a. medvedkin & chris marker- booklet
TRANSCRIPT
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ALEXANDRE IVANOVITCH MEDVEDKINECHRIS MARKERCEUVRESCROISES
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ALEXANDRE IVANOVITCH MEDVEDKINECHRIS MARKERCEUVRES CROISES
textesrunisparBernardEisenschitz
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LeTombeaud'AlexandreparChris Marker
TOMBEAUn,m,3"Letambeaude",,compasitianpatique,oeuvremusicaleenI'han-neurde (qqn),Le Tambeaud'EdgarPae,de CharlesBaudelalre.."par Mallarm,LeTombeaudeCauperin,parRavel.
Alexandre Ivanoviteh Medvedkine est un einaste russe n
en 1900, (es entaillesque les presdefamille font auehambranle
des portespour mesurerlacroissaneede leur progniture,lesicle
les a traeessur sa vie : iI avait 17ans,e'tait I'insurrection d'oe-
tobre - 20 ans, la guerre eivile,et lui dans la eavalerierouge,avee
IsaaeBabel,- 38ans, les proesstaliniens,et son meilleur film Le
Bonheurattaqu pour boukharinisme ..,- 41ans, la guerre,et
lui en premire ligne, eamra au poing - et quand il meurt en
1989,e'estdans I'euphoriede la perestro'ika,eonvaineuque eette
causedu communisme a laquelle il avait consacrsavie trouvaitenfin la son aboutissement...
ras mal comme fil conducteur pour explorer la tragdie de
notre sicle,Son nergie,son courage,ses illusions, ses dsillu-
sions, ses compromissions, ses bagarres avee les bureauerates,
ses illuminations prophtiques, ses aveuglements, volontaires
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ou non, son humour indestructible et la lumire dchirante que
I'effondrement de I'URSS jette rtrospectivement sur toute sa
vie,ce sont ceux de toute une gnration,et c'est le portrait de
cette gnration que fai essay de tracer atravers le portraitd'un am...
4ras durer longtemps.Medvedkine rappelau studio allait mener
une trange carrirede dissident malgr lui :a chaque film, il se
proposait sincrement d'illustrer la ligne du Part. A I'arrive,
comme par un fait exprs,le film se retrouvait au placard,sous
les accusationsles plus saugrenues,comme le boukharinisme du
Bonheur.11concluait vertueusement une comdiesurralistesur
la reconstruction de Moscou, NovaiaMoskva,par un hommage a
Staline sans-qui-tout-~a-n'aurait-pas-t-possible,et le film tait
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Cet homme exemplairetait a peu prs inconnu aux annes
soixante. Son nom ne figure mme ras dans le dictionnaire de
Sadoul.Cest le hasardd'une projection du Bonheur a la cinma-
thque de Bruxelles(une main anonyme avaitjoint la copiea un
lot de films plus classiques,comme une bouteille a la mer) qui
m'a mis face a face ayer un homme que je croyais mort et
enterr.Cest I'airdu temps qui a permis a cette rencontrede se
concrtiserdans un petit film, LeTrainen marche,o pour la pre-
mire fois il racontait une exprienceunique, et compltement
oublie,datant de 1932: le Kinopoi"ezd,le Cin-train.
LE BONH~U,(
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'CYAT bE."' '(.lo
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6 qu'elledormait, il guettait les ras desflics dans I'escalieret pous-
sait un soupir de soulagement quand lis dpassaient son tage.
Viktor Diomen, le premier avolr dnich une copie du Bonheur,
totalement oubli, et ameutant tous ses amis au tlphone
{( Venezvoircequeje viensde voir.... Vladimir Dimitriev,I'homme
de la bouteille--Ia-mer,celui qui avait pris sur lui d'ajouter une
copie du Bonheur aux colis destines aux cinmathques tran-
gres,dans I'espoirqu'un jour quelqu'un ferait quelque chose...
Marina Goldovska.ia,I'auteur du Pouvoir des Solovki, dont le
tmoignage est particulirement prcieux, car de son statut
inattaquable d'historienne du Goulag elle refuse de juger le
communiste Medvedkine. {( Sesfilmsont tutilisspar uneido-
logie, qui me dit que les miens ne le seront pas par une autre ?
(Ellese souvient aussi de DzigaVertov {( un petit homme tristeet
ame~qui n'avait pas d'amis ). Et puis Nikola"iIzvolov : lui, tu-
diant au VGIK, se passionne pour I'expriencedu Cin-train, et
alorsque tout le monde, commencerparMedvedkinelui-mme,
tait sur que tout ce matriel encombrant avait disparu, il
retrouveles films.
Cest de cette ronde ophulsienne de rencontres, de
hasards,d'amitis et de dcouvertesqu'est fait ce DVD,dernier
bouquet dpos sur la tombe d'un homme unique, tmoin et
victime d'un siclequi ne le mritait ras.
