courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

56
France Le tour de Valls La génération décisive : 150 millions de jeunes vont voter aux législatives La débâcle socialiste vue par la presse étrangère Une jeunesse indienne (!4BD64F-eabacj!:L;o N° 1222 du 3 au 9 avril 2014 courrierinternational.com Belgique : 3,90 € EDITION BELGIQUE

Upload: sa-ipm

Post on 11-Mar-2016

264 views

Category:

Documents


6 download

DESCRIPTION

Le Courrier International du 3 avril 2014

TRANSCRIPT

Page 1: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

France Le tour de Valls

La génération décisive : 150 millions de jeunes vont

voter aux législatives

La débâcle socialiste vue par la presse étrangère

Une jeunesse indienne

����������� ������

N° 1222 du 3 au 9 avril 2014courrierinternational.comBelgique : 3,90 €

EDITION BELGIQUE�

Page 2: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039
Page 3: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039
Page 4: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

4. Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

Retrouvez Eric Chol chaque matin à 7 h 50,

dans la chronique “Où va le monde”

sur 101.1 FM

ÉDITORIALÉRIC CHOL

L’Inde, une jeune exception

L’Inde est un pays jeune mais son système politique semble dater de Mathusalem. Certes, à partir

du 7 avril, 814 millions d’électeurs vont pouvoir aller voter dans la première démocratie du monde pour désigner leurs représentants. Soit 150 millions de plus qu’il y a cinq ans. Peu importe le nombre de bulletins dans l’urne : les élections se suivent en Inde sans mettre fin au népotisme et au clientélisme, érigés en système. Pétrifié, le tigre indien se meut trop lentement, à l’inverse du dragon chinois, qui nous a habitués à faire la course en tête. Mais les choses pourraient bientôt changer. Au moment où le restant de l’Asie – Chine comprise – voit se profiler le péril vieux, l’Inde brille par sa vitalité démographique. Dans les quinze prochaines années, le nombre de ses travailleurs va croître de 225 millions de personnes. Soit quasiment l’équivalent de l’ensemble de la population active de l’Union européenne. De quoi décupler les énergies dans un pays où un habitant sur trois est né au XXIe siècle. On nous avait promis que ce siècle serait chinois. Par la loi des chiffres, il pourrait être indien. A condition que cette jeunesse montre qu’elle est capable de rompre avec le conservatisme ambiant. L’Inde a expérimenté dans le passé, avec un certain succès, la révolution verte. Elle est à l’aube de sa révolution jeune.

En couverture : Lors de la grande foire aux chameaux de Pushkar, au Rajasthan, en Inde.Photo Ami Vitale/Panos-REA

p.32 à la une

Une jeunesse indienne

Ils seront la grande inconnue des législatives organisées du 7 avril au 12 mai en Inde : des dizaines de millions de primo-électeurs.

L’hebdomadaire Tehelka est allé à la rencontre de cette génération

pour saisir ses aspirations.

BURK

I, LA

USA

NN

E

SUR NOTRE SITE

www.courrierinternational.comFRANCE Les réactions de la presse étrangère après la nomination du nouveau gouvernement.UKRAINE Les suites de l’intervention russe en Crimée.GAME OF THRONES Les femmes de Westeros vues par The Guardian. Toute l’actualité de la série à la veille de la saison 4, qui démarre dimanche 6 avril aux Etats-Unis.

Retrouvez-nous aussi sur Facebook, Twitter, Google+ et Pinterest

Sommaire

360°

p.46

p.26

France Manuel Valls, un choix radicalLe choix le plus prévisible mais aussi le plus radical : en nommant Premier ministre son Monsieur Sécurité, François Hollande a pris un risque, analyse La Stampa.

Portfolio Caspienne, l’éternel naufrage

p.12

Rwanda Chronique d’une renaissance

Vingt ans après le génocide qui fit 800 000 morts chez les Tutsis, le pays tente d’exorciser ses démons. S’il a accompli des progrès économiques spectaculaires, reconnaît African Arguments, une menace plane : celle de la surpopulation.

L’énergie thermique des mers n’est plus une fiction, explique New Scientist.

Qui détaille comment produire de l’électricité en exploitant la différence de température entre la surface des océans et les abysses.

p.38

Ecologie. 20 000 mégawatts

sous les mers

FOCUS

FALC

O, C

UBA

MIL

A T

ESH

AIE

VAAM

I VIT

ALE/

PAN

OS-

REA

Page 5: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014 5

GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBLCOURRIER INTERNATIONAL pour la Belgique et le Grand Duché de Luxembourg est commercialisé par le GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBL qui est une association entre la société anonyme de droit français COURRIER INTERNATIONAL et la société anonyme de droit belge IPM qui est l’éditeur de La Libre Belgique et de La Dernière Heure Les Sports. Co-gérant Antoine LaporteCo-gérant et éditeur responsable François le HodeyDirecteur général IPM Denis PierrardCoordination rédactionnelle Pierre Gilissen

+ 32 2 744 44 33

Ouvert les jours ouvrables de 8h à 14h.Rue des Francs, 79 — 1040 BruxellesPublicité RGP Marie-France Ravet [email protected] + 32 497 31 39 78Services abonnements [email protected] + 32 2 744 44 33 / Fax + 32 2 744 45 55Libraires + 32 2 744 44 77Impression IPM PrintingDirecteur Eric Bouko + 32 2 793 36 70

Abonnez-vous Le meilleur de la presse mondiale chaque jeudi chez vous !

TARIF ABONNEMENT + l’accès au site et à ses archives depuis 1997

Option 16 mois € au lieu de 101,40 €

Option 312 mois + 4 hors-série

€ au lieu de 223,10 €*

Option 212 mois € au lieu de 191,10 €

Je désire m’abonner : adresse mail: [email protected] ou par courrier à Courrier Internationnal - Service Abonnements - Rue des Francs 79 -

1040 Bruxelles ou par fax au 02/744.45.55. Je ne paie rien maintenant et j’attends votre bulletin de virement.Nom .................................................................................................... Prénom ........................................................................................................

Adresse........................................................................................................................................... N° ........................ Bte .......................................

CP ................................ Localité ........................................................ Tél .................................................................................................................

Gsm ..................................................................................................... E-mail ..........................................................................................................*prix de vente au numéro. Offre valable en Belgique jusqu’au 3 Les données fournies sont reprises dans la base de données du Courrier International dans le but de vous informer sur les produits et services. Elles peuvent être transmises à nos partenaires à des fins de prospection.

85 145165

1 décembre 2013.

Sommaire

← Toutes nos sources Chaque fois que vous rencontrez cette vignette, scannez-la et accédez à un contenu multimédia sur notre site courrierinternational.com (ici la rubrique “Nos sources”).

Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €. Actionnaire La Société éditrice du Monde. Président du directoire, directeur de la publication : Arnaud Aubron. Directeur de la rédaction, membre du directoire : Eric Chol. Conseil de surveillance : Louis Dreyfus, président. Dépôt légal Avril 2014. Commission paritaire n° 0712c82101. ISSN n°1154-516X Imprimé en France/Printed in France

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational. com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Eric Chol Rédacteurs en chef Jean-Hébert Armengaud (16 57), Claire Carrard (édition, 16 58), Odile Conseil (déléguée 16 27), Rédacteurs en chef adjoints Catherine André (16 78), Raymond Clarinard, Isabelle Lauze (hors-séries, 16 54) Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Directeur de la communication et du développement Alexandre Scher (16 15) Conception graphique Javier Errea Comunicación

Europe Catherine André (coordination générale, 16 78), Danièle Renon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16�22), Gerry Feehily (Royaume-Uni, Irlande, 16 95), Lucie Geff roy (Italie, 16�86), Nathalie Kantt (Espagne, Argentine, 16 68), Hugo dos Santos (Portugal, 16�34)Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Caroline Marcelin (chef de rubrique, France, 17 30), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Agnès Jarfas (Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégo-vine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie) Russie, est de l’Europe Laurence Habay (chef de service, 16 36), Alda Engoian (Caucase, Asie centrale), Larissa Kotelevets (Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14), Gabriel Hassan (Etats-Unis, 16 32), Anne Proenza (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Ysana Takino (Japon, 16 38), Kazuhiko Yatabe (Japon), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Ghazal Golshiri (Iran), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie) Afrique Ousmane Ndiaye (16 29), Hoda Saliby (chef de rubrique Maghreb, 16 35), Chawki Amari (Algérie) Transversales Pascale Boyen (chef des informations, Economie, 16 47), Catherine Guichard (Economie, 16 04), Anh Hoà Truong (chef de rubrique Sciences et Innovation, 16 40), Gerry Feehily (Médias, 16 95), Vir-ginie Lepetit (Signaux) Magazine 360° Marie Béloeil (chef des informations, 17 32), Virginie Lepetit (chef de rubrique Tendances, 16 12), Claire Maupas (chef de rubrique Insolites 16 60), Raymond Clarinard (Histoire), Catherine Guichard Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, responsable du web, 17 33), Carolin Lohrenz (chef d’édition, 19 77), Carole Lyon (rédactrice multimédia, 17 36), Paul Grisot (rédacteur multimédia, 17 48), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Marie-Laëtitia Houradou (responsable marketing web, 1687), Patricia Fernández Perez (marketing) Agence Cour rier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97) Traduction Raymond Clarinard (rédac-teur en chef adjoint), Hélène Rousselot (russe), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Julie Marcot (anglais, espagnol, portugais), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol), Leslie Talaga (anglais, espagnol) Révision Jean-Luc Majouret (chef de service, 16 42), Marianne Bonneau, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, Philippe Planche, Emmanuel Tronquart (site Internet) Photo graphies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53) Maquette Berna-dette Dremière (chef de service, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Petricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet, Alexandre Errichiello, Céline Merrien (colorisation) Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66) Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon) Informatique Denis Scudeller (16 84) Directeur de la production Olivier Mollé Fabrication Nathalie Communeau (direc trice adjointe), Sarah Tréhin (responsable de fabrication) Impression, brochage Maury, 45330 Malesherbes

Ont participé à ce numéro : Gilles Berton, Jean-Baptiste Bor, Sophie Cour-tois, Nicolas Gallet, Rollo Gleeson, Alexandros Kottis, Carole Lembezat, François Mazet, Corentin Pennarguear, Judith Sinnige, Viktor Smeyukha, Leslie Talaga, Isabelle Taudière, Anne Thiaville, Nicole Thirion, Sébastien Walkowiak, Zaplangues

Secrétaire général Paul Chaine (17 46) Assistantes Frédérique Froissart (16 52), Diana Prak (partenariats, 16 99), Sophie Jan Gestion Bénédicte�Menault-Lenne�(responsable,�16�13) Comptabilité 01 48 88 45 02 Responsable des droits Dalila Bounekta (16 16) Ventes au numéro Responsable publications Brigitte Billiard Direction des ventes au numéro Hervé Bonnaud Chef de produit Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40) Diff usion inter nationale Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22) Promotion Christiane Montillet Marketing Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (16 91), Véronique Saudemont (17 39), Kevin Jolivet (16 89)

7 jours dans le monde6. Turquie. Les électeurs sauvent Erdogan

8. Portrait. Michael Correia

10. Controverse. Le gaz américain, une arme contre Poutine ?

D’un continent à l’autre— AFRIQUE12. Rwanda. Chronique d’une renaissance

— AMÉRIQUES16. Etats-Unis. Désintox pour mormons

18. Salvador. Sur la voie de la modernité démocratique

— MOYEN-ORIENT19. Arabie Saoudite. Obama, le président qui regarde vers Téhéran

20. Palestine. Le jour où l’Autorité palestinienne disparaîtra

Transversales38. Ecologie. Vingt mille mégawatts sous les mers

42. Médias. L’ombre d’Edward Snowden plane sur le prix Pulitzer

44. Economie. Le bitcoin expliqué à ma mère

45. Signaux. Nos chers petits compagnons

360° 46. Portfolio. Mer Caspienne, l’éternel naufrage

50. Plein écran. Le Kurdistan, contrée de fi ction

52. Tendances. La quête épineuse du kiwi sans poils

54. Culture. La ménagerie enchantée de Darius Kazemi

— ASIE 21. Birmanie. Un recensement à haut risque

— EUROPE 22. Pays-Bas. Wilders, l’autocrate qui dérape

24. Bulgarie. “Nous sommes tous des Ahmed”

25. Ukraine. Le roi du chocolat veut croquer la présidence

— FRANCE 26. Politique. Le tour de Valls

27. Politique. Paris-Texas, mêmes combats ?

— BELGIQUE 28. Bruxelles. Une ville de congrès, vraiment ?

A la une32. Une jeunesse indienne

Les journalistes de Courrier international sélectionnent et traduisent plus de 1 500 sources du monde entier : journaux, sites, blogs. Ils alimentent l’hebdomadaire et son site courrierinternational.com. Les titres et les sous-titres accompagnant les articles sont de la rédaction. Voici la liste exhaustive des sources que nous avons utilisées cette semaine : African Arguments (africanarguments.org) Londres, en ligne. Ha’Aretz Tel-Aviv, quotidien. The Boston Globe Boston, quotidien. Democratic Voice of Burma (www.dvb.no) Oslo, en ligne. The East African Nairobi, hebdomadaire. O Estado de São Paulo São Paulo, quotidien. El Faro (www.elfaro.net) San Salvador, en ligne. Financial Times Londres, quotidien. Foreign Policy Washington, bimestriel. Al-Hayat Londres, quotidien. India.com (www.india.com) Bombay, en ligne. Kapital Sofi a, hebdomadaire. Live Mint (www.livemint.com) New Delhi, en ligne. Milliyet Istanbul,

quotidien. New Scientist Londres, hebdomadaire. Newsweek (www.newsweek.com) New York, en ligne. The New York Times New York, quotidien. Open New Delhi, hebdomadaire. Oukraïnsky Tyjden Kiev, hebdomadaire. Politico Washington, quotidien. Rudaw Erbil, quotidien. La Stampa Turin, quotidien. Tehelka New Delhi, hebdomadaire. The Times Londres, quotidien. The Times of India Bombay, quotidien. Trouw Amsterdam, quotidien. The Wall Street Journal New York, quotidien. The Washington Post Washington, quotidien. Yediot Aharonot Tel-Aviv, quotidien.

Page 6: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

6. Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

A. K

ARI

MI/

AFP

7 jours dansle monde.

↓ Dessin de Cajas, paru dans El Comercio, Equateur.

TURQUIE

Les électeurs sauvent ErdoganAutoritaire, liberticide et accusé de corruption, le Premier ministre est pourtant sorti renforcé des élections du 30 mars. Une victoire qui s’explique par la crainte qu’ont certains Turcs de perdre les acquis obtenus par les islamo-conservateurs.

SOURCE

—Milliyet Istanbul

Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et son parti l’AKP [Parti de la justice et du développement,

islamo-conservateur] sortent des élections municipales du 30 mars, qui ont surtout été vécues comme des élections générales, en perdant assez peu de voix [par rapport aux élections législatives de 2011]. En eff et, réunir plus de 40 % des voix lors d’un scru-tin qui s’est déroulé sur fond d’accusation de corruption à large échelle, de guerre avec le réseau Gülen [imam turc exilé aux Etats-Unis, leader d’un mouvement socio-religieux très infl uent, accusé de noyauter l’Etat et de vouloir nuire à Erdogan, son ex-allié] et de stagnation économique peut être considéré comme un vrai succès pour Erdogan. On peut cependant s’interroger sur les raisons qui ont poussé l’électorat AKP à résister à tous ces facteurs négatifs, qui, en principe, auraient dû l’éloigner du parti au pouvoir [l’AKP avait été élu en 2002 en faisant la promesse de débarrasser le pays de la corruption, un mal endémique]. Face aux accusations de corruption, l’électeur conservateur a préféré mettre en avant tout ce que l’AKP a fait de positif depuis qu’il est aux aff aires. Ceux qui votent tra-ditionnellement pour ce parti ne sont pas convaincus que les acquis obtenus pour-raient être maintenus si l’AKP était battu.

Ces acquis sont de deux ordres. Le pre-mier est en lien avec l’identité sunnite conservatrice. Ainsi, la réhabilitation des lycées Imam Hatip [établissements reli-gieux chargés de la formation des imams, surtout fréquentés par des jeunes issus de milieux conservateurs] et la possibilité pour les fi lles de porter le foulard à l’université et dans la fonction publique sont considérées comme des acquis importants pour l’élec-torat de l’AKP. Que les valeurs sunnites conservatrices deviennent une norme imposée à l’ensemble des citoyens a véritablement fl atté cette frange de la société, lui donnant un sentiment de puissance. L’AKP d’Erdogan off re à sa base électorale une identité conser-vatrice islamique qui lui est chère et qu’elle souhaite conserver.

Le second acquis est l’augmen-tation, obtenue pendant les années de forte croissance, des sources de revenus pour l’élec-torat conservateur, qui jusque-là

disposait de moyens modestes. Une hausse relative de la prospérité qui est également soutenue par des services sociaux.

Dans ce contexte, l’AKP a utilisé la peur vis-à-vis de son électorat en lui signifi ant que, “[s’il devait] quitter le pouvoir, tous ces acquis seraient remis en question”. Les messages électoraux diff usés par le parti d’Erdogan pendant la campagne étaient pensés de façon que le lien entre cette crainte et l’instinct de préservation des valeurs morales et nationales soit établi. En mêlant intimement l’AKP et Erdogan à l’appel à la prière, au drapeau ou encore à l’hymne national, il s’agissait de créer

le sentiment qu’une défaite électorale de l’AKP signifi erait également la perte de ces valeurs. Dans ces conditions, l’électeur de l’AKP a donné l’impression de fermer les yeux sur la corruption du parti au pouvoir pourvu que celui-ci préserve les acquis.

L’absence d’un autre choix à droite a aussi facilité la tâche d’Erdogan. Le Parti d’ac-tion nationaliste [MHP, extrême droite] n’a ainsi récupéré que peu de votes de mécon-tents de l’AKP et ne constitue donc en rien une alternative. Le Parti républicain du peuple [CHP, kémaliste] n’a, quant à lui, même pas réussi à atteindre 30 % des voix, ce qui, dans le contexte des scandales de corruption qui secouent Erdogan, inter-roge sur l’état de ce parti et de sa direction.

Néanmoins, quels que soient les résultats de ces élections, ils ne feront pas oublier les graves accusations de malversations et de corruption qui pèsent sur Erdogan et sur l’AKP. Le succès électoral ne consti-tue en aucun cas une forme d’acquitte-ment. Les urnes ne sont pas l’endroit où ce genre d’aff aire peut être traitée. C’est

une justice indépendante et neutre qui est la référence en la matière.

Cette élection a en tout cas confi rmé la profonde polarisation de la

société. Erdogan et l’AKP ne pour-ront pas continuer à diriger la

Turquie comme si de rien n’était. Le plus grave serait qu’Erdogan

interprète ces résultats comme un blanc-seing pour satisfaire ses désirs

d’instaurer un régime encore plus auto-ritaire. La Turquie irait alors vers davan-tage d’instabilité et d’aff rontements.

—Kadri GürselPublié le 31 mars

Année zéroAFGHANISTAN — 2014 est une année clé pour le pays et sera mar-quée par le retrait des troupes de l’Otan, présentes depuis treize ans, et la fi n du règne du prési-dent Hamid Karzai. Le 5 avril, les Afghans élisent leur nouveau pré-sident et leurs représentants pro-vinciaux, alors que les talibans, opposés au scrutin, multiplient les attaques meurtrières. En réac-tion, les journalistes locaux ont décidé de ne plus parler des tali-bans jusqu’aux résultats, explique le site Tolo News.

Vétérans oubliés

ÉTATS-UNIS — Dans son édi-tion du 30 mars, The Washington Post a publié une vaste enquête sur 2,6  millions de vétérans améri-cains des guerres

d’Irak et d’Afghanistan. Le bilan est bien plus lourd que ne le lais-saient penser les précédentes études : 1,1 million de vétérans souff riraient de problèmes phy-siques consécutifs à la guerre, alors que le Pentagone estime à seulement 51 000 le nombre de “blessés au combat”. Un tiers des vétérans seraient victimes de troubles mentaux ou émotion-nels. Avec cette enquête, le quo-tidien ouvre une grande série sur l’“héritage” des confl its d’Irak et d’Afghanistan, alors que l’essentiel des forces américaines quittera l’Afghanistan d’ici à la fi n de 2014.

Pékin court après les neutrinosSCIENCES — La Chine vient de lancer la construction d’un grand détecteur de neutrinos, les particules émises notamment

MILLIYETIstanbul, TurquieQuotidien, 170 000 ex.www.milliyet.com.trSi le journal a perdu de son indépendance et de son ton libéral depuis sa fondation en 1950, il garde une certaine distance critique vis-à-vis du pouvoir par l’intermédiaire de quelques éditorialistes.

Page 7: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

7 JOURS.Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014 7

Cercle polaire arctique

PôleNord

O C ÉA N

ATL A N TIQUE

O C ÉA N

PAC I FIQUE

Dt de

Bering

OCÉAN GLACIAL

ARCTIQUE

(GROENLAND)

NUNAVUT (CANADA)

(ALASKA)

FÉDÉRATIONDE RUSSIE

FÉDÉRATIONDE RUSSIE

FÉDÉRATIONDE RUSSIE

CANADA

DANEMARK

ÉTATS-UNIS

NORVÈGE

Svalbard

Setermoen, NorvègeManœuvres impliquant des US Marines

et des unités alliées les 22 et 23 mars

Gadjievo, RussieBase principaledes sous-marinsnucléaires russes

Gadjievo, RussieBase principaledes sous-marinsnucléaires russes

Gadjievo, RussieBase principaledes sous-marinsnucléaires russes

Severomorsk, RussieEtat-major de la Flotte du Nord russe

SOU

RCES

: “T

HE

WAL

L ST

REET

JO

URN

AL”,

NAT

ION

AL S

NO

W A

ND

ICE

DAT

A CE

NTE

R

Oland, NorvègeSite de stockage de munitions

et de véhicules des US Marines,dans des grottes

1 000 km

Etendue de la calotte glaciaire en mars 2013 Litige frontalier maritime : en cours résolu en 2011

Baie de Prudhoe, AlaskaLaboratoire de recherche sous-marine de l’US Navy

Camp de glace NautilusBase américaine temporaire construite sur la glace, en soutienaux exercices de sous-marins

LA CARTE DE LA SEMAINE

ILS PARLENTDE NOUS

CHRISTIAN SCHUBERT, correspondant économique du quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung

Briser les tabous du PSLa France a enregistré en 2013 un défi cit public de 4,3 % du PIB, selon l’Insee. Quel regard portez-vous sur l’action du pouvoir socialiste depuis 2012 ?Un regard plutôt critique. La lutte contre le défi cit ne va pas assez vite. Le

problème réside essen-tiellement dans les

dépenses publiques et sociales. Il faut les réduire. La France a promis

de réduire le défi-cit public à 3 % pour

2015. Elle a déjà obtenu un délai de deux ans supplémentaires. Pourquoi aurait-elle le droit de retar-der cet objectif tandis que les autres membres de l’UE se serrent la ceinture pour y arriver ?

Pensez-vous que le “pacte de responsabilité” permettra d’améliorer la situation économique ?Nous étions optimistes en janvier, à l’annonce des grandes lignes du pacte. Trois mois plus tard, nous sommes un peu déçus. La mise en place des mesures prend beaucoup de temps. On lui laisse toutefois le bénéfi ce du doute. Et la nomination d’un nouveau Premier ministre donne de l’espoir. Apparemment, Manuel Valls n’a pas peur de briser les tabous socialistes. Il faut absolument que les entreprises françaises gagnent en rentabilité et en compétitivité.

Est-il possible de redresser la situation défi citaire autrement que par la rigueur ?Malheureusement il n’y a pas de redres-sement sans douleur. La dette française atteint un record historique de 93,5 % du PIB. C’est très inquiétant. Les inves-tisseurs pourraient devenir sceptiques. La France restera un pays sûr si la lutte contre le défi cit est effi cacement menée. Des économies importantes peuvent être réalisées en réduisant notamment les coûts de la fonction publique, par exemple en gelant les salaires des fonc-tionnaires, qui bénéfi cient de la garantie de l’emploi. Ça peut raviver la confi ance des investisseurs et permettre le retour de la croissance.

DR

Arctique : le front du froidMi-mars, l’US Navy a déployé deux sous-marins, l’USS Hampton et l’USS New Mexico, pour des manœuvres sous les glaces de l’Arctique, écrit The Wall Street Journal. Les bâtiments se sont entraînés à se dissimuler, à faire surface malgré la glace et, dans le cadre de simulations, à tirer des torpilles sur des cibles fi gurant des sous-marins russes. “Ces manœuvres étaient prévues avant l’annexion de la Crimée par la Russie, rapporte le journal. Mais le regain de tension entre l’Est et l’Ouest leur confère davantage d’importance sur le plan géopolitique.”

par le Soleil, dans la province du Guangdong, à 150  kilo-mètres au nord-ouest de Hong Kong, annonce le South China Morning Post. Baptisé Juno (pour Jiangmen Underground Neutrino Observatory), il doit permettre de mesurer la masse relative de la particule fantôme. “C’est l’une des pièces manquantes dans le puzzle que tentent de recons-tituer les physiciens, et qui devrait leur permettre de déterminer l’âge et la forme de l’Univers”, rappelle le quotidien de Hong Kong. La construction devrait commencer avant la fi n de l’année.

L’homme qui veut supprimer le SénatITALIE — Le Conseil des ministres a approuvé le 31 mars le projet de loi constitutionnel qui met fi n au “bicamérisme parfait” et réduit le nombre de parlementaires. Au compte des engagements de Renzi dès sa prise de fonctions, en février, cette réforme abolirait le Sénat dans sa forme actuelle. Si elle était adoptée, la Chambre haute ne voterait plus, entre autres, la confi ance et le budget. Renzi “risque tout”, titre le quotidien de droite Libero, qui rappelle que le président du Conseil a promis de démissionner dans le cas où cette réforme, jugée radicale par de nombreux constitutionnalistes, n’aboutirait pas.

23PERSONNES TUÉES PAR LA POLICE D’ALBUQUERQUE. C’est le décès de James Boyd, un SDF de 38 ans souff rant de troubles mentaux et tué par les forces de l’ordre mi-mars, qui a mis le feu aux poudres. Une manifestation a dégénéré le 30 mars dans cette ville du Nouveau-Mexique et s’est soldée par plusieurs arrestations. En cause : le département de police d’Albuquerque et sa réputation de gâchette facile. Au total, “23 personnes ont été tuées par la police et 13 autres ont été blessées dans des échanges de tir avec les forces de l’ordre depuis 2010”, rapporte l’Albuquerque Journal. Le département de police de la ville est désormais dans le collimateur du ministère de la Justice et du FBI.KO

PELN

ITSK

Y, É

TATS

-UN

IS

Page 8: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

7 JOURS8. Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

franceculture.fr

en partenariat avec

—The Washington Post (extraits) Washington

Lorsque Michael Correia a commencé son nouveau travail, il a attendu plus d’une semaine avant de dire à ses parents qu’il

représentait les intérêts des producteurs de marijuana. “Je viens d’être embauché par une asso-ciation de petites entreprises qui s’occupe de ques-tions fi scales et bancaires”, leur a-t-il annoncé il y a quatre mois, après avoir été embauché par la National Cannabis Industry Association (NCIA) [Association nationale de l’industrie du cannabis].

Il ne mentait pas, mais comme il avait passé les seize années précédentes au service d’organisations républicaines ou conservatrices, informer son père et sa mère qu’il représentait Big Pot [l’industrie de “l’herbe”] ne faisait pas vraiment partie de ses priorités. Ce n’était pas la première fois qu’il omettait de leur dire que le cannabis faisait partie de sa vie. Il en avait fumé une douzaine de fois lorsqu’il était adolescent, avant de décider que le seul eff et que la substance avait sur lui était de lui donner faim et de l’assommer.

Il est vrai qu’il s’occupe de petites entreprises : seulement, elles portent des noms comme Weedmaps [littéralement “carte de l’herbe”, site Internet recensant les points de vente de cannabis] ou Chronic Clinic [projet de centre médical basé sur l’utilisation thérapeutique du cannabis].

Avec son 1,95 m, les restes d’un bronzage californien, ses cheveux épais, sa cravate rouge et son costume noir, Michael, qui n’a jamais été convoqué par le proviseur lorsqu’il était au lycée, est le nouveau visage de la marijuana à Washington.

Les guérilleros de la culture du cannabis et les fumeurs d’herbe chevelus sont bien loin. On n’a plus besoin d’eux ici. En 1969, selon un sondage Gallup, seuls 12 % des Américains étaient pour la légalisation de la marijuana. L’année dernière, ils étaient 58 %.

“Nous assistons à la transition d’un mouvement vers le lobby”, déclare Mark Kleiman, professeur à l’université de Californie à Los Angeles [UCLA], qui parallèlement occupe les fonctions d’autorité suprême sur les questions de drogues dans l’Etat de Washington. “Les hippies se font remplacer par les ‘costume cravate’.” On ne peut pas dire que Michael soit un “vrai croyant”. Même aujourd’hui,

Michael CorreiaLe premier lobbyiste de la marijuana

ILS FONT L’ACTUALITÉ

Ce Californien âgé de 44 ans a d’abord travaillé pour le compte des républicains. Aujourd’hui, il représente l’industrie de l’“herbe” à Washington, en plein débat sur la légalisation du cannabis.

il refuse de donner son opinion sur la légalisation du cannabis. “Heureusement, je n’ai pas à entrer dans ce débat”, dit-il.

Correia est un mercenaire, quelqu’un qui sait comment se font les choses à Washington et qui se soucie peu de savoir si les gens se droguent ou non.

Né dans une famille de démocrates, il a adopté une identité politique diff érente lorsqu’il est entré à l’université de Californie à San Diego. Après avoir obtenu son diplôme, il a travaillé pendant neuf ans au Comité du Congrès sur les ressources naturelles (côté républicain), avant de décrocher le poste de directeur chargé des aff aires fédérales à l’American Legislative Exchange Council, une organisation conservatrice. Elle a entre autres participé à la préparation d’une législation très sévère sur les sanctions à appliquer aux consommateurs de drogues.

Le Congrès a tendance à avoir du retard par rapport à l’opinion publique, mais il fi nit généralement par le rattraper. De ce point de vue, le travail de Michael est l’un des plus excitants qui soient dans le monde du lobbying.

“Avant, j’arrivais à la fi n de mon fi chier de contacts en deux ou trois jours”, commente Dan Riffl e, du Marijuana Policy Project [principal groupe de pression pour la légalisation du cannabis]. Dan est l’autre lobbyiste à temps plein sur le sujet du cannabis. “Il n’y avait que deux ou trois bureaux disposés à accepter une réunion. Maintenant, c’est franc-jeu partout.”

Michael n’occupe son nouvel emploi que depuis quatre mois, mais il sait déjà que ce que dit Dan est vrai. Après plus de douze ans sur la colline du Capitole, il connaît beaucoup de monde. Et, non, ses collègues républicains ne détournent pas le regard quand le nouveau lobbyiste de l’herbe croise leur chemin. “Après m’avoir félicité pour mon nouveau job, la première chose qu’ils me demandent, c’est si j’ai des échantillons”, déclare-t-il.

—Ben TerrisPublié le 24 mars 2014

Dessin de Beppe Giacobbe, Italie, pour Courrier international.

Page 9: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

BON à renvoyer à Courrier International – service abonnements – rue des Francs 79 à 1040 Bruxelles ou par fax au 02/211.31.65 ou directement sur internet à l’adresse http://shop.lalibre.be/cipod.

Oui, je désire profiter de votre off re d’abonnement au prix de 150€ pour 12 mois soit 49 numéros. Je recevrai en cadeau, l’iPod Shuff le Silver.

Nom............................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Prénom .....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Rue ........................................................................................................................................................................................................... .. .................................. N°....................................................... Bte .....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

CP .....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................Localité.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

TVA (si facture) : BE0………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………………………………….………………......………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………………………………….……………….....………………………………

Tél ......................................................................................................................................................................................................................................................................................................................Date de naissance……………………………/…………………………/……………… ...........................................................................................................................................................................

E-mail* ..........................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

………………………………………………………………………………………………………………………………..………………………………….……………….....………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………………………………….……………….....………………………………………………………………………………………………………………………………

Off re non cumulable pour un nouvel abonné (nouveau nom-nouvelle adresse) en Belgique jusqu’au 30/04/14. En cas de rupture de stock un cadeau équivalent ou de valeur supérieure sera proposé.

Un iPod Shuff le silver de 2Go d’Apple. Autonomie de 15 heures, VoiceOver (annonce de la chanson), clip intégré, inclus : écouteurs Apple et câble USB. Valeur conseillée : 50€.

Écoutez votre musique partout où vous allez !

Votre cadeau

Off re spéciale !

Abonnez-vous 12 mois à Courrier international pour 150€ seulement et recevez un iPod Shuff le silver !

*Prix calculé sur base du prix de vente conseillé et du prix de l’abonnement.

150€241,10€  *

Page 10: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

ÉDITO

7 JOURS10. Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

Vivons bien informés.

Je l’ai appris sur Un Monde d’Infodu lundi au vendredi à 16h15 et 21h45

avec

dû au fait que l’Europe doit rattraper son retard dans un secteur en pleine expansion ailleurs. Mais il y a d’autres raisons. Bon nombre de pays européens ont interdit l’exploitation du gaz de schiste. Et ceux qui l’autorisent y accolent des taxes et des impôts qui freinent lourdement le développement du secteur.

L’exemple américain est instructif à deux niveaux. La plupart des Etats américains possédant des réserves de gaz se sont opposés à l’interdiction du gaz de schiste pour mieux permettre à des projets de développement de renforcer leurs mesures de protection de l’environnement. Les détails varient d’un Etat à l’autre. L’industrie du gaz de schiste est largement acceptée au Texas, grand producteur d’énergie, où la réglementation est la moins stricte. L’Ohio et l’Illinois, qui commencent à développer ce secteur, appliquent des contrôles plus sévères. Les Européens feraient bien de s’inspirer des Etats américains qui sont parvenus à trouver un juste équilibre entre le développement économique et la protection de l’environnement.

Cette approche peut paraître moins séduisante que la démarche commerciale consistant à vanter l’intérêt d’exportations américaines. Elle prive en effet Washington d’une occasion de se flatter de son influence stratégique et elle oblige les Européens à saisir leurs problèmes à bras-le-corps. La meilleure façon de renforcer la sécurité de l’Europe n’est pas d’y exporter du gaz américain, mais le modèle américain.

—Michael Levi*Publié le 25 mars

* Spécialiste de l’énergie et de l’environnement au Council on Foreign Relations.

