exgtes de l'antiquit 39.

    Pas plus que la majorit de ceux-ci, toutefois, il n'a cru que la premirefonction du commentateur authentique dt tre de rendre compte d'abordde tout le dtail de ce texte, de pntrer fond dans la pense de l'auteurinspir pour tre mme d'aller fond dans le sens voulu par Dieu pourl'Ecriture 4*'. Cyrille a t thologien ds le principe et il l'est rest ; il achri l'Ecriture, mais en thologien, ce point que sa thologie est facile-ment envahissante, quand il prtend expliquer un texte. Et cependant,mme comme exgte, il ne manque aucunement de qualits, pour ce faiten particulier qu'il a tudi saint Jean et saint Paul avec une rare pn-tration, jusqu' se nourrir de leur esprit. C'est cet esprit qu'il portera par-tout dans l'tude de la Bible, et des livres eux-mmes de l'Ancien Testament.Il y trouvera de ce fait des choses qui sont parfois bien loignes dutexte, mais si belles d'autre part et si scripturaires d'inspiration qu'on nesaurait s'en pntrer son tour sans s'prendre de l'Ecriture elle-mme.

    Jouassard pouvait donc conclure cette apprciation en faisantallusion cet homme de l'Ecriture qu'a voulu tre et qu'a toujourst " Cyrille d'Alexandrie. La thologie, c'est--dire l'utilisation,au sein de la foi et au service de l'explication de l'Ecriture, descatgories rationnelles de la pense grecque, n'a pas envahi laplume de Cyrille au point de l'empcher d'tre comme toutbon thologien d'abord et avant tout, formellement parlant,l'homme de l'Ecriture.

    S'il fallait tenter de prciser la nature et l'objet du charismepropre de Cyrille dans sa lecture de l'Ecriture, il conviendraitde souligner deux aspects.

    38. G. JOUASSARD, L'activit littraire... (cit supra, note 9), p. 173.39. Cyrille se refuse abandonner ce qu'il appelle 'hisforia, mme dans des

    cas-limites tel que celui d'Ose press par le Seigneur de s'unir une femme demauvaise vie : ibid., note 1 ; PG 71, 25 B - 36 C.

    40. Vue trs discutable, voire chimrique. Pntrer fond dans la pense del'auteur inspir, c'est ce que Dieu seul pourrait faire, et il est craindre que ledsir d'un exgte en ce sens n'aboutisse en fait lui faire ngliger la consid-ration, le cas chant, de l'intention de l'Auteur suprme et inspirateur, commede la porte de son enseignement travers l'auteur humain. Bref, s'il y avait l'poque patristique le danger de sauter trop vite vers le sens spirituel, c'est ledanger Inverse de n'y jamais arriver qui menace aujourd'hui : d'o la difBcultpour nous de porter une apprciation exacte sur l'effort des Pres.

    41. G. TOUASSARD. L'activit littraire.... o.l73s.

  • EXGSE CHRISTO LOGIQUE DE CYRILLE D'ALEXANDRIE 421

    Le premier auquel nous avons dj fait allusion a td'accentuer ce que l'Ecriture enseigne sur les mystres fondamen-taux du christianisme, non sans montrer les corrlations entre eux.Exgse doctrinale qui dcoule de la perception aigu du centre ety retourne sans cesse en vagues concentriques : de la Trinit versla Trinit.

    Le second, dvelopp la faveur de l'hrsie nestorienne, pro-longe et prcise la dcouverte athanasienne. Le prdcesseur deCyrille, nous l'avons dit, avait proclam que le but et la marquedistinctive de l'Ecriture Sainte consistent dans le double enseigne-ment sur le Sauveur, savoir qu'il est Dieu depuis toujours et Filsde Dieu et que plus tard, cause de nous, il prit chair de Marieet devint homme . Athanase ne s'tait pas encore trouv dansdes circonstances l'obligeant distinguer, dans les paroles duSauveur, celles qui convenaient plus au Dieu temel et celles quiconvenaient plus la chair, c'est--dire la nature humaine deJsus, sinon d'une manire exceptionnelle, face l'agression arienne.C'est prcisment le contexte arien qui aidera Cyrille, dans lesCommentaires sur l'vangile de saint Jean, s'acheminer versl'laboration d'une distinction que seule l'hrsie nestorienne pouvaitacculer une plus grande clart, travers le quatrime anath-matisme 4 :

    Si quelqu'un partage entre deux personnes ou hypostases les expressionsqui se trouvent dans les crits vangliques ou apostoliques ou cellesqu'ont employes les saints sur le Christ ou celles qu'il a employes surlui-mme, et s'il rapporte les unes un homme, considr comme distinctdu Verbe de Dieu, et les autres, comme dignes de Dieu, au seul Verbede Dieu le Pre, qu'il soit anathme.