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Corresponda ncespar BernardEisenschitz
Quelques dates, quelques rencontres. Les vies de Chris
Marker, cinaste fran~ais,et d'Alexandre Medvedkine, cinaste
sovitique,son ain de plus de vingt ans, se sont croises bien
des fois. La premire, c'tait grace un grand archiviste du
cinma, Jacques Ledoux,fondateur de la Cinmathque royale
de Belgique(ilapparaitdansLa Jete).QuandLedouxmontre
Marker le film de Medvedkine qui porte un des plus beauxtitres
qui soient,LeBonheur, il sait ce qu'il fait : le bonheur impossible
et poursuivi,c'est la trame de tous lesfilms de Marker.
La dcouvertede ce film tonnant est suivie par celle d'une
incroyable expriencede cinma communiste, le Cin-train, ou
les spectateurs deviennent acteurs et auteurs, exprience sans
suite - et pour cause - dans I'URSSdesannes 193.
Autour de 1967,des luttessocialeset de I'opposition la
guerre du Vit-nam, nait I'ide que le cinma devrait tre autre
chose qu'un film qu'on projette dans une salle pour un public
payant et docile. Un collectif de ralisateurs,SLON, se constitue
pour faire Loin du Viet-nam,coordonn par Marker. Celui-ci, la
mme anne, rapporte de Besan~on(avecMario Marret) un film
.......
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8 destinafaireconnaitrelecombatdesouvriersdeRhodiacta:
A bient6tj'espre.Mais ceuxqui ont tfilmes rpondentet
rpliquent,parlacrationd'ungroupedeformationet de pro-
ductionqui,a partirdemai1968,s'approprielesoutilsducinma
et prendle nomdeMedvedkine. Donneun poisson unhomme,tu le nourrispour unjou~apprends-Iui pche~tu le
nourrispourlavie,dit MedvedkineparlavoixdeMarkerdansLeTombeaud'Alexandre.
En1971,Medvedkineesten France.Markeret SLON sonori-
sentLeBonheuret en organisentla sortie,avecen prfaceunfilm d'unedemi-heure,LeTrainenmarche:d'abordun pome
pourimagesfixesetvoixdefemmesurlesannesvingtet leur
rvolutiondelaculture,suruncinmaquiinterviendraitdansles
rapportssociauxcommetmoinet dclencheursansrenoncer
en rena safonctiond'art,puisle rcitparMedvedkine,dansle
dp6tde locomotivesde Noisy-Ie-Sec,de I'expriencedu Cin-
train.LeMedvedkined'aujourd'hui estsouventtonnparlesproductionsdeSLON,etaucun participantdeSLONnesouscrirait laLettreamesamischinoisqueMedvedkinea tourne/'ander-
nier,critMarker.Maislecollectifn'entendpasausenspleinla
phraseducinaste:Noustionsimpitoyables.Or,I'adjectifne
peutpasavoirlememesenspourceuxqui luttentet pourceux
quisontaupouvoir.
communistes qui font semblant d'tre communistes , resume
Viktor Diomen, un des meilleurs critiques de la gnration du
Dgel.Comment traiter ce qui s'estpass? Cest en interrogeant
les imagesqu'il est possiblede faire le point. D'aborddes images
rapparues,qui n'existaientplusque par la parajede Medvedkine
et quelques photos; et si I'histoirea modifi notre regard,elles la
rcriventen retour.Lememeadjectif impitoyable appellele
gres plan,dans I'undesCin-trains,d'un paysanen gresplan avec
I'intertitrecondamntrefusill. Maislestournagesmemes
de Medvedkine et de ses enthousiastes ne sont pas moins impi-
toyablespourle tragiquegachisde la constructiondusocia-lisme . Lestitres des deux parties du film inversent I'ordre des
mots : le Royaume desombres et les Ombresdu royaume ".De meme,I'histoiredu cinma permeta I'auteurde ces lettres
de voir I'histoire par le cinema.
En 1988,sous le choc d'une autre tragedie, la mort d'Andre'
Tarkovski,Medvedkine avait dicte une retire video adresse a
Marker- encareune,aprscellequisertd'incipitauTombeau.La
lettre arrive "dans le film que Marker consacreen 2000 a sonami Tarkovski,Unejourne d'Andrei'Arsenevitch.Cest cette fois
du cinema sovietique que Medvedkine fait le deuil. Le vieil
homme, souvent humili mais jamais bris, paLIea la premire
personnedupluriel.Cenous"estillusoire:Aujourd'hui, t;ane
pourrait plus arriver".Oui,maisc'estarriv,enchainesoncorres-
pondant.Mais,commeI'esttoujoursle nous" deMarker,iIestaussioptimiste,et associeMedvedkinea I'avenirplusqu'ases
contemporains.
