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Quelques observations à propos du projet de l'American Law Institute sur les conflits de juridiction et la propriété intellectuelle Par François Dessemontet, Lausanne INTRODUCTION 1. Le professeur Jean-Nicolas Druey concilie le goût du secret et le goût des publications. Aussi a-t-il publié à plusieurs reprises sur la protection des secrets d'affaires et le droit de l'information. Son ouvrage fondamental sur les secrets de l'entreprise 1 traitait déjà en droit suisse d'un thème que j'avais étudié à la même époque en droit américain. C'est pourquoi, fidèle à nos intérêts de toujours, ce sera une étude de droit transatlantique que je soumets ici à sa sagacité. 2. L'avant-projet de l'American Law Institute sur la compétence et la reconnaissance des jugements par la propriété intellectuelle a été préparé par les professeurs Rochelle C. Dreyfuss, de New York University, et Jane Ginsburg, de l'Université de

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Quelques observations à propos du projetde l'American Law Institute sur les

conflits de juridiction et la propriétéintellectuelle

Par François Dessemontet, Lausanne

INTRODUCTION

1. Le professeur Jean-Nicolas Druey concilie le goûtdu secret et le goût des publications.

Aussi a-t-il publié à plusieurs reprises sur laprotection des secrets d'affaires et le droit del'information. Son ouvrage fondamental sur lessecrets de l'entreprise1 traitait déjà en droitsuisse d'un thème que j'avais étudié à la mêmeépoque en droit américain. C'est pourquoi, fidèle ànos intérêts de toujours, ce sera une étude dedroit transatlantique que je soumets ici à sasagacité.

2. L'avant-projet de l'American Law Institute sur lacompétence et la reconnaissance des jugements parla propriété intellectuelle a été préparé par lesprofesseurs Rochelle C. Dreyfuss, de New YorkUniversity, et Jane Ginsburg, de l'Université de

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Columbia2. Il vise à se substituer dans le domainede la propriété intellectuelle à la Convention deLa Haye qui est en préparation pour l'ensemble descauses civiles et commerciales, à l'exclusion descauses du droit de la famille, des successions etd'autres domaines spéciaux3, et dont l'adoptionn'est pas prévisible dans un proche avenir.

3. Pour présenter quelques-unes des questions qu'ilsuscite, je supposerai comme je le crois que leprojet est justifié dans son principe. Ce sontplutôt des questions de fond qui seront discutées(ci-dessous II), mais la forme à donner à ce textemérite quelques remarques qu'on formulera toutd'abord (ci-après I).

I. UNE CONVENTION OU UNE PROCLAMATION

A. Le Projet de Convention

1. Forme de la convention

4. Pour ses auteurs, la forme d'une convention paraîtappropriée, du moins au stade actuel de leurstravaux, même si diverses observations les ontconvaincues que la question méritait d'être

1 J.N. Druey, Geheimsphäre des Unternehmens: Grundfragen desPersönlichkeitsrechts auf Geheimsphäre, untersucht mit dem Blick aufeinen Sonderfall, Bâle et Stuttgart 1977.

2 C'est la version de janvier 2002 qui fait l'objet des présentesobservations.

3 Voir RSDIE, 1997 p. 110 ss, à p. 126.

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examinée4. En effet, un certain scepticisme s'estfait jour dans la communauté académique : créer unenouvelle convention, opérant dans un cadredifférent des autres conventions préparées par laConférence de La Haye, entraînerait des difficultéspolitiques pour les Etats même s'ils ont latradition d'étudier la ratification des conventionsde La Haye, et il serait peu réaliste d'attendre unplus grand enthousiasme pour cette conventionspéciale que pour la convention générale sur lacompétence et la reconnaissance des jugements enmatière civile et commerciale5. Dès lors, un autreinstrument qu'une convention pourrait couronner lestravaux de l'ALI.

2. Convention parallèle aux ADPICs et la Convention deNew York de 1958

5. L'une des propositions les plus intéressantes desauteurs est de rendre l'adhésion à leur conventionconditionnelle à l'adhésion préalable à deux autresconventions ; l'Accord sur les ADPICs et laConvention de New York de 1958 sur lareconnaissance et l'exécution des sentencesarbitrales.

