profil du myélome multiple des os en consultation ... · en 21 ans ont souffert de myélome...

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48 Revue Marocaine de Rhumatologie ARTICLE ORIGINAL Profil du Myélome Multiple des os en consultation rhumatologique à Lomé (Togo). Profile of Multiple Myeloma among rheumatology inpatients in Lomé (Togo). Kakpovi Kodjo 1 , Oniankitan Owonayo 2 , Houzou Prénam 1 , Koffi-Tessio Viwalé ES 1 , Tagbor Komi C 1 , Fianyo Eyram 1 , Mijiyawa Moustafa 1 1 Service de Rhumatologie, CHU Sylvanus Olympio, Lomé - Togo. 2 Service de Rhumatologie, CHR Lomé Commune, Lomé - Togo. Rev Mar Rhum 2014; 27: 48-53 Résumé Objectif : L’incidence réelle du myélome multiple qui est le plus fréquent des cancers primitifs osseux de l’adulte semble mal connue en Afrique Noire. Objectifs : déterminer le profil épidémiologique, clinique, paraclinique, thérapeutique et évolutif du myélome multiple des os. Matériels et méthodes : Il s’agit de l’étude d’une série de cas sur dossiers de patients hospitalisés pour un myélome multiple satisfaisant aux critères du SWOG. Résultats : 59 des 2881 patients (2%) hospitalisés en 21 ans ont souffert de myélome multiple des os. L’âge moyen à l’admission était de 56 ans et la durée moyenne d’évolution de 15 mois. Il existait une légère prédominance féminine avec un sex- ratio de 1,1. Les circonstances de découvertes et les signes physiques étaient dominés par les douleurs osseuses dans 93,2 % des cas avec comme siège principal le rachis dans 69,5 % des cas. Les lésions radiologiques étaient retrouvées dans 96% des cas. Le pic monoclonal était évocateur dans 67,7% des cas avec une nette prédilection pour la zone gammaglobuline (65%). Le pourcentage moyen de plasmocytes était de 31,5%. Selon le type d’Immunoglobuline, une prédominance des myélomes à Ig G dans 66,6% des cas. Les chaînes légères Lambda étaient prédominantes (55,6%). Le myélome excrétant était la forme clinique la plus retrouvée (66%). La chimiothérapie faite essentiellement de Melphalan, associé à la prednisone a été la plus utilisée (69,4%). Au plan évolutif, 86,4% de nos patients étaient découverts au stade III. La rémission a été obtenue chez 12 patients, 24 cas de décès, 24 cas de perdus de vue et 11 cas sont encore sous traitement. Conclusion : Le myélome multiple des os reste actuellement une maladie incurable souvent fatale. Son diagnostic est tardif et sa prise en charge très limitée en Afrique subsaharienne. Mots clés : Maladie de KAHLER; Epidémiologie; Myélome multiple ; Afrique noire. Abstract Objective : The incidence of myeloma Multiple myeloma (MM) which is the most common bone primitive cancer in adulthood seems poorly known in Black Africa. Aim of the work: To determine the epidemiological, clinical, paraclinical and therapeutic profile and the evolution of multiple myeloma in patients admitted to the Rheumatology Department in Lomé (Togo). Materials and methods : A retrospective study was conducted over 21 years on records of hospital patients admitted for multiple myeloma satisfying the SWOG criteria. Results : Fifty nine of 2881 (2%) patients admitted suffered from multiple myeloma of the bone. The mean age at admission of those 59 patients (31 women, 28 men) was 56 years while the mean disease duration was 15 months. The main manifestation of patients with multiple myeloma was the inflammatory bone pain (93.2%). The spine was the main area of pain (89.65%). Radiological lesions were observed in 96% of cases. The monoclonal peak was evocative in 67.7% of cases with a clear predilection for the gamma globulins (65%) area. The mean percentage of plasma cells was 31.5%. Depending on the type of immunoglobulin, a predominance of Ig G was observed in 66.6% of the cases. Lambda light chains were observed in 55.6%. Myeloma excreting was the most clinical form observed (69.5%). The association Mephalan and Prednisone has been the most protocol used in 57.6% of the cases. In evolutionary terms, 86.4% of our patients were discovered in stage III. Remission was observed in 12 patients, 24 cases of death, 24 cases of lost and 11 cases are still under treatment. Conclusion : Multiple myeloma is currently an incurable disease that is often fatal. His diagnosis is late and its support very limited in sub-Saharan Africa. Key words : KAHLER disease; Epidemiology; Multiple Myeloma; black Africa. Correspondance à adresser à : Dr O. Owonayo Email : [email protected] Disponible en ligne sur www.smr.ma

