maladie de crohn au cours du traitement de l’hépatite chronique c par interféron et ribavirine

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© Masson, Paris, 2005. Gastroenterol Clin Biol 2005;29:193-196 193 Maladie de Crohn au cours du traitement de l’hépatite chronique C par interféron et ribavirine CAS CLINIQUE Ali KHALIL (1), Damien LUCIDARME (1), Philippe DESURMONT (2), Rima HAMDAN-KHALIL (3) * Bernard FILOCHE (1) (1) Service de Pathologie Digestive, Hôpital Saint-Philibert, 115 rue Grand But, 59462 Lomme Cedex ; (2) Cabinet de Gastro-entérologie, 104 rue de Jemmapes, 59000 Lille ; (3) EA2679, Faculté de Médecine, CHRU Lille, 1 place de Verdun, 59045 Lille Cedex. RÉSUMÉ Les effets secondaires digestifs liés au traitement associant l’interfé- ron et la ribavirine dans le traitement de l’hépatite chronique C sont non spécifiques. Dans ce contexte, la survenue de maladies inflam- matoires intestinales a été rapportée de façon exceptionnelle. Nous rapportons deux cas de maladie de Crohn survenues quelques mois après le début d’un traitement par interféron alpha et ribavirine pour une hépatite chronique C. Le premier cas est celui d’un homme de 43 ans traité depuis 7 mois par interféron alpha et ribavirine pour hépatite chronique C. Une pancolite en rapport avec une maladie de Crohn était apparue. L’évolution était marquée par la survenue d’atteintes articulaires et cutanées ayant nécessité un trai- tement par corticoïdes et immunosupresseur. Le second cas est celui d’une femme de 43 ans traitée depuis 8 mois par interféron pégylé alpha et ribavirine pour hépatite chronique C chez qui a été dia- gnostiquée une maladie de Crohn de topographie iléo-colique droite, d’évolution sévère nécessitant une résection iléo-coecale après échec du traitement médical. L’interféron alpha, utilisé pour son action antivirale contre le virus de l’hépatite C, a des effets immuno-stimulants complexes qui pourraient peut-être révéler une maladie de Crohn latente sous-jacente. SUMMARY Digestive side effects associated with interferon and ribavirin in the treatment of chronic hepatitis C seem to be non specific. So far, inflammatory bowel diseases have only been rarely described in this context. We report two cases of Crohn’s disease which occurred a few months after interferon and ribavirin treatment for chronic hepatitis C. The first case was a 43 year old man treated for 7 months with a interferon and ribavirin combination for chronic hepatitis C who experienced colitis related to Crohn’s disease, with the occurrence of articular and cutaneous manifestations. The sec- ond case was a 43 year old women treated for 8 months with a pegylated interferon and ribavirin combination for chronic hepatitis C who developed Crohn’s disease with right ileo-colic topography and severe evolution requiring an ileo-coecal resection because of the failure of medical treatment. The alpha interferon used for its antiviral action against hepatitis C virus, has complex immuno- modulation effects which could reveal latent Crohn’s disease. e traitement de l’infection chronique par le virus de l’hépatite C (VHC) par interféron (IFN) alpha et ribavi- rine est responsable d’effets secondaires