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14 / LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013 Dossier Dossier préparé par Typhanie Bouju et Karol Barthelemy Après plus de onze années d’observation des océans, le satellite JASON-1 a rendu son tablier le 1 er juillet dernier. Quelques jours plus tôt, SPOT-4 échangeait ses dernières informations avec la Terre. Une retraite bien méritée après avoir survécu trois fois plus longtemps que prévu. En juin dernier, utilisant ses derniers litres d’hélium, le téléscope spatial européen HERSCHEL rejoignait son orbite cimetière, autour du Soleil. Ce ne sont que trois des plus récentes opérations de fin de vie dont l’Espace a été témoin. Depuis 1957, plus de 7000 satellites ont rejoint Spoutnik, le premier à graviter autour de la Terre. 800 sont encore en activité, dont 70 français… et les autres, que sont-ils devenus ? Depuis, la parution de la Loi sur les Opérations Spatiales (LOS) donne en France un cadre réglementaire strict aux opérations de contrôle de la fin de vie des systèmes orbitaux. Focus sur les satellites du CNES mis à la retraite. Photo de fonds : l’arche de la Voie Lactée au-dessus du VLT (Very Large Telescope) de l’Observatoire Européen Austral (ESO) au Cerro Paranal (Chili). SPOUTNIK © TASS Sur orbite…

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Page 1: par Typhanie Bouju et Karol Barthelemy Sur orbite…€¦ · par Typhanie Bouju et Karol Barthelemy Après plus de onze années d’observation des océans, le satellite JASON-1 a

14 / LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013

Dossier Dossier préparé par Typhanie Bouju et Karol Barthelemy

Après plus de onze années d’observation des océans, le satellite JASON-1 a rendu son tablier le 1er juillet dernier.

Quelques jours plus tôt, SPOT-4 échangeait sesdernières informations avec la Terre.

Une retraite bien méritée après avoirsurvécu trois fois plus longtemps queprévu. En juin dernier, utilisant ses

derniers litres d’hélium, le téléscope spatialeuropéen HERSCHEL rejoignait son orbite

cimetière, autour du Soleil. Ce ne sont que trois des plus récentes opérations de fin de vie dont l’Espacea été témoin. Depuis 1957, plus de 7000 satellites ontrejoint Spoutnik, le premier à graviter autour de la Terre.800 sont encore en activité, dont 70 français… et lesautres, que sont-ils devenus ? Depuis, la parution de la Loi sur les Opérations Spatiales (LOS) donne en Franceun cadre réglementaire strict aux opérations de contrôlede la fin de vie des systèmes orbitaux. Focus sur lessatellites du CNES mis à la retraite.

Photo de fonds : l’arche de la Voie Lactée au-dessus du VLT (Very Large Telescope) de l’Observatoire Européen Austral (ESO) au Cerro Paranal (Chili).

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L’anneau clairement formé par les satellitessur orbite autour de notre planète est

une zone déclarée protégée pour limiter le nombre de satellites “morts”.

LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013 / 15

Satellite inactif = débris spatialDe l’eau a coulé sous les ponts depuis Astérix, le premier satellitefrançais mis sur orbite autour de la Terre. Il quittait le plancherd’Hammaguir en 1969. Il lui faudra encore plusieurs siècles avant de plonger dans l’atmosphère et s’y désintégrer. Depuis, la circulation sur les orbites terrestres s’est densifiée et les agencesspatiales du monde entier se sont accordées, en 2002, sur un codede conduite à tenir face à cet encombrement. D’après les radars et télescopes au sol de l’USSTRATCOM1, l’entité américaine encharge de la surveillance de l’Espace, 22 000 objets d’une taillesupérieure à 10 cm gravitent hasardeusement autour de la Terre et 15 000 sont référencés dans le catalogue public. Les débris detaille inférieure ne sont pas catalogués mais ils sont estimés à plusde 200 000 entre 1 et 10 cm. «Les radars qui surveillent ces débris n’ont

pas la capacité technique d’identifier et de suivre la trajectoire des débrisinférieurs à 10 cm. C’est pourquoi ils ne sont pas catalogués. Si nous avionsla possibilité de les repérer, nous le ferions puisque l’on sait qu’un objet de quelques centimètres à peine peut détruire ou faire disparaître un autreobjet », précise Fernand Alby, chargé de mission des débris spatiauxau CNES Toulouse (DCT/DA). Au 26 juin 2013, le registre nationaldes objets français dans l'espace contenait 120 satellites (dont 70opérationnels) et 191 étages ou éléments de lanceurs. «Le catalogueaméricain contient 286 débris attribués à la France », ajoute trèsprécisément l’expert. Une part bien mince si on la compare auxnations spatiales historiques que sont les Etats-Unis et la Russie,engagées dans la course aux orbites une décennie avant la France.1 United States Strategic Command

et après ?