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Revue Marocaine de Rhumatologie

A R T I C L E O R I G I N A L

Profil du Myélome Multiple des os en consultation rhumatologique à Lomé (Togo).Profile of Multiple Myeloma among rheumatology inpatients in Lomé (Togo).

Kakpovi Kodjo1, Oniankitan Owonayo2, Houzou Prénam1, Koffi-Tessio Viwalé ES1, Tagbor Komi C1, Fianyo Eyram1 , Mijiyawa Moustafa1

1 Service de Rhumatologie, CHU Sylvanus Olympio, Lomé - Togo.2 Service de Rhumatologie, CHR Lomé Commune, Lomé - Togo.

Rev Mar Rhum 2014; 27: 48-53

RésuméObjectif : L’incidence réelle du myélome multiple qui est le plus fréquent des cancers primitifs osseux de l’adulte semble mal connue en Afrique Noire. Objectifs : déterminer le profil épidémiologique, clinique, paraclinique, thérapeutique et évolutif du myélome multiple des os.

Matériels et méthodes : Il s’agit de l’étude d’une série de cas sur dossiers de patients hospitalisés pour un myélome multiple satisfaisant aux critères du SWOG.

Résultats : 59 des 2881 patients (2%) hospitalisés en 21 ans ont souffert de myélome multiple des os. L’âge moyen à l’admission était de 56 ans et la durée moyenne d’évolution de 15 mois. Il existait une légère prédominance féminine avec un sex-ratio de 1,1. Les circonstances de découvertes et les signes physiques étaient dominés par les douleurs osseuses dans 93,2 % des cas avec comme siège principal le rachis dans 69,5 % des cas. Les lésions radiologiques étaient retrouvées dans 96% des cas. Le pic monoclonal était évocateur dans 67,7% des cas avec une nette prédilection pour la zone gammaglobuline (65%). Le pourcentage moyen de plasmocytes était de 31,5%. Selon le type d’Immunoglobuline, une prédominance des myélomes à Ig G dans 66,6% des cas. Les chaînes légères Lambda étaient prédominantes (55,6%). Le myélome excrétant était la forme clinique la plus retrouvée (66%). La chimiothérapie faite essentiellement de Melphalan, associé à la prednisone a été la plus utilisée (69,4%). Au plan évolutif, 86,4% de nos patients étaient découverts au stade III. La rémission a été obtenue chez 12 patients, 24 cas de décès, 24 cas de perdus de vue et 11 cas sont encore sous traitement.

Conclusion : Le myélome multiple des os reste actuellement une maladie incurable souvent fatale. Son diagnostic est tardif et sa prise en charge très limitée en Afrique subsaharienne.

Mots clés : Maladie de KAHLER; Epidémiologie; Myélome multiple ; Afrique noire.

AbstractObjective : The incidence of myeloma Multiple myeloma (MM) which is the most common bone primitive cancer in adulthood seems poorly known in Black Africa. Aim of the work: To determine the epidemiological, clinical, paraclinical and therapeutic profile and the evolution of multiple myeloma in patients admitted to the Rheumatology Department in Lomé (Togo).

Materials and methods : A retrospective study was conducted over 21 years on records of hospital patients admitted for multiple myeloma satisfying the SWOG criteria.

Results : Fifty nine of 2881 (2%) patients admitted suffered from multiple myeloma of the bone. The mean age at admission of those 59 patients (31 women, 28 men) was 56 years while the mean disease duration was 15 months. The main manifestation of patients with multiple myeloma was the inflammatory bone pain (93.2%). The spine was the main area of pain (89.65%). Radiological lesions were observed in 96% of cases. The monoclonal peak was evocative in 67.7% of cases with a clear predilection for the gamma globulins (65%) area. The mean percentage of plasma cells was 31.5%. Depending on the type of immunoglobulin, a predominance of Ig G was observed in 66.6% of the cases. Lambda light chains were observed in 55.6%. Myeloma excreting was the most clinical form observed (69.5%). The association Mephalan and Prednisone has been the most protocol used in 57.6% of the cases. In evolutionary terms, 86.4% of our patients were discovered in stage III. Remission was observed in 12 patients, 24 cases of death, 24 cases of lost and 11 cases are still under treatment.