11faut attendre 1993,au terme du parcoursde vingt ans qui
aboutit au Tombeaud'Alexandre,pour constater la contradiction
radicaleentre lecavalierrougeMedvedkineet cequ'estdevenule
Levebolchevik.1993,Medvedkine est mort I'aubede la peres-
troika ", les vannes se sont ouvertes. Autrefois, trop de choses
devaient tretues,maintenanttrop de choses peuvent tre
dites. Satragdieestcelle d'uncommunistepuraupaysdes
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10 aussi. Bienmieuxqu'unestelecommmorative,LeTombeau
d'A/exandreest un film d'histoire, potiquement didactique,
histoire de I'URSS, histoire du cinma sovitique. Marker le
construit en forme de correspondance- n'est-il pas I'inventeur
de ce genre original: I'pttrecinmatographique? -, six lettres
avec leur accent familier, leur tour personnel, leur dsordre.
Posthumes certes, sans doute par ncessit : Avant, trop de
chosesdevaienttre tues ; maintenant trop de chosespeuvent
tre dites. Je vais essayer de te les dire. "
Tropde choses:cette abondanceet cette libert ne vont pas
sans retentir sur le dveloppementde I'exposmarkrien.Celui-
ci avancele plus souvent - tant dans I'image que le mot -a force
d'associations,rapprochements d'ides, liaisons capricantes du
type lpropos..." (on sait qu'elles conduisent gnralement
assez loin du propos), ou encare : Nous avons dit guerreoLa
guerre..." Un peu la formule du calembour (Commentvas-tu-yau
de pole? Ettoi-Ie a matelas?)ou du versen cho " dont le dic-
tionnaireencarefournitlemodelecanonique:Et /'on voit descommis
Mis
Commedesprinces
Qui sont venus
Unetragdieoptimistepar BarthlmyAmengual
Tombeau,dit ledictionnaire: recueildesouvenirs,depieces
composesl la mmoire d'une personne chere ou d'un person-
nage remarquab/e.Personnechere et personnage remarquable,
Alexandre Ivanovitch Medvedkine (1900-1989),cinaste sovi-
tique et communiste, est le ddicataire de ce Tombeau
d'Alexandre,rcentfilm de Chris Marker. Inconnu,Medvedkine
pouvait tre redcouvert p/usieurs fois. " En 1971,dans la mou-vancede mai 68,Marker,lgitimement enthousiaste,tournait Le
Trainen marche,qui nous rvlait I'existencede ce cinaste sin-
gulier, I'histoire de son entreprise la plus paradoxale : un Cin-
train d'agit-propdirectement constructive.Plusencare,il mettaiten circulation I'inclassablechef-d'ceuvremuet de Medvedkine :
LeBonheur(1934)- quelquechosecommeMlieset Mack Sennett
revuspar Eisenstein.
Nus
De /eurprovince.
Un exemple:photo du princeYoussoupovpriseen 1900 (iI parait
latrentaine).Photode Medvedkine n en 1900 (iIparaitaussila
trentaine ! ). Le premier tuera Raspoutine, le second fera des
films. Vousviviezdans deux mondesaussi e/Dignesque la Terre
de la planeteMars. "Images martiennes"d'Alita. Youssoupovest cousin du tsar.Crmoniedu tricentenaire des Romanov.Un
Aujourd'hui, dans les retombes dsenchantes de la
Perestroi'ka,Marker,fidelea unhommefidele,lesuitau longde
sa longue (et difficile) carriere, interroge ses films perdus et
retrouvs,ses parents,ses amis, sestmoins, un flot d'archives
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grosdignitaire humille un spectateur pauvre dans la foule des
pauvres.Noblesse rime ayer autocratie et clerg.Ce gros noble
rime ayer oppresseur et
exploiteur.Extraitdu Bonheur:
Khmyr, paysan miserable,
veut mourir. Militaires, gen-
darmes, pares et propritai-res le lui interdisent : Si le
paysan meurt,qui nourrira la
Russie? Un autre exemple: I'oprateurYakovToltchane,qui tra-
vailla pour Vertov,sesouvient :Meyerhold utilisait des imagesde
Vertov pour ses mises en scne.Topo sur Vertov, le cinastele
plus prochedeMedvedkine.
Medvedkine entendait le cinma d'ducation et de propagande.
C'est dans un petit film (muet) qui plaide pour I'hygine et la
propret dans I'arme.Un chat fait sa toilette. Un soldat fait la
sienne.Un autre prend une douche.Carton : la maladie est plus
dangereuseque lesblancs.Gracea un trucagesimple,une compa-
gnie entire est, par tapes,dcime (dans un plan general en
contre-jour).