souvent dose- dépendants et réversibles à l’arrêt du traitement [1-3]. Si la diar- rhée est un signe fonctionnel fréquent pendant le traitement, les atteintes organiques du tube digestif sont beaucoup plus rares [4]. Quelques cas de colites ischémiques [5, 6], de colites ulcé- rées d’évolution favorable [3], et un cas de colite microscopique ont été rapportés [7]. Nous rapportons 2 cas de maladie de Crohn sévères diagnostiquées pendant un traitement par IFN alpha et ribavirine pour hépatite chronique C. Observations Observation n o 1 Un homme de 43 ans, d’origine caucasienne, consultait pour hépatite chronique C en janvier 2000. L’origine probable de la contamination était une toxicomanie par voie intraveineuse débutée en 1975. Le seul autre antécédent médical était un psoriasis depuis 1988. Le bilan initial montrait une activité des ASAT à 42 U/L (valeur normale (N) : 15-37), des ALAT à 109 U/L (N : 30-65) et un taux d’hémoglobine à 12,3 g/dL avec un volume globulaire moyen à 66 m 3 . Un bilan exhaustif éliminait les autres causes d’hépatopathies chroniques. Les sérodiagnostics de l’infection par le virus de l’hépatite B (VHB) et du virus de l’immuno-défi- cience humaine (VIH) étaient négatifs. Les anticorps anti-nucléaires, anti- mitochondries, anti-LKM1, anti-muscles lisses étaient négatifs. La TSH et les anticorps anti-thyroïdiens étaient normaux. Une ponction-biopsie hépatique révélait un score METAVIR A2F2 [8]. Le génotype du virus était de type 1a et la charge virale de 340 000 UI/mL. Un traitement par IFN 3 millions d’unités internationales (MU) 3 fois par semaine en sous- cutané, associé à la ribavirine 800 mg/j était débuté en février de la même année. En mars 2000, le malade présentait une anémie avec un taux d’hémoglobine à 8,5 g/dL nécessitant une diminution de la posolo- gie de la ribavirine à 600 mg/j. En juillet 2000, l’ARN du VHC par PCR était négatif. En août 2000, compte-tenu d’une asthénie majeure et de la persistance d’un taux d’hémoglobine à 8 g/dL, le traitement était inter- rompu. En septembre 2000, le malade était hospitalisé pour altération sévère de l’état général dont témoignait un amaigrissement de 17 kg depuis le début du traitement anti-viral. Le malade présentait des dou- leurs abdominales et des rectorragies de moyenne abondance. Le bilan montrait une anémie sévère avec un taux d’hémoglobine à 6,1 g/dL, un volume globulaire moyen à 61 m 3 avec un fer sérique à 31 g/100 ml (N : 60-120) et un coefficient de saturation de la sidérophilline à 14 % (N : 12-32). La ferritine était à 762 ng/mL (N : 25-380). Les taux de réticulocytes et de bilirubine libre étaient normaux. Le malade bénéficiait de la transfusion de 3 culots globulaires. La fibroscopie gastrique était Crohn’s disease associated with interferon and ribavirin treatment for chronic hepatitis C Ali KHALIL, Damien LUCIDARME, Philippe DESURMONT, Rima HAMDAN- KHALIL, Bernard FILOCHE (Gastroenterol Clin Biol 2005;29:193-196) Tirés à part : D. LUCIDARME, Service de Pathologie Digestive, Hôpital Saint-Philibert, 115 rue Grand But, 59462 Lomme Cedex. E-mail : lucidarme.damien@ghicl.net *Bénéficiaire d’une bourse du Centre National de Recherche Scientifique Libanais. L