Conclusion : Multiple myeloma is currently an incurable disease that is often fatal. His diagnosis is late and its support very limited in sub-Saharan Africa.

Key words : KAHLER disease; Epidemiology; Multiple Myeloma; black Africa.

Correspondance à adresser à : Dr O. OwonayoEmail : [email protected]

Disponible en ligne sur

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Profil du Myélome Multiple des os en consultation rhumatologique à Lomé (Togo).

Le myélome multiple (MM) est le plus fréquent des cancers primitifs osseux chez les adultes, représentant environ 1% de tous les cancers diagnostiqués aux Etats-Unis en 2004 et 14% de toutes les affections malignes hématologiques. Son incidence annuelle est de 3 à 4 cas pour 100 000 habitants aux Etats-Unis [1]. Au Royaume Uni, cette incidence est de 6,1 pour 100 000 habitants [2]. En Afrique, les tumeurs osseuses primitives sont dominées par le myélome. A Alger, l’incidence du myélome des os est de 0,4 pour 100 000 habitants aussi bien chez les femmes que chez les hommes. Au Zimbabwe, elle est de 7,9 chez les hommes contre 4,7 chez les femmes [3]. En Afrique en général, le diagnostic n’est pas toujours aisé et la prise en charge reste médiocre du fait du manque de moyens aussi bien techniques que financiers et surtout de l’accès encore très limité aux structures de soins adaptées. L’incidence réelle du myélome semble mal connue [4,5]. Au Togo, sur une période de 15 ans, les tumeurs osseuses malignes ont représenté 1% des consultations rhumatologiques avec 27 cas de tumeurs malignes primitives représentées par le myélome multiple des os [4]. Le but de ce travail était d’établir le profil épidémiologique, clinique, paraclinique, thérapeutique et évolutif du myélome multiple à Lomé.

MATéRIEL ET MéThODEs

Il s’agit de l’étude d’une série de cas sur dossiers de patients hospitalisés dans le service de rhumatologie du CHU-SYLVANUS OLYMPIO de Lomé, capitale du Togo entre janvier 1990 et décembre 2010. La série a inclus tous les patients admis en hospitalisation pour un myélome multiple des os satisfaisant aux critères du SWOG [6]. Les données démographiques, cliniques, paracliniques et thérapeutiques des patients ont été recueillies à partir de leurs dossiers. Chaque patient a été l’objet d’un hémogramme, d’une vitesse de sédimentation, d’une électrophorèse des protides sériques, d’une créatininémie, d’une calcémie, d’un myélogramme et de la radiographie des parties douloureuses. La protéinurie de Bence Jones n’a été réalisée qu’en cas de suspicion de myélome à chaîne légère (hypogammaglobulinémie). Une créatininémie supérieure à 20 mg/Létait considérée comme une insuffisance rénale. L’hypercalcémie correspondait à une calcémie supérieure à 110 mg/L. L’électrophorèse des protéines sériques était évocatrice du myélome si elle montrait une gammapathie monoclonale ou une hypoglobulinémie. L’association d’une asthénie, d’une anorexie, d’un amaigrissement (un amaigrissement ›10% du poids antérieur était considéré comme massif) et d’une pâleur clinique ou la présence d’au moins trois

de ces symptômes était considérée comme une altération de l’état général. Pour des raisons économiques (coût), la réalisation de l’immunoélectrophorèse sérique et/ou urinaire n’a pas été systématique. L’évolution était jugée favorable sur la base de l’amendement des signes cliniques tels la douleur, l’altération de l’état général. La classification de Salmon et Durie [7] a permis de donner la stadification du myélome multiple des os.