4 Voir les déclarations finales du Prof. Ginsburg au Colloque des 18 et19 octobre 2001, Chicago-Kent Law Review [2002].

5 A. Kur, Annette Kur, Immaterialgüterrechte im Vollstreckungs-undGerichtsstandsabkommen, GRUR Int., 2001.908.

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a) ADPICs

6. Les ADPICs sont formellement un accord annexe àl'accord général sur les tarifs et le commerce(GATT). Conditionner l'accès à une convention surla juridiction ou l'accession aux ADPIC supposequ'un Etat a, comme la Chine, résolu toutes lesdifficultés relatives à l'accession au GATT, dontcertaines ne sont évidemment pas en rapport avec lapropriété intellectuelle et le fonctionnement destribunaux. On peut espérer qu'une fois vaincus cesobstacles, l'harmonisation des dispositions de fonden matière de propriété intellectuelle (y comprispour la protection des secrets de fabrication etd'affaires), le respect des règles d'accès à lajustice (art. 42 ss ADPIC), l'obligationd'instituer des procédures efficaces et enfin lecontrôle que le système de résolution desdifférends entraîne même pour ces règles deprocédure dans tous les membres du GATT assurentune uniformité de base qui alimente la confiancemutuelle. Sans cette confiance, les Etatscraindront peut-être de reconnaître les jugementsde tribunaux étrangers, dans le domaine sensible dela propriété intellectuelle en particulier. Enoutre, il n'existe guère de "paradis numérique"parmi les Etats membres de l'ADPIC, ce qui rendplus aisé la reconnaissance de leurs jugements.

7. Toutefois, il convient de se demander si la voie durattachement à l'OMC d'un système de reconnaissancedes jugements étrangers dirige l'effort de

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négociation du côté de l'instance où la négociationest la plus aisée.

Les discussions sur la propriété intellectuelleentamées au Quatar en novembre 2001 ont manifestél'opposition politique de nombreux Etats àl'élargissement des obligations des pays du Sud etdes autres pays émergents à cet égard.

Les discussions sur la compétence des tribunaux ontintérêt à quitter une scène politisée, sur laquelles'activent de nombreux acteurs, et non seulementles représentants du commerce des Etats, lesquelsn'ont pas toujours l'occasion de s'entourer descompétences nécessaires en matière de procédurecivile internationale. Le plus sûr moyen de menerl'avant-projet de l'ALI à sa perte est de l'aborderdans un forum où l'on pourrait ajouter foi àl'argument de l'hégémonie d'un système judiciairesur les autres.

8. Indépendamment des questions d'opportunité, onobservera que 177 Etats font partie del'Organisation mondiale de la propriétéintellectuelle [ci-après : OMPI] en octobre 2001,pour 144 Etats membres de l'Organisation mondialedu commerce. Existe-t-il un bon motif de tenir ces33 Etats additionnels à l'écart d'une adhésionpotentielle à ce système de reconnaissance ?

À notre sens, la confiance se gagnera plutôt parl'expérience des litiges transnationauxconvenablement résolus à la suite d'uneharmonisation des règles de compétence. On pourrait

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également songer à un mécanisme semblable à celuidu Protocole N° 2 sur l'interprétation uniforme dela Convention de Lugano. En vertu de l'art. 1ter dece Protocole, les Etats parties à la Conventions'engagent à ce que leurs tribunaux tiennent dûmentcompte des "principes définis par toute décisionpertinente rendue par des tribunaux des autresEtats contractants concernant des dispositions deladite Convention (de Lugano)"6.

9. En conclusion, l'appartenance à l'OMC ne devraitpas constituer une condition préalable à laratification d'un instrument correspondant àl'avant-projet de l'ALI.

b) Convention de New York de 1958

10. La Convention de New York sur la reconnaissance etl'exécution des sentences arbitrales lie 126 Etats.Les auteurs de l'avant-projet de l'ALI souhaitentlimiter l'accès à leur convention aux Etats quisont parties à la Convention de New York, au motifque de nombreux litiges contractuels en fait depropriété intellectuelle mettent en jeu la justicearbitrale7.

Cette dernière observation est sans doute exacte.Cependant, convient-il d'en déduire que les

6 Voir ATF 123 III 421; A. Bucher, Droit international privé suisse,t. I/1, Bâle 1998, Nos 36-37.

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bienfaits de l'avant-projet ALI ne puissent êtreofferts aux pays qui n'ont pas encore ratifié laConvention de New York ? En réalité, la volonté dereconnaître la justice arbitrale d'une part, et lesouci de mieux protéger la propriété intellectuellede l'autre constituent des questions entièrementséparées. Par exemple, un Etat du Sud peutsouhaiter obtenir la protection de certainséléments de son folklore ou de son patrimoinegénétique ; à l'heure actuelle, seules desconventions multilatérales lui permettrontd'avancer dans cette voie. Le même Etat peut enrevanche se méfier d'une justice arbitrale qu'iltrouvera trop chère ou trop lente, peu importe, carle bien-fondé de ses préjugés n'est pas en causeici. De même, un Etat peut refuser d'adhérer à laConvention de New York, par exemple parce qu'il nesouhaite pas que ses entreprises ou ses agencesgouvernementales puissent être attraites devant destribunaux arbitraux sis à l'extérieur de sesfrontières, c'est peut-être ce qui expliquel'abstention du Brésil ou des Emirats Arabes Unis.Ce qui compte, à notre avis, c'est qu'il estillusoire de tenter de forcer l'adhésion des Etatsà la Convention de New York (ou à l'OMC) en faisantune condition préliminaire à l'accession au systèmede l'ALI : les bénéfices de chaque effort

7 Dreyfuss (R.-C) & Ginsburg (J.-C.), Draft Convention on Jurisdiction andRecognition of Judgments in Intellectual Property Matters, Introduction,Executive Summary, N° 3.

