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ÉGYPTE—DES ÉLECTIONS CONTRE LA DÉMOCRATIE CULTURE—SHAKESPEARE ET LA SCIENCE Inde Modi, un autocrate hindou à New Delhi LES POPULISTES A l’assaut de l’Europe (!4BD64F-eabacj!:M;m N° 1229 du 22 au 27 mai 2014 courrierinternational.com Belgique : 3,90 € EDITION BELGIQUE

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Le Courrier International du 22 mai 2014

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ÉGYPTE—DES ÉLECTIONS CONTRELA DÉMOCRATIECULTURE—SHAKESPEARE ET LA SCIENCE

Inde Modi, un autocrate hindou à New Delhi

LES POPULISTESA l’assaut de l’Europe

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N° 1229 du 22 au 27 mai 2014courrierinternational.comBelgique : 3,90 €

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HORSCH

4. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

Retrouvez Eric Chol chaque matin à 7 h 50,

dans la chronique “Où va le monde”

sur 101.1 FM

ÉDITORIALJEAN-HÉBERTARMENGAUD

Bouc émissaireUne coïncidence : deux scrutins

essentiels en Europe, ce dimanche 25 mai. L’élection

au Parlement européen d’un côté – même si certains des 28 pays ont commencé à voter le jeudi 22. De l’autre, la présidentielle en Ukraine, censée ramener un semblant de calme dans un pays déchiré, dans ses régions de l’est, par une quasi-guerre civile. En 1950, Jean Monnet, considéré comme l’un des pères de ce qu’on appelait alors la Communauté européenne, lui fi xait ces objectifs : “unité, prospérité et paix”. Certes, le contexte était diff érent. Certes, la paix semble assurée entre les Etats membres. Mais, avec la crise ukrainienne, l’UE fait la preuve qu’elle est incapable d’assurer la paix et la stabilité sur son front oriental. Une nouvelle fois, la diplomatie européenne a surtout démontré sa pusillanimité, son incapacité à parler d’une seule voix. Cette Union brinquebalante a bien des défauts, dont le moindre n’est pas une gouvernance absconse, malgré les promesses du traité de Lisbonne – qui sait à quoi servent M. Van Rompuy et Mme Ashton ? Pourtant l’UE reste un formidable projet, même s’il est loin d’être abouti. Et surtout, “Bruxelles”, comme disent les populistes adeptes du repli sur soi, ne saurait être accusé de tous nos maux, chômage, crise économique, austérité… Car cette Union n’est pas fédérale mais toujours intergouvernementale. Autrement dit, elle n’est rien d’autre que ce qu’en font les Etats, c’est-à-dire nos dirigeants nationaux. Inutile donc d’en faire un bouc émissaire.

En couverture : —Marine Le Pen (France, FN), Geert Wilders (Pays-Bas, PVV), Nigel Farage (Royaume-Uni, Ukip) et Beppe Grillo (Italie, M5S). Dessin de Steve Bell (Royaume-Uni) pour Courrier international.—Narendra Modi. Photo Kumar Singh/AP-Sipa

p.30 à la une

SUR NOTRE SITE

www.courrierinternational.com

Sommaire

CAHIER RÉGIONS

Retrouvez notre supplément “Normandie” dans certaines de nos éditions (dép. 14, 27, 50, 61 et 76). En couverture : sur la plage de Bernières-sur-Mer, dans le Calvados. Photo Tendance fl oue

LES POPULISTES À L’ASSAUT DE L’EUROPE

FOCUS

p.14

Inde La génération qui adule Narendra ModiAvec le triomphe de cet ultranationaliste hindou aux élections, l’Inde écrit une nouvelle page de son histoire. Le nouvel homme fort du pays doit surtout sa victoire aux jeunes urbains, quelle que soit leur caste.

p.18

Egypte Des élections contre la démocratie

Un an après le coup d’Etat militaire qui a évincé le président islamiste Mohamed Morsi, les Egyptiens élisent un nouveau président. La victoire du maréchal Abdelfattah Al-Sissi, en qui certains voient un nouveau Moubarak, semble acquise.

p.36

Economie. Partager son frigoL’économie du partage ne se cantonne plus aux voitures et aux appartements. Des applications et des sites permettent désormais de la pratiquer aussi pour les aliments.

UKRAINE, LE JOUR D’APRÈS Une élection capitale ou un coup d’épée dans l’eau ?

ÉLECTIONS EUROPÉENNES Les résultats vus par la presse européenne.

MONDIAL 2014 Notre site spécial : retrouvez chaque jour le portrait d’une équipe et suivez l’actualité du pays hôte, le Brésil.

Retrouvez-nous aussi sur Facebook, Twitter, Google+ et Pinterest

De l’ascension de Marine Le Pen en France à celle des nationalistes

de l’Ukip au Royaume-Uni en passant par la Hongrie de Viktor

Orbán, l’UE voit avec inquiétude, alors que ses citoyens votent pour

élire le Parlement, la montée de partis qui ont comme objectif

ultime de la démanteler.

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6. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

Transversales36. Economie. Partager son frigo

37. Economie. Le houblon a la gueule de bois

38. Ecologie. Des rimes contre les tronçonneuses

40. Médias. Des réseaux mégalos

41. Signaux. Pauvre comme un développeur

360° 42. Littérature. Shakespeare ou la science apprivoisée

48. Tendances. Le ghetto ougandais trouve sa voix

50. Histoire. La légende erronée de saint Georges

Sommaire

← Toutes nos sources Chaque fois que vous rencontrez cette vignette, scannez-la et accédez à un contenu multimédia sur notre site courrierinternational.com (ici la rubrique “Nos sources”).

Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €. Actionnaire La Société éditrice du Monde. Président du directoire, directeur de la publication : Arnaud Aubron. Directeur de la rédaction, membre du directoire : Eric Chol. Conseil de surveillance : Louis Dreyfus, président. Dépôt légal Mai 2014. Commission paritaire n° 0712c82101. ISSN n°1154-516X Imprimé en France/Printed in France Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational. com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Eric Chol Rédacteurs en chef Jean-Hébert Armengaud (16 57), Claire Carrard (édition, 16 58), Odile Conseil (déléguée 16 27), Rédacteurs en chef adjoints Catherine André (16 78), Raymond Clarinard, Isabelle Lauze (hors-séries, 16 54) Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Directeur de la communication et du développement Alexandre Scher (16 15) Conception graphique Javier Errea Comunicación

Europe Catherine André (coordination générale, 16 78), Danièle Renon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16�22), Gerry Feehily (Royaume-Uni, Irlande, 16 95), Lucie Geff roy (Italie, 16�86), Nathalie Kantt (Espagne, Argentine, 16 68), Hugo dos Santos (Portugal, 16�34)Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Caroline Marcelin (chef de rubrique, France, 17 30), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Agnès Jarfas (Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie) Russie, est de l’Europe Laurence Habay (chef de service, 16 36), Alda Engoian (Caucase, Asie cen-trale), Larissa Kotelevets (Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14), Gabriel Hassan (Etats-Unis, 16 32), Anne Proenza (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Ysana Takino (Japon, 16 38), Kazuhiko Yatabe (Japon), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Ghazal Golshiri (Iran), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie) Afrique Ousmane Ndiaye (16 29), Hoda Saliby (chef de rubrique Maghreb, 16 35), Chawki Amari (Algérie) Transversales Pascale Boyen (chef des informations, Economie, 16 47), Catherine Guichard (Economie, 16 04), Anh Hoà Truong (chef de rubrique Sciences et Innovation, 16 40), Gerry Feehily (Médias, 16 95), Virginie Lepetit (Signaux) Magazine 360° Marie Béloeil (chef des informations, 17 32), Virginie Lepetit (chef de rubrique Tendances, 16 12), Claire Maupas (chef de rubrique Insolites 16 60), Raymond Clarinard (Histoire), Catherine Guichard Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, responsable du web, 17 33), Carolin Lohrenz (chef d’édition, 19 77), Carole Lyon (rédactrice multimédia, 17 36), Paul Grisot (rédacteur multimédia, 17 48), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Marie-Laëtitia Houradou (responsable marketing web, 1687), Patricia Fernández Perez (marketing) Agence Cour rier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97) Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Julie Marcot (anglais, espagnol, portugais), Marie-Françoise Monthiers ( japonais), Mikage Nagahama ( japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Hélène Rousselot (russe), Mélanie Liff schitz (anglais, espagnol), Leslie Talaga (anglais, espagnol) Révision Jean-Luc Majouret (chef de service, 16 42), Marianne Bonneau, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, Philippe Planche, Emmanuel Tronquart (site Internet) Photo graphies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53) Maquette Bernadette Dremière (chef de service, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Petricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet, Alexandre Errichiello, Céline Merrien (colorisation) Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66) Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon) Informatique Denis Scudeller (16 84) Directeur de la production Olivier Mollé Fabrication Nathalie Communeau (direc trice adjointe), Sarah Tréhin (responsable de fabrication) Impression, brochage Maury, 45330 MalesherbesOnt participé à ce numéro : Alice Andersen, Anabelle Arsicaud, Jean-Baptiste Bor, Sophie Courtois, Lucas Fourquet, Rollo Gleeson, Thomas Gragnic, Mélanie Guéret, Margot Guillois, Carole Lembezat, Jean-Baptiste Luciani, Valentine Morizot, Corentin Pennarguear, Polina Petrouchina, Diana Prak, Fanny Saint-Martin, Judith Sinnige, Leslie Talaga, Isabelle Taudière, Anne Thiaville, Sébastien Walkowiak, Morgane Witz, ZaplanguesSecrétaire général Paul Chaine (17 46) Assistantes Frédérique Froissart (16 52), Sophie Jan Gestion Bénédicte�Menault-Lenne�(responsable,�16�13) Comptabilité 01 48 88 45 02 Responsable des droits Dalila Bounekta (16 16) Ventes au numéro Responsable publications Brigitte Billiard Direction des ventes au numéro Hervé Bonnaud Chef de produit Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40) Diff usion inter nationale Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22) Promotion Christiane Montillet Marketing Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (16 91), Véronique Saudemont (17 39), Kevin Jolivet (16 89)

7 jours dans le monde8. Vietnam. Dérapage patriotique contrôlé

12. Portrait. Miroslav Klose

13. Controverse. Faut-il aimer les milliardaires ?

D’un continent à l’autre— ASIE14. Inde. La génération qui adule Narendra Modi

— MOYEN-ORIENT18. Egypte. Des élections contre la démocratie

— AMÉRIQUES22. Etats-Unis. Le tortionnaire afghan réfugié à Los Angeles

24. Colombie. La guérilla renonce au narcotrafi c

— AFRIQUE25. Algérie. Le business de l’amour halal

26. Nigeria. Boko Haram : une faillite africaine

— EUROPE27. Ukraine. Un scrutin pour sortir de la crise

— BELGIQUEI . Portrait. La méthode Dehaene

A la une30. Les populistes à l’assaut de l’Europe

Les journalistes de Courrier international sélectionnent et traduisent plus de 1 500 sources du monde entier : journaux, sites, blogs. Ils alimentent l’hebdomadaire et son site courrierinternational.com. Les titres et les sous-titres accompagnant les articles sont de la rédaction. Voici la liste exhaustive des sources que nous avons utilisées cette semaine :