RésuLTATs

Deux mille huit cent quatre vingt un patients ont été hospitalisés de janvier 1990 à décembre 2010 dans le service de rhumatologie du CHU-SO de Lomé parmi lesquels 59 (2 %) souffraient de myélome multiple des os. Les 59 patients étaient répartis en 31 femmes et 28 hommes donnant un sex-ratio de 1,1. Leur âge moyen à l’admission était de 56 ans avec des extrêmes de 30 ans et 82 ans. La tranche d’âge la plus touchée était celle comprise entre 60 ans et 69 ans (17 cas ; 28,8 %) et près de 40% de nos patients ont moins de 50 ans. La durée moyenne d’évolution était de 15 mois avec une nette prédilection pour celle comprise entre 2 mois et 24 mois (44 cas ; 74,6%). Le début de la maladie était progressif dans 66% des cas et brutal dans 34% des cas. La douleur osseuse (93,2%), l’altération de l’état général (76,3%) et les troubles de la marche (76,3%) étaient les principales circonstances de découverte du myélome chez nos patients (Tableau 1). La douleur était d’horaire inflammatoire (69,5%), mécanique (27,1%) et mixte (3,4%). Le rachis était le principal siège de la douleur (69,5%) avec une nette prédilection pour son segment lombaire (57,6%). Les sites les plus atteints étaient le rachis (69,5%), les os longs (11,8%), les côtes (05,1 %) et le bassin (03,4%). Une atteinte diffuse était observée dans 13,55 % des cas. Treize patients étaient connus hypertendus, deux étaient diabétiques et un était immunodéprimé au VIH1. A l’examen, la douleur osseuse était la plus retrouvée dans 93,2% des cas avec une nette prédilection au rachis (74,5%). Le myélome excrétant était la forme clinique la plus représentée dans 66% des cas suivi du myélome à chaîne légère dans 26% des cas et du myélome non excrétant dans 5% des cas. La protidémie était élevée (> 80 g/L) dans 71% des cas et normale dans 39% des cas. L’électrophorèse des protides réalisée chez nos patients montrait un pic monoclonal évocateur dans 67,7% avec une nette prédilection pour la zone gammaglobuline dans 65% cas suivie de la zone des bêta globulines dans 22% des cas. Le myélogramme, réalisé chez 53 patients avait révélé une plasmocytose médullaire compatible

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avec une maladie de Kahler dans 92,5% des cas. Le Pourcentage moyen de plasmocytes était de 31,5% ± 16,8 % avec des extrêmes de 6 à 84% (tableau II). La protéinurie de Bence Jones recherchée chez 18 patients était présente dans 44,4% des cas. La simple protéinurie recherchée chez 28 patients était positive dans 53,5% des cas. L’immunoélectrophorèse des protides sériques réalisée chez neuf patients a montré une immunoglobuline G à chaîne Kappa (03 cas) et lambda (03 cas) et une immunoglobuline A à chaîne lambda (02 cas) et kappa (01 cas). L’immunoélectrophorèse des protides urinaires réalisée chez un patient a mis en évidence une chaîne légère kappa. L’hypercalcémie était observée dans 28,8% des cas avec une moyenne de 126,7 ± 14,5 mg/l (extrême : 112 – 162). Les lésions radiologiques siégeaient au rachis lombaire (52,5%), au rachis dorsal (45,7%), au bassin (40,6%), au crâne (23,7%), aux membres (22%), aux côtes (10%) et au rachis cervical (03,3%). Les lésions radiologiques étaient objectivées dans 95% des cas, dominées par la lyse osseuse (52,5%) et le tassement vertébral (52,5%) (Tableau III). Selon la classification de Durie et Salmon, 54% étaient au stade IIIA, 32% au stade IIIB et 14% au stade II. Sur le plan thérapeutique, nous avons eu recours à la chimiothérapie faite essentiellement de Melphalan et de prednisone dans 69,4% des cas, à un traitement orthopédique dans 33,8% des cas, à une abstention thérapeutique dans 30,8 % des cas, tout ceci associées au traitement palliatif qui a consisté en l’administration d’antalgiques (100%), de prise de biphosphonates (23,7%), de réhydratation (25,4%), de transfusion sanguine au besoin (56%). Le nombre moyen de cures était à 7±5 cures ; la première série de 12 cures a été administré dans 14 cas et la deuxième série a débuté seulement dans trois cas. Les cures ont été administrées au moins une fois à pleine dose dans 40 cas, à moitié dose dans 17 cas et reportée dans sept cas. Les reports étaient dus au diabète (02 cas), à des infections (02 cas) et à une altération de l’état général (02 cas). Les effets secondaires de la chimiothérapie étaient principalement représentés par les vomissements (22 cas), les nausées (14 cas) et la diarrhée (09 cas). Des complications avaient été relevées dans 93,2 % des cas dont les principales étaient infectieuses (35,6%), rénales (32,2%), métaboliques (30,5%) et hématologiques (28,8%) (Tableau IV). Les infections étaient de localisation différente : urinaire (13 cas), pulmonaire (04 cas), cutanée (03 cas) et neurologique (01 cas). La rémission a été obtenue chez 12 patients, 24 cas de décès dont 14 en hospitalisation, 24 cas de perdus de vue et 11 cas sont

