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8 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVI - n° 1 - janvier 2012 MISE AU POINT Le syndrome du défilé thoracobrachial aujourd’hui The thoracic outlet syndrome today P. Bouche*, T. Maisonobe* * Service de neurologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. Historique Il paraît intéressant de revenir quelques années en arrière afin de suivre l’évolution du concept de syndrome du défilé thoracobrachial (DTB) – ou thoracic outlet syndrome (TOS), pour les Anglo- Saxons. Ce syndrome englobe toutes les lésions vasculaires et/ou nerveuses situées entre la base du cou et l’aisselle. Concernant les fibres nerveuses, ce sont essentiellement celles qui sont contenues dans le plexus brachial. Le sigle anglais TOS a été utilisé pour la première fois par Peet et al., en 1956. En fait, la mise en évidence de l’existence d’anomalies osseuses de la jonction cervicothoracique susceptible d’entraîner des symptômes vasculaires remonte à 1918 (Cooper). Mais Thomas et Cushing, en 1903, sont les premiers à avoir établi une relation entre la présence d’une côte cervicale et des altérations sensitives et motrices par lésion du plexus brachial inférieur sans lésion artérielle. Ces 2 auteurs signalaient avoir décelé, au cours d’une intervention chirurgicale, la présence d’une bande fibreuse épaisse tendue entre la côte cervicale et la première côte, comprimant ainsi le plexus. Les symptômes rapportés par une de leur patientes de 19 ans étaient très caracté- ristiques, puisqu’elle présentait une atrophie des muscles intrinsèques de la main, des douleurs du bras et des troubles sensitifs dans le territoire du plexus inférieur. La radiographie montrait la présence de côtes cervicales bilatérales. Deux ans plus tard, Thomas précisait que le versant thénarien était plus affecté par l’atrophie que le versant hypothénarien. Dès le début du xx e siècle, les grands traits caractéristiques du syndrome du DTB avaient donc été rapportés, préfigurant le vrai syndrome du DTB – ou true TOS, pour les Anglo-Saxons −, qui ne sera en fait reconnu et défini qu’une soixantaine d’années plus tard par Gilliatt et al., en 1970. Entre ces dates marquantes, pendant cette longue période, une certaine confusion a régné, en partie liée au fait que de nombreux auteurs attribuaient au syndrome du DTB – et notamment à la côte cervicale – la responsabilité de tous les cas d’atrophie théna- rienne, même en présence de troubles sensitifs dans le territoire du nerf médian. Les acroparesthésies du membre supérieur étaient aussi attribuées à ce syndrome, même en l’absence de côte cervicale. Les éminents traités de neurologie – notamment ceux de Wilson et de Walshe –, réédités pendant des décennies, ont entretenu cette confusion en attri- buant toutes les atrophies thénariennes et toutes les acroparesthésies au syndrome du DTB. L’idée que les douleurs du membre supérieur étaient liées au syndrome du DTB a largement été acceptée. En conséquence, les interventions chirurgicales avec ablation de la première côte ont été nombreuses, même en présence de symptômes aussi peu évoca- teurs que des spasmes, des crampes ou des troubles sensitifs mal caractérisés. Ces interventions entraî- naient fréquemment des séquelles sévères au niveau du plexus brachial. Pour certains, la première côte n’était pas à l'origine du syndrome, qui était plutôt dû à une large insertion du muscle scalène antérieur, contre lequel les vaisseaux et le plexus brachial étaient comprimés (Adson et Coffey, 1927). La célèbre manœuvre d’Adson en découle : la chirurgie consistait alors à séparer les insertions du muscle scalène antérieur. Pour Ochsner (1935), le syndrome du DTB pouvait survenir par la faute du seul scalène antérieur, même en l’absence de côte cervicale : ce fut l’ère du scalène antérieur. D’autres syndromes ont ensuite été décrits : le syndrome costoclaviculaire

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Page 1: P. Bouche*, T. Maisonobe* · Le syndrome du défilé thoracobrachial aujourd’hui The thoracic outlet syndrome today P. Bouche*, T. Maisonobe* * Service de neurologie, hôpital de

8 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVI - n° 1 - janvier 2012

MISE AU POINT

Le syndrome du défilé thoracobrachial aujourd’huiThe thoracic outlet syndrome today

P. Bouche*, T. Maisonobe*

* Service de neurologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.