Al-Araby Al-Jadid (alaraby.co.uk) Londres, en ligne. Business Standard Bombay, quotidien. Deutsche Welle (dw.de/actualités/s-10261) Bonn, en ligne. Financial Times Londres, quotidien. Gazeta.ru (www.gazeta.ru) Moscou, en ligne. The Guardian Londres, quotidien. Al-Hayat Londres, quotidien. London Evening Standard Londres, quotidien. Al-Masri Al-Youm Le Caire, quotidien. Al-Monitor (al-monitor.com) Washington, en ligne. New Scientist Londres, hebdomadaire. New Statesman Londres, hebdomadaire. Now. (now.mmedia.me/lb/ar) Beyrouth, en ligne. Oukraïnska Pravda (pravda.com.ua) Kiev, en ligne. Outlook New Delhi, hebdomadaire. El País Madrid, quotidien. Le Pays Ouagadougou, quotidien. Al-Shourouk

Le Caire, quotidien. Sport.pl (sport.pl) Varsovie, en ligne. La Stampa Turin, quotidien. Süddeutsche Zeitung Munich, quotidien. The Sydney Morning Herald Sydney, quotidien. El Tiempo Bogotá, quotidien. VietNamNet (vietnamnet.vn) Hanoi, en ligne. The Washington Post Washington, quotidien. El-Watan Alger, quotidien.

GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBLCOURRIER INTERNATIONAL pour la Belgique et le Grand Duché de Luxembourg est commercialisé par le GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBL qui est une association entre la société anonyme de droit français COURRIER INTERNATIONAL et la société anonyme de droit belge IPM qui est l’éditeur de La Libre Belgique et de La Dernière Heure Les Sports. Co-gérant Antoine LaporteCo-gérant et éditeur responsable François le HodeyDirecteur général IPM Denis PierrardCoordination rédactionnelle Pierre Gilissen

+ 32 2 744 44 33Ouvert les jours ouvrables de 8h à 14h.Rue des Francs, 79 — 1040 BruxellesPublicité RGP Marie-France Ravet [email protected] + 32 497 31 39 78Services abonnements [email protected] + 32 2 744 44 33 / Fax + 32 2 744 45 55Libraires + 32 2 744 44 77Impression IPM PrintingDirecteur Eric Bouko + 32 2 793 36 70

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1 décembre 2013.

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RÉSERVEZ DÈS AUJOURD’HUIET SOYEZ PARMI LES PRIVILÉGIÉS QUI PARTICIPERONTÀ CE VOYAGE « ESSENTIELLE » INÉDIT.

L’Île de Beauté du 19 au 30 novembre 2014

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La Libre Essentielle vous emmène à la découverte du pays de « l’or vert» à la végétation tropicale luxuriante et à la faune spectaculaire : plages paradisiaques, cocotiers, rizières, hibiscus, plantations de thé, épices, bananiers, éléphants, singes, oiseaux émerveilleront vos mémoires.

Ses temples hindouistes et bouddhistes étancheront votre soif d’approche de cultes empreints de sagesse asiatique. Vous visiterez entre autres Colombo, la capitale, mélange de traditions ancestrales, de vestiges coloniaux et de modernité; Pinnawela etson orphelinat d’éléphants; Anuradhapura, ancienne capitale, ville sacrée établie autour d’une coupe de «l’arbre de l’illumination» de Bouddha; Polonnaruwa, ancienne résidence des rois d’Anuradhapura; le temple d’Or de Dambulla, un haut lieu de pèlerinage bouddhiste; Kandy et son célèbre temple de la dent et aussi Buduruwagala,riche de la plus haute statue de Bouddha, datée du IXe ou Xe siècle. Enfin, vous gagnerezles plages paradisiaques de l’océan Indien pour terminer votre voyage au très bel hôtelMount Lavinia 4*sup.

Vols assurés par la compagnie aérienne régulière Qatar Airways, hôtels 4* et 5* (normeslocales), guide local parlant français et accompagnement de Bruxelles à Bruxelles.

PROGRAMMEJour 1_Bruxelles/Doha/Colombo / Jour 2_Colombo / Jour 3_Colombo – Pinnawela –Habarana / Jour 4_Habarana – Anuradhapura – Mihintale – Habarana / Jour 5_Habarana – Polonnaruwa – Minneriya – Habarana / Jour 6_Habarana – Sigiriya – Habarana / Jour 7_Habarana – Dambulla – Matale – Kandy / Jour 8_Kandy /Jour 9_Kandy – Nuwara Eliya / Jour 10_Nuwara Eliya – Kitulgala – Mount Lavinia /Jour 11_Mount Lavinia / Jour 12_Mount Lavinia – Colombo/Doha/Bruxelles

LES PRIX 2 650 €/pp en double / 3 220 €/pp en single

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8. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

7 jours dansle monde.

↙ Manifestation contre la Chine le 18 mai à Ho Chi Minh-Ville. Photo Asahi Shimbun/Getty

—VietNamNet Hanoi

Depuis plusieurs jours, des dizaines de millions de Vietnamiens bouillonnent d’indignation face

aux provocations de la Chine dans leurs eaux territoriales [le déploiement début mai d’une plateforme pétrolière dans les eaux disputées des îles Paracel].

Or il n’y a qu’un pas pour passer de l’in-dignation enfl ammée à des actions radi-cales. De nombreux Vietnamiens, pris d’une colère aveugle, ont fait le vœu de se venger du peuple chinois.

Dans la ville [touristique] de Nha Trang, un hôtel a ainsi refusé de servir des Chinois – une décision discriminatoire et une sanction parfaitement arbitraire. Pour le propriétaire de l’établissement, leur pays d’origine et le comportement de leurs diri-geants suffi sent pour ôter à tous les tou-ristes chinois le droit de bénéfi cier des services de son hôtel. Il passe sa colère sur des Chinois ordinaires faute de pou-voir le faire sur les autorités de Pékin, car selon lui “le peuple chinois n’est pas capable de demander à ses dirigeants d’agir diff éremment”.