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Page 1: Maladie de Crohn au cours du traitement de l’hépatite chronique C par interféron et ribavirine

© Masson, Paris, 2005. Gastroenterol Clin Biol 2005;29:193-196

193

Maladie de Crohn au cours du traitement de l’hépatite chronique C par interféron et ribavirineCAS

CLINIQUE

Ali KHALIL (1), Damien LUCIDARME (1), Philippe DESURMONT (2), Rima HAMDAN-KHALIL (3)* Bernard FILOCHE (1)

(1) Service de Pathologie Digestive, Hôpital Saint-Philibert, 115 rue Grand But, 59462 Lomme Cedex ; (2) Cabinet de Gastro-entérologie, 104 rue de Jemmapes, 59000 Lille ; (3) EA2679, Faculté de Médecine, CHRU Lille, 1 place de Verdun, 59045 Lille Cedex.

RÉSUMÉ

Les effets secondaires digestifs liés au traitement associant l’interfé-ron et la ribavirine dans le traitement de l’hépatite chronique C sontnon spécifiques. Dans ce contexte, la survenue de maladies inflam-matoires intestinales a été rapportée de façon exceptionnelle. Nousrapportons deux cas de maladie de Crohn survenues quelques moisaprès le début d’un traitement par interféron alpha et ribavirinepour une hépatite chronique C. Le premier cas est celui d’un hommede 43 ans traité depuis 7 mois par interféron alpha et ribavirinepour hépatite chronique C. Une pancolite en rapport avec unemaladie de Crohn était apparue. L’évolution était marquée par lasurvenue d’atteintes articulaires et cutanées ayant nécessité un trai-tement par corticoïdes et immunosupresseur. Le second cas est celuid’une femme de 43 ans traitée depuis 8 mois par interféron pégyléalpha et ribavirine pour hépatite chronique C chez qui a été dia-gnostiquée une maladie de Crohn de topographie iléo-coliquedroite, d’évolution sévère nécessitant une résection iléo-coecaleaprès échec du traitement médical. L’interféron alpha, utilisé pourson action antivirale contre le virus de l’hépatite C, a des effetsimmuno-stimulants complexes qui pourraient peut-être révéler unemaladie de Crohn latente sous-jacente.

SUMMARY

Digestive side effects associated with interferon and ribavirin in thetreatment of chronic hepatitis C seem to be non specific. So far,inflammatory bowel diseases have only been rarely described inthis context. We report two cases of Crohn’s disease which occurreda few months after interferon and ribavirin treatment for chronichepatitis C. The first case was a 43 year old man treated for7 months with a interferon and ribavirin combination for chronichepatitis C who experienced colitis related to Crohn’s disease, withthe occurrence of articular and cutaneous manifestations. The sec-ond case was a 43 year old women treated for 8 months with apegylated interferon and ribavirin combination for chronic hepatitisC who developed Crohn’s disease with right ileo-colic topographyand severe evolution requiring an ileo-coecal resection because ofthe failure of medical treatment. The alpha interferon used for itsantiviral action against hepatitis C virus, has complex immuno-modulation effects which could reveal latent Crohn’s disease.

e traitement de l’infection chronique par le virus del’hépatite C (VHC) par interféron (IFN) alpha et ribavi-rine est responsable d’effets secondaires souvent dose-

dépendants et réversibles à l’arrêt du traitement [1-3]. Si la diar-rhée est un signe fonctionnel fréquent pendant le traitement, lesatteintes organiques du tube digestif sont beaucoup plus rares[4]. Quelques cas de colites ischémiques [5, 6], de colites ulcé-rées d’évolution favorable [3], et un cas de colite microscopiqueont été rapportés [7]. Nous rapportons 2 cas de maladie deCrohn sévères diagnostiquées pendant un traitement par IFNalpha et ribavirine pour hépatite chronique C.

Observations

Observation no 1

Un homme de 43 ans, d’origine caucasienne, consultait pour hépatitechronique C en janvier 2000. L’origine probable de la contaminationétait une toxicomanie par voie intraveineuse débutée en 1975. Le seulautre antécédent médical était un psoriasis depuis 1988. Le bilan initialmontrait une activité des ASAT à 42 U/L (valeur normale (N) : 15-37),des ALAT à 109 U/L (N : 30-65) et un taux d’hémoglobine à 12,3 g/dLavec un volume globulaire moyen à 66 m3. Un bilan exhaustif éliminait