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d'harmonisation méritent d'être souverainementévalués par chacun des Etats.

11. Peut-être la liaison nécessaire établie parl'avant-projet de l'ALI a-t-elle encore un autrebut : il s'agirait de persuader les Etats quiaccepteraient ce projet qu'ils sont en bonnecompagnie. Alors que les ADPICs donnaient unedéfinition toute faite des droits en cause et enassureraient une protection minimale, la Conventionde New York rallie les Etats qui tiennent à ouvrirleurs frontières aux commerçants et auxmultinationales. À cet égard, il est vrai quel'arbitrage marque une certaine supériorité austade de la reconnaissance des jugements8.Toutefois, la propriété intellectuelle paraît avoirun intérêt plus universel encore que l'arbitrage.De plus, l'avant-projet de l'ALI concerne lesdécisions rendues par les tribunaux ordinaires,c'est-à-dire la solution de rechange à l'arbitrage.On ne voit donc pas pourquoi il serait interdit àun Etat de rallier le système justement en raisondes préventions que ses autorités nourrissentenvers l'arbitrage. La communauté des ordresjuridiques se construit aussi en ouvrant des choixd'égale valeur entre les institutions rivales,comme le sont (à partir d'un certain montant en

8 Voir Committee on Foreign and Comparative Law, Association of the Bar ofthe City of New York, July 31, 2001, Survey on Foreign Recognition of theU.S. Money Judgments qui énumère les nombreux obstacles pour la

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dispute) les procès ordinaires et les procéduresarbitrales.

B. Proclamation, Déclaration et Soft Law

12. Il convient maintenant de réfléchir à une autrevoie que la voie traditionnelle de la convention,puisque la procédure de délibération et deratification paraît longue et incertaine. Lorsquela révision de la Convention de Paris a échoué àNairobi en 1981, de nombreux spécialistes ontressenti comme la fin d'un monde : lesdéveloppements des mentalités avaient jusque-làtrouvé leur expression dans une révision de laConvention de Paris et de la Convention de Berne.Dorénavant, la multiplicité des Etats et desgroupes de pression mettrait obstacle aux révisionspériodiques ordinaires. Pour un temps, l'OMC s'yest substituée, avec l'attrait que représentent lesarguments dérivés de l'exportation des textiles oudes produits agricoles lorsqu'il s'agit de mettre àjour le droit de la propriété intellectuelle ! Maisles négociations d'une convention sur les conflitsde compétence n'auraient guère de contrepartie àoffrir aux Etats hésitants. Il convient doncd'examiner d'autres voies. J'en aborderai ici troisqui paraissent possibles à plus ou moins longterme.

reconnaissance des jugements américains à l'étranger et appelle de sesvœux la poursuite de travaux de la Conférence de La Haye.

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1. Recommandation de l'Organisation Mondiale de lapropriété intellectuelle

13. C'est l'OMPI qui a pris l'initiative d'étudier lesujet des conflits de lois à l'époque d'Internet,par des études confiées à des spécialistes et laréunion de deux colloques. Il est vrai que, pardéférence pour les travaux de la Conférence de LaHaye, l'OMPI n'a pas encore adopté un programmed'action en ce domaine.

L'échec de certaines conférences diplomatiques (surla protection des bases de données et sur lesdroits des interprètes) rend l'OMPI prudente.Cependant, l'échec ne serait pas certain si lestravaux de l'ALI formaient le point de départ d'unedélibération dont le point d'arrivée prendrait laforme d'une Recommandation commune des Etatsmembres de l'OMPI.

14. Cette forme a été adoptée à deux reprises déjà,pour accroître la protection des marques notoires(1999)9 et reconnaître les licences de marques(2000)10. Elle est choisie en raison du caractèrenon contraignant de cette forme de consentement.

15. Assurément, on peut se demander si le domaine desconflits de compétence peut être régi par desnormes de soft law. En fixant la compétence directe

9 Recommandation commune concernant les dispositions relatives à laprotection des marques notoires, 20 – 29 septembre 1999, Publication del’OMPI N° 833(F).

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d'une certaine juridiction, on consacre aussi lesrègles de compétence indirecte, celles qui fondentla reconnaissance des jugements étrangers. Or uninstrument non-obligatoire sur la compétencedirecte ne peut donner aux parties la certituded'une reconnaissance du procès entrepris. Uneconvention multilatérale - si elle était fidèlementappliquée - leur donnerait l'assurance d'avoirouvert leur action au bon for. Toutefois, unerecommandation ou une proclamation améliore leurchance d'obtenir la reconnaissance d'un jugementqui respecte en fait les règles de compétenceauxquelles se sont ralliés les 177 Etats membres del'OMPI. C'est une soft law plus utile que laConvention que n'aurait signée qu'une poignéed'Etats.

