vers une societe sans etat

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David Friedman

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  • Vers une socit sans tat

    Deuxime dition

    David Friedman (1973)

    Titre original : The machinery of freedom: Guide to a radical capitalism

    Traduit de lamricain par Franoise Ligeois

  • Ce livre est ddi : Milton Friedman, Friedrich Hayek,

    Robert A. Heinlein, qui mont apport leur enseignement

    et Robert M. Schuchman,

    qui laurait probablement mieux crit.

  • Le capitalisme, cest le pied. Cest la libre entreprise. Le troc. Chez Gimbels, si jen ai vraiment ras le bol du vendeur, Bon, jaime pas a ! comment je vais trouver une solution ? Si a tombe vraiment dans le ridicule, je fous lcamp. Va te faire voir, mec, jme tire. Quest-ce quy peut bien faire ce type chez Gimbels, mme sil tait le prsident de la maison ? Il peut bien mempcher dentrer dans le magasin, mais je pourrai toujours aller chez Macy. Il ne peut pas vraiment me faire du mal. Le communisme, cest comme une grande compagnie du tlphone. Cest le contrle de lEtat, mon vieux. Et si jen ai trop ras le bol de cette compagnie tlphonique, o donc cest que je vais aller ? Je finirai comme un pauvre type avec une gamelle sur un fil.

    Lenny Bruce

    Pourquoi ne comprenez-vous pas ? Nous ne voulons qutre libres, Avoir notre maison et notre famille, Et vivre notre vie comme nous lentendons.

    Dana Rohrabacher West Coast Libertarian Troubadour

  • Prface la deuxime dition

    La plus grande partie de cet ouvrage a t crite entre 1967 et 1973, date o la premire dition est parue. Je nai apport que des changements mineurs au texte original, car je suis persuad que les problmes et les arguments nont pas beaucoup chang au cours des quinze dernires annes. Dans certains cas, le lecteur trouvera les exemples dats ; le chapitre 17, par exemple, fut rdig lorsque Ronald Reagan tait gouverneur de la Californie. Chaque fois quil semble y avoir un problme srieux, jai procd la mise jour des exemples ou bien jai ajout des commentaires explicatifs, mais dans la plupart des cas, jai conserv le texte original. La plupart des exemples actuels ne le demeureront pas longtemps : esprons que le livre survivra galement lactuel gouverneur de la Californie.

    Jai suivi la mme rgle en ce qui concerne les chiffres. Ceux qui se rapportent au nombre dhronomanes New York ou la part de la U.S. Steel dans lindustrie de lacier refltent la situation aux environs de 1970, au moment de la premire dition. A la lecture de ces chiffres, il faut se souvenir que les prix et les revenus nominaux en 1970 reprsentent environ un tiers de ceux de 1988, anne durant laquelle jai rdig cette prface. En revanche, les chiffres purement hypothtiques (tels que : une femme qui travaille peut engager une domestique indienne qui gagnait dollars par an en Inde ) ont t mis jour pour les rendre plus plausibles au lecteur contemporain. Les annexes ont t mises jour pour la plupart par mon ami Jeff Hummel.

    Il ne sagit l que de changements insignifiants. La principale diffrence entre cette dition et la premire est linclusion des huit nouveaux chapitres qui composent la quatrime partie de ce livre.

    Il y a une chose que jaurais peut-tre d expliquer dans ma prface originale et qui a rendu perplexes quelques lecteurs : cest lincohrence apparente entre les chapitres. Au chapitre 10, par exemple, je prconise un systme de bons, par lequel largent des impts serait utilis pour subventionner lducation, mais dans la troisime partie, jargumente en faveur dune socit sans impts, sans Etat et, par consquent, sans systme de bons.

    Lobjectif de la deuxime partie de ce livre est de suggrer des rformes spcifiques, dans le cadre de nos institutions actuelles, qui produiraient des rsultats souhaitables tout en nous rapprochant dune socit de libert naturelle. Une de ces rformes est un systme de chques-ducation qui nous fait passer dun enseignement financ et produit par les hommes de lEtat un enseignement pay par limpt, mais produit sur un march concurrentiel. Dans la troisime partie, jessaie de faire le portrait dune socit anarcho-capitaliste part entire et de son fonctionnement ventuel. La troisime partie prsente un changement beaucoup plus radical par rapport nos institutions actuelles que ne le fait la deuxime partie, alors que ladite deuxime partie dcrit quelle pourrait tre la premire approche vers ce changement radical.

    Une raison dcrire un livre comme celui-ci, cest dviter davoir expliquer les mmes ides une centaine de personnes diffrentes. Une des satisfactions qui en dcoule, cest de dcouvrir, des annes plus tard, que des gens ont intgr mes ides dans leur propre intellect. Cest donc une personne de ce genre que jai ddi cette seconde dition. Honntement, je ne peux pas prsenter lindividu en question comme un partisan ou comme un disciple, tant donn que la plupart de nos rencontres publiques ont t des dbats ; jestime par ailleurs que

  • ses opinions les plus connues sont fausses et peut-tre dangereuses. Il sagit de quelquun qui, ds 1973, commenait dj savoir et comprendre tout ce que javais dire sur ce dont traite ce livre, ce qui rend ensuite largumentation beaucoup plus intressante.

    Voil pourquoi cette seconde dition est ddie Jeffrey Rogers Hummel.

  • Prface la premire dition

    Mes opinions politiques me paraissent naturelles et videntes. Dautres les trouvent bizarres. Leur singularit consiste surtout mener jusqu leur conclusion normale certaines affirmations qui sont pourtant assez courantes dans la rhtorique des politiciens.

    Jestime, comme bien dautres, que chacun a le droit de mener sa propre vie daller au diable sa faon. Jen conclus, comme le font beaucoup de gens de gauche, que toute censure devrait tre supprime ; que lon devrait abroger toutes les lois anti-drogue que ce soit contre la marijuana, lhrone ou le traitement anti-cancer du Dr Charlatan de mme que les lois imposant les ceintures de scurit dans les automobiles.

    Le droit de contrler ma vie ne signifie pas le droit davoir gratuitement tout ce que je veux ; je ne pourrais en arriver l quen faisant payer par quelquun dautre ce que jobtiens. Comme tout bon membre de la droite, je moppose aux programmes sociaux qui prtendent assister les pauvres au moyen de largent pris de force aux contribuables.

    Je suis galement oppos aux droits de douane, aux subventions, aux garanties demprunts par lEtat, aux rnovations urbaines, la subvention des prix agricoles, bref, tous ces programmes qui subventionnent les non-pauvres souvent les riches avec largent pris de force aux contribuables souvent les pauvres.

    Je suis un libral du modle dAdam Smith, ou encore, selon la terminologie amricaine contemporaine, un conservateur la Goldwater. Mais je pousse plus loin que ne le fait Goldwater ma dvotion pour le laissez-faire cest dans les chapitres suivants quon dcouvrira jusqu quel point. Il marrive parfois de me nommer moi-mme un anarchiste la Goldwater.

    Ces opinions singulires qui sont les miennes ne me sont pas propres. Si elles ltaient, cest moi qui paierais mon diteur pour publier ce livre, au lieu que ce soit lui qui me paie. Mes opinions sont caractristiques des ides dun groupe, petit, mais en train de sagrandir, un mouvement qui a commenc dattirer lattention de la presse nationale. Nous nous appelons des libertariens .

    Cet ouvrage traite des ides libertariennes ; ce nest pas une histoire du mouvement libertarien, ni une description de sa situation actuelle. La mode est destimer limportance des ides daprs le nombre et la violence de ses adhrents. Cest une mode que je ne suivrai pas. Lorsque vous terminerez votre lecture, si vous en tes arriv partager bon nombre de mes opinions, vous saurez ce quil y a de plus important savoir quant au nombre des libertariens, cest--dire quil y en a un de plus quau moment o vous avez commenc de lire ce livre.

  • Remerciements

    La plus grande partie des chapitres 12 15, 17 20, 22, 23, et 25 est parue pour la premire fois, mais sous une forme lgrement diffrente, dans The New Guard, et la plus grande partie du chapitre 34 a t publie lorigine dans The Alternative. Le chapitre 10 a t crit pour le Center for Independent Education, et publi ensuite dans Human Events. Je remercie tous les rdacteurs et les diteurs concerns pour mavoir accord la permission de reproduire ces textes.

    A lorigine, le chapitre 38 a t publi, sous une forme sensiblement diffrente, dans Libertarian Connection ; tant donn que, dans ce journal particulier, les auteurs conservent le droit de proprit sur ce quils crivent, point nest besoin pour moi de remercier les diteurs, pour la permission de faire usage ici de ce texte. En revanche, je les remercie davoir fourni des ides utiles, et dentretenir une tribune caractrise par sa commodit et sa fcondit.

    Le chapitre 47 est paru pour la premire fois dans Frontlines, vol. 2, n 6, en mars 1980.

    Mes remerciements sadressent aussi ceux qui ont lu et comment mon manuscrit : Emilia Nordvedt, Larry Abrams, et surtout Milton Friedman. Je remercie aussi Diana pour ses critiques occasionnelles et sa patience en gnral.

