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Manille (Maynila: Sa mga kuko ng liwanag) de Lino Brocka Philippines, 1975, 125’ Cinéma Ermitage, vendredi 7 juin, 10h30, salle 5 Lino Brocka Né à Pilar dans l’archipel de Luzon aux Philippines, Lino Brocka a réalisé soixante-sept films entre 1970 et 1992. Brocka entame sa carrière artistique avec le théâtre, en tant que metteur en scène de drames contemporains et de tragédies populaires philippines, avant d’opter pour la caméra. Il débute en tournant des films à petits budgets avant de pouvoir créer sa propre société de production : la Cinémanila. Arrivent alors ses grandes fresques mélodramatiques aux couleurs de réalisme social. Tous ses films donnent la voix aux oubliés et invisibles Philippins, explorant jusqu’au bout les rouages de l’oppression des êtres humains. Proche du peuple et des préoccupations de justice sociale, Lino Brocka fait de ses personnages des êtres déterminés se débattant intarissablement contre un destin tragique, alors qu’en arrière-fond, le pays vit la dictature de Ferdinand Marcos (1965-1986). Le cinéaste est mû par un double objectif : développer d’une part un « grand public » du Septième art aux Philippines, d’autre part, insuffler un vent de plus en plus créatif aux nouvelles productions d’auteurs locaux. Son film Insiang (1976) est présenté à la Quinzaine des Réalisateurs du festival de Cannes en 1978 et accorde à Brocka une notoriété dans le milieu cinéphile européen. Deux ans plus tard, Jaguar (1974) est sélectionné en Compétition Officielle. Manille (1975), Bayan Ko (1985) et Les Insoumis (1989) comptent parmi ses œuvres les plus reconnues internationalement. Avant de ne pouvoir mener à bout tous ses projets, il meurt brutalement lors d’un accident de voiture à cinquante- deux ans. Distributeur de la copie (DCP) : Carlotta Rédaction du livret et séance présentée par : Julie Douet-Zigano (Jeune équipe) Le Festival de l’histoire de l’art est une opération nationale du ministère de la Culture mise en œuvre par l’Institut national d’histoire de l’art et le château de Fontainebleau. Retrouvez toutes les informations concernant le Festival sur Internet : festivaldelhistoiredelart.com Suivez et partagez sur les réseaux sociaux : #FHA19 Scannez le QR code pour poser vos questions à notre chatbot Messenger : Festival de l’histoire de l’art La section cinéma du Festival de l’histoire de l’art est organisée en partenariat avec le Cinéma Ermitage. Crédit images : World cinema foundation.

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Manille (Maynila: Sa mga kuko ng liwanag)de Lino BrockaPhilippines, 1975, 125’

Cinéma Ermitage, vendredi 7 juin, 10h30, salle 5

Lino Brocka

Né à Pilar dans l’archipel de Luzon aux Philippines, Lino Brocka a réalisé soixante-sept films entre 1970 et 1992.

Brocka entame sa carrière artistique avec le théâtre, en tant que metteur en scène de drames contemporains et de tragédies populaires philippines, avant d’opter pour la caméra. Il débute en tournant des films à petits budgets avant de pouvoir créer sa propre société de production : la Cinémanila. Arrivent alors ses grandes fresques mélodramatiques aux couleurs de réalisme social. Tous ses films donnent la voix aux oubliés et invisibles Philippins, explorant jusqu’au bout les rouages de l’oppression des êtres humains.

Proche du peuple et des préoccupations de justice sociale, Lino Brocka fait de ses personnages des êtres déterminés se débattant intarissablement contre un destin tragique, alors qu’en arrière-fond,

le pays vit la dictature de Ferdinand Marcos (1965-1986). Le cinéaste est mû par un double objectif : développer d’une part un « grand public » du Septième art aux Philippines, d’autre part, insuffler un vent de plus en plus créatif aux nouvelles productions d’auteurs locaux.

Son film Insiang (1976) est présenté à la Quinzaine des Réalisateurs du festival de Cannes en 1978 et accorde à Brocka une notoriété dans le milieu cinéphile européen. Deux ans plus tard, Jaguar (1974) est sélectionné en Compétition Officielle. Manille (1975), Bayan Ko (1985) et Les Insoumis (1989) comptent parmi ses œuvres les plus reconnues internationalement.

Avant de ne pouvoir mener à bout tous ses projets, il meurt brutalement lors d’un accident de voiture à cinquante-deux ans.

Distributeur de la copie (DCP) : Carlotta

Rédaction du livret et séance présentée par :Julie Douet-Zigano (Jeune équipe)

Le Festival de l’histoire de l’art est une opération nationale du ministère de la Culture mise en œuvre par l’Institut national d’histoire de l’art et le château de Fontainebleau.