16. De plus, en raison du prestige de l'OMPI et del'ALI, on pourrait attendre que la Recommandationcontribue à l'établissement d'une "common law"transnationale dans le domaine de la propriétéintellectuelle11. On ne négligera pas le fait que denombreux pays ne possèdent qu'une expériencelimitée dans le domaine des compétences judiciairespour les litiges internationaux impliquant la

10 Recommandation commune concernant les licences de marques, 25 septembre –3 octobre 2000, Publication de l’OMPI N° 835(F).

11 Voir G.B. Dinwoodie, A New Copyright Order : Why National Courts shouldCreate Global Norms, 149 V. Pa. L. Rev. (2000) 469.

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propriété intellectuelle12. Aux tribunaux et auxlégislateurs sans expertise particulière, laDéclaration donnerait une solide assise pour lessolutions concrètes qu'ils voudraient étudier dansleur ordre interne. L'information est l'une desfonctions du droit.

2. Proclamation d'une Politique de type ICANN

17. On pourrait aussi songer à la proclamation d'unePolitique comme celle que l'Administration desadresses du Net13 a consacrée et qui a permis àquatre juridictions spécialisées, au premier rangdesquelles le Centre d'arbitrage de l'OMPI, derésoudre trois mille litiges en deux ans quant aupiratage de marques et de patronymes par des nomsde domaine. Ce succès étonnant montre en soi lanécessité de procédures simples et rapides dans ledomaine de la propriété intellectuelle.

18. Est-il possible de donner à une proclamationl'effet de la Politique ICANN sans avoir pour lesconflits de compétence le fondement contractuel quiunit les requérants d'une adresse Internet et l'undes organes qui attribue cette adresse ? C'est eneffet sur la vue de cet accord (imposé comme unecondition générale aux requérants par les donneurs

12 Voir même pour les causes purement patrimoniales le Rapport du Barreau deNew York cité ci-dessus note 8.

13 ICANN - Internet Corporation for Assigned Names and Numbers. Voir engénéral L. R. Helfer & G. B. Dinwoodie, Designing Non-National Systems :The case of the Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy,43 William & Mary L. R. (2001) 141.

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d'adresse associés à l'ICANN) que les panels derésolution des différends peuvent rendre leurdécision.

19. À la forme, il ne serait peut-être pas inconcevablequ'une Proclamation de l'OMPI portant Politique derésolution des différends puisse former la based'un accord susceptible d'être souscrit par lesrequérants d'un droit de propriété intellectuelleau moment de formuler leur requête, un contrattype. Pour respecter le principe de la légalité desactes de l'administration publique, il conviendraitnaturellement que des dispositions législativesdomestiques soient prises à cet égard. De telsdéveloppements sont concevables en dehors de touteconvention internationale lorsque les milieuxintéressés le souhaitent, comme on l'a vu pour lescertificats protégeant la validité des brevets surles médicaments.

Dans l'ensemble, il suffirait que les paysdéveloppés donnent l'exemple pour faire démarrer unpareil mécanisme. À défaut, les Agents de propriétéindustrielle pourraient provoquer une adhésioncontractuelle volontaire aux règles de pareilleProclamation.

20. Ce qui manque toutefois le plus, c'est précisémentune opinion générale selon laquelle l'avant-projetde l'ALI règlerait des questions urgentes. L'effetd'une Proclamation de l'OMPI pourrait être de créercette opinion globale, mais on ne se dissimulerapas qu'en l'absence d'un consensus fort auprès des

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utilisateurs de la propriété intellectuelle, il estpeu probable que l'OMPI – finalement gouvernée parles Etats – passe une pareille Proclamation. Lasituation est différente à cet égard de l'ICANN,qui a pu faire triompher une solution plaisant auxEtats-Unis d'Amérique parce que les Centres decontrôle du Net y étaient localisés.

21. Il reste donc à la science juridique de montrer enquoi les propositions de l'ALI méritent derencontrer un large soutien. Les observations dedétail qui viennent confirment d'ailleurs laqualité des travaux préparatoires de ce projet.

II. LES NOUVELLES REGLES DE COMPETENCE

A. Généralités

22. Les dispositions de l'avant-projet de l'ALI fontnaturellement du for du défendeur le for principalde tout procès en propriété intellectuelle(art. 3). Elles respectent la volonté des partiesen cas de prorogation de for (art. 4), y comprisune volonté implicite qui se déduit du choix d'unfor par le demandeur et d'une comparution sansréserves par le défendeur (art. 5). L'avant-projetde l'ALI évoque diverses raisons de décliner lacompétence d'un tribunal dans des circonstancesexceptionnelles – une adaptation plutôt restrictivede la théorie du forum non conveniens qui satisferapeut-être les Européens, partisans du droit écrit

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et de règles de conflits de compétence quiconduisent à un résultat prévisible14, et qui nes'applique pas au for choisi par les parties.Enfin, l'avant-projet ALI connaît également uneliste de compétences exclues (art. 16) semblable àl'article 3 de la Convention de Bruxelles.