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16 / LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013

Sous le terme débris, se cachent plusieurs typesd’objets. « Il peut s’agir d’un objet intègre qui a été abandonné, comme unsatellite, de débris résultantd’une explosion, d’unecollision, d’une fragmentationou encore d’objets libérés »,décrit le spécialiste. Parmiles objets catalogués, 6%

sont des satellites en fonction et 22% sont des satellites abandonnés.Risques majeurs : la collision d’un débris avec des satellites actifsqui aurait pour conséquence la destruction de l’objet mais aussil’apparition de nouveaux débris. «Si le risque de collision existe, noussommes encore loin d’atteindre la saturation des orbites, relativise FernandAlby. En orbite basse, à environ 800 km d’altitude, le nombre de débris va continuer à augmenter. L’IADC2 (groupement des agences spatialesinternationales en charge de la question des débris spatiaux) estime que danscette zone, la population satellitaire augmentera de 30% d’ici 200 ans si les mesures de fin de vie préconisées sont correctement appliquées ». Si onest “propre”, la problématique de ne plus pouvoir traverser l’orbitebasse ou y résider ne se posera donc pas pour les deux prochainssiècles. «En GEO, poursuit-il, le risque d’atteindre le syndrome Kessler(voir ci-dessous) est encore plus faible, voire nul ».

2 Inter-Agency Space Debris Coordination

de responsabilité pour les dommages causés par des objets spatiaux.En 1993, naissait l’IADC, la communauté internationale de gestiondes débris spatiaux. Parmi les membres : le CNES et l’ESA, maisaussi leurs homologues italiens, britanniques, chinois, allemands,indiens, japonais, américains, canadiens, ukrainiens et russes. Tousse sont accordés, en 2002, sur un ensemble de règles de base visantà conserver les orbites terrestres “propres”, notamment les zonesdites d’intérêt pour les applications et missions spatiales. C’est ce que l’on appelle les zones protégées.

Entre les deux, les orbites moyennes sont à la fois moins encombréespar les débris spatiaux et moins utilisées. Seuls y naviguent lessatellites de positionnement, notamment des systèmes russe(GLONASS), américain (GPS) et européen (GALILEO).

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Fernand Alby, chargé de mission des débris spatiaux au CNES

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Le syndrome KesslerOu la théorie d’un scénario catastrophe, celui d’une réaction en chaîne

de collisions. L’ingénieur de la NASA Donald Kessler

avait imaginé, et ce dès 1978, qu’une

collision entre débris pouvait

entraîner la fragmentation de ces

derniers et donc de nouveaux

risques de collisions. Résultat :

les orbites les plus fréquentées

deviendraient inaccessibles à

plusieurs générations de satellites

artificiels.

“22 000 objets d’une taillesupérieure à 10 cm gravitent

hasardeusement autour de la Terre”

L’orbite basse (ou zone LEO, pour Low Earth Orbit) est l’uned’entre elles. C’est là, sous les 2 000 km d’altitude de la Terre, que sont placés les satellites d’observation de la Terre, ainsi que l’ISS(400 km). C’est là également que les débris spatiaux sont les plusnombreux. Seconde zone protégée, l’orbite géostationnaire (ou zoneGEO, pour Geostationary Earth Orbit) qui accueille les satellites de télécommunications. Elle se situe à environ 35 785 km.

