palaces, musées, bureaux _ les hôtels-dieu transformés par des fonds privés

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20/9/2014 Palaces, musées, bureaux : les hôtels-Dieu transformés par des fonds privés http://abonnes.lemonde.fr/culture/article/2014/09/18/hospices-5-etoiles_4490043_3246.html 1/10 Les hôtels-Dieu soignés en privé LE MONDE CULTURE ET IDEES | 18.09.2014 à 15h32 • Mis à jour le 18.09.2014 à 19h00 | Par Florence Evin (/journaliste/florence-evin/) L'hôpital Richaud, ancien hôpital royal de Versailles (XVIIIe siècle) classé pour partie monument historique, a été rénové grâce à une opération immobilière. Les architectes se sont notamment battus pour préserver ses cages d’escalier. | DR

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Les hôtels-Dieu soignés en privéLE MONDE CULTURE ET IDEES | 18.09.2014 à 15h32 • Mis à jour le 18.09.2014 à 19h00 |

Par Florence Evin (/journaliste/florence-evin/)

L'hôpital Richaud, ancien hôpital royal de Versailles (XVIIIe siècle) classé pour partie

monument historique, a été rénové grâce à une opération immobilière. Les architectes

se sont notamment battus pour préserver ses cages d’escalier. | DR

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Dans la grande braderie organisée par l’Etat pour essayer de remplir sescaisses vides, les hôtels-Dieu désaffectés, classés monuments historiques,sont en tête de liste. Les plus prisés, ceux du Grand Siècle et du siècle desLumières, bâtis aux XVII et XVIII siècles, trônent au cœur des grandesvilles. Leur architecture magistrale y exhibe la puissance descommanditaires, les rois de France et leurs subordonnés.

A Marseille, Lyon, Versailles, les hôpitaux royaux, longtemps en déshérenceet menacés de ruine, font ainsi l’objet d’opérations immobilières qui leurdonnent une seconde vie. Leur structure n’étant pas adaptable aux

L'hôpital Richaud, avant sa restauration. Ce monument est resté trente ans à

l'abandon. | DR

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exigences de la médecine moderne, il n’y a qu’une solution : lareconversion. Les chantiers sont programmés, en cours ou terminés. Maispour quel usage ? Dans leur habillage de pierre princier, ces premiershospices, voués à la charité, garderont-ils la mémoire de leur fonctionoriginelle après leur réhabilitation ? Et jusqu’où peut conduire la mutationdictée par la modernité et la rentabilité ? A la veille de la 31e édition desJournées du patrimoine, les 20 et 21 septembre (l’événement a attiré12 millions de visiteurs en 2013), Jack Lang, ministre de la culture deFrançois Mitterrand qui avait institué ce rendez-vous annuel en 1984, livresa réponse. Dans un manifeste, Ouvrons les yeux !, il affirme que « ce n’estpas manquer d’imagination que de vouloir conserver des monuments quiont perdu leur usage, c’est au contraire avoir confiance en celle deshommes pour les réinventer ».

JUTEUSE OPÉRATION IMMOBILIÈRE

Cette problématique concerne, à terme, plus ou moins tous les édificespublics. Avec une spécificité propre au patrimoine hospitalier. Faute detransformer tous les anciens hôpitaux en musées, le fait d’y installer deslogements est l’option privilégiée pour leur rentabilité. A Marseille, parexemple, où l’Hôtel-Dieu a fait l’objet d’un aménagement radical. Sur leVieux-Port, l’ancien hôpital du Saint-Esprit, fermé en 2006, est devenudepuis 2013 un palace 5 étoiles. Une fois n’est pas coutume, l’affaire futrondement menée. Il est vrai qu’elle allait de concert avec l’opérationurbaine visant le port, dont les quais ont été rendus aux piétons. Et avecl’inauguration du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée(Mucem), abrité dans le vaisseau en dentelle de pierre de Rudy Ricciotti.