    Avant la priode nestorienne, Cyrille prsente le discours duSauveur comme ml (d'allusions au divin et l'humain enlui), tourn vers les deux cts, et mlant ce qui est com-pos de deux en une seule chose, laquelle se rapportent toutesses paroles . Face la tentative nestorienne de division du Christen deux personnes et la tentation corrlative de diviser en deuxses paroles, attribuant les unes la personne humaine, les autres la personne divine, Cyrille, dans son anathme de 430, que leconcile d'Ephse fera sien le 22 juin 431, rappelle que mme lesparoles du Christ comme homme sont des paroles du Verbe, sansencore sortir du mlange . Mais la distinction qu'Athanase avaitdj entrevue deviendra un principe rflchi, conscient de ses con-squences et de ses prsuppositions comme de ses ngations im-

    41 r\riTt, n R^:^. JJJ , M^-_ . r\ c. ice

  • 422 B. DE MARGERIE, S.J.

    plites, dans la clbre formule de 433 ; elle comporte48 en effetune importante dclaration exgtique, dpassant trs nettementle mlange antrieur :

    Les paroles des vangiles et des Aptres sur le Seigneur, nous savonsque les thologiens les ont tantt tenues pour communes, comme ditesd'une seule personne, tantt spares comme dites de deux natures, les unesconvenant Dieu, selon la divinit du Christ, les autres, humbles, selonl'humanit.

    Autrement dit, il y a les paroles que le Verbe incam prononceet comme Dieu et comme homme les paroles communes , il y ade plus et c'est la nouveaut dans le langage cyrillien cellesqui ne sont pas communes, mais qui sont prononces par le mmeVerbe incarn, soit comme Dieu, soit comme homme ; encore faut-ilobserver, dans la logique du propos cyrillien, que c'est toujoursl'Homme Jsus qui parle quand il parle en tant que Dieu ettoujours le Dieu Jsus qui parle quand il parle en tant qu'homme **.

    Il y a donc tout lieu de penser que la distinction entre parolesdivines, paroles humaines et paroles mixtes (ou thandriques) duVerbe incarn, du mme et seul Verbe incarn, a t pour lemoins affine, peut-tre mme largement dcouverte la faveurde l'hrsie nestorienne : en rejetant, dans son quatrime anathme,toute division de paroles correspondant une division des sujets oupersonnes dans le Christ, de style nestorien, Cyrille a t amen reconnatre plus clairement, dans la formule d'union de 433, lesconsquences de la distinction des natures quant aux paroles pro-nonces par le Christ et, par consquent, quant notre intelligencede ces paroles. Elles n'ont videmment pas le mme sens suivantqu'elles sont attribues au Christ parlant comme homme ou commeDieu ou en fonction de ses deux natures.

    On pourrait dire sans se tromper que, pour Cyrille, la distinctionentre paroles humaines et paroles divines du Verbe incarn est

    43. CYRILLE. Epist. Laetentur coeli Jean d'Antioche : PG 77, 173 ; cf. H. DUMANOIR, op. ci(., p. 142 ; DZ-SCH 273. On pourrait appeler thandriques les parolesque Cyrille appelle communes, si l'on admettait qu'elles impliquent une doubleopration et de la nature divine et de la nature humaine (cf. Dz-ScH 515), celle-ciagissant titre, non pas de cause principale, mais de cause instrumentale, vuequi correspond d'ailleurs une catgorie dj athanasienne (l'humanit du Christinstrument ou organon de notre salut).