à propos de l’Ukraine. L’Europe possédant d’importantes réserves de gaz naturel, ces inquiétudes sont pour l’heure exagérées, mais elles n’en sont pas moins fondées.

Reste que les exportations de gaz naturel américain ne changeraient pas grand-chose à la donne. Dans la crise actuelle, elles ne pourraient pas se substituer au gaz russe, car les premiers terminaux d’exportation américains ne seront pas achevés avant au moins un an. Et, quand ils seront opérationnels, il est peu probable que de telles exportations répondent à une vraie rationalité économique. En effet, avec l’ajout des coûts de transport, le gaz russe sera toujours beaucoup moins cher. Les parts de marché des sociétés russes ne devraient guère changer en Europe. C’est plutôt vers l’Asie que les Etats-Unis exporteront leur gaz.

Cela ne veut pas dire que ces exportations ne seraient pas gênantes pour Poutine. Elles pousseraient les prix du gaz vers le bas sur le continent, ce qui est déjà une des nombreuses bonnes raisons de les autoriser. Il serait toutefois illusoire de croire qu’elles constitueraient un atout décisif contre Moscou dans l’éventualité d’une prochaine crise.

Les responsables politiques européens feraient mieux d’imiter les pratiques amé-ricaines qui ont permis une augmentation spectaculaire de la production de gaz naturel. Ainsi les Européens pourraient produire leur propre gaz au lieu de l’acheter à la Russie. D’après les estimations de l’Agence d’information sur l’énergie des Etats-Unis, l’Europe possède environ 17 000 milliards de mètres cubes de gaz de schiste exploitable, soit près de la moitié des réserves américaines. Ces ressources sont pratiquement inutilisées. Cela est en partie

En revanche, l’entrée des Etats-Unis sur le marché asiatique réduirait d’autant les débouchés de la Russie en Asie. Une diversification accrue de l’offre de gaz naturel liquéfié (GNL) – un processus qui est déjà en marche – donnerait aussi aux importateurs européens une plus grande flexibilité dans leurs sources d’approvisionnement. De telles conditions du marché ont déjà permis aux Européens de renégocier leurs contrats gaziers avec la Russie.

Relever les exportations américaines pourrait prendre des années, mais les effets ne s’en feraient pas sentir seulement à long terme, comme l’affirment certains.

En manifestant une certaine volonté d’autoriser davantage d’exportations de GNL, les Etats-Unis pourraient dissuader Poutine de jouer la carte de l’énergie et favoriseraient la négociation de contrats à long

terme pour de nombreux acheteurs.A lui seul, l’argument économique en

faveur des exportations de gaz naturel est convaincant. Autoriser ces exportations nous rapporterait de l’argent et consacre-rait ce principe essentiel selon lequel les ressources énergétiques doivent circuler librement dans le monde. Plus il y aura de grands fournisseurs qui respecteront ce principe, moins les régimes rapaces comme celui de Poutine pourront avoir d’emprise sur le marché.—

Publié le 22 mars

CONTRE

La mauvaise solution

—Financial Times Londres

Un nombre croissant de voix appellent les Etats-Unis à exporter du gaz de schiste en Europe afin de libérer le

continent de l’influence russe. Ces obser-vateurs ont raison de souligner l’avan-tage énergétique de Moscou, mais ils se trompent de solution. Si l’Europe a inté-rêt à importer une chose, ce n’est pas le gaz américain mais le modèle économique ouvert qui a permis à l’industrie du gaz naturel de se développer aux Etats-Unis.

L’Europe se procure près de 30 % de son gaz naturel auprès de la Russie. Certains craignent dès lors que Vladimir Poutine ne décide de fermer quelques robinets pour faire monter la pression sur ses adversaires

POUR

Un argument convaincant

—The Washington Post Washington

Le débat fait rage depuis quelque temps : les Etats-Unis peuvent-ils combattre Vladimir Poutine sur son

terrain favori, à savoir la poli-tique énergétique ? La réponse est oui, d’autant qu’il existe un moyen qui va dans le sens des intérêts économiques des Etats-Unis – et du monde entier. Ce moyen consiste à lever la limi-tation irrationnelle des exportations et à faciliter la construction de terminaux d’exportation de gaz naturel. [La loi amé-ricaine autorise les producteurs d’éner-gie à exporter du gaz vers le Canada, le Mexique et d’autres pays avec lesquels les Etats-Unis ont passé un accord de libre-échange, ce qui n’est pas le cas des alliés européens de Washington.]

Voilà des années que Poutine utilise les richesses pétrolières et gazières de son pays comme une arme pour mettre au pas ses voisins. A l’heure qu’il est, la forte dépendance de l’Union européenne envers le gaz naturel russe décourage toute réaction énergique de l’Occident face aux actions agressives de la Russie en Ukraine. Entre-temps, les Etats-Unis puisent dans leurs immenses réserves de gaz naturel non conventionnel [gaz naturel piégé dans des roches de faible perméabilité et difficiles d’accès. Il en existe plusieurs sortes : le gaz de schiste et le gaz de charbon.] Si le gouvernement fédéral autorisait qu’on en liquéfie et en exporte davantage, les Russes perdraient-ils une part du marché européen ?

Les choses sont plus compliquées que cela. Le gaz russe n’a en effet pas à être liquéfié pour être acheminé (par gazoduc) vers le marché européen. Il resterait donc nettement mieux placé en termes de prix que le gaz importé des Etats-Unis. Le jeu des acheteurs et des vendeurs privés orienterait sans doute les exportations américaines vers des pays où la vente de gaz est plus rentable, comme le Japon ou la Corée. Résultat : ce serait une aubaine pour l’économie américaine, mais l’Europe ne s’en trouverait pas pour autant libérée de sa dépendance au gaz russe.

CONTROVERSE

Le gaz américain, une arme contre Poutine ?Outre-Atlantique, certains législateurs poussent l’administration Obama à exporter du gaz vers l’Europe. Pour d’autres, le Vieux Continent doit augmenter sa propre production pour se libérer de la dépendance énergétique russe.

Page 11: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

Fleur de Lyst vous propose une liste de cadeaux sur-mesure,sans contrainte de temps ni de boutiques. Composez vous-même votre liste en ligne avec tous les objets, voyages, services que vous souhaitez, ajoutez-y les détails de votre événement, personnalisez votre espace mariés/naissance, et recevez l’intégralité de vos dons quand vous le souhaitez ! La liberté totale de pro ter de votre liste quand vous voulez et o vous voulez, en toute simplicité.

NOTRE MISSION : vous offrir le meilleur service, à chaque évènement important de votre vie et de celle de vos proches

Fleur de Lyst est une marquede la SA IPM GROUP NV,rue des Francs 79 à 1040 Bruxelles

Une liste de mariage – de naissance,sur mesure et sans contrainte, à lahauteur de votre événement.Vous vous mariez ? Vous attendez un heureux événement ? Félicitations !Vous et vos proches méritez le meilleur service de listes de cadeaux, en toute liberté !

Page 12: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

12. Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

d’uncontinentà l’autre.afrique

Amériques ........ 16 Moyen-Orient . ....Asie ............. 21Europe . .......... 22France ...........

Rwanda.. Chronique d’une renaissance

FOCUS

Vingt ans après l’extermination de 800 000 Tutsis, le Rwanda va vivre trois mois de commémorations. Dirigé par le pragmatique mais autoritaire Paul Kagame, le pays

tient à exorciser ses démons. Il est devenu un exemple de développement économique dans la région, mais la réconciliation reste fragile.

—African Arguments Londres

En décembre et en janvier derniers, j’ai passé quelques semaines au Rwanda et

au Burundi voisin, cet autre pays d’Afrique centrale déchiré par le conflit entre Hutus et Tutsis et qui, comme le Rwanda, a connu une guerre civile ravageuse dans les années 1990. Ces deux pays ont en commun leur petite taille et des paysages de collines presque entièrement dévolus à l’agricul-ture. Tous deux ont une popula-tion jeune, essentiellement rurale, employée à la récolte du café, du thé, des bananes et à la mise en valeur de petits lopins de cultures vivrières sur des pentes abruptes enturbannées de nuages. Mais on relève également de plus en plus de différences entre le Burundi et le Rwanda, qui, depuis le début des années 1990, ont fait des choix politiques tellement distincts qu’il suffit aujourd’hui de franchir la frontière pour constater que l’on pénètre dans un tout autre univers.

Depuis le génocide, le Rwanda a accompli des progrès spectacu-laires. Il a surtout assuré sa stabilité. Des centaines de milliers de réfu-giés rentrés du Congo, du Burundi et de Tanzanie ont été réintégrés dans leurs communautés d’origine. Le système judiciaire a condamné la plupart des principaux géno-cidaires, alors que ceux qui ont commis des crimes moins graves ont purgé leur peine et sont retour-nés dans leurs villages. La menace que faisaient peser les extrémistes hutus réfugiés dans d’autres pays a été endiguée. Les autorités ont évité que les terribles exactions de 1994 ne puissent se répéter.

Pour cimenter la paix, le prési-dent rwandais, Paul Kagame, à la tête du pays depuis quatorze ans, a imité le grand bâtisseur nationa-liste turc Mustafa Kemal Atatürk en adoptant un nouveau drapeau, un nouvel hymne national et une nou-velle langue officielle (l’anglais). Les

La surpopulation menaceLe Rwanda a accompli des progrès spectaculaires, mais ce minuscule pays est aujourd’hui guetté par un autre danger : la pression démographique.

limites provinciales ont été redessi-nées pour effacer les taches des divi-sions tribales. Le dernier samedi de chaque mois, les membres des diffé-rentes communautés se réunissent pour participer à l’Umuganda [tra-vaux communautaires de dévelop-pement] : ils réparent des routes, construisent des écoles, plantent des arbres et nettoient les rues. Le pays a par ailleurs commencé à se tourner vers l’extérieur, en adhérant à la Communauté d’Afrique de l’Est et au Commonwealth, en 2009.

Progrès. La cohabitation paci-fique a surtout été favorisée par la suppression des causes de mécon-tentement qui avaient envenimé le climat sociopolitique dans les années précédant le génocide. La corruption qui sévissait sous la pré-sidence de Juvénal Habyarimana dans les années 1980 appartient désormais au passé : le Rwanda a décroché la première place dans le classement de l’organisation de surveillance Transparency International des pays africains les moins corrompus. D’énormes progrès ont en outre été réalisés pour s’attaquer au sous-dévelop-pement historique du pays : depuis 1990, date à laquelle a débuté la guerre civile qui précéda le géno-cide, les revenus ont augmenté de près de 60 % (alors que, sur la même période, ils diminuaient au Burundi) ; les inégalités hommes-femmes ont été aplanies, initiative prise au plus haut niveau de l’Etat, puisque les femmes sont plus nom-breuses à siéger au Parlement que les hommes ; la mortalité infantile a été réduite de plus de moitié, ce qui a contribué à accroître l’espérance de vie de vingt-trois ans (contre quatre ans à peine au Burundi) ; et les infrastructures ont été renfor-cées de sorte qu’une plus grande part de la population a mainte-nant accès à l’eau, aux installations sanitaires et à des routes pavées. Le visiteur est immédiatement frappé par la propreté du pays par rapport à ses voisins.

↙ En février, dans le centre de Kigali, la capitale rwandaise. Photo Thomas Imo/Photothek/Getty

19

26

Page 13: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

AFRIQUE.Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014 13

Mais s’il est une chose qui saute tout autant aux yeux, c’est que le Rwanda est surpeuplé, et que les risques induits par sa démogra-phie menacent de saper les progrès accomplis. Dans le pays le plus den-sément peuplé d’Afrique centrale, on ne peut pas faire un pas sans croiser du monde. Toutes les col-lines sont cultivées jusqu’à la der-nière parcelle des versants ou des sommets. Avec plus de 400 habi-tants par kilomètre carré, dont les quatre cinquièmes vivent de l’agriculture, il ne reste pratique-ment plus aucune terre en friche. Et la tendance ne paraît pas près de s’inverser. Le taux de fertilité, près de cinq enfants par femme, demeure élevé et, selon les Nations unies, en l’absence d’une hausse significative de l’émigration, la densité de population devrait dou-bler d’ici à 2050. La déforestation

et la culture intensive ont sérieu-sement érodé les sols. Le pays doit d’ores et déjà importer des denrées alimentaires. Si les changements climatiques devaient accentuer les épisodes extrêmes ou appor-ter des variations défavorables de précipitations, le fragile équilibre entre populations et terres arables basculerait encore plus dans le mauvais sens.

Conflits. Au cours de ces der-nières années, la pression démo-graphique a été un facteur déclenchant de conflits dans plusieurs pays africains, car la rareté des ressources a intensi-fié la concurrence et, du même coup, exacerbé les tensions entre ethnies, religions et régions. Le fossé des générations s’est égale-ment élargi lorsque les jeunes ont compris que leurs aînés avaient accaparé les biens du pays et les postes de pouvoir. Sa démogra-phie rend le Rwanda encore plus vulnérable à cette menace : trois habitants sur cinq ont moins de 25 ans et l’âge moyen de la popu-lation est de 19 ans. Avec leur dynamisme et leur esprit d’entre-prise, les jeunes adultes peuvent aider le pays à aller de l’avant, mais ils peuvent aussi être un ferment d’agitation sociale. De nombreux conflits africains – en Sierra Leone, au Liberia, dans le nord du Nigeria et au Rwanda

comme au Burundi – ont été ali-mentés par les mécontentements d’une jeunesse privée de perspec-tives d’avenir.

La corruption et l’écart de plus en plus flagrant entre riches et pauvres ont attisé les flammes. Si le Rwanda a résolu le premier problème, les inégalités conti-nuent de se creuser et l’incapa-cité du gouvernement à résorber significativement le taux de pau-vreté (qui, entre 1990 et 2011, n’est passé que de 67 % à 62 %) indique que la croissance impres-sionnante du produit intérieur brut n’a bénéficié qu’à une petite élite urbaine.

Jeune. Lorsque la démographie pèse sur les emplois et les res-sources disponibles, une popula-tion jeune peut être une véritable cocotte-minute – et si elle n’a aucune soupape à ses frustrations, le risque d’explosion est réel. Paul Kagame a permis au Rwanda de connaître deux décennies paci-fiques et relativement prospères, ce qui a fait de lui l’enfant chéri des donateurs (l’aide étrangère ne représente pas moins des deux cinquièmes du budget annuel de son gouvernement), mais ses sou-tiens occidentaux ont, pour la plu-part, choisi de fermer les yeux sur les agissements de son régime, de l’interdiction des partis politiques à l’emprisonnement de rivaux tels que les chefs de l’opposition Victoire Ingabire et Bernard Ntaganda, et jusqu’aux allégations d’exécutions extrajudiciaires d’opposants.

Un travailleur humanitaire belge m’a parlé de deux amis euro-péens qui avaient été expulsés du pays l’année dernière, et affirmait que le gouvernement dispose d’un réseau tentaculaire d’informa-teurs et a recruté les étudiants les plus brillants des universi-tés du pays, qu’il paie pour faire circuler des rumeurs. Des sol-dats et des policiers en armes guettent à chaque coin de rue. Des milliers de Hutus languissent en exil au Congo ou croupissent dans des prisons surpeuplées. Dans son rapport 2013, Amnesty International soulignait qu’il n’y a “pratiquement plus de place pour le journalisme critique au Rwanda” et que, le régime réprimant les médias privés et usant de la tor-ture, des détentions illégales et des procès truqués pour inti-mider les opposants, “il ne reste dans le pays que peu de voix indé-pendantes”. Le Rwanda arrive en

AFRICAN ARGUMENTSLondres, Grande-Bretagnewww.africanarguments.orgCe site a été lancé en 2007 pour répondre, selon ses fondateurs, à la baisse de qualité de la couverture médiatique de l’Afrique. Il publie quotidiennement de longs articles sur des sujets ou des pays souvent ignorés ou mal compris de la presse occidentale.

L’ANNÉE 19946 avril—L’avion du président Juvénal Habyarimana, un Hutu, est abattu. Les extrémistes hutus au pouvoir accusent les rebelles tutsis du Front patriotique rwandais. Le lendemain, c’est le début du massacre. Pendant plusieurs semaines, les Tutsis seront exterminés à coups de machette, brûlés vifs ou mitraillés.23 juin—Début de l’intervention militaire et humanitaire française baptisée opération Turquoise. Elle n’arrête pas le massacre. Au contraire, les Français sont soupçonnés de parti pris.4 juillet— Le Front patriotique rwandais entre dans la capitale. Près de 1 million de Tutsis ont été massacrés. Quelque 1,2 million de Rwandais hutus fuient vers les pays voisins, notamment vers le Kivu, dans l’est du Congo. Dans la foulée un gouvernement d’union nationale est mis en place. Paul Kagame, chef de la rébellion, devient vice-président omnipotent et ministre de la Défense.17 avril 2000—Kagame est élu président par le Parlement.

162e place sur 180 pays dans le classement mondial 2014 de la liberté de la presse de Reporters sans frontières.

Pour Kagame et ses partisans, ces mesures sont un mal nécessaire pour éviter un nouveau génocide. “Nous sommes maintenant en sécu-rité”, me confiait en décembre un jeune Tutsi d’un village du nord du Rwanda. “C’est nous qui sommes au pouvoir. Si un Hutu dit du mal des Tutsis, il peut être dénoncé à la police.” Et c’est bien là le problème du Rwanda : tant que tout va bien, les gens s’entendent bien et les dif-férences sont reléguées à l’arrière-plan. Mais avec l’augmentation de la population et l’intensification de la pression sur les terres, l’alimenta-tion et les emplois, le Rwanda sera encore plus vulnérable aux chocs – qu’ils proviennent du change-ment climatique, d’un conflit qui éclaterait dans un pays voisin, de revers économiques ou d’un revi-rement des principaux donateurs. Si l’un de ces chocs ou un autre événement imprévu se produi-sait, le pays pourrait à nouveau éprouver le besoin de désigner un bouc émissaire, et ses vieux démons enfouis risquent fort de refaire surface. (Le jeune homme du Nord m’a plus tard avoué que, comme quelques autres Tutsis de son village, il ne fréquentait jamais les bars de crainte que leurs bois-sons ne soient empoisonnées.)

Dans les décennies à venir, le peuple du Rwanda et ses gouver-nants auront moins de marge de manœuvre : en bâillonnant les médias et la liberté d’expression maintenant et en restreignant plus encore cet espace par la suite, le gouvernement de Paul Kagame risque de faire monter la pression jusqu’au point d’explosion.

—Mark WestonPublié le 24 février

Le pays est le plus densément peuplé d’Afrique centrale

Economie Le choix de la matière griseDépourvu de matières premières, Kigali investit dans les services, notamment dans le numérique et la finance.

—The New York Times (extraits) New York

Au douzième étage de la Kigali City Tower, un immeuble de bureaux

moderne qui se dresse sur le flanc de l’une des célèbres collines de la capitale, ceux qui souhaitent faire de ce petit pays rural un centre financier et multimédia s’efforcent de trouver leurs marques.

La Bourse de l’Afrique de l’Est – une dizaine de serveurs et un logiciel de pointe fourni par le Nasdaq – a tenu ses six premières ventes aux enchères l’année dernière. Cette activité en est à ses balbutiements, mais elle explique en partie comment un pays dépourvu de pétrole, de gaz naturel et autres ressources naturelles importantes a pu connaître une croissance aussi rapide ces dernières années. “On s’est dit qu’elle pouvait servir la région et peut-être constituer un tremplin pour le reste de l’Afrique”, déclare Paul Kukubo, son directeur.

D’après le Fonds monétaire international, l’Afrique sub- sahar ienne connaîtra une croissance moyenne de 6,1 % cette année, contre 3,7 % dans le monde. Pour certains, ces chiffres enthousiasmants s’expliquent essentiellement par la vente de réserves de pétrole et de gaz ou de métaux et de minerais précieux, et les bénéfices ont été partagés entre les comptes offshore des ploutocrates du continent et certains groupes étrangers.

Le Rwanda présente un modèle différent selon les analystes : sa croissance a été de près de 8 % en moyenne au cours des quatre der nières années g râce à l’accroissement de la productivité agricole, du tourisme et des investissements publics dans les infrastructures et le logement. Malgré une population de

Repères

SOURCE

→ 14

Kigali

Bujumbura

BURUNDI

RÉP. DÉM.DU CONGO

TANZANIE

OUGANDA

RWANDA

150 km

LacKivu

Nil

LacTanganyika

LacTanganyika

LacTanganyika

SOU

RCES

: PN

UD,

FM

I, FR

ANC

E D

IPLO

MAT

IE. D

ERN

IERS

CH

IFFR

ES D

ISPO

NIB

LES

Superficie : 26 338 km2 ● Population : 11 millions d’hab. ● Densité de population : 430 hab./km2 ●

Composition ethnique (avant 1994) : Hutus (84 %), Tutsis (15 %) ; on estime que 3 Tutsis sur 4 auraient été tués au cours du génocide ● Classement selon l’IDH : 167e sur 186 ●

Page 14: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

14. Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014AFRIQUE FOCUS RWANDA.

économiques du Rwanda.Le pays est donc plus que jamais

à la recherche d’investisseurs plutôt que de donateurs. En avril 2013, il a lancé un emprunt obligataire de 290 millions d’euros sur les marchés internationaux.

Le Rwanda s’en sort mieux que beaucoup d’autres et continue à faire des progrès tangibles en termes de conditions de vie. Le pourcentage de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté est passé de 59 à 45 % entre 2001 et 2011, et la part des personnes vivant dans une extrême pauvreté a chuté encore plus rapidement. L’espérance de vie, l’alphabétisa- tion, la scolarisation à l’école primaire et les dépenses de santé ont toutes augmenté ces dernières années. Objectif du Rwanda : devenir un pays à revenu moyen.

Réseaux sociaux. Au-delà des limites de la ville, 90 % des Rwandais travaillent toujours dans les vertes collines à faire pousser en terrasse bananes, sorgho, pommes de terre, essentiellement pour assurer leur subsistance.

Le Rwanda espère devenir un centre multimédia pour les 135 millions de personnes de la Communauté de l’Afrique de l’Est, un marché commun régional. Il s’est équipé de plus de 1 600 kilomètres de câbles de fibre optique et le gouvernement a signé l’année dernière un contrat pour

franceculture.fr

RWANDA, 20 ANS APRÈS LE GÉNOCIDE

DANS AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE CHRISTINE OCKRENT

SAMEDI 5 AVRIL 12h45-13h30en partenariat avec

la construction d’un réseau 4G qui couvrira 95 % de son territoire.

“La vision stratégique qui guide cette évolution, c’est une économie de la connaissance, déclare Jean-Philbert Nsengimana, le ministre de la Jeunesse et des Technologies de l’information et de la communication. C’est là que nous voulons aller, passer d’une économie agricole à une économie de la connaissance, en sautant l’étape industrielle.”

Le Rwanda est confronté à une concurrence féroce. Le Kenya possède un secteur des start-up florissant, Google, Intel et Microsoft y ont des bureaux et le marché de la consommation, qui attire les entreprises étrangères, y est bien plus étendu. Kigali présente cependant l’avantage d’avoir une circulation fluide et une faible criminalité à côté des rues embouteillées et bien plus dangereuses de Nairobi.

D’après Elettra Pauletto, de Control Risks, un cabinet d’intell igence économique de Londres, si la stabilité et l’efficacité du pays peuvent attirer les investissements, ce peut être une épée à double tranchant pour ceux, entreprises incluses, qui s’attirent le mécontentement des autorités. Le gouvernement a pris le contrôle de la galerie marchande Union Trade Center de Kigali quand son principal actionnaire est parti en exil en Afrique du Sud.

“La politique environnementale est très autoritaire, ajoute Elettra Pauletto. Et l’inviolabilité des contrats n’est pas toujours respectée.”

Pourtant la Banque mondiale classe le pays 32e sur 189 pour la facilité d’y faire des affaires, et devant les Etats-Unis quant à la simplicité des modalités de création d’une entreprise.

“Il est très facile de se lancer”, dit Clarisse Iribagiza, cofondatrice de HeHe [un spécialiste des applications pour téléphones mobiles] : la création de la société leur a pris une journée et leur a coûté moins de 40 dollars. On peut obtenir l’aide d’un fonctionnaire par les médias sociaux. “Si j’ai besoin d’entrer en contact avec un ministre, c’est beaucoup plus simple que quand nous avons commencé, ajoute- t-elle. En gros, j’envoie un tweet et on me répond.”

Avenir numérique. La Bourse du Rwanda, qui a ouvert ses portes en 2011, est toujours en train de chercher ses marques. Pierre Célestin Rwabukumba, 39 ans, le directeur, est revenu au Rwanda en 2004 après avoir été courtier à New York et a commencé par travailler à la banque centrale. “Nous avons commencé à partir de rien il y a neuf ans.” Trois ans après les débuts de la Bourse, seules deux sociétés locales, le brasseur Bralirwa et la Banque de Kigali, avaient été introduites. L’indice des transactions a cependant augmenté de 44 % l’année dernière, ce qui montre que la Bourse va dans la bonne direction, comme le pays.

“L’ordre règne ; nous sommes directs, clairs, propres – le pays est régi par la loi”, ajoute M. Rwabukumba dans son bureau du deuxième étage de la Kigali City Tower.

Quelques étages plus haut, Ara Nashera, 27 ans, de Zilencio Creativo, planche sur une plateforme de f inancement participatif appelée eNkunga, qui vise à réunir des fonds par téléphone cellulaire en Afrique. Le système est peut-être nouveau au Rwanda, mais pas le concept.

“C’est en faisant appel à la communauté que les gens envoient un enfant à l’université ou financent un mariage”, explique Ara Nashera. La ville s’étend derrière lui et de nouveaux immeubles de bureaux se dressent dans le centre naissant.

—Nicholas KulishPublié le 23 mars

“Notre vision stratégique, c’est une économie de la connaissance”

13 ← 12  millions d’habitants seulement, le pays figure au premier rang des marchés africains les plus intéressants pour la distribution dans le premier “Indice du développement de la distribution en Afrique”, réalisé par le consultant A. T. Kearney.

Devant le ministère des Finances, un mémorial dédié au génocide de 1994 rappelle l’urgence de l’action économique du gouvernement. Si le président, Paul Kagame, justifie son autoritarisme par la nécessité d’empêcher le retour de l’instabilité, c’est l’augmentation du niveau de vie qui a permis d’apaiser les tensions.

“Je pense que c’est un bon modèle économique pour le reste de l’Afrique, déclare Amadou Sy, de l’Initiative pour la croissance africaine de la Brookings Institution. Tout le monde a une vision des choses, mais eux ils réussissent. Les preuves sont là.”

Selon lui, le Rwanda fait mieux que la plupart des autres pays de la région en matière d’endettement, d’inflation et de croissance. “Le seul point faible que je vois, c’est le côté politique.”

Pas seulement. Le pays dépend lourdement de l’aide étrangère. Or celle-ci a été sévèrement réduite quand un rapport des Nations unies a accusé le pays d’alimenter une rébellion en République démocratique du Congo. La Banque mondiale a annoncé l’année dernière que cette diminution assombrissait les perspectives

Témoignage

↓ Une rue commerçante à Kigali. Photo Thomas Imo/Photothek/Getty

VIVRE APRÈSDonatille Nibagwire fait partie de ces survivants du génocide qui ne se sont pas laissé abattre par ce terrible épisode de l’histoire du Rwanda. Elle a fondé un nouveau foyer et dirige une affaire prospère.Sur les pas de son père défunt, sa plus grande inspiration à ce jour, Donatille a créé il y a treize ans Floris Rwanda, une société qui exporte vers l’Europe des produits agricoles. “Mon père était un agriculteur réputé, se rappelle-t-elle. J’ai toujours observé attentivement sa manière de travailler. Il dirigeait avec succès l’une des fermes modèles du pays – il cultivait du café et des avocats, notamment. De nombreux paysans de la région lui rendaient visite pour s’instruire auprès de lui.” Quand elle a lancé Floris Rwanda, tout ce qu’elle avait appris en observant son père lui a servi. Trois mois après le lancement, elle avaient une clientèle si importante qu’elle ne pouvait plus répondre à la demande de fruits et d’autres produits agricoles. Aujourd’hui, elle travaille avec 538 familles. Sa société est devenue le premier exportateur de bananes bio du pays.—Gloria Iribagiza The East African (extraits)Nairobi. Publié le 7 mars

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

Retrouvez la version intégrale de ce témoignage dans notre dossier “Rwanda, vingt ans après le génocide”

Page 15: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

DE

SIG

NE

D B

Y M

PO

INT

PR

OD

UC

TIO

N.B

ELES PERLES PARISIENNES

LE GOLF D’ISLE ADAM, LE GOLF DE SAINT-GERMAIN ET LE GOLF D’APREMONTUn régal pour les yeux, un défi pour le swing : c’est toute la magie

du sport de St Andrews !

Paris Match et La Libre Belgique organisent la quatrième édition du Master Golfer, ouvert à tous les joueurs amateurs (Handicap 28 minimum). Ce tournoi de prestige se déroulera sur les parcours mythiques du le Golf d’Isle Adam, le Golf de Saint-Germain et le Golf d’Apremont.

LE CONCEPT DU MASTER GOLFER ?Réserver à une quarantaine de joueurs le privilège de disputer, chaque année, un tournoi d’exception sur des ‘championship courses’ de légende.

VOTRE TOURNOI- Equipes de deux joueurs en « quatre balles, meilleure balle » stableford - Remise des prix chaque jour- Cadeaux : polo et balles logotés

INFOS ET RESERVATIONDenis Heskin : +32 (0)475/33 05 [email protected]

LE PRIX DE 895 € P/P COMPREND- Hôtel Mont-Royal/2nuits- Tous les green fees avec practice inclus- Cocktail et soirée parisienne- Les dîners prévus au programme- Encadrement et gestion de la compétition

par Denis Heskin de Golfstar Europe- Belle table de prix net et brut lors des

compétitions

DU 18 AU 20 AOÛT 2014

MASTER GOLFER

2014BY PUIL AETC O DEWAAY

Page 16: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

16. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

U T A H

IDAHO

WYOMING

NEV

AD

A

ARIZONA

COLO

RAD

O

Salt Lake City

BountifulGrandLac Salé

Montagnes

Rocheuses

150 km Col

ora

do

Etats-Unis. Désintox pour mormonsDans l’Utah, des groupes de soutien tentent de convaincre les croyants d’abandonner le mormonisme, quatrième confession des Etats-Unis.

amériques

—Newsweek (extraits) New York

Samedi matin à Bountiful, dans l’Utah. Becky McKin-non, une blonde musclée de

33 ans, est au club de gym pour son cours de yoga. Elle a un peu la gueule de bois. Cela n’a rien de remarquable, si ce n’est que Becky a des racines mormones profondément ancrées, comme la plupart des gens de la région. Située à 18 kilomètres du siège de l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours, à Salt Lake City, Bountiful est 100 % mormone : ni le yoga ni l’alcool ne font partie des mœurs locales.

Timmy Chou, son compagnon de 56 ans, discute avec un homme

mis à chercher des sources objec-tives. “Les faits les plus simples ont le pouvoir d’ébranler le monde d’un mormon”, affirme-t-il.

Timmy a passé au crible toutes les inexactitudes historiques du Livre de Mormon pendant trois ans, puis il a envoyé une lettre de démission à l’Eglise, qu’il a quittée officiellement avec son épouse et leurs quatre enfants. (Timmy et sa femme ont par la suite divorcé : il explique qu’ils n’étaient pas très compatibles en dehors de leurs “rôles de mormons”.)

Le mormonisme relève du “tout ou rien”, indique Deanna Rosen. “Si quelqu’un ouvre la boîte de Pandore, cela ne fait que poser des questions supplémentaires, car tout est lié. Ce n’est pas comme d’autres religions où on peut accepter certaines choses et en rejeter d’autres.”

L’évangile de l’alcool. L’Utah détient le taux record de dépres-sions nerveuses aux Etats-Unis et se classe septième pour le nombre des suicides, selon un rapport du cabinet de conseil Thomson Healthcare. Pour Deanna Rosen, la position de l’Eglise à l’égard de l’homosexualité contribue à ces statistiques. Un tiers de ses patients sont des homosexuels qui ont été élevés dans la foi mor-mone et beaucoup d’entre eux ont été chassés du foyer fami-lial. Deanna les oriente vers les PostMo et d’autres groupes d’an-ciens mormons qui défendent les droits de la communauté LGBTQ. “Ces collectifs sont similaires à l’Eglise au sens où ils se réunissent tous les jours, explique-t-elle. Grâce à cela, ils peuvent passer d’une commu-nauté à l’autre.” Beaucoup de ses patients ont peur de perdre leur emploi dans des entreprises appar-tenant à des mormons. “Ils doivent pour ainsi dire trouver de nouveaux

↙ Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours…“Les autres religions aussi ont leur propre gouvernement ?” Dessin de Pat Bagley paru dans The Salt Lake Tribune, Salt Lake City.

qui a l’air mal à l’aise. “Ça fait un bail, lance le monsieur en tendant la main. Restons en contact.” “C’est vrai, répond Timmy en lui glis-sant une carte de visite. A bientôt.”

L’homme, qui a vu Timmy à des réunions mormones, regarde la carte. Son sourire laisse place à une expression choquée. “Vous vous posez des questions sur l’Eglise mor-mone ? indique la carte. Vous envisa-gez de quitter l’Eglise mormone ? Vous avez déjà quitté l’Eglise mormone ? VOUS N’ÊTES PAS SEULS.” Suit une liste de six sites Internet, dont PostMormon.org, une commu-nauté en ligne pour ex-mormons qui compte 9 275 membres.

En tant que missionnaire à Hawaii, Timmy a naguère con-verti des dizaines de personnes.

Maintenant, il utilise son éloquence pour prêcher l’inverse.

Lorsqu’ils voyagent, Becky et Timmy aiment descendre dans les hôtels Marriott, une chaîne qui appartient à des mormons. Ils en profitent pour laisser une de leurs cartes dans le Livre de Mormon, dont une copie est censée se trou-ver dans toutes les chambres. C’est une technique que Becky a apprise dès l’enfance. Les mor-mons appellent ça des “cartes à faire passer”.

Becky et Timmy font partie des huit personnes qui animent un groupe de soutien pour les anciens mormons. Ils se réunissent deux fois par semaine au Kafeneio, un café du centre de Salt Lake City. Les PostMo sont très marginalisés dans

l’Utah, où les mormons représen-tent environ 62 % de la population et 77 % des membres du gouver-nement de l’Etat, et où la culture mormone imprègne presque tous les aspects de la vie quotidienne. Nombreux sont ceux qui ont peur d’exprimer leurs doutes sur l’Eglise. Un conseil disciplinaire peut ordon-ner l’excommunication de tout membre qui s’égare – une marque au fer rouge des temps modernes.