Sur Facebook, des internautes appellent les Vietnamiens à la méfi ance face à une prétendue “conspiration” chinoise visant à coloniser le Vietnam par le biais de mariages binationaux.

D’autres appellent les agences immo-bilières vietnamiennes à refuser toute transaction avec des Chinois, et assor-tissent leur appel de menaces. Chez les

chauff eurs de taxis, on se déconseille mutuellement de prendre des clients venus de Chine. Dans certaines villes vietnamiennes, l’électricité a été coupée aux ateliers à capitaux chinois.

Dans la province de Binh Duong, des centaines de travailleurs de la zone indus-trielle de Song Than ont défi lé les 13 et 14 mai pour protester contre les opéra-tions illégales de Pékin en mer de Chine méridionale, vandalisant au passage plu-sieurs ateliers chinois et taïwanais.

Il ne faut pas pour autant prendre ces manifestations pour une démonstration de patriotisme : ce sont des actes de délin-quance qui doivent être condamnés et interdits. Des mesures draconiennes ont déjà été prises par les autorités locales et les institutions compétentes pour enrayer ces violences contre les biens et les per-sonnes [au moins 1 000 personnes ont été arrêtées, selon la presse vietnamienne].

Le Vietnam est réputé dans le monde entier pour sa capacité à repousser tous ses envahisseurs. Aujourd’hui, le pays a besoin de fonder sa fi erté nationale éga-lement sur d’autres bases.

La fi erté d’être vietnamien ne peut reposer sur les insultes ou la diff ama-tion d’autres communautés et d’autres cultures. Les véritables valeurs des Vietnamiens bien éduqués doivent être le respect des droits de l’homme, l’enga-gement pour la justice et le courage face aux diffi cultés.

—Dang Hoang GiangPublié le 17 mai

millionnaires seulement ont obtenu un droit de résidence depuis que le “golden visa” a été lancé, il y a sept mois, rapporte le quotidien El País. Cette loi, qui a semé la controverse, propose un visa express d’un an aux étrangers qui investissent dans le pays pour l’achat d’un logement (d’au moins 500 000 euros). Presque la moitié des nouveaux résidents viennent de Chine, de Russie, mais aussi d’Ukraine, du Liban, d’Equateur, du Qatar, d’Egypte et d’Iran. Ils ne sont pas obligés de s’installer en Espagne mais ils doivent s’y rendre au moins une fois l’an. Le visa espagnol off re la liberté de mouvement dans tout l’espace Schengen.

La vie des autresTECHNOLOGIE — L’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) va mettre sur le marché dans les mois qui viennent une application pour mobiles avec un objectif ambitieux : permettre à deux personnes de partager leur quotidien de manière anonyme pendant vingt jours. “20 days stranger” transmet des bribes de vie de l’autre utilisateur (son heure de réveil, le menu de son dîner, des photos du lieu qu’il traverse) dans le but de susciter l’empathie. Le programme sou-haite toucher “des personnes par-tout dans le monde, afi n que chacun puisse s’associer avec un utilisateur lointain à la fois géographiquement et socialement”, relève le magazine américain Fast Company.

81

L’intégrité territorialeavant tout● Des manifestations d’ouvriers vietnamiens protestant contre l’installation d’une plateforme d’hydrocarbures chinoise dans les îles Paracel, zone maritime que se disputent la Chine et le Vietnam, ont tourné à l’émeute. Autorisées le 13 mai par le gouvernement, elles se sont prolongées le 14. Le 16, le gouvernement de Pékin a confi rmé la mort de 2 Chinois. Quelque 140 personnes ont été blessées. Un grand nombre d’usines ont été attaquées. Dans la province de Binh Duong, la plus touchée, seules 14 usines sur 365 appartiennent à des Chinois, selon le South China Morning Post, mais les 190 usines taïwanaises ont été identifi ées à tort comme chinoises. La Chine a demandé à Hanoi de protéger ses intérêts sur son territoire. Elle a annoncé la suspension d’échanges bilatéraux et rapatrié par bateau plus de 3 500 de ses ressortissants. Mais pourquoi avoir installé cette plateforme de forage ? Le président Xi Jinping a plusieurs fois réaffi rmé que la Chine “[était] attachée à maintenir la voie du développement pacifi que”, souligne le webzine basé à Tokyo The Diplomat. Elle semble tenir un double langage lorsqu’un général chinois en visite aux Etats-Unis rappelle que son pays “ne peut se permettre de perdre un pouce” de son territoire historique. Cette contradiction apparente est due au fait que le pays a toujours considéré la paix comme subordonnée à l’intégrité territoriale. En fait, “l’idée chinoise d’‘émergence pacifi que’ n’a jamais été conçue comme s’appliquant à la mer de Chine méridionale ou orientale, ou à d’autres zones où la souveraineté chinoise est en jeu”, explique le webzine.

Vu de Chine

VIETNAM

Dérapage patriotique contrôléD’importantes émeutes antichinoises ont secoué le pays. D’abord complaisante envers les manifestants, la presse appelle désormais au calme.

BLEI

BEL

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7 JOURS.Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014 9

VuVV d’a’ illeursrr

VeVV ndredi à 23 h 10, samedi à 11 h 10,et dimii anche à 14 h 10, 17 h 10 et 21 h 10.

L’LLa’ ctualité française vue de l’é’ tranger chaque semaine avec

présenté par Christophe Moulin avec Eric Chol

IboOgretmen

/LCI

compromis”. En 2006, les mili-taires étaient déjà intervenus pour renverser le Premier ministre Thaksin Shinawatra. “Une ‘vic-toire’ qui avait alors apporté plus de problèmes que de solutions, échouant complètement à apaiser les tensions”, rappelle le journal.