Sur la façade de pierre rose de l’ancien hôpital dessinée par JulesHardouin-Mansart – l’architecte de Louis XIV qui a construit le château deVersailles –, le logo InterContinental brille avec ostentation. Lareconversion du bâtiment, qui domine en vigie toute la baie, a coûté75 millions d’euros. Elle a été portée par Cogedim, maître d’ouvrage,l’agence Tangram Architectes, les assurances Axa pour l’investissement etla société InterContinental comme exploitant. En contrepartie d’un bailemphytéotique de 99 ans, la ville a obtenu la construction de 85 logementssociaux situés dans une arrière-cour.

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Il s’agissait, pour Marseille, de donner un autre visage à la colline du Panieret à tout ce quartier qui, il faut le reconnaître, a changé de visage sous l’ailedu palace. Seules les arcades du XVIII siècle, le long de coursivesaériennes de l’hôtel, rappellent le soleil vif et la brise marine que lespatients tuberculeux venaient chercher dans l’espoir d’une guérison. Ellesombragent désormais les balcons des suites pour clients fortunés.

LE PRIX DU SAUVETAGE DU PATRIMOINE

Faut-il pour autant ne retenir que le volet juteux de l’opération immobilièrequ’ils représentent pour le secteur privé ? La réponse est plus complexe.Car le sauvetage du patrimoine a un prix : « Deux fois celui d’un bâtimentneuf standard », indique l’architecte Emmanuel Dujardin, chargé duprojet, qui précise que « l’aménagement d’une chambre 5 étoiles revient à350  000 euros ». Et les investisseurs ne se bousculent pas, tant larestauration de tels édifices est coûteuse, et leur affectation à un nouvelusage délicate.

En France, l’ampleur de ce patrimoine est colossale. Pierre-Louis Laget,médecin, conservateur du patrimoine, coauteur de L’Hôpital en France.Histoire et architecture (Lieux Dits, 2012), dresse l’inventaire : «  SousLouis-Philippe, on dénombrait 1 350 établissements aux noms divers,hôtels-Dieu, hospices, maisons-Dieu. Une telle institution avait pourvocation l’hospitalité au sens le plus large : réconfort des pauvres,

Surplombant le Vieux-Port de Marseille, l’hôtel-Dieu, dessiné par Mansart au XVIIIe

siècle, a été restauré et transformé en hôtel de luxe. Sa reconversion date de 2013. | DR

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malades dénués de ressources, pèlerins, simples voyageurs de passage.Quand je me promène en France, je tombe sur de petits bâtimentshospitaliers magnifiques. Celui de Chaumont, toujours en fonction, date dela fin du XVIII siècle.  » Merveilles d’architecture situées au pied descathédrales, ces hôtels-Dieu étaient financés par le seigneur du cru etadministrés sous tutelle ecclésiastique : les sœurs donnaient les soins etassuraient l’intendance. Ce qui explique l’importance accordée à lachapelle, placée dans le prolongement de la salle commune des malades,longue nef de laquelle ils suivaient la messe depuis leur lit. Elément-clé decette architecture Grand Siècle, le dôme dialogue avec celui du châteauvoisin.

FREIN À LA RÉHABILITATION

Transformer en musées ces lieux magnifiques ? L’opération peut êtreréussie, en témoigne le cas exemplaire des Hospices civils de Beaune (Côte-d’Or). Le musée et la vente aux enchères annuelle des vins du domaineviticole assurent l’entretien des bâtiments, ainsi que le fonctionnementd’une maison de retraite et d’un centre hospitalier logés dans des bâtimentsmodernes. Mais les hôtels-Dieu sont bien trop nombreux pour tous devenirdes musées. Leur sauvegarde passe donc le plus souvent par unereconversion. Avec de lourdes contraintes, dictées par la structure même debâtiments très peu profonds. «  Pour faire des économies sur leschandelles, les salles communes ont six mètres de large au maximum,explique Pierre-André Lablaude, architecte en chef des monumentshistoriques (ACMH). On s’éclairait le plus longtemps possible à la lumièredu jour avec de grandes fenêtres.  »