  • Table des matires Prface la deuxime dition ............................................................ 5Prface la premire dition ............................................................. 7Remerciements .................................................................................... 8Table des matires .............................................................................. 9Introduction ...................................................................................... 11Premire partie Dfense de la proprit ...................................... 13

    Chapitre 1 La dfense de la proprit ................................................................................ 14Chapitre 2 Une digression ncessaire ................................................................................ 20Chapitre 3 Il ny a pas que lamour ................................................................................... 22Interlude ................................................................................................................................ 25Chapitre 4 Robin des Bois est un vendu ............................................................................ 26Chapitre 5 Le riche senrichit et le pauvre aussi ............................................................... 29Chapitre 6 Le monopole (1re partie) ou comment perdre sa chemise ......................... 32Chapitre 7 Le monopole (2me partie) ou le monopole dEtat pour le plaisir et le profit .. 38Chapitre 8 Exploitation et intrt ....................................................................................... 43Chapitre 9 Jai besoin de rien ...................................................................................... 45

    Deuxime partie La hotte du Pre Nol libertarien ou comment vendre lEtat par petits morceaux .................................................. 49

    Chapitre 10 Vendez les coles ........................................................................................... 50Chapitre 11 Une critique radicale des universits amricaines ......................................... 53Chapitre 12 Luniversit impossible .................................................................................. 55Chapitre 13 Luniversit Adam Smith ............................................................................... 56Chapitre 14 Ouvrez les portes ........................................................................................... 59Chapitre 15 Vendez les rues .............................................................................................. 61Chapitre 16 Dej construit 99,44 % ................................................................................ 63Chapitre 17 Un premier pas ............................................................................................... 64Chapitre 18 Contre-attaque ................................................................................................ 66Chapitre 19 Les occasions manques ................................................................................ 68Chapitre 20 William Buckley est-il une maladie contagieuse ? ........................................ 70Chapitre 21 Cest ma vie moi ......................................................................................... 72Chapitre 22 Les enfants ont des Droits .............................................................................. 75

  • Chapitre 23 Le capitalisme rampant .................................................................................. 76Chapitre 24 Ce que vous voulez, achetez-le ...................................................................... 78Chapitre 25 Rare veut dire limit .......................................................................... 79Chapitre 26 La pollution .................................................................................................... 81Chapitre 27 Du gros plomb pour un ami socialiste ........................................................... 82

    Troisime partie Lanarchie nest pas le chaos ........................... 86Chapitre 28 Quest-ce que lanarchie et quest-ce que lEtat ? ......................................... 87Chapitre 29 La police, les tribunaux et le droit produits sur le march ............................. 89Chapitre 30 Le problme de la stabilit ............................................................................. 94Chapitre 31 Lanarcho-capitalisme est-il libertarien ? ...................................................... 98Chapitre 32 Et en prime ............................................................................................... 101Chapitre 33 Socialisme, Etat limit, anarchie et bikini ................................................... 102Chapitre 34 Defense nationale : le problme difficile ..................................................... 104Chapitre 35 Lorsque les prdictions se rduisent de la spculation ............................. 110Chapitre 36 Pourquoi lanarchie ? ................................................................................... 111Chapitre 37 La rvolution, cest vraiment lenfer ! ......................................................... 113Chapitre 38 Lconomie du vol ou la non-existence de la classe dirigeante ................... 115Chapitre 39 Bien public : le bon ct du pige ................................................................ 118Chapitre 40 Comment y aller dici ? ............................................................................... 120Post-scriptum pour les perfectionnistes .............................................................................. 123

    Quatrime partie Post-scriptum plus dtaill lattention des libertariens ...................................................................................... 124

    Chapitre 41 Difficults .................................................................................................... 125Chapitre 42 Ma position .................................................................................................. 132Chapitre 43 Rponses : lanalyse conomique du droit .................................................. 136Chapitre 44 La police prive du droit, lIslande mdivale et le libertarianisme ............ 149Chapitre 45 Existe-t-il une politique trangre libertarienne ? ........................................ 156Chapitre 46 Le march de la monnaie ............................................................................. 163Chapitre 47 La politique anarchiste : le cas du parti libertarien ...................................... 168Chapitre 48 G.K. Chesterton, analyse dun auteur .......................................................... 171

    Annexe 1 - Quelques chiffres ......................................................... 175Annexe 2 Mes concurrents .......................................................... 179

  • Introduction

    De Ayn Rand aux anarchistes chevels, il existe de temps autre un accord sur les moyens qui portent le nom de libertarianisme , qui est une foi dans une politique et une conomie de laissez-faire Comment har votre Etat pour des raisons de principe.

    Stewart Brand The Last Whole Earth Catalog

    Lide centrale du libertarianisme, cest quon doit laisser les gens mener leur propre vie comme ils lentendent. Nous rejetons totalement lide quil faille protger les gens contre eux-mmes par la force. Une socit libertarienne naurait pas de lois contre la drogue, le jeu, la pornographie et pas de ceinture de scurit obligatoire. Nous rejetons aussi lide que les gens auraient un droit faire valoir sur les autres, en dehors de celui dtre laisss en paix. Une socit libertarienne naurait pas de systme dassistance, ni dassurances sociales . Les gens qui souhaiteraient aider les autres le feraient de leur plein gr, au moyen de la charit prive au lieu dutiliser largent arrach par la force aux contribuables. Ceux qui souhaiteraient sassurer une pension de retraite le feraient au moyen dune assurance prive.

    Les personnes dsireuses de vivre dans une socit vertueuse, entoures de personnes partageant leur mme conception de la vertu, seraient libres dtablir leurs propres communauts, et de passer des contrats les unes avec les autres pour empcher les pcheurs dacheter ou de louer au sein de leurs groupes. Ceux qui souhaiteraient vivre en communauts pourraient fonder leurs propres communauts. Mais personne naurait le droit dimposer son voisin sa manire de vivre.

    Jusqu maintenant, nombreux sont ceux qui, sans sappeler des libertariens, seraient daccord. La difficult survient lorsquil sagit de donner une signification tre laiss tranquille . Nous vivons dans une socit complexe et interdpendante. Chacun de nous est constamment affect par des vnements qui se droulent des milliers de kilomtres et concernent des gens dont il na jamais entendu parler. Comment pouvons-nous, dans une telle socit, dire de faon significative que chacun est libre de faire comme il lentend ?

    La rponse cette question se trouve dans le concept du droit de proprit. Si lon considre que chacun est propritaire de son propre corps, et quil peut acqurir la proprit dautres choses en les crant, ou en obtenant le transfert de cette proprit son nom par un autre propritaire, il devient alors possible, au moins de faon formelle, de dfinir tre laiss en paix et son contraire tre victime de la violence . Quelquun qui mempche par la force de faire usage de mon bien comme je lentends, alors que je ne lutilise pas pour violer son droit de faire usage de son bien, me fait subir une violence. Un homme qui mempche de prendre de lhrone mimpose une contrainte ; un homme qui mempche de labattre ne me contraint pas.

    Ceci laisse ouverte la question de lacquisition de la proprit de choses qui ne sont pas, ou pas entirement, cres, telles que la terre et les ressources minrales. Cette question fait lobjet dun dsaccord parmi les libertariens. Heureusement, la rponse cette question na gure dinfluence sur le caractre dune socit libertarienne, au moins aux Etats-Unis. Environ 3 % de tous les revenus en Amrique reprsentent des revenus en loyers. Si lon y

  • ajoute la valeur locative des habitations occupes par les propritaires, cela porte le chiffre environ 8 %. Limpt foncier revenu peru par les hommes de lEtat sur les loyers reprsente 5 % de plus. Donc la valeur locative de tous les biens fonciers et immobiliers slve environ 13 % du revenu global. La majeure partie reprsente le loyer sur la valeur des constructions, qui sont cres par leffort humain, ce qui ne pose aucun problme quand il sagit de dfinir les droits de proprit ; le loyer total de toutes les terres, qui, lui, pose ce problme, ne reprsente quune fraction infime du revenu total. La valeur totale des matires premires que reprsentent tous les minraux consomms, cest--dire lautre ressource principale non produite reprsente environ 3 % de plus. L encore, une grande partie de cette valeur provient de leffort de lhomme pour extraire le minerai du sol. Il est raisonnable de ne considrer que la valeur des ressources brutes in situ comme tant non produite. Ainsi les ressources dont lexistence ne doit rien laction de lhomme rapportent tout au plus leurs propritaires peut-tre un vingtime du revenu national. Lessentiel du revenu est le rsultat du travail de lhomme. Il est cr par des groupes de personnes identifiables, travaillant ensemble aux termes daccords spcifiant les modalits de rpartition de ce quils produisent conjointement.

    Le concept de proprit permet en tout cas de donner une dfinition formelle des expressions laisser tranquille et faire violence . Il nest absolument pas vident a priori que cette dfinition corresponde ce que les gens entendent habituellement par ces mots savoir lide quune socit libertarienne serait libre. Cest l que les libertariens sont en dsaccord avec nos amis de la gauche qui saccordent pour dire que chacun doit tre libre de faire ce quil souhaite, mais soutiennent quun homme affam nest pas libre, et que son droit la libert implique par consquent une obligation de lui donner manger, que cela plaise ou non.

    Louvrage est divis en quatre parties. Dans la premire, jtudie les types de droits de proprit, tant prive que publique , et leur fonctionnement dans la pratique. Dans la seconde, jexamine une srie de questions particulires dun point de vue libertarien. Dans la troisime, je prsente ce que pourrait tre une socit libertarienne future et comment y parvenir. La dernire partie contient du matriau nouveau sur diffrents sujets qui ont t ajouts dans cette seconde dition.

    Le but de ce livre est de vous persuader quune socit libertarienne serait non seulement libre mais agrable vivre, et que les institutions de la proprit prive sont les rouages de la libert, donnant la possibilit chacun, dans un monde complexe et interdpendant, de mener sa vie comme il lentend.

  • Premire partie Dfense de la proprit

    Un saint parla ainsi : Que se dresse la cit parfaite.

    Point nest besoin de longs dbats sur les subtilits,

    Les moyens, les fins,

    Mettons-nous daccord

    Pour vtir et nourrir tout le monde ; tant quun seul demeure affam,

    Nos querelles ne sont quun affront ses souffrances.

    Cest pourquoi tous travailleront pour le Bien

    Unis dans une mme phalange fraternelle.

    Un homme scria : Moi, moi, je connais la vrit,

    Tout entire et parfaite. Celui qui refuse dadmettre

    Ma vision des choses est un fou ou un sot.

    Ou bien il cherche tirer un ignoble profit de ses mensonges.

    Tous les peuples sont un outil qui est fait ma main

    Et vous fera tous entrer

    Dans mon plan.

    Ils ne furent plus quun seul homme.

  • Chapitre 1 La dfense de la proprit Le concept de proprit est essentiel pour notre socit, et probablement pour toute socit

    envisageable. En pratique, tous les enfants le comprennent ds lge de trois ans. Intellectuellement, ce concept nest compris de presque personne.

    Considrons le slogan des droits de proprit contre droits de lhomme . Ce qui donne ce slogan sa force rhtorique, cest lide sous-jacente que les droits de proprit sont des droits relatifs aux biens, tandis que les droits de lhomme sont les droits relatifs aux hommes ; les hommes sont plus importants que les biens (chaises, tables, et le reste) ; en consquence, les droits de lhomme ont priorit sur les droits de proprit.