Galliano passe à l’EstRUSSIE — Le couturier britan-nique John Galliano, banni du monde de la mode occidentale en 2011 pour avoir tenu des propos antisémites, a été recruté comme directeur artistique par l’Etoile, une grande chaîne russe de cos-métiques. Pour la presse conser-vatrice, “Cet événement s’inscrit directement dans le contexte du confl it qui prend de l’ampleur entre l’Occident et la Russie, entre les valeurs de l’Europe libre et créative et la pression de la Russie totalitaire et non créative”, ironise le quotidien en ligne Vzgliad, qui se réjouit qu’après Gérard Depardieu la Russie récupère un nouveau “grand artiste” transfuge de l’Occi-dent donneur de leçons.

Des inondations bibliques

B A LK A N S — “Belgrade, qui se prépare à un nouveau pic des inondations, ren– force les digues le long de la Sava”, titrait Danas

le 19 mai. Les inondations d’une ampleur “biblique”, selon le quoti-dien, les plus importantes depuis cent-vingt ans, ont fait au moins 17 victimes en Serbie, dont 12 dans la ville d’Obrenovac (à 40 km à l’ouest de Belgrade), engloutie par les eaux. Les autorités serbes ont procédé à l’évacuation préven-tive des sinistrés de crainte d’une nouvelle montée des eaux et de glissements de terrain. A l’heure où nous publions, un premier bilan faisait état d’au moins 47 morts en Croatie, Bosnie-Herzégovine et Serbie et quelque 25 000 per-sonnes évacuées.

Foot démocratiqueESPAGNE — Plus de 200 000 sup-porters de l’Atlético Madrid sont descendus dans la rue, le 18 mai, pour fêter la victoire de leur équipe en finale de la Liga, le championnat national. Le club a mis fi n à dix ans d’une hégémonie partagée entre le Barça et le Real Madrid. Le quotidien sportif AS reprend en une cette citation du capitaine de l’équipe : “Ça ne fait que commencer !” El País, pour sa part, salue l’avènement d’une “ligue de la démocratie” : “Défi ant la puissance financière du Barça et du Real, l’Atlético s’est glissé au travers des mailles du désir et de la motivation, deux qualités délaissées par le Barça”, son rival malheureux en fi nale.

“Ceci n’est pas un coup d’Etat”THAÏLANDE — L’armée a décrété le 20 mai la loi martiale tout en affi rmant qu’il ne s’agissait pas d’un “coup d’Etat” puisque la Constitution n’était pas sus-pendue. Pour le Bangkok Post, l’armée aura du mal à sortir le pays de l’impasse politique. Il lui faudra “forcer les deux camps [pro et antigouvernement], les convaincre ou les amadouer pour arriver à un

SANTÉ

La variole doit-elle mourir ?La destruction ou la conservation des derniers échantillons du virus variolique sont au centre des discussions des scientifi ques et de l’OMS.

Devons-nous détruire nos der-niers échantillons vivants du virus de la variole ?” s’in-

terroge le Smithsonian Magazine. Le mensuel américain n’est pas seul à se poser cette question. La 67e Assemblée mondiale de la santé, qui se tient à Genève du 19 au 24 mai, devrait y répondre.

L’organe décisionnel suprême de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui se réunit une fois par an, doit statuer sur le sort des derniers échantillons du virus, scellés dans des tubes cryogéniques et conservés par des laboratoires américains (dans les Centres de prévention et de contrôle des maladies, les CDC, près d’Atlanta) et russe (au Centre de recherche d’Etat en virologie et biotechnologie de Koltsovo, à Novossibirsk). Tous les deux classés P4, c’est-à-dire haute-ment sécurisés.

Responsable d’un taux de mor-talité qui a pu atteindre 30 % avec certaines variantes de la mala-die, le virus de la variole est sans doute l’un des plus dangereux qu’ait connus l’humanité, rap-pelle le Smithsonian. Il a provoqué la mort de quelque 400 000 per-sonnes en Europe au xviiie siècle et fait 300 millions de victimes dans le monde au xxe siècle. La maladie a été offi ciellement éra-diquée en 1979 (le dernier cas a été recensé en 1977), après une intense campagne de vaccina-tion menée par l’OMS.

Depuis, la question “Que faire des échantillons viraux ?” revient régulièrement. En 2011, l’OMS décidait de ne plus conserver ces virus. Mais l’organisation a besoin d’un consensus afi n de fi xer une date de destruction des

souches. Or le sort de la variole fait toujours débat dans la com-munauté scientifi que. Pour les chercheurs américains des CDC, il faut sauver ce virus de l’éradica-tion totale : “Il y a encore beaucoup de travail à faire avant que la com-munauté internationale puisse être totalement sûre que nous avons des garanties suffi santes contre n’importe quelle menace future”, indiquent-ils dans un éditorial publié le 1er mai dans la revue scientifi que PlosOne Pathogens. Par exemple, tester des thérapies nouvelles, sur un virus vivant, ou de nouveaux vaccins.

Malgré l’intérêt scientifi que à travailler sur ce virus, il y a de bonnes raisons d’en finir avec la variole, affirme de son côté dans New Scientist le Pr Gareth Williams, dans un édito paru le 19 mai et titré “La variole doit mourir”. “Le virus de la variole est un génie à qui l’on ne doit pas permettre de s’échapper de sa bou-teille pour se répandre à nouveau sur le monde. Même si le risque qu’il s’échappe, par inadve r tance ou délibérément, est très faible […], il ne pourra jamais être égal à zéro.”

De nouveau x vaccins peuvent être conçus sans le virus de la variole, argumente dans le Smithsonian Magazine Gregory Poland, un immu-nologiste de la Mayo Clinic, dans le Minnesota. Les cher-cheurs peuvent tester les vaccins et les thérapies sur des virus cousins. Et comme

des fragments du virus ont été séquencés, il sera toujours pos-sible de fabriquer un génome synthétique qui puisse se subs-tituer au génome du virus de la variole lors des tests.