Retrouvez toutes les informations concernant le Festival sur Internet : festivaldelhistoiredelart.com

Suivez et partagez sur les réseaux sociaux : #FHA19

Scannez le QR code pour poser vos questions à notre chatbot Messenger :  Festival de l’histoire de l’art

La section cinéma du Festival de l’histoire de l’art est organisée en partenariat avec le Cinéma Ermitage. Crédit images : World cinema foundation.

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Manille met en image une histoire éternelle, portée par les vents de tous les siècles. Quitter la campagne, partir se perdre en ville, parce qu’on y gagnera mieux sa vie. Mais à quel prix ? Celui du mythe de la grande ville, merveilleuse et accueillante, où tout un chacun pourrait se réinventer. Tout se délite très vite pour Ligaya et Julio, qui ne trouveront à Manille que vices et misères dans un enchaînement tragique sur lequel la mise en scène ne leur permettra aucune prise.

Lino Brocka, véritable tragédien du cinéma, façonne des personnages emprisonnés par un destin inéluctable. Entre mélodrame onirique et réalisme social exacerbé, l’oeil de la caméra surplombe leurs désespoirs, impassible devant la tragédie à venir. Quelque soit leur vertu, leur courage, leur amour, leur générosité – rien ne pourra les sauver. Leur immuable condition de prolétaires, marquée au fer rouge sur leur peau, ne leur permettra rien. Brocka tisse le portrait d’une société d’une infinie cruauté, où la seule porte de sortie semble être, pour ceux qui n’ont rien, la vente de son propre corps. Parti à la recherche de son premier amour perdu en ville, c’est dans un nid de rats que va échouer le candide Julio. Asphyxié par un climat social qui n’offre aucune issue, le jeune ouvrier du bâtiment et ses camarades vont et viennent, au gré des puissants. Aucune voix n’ose s’élever quand on baisse les salaires sans le déclarer officiellement, quand on les paye en avance en retenant 10% du salaire. Un licenciement se fait en une seconde. Et la vie doit malgré tout être payée. Pourtant, les ouvriers ne cessent de se convaincre qu’ils vivent mieux à Manille que dans leurs provinces natales, l’écho de ces paroles résonne comme un vieille comptine dans

laquelle on se serait soi-même aliéné, pour se rassurer. La terrible chute de Benny – le jeune chanteur – surdétermine cet accident, dont la violence paraît alors criminelle. La travail aura vaincu la vie.

L’image pelliculaire, magnifiquement restaurée dans cette copie par la World Cinema Foundation, donne à voir un décor partagé entre sordide et sublime. Le village côtier d’où sont originaires les deux jeunes resplendit d’une lueur veloutée. Dans les flashbacks de Julio, Ligaya y règne, telle une nymphe idéale – en harmonie avec nature et beauté. La capitale, à son inverse, explose de néons artificiels et de béton, développant une esthétique nocturne et constructiviste, particulièrement en ce qui regarde les séquences dans la construction.

Mais c’est surtout le visage attendrissant et poupon de Julio sur lequel le film s’attardera davantage. Souffrant de sa propre impuissance, ses traits se durcissent au fur et à mesure, jusqu’au dernier regard : dans la furie du désespoir, Julio se sera retrouvé.

Pulsion, impuissance, pièges – il est difficile de ressortir indemne du film de Lino Brocka, tant la cruauté humaine est scrutée jusqu’en ses ultimes profondeurs. Un plan demeure, toutefois, au milieu de tout ce tourment.En toute fin de son parcours aux enfers,

La piège de la ville, par Julie Douet-Zingano

Julio, venant d’apprendre la dernière tragédie, celle qui abreuvera définitivement son désir de vengeance et le poussera enfin à agir, le visage torturé par la douleur, se retrouve face à un jaillissement de rouge. Une banderole.

Dans la rue, des corps marchent et hurlent. Parmi les sonorités confuses, on distingue « capitalismo ». L’espoir, infime, fragile espoir, renaît. Une manifestation, enfin.

« Comme cineaste, Brocka aime precipiter ses personnages dans les pieges que leur tend la mise en scene, ne reculant jamais au moment ou l’emotion gagne et ou les personnages, pris dans un angle mortel, ne peuvent plus reculer, eux non plus. »

(Serge Daney, « Qui est Lino Brocka ? », Libération, 10 decembre 1981)

« Insiang semblait reprendre à son compte le constat amer que faisait Pier Paolo Pasolini que, dans l’Italie d’apres-guerre, les sous-proletaires n’avaient d’autre choix que de se voler entre eux. La morale de Manille n’en est pas moins terrifiante, puisque les oublies de l’essor economique philippin semblent eux n’avoir d’autre possible que de s’enterrer les uns les autres. »

(Raphaëlle Pireyre, « Le fossoyeur du peuple », Critikat.com, decembre 2016)

Autour du film