23. Il va de soi qu'à cet ensemble de règles decompétence directe correspond un chapitre sur laconnaissance et l'exécution des jugements. Lechapitre diverge des solutions intra-européennes deBruxelles et Lugano en permettant au juged'examiner la compétence du tribunal de l'Etatd'origine, comme dans le projet de La Haye – admispar chacun sur ce point. La question des "punitive"ou "exemplary damages" est traitée à l'article 30de l'avant-projet ALI de la même façon que dans leprojet de La Haye, qui a été admis par consensus àcet égard : il n'est pas nécessaire de reconnaîtreune condamnation à des dommages intérêts quiveulent offrir une compensation à un demandeur sansque la preuve d'un dommage effectif ait étéapportée. Quant aux jugements interdisant tel outel comportement, ils seront reconnus comme lesjugements pécuniaires, sauf si des motifs déduitsde la santé et de la sécurité conduisent à refuserleur exécution, ou des motifs déduits de politiquesculturelles fondamentales de l'Etat d'exécution, ou

14 Cf. F. Knoepfler et Ph. Schweizer, Droit international privé suisse, 2ème

éd., Berne, 1995 pp. 263-264 N° 598 a.

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encore si des dommages intérêts suffisaient enl'espèce dans le territoire de l'Etat d'exécution.

24. Dans la présente contribution, je n'évoquerai quetrois articles essentiels de l'avant-projet ALI :

L'article sur les actions en contrefaçon,spécialement dans son rapport avec l'article 8sur les jugements en constatation de droit etavec l'article 9 sur les conclusionsreconventionnelles.

La jonction de cause entre plusieurs défendeurs(art. 10), et enfin

Les actions contre des tiers (art. 11)

B. Les actions en contrefaçon

1. Les solutions proposées en général

25. Le demandeur peut introduire action au for dudéfendeur, ou à un for conventionnel.

De plus, il se voit reconnaître trois forsalternatifs à son choix :

a) n'importe quel Etat dans lequel le défendeur acommis des actes importants pour la contrefaçon,y compris des actes préparatoires ;

b) n'importe quel Etat envers lequel les actes decontrefaçon étaient intentionnellement dirigés,y compris les Etats à propos desquels ledéfendeur n'a pris aucune mesure raisonnablepour éviter la contrefaçon ;

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c) n'importe quel Etat dans lequel la contrefaçons'est produite de façon prévisible, à moins quele demandeur n'ait pris des mesures raisonnablespour éviter d'y agir ou d'y diriger sesactivités (art. 6 (1)).

26. Dans les cas b et c, la compétence des tribunauxsera donnée uniquement pour les dommages causésdans ces Etats.

27. Ces solutions sont intéressantes, car elles sefondent sur une conception nouvelle qui tend à sefaire jour dans plusieurs pays : les solutions desconflits de loi et de juridiction se trouvent dansla focalisation des activités du défendeur,spécialement lorsqu'il s'agit d'activités sur leNet15. Cette notion se retrouve dans l'article 15 duRèglement européen concernant la compétencejudiciaire, la reconnaissance et l’exécution desdécisions en matière civile et commerciale16. On

15 L'expression de "focalisation" est due à M. Olivier Cachard, Larégulation internationale du marché électronique, thèse Paris II, 2001,623 p.

16 Article 15 du Règlement (CE) N° 44/2001 :

"1. En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pourun usage pouvant être considéré comme étranger à son activitéprofessionnelle, la compétence est déterminée par la présente section,sans préjudice des dispositions de l’article 4 et l’article 5,point 5:

a ) lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobilierscorporels;

b) lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opérationde crédit liés au financement d’une vente de tels objets;

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vient de le réviser pour mieux protéger lesconsommateurs dans les causes du commerceélectronique.

28. La notion de focalisation peut être rapprochée decelle de "Loi du pavillon", c'est-à-dire la loi dela juridiction du marché pour lequel une entreprises'est organisée, et qui correspond en général à laloi du marché de la prestation caractéristique.

En réalité, dans l'économie de demain, ondistinguera deux types d'entreprises :

- les entreprises disposant d'un établissementstable réel, comportant un certain nombred'actifs, et

- les entreprises virtuelles, établies parfoisdans les Antilles, le Pacifique, l'Océan indienou d'autres paradis législatifs.

Seules ces dernières entreprises suscitent unecertaine interrogation par rapport aux solutionschoisies dans l'avant-projet ALI, et la notion defocalisation ou celle de Loi du pavillon sontutiles à cet égard.

29. En effet, lorsqu'on consacre comme le for principalle for du défendeur (art. 3 ALI), on confirme unesolution généralement acceptée. Elle ne cause guère

c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec unepersonne qui exerce des activités commerciales ou professionnellesdans l’Etat membre sur le territoire duquel le consommateur a sondomicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet Etat

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plus de trouble dans les activités de contrefaçonque dans les autres, pour autant que l'on soit enprésence d'une activité réellement exercée en celieu, avec un investissement qui offre quelquesurface financière, et donc des actifs sur lesquelsune condamnation pourra être suivie de saisie, afinde faire respecter le jugement.