les autres causes d’hépatopathies chroniques. Les sérodiagnostics del’infection par le virus de l’hépatite B (VHB) et du virus de l’immuno-défi-cience humaine (VIH) étaient négatifs. Les anticorps anti-nucléaires, anti-mitochondries, anti-LKM1, anti-muscles lisses étaient négatifs. La TSH etles anticorps anti-thyroïdiens étaient normaux. Une ponction-biopsiehépatique révélait un score METAVIR A2F2 [8]. Le génotype du virus étaitde type 1a et la charge virale de 340 000 UI/mL. Un traitement par IFN3 millions d’unités internationales (MU) 3 fois par semaine en sous-cutané, associé à la ribavirine 800 mg/j était débuté en février de lamême année. En mars 2000, le malade présentait une anémie avec untaux d’hémoglobine à 8,5 g/dL nécessitant une diminution de la posolo-gie de la ribavirine à 600 mg/j. En juillet 2000, l’ARN du VHC par PCRétait négatif. En août 2000, compte-tenu d’une asthénie majeure et de lapersistance d’un taux d’hémoglobine à 8 g/dL, le traitement était inter-rompu. En septembre 2000, le malade était hospitalisé pour altérationsévère de l’état général dont témoignait un amaigrissement de 17 kgdepuis le début du traitement anti-viral. Le malade présentait des dou-leurs abdominales et des rectorragies de moyenne abondance. Le bilanmontrait une anémie sévère avec un taux d’hémoglobine à 6,1 g/dL, unvolume globulaire moyen à 61 m3 avec un fer sérique à 31 g/100 ml(N : 60-120) et un coefficient de saturation de la sidérophilline à 14 %(N : 12-32). La ferritine était à 762 ng/mL (N : 25-380). Les taux deréticulocytes et de bilirubine libre étaient normaux. Le malade bénéficiaitde la transfusion de 3 culots globulaires. La fibroscopie gastrique était

Crohn’s disease associated with interferon and ribavirintreatment for chronic hepatitis CAli KHALIL, Damien LUCIDARME, Philippe DESURMONT, Rima HAMDAN-KHALIL, Bernard FILOCHE

(Gastroenterol Clin Biol 2005;29:193-196)

Tirés à part : D. LUCIDARME, Service de Pathologie Digestive, HôpitalSaint-Philibert, 115 rue Grand But, 59462 Lomme Cedex.E-mail : [email protected]

*Bénéficiaire d’une bourse du Centre National de Recherche Scientifique Libanais.

L

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normale et la coloscopie mettait en évidence une pancolite ulcérée. Lesbiopsies coliques étagées montraient une infiltration lympho-plasmocy-taire du chorion muqueux avec présence d’un œdème sous-muqueux etdes ulcérations creusantes sans granulome. Une corticothérapie à ladose de 40 mg/j (1 mg/kg/j) a été proposée pendant 4 semaines. Lorsde la décroissance de la corticothérapie, une cortico-dépendance à10 mg/j était diagnostiquée. Un traitement par l’azathioprine à la poso-logie de 100 mg/j était alors débuté en novembre 2000. En janvier2001, le malade développait des arthralgies périphériques sévères avecimpotence fonctionnelle partielle du poignet droit avec fièvre sans signescliniques digestifs. Il existait par contre une volumineuse lésion de la faceexterne et postérieure du mollet de 10 cm 6 de diamètre caractéristi-que d’un pyoderma gangrenosum. L’évolution était favorable après ledébut d’un traitement par azathioprine 100 mg/j, prednisone 60 mg/j,associé à une antibiothérapie par minocycline. En mai 2001, le genougauche était le siège d’un petit épanchement. À cette date, la corticothé-rapie était interrompue. Le traitement par azathioprine à la posologie de100 mg/j était maintenu au long cours. En janvier 2003, l’ARN du VHCrestait négatif. Il persistait une anémie microcytaire par carence martiale.Les tests hépatiques étaient normaux. Le malade était en rémission clini-que et biologique.