Deanna Rosen, psychothéra-peute, aide depuis douze ans les personnes qui ont quitté le mor-monisme à Salt Lake City. Dès qu’elle est arrivée du Texas, les sceptiques ont trouvé le chemin de son bureau. “Il n’y a pas un seul psychothérapeute dans l’Utah qui ne reçoive des mormons pleins de doutes”, explique Deanna, ajou-tant que tout commence lorsqu’ils interrogent Google.

Ses patients trouvent des infor-mations historiques en ligne, comme le fait que Joseph Smith, fondateur de l’Eglise, avait des dizaines d’épouses, dont certaines n’avaient que 14 ans. (Actuellement, il est enseigné que la polygamie était pratiquée dans les années 1840 conformément à une “révé-lation donnée par l’intermédiaire de Joseph Smith”, mais les pratiques polygames du prophète ne sont pas mentionnées.) Pour Deanna Rosen, “l’effet Google” est parti-culièrement puissant, car l’Eglise interprète ses paroles d’évangile littéralement.

Timmy est un cas d’école. Il avait 50 ans lorsqu’il est tombé sur un article du quotidien Salt Lake Tribune selon lequel des traces d’ADN prouvaient que les ancêtres des Indiens d’Amérique venaient d’Asie. Selon le Livre de Mormon, “les principaux ancêtres des Indiens américains” étaient un groupe d’Is-raélites arrivés en Amérique vers 600 avant J.-C. (En 2006, cette thèse a discrètement été remplacée par la formule “parmi les ancêtres des Indiens américains”.) Timmy, qui est à moitié chinois, a passé presque toute sa vie à lire des livres cautionnés par l’Eglise, à regarder des films cautionnés par l’Eglise et à s’informer grâce à la radio de l’Eglise. Après avoir découvert l’ar-ticle du Salt Lake Tribune, il s’est

Les mormons représentent 62 % de la population de l’Utah

CA

GLE

CA

RTO

ON

S

Repères

Page 17: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

AMÉRIQUES.Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014 17

↙ Dessin de Reumann, Suisse.

amis et de nouvelles familles, et même parfois un nouveau lieu de travail.”

Le mormonisme interdit de nom -breux usages de la vie laïque, dont l’alcool. Lors d’un cours que Becky et Timmy organisent tous les mois, les nouvelles recrues apprennent à s’affranchir de l’idée selon laquelle boire de l’alcool est un pêché.

Dans une salle lumineuse de l’en-treprise Utah Business Insurance, Timmy distribue des fiches tech-niques et fait défiler une présenta-tion PowerPoint. Il prêche l’évangile de l’alcool à 47 personnes. Plusieurs d’entre elles y goûtent pour la pre-mière fois. Des bénévoles font passer des plateaux en argent où s’alignent des gobelets minuscules de rhum-Coca et de piña colada. Il s’agit des gobelets officiels utilisés par l’Eglise pour les sacrements, que Karena Ball a trouvés sur eBay. (Après avoir abandonné le mormo-nisme, Karena Ball et son mari sont devenus d’avides collectionneurs de souvenirs mormons ironiques.) Becky montre comment faire un shot correctement. A l’unisson, le groupe suit son exemple.

Après le cours, les participants sont invités à consommer le reste de l’alcool en open bar et tout le monde porte un toast à la santé du juge Robert Shelby. Le 20 décembre 2013, il a rendu un arrêt en vertu duquel l’interdiction du mariage homosexuel dans l’Utah est contraire à la Constitution amé-ricaine. (La Cour suprême fédérale, en attendant l’issue de la procé-dure d’appel lancée par l’Utah, a suspendu la décision.) Certains participants profitent de l’occasion pour prendre leur première cuite. Ils préfèrent perdre leur virginité alcoolique avec des PostMo que des NeverMo, comme ils appellent le reste de la population. Vingt minutes après le début des festivi-tés, l’une des nouvelles s’effondre et Becky se précipite pour lui donner des bretzels et de l’eau.

Les PostMo de Salt Lake City proposent toute une série de cours qui dérouteraient n’importe quel non-initié, mais ils sont essen-tiels pour ceux qui abandonnent peu à peu le mode de vie mormon. Ils abordent des sujets comme “commander un café à Starbucks” et “acheter des sous-vêtements nor-maux”, indispensable après avoir

porté toute sa vie les dessous auto-risés par l’Eglise.

Dans la comédie musicale sati-rique The Book of Mormon, deux missionnaires parcourent des vil-lages d’Ouganda où la famine fait rage, pour essayer de convertir les habitants (plus préoccupés par des problèmes comme la guerre et le sida). Les PostMo, dont la plupart ont été missionnaires, connaissent parfaitement les ficelles du prosé-lytisme, mais Internet s’avère un outil de recrutement bien plus effi-cace que l’envoi de missionnaires dans des contrées lointaines.

Jeff Ricks, un designer barbu âgé de 59 ans, a lancé le site Post-Mormon.org en 2002. Beaucoup de groupes qui organisent des réu-nions sont nés sur les forums de ce site. En 2007, Jeff Ricks a com-mencé à collecter des fonds pour installer des panneaux publicitaires dans les zones où les mormons sont majoritaires. Les panneaux ne comportent qu’une seule phrase : “PostMormon.org : vous n’êtes pas seuls”. Plus il en achète, plus la fréquentation du site augmente. Selon lui, le site enregistre actuel-lement environ 10 millions de clics par mois.

Les PostMo n’ont pas les moyens de mener de gigantesques cam-pagnes de communication. Leurs tactiques de recrutement doivent être créatives. Grâce à des publi-cités sur Facebook, ils ciblent des personnes qui “aiment” la page du président Barack Obama, mais qui se déclarent mormons ou qui vivent dans l’Utah. Ils interprètent ces informations comme une ouver-ture, une inclination libérale asso-ciée à une religion connue pour son penchant conservateur.

Quatre jours avant Noël, 80 an ciens mormons se retrouvent au pub Legend’s pour célébrer Festivus, une fête laïque “pour tous les autres”, popularisée par un épisode de Seinfeld diffusé en 1997. Les conversations sont étouf-fées par la clameur éméchée des PostMo qui chantent à tue-tête des tubes de mormons repentis, comme Jesus Walks et Losing my Religion.

“Je crois que tout le monde se sent plus libre d’être soi-même, remarque Timmy. L’un des aspects les plus néfastes du mormonisme, c’est qu’il impose aux gens une fausse iden-tité et qu’ils doivent vivre dans cet espace. C’est une fois le voile levé que l’on ouvre les yeux : voilà à quoi la vie devrait ressembler.”

—Hannah MietPublié le 30 janvier

“Ce genre de message prônant la fidélité et l’abstinence est contre-productif et antiscientifique”, ren-chérit Mário Scheffer, professeur à l’université de São Paulo (USP). Comme l’ont montré, rappelle-t-il, des travaux publiés en 2007 dans le British Medical Journal et portant sur 13 études menées sur 15 000 jeunes âgés de 10 à 21 ans, les incitations à l’abstinence n’em-pêchent nullement les pratiques sexuelles présentant des risques d’infection au VIH, pas plus que les grossesses non désirées.

La distribution du guide de la Fifa a débuté en février : ces fascicules seront utilisés par les enseignants de 132 établissements scolaires situés dans les villes qui accueilleront des matchs de la Coupe du monde. Ils n’ont rien de nouveau : réalisés dans les années 2009-2010, ils ont déjà été utili-sés [à l’occasion de la Coupe du monde de 2010] en Afrique du Sud, dont les autorités préconisaient, elles, fidélité et abstinence dans la prévention du sida.

Le projet [“11 pour la santé”] de la Fifa porte sur 11 enjeux

—O Estado de São Paulo São Paulo

Le ministère de la Santé a autorisé la distribu-tion d’un guide, réalisé

par la Fédération internatio-nale de football (Fifa), qui pré-conise l’abstinence et la fidélité comme méthodes de prévention du sida – des orientations pour-tant contraires à la politique menée par le Brésil. Si les autorités brési-liennes ont bien demandé à amen-der le document avant publication, les modifications introduites sont finalement restreintes. La solution, critiquée par les organisations non gouvernementales (ONG) et les spécialistes de la santé publique, a consisté à ajouter une page d’er-ratum au guide.

“Il faudrait réimprimer les ouvrages : personne ne va lire un feuillet annexe, c’est évident”, estime Juan Carlos Raxhach, chef de projet à l’Association brésilienne interdisciplinaire sur le sida (Abia). Au Brésil, les actions de préven-tion se sont toujours fondées avant tout sur l’usage du préservatif.

BRÉSIL

La Fifa, le sida et l’abstinenceTrois mois avant la Coupe du monde, dans un guide distribué dans les écoles, la Fédération internationale de foot va totalement à l’encontre de la politique de prévention menée dans le pays.

Abandonner peu à peu les préceptes et le mode de vie de l’Eglise

sanitaires, dont la prévention de la toxicomanie et de l’obésité. La proposition, qui a reçu le feu vert des ministères de la Santé, de l’Education et des Sports, est que les écoliers travaillent sur le manuel pendant les cours ou lors d’activités extrascolaires. Lors de la présentation du manuel, la fédération internationale a assuré que son objectif était d’of-frir “une éducation à la santé qui soit sérieuse”.

“Il est extrêmement triste, pour ne pas dire plus, que la Fifa ait la liberté de diffuser un tel document sans tenir compte des spécificités bré-siliennes”, dénonce Juan Carlos Raxhach. Pour Mário Scheffer, les erreurs du manuel sont innom-brables. “Non content de mar-quer un recul dans le débat sur le sida, cet ouvrage met l’accent sur la responsabilité individuelle, et non sur les vulnérabilités de cer-tains groupes de population, ce que nous estimons pourtant essentiel, explique-t-il. Formuler des injonc-tions de comportement, c’est une erreur totale.”Pour Juan Carlos Raxhach, l’Etat brésilien s’est montré complaisant en autorisant la

distribution du guide de la Fifa, et ce n’est pas le seul motif de plainte à l’égard de l’attitude du ministère dans ce domaine. “C’est le signe d’une régression dans la politique brésilienne de lutte contre le sida, et ce n’est pas le premier. Cela va bien au-delà des considé-rations religieuses, affirme-t-il. Mais nous savons que les évangé-liques ont une forte influence au gouvernement, en particulier en année électorale.”

—Ligia FormentiPublié le 21 mars

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

A lire : “Le Brésil pour les nuls selon la Fifa”.La Fifa a publié un guide à destination des touristes qui se rendront à la Coupe du monde. Ce “Brésil pour débutants” de très mauvais goût est un condensé de conseils ridicules et puérils, fustige le correspondant d’El País au Brésil. Face aux réactions, la Fédération internationale de football a décidé de cesser la diffusion en ligne du fascicule.

Page 18: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

AMÉRIQUES18. Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

Vu d’ailleursVendredi à 23 h 10, samedi à 11 h 10 et dimanche à 14 h 10, 17 h 10 et 21 h 10.

L’actualité française vuede l’étranger chaque semaine avec

présenté par Christophe Moulin avec Eric Chol

capable de venir à bout des vieilles résistances. Car la seule manière pour la droite et la gauche de réussir à vivre ensemble sur un territoire aussi exigu, c’est d’accepter le pouvoir des urnes et de respecter le résultat, si infi me que soit l’écart entre les deux candidats.

Croire qu’en Amérique centrale les élections peuvent se jouer à une voix est illusoire. Mais, quand les marges sont très étroites, quand la démocratie est véritablement mise à l’épreuve, il n’est pas rare que le perdant refuse la défaite et s’en indigne bruyamment, en brandissant la menace de ne pas reconnaître les résultats.

Cette mauvaise foi est la conséquence d’une polarisation de la vie politique qui, au Salvador, n’a jamais complètement disparu. Et les résultats de la dernière présidentielle en sont un exemple f lagrant. Norman Quijano, candidat de droite de l’Alliance républicaine nationaliste (Arena), a perdu de seulement 6 000 voix face à Salvador Sánchez Cerén, ancien chef guérillero, candidat du Front Farabundo Martí pour la libération nationale (FMLN,

—El Faro San Salvador

Le “petit poucet” : voilà com-ment [la grande poétesse chilienne] Gabriela Mistral

qualifiait le plus petit des pays du continent américain. Mais les territoires les plus petits en taille peuvent aussi produire les aff ron-tements politiques fratricides les plus explosifs et les plus dévasta-teurs. C’est ce qui est arrivé lors de la guerre civile des années 1980, qui s’est achevée, faute de com-battants, par des accords de paix exemplaires, signés en 1992.

Ce confl it opposait les guérilleros marxistes, qui souhaitaient imposer leur vision révolutionnaire, à l’armée conservatrice, attachée à l’ancien statu quo. Dans ce théâtre des opérations miniature, les combattants devaient se partager les versants des mêmes volcans ; déployés de part et d’autre des fl ancs de la montagne, les uns en haut, les autres plus bas, comme si toute cette histoire avait été écrite par un auteur de contes comme Perrault, le créateur du Petit Poucet.

Jusqu’à présent les accords de paix ont joué leur rôle de fi let de protection. Tissée de fils invisibles, cette toile, sur laquelle les vieux démons se cognent et rebondissent, gagnerait à être encore plus dense, avec une trame institutionnelle plus riche,

SALVADOR

Sur la voie de la modernité démocratiqueDans ce petit pays d’Amérique centrale, les institutions se sont révélées assez fortes pour garantir un résultat électoral qui était contesté.

organisation réunissant cinq mouvements de guérilla fondé en 1980 et légalisé en parti politique en 1992). Le pays est coupé en deux. Si cela avait été l’inverse, avec le FMLN battu d’une courte tête, on aurait entendu les mêmes protestations pour refuser de reconnaître les résultats. Cette fois le tribunal a demandé la vérification des procès-verbaux des bureaux de vote, et le décompte a donné des chiff res similaires aux résultats offi ciels. Et ce fi let de sécurité permet aux ennemis héréditaires de ne pas retomber dans leurs erreurs du passé. Mais parfois les expressions de mauvaise foi, héritage des anciennes dissensions, dépassent les bornes. Le soir de l’élection, le candidat malheureux, Quijano, a ainsi réclamé l’intervention de l’armée pour mettre de l’ordre, appelant à restaurer la démocratie et donner le pouvoir à l’Arena. Mais cette volonté délibérée de mettre en pièces le fi let de protection n’aurait fait qu’entraîner la chute du pays.

Alternance. Heureusement le fi let de protection était toujours là et bien disposé à résister. Dans la soirée, le ministre de la Défense, le général David Munguía Payés, s’est exprimé, entouré de ses hommes, pour dire que les forces armées du Salvador respectaient le résultat de l’élection. Et qu’ils ne laisseraient personne instrumentaliser

l’institution militaire, “pour des objectifs contraires à la volonté populaire”. Par ces propos, l’armée a clairement pris position et reconnu officiellement que l’ancien ennemi guérillero avait parfaitement le droit de prendre la tête du pays s’il était élu de manière légitime.

L’Amérique centrale, cette arrière-cour de bruit et de fureur, est en train de montrer au reste du monde qu’elle peut prendre le chemin de la modernité, grâce à l’alternance démocratique et au recomptage transparent des voix. C’est ce que nous avons vu également au Honduras, quand Juan Orlando Hernández, du Parti national, a battu Xiomara Castro, du parti de gauche Libre. Au Costa Rica, Luis Guillermo Solís, candidat du parti émergent Action citoyenne, est resté seul en lice au second tour [prévu pour le 6 avril], le candidat du parti sortant, Libération nationale, Johnny Araya, s’étant désisté [non pour protester contre d’éventuelles fraudes mais parce qu’il savait qu’il allait perdre].

Aucun modèle politique ne peut se passer de cet élément essentiel de la vie politique que sont les

élections. Et les élections sont le seul moyen de permettre à la défi ance de céder la place à la tolérance.

Il faut se soumettre aux règles de la démocratie. Une démocratie qui doit être crédible en donnant sa chance à tous, sans imposer d’idéologies ni placer toujours le même parti au pouvoir, sinon elle cesse d’être une démocratie.

Filet de protection. Aujourd’hui le président Sánchez Cerén doit garder les yeux bien ouverts pour ne pas se faire dévorer par l’ogre de la dissension, ni sombrer dans un sommeil trompeur en faisant abstraction de la moitié des électeurs qui n’ont pas voté pour lui. Il lui faut chausser les bottes de sept lieues, une pour chaque moitié du pays. C’est le seul moyen de préserver le fi let de protection qui sépare le pays de l’abîme.

—Sergio Ramírez*Publié le 19 mars

* Ecrivain nicaraguayen. Engagé dans la révolution sandiniste et vice-président du premier gouvernement sandiniste élu, de 1984 à 1990, il a ensuite pris ses distances avec le président Daniel Ortega.

Contexte●●● Candidat du parti de gauche au pouvoir, le Front Farabundo Martí pour la libération nationale (FMLN), Salvador Sánchez Cerén a été élu à la présidence du Salvador avec 50,11 % des voix le 9 mars 2014, contre 49,89 % à son adversaire de droite. Il succédera le 1er juin 2014 à Mauricio Funes, un journaliste modéré qui en 2009 avait mis fi n à vingt ans de règne de l’Alliance républicaine nationaliste (Arena, droite). L’élection de Sánchez Cerén est qualifi ée de “nouvelle grande victoire du peuple” par le journal Diario Co Latino. Cet ancien enseignant avait intégré les Forces populaires de libération

Farabundo Martí en 1972, formation qui deviendra plus tard le Front Farabundo Martí pour la libération nationale (FMLN), désormais premier parti politique du Salvador.Les élections se sont déroulées sous l’œil d’observateurs internationaux, mais le parti de droite Arena a demandé l’invalidation des résultats. Le Tribunal suprême électoral du Salvador a fi nalement donné raison au FMLN et ratifi é l’élection de Salvador Sánchez Cerén le 13 mars.Dans un pays divisé politiquement, “c’est le moment de s’engager pour la patrie”, a déclaré le nouveau président du Salvador.

Le président Sánchez Cerén doit garder les yeux bien ouverts

↙ Dessin de Kazanevsky, Ukraine.

Page 19: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

—Al-Hayat (extraits) Londres

Les relations américano-saoudiennes connaissent des tensions à cause de

deux orientations de la poli-tique moyen-orientale de Barack Obama : son abandon de la révo-lution syrienne et son envie de parvenir à une entente avec l’Iran. L’attitude d’Obama dans ces deux dossiers a surpris beaucoup de monde en Arabie Saoudite et ail-leurs. Or selon Robert Gates, ancien ministre américain de la Défense, il n’y a pas là de quoi s’étonner. Dans ses Mémoires, il

rappelle en effet que “depuis l’ad-ministration Carter (1976 à 1980), tous les présidents américains ont d’une manière ou d’une autre tendu la main aux dirigeants de Téhéran. Tous ont échoué à obtenir une réponse iranienne claire.” Et Gates d’ajou-ter que dès octobre 1979, huit mois seulement après la révolu-tion iranienne, il avait participé à Alger avec Zbigniew Brzezinski, le conseiller pour la sécurité natio-nale de Jimmy Carter, à la pre-mière réunion postrévolution entre Américains et Iraniens.

Cela veut dire que la politique de l’actuel président Obama s’inscrit dans la continuité de la stratégie de

Washington vis-à-vis de Téhéran. Depuis le voyage d’Obama à Riyad le 28 mars dernier, tout le monde se demande si les Américains ont changé de politique. La réponse est non pour ce qui est de l’Iran. Pour ce qui est de la Syrie, il y a des changements, mais les contours de la nouvelle position améri-caine sur ce point ne sont pas encore clairs.

Selon un haut responsable amé-ricain cité par The New York Times dans son compte rendu des dis-cussions entre le président Barack Obama et le roi Abdallah, “l’appa-rition d’éléments extrémistes dans l’opposition syrienne signifie qu’il

Arabie Saoudite.Obama, le président qui regarde vers TéhéranEn visite en Arabie Saoudite, le président américain a promis d’aider un peu plus l’opposition syrienne, mais son objectif premier demeure un accord avec l’Iran.

faut renforcer les éléments modé-rés”. Et d’ajouter : “Nous sommes en train d’améliorer notre coordina-tion avec nos partenaires et alliés.” Ce qui veut dire que l’administra-tion américaine, d’une manière ou d’une autre, a pris bonne note des récentes mesures saoudiennes de lutte contre l’extrémisme et de soutien aux éléments modérés de l’opposition syrienne. [Riyad punit désormais les islamistes qui ten-tent de partir de leur propre ini-tiative pour combattre en Syrie.]

De son côté, The Washington Post parle de la crainte émise par Ben Rhodes, vice-conseiller pour la sécurité nationale à la Maison-Blanche, de voir des armes sophis-tiquées tomber entre les mains d’extrémistes en Syrie. “C’est tou-jours l’une de nos préoccupations majeures”, a-t-il expliqué dans l’avion qui l’acheminait à Riyad. Et de poursuivre : “Notre position est claire : certaines catégories d’armes – dont les missiles antiaériens portés à l’épaule – représentent un danger de prolifération en Syrie.” Ceci cor-respond à la position quelque peu confuse que l’administration amé-ricaine a toujours défendue.

Hésitations. M. Rhodes est connu pour son attitude très ferme à propos des livraisons d’armes à l’opposition syrienne, mais The Washington Post cite d’autres res-ponsables américains, parlant sous couvert d’anonymat après la fin des discussions entre Obama et Abdallah et annonçant qu’il y aurait des “marges de souplesse” et qu’“Obama étudie l’envoi de tels missiles antiaériens en plus d’autres livraisons à l’opposition syrienne”. Selon The New York Times, “ces déclarations ont réjoui les Saoudiens. Mais on ne sait pas si cela changera quelque chose sur le terrain en Syrie.”

Pourquoi l’administration Obama paraît-elle si hésitante en Syrie ? En fait, Obama ne s’in-téresse pas à la Syrie en tant que telle. Certes, il pense qu’il serait bien que Bachar El-Assad démis-sionne, mais ce n’est pas sa prio-rité. Sa priorité est l’Iran, et la Syrie n’est pour lui qu’un élément de négociation avec Téhéran. Autrement dit, Washington a les yeux tournés vers Téhéran et non pas vers Damas. Cela fait des décennies que les Américains n’accordent que peu d’importance à la Syrie et semblent se conten-ter de savoir qu’elle est bordée au nord par la Turquie et au sud-ouest par Israël, deux de leurs plus proches alliés, capables de

surveiller ce qui s’y passe et de la contenir à l’intérieur de ses frontières.

Cela nous amène au constat sui-vant : les Américains ne voient pas le danger de l’influence iranienne qui s’étend de l’Irak au Proche-Orient et qui encercle ainsi la péninsule Arabique. A partir de là, l’alliance américano- saoudienne doit entrer dans une nouvelle phase. L’Arabie Saoudite doit anticiper les choses et revoir sa politique. Elle l’avait fait face à la politique stu-pide de George Bush en Irak et doit le faire à nouveau aujourd’hui face à la politique à courte vue de l’administration Obama en Syrie.

Soubresauts. Certes, l’alliance avec les Américains reste solide et repose sur des intérêts consi-dérables. La réorientation des Américains vers l’Asie du Sud-Est et leur insistance à obtenir un accord avec les Iraniens, ainsi que la chute de l’Irak et de la Syrie [dans le giron iranien], les soubre-sauts persistants du “printemps arabe” et l’hypothèse d’un choc avec la Russie à propos de la crise en Ukraine, tout cela n’affaiblira pas nécessairement cette alliance. Mais, en tout état de cause, Riyad doit changer de mode de fonc-tionnement avec les Américains.

Il fut un temps où cette alliance avait permis la libération du Koweït de l’occupation irakienne [1991]. Cette configuration a pris fin quand les Américains ont livré l’Irak aux Iraniens [en laissant un gouvernement pro-iranien s’ins-taller après la chute de Saddam Hussein].

Le principal point de faiblesse de l’Arabie Saoudite réside dans le fait qu’elle ne dispose pas de capacités militaires en phase avec le poids régional et la taille du pays [d’où la volonté d’alliance avec le Pakistan, pays sunnite et nucléaire]. De même, elle manque de structures institutionnelles pour les prises de décision politiques, intérieures et extérieures. C’est cela qui fait qu’elle ne compte pas dans les rap-ports de force régionaux, notam-ment dans le Golfe. Et c’est cette faiblesse qu’exploite l’Iran pour atteindre le cœur du monde arabe.

Les Etats-Unis sont un pays ami, et l’alliance avec cette grande puis-sance est utile. Mais pour sa sécu-rité nationale, l’Arabie Saoudite doit d’abord compter sur elle-même – politiquement et militairement – avant de compter sur les autres.

—Khaled Al-DakhilParu le 30 mars

↙ Dessin de Bleibel, Liban.moyen-orient

D'UN CONTINENT À L'AUTRECourrier international – n° 1222 du 3 au 9 avril 2014 19

Page 20: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

MOYEN-ORIENT Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

sans précédent par son exhaustivité et son ambition. Cela fait maintenant vingt ans que l’AP existe. Ces dernières années, les critiques se sont renforcées à mesure qu’il apparaissait qu’elle n’atteignait aucun des deux objectifs pour lesquels elle a été créée : un Etat palestinien indépendant et la four-niture de services publics. Si l’on y ajoute les problèmes économiques croissants et la rupture avec la bande de Gaza, l’échec s’avère total. Si l’AP devait s’effondrer, ce serait selon trois scénarios distincts.

Le premier scénario, le moins pro-bable, serait l’autodissolution volontaire de l’AP par la direction palestinienne. Le deuxième scénario serait un effondrement de l’AP consécutif à une offensive politique, militaire et économique d’Israël et à des pressions économiques et politiques amé-ricaines, en représailles à des initiatives palestiniennes violant le statu quo, telles qu’une saisine de la Cour pénale internatio-nale [contre Israël] ou le lancement d’une insurrection non armée. Le troisième scé-nario serait une implosion de l’AP consécu-tive à une déstabilisation intrapalestinienne.

—Ha’Aretz (extraits) Tel-Aviv

Bien que la plupart des Palestiniens veuillent voir l’Autorité palestinienne (AP) survivre et qu’Israël frémisse

à l’idée de devoir à nouveau assumer ses responsabilités envers les 3 millions de Cisjordaniens, le régime de Mahmoud Abbas [président de l’AP] risque de s’écrouler si Israël continue de contrecarrer les aspira-tions palestiniennes à l’indépendance. Telle est la conclusion d’une vaste étude menée pendant six mois par le très sérieux Centre de recherche politique et statistique basé à Ramallah et dirigé par le Pr Khalil Shikaki. Cette étude a mobilisé des universitaires, des ministres, des députés de tous les partis, des hommes d’affaires et des ONG, ainsi que des responsables politiques et mili-taires israéliens. “The ‘Day After’ Final Report : The Likelihood, Consequences and Policy Implications of a PA Collapse or Dissolution” [Le rapport final du “jour d’après” : probabilité, conséquences et impli-cations d’un effondrement ou d’une disso-lution de l’AP] est un rapport de 250 pages

PALESTINE

Le jour où l’Autorité palestinienne disparaîtraUne équipe d’experts palestiniens et israéliens a élaboré un scénario sur l’effondrement du fragile pouvoir palestinien né des accords de paix d’Oslo, en 1993.

Certains estiment que la désintégration de l’AP est une quasi-certitude, étant donné le refus d’Israël de parvenir à une solution fondée sur deux Etats. Selon Shikaki, ceux qui verraient d’un bon œil l’effondrement de l’AP ne sont pour l’instant qu’une mino-rité et il s’agit le plus souvent de partisans d’un Etat binational [israélo-palestinen]. Mais il est clair pour l’instant que les trois principaux acteurs (AP, Israël et commu-nauté internationale) n’ont aucun intérêt à voir l’AP disparaître.

Shikaki a demandé aux Israéliens dans quelles circonstances Israël pourrait perdre tout intérêt à la préservation de l’AP. “Ils sont convaincus que les Palestiniens ne sont pas idiots et ne voudront jamais aller trop loin.” Cette perspective israélienne tend à renforcer les critiques palestiniennes selon lesquelles l’AP sert avant tout les intérêts d’Israël. La société palestinienne dans son ensemble estime que l’AP ne continuera à exister que tant qu’Israël y trouvera son compte. Tous les participants au rapport estiment que, “à tous les niveaux, on s’efforcera d’empêcher un effondrement”. Paradoxalement, “cela donne à chacun des acteurs l’illusion qu’il peut nuire à l’autre sans trop de risques pour sa péren-nité”. Ainsi, la relation Israël-AP relève du “je te tiens, tu me tiens par la barbichette”.

Pauvreté accrue. Si le démantèlement de l’AP résultait d’une décision palestinienne, “les Palestiniens pourraient contraindre Israël soit à renforcer l’occupation et à revenir à la situation antérieure à 1994 [où Israël occu-pait toute la Cisjordanie], soit à enfin négocier sérieusement la fin de l’occupation ou se retirer unilatéralement de l’essentiel de la Cisjordanie”.Le rapport conclut que les conséquences d’une disparition de l’AP dépendront for-tement de la capacité des différentes com-posantes palestiniennes à rompre avec une longue tradition de non-planification, de manque de transparence, de centralisa-tion excessive et de manque d’organes de consultation. L’idéal serait que la direction palestinienne restaure le statut de l’OLP, y intègre les mouvements islamiques, décen-tralise la décision, confie la gestion courante à des institutions civiles, et, enfin, établisse un gouvernement en exil.

Cependant, l’étude recommande de prendre sérieusement en compte les consé-quences dévastatrices que pourrait malgré tout avoir un effondrement de l’AP. Cela inclut les dommages économiques contre les secteurs public et privé palestiniens, une pauvreté accrue, une désintégration politique et sociale, une explosion des maladies, en particulier infantiles, un renforcement des solidarités tribales et claniques, un appro-fondissement du fossé entre la bande de Gaza et la Cisjordanie, la montée des bandes armées et du chaos, et, enfin, un retour à la violence comme premier mode de lutte politique. Et il est certain que le Hamas [islamiste] en sortira renforcé.

—Amira HassPublié le 21 mars

ISRAËL

Le culte de Chuck NorrisUn colloque a été organisé à la gloire des pouvoirs surnaturels de l’acteur américain, ami d’Israël.

—Yediot Aharonot (extraits) Tel-Aviv

Parfois, une simple blague peut prendre des proportions imprévi-sibles. La mode des blagues autour

d’un Chuck Norris crédité de pouvoirs invincibles, voire surnaturels, a fini par donner naissance à une communauté de disciples censés suivre ses enseignements. Réunis autour de son culte, des disciples ont ouvert sur Facebook la page “Jewish Chuck” (https ://www.facebook.com/Jewish.Chuck) et le nombre de conversions ne cesse de croître. Désormais, il existe même un cycle de colloques consacrés au mythe.

Certains diront qu’il est question d’une célébrité devenue la victime d’un humour macabre et absurde, tandis que d’autres affirmeront sans rire que la vérité selon Chuck Norris se trouve dans des films comme Braddock ou Delta Force 2, lesquels seraient les témoignages documentés d’une vérité subliminale.

Pour certains universitaires, la vérité impose d’admettre que Chuck Norris s’est hissé au sommet du panthéon des faiseurs de miracles de notre temps. Ainsi, nous serions témoins d’un phénomène unique où un acteur de films d’action aurait le pou-voir de faire pleuvoir ou de lutter contre l’infertilité, ce qui suffirait à en faire un objet d’étude. D’ailleurs, le député Zvulun Kalfa [du parti le Foyer juif] reconnaît lui-même que les pluies abondantes qui se sont récemment abattues sur le pays sont une conséquence des actions viriles de Chuck Norris.

Organisé pour la deuxième année de suite, un colloque a été consacré à l’influence théo-logico-philosophique de Chuck Norris sur la société israélienne. La date choisie pour le colloque, le 20 mars (18 adar), fait suite à un rêve fait la même nuit par le Pr Amir Hatzroni et l’homme de médias Arel Segal, et dans lequel, selon leurs témoignages, leur est apparu le visage de Chuck Norris leur commandant de mettre sur pied un col-loque en son honneur dans la ville [-dor-toir] de Modiin chaque année. Le colloque a été organisé par une société spécialisée en contenus numériques, avec le concours de l’entrepreneur Moshé Porat. “Depuis quelque temps, je rêvais de faire de Modiin une ville dynamique, jeune et innovante.”

—Assaf WohlPublié le 20 mars

↙ Mahmoud Abbas. Dessin de Schot, Pays-Bas.

20.

Page 21: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

CO

URR

IER

INTE

RNAT

ION

AL. A

BRÉV

IATI

ON

S : B

A. B

ANG

LAD

ESH

, LA

. LAO

S.

INDECHINE

THAÏLANDE

INDECHINE

LA.LA.

BA.BA.BA.

THAÏLANDEBIRMANIE

(MYANMAR)

400 km

Mandalay

Naypyidaw

Rangoon

3

47

8

6

4 5

21

Principauxgroupes :

BirmansKaren

1 Kachins, 2 Nagas, 3 Chins, 4 Lahus, 5 Akhas

Shan et Khamti

Môn

Rohingyas

6 Kokang, 7 Palaung, 8 Wa

Plus de 130 ethnies

↙ Dessin de Cost, Belgique.

Le décompte de la population, qui se déroule jusqu’au 10 avril, suscite de nombreuses tensions interethniques et religieuses.

—Democratic Voice of Burma Oslo

Il n’existe aucune donnée démographique fiable en Birmanie. Le recensement

en cours devrait y remédier et faire apparaître les chiff res nécessaires aux grands projets de développe-ment, alors que le pays sort de la dictature militaire. Actuellement, le développement du pays se fait à partir d’estimations bricolées sur la base des rapports des ONG, d’entreprises, de l’ONU et du gou-vernement. Le chiff re offi ciel de 60,98 millions d’habitants est fondé sur le taux de fécondité extrapolé à partir du dernier recensement, en 1983. A l’époque, des diffi cultés d’accès à certaines régions touchées par la guerre civile ont sans doute biaisé le résultat – de 35 millions.

Le recensement de cette année devait rencontrer le même genre de problème, mais le Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap) et le gouvernement birman sont déterminés à faire mieux.

Exemple de cette détermina-tion, mais aussi de l’immensité de la tâche, les agents du recensement chargés de rencontrer les habitants de l’Etat du Kachin, dans les mon-tagnes du nord du pays, vont devoir marcher pendant deux semaines par les chemins de montagne pour rejoindre les villages les plus recu-lés. Mais le processus de paix n’est pas achevé. Et, comme en 1983, il y a peu de chances de procéder au recensement dans les régions où des combats persistent.