On peut tout au plus se demander si la possibilitéd'envahir aisément les marchés mondiaux en serendant sur les territoires pour lesquels untitulaire de droits de propriété intellectuelle aobtenu des droits exclusifs ne justifierait pas,également en cas d'établissement stable dans unseul pays, que l'intrus soit mis en demeure derépondre pour l'entier du dommage dans chacun desfors dans lesquels il agit en contrefaçon. En toutcas, cette solution serait la seule équitable pourle titulaire des droits de propriété intellectuellelorsqu'au domicile ou à l'établissement principaldu défendeur n'existe aucune loi sérieuse depropriété intellectuelle, chaque fois par exempleque la garantie des droits minimaux définis dansl'ADPIC n'est pas assurée (il s'agit tout de mêmed'un tiers des Etats de la planète). Pour lemoment, l'avant-projet ALI ne tient pas compte decette situation, peut-être parce qu'il a été conçuen fonction d'une adhésion limitée aux seulsmembres du GATT. Encore pourrait-on y voir un cas

membre ou vers plusieurs Etat membre, et que le contrat entre dansle cadre de ces activités …"

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d'exception, qui n'infirme pas la justesse de lasolution posée en général.

30. En revanche, la solution retenue paraîtinappropriée lorsque le défendeur est bel et bienune entreprise virtuelle. Dans ce cas, lacompétence exclusive à son for pour la généralitédu dommage méconnaît la situation de fait, à savoirque l'entrepreneur virtuel est actif à l'échelle dela planète et qu'il n'a pas de centre physiqueeffectif de ses affaires dont il puisselégitimement invoquer la protection. Certes,plusieurs décisions récentes de tribunauxnéerlandais limitant la compétence de leur for auxdommages intervenus aux Pays-Bas17, à moins que lecentre de leurs affaires n'y soit situé18, reposentsur la conception classique de l'entreprise réelle.De même, la jurisprudence de la Cour de justice desCommunautés européennes dans les causes FionaShevill19 et Marinari20 mettent en jeu un individuface à une société de l'économie réelle, dans lesmedia ou dans la banque. Cependant, on ne devrait

17 Cour d'appel de La Haye, 23 avril 1998, RD prop. int. 1999, vol. 95, p.28.

18 Président du Tribunal de La Haye, 16 février 2000, Scimed, non publié;voir P. Véron, Trente ans d’application de la Convention de Bruxelles àl’action en contrefaçon de brevet d’invention, JDI, 2001, p. 821 etN° 20.

19 Fiona Shevill c. Presse Alliance SA, Aff. C-68/93, 7 mars 1995, Rec.1995, p. I-415.

20 Antonio Marinari c. Lloyd’s Bank pic et a., Aff. C-364/93, 19 septembre1995, Rec. 1995, p. I-2719.

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pas suivre cette jurisprudence lorsque le défendeurest une entreprise virtuelle.

31. Mais l'on pensera peut-être que dans pareillehypothèse, on arriverait au résultat voulu par lanotion de fraude à la loi ou d'abus de droit :l'entreprise virtuelle s'est mise au ban de lasociété internationale, en fuyant les horizonstraditionnels de la vie économique pour se réfugierdans un "paradis" dépourvu de propriétéintellectuelle, elle ne pourrait donc invoquer lajuridiction exclusive de son Etat paradisiaque pourdécliner la compétence des tribunaux d'un autrepays, aptes alors à juger de l'entier du dommage.Malheureusement, cette hypothèse n'est pasenvisagée à l'article 14 de l'avant-projet ALI, etles juges traditionnellement manient avec la plusgrande prudence l'ultima ratio de la fraude à laloi, quand ils ne le déclinent pas carrément21. Lacombinaison d'une position essentiellementfrançaise (laquelle a influencé la cour de justicedes Communautés dans les causes Fiona Shevill etMarinari) et d'une retenue exagérée dansl'application de la théorie française de la fraudeà la loi pourrait déboucher, dans d'assez nombreuxpays, à une situation injuste pour le titulaire desdroits de propriété intellectuelle.

21 ATF 117 III 494, pour un commentaire critique voir : F. Dessemontet, Laresponsabilité des organes en droit international privé, in Aspects dudroit international des sociétés, Zurich 1995, p. 166.

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Les auteurs de l'avant-projet ont cependant faitobserver à bon droit que cette critique estinopérante dans le cas où l'action est ouvertedevant le tribunal du lieu où se trouve le marchévisé par le défendeur si le demandeur y a sarésidence (art. 6.2), une situation qui serafréquente lorsque le demandeur réside dans un grandet vaste pays dont le marché attire lescontrefacteurs du monde entier. Mais dans lesautres cas également il peut se justifier decentraliser au forum actoris la réparation dudommage dans son entier.