Lire aussi : Jean-Michel Wilmotte : « Notre travail n’est pasde faire du « façadisme »» (/culture/article/2014/09/18/jean-michel-

wilmotte-notre-travail-n-est-pas-de-faire-du-facadisme_4490106_3246.html)

Cette structure est un frein à la réhabilitation, au même titre que lescontraintes légales. «  Les normes de sécurité sont si pesantes, en termesd’incendie et de handicap, qu’elles font obstacle à toute réutilisation, celadevient un délire, plaide-t-il. L’arsenal normatif est tel que tout ancienbâtiment devient un bâtiment neuf. En 2015, date d’entrée en vigueur de laloi sécurité-incendie, faudra-t-il encloisonner un belescalier XVIII siècle ?  » Voilà pourquoi les hôtels-Dieu, une fois leursservices hospitaliers déménagés dans du neuf, connaissent des années,voire des décennies de déshérence. Ce fut le cas de l’ancien hôpital royal deVersailles, construit par Louis XV sur la maison de charité de Louis XIV(qu’il fit raser), d’après les plans d’Ange-Jacques Gabriel, l’architecte de laplace de la Concorde, à Paris. Après le transfert de ses activités au Chesnay(Yvelines), en 1981, le site est resté à l’abandon trente ans.

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Avec son fronton à colonnades en pierre blonde de Saint-Leu, l’ancienhôpital Richaud, rebaptisé le Carré des siècles, rayonne tout juste de l’éclatde sa restauration. «  On y soignait autant les corps que les âmes  »,explique Frédéric Didier, en grimpant sur les échafaudages de la chapellepour montrer les trois fleurs de lis sculptées sous la coupole du dôme.Chargé des restaurations du château de Versailles, l’architecte raconte les

Après le déménagement de ses services hospitaliers en 1981, l’ancien hôtel-Dieu de 

Versailles a été vandalisé, squatté, incendié. | DR

L'hôtel-Dieu de Versailles a depuis été restauré. Ses jardins et sa chapelle, devenue

centre culturel, seront ouverts au public fin 2014. Le quadrilatère historique abritera

notamment une crèche et des appartements privés. | DR

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déboires de l’hôtel-Dieu royal avant sa renaissance. «  En 1995, il estracheté par le ministère de la justice pour un projet pharaonique de laCour d’appel auquel Rachida Dati, alors garde des sceaux, a fini parrenoncer : le coût des travaux était de 80 millions d’euros ! A son tour, leconseil général envisage de s’y installer, puis se récuse.  » Squatté,incendié, vandalisé, livré aux herbes folles, le quadrilatère historiquedistribué entre cour et jardin, en plein cœur de l’ancienne cité royale, est enperdition quand, en 2009, la décision de le transformer en logements estprise par la ville.

COMPROMIS ENTRE SPHÈRE PUBLIQUE ET SECTEUR PRIVÉ

Celle-ci achète l’édifice à France Domaine, le service des cessionsimmobilières de l’Etat, et le revend aussitôt au groupe OGIC, le promoteurimmobilier lauréat de son appel à projets avec les architectes Jean-MichelWilmotte et Frédéric Didier, chargés des parties classées monumentshistoriques (façades, toitures, chapelle, escaliers monumentaux). Elu mairede Versailles en 2008, François de Mazières lance le chantier dereconversion en 2011. Les deux ailes classées du quadrilatère accueillent unprogramme immobilier luxueux. Le prix moyen au mètre carré est de8 500 euros. Les grands duplex et appartements avec terrasse sont prisd’assaut : l’opération est compatible avec le volet défiscalisation de la loiDuflot. Un prix justifié par le coût de restauration du monument : « 5 200 euros le mètre carré », précise le promoteur. En contrepartie del’opération immobilière, la ville obtient 82 logements sociaux, descommerces et des bureaux qui prennent place dans de petits immeublesneufs… cachés derrière les façades XVIII . Une crèche est aménagée dans lacour d’entrée, la chapelle devient un centre culturel. Les 4 hectares debâtiments, la cour et le jardin seront ouverts au public fin 2014, à lalivraison du chantier. Le maire de Versailles mise sur cette renaissancepour redonner vie au quartier Notre-Dame, entre le marché et la gare.