encore sous traitement. Les causes de décès étaient les infections (17 cas) ; l’insuffisance médullaire (13 cas) et l’aplasie médullaire (03 cas). Trente neuf patients (66,1%) ont été suivis pendant une période de 0 à 6 mois.

O. Owonayo et al.A R T I C L E O R I G I N A L

Tableau 1 : Répartition des patients selon les circonstances de découverte du Myélome Multiple

Nombre Pourcentage

Douleur osseuse 55 93,2

Altération de l’état général 45 76,3

Troubles de la marche 45 76,3

Fracture 07 11,8

Tuméfaction osseuse 05 08,5

Saignement extériorisé 02 03,4

Tableau 2 : Répartition des patients selon les tranches du taux de plasmocytes en pourcentage

Nombre Pourcentage

< 10 04 07,6

10 - 30 28 52,8

>30 21 39,6

Total 53 100,0

Tableau 3 : Répartition des patients selon le résultat de la radiographie du segment osseux douloureux

Nombre Pourcentage

Lyse osseuse 31 52,5

Tassement vertébral 31 52,5

Déminéralisation osseuse diffuse 19 32,2

Fracture pathologique 08 13,5

Normal 03 05,1

Tableau 4 : Répartition des patients selon les complications

Nombre Pourcentage

Infections 21 35,6

Insuffisance rénale 19 32,2

Hypercalcémie 17 28,8

Anémie sévère 15 25,4

Compression médullaire 12 20,3

Complications de décubitus 05 08,5

Aplasie médullaire 02 03,4

Vascularite 02 03,4

Paralysie faciale 01 01,7

Amylose 01 01,7

Hyperuricémie 01 01,7

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Profil du Myélome Multiple des os en consultation rhumatologique à Lomé (Togo).

DIsCussION

Au total, 59 patients ont souffert de myélome multiple des os avec une plasmocytose médullaire révélatrice chez 49 patients. L’interprétation rigoureuse des résultats impose la prise en compte des biais de recrutement et l’étroitesse du plateau technique. Il s’est agi d’une étude hospitalière qui n’a pris en compte que les patients ayant consulté et admis en hospitalisation dans le service de rhumatologie, constituant ainsi un biais rendant impossible la généralisation de nos résultats. A cette raison il faudra adjoindre, le bas niveau socioéconomique contraignant certains patients à exiger plus tôt leur exeat. Aussi, la réalisation des examens paracliniques de base (immunoélectrophorèse, myélogramme, électrophorèse des protides par exemple) était rendue délicate. Il faudra également tenir compte du manque d’information des patients entravant leur bonne orientation (médicale) vers les services de soins adaptés et aussi le manque de respect scrupuleux de l’organigramme des services de soins. Le recours massif aux tradipraticiens constitue un obstacle majeur à l’accès des patients aux centres de soins les plus adaptés. Cependant, les insuffisances de notre étude n’en altèrent pas l’importance épidémiologique. Dans la présente étude, 59 (2%) de cas de MM ont été recensés sur une période de 21 ans. Ce résultat est similaire à celui obtenu par Omoti et al [8] qui ont retrouvé sur une période de 10 ans, 30 cas confirmés de MM sur la base des arguments cliniques, biologiques et radiologiques. Ce résultat concorde avec celui d’autres auteurs [9-12]. Ceci confirme la fréquence non négligeable du MM au sein de la race noire surtout dans les pays au sud du Sahara en rapport avec le déficit en ressources aussi bien humaines que matérielles et financières nécessaires au diagnostic aisé de cette affection. Ce résultat contraste avec celui de la Thaïlande où Settakorn et al [13] ont retrouvé 71 cas de MM sur une période de 5 ans. L’âge moyen de nos patients à l’admission était de 56 ans. Ces données concordent avec celles d’autres auteurs [8,10-12, 14,15]. Plus de 40% de nos patients avaient un âge moyen supérieur à 60 ans, ce qui concordait bien avec les résultats trouvés par Koffi et al [14] en Côte d’Ivoire, Zannou et al [16] au Bénin, Mrabet et al [12] en Tunisie, Bataille et al [17] en France et Kyle et al [18] aux Etats-Unis. Ce qui confirme que le MM est quasi-exclusif chez les personnes âgées. Le MM est exceptionnel avant 40 ans ; dans cette étude seulement 04 patients (06,8%) avaient moins de 40 ans. Nos résultats sont similaires