    Mais les droits de proprit ne sont pas les droits de la proprit ; ce sont les droits des tres humains vis--vis de la proprit. Il sagit dune manifestation particulire de lun des droits fondamentaux de lhomme. Le slogan voque limage dun Noir faisant du sit-in dans un restaurant du sud des USA. Cette situation implique des revendications juridiques en conflit, mais les droits revendiqus sont tous des droits de proprit. Le propritaire du restaurant revendique le droit dexercer un contrle sur un lment de sa proprit son restaurant. Le Noir revendique un droit (limit) de contrler une partie du mme lment de la proprit le droit doccuper un tabouret au comptoir aussi longtemps quil veut. Mais aucun lment de cette proprit ne revendique quelque droit que ce soit ; on nentend pas le tabouret couiner pour exiger que le Noir respecte son droit de ne pas avoir quelquun assis dessus.

    Je nai rencontr quune seule utilisation authentique du concept de droits de la proprit : lorsque des cologistes affirment que certains objets un squoia, par exemple auraient un droit propre, qui est celui de ne pas tre dtruit. Supposons quun homme achte un terrain sur lequel pousse cet arbre, fasse valoir son droit dabattre cet arbre, et soit contrecarr par un cologiste agissant, non pas au nom de son droit propre, mais pour la dfense des droits de larbre ; alors on aurait vritablement un conflit entre les droits de lhomme et les droits de proprit . Ce nest pas cette situation que pensaient ceux qui ont invent lexpression.

    Si lun des slogans politiques qui a eu le plus dinfluence au cours de ces dernires dcennies est simplement une erreur verbale, confondant les droits sur la proprit avec les droits de la proprit, cela montre le degr de confusion sur toute la question dans lesprit des gens. Puisque la proprit est une institution conomique essentielle toute socit, et que la proprit prive est linstitution centrale dune socit libre, cela vaut la peine de consacrer quelque temps et de faire un effort pour comprendre ce quest la proprit et pourquoi elle existe.

    Deux faits rendent ncessaires les institutions de la proprit. Le premier, cest que des personnes diffrentes poursuivent des objectifs diffrents. Les objectifs peuvent diffrer parce que les gens poursuivent un intrt personnel born, ou bien parce quils ont des conceptions diffrentes dun objectif noble et sacr. Quil sagisse davares ou de saints, la logique de la situation est la mme ; elle demeure la mme tant que chaque personne, qui observe la ralit partir de la position particulire de sa propre tte, atteint une conclusion quelque peu diffrente sur ce quil faut faire et sur la manire de le faire.

  • Le second fait, cest quil y a des choses dont la quantit ne suffit pas pour que chacun puisse sen servir autant quil le voudrait. Nous ne pouvons tous avoir tout ce que nous voulons. Il sensuit que, dans toute socit, il doit exister une faon de dcider qui peut se servir de quoi et quel moment. Vous et moi, nous ne pouvons pas conduire simultanment la mme voiture pour rentrer nos domiciles respectifs.

    Le dsir de plusieurs personnes dutiliser les mmes ressources des fins diffrentes est le problme essentiel qui rend absolument ncessaire linstitution de droits de proprit. La manire la plus simple de rsoudre ce conflit, cest le recours la force physique. Si je vous assomme, je peux me servir de votre voiture. Cette mthode est trs dispendieuse, moins davoir le got de la bagarre, et dtre couvert par une bonne assurance mdicale. Cela rend galement difficiles les projets davenir : moins dtre le champion en titre de la catgorie poids lourds , on ne sait jamais quand on aura accs une voiture. Le recours direct la force physique est une solution si mdiocre pour rsoudre le problme des ressources limites que seuls les petits enfants et les grands Etats en font communment usage.

    La solution habituelle, cest que lusage de chaque chose doit tre dcid par une personne ou par un groupe de personnes rgi par un ensemble de rgles. Ces choses portent le nom de proprit. Si chaque chose est sous le contrle dun particulier qui a le pouvoir de transfrer ce contrle tout autre particulier, linstitution sappelle alors proprit prive.

    Dans le cadre des institutions de la proprit, tant publiques que prives, une personne qui souhaite utiliser un bien qui nest pas le sien doit persuader le particulier, ou le groupe qui contrle ce bien, de la laisser en faire usage ; elle doit persuader le particulier ou le groupe que les finalits dudit bien seront atteintes si on lui laisse lusage de ce bien pour atteindre ses objectifs.

    Dans le cadre de la proprit prive, cela se fait habituellement sous la forme de lchange : joffre la disposition de mon bien (et peut-tre aussi de moi-mme) pour vous aider raliser vos objectifs, et, en change, vous utilisez vos biens pour maider raliser mes objectifs. Quelquefois, mais moins souvent, cela se passe de la faon suivante : je vous persuade du bien-fond de mes objectifs et du fait que vous devriez y adhrer ; cest ainsi que fonctionnent les institutions charitables et, dans une certaine mesure, les familles.

    De cette faon, dans le cadre des institutions de la proprit prive, chaque particulier utilise ses propres ressources ses propres fins. La coopration se produit, soit lorsque plusieurs particuliers saperoivent quils peuvent atteindre un objectif commun plus facilement ensemble quindividuellement, soit lorsquils trouvent quils peuvent raliser leurs objectifs diffrents plus facilement en cooprant par lchange, chacun aidant les autres atteindre leurs objectifs en change de leur aide pour atteindre les siens.

    Dans les institutions de la proprit publique, la proprit est dtenue (lusage des choses est contrl) par les institutions politiques, et les biens en question sont utiliss pour atteindre les objectifs desdites institutions politiques. Etant donn que la fonction de la politique consiste rduire la diversit des objectifs particuliers un ensemble dobjectifs communs (les objectifs de la majorit, du dictateur, du parti au pouvoir, ou de toute autre personne ou groupe qui a le contrle effectif des institutions politiques), la proprit publique impose ces objectifs communs au particulier. Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez plutt ce que vous pouvez faire pour votre pays (JFK)1

    1 Extrait du discours inaugural du Prsident John F. Kennedy, le 20 janvier 1961. (N.d.T.)

    . En dautres termes, ne demandez pas comment vous pouvez poursuivre un objectif

  • que vous croyez valable, mais comment vous pouvez poursuivre lobjectif que les hommes de lEtat vous donnent comme valable.

    Examinons un cas particulier o lon peut comparer les effets respectifs de la proprit publique et prive. La presse (journaux, magazines, etc.) est entirement produite avec des biens privs. Achetez du papier journal et de lencre, louez une presse typographique, et vous tes prts dmarrer. A moindre chelle, utilisez une photocopieuse. Vous pouvez imprimer tout ce que vous voulez, sans demander lautorisation un homme de lEtat quelconque. A condition, bien entendu, que vous nayez pas besoin de ladministration des Postes amricaines pour effectuer la livraison de ce que vous imprimez. Les hommes de lEtat peuvent, et ils lont fait de temps autre, exercer leur pouvoir de contrle sur le courrier, comme moyen de censure.

    En ce qui concerne les moyens audiovisuels (radio et tlvision), cest un autre problme. Les ondes ont t qualifies de proprit publique . Les stations de radio et de tlvision ne peuvent fonctionner que si elles reoivent de la Federal Communications Commission (FCC)2

    La presse ne requiert que des biens privs ; les moyens audiovisuels (radio et tlvision) utilisent la proprit publique. Quel est le rsultat ?

    lautorisation de faire usage de cette proprit. Si la FCC juge quune station ne fonctionne pas dans lintrt du public , elle a lgalement le pouvoir de retirer son autorisation la station, ou du moins de lui en refuser le renouvellement. Les licences dmission valent beaucoup dargent ; la fortune personnelle de Lyndon Johnson sest construite sur un empire de stations mettrices dont latout principal reposait sur les relations spciales entre la FCC et le chef de file de la majorit au Snat.

    La presse est extrmement diversifie. Tout courant dides, politique, religieux ou esthtique y va de son petit magazine, de son bulletin, de son journal clandestin. Bon nombre de ces publications choquent profondment les Amricains dans leurs opinions et dans leurs gots. Citons, par exemple, The Realist, magazine humoristique obscne et drle, qui publia une caricature intitule Une Nation sous Dieu , montrant Jehovah sodomisant lOncle Sam ; The Berkeley Barb, qui publie les petites annonces les plus pornographiques du monde ; et le journal des Blacks Panthers qui mit en surimpression une tte de porc sur le corps assassin de Robert Kennedy.

    Les moyens audiovisuels ne peuvent se permettre de choquer. Quiconque a en jeu une autorisation de plusieurs millions de dollars manifeste beaucoup de prudence. Aucune chane de tlvision aux Etats-Unis ne diffuserait les caricatures dun numro de The Realist pris au hasard. Aucune station de radio ne diffuserait des textes extraits des petites annonces du Barb. Comment pourriez-vous persuader les honorables commissaires de la FCC que ctait dans lintrt du public ? Citons les paroles de la FCC en 1931, qui, aprs avoir refus de renouveler sa licence un propritaire de station, qualifia ses missions de vulgaires, voire mme indcentes. Assurment, elles ne servent ni lever, ni divertir Bien que nous ne puissions exercer de censure, il est de notre devoir de veiller ce que les autorisations dmission ne permettent pas de transformer les stations de radio en tribune personnelle, et de veiller aussi assurer le maintien dun niveau de raffinement qui convienne notre poque et notre gnration.

    Le Barb na pas besoin dtre dans lintrt du public , puisquil nappartient pas au public . Ce nest pas le cas de la radio et de la tlvision. Le Barb ne doit agir que dans lintrt de ses lecteurs. La National Review, le magazine de William Buckley, a une 2 La Federal Communications Commission est une sorte de Conseil Suprieur de lAudiovisuel. (N.d.T.)

  • diffusion denviron 100 000 exemplaires. Il est achet par un Amricain sur deux mille. Si les 1 999 autres lecteurs potentiels pensent quil sagit dune feuille de chou vicieuse, raciste, fasciste et papiste, cest vraiment dommage pour eux, car il est quand mme publi.

    Rcemment, la FCC a dcid que les chansons qui semblaient prconiser lusage de la drogue pouvaient tre refuses. Sagit-il l dune atteinte la libert de parole ? Bien sr que non. Vous pouvez dire tout ce que vous voulez, mais pas sur les ondes publiques.

    Lorsque je dis quil ny a pas atteinte la libert de parole, je suis tout fait srieux. Il nest pas possible de laisser chacun utiliser les ondes pour exprimer tout ce quil veut ; il ny a pas assez de place sur la bande de la radio. Si le gouvernement est propritaire des ondes, il doit les rationner ; il doit dcider de ce quil faut et de ce quil ne faut pas diffuser.