Orbites protégéesPrévenir la formation de débris spatiaux passe par une meilleure“maîtrise” des charges utiles et des lanceurs en Fin De Vie (FDV),comme le stipule la Loi relatives aux Opérations Spatiales (LOS),entrée en vigueur en 2010. Si la parution de ce texte peut paraîtretardive, la prise de conscience remonte aux années 1960 et dépasseles frontières de l’Europe. Deux ans à peine après la toute premièremise sur orbite d’un satellite artificiel, les Nations Unies créaientun comité pour l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique. Plus tard, en 1972, se dessinait l’ébauche despremières lignes directrices du code de conduite actuellement suivipar la communauté internationale, et dont découlent les législationsnationales comme la LOS : l’ONU faisait naître la notion

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Libérer les orbitesMaîtriser la fin de vie d’un satellite, « cela signifie le transférer sur son orbite de fin de vie, ou le faire rentrerdans l’atmosphère, et le passiver pour éviter tout risqued’explosion», résume Fernand Alby. En clair : on désorbite ou on réorbite. Objectif : libérer les orbites utiles et prévenir la formation de débrisspatiaux. Ces opérations de retrait de servicedes satellites sont aujourd’huiconçues comme une phase de leurvie. Elles sont gérées comme unemission à part entière. Les opérateurssatellites contribuent activement à la prévention de la formation de débris spatiaux, en développantdes adaptations des charges utiles elles-mêmes, maisaussi des commandes/contrôle et des opérations.Pour les satellites actuellement en exploitation sur orbite, la logique du “best effort” est appliquéeen s’accommodant du satellite tel qu’il a été conçupar le passé et en prenant en compte son état et ses ressources réelles. Notons que le CNES a développé un logiciel, STELA (Semi-analyti Toolfor End of Life Analysis) qui permet, en parallèlede la surveillance des débris spatiaux (zones decroisement et risques de collision, durée de vie…),de proposer des orbites de retrait de service.

L’objectif premier de la désorbitation est de limiter ces risques dansles zones utiles, en libérant l’orbite. C’est dans ce but que le CNESa mené sa première désorbitation, celle du satellite d’observationde la Terre SPOT-1, sept ans avant que la LOS n’entre en vigueur.Après une défaillance de son panneau solaire en 2001 et, surtout,pour céder sa place aux autres membres de sa constellation, SPOT-1a été désorbité le 17 novembre 2003. «A la fin des opérations de désorbitation, son périgée se trouvait à une altitude de 580 km, soit un abaissement de 270 km», détaille l’expert des débris spatiaux. Aprèsdix-sept ans de bons et loyaux services, il lui restait tout autant à vivre, à l’issue des manœuvres d’abaissement, avant sa rentrée dansl’atmosphère. «Si aucune opération n’était engagée, un satellite commeSPOT-1 mettrait 200 ans à retomber. La LOS fixe une durée de viemaximale de 25 ans», ajoute Fernand Alby.

“Symptômes” de FDVLe principal critère et le cas le plus fréquent est l’estimation de l’épuisement

des ergols. Mais d’autres symptômes peuvent apparaître. SPOT-1 a subi une panne

de l’un de ses panneaux solaires. Dans un tel cas, l’exécution des opérations de fin

de vie peut être urgente. Pour Jason-1, il s’agissait d’une perte partielle de contact.

Le satellite est devenu muet mais pas sourd : il a donc pu exécuter tous les ordres

de passivation qui lui ont été envoyés. Il était déjà sur son orbite cimetière où

il avait été placé préventivement pour ne pas gêner son successeur. Autre

symptôme rare mais possible : la “panne” électrique. Ne pouvant plus être

alimenté, COROT n’est plus utilisable pour sa mission nominale mais des

expérimentations sont prévues avant sa désorbitation.

26/09/2008. Rentrée atmosphérique

contrôlée de l’ATV1 Jules Verne,

cargo ravitailleur européen de la Station

Spatiale Internationale (ISS).

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LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013 / 17

LEO(Low Earth Orbit)

Orbite basse

Desserte de la station spatiale[de 300km à 1 000km]

SSO(Sun Synchronous Orbit)

Orbite héliosynchrone

Observation de la Terre - Météo[800km]

MEO(Medium Earth Orbit)

Orbite moyenne

Constellations de satellitesLocalisation - Navigation

[20 000km]

GEO(Geostationary Earth Orbit)

Orbite haute

TélécommunicationsTélévision - Météo

[36 000km]