à ceux de Koffi et al [14], de Kyle et al [18] et Bataille et al [17] qui ont trouvé respectivement 4%, 2% et 1%.

La sex-ratio femmes/hommes était de 1,1 similaire aux études d’Ali et al [10] et de Ketari et al [19]. Ce résultat contraste avec ceux obtenus par d’autres auteurs où on note une légère prédominance masculine [8,9,11,12]. La longue durée d’évolution de la maladie (15 mois) est similaire à celle d’autres études [15,20,21]. Ceci s’explique par le caractère progressif de la maladie. Le retard diagnostique est constant sous nos cieux. Pour la plupart des auteurs [14, 16], ce long délai de consultation serait lié au sous-développement et à la culture. Les erreurs diagnostiques et thérapeutiques dues au sous-équipement des services de santé de base et le recours habituel aux guérisseurs allongeraient aussi le délai de référence vers les services spécialisés. Les circonstances de découverte au cours de l’étude sont très variées mais dominées par la douleur osseuse (93,2%), l’altération de l’état général (76,3%) et les troubles de la marche (76,3%). Cette variété de circonstances de découverte explique le caractère multidisciplinaire du MM. Le même constat a été rapporté par les données de la littérature [10-12, 14- 16, 22]. La majeure partie des douleurs prédomine au rachis, soit dans 70% des cas. Ce constat a été rapporté par d’autres auteurs qui confirment que le siège principal des douleurs est rachidien en particulier le rachis lombaire [9, 11, 14, 23]. Ces douleurs rachidiennes sont le plus souvent associées à des radiculalgies [10, 12, 24]. D’autres symptômes physiques dits rares ont été objectivés ; il s’agissait surtout de fracture pathologique (6,8%), de tuméfaction osseuse (6,8%) et de saignement extériorisé (3,4%). La rareté de ces symptômes a été rapportée par Koffi et al en Côte d’Ivoire [14] et Mrabet et al en Tunisie [12].

Nous avons noté un pic monoclonal dans 67,7% des cas avec une prédominance dans la zone des gammaglobulines (65%) suivies de la zone bêta (30%) et la zone bêta- gamma (5%). Conformément à la littérature [11,12,18,25] notre série montre la prédominance des paraprotéines migrant en gamma suivies par les paraprotéines migrant en beta. Nous avons noté une prédominance des myélomes à IgG dans 66,7% des cas suivis des myélomes à IgA dans 33,3% des cas. Nous n’avons pas noté de cas de myélome à Ig E ni de myélome à Ig D. Cette répartition de la fréquence des immunoglobulines obéit aux données de la littérature [6, 12, 14 - 15]. D’autre part, il existe une prédominance des

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myélomes excrétant 66% ensuite viennent les myélomes à chaines légères dans 29% des cas et en dernier lieu des myélomes non excrétant dans 5% des cas. Cette observation confirme les données classiques selon lesquelles les myélomes non excrétant sont exceptionnels [6, 26]. La répartition des patients en fonction du type de chaines légères montre une prédominance de la chaine légère de type lambda soit 55,6% des cas contre 44,4% de cas de chaines légères de type kappa contrastant avec les résultats des autres auteurs. La protéinurie de Bence Jones était positive dans 44,4% des cas comme le témoigne la plupart des auteurs [12,18].