Observation no 2

Une femme, âgée de 43 ans, d’origine caucasienne, a consulté enjanvier 2002 pour une hépatite chronique C dont la contaminationétait secondaire à une toxicomanie par voie intraveineuse une ving-taine d’années auparavant. Dans ses antécédents familiaux, il existaitune maladie de Crohn chez sa sœur, et dans ses antécédents personnelsune appendicectomie et un tabagisme évalué à 30 paquets/années. Lebilan initial mettait en évidence une activité des ASAT à 33 U/L(N < 30), des ALAT à 28 U/L (N < 32), des gamma GT à 34 U/L(N 30), des phosphatases alcalines à 98 U/L (N : 40-120). Le tauxde TSH était normal. Les anticorps anti-thyroïdiens, anti-nucléaires,anti-muscles lisses, anti-LKM1, anti-mitochondries, anti-cytoplasmiqueset anti-thyropéroxydases étaient négatifs. Les sérologies de l’hépatite Bmontraient uniquement la présence d’anticorps anti-HBs à un seuil de117 UI/mL. Le génotype du VHC était de type 3a et la charge viraleétait supérieure à 850 000 UI/mL. La biopsie hépatique révélait unecirrhose avec un score METAVIR A2F4. Un traitement par IFN pégyléalpha 2b à la posologie de 80 g/semaine et ribavirine 800 mg/jétait débuté. Quatre semaines après le début du traitement, l’activitédes transaminases était normale, l’hémoglobine à 13,4 g/dL, les glo-bules blancs à 6 700/mm3, et les plaquettes à 225 000/mm3. Après12 semaines de traitement, la tolérance clinique était médiocre, lamalade avait perdu 7 kg et avait une alopécie diffuse. L’hémogrammeet l’activité des transaminases étaient normaux. À la vingt-quatrièmesemaine de traitement, l’ARN du VHC par PCR était négatif. Comptetenu de la virémie initiale élevée et de la sévérité des lésions histologi-ques, malgré un génotype 3 et une mauvaise tolérance clinique, unedurée totale de 48 semaines de traitement a été préconisée. En septem-bre 2002, elle était hospitalisée pour douleurs abdominales permanen-tes, vomissements alimentaires post-prandiaux et altération de l’étatgénéral. Le traitement anti-viral était interrompu. L’examen cliniquemontrait une douleur au niveau de la fosse iliaque droite sans massepalpable. Le reste de l’examen clinique était normal. Le bilan biologi-que montrait un syndrome inflammatoire avec une hyperleucocytose(17 000/mm3 globules blancs) à polynucléaires neutrophiles (81 %).La C réactive protéine était à 75 mg/L. L’ionogramme sanguin et lestests hépatiques étaient normaux. La fibroscopie gastrique était nor-male. La coloscopie totale montrait une colite ulcérée prédominant surle côlon transverse et le côlon droit avec de profondes ulcérations àl’emporte pièce. La valvule était difficilement franchissable. Les biopsiescoliques montraient un infiltrat inflammatoire avec de nombreux poly-nucléaires neutrophiles et éosinophiles sans granulomes. Les radiogra-phies du transit du grêle révélaient une sténose serrée de la dernièreanse iléale. Un traitement par prednisone à la posologie de 1 mg/kg/jper os était instauré pendant 4 semaines suivi d’une décroissance pro-gressive de 5 mg par semaine. Devant l’apparition d’une cortico-dépendance au seuil de 15 mg, une hospitalisation était nécessairependant 3 semaines pour débuter une corticothérapie par voie intra-veineuse et une nutrition parentérale le 15 novembre 2002. Un traite-ment par azathioprine puis par 6-mercaptopurine était débuté maisrapidement interrompu devant l’apparition d’une pancréatite aiguë. Endécembre 2002, la malade était en rémission sous prednisone 1 mg/kg/j per os et mésalazine. Une décroissance de la corticothérapie était

entreprise. Mais compte tenu de l’absence d’amélioration significative,une résection iléo-caecale était réalisée en février 2003 après une nou-velle nutrition parentérale. Les résultats anatomo-pathologiques sur lapièce d’iléo-caecectomie montraient de nombreux granulomesjusqu’au niveau de la recoupe iléale. Un traitement d’entretien parmésalazine au long cours était débuté. En juillet 2003, la maladie deCrohn était en rémission. À cette date, les tests hépatiques étaient nor-maux et l’ARN du VHC négatif.