Birmanie. Un recensement à haut risque

asie

Le comptage devrait se pour-suivre malgré de sérieux risques de dérapage, alors que les rumeurs et la désinformation menacent un processus de catégorisation ethnique déjà compliqué. Cette menace est particulièrement vive dans l’Etat de l’Arakan, où les violences communautaires ont déjà poussé 140 000 personnes sur les routes depuis 1982, des musulmans rohingyas en majo-rité, tandis que des centaines de personnes ont été tuées ces deux dernières années.

Avant même d’avoir com-mencé, le recensement a ravivé les tensions. A la mi-mars, des milliers de bouddhistes sont des-cendus dans les rues des grandes villes de l’Arakan pour protes-ter contre la possibilité de s’en-registrer sous la dénomination “Rohingya”, qui ne figure pas dans la liste des 135 groupes eth-niques reconnus. Pour de nom-breux habitants de la région, les Rohingyas sont des immigrés clan-destins du Bangladesh et devraient donc être enregistrés sous le nom de “Bengalis”. [Les Rohingyas sont établis dans l’Etat de l’Ara-kan depuis au moins le début du xixe siècle. La loi de 1982 sur la citoyenneté qui établit les 135 “eth-nies historiques” ne reconnaît pas leur existence et ils sont considé-rés comme apatrides.]

La volonté du gouvernement d’utiliser la liste controversée de 135 ethnies risque de susci-ter des tensions sur l’ensemble du territoire. Les résultats du

recensement détermineront la participation des groupes eth-niques dans l’administration, la Constitution de 2008 stipulant que les représentants des mino-rités ne peuvent être nommés que dans les régions administra-tives où se trouve une “popula-tion importante” d’un seul groupe ethnique. Les conséquences poli-tiques du recensement démogra-phique préoccupent les minorités. Inquiets à l’idée que les chiff res puissent être revus à la baisse,

leurs dirigeants ont appelé leurs membres à s’identifi er comme “minorité majoritaire”.

Certaines minorités ont affi rmé vouloir procéder à leur propre recensement. Depuis l’année der-nière, les dirigeants de la minorité môn font leur propre décompte dans le sud du pays, afi n, disent-ils, de rectifier les approxima-tions du gouvernement sur les cartes d’identité.

Le recensement de 2014 ren-contre donc les mêmes diffi cultés que celui de 1983. Mais, si la col-lecte de données dans les zones en guerre reste un obstacle majeur pour la précision du résultat, nous ne sommes plus dans la Birmanie des années 1980 et le résultat sera donc forcément plus fi able à défaut d’être irréprochable.

D’après Janet Jackson, repré-sentante du Fnuap en Birmanie, remettre le recensement à plus tard “ne ferait que retarder de plusieurs années le processus de développement”.

“Le Fnuap, le Département bri-tannique pour le développement international et les autres donateurs semblent se préparer à ce que des vio-lences éclatent contre les Rohingyas et des membres d’autres commu-nautés musulmanes, plutôt que de devoir reconnaître qu’ils ont tort et que le recensement doit être ajourné”, dit Mark Farmaner, directeur de l’ONG UK Burma Campaign. “Personne ne mérite de mourir pour un recensement.”

—Angus WatsonPublié le 26 mars

Boycott Interdit aux Rohingyas●●● Face à la menace de boycott du recensement dans l’Etat de l’Arakan, le ministre de l’Information a

demandé le 30 mars aux agents du recensement de ne pas accepter le mot “Rohingya” sur les formulaires.

Une décision vue comme étant une concession envers ceux qui considèrent les membres de la minorité musulmane, évalués à 800 000 dans cette région de Birmanie, comme des immigrants illégaux venus du Bangladesh. Pourtant, en 1820, l’ethnologue britannique Walter Hamilton évoquait les “Rooingas”, expliquant que c’étaient des “mahométans établis depuis longtemps dans le pays”. Aujourd’hui, le gouvernement refuse de leur octoyer la nationalité. Principal donateur pour fi nancer le recensement, le gouvernement britannique a dénoncé la décision des autorités birmanes, indiquant que les conventions internationales stipulent que “les recensés peuvent désigner eux-mêmes leur appartenance ethnique”.

SOURCE

DEMOCRATIC VOICE OF BURMAOslo, Norvègewww.dvb.noCréée par des journalistes birmans dissidents en 1992, Democratic Voice of Burma diff use des émissions télévisées par satellite et alimente un site Internet. Son ambition : off rir des informations indépendantes. Un bureau a été installé à Rangoon après la transition démocratique entreprise par le gouvernement de Thein Sein.

D'UN CONTINENT À L'AUTRECourrier international – n° 1222 du 3 au 9 avril 2014 21

Page 22: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

↙ Geert Wilders. “Moins, moins, moins…” Sur les ailes : PVV. Dessin de Joep Bertramsparu dans De Groene Amsterdammer, Amsterdam.

Pays-Bas.Wilders, l’autocrate qui dérapeSa dernière provocation contre les étrangers et sa façon de diriger le PVV ont fait que Geert Wilders compte de moins en moins de fi dèles, ce qui pourrait lui être fatal lors du scrutin européen.

—Trouw (extraits) Amsterdam

Tous les mardis après-midi, vers 15 heures [la séance hebdomadaire où les dépu-

tés peuvent interroger le gouver-nement à l’oral, diff usée en direct à la télévision néerlandaise], les premiers agents de la sécurité font leur apparition près de la grande salle de la seconde chambre du

signifi catif des relations au sein du parti est que les députés Joram van Klaveren et Roland van Vliet ont été pris totalement au dépourvu par le discours de Wilders. Ils ont quitté le parti par la suite.

Le groupe parlementaire ne se compose plus que de douze membres à présent. Le problème pour Wilders est que les deux per-sonnes qui ont récemment quitté le parti comptaient parmi les députés PVV les plus appréciés. Joram van Klaveren, qui s’occupait du porte-feuille essentiel de l’intégration, était même considéré comme un éventuel successeur du président du groupe parlementaire. Quant à Roland van Vliet, il s’était bâti une bonne réputation au sein du Parlement. Il était président d’une commission d’enquête parlemen-taire chargée de se pencher sur les corporations de construction de logements sociaux, il est aussi à la tête de Contactgroep Duitsland, groupe entretenant des relations avec les députés du Parlement allemand.

Wilders risque à présent d’assis-ter à un exode. Pour les membres du PVV, c’est le moment de se deman-der s’ils souhaitent rester. Ces der-nières années, ils ont dû expliquer à leur entourage pourquoi Wilders avait plaidé en 2009 pour un impôt sur le port du voile islamique, pour-quoi il avait lancé un site anti-immi-grés polonais en 2012 et ce qu’il entendait par un prétendu “tsu-nami d’islamisation” depuis 2006. Les membres du PVV en proie à des doutes ont donc maintenant une bonne excuse pour partir. Seulement, après le PVV il n’y a rien. C’est ce qui retient certains d’entre eux. Ils ont renoncé à leur emploi pour faire de la politique et craignent de ne plus pouvoir retrouver du travail. Pour le PVV, ce sont surtout les électeurs qui

europedes questions diffi ciles – ce qui est souvent le cas –, il se fraie le plus vite possible un chemin à travers la foule de caméras et de journalistes.

Wilders orchestre ses relations presse avec le plus grand soin et il accorde rarement des interviews. Depuis longtemps, Trouw se voit refuser toute demande d’entretien. Quant aux journalistes du NRC Handelsblad, ils ne sont même plus les bienvenus aux conférences de presse et aux rassemblements du parti, en raison d’une couverture jugée trop critique.

En ce qui concerne son groupe parlementaire, Wilders le dirige de manière autoritaire. Pas une seule question au gouvernement ne peut être présentée sans son feu vert. Pas un membre du PVV ne peut parler librement avec la presse. Les députés qui, ces der-nières années, ont quitté le parti de Wilders le décrivent sans exception comme un club quasi sectaire où la méfi ance règne. Johan Driessen, ancien député PVV, confi ait récem-ment au NRC regretter que tout tourne autour de “la progression de la carrière de Geert” et qu’“au fond Wilders ne s’intéresse pas aux gens qui se démènent pour lui”.

“Situation électrique”. Certes, on pourrait attribuer ces critiques de la part d’anciens membres du PVV à un sentiment de ran-cune. Mais, depuis le départ de ces politiciens, une correspon-dance interne sensible a fi ltré à l’extérieur. Le NRC et l’Algemene Dagblad (AD) ont récemment cité des passages venant d’échanges de courriels et de SMS qui montrent clairement que le parti est mal en point. Ainsi, Wilders aurait quali-fi é Fleur Agema, la numéro deux du parti, d’“hypocrite” et d’“idiote” en lui reprochant de “fortement ébranler [sa] position”, bien qu’elle soit une confidente de la pre-mière heure. Lilian Helder, repré-sentante du PVV à la Chambre, déclare dans un autre message confi dentiel : “La situation est élec-trique.” Et : “J’en ai assez. Quand le moment sera venu, je ferai ce qui est bon pour moi.” A propos de Wilders, elle écrit : “S’off enser, s’ignorer… je trouve que cela dépasse les bornes.” Il était donc d’une cer-taine manière prévisible que des députés quittent le parti.

Les propos controversés de Wilders dans un café de La Haye sur les immigrés marocains [enca-dré ci-dessus] ont été pour plusieurs membres la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Un aspect

La question choc●●● “Voulez-vous, dans cette ville et aux Pays-Bas, plus de Marocains ou moins de Marocains ?” Cette question choc de la part de Geert Wilders, prononcée lors d’un meeting électoral le 19 mars à La Haye, a eu un accueil chaleureux du public, qui lui a réponduen scandant : “Moins ! Moins ! Moins !” Depuis, sept élus ont

quitté le PVV, les intentions de vote sont en baisse et des centaines de personnes ont porté plainte contre son président pour discrimination. Au nom de la coalition au pouvoir regroupant le VVD (conservateurs libéraux) et le PvdA (travaillistes), le vice-Premier ministre, Lodewijk Asscher, a dit que ses propos représentaient “un triste chapitre” de l’histoire politique du pays.

Parlement. Les journalistes parle-mentaires savent ce que cela veut dire : Geert Wilders ne va pas tarder à arriver. Peu de temps après, le chef du Parti pour la liberté (PVV), entouré de quatre autres agents de la sécurité, quitte son bureau-forte-resse au Parlement pour se rendre dans la salle. Mais quiconque espé-rait un entretien digne de ce nom sera déçu. Quand Wilders n’a pas envie qu’on l’arrête pour lui poser

comptent. La prochaine échéance électorale est fi xée au 22 mai, pour le Parlement européen. Wilders s’y intéresse tout particulièrement, d’autant qu’il est plus que jamais hors jeu au Parlement. Une vic-toire éclatante dans deux mois pourrait étouff er la crise au sein de son parti. C’est du moins ce qu’il espère.

Or Laurence Stassen, chef de la délégation du PVV à Bruxelles, vient de quitter le parti pour mar-quer son mécontentement, ce qui représente une rude épreuve pour Wilders. Elle était censée être la tête de liste pour les prochaines élec-tions. Sans une liste forte et unie, il y a peu de chances de rempor-ter beaucoup de sièges ainsi que de former un bloc antieuropéen impor-tant au sein du Parlement euro-péen. Wilders va-t-il se lancer dans la bataille européenne ? Jusqu’ici, il a toujours affi rmé qu’il n’en avait pas l’intention.

—Bart ZuidervaartPublié le 24 mars

SOURCE

TROUWAmsterdam, Pays-basQuotidien, 102 000 ex.www.trouw.nlIssu de la Résistance néerlandaise, “Fidélité” a vu le jour en 1943. Son lectorat d’origine est constitué par la communauté protestante de centre gauche. Il est considéré comme un des quotidiens de qualité des Pays-Bas.

22.

Page 23: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039
Page 24: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

EUROPE Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

—Kapital (extraits) Sofia

Vous ne trouverez pas un seul musulman qui ne connaisse pas Ahmed

Koussa dans le quartier Iztok de Pazardjik (Sud). “Un homme bon”, vous dira-t-on. Quelqu’un qui a

“beaucoup fait” pour ce ghetto rom. “Avant, vous n’auriez même pas osé mettre les pieds ici !” nous lance-t-on. Avant, c’était quand l’islam n’avait pas encore fait son apparition à Iztok : il y a encore une quinzaine d’années, l’al-coolisme, la criminalité et les

drogues régnaient dans le quar-tier. “Maintenant, Allah veille sur le ghetto, et c’est différent. On ne vole plus, on ne picole plus, on ne raconte plus de bobards… Vous n’avez qu’à demander à la police si vous ne le croyez pas !” nous dit-on.

Mercredi 19 mars, les habitants d’Iztok avaient leur visage des mauvais jours lorsqu’ils atten-daient le verdict dans l’affaire dite “des treize imams” devant le tribunal de Pazardjik. Parmi les accusés, on retrouve le dénommé Ahmed Koussa, 39 ans, leader spi-rituel autoproclamé du quartier d’Iztok. Un peu plus tard, il sera le seul à écoper d’une peine effec-tive pour avoir propagé la haine religieuse, prôné une idéologie “antidémocratique” et avoir été membre de l’organisation Al-Wakf Al-Islami, illégale en Bulgarie. Si ce verdict venait à être confirmé, Ahmed Koussa irait passer près de quatre ans en prison parce qu’il a déjà été condamné par le passé à une peine avec sursis pour des faits similaires.

Bulgarisation. “Ce n’est pas contre Ahmed que se tient ce procès, mais contre nous tous. Contre les musulmans”, disent les gens d’Iztok. Et ils sont furieux. Contre l’Etat, la cour, les journalistes… Tous, nous sommes tous cou-pables d’avoir déféré devant un tri-bunal non pas des hommes, mais une religion. “Nous avons tous la même foi, celle-là même que prêche Ahmed”, nous disent les musul-mans. L’intéressé a, lui, accueilli son verdict avec un sourire calme et silencieux, se bornant à dire que c’était une “injustice”. Ses partisans ont été beaucoup plus émotionnels, répondant aux répliques agressives des journalistes, des nationalistes ainsi que des badauds habituels. Une femme âgée en pleurs s’est jetée sur la chemise blanche d’Ah-med, puis une autre, en burka, s’est accrochée à son bras. Son épouse, sans doute.

Mais ce sentiment amer d’injus-tice n’est pas uniquement présent à Iztok, on le retrouve partout dans les communautés musulmanes

des Rhodopes (montagnes fronta-lières avec la Grèce), de Smolian à Blagoevgrad. Parce que les musul-mans bulgares ont vu sur le banc des accusés leurs leaders spiri-tuels, les hommes les plus influents et les plus érudits de la commu-nauté. Des hommes qu’ils allaient consulter pour un conseil, pour se remonter le moral, pour trouver la voie… Et il en sera de même après le verdict. Ils feront bloc avec leurs imams, qu’ils disent connaître depuis qu’ils sont gamins et qu’ils ont vu grandir au milieu d’eux, reprenant les enseignements de leurs aïeux. Pendant l’instruction puis lors du procès, ils ont égale-ment emmagasiné énormément de défiance envers les institutions, essentiellement contre la police et le parquet. Une défiance qui s’ajoute à des décennies de peur et d’offenses. Ils sont persuadés qu’ils subissent le même proces-sus de “bulgarisation” que celui auquel ils ont été soumis pen-dant le régime communiste, mais sous d’autres formes. [Sous Todor Jivkov, les musulmans bulgares ont été contraints d’abandonner leur nom et prénom à consonance arabe et turque contre un état civil “slave”.] Si vous posez la question du verdict aux personnes âgées réunies pour la prière du soir à Sarnitsa, gros bourg musulman dont sont originaires la plupart des accusés, ils vous raconteront comment ils ont été déportés dans des camps de travail à cause de leur refus de changer d’état civil. Ou encore comment leur mosquée a été dynamitée ici même par la police en 1967.

Cet effet du procès contre les treize imams a été fortement sous-estimé. La plupart des médias tendaient leurs micros en direction des nationalistes agi-tant des drapeaux bulgares devant le tribunal afin d’amplifier leurs

BULGARIE

“Nous sommes tous des Ahmed”Le procès de treize imams accusés de prôner un islam radical a ravivé les blessures historiques des musulmans bulgares.

Terre d’un “islam autochtone”●●● Les musulmans représentent, selon les statistiques, entre 10 et 15 % de la population bulgare (7,3 millions). Vestige de l’Empire ottoman, ils sont turcs, roms ou encore pomaks – des Slaves islamisés. Victimes de l’assimilation et de persécutions sous le régime communiste, ils se reconnaissent pour la plupart aujourd’hui dans le Mouvement pour les droits et les libertés (DPS), un parti politique devenu un partenaire incontournable pour tous les dirigeants de la Bulgarie démocratique.

vociférations. A aucun moment ces médias n’ont réalisé que l’“autre versant de l’histoire” n’était pas ces partis xénophobes qui avaient un intérêt politique à exciter les esprits à propos de ce procès, mais bien les musulmans bulgares. Parce que ce procès aura des conséquences directes sur leur vie – mais personne n’a voulu savoir lesquelles.

Sécurité nationale. Le procès s’est aussi déroulé sans que des questions essentielles aient été posées. En quoi par exemple ces treize imams étaient-ils une menace pour notre sécurité natio-nale, comme l’ont prétendu les services spécialisés ? La plupart d’entre eux ont été blanchis de toute activité criminelle et s’en tirent avec une amende pour avoir fait partie d’une organisa-tion non enregistrée à la préfec-ture. Seulement trois d’entre eux ont été condamnés à des peines avec sursis pour avoir “prêché une

“Les experts présentés par le parquet brillaient par leur incompétence”

↙ Dessin de Raúl Arias paru dans El Mundo, Madrid.

24.

Page 25: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

EUROPE.Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

—Oukraïnsky Tyjden Kiev

Voilà qui est intéressant  : Petro Porochenko, magnat des entreprises de confiserie Roshen, a annoncé

le 28 mars qu’il se lançait dans la course à l’élection présidentielle. Et ce qui est déjà certain, c’est que le patron de cet empire chocolatier va combler le déficit de confiance laissé dans l’opinion publique par les dirigeants de l’ancienne opposition. Petro Porochenko est pourtant connu pour avoir fait le yo-yo entre l’opposition et l’ex-gouvernement. Des allées et venues que le politologue Serhiy Taran explique en ces termes : “Bien sûr, jusqu’à présent, ses entre-prises dépendaient du pouvoir, comme toutes les entreprises en Ukraine, et il lui était très difficile de se rallier à l’opposition.”

Mais le désir de voir de nouveaux visages aux commandes du pays est si fort que tout le monde est prêt à oublier ses agissements douteux. Comme le fait qu’il ait été membre du Parti social démocrate d’Ukraine (unifié), le SDPU (O), du temps du président Leonid Koutchma [au pouvoir de 1994 à janvier 2005, il avait tenté de confier les rênes du pays à son dauphin Viktor Ianoukovitch, ce qui avait déclenché la “révolution orange” en novembre 2004], ou son rôle en tant que ministre du Développement économique et du Commerce dans le gouvernement de Nikolaï Azarov, alors Premier ministre de Viktor Ianoukovitch.

“Aujourd’hui, Porochenko se tourne de plus en plus vers la politique, car ce secteur est désormais plus intéressant pour lui que les affaires, estime l’analyste Volodymyr Fessenko. Il est actuellement plus proche de l’idéal européen, même si, en termes purement commerciaux, il serait plus intéressant pour lui de travailler avec la Russie.” Selon Fessenko, “beaucoup de gens n’ont plus confiance dans le pouvoir, y compris dans le gouvernement issu de l’opposition, et Porochenko est en mesure de séduire cet électorat. D’après un récent sondage, près de 30 % des électeurs ont dit souhaiter avoir comme président une personne dotée

d’expérience économique. Vu sous cet angle, Porochenko a toutes ses chances.”

La candidature de Petro Porochenko ne surprend personne. C’est une décision mûrement réfléchie de sa part. Mais son positionnement politique est-il crédible ? Ses affaires ont considérablement souffert de la guerre économique déclenchée par la Russie contre l’Ukraine. Cependant, il bénéficie depuis peu d’un allié de poids en la personne de Vitali Klitchko. Le champion de boxe et dirigeant du parti Oudar, qui avait jusque-là plutôt appuyé l’ex-Premier ministre et ex-détenue

Ioulia  Timochenko, considère la candidature de Porochenko comme la solution optimale pour la présidence. “Le futur président de l’Ukraine doit pouvoir s’appuyer

sur des chiffres solides et bénéficier du soutien des gens pour être légitime”, a

affirmé Klitchko en annonçant le 30 mars qu’il se désistait au profit de Porochenko. “Et cela n’est possible que si l’on veille à ne pas disperser les votes démocratiques. Il est donc essentiel de ne présenter qu’un seul candidat des forces démocratiques.”

Pendant les trois mois au cours desquels se sont déroulés les événements de Maïdan, personne n’a vraiment admiré Klitchko, ni Arseni Iatseniouk, Premier ministre du gouvernement de transition, ni Oleh Tiahnibok, le leader du parti d’extrême droite Svoboda. Porochenko

a su habilement se tenir à l’écart de l’opposition pendant cette période. Une posture qui s’avère gagnante. Tout semble indiquer aujourd’hui que l’on s’oriente vers un second tour entre Porochenko et Timochenko.

—Alla LazarevaPublié le 3 avril

Un immense désir de voir de nouveaux visages aux commandes du pays

idéologie antidémocratique à travers le courant salafiste dans l’islam”.

“Les témoins et une grande partie des experts présentés par le parquet brillaient par leur incompétence et leur manque d’assurance”, estime Antonina Jeliazkova, directrice du Centre international d’étude des minorités. “Les témoignages, sou-vent montés de toutes pièces, n’ont pas permis qu’un procès juste et équitable ait lieu.”

Des témoins anonymes ont ainsi été convoqués afin d’étayer l’accusa-tion. L’un d’eux a avoué qu’il était un agent des services de contre-espion-nage. Parallèlement, la nature du salafisme a fait l’objet d’un débat dans la salle d’audience, mais seul un des experts, un théologien de l’islam, avait les capacités intel-lectuelles pour participer à un tel débat. La littérature et le contenu des ordinateurs confisqués ont fait l’objet de six expertises effectuées par des linguistes, des sociologues, des théologiens et deux spécia-listes du monde arabe, qui ont tous précisé qu’ils n’étaient en aucune manière des experts sur la ques-tion de l’islam. Dans les documents saisis, de nombreux termes spéci-fiques ont été traduits de manière approximative ou orientée. Mais peu importe. Ce procès aura sur-tout permis aux services spécia-lisés contre la lutte antiterroriste en Bulgarie de faire comprendre à l’opinion publique, ainsi qu’aux partenaires européens de Sofia, qu’ils “[ouvraient] l’œil sur la ques-tion de l’islam radical”. Au prix de quelques approximations et vexa-tions supplémentaires.

—Zornitsa StoïlovaPublié le 21 mars

SOURCE

KAPITALSofia, BulgarieHebdomadaire, 30 000 ex.www.capital.bgFondé en 1992, ce titre était destiné à la communauté des hommes d’affaires mais la qualité de ses enquêtes et de ses reportages lui a ouvert un public plus large. C’est aujourd’hui l’un des meilleurs magazines généralistes en Bulgarie.

UKRAINE

Le roi du chocolat veut croquer la présidenceL’oligarque Petro Porochenko est candidat à l’élection présidentielle du 25 mai. Retour sur un personnage méconnu au passé politique trouble, pourtant grand favori dans les sondages.

↙ Petro Porochenko. Dessin d’Andrey Levchenko, Ukraine.

25

Page 26: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

↓ François Hollande. Manuel Valls. Dessin de Burki, paru

dans “24 Heures”, Lausanne.

Bon courage, Monsieur* François Hollande doit s’atteler à moderniser le pays.Politique.

Après la débâcle, le tour de VallsLa nomination du nouveau Premier ministre est une option risquée : pas sûr qu’elle redonne confiance aux Français.

france

—La Stampa (extraits) Turin

Manuel Valls, 51 ans, ministre de l’In-térieur, socialiste le plus populaire de France, “Sarkozy de gauche”, a

donc été nommé Premier ministre. Après la gifle électorale qui a fait perdre à la gauche 150 municipalités de plus de 9 000 habi-tants, François Hollande ne pouvait pas rester les bras croisés. Pour sauver sa propre tête avant même celle de la France.

Son choix, certes le plus prévisible, s’avère aussi le plus radical, puisque la promotion de l’ancien maire d’Evry marque un sensible virage à droite pour le gouvernement. Rocardien à l’époque Mitterrand, Manuel Valls s’est par la suite opposé à la loi des 35 heures voulue par Martine Aubry, la mesure phare de la gauche plurielle de Lionel Jospin. Il a également été un Européen convaincu (avec François Hollande), au point de déplaire à ses collègues quand le Parti socialiste (PS) a fait pencher la

d’immigration. Comment ne pas penser à l’affaire Leonarda, cette jeune fille inscrite au collège dans le Doubs, expulsée avec sa famille d’origine kosovare qui résidait clandestinement en France ? Cette expulsion, condamnée par toutes les associations humanitaires et de protection des droits des immigrés, a permis à Manuel Valls d’être apprécié par 74 % des Français.

Cette histoire en dit long sur l’état d’esprit qui règne actuellement en France. C’est ce même élan qui avait porté le Front national de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle en 2002 face à Jacques Chirac, devançant ainsi le PS de Jospin, alors Premier ministre. Ce n’est pas un hasard non plus si Nicolas Sarkozy a bâti son empire politique en tant que “premier flic de France”, lorsqu’il dirigeait la Place Beauvau, à seulement 100 mètres de l’Elysée. Si Sarkozy n’est jamais monté à Matignon (Chirac, qui le considérait comme son plus grand rival, s’y est toujours refusé), c’est ainsi qu’il a commencé son ascension vers la présidence. Pour Valls, la route est encore longue car, à moins d’un coup de théâtre, Hollande devrait se présenter à sa propre succession sur le trône républicain en 2017.

Désormais, Valls a la mission délicate de reconquérir la confiance d’un pays qu’il a lui-même défini comme “angoissé” lors

d’un bref message le jour de sa nomination. Economie, justice sociale, sécurité : la ligne annoncée par le président de la République le 14 janvier dernier ne devrait pas changer. Elle se traduira par la réduction des charges sociales des entreprises de 50 milliards d’euros, la diminution des contributions et des impôts pour les revenus les plus bas, ainsi que la mise à l’équilibre des finances publiques.

Restent désormais deux questions en suspens. Premièrement, Valls peut-il remporter son pari en poursuivant la politique sociolibérale (voire en la radicalisant, puisque les Verts ont annoncé leur sortie du gouvernement) qui n’a eu aucun effet sur le chômage jusque-là et a conduit à la déroute des municipales ? Deuxièmement, en suivant les thèmes du FN en matière de sécurité et d’immigration, le gouvernement gagnera-t-il des voix ou fera-t-il le jeu de Marine Le Pen ? Tout dépendra des résultats. Des résultats qui, pour l’heure, fuient François Hollande.

Manuel Valls et Anne Hidalgo (élue à la mairie de Paris), tous deux descendants d’émigrés de l’Espagne franquiste, sont investis d’une mission historique : sauver le socialisme français et – dans une certaine mesure – la France elle-même.

—Cesare MartinettiPublié le 1er avril

balance en faveur du “non” à la Constitution européenne, en 2005.

C’est lui qui a proposé la “règle d’or” pour un retour à l’équilibre des comptes publics, en 2011, suscitant une nouvelle fois un tollé au sein de la gauche, qui se posait alors la grande question : “Valls est-il socialiste ?” D’ailleurs, Valls est bien le seul socialiste français à recevoir les faveurs du magazine anglais The Economist, qui considère généralement le PS comme une relique du passé.

Ligne dure. Il lui aura fallu attendre ces derniers mois pour enfin connaître un important regain de popularité (inversement proportionnelle à celle du président, qui a chuté à seulement 17 % d’opinions favorables, le plus bas niveau jamais atteint pour un président en exercice). Cette nouvelle notoriété, Manuel Valls la doit à la ligne dure de son ministère en matière de sécurité et

—The Times (extraits) Londres

Le président français doit prendre son courage à deux mains et moder-niser le pays. Dans sa carrière poli-

tique – tout comme dans sa vie privée –, son cœur n’a plus le droit de balancer.

La libéralisation de l’économie française a toujours été un processus douloureux, amené par des événements dramatiques comme la guerre d’Algérie ou la dévaluation du franc, au début des années 1980.

La crise actuelle est moins évidente, mais elle n’en est pas moins grave. Les chiffres publiés [le 31 mars] montrent que la France est encore loin de respecter les consignes de Bruxelles concernant la limitation du déficit public à 3 % du PIB. Malgré les mesures d’économie, le déficit français s’élève toujours à 4,3 % du PIB. La croissance cette année ne devrait pas dépasser 1 %, un niveau trop faible pour stabiliser la dette publique ou réduire le taux de chômage, qui a atteint un niveau record au mois de février.

La popularité croissante de l’extrême droite en France n’est pas seulement l’expression d’une xénophobie, même si elle l’est peut-être en partie. Elle est surtout due à l’incapacité des dirigeants à régler le problème du chômage structurel. Les conséquences de la mondialisation se font désormais sentir dans les villes et villages de France et le Parti socialiste de François Hollande n’a pas su apaiser leurs craintes. L’abstention sera probablement la grande gagnante des élections européennes le mois prochain.

Le président français a déjà indiqué qu’il savait ce qu’il devait faire : abandonner les politiques étatiques pour mettre en œuvre un programme social-libéral. Au début de l’année, il a proposé un “pacte de responsabilité”, inspiré des réformes menées il y a maintenant vingt ans par le chancelier allemand Gerhard Schröder.

Tous les responsables socialistes qui parviennent au pouvoir en France finissent par opérer ce genre de changement de cap, même si la conversion de François Hollande a été plus longue que celle de la plupart de ses prédécesseurs. Après avoir tenu un discours très “antiriches”, le président a beaucoup à faire pour affermir sa nouvelle politique de croissance pro-entreprises. Le gouvernement issu du remaniement devra envoyer le bon message aux autres pays européens, à savoir : la France ne se cramponnera pas au vieil interventionnisme d’Etat.

Publié le 1er avril

* En français dans le texte.

Rocardien à l’époque Mitterrand, il s’était opposé aux 35 heures

26.

Page 27: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

FRANCE.Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

autour de 30 % au Texas). Qu’il soit le reflet d’un mécontentement généralisé ou d’une apathie grandissante, ce taux d’abstention a profité à l’opposition. L’UMP a réussi à devancer le Parti socialiste alors que ses deux principaux dirigeants – Jean-François Copé et Nicolas Sarkozy – se voient rattrapés par une série de scandales politiques et financiers. Sauf que le relatif succès des conservateurs français ressemble à celui des républicains texans au sens où il les rapproche des idées de leur aile radicale.

Car le véritable vainqueur de ces élections est le Front national, qui non seulement enlève 10 mairies, mais – comme le Tea Party au Texas – redessine l’échiquier politique français.

Encombrant. Même vu de la modeste altitude de la copie de la tour Eiffel érigée à Paris, Texas, le lien entre la radicalisation des conservateurs texans et français semble évident. François Hollande est désormais aussi encombrant pour son parti que Barack Obama pour les démocrates texans. Le paradoxe étant que le président français n’est pas plus socialiste que son homologue américain (récemment qualifié de “fils de p… socialiste” par l’aimable Chris Mapp, candidat du Tea Party). Et, comme Obama, François Hollande n’a rien d’un Robespierre, surtout pas son efficacité. A l’image des républicains avec l’Affordable Care Act [la réforme de la santé d’Obama], ce n’est pas tant le fait que les socialistes soient au pouvoir qui irrite le Front national, que leur incapacité à l’exercer réellement. Ainsi que l’a déclaré Marine Le Pen, “le moins qu’on puisse dire de nos socialistes locaux, c’est qu’ils sont aussi incompétents que leurs collègues nationaux”.

Sur toute une série de questions, le discours du Tea Party au Texas et celui du Front national en France ont abouti à une radicalisation des partis conservateurs traditionnels. Alors que les “conservateurs compatissants” plaidaient pour une politique d’immigration plus humaine et plus souple, le Tea Party poussait de toutes ses forces dans la direction opposée. Ce séisme politique

a conduit à l’isolement croissant de figures de l’establishment comme George W. Bush, au profit de personnages comme le sénateur républicain Ted Cruz, lui-même modèle de modération quand on le compare à des militants comme Chris Mapp, pour qui les fermiers devraient tirer à vue sur les immigrés clandestins – qu’il appelle les “wetbacks” – parvenant

à passer la frontière.La droite française a réagi de

façon similaire aux propositions radicales du Front national en matière d’immigration. Si personne ne suggère de tirer sur les sans-papiers

roumains ou d’Afrique du Nord, cela fait néanmoins longtemps que le FN appelle

à l’expulsion de 3 millions d’immigrés clandestins. Plus récemment, Marine Le Pen a parlé d’“occupation arabe” dans de nombreuses villes de France et Florian Philippot, vice-président du FN, continue d’évoquer une “invasion”.

Le reste de la droite a réagi en adoptant le même langage, parfois encore plus virulent. En 2005, Nicolas Sarkozy a qualifié de “racaille” les jeunes émeutiers des banlieues parisiennes, souvent issus de familles d’Afrique du Nord. Quelques années plus tard, il a proposé que les

Paris-Texas, mêmes combats ?Le discours du Tea Party au Texas et celui du Front national en France ont abouti à une radicalisation des partis conservateurs traditionnels.

—Foreign Policy (extraits) Washington

Il existe déjà un lien ancien entre la France et le Texas. Ainsi que nous le rappelle la charmante résidence

en bois d’Austin où était installée la léga-tion française, la France est l’une des rares nations du monde à avoir reconnu la répu-blique du Texas en 1839. Quelques décen-nies plus tard, une troupe improbable de poètes provençaux amoureux du “wild West” décidèrent de jouer aux cow-boys et aux Indiens en Camargue, transfor-mant cette bande de terre marécageuse en Texas méditerranéen avec ranchs et tau-reaux. Moins d’un siècle après, le public français et le jury de Cannes acclamaient le chef-d’œuvre de Wim Wenders, Paris, Texas, lointaine référence tout aussi roma-nesque – bien qu’un peu plus sombre – de la France au Texas.

Serait-il possible que la France s’inspire à présent du conservatisme “à la texane” ? C’est en tout cas l’impression qui ressort à la lecture des résultats des élections municipales. Les électeurs français ont parlé et ce qu’ils disent ressemble beaucoup à ce que les conservateurs texans, et notamment les partisans du mouvement ultraconservateur Tea Party, répètent depuis quelque temps.