    Il en va de mme de lencre et du papier. La libert de parole peut bien tre gratuite, mais la parole imprime ne lest pas ; elle exige un minimum de ressources. Il ny a pas moyen de donner toute personne qui pense que son opinion mrite dtre crite la possibilit de la faire lire par tout le monde dans le pays. Nous manquerions darbres bien avant davoir assez de papier pour imprimer cent millions dexemplaires du manifeste crit par chacun ; et nous manquerions de temps bien avant davoir fini de lire toutes ces foutaises.

    Nanmoins, nous avons la libert de la presse. Les choses ne sont pas imprimes gratuitement, mais elles sont imprimes si quelquun accepte den payer le prix. Si celui qui crit est dispos payer, il imprime des prospectus et les distribue au coin de la rue. Plus souvent, le lecteur paie en sabonnant un magazine ou en achetant un livre.

    Sous le rgime de la proprit publique, les valeurs du public dans son ensemble sont imposes aux particuliers qui ont besoin dutiliser cette proprit pour raliser leurs objectifs. Sous le rgime de la proprit prive, chaque particulier peut poursuivre ses propres objectifs, pourvu quil soit dispos en supporter le cot. Nos mdia audiovisuels sont mornes ; mais notre presse est varie.

    Serait-il possible dy apporter du changement ? Oui, facilement, en transformant les ondes en proprit prive. Que les hommes de lEtat vendent aux enchres, frquence par frquence, le droit dmettre sur une frquence spciale, jusquau moment o tout le spectre dmission sera en possession des particuliers. Cela signifierait-il la prise de contrle des ondes par les riches ? Pas plus que la presse en proprit prive ne signifie que les journaux sont publis uniquement pour les riches. Le march nest pas un champ de bataille o la personne qui a le plus dargent gagne la bataille et remporte le gros lot ; sil en tait ainsi, la General Motors investirait toutes ses ressources dans la production de Cadillacs en or pour Howard Hughes, Jean Paul Getty et leurs semblables.

    Pour ce qui est de lanalogie avec le champ de bataille, o se trouve lerreur ? Tout dabord, le march ne consacre pas la totalit de ses ressources au client qui a le plus dargent. Si je dpense 10 dollars en trucs, et que vous en dpensiez 20, il nen rsulte pas que vous obteniez tous les trucs, mais plutt que vous en possdiez les deux tiers, et moi, un tiers. De mme, en gnral, la quantit dun produit donn achet par un client nest pas retranche de ce qui est disponible pour une autre personne. Lorsque jtais lunique acheteur des trucs, on en produisait seulement pour une valeur de 10 dollars (huit trucs 1,25 $ pice). Lorsque vous arrivez avec vos 20 dollars, le premier effet est de faire monter le prix des trucs ; cela conduit les fabricants de trucs en produire davantage, et bientt il y en a suffisamment pour que je puisse en avoir huit, et vous, seize. Il nen est pas exactement de mme pour les ondes qui sont, dans un sens, une ressource fixe et limite, comme la terre. Mais, comme pour la terre, un prix plus lev augmente effectivement loffre, en

  • occasionnant une utilisation plus intensive de la quantit existante. Dans le cas des ondes, si le prix dune bande de frquence est lev, il devient rentable dutiliser un quipement perfectionn : cela permet dinsrer davantage de stations dans une gamme donne de frquences, de coordonner avec plus de soin des stations mettrices situes dans diffrentes zones de manire minimiser les zones marginales dinterfrence, dutiliser des sections du spectre dont on ne sest pas encore servi (tlvision UHF3

    Il y a une autre erreur dans limage du march en tant que lieu de conflit o le riche emporte tout , cest la confusion qui existe entre la quantit dargent dont dispose un homme, et celle quil est prt dpenser. Si un millionnaire nest dispos payer que 10 000 $ pour une voiture, il en obtient autant que moi, si je suis dispos payer la mme somme ; le fait quil ait un million de dollars en banque ne fait pas baisser le prix de la voiture, ou nen amliore pas la qualit. Ce principe sapplique aussi la radio. Howard Hughes aurait pu dpenser un milliard de dollars pour racheter des frquences radiophoniques, mais, moins de leur faire rapporter suffisamment dargent pour justifier linvestissement il ne laurait pas fait. Aprs tout, il y avait beaucoup de possibilits plus conomiques qui lui permettaient de se distraire

    par exemple), et finalement de remplacer quelques stations par la tlvision par cble ou la radio.

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    Quest-ce que cela laisse supposer pour le sort des ondes sous le rgime de la proprit prive ? En premier lieu, le caractre proportionnel de la victoire sur le march empcherait pratiquement tout homme riche ou groupe dhommes riches dacheter dans sa totalit le spectre de diffusion et de lutiliser de sinistres fins de propagande. Dans un tel projet, ils renchriraient sur des gens qui veulent acheter des frquences pour diffuser ce que les auditeurs veulent entendre et gagner de largent (soit directement par la tlvision payante, soit indirectement par la publicit). Le budget audiovisuel de la publicit slve environ quatre milliards de dollars par an au total. Des hommes daffaires, faisant une offre pour lacquisition de frquences afin de tirer quelque profit de cet argent, seraient srement disposs, si ncessaire, payer en un seul et unique rglement des milliards de dollars. Supposons que la bande radiophonique ait de la place pour cent stations (la bande FM actuelle a de la place pour au moins 50 stations, et la bande AM en a pour davantage encore). Pour que notre hypothtique gang de millionnaires machiavliques obtienne la totalit des cent stations, il doit tre prt payer cent fois plus que la concurrence. Cela reprsente un montant proche dun trillion de dollars

    !

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    Il semble vident que les ondes seraient achetes par des capitalistes qui veulent diffuser ce que veulent entendre les clients, afin de gagner autant dargent que possible. Ils appartiennent peu prs la mme catgorie de gens que ceux qui possdent aujourdhui

    , soit environ mille fois le patrimoine total des plus riches particuliers du pays. Au lieu de cela, supposons quils puissent se procurer environ dix milliards de dollars (la fortune totale des dix ou vingt Amricains les plus riches) cela quivaut peu prs au montant que sont disposs payer les entrepreneurs qui veulent les stations pour des fins commerciales. Chaque groupe obtient 50 frquences. Les entrepreneurs diffusent ce que veulent entendre les clients, et obtiennent tous les clients ; les millionnaires hypothtiques diffusent la propagande quils veulent faire entendre aux clients, et nobtiennent aucun client, et dix ou vingt des hommes les plus riches dAmrique font faillite.

    3 UHF Ultra-High Frequency. Cest la bande de la tlvision franaise lexception de Canal + qui est en VHF (Very High Frequency). (N.d.T.) 4 Howard Hughes avait rachet une station de tlvision unique-ment pour y faire passer ses westerns prfrs. (N.d.T.) 5 1 trillion = 1 milliard de milliards. (N.d.T.)

  • les stations de radio. La plupart des stations plairaient aux gots de la masse, comme elles font actuellement. Mais sil y a neuf stations qui se partagent 90 % des auditeurs, une dixime station peut faire mieux en diffusant quelque chose de diffrent, recueillant ainsi la totalit des 10 % qui restent, au lieu dun dixime de la grande majorit. Avec cent stations, la cent unime pourrait gagner de largent avec un auditoire de 1 %. Il y aurait par consquent des stations spciales, pour plaire des gots particuliers. Il en existe aujourdhui. Mais ces stations ne seraient plus limites par le droit de veto quexerce actuellement la majorit par lintermdiaire de la FCC. Si vous tiez choqu par ce que vous entendez sur la station qui est la proprit de The Berkeley Barb, vous nauriez plus quune chose faire : changer de station.

    Les mdia fournissent un exemple frappant de la diffrence qui existe entre les effets de la proprit publique et prive, mais cest un exemple qui ne montre quune partie des inconvnients de la proprit publique. Car non seulement le public a le pouvoir dempcher les particuliers de faire ce quils souhaitent de leur propre vie, mais il dispose dune motivation positive pour exercer ce pouvoir. Si un bien est proprit publique, lorsque jen utilise une partie, je rduis dautant la quantit qui reste disponible pour vous. Si vous dsapprouvez lusage que jen fais, alors, de votre point de vue, vous considrez que je gaspille des ressources prcieuses ncessaires dautres usages plus utiles ceux que vous approuvez. Sous le rgime de la proprit prive, ce que je gaspille mappartient. Dans labstrait, vous pouvez dsapprouver le gaspillage que je fais de mon bien, mais vous navez aucune raison personnelle de vous donner la peine de men empcher. Mme si je ne gaspille pas mon bien, vous ny porterez jamais la main. Il servira simplement un autre de mes desseins.

    Ceci sapplique non seulement au gaspillage des ressources dj produites, mais aussi au gaspillage de mon bien le plus prcieux, savoir mon temps et mon nergie. Dans une socit de proprit prive, si je travaille dur, la consquence principale, cest que je menrichis. Si je choisis de ne travailler que dix heures par semaine, et de vivre sur un revenu proportionnellement bas, cest moi qui en fais les frais. En rgime de proprit publique, lorsque je refuse de produire autant que je le pourrais, je diminue la richesse totale disponible pour la socit. Tout membre de la socit peut protester, juste titre, en disant que par ma paresse je compromets les objectifs de cette socit, que jenlve le pain de la bouche des enfants affams.

    Prenons le cas des hippies. Nos institutions de proprit prive sont leur service, comme celui de tout le monde. On produit des conduites deau, des chemises teintes la main, on imprime des journaux clandestins et des exemplaires de Steal This Book6

    Ce sont les hommes de lEtat qui sont les ennemis : la police arrte les vagabonds ; les coles publiques veulent absolument faire couper les cheveux longs ; les hommes des Etats, tant sur le plan national que fdral, se lancent dans un programme intensif pour empcher limportation et la vente de drogue. Comme pour la censure la radio et la tlvision, cest en partie la majorit qui impose sa morale la minorit. Mais, cette perscution est due en partie la comprhension du fait que les gens qui choisissent dtre pauvres contribuent

    , tout cela sur le march libre. Les drogues sont distribues au march noir. Aucun capitaliste ne sarrte longtemps lide quil est immoral dtre dsintress et improductif et que, par consquent, il ne faudrait pas investir de capital pour produire des choses pour ces gens-l ; ou bien, si on est davis contraire, cest quelquun dautre qui investit le capital et tire le bnfice.