HistoriqueIl paraît intéressant de revenir quelques années en arrière afin de suivre l’évolution du concept de syndrome du défilé thoracobrachial (DTB) – ou thoracic outlet syndrome (TOS), pour les Anglo-Saxons. Ce syndrome englobe toutes les lésions vasculaires et/ou nerveuses situées entre la base du cou et l’aisselle. Concernant les fibres nerveuses, ce sont essentiellement celles qui sont contenues dans le plexus brachial. Le sigle anglais TOS a été utilisé pour la première fois par Peet et al., en 1956. En fait, la mise en évidence de l’existence d’anomalies osseuses de la jonction cervicothoracique susceptible d’entraîner des symptômes vasculaires remonte à 1918 (Cooper). Mais Thomas et Cushing, en 1903, sont les premiers à avoir établi une relation entre la présence d’une côte cervicale et des altérations sensitives et motrices par lésion du plexus brachial inférieur sans lésion artérielle. Ces 2 auteurs signalaient avoir décelé, au cours d’une intervention chirurgicale, la présence d’une bande fibreuse épaisse tendue entre la côte cervicale et la première côte, comprimant ainsi le plexus. Les symptômes rapportés par une de leur patientes de 19 ans étaient très caracté-ristiques, puisqu’elle présentait une atrophie des muscles intrinsèques de la main, des douleurs du bras et des troubles sensitifs dans le territoire du plexus inférieur. La radiographie montrait la présence de côtes cervicales bilatérales. Deux ans plus tard, Thomas précisait que le versant thénarien était plus affecté par l’atrophie que le versant hypothénarien. Dès le début du xxe siècle, les grands traits caractéristiques du syndrome du DTB avaient donc été rapportés, préfigurant le vrai syndrome du DTB – ou true TOS, pour les Anglo-Saxons −, qui

ne sera en fait reconnu et défini qu’une soixantaine d’années plus tard par Gilliatt et al., en 1970. Entre ces dates marquantes, pendant cette longue période, une certaine confusion a régné, en partie liée au fait que de nombreux auteurs attribuaient au syndrome du DTB – et notamment à la côte cervicale – la responsabilité de tous les cas d’atrophie théna-rienne, même en présence de troubles sensitifs dans le territoire du nerf médian. Les acroparesthésies du membre supérieur étaient aussi attribuées à ce syndrome, même en l’absence de côte cervicale. Les éminents traités de neurologie – notamment ceux de Wilson et de Walshe –, réédités pendant des décennies, ont entretenu cette confusion en attri-buant toutes les atrophies thénariennes et toutes les acroparesthésies au syndrome du DTB. L’idée que les douleurs du membre supérieur étaient liées au syndrome du DTB a largement été acceptée. En conséquence, les interventions chirurgicales avec ablation de la première côte ont été nombreuses, même en présence de symptômes aussi peu évoca-teurs que des spasmes, des crampes ou des troubles sensitifs mal caractérisés. Ces interventions entraî-naient fréquemment des séquelles sévères au niveau du plexus brachial. Pour certains, la première côte n’était pas à l'origine du syndrome, qui était plutôt dû à une large insertion du muscle scalène antérieur, contre lequel les vaisseaux et le plexus brachial étaient comprimés (Adson et Coffey, 1927). La célèbre manœuvre d’Adson en découle : la chirurgie consistait alors à séparer les insertions du muscle scalène antérieur. Pour Ochsner (1935), le syndrome du DTB pouvait survenir par la faute du seul scalène antérieur, même en l’absence de côte cervicale : ce fut l’ère du scalène antérieur. D’autres syndromes ont ensuite été décrits : le syndrome costoclaviculaire

Page 2: P. Bouche*, T. Maisonobe* · Le syndrome du défilé thoracobrachial aujourd’hui The thoracic outlet syndrome today P. Bouche*, T. Maisonobe* * Service de neurologie, hôpital de