Certes, il ne faut pas oublier que près de 40 % des électeurs ont choisi de parler en ne disant rien : l’abstention est la bête noire des socialistes français, comme elle est celle des démocrates au Texas. Une peur encore renforcée par la cote de popularité calamiteuse de leur président. Un sondage mené juste avant les élections par le journal Le Figaro donnait seulement 17 % d’opinions favorables à François Hollande (Barack Obama se maintient

délinquants naturalisés français – autrement dit les immigrés d’Afrique du Nord – soient déchus de la nationalité. Depuis qu’il est à la tête de l’UMP, Jean-François Copé s’est lancé dans une surenchère idéologique, affirmant que la nationalité française ne devrait pas être automatiquement octroyée aux enfants d’immigrés clandestins nés sur le territoire français.

Centre de gravité. Si l’UMP et les autres partis conservateurs ou centristes n’ont pas embrassé toutes les idées du FN, ce dernier a néanmoins modifié l’équilibre politique. A l’image du Tea Party, il continue de déplacer le centre de gravité de la droite de plus en plus loin vers son extrême. Après la victoire de Steeve Briois dès le premier tour à Hénin-Beaumont, un de ses partisans s’écriait : “Le monde va savoir qui nous sommes.” Ici, on dit que “le Texas est plus grand que la France”, une affirmation que les Français ne pourront jamais démentir, à moins d’annexer le Luxembourg. Ils pourraient toutefois bientôt rétorquer que “la France est plus conservatrice que le Texas”.

—Robert ZaretskyPublié le 28 mars

↙ Dessin de Balaban, Luxembourg.

Comme Obama, François Hollande n’a rien d’un Robespierre, surtout pas son efficacité

27

Page 28: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

Belgique.Bruxelles, villede congrès ?Pour Peter Vanham, journaliste américainindépendant, ce n’est pas un hasard si la capitalebelge descend dans les classements internationaux.Un regard décalé sur Bruxelles.

—De Morgen Bruxelles

Ces jours-ci, il y a de quoiêtre fier d’être Bruxel-lois : le président Obama

est venu nous rendre visite et ilreviendra encore dans troismois pour le G7. Entre-temps,les sommets européens se suc-cèdent. Le début d’un âge d’orpour Bruxelles en tant que villede congrès ? Malheureusement,les apparences sont trompeu-ses : en réalité, c’est plutôt lecontraire.

Pour les sommets entre lea-ders politiques du monde,Bruxelles est toujours dans lecoup mais elle l’est nettementmoins pour l’organisation desymposiums académiques oud’entreprise. Une ville commeLa Haye est bien plus avanta-geuse pour ce genre d’événe-ments. Il n’y a qu’à demander àObama. Pour son sommet sur lasécurité nucléaire, l’homme leplus important du monde a pré-féré à Bruxelles cette ville desPays-Bas.

Et La Haye n’est pas la seuleville européenne à surpasserBruxelles pour l’organisation deconférences. Selon l’Internatio-nal Congress and ConventionAssociation, pas moins de onzevilles européennes font mieuxque la capitale belge. Les usualsuspects Londres, Paris, Berlinet Madrid mais aussi des citéscomme Lisbonne, Budapest,Prague, Copenhague et Amster-dam.

Déclin. Un optimiste dirait queBruxelles est encore douzième.Mais pour un historien, le cons-tat qui saute aux yeux est plutôtcelui de notre splendeur passée.A la fin des années 60, alors quel’économie belge était en pleinboom, Bruxelles occupait latroisième place en Europe. Seu-les Paris et Londres faisaientmieux. Ce n’est pas un hasard.Les choix politiques que nousavons faits – ou qu’au contraire,nous n’avons pas faits – au coursdes dernières décennies en ter-mes de mobilité, d’infrastruc-ture et de sécurité ont précipitéla ville dans le délabrement et lavétusté et l’ont éloignée desnormes internationales.

J’ai pu moi-même me rendrecompte la semaine dernière àquel point la position de Bruxel-les est devenue fragile. J’assis-tais un groupe d’étudiants bel-ges qui organisaient, conjointe-ment avec l’Universitéaméricaine de Harvard, la plusgrande conférence diplomati-que étudiante au monde. Ils ont

relevé le défi de réunir 2 000étudiants de plus de soixantepays pour une semaine de dé-bats, d’échanges et de diploma-tie.

Les étudiants ont atteint leurobjectif avec grande distinction.Mais la ville s’est montrée à euxsous un jour assez consternanten comparaison des quelquesautres villes dans lesquelles j’aiparticipé à des événementscomparables au cours des der-nières années : La Haye, Zurichet New York.

Après une soirée culturelle auMirano, à St-Josse-Ten-Noode,par exemple, une participanteallemande s’est fait agresser demanière brutale. Le dommages’est heureusement limité au vold’un iPhone. La police lui adonné une avalanche de papiersà remplir en compensation. Enfrançais, langue qu’elle ne com-prend pas, et donc elle n’a paspu les remplir : c’est comme çaque nous accueillons les anglo-phones à Bruxelles pour l’ins-tant.

A un dîner organisé avenue dela Toison d’or, la loi de Murphys’est également invitée. Au mo-ment où j’étais en train d’expli-quer à quel point ce quartierétait un carrefour pacifique decultures (Matonge au nord ; lequartier royal – élitiste– au sud),une bagarre violente a éclatésous nos yeux. Pendant dix mi-nutes, deux hommes se sontbattus jusqu’au sang avec deschaises métalliques. Aucunetrace de la police. Les profes-seurs ont dû prendre la fuite.Parmi eux, un homme plus âgéoriginaire de Caracas, Ve-nezuela : un comble quand onconnaît la situation sécuritairedans ce pays.

(Im)mobilité. Nous avons aussidû constater chaque soir, lors del’organisation d’activités, qu’il yavait toujours des membres dedélégations qui n’arrivaient pasà bon port ou, pire, n’arrivaientpas à rentrer chez eux. Commeles quelques Flamands qui lesutilisent le savent, les trans-ports en commun bruxelloissont erratiques la journée etpratiquement inexistants le soir.

Après notre soirée à la boîtede nuit des Jeux d’hiver [au Boisde la Cambre], tous les partici-pants ont été contraints deprendre les (chers) taxis bruxel-lois pour rentrer à la maison. Etmoi, je suis resté coincé uneheure et demie entre l’avenueLouise et l’avenue du Port.Mais tous ces avatars sont en-core relativement anecdotiques.

↙ Dessin de Gaëlle Grisardpour Courrier international.

D'UN CONTINENT À L'AUTRE Courrier international – n° 1222 du 3 au 9 avril 201428.

Page 29: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

Mise en scène : David MichelsDécors : Jacques Van NeromCostumes : Ludwig Moreau

Théâtre Royal des GaleriesDirecteur : David Michels

du 16 avril au 18 mai 2014

du mardi au samedi de 11h à 18h Galerie du Roi, 32 à 1000 Bruxelles

www.trg.be02 512 04 07

de FONSON et WICHELER

Wendy PietteMichel PonceletDamien De DobbeleerLaure GodisiaboisJean-Paul Clerbois Daniel HanssensManuela ServaisDenis CarpentierBernard Lefrancqet Pascal Racan

avecTOUS LES GRANDSTUBES

FOREST NATIONAL16 AVRIL 2014

€0,50/MIN

↑ Dessin de duBusparu dans La Dernière Heure

Courrier international – n° 1222 du 3 au 9 avril 2014

Le nœud de l’affaire, c’estqu’il n’existe nulle part de vé-ritable centre de conférencesà Bruxelles pour réunir plusde deux mille personnes. L’or-ganisation en question a finipar opter pour une solution àla belge : finalement, la confé-rence a eu lieu dans trois lieuxdifférents, tous prestigieux, ilest vrai : le Palais d’Egmont, leCercle de Lorraine et le quatreétoiles The Hotel. Les profes-seurs qui conduisaient leursdélégations ont dû faire la na-vette entre ces trois lieux.

Dans notre cas, cela a fonc-tionné mais ce serait impossi-ble pour beaucoup d’autresévénements. Et donc, nous nepouvons simplement pas nousrésoudre à ce constat, nonobs-tant notre connaissance dusurréalisme à la belge. Dansune capitale européenne, nousdevrions oser rompre le statuquo en faisant fi des antago-nismes flamands-francopho-nes, autochtones-immigrés etcommunaux-fédéraux.

Agir. Ceux qui pensent quenous ne nous débrouillons pastrop mal en comparaison desautres grandes villes sont belet bien à côté de la plaque. ANew York, d’où je viens, je neme suis pas encore senti uneseule fois en insécurité. A LaHaye, où avait lieu le sommetsur la sécurité nucléaire, leWorld Convention Center apu accueillir sans problèmeles 2 500 participants. Et à Zu-rich, qui ne possède pas demétro, il y a un réseau parfai-tement interconnecté etponctuel de bus et de trams.

Le statut de Bruxellescomme point de rencontre

européen n’est pas un droit ac-quis pour l’éternité. Oui, nousavons toujours le plus grandnombre de diplomates aumonde et nous abritons tou-jours la plus importante unionpolitique et monétaire ainsique la plus grande alliance mi-litaire de la planète. Mais celapourrait changer rapidement.Un statut, cela se mérite, main-tenant et pour demain. Et celane se fera pas tout seul. En exa-gérant un peu les périls : ceuxqui sont à Bruxelles le sontparce que les chefs de gouver-nement et les leaders euro-péens en ont décidé ainsi maisceux qui n’ont pas ces con-traintes évitent déjà d’y être.

Nous devons donc interve-nir de manière fondamentalesur trois fronts. Tout d’abord,investir dans un vrai systèmede transports en commun quiva partout et tout le temps.Ensuite, construire de nou-veaux bâtiments ou rénoverdes sites existants pour queBruxelles dispose des lieux derencontre dont elle a besoin.Et enfin, rendre la présence dela police plus effective sur lavoie publique et, avec l’aide dela justice, intervenir de ma-nière plus sévère.

C’est seulement quand nousaurons fait tout cela que, ce nesera plus seulement le G7 oul’Union européenne, mais aussitout le circuit des conférencesinternationales, académiquesou issues du monde de l’entre-prise, qui se mettra à nous en-visager comme destinationpour ses événements. Et quenous pourrons à nouveau êtrefiers de notre capitale.

—Peter VanhamPublié le 28 mars

Page 30: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

Royaume-Uni. Un europhobe crève l’écranLe chef du parti europhobe Ukip a consolidé sa place sur la scène politique britannique le 26 mars lors d’undébat télévisé avec Nick Clegg, le vice-Premier ministre britannique, se lamente un chroniqueur star de la gauche.

—The Guardian (extraits) Londres

Regardez ce qu’il est devenu : Nigel Farage est un grand garçon à présent. Si le diri-

geant du Parti pour l’indépen-dance du Royaume-Uni (Ukip) avait un objectif dans son débat houleux avec Nick Clegg, c’était d’être admis à la table des adultes. Ne plus apparaître comme le chef d’une bande de “cinglés” ou de “racistes inavoués” ; ni comme le

adversaire, l’un des principaux politiciens de Grande-Bretagne, n’avait toutefois pas réussi à l’abattre. Le message implicite est que l’Ukip constitue désormais un élément permanent de la poli-tique britannique. Pas mal pour un parti qui n’a aucun député et ne contrôle aucun conseil muni-cipal ou d’arrondissement.

Farage est toutefois contraint d’avancer avec prudence car il est à la tête d’une coalition très com-plexe. Sur le plan économique, les dirigeants de l’Ukip sont des ultralibéraux : ils prônent l’im-pôt à taux unique (qui placerait les employés de centres d’appels dans la même tranche d’impo-sition que les millionnaires), le licenciement de deux millions de fonctionnaires et la suppres-sion de droits du travail comme les indemnités de licenciement ou les heures supplémentaires. Ils sont impatients de quitter l’UE. Or l’UE ne fi gure pas parmi les trois principales préoccupations des électeurs de l’Ukip ; ceux-ci sont surtout remontés contre l’immigration, et leurs opinions économiques – sur des questions comme les nationalisations, les droits des travailleurs et la reva-lorisation du salaire minimum – se situent carrément à gauche. Si Farage entend continuer à surfer sur sa vague de popularité, il doit donc lier l’UE à la menace de l’immigration et s’en tenir à son mantra populiste des “petits face aux élites”.

Référendum. Lors du débat, Farage s’est fondé sur un argu-mentaire simple : si un référen-dum était organisé aujourd’hui pour savoir si la Grande-Bretagne devait adhérer à une UE en pleine décomposition, est-ce que vous seriez d’accord pour que des étrangers nous imposent leurs lois et pour que des millions de gens soient autorisés à immigrer en Grande-Bretagne ? La pre-mière question que lui posa un des auditeurs lui permit d’abonder dans ce sens : pourquoi les poli-ticiens se méfi ent-ils du peuple britannique en refusant d’organi-ser un référendum sur l’UE ? Les conservateurs et l’Ukip ont l’in-tention de proposer un tel réfé-rendum lors de la campagne en vue des élections de mai 2015. Ils savent que l’UE n’est pas un problème prioritaire pour la plu-part des électeurs, mais lier le référendum à la question de la confiance accordée au peuple

unioneuropéenne

britannique pourrait rencontrer un certain écho dans l’opinion. Et c’est sans doute en songeant à sa base hétéroclite que Farage a développé une rhétorique qui pourrait être celle de la gauche populiste. “Toute votre bande, toutes les grandes multinationales”, a-t-il reproché à Clegg, ont voulu que la Grande-Bretagne s’arrime à cette catastrophe qu’est l’euro.

Impopularité. Clegg a répondu en jouant la fi bre patriotique : s’il a soutenu l’adhésion à l’UE, c’était “dans l’intérêt de nos emplois, dans l’intérêt de notre infl uence dans le monde, dans l’intérêt de la Grande-Bretagne”. Il a caressé dans le sens du poil ces électeurs, cajolés par l’Ukip, qui veulent plus de fermeté dans l’application de la loi : au cours des deux dernières années, a-t-il rappelé, 149 meurtriers et 120 pédophiles ont été extradés vers l’Angleterre grâce au fait que la Grande-Bretagne fait partie de l’UE. Fini le temps où l’on ten-tait d’amener les Britanniques à approuver l’UE avec leur cœur ; aujourd’hui on s’adresse à leur raison.

Si l’issue de la confrontation dépendait des faits, alors Clegg l’a emporté. Deux millions de Britanniques vivent dans l’UE, a-t-il souligné. Farage entend-il les rapatrier ? L’Ukip avait affi rmé que 29 millions de Bulgares et de Roumains allaient déferler sur la Grande-Bretagne, ce qui est plus que leur population totale. Mais Farage, il est vrai, s’est adroite-ment rattrapé. “Je ne dis pas que 29 millions de personnes ont le droit de venir en Grande-Bretagne, a-t-il martelé. Je dis que 485 millions de personnes ont le droit entier et inconditionnel de venir chez nous.”

Mais, en vérité, ce débat ne sera pas seulement gagné à coups de faits et de statistiques, et d’ail-leurs le sondage express eff ec-tué par YouGov juste après le débat a donné Farage gagnant à 57 %, contre 36 % à Clegg. Cela ne peut être entièrement imputé à la relative impopularité de Clegg :

dirigeant d’un parti rebelle hos-tile à l’establishment, l’habitué de la case “ne se prononce pas”, uni-quement soucieux de porter des coups à l’élite politique. Farage a ainsi pu se montrer sur un pied d’égalité avec le vice-Premier ministre britannique à l’occa-sion de la plus importante tribune nationale qui lui ait été off erte jusque-là – un débat en direct sur Sky News. Même si au terme du débat Farage était visiblement celui qui transpirait le plus, son

L’UE ne fi gure pas parmi les trois principales préoccupations des électeurs de l’Ukip

Farage s’est comporté comme un rottweiller, n’hésitant pas à sortir des formules dignes d’un comptoir de pub

↙ Dessin de Steve Bell paru dans The Guardian, Londres.

30.

Page 31: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

UNION EUROPÉENNE.Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

Téléchargez gratuitementl’application Courrier internationalet suivez toute l’actualité internationale où et quand vous le souhaitez.

Retrouvez toutes nos rubriques : Europe,Amériques, Moyen-Orient, Asie, Afriqueet nos pages Transversales et 360°

L’actualité en images :photos, cartoons et unesde la presse mondiale

Recevez en direct l’informationgrâce aux notificationspersonnalisables

Toujours plusde contenusmultimédiasavec des vidéosde l’actualitémondiale

DÉBAT

Europhiles, réveillez-vous !Les rares hommes politiques qui parlent de l’Europe de manière passionnée sontles europhobes.

de reproduire le boucan que l’on entend dans certains pays. Le risque, c’est aussi que les partis tra-ditionnels cherchent à combattre les antieuropéens sur leur terrain. Au Royaume-Uni, les conserva-teurs de David Cameron, minés par l’Ukip [formation populiste] du très folklorique Nigel Farage, ne perdent déjà pas une occasion de dénigrer Bruxelles, en faisant mine de pouvoir vivre hors de l’Eu-rope. En Italie, Silvio Berlusconi décrit l’euro comme une “mon-naie étrangère”, sans jamais pré-ciser que nous avons été les seuls auxquels il a porté durablement préjudice. Au cours des quinze dernières années, les années qui ont suivi son introduction (1999-2014), le produit intérieur brut a augmenté dans tous les pays euro-péens sauf en Italie, où il a chuté de 3 %. Est-ce la faute de l’euro ou de ceux qui nous ont gouvernés ?

Grotesque. Il est une chose qui peut nous consoler de l’avan-cée de l’euroscepticisme : le fait que la construction européenne avance à coups de reculades et de petits pas. La Seconde Guerre mondiale a donné naissance aux traités, la crise économique des années 1970 au Marché unique, l’eff ondrement du communisme à l’élargissement à l’est, la tem-pête fi nancière de 2008 aux nou-velles règles régissant le secteur bancaire. Qui sait si la présence au prochain Parlement européen de certaines têtes et de certains hurlements ne va pas déboucher sur un réveil du continent ?

Car un réveil est nécessaire. On a besoin d’un bon coup de trom-pette. Passer d’Altiero Spinelli [homme politique italien, fi gure de la construction européenne] à Matteo Salvini [secrétaire de la Ligue du Nord] et de Jacques Delors à Marine Le Pen serait grotesque. Confi er l’héritage d’Adenauer, de Schuman et de De Gaspari à l’Hol-landais Wilders constituerait un échec historique. A qui incombe la

Corriere della Sera (extraits) Milan

Les seuls à parler de l’Eu-rope avec passion, ce sont les ennemis de l’Europe.

Les élections municipales et le succès de Marine Le Pen en France en sont une preuve ; de même que les off ensives de la Ligue du Nord, le référendum (sondage ?) autonomiste en Vénétie [organisé fi n mars], le nouveau spectacle de Beppe Grillo intitulé Je vais te la donner, moi, l’Europe, etc. Ce

paradoxe s’explique facilement. Dans tous les pays, les gouverne-ments, quelles que soient leurs convictions, participent au projet européen et font l’objet d’attaques de la part des partis d’opposition. Les européistes, face à une telle fougue critique, se taisent.

Cette mollesse est dangereuse. Non seulement parce que l’élection directe du Parlement européen – inaugurée en fanfare en 1979, puis minorée par une participation populaire apathique et par les pou-voirs limités de l’Assemblée – risque

tâche de sonner le tocsin ? D’abord à ceux qui connaissent l’Union européenne, qui la fréquentent, qui s’en servent et qui l’aiment. La génération Erasmus a le devoir de défendre ce qui a contribué à construire cette Europe. Les pionniers du programme (lancé en 1987) ont désormais 50 ans et beaucoup exercent une cer-taine infl uence sur la politique, les aff aires, etc. Mais cela ne suf-fi ra pas. La défense de l’Europe incombe à tous ceux qui en tirent quotidiennement bénéfi ce, donc à nous tous. Ces bénéfi ces, on les considère à tort comme acquis. C’est vrai que dans l’Union euro-péenne tout ne fonctionne pas. Le président de la République ita-lienne a averti, à Strasbourg, que l’on ne pouvait vivre continuelle-ment dans l’austérité. Et le prési-dent du Conseil (Matteo Renzi) l’a lui aussi répété au cours de son premier sommet européen. Mais il est vrai – et il ne faut pas l’ou-blier – que grâce à l’Union euro-péenne nous avons des lieux de travail plus agréables, un air moins pollué, des aliments soumis à des contrôles, des jeux plus sûrs, des voyages plus simples, des appels téléphoniques qui nous coûtent moins cher et des douanes qui ont disparu.

Le 9 mai, on fêtera la Journée de l’Europe. On devrait la trans-former en Journée sans Europe et renoncer à tous les avantages d’une vie commune. Sur toutes les portes d’Europe, de Varsovie à Lisbonne, d’Edimbourg à Palerme, on devrait écrire : “Désolés, nous sommes fermés !” Une journée suf-fi rait pour comprendre que nous ne pouvons pas nous passer de l’UE. Mais, pour considérer une proposition de ce type, il faut du courage et de la passion. Deux choses qui nous manquent cruel-lement. Mais qui ne manquent pas à nos adversaires, comme nous le verrons dans les semaines à venir.

—Beppe SevergniniPublié le 27 mars

un récent sondage a montré que l’Ukip était le parti le moins aimé de Grande-Bretagne, juste devant les… libéraux-démocrates, que Clegg dirige. Clegg s’est montré calme et fin ; quant à Farage, i l s’est comporté comme un rottweiller, n’hésitant pas à sortir des formules dignes d’un comp-toir de pub, comme la blague selon laquelle un des avantages de l’Eu-rope est que “la nourriture devient meilleure en Angleterre, ce qui est une excellente chose”. En dépit du fait qu’il est, comme Clegg, un politicien ayant bénéfi cié d’une éducation dans le privé, Farage a deux atouts : d’une part il est vu comme un outsider qui ose s’en prendre ouvertement aux élites, d’autre part il bénéfi cie désor-mais de la crédibilité que lui vaut le fait de diriger un parti appar-tenant au mainstream politique.

Certes, ce fut un débat entre deux néolibéraux, l’un sociale-ment libéral, l’autre nationaliste. Les vrais remèdes capables d’apai-ser les anxiétés qui sont à l’origine de l’hostilité contre les immigrés – baisse des salaires, crise du logement et emplois précaires – n’ont pas été débattus. Car bien entendu augmenter le salaire minimum, adopter une stratégie industrielle et laisser les conseils municipaux lancer d’ambitieux programmes de construction de logements serait en contradic-tion avec le dogme du marché libre que les deux hommes par-tagent. Pas un mot non plus en faveur d’une Europe plus démo-cratique et plus sociale gérée dans l’intérêt des travailleurs. Pourtant, Farage a sans doute toute raison d’être satisfait de sa prestation. C’est son parti qui impose les thèmes du débat poli-tique : l’“ukipisation” de la scène politique se poursuit. A n’en pas douter, elle ne fera que s’accen-tuer à mesure que l’on se rappro-chera de mai 2015.

—Owen JonesPublié le 27 mars

↙ Dessin de Kountouris paru dans Eleftheros Typos, Grèce.

31

Page 32: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

32. Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

Une jeunesse indienne

Du 7 avril au 12 mai, les Indiens se rendront aux urnes pour ce qui constitue la plus grande élection législative du monde. On sait déjà, et c’est une première, que le prochain Premier ministre sera né après l’indépendance (1947). Près de 50 millions de nouveaux électeurs âgés de 18 à 23 ans vont se rendre aux urnes. La presse indienne brosse le portrait de cette génération qui peut faire basculer le scrutin (p. 33). A New Delhi, la capitale politique, comme à Bombay, la capitale économique, on s’interroge sur les revendications de cette jeunesse et sur ses habitudes (p. 36). Le site Live Mint, pour sa part, tente de dire ce que sera l’Inde de demain (p. 37).

à la une

CH

RIS

STO

WER

S/PA

NO

S-RÉ

A

↓ Moment de détente sur le front de mer de Marine

Drive, à Bombay.

Page 33: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014 UNE JEUNESSE INDIENNE. 33

rudiments d’anglais qui, espèrent-ils, seront leur sésame pour quitter leur campagne et accéder à une Inde urbaine plus égalitaire. Les enfants des villes, eux, veulent des perspectives d’ave-nir. Ils ont confiance dans leurs propres capa-cités et sont prêts à braver le monde et à relever ses défis, mais ils veulent un système fondé sur la méritocratie, transparent et exempt de tout favo-ritisme politique. Ce qui ne veut pas dire que les jeunes d’aujourd’hui soient simplement carrié-ristes. Ils font des rêves que les anciennes géné-rations n’auraient jamais osé faire – ils veulent se réaliser, faire les choses différemment, être ori-ginaux. Dans les enclaves urbaines privilégiées, surtout, les jeunes ont soif de mettre leurs rêves à l’épreuve de la réalité ; ils en ont assez de borner leur imagination à ce qui est réalisable.

Marre de la langue de bois ! Pas besoin d’être un génie pour comprendre ce que les jeunes attendent de leur monde et de l’univers politique qui les entoure. C’est une autre paire de manches que d’essayer de comprendre ce qu’ils ne veulent pas. S’il est une chose que les jeunes ne veulent pas, c’est la langue de bois (ou les boniments, comme on disait dans le temps). Ils ont du mal à supporter le jargon de la communication poli-tique. Ils veulent qu’on leur décrive leur avenir en détail. Ils n’ont que faire des illusions dont on essaie de les bercer.

Lorsque le parti du Congrès [au pouvoir depuis 2004] met en avant sa politique de dépenses publiques et parle de ses grands projets et pro-grammes, ils veulent savoir pourquoi tous ces dis-cours trouvent aussi peu de traductions visibles dans la vie quotidienne des Indiens. Lorsque le Bharatiya Janata Party [BJP, Parti du peuple indien, formation nationaliste hindoue dans l’op-position et donnée favorite aux élections] parle de “nationalisme vigoureux”, les jeunes veulent savoir quel est le rapport avec l’interdiction de séjour en Inde pour l’équipe pakistanaise de cricket. Ils n’ai-ment pas les déclarations grandiloquentes.

—Tehelka New Delhi

L e boom économique indien semble derrière nous. Le marché de l’emploi se tarit, tandis que les prix repartent à la hausse. L’opinion grogne, appelant au changement. La marmite bouillonne. Nous sommes la troisième géné-ration depuis l’indépendance [en 1947] et nous

n’avons pas connu la déchirure de la Partition [la même année], mais nous avons été élevés à l’ère de la mondialisation. Biberonnés au câble et à la 3G, nous sommes impatients d’assouvir nos aspi-rations. Nous voulons réussir, et le système aura beau nous mettre des bâtons dans les roues, nous ne baisserons pas les bras. Du 7 avril au 12 mai, la plus grande démocratie du monde se rendra aux urnes. Avec toute l’impatience qui la caractérise et les aspirations qu’elle nourrit, la jeunesse est la grande inconnue du scrutin. En Inde, près de 600 millions de personnes ont moins de 25 ans, et près de 65 % de son 1,2 milliard d’habitants en ont moins de 35. Avec l’arrivée de 150 millions de nouveaux électeurs, les partis politiques se mettent en quatre pour courtiser la jeunesse – sur Twitter, Facebook et autres Google Hangouts, sur les campus universitaires, dans les échoppes des vendeurs de thé, et même en faisant du porte-à-porte ou en envoyant des sympathisants faire campagne. Mais quelles sont les aspirations de la jeunesse ? De Srinagar [au nord] à Bangalore [au sud] en passant par Agartala [à l’est], Tehelka a sillonné le pays pour demander aux jeunes de 18 à 35 ans ce qu’ils attendaient de leurs élus.

Quand on parle politique avec de jeunes Indiens aujourd’hui, la question n’est pas de savoir ce qu’ils veulent, mais ce qu’ils ne veulent pas. Il ne s’agit pas de savoir s’ils refusent de se souvenir du passé, mais s’ils sont prêts à passer l’éponge. Non pas qu’ils soient vierges de toute idéologie ou dénués de convictions mais, simplement, leur vision du monde n’est pas répertoriée dans les manuels et ne cadre pas avec les vieilles idéolo-gies politiques. Les jeunes d’aujourd’hui ont leur propre vocabulaire, et il est temps que les vieux systèmes de valeurs et les vieilles institutions – et pas seulement les partis politiques – commencent à prêter l’oreille à ce qu’ils ont à dire.

Quelles sont les aspirations des jeunes ? Il va de soi que différents jeunes auront différentes aspi-rations. Les gamins intouchables de l’Inde pro-fonde veulent des écoles dignes de ce nom. Leurs parents démunis consacrent une part croissante de leurs revenus à leur scolarisation, dans l’espoir que les écoles privées qui fleurissent actuellement sur tout le territoire indien feront l’affaire. Mais il leur faudra du temps pour apprendre les quelques

Loin des vieilles idéologies politiquesPlus des deux tiers de la population indienne ont moins de 35 ans. Ils pourraient faire basculer les prochaines élections législatives. Ce qu’ils réclament en priorité ? Des résultats.

Ils vont perdre leur “virginité électorale”PRANAV GUPTA, 20 ans, étudiant en troisième année d’économie au St. Stephen’s College [à New Delhi], n’a plus une minute à lui en ce moment. Ce ne sont pas tant ses livres et ses cours à l’université qui l’occupent que les réunions politiques organisées dans la capitale depuis deux mois. Il n’en rate aucune, explique- t-il avec l’enthousiasme d’un touriste racontant son voyage. Car ce jeune homme originaire de Noida [ville voisine de Delhi, dans l’Uttar Pradesh] tient à s’informer au mieux avant de décider à qui il donnera sa voix. Qu’il s’agisse du passage éclair (49 jours) de Kejriwal [au poste de ministre en chef de Delhi] ou de la guerre d’image que se livrent Rahul Gandhi et Narendra Modi, il veut se faire sa propre opinion. “J’étudie l’économie, mais la politique m’intéresse aussi – car pour bâtir une nation il est tout aussi important de s’intéresser à la politique qu’à l’économie, et je suis impatient de voter cette fois-ci.” Gupta est de ces citoyens qui, pour reprendre une expression en vogue sur les campus, perdront cette année leur “virginité électorale”. Selon les chiffres publiés récemment par la Commission électorale, plus de 100 millions de jeunes Indiens pourront voter pour la première fois [ils sont majeurs, entre 18 et 23 ans].Aucun parti politique ne peut se permettre d’ignorer ce chiffre, et tous ont d’ailleurs consacré une partie de leur budget à des exercices – parfois périlleux – visant à peaufiner leur image afin de s’attirer les bonnes grâces de la jeunesse.MOSES KOUL, un camarade de classe de Gupta, a lu le programme de la plupart des partis et “étudié” leur politique économique. Contrairement à la plupart de ses amis, impressionnés par le mouvement

anticorruption [lancé en 2010], Koul, 22 ans, estime que ce mouvement n’était en fin de compte qu’une longue fête de rue. “Je ne veux pas avoir l’air prétentieux, mais la plupart des veillées à la bougie et des marches de protestation sont une farce”, assène-t-il.ATREYI BHATTACHARYA, étudiante de deuxième année qui compte rentrer chez elle, à Dehradun [Uttarakhand, dans le nord du pays], pour mettre son bulletin dans l’urne pour la première fois, croit en revanche aux marches et aux manifestations. Soucieuse de voter pour un parti qui défendra

les droits des LGBT, elle a participé à tous les

défilés de la Gay Pride et aux manifestations contre l’article 377 [article du code pénal criminalisant l’homosexualité]. Alors que beaucoup de membres de sa famille ont adhéré à la section de l’AAP [Le Parti de l’homme ordinaire] à Dehradun, Bhattacharya n’a pas encore arrêté son choix.DEVIKA CHATURVEDI est étudiante en deuxième année d’économie au Hansraj College [établissement supérieur de la capitale]. Lorsqu’on lui demande ce qu’elle attend du prochain gouvernement, la jeune fille cherche ses mots. Ravie d’avoir reçu sa première carte d’électrice juste après son dix-neuvième anniversaire, elle recherche un parti qui respecte la vie humaine. “Le Congrès était infesté par la corruption, tandis que le BJP promet de doper la croissance. Ni l’un ni l’autre ne me tentent. Ce que je veux, c’est un parti qui assure la croissance pour le bénéfice du peuple, au lieu d’exploiter le peuple pour parvenir à la croissance”, explique-t-elle.

—Aanchal BansalOpen, New Delhi

Publié le 15 mars

Témoignages

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

A voir : Fahad Shah, rédacteur en chef de The Kashmir Walla, parle de la jeunesse du Cachemire.  A lire : le dossier “Les plus grandes élections du monde”.

→ 34

Page 34: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

34. À LA UNE Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

Ils veulent des actes. Ils veulent des initia-tives fortes, novatrices, qui aient des retombées dans leur vie quotidienne, chez eux et maintenant.

Bien sûr, ils sont capables de s’extraire des sché-mas de pensée traditionnels. Ils sont tout à fait disposés à replacer le présent dans le contexte de la longue histoire de l’Inde, mais ils ne se lais-seront pas prendre au piège de la bigoterie. La mosquée [Babri, en 1992] s’est écroulée – c’est triste. Le temple [de Rama, sur le lieu où cette mosquée avait été démolie par des extrémistes hindous] n’a jamais été construit – tant pis ! Ce type de position peut passer pour une forme de désengagement aux yeux des tenants des idéo-logies de l’extrême droite ou gauche, mais c’est ainsi. Les jeunes d’aujourd’hui ne permettront pas que la religion ou la doctrine leur refusent ce qu’ils estiment mériter – un avenir fourmillant de perspectives. Ils n’ont rien contre le passé, mais ils sont surtout désireux d’améliorer leur sort. Si on leur donne le choix, ils préfèrent regarder devant que derrière.

Des candidats pro-jeunes ? Ce qui nous amène à “la” grande question, celle qu’il convient de poser dans le contexte des élections législatives de 2014 : qui, de Narendra Modi [candidat du BJP] ou de Rahul Gandhi [du parti du Congrès], œuvrera le plus en faveur de la jeunesse ? Prenons d’abord le cas de Narendra Modi. Les jeunes le voient-ils comme un facteur de division et de troubles [pour son profil d’homme antimusulman et sectaire] ou comme le messie que l’Inde a toujours attendu mais n’a jamais vu venir [pour ses positions éco-nomiques ultralibérales] ? Ni l’un ni l’autre, en réa-lité. Ils le croient capable de remettre de l’ordre dans un système défaillant, non parce qu’il tient un discours de fermeté, mais parce qu’ils jugent que le fonctionnement en vigueur dans l’Etat du Gujarat [dont il est ministre en chef depuis 2001] a du bon et n’est pas que du boniment. Par ail-leurs, ils sont disposés à oublier, peut-être même à pardonner. Excusent-ils ce qui s’est passé au Gujarat [des pogroms antimusulmans] en 2002 ? Bien sûr que non. A la différence peut-être de l’auteur de ces lignes, qui estime qu’il ne peut y avoir de réconciliation sans justice, les jeunes sont

plus indulgents. On peut y voir de la naïveté ou la marque d’une vision inconséquente, anhistorique, des choses, mais n’est-ce pas la même tournure d’esprit qui consiste à dire : “Tendons la main au Pakistan et gardons-nous de dilapider des fortunes dans la militarisation des points chauds” ? Depuis que près de la moitié de l’électorat a moins de 35 ans et que près de 25 millions d’électeurs ont entre 18 et 19 ans, les responsables politiques n’ont d’autre choix que d’écouter ce que la rue a à dire. Or celle-ci veut faire table rase du passé, de toutes les injures, de toutes les aigreurs et de tous les préjudices, et construire un modèle pour l’avenir.