Au demeurant, la position de la Cour de justice secomprend mieux à l'égard d'un espace juridiquecommunautaire relativement homogène qu'à l'échelondu monde entier.

32. Par conséquent, dans les cas de multilocalisationdu dommage, la meilleure solution nous paraît êtrela solution d'inspiration allemande et suisse :ouvrir le choix au lésé entre tous les forssubstantiellement concernés, pour l'entier dupréjudice. Si l'on s'y refuse, on pourrait en toutcas admettre la notion de focalisation du dommageet ouvrir la loi du marché principalement touchépour l'entier du dommage, même si le défendeur n'yréside pas.

2. Actions en constatation et conclusionsreconventionnelles

33. L'une des questions les plus épineuses du momentest le sort qu'il convient de réserver aux actions

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en constatation négative, visant par exemple àfaire constater que tel acte ne constitue pas unacte de contrefaçon. On prendra pour exemple lacause Doyle22, dans laquelle un producteur de filmaméricain ouvrait action en Angleterre pour faireconstater qu'il ne violait pas les droits d'auteurde l'héritière de Sir Arthur Conan Doyle aux Etats-Unis. En raison des règles sur la litispendance, depareilles actions sont de bonne guerre, même sielles posent une foule de questions dans les ordresjuridiques continentaux.

34. La solution de l'avant-projet de l'ALI estd'admettre les mêmes fors pour l'action enconstatation et en contrefaçon. La conséquencelogique en est que les tribunaux d'un pays étrangerqui n'a pas enregistré ce droit pourront êtresaisis pour juger de l'exception d'invalidité d'undroit de propriété intellectuelle à l'encontred'une action en constatation de violation de cedroit. Encore faut-il qu'ils acceptent cettecompétence, déclinée par exemple en Suisse parl'art. 109 al. 1 2ème phrase LDIP. Cette positionrendrait inapplicable la proposition de l'ALI dansle domaine des marques, des circuits semi-conducteurs enregistrés, des dessins et modèlesd'ornement enregistrés, et des modèles d'utilitéétrangers, sans compter les brevets d'invention, detoute manière exclus de l'avant-projet ALI. Pour

22 Tybun Productions v. Doyle [1990] R.P.C. 185.

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les droits non enregistrés, la doctrine suisseadmet cependant en marge de la loi qu'existe un forsubsidiaire au domicile du demandeur ou au lieu depublication de l'œuvre23.

C'est à une pareille discordance entre une loirelativement récente (la LDIP date de 1987), fondéesur la territorialité absolue, et l'avant-projet del'ALI qu'on peut remarquer à quel point ce projetest innovateur.

35. Pour le droit des brevets, les auteurs proposent ausuffrage une disposition particulière, créant unfor exclusif dans le pays qui a délivré le brevetpour toute action en nullité24. Ce texte est bienconçu, tenant compte en particulier du PatentCooperation Treaty de Washington extrêmementpopulaire en ce moment. Convient-il pourtant decréer un statut particulier pour les brevets ?

36. La réponse est plus politique que juridique. Ilsemble que les spécialistes en matière de brevet nefassent guère confiance aux tribunaux des autrespays pour juger de la validité des brevets. Ilsvoudraient faire accroire que la question de lavalidité dépend à ce point des traditionsnationales qu'un tribunal étranger, en dépit de

23 Voir A. Bucher, N° 122 avec cit.; R. Bär, Das Internationale Privatrecht(Kollisionsrecht) des Immaterialgüterrechts und des Wettbewerbsrechts, inSchweizerisches Immaterialgüter-und Wettbewerbsrecht, t. I/1, Bâle etFrancfort sur le Main 1995, pp. 115-116; Dessemontet, Le Droit d'auteur,Lausanne 1999, pp. 650-651.

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l'aide des experts et des conseils des avocats, nepourrait pas la trancher avec sûreté.

Il est curieux que cet argument soit propagé auxEtats-Unis, alors que les Etats-Unis et la Suisseont été les deux premiers pays à admettrel'arbitrabilité de la validité des brevets (avecune possibilité de transcription de la sentence auregistre des brevets)25. Or il arrive à des arbitresinternationaux de se prononcer à titrepréliminaire26 sur la validité d'un brevet, et l'onne voit pas pourquoi des tribunaux ordinaires leferaient avec moins d'autorité ou de compétence.

37. De plus, la proposition de l'ALI, comme de nombreuxcompromis, souffre d'une contradiction interne :pourquoi accepter alors qu'un tribunal étrangerconnaisse de la validité ou de l'invalidité d'unbrevet quand la question est soulevée par voied'exception ?