    44. Cf. CYRILLE, Apologie contre Thodoref (crite en 430), PG 76, 413 B-C : Puisque le mme est simultanment Dieu et homme, il lui conviendra de pro-noncer des paroles simultanment divines et humaines... Sa divine et ineffablenature n'est pas diminue par le fait qu'il parle d'une manire humaine... Qu'ils'agisse de ce qui est divin ou de ce qui est humain, tout appartient au seulChrist. Cyrille insiste longuement {ibid., 416 A) sur la ncessit d'attribuer lesparoles humaines du Christ non une autre personne (heter prosp} distinctedu Fils, mais au Fils lui-mme en sa nature humaine (fois (es anthropottos auto

  • EXGSE CHRISTOLOGIQUE DE CYRILLE D'ALEXANDRIE 423

    l'ultime consquence qu'il dduit de l'hymne christologique de Paulaux Philippiens (2,5-11): les paroles humaines manifestent laforme du Serviteur et la knose du Verbe ternel ", dont lesparoles divines refltent la forme ou condition divine.

    Une double objection pourrait tre oppose l'ensemble desconsidrations prcdentes : tout d'abord, ne concernent-elles pasplutt la thologie de Cyrille que son exgse ? et ensuite, si l'onadmet qu'elles importent pour l'intelligence correcte de son exgse,ne sont-elles pas relatives surtout l'exgse tardive et non toute l'exgse de Cyrille ?

    En premier lieu, il est clair que tout ce qui jette une lumiredcisive sur le sens divinement voulu des paroles du Christ et desvanglistes, rapportes par eux, concerne au premier chef l'exgse :or, c'est bien le cas ici ; point n'est besoin d'insister.

    Puis, s'il n'est pas sr 4a que la distinction entre paroles humaines,divines et mixtes soit antrieure la crise nestorienne, elle taitcependant prpare bien auparavant. Non seulement, comme l'asoulign A. Kerrigan, travers la distinction entre sens littral, oucharnel, relatif l'humanit du Christ, et sens spirituel, relatif sa divinit, mais encore, prcisment, au moyen de la distinction,dj explicitement prsente, entre nature et uvres humaines, natureet uvres divines du Christ. Or les paroles sont des oprationsqu'une personne pose travers sa nature " ; distinguer, ne serait-ceque dans la contemplation de la foi48, les natures dans l'unique

    45. Ibid., PG 76. 417 C : kensis t Tho Logo ... to arasai ti kai eipein tonanthrpinn dia tn pros sarka sunodon oikonomikn .

    46. Il y aurait lieu de faire une enqute approfondie pour confirmer ce point47. Cf. saint THOMAS, S. Theol. III, qu. 19, a. 1 ad 3 : il appartient la

    personne d'agir, mais suivant la nature spcifiant l'opration .48. Dj dans la Lettre pascale 8 (en 420), bien avant la crise nestorienne,

    Cyrille, en distinguant nettement, dans le Christ, le charnel, c'est--dire ce quiest parfaitement homme (fo apo gs sarkion, toi teleis ton anthrpon : PG 77,569 D), ajoutait : ne sparer le caractre propre chacune que par la pense(menais dielontes tais ennoiais ton eph'hekast logon} . Que signifie cette dis-tinction des natures par la seule pense ? Cyrille, pense J. Lebon citant Fr. Loofs, veut marquer qu'aprs l'union, cette diffrence des natures n'est pas immdiate-ment et exprimentalement constatable et qu'il faut une opration de l'intelli-gence pour distinguer entre les ralits que l'/insi's (union) a si troitementgroupes sans cependant dtruire la diversit relle des natures ou essences (Das Konzil von Chalkedon. Wrzburg, 1951, t. I, p. 505) comme celle, ob-servera plus tard Cyrille, qui existe entre l'me et le corps (Epist. XLVI Succensus, PG 77. 245 A-C).

    Il y a cependant une diffrence entre les deux cas : dans celui de l'homme, ladistinction entre me et corps est accessible la seule raison, mme sans la foi ;dans le cas du Christ et propos de ses uvres, la distinction entre les oprationsde ses deux natures, humaine et divine, est accessible la raison et la foi comme leur contemplation : distinction valable te theria mon, suivant l'expression,en substance cyrillienne, canonise par Constantinople II (Dz-SCH 428 sub fine :canon 7) en 553. Voir encore sur ce sujet G.-M. DE DURAND, SC 97, p. 125 s. ;T. T,lBARnT La dactrinv. . . IrM ainra. nntt f7\ n W7 . R r>n K^.r.-nnTn

  • 424 B. DE MARGERIE, S.J.

    personne du Christ, c'est donc dj tre sur le chemin d'unedistinction en ses uvres et paroles.