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Points forts

et le syndrome d’hyperabduction, tous 2 sans côte cervicale. Cependant, la responsabilité du scalène antérieur dans le syndrome du DTB ne faisait pas l’unanimité, d’autant que la chirurgie n’apportait pas souvent les résultats escomptés. De plus, au début des années 40, furent rapportées les radiculopathies d’origine cervicale et, surtout, les aspects cliniques et chirurgicaux du syndrome du canal carpien – entre 1949 et 1953 (Phalen et Murphy). Cela a en partie permis de clarifier les syndromes moteurs et douloureux qui affectent le membre supérieur. Malgré cela, au début des années 1960, certains recommandaient l’ablation de la première côte par voie thoracique postérieure (fort délabrante) ou axillaire (Roos, 1966) : pour eux, la clé de voûte du syndrome du DTB était en effet la première côte. Fort heureusement, Gilliatt et al. (1970) ont décrit ce qu’ils ont appelé le “vrai syndrome du DTB” ou “true TOS”, en en donnant les principales caractéristiques cliniques, électrophysiologiques et radiologiques. Wilbourn a proposé de classer les syndromes du DTB en 2 groupes – vasculaire et neurologique –, eux-mêmes subdivisés en sous-groupes :

➤ le syndrome du DTB vasculaire, subdivisé en : – forme majeure ; – forme mineure ; – forme veineuse ;

➤ le syndrome du DTB neurologique, subdivisé en : – syndrome neurogène vrai ou true TOS ; – syndromes du DTB non spécifiques ou discutables

(disputed TOS).

Syndrome neurogène vrai

C’est un syndrome rare, mais sa fréquence est probablement sous-évaluée. Gilliatt est le premier auteur à avoir parfaitement défini le syndrome et à l’avoir délimité de façon rigoureuse. Selon son expérience, il n’y aurait pas plus de 3 cas par an à l'institut de neurologie Queen Square de Londres et 30 cas en 15 ans pour 2 000 patients par an dans son laboratoire d’électromyographie. Pour comparaison, pendant la même période, Roos a opéré 1 300 patients dont seuls 9 % avaient une côte cervicale. Dans la cohorte de patients de notre recrutement, qui concernait près de 4 000 patients

par an, la moyenne annuelle se situait plutôt autour des 10 cas. Cette sous-évaluation est due en partie à l’inadaptation de l’examen ENMG à cette situation et aussi au fait que les radiologues ne voient ni les côtes cervicales ni les apophysomégalies sur les radios simples.Le syndrome touche préférentiellement les femmes (90 à 100 % des cas). L’âge moyen au moment du diagnostic est de 40 ans, mais les formes plus précoces sont fréquentes, notamment chez la jeune adolescente. Il est difficile de situer déterminer le moment exact du début des troubles, en raison du caractère habituellement insidieux de l’évolution.

◆ Aspects cliniquesLes troubles qui conduisent les patients à consulter sont assez variables, mais toujours unilatéraux. Dans tous les cas, au moment du diagnostic, il existe une amyotrophie plus ou moins prononcée de l’éminence thénar (figure 1). Cette amyotrophie existe souvent depuis plusieurs années, le retard au diagnostic étant fréquemment dû à la très bonne tolérance de ce déficit, à l’exception d’une de ses caractéris-tiques : une paralysie liée au froid. Les autres troubles caractéristiques prennent la forme de paresthésies, souvent fugaces, qui agissent sur le territoire du nerf ulnaire dans les 2 derniers doigts de la main. Les autres

» Début unilatéral insidieux, longtemps bien toléré » Amyotrophie thénarienne caractéristique » Déficit sensitif le plus souvent modéré, parfois absent » Examen ENMG indispensable » Atteinte de type plexique C8-D1 » Étude du potentiel sensitif du nerf cutané médial de l’avant-bras » Radiographie simple cervicale à demander » Côte cervicale ou apophysomégalie C7 constantes