En zone LEO, les satellites sont désorbités : il s’agit d’abaisserleur orbite afin de les “laisser redescendre” en moins de 25 ans. En traversant l’atmosphère, ils seront partiellement désintégrés. «La désorbitation consiste en une série de manœuvres à l’apogée, le pointde l’orbite où la distance à la Terre est maximale, permettant d’abaisser le périgée, le point le plus proche de la Terre», schématise Fernand Alby.Les opérations sont menées jusqu’à épuisement des ergols afin de rapprocher le satellite au plus près de la planète bleue et de sadésintégration dans l’atmosphère. Un objet qui se trouve à 600 kmd’altitude bénéficie encore un peu de l’atmosphère résiduelle quisuffit à le freiner et donc à le faire descendre. Ce phénomène permetun nettoyage naturel des orbites. Le déséquilibre est créé par laprolifération de débris, due aux explosions spontanées, comme cellede l’étage supérieur Breeze-M du lanceur russe Proton-M en octobredernier, aux explosions volontaires et aux collisions.

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Prévenir la formation de débris Une fois l’orbite libérée, les satellites en fin de vie vont rester en volpendant plusieurs années (le temps de rentrer dans l’atmosphère)voire plusieurs siècles (en GEO). C’est pourquoi l’IADCrecommande d’épuiser toutes sources d’énergie (fluide etélectrique). L’objectif de cette phase est d’éviter l’explosionspontanée. La chaleur du soleil sur un satellite qui contiendraitencore des ergols peut provoquer un effet “cocotte-minute” : les ergols se vaporisent à l’intérieur des réservoirs, augmentant la pression, et le font exploser. Le registre américain recense 154 explosions spontanées et plus de 50 explosions volontaires.Pour parvenir à cette passivation totale, les réservoirs sont vidangés,les batteries déchargées et la pression abaissée au maximum.

La passivation fluidique est entamée en phase de ré-orbitation ou de désorbitation : les manœuvres de changement d’orbite sont poursuivies jusqu’à épuisement des réservoirs d’ergols. Lapassivation électrique implique de décharger, voire déconnecter les batteries électriques. Les générateurs solaires sont court-circuitésou orientés à l’opposé du Soleil. Enfin, les émetteurs sont éteints. Le satellite ne communiquera plus et ne pourra pas interférer avecd’autres satellites. La conception de certains satellites, capables de détecter une panne électrique, les rend plus récalcitrants à ce type de manipulation. Il peut alors être nécessaire de détruirel’intelligence à bord, comme cela a été fait pour la filière Myriadesen effaçant le logiciel de vol.

En orbite géostationnaire, on parle de ré-orbitation : les satellites sont rehaussés sur une orbite dite “cimetière”,la plus circulaire possible, à plus de 200 km de l’arc GEO,au-delà de la zone protégée selon les recommandations de l’IADC. Les durées de vie orbitale dans cette zone sont infinies. Inertes et hors de portée, les satellites n’y sontpour autant abandonnés. «Si, aujourd’hui, nous ne sommespas en capacité de les récupérer, leur mouvement reste prévisible »,confirme Fernand Alby. S’il n’est plus opérationnel, un satellite comme TC2C, de la constellation Telecom 2,lancé en 1995 et ré-orbité en octobre 2009, est toujours en vol. Après de nombreuses manœuvres entrecoupées de calculs permettant de déterminer son orbite cimetière,il a finalement été positionné à 575 km au-dessus de l’arcGEO, où il se trouve toujours.

Un ATV pesant plus de 20 tonnes, il n’est pas possible

de le laisser retomber sur Terre de façon aléatoire.

Le Centre de Contrôle de Toulouse contrôle

sa désorbitation, lui commandant deux manœuvres

d’abaissement pour le faire retomber dans l’Océan

Pacifique, loin de toute zone habitée.

En tête des bonnes conduites spatiales : tout engin spatial en fin de mission, élément de lanceur ou satellite, doit être passivé.

Le CNES a mené sa toute

première ré-orbitation en 1983,

soit plus de 20 ans avant que la LOS

ne paraisse. Il s’agissait du premier satellite

de télécommunication européen Symphonie 1,

lancé en 1974 depuis Cap Canaveral, en Floride.

Lui et son compagnon de constellation Symphonie 2,

lancé et ré-orbité depuis la même base un an après,

ont été rehaussés de 60 km. Un autre exemple, celui

de Telecom 2B, témoigne de cette anticipation et des

progrès réalisés. Ce satellite de télécommunication

(civil et militaire), lancé depuis le CSG en 2004,

a été rehaussé de 185 km, une altitude très

proche de la recommandation

IADC.