La réapparition de la variole est toujours redoutée. L’an der-nier, le gouvernement américain a dépensé environ 460 millions de dollars pour produire un médi-cament contre la variole, avec en toile de fond la peur que le virus soit à nouveau répandu par des terroristes. Les stocks constitués peuvent traiter environ 2 mil-lions de personnes, affi rme le site de la National Public Radio (NPR) américaine.

—Courrier International

76 C’est le nombre de pays interdisant l’homosexualité. Plus de 2,7 milliards de personnes vivent dans des pays où être homosexuel est passible d’une peine d’emprisonnement, de coups de fouet, voire de la peine de mort (comme en Iran, en Mauritanie, en Arabie Saoudite, au Soudan et au Yémen), rapporte The Guardian, qui cite les chiff res d’un rapport de l’Association internationale lesbienne et gay (Ilga).

↓ Dessin de Kichka, Israël. ↓ Dessin de Belle Mellor, Royaume-Uni.

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LA CARTE DE LA SEMAINE

7 JOURS10. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

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Consommation d’alcool (en litres d’alcool pur, sur l’année 2010) par habitant (de plus de 15 ans) et par pays

Moyenne mondiale : 6,2 l/an

Moins de 2,5 De 5 à 7,4 De 7,5 à 9,9 De 10 à 12,4 Plus de 12,50 Pas de donnéesDe 2,5 à 4,9

La consommation d’alcool dans le monde

SANTÉ La consommation d’alcool dans le monde varie considérablement d’une région à l’autre. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces disparités : sociodémographiques, religieux, culturels, historiques, et naturellement le niveau de développement économique, explique le rapport 2014 de l’OMS. Les pays de l’ex-bloc soviétique fi gurent parmi les plus gros consommateurs, suivis de près par les pays occidentaux. Les plus abstinents appartiennent au monde islamique. L’Asie reste pour sa part une zone de consommation modérée.

ILS PARLENTDE NOUS

MAME DIARRA DIOP, rédactrice en chef du JournalduMali.com

Plus de fermeté de la part du MaliUn an et demi après le début de l’opération Serval, assiste-t-on à un retour à la confrontation directe au Mali ?Lors de l’opération Serval, en 2013, les djihadistes et les groupes rebelles se sont évanouis dans la nature. On a pu avoir un moment une impression de retour à la normale, sous l’œil des forces françaises, onusiennes (Minusma) et de l’armée malienne. Mais les attaques contre la délégation du Premier ministre Moussa Mara, alors en visite offi cielle à Kidal [nord-est du pays, fi ef des groupes armés protouaregs] samedi 17 mai, qui ont fait 36 morts, sont plus graves que les attaques commises jusqu’ici. Elles ont pris pour cible la souveraineté de l’Etat (6 représentants de l’Etat ont été assassinés et 30 fonctionnaires ont été pris en otages avant d’être libérés, lundi). Si l’on pouvait s’attendre à des violences lors de ce déplacement, elles ont été particulièrement fortes.

Certains reprochent à l’armée française de ne pas être intervenue plus activement face aux rebelles touaregs. Une réaction plus énergique aurait été peut-être appréciée par la population. Cependant, la situation dans cette zone est très complexe, malgré le dialogue amorcé en juin 2013 avec les Touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), un groupe qui comprend des éléments très divers et divisés. Il faut se rappeler qu’en novembre dernier deux journalistes français de RFI ont été enlevés (puis assassinés) quasiment sous les yeux des forces de Serval et de la Minusma. Par ailleurs, les Français sont dans une logique de retrait.

Quel rôle la France peut-elle jouer dans la réconciliation Nord-Sud ?On a beaucoup reproché à la France d’être trop peu intervenue pour procéder au désarmement des rebelles dans cette zone. La France, qui n’a pas intérêt à laisser une base djihadiste dans le sud du Sahara, peut apporter son soutien logistique et fournir des renseignements à l’Etat malien. Il faut que l’autorité malienne affi rme sa souveraineté. La réponse doit être musclée, nous ne pouvons pas faire confi ance aux terroristes. Il faut que le Mali réussisse à régler ses problèmes notamment par le biais d’une coopération régionale.

-LESSUIVEZJournalistes, experts, activistes, responsables ou groupes politiques : ils sont sur les réseaux sociaux. A suivre !

Jordi Evole @jordievoleCe Catalan présente le dimanche soir l’émission Salvados, suivie par plus de 3 millions de téléspectateurs. Il traite dans un style incisif des sujets d’actualité sociale.

Luiz Felipe Scolari @felipao_scolarEntraîneur de l’équipe du Brésil, la plus en vue du Mondial de football 2014, qui débutera le 12 juin à São Paulo. La véritable icône médiatique des Auriverde, c’est lui.

Karl Sharro @KarlreMarksInstallé à Londres, le Libanais Karl Sharro commente l’actualité moyen-orientale avec humour et dérision.

Accident minier : le gouvernement en cause

TURQUIE — “Soma 2014”, titre Radikal, qui fait entrer dans l’histoire des pires catastrophes indus-tr iel les nationales l’accident survenu le

13 mai dans la mine de Soma, dans l’ouest du pays. Plus de 300 mineurs y ont perdu la vie. “Ce drame est peut-être dû à des négligences humaines ou au recours à une sous-traitance incontrôlée liée à une croissance eff rénée […], mais la raison principale, c’est que la Turquie n’applique toujours pas une politique de tolérance zéro vis-à-vis des accidents de travail. Depuis dix-neuf ans, elle refuse de signer la convention 176 de l’Organisation internationale du travail (OIT) relative à la santé et à la sécurité dans les mines”, fustige le journal.