Discussion

Le diagnostic de maladie de Crohn a été porté dans le pre-mier cas sur un faisceau d’arguments cliniques, endoscopiqueset anatomo-pathologiques quasi-pathognomoniques du dia-gnostic. Dans le second cas, la présence de granulomes permet-tait de poser avec certitude le diagnostic de maladie de Crohn.La présence d’une microcytose sans anémie à l’instauration dutraitement anti-viral rend plausible l’hypothèse d’une maladieinflammatoire quiescente chez un malade asymptomatique.

La physiopathologie de la maladie de Crohn est complexe.Chez l’homme, de nombreux mécanismes immunologiques sontimpliqués. Le profil de la réponse inflammatoire muqueuse estsous contrôle génétique. Au cours de la maladie de Crohn, ilexiste une prédominance de cytokines de type Th1 comme l’IFN-, le Tumor Necrosis Factor (TNF ), et l’interleukine IL-12, alors

que dans la rectocolite-hémorragique (RCH), le profil de cytoki-nes de la muqueuse est une réponse non-Th1 ou Th2 modifiéeavec une prédominance de cytokines, telles que l’IL-5 et l’IL-10.La cascade des lésions tissulaires et l’amplification de la réponseinflammatoire résultent d’une activation prolongée et excessivedes cellules T effectrices et des macrophages [9, 10]. L’IFN aug-mente l’expression du récepteur à l’IL-12 à la surface des lym-phocytes T Helper. L’IL-12 est sécrétée en grande quantité par lesmacrophages et est un puissant inducteur d’IFN- dont le rôle estcapital pour la constitution de la réponse inflammatoire elle-même [11]. Ainsi, l’IFN est responsable de l’activation des cellu-les natural killer. Il augmente l’expression du complexe majeurd’histo-compatibilité en particulier les antigènes de classe I auniveau de la surface de la cellule [12]. La toxicité de la ribavirineest difficile à étudier car rarement utilisée en monothérapie maiscette molécule posséde un rôle immuno-modulateur propre etpotentialise l’activité anti-virale de l’IFN.

Les conséquences cliniques de ces mécanismes immunologi-ques complexes sur l’évolution naturelle de la maladie coeliaqueet des maladies inflammatoires intestinales sont contrastées.Quatre cas de maladie cœliaque survenues pendant ou audécours d’un traitement par IFN en monothérapie ou en associa-tion avec la ribavirine ont été rapportés [13]. Le mécanisme sup-posé serait l’exacerbation de phénomènes auto-immuns induitspar l’IFN [13, 14]. La réalisation d’un dépistage sérologique dela maladie cœliaque avant traitement par IFN et ribavirine a étésuggérée [13, 14].

Jusqu’à présent, l’utilisation de l’IFN au cours de la maladiede Crohn n’a pas été associée à des effets secondaires particu-liers. Une étude italienne a rapporté 5 observations de maladesatteints de maladie de Crohn et traités par IFN alpha pour infec-tion chronique par le VHC concomitante [15]. Dans cette courtesérie, l’IFN n’avait pas modifié l’évolution de la maladie deCrohn. Ruther et al. [16], dans une série pilote de 12 maladesatteints de maladie de Crohn, ont montré que l’IFN alpha à laposologie de 6 MU 3 fois par semaine pendant au moins 6 moisentraînait une amélioration significative. À notre connaissance,une seule observation de maladie de Crohn révélée pendant untraitement par IFN en monothérapie a été rapportée [17]. Ils’agissait d’une jeune femme de 22 ans qui au 5e mois de traite-ment, a présenté un abcès de la marge anale puis des douleursabdominales et une diarrhée. La coloscopie montrait des ulcéra-

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Traitement de l’hépatite C et maladie de Crohn

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tions irrégulières séparées par des intervalles de muqueuse sainedans le côlon sigmoïde, le côlon descendant et le côlon trans-verse. L’examen histologique des biopsies coliques montrait dessignes d’inflammation aiguë et des granulomes épithélioïdessuggérant ce diagnostic (tableau I).