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La critique, longtemps, s'est accorde pour reconnatre un
esprit giralducien chez le cinaste Marker (comme dans la belle
collection Petite Plantequ'il dirigea au Seuil). Giralducien
ou non, cet esprit est toujours prsent,ayer sa fantaisie grave,
ses lgances recherches,ses dtours littraires, et aussi ses
prciosits. lisfurent desdinosaures,dit la voix qui parle des
communistes imperturbablement rivs a leur engagement de
jeunesse, et I'image montre une gamine jouant ayer un dino-
saure-poupeen plastique.Troisou quatre imagesde chats,dont
une seule est justifie, jalonnent le film, relayes,dans un
entractefilm sans parajes,entre lesdeux parties (Chatcoutantlamusique),parcelles d'un chat puis deux (?)couchssur le cla-
vier d'un piano.Cechat musicien dort mais d'un
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'4 entierissudu film d'Eisenstein. pigraphe double entente:Medvedkine et ses pairs sont restes domines (aveugls ?) par
leur pass; Marker et nous,gens de gauche,devons repenserce
pass en en repensant les images. Peut-etre devrons-nous
encareles dsarmer,lesdpouillerde cetteforcequ'ellestenaient
de la ferveur,du gnie de leurs auteurs. Relire les films soviti-
ques, ceux du stalinisme en tout cas, est plus que legitime,
ncessaire. Mais comment n'y pas reconnaitre ce que nous
savonsaujourd'hui, avecle risque de trop savoir " ?
Je nepensepasquecesoitparseulemodestiequeChrisMarker
n'voquegure, ici, son Cin-train lui, ainsi que le groupe
Medvedkine dont il fut I'un des leaders,cr Besan~onen 1967
et oudesouvriersdbutaientdans cettedifficile entreprisede
prendre le cinmaentre leurs mains ". l'chec et I'honneur deMedvedkine ne sont-ils pas les siens aussi ? En 1971,Marker ne
met pas en doute les affirmations de Medvedkine, aux yeux
duquel Le Bonheur(1934)est un film authentiquementsocia-liste, loin de tout mensonge,de toute mystification servile.Pour
le Marker des annes 197, le rel,c'est le Cin-train de 1931et
1932,avecses mthodes novatrices.Lesouvriers-cinastesbison-
tins, le groupe SLON,vont s'eninspirer.Et LeBonheur? LeBonheur
demeure le pome, le levainde I'utopie,et qu'iI vailleou nevaille
plus pour I'URSSde 197est secondaire.11vaut pour les ouvriersbisontins.
Dans Le Tombeau d:Alexandre,Marker examine quelques
petitsfilms du Cin-train.On en a retrouvneuf.On en connait la
formule: Aujourd'hui nousfilmons. Oemainnousmontrons." lis
ne trichent pas avec la ralit, fut-elle sinistre ; ce serait leur
ngation puisqu'ils doivent faire prendreconscienceaux intres-
ss - cadreset travailleurs - de I'inadmissible et porter le corri-
ger. lis provoquent colres,remous,dbats acharns. Un cha-
meau de remontrance " les traverse (c'est un dessin anim).Medvedkine assure que ces films conduisaient des rsul-
tats concrets. (Aprs le passagede sa troupe, la direction de la
mine de Krivo.iRogdut modifier I'attelagedeswagonnets,ce que
les mineurs rclamaient depuis longtemps). Sans aucun doute
aura jou non la volante d'etre dupe mais I'illusion d'chelle,
quand, dans la joie de la juste victoire, peu semble beaucoup,toute avancesemble irreversible.
'5
l',1
Portes par I'tendueet la virulence du mouvement critique
que lasatire,la parodie,lecomique avaient autoris dans les pre-
mires et nouveau dans les dernires annes vingt (Rgine
Robin signale unesortedervolutionculturelle,presqueausenschinoisduterme",entre1928et1931),Medvedkine et ses trente
romantiques" n'yvont pasde main morte.DansCommentvis-tu,
camarademineur?,les responsables sont sur lasellette.llsvivent
de runionsetde parleries.Medvedkinecadreune carafe,un verre,
une sonnette,des pantalonstrous force d'treassis,un dossier
quis'ouvretout seul,un procs-verbalquis'yrangetout seul,ledossierqui prendplacetout seuldansune armoire quis'ouvre
pour le recevoiret se refermetouteseule.Cestunfragment.
.1o,
Marker soutient,surement raison,queLeBonheurestissu,nourridesconstatsaccablantsduCin-train.l'unedestrouvailles
capitalesdufilmn'est-ellepaslemasqueunique,joufflu,labouche
ouverte pour unperptuelhourra de commande,desessoldats,parfaiteexpressiondeleuruniformisation,de leur robotisation ?