Mots-clésAmyotrophie thénarienne Lésion plexique C8-D1 Côte cervicale, apophysomégalie C7

Highlights » Unilateral insidious onset » Characteristic thenar amyot-

rophy » Mild sensory deficit, some-

times absent » The electrodiagnostic inves-

tigation is essential » Plexic lesion type C8-T1 » Study of the sensory poten-

tial of the medial cutaneous nerve of the arm

» A standard cervical radio-graphy is enough

» A cervical rib or a C7 apophy-somegaly are constant

KeywordsThenar amyotrophy

C8-T1 plexic lesion

Cervical rib, C7 apophysomegaly

Figure 1. Amyotrophie thénarienne de la main droite.

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Le syndrome du défilé thoracobrachial aujourd’huiMISE AU POINT

symptômes sont moins spécifiques : douleurs vagues du membre supérieur, crampes de certains muscles de la main ou de l’avant-bras, troubles sensitifs mal systématisés de l’avant-bras. Il n’y a pas de symptôme vasculaire dans cette forme neurogène pure. Les douleurs peuvent être accentuées lors du port de charges lourdes mais, répétons-le, la symptomato-logie est le plus souvent insidieuse et peu évocatrice, ce qui explique le retard au diagnostic.L’examen clinique permet de mettre en évidence le trait neurologique caractéristique qui se présente comme une atrophie sélective des muscles courts abducteur et opposant du pouce. La particularité de cette amyotrophie est aussi un aspect de “trou” ou de “crevasse” dans l’éminence thénar, assez différent de ce que l’on observe dans les syndromes du canal carpien évolués, où l’amyo-trophie est plus homogène (figure 2). Les autres muscles intrinsèques de la main sont relativement épargnés, notamment les muscles interosseux. Une amyotrophie en manchette de l’avant-bras peut aussi être observée (figure 3). Le déficit sensitif se situe souvent au second plan et peut toucher les 2 derniers doigts de la main (mais jamais avec respect du bord externe du quatrième doigt, comme dans les atteintes du nerf ulnaire) ; ce qu’il faut surtout rechercher attentivement, c'est une zone d’hypoesthésie sur la face antéro-interne de l’avant-bras (zone qui n’est jamais innervée par le nerf ulnaire).Les réflexes tendineux sont présents, notamment le réflexe de flexion des doigts (C8).Les manœuvres utilisées dans le syndrome du défilé au sens large ne sont ici d’aucun intérêt (manœuvre d’Adson, par exemple).

Rappelons les traits caractéristiques qui doivent orienter le diagnostic sur une atteinte C8 (radi culaire ou plexique) : amyotrophie de l’émi-nence thénar et troubles sensitifs dans le territoire ulnaire ou C8.Les 3 diagnostics différentiels le plus souvent évoqués sont :

➤ un syndrome du canal carpien en raison de l’amyotrophie thénarienne, mais les troubles sensitifs sont plutôt sur le versant ulnaire ;

➤ une atteinte ulnaire, mais l’amyotrophie théna-rienne doit faire réviser le diagnostic ;

➤ une atteinte radiculaire C8.Enfin, une affection chronique de la corne antérieure de la moelle peut aussi être évoquée dans les formes motrices où l’élément sensitif est absent ou très peu marqué.

◆ Aspects électroneuromyographiquesC’est l’examen ENMG qui permet le diagnostic. Encore faut-il être sensibilisé à cette démarche diagnostique qui consiste à éliminer les atteintes des nerfs médian et ulnaire ainsi que les atteintes radiculaires et à confirmer l’atteinte plexique C8-D1.L’examen est facile à réaliser, il fait appel aux techniques habituelles.

➤ Pour la conduction motrice : – médian coude-poignet des 2 côtés, recueil sur le

court abducteur du pouce (CAP) ; onde F distale ; – ulnaire des 2 côtés, vitesse étagée ; poignet sous-

Figure 2. Amyotrophie thénarienne caractéristique.Figure 3. Amyotrophie en manchette de l’avant-bras droit.

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MISE AU POINT

et sus-coude, recueil sur l’abductor digiti minimi (ADM) et le premier interosseux dorsal ; onde F distale.