Ces compromis entre la sphère publique et le secteur privé, souventinévitables lorsqu’il s’agit de sauvegarder des bâtiments historiques,nourrissent les débats. La Documentation française, dans son bulletin demai-juin, pose les questions-clés : «  Le patrimoine. Pourquoi, comment,jusqu’où ?  » Pour l’architecte Pierre-André Lablaude, «  la conservation del’édifice prime. Sa réutilisation a d’abord pour objet de le sauver. Encontrepartie, il faut faire des sacrifices : on accepte de se couper un braspour sauver le reste ». C’est, par exemple, diviser la longue salle communedes anciens hospices en chambres d’hôtel ou en appartements, mais ententant de garder la charpente intacte. Ce qui a été fait dans les hôtels-Dieude Versailles et Marseille. Cependant l’expert s’interroge : « Si tout estpatrimoine, jusqu’où faut-il classer ? Plus on a protégé, plus on charge laresponsabilité politique qui n’a pas les moyens financiers d’assumer. Maisle classement donne un droit de regard à l’Etat, qui donne son feu vert

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quand il faut sacrifier. »

«CALCULS POLITIQUES »

« Est-ce aussi simple ? », se demande Jean-Michel Leniaud. Pourle directeur de l’Ecole nationale des chartes, « les critères du conservateur,du restaurateur, du savant s’inscrivent souvent dans une logique inversede celle des opérateurs, dictée par le profit ou par des calculspolitiques ». Convaincre les investisseurs n’est pas chose aisée. Le sauvetagede l’hôtel-Dieu de Lyon, classé monument historique dans sa totalité,illustre toute la complexité d’une telle reconversion et de son financement.Il a en effet été difficile de boucler l’opération immobilière malgré sonemplacement « royal » et ses 327 mètres de façade ostentatoire sur le Rhône– signée Jacques-Germain Soufflot, l’architecte du Panthéon, à Paris.

Les Hospices civils de Lyon (HCL), propriétaires du site, ont accordé unbail à construction de 94 ans au groupe Eiffage, dont le projet a remportél’appel d’offres en 2010. Les travaux devaient commencer début 2013 et lechantier être livré fin 2016. Il le sera avec deux ans de retard, au mieux,compte tenu de l’ampleur des travaux : 50  000 mètres carrés de surface àrestaurer, réhabiliter et mettre aux normes. En contrepartie, Eiffage s’estengagé à payer les travaux de la reconversion, estimés à « 200 millionsd’euros, plus un loyer annuel ». Le site rénové accueillera, comme àMarseille, un hôtel 5 étoiles, mais aussi un centre de congrès, une cité de lagastronomie, des logements, bureaux et commerces. La chapelle demeureraà la disposition des Hospices de Lyon.