(Un film de Medvedkine s'intituleMettonsfin /'impersonnalisa-
tion)DansledcorduBonheu~Marker reconnaitle paysage,lesbatiments,lesarbres I'abandon,lesordures,lafauchedelaLettre
aux kolkhoziens.Etsur levisage de Khmyr,le hros " pitoyable,
le dernierkolkhozienfainant",cen'estpas la peur des soldats
tsaristesqu'illit mais laterreurstalinienneau quotidien.
Comment pntrer la part deconsciencechezMedvedkine
(etsespairs),leursdiffrents niveauxde spontanit "?Lalecture
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16 catastrophiquemarkrienneduBonheurpourraittreprojete
surleCin-reil(u!reserie,1924)deVertov00elleseraitpourtant
prmature,LeCin-reilclbraitI'actionet laviedespionniers
entrevilleet campagne,Touty suintelednuement,lacrasse,
I'improvisationhativeet maladroite,I'indiffrencequasign-
rajeopposea la bonnevolantedequelques-uns,Celan'emp-
chait pas Vertov de magnifier I'entreprise,d'y dcelerun
embryondegrandeurau-deldeseslimitesdrisoires,11chantaituncommencement.Medvedkinesansdouteaura-t-il sontour
voulun'avoird'yeuxquepourdescommencements?
Aveccesraisonnements,jen'entendspascontredireMarker
maislerejoindre,Si I'ontientqu'unauteurvritablefait passer
dans sesceuvres,fut-ce inconsciemment,sa vritpretende,
quellesquesoientleursaffirmationsde surface; si I'onpense
quesaduplicitobligepeuttrela conditionde sasincrit
involontaire-volontaire,desesprotestationsultimes,alorson
pourra voir (ainsi Lonide Plioutch, ainsi Chris Marker), dans la
caricatureaffichedu pass(et mmedans I'encensementdu pr-
sent !),la caricaturepar prtermission du rel stalinien contem-
porain, (Plioutch fait remarquerque Khmyr,pauvreet malhabile,
devient un tire-au-flanc au kolkhoze, ce qu il n'tait pasoSans
libert,il ne sait plustravailler),Cela peut se soutenir du Bonheur
(lescenseursstaliniensn'y manquerentpastous),maisaussi
biendu PrdeBjine(un fils dnonceson perecommedansGrand-PeuretmiseredulileReich,deBrecht)etd'lvanleTerrible,
Montrerleblanctropblancrevienttoujours suggreraussilenoir,Lescrateurscommunistesfurentdesamesdivises,sou-
ventdchires,et leursrticences,leursrefusmme,ils lesvou-
lurentauservicedeI'utopie.Lukcsn'crivaitil pasdansI'undesesdernierstextes:Jeeraispouvoirdireentoutetranquillitquej'taisadversairedesmthodesstaliniennesalorsqueje eroyais
encaremoi-mmetrepourStaline?"
Cheminfaisant,le film de Markerillustre,sur quelques
exemples,commentle ralismeputdraperverssoncontraire,
mmehorsdetout espritde mystification,AinsiunephotodeI'assautdonnau Palaisd'Hiverlorsdesjournesd'octobreest
rgulierement tenue/donne pour un document historique,
C'estenfait un momentd'une actiondemasse, formedra-
matique originale propre I'poque,mi-jeu, mi-spectaclecollec-
tif, mise en scene par Nikolai Ivreinov dans un dcor de Youri
Annenkov le 8 novembre1920,avecle concoursde l'Armerouge.
Lecinma I'avaitfilme. Marker cite le plan entier et I'immobilise
I'instant juste 00 iI devient la clebrephoto,
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11n'apasde peine montrerquedans la Kino-Pravdade
Lnine(1924)Vertovmledesplanset desclairagesde studio
auxplansd'actualits;queledocumentaristeRomanKarmena
reconstitu(magistralement)lajonctiondedeuxarmessovi-
tiques autour de Stalingrad,On voqueraI'argumentationd'Eisensteinqui,pourAlexandreNevski,atournentlabataille
surle lacP'ipousgel(maissanscacherI'artifice): Nousavonsrduitle lara saformuleetdeslorsiIdevenait inutile defeindre[toutenfeignantquelquepeu]puisqu'ontenaitla vrit. l'artau servicedela vrit,lestalinismeI'instrumentaliseraau ser-
vice- tresmouvant- desintrtsdupouvoir.
Lefilm de Marker ledonne aussi voir: la guerre
-
18 Sans douteest-iltempsqueje rassemble,apportesparses
intimes,quelques dfinitions deMedvedkine.(CommeleRosebudde Kane,elles ne nous diront pas I'essentiel.Esprer le
fin mot d'un homme,celagarde-t-il un sens ?)