© NASA

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ExpérimenterAvant leur réorbitation ou leur désorbitation, certains satellites se voient offrir l’opportunité d’une seconde partie de carrière.Cette pré-retraite expérimentale en fin de mission nominale n’estenvisageable qu’à deux conditions : « s’il reste du carburant et à condition d’en garder suffisamment pour maîtriser sa fin de vie», préciseFernand Alby.

Lors de la fin de mission opérationnelle de chaque satellite, le CNES lance un appel à idées auprès de la communauté desexperts pour des expérimentations destinées à améliorer notreconnaissance du fonctionnement du satellite et de sa charge utiledans des conditions particulières. Il peut s'agir d'opérationsmettant en œuvre le satellite complet, la Charge Utile ouseulement la Plateforme. Chaque proposition est évaluée par un comité Directeur selon divers critères, incluant notamment le risque induit sur le succès de la phase de retrait de service.

C’est l’exemple de SPOT-4 dont la mission opérationnelle étaitprévue fin 2012. Pendant quatre mois, il est devenu un simulateurdes séries temporelles à forte revisite que fournira la missionSentinel-2 de l’ESA dont le lancement est prévu en 2014(expérimentation TAKE 5). 44

Pour en savoir plusLisez les dossiers de Latitude 5 bien sûr ! N°84 sur les débris

spatiaux et N°90 sur la mise sur orbite des engins spatiaux.

Une rentrée atmosphériqueplus rapide ?

Selon les recommandations

de l’IADC, la LOS autorise

un délai de 25 ans entre

la phase de désorbitation

et la libération de la zone

protégée de l’orbite basse.

L’avancée est déjà notable

lorsqu’il faut 200 ans à un

satellite de type SPOT pour

redescendre dans l’atmosphère. La rentrée contrôlée de l’Etage

à Propergol Stockable d’Ariane 5, utilisé pour la mise sur orbite de l’ATV,

donne l’exemple d’une désintégration quasi-immédiate à la fin de sa

mission, après rallumage de son système de propulsion. Pour les satellites

désorbités, la phase de rentrée atmosphérique n’est pas contrôlée.

Pour ce faire, il faudrait que le satellite puisse être ré-allumable (ce qui

sous-entend la présence d’ergols, et l’absence de panne) et commandable

(or les systèmes électriques sont passivés). Les satellites les plus anciens,

comme Asterix, n’ont pas de propulseur. A noter : comme l’ATV, l’EPS

d’Ariane 5 retombe au-dessus du Pacifique. Mais pas d’inquiétude pour

l’Océan : les objets présents dans l’espace, quand bien même il serait

possible de tous les faire retomber, représentent une masse très faible

de 6 000 tonnes environ.

SPOT-4 a effectué sa dernière

poussée vers la Terre le 29 juin

dernier, épuisant ainsi ce qui lui

restait d’ergols dans ses réservoirs.

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nouvelles, comme la dépressurisation et l’extinction électrique. PourTC2D, nous avons opéré seize manœuvres en sept jours, à raison de deux puis trois par jour : nous travaillions bien-sûr en horairesdécalés. Avant J0, nous sommes entraînés sur simulateur au coursdes phases de qualification, notamment avec les experts et l’industriel(ici, Astrium). Dix jours avant la première manœuvre, le carburantest refroidi : de l’ergol en phase vapeur se condense à l’état liquideet devient utilisable pour les manœuvres. Pour être conforme à la LOS, il nous fallait environ 10 kg d’ergols pour ré-orbiter TC2D.Or, les réserves étaient évaluées à plus ou moins 10 kg. Les opérationsont commencé lorsqu’il restait 20 kg pour être sûr d’atteindre l’orbiteminimale. Chaque poussée faisait élever le satellite de 30 km et

consommait 1 kg. Au bout de dix manœuvres, nous l’avions doncélevé de 300 km. A partir de la onzième, nous surveillions

le satellite en temps réel pour interrompre la poussée au premier signe de vidage : cela s’est produit au coursde la seizième manœuvre pour TC2D, en pleine nuit.