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7 JOURS12. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

franceculture.fr

en partenariat avec

—Sport.pl Varsovie

En Pologne, il n’est indiff érent à personne : soit on l’adore, soit on le déteste. En Allemagne, c’est une star. “Miro a de

nombreux succès à son actif, et malgré ses 35 ans il continue à courir et ne craint pas d’aff ronter des joueurs plus jeunes. Ça plaît au public”, explique Jan Hesse, journa-liste à la Rheinische Zeitung.

Sur le terrain, le seul objectif de Miroslav Klose est la victoire de son équipe. C’est un véritable adepte du fair-play. Il a dit un jour qu’il pré-férerait perdre que gagner en tri-chant. “C’est un excellent joueur, qui, curieusement, joue un peu à l’ancienne. Il est de la classe d’autres footballeurs allemands comme Mesut Ozil, Julian Draxler ou Mario Götze, mais lui ne fait rien pour être une star”, selon l’ancien international allemand Franz Beckenbauer.

Dans la vie privée, Klose est un catho-lique dévoué. En 2012, il a été reçu au Vatican par le pape Benoît XVI. Depuis neuf ans, il est marié à une Polonaise, Sylwia, avec laquelle il a eu des jumeaux, Luan et Noah.

Né en 1978, Klose est originaire d’Opole, dans la région polonaise de Silésie. Son père, Jozef, footballeur professionnel, a joué entre autres à Auxerre. Sa mère, Barbara, pratiquait le hand-ball ; elle a été sélectionnée à 82 reprises en équipe nationale.

Un an après la naissance de Miroslav, la famille Klose émigre et passe cinq années en France. Puis elle se fi xe défi nitivement en Allemagne, à Kusel, à 40 kilomètres de Kaiserslautern, en Rhénanie-Palatinat.

Miroslav a beaucoup de mal à s’adap-ter à son nouveau pays. A son arrivée en Allemagne fédérale, il ne sait dire que “ja” et “danke”.

Mais la pratique du football et les contacts avec des joueurs de son âge l’aident à s’intégrer rapidement. Après le

↙ Miroslav Klose. Dessin de Pyrzynska, Pologne, pour Courrier international.

Miroslav KloseLe meilleur buteur allemand est polonaisILS FONT L’ACTUALITÉ

Leur équipe nationale n’étant pas qualifi ée pour la phase fi nale du Mondial 2014, les Polonais ont transféré leur sympathie sur la sélection allemande. En particulier sur son attaquant fétiche, originaire de Silésie.

bac, il commence une formation de charpen-tier, mais à 19 ans il laisse tout tomber pour se consacrer à son sport favori.

Le jeune Klose fait ses premiers pas à Blaubach-Diedelkopf (Rhénanie-Palatinat), puis il joue à Homburg (Sarre) et à Kaiserslautern.

D’abord remarqué en championnat, il brille ensuite en équipe nationale [qu’il intègre en 2002]. Au Mondial 2006, qui se déroule en Allemagne, il prend, dès la phase des élimi-natoires, la tête du classement des meilleurs buteurs, marquant deux fois contre le Costa Rica et deux fois contre l’Equateur.

Pendant la Coupe du monde 2010, Klose a failli égaliser l’exploit du Brésilien

Ronaldo, le meilleur buteur de l’histoire du Mondial.

Après avoir quitté le Bayern de Munich, en 2011, il signe

pour trois ans à la Lazio de Rome [son contrat vient d’être prolongé jusqu’en 2015], et grâce à lui son équipe retrouve la tête du championnat d’Italie.

A 35 ans, Klose reste un élément essentiel de

l’équipe nationale d’Alle-magne. “Avant, il jouait bien

de la tête, mais avait quelques pro-blèmes avec les dribbles et la rapidité

des passes. Mais il a réussi à améliorer son jeu, bien qu’il ait la trentaine, c’est pourquoi il est si important pour notre équipe”, explique le sélectionneur allemand Joachim Löw.

Au Mondial 2014, le rôle de Klose peut se révéler très important. Tandis qu’on note une baisse de forme chez Lukas Podolski [un autre attaquant d’origine polonaise de l’équipe natio-nale allemande] et chez Mario Gómez, c’est Klose qui pourrait mener le jeu off ensif de la Mannschaft. S’il marque deux buts, il sera couronné meilleur buteur de toute l’histoire du Mondial.

—Adrian RzeczkowskiPublié le 14 mars

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7 JOURS.Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014 13

Vivons bien informés.

Je l’ai appris sur Un Monde d’Infodu lundi au vendredi à 16h15 et 21h45

avec

plus grandes fortunes du monde n’ont jamais été aussi volatiles. Contrairement aux hommes d’affaires du passé, la plu-part des milliardaires modernes sont tri-butaires des cours de la Bourse. Et, en cas de faillite, ce sont tous les secteurs dépendants de cette élite richissime qui plongent avec eux. Est-ce vraiment sain pour un pays d’avoir de larges pans de son économie assujettis à la fortune d’une centaine d’individus ?

Enfin, ces milliardaires exercent beau-coup trop d’influence sur la vie politique britannique. Pour 50 000 livres, vous pouvez dîner avec le Premier ministre, une broutille quand on est milliardaire. Et sur les 43 grands donateurs [du Parti conservateur] qui ont dîné avec Cameron au premier trimestre 2014, 4 d’entre eux figuraient sur la liste du Sunday Times.

Même s’ils bénéficient d’avantages fis-caux, les milliardaires contribuent de façon significative aux recettes de l’Etat. Il y a dix ans, les plus riches payaient 20 % de la totalité de l’impôt britan-nique. Aujourd’hui, ils contribuent à hauteur de 30 %. Le gouvernement a bien besoin de cet argent, mais que sa solvabilité dépende de plus en plus des largesses d’une petite élite qui, sur un caprice, pourrait avoir envie de placer son argent ailleurs et dont la fortune dépend des fluctuations des marchés est tout de même problématique.