La répartition selon la plasmocytose médullaire montre que dans la plupart des cas, la plasmocytose médullaire était révélatrice du MM car 92,5% des patients avaient une plasmocytose médullaire supérieure à 10% des cas avec un taux moyen de plasmocyte à 31,5%. Ces plasmocytes observés présentaient des critères cytologiques de malignité. Il s’agissait surtout d’un asynchronisme nucléo-cytoplasmique, de plasmocytes en mottes des corps de Russel et des plasmocytes flammés [8, 18, 27]. Le médullogramme était révélateur du MM dans 75% des cas au Bénin [16] et dans 61% des cas en Algérie [15].

Dans la présente série, l’hypercalcémie à été observée dans 31% des cas. En Tunisie, Ouenniche et al [11] et Mrabet et al [12] ont trouvé 40% ; Kyle et al [18], Bauduer et al [22] et Bataille et al [28] ont trouvé respectivement 30%, 33% et 40%. Son dosage doit être systématique dans le bilan initial et dans la surveillance du MM. L’insuffisance rénale par tubulopathie myélomateuse est une complication fréquente et de mauvais pronostic. Treize patients (26,5%) ont eu une insuffisance rénale. D’autres auteurs [12, 14, 15, 17, 29] ont trouvé respectivement 30,8%, 28%, 23%, 22,2%, et 17%.

Les lésions radiologiques objectivées dans cette série ont été rapportées par la plupart des auteurs et constituent de ce fait les lésions radiologiques classiques du MM [6, 14,18].

La majorité des patients ont bénéficié de la monochimiothérapie MP d’Alexanian. Ce protocole concorde avec celui de la plupart des auteurs [10, 12] qui utilisent en première intention le protocole Alexanian. Ce choix thérapeutique est préconisé chez les patients de plus de 60 ans alors que la moyenne d’âge de nos patients était de 56 ans. Les schémas thérapeutiques préconisés habituellement chez les sujets jeunes ne pouvaient pas être appliqués chez nos patients en raison de l’indisponibilité

des moyens techniques nécessaires à leur réalisation. Aucun patient n’a bénéficié de la polychimiothérapie ni de la greffe de moelle osseuse compte tenu de la non accessibilité de ces molécules, du faible niveau économique de nos populations et du fait que l’étroitesse de notre plateau technique ne s’y prête pas. Selon la classification de Durie et Salmon, 86,4% de nos patients sont découverts au stade III contre 13,6% et 0% pour les stades II et I. Nous avons constaté que la majorité de nos patients sont à un stade déjà avancé, ce qui est en concordance avec les données de la littérature [10, 14, 17, 30]. Ceci est corrélé au retard de consultation et de diagnostic pour la majeure partie de nos patients.

Chez nos patients, les infections étaient assez fréquentes (35,6%) notamment urinaires (13 cas) et pulmonaires (04 cas). Kyle [18] et Koffi [14] avaient trouvé respectivement 15% et 17% avec des localisations pulmonaires et urinaires plus fréquentes. Dans la présente étude, 17 patients (20,3%) ont présenté une compression médullaire et un patient (01,7%) une paralysie faciale. Ce résultat est similaire à celui de Bataille et al [18] qui a trouvé 10 à 15%. Par contre Bisagni-Faure et al [31] avait trouvé 32%.

CONCLusION

Le MM touche l’adulte jeune; Il est révélé par la douleur osseuse; La tranche de 10 à 30% de plasmocytose est la plus représentée ; les lésions radiologiques sont dominées par la lyse osseuse et le tassement vertébral. Le myélome multiple des os reste actuellement une maladie incurable souvent fatale. Son diagnostic est tardif et sa prise en charge très limitée en Afrique subsaharienne.

DéCLARATION D’INTéRêT

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.

RéféRENCEs

1. Jemal A, Siegel R, Tiwari C, Ghafoor A, Sampuels A, Feuer J, Ward E, Hap Y, Cut J, Murray T, Thun J. Cancer statistics 2004. CA Cancer J Clin 2004 ;54:8.

2. Cancer Research UK Cancerstats. http://info.cancerresearchuk.org/cancerstats, consulté le 13 avril 2013.

3. Le taux d’incidence standardisé/ 100 000 habitants. Cancer in Africa Epidemiology and Prevention. IARC Scientific publications 2003, 153.

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Profil du Myélome Multiple des os en consultation rhumatologique à Lomé (Togo).