Puis vient la passivation…A commencer par la dépressurisation. Nous avions

calculé qu’elle devait s’opérer de nuit. Nous avonsdécidé de laisser passer 24h, histoire de récupérer un peu

de sommeil. Pour dépressuriser, on met le satellite en modesurvie puis on pousse dans une direction opposée au Soleil. Lors des opérations de FDV précédentes, cette phase avait duré entre 6 et 12 h, avec plusieurs réajustements de la commande d’ouverturedes tuyères, lorsque le satellite se dépointait du Soleil. Pour TC2D,ce fut la surprise : très peu de perturbation. Le satellite était stable,sa vitesse de roulis aussi. Mais la pression diminuait très doucement.L’opération a duré presque trois jours.

Et finalement, l’adieu.Pour la fin, tout le monde revient. Le moment où l’on envoie la dernière télécommande est très émouvant. Puis vient la révélationdes gagnants de nos petits “paris” : qui était tombé juste sur l’altitude atteinte, le nombre de manœuvres, … ! De quoi cloresur une note joviale cette expérience intense, fatigante maispassionnante, réunissant de nombreux anciens et vécue dans une cohésion totale entre CNES et industriels. 44

Claire Fremeaux (DCT/OP/MO) a accompagné de nombreuxsatellites du CNES jusqu’à leur fin. Elle nous fait revivre l’unde ces moments de vive émotion et de prouesse technique :la ré-orbitation de Telecom 2 D.

Acteur

Lancé en 1996 pour une durée de vie prévue de 10 ans, TC2D a été ré-orbité fin 2012. Pourquoi avoir prolongé sa mission ?En 2006, il arrivait à la fin de ses ergols mais fonctionnait encoretrès bien. Pour des raisons financières évidentes, dans ce cas, le clientessaie de prolonger sa vie au maximum. On peut économiser des ergols en arrêtant de rectifier la latitude du satellite. En un mois,le gain représente une année supplémentaire sur le contrôle de sa longitude (il ne doit pas interférer avec les satellites qui se trouvent à côté). Six mois avant la fin de mission opérationnellede TC2D, on a pu prolonger sa durée de vie jusqu’à 2012. La légèreoscillation Nord-Sud ainsi générée ne permet plus d’assurercertaines missions, comme la télévision directe pour les particuliers.Mais les missions de télécommunications qui utilisent desantennes de poursuite peuvent être prolongées.

Quand et comment a-t-on décidé de sa FDV ?Principalement en fonction des ergols restant, dontun suivi régulier est assuré. La date précise desopérations est décidée environ un an avant en accordavec le client. On commence à élaborer un échéancierdes manœuvres et à dimensionner leur nombre, leurdurée, mais aussi la disponibilité du réseau de stations de contrôle et celle des équipes. Plusieurs contraintes sont à respecter avant de déterminer une date : en période d’éclipse, le satellite n’aurait pas assez d’énergie. Si la Lune ou le Soleil se trouvaient derrière la Terre, les senseurs, les “yeux” du satellite,qui lui permettent de s’orienter, seraient “éblouis”, etc. Pour TC2D,le démarrage des opérations initialement prévu le 15 octobre a étéreporté de trois semaines, les équipes étant mobilisées sur le tir de Galileo.

Comment se sont passées les deux semaines d’au revoir ?La première manœuvre consiste à déplacer le satellite en longitude.La deuxième est donc critique tant que l’orbite n’est pas circularisée.Le satellite entre dans les fenêtres de ses voisins, notamment ici,EUTELSAT.Les manœuvres de ré-orbitation sont similaires aux correctionsorbitales effectuées pendant la durée de vie du satellite, mais plusfréquentes et plus fortes. D’autres opérations sont complètement

Quand TC2Ds’en va…

La première

manœuvre consiste

à déplacer le satellite

en longitude. La deuxième

est donc critique tant que

l’orbite n’est pas circularisée.

Le satellite entre dans

les fenêtres de ses

voisins, notamment

ici, Eutelsat.

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LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013 / 21

le satellite russe Cosmos-2251 et le satellite américain detélécommunication Iridium 33. Conséquence : 2 000 gros débris.Au total, sur cette période, cela équivaut à une augmentation de 1 000 nouveaux débris par an.On voit des progrès en GEO où le principal enjeu est la gestion dutrafic orbital. En LEO, ce qu’il faut craindre, c’est un déséquilibreentre la part de nettoyage naturel de l’atmosphère et l’augmentationdes débris. Car l’orbite basse est encombrée de ces objets envoyésdans les années 70 et morts depuis 40 ans, qui font augmenter le risque de collision. Risque ultime : le syndrome Kessler.