L'poquedelaguerrecivilefut lefondement desavie.Laguerre
civile tait sa jeunesse, une poque sacre. Ce qu'Alexandre
confirme: La Premierearme de cavalerie,c'tait une arme
romantique,/'poquelaplusfantastique dema vie. Satragdie
fut celled'un communistepUf au pays degens quifont semblant
d'etrecommunistes. Beaucoupsavaient; Vertov,Medvedkinene
savaientpos.11a cru la vritdesprocesoJe pensequ'aufond
de lui mon peretait croyant,i/savait toutessesprieres.11a bascul
d'unereligiondansuneautre.11voulaittravaille~I/fut toujours
sincere. l/sfurent desdinosaures.Aveclui talent et idologie
cessaientd'etreopposs. Fidele lui-meme,on ne peut ni /'en
loue~ni I'enblme~Artistetypiquedeson poque,c'estsondes-
fin qui n'apas t typique. I/fut hors du tempset marqupar
le temps(...)un tempsou lapersonnen'existaitpas; on pouvait en
faire cequ'on voulait.
Commentfinir ?s'interrogeChrisMarkertoutenessayantunefin.Avecdeschevaux,sichersaucceurdeMedvedkine,trai-
tseneffetsspciaux,ou avecdeschantsrussessurI'imagede
satombe?CeseraitIyrique,maisceIyrisme,en '992,n'estplus
demise.C'estlemoinsqu'onpuissedire.DuvieilAlexandrequi
serjouissaitdesavancesdela perestro'lka,sesfamiliersnousassurentqu' i/seraitterriblementd
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20 Et cette cit minire,est-cevraiment la cit du bonheur ?)
Alexandre est de bonne foi. 11y croit encare( la Rvolution,
au cinma,au cinma rvolutionnaire).
Mais I'image de ce koulak destin etre fusill pour avoir" volle bl du kolkhoze ?
Quant au montage cinmatographique (" qui n'estqu'un cas
particulierdugrandprncipegnraldumontage, comme disait
Eisenstein),memeun " gauchistedu montagecommeVertov
commenceentrevoirquelemotmemedemontagepeutavoir
desacceptionsmanipulatricesmoinsludiquementpistmolo-giquesquecellesdeshommes lacamra...
Evoquant" lapartdeconscientetd'inconscientdanslesima-
ges,letextegravedeMarkerprecisealors:" Maismonproposestd'interrogerlesimages,etc'taitla terreur
Commeil nemanquerapasdebonsesprits(commeAmengual)pourvoirdanslapr-seneeduehatGuillaumedanseeDVDunenouvellepreuvedeI'obstinationdeMarker
coserdesflinspartout,il n'estpasinutiledeprciserqueeet"entr'aete"danslaprsen-taliondufilm surArtefut uneinitiativedeThierryGarrel- laquellelesauteursontvi-demmentsouscritaveeenthousiasme.
Chatcoutantlamusiquepar Jean-Andr Fieschi
Mais revenons nos chats.
11y en a beaucoup chez Marker :je veux ici parler de celui
- Guillaume-en-Egypte - qui setrouve la pliure desdeux partiesdu Tombeaud'Alexandre,en entracte.
II s'agit,dit le carton d'introduction, d'un "Chat coutantdelamusique.
11n'est pas inutile d'indiquer ce qui precedece chat-I danscefilm-I.
Atraversla bellefigure d'AlexandreMedvedkine (1900-1989),(re)dcouverte par Chris Marker, qui diffusa LeBonheur(1934)en1971,Medvedkine,cavalier de l\rme rouge comme Isaac Babel,
organisateur des Cin-trains (" filmer aujourd'hui / montrer
demain),il s'agit d'une mditation sur I'euphorie,au debut desannes1920 en URSS,d'unedoubledcouverte: cellede la
Rvolution(d'octobre)et celledu montage (cinmatographique).
Juste avant que le chat n'coute la musique, la premire
euphorie, celle d'Octobre, cede la place des questions moins
enthousiasmantes,concernantles" mauvaiscats de laviedans
les rpubliques.(pourquoitravaille-t-onsi mal dansles kolkhozes?
Cest lqu'intervientI'couteduchat.
Etc'estunchatdemontage.
Unchatmorcelenvingt-cinqfragmentsdechatdiscontinu
(memes'ils'agitdu memechat),alorsquelamusiqueintimede
Mompou,elle,sedroulecontinOmentsurunpeumoinsdetroisminutesdedureinscable.
Cechatn'estdoncrasdutout lememeanimalcinmatogra-
phique(nimusical)queI'lphantduplan-squencedeSlonTango.Cest unchatfabriqu,unmensongedechat(memes'ilest
vrai).
Maiscoute-t-ildavantageMompouqueI'lphantStravinsky?