    6 Littralement : "Volez Ce Livre" (N.d.T.).

  • moins aux objectifs communs. Les hippies ne paient pas beaucoup dimpts. Cest un point qui devient parfois explicite : la toxicomanie est une mauvaise chose parce que le toxicomane ne porte pas sa part du fardeau . Si nous sommes tous des toxicomanes, la socit seffondre. Qui paiera les impts ? Qui repoussera lennemi tranger ?

    Cet argument a davantage de porte dans un Etat socialiste, comme Cuba, o une fraction beaucoup plus grande de lconomie est proprit publique. L-bas, apparemment, lquivalent de nos hippies ont t pris dans des rafles et envoys en camp de travail, pour y faire leur part de la rvolution.

    George Bernard Shaw, socialiste dune lucidit hors du commun, a prsent la chose agrablement dans The Intelligent Womans Guide to Socialism and Capitalism7

    Mais Weary Willie

    . 8

    Le service social obligatoire est si irrfutablement juste que le tout premier devoir dun Etat est de veiller ce que chacun travaille suffisamment pour payer sa part et laisser quelque chose en plus pour le bnfice du pays et lamlioration du monde.

    peut bien dire quil dteste travailler, et quil est tout dispos en prendre moins, tre pauvre, sale et dguenill, ou mme tout nu, pour le plaisir den faire le moins possible 1 Mais, comme nous lavons vu, cela ne saurait tre permis : la pauvret volontaire est tout aussi socialement pernicieuse que la pauvret involontaire : des nations convenables doivent absolument insister pour que leurs citoyens mnent une vie convenable, accomplissent entirement leur part de travail pour la nation, et tirent leur part entire de son revenu. La pauvret et lirresponsabilit sociale seront des luxes interdits. ()

    (extrait des chapitres 23 et 73)

    Prenons comme exemple plus actuel le mouvement du retour la terre, tel quil est reprsent par The Mother Earth News9. Sur le plan idologique, il est hostile ce quil considre comme une socit de consommation de masse, gaspilleuse et dnature. Cependant, les institutions de la proprit prive de cette socit servent ce mouvement, tout comme elles servent toute autre personne. The Mother Earth News et The Whole Earth Catalog10

    sont imprims sur du papier achet sur le march priv et vendus dans des librairies du secteur priv, ct dautres livres et magazines destins vous apprendre comment gagner un million de dollars dans limmobilier ou comment bien vivre avec cent mille dollars par an.

    Chapitre 2 Une digression ncessaire

    Jaffirmais prcdemment que, dans le cadre des institutions de la proprit prive, lindividu qui travaille dur en tire la majeure partie du bnfice. Ceci est diamtralement oppos aux ides socialistes sur lexploitation, que je traite au chapitre 8. Cest galement en

    7 Guide du Socialisme et du Capitalisme lusage de la Femme Intelligente. (N.d.T.). 8 Littralement signifie : Bill le Fainant, ou Bill le Fatigu de Naissance, ou Bill-Poil-dans-la Main. (N.d.T.). 9 Les Nouvelles de la Terre Mre. (N.d.T.) 10 Le Catalogue de la Terre Entire. (N.d.T.)

  • contradiction avec la conviction commune que, lorsquun individu devient plus productif, le maximum du profit est pour les autres. Cette conviction est en grande partie lorigine de la faveur du public pour lducation subventionne par les hommes de lEtat, les subventions publiques aux entreprises prives, et ainsi de suite. Il faudrait une dmonstration conomique assez longue pour traiter fond de cette question (jindique plusieurs rfrences en Annexe 2), mais lexamen attentif dun seul exemple permettra peut-tre plus facilement au lecteur dtudier lui-mme la logique dautres exemples.

    Imaginons quil y ait cent mdecins, faisant payer chacun 10 dollars la visite. A ce tarif-l, le nombre de visites que les patients souhaitent faire aux mdecins quivaut au nombre de consultations que les mdecins souhaitent avoir donnes. Si tel ntait pas le cas si, par exemple, il y avait des gens prts payer 10 dollars la visite, mais que les mdecins affichent complet le tarif changerait. Les mdecins pourraient augmenter leur tarif, et continuer davoir des carnets de rendez-vous remplis. A un tarif plus lev, quelques clients dcideraient de rendre visite aux mdecins moins souvent. La demande de services mdicaux baisserait en mme temps que laugmentation des tarifs, jusqu ce quelle gale la quantit de service que les mdecins seraient disposs offrir ce tarif.

    Je dcide de devenir le cent unime mdecin. Loffre totale de services mdicaux est accrue. Le tarif auquel loffre gale la demande baisse ; les mdecins ne reoivent que 9,90 $ par visite. Est-ce que jai fait du bien la socit en gnral ? Non. Considrons les visites au mdecin qui auraient eu lieu si je ne mtais pas tabli. Pour chacune de ces visites, le patient est maintenant plus riche de 10 cents, et le docteur est plus pauvre de 10 cents ; et tout compte fait, les gens ne sont pas plus riches. Considrons les visites supplmentaires que les gens rendent au mdecin du fait dun tarif infrieur. Ces personnes ont d considrer quune visite supplmentaire vaut moins de 10 dollars, sinon elles y seraient alles lancien prix. Elles doivent considrer quune visite vaut plus de 9,90 dollars, sinon elles niraient pas au nouveau tarif. Par consquent, les patients tirent un bnfice sur les visites supplmentaires, qui va de zro dix cents par visite supplmentaire la diffrence entre ce quils paient pour la visite, et la valeur quils lui attribuent. Mais moi, en tant que nouveau mdecin fournissant le service supplmentaire, je gagne 9,90 dollars par visite, tirant ainsi la plus grande partie du bnfice de ce que je produis. En effet, je produis un service qui vaut entre 9,90 et 10 dollars, et je le vends 9,90 dollars.

    Si le nombre total de mdecins tait bien suprieur cent (comme cest le cas), la baisse de tarif dune visite rsultant de ladjonction dun nouveau mdecin serait bien moindre. Plus ce changement est proche de zro, plus le nouveau mdecin arrive gagner 100 % de ce quil produit.

    Comme le suggre cet exemple, lerreur fondamentale dans lide que le bnfice de la productivit dune personne profite surtout aux autres, cest quelle ne tient pas compte du salaire que peroit la personne qui produit. Dans une socit de proprit prive qui fonctionne bien, le salaire, cest--dire le montant auquel une personne vend ce quelle produit, correspond autant que possible la valeur relle de ce produit pour les consommateurs.

    Cet argument repose sur mon acceptation du fait que le montant que le patient est dispos payer reprsente pour lui la vraie valeur de ce quil obtient cest un principe que les conomistes appellent la souverainet du consommateur . Supposons, dans un cas particulier, que je rejette ce principe. Je crois que la plupart des gens sous-estiment sottement limportance de rester en bonne sant, et quun homme qui est dispos payer seulement 10 dollars pour rendre visite au mdecin, obtient en ralit quelque chose qui vaut 20 dollars

  • seulement, il ne le sait pas. Jen conclus alors quun mdecin reoit seulement la moiti de ce quil produit.

    Le mme principe fonctionne en sens contraire. Si jestime quil est idiot de passer une soire assis dans un bar senivrer, jen conclus que les serveurs sont pays bien plus quils ne valent rellement , parce que leurs clients ont tort de penser que le serveur rend un prcieux service. Dans les deux cas, si jestime que la production de quelquun vaut plus ou moins que ce pour quoi il est pay, cela provient du fait que je refuse daccepter le jugement du consommateur sur la valeur de ce quil obtient. Naturellement, le socialiste ou le puritain suppose toujours que, si lEtat dcide de ce que les gens doivent faire, cest lui qui dcidera de ce quil fera, puisque ses valeurs lui sont les bonnes .

    Il ne rsulte pas dun tel argument que quiconque produit est sous-pay, car cela signifierait quon sous-estime la valeur de tout. Or toute chose est value en termes dautres choses ; largent nest quun intermdiaire commode pour les changes. Si je pense quune visite chez le mdecin vaut seulement dix dollars, je veux dire quelle ne vaut pas plus que les autres choses que je pourrais acheter avec cette somme. Si je sous-estime la visite chez le mdecin, il faut que je surestime les autres choses.

    Chapitre 3 Il ny a pas que lamour

    De plus en plus souvent non seulement la politique et les politiciens contribuent au problme, mais ce sont eux le problme.

    John Shuttleworth The Mother Earth News

    Une objection courante formule lencontre de la proprit prive, cest quil sagirait dun systme immoral parce quil repose sur lgosme. Or, ceci est faux. La plupart des gens dfinissent lgosme comme une attitude qui consiste ne soccuper que de soi et considrer le bien-tre des autres comme quantit ngligeable. Largument en faveur de la proprit prive est indpendant de ce choix thique ; il repose simplement sur le fait que des personnes diffrentes poursuivent des objectifs diffrents. Chacun est goste uniquement dans ce sens quil accepte et suit sa propre perception de la ralit, sa propre vision du bien.

    Cette objection est galement errone parce quelle prsente de fausses alternatives. Dans le cadre de quelque institution que ce soit, il nexiste essentiellement que trois moyens de me faire aider dune autre personne pour atteindre mes objectifs : lamour, lchange volontaire et lemploi de la force.

    Par amour, jentends que mon objectif se confond avec le vtre. Ceux qui maiment souhaitent que jobtienne ce que je veux (sauf ceux qui pensent que je suis trs born dans le choix de ce qui est bon pour moi). Aussi maident-ils volontairement et de faon dsintresse . Le mot amour est un terme trop limit. Vous pourriez galement partager mon objectif non pas parce que cest le mien, mais parce que, sous un certain rapport, nous percevons le bien de faon identique. Vous pourriez vous porter volontaire pour travailler ma campagne lectorale, non pas parce que vous maimez, mais parce que vous pensez quil serait bon que je sois lu. Naturellement, nous pourrions partager des objectifs communs pour

  • des raisons totalement diffrentes. Je pourrais penser que jtais prcisment ce dont le pays avait besoin, et vous, que jtais prcisment ce que le pays mritait.

    La seconde mthode de coopration, cest le commerce. Je consens vous aider atteindre votre objectif si vous maidez atteindre le mien.