Rajiv Gandhi [ancien Premier ministre, assassiné en 1991] s’était projeté dans le XXIe siècle lorsqu’il est devenu Premier ministre, en 1984, à l’âge de 40 ans. Aujourd’hui, son fils, Rahul, a le même âge (à vrai dire, il est légèrement plus âgé), mais le seul discours qu’il est capable de tenir vient d’un autre âge et découle du bon vieux jargon mai-baap [paternaliste] du Congrès. Lorsque le jeune Rahul Gandhi a fait ses premiers pas dans les hautes sphères politiques, on l’a vu faire les choses différemment – il s’asseyait dans le fond, refusait les guirlandes, éconduisait les flagor-neurs, et ainsi de suite. Les jeunes étaient sous le charme. Il aurait dû devenir la nouvelle icône de la jeunesse tout en haut de l’échiquier politique. La jeunesse attendait avec impatience que Rahul Gandhi passe à la vitesse supérieure et devienne le leader qu’il avait promis. Ils attendent tou-jours. Même la politique de prestations sociales sur laquelle repose le programme du Congrès ne cadre pas avec le type de socialisme pour lequel les jeunes idéalistes pourraient s’enflammer. Ses métaphores sont féodales.

Arvind Kejriwal [ancien ministre en chef de Delhi et leader du Aam Aadmi Party, Parti de l’homme ordinaire] a choisi la place de troisième (voire de quatrième ou cinquième) batteur. Arvind Kejriwal est le fin stratège qui est parvenu – de concert avec [l’activiste] Anna Hazare – à exploi-ter la colère et la frustration des classes moyennes et inférieures des villes jusqu’à les pousser à descendre dans la rue. La jeunesse était capti-vée par cette révolution spontanée qui espérait construire sans rien détruire. La colère peut

Les trois candidats en lice

NARENDRA MODI. Membre du Rashtriya Swayamsevak

Sangh (RSS, Mouvement des volontaires nationaux, milice nationaliste hindoue), il entre au Bharatiya Janata

Party (BJP, Parti du peuple indien, formation nationaliste hindoue qui émane du RSS) en 1987. Il devient ministre en chef du Gujarat en 2001. L’année suivante, il est mis en cause dans des pogroms antimusulmans qui font au moins 1 200 morts. Si le très autoritaire Modi a réussi à éviter toute condamnation en justice, cet épisode le poursuit aujourd’hui, alors qu’il brigue sous l’étiquette BJP les fonctions de Premier ministre de l’Inde à l’issue des législatives. Sa posture de farouche défenseur de l’hindutva, l’idéologie extrémiste hindoue, et d’une vision économique ultralibérale lui vaut les faveurs de nombreux barons de l’industrie. Il a tenté de gommer son image radicale d’antimusulman en mettant en avant le développement du Gujarat. Il est âgé de 63 ans.

RAHUL GANDHI. Héritier d’une longue dynastie politique, Rahul

Gandhi est l’arrière-petit-fils de Nehru, le petit-fils d’Indira Gandhi et le fils de Rajiv et Sonia Gandhi. Il codirige le parti

du Congrès, qu’il a tenté de réformer de l’intérieur, et il est très actif à la tête de la section jeunesse. Réservé et mal à l’aise devant les caméras, il peine à incarner le changement. Il est âgé de 43 ans.

ARVIND KEJRIWAL. Diplômé d’un des prestigieux Institute

of Indian Technology, cet ingénieur décide de devenir fonctionnaire au sein de l’administration

fiscale. En 1999, il fonde une organisation,

Parivartan (Changement), pour aider les citoyens à payer leurs impôts et à obtenir les prestations sociales auxquelles ils ont droit. C’est ainsi qu’il révèle un scandale de corruption en 2008. Il est connu pour avoir utilisé la loi sur le droit à l’information pour révéler des affaires de corruption. En 2010, il participe à de grandes manifestations anticorruption. Deux ans plus tard, il fonde l’Aam Aadmi Party, Parti de l’homme ordinaire. Le 28 décembre 2007, il devient ministre en chef de Delhi, mais démissionne le 14 février suivant. Il incarne le renouveau politique. Il est âgé de 45 ans.

A la une

PARACHUTÉSDans sa version en hindi, l’hebdomadaire India Today consacre son dossier de une aux “dirigeants en pleine croissance”, des nouveaux candidats souvent jeunes et issus du monde de l’entreprise et du cinéma de Bollywood, notamment. Selon le magazine, ils ont été “parachutés sur décision des partis politiques et offrent au terrain leurs visages artificiels et impatients”.

IND

IAN

NAT

ION

AL

CO

NG

RES

STY

33 ←

→ Manifestation à New Delhi, après le viol d’une jeune femme, le 16 décembre 2012.

Page 35: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

815

Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014 UNE JEUNESSE INDIENNE. 35

pousser à l’action et provoquer un vrai change-ment. Mais il arrive un moment où la colère doit quitter la rue et s’asseoir autour de la table. La jeunesse d’aujourd’hui est capable de descendre dans la rue pour défendre une cause, contraire-ment à ce que nombre d’entre nous auraient pu penser. Elle ne manque ni de convictions ni de motivation. Mais elle n’entend pas rester dans la rue. Les jeunes veulent une place dans un bureau, et une qui paie bien. Ils sont prêts à trimer dur pour l’obtenir, et même à se battre. Mais, au bout du compte, ils voteront pour celui qu’ils jugeront capable de créer de nouveaux emplois, et non pour celui qui promettra le grand soir.

La fin des idéologies. Publié en 1960 par [le sociologue américain] Daniel Bell, La Fin des idéo-logies (PUF, 1997) traitait du peu de pertinence des idéologies politiques dans le monde occiden-tal d’après-guerre. En Inde, nous entendons parler de la fin des idéologies depuis un certain temps maintenant et ce discours se renforce à chaque nouvelle élection (autrement dit, les partis de gauche ont de moins en moins de sièges). Peut-être devrions-nous voir la politique d’un point de vue fonctionnel. C’est là le message que nous envoie la jeunesse : elle nous exhorte à juger la politique à l’aune de ce qu’elle peut faire et non de ce qu’elle entend faire. A cet égard, nous sommes animés par le même type de pragmatisme qui prévaut dans les démocraties occidentales à l’heure d’élire leurs dirigeants politiques. Voilà le monde dans lequel vit la jeunesse indienne, qu’on le veuille ou non. La langue de bois ne fera plus illusion désor-mais. Ce que veut la jeunesse indienne, c’est un leader pragmatique animé par une vision. Peut-être est-ce beaucoup demander. Peut-être un tel leader n’existe-t-il pas à l’heure où nous parlons. Tôt ou tard, la vieille classe dirigeante devra faire ses bagages et laisser la place aux jeunes. Les gouvernants devront apprendre à se retrousser les manches et à prendre des mesures concrètes.

Si un jour quelque poétesse met en vers l’his-toire d’une Inde éclairée, comme celle qu’appe-lait de ses vœux [le prix Nobel de littérature] Rabindranath Tagore il y a de nombreuses années, elle chantera pour sa jeunesse et trouvera en elle le rêve grâce auquel tout prit forme. 2014 n’est qu’une date, comme le furent 2013 ou 2012. La Terre ne s’est pas arrêtée de tourner alors et l’Inde ne va pas renaître aujourd’hui. Il y aura un monde après mai 2014. Et ce monde appartien-dra à la jeunesse de notre pays.

—Debraj Mookerjee*Publié le 22 mars

* Professeur d’anglais au Ramjas College, affilié à l’université de Delhi.

5 – Moins de comédie. Il n’est jamais très glo-rieux de se mettre en colère en public. Ce l’est moins encore lorsque chaque coup d’éclat de nos représentants accapare la une de l’actualité. Pendant les séances parlementaires, nous aime-rions voir nos politiciens se comporter comme des gens de leur âge, et non comme des gamins dans une cour de récré.6 – La loi Jan Lokpal [anticorruption]. Puis-que cette loi représente une occasion en or de mettre un terme à la corruption généralisée, il n’y a rien d’étonnant à ce que chaque politicien digne de ce nom s’y oppose. La loi Jan Lokpal offrira aux citoyens un mécanisme pour dénon-cer et éradiquer la corruption à la base – et, du même coup, assurera davantage de transparence dans la vie politique (voir point 4).7 – Utiliser les technologies. Les adminis-trations de notre pays ne se sont toujours pas équipées de moyens technologiques. Le spec-tacle des interminables files d’attente devant les bureaux administratifs suffit à horripiler le plus patient des citoyens. Et bien entendu, avant de faire avancer quoi que ce soit, il faut encore en passer par une énorme pile de paperasserie. Cela étant, la technologie à elle seule ne résou-dra pas tout. Pour en tirer le meilleur parti, il faut également un personnel compétent, rap-pellent les jeunes électeurs.8 – Moins de nids-de-poule. Les élections reviennent tous les cinq ans et, avec elles, fleu-rissent dans nos villes toutes sortes de projets d’embellissement urbain dont il n’y avait aucune trace quelques mois plus tôt. Commencent alors des chantiers pharaoniques et surfinancés qui, la mousson venue, finissent invariablement par provoquer davantage de problèmes qu’avant leur démarrage.9 – Un peu d’élégance dans ce monde de brutes. Nos hommes politiques n’ont jamais été très chauds pour s’imposer comme lanceurs de mode. Il est vrai que ce n’est pas là un critère essentiel pour bien gouverner un pays, mais une certaine élégance ferait tout de même meilleure impression que le laisser-aller ambiant.10 – Moins de pauvreté. Bien que ce soit un cliché, ce point figure tout de même sur notre liste, car c’est l’un des fléaux qui nous insup-porte. La disparité économique suffit à discréditer n’importe quel programme politique et, s’il est vrai que le gouvernement a fait des efforts pour y remédier, il y a encore fort à faire. La pauvreté engendre le cercle vicieux de l’analphabétisme et de la corruption, et porte la responsabilité de plus d’un quart des problèmes de notre pays.

—Divya MohanPublié le 18 mars

—India.com Bombay

A l’approche des élections, l’ensemble de la classe politique indienne, du Congrès au BJP en passant par tous les autres partis, s’accorde sur un point : il faut mobili-ser la jeunesse. Excellente idée. Voici un coup d’œil à une liste de revendications

dressée par notre jeunesse à l’intention de nos politiciens, puisque ces derniers souffrent mani-festement d’une grave amnésie sélective dès que les élections sont passées.1 – Sécurité des femmes. C’est la première exigence d’une génération qui a vu comment son pays avait géré le procès Jessica Lal [ses assassins furent acquittés, malgré des preuves accablantes, puis condamnés après le soulève-ment de l’opinion publique], le procès Nirbhaya [surnom de la jeune femme violée à Delhi en décembre 2012 et dont les agresseurs majeurs ont été condamnés à mort] et d’innombrables autres affaires anonymes. L’Inde voudrait voir appliquer des lois draconiennes contre les vio-leurs, les agresseurs, les tripoteurs et autres élé-ments violents de la société. Nirbhaya n’était pas un cas isolé, et le pays n’est certainement pas d’humeur à l’oublier !2 – Les droits des Lesbiennes Gays Bi et Trans (LGBT). En dépit des publicités agressives affir-mant qu’ils sont en phase avec la mentalité des jeunes, nos politiciens régressifs ne semblent pas même être en phase avec l’humanité. Pour un pays qui se targue d’être un modèle de tolérance et d’égalité, nous donnons une bien mauvaise image en excluant et en discriminant les indi-vidus en fonction de leurs préférences sexuelles [d’après le Code pénal, l’homosexualité est un crime]. Il faut absolument réformer en profon-deur la Constitution pour l’adapter à l’évolution des mœurs et, peut-être aussi, réformer en pro-fondeur l’esprit des dirigeants indiens.3 – Lois antiterroristes. Pour un pays qui doit faire face au terrorisme, notre mécanisme de lutte et de compensation des victimes est plutôt médiocre. Malgré la mise en place de procédures de comparution immédiate, il n’y a eu aucune amélioration notable de la façon dont nous ren-dons la justice. Appel après appel, les affaires traînent pendant des années avant que les accu-sés soient enfin condamnés à mort.4 – Transparence. Impôt – voilà bien le mot le plus redouté du dictionnaire de chaque salarié. Puisque le gouvernement est un service établi POUR le PEUPLE, PAR le PEUPLE et qui appar-tient AU PEUPLE, le moins que la nation attende de ses dirigeants est la transparence. Où passe notre argent ?

Les revendications de toute une générationLa classe politique est sommée de faire plus pour la sécurité des femmes et la transparence. On lui demande aussi de lutter contre le terrorisme et la corruption, la pauvreté, et au passage… de mieux s’habiller.

SOURCE

INDIA.COMCe site d’information généraliste appartient au groupe Zee Medias, dont la holding possède égalementle quotidien Daily News and Analysis (DNA). Afin de couvrir les élections et d’avoir le point de vue de la jeunesse, Zee Medias a recruté 35 auteurs entre 18 et 25 ans. Leurs articles, comme celui que nous reproduisons ici, sont publiés sur India.com et DNA.

SUR TWITTER @courrier

Retrouvez plus d’informations sur les élections en Inde en suivant le hashtag #Inde2014

815 MILLIONSde personnes environ sont appelées à voter aux prochaines élections, contre 717 millions en 2009, soit une augmentation de 13,6 %. Sur les 150 millions de nouveaux électeurs, 23,2 millions sont âgés de 18 à 19 ans. Les 18-23 ans représentent au total 48,7 millions d’électeurs. Dans chacune des 543 circonscriptions, quelque 90 000 jeunes de 18 à 23 ans vont donc voter cette année pour la première fois, selon les dernières données de la Commission électorale. Cette marge peut suffire à faire basculer le scrutin localement.

Page 36: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

36. À LA UNE Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

L’élan de la jeunessePart des moins de 25 ans dans la population (2014, estimation, en %)

33,1 31,8

FRANCE

30,6

INDE ÉTATS-UNIS CHINE

0-14 ans 15-24 ans

46,6

INDE

ÉTATS-UNIS

CHINE

FRANCE

9083

8137

73

82

5317

Confiance des jeunes en l’avenir* (en %)

avenir personnel avenir du pays

* Réponses positives aux questions : “Votre avenir vous semble-t-il souriant ?” et “L’avenir de votre pays vous semble-t-il souriant ?”, sondage réalisé auprès de jeunes de 16 à 29 ans.         

SOURCES : CIA (“THE WORLD FACTBOOK 2014”), FONDATION POUR L’INNOVATION POLITIQUE (“2011 WORLD YOUTHS”)

Quand la campagne vire à la parodieNés à l’ère du numérique, les jeunes suivent autant la politique que leurs parents. Mais ils sont moqueurs et surtout friands de satires en ligne.

—The Times of India Bombay

L a guerre est déclarée. Alors que la campagne s’accélère, les humoristes décochent leurs fl èches sur Internet. Les mèmes Internet et autres types de sketchs font fureur. Les paro-dies de politiciens sur Facebook sont reprises sur des sites d’actualité satiriques comme

Faking News et The UnReal Times. Pour son émission en ligne, le comique Jay Hind a inventé des chansons satiriques. La plus partagée était une parodie de la chanson patriotique classique de Lata Mageshkar Aa mere watan ke longon [Oh, gens de mon pays], transformée en Aa mere vetan ke longon [Oh, gens de mon chéquier], référence à peine voilée à l’emprise supposée du magnat de l’industrie Mukesh Ambani sur les politiciens et les bureaucrates. L’ancien journaliste Ashutosh, candidat de l’Aam Aadmi Party [AAP, Parti de l’homme ordinaire, parti anticorruption fondé en 2012], a lui aussi été la cible d’un blog qui a aussi-tôt fait le buzz sur Internet. L’interview de Rahul Gandhi sur la chaîne télévisée Times Now a ins-piré une nouvelle page web, intitulée “Demandez ce que vous voulez à Rahul”. Les questions que l’utilisateur était invité à poser par écrit géné-raient une réponse toute prête.

Rahul Roushan, animateur du site Faking News, explique que beaucoup de choses ont changé sur Internet depuis 2009 : “Les réseaux sociaux ont pris de l’ampleur. De plus, alors qu’auparavant les débats ne portaient pratiquement pas sur la politique,

aujourd’hui les médias sociaux s’emparent du moindre sujet politique […]. Les vidéos sont maintenant réalisées professionnellement et il faut disposer d’un certain temps pour les regarder, commente Roushan. Il est plus facile de consommer un mème Internet ou une parodie publiée sur Facebook.”

En ces temps d’intolérance croissante, la satire peut avoir des eff ets secondaires. En juillet dernier, la page “Narenda Modi Plans” [Les projets de Narenda Modi, candidat du BJP, Parti du peuple indien, formation nationaliste hindoue] a fait un tabac sur le web. Puis elle a mystérieusement disparu de la Toile, mais est restée immortelle tant elle a été partagée et retransmise par les internautes.

Le site web d’Aseem Trivedi, Cartoons against Corruption [Des dessins contre la corruption], a été fermé en décembre 2011 à la suite d’une plainte déposée auprès de la police judiciaire de Bombay. “Ces vidéos parodiques sont appréciées. Après le dernier retour de bâton que le gouvernement a subi pour avoir tenté d’étouff er la liberté d’expression, ils ne veulent peut-être plus risquer quoi que ce soit avant les élections”, estime Trivedi. “Maintenant que le scrutin est proche, nous assistons à une explosion d’humour politique”, dit Gaurav, l’auteur, originaire de Goa, du blog sur Ashutosh. “Il pourrait même y avoir des ‘guerres’ de camps rivaux s’ils sentent que la tension monte.” Voilà qui laisse encore aux internautes le temps de s’amuser aux dépens des sages de la sphère politique.—

Publié le 14 mars

Chronologie

LA DÉMOCRATIE INDIENNE EN 6 DATES1950 L’Inde promulgue sa Constitution, deux ans et demi après l’indépendance, en 1947. Elle est une République démocratique et souveraine (et, depuis 1975, “socialiste” et “laïque”) qui fonctionne sur un modèle fédéral.1951-1952 Le mandat du premier gouvernement arrive à son terme et les premières législatives sont organisées ; 105 millions d’électeurs y prennent part.1975 Indira Gandhi, fi lle de Nehru et Premier ministre, promulgue l’état d’urgence et suspend ainsi la démocratie. Deux ans plus tard, elle annonce des élections législatives, que son parti perd, ouvrant ainsi la voie à la première alternance politique.1998 Les nationalistes hindous du BJP arrivent durablement au pouvoir à Delhi. Leurs deux mandats successifs sont caractérisés par des violences intercommunautaires, des essais nucléaires, une guerre avec le Pakistan, le rapprochement avec les Etats-Unis et un fort taux de croissance dû aux réformes économiques de 1991.2004 Elections législatives et retour du parti du Congrès au pouvoir. Le premier mandat, jusqu’en 2009, suscite beaucoup d’espoirs. Le deuxième mandat est entaché d’immenses scandales de corruption. Le parti achève son mandat sur une très grande impopularité.2014 Nouvelles élections législatives. Le scrutin se déroulera entre le 7 avril et le 12 mai. Le dépouillement aura lieu le 16 mai.

MA

RCO

BU

LGA

RELL

I/G

AM

MA

← Un adolescent interviewé par la chaîne musicale MTVIndia, à Bombay.

Page 37: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014 UNE JEUNESSE INDIENNE. 37

2050 : toujours pauvre mais plus calmeEconomie, société, démocratie… quel pays laisserons-nous derrière nous ?

—Live Mint New Delhi

D ans trente-cinq ans, à en juger par l’âge moyen des lecteurs de journaux et l’es-pérance de vie en Inde, ni vous ni moi ne serons plus là. Tentons néanmoins de dres-ser un tableau de ce à quoi ressemblera le pays que nous risquons de laisser derrière

nous en 2049.

Economie. Commençons par briser les illusions des optimistes : en 2011, un rapport de la société fi nancière américaine Citigroup prédisait que d’ici à 2050 l’Inde deviendrait la plus grande économie mondiale : “Nous estimons qu’au cours des quarante ans à venir, entre 2010 et 2050, le PIB brut par habi-tant indien devrait augmenter à un rythme de 6,4 % par an (avec une croissance annuelle de 7,2 % sur les dix prochaines années, de 7,7 % entre 2020 et 2030, puis de 5,2 % entre 2030 et 2050). De ce fait, nous pensons que l’Inde deviendra la plus grande économie du monde d’ici à 2050, surpassant ainsi la Chine et les Etats-Unis.” Avec une telle progression, l’éco-nomie indienne pèserait alors 85 000 milliards de dollars [61 500 milliards d’euros] en termes de parité de pouvoir d’achat (PPA), contre à peine 4 000 milliards de dollars [2 900 milliards d’euros] en 2010. Malheureusement, la réalité a déjà démenti les prédictions à court terme d’une croissance indienne de 7,2 % entre 2010 et 2015. Et rien ne garantit que les projections à moyen et long terme du groupe fi nancier se révèlent plus exactes.

Il y a quatre ans, à l’époque où l’Inde affi chait une croissance de 9 %, j’écrivais dans ces colonnes

que ce taux ne pourrait pas se maintenir. Je ne pense pas que cela changera, quels que soient les ajustements politiques auxquels pourront procé-der les gouvernements successifs à New Delhi. Il faut également tenir compte de ce que la santé de l’économie signifi e concrètement pour l’Indien moyen. Selon l’Offi ce central des statistiques, le revenu national net (RNN) s’établit aujourd’hui à environ 70 000 roupies [845 euros] par habi-tant et par an. Les revenus indiens sont parmi les plus faibles des pays du groupe des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Le revenu moyen par habitant (c’est-à-dire celui de plus de la moitié de la population) dépasse à peine les 35 000 roupies [362 euros]. La situation de cette tranche de la population ne progressera que très légèrement au cours de la prochaine génération.

Sécurité. Nos deux principaux problèmes de sécurité intérieure sont le Cachemire et le Nord-Est. Ils seront résolus car la violence cessera. Je pense que dans ces deux régions, face à la bonne tenue du processus démocratique en Inde, les Etats fédérés parviendront à un compromis. Les migrations de leurs habitants à l’intérieur de l’Inde, pour des raisons économiques, ont déjà entamé les velléités séparatistes.

Société. Il y aura encore des domestiques. J’ai lu récemment plusieurs ouvrages sur les deux grandes guerres mondiales et j’ai été frappé par le nombre de fois où les rapports en prove-nance de Grande-Bretagne parlent de pénurie de personnel de maison. Les Britanniques ont rompu avec leur culture de la domesticité après la

Première Guerre mondiale pour deux raisons : les salaires avaient augmenté et l’apparition d’appa-reils modernes simplifi ait le travail ménager. Or, en Inde, le recours à la domesticité ne tient pas uniquement à l’off re et à la demande, ni à la tech-nologie. Cette culture est également liée à notre perception de la sphère privée : avoir un domes-tique à demeure dans un espace relativement res-treint ne nous dérange pas, et cela ne changera pas avec la prochaine génération.

De nombreuses communautés jusqu’alors marginalisées s’imposeront dans le milieu des aff aires. Les écoles de commerce produiront des entrepreneurs plus à même de lever et de gérer des capitaux que les traditionnelles familles issues des castes marchandes.

Il est évident que les villes indiennes diluent les identités tribales et que, d’ici à 2050, le sys-tème des castes n’aura plus non plus beaucoup de sens pour une large frange de la population indienne – voire pour la majorité des Indiens.

Nos villes seront moins chaotiques et mieux desservies par les transports publics, car la classe moyenne aura tant de poids politique que ses exigences prendront le pas sur celles des très pauvres. Il y aura au niveau des Etats fédérés des partis politiques représentant les classes moyennes, tout comme il y a aujourd’hui des partis fondés sur les castes. Les écoles s’amé-lioreront, et le fossé entre les meilleurs établis-sements et les plus mauvais sera moins criant qu’il ne l’est aujourd’hui.

Démocratie. Politiquement, nous avons déjà fait de la démocratie indienne une grande réus-site. La phase suivante sera la décentralisation. Il apparaît d’ores et déjà évident que la structure du pouvoir est appelée à changer et qu’à mesure que les Etats gagneront en autonomie, le gou-vernement fédéral à New Delhi aura de moins en moins voix au chapitre.

Si vous avez de jeunes enfants, ils auront une trentaine d’années en 2050. Ils auront proba-blement des valeurs diff érentes de celles que vos parents vous ont inculquées car, au cours de leurs années de formation, ils auront été infl uen-cés par une plus grande variété de sources. Nous voyons déjà en germe dans les adolescents d’au-jourd’hui le futur Indien de 50 ans.

Sur le front de la culture, le niveau sera exé-crable. Nous verrons sans doute dans toute l’Inde ce que nous constatons déjà dans nos villes : une classe moyenne qui ne parle aucune langue cor-rectement. D’un autre côté, les arts nobles tels que la musique classique et la danse tradition-nelle seront mieux représentés et cultivés qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Cela étant, bien d’autres d’aspects de la société se seront améliorés. Je pense que nous serons moins corrompus grâce à la technologie. Au fi l des décennies, les émeutes se raréfi eront et je veux croire que bientôt nous ne nous saute-rons plus à la gorge pour des histoires de convic-tions religieuses. Dans ces domaines et quelques autres, nous assisterons à des changements que nous ne croyons pas aujourd’hui possibles et dont nous nous féliciterons au moment de partir pour l’autre monde.

—Aakar PatelPublié le 8 mars

A la une

COMME LEURS AÎNÉSQuelle presse lisent les jeunes ? Sensiblement la même que leurs parents, en anglais comme en hindi et dans les nombreuses langues régionales du pays : des quotidiens, des magazines d’information, de sport et de cinéma, des féminins commele très populaire Vanitha, en malayalam (la langue du Kerala), et aussi des publications comme Pratiyogita Darpan (Miroir de la compétition). Cette revue en hindi permet aux étudiants de se préparer aux prestigieux concours de la fonction publique.

SAN

JIT

DA

S/PA

NO

S-RÉ

A

← Sumit Dagar, 29 ans, inventeur d’un smartphone pour les non-voyants et entrepreneur. Ici à New Delhi.

Page 38: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

38. Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

Technologie. L’énergie thermique des mers permet de produire de l’électricité en exploitant la différence

de température entre la surface des océans et les abysses. De la science-fiction ? Plus vraiment.

FOCUS

Médias ........... 42Economie ......... 44Signaux .......... 45

Vingt mille mégawatts sous les mers

trans-versales.

écologie

—New Scientist (extraits) Londres

Si une ressource énergé-tique mérite le qualificatif de steampunk [rétrofutu-

riste], c’est bien l’énergie ther-mique des mers (ETM). En voici la démonstration en trois points. La science-fiction de l’époque vic-torienne aborde déjà ce thème : en 1870, Jules Verne évoque le poten-tiel de l’ETM dans Vingt Mille Lieues sous les mers. Est-ce une techno-logie mécanique datant plus ou moins du XIXe siècle ? Oui. Offre-t-elle un sérieux potentiel d’éner-gie renouvelable pour un avenir postapocalyptique ? Encore oui.

De fait, les atouts de l’ETM sont remarquables. En théorie, elle pourrait fournir en un an quatre mille fois plus d’énergie que le monde n’en consomme. Et sans produire de pollution ni de gaz à effet de serre. Mais, dans le monde réel, on a jugé qu’elle posait trop de problèmes pratiques.

Cette année, pourtant, un nombre surprenant de projets

sont en cours, menés non pas par des visionnaires aux idées chimé-riques mais par des pragmatiques convaincus, comme le géant de l’industrie aérospatiale américain Lockheed Martin. Alors, qu’est-ce qui a changé ?

Il est possible que Jules Verne ait imaginé l’ETM pour aider le capi-taine Nemo à alimenter en élec-tricité l’espèce d’igname abyssale à laquelle ressemblait son sous-marin, le Nautilus. C’est en tout cas la première mention écrite du concept. “J’aurais pu, en effet, en établissant un circuit entre des fils plongés à différentes profondeurs, obtenir de l’électricité par la diversité des températures qu’ils éprouvaient […]”, explique Nemo à son compa-gnon de bord. Onze ans après la publication du roman [en 1870], le physicien français Jacques-Arsène d’Arsonval propose la première conception pratique d’une centrale électrique reposant sur ce principe. A la place des fils, il utilise simple-ment des tuyaux. L’ensemble doit produire de la vapeur en exploi-tant la différence de température

entre les eaux froides du fond des océans et celles, plus chaudes, de la surface.

L’idée est brillante. L’océan est un immense et inépuisable réservoir d’énergie solaire stoc-kée sous forme de chaleur, et réapprovisionné chaque jour. La majeure partie de cette chaleur est stockée dans les 100 premiers mètres de profondeur, alors que, 1 000 mètres plus bas, l’eau, ali-mentée par les courants venant des régions polaires, reste à une température constante de 4 à 5 °C.

Pour produire de l’énergie à partir de cette différence de tem-pérature, les systèmes actuels pompent l’eau chaude en sur-face et la mettent en contact [via un échangeur de chaleur] avec des canalisations contenant un fluide à faible point d’ébullition,

comme l’ammoniac [NH3]. Quand ce liquide bout, la vapeur qu’il génère actionne une turbine et celle-ci produit de l’électricité. L’eau froide pompée en profondeur vient alors refroidir les canalisa-tions d’ammoniac gazeux [sortant de la turbine], lequel se condense et revient à son état liquide, prêt à amorcer un nouveau cycle.

Ce principe, c’est celui de presque toutes les centrales ther-miques du monde, qu’elles soient à charbon ou nucléaires : elles fonctionnent avec des turbines à vapeur. Mais la production de cette vapeur implique la combustion de charbon polluant ou engendre des déchets nucléaires à vie longue. Avec l’ETM, en revanche, le pro-cessus est propre et durable.

Tout ça fonctionne parfaitement sur le papier. Car, dans la réalité, [la majeure partie de] l’énergie fournie par le gradient thermique de l’océan est absorbée par le sys-tème. Le principal problème est l’accès aux eaux profondes : pour pomper les énormes volumes d’eau nécessaires au cycle, il faut des

canalisations de 1 000 mètres de long, suffisamment larges et résis-tantes pour assurer le transport de plusieurs mètres cubes d’eau par seconde. Quand on fait le total de ces pertes, le taux de rendement théorique d’une centrale ETM tombe à un médiocre 4 à 6 %.

C’est pour cette raison, notam-ment, que la différence de tempéra-ture entre l’eau de surface et celle des profondeurs doit atteindre au moins 20 °C. Or cette condition n’existe que sur une bande relative-ment étroite autour de l’équateur, qui couvre les régions tropicales et subtropicales.

En dépit de ces obstacles, des efforts ont été déployés tout au long du XXe siècle pour rendre l’ETM opérationnelle. Les plus ambitieux ont été encouragés par la crise pétrolière des années 1970  : le président américain Jimmy Carter a alors fait voter une loi prévoyant la production de 10 000 mégawatts d’électri-cité à l’aide de cette technique avant 1999. Mais quand le prix du pétrole est retombé, les

L’océan est un immense et inépuisable réservoir d’énergie solaire → 40

Page 39: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

TRANSVERSALES.Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014 39

TURBINE

POMPE

ÉVAPORATEUR CONDENSATEUR

ÉLECTRICITÉ

A

B

C

Un circuit ferméLa différence de température entre les eaux profondes et les eaux de surface peut être utilisée pour produire une électricité verte.

A—Les eaux de surface chauffent un fluide dont le point d’ébullition est très bas, comme l’ammoniac.

B—L’ammoniac entre en ébullition. Cette vapeur crée une pression suffisante pour actionner une turbine et produire de l’électricité.

C—Au contact des tuyaux remplis d’eau froide, puisée au fond de l’océan, la vapeur d’ammoniac se condense à nouveau. Le liquide poursuit son chemin dans le circuit et le processus peut recommencer.

ALIMENTATION EN EAU FROIDE VENUE DES PROFONDEURS

(environ 5 °C)

ALIMENTATION EN EAU CHAUDE VENUE DE LA SURFACE (environ 26 °C)

SOURCE : “NEW SCIENTIST”

> 24 °C23°

22° 21° 20° 19°18°

SOU

RCE

: “N

EW S

CIE

NTI

ST”

* Ne fonctionne que l’été.

Equateur

Trop. du Capricorne

Trop. du Cancer

Chennai/Madras(Inde)10 MW

Ansan*(Corée du Sud)

20 kW

Zanzibar(Tanzanie)

Hainan(Chine)10 MW

Iles Vierges (É-U)

Curaçao(Pays-Bas)

500 kW

Bahamas10 MW

Ile de Guam (É-U)17 MW

Atoll de Kwajalein(îles Marshall)

20 MW

Hawaii(É-U)

100 kW/1 MW

Philippines10 MW

Ile de Kume, Okinawa(Japon)50 kWPuissance prévue

(kW : kilowatts, MW : mégawatts)

Zone où la différence de température entre le fond et les eaux de surface est en moyenne comprise entre 18 et 19 °C.

Statut des projets :

Terminés

En cours

Prévus

Proposés

Proposés, mais pas dimensionnés

Pour produire de l'électricité, il faut une différence de température d’au moins 20 °C entre le fond et les eaux de surface. Une condition qui restreint le déploie-ment des projets aux eaux chaudes de la ceinture équatoriale. La puissance de ces futures centrales reste encore faible.

Des projets qui aiment les mers chaudes

Ma jolie ferme sur l’océan●●● L’agriculture du futur sera bleue. Faute de terres agricoles disponibles et avec la montée du niveau des océans, on pourrait envisager de cultiver sur la mer, annonce Modern Farmer. Dans un reportage intitulé “Fermes fl ottantes”, ce mensuel américain s’est intéressé au projet Blue Revolution, qui prévoit d’expérimenter le concept dans les eaux turquoise d’Hawaii. Avec des cultures végétales hors sol et de l’aquaculture en eaux ouvertes. La condition sine qua non pour que cette utopie devienne réalité ? La mise en œuvre de l’énergie thermique des mers. C’est la seule solution pour avoir une énergie 100 % disponible et renouvelable, explique l’un des responsables du projet.