TÉMOINS DE L’ÉVOLUTION DE LA CIVILISATION

Vue d’artiste du projet d’opération immobilière du grand hôtel-Dieu de Lyon, avec sa

façade de 327 mètres sur le Rhône dessinée par Soufflot au XVIIIe siècle. Sur ces deux

hectares, il est prévu d’installer un hôtel de luxe, un centre de congrès, une cité de la

gastronomie, des logements, bureaux et commerces. | DR

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Le sauvetage d’un édifice réglé, son financement trouvé, reste la questionde la mémoire du lieu. Les hôtels-Dieu, comme l’affirme le chirurgienJacques-René Tenon en 1792 lorsqu’il en dresse l’inventaire, sont lestémoins de l’évolution de la civilisation. En conserver – ou non – la traceintacte est une question qui inquiète les associations de défense dupatrimoine. Dans son bulletin de mai-juin, SOS Paris craint ainsi que leprojet immobilier de 100 000 mètres carrés en préparation entre la gared’Austerlitz et la Salpêtrière n’empiète sur le territoire du site hospitalier leplus vaste de France : il s’étale, si l’on englobe la Pitié, sur 33 hectares.

Décidée par Louis XIV en 1656, sur un ancien arsenal de poudre àmunitions, la construction de la Salpêtrière répondait, par un gestearchitectural fort, à l’édit du roi scellant la création de l’«  hôpital général  »destiné «  à enfermer les pauvres dans un bâtiment digne pour lesremettre dans le droit chemin  ». Entendre par «  pauvres  » les mendiants,vagabonds, vauriens et filles de joie. De fait, le lieu fut destiné aux femmes.Dans la «  maison de force  », avec sa cour, où elles étaient enchaînées, lesanneaux fichés dans les murs témoignent toujours. Le Kremlin-Bicêtre aété construit à la même époque, pour les hommes. En feuilletant lesregistres, des documents poignants que l’on pouvait consulter, jusqu’à safermeture en 2010, au Musée de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris(AP-HP), à l’hôtel de Miramion (Paris 5 ), on pouvait constater que cesfemmes avaient finalement été envoyées «  aux îles d’Amérique  » pour lespeupler, et les hommes aux galères.

Bâti par François Mansart quai de la Tournelle, face à Notre-Dame, leravissant hôtel particulier, monument historique classé, a lui aussi étévendu par France Domaine. « La gestion du patrimoine bâti hospitaliersert à financer les investissements du futur », plaide Martin Hirsch, ledirecteur général de l’AP-HP.

L’EXCEPTION DE L’HÔTEL-DIEU DE PARIS

Aujourd’hui, tous les regards sont tournés vers l’Hôtel-Dieu de Paris, aupied de Notre-Dame. Quel sera le sort du quadrilatère millénaire, rarebâtiment à avoir échappé au ravalement obligatoire des façadesparisiennes ? Comme s’il fallait le laisser noircir pour dire la vétusté decette maison de charité, refuge des indigents, dont la première pierredaterait du VII siècle. En décembre 1772, onze jours durant, il fut la proiedes flammes. Reconstruit et agrandi au XIX siècle, il est actuellement vidéd’une partie de ses services, avec maintien des urgences et d’un centre deconsultations sur rendez-vous dans une vingtaine de spécialités. Depuis dixans, les projets de fermeture pour sa reconversion circulent. On a parlé d’ytransférer les services administratifs de l’AP-HP, d’en faire un musée, unhôpital universitaire, un centre touristique…

Il n’en sera rien, répond Martin Hirsch. « On a fait le choix de garder

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l’Hôtel-Dieu dans la sphère publique avec une vocation sanitaire ethospitalière qui serait davantage ouverte sur la ville, avec une plate-forme de soins pour l’ensemble de la population parisienne. » Du suivi desgrossesses aux problèmes de santé mentale, mais pas seulement. « Le casdes personnes âgées est un des grands axes du travail de la réflexionmenée. On n’oubliera pas les précaires », assure M. Hirsch, qui évoque lacréation d’un pôle « halte soins » pour les plus démunis. Le patron de l’AP-HP veut redonner une vocation sociale et humanitaire à ce site, et« contribuer à ce que l’île de la Cité devienne l’“île de la santé” ». Uneexception annoncée dans le paysage patrimonial hospitalier français.

(/journaliste/florence-evin/) Florence Evin (/journaliste/florence-evin/)

Journaliste au Monde