    La troisime mthode, cest la force. Vous faites ce que je veux, ou je vous descends.

    Lamour plus gnralement, la participation un objectif commun marche bien, mais seulement pour un nombre limit de problmes. Il est difficile de connatre un trs grand nombre de gens suffisamment bien pour les aimer. Lamour peut tre source de coopration pour traiter daffaires compliques au sein de trs petits groupes de personnes, tels que les familles. Cela marche aussi pour permettre des groupes importants de personnes datteindre des objectifs trs simples dune simplicit telle quun grand nombre de personnes diffrentes peuvent tre tout fait daccord sur ces objectifs. Mais quand il sagit dun objectif complexe o se trouve engage une multitude de personnes la production de ce livre, par exemple a ne marche pas. Je ne peux attendre de tous les gens dont le concours mest ncessaire typographes, rdacteurs, libraires, bcherons, ouvriers des usines de pte papier, et mille autres encore de me connatre et de maimer suffisamment pour accepter de publier ce livre pour mes beaux yeux. Et je ne peux pas non plus attendre deux quils adhrent tous mes opinions politiques au point denvisager la publication de ce livre comme un objectif en soi. Et je ne peux pas non plus attendre de tous ces gens quils veuillent lire ce livre et soient, de ce fait, disposs participer sa production. Jai donc recours la seconde mthode : le commerce.

    Je contribue, en temps et en effort, la production du manuscrit. Jobtiens en change une chance de diffuser mes opinions, le rconfort dune satisfaction personnelle, et un peu dargent. Les personnes qui veulent le lire se procurent le livre. En change, elles donnent de largent. Mon diteur et ses employs donnent le temps, leffort et la comptence ncessaires pour assurer la coordination entre nous tous ; ils en retirent de largent et une certaine rputation. Bcherons, imprimeurs, et autres, fournissent leur effort et leur comptence, et reoivent de largent en change. Des milliers de gens, peut-tre des millions, cooprent une tche unique, chacun poursuivant ses propres objectifs.

    Ainsi, sous le rgime de la proprit prive, chaque fois que cela est possible, on emploie la premire mthode, celle de laffection. L o ce nest pas possible, on a alors recours au commerce.

    Lattaque porte contre la proprit prive pour son gosme met en opposition la seconde mthode avec la premire. Elle laisse entendre que le seul substitut possible au commerce goste , cest lamour dsintress . Mais, sous le rgime de la proprit prive, lamour fonctionne dj l o il peut. On nempche personne de faire quelque chose titre gracieux, sil le veut. Cest tout simplement ce que font beaucoup de gens les parents qui aident leurs enfants, les travailleurs bnvoles dans les hpitaux, les chefs scouts. Pour ce qui est des choses que les gens ne sont pas disposs faire gracieusement, sil faut remplacer le commerce par quelque chose, ce ne peut tre que par la force. Au lieu dtre gostes et de faire les choses parce quils le veulent, les gens seront dsintresss et les feront sous la menace dun fusil.

    Cette accusation est-elle injuste ? La seule autre possibilit offerte ceux qui se plaignent de lgosme, cest lEtat. Il est goste de faire quelque chose pour de largent, si bien que les taudis devraient tre nettoys par un corps de jeunes , enrls de force par lintermdiaire

  • dun service civique universel . En dautres termes, cela veut dire que le travail doit tre fait par des gens qui seront mis en prison sils ne le font pas.

    Une seconde objection souvent formule lencontre dun systme de proprit prive, cest que les ressources peuvent tre mal rparties. Un homme peut mourir de faim, alors quun autre a plus manger quil ne le peut. Cest vrai, mais cest vrai de tout systme de rpartition des ressources. Quiconque prend une dcision peut en prendre une que je rprouve. Naturellement, nous pouvons mettre sur pied une bureaucratie dEtat charge de nourrir les affams et de vtir ceux qui sont nus. Mais cela ne veut pas dire quils seront nourris et vtus. Il arrive un moment o une ou plusieurs personnes doit dcider qui aura quoi. Les mcanismes politiques, les bureaux et les bureaucrates poursuivent leurs objectifs propres, tout aussi srement que les entrepreneurs privs poursuivent les leurs.

    Si presque tout le monde est pour nourrir les affams, le politicien peut trouver quil est dans son intrt de le faire. Mais, dans ces circonstances, le politicien est superflu, puisque, de toute faon, une bonne me donnera manger laffam. Si la grande majorit se dresse contre laffam, il peut encore se trouver, dans la minorit, quelque bonne me pour lui donner manger mais lhomme de lEtat en tant que tel, lui, nen fera rien.

    Il ny a pas moyen de donner un homme de lEtat un pouvoir dont on ne peut se servir que pour faire le bien. Sil donne manger quelquun, il doit prendre la nourriture quelquun dautre la nourriture napparat pas comme par enchantement. Au cours de notre histoire contemporaine, en priode de paix, je ne connais quun seul cas o une multitude de gens sont morts de faim, alors que la nourriture tait disponible. Cela sest produit dans le cadre dun rgime conomique o la dcision dattribuer la nourriture tait prise par les hommes de lEtat. Joseph Staline dcida de quelle quantit de nourriture avaient besoin les habitants de lUkraine. Ce dont ils navaient pas besoin fut saisi par les hommes de lEtat sovitique et expdi ailleurs. Au cours des annes 1932 et 1933, plusieurs millions dUkrainiens sont morts de faim. Selon les chiffres sovitiques, au cours de chacune de ces mmes deux annes, lUnion sovitique a export environ 1,8 millions de tonnes de crales. Si nous acceptons un chiffre lev pour ceux qui sont morts de faim disons : huit millions il ressort que cette quantit de crales aurait procur environ deux mille calories par jour chacun dentre eux.

    Toutefois, dans lobjection du socialiste propos de la mauvaise rpartition capitaliste, il y a bel et bien un fait auquel je massocie, sinon dun point de vue conomique, du moins dun point de vue esthtique.

    Au fond du cur, nous croyons, pour la plupart, quil nexiste quune seule forme du Bien, et que, dans lidal, chacun devrait chercher latteindre. Dans un Etat socialiste parfait, conomie dirige, chacun fait partie dune hirarchie la poursuite du mme objectif. Si le seul vrai Bien rside dans cet objectif, cette socit sera parfaite dans un sens o ne peut ltre une socit capitaliste, dans laquelle chacun recherche le bien selon la perception propre quil en a, diffrente de lautre et imparfaite. Puisque la plupart des socialistes simaginent que lEtat socialiste sera contrl par des gens comme eux, ils se figurent que le gouvernement poursuivra le Vrai Bien celui quils peroivent de faon imparfaite. Cest srement mieux quun systme chaotique dans lequel toutes sortes de gens autres que les socialistes peroivent toutes sortes dautres formes du bien et gaspillent, les poursuivre, des ressources prcieuses. Les gens qui rvent dune socit socialiste envisagent rarement la possibilit que, parmi ces autres personnes, quelques-unes puissent parvenir imposer leurs objectifs celui qui rve, au lieu que ce soit linverse. George Orwell est la seule exception qui me vienne lesprit.

  • Une troisime objection faite lencontre de la proprit prive, cest que les hommes ne sont pas rellement libres tant quils ont besoin dutiliser la proprit dautrui pour imprimer leurs opinions, et mme pour boire et pour manger. Si je dois faire ce que vous me dites sous peine de mourir de faim, le sens dans lequel je suis libre peut servir un philosophe politique, mais il ne mest pas trs utile.

    Cela est assez vrai, mais cest vrai galement de tout systme de proprit publique et bien plus lourd de consquences. Un propritaire unique de toute la nourriture a bien plus de chances dexister si les choses sont la proprit des hommes de lEtat que si elles sont aux mains des particuliers ; car il y a tellement moins dEtats ! Le pouvoir diminue quand il est divis. Si un seul homme possde toute la nourriture, il peut me faire faire presque nimporte quoi. Si cette nourriture est divise entre cent individus, personne ne peut mobliger grand-chose pour que je lobtienne ; si lun dentre eux sy essaie, je peux toujours faire une meilleure affaire avec un autre.

    Interlude

    Jai parl dans labstrait de proprit prive et de proprit publique , et jai argument en faveur de la supriorit de la premire. Mais dans les socits actuelles, tant capitalistes que communistes , il y a un mlange dinstitutions qui reposent, et sur la proprit publique et sur la proprit prive. Je peux tre propritaire de ma voiture, mais ce sont les hommes de lEtat qui sont propritaires des rues. Jusquo peut-on pousser lide de proprit prive ? Y a-t-il des tches qui doivent tre faites, mais que, de par leur nature, il est inconcevable de faire titre priv, et qui, par consquent, doivent continuer tre ralises par les hommes de lEtat ?

    Je ne le pense pas. Il existe, il est vrai, certaines tches importantes qui, pour des raisons particulires, sont difficilement ralisables par des institutions o domine intgralement le systme de la proprit prive. Je crois que ces difficults sont en principe solubles et quelles peuvent trouver une solution dans la pratique. Je maintiens quil nexiste aucune fonction qui appartienne en propre lEtat. En ce sens, je suis anarchiste. Tout ce que font les hommes des Etats peut se diviser en deux catgories : ce dont nous pourrions nous passer aujourdhui, et ce dont nous esprons pouvoir nous passer demain. La majeure partie des choses que font les hommes de notre Etat relve de la premire catgorie.

    Le systme dinstitutions que jaimerais voir raliser en dfinitive serait entirement priv : on appelle parfois ce systme lanarcho-capitalisme, ou anarchie libertarienne. A certains gards, de telles institutions seraient radicalement diffrentes de celles que nous avons actuellement : leur fonctionnement ventuel sera examin assez longuement dans la troisime partie de cet ouvrage.

    Aprs avoir lu les quelques chapitres qui suivent, le lecteur pourra raisonnablement se demander pourquoi, si je nattends pas de lanarcho-capitalisme quil produise quoi que ce soit qui ressemble aux socits capitalistes historiques, je prends la peine de dfendre les antcdents historiques desdites socits. Certains anarcho-capitalistes ne le font pas. Ils admettent le bien-fond de bon nombre des attaques habituelles ladresse du capitalisme, mais ils soutiennent que tout serait diffrent si on pouvait se dbarrasser des hommes de lEtat.