L’efficacité et la tolérance de l’IFN dans la prise en charge dela rectocolite hémorragique sont par contre plus controversées.Sumer et Palabiyikoglu [18] avaient rapporté que plus de 80 %des malades avec rectocolite hémorragique en poussée avaientrépondu à un traitement par IFN alpha et restaient en rémissionclinique en endoscopique 6 mois après l’arrêt du traitement.Madsen et al. [19] ont montré une efficacité similaire dans unesérie de rectocolite hémorragique localisée au côlon gauche. Lesrésultats de ces études pilotes ont justifié un essai randomisé con-tre placebo utilisant l’IFN pégylé alpha à la posologie soit de0,5 g/kg une fois par semaine soit de 1 g/kg une fois parsemaine. Aux posologies utilisées, l’IFN pégylé était dénuéd’effets secondaires mais inefficace [20].

À l’inverse, 4 cas de colites ulcérées correspondants à deprobables rectocolites hémorragiques ont été rapportés dans lalittérature [21-24]. Mavrogiannis et al. [21] ont rapporté le casd’une malade de 29 ans sans antécédent particulier recevantl’IFN en monothérapie pour une hépatite chronique C qui avaitprésenté, 2 semaines après l’introduction du traitement, plusieursépisodes de diarrhées sanglantes accompagnés d’une altérationde l’état général. La coloscopie montrait de nombreuses ulcéra-tions rectales, avec un aspect congestif et friable de la muqueuserecto-sigmoïdienne. Les biopsies révélaient des micro-abcès avecune infiltration de la lamina propria en faveur d’une rectocoliquehémorragique. L’évolution était favorable après arrêt de l’IFN etaprès début d’un traitement médical par prednisone et mésala-zine. La malade était traitée de nouveau par l’IFN associé à untraitement par mésalazine sans aucune récurrence des symptô-mes digestifs.

Le second cas était celui d’un malade âgé de 34 ans atteintd’hépatite chronique C ayant des antécédents de douleurs abdo-minales épisodiques à type de crampes accompagnées de quel-ques saignements digestifs [22]. Un traitement par IFN alphaétait institué. Quelques semaines après l’introduction de ce traite-ment, le malade développait des douleurs abdominales accom-pagnées d’un syndrome inflammatoire et d’une diarrhée

sanglante. Une coloscopie totale réalisée montrait un œdème dela muqueuse rectale avec des ulcérations prédominant au niveaude la région sigmoïdienne. Des biopsies montraient des abcèscryptiques et une infiltration de cellules inflammatoires en faveurd’une maladie inflammatoire intestinale. Le traitement par IFNétait interrompu. La colite était traitée par sulfasalazine. L’évolu-tion était favorable en quelques jours et l’IFN était repris par lasuite. La colite n’a pas récidivé.

William et al. [23] ont rapporté le cas d’une malade de7 ans ayant comme antécédent des épisodes de rectorragiesdepuis 3 ans et une hépatite C chronique contractée par voiematerno-fœtale. Un traitement par IFN alpha était débuté à1,5 MU 3 fois par semaine. Après 5 semaines, la malade pré-sentait des rectorragies avec altération de l’état général sans fiè-vre. Le taux d’hémoglobine était à 8,8 g/dL. Une coloscopiemontrait des ulcérations aphtoïdes sur le côlon descendant. Lesbiopsies montraient des abcès cryptiques en faveur d’une mala-die inflammatoire colique. Un traitement par mésalazine à laposologie de 250 mg 2 fois/j était instauré.