Trésors

3 000MILLIARDS DE DOLLARSC’est la valeur estimée des biens et des services que nous puisons chaque année dans l’océan. Et ce chiff re devrait encore croître, annonce The Economist dans un article paru le 28 février. “En haute mer, hors des zones territoriales, on s’apprête à mettre en route des exploitations minières. Avec la fonte des glaces, de nouvelles lignes maritimes s’ouvrent à travers l’Arctique. Enfi n, les ressources génétiques de la vie marine promettent le jackpot aux laboratoires pharmaceutiques : le nombre de brevets augmente de 12 % par an”, énumère l’hebdomadaire. Bien plus que les forêts primaires, les océans méritent le titre de poumon de la planète, à laquelle ils fournissent la moitié de son oxygène. Il n’empêche, nous persistons à maltraiter cet immense réservoir, par le réchauff ement climatique, la surpêche, la pollution, l’acidifi cation… Il est urgent de passer à une gestion concertée des mers, avertit l’hebdomadaire britannique.

SUR LE WEB

A lire : “In search of new sales defense contractors embrace energy market”. Une analyse du Washington Post sur le virage des entreprises de défense, dont Lockheed Martin, vers l’énergie.

↙ Dessin de Vlahovic, Serbie.

Page 40: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

TRANSVERSALES40. Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014FOCUS TECHNOLOGIE.

énergies alternatives ont été une fois de plus reléguées en bas de la liste des priorités.

Aussi, lorsque Lockheed Martin a annoncé, l’an dernier, la construc-tion d’une usine de 10 mégawatts au large de la Chine méridionale, la nouvelle a été accueillie avec indifférence : ce projet n’avait rien de nouveau. Mais à y regarder de plus près, il pourrait marquer un changement pour l’ETM. L’heure est peut-être arrivée pour cette technologie du XIXe siècle d’inté-grer le bouquet d’énergies renou-velables du XXIe, avec le concours d’autres énergies vertes, de l’indus-trie pétrolière et peut-être même du changement climatique.

Les leçons du pétrole. Plusieurs paramètres sont en train de chan-ger. Le taux de rendement de l’ETM est peut-être faible, mais comme la technologie fait appel à une eau de mer abondante et gratuite, elle conserve un inté-rêt économique si elle est utili-sée à grande échelle. Le cours du pétrole est instable et le change-ment climatique devient un fac-teur déterminant de conversion à des sources d’énergie alterna-tives. Les énergies renouvelables intermittentes comme le vent et l’énergie solaire conservent un usage marginal, car elles ne peuvent produire de l’électricité que lorsque le soleil brille ou que le vent souffle.

En revanche, les centrales ETM peuvent fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre, comme le souligne Ted Johnson, de la société américaine Ocean Thermal Energy Corporation, qui envisage de com-mercialiser cette technologie. Ce fonctionnement en continu pour-rait leur permettre de remplacer des centrales à combustibles fos-siles. Il suffirait de relier une cen-trale ETM au réseau électrique d’une ville.

Mais à quoi bon l’énergie ther-mique des mers si l’équipement requis pour l’exploiter coûte plus cher que l’électricité qu’elle four-nit ? Là encore, des progrès ont été réalisés. Lockheed Martin a emprunté des techniques à la construction des ponts et des éoliennes – fabriqués avec des matériaux ultralégers et résis-tants comme la fibre de verre et les résines composites élaborées – pour concevoir des canalisations peu coûteuses mais suffisamment solides et flexibles pour suppor-ter les pressions des courants marins. Il y a aussi une myriade

d’enseignements à tirer de l’in-dustrie pétrolière et gazière offs-hore, dans laquelle il est désormais courant d’opérer à des profon-deurs supérieures à 1 000 mètres. Grâce à ces activités, il est pos-sible de trouver dans le commerce des équipements qu’il aurait fallu créer de toutes pièces il y a encore vingt ans.

Luis Vega, chercheur en ETM à l’Institut des énergies naturelles de l’université d’Hawaii, à Manoa, estime que, grâce à cette évolu-tion, le coût de construction d’une centrale de 100 mégawatts [puis-sance équivalente à celle d’une petite centrale à charbon] serait d’environ 790 millions de dollars [570 millions d’euros]. Compte tenu des coûts d’exploitation, le prix de l’électricité ainsi produite s’élèverait selon lui à 18 cents le kilowattheure. Un chiffre sensi-blement égal aux estimations du ministère de l’Energie américain pour les centrales à charbon uti-lisant la capture et le stockage du carbone (14 cents) et pour l’éner-gie solaire (entre 14 et 26 cents).

Avec cette nouvelle donne, les projets d’ETM ont commencé à se multiplier aux quatre coins de la planète [voir carte]. L’an der-nier, une centrale pilote de 50

kilowatts est entrée en service sur l’île de Kume (archipel d’Oki-nawa), au Japon. A Hawaii, l’entre-prise Makai Ocean Engineering est en train de construire une cen-trale de 100 kilowatts dans son Centre de recherche sur l’énergie des océans de Kailua-Kona. Dans les Caraïbes, l’entreprise néerlan-daise Bluerise, qui travaille en coopération avec l’Université de technologie de Delft, aux Pays-Bas, projette de construire une cen-trale de 500 kilowatts près de l’aé-roport international de Curaçao. “Les petites îles, qui sont très dépen-dantes de combustibles importés coûteux, constitueront sans doute le premier marché”, prédit le PDG de Bluerise, Remi Blokker.

De toute évidence, elles ne seront pas les dernières. Des avancées récentes devraient permettre à l’ETM de se banaliser. De nom-breux groupes de recherche étu-dient ainsi la possibilité d’associer cette technique à l’énergie solaire. Paola Bombarda, de l’Université

polytechnique de Milan, en Italie, a par exemple modélisé la pro-duction d’une centrale ETM fai-sant appel à l’énergie solaire pour accroître la température de l’eau de surface. Elle a découvert que même un capteur solaire peu coû-teux – un simple dispositif cap-tant la lumière dans des lentilles ou des tubes – pouvait tripler la production d’électricité pendant la journée.

Ce genre de technique pourrait s’avérer utile dans des pays situés trop au nord pour être en mesure d’utiliser l’ETM toute l’année. La différence de température entre l’eau de surface et celle des profon-deurs dans les mers entourant la Corée du Sud, par exemple, excède le minimum de 20 °C requis en été, mais pas en hiver. Les ingé-nieurs de l’Institut de recherche et de développement océanogra-phique coréen (Kordi) sont donc en train de modifier une centrale de démonstration de 20 kilowatts à Goseong-gun [dans le sud de la péninsule]. Elle utilisera l’énergie solaire, celle de parcs éoliens et celle provenant des usines d’inciné-ration de déchets pour préchauffer l’eau de surface avant de la mettre en contact avec l’ammoniac.

Vive le réchauffement ! Une idée encore plus ingénieuse serait d’associer l’ETM à une autre source d’énergie permanente. C’est ce à quoi s’emploient Kim Hyeon-ju et ses collègues du Kordi dans une centrale “GéoTEC”, où ils font appel à la géothermie – tech-nique de récupération de la chaleur contenue dans le sous-sol – pour accroître la température de l’eau de mer de surface. Cette méthode permettrait de doubler la super-ficie de la ceinture équatoriale dans laquelle les centrales ETM sont rentables.

De fait, l’ETM est devenue si prometteuse que certains écolo-gistes commencent à tirer la son-nette d’alarme. L’Administration océanique et atmosphérique amé-ricaine, par exemple, s’inquiète du risque de prolifération d’al-gues dû à l’introduction d’eaux des profondeurs, riches en nutri-ments et exemptes de bactéries, dans les eaux ensoleillées et plus chaudes de la surface. Mais, selon Luis Vega, de l’université d’Hawaii, les modélisations suggèrent que, tant que l’eau est renvoyée sous les 60 mètres de profondeur, ce risque est minime. Pour parer à tout danger, la société londonienne Energy Island a malgré tout fait

breveter une centrale ETM dans laquelle la vapeur d’ammoniac n’est plus condensée à la surface mais en profondeur. Il n’est donc plus nécessaire de pomper de l’eau riche en nutriments pour la rame-ner à la surface.

Le changement climatique pour-rait lui aussi contribuer à accroître le rendement de l’ETM en élar-gissant la zone adaptée à cette technique. “Avec le réchauffement des océans, on pourrait trouver de l’eau [de surface] plus chaude dans des zones situées plus au nord et au sud de l’équateur”, observe Robert Thresher, chercheur au Laboratoire national des énergies renouvelables de Golden, dans le Colorado. Bien qu’il ne soit pas le seul à avoir avancé cette thèse, il s’empresse d’ajouter qu’il s’agit d’une “idée intuitive” qui demande à être confirmée par une modélisa-tion rigoureuse. Le problème, c’est que, selon une autre hypothèse, les océans pourraient absorber une bonne partie de la chaleur générée par le changement climatique, ce qui réduirait la différence de tem-pérature entre les eaux de surface et celles des profondeurs. D’après des travaux publiés l’an dernier par Magdalena Balmaseda et ses collègues du Centre européen de prévision météorologique à moyen terme de Reading, en Grande-Bretagne, ce que devient la chaleur est loin d’être clair. “L’absorption de la chaleur n’est pas uniforme dans l’espace, la profondeur et le temps”, résume-t-elle.

Pour les partisans de l’ETM, l’avenir de cette technologie réside dans des navires qui “récolte-raient” l’électricité en parcourant les océans. Pour éviter d’avoir à l’acheminer à la côte par des câbles sous-marins, l’électricité produite pourrait être utilisée in situ pour décomposer l’eau de mer en hydro-gène et en oxygène, l’hydrogène étant ensuite stocké dans des piles à combustible distribuées dans le monde entier. Selon Luis Vega, un navire ETM de 100 mégawatts pourrait produire 1,3 tonne d’hy-drogène liquide par heure. Mais le coût resterait trois fois plus élevé que celui d’un baril de pétrole.

Avec le recul, il semble néan-moins que Jules Verne ait fait une découverte essentielle. Il avait sim-plement vu trop petit. Au lieu d’un bateau alimenté par l’océan, il fau-drait une flotte de navires pour apporter au monde l’énergie de l’océan. Steampunk par excellence.

—Helen KnightPublié le 3 mars

Un capteur solaire peu coûteux peut tripler la production d’électricité

38 ←

↓ Dessin de Falco, Cuba.

Page 41: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039
Page 42: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

TRANSVERSALES42. Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

—Politico (extraits) Washington

Le prix Pulitzer doit être décerné le 14 avril et les membres du jury pour-

raient être confrontés au choix le plus difficile qu’ils aient eu à faire depuis au moins quarante ans. Le dilemme peut se résu-mer ainsi : faut-il récompenser les articles du Washington Post et du Guardian fondés sur des documents officiels volés, préjudi-ciables à la sécurité nationale des Etats-Unis et communiqués par un homme [Edward Snowden] que beaucoup considèrent comme un traître ? ou faut-il, par prudence, faire l’impasse sur une affaire perçue par beaucoup comme la plus importante de l’année – si ce n’est de la décennie ?

Le débat politiquement sensible soulevé par le programme de surveillance de la NSA et par l’homme qui a levé le voile sur ses pratiques ne manquera pas de susciter des discussions animées parmi les 19 membres du comité Pulitzer lorsqu’ils se réuniront les 10 et 11 avril pour désigner les lauréats de l’année. Si l’on en croit d’anciens membres du comité, des journalistes chevronnés et des observateurs des médias, cette fièvre n’est pas sans rappeler celle de 1972, autour de la récompense décernée au New York Times pour sa couverture des Pentagon Papers [étude classée secret défense sur l’implication politique et militaire des Etats-Unis dans la guerre du Vietnam], documents dont le lanceur d’alerte Daniel Ellsberg lui avait communiqué des extraits.

Les risques sont nombreux et il n’y a pas de réponse facile : récompenser les reportages sur la NSA – en particulier dans la catégorie très convoitée “service public” – serait inévitablement perçu comme un acte politique, le comité Pulitzer mettant son prestige au service d’un camp dans le débat animé qui agite le pays. Cela reviendrait à réfuter les déclarations des personnalités politiques des deux partis qui disent que les révélations de Snowden et la décision des journalistes de les publier sont à l’opposé du service public. Les révélations de Snowden “risquent d’avoir des conséquences […] que nous pourrions ne pas comprendre avant des années”, a ainsi déclaré le président Barack Obama. L’an–cien vice-président Dick Cheney a qualifié de “traître” l’ancien in for mat ic ien de la NSA . Snowden, aujourd’hui réfugié en Russie, est sous le coup de trois chefs d’inculpation retenus contre lui par le ministère de la Justice américain.

Débat. Cependant, s’il négli–geait l’affaire de la NSA, le comité Pulitzer risquerait de donner l’impression de prendre fr ileusement parti pour le gouvernement et de fermer les yeux sur la plus importante révélation de secrets d’Etat de l’histoire récente. Aucun autre événement n’a eu un tel impact sur les débats nationaux et internationaux autour de la surveillance exercée par l’Etat et du respect de la vie privée.

“Les reportages sur cette affaire ont bouleversé l’ordre des priorités dans les discussions sur le respect de la vie privée et la NSA”, souligne David Remnick, rédacteur en chef du New Yorker. “Ils présentent un intérêt public immense et il n’est pas prouvé que l’affaire ait gravement porté atteinte à la sécurité nationale.”

Deux équipes ont été présé–lectionnées pour leur travail sur les révélations concernant la NSA. Celle du Guardian*, composée de Glenn Greenwald, Laura Poitras et Ewen MacAskill, a publié le premier reportage sur la collecte des données téléphoniques des clients de l’opérateur Verizon

effectuée par la NSA. L’autre, formée par Laura Poitras et Barton Gellman, a publié dans The Washington Post des reportages sur le vaste programme de surveillance baptisé Prism.

Là encore, le comité de sélection n’aura pas la tâche facile. Aux yeux des défenseurs du respect de la vie privée, le travail de Glenn Greenwald est beaucoup plus important : c’est lui qui s’est rendu à Hong Kong pour rencontrer Snowden et gagner sa confiance. Mais avec son image de franc-tireur, ce farouche opposant à la surveillance n’est pas le genre de journaliste d’habitude récompensé par un Pulitzer. Le journaliste du Washington Post, Barton Gellman [il a déjà reçu deux Pulitzer], en revanche, plus posé et fort d’un long parcours dans la presse, présente le profil idéal pour le prix. Mais sur quels critères le comité pourrait-il récompenser Gellman et pas Greenwald ?

Ex aequo ? Un certain nombre de journalistes considèrent que les actes de Snowden ne devraient pas avoir d’incidence sur la réflexion du comité. C’est la couverture de l’information qui est récompensée, pas la source, disent-ils. “La question est toujours la même : quelle a été la meilleure production journalistique de l’an dernier ? Or il est difficile de penser à une affaire qui ait eu le même impact que les révélations sur la NSA”, observe Rem Rieder, responsable des pages médias du quotidien USA Today. “Ces articles ont révélé des informations vraiment importantes que le public doit connaître et ils ont amorcé un débat essentiel sur quelque chose qui ne doit pas être décidé par le pouvoir exécutif sans que le public y participe ou en ait connaissance.”

D’autres hésitent à adopter une position aussi tranchée. Le chroniqueur Michael Kinsley se demande s’il n’y a pas deux poids et deux mesures dans la manière dont les journalistes sont salués comme des héros alors que leurs sources sont présentées comme des criminels. “Si Snowden est coupable d’un crime, pourquoi Bart Gellman n’est-il pas coupable lui aussi ?” a-t-il

écrit l’an dernier dans le magazine The New Republic. Beaucoup de détracteurs de Snowden sont prompts à dépeindre Greenwald, son plus grand défenseur, comme un complice. En janvier, le directeur du renseignement, James Clapper, a même utilisé l’expression “Snowden et ses complices” lors d’une audition devant la commission du renseignement du Sénat.

Quelle que soit l’intention du comité Pulitzer, la décision de récompenser les auteurs d’articles sur la NSA sera très probablement interprétée comme une justification des actes de Snowden. Ceux qui ont une opinion négative de ce dernier pourraient réagir vivement. En janvier, après l’appel lancé par The New York Times dans un éditorial pour inciter le gouvernement à faire preuve de clémence envers Snowden, le député républicain de l’Etat de New York, Peter King, a qualifié les membres de l’équipe éditoriale du quotidien de “chantres du terrorisme”.

Les complications ne s’arrêtent pas là. Si le comité décide de récom-penser les reportages sur la NSA, il devra se colleter avec le fait que deux équipes de journalistes ont travaillé sur l’affaire. Même s’il lui est déjà arrivé de décerner des prix ex aequo, le profil de Greenwald pourrait influer sur sa décision. Ancien avocat résidant au Brésil, celui-ci travaille aujourd’hui pour First Look Media, la société de Pierre Omidyar, [et a lancé en février le site The Intercept, sur lequel il continue de publier des révélations sur la NSA]. Il a aussi été sur le devant de la scène ces neuf derniers mois, prenant la défense de Snowden contre le gouvernement américain dans des émissions de télévision, des interviews et sur les réseaux sociaux.

La couverture plus conven- tionnelle proposée par Gellman pourrait présenter davantage d’intérêt. Il a publié des reportages très complets, s’efforçant chaque fois de placer les dernières révélations dans un contexte général. Sa longue carrière au Washington Post confère aussi à son travail une aura d’intégrité attachée aux médias traditionnels, qualité appréciée par le comité Pulitzer.

Enfin, il y a la question de l’investissement. Bien que Greenwald et Gellman aient démenti que les dossiers de Snowden sur la NSA aient été simplement transférés sur leur ordinateur, le comité pourrait hésiter à décerner

MÉDIAS

L’ombre d’Edward Snowden plane sur le prix PulitzerLes journalistes du Guardian et du Washington Post qui ont révélé l’étendue de la surveillance de la NSA vont-ils être récompensés par la plus haute distinction journalistique américaine ?

“Récompenser les reportages sur la NSA sera perçu comme un acte politique”

“C’est la couverture de l’information qui compte, pas la source”

↙ Dessin de Finn Graff, Norvège.

Page 43: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

Je choisis de régler par :□ chèque bancaire à l’o’ rdre de Courrrr ier internrr ational

□ carte bancaire n° :

Expire fiff n : Cryptogramme :

* Prixii de vente au numéro. Photo non contractuelle. OfO fff rff e valable pour un premier abonnement,dans la limite des stockskk disponibles, en FrFF arr ncemétrorr politaine jusqu’a’ u 30/0 6// /6 2// 014. En applicationde la loi Infn off rmatique et libertés, vous disposez d’un droit d’a’ ccès et de modifi iff cation desinfn off rmations vovv us concernant. Celles-ci sont indispensables à l’e’ nrerr gistrerr ment de vovv trerr commandeet peuvent être cédées aux partenaires de Courrier international. Si vous ne le souhaitez pas,merci de contacter notre service abonnements.

Date et signature obligatoires :

Mes coordonnées RCO1400PBA222

□ Monsieur □ Madame

NOM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

PRÉNOM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

ADRESSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

CP VILLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

TÉL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

E-MAIL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je souhaite m’a’ bonner pendant 1 an (52 nos) pour 99 € au lieu de 185 €*.Je recevrai, en cadeau, le romanUne bonne épouse indienne d’A’ nne Cherian,dans sa pochette zippée.

185 €*

Bulletin d’a’ bonnementA retourner à : Courrier international - Service abonnements - A2100 - 62066 Arras Cedex 9

an (52 nos)

ppour 99€uu lieu de 185 €*185 €*

En édition limitée !Un grand roman dans sa pochette zippée colorée.Prix public : 10 € TTC - www.foff lio-lesite.fr

En cacc deauLe romanUnUU e bonneépéé ousuu e inii didd eii nned’A’ nne Cherian

AbAA onnnn ez-vous !

+

un prix à des destinataires de documents volés, alors que d’autres candidats peuvent avoir consacré beaucoup de temps et d’énergie à un reportage plus classique sur le terrain. Greenwald et Gellman nient avoir été de simples sténodactylos pour Snowden. Greenwald, en particulier, s’est rendu à Hong Kong, où il a passé des heures à travailler avec l’informaticien et à gagner sa confi ance. Il continue à étudier minutieusement les dossiers qu’il a en sa possession, car, dit-il, il n’a publié qu’une petite partie des documents communiqués par Snowden.

Critiques. En février dernier, l’université de Long Island a ouvert la voie en remettant aux deux journalistes le prix George Polk du reportage sur la sécurité nationale. John Darnton, le président du jury, a reçu des courriels très critiques, dont un d’Accuracy In Media [AIM, un observatoire conservateur des médias]. Dans un long courriel adressé à Politico, Cliff Kincaid, directeur du centre pour le journalisme d’investigation de l’AIM, reproche à Snowden et à Greenwald de menacer la sécurité nationale.

A ce jour, aucune preuve solide n’est venue étayer la thèse selon laquelle les reportages des deux journalistes pourraient constituer une menace pour la sécurité nationale, même si des responsables du renseignement ont déclaré avoir décelé des changements dans la manière dont des groupes comme Al-Qaida communiquent depuis que l’aff aire Snowden a pris une telle ampleur.

En fi n de compte, John Darnton a déclaré que les dix membres du jury avaient réfl échi à deux fois à l’opportunité de décerner le prix à Greenwald et à Gellman. “Nous avons sérieusement réfl échi en amont car les conséquences pouvaient être énormes, mais le débat n’a pas duré bien longtemps. L’aff aire elle-même est tellement importante !”

—Dylan ByersPublié le 13 mars

* Le prix Pulitzer, décerné chaque année dans divers domaines, récompense notamment l’excellence journalistique américaine. Les articles du Guardian sur la NSA ont été publiés par la succursale américaine du quotidien britannique, ce qui lui a permis de faire partie des nominés.

LA SOURCE DE LA SEMAINE

“New Scientist”

Cet hebdomadaire britannique est le champion de la vulgarisation de qualité.

Stimulant, soucieux d’écologie et bon vulgarisateur, le New Scientist est l’un des meilleurs

magazines d’information scientifi que au monde. Créé en 1956 et détenu par le groupe Reed Elsevier, le titre réalise un tiers de ses ventes papier à l’étranger. Il a d’ailleurs lancé des éditions américaine et australienne.

Le magazine explore les derniers développements scientifiques et technologiques et leurs interactions avec la vie quotidienne. Il recon-naît que l’un de ses objectifs est de jeter des ponts entre les disciplines : ses dossiers centraux peuvent trai-ter aussi bien d’astrophysique que d’industrie, d’art et d’économie, en passant par les sciences cognitives et sociales.

Même si le journal n’est pas une revue à comité de lecture (le modèle des revues qui publient les travaux scientifi ques), il est lu aussi bien par les amateurs de sciences que par les chercheurs eux-mêmes. Il revendique 2,8 millions de visiteurs uniques (dont presque la moitié depuis les Etats-Unis) sur son site Internet, où les articles récents et ceux d’actualité sont accessibles sans abonnement.

A lire p. 38 : “Vingt mille mégawatts sous les mers”

Londres, Royaume-UniHebdomadaire, 82 800 ex.www.newscientist.com

Page 44: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

TRANSVERSALES44. Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

—Newsweek (extraits) New York

Tout ce qui inquiète les gens dans le bitcoin – sa vola-tilité, l’idée qu’il s’agisse

d’une devise sans port d’attache et le curieux fait que l’on puisse “extraire” de l’argent depuis un ordinateur comme on extrait le charbon d’une mine – fait partie d’un brillant stratagème visant à propager cette cryptomonnaie à travers le monde. Et ça marche.

C’est la conclusion à laquelle je suis arrivé après avoir discuté avec trois des principaux acteurs de cette monnaie émergente : Marc Andreessen, investisseur dans les nouvelles technologies, Brian Armstrong, directeur géné-ral de Coinbase [une plateforme de transactions en bitcoins], et Barry Silbert, directeur général de SecondMarket [autre plate-forme]. Tous trois sont persuadés que le bitcoin va rebattre les cartes du commerce mondial. Comme me l’explique Marc Andreessen, le bitcoin est une technologie de

départ, une infrastructure. En cela, il se rapproche des proto-coles qui permettent à Internet d’exister, par exemple. Or il est généralement déconseillé de se contenter d’une infrastructure en espérant que les gens y vien-dront. C’est l’éternel problème de l’œuf et de la poule. Vous ne pouvez pas construire de réseau électrique avant d’inventer des appareils qui permettent de le mettre à profit. En même temps, personne ne créerait d’appareils électriques s’il n’y avait pas de réseau. Thomas Edison [fonda-teur de la multinationale General Electric] devait inventer l’ampoule et le réseau électrique en même temps, ou presque.

La monnaie que l’on appelle bitcoin est ici l’ampoule, et la tech-nologie Bitcoin le réseau. Il s’agis-sait de créer les deux au même moment. Le dispositif est par-ticulièrement astucieux dans sa manière de donner envie à des millions de personnes d’adop-ter l’ampoule pour que le réseau puisse voir le jour.

Penchons-nous d’abord sur la volatilité. L’année dernière, les cours du bitcoin ont connu plus d’envolées vertigineuses et de crashs éclairs qu’un missile d’es-sai nord-coréen. Certains y voient la preuve que le bitcoin n’est qu’un feu de paille. Mais pour d’autres – comme les spéculateurs – cette volatilité est aussi attirante qu’une tranche de bacon. C’est une des clés du stratagème. “Le bitcoin avait besoin d’un dispositif d’amorçage, explique Brian Armstrong. La ruée vers le bitcoin fut cette amorce.”

Le simple fait que le bitcoin prenne de la valeur rapidement a suffi à attirer des gens qui étaient prêts à prendre le risque d’en acheter même si les possibilités de l’écouler étaient rares. Peu de commerces acceptaient le bitcoin au départ, mais les premiers ache-teurs n’avaient pas besoin de s’en servir – ils l’avaient acheté en espé-rant décrocher le jackpot. C’est à eux que l’on doit sa diffusion.

Exponentiel. Plus les gens en achetaient, plus la valeur du bitcoin grimpait, ce qui attirait de nou-veaux investisseurs, et ainsi de suite. Au départ, les rares com-merçants qui acceptaient le bitcoin étaient soit téméraires, soit dans l’illégalité. Mais quand elles ont réalisé que des clients possédaient des bitcoins qu’ils seraient peut-être disposés à débourser, les socié-tés marchandes traditionnelles ont commencé à l’accepter à leur tour – d’autant qu’une transaction en bitcoins ne leur coûte quasiment rien, alors que les sociétés de cartes de crédit prennent environ 3 % sur chaque achat. Plus il est adopté par les commerçants et les particuliers, plus le système devient attrac-tif pour tous. Aujourd’hui, près de 20 000 sociétés marchandes acceptent le bitcoin. Coinbase – un logiciel qui permet aux utili-sateurs d’acheter et de changer des bitcoins facilement – fran-chira bientôt la barre du million de portefeuilles de consommateurs. Des chiffres encore relativement modestes, mais qui augmentent très vite.

Pour l’heure, la plupart des gens voient encore le bitcoin davantage comme une monnaie que comme une infrastructure. C’est quelque chose que vous achetez, comme de l’or ou des euros. Sa valeur fluc-tue par rapport à celle des autres devises. C’est bon pour attirer les spéculateurs, mais c’est un sérieux handicap pour séduire le grand public.

Le handicap, c’est que ma mère refuse de compter en bitcoins. Moi aussi, du reste. Le dollar me va très

bien – je sais ce qu’il vaut et ce qu’il me permet d’acheter. La plu-part des gens ne veulent pas d’une deuxième monnaie. Mais il existe un moyen, actuellement dans les tuyaux, d’y remédier. Mettons que je veuille acheter un casque à 100 dollars sur [le site de vente d’équipements de hockey sur glace] HockeyMonkey. Celui-ci pourrait me dire que je peux régler par carte de crédit ou payer en bitcoins et économiser 3 % – le montant des frais que HockeyMonkey devrait reverser à Visa ou Mastercard. Si je réglais en bitcoins, un logiciel comme Coinbase changerait mes 100 dollars en bitcoins juste avant l’opération et réglerait directe-ment HockeyMonkey en bitcoins. Autrement dit, je ne verrais jamais la couleur du bitcoin et je ne serais pas exposé à sa volatilité. J’en pos-séderais simplement le temps de quelques secondes, avant qu’ils ne soient virés sur le compte de HockeyMonkey.

Le jour où ce sera là son princi-pal mode d’utilisation, le bitcoin ne sera plus une monnaie pour la plupart des gens. Ce sera un moyen de paiement – plus rapide, plus économique et plus universel que ce qui existe aujourd’hui. Marc Andreessen estime qu’il pourrait porter un rude coup aux cartes de crédit. Mais pour que le moyen de paiement fonctionne, le bitcoin a besoin d’un marché vigoureux, de sorte que des volumes considé-rables de dollars, d’euros ou de yens puissent être changés en bitcoins instantanément et sans interrup-tion. Or, pour que le marché soit vigoureux, le bitcoin doit être une “monnaie” qui puisse faire l’ob-jet d’échanges et de spéculations. “Il est tout bonnement impossible de dissocier la ‘monnaie bitcoin’ de la ‘technologie Bitcoin’, explique Barry Silbert. Le bitcoin aura tou-jours besoin d’une base monétaire.”

Comme un virus. Quid de l’“ex-traction” de bitcoins depuis un ordinateur ? Il semblerait que des petits génies de l’informa-tique puissent installer des super-ordinateurs dans le sous-sol de la maison familiale et créer de l’ar-gent grâce à des algorithmes. Cette “extraction” fait partie du stra-tagème. Le bitcoin n’a pas d’or-dinateur central, pas d’instance dirigeante, pas de banque cen-trale. Le pistage et la vérification de chaque bitcoin et de chaque transaction nécessitent des res-sources informatiques considé-rables. Comment y parvient-on ? Eh bien, en permettant aux par-ticuliers de gagner de l’argent en s’acquittant eux-mêmes de cette

tâche. C’est le rôle des “mineurs”. Ils ont accepté d’installer des ordi-nateurs pour le compte du bitcoin contre la promesse de pouvoir s’en “fabriquer” quelques-uns. Certains y parviennent, d’autres non. Difficile de dire s’il s’agit d’une belle carotte ou d’une vaste duperie, mais le fait est que cela fonctionne. L’ensemble du stra-tagème, de fait, semble avoir très bien marché. “Le bitcoin est l’un des concepts les plus viraux que j’aie jamais vus,” conclut Barry Silbert.

—Kevin Maney Publié le 28 mars

ÉCONOMIE

Le bitcoin expliqué à ma mèreArgent. Le bitcoin pourrait devenir un moyen de paiement universel susceptible de rivaliser avec les cartes de crédit. En attendant, c’est une monnaie virtuelle très prisée des spéculateurs.

A la une

“ Bitcoin : quand le virtuel prend pied dans la réalité”, titre Le Courrier à la une de son édition du 27 mars. Le quotidien suisse s’intéresse aux cryptomonnaies comme le bitcoin, l’auroracoin, le litecoin ou le scotcoin, qui pourraient “ bouleverser notre manière de penser l’argent”. Le journaliste Matteo Maillard passe en revue les rouages de Bitcoin, mais aussi les scandales récents liés à la disparition de MtGox, l’une des premières plateformes d’échanges de bitcoins. Il propose enfin un mode d’emploi du premier distributeur de bitcoins en Suisse.

Bitcoin ou bitcoin ?●●● De l’anglais coin (monnaie) et bit (unité), le terme bitcoin désigne à la fois un système de paiement (il prend alors une majuscule et pas d’article) sur Internet et une unité de compte (sans majuscule, il peut prendre la marque du pluriel). A chaque bitcoin est associée une signature cryptographique (numérique, cryptée) qui garantit son intégrité et le rend infalsifiable. L’identité du créateur de ce système, en 2009, reste un mystère.

↙ “On dirait du véritable argent…” Dessin de Ruben, Pays-Bas.

Page 45: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

TRANSVERSALES.Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014 45

40–50 €*

70 €

à partir

de 100 €

500 €

50 €

700 €

à partir

de 200 €

20 €

* Canari ou perruche.

Le vrai prix des animaux de compagnieLes Allemands déboursent chaque année près de 4 milliards d’euros pour leurs animaux de compagnie. Le chien est celui qui revient le plus cher.

Frais annuels (notamment nourriture, taxes et soins)

Prix d’achat

Chats12,3 millions

Petits mammifères

7,6 Chiens7,4

Oiseauxd’ornement

3,7

Aquariums2,3

Hit-parade des animaux domestiquesDans 15 des 40 millions de foyers allemands vit au moins un animal.

35Tortues

16Chats

14Chiens

3Hamsters

Durée de vieMême choyés, les animaux domestiques vivent généralement moins longtemps que leur maître.

23

73Pays-Bas

Grèce

38Allemagne

44France

Les Néerlandais en tête de classementAvec 38 animaux de compagnie pour 100 habitants, l’Allemagne se situe dans la moyenne européenne.

ZZ

Z

Plusieurs foispar mois

Plusieurs foispar semaine

Jamais

Tout le temps

51 %21 %

21 %

7

Jusque sous la couette“Laissez-vous votre animal de compagnie dormir avec vous ?” Les réponses d’un sondage en ligne :

signauxChaque semaine, une page

visuelle pour présenter l’information autrement

Nos chers petits compagnons31 millions de colocataires à poils ou à plumes tiennent compagnie aux Allemands – parfois jusque sous la couette.

DR

DIE ZEIT. L’hebdomadaire de Hambourg publie chaque semaine dans sa rubrique “Wissen in Bildern” (Le savoir en images) une infographie originale sur divers sujets, de la politique à la vie quotidienne. Celle-ci, parue le 6 janvier et réalisée par Matthias Schütte et Kathrin Breer,

nous montre combien les Allemands aiment leurs animaux de compagnie. Et combien ils sont prêts à dépenser pour eux. La France suit la même tendance avec 4,5 milliards d’euros consacrés chaque année à nos compagnons à poils ou à plumes.

Le journal

Page 46: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

360°46. Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

MAGAZINELe Kurdistan, contrée de fictions Plein écran . 50La quête épineuse du kiwi sans poils Tendances 52Un artiste dans la matrice Culture .......... 54360

Mer Caspienne, l’éternel naufrageAux confins de l’Azerbaïdjan, du Kazakhstan et du Turkménistan, la chute de l’URSS avait laissé entrevoir des lendemains qui chantent. Un quart de siècle plus tard, les espoirs ne sont plus qu’illusions, explique la photographe ukrainienne Mila Teshaieva.

KAZAKHSTAN

TURKMÉNISTAN

IRAN

FÉDÉRATIONDE RUSSIE

Astrakhan

Atyraou

Gisementde Kashagan

Bakou

Narimanabad

Turkmenbachi

Kenderli

AZERBAÏDJAN

M

ER

CA

SP

IE

NN

E

600 km

Volga

Ou

ral

CO

URR

IER

INTE

RNAT

ION

AL

Page 47: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

360°.Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014 47

↑ De gauche à droite :

Turkménistan, 2011.Un photographe au travail sur le port de Turkmenbachi. Après l’effondrement de l’URSS, la ville, anciennement Krasnovodsk, a été rebaptisée d’après le surnom du premier président turkmène.