Peut-etre.Allongsurunclavier00il sembleraitbienquesa
pattelastiqueveuilleparfoiss'essayer quelqueaccordpares-seusementesquiss,aussitataboli,entourd'enceintesetdecli-
gnotantslumineux,habitantI'espacetechnologiqueauseinde
I'espacemusical(ouI'inverse),cechatdecinastedresseparfois
21
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22 I'oreilleI'missiond'unenotehaute(maisc'taitpeut-treaubruitd'unecuillrecontreunetassedeth),ous'tire I'arpge.
CechatmentoMais en vrit,il ne mentras. 11est I'hte
vaguementindiffrentd'unmensonge(d'unemanipulation)qui
vientservirlavrit,d'unepauseou sed-monteet sedmon-
tre,enentracte,larhtoriqueducinma(etcellede laterreur).
C'estunmensongequidit lavrit.Celledumenteur.
Celledu monteur(pourquitouteschoses, ladiffrencedu
chatdeKipling,nesevalentras).Dors,beauchat, I'ombredu Tombeaud'Alexandre: ou la
solitudesefait musique.
Jean-AndrFieschi," Poulpeau regarddesoie! ",in J.-A.Fieschi,r Tort,r Lacoste,LAnimalcran,Paris,CentreGeorgesPompidou,Supplmentaires,1996.
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25
Le Cin-trainparNikola'ilzvolov
AlexandreMedvedkineinventeI'idedu Cin-train(kino-
poiezd)pendantunepromenadeavecsonami et collguedeGosvoenkino,Mikha"ilGuindine.Lecinmaentempsdeguerrese
doitd'treoprationnel,indpendantdeconditionsextrieures
etpercutant,telestI'avisduralisateuretdeI'oprateurdustu-diodel'Arme.
LorigineduCin-trainn'estsansdoutepasa chercherdans
les agit-trains (trainsdepropagande)delaguerrecivile.Sonanctreestplutotletrainblind,unitcompltementautonome
qui,enguerre,partaitlaou ille fallaitetnonlaouc'taitpossible.LediscoursdeMedvedkineestmailld'expressionsdutype cinmaacourtedistance}}, commeondiraitfeuacourtedis-
tance }}.
Beaucoupdegensfontdesdcouvertesaucoursdeprome-
nades.LaparticularitdeMedvedkinetientacequ'illesconcr-tise immdiatement.Lesofficielsducinmarefusenttout net:
quia besoind'unstudiosansbutlucratif,indpendantetchap-
pantaucontroleidologique?MedvedkinetrouveunsoutienaudpartementdelapropagandeduComitcentraletobtientI'accord
-
26deSergoOrdjonikidzenpersonne.Quelqueswagonssuranns,
modele1916,sontramnagsselonlesplansdeMedvedkine,quislectionnescrupuleusementI'quipecrativedu Cin-train:un
collectijderomantiques".SeulNikola'iKarmazinskiestunra-
lisateuret monteurexperiment(commeMedvedkine,il a la
trentainepasse),touslesautres,oprateurset assistants,sontdbutants.
Danscesfilms,onvoitledirecteurd'undpotdelocomotives
fuyantlacamra,unproltairesouriantdansdeschiottesenbois
dontlaporteestarrache,lesvisagesmeurtrisdekoulaksdnoncs.
La rapiditdu tournagefait rever:pendantqueMedvedkine
dirigeleCin-train,72films(91bobines,entout24965mtres)
sontralissen294journesdetravail.Lefilmconsacra lamise
en servicede I'usinehydrolectriquedu Dnieprest montrle
jour memesurplace,et lelendemaina Moscoueta Kiev.
Outrela directiongnrale,Medvedkinerdigedesscna-
rospourluiet lesautres,tourneessentiellementdescomdies
defiction: Tite,Prolioubov(De/'amour),Dyra(Trou),Zapadnia
(Pige)- troitementlies,ellesaussi,a I'endroitou leCin-trainstationne.Lapressene dbordepasd'attentionpourle Cin-
train,apartquelquesinformationsdansKinoetunarticledansPro/etarskoi'eKinoconsacra lavisiteauxmanceuvres.IIestvi-
dentqueMedvedkineestloindesrdactionsde la pressecin-
matographiqueet plusgnralementdela lignedominantedu
cinmasovitique.Medvedkinen'envisagepassa crationcommeuneexp-
riencea courttermeet,enquittantleCin-train,lile laissesous
la responsabilitdeJakovBliokh.Letrain fonctionnejusqu'en
1935et prendlenomdeK.E.Vorochilov,cequisemblebienetre
I'uniquesigned'attentionaccordparlesautorits.l:exprience
acquiseneserapasapprciedanslepays.PrivdeI'nergiedeMedvedkine,letrains'teintaprsavoirfait pendantlesannes
suivantessixvoyages,autantqu'enunanavecMedvedkine.