  • Il sagit l dune chappatoire. Les tres humains et les socits humaines sont bien trop compliqus pour que nous ayons confiance dans des prdictions a priori sur le fonctionnement ventuel dinstitutions qui nont jamais t exprimentes. En ce qui concerne les socits capitalistes historiques, nous pouvons et devrions essayer de faire la distinction entre les lments qui ont t produits par des institutions fondes sur le principe de la proprit prive, et ceux qui sont le fruit de lintervention des hommes de lEtat. Aprs cela, nous devons fonder notre croyance dans le bon fonctionnement des institutions prives de lavenir sur lobservation du fait que ces institutions, dans la mesure o elles ont exist, ont fonctionn de faon satisfaisante.

    Chapitre 4 Robin des Bois est un vendu

    Ne demandez pas ce que lEtat peut faire pour vous. Demandez ce que les hommes de lEtat sont en train de vous faire.

    Beaucoup de gens qui acceptent le fait que la proprit prive et le march libre sont des institutions idales pour permettre chacun de poursuivre ses propres objectifs au moyen de ses propres ressources, rejettent le laissez-faire total parce quils croient que cela conduit une rpartition des richesses et des revenus qui est injuste, ou du moins indsirable. Ils admettent que le march rpond aux demandes des consommateurs, demandes exprimes par le fait quils sont disposs payer pour ce quils veulent, dune faon beaucoup plus sensible et efficace que le systme politique ne rpond aux demandes des lecteurs, telles que leurs votes les expriment. Mais ils prtendent que le march serait antidmocratique , du fait que le nombre de votes cest--dire le nombre de dollars disponibles pour la dpense varie beaucoup dune personne lautre. Ils affirment par consquent que les hommes de lEtat doivent intervenir sur le march pour redistribuer les richesses et les revenus.

    Cet argument considre avec justesse que le march libre a sa propre logique interne, ayant pour rsultat, par exemple, une rpartition ingale des revenus, indpendante des dsirs de ses partisans. Mais largument est inexact lorsquil traite du processus politique comme si celui-ci ntait pas lui-mme soumis ses dterminations propres. Il suppose tout simplement quon peut crer des institutions politiques pour produire tous les rsultats que lon souhaite.

    Imaginons que, il y a cent ans, quelquun ait essay de me persuader que les institutions dmocratiques pourraient tre utilises pour prendre largent de la majorit de la population au profit des pauvres. Jaurais pu rpondre de la faon suivante : Les pauvres, que vous voulez aider, sont largement surpasss en nombre par le reste de la population, qui vous avez lintention de prendre largent pour les aider. Si les non-pauvres ne sont pas assez gnreux pour donner de largent aux pauvres de leur plein gr par lintermdiaire de la charit prive, quest-ce qui vous fait penser quils seront assez stupides pour simposer par leurs votes le don de cet argent ?

    Il y a cent ans, cela aurait t un argument percutant. Aujourdhui, a nimpressionne plus autant. Pourquoi ? Parce quaujourdhui, les gens pensent que notre socit actuelle est une rfutation vivante de cet argument, qui prtend que les hommes de notre Etat transfrent bel et bien et cela depuis des lustres des sommes considrables dargent des non-pauvres aux pauvres.

  • Or, cest l une illusion. Il y a des programmes publics qui donnent de largent aux pauvres, tels que lAide aux Familles avec des Enfants Charge, par exemple. Mais ces mesures sont largement compenses par dautres qui ont leffet contraire des programmes qui portent prjudice aux pauvres pour le bnfice des non-pauvres. Il est presque certain que les pauvres seraient plus leur aise, si lon abolissait la fois les versements quils reoivent maintenant et les impositions, directes et indirectes. Examinons quelques exemples.

    Le systme public de retraite par rpartition est sans aucun doute le programme social le plus important des Etats-Unis ; ses versements annuels reprsentent environ quatre fois plus que ceux de tous les autres programmes sociaux combins. Il est financ par un impt dgressif denviron 10 % sur tous les revenus jusqu 7 800 dollars, et rien au-del de ce chiffre. Ceux qui ont des revenus infrieurs 7 800 dollars, et par consquent effectuent des versements annuels moindres, touchent moins dargent plus tard, mais la diminution des indemnits est moins que proportionnelle. Si le barme des impts et des paiements tait le seul lment significatif, le systme de retraite effectuerait une redistribution plus ou moins grande en prenant sur les revenus plus levs pour donner aux gens dont les revenus sont moins levs.

    Mais cela sajoutent deux facteurs qui en inversent presque certainement leffet. La plupart des paiements du systme de retraite prennent la forme dune rente annuelle, cest--dire dune somme verse par an partir dun ge dtermin (habituellement 65 ans), et cela jusqu la mort. Le montant total que reoit un particulier dpend de sa longvit au-del de soixante-cinq ans. Tous autres facteurs tant gaux, un homme qui vit jusqu 71 ans reoit 20 % de plus que celui qui vit jusqu 70 ans. Par ailleurs, la somme quun particulier verse au systme de retraite dpend non seulement du montant de ses cotisations annuelles, mais aussi du nombre dannes pendant lesquelles il cotise. Un homme qui commence travailler lge de 24 ans paiera des cotisations pendant 41 ans ; celui qui commence travailler 18 ans paiera pendant 47 ans. Les autres facteurs tant identiques, le premier paiera 15 % de moins que le second pour recevoir les mmes indemnits. Les paiements manquants viennent au dbut de sa carrire ; puisque les premiers versements disposent de plus de temps que les versements ultrieurs pour accumuler des intrts, lpargne effective est encore plus grande. En supposant un taux dintrt de 5 %, la valeur accumule des versements du premier homme, lge de 65 ans, slverait environ les deux tiers de la valeur accumule des versements du second.

    Les gens plus riches ont une esprance de vie plus longue. Les enfants des classes moyennes et suprieures commencent travailler plus tard, souvent beaucoup plus tard que les enfants des classes infrieures. Il ressort de ces deux faits que le systme de retraite est une bien meilleure affaire pour les non-pauvres que pour les pauvres. Pour autant que je sache, personne na fait une analyse actuarielle srieuse de tous ces effets ; ainsi ne peut-on faire que des estimations approximatives.

    Faisons une comparaison entre quelquun qui fait deux ans dtudes suprieures, et vit jusqu 72 ans, et quelquun qui commence travailler 18 ans, et meurt 70 ans. En ajoutant un tiers dconomie sur les versements un gain de 30 % sur les recettes (ici leffet de lintrt fonctionne dans lautre sens, puisque les versements supplmentaires dcoulant dune vie plus longue viennent la fin), jestime que, par suite de ces effets, le premier individu reoit environ deux fois plus pour son argent que le second. Je ne connais pas deffets contraires assez importants pour annuler cet tat de choses.

    Le systme de retraite nest nullement le seul grand programme tatique qui prend aux pauvres au profit des non-pauvres. On en trouve un second exemple dans les subventions

  • lagriculture. Etant donn quil sagit principalement de mesures publiques visant lever le prix des rcoltes, il est aliment en partie par des impts et en partie par des prix alimentaires plus levs. Il y a de nombreuses annes, je fis des calculs portant sur une partie des activits du Ministre de lAgriculture, en me basant sur des chiffres communiqus par ce Ministre ; javais estim que les prix alimentaires plus levs reprsentaient environ les deux tiers du cot total de cette partie du programme agricole que jtais en train dtudier. Les prix alimentaires plus levs sont lquivalent dune taxe dgressive, puisque les plus pauvres dpensent une plus grande proportion de leur revenu en alimentation.

    Des prix plus levs profitent aux agriculteurs en proportion de leurs ventes ; proportionnellement, le gros propritaire agricole en retire un bnfice plus lev que le petit. De surcrot, le gros propritaire a davantage les moyens de payer les frais juridiques qui lui permettent dobtenir le maximum de bnfice sur dautres volets du programme. Il est notoire que, chaque anne, un nombre considrable dexploitants ou de socits agricoles reoivent chacune plus de 100 000 dollars, et que quelques-unes reoivent plus dun million de dollars dallocations sur un programme prtendument cr pour aider les paysans pauvres.

    Cest ainsi que le programme agricole consiste en une allocation lgrement progressive (qui profite ceux qui ont les revenus les plus levs, en proportion plus importante que ce qui correspond leurs revenus), finance par un impt dgressif (qui impose aux revenus les plus levs des taxes proportionnellement moins leves). Il est donc vraisemblable de dire que ce programme a pour effet net de transfrer largent des plus pauvres aux moins pauvres, ce qui est une curieuse faon daider les pauvres. L encore, je ne connais pas de calculs prcis qui en aient mesur leffet global.

    On pourrait remplir des pages et des pages numrer des formes similaires de redistribution. Les universits dEtat, par exemple, subventionnent lducation des classes suprieures grce largent provenant en grande partie de contribuables relativement pauvres. La rnovation urbaine sappuie sur le pouvoir de lEtat pour empcher le dveloppement des taudis, processus auquel on se rfre parfois sous le nom de limitation du flau urbain . Pour les gens de la classe moyenne, qui se trouvent la limite des zones occupes par des gens bas revenus, il sagit l dune prcieuse protection. Mais le flau urbain , cest prcisment le processus par lequel un plus grand nombre de logements deviennent disponibles pour les gens bas revenus. Les partisans de la rnovation urbaine prtendent quils amliorent le logement des pauvres. Dans le quartier de Hyde Park, Chicago, o jai pass une grande partie de ma vie, on a dmoli de vieux immeubles composs dappartements bas loyers, et on les a remplacs par des maisons 30 000 ou 40 000 dollars. Une grande amlioration, pour les pauvres qui possdent 30 000 dollars ! Et il sagit l de la rgle, et non de lexception, comme la montr Martin Anderson il y a quelques annes dans The Federal Bulldozer.

    Il nest pas question de nier que les pauvres reoivent parfois des avantages de certains programmes dEtat. Tout le monde en retire quelque avantage. Le systme politique est lui-mme une sorte de march. Quiconque a quelque chose offrir : des voix, de largent, du travail, peut obtenir une faveur spciale, mais la diffrence est que celle-ci est obtenue aux dpens de quelquun dautre. Jaffirme par ailleurs que, tout compte fait, presque tout le monde est perdant. Que cela soit ou non le cas pour tout le monde, cest srement le cas pour les pauvres, qui ont moins que les autres offrir sur le march.