Il y a vingt-cinq ans, les frontières de trois nouveaux Etats souverains ont été tracées le long des côtes de la mer Caspienne. Issus de l’effondrement de l’Union sovié-tique, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Turkménistan ont émergé du naufrage avec d’immenses réserves de gaz et de pétrole, et un prodigieux défi : se définir en

tant que nations indépendantes.La mutation de ces sociétés, accélérée par la manne pétro-

lière et la recherche d’une nouvelle identité nationale ont laissé bon nombre de citoyens au bord du chemin, inca-pables de se situer au milieu de toutes ces transformations.

Prenant la mer Caspienne comme le symbole et la source de tant d’ambition, j’ai photographié les hommes, les femmes et les paysages des côtes de ces trois pays, en explorant toute la palette de l’existence humaine et les difficiles change-ments de ces sociétés adolescentes.

L’espoir, l’ambition, l’avidité et l’incertitude ont été des facteurs déterminants pour plusieurs catégories de gens, alors que ces Etats essayaient de trouver leur place dans la nouvelle économie politique mondiale. Cela fait des années que l’usine d’un ancien grand exportateur de caviar de la région a fermé. Aujourd’hui, les grandes sociétés pétrolières promettent une nouvelle splendeur à ces jeunes nations.

PORTFOLIO

Née en 1974 en Ukraine, Mila Teshaieva est aujourd’hui installée à Berlin. Habituée des festivals de photographie européens, elle a exposé ses travaux aux quatre

coins du continent. Le projet

Promising Waters, d’où sont extraites les photos que nous vous proposons ici, a été réalisé entre 2010 et 2013. Il a fait l’objet d’une publication en Allemagne, aux éditions Kehrer Verlag, fin 2013.

LA PHOTOGRAPHE

D’ambitieux projets apparaissent les uns après les autres dans le but de construire une nouvelle fierté nationale, évapo-rée avec la chute de l’URSS. Le phénomène ne touche toute-fois que le littoral, faisant de lui une façade. Méticuleusement érigée le long des principales routes de Bakou, cette façade est adossée aux vieux blocs soviétiques laissés à l’abandon. L’histoire se répète, mais sous un autre masque : les statues dorées des présidents remplacent les silhouettes de béton des travailleurs. Et les gens qui vivent derrière la façade deviennent encore plus invisibles, enchaînés au passé, pri-sonniers d’un environnement ravagé.

L’existence humaine dans ces régions me semble domi-née par un sentiment d’incertitude, et c’est ce que j’essaie de communiquer dans mes photographies. La désolation des paysages dégradés s’entremêle avec des personnages perdus au milieu de leur environnement. Ce que je demande aux spectateurs de ces photos, c’est d’explorer ce qui est réelle-ment en train de se passer aujourd’hui pour ces gens et leur environnement, sur le littoral de la mer Caspienne. Avec le développement de nouveaux grands projets comme l’oléo-duc de Kashagan ou le Transcaspien, la question mérite plus que jamais d’être posée.

—Mila Teshaieva

Azerbaïdjan, 2010. Un membre des autorités du village de Narimanabad dans son bureau.

Kazakhstan, 2011. Pélerinage à Beket Ata.

Page 48: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

← De haut en bas :

Beyaga (Azerbaïdjan), 2012. Cette femme dépoussière les portraits des présidents Aliev, père et fils. Elle vit depuis vingt ans dans cette ancienne fabrique de tapis. Kenderli (Kazakhstan), 2011. Une femme se tient devant sa maison, dans un camp de vacances de l’époque soviétique à l’abandon. Celui-ci cédera bientôt la place à un complexe de luxe. Atyraou (Kazakhstan), 2012. Une employée du sanatorium où l’on pratique des soins à base de boue. Les réserves s’épuisent depuis que le lac qui fournissait ces boues aux vertus curatives s’est retrouvé sur le territoire du gisement pétrolier de Kashagan.

→ De gauche à droite :

Aktaou (Kazakhstan), 2012. Des travailleurs migrants construisent des mausolées pour les familles de nouveaux riches à Kochkar Ata, ancienne Cité des Morts.

Bakou (Azerbaïdjan), 2012. Un mariage au Palais du bonheur.

Azerbaïdjan, 2011. Les ruines d’un restaurant soviétique de luxe, dans la station balnéaire de Bouzovna, près de Bakou.

360° Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

→  Azerbaïdjan, 2011. Des oiseaux passent au-dessus de l’ancien débarcadère des ferries à Narimanabad, un village de pêcheurs au bord de la mer Caspienne. Le village n’est plus alimenté en gaz depuis l’indépendance et la plupart des habitants vivent de braconnage.

Page 49: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

360°.Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014 49

PORTFOLIO

Page 50: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

360°50. Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

—Rudaw (extraits) Erbil

Des histoires qui déferlent sur l’écran comme autant de poèmes composés d’images étonnantes ; une mélan-

colie lancinante ; un périple sans fin. Les cinéastes kurdes utilisent le cinéma comme un moyen d’exorciser les épreuves qu’ils ont subies. Mais la chaleur avec laquelle ils livrent leurs récits leur donne un attrait universel.

Depuis que Yilmaz Güney a montré la voie avec Yol, qui racontait avec une grande sensibilité les tourments subis par les Kurdes sous la junte turque et avait remporté la très convoitée Palme d’or au festival de Cannes en 1982, les films kurdes n’ont cessé de gagner en reconnaissance.

“Les réalisateurs kurdes cherchent surtout à exprimer les souffrances de leur peuple, explique le cinéaste kurde irakien Shawkat Amin Korki. La plupart ont connu les mêmes épreuves, la guerre et l’exil. Cela se retrouve dans leurs films.”

“Les cinéastes kurdes ont le don de rendre leurs histoires intéressantes”, commente de son côté Martha Otte, directrice du Festival international du film de Tromsø (Tiff), en Norvège. Dans la dernière édition de l’événement, en janvier, étaient inclus plusieurs films kurdes. “Il y a beaucoup de chaleur dans leurs films, et souvent de l’humour. Cela leur permet de toucher un public très large.”

Montrés aux festivals de Tromsø, de Londres, de Montréal, de Cannes et d’ailleurs, les films sur les Kurdes ou réalisés par des Kurdes ouvrent des fenêtres sur cette nation sans patrie de 30 millions de personnes, un peuple écartelé entre l’Irak, la Turquie, l’Iran et la Syrie. Ils décrivent la vie des Kurdes irakiens, massacrés et gazés par Saddam Hussein jusqu’à ce qu’ils arrachent l’autonomie, en 1991, puis la consolident après la chute du dictateur, en 2003 ; la vie des Kurdes de Turquie, qui, jusqu’à il y a une dizaine d’années, n’avaient pas le droit de parler leur langue ; et celle des millions de Kurdes d’Iran, pays où les régions kurdes sont les plus pauvres et les plus négligées.

Le film 1001 Apples [littéralement “1001 pommes”], de l’Iranien Taha Karimi, raconte ainsi l’histoire de Faraj, un survivant de la

campagne Anfal menée par Saddam Hussein [dans les années 1980, pour exterminer des populations kurdes]. A travers la poussière, de Shawkat Amin Korki [2006], met en scène deux combattants kurdes dans un Irak post-Saddam, qui rencontrent un enfant arabe en pleurs sur une route et doivent décider quoi faire de lui. Le garçon s’appelle justement… Saddam.

A l’âge de 2 ans, en 1975, Korki a été contraint de fuir l’Iran avec ses parents, comme beaucoup de Kurdes irakiens. Ils ne sont revenus au Kurdistan qu’en 1999. Aujourd’hui installé à Erbil, il revendique : “Je fais des films pour exprimer ma vision des choses. Si je n’étais pas devenu cinéaste, je serais peintre ou écrivain.”

Né en Iran, le réalisateur Bahman Ghobadi [Un temps pour l’ivresse des chevaux, 2000 ; Demi-Lune, 2006] reconnaît quant à lui que tourner au Kurdistan iranien n’est pas chose facile : pour trouver des acteurs, il doit sillonner les rues des villages et convaincre

les gens de figurer dans ses films.“Les cinéastes kurdes chercheront

le moyen de filmer quelles que soient les conditions”, insiste Korki. Selon lui, le cinéma kurde s’adresse principalement à des non-Kurdes. “C’est parce qu’il n’existe pas encore d’industrie cinématographique au Kurdistan”, précise-t-il.

Aujourd’hui, les Kurdes ne vivent plus seulement au Moyen-Orient. Une large diaspora s’est installée en Europe et, dans une moindre mesure, aux Etats-Unis, au Canada ou en Australie. Leur statut de réfugiés n’est pas toujours facile à vivre. Des difficultés relatées par le Norvégien Hisham Zaman, né au Kurdistan irakien et dont les films ont reçu plus de vingt récompenses en Norvège et à l’étranger. Dans Letter to the King [“Lettre au roi”], il raconte l’histoire de cinq Kurdes qui vont passer une journée à Oslo [à la faveur d’une excursion organisée par le camp de réfugiés où ils résident, chacun avec ses espoirs et ses illusions].

“Il n’y a pas encore une grande variété de sujets dans le cinéma kurde, regrette cependant Korki, mais cela devrait venir dans les prochaines années.”

—Alexandra Di Stefano PirontiPublié le 2 mars

Le Kurdistan, contrée de fictionsLes droits des Kurdes ont progressé de manière fulgurante cette dernière décennie. Cette autonomie politique favorise l’émergence d’un cinéma qui tente d’appréhender leur histoire récente.

CINÉMA

RUDAWErbil, IrakQuotidienhttp://rudaw.netAvec 330 journalistes, un quotidien papier, une télévision, une radio et un site Internet en trois langues, Rudaw est le groupe de médias le plus important et le plus professionnel du Kurdistan irakien. Le quotidien n’hésite pas à critiquer la politique locale. Il s’intéresse particulièrement à toutes les questions concernant les Kurdes.

SOURCE

ContexteLe Kurdistan irakien est autonome depuis les années 1990. Ce statut s’est renforcé dans l’Etat irakien fédéral mis en place après la chute de Saddam Hussein, en 2003. La région possède son propre gouvernement et ses institutions. Elle a connu dix ans de développement économique rapide en raison de sa stabilité et de sa sécurité. La région cherche à gagner en autonomie vis-à-vis de Bagdad, notamment sur les questions énergétiques, le Kurdistan abritant des réserves de pétrole importantes. La zone pétrolifère de Kirkouk est particulièrement disputée. Environ 5 millions de Kurdes vivent dans cette région, sur les 28 millions de Kurdes disséminés dans quatre pays (l’Irak, l’Iran, la Turquie et la Syrie). Les Kurdes d’Irak ont accueilli des milliers de réfugiés kurdes depuis le début du conflit en Syrie.

↑ My Sweet Pepper Land, de Hiner Saleem, a été tourné au Kurdistan irakien. Photo du milieu : les deux acteurs principaux, Golshifteh Farahani et Korkmaz Arslan. Photos Memento Film

plein écran.

Page 51: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

360°.Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014 51

INTERVIEW

“Cela me rappelle l’Amérique des westerns”Le 9 avril, My Sweet Pepper Land sort en France. Le réalisateur, Hiner Saleem (Vodka Lemon, Kilomètre zéro), donne au Kurdistan irakien un petit air de Far West.

D’où vous est venue l’idée de My Sweet Pepper Land ?HINER SALEEM Depuis quelques années, j’avais envie de retourner filmer au Kurdistan irakien et de réaliser un film en langue kurde. J’ai donc écrit cette histoire d’un shérif qui lutte contre la corruption, dans un village perdu. Quand je regarde le Kurdistan irakien aujourd’hui, je vois un pays qui est né devant mes yeux, où tout est en chantier : on construit des routes, des ponts, des écoles, des hôpitaux, on amène l’électricité partout, et également la loi et l’ordre. Cela me rappelle l’Amérique du XIXe siècle, telle que représentée dans les westerns, et c’est de là que j’ai tiré l’inspiration pour mon film.

Votre film se distingue des autres productions kurdes par son humour et sa légèreté. C’est un parti pris ?Je ne fais pas de films folkloriques ou eth-niques, je suis un réalisateur, un artiste avant tout. J’ai la chance de connaître très bien le Kurdistan, mais aussi l’Occident, donc je suis assez ouvert et universel. Je ne fais pas d’orientalisme. Selon une blague kurde, “Dieu a créé dix Kurdes, puis un onzième pour les faire rire”. Je crois que les Kurdes ont ce don de l’humour. Je parle souvent de sujets assez sérieux, assez graves, l’humour me permet de les rendre universels, accessibles à tout le monde.

Vos héros affrontent une société qui paraît très archaïque…La société kurde est encore en grande partie une société traditionnelle où la culture patriarcale est prédominante. Il y a donc beaucoup de conflits. D’un côté, une nouvelle génération qui a accès à Internet et peut voyager, une jeunesse qui a des aspirations légitimes et veut s’émanciper. De l’autre, une société rigide qui ne respecte pas l’égalité entre hommes et femmes.En tant qu’homme kurde, je suis convaincu que la libération du Kurdistan est impossible si elle ne s’accompagne pas de l’émancipation des femmes. C’est pour moi une cause pour laquelle il vaut la peine de se battre. J’ai envie

que les femmes comme Govend [l’institutrice du village] et les hommes comme Baran [le shérif] gagnent ; ils représentent pour moi l’avenir du Kurdistan.

Au Kurdistan irakien, les conditions sont-elles aujourd’hui réunies pour que cette nouvelle génération puisse l’emporter ?Le problème de la nouvelle génération kurde, c’est que, comme tous les jeunes du monde, elle aspire à avoir de belles choses, à voyager

et à avoir de l’argent, contrairement à la génération précédente dont

je fais partie. Nous avions un idéal politique, nous sommes devenus des exilés qui combattaient pour la liberté, la démocratie, le sécularisme.Aujourd’hui, le Kurdistan

irakien est libre politique-ment, chacun peut s’exprimer

librement. Que nous soyons de gauche, de droite, religieux ou non, nous ne risquons pas d’être arrêtés. Nous avons accès à Internet, nous pouvons voyager, nous avons tout. Les Kurdes n’ont jamais eu dans leur histoire autant d’argent et autant de liberté, mais le confort matériel n’amène pas forcément à la culture. Il a fallu le siècle des Lumières pour que la France atteigne le rayonnement que nous connaissons, illustre ces valeurs, cette civilisation.Par ailleurs, si la situation des Kurdes est bonne en Irak, il ne faut pas oublier que 80 % des Kurdes sont toujours privés de liberté en Turquie, en Iran et en Syrie.

Propos recueillis par Courrier international

“My Sweet Pepper Land”Courrier international est partenaire de ce film, western burlesque au Kurdistan irakien.

LE FILMLe long-métrage de Hiner Saleem raconte l’histoire de deux personnages qui luttent pour leurs convictions, un homme et une femme entre lesquels une romance se noue. Baran, l’homme, est le nouveau commissaire d’un village reculé du Kurdistan irakien, à la frontière des trois parties du Kurdistan, haut lieu de contrebande. Pour imposer la loi et l’ordre, il devra faire face à la mafia locale. Il fait la rencontre de Govend, la jeune institutrice du village, rejetée par la société traditionaliste.

LES ACTEURSLe film doit aussi beaucoup à son casting, porté par la star iranienne Golshifteh Farahani, exilée en France. Elle illumine l’écran. Connue pour ses rôles dans A propos d’Elly (Asghar Farhadi, 2009) ou Pierre de patience (Atiq Rahimi, 2012), elle est une véritable égérie des cinéastes kurdes, dont elle a depuis longtemps appris la langue. Elle incarne Govend, la jeune institutrice du village, courageuse et indépendante. Le shérif Baran est interprété par le très charismatique Korkmaz Arslan, sorte de Clint Eastwood

kurde au regard acier, dont c’est le premier grand rôle.Retrouvez sur notre site l’interview de Golshifteh Farahani.

LE STYLE“Lorsqu’on lit le synopsis de My Sweet Pepper Land, on a l’impression qu’il s’agit à nouveau de l’un de ces drames pesants sur les lendemains de la guerre, mais ce n’est pas du tout le cas”, assure The National. “Hiner Saleem nous livre ici un film à la fois drôle et émouvant sur la lutte entre modernité et tradition, le tout dans une ambiance poussiéreuse de western américain moderne”, détaille le quotidien d’Abou Dhabi. Le tout avec une bonne dose de burlesque et de critique politique latente.

L’ACCUEIL AU KURDISTANEn dehors du Festival du film kurde de Dohuk, les spectateurs du Kurdistan ont peu d’occasions de voir des films kurdes – d’autant que les cinémas sont rares dans la région. Selon le réalisateur Hiner Saleem, les réactions ont été très diverses concernant son long-métrage : certains spectateurs ont été déboussolés par ce film si peu folklorique, d’autres ont apprécié qu’il mette en valeur la beauté et la soif de progrès qui animent une région méconnue du monde.

HER

VÉ G

OLU

ZA

Page 52: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

360°52. Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

A méditer cette semaine : Dans quel domaine de ta vie choisiras-tu de cesser de faire semblant ?

—The Wall Street Journal (extraits) New York

Te Puke (Nouvelle-Zélande)

Tout en arpentant des vergers char-gés de fruits destinés à l’exporta-tion, des scientifi ques en short et

bottes de caoutchouc se grattent la tête en se demandant s’ils n’ont pas eu les yeux plus gros que le ventre. Leur problème ne vient pas d’une pénurie de kiwis. Un été ensoleillé a permis aux fruits d’at-teindre le degré de maturité idéal.

La peau du kiwi, voilà où le bât blesse : elle est toujours aussi velue et marron. Or scientifi ques et fructivores s’accordent sur un point : le kiwi fait partie de ces pro-duits qui se vendraient mieux s’ils avaient une peau comestible. “Quand vous regar-dez les dix fruits les plus consommés dans le monde, six sont ‘prêts à consommer’”, explique Lain Jager, directeur général du groupe Zespri, premier exportateur mondial de kiwis. De fait, les consom-mateurs ont tendance à être un poil rebutés par la toison du kiwi. “Ces poils marron restent collés partout”, se désole Penni Ward, qui pèle le fruit avant de le donner à Ava, sa petite fi lle de 5 ans, chez elle, à Auckland. Il faut générale-ment un couteau pour trancher le fruit, puis une cuillère pour l’évider.

Zespri investit des millions dans la recherche-développement d’un fruit pourvu d’une peau comestible ou tout au moins facile à éplucher. L’Etat néo-zélandais soutient cet eff ort avec l’argent du contribuable, espérant une grande

DR

tendances.

La quête épineuse du kiwi sans poilsLe petit fruit brun se vendrait mieux s’il était plus facile à manger, sans sa peau velue. La Nouvelle-Zélande cherche une solution.

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

Retrouvez l’horoscope de Rob Brezsny, l’astrologue le plus original de la planète.

les visiteurs peuvent escalader avant de faire le tour du parc dans des wagonnets appelés KiwiKarts.

Changer le nom de ce fruit charnu est une chose ; l’améliorer en est une autre. A ce jour, les premières tentatives de Zespri n’ont pas porté leurs fruits. L’hybridation des kiwis avec d’autres variétés de groseilles de Chine est une première étape à franchir. Mais le plus dur est d’obtenir l’aval des 17 “somme-liers du kiwi”, qui auront le dernier mot.

Elizabeth Popowski est l’un d’eux. Collaboratrice du Plant and Food Research Institute, propriété de l’Etat néo-zélandais, elle passe chaque année plusieurs mois à goûter de nouvelles variétés. L’objectif est d’en trouver qui soient à la fois attrayantes et savoureuses et puissent passer au stade de déve-loppement suivant. Pendant la récolte, qui s’étale de mai à octobre, Elizabeth Popowski confi e qu’il lui arrive ainsi de manger jusqu’à 30 kiwis par jour. Ses papilles gustatives ont droit à toutes sortes de saveurs, allant de l’acidulé à l’arrière-goût de kérosène.

A ce jour, les “sommeliers du kiwi” ont rejeté une variété à la peau gris clair qui s’épluchait facilement, et une autre, dotée d’un duvet blanc dissimulant une chair vert émeraude. “Elle avait un goût… fade et peu sucré”, a décrété Stuart Kay, l’un des responsables de l’institut.

Les scientifi ques travaillent égale-ment à la mise au point d’un nouveau “modèle”, doté d’une note épicée qui lui serait propre et d’une chair orange. Mais ils se demandent s’il existe vraiment un marché pour un tel fruit. Zespri fonde davantage d’espoirs sur le “kiwiberry”, un petit kiwi sucré que l’on avale en une bouchée et qui est dépourvu de cette peau velue qui vient gâcher le plaisir.

La mise au point d’un kiwi glabre pour-rait doper un secteur qui pèse d’ores et déjà 1 milliard de dollars dans l’économie néo-zélandaise. Pour l’heure, Elizabeth Popowski a déjà repris l’entraînement en prévision de la saison à venir, ava-lant un kiwi par jour pour préparer ses papilles aux dégustations à répétition qui l’attendent.

—Lucy CraymerPublié le 23 mars

Géographie du harcèlementINDE — Le scandale suscité par le viol collectif d’une étudiante, en décembre 2012, à New Delhi, n’en fi nit pas de faire des remous. Les initiatives se multiplient pour aider les femmes à prévenir les risques d’agression. Par exemple, whypoll.org, la plus grande plateforme indienne de blogs, a mis en ligne une carte recensant les rues et les quartiers les moins sûrs de New Delhi. Une initiative similaire a été menée à Bombay, rapporte le site d’information Scroll.in. Sous couvert de l’anonymat, les femmes sont invitées à signaler tous les harcèlements ou les agressions dont elles ont été victimes, et la localisation de ces incidents. L’espoir étant, à terme, que les autorités réagissent et que la police patrouille davantage dans les zones répertoriées comme dangereuses.

découverte susceptible d’ajouter un nouveau moteur à son économie, déjà fondée sur l’exportation de produits agricoles, notamment laitiers. Par la même occasion, l’Etat comme les pro-ducteurs espèrent faire du kiwi un incon-tournable des casse-croûte et gagner du terrain sur les pommes, raisins, poires et consorts. Même les bananes et les mandarines possèdent un avantage sur le kiwi grâce à leur peau épluchable en deux temps trois mouvements.

C’est dans les années 1930 que la Nouvelle-Zélande s’est lancée dans la production commerciale de kiwis, en utilisant des fruits importés du sud de la Chine. Pendant la Seconde Guerre mon-diale, le kiwi a rencontré un joli succès auprès des militaires américains station-nés en Nouvelle-Zélande. Mais lorsque la guerre froide s’est envenimée, dans les années 1950, la connotation poli-tique du nom historique du fruit, la “gro-seille de Chine”, n’était pas du goût de tout le monde. Les Néo-Zélandais l’ont donc rebaptisé “kiwifruit” pour sa res-semblance avec leur petit oiseau ron-douillard au long bec.

Dans la petite ville provinciale de Te Puke [dans le nord de l’archipel], les kiwis ne sont pas en option dans les corbeilles à fruits. Ils sont un mode de vie. La ville de quelque 7 000 âmes et 2 500 vergers s’est autodécerné le titre de capitale mondiale du kiwi et possède même un parc d’attractions dédié au fruit ovale. Le parc Kiwi360 est surplombé par une tranche de kiwi de 12 mètres de haut que

Chasser le droneÉTATS-UNIS — “Le plus compliqué, à la chasse,

ce n’est pas forcément de tirer juste, mais de débusquer le gibier”, explique Motherboard. Or, pour s’éviter de longues

heures de marche et de traque, les Américains auraient de plus en plus tendance à utiliser des drones de surveillance, assurent les gardes forestiers

d’Alaska. “Une pratique qui risque fort de devenir encore plus populaire avec la baisse du prix de ces engins volants”, relève le magazine en ligne

américain. Pour stopper ce “jeu déloyal”, l’Etat d’Alaska a décidé de prohiber la chasse au drone, par une loi qui entrera en vigueur cette année. De son

côté, l’Alabama a interdit le harcèlement des chasseurs par les drones, qui était devenu une technique courante des défenseurs des droits animaliers.

↙ Un fruit de 12 m de haut surplombe Te Puke, la

capitale du kiwi. Photo Radius Images/Corbis

Page 53: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

360°.Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014 53

Scènes particulières

ROUMANIE— Du 12 au 20 avril, Bucarest

accueillera un festival inédit, HomeFest. Plus de 20 représentations

théâtrales sont annoncées dans les appartements

de 15 particuliers. L’initiative a été lancée par Jean Lorin Sterian,

un écrivain bucarestois. Il y a cinq ans, il avait déjà

transformé son logis en scène de théâtre. Le succès rencontré

a été tel (plus de 1 000 spectateurs rien qu’en 2013) que, après avoir

fondé sa troupe, il a eu l’envie de décliner cette

initiative en festival, relate le quotidien

Adevarul. Un appel aux dons a été lancé pour

rémunérer les artistes.

PHOTO

Chiens photographiés sans collier “Une bonne photo vaut mille mots”,

assure la photographe budapestoise Sarolta Bán, citée par le site d’information hongrois hir24.hu. Sensible au sort des chiens abandonnés, elle a imaginé un projet intitulé Help Dogs with Images (Aidons les chiens avec des images). A partir de photos prises dans des refuges pour chiens, elle réalise des photomontages qu’elle poste sur Facebook… dans l’espoir de toucher le cœur d’adopteurs potentiels.SA

ROLT

A B

AN

Page 54: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

—The Boston Globe (extraits)Boston

Dans le dernier film de Spike Jonze, Her [sorti en France le 19 mars], un homme solitaire achète un pro-

gramme informatique futuriste conçu pour interagir avec les humains. La voix féminine de cet assistant parle à son propriétaire par le biais d’une oreillette, organise ses cour-riels et gère ses rendez-vous, jusqu’à ce qu’il tombe amoureux d’elle.

Un tel logiciel n’existe que dans cette œuvre de science-fiction, bien sûr. Mais il est des coins de la planète où des créatures automatiques pourvues de qualités humaines sont déjà apparues. Depuis quelques années, de minuscules programmes informatiques se sont mis à raconter des blagues, écrire

La ménagerie enchantée de Darius KazemiSes créatures numériques sont drôles, touchantes et de plus en plus populaires. Ce programmeur américain est le pionnier d’une nouvelle forme d’art.

des poèmes, se plaindre, commenter les informations et flirter gauchement – sur le web et par le biais de Twitter, où leurs messages vivent au milieu de ceux qui ont été émis par des êtres de chair et d’os.

Un des plus prolifiques producteurs de tels petits programmes – ou “bots”– s’appelle Darius Kazemi. Ce programmeur de 30 ans, qui vit à Somerville [Massachusetts], consacre une bonne partie de son temps libre à la ménagerie de créatures numériques autonomes qu’il a créées. Il se peut que vous n’ayez jamais entendu parler de lui. Reste que, depuis deux ans, c’est l’une des figures les plus suivies de ce domaine pionnier.

Un de ses programmes informatiques, par exemple, génère un flux continu de phrases de drague. Un autre puise dans la base de

données publiques des “dernières paroles” de condamnés à mort du Texas et égrène toutes les phrases comportant le mot “amour”. Mais la plus grande réalisation de Kazemi reste peut-être à ce jour le programme qu’il a bricolé pour commander sur Amazon, chaque mois, 50 dollars de livres, CD et DVD choisis au hasard [une façon de déjouer les recommandations du site de vente en ligne, cantonnées aux grands classiques et meilleures ventes de chaque section].

Darius Kazemi, non content de créer des jouets intelligents pour le web, braque les projecteurs sur les algorithmes et les flux de données qui bourdonnent autour de nous. Il critique de manière acerbe la façon dont nous utilisons Internet – et la façon dont Internet nous utilise. Pour la plupart d’entre nous, en effet, l’intelligence artificielle évoque des entités avec lesquelles nous pouvons interagir – comme HAL dans 2001 : l’odyssée de l’espace ou Deep Blue, l’ordinateur qui joue aux échecs. Mais, dans notre monde moderne, des algorithmes “intelligents” influencent déjà ce que nous voyons et faisons. Google observe nos centres d’intérêt afin d’adapter les résultats de nos recherches. Amazon nous suggère des produits qui pourraient nous plaire. Et, dans les gratte-ciel, les systèmes de gestion des ascenseurs groupent automatiquement les personnes qui vont aux mêmes étages, déterminant ainsi leurs rencontres quotidienne. “Nous sommes entourés de toutes sortes de créatures automatiques, qui n’essaient pas de se faire passer pour des humains”, commente Kazemi.

Diplômé de l’Institut polytechnique de Worcester, Kazemi a commencé par travailler dans le monde du développement de jeux vidéo. Puis, en 2012, il a lu le livre de philosophie Alien Phenomenology, or What It’s Like to Be a Thing, d’Ian Bogost, professeur d’informatique interactive à l’Institut de technologie de Géorgie [La phénoménologie de l’alien, ou ce que c’est qu’être une chose, non traduit]. L’ouvrage avance une théorie qui a grandement plu à Kazemi : un philosophe peut, au lieu de coucher des idées par écrit, créer des objets qui les incarnent.

Ces “objets” que Kazemi allait créer sont des bots Twitter, une catégorie de créatures numériques que l’on associe généralement aux comptes agaçants qui envoient automatiquement des messages publicitaires. Kazemi n’est pas le premier à avoir saisi l’intérêt des bots Twitter – par exemple, Adam Parrish avait déjà créé le populaire @everyword, qui twitte par

ordre alphabétique un mot de la langue anglaise toutes les trente minutes depuis 2007. Mais

Kazemi est vite devenu un des utilisateurs les plus inventifs du gazouillis. Son premier essai s’appelle Metaphor-a-Minute. Son fonctionnement est simple : il pioche des noms et des adjectifs dans un dictionnaire en ligne et les arrange de manière à ce que chaque tweet forme une métaphore bizarre mais un instant plausible. (Exemples : “Une prémonition est un labyrinthe : sans défense

et tacite” ou encore “Une impression est un mucus : étrangère et pareille à une racine.”) On dirait les propos d’un alien très intelligent mais totalement désorienté qui essaierait de comprendre la langue anglaise.

Depuis, Kazemi a été comme pris de frénésie. Il a conçu un RapBot qui utilise un dictionnaire de rimes pour rédiger des textes de hip-hop. Plus récemment, il a créé son bot le plus connu à ce jour, Two Headlines, qui épluche les actualités sur Google, en choisit deux au hasard et intervertit des mots clés pour générer une série de “fenêtres brisées” dans les conversations de tous les jours : “Beyrouth demande conseil à Katy Perry pour ses histoires de cœur” ou “L’Iran planche sur des lentilles de contact intelligentes qui contrôlent votre santé.”

Ian Bogost fait partie de la troupe de plus en plus fournie de fans de Kazemi, qui attendent la sortie du prochain bot. “Nous avons tous notre humoriste ou artiste préféré, dont nous guettons avec impatience ce qu’il dit, parce que nous voulons voir le monde à travers ses yeux, explique Bogost. C’est la même chose avec Darius.” Les bots ont déjà donné vie à leur propre sous-culture. Rob Dubbin, un concepteur de bots, a créé le site Internet The New York Review of Bots. Et, dernièrement, Kazemi a organisé un Sommet des bots, lors duquel des gens des quatre coins du monde ont discuté éthique et taxonomie des bots.

Si cela vous semble un peu ésotérique, songez au film Her, et souvenez-vous des inquiétudes que nous inspire le tour que prendront les relations entre humains et robots. Pour Rob Dubbin, ces inquiétudes font partie de ce qui rend l’art de Kazemi si puissant : le jeune homme saisit ce qui, dans les robots, inquiète la plupart des gens – le fait qu’ils puissent mal interpréter nos instructions et finir par commettre des choses impensables. Puis il s’en sert pour les rendre charmants et faciles à vivre. “Il transforme ce qui nous trouble dans les algorithmes en quelque chose de beau, de surprenant, de drôle et de pénétrant”, résume Rob Dubbin.

Comme la plupart des programmeurs, Kazemi sait voir derrière la façade des outils numériques et comprendre les mécanismes automatiques qui prennent des décisions à notre place. (“Darius entrevoit la matrice”, dixit Dubbin.) En créant des outils qui se servent des nouvelles technologies pour révéler les règles invisibles d’Internet, il a peut-être inventé rien de moins qu’une nouvelle sorte d’art du xxie siècle – un art changeant, qui s’interroge sur lui-même et qui, par sa dimension profondément aléatoire, est curieusement vivant.

—Leon NeyfakhPublié le 24 janvier

↙ Dessin de Magee paru dans Esquire, New York.

INTERNET

“J’ai créé ces choses. Elles ont leur vie maintenant, et je suis en quelque sorte fier d’elles”

PIXE

L M

EDIA

360°54. Courrier international — no 1222 du 3 au 9 avril 2014

culture.

Page 55: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

Collectionnezles histoires d'Ernest et Célestine

en édition prestige.

Un nouveau numérochaque samedi, dès le 15 mars.Rendez-vous en librairie !

5 prix et 11 nominationsdans les festivals dont

Meilleur Filmd’animation

césar 2013

magritte2014 du meilleur Film

Gabr

ielle

Vinc

ent ©

Caste

rman

Vous souhaitez acheter la collection sans vous déplacer ? (livraison à domicile gratuite)

Une collectionproposée par

7.95 €le n°4

32 pages22,5 cm x 16,8 cm

Prix spécial pour les abonnés de La Libre : 95 €

ou• Rendez-vous sur

www.lalibre.be/page/ernest• Faites un virement bancaire

de 105 € sur le compte BE 95 310-1802523-58 avec la communication « Ernest »

Page 56: Courrier 20140403 courrier full 20140407 095039

www.cbc.be/osezplacer - 0800 920 20 Marque de confiance

Chez CBC, placement rime

avec accompagnement.

Un de nos conseillers vous aidera à choisir des produits de placement adaptés à votre profil de risque.

Alors, lancez-vous sans crainte et parlez-en à votre banquier CBC.

03

/20

14

- E

.R: C

BC

Ba

nq

ue

, Ma

rke

tin

g e

t C

om

mu

nic

ati

on

, Gra

nd

Pla

ce

5, 1

00

0 B

rux

ell

es,

Be

lgiq

ue

TV

A B

E 0

40

3.2

11

.38

0 –

RP

M B

rux

ell

es

– I

BA

N B

E3

7 7

28

9 0

00

6 2

02

8 –

BIC

CR

EG

BE

BB

– F

SM

A 0

17

58

8 A

Qu’attendez-vous pour oser les placements ?