38. En réalité, si l'opposition des milieux depraticiens est due à la crainte de voir lesprocédures se déplacer à l'étranger, aucuncompromis n'achètera leur accord. L'irruption duGATT devrait d'ailleurs s'accompagner d'unevéritable concurrence entre les bureaux d'avocats,qui ne peuvent espérer conserver les prééminences

24 Et non toute exception, bien que le terme de "proceedings" soit imprécis,mais le sens ressort de la suite.

25 F. Dessemontet, Arbitrage, Propriété intellectuelle et droit de laconcurrence, in ASA Special Series, 1994, vol. 6, spéc. pp. 60 ss.

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locales fondées sur des traditions ésotériques. Etsi une tradition n'est pas ésotérique, elle peutêtre expliquée au juge d'un autre pays.

39. Il conviendrait donc d'abandonner le statut spécialdes brevets.

40. Une toute autre question concerne l'effet pratiquedes procédures en constatation et la litispendancequi en résulte au cas où la juridiction saisie enpremier lieu est notoirement plus lente que celled'un autre pays27. On peut placer ses espoirs dansl'application rigoureuse d'une norme semblable àcelle de l'article 9 LDIP, instituant l'exceptionde litispendance à condition que le premiertribunal saisi puisse rendre sa décision dans desdélais raisonnables. Une simple modification dutexte de l'art. 12 (4) in fine de l'avant-projet del'ALI permettrait au tribunal saisi en secondd'anticiper les délais déraisonnables du tribunalsaisi en premier – lorsque pareil jugement paraîtconcevable en fait entre tribunaux de nationssouveraines. Si un tel jugement de valeur sur lefonctionnement des tribunaux étrangers paraît excluen pratique, rien alors dans le texte d'uneconvention ne permettra d'améliorer la situation.

26 Sent. CCI N° 6097, Bull. CCI vol. 4 N° 2, p. 83.27 Voir M. Franzosi, in Les Nouvelles, 1999, vol. 34, p. 24 : 4/5ème des

causes de brevets introduites à Milan ne sont pas jugées après cinq ans;4/5ème des causes de brevet introduites à Düsseldorf sont jugées dans les12 mois.

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C. La jonction de la cause et les actions contre les

tiers

1. La jonction de la cause

41. Deux propositions sont formulées, l'une pour lesjonctions de cause dues à la présence de défendeursmultiples (art. 10), l'autre pour les jonctions aucas où un tribunal considère qu'une résolution dudifférend à l'échelle du monde serait favorable auxintérêts des parties (art. 13).

42. Seule cette possibilité de jonction apparaîtvéritablement novatrice, la jonction de causecontre plusieurs défendeurs étant connue sousl'empire de la Convention de Bruxelles. Certes, oneut pu profiter de prendre position par rapport àla pratique néerlandaise qui exige que le défendeurauprès duquel on attrait les autres soit le preneurde décisions dans un groupe donné. Néanmoins, la"relation la plus étroite" (l'une des conditions dela jonction au for saisi) existe-t-elle uniquementdans ce cas ? Lorsqu'un délit Internet met en jeudivers intéressés (le pirate qui copie sur sonsite, l'hébergeur du site, un tiers qui signale àd'autres qu'on peut y trouver les biens piratés),il n'y a guère de "relation plus étroite" qu'uneautre, ni de "centre de décision". Pour fairerégner l'ordre sur le réseau, une assez grandelatitude mériterait d'être accordée aux titulairesde droit dans leur forum-shopping. Il est doncmalheureux de maintenir l'exigence sous sa forme

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absolue ("the forum is the most closely related tothe entire dispute"), mais les auteurs considèrentque c'est nécessaire pour répondre aux exigencesaméricaines de "due process of law" lesquellesentraînent l'obligation qu'existe un rapport assezétroit entre un for, un défendeur et l'actionintroduire à son encontre.

43. Quant à la jonction mondialisante, on la salueravivement. La norme de l'article 13 est détaillée,mais assez large pour couvrir l'ensemble de lapropriété intellectuelle. Tout au plus peut-on sedemander si le critère de "jugementsinconciliables" ("inconsistent") n'est pas tropstrict : ne suffit-il pas qu'il y ait risque decontradiction en l'un ou l'autre point dudispositif ? En somme, les articles 21 et 22 CB [=Règlement] sont de mauvais modèles ici, puisqu'ils'agit non d'exclure la reconnaissance d'unedécision étrangère28, mais de favoriser la jonctionde cause.

CONCLUSION

44. L'étude de quelques solutions particulières faitapparaître que le chemin sera long, menant despremières propositions pour résoudre les conflitsde compétence en fait de propriété intellectuelle à

28 Un cas dans lequel une définition stricte de l'inconciliable peut sejustifier; cf. A. Bucher, op. cit., N° 762.

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des textes définitifs et reconnus par la communautéinternationale.

45. Un chemin n'est pas ardu que par son but. Pourtantlorsque le but est motivant, les difficultéss'allègent. En atteignant la maison de Jean-NicolasDruey perchée sur sa colline saint-galloise,combien d'entre nous n'avons d'ailleurs pas songé :

"Le chemin qui monte à la maison d'un ami descend".

Que les années bâloises soient à nouveau longues etcharmantes à nos amis !