Et si on récupérait ces satellites “morts” ? Où en sont les étudessur le sujet ?La priorité principale, au niveau international, est la consolidationde l’évaluation de la population orbitale à long terme. S’il s’avéraitqu’un risque d’emballement était à craindre, il faudrait envisagerd’aller rechercher de gros débris orbitaux pour les désorbiter. Cettedémarche, appelée ADR (Active Debris Removal) fait partie des solutions étudiées par la communauté internationale. Sur le sujet, le CNES travaille avec des industriels comme Astrium,Thales, Bertin Technologies. Les difficultés associées ne sont pasque techniques, mais nécessitent aussi l’élaboration d’un cadrejuridique. L’idée d’un “chasseur” multi-cible apparaît comme lasolution la moins onéreuse. D’un point de vue technique, nous nemaîtrisons pas encore toutes les phases de ce type d’opération. Noussavons faire un rendez-vous lointain entre deux objets, comme c’estle cas entre l’ATV et l’ISS. Ce qui pose problème, c’est précisémentle rapprochement de deux objets non-coopératifs : le satellite “mort”ne communique pas, se déplace et n’a pas de possibilité d’accostageprévue. De très nombreux travaux dans le Monde sont en cours : un grappin, une pince, un système de harpon… La NASA a déjà faitdes expériences en vol et les allemands ont développé le programmeDEOS (démonstrations de technologies d’élimination contrôlée, en orbite, d’un satellite défectueux). L’ESA, qui a développé unsystème de filet, a fait un grand pas en avant avec son programmeCleanSpace, qui englobe le processus ADR. Ils ont réalisé troisétudes industrielles et démarrent deux phases A sur 14 mois auprèsde deux industriels. Cela signifie qu’ils ont déjà lancé les appelsd’offres pour la désorbitation d’un gros satellite scientifique de l’ESA en 2021. 44

Christophe Bonnal (DLA/SDT) est expert sénior des systèmesde transports spatiaux et président de la commission débrisde l’Académie Internationale d’Astronautique (IAA). Regardsur le risque de prolifération de débris spatiaux, l’une des raisons qui font de la gestion de la FDV des satellites un enjeu international.

Quel est le rôle du groupe de travail Règlementation de l’IADCdont vous faites partie ?En 2002, les membres de l’IADC ont approuvé à l’unanimité des lignes directrices : tu n’exploseras point (passivation obligatoiredes satellites), tu ne relâcheras point un objet en orbitevolontairement, tu ne laisseras pas un objet abandonné plus de 25 ans dans la zone protégée de la LEO et de la GEO. Ces règlessont édictées par des experts qui n’ont aucun pouvoir d’action pourfaire respecter ces recommandations. Notre objectif est detransformer ces guidelines en standards ainsi qu’en lois internationaleset nationales. La plupart des agences spatiales les ont déclinées en “codes de bonne conduite”. La France est la première, et la seule,à en avoir fait une loi. Le CNES était déjà en avance avecl’élaboration d’un standard en 1999. Un premier pas a été franchi en 2007 lorsque les Nations Unies ont approuvé ces guidelines, carelles peuvent agir. Nous travaillons depuis dix ans sur l’élaborationde standards, comme les normes ISO, pour faire de ces guidelinesdes exigences auxquelles les constructeurs ne pourraient pas couper.

La situation sur orbites LEO et GEO est-elle vraiment critique ?Jusqu’en 2007, on a vu évoluer progressivement le nombre d’objetsdans l’espace. On comptabilisait alors 200 nouveaux objets par an.L’année 2007 marque un tournant : les Chinois détruisent un de leur satellite, Feng Yung 1C. Une démonstration technologiqueremarquable… mais tragique puisqu’elle a généré un nuage de 3 000débris de plus de 10 cm (qui sont encore en vol) et ce dans le pireendroit possible : à environ 800 km d’altitude, l’orbite des SPOT et de la plupart des satellites d’observation de la Terre. En 2009, un deuxième événement aggrave la situation en LEO, déjà trèsencombrée par les résidus de la Guerre Froide : la collision entre

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Rencontre

Ménage orbital

Page 9: par Typhanie Bouju et Karol Barthelemy Sur orbite…€¦ · par Typhanie Bouju et Karol Barthelemy Après plus de onze années d’observation des océans, le satellite JASON-1 a
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