    On ne peut se contenter de dire : Cest lEtat daider les pauvres ! Il faut rformer limpt sur le revenu pour vraiment faire payer les riches ! Il y a des raisons pour que les choses soient comme elles sont. Cela aurait autant de sens que si un dfenseur du march libre

  • prtendait que, lorsquil tablira son march libre, celui-ci conduira des salaires gaux pour tout le monde11

    .

    Chapitre 5 Le riche senrichit et le pauvre aussi

    A mesure que se dveloppent le machinisme et la division du travail, le fardeau du travail saccrot aussi soit par la prolongation de la journe de travail, par laugmentation du travail exig dans un temps donn, soit par lacclration des cadences des machines, etc.

    La petite bourgeoisie, les petits industriels, etc. tous sombrent peu peu dans le proltariat mesure que la machine rduit presque partout le salaire un niveau galement bas.

    Louvrier moderne, au contraire, au lieu de slever avec le progrs de lindustrie, senfonce toujours plus bas au-dessous des conditions dexistence de sa propre classe.

    Karl Marx et Friedrich Engels Le Manifeste Communiste

    Lopposition aux institutions de la proprit prive a, pour une grande part, son origine dans les croyances populaires quant aux effets que de telles institutions auraient eus dans le pass, croyances qui, pour la plupart, ne reposent sur aucune preuve historique. Marx tait assez scientifique pour faire des prdictions davenir qui pouvaient tre prouves ou rfutes. Malheureusement, les Marxistes continuent de croire sa thorie, alors que cela fait belle lurette que ses prdictions se sont rvles fausses.

    Une des prvisions de Marx, ctait que les riches deviendraient plus riches, et les pauvres, plus pauvres, avec un anantissement progressif de la classe moyenne et un appauvrissement de la classe ouvrire. Dans les socits capitalistes de lhistoire, la tendance a t presque exactement linverse. Les pauvres sont devenus plus riches. La classe moyenne sest normment dveloppe, et inclut maintenant des gens que leur profession aurait autrefois dsigns comme appartenant aux classes ouvrires. En termes absolus, les riches sont devenus aussi plus riches, mais lcart entre riches et pauvres semble se refermer lentement, pour autant que lon puisse en juger daprs des statistiques trs imparfaites.

    Beaucoup de socialistes modernes affirment que les prdictions de Marx taient assez exactes pour un capitalisme de laissez-faire , mais que des institutions sociales dmocratiques comme des syndicats puissants, des lois sur le salaire minimum et des impts progressifs sur le revenu les ont empches de se raliser.

    Il est difficile de rfuter une affirmation propos dune chose qui aurait pu se produire. On peut noter que laugmentation gnrale du niveau de vie, tout autant que la diminution des ingalits, semblent stre produites assez rgulirement sur une longue priode, dans diverses 11 Tous les chiffres de ce chapitre, y compris la description de la cotisation du systme de retraite, se rfrent 1970 ; le taux de cotisation, ainsi que le revenu maximum soumis la cotisation ont, bien sr, considrablement augment depuis.

  • socits plus ou moins capitalistes. La part progressive de limpt progressif sur le revenu rcolte trs peu de revenu (voir Annexe 1) et na pratiquement aucun effet sur laccumulation de richesses par lintermdiaire des plus-values. Il semble que la loi sur le salaire minimum a pour principal effet de priver de leur emploi les ouvriers non spcialiss qui souvent, aux yeux dun employeur, ne valent pas le salaire minimum. (Cet effet se voit dans laugmentation spectaculaire du taux de chmage chez les adolescents de couleur, variation qui suit exactement les augmentations du salaire minimum.) Au chapitre prcdent, jai affirm que les politiques sociales nuisent aux pauvres, plutt que de les avantager, et accroissent lingalit, au lieu de la diminuer. Si cela a t vrai dans le pass, lgalit croissante que nous avons connue se fait malgr ces mesures, et non cause delles.

    Une autre version du mme argument, cest de prtendre que la grande dpression fut un effet authentique du capitalisme de laissez-faire12

    Peu de gens croient que le capitalisme mne inexorablement lappauvrissement des masses ; lvidence des preuves lencontre de cette thse est trop accablante. Mais lingalit relative est une question beaucoup plus difficile juger, et bien des gens croient que le capitalisme, laiss lui-mme, est lorigine dune ingalit de revenus croissante. Pourquoi ? Lessence de leur argument, cest que le riche capitaliste investit son argent, ce qui lui permet den gagner encore davantage. Ses enfants hritent largent, et continuent le processus. Les capitalistes deviennent de plus en plus riches. Ils doivent tirer dune faon ou dune autre leurs gros revenus des ouvriers qui sont en ralit ceux qui produisent les biens que consomme le riche, et qui de ce fait doivent sappauvrir. Cet argument implique apparemment que les ouvriers sappauvrissent dans labsolu, mais ceux qui avancent cet argument ont tendance supposer que le progrs conomique gnral rend tout le monde plus riche ; il sensuit que lappauvrissement est seulement relatif.

    , et que nous en avons t dlivrs par labandon de la politique du laissez-faire au profit des politiques keynsiennes. Cette controverse ne fait pas simplement lobjet dun livre, mais dune vaste littrature ; pendant quelques dcennies, elle fut au centre dun dbat parmi les conomistes. Ceux qui souhaiteraient voir le ct anti-keynsien en trouveront un expos dans The Great Contraction de Friedman et Schwartz. Ces auteurs prtendent que la grande dpression fut occasionne non pas par le laissez-faire , mais par lintervention des hommes de lEtat dans le systme bancaire, et quen labsence dune telle intervention, elle ne se serait pas produite.

    Affirmer que le capitaliste accrot son revenu aux dpens des ouvriers, cest ignorer le fait que l pargne est elle-mme productive , sujet que jexamine plus longuement au chapitre 8. La productivit accrue rsultant de laccumulation du capital est lune des raisons du progrs conomique gnral.

    Mme si le capitaliste investit tout le revenu quil tire de son capital sans en rien consommer, sa richesse naugmentera quau taux de rentabilit du capital, cest--dire le taux dintrt que peut lui rapporter son argent. Si le taux dintrt est infrieur au taux daugmentation de lensemble des salaires des ouvriers, la richesse relative des capitalistes diminuera. Par le pass, le taux daugmentation de lensemble des salaires sest lev de 5 10 % par an environ, ce qui est approximativement comparable au taux dintrt du capital. En outre, les capitalistes consomment une partie de leur revenu ; sils ne le faisaient pas, cela naurait pas beaucoup de sens dtre capitaliste. Comme le montre lAnnexe 1, dans le pass, la part totale du revenu national se transformant en capital dans ce pays a diminu rgulirement. 12 En franais dans le texte.

  • Naturellement, un capitaliste qui russit vritablement gagne beaucoup plus que le taux dintrt ordinaire de son capital, et cest de cette faon quil accumule une fortune. Cest ainsi qutant n avec un revenu bien infrieur, il peut se retrouver dans lincapacit de consommer une part substantielle de ses gains. Mais pour ses enfants, le scnario est diffrent : ils nont pas de talent spcial pour gagner une fortune, mais beaucoup de pratique pour la dpenser, de mme que leurs propres enfants. Les Rockefeller sont lexemple frappant du dclin dune grande famille. Son fondateur, John D. Rockefeller, tait un homme daffaires comptent. Ses enfants taient des philanthropes. Leurs enfants font de la politique. Acheter les postes de gouverneur dans deux tats na pas puis la fortune accumule par le vieil homme, mais cela doit en avoir ralenti la croissance.

    Marx ne se bornait pas prdire la pauprisation des classes ouvrires, il affirmait aussi que cette pauprisation tait dj en cours. Comme beaucoup de ses contemporains, il estimait que le dveloppement des institutions capitalistes et des mthodes industrielles de production avaient accru la misre, ds le dbut du XIXe sicle. Cest une conviction encore gnrale, qui se fonde sur une histoire contestable, et une logique encore plus contestable.

    A la lecture des textes o lon parle des longues journes de travail et des bas salaires dans lAngleterre et lAmrique du XIXe sicle, nombre de gens considrent quils constituent autant de preuves contre le capitalisme et lindustrialisation. Ils oublient que ces conditions ne nous semblent intolrables que parce que nous vivons dans une socit considrablement plus riche, et que, si notre socit est devenue si productive, cela est d en grande partie au progrs conomique ralis au XIXe sicle dans le cadre des institutions dun capitalisme de laissez-faire relativement sans contrainte.

    Dans les conditions conomiques du XIXe sicle, aucune institution, ft-elle socialiste, capitaliste ou anarcho-capitaliste, naurait pu produire du jour au lendemain ce qui, nos yeux, serait un niveau de vie dcent. Tout simplement la richesse ntait pas l. Si un socialiste avait confisqu le revenu de tous les capitalistes millionnaires pour le donner aux ouvriers, il aurait constat que ceux-ci ntaient gure plus riches quavant. Les millionnaires gagnaient bien davantage que les ouvriers, mais il y avait tellement plus douvriers que de millionnaires ! Il a fallu une longue priode de progrs pour aboutir une socit assez riche pour quon considre les conditions de vie du XIXe sicle comme celles dune pauvret misrable.

    Des gens plus srieux allguent que les conditions qui prvalaient pendant la Rvolution Industrielle, en particulier en Angleterre, devraient tre condamnes, par comparaison non pas avec notre niveau de vie actuel, mais avec des conditions de vie antrieures. Ctait l la conviction de nombreux crivains anglais de lpoque. Malheureusement, il y en avait peu parmi eux qui aient eu une vraie connaissance de la vie en Angleterre au sicle prcdent : on peut dduire leur ignorance daprs la description idyllique que donne Engels de la classe ouvrire anglaise au XVIIIe sicle.

    Ils navaient pas besoin de se surmener ; ils ne faisaient pas plus que ce quils avaient dcid de faire, et cependant ils gagnaient ce dont ils avaient besoin. Ils avaient loisir daccomplir un travail salutaire au jardin ou dans les champs, travail qui en lui-mme tait rcration ctaient des gens honorables , de bons maris, de bons pres de famille, qui menaient une vie conforme aux bonnes murs parce quils navaient pas la tentation dtre immoraux, puisquil ny avait point de tavernes ni de maisons de mauvaise vie dans leur voisinage, et parce que lhte de lauberge o ils allaient de temps autre se dsaltrer tait aussi un homme honorable, habituellement un gros mtayer qui se faisait gloire de son bon ordre, de sa bonne bire et