Ben-Sagheer et al. [24] ont rapporté le cas d’un malade de49 ans traité initialement par IFN en monothérapie pour hépatiteC chronique. Une semaine après le début du traitement, lemalade présentait un épisode de rectorragie de moyenne abon-dance. Une rectoscopie montrait un aspect érythémateux de lamuqueuse rectale. Les biopsies étaient en faveur d’une proctiteérosive chronique. En raison de l’absence de réponse virologi-que à l’IFN en monothérapie, la ribavirine a été introduite. Lemalade a présenté une diarrhée sanglante, sans fièvre mais avecfrissons, accompagnée de nausées et de vomissements. La colos-copie montrait des ulcérations diffuses superficielles coliques,avec à l’étude anatomo-pathologique une inflammation aiguëdu côlon avec des abcès cryptiques. Le malade a été traité par 5ASA de façon efficace après arrêt de l’IFN.

Ainsi, dans 2 de ces cas il s’agissait de l’apparition d’unecolite ulcérée méconnue. Dans les 2 autres observations, ilpréexistait des rectorragies et des douleurs abdominales enfaveur d’une colite inflammatoire non diagnostiquée. Le délaientre l’instauration du traitement anti-viral et l’apparition de lamaladie était compris entre 3 semaines et 2 mois. Les aspectsendoscopiques et la topographie exclusivement colique deslésions étaient en faveur d’une rectocolite hémorragique. L’évolu-

Tableau I. – Comparaison des différents cas cliniques de colites inflammatoires rapportées au cours du traitement de l’hépatite chronique C.Comparison of different case reports of inflammatory bowel disease occurring during chronic hepatitis C therapy.

*F = femme ; H = homme.

Références Age/Sexe* Antécédents Topographie de lésions Traitement Réponse virologique prolongée

Pariente et al. [17] 22/F Pas d’antécédent Sigmoïde, côlon descendant, côlon

transverse

Corticoïdes + azathioprine Oui avec un recul de 3 années

Mavrogiannis et al. [21]

29/F Pas d’antécédent Rectum Corticoides + mésalazine ?

Mitoro et al. [22] 34/H Douleurs abdominales à répétitions

Pancolite + atteinte rectale Arrêt de l’IFN + sulfasalazine ?

William et al. [23] 7/F Rectorragies depuis 3 ans côlon descendant IFN + mésalazine ?

Ben-Sagheer et al. [24]

49/H Pas d’antécédent Pancolite IFN + mésalazine ?

Cas personnel no 1 43/H Microcytose sans anémie Pancolite-rectum sainPyoderma + arthrites

Corticoïdes + azathioprine oui avec 3 années de recul

Cas personnel no 2 43/F Familiaux:Maladie de Crohn

Iléo-colite Corticoïdes + azathioprine + chirurgie

Oui avec 1 an de recul

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A. Khalil et al.

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tion était dans tous les cas favorable après l’arrêt de l’IFN etl’introduction d’un traitement anti-inflammatoire intestinal. Aucontraire, dans nos 2 cas décrits ici, les symptômes digestifs sontapparus plusieurs mois après le début du traitement et la topo-graphie des lésions était en faveur d’une maladie de Crohn. Ils’agissait d’emblée de formes sévères qui exigeaient le recours àun traitement immunosuppresseur dans les 2 observations et à lachirurgie dans le second cas.

En conclusion, on ne peut à partir de ces observations tirerdes conclusions générales sur les effets délétères éventuels del’IFN ou de la bithérapie sur l’incidence et l’évolution de la mala-die de Crohn, d’autant plus que ce médicament a été proposédans le traitement de la rectocolite hémorragique [18-20] maisaussi dans celui de la maladie de Crohn [15, 16]. Toutefois, lapersistance voire l’aggravation de symptômes digestifs en cas detraitement par IFN et ribavirine pour infection chronique par leVHC devrait faire évoquer une maladie inflammatoire du tubedigestif méconnue.

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