➤ Pour les potentiels sensitifs, il faut systémati-quement étudier des 2 côtés :

– le potentiel sensitif du nerf ulnaire (cinquième doigt-poignet en orthodromique, de préférence). Puis les quatrième, troisième, deuxième et premier doigts, recueil poignet versant médian. Étudier le potentiel sensitif du nerf radial (en antidromique) ;

– le potentiel sensitif du nerf cutané médial de l’avant-bras (NCMAB) [figures 4, 5].

➤ Pour l’examen électromyographique à l’aiguille électrode :

– les muscles intrinsèques de la main qui sont tous C8 : premier interosseux dorsal et ADM (ulnaire) et CAP (médian) ;

– les muscles de l’avant-bras : extenseur propre de l’index (plutôt C8 et radial), extenseur commun des doigts (plutôt C7 et radial), extenseur du poignet (C6-C7). Fléchisseur ulnaire du carpe (C7-C8).

◆ RésultatsLes anomalies les plus évocatrices d’une atteinte plexique C8-D1 sont :

➤ motrices : diminution marquée de l’amplitude motrice recueillie sur le CAP (médian-C8) et, dans un moindre degré – voire avec une amplitude motrice normale – sur l’ADM et sur le premier interosseux dorsal (ulnaire/C8). Généralement, les vitesses de conduction motrice (VCM), les latences distales motrices (LDM) et les latences des ondes F sont normales ;

➤ sensitives : les potentiels recueillis au poignet (médian) après stimulation du premier au troi-sième doigt sont normaux (racines C6-C7). L’am-plitude du potentiel recueilli au poignet après stimulation du cinquième doigt est réduite, en valeur absolue et comparative avec le côté opposé (ulnaire-C8). Mais attention : le potentiel peut paraître normal en valeur absolue ou n’être que peu altéré ; il faut donc toujours le comparer avec le côté opposé.L’élément essentiel du diagnostic est l’étude du potentiel sensitif du NCMAB, qui reflète parfai-tement la fonction des fibres C8-D1 du plexus. Il est donc toujours nettement altéré, ce qui n’est jamais le cas dans une atteinte ulnaire.L’association de la diminution importante de l’amplitude motrice sur le CAP et de l’altération du potentiel sensitif du NCMAB est ainsi très évocatrice d’une atteinte plexique C8-D1.

Les causes des atteintes plexiques C8-D1 peuvent être :

➤ tumorales : tumeurs nerveuses ou par envahis-sement (poumons) ;

➤ traumatiques ; ➤ idiopathiques et inflammatoires (formes

atypiques du syndrome de Parsonage et Turner) ; ➤ un syndrome du défilé thoracobrachial.

L’évolution lente et insidieuse est très évocatrice d’un syndrome du DTB, les autres causes sont faciles à éliminer et le diagnostic avec les atteintes des nerfs médian, ulnaire ou radiculaire est aisé (tableau, page 12).Un examen simple permet de confirmer le diagnostic de syndrome du DTB : la radiographie standard cervicale. Attention : il faut voir correctement la vertèbre C7 et la partie supérieure du thorax, et

Figure 4. Technique de recueil du potentiel sensitif du nerf cutané médial de l’avant- bras (NCMAB).

Branche ulnairedu nerf cutanémédial de l’AB

Branche antérieuredu nerf cutanémédial de l’AB

S

R 5 cm

5 cm

Figure 5. Photographie de l’étude du potentiel sensitif du NCMAB.

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Le syndrome du défilé thoracobrachial aujourd’huiMISE AU POINT

Tableau. Diagnostic différentiel du syndrome du DTB neurogène vrai.