Le25janvier1932,leCin-trainpartpoursonpremiervoyage.Sonobjectifprincipalestla liquidationdesretards" surlesgrandschantiersindustrielsdu premierquinquennat.TouslesmembresdeI'quipedoiventtrouverlesthmesa traiter,crire
les scripts,tourner,organiserdes projectionset des dbats
autourdesproblmessoulevs(lesprojectionssont dlibr-
mentdpourvuesd'accompagnementmusical)- et,parlasuite,
vrifierles rsultatsobtenus.Leprncipedu retourimmdiat,
con~uetmisenpratiqueparMedvedkinelorsdesonpassageau
Gosvoenkino,sereveled'uneefficacitredoutable. Maisquefaltes-vous,cherscamarades?"interpellentlespremierstitresdeplusieursdecesfilms.Lesfilmsdu Cin-traindissquentla vie,interrogentles relationsde causea effet,deviennentvne-
mentsa leurtour.Lecontactimmdiatfait naitreunemultitude
de films polmiques: film-Iettre,film-dfi, film-confrencier,film-
procureur,film-rapport (et contre-rapport).Les sancessedroulenta I'opposdessanceshabituelles,ou le film a un
auteur,tandisquelespectateurresteanonyme.lnversement,les
filmsduCin-trainnesontpastoujourssignsparlescinastesmaisparlesspectateurs,auteursencollaborationavecleCin-
trainet la presselocale.Toutobjetdetournage,et doncspecta-teur,sal d'avanceou,quandetdansquelroleil severra(lereve
desthoriciensdesnouveauxmedias1),et ila lapossibilitdeserhabiliteraprs,sibesoinest.
In B.Eisenschitz(dir.),Gelset Ogels,Une outre hlstolre du cinmo sovitfque(1926-1968),Paris.Centre Pompidou-Mazzotta, 2002.
27
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28 Apparaissentdanslefilm
LeTombeaud'AlexandreDVD 1- Le Bonheur 29
PERSONNAGES:
Alexandre IvanovitchMedvedkine, cinaste.1Iapparait dans
trois films de ChrisMarker: LeTrainenmarche (1971),LeTombeaud'Alexandre
et Unejourne d'Andrei'Arsenivitch(2001)
Unfiim muetd'AiexandreMedvedkine-1934 - 64mnimage, Gieb TroyanskyAvee Piotr Zinoviev,Elena Egorova, Lidia Nevaeheva
Aecompagnement musical, SLON - Musique, Modeste MoussorgskiPereussions ,Miehei Fano
Nikola"l(Kolia) Izvolov, historien ducinma,spcialistedeMedvedkineLev Rochal,historien du cinma
Kira Paramonova,professeur de cinma, amie de Medvedkine
Viktor Diomen, historien et critique de cinma, ami de MedvedkineYouli Ra"lzman,rallsateur
Marina Kalasieva,jeune historienne du cinma, spcialistede Medvedkine
Chongara Medvedkina, fille d'Alexandre Ivanovitch
Vladimir Dmitriev, directeur adjoint du Gosfilmofond
(cinmathque d'Etat), ami de Medvedkine
Antonina Pirojkova,veuved'lsaac Babel
Yakov Tolchan,camraman de DzigaVertov,ami de Medvedkine
Rhona Campbell,jeune actrice prsentant lesfilms deVertov au muse ducinma de Londres
Albert Schulte, industriel allemand, ami de Medvedkine
Sofa Pritouliak, monteuse de Medvedkine
Marina Goldovska'ia,ralisatrice
Youri Koliada,camraman
COMPLMENTS :
MEDVEDKINE ET L'AVENTUREDU CIN-TRAIN
Mnage ta sant! (Beregizdorovie)- 9mnPlakat-pamiatka (affiche-aide-mmoire)Production :Gosvoenkino (studio de I'armeentre'927et1929)
Cin-trains
JournalN"4(GazetaN.4)- 10 mnPremiervoyage (Dniepropetrovsk,25janvier-21mars 1932)
Commentvis-tu,camarademineur?
(Iakjivech,tovarichouguirnik ?)- 9mnDeuximevoyage(Krivoi Rog,ler avril-30 mal1932)Ralisation :Nikola"lKarmazinsky
Oprateur ,E. Vogorov
LeConvoyeur(Konveyer)-11 mnCinquime voyage (Dnieprostro"l,5-11octobre 1932)Ralisation: Boris KimOprateur :M. Lifchitz
Gnrique du film
LeTombeaud'Alexandre
L'INTGRALlTDU MONOLOGUE D'ALEXANDRE IVANOVITCHMEDVEDKINE - 17mn(extraitdufilmLeTrainenmarchedeChrisMarker aveclavoixde
Fran
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Pourlasort;eensallesduBonheur,Jean-MichelFolonavaitcomposunchevalmultipattes,inspirdu koniokde
Medvedkine,quiestdevenulgendaire.