    Cela est si vrai que l'Eglise a fait sienne, sinon en son expressioncyrillienne dans la formule d'union de 433, du moins, peu aprs,sous la plume du pape saint Lon le Grand, en un enseignementsolennel, la mme distinction autrement exprime.

    L'une et l'autre nature fait en communion avec l'autre ce qui lui estpropre : le Verbe fait ce qui appartient au Verbe et la chair excute cequi appartient la chair : l'un resplendit de miracles, l'autre succombesous les outrages.

    Ayant nonc le principe des oprations distinctes et coordonnesde chacune des deux natures, le pape saint Lon se hte d'en fairel'application aux paroles du Christ, implicitement considres commeactes de ses natures, de l'une des deux ou de toutes deux :

    II n'appartient pas la mme nature de dire : Moi et le Pre noussommes un (/n 10,30) et de dire : Le Pre est plus grand que moi (/n 14.28) ... C'est de nous qu'il prend l'humanit infrieure au Pre,c'est du Pre qu'il reoit la divinit par laquelle il est gal avec le Pre 4a.

    Ayant cit ces formules sans doute rendues possibles par lui, ilest donc permis de dire que la contribution de saint Cyrille d'Alexan-drie au progrs de l'exgse doctrinale, en soulignant la ncessitde distinguer les paroles du Christ relevant de son humanit etcelles qui relvent de sa divinit, en mettant l'accent sur la Per-sonne unique du Verbe qui les a toutes prononces, en dployantet en concentrant ainsi l'hermneutique des dires de l'unique Paroleincarne du Pre, justifie pleinement le mot de saint Anastase leSinate : Cyrille est le sceau des Pres, sphragis ton patern, lesceau qui vient sceller et parfaire la doctrine des Pres et notammentd'Athanase ', le rcapitulateur de l'exgse biblique des Pres

    compte rendu de J. MEYBNDORFF, Christ in Eastern Christian Thought. dansScience et Esprit 22 (1970) 252-257. Notons aussi que Lon le Grand avait repris,avant Constantinople II, l'enseignement de Cyrille (Dz-ScH 317). La significationexgtique de la distinction, oprer te theria mono. entre natures, oprationset paroles soit divines, soit humaines, de l'unique personne du Christ doit tresouligne : l'exgte croyant, dans la contemplation de la foi, peut reconnatrecomme telles, plus facilement que l'exgte seulement bien dispos par rapport la foi, les paroles divines du Christ, les paroles exprimant ses penses divines(exemple: Jn 5,58: avant qu'Abraham ft, Je suis) qui font en mme tempspartie de ces nombreux et admirables signes extrieurs divinement disposs,par lesquels l'origine divine de la religion chrtienne peut tre prouve avec certi-tude la seule lumire naturelle de la raison (PIE XII, Dz-ScH 3876).

    49. Saint LON LE GRAND, Lettre Flavien du 13 juin 449 ; Dz-ScH 294 s.50. L'loge d'Athanase revient perptuellement sous la plume de Cyrille ; on

    trouve une liste impressionnante de rfrences chez H. DU MANOIR, Dogme etLJiUUV^. UJJC- LJ.OL .^ ll.U.^ /1 ^d^J.l.LAO l^).^ V- 1.^.1.cnt'rf/itaif& frf c*nra nnf-P- f(\. n. 1S.

  • EXGSE CHRISTOLOGIQUE DE CYRILLE D'ALEXANDRIE 425

    antrieurs, ouvrant aux Pres venir de nouveaux horizons. Cyrilleest avant tout et demeurera l'exgte de la glorieuse nature divinedu Christ brillant travers son humanit : sous l'action de l'Esprit,la theria pneumatik ramne sans cesse l'exgte la vision, dansla foi, de la gloire et de la divinit du Christ, Fils de Dieu, plusencore que Fils de l'Homme.

    F 75007 Paris B. DE MARGERIE, S.J.42, rue de Grenelle