DTB vrai Syndrome du canal carpien Atteinte du nerf ulnaire Radiculopathie C8

Réduction d’amplitude sur le CAP Oui +++ Possible selon la gravité Non Possible si atteinte motrice

Réduction d’amplitude sur l’ADM Non Non Possible Possible si atteinte motrice

Réduction d’amplitude sur le 1er interosseux

Possible mais toujours moins que sur le CAP Non Possible Possible si atteinte motrice

Allongement de la latence distale motrice sur CAP Non ou discrète Possible dans les formes

avancées Non Rare (discrète)

Allongement de la LDM sur ADM et/ou interosseux Non ou très discrète Non Non sauf atteinte

au poignet Rare (discrète)

Altération du PS du 1er

au 4e doigt-poignetNon ou très rare sur 3e et 4e,

altération modérée Oui Non (sauf 4e) Non

Altération du PS au 5e doigt-poignet Oui Non Oui Non

Altération du PS du NCMAB Oui +++ Non Non Non

ADM : abductor digiti minimi ; CAP : court abducteur du pouce ; LDM : latence distale motrice ; NCMAB : nerf cutané médial de l’avant-bras ; PS : potentiel sensitif.

Figure 6. Aspect normal du défilé thoracobrachial.

Première côteVeine sous-clavièreArtère sous-clavièrePlexus brachial

Scalène antérieurScalène moyen

Figure 7. Présence d’une côte cervicale.

Côtecervicale

Figure 8. Présence d’une apophysomégalie et d’une bande fibreuse.

Bande fibreuse

Figure 9. Aspect de cette côte cervicale et de la bande fibreuse.

Bandefibreuse

Apophysomégalie

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MISE AU POINT

surtout ne pas se fier aux comptes-rendus radio-logiques qui oublient le plus souvent l’anomalie recherchée : l’apophysomégalie C7 ou la côte cervicale (figures 6-11, pages 12 et 13). Il n’est pas besoin d’IRM ni de scanner.Dans tous les cas de syndrome du DTB neurologique vrai, on observe une anomalie de ce type, toujours bilatérale. Cette anomalie osseuse est le plus souvent prolongée par une bande fibreuse qui la relie à la première côte ou au sternum.

Traitement

L’acte chirurgical peut être indiqué. L’abord axillaire autrefois pratiqué est aujourd’hui à bannir en raison des complications sévères de ce type de chirurgie, comme la paralysie brachiale. L’abord sus-claviculaire est actuellement la technique la plus utilisée, avec une résection de l’anomalie osseuse et de la bande fibreuse. La résection de la première côte est parfois nécessaire. Les suites opératoires sont simples et sans complications. Le bénéfice semble surtout porter sur les douleurs et les troubles sensitifs.

Figure 10. Différentes formes pouvant être prises par les côtes cervicales et les apophysomégalies.

1 (L) 5 (L)

2 (R) 6 (R)

3 (R) 7 (R)

4 (R) 8 (L)

Figure 11. Radiographie montrant une apophysomégalie bilatérale.

La récupération motrice, notamment l’atrophie du CAP, est moins constante et le plus souvent imparfaite.

Syndrome du DTB non spécifique ou discutable

Il fait l’objet d’intenses débats. Il est caractérisé par la présence de symptômes pouvant faire évoquer une souffrance du plexus brachial dans le défilé thoraco-brachial. Ces symptômes amènent souvent le patient à consulter un rhumatologue ou un angéiologue, s’il existe des éléments en faveur d’une compression vasculaire intermittente. Mais il n’y a, par définition, par d’atteinte neurologique “vraie”, pas d’atrophie du CAP ni de signe sensitif objectif. L’examen ENMG est toujours normal.De nombreux syndromes sont rattachés à cette entité :

➤ le syndrome du scalène antérieur ; ➤ le syndrome costoclaviculaire ; ➤ le syndrome d’hyperabduction du bras (compres-

sion sous le tendon du petit pectoral entre la clavi-cule et la première côte ;

➤ le syndrome des épaules tombantes. ■

•� Wilbourn AJ. Brachial plexus disorders. In: Dyck PJ, Thomas PK (eds). Peripheral neuropathy. Vol. 2. Philadelphie: WB Saunders, 1993:911-50.

•� Gilliatt RW, Le Quesne PM, Logue V, Sumner AJ. Wasting of the hand associated with a cervical rib or band. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1970;33:615-24.

Pour en savoir plus

Apophysomégalie C7