—Sophie McBainPublié le 13 mai

OUI

Des investisseurs indispensables—London Evening Standard Londres

Selon le premier classement des hyper-riches publié par le Sunday Times, Londres compte 72 milliardaires,

soit 24 de plus que Moscou (48), sa plus proche rivale mondiale, 29 de plus que New York (43), sa plus proche rivale amé-ricaine, et quatre fois plus que Paris (18), sa plus proche rivale d’Europe de l’Ouest. La ville abrite près d’un dixième des mil-liardaires de la planète.

On reproche aux milliardaires de tirer les prix vers le haut, en particulier ceux de l’immobilier, de creuser les inégalités et de contraindre les gens ordinaires à quitter la

NON

Des fortunes trop volatiles—New Statesman (extraits)Londres

D ’après le Sunday Times, 100 mil-liardaires vivent au Royaume-Uni. Ce qui veut dire que le pays a la

plus forte concentration de milliardaires par habitant. Et peut-être n’y voyez-vous aucun mal. Ces milliardaires réinjectent sans doute une partie de leur fortune dans l’économie : ils font leurs courses chez Harrods, achètent des biens immo-biliers, envoient leurs enfants dans des écoles privées et donnent généreuse-ment aux fondations culturelles. Une partie de cet argent pourrait même se retrouver dans notre poche. Et puis on a beau être scandalisé par les inégalités sociales, faut-il vraiment se tourmen-ter pour une petite centaine de super-riches ? La réponse est oui.

Leur nombre prouve que notre fis-calité est à revoir. Contrairement aux Etats-Unis, à la Chine et à l’Inde, ces milliardaires ne sont pas des créations maison, puisque nous les importons (deux tiers sont d’origine étrangère). Il n’y a pas que les multinationales comme Amazon et Starbucks qui répartissent leurs affaires dans de nombreux pays pour payer moins d’impôts, aujourd’hui être milliardaire au Royaume-Uni est fiscalement très avantageux. Il suffit de demander le statut fiscal de non- domicilié (non-dom en jargon comptable) et vous n’aurez qu’à vous acquitter d’un forfait de 30 000 livres [37 000 euros] en guise d’impôt sur l’ensemble de vos revenus acquis en dehors du Royaume-Uni (ou 50 000 livres [61 500 euros] si vous vivez au Royaume-Uni depuis plus de douze ans).

Les riches non-dom sont en partie res-ponsables de la flambée des prix du loge-ment dans le centre de Londres. Certes, ces milliardaires dépensent une partie de leur argent au Royaume-Uni : ils ont des domestiques, font vivre les boutiques de Bond Street et les galeries d’art, et fré-quentent les meilleurs restaurants et clubs de la capitale. Et pourtant l’em-ploi dans ces secteurs reste précaire. Comme l’écrivait Robert Frank en 2011 dans son ouvrage The High-Beta Rich, les

CONTROVERSE

Faut-il aimer les milliardaires ?Londres est devenue la capitale des plus grosses fortunes du monde, devant Moscou, New York et Paris. Une nouvelle qui divise la presse anglaise.

capitale. Le seul problème de cette analyse, c’est qu’elle est fausse. Regardons les chiffres de plus près. Les milliardaires ne représen-tent que 0,000 008 % de la population lon-donienne. Si riche soit-elle, une proportion aussi infime d’habitants ne peut être res-ponsable de l’appauvrissement de tous les autres. En fait, si les milliardaires appau-vrissent des gens, ce sont des pairs. Sans doute est-ce à cause d’eux que les prix des maisons culminent à plus de 20 millions de livres [plus de 24,6 millions d’euros] dans les quartiers de Knightsbridge, Kensington, Belgravia et Chelsea, mais ces niveaux n’ont guère d’effet sur les prix immobiliers dans les secteurs où vit le Londonien moyen. Les hausses de prix dans les quartiers plus populaires résultent de l’accroissement de la demande (quelque 100 000 personnes s’installent à Londres chaque année, un record dans l’histoire de la capitale) et de la pénurie de nouvelles constructions : Londres a besoin de 40 000 nouveaux logements par an et nous n’en construi-sons même pas la moitié.

Qui plus est, loin d’être à l’origine de la crise immobilière, beaucoup de mil-liardaires contribuent à la régler. C’est ainsi que des magnats asiatiques et arabes financent le réaménagement de Stratford et du village olympique dans l’est de la ville, de London Bridge et du nouveau district du Shard sur la rive sud de la Tamise, du Crystal Palace au sud, et du site de l’an-cienne centrale électrique de Battersea. La valeur totale de leurs investissements se monte à 50 milliards de livres [61,5 mil-liards d’euros] et ils construisent plus de 20 000 logements par an. La plupart de ces habitations ont un prix abordable, condition requise pour obtenir les permis de construire.

On accuse aussi les milliardaires d’évasion fiscale. Pour certains, ce reproche est fondé, mais on ne peut les en blâmer, c’est le gou-vernement qui est responsable d’une fisca-lité bancale. Les autres paient des sommes exorbitantes. Pour les six dernières années, John Caudwell, le fondateur de Phones 4u, a déboursé 255 millions de livres d’impôt sur le revenu [314 millions d’euros], ce qui en fait le plus gros contribuable individuel britannique.

Les milliardaires paient également d’énormes montants en droits de muta-tion. Durant les exercices 2012 et 2013, les ventes de résidences principales dans les quartiers de Westminster, Kensington et Chelsea ont généré 708 millions de livres de droits [868 millions d’euros], soit 73 mil-lions de livres [89,8 millions d’euros] de plus que le montant cumulé de ceux de l’Irlande du Nord, du pays de Galles, des régions du Nord-Est et du Nord-Ouest, du Yorkshire et du Humber.

Deux études récentes révèlent par ail-leurs que les dépenses courantes des mil-liardaires contribuent pour une bonne part à l’économie du pays. Le cabinet Ramidus Consulting et le groupe Stonehage, spécia-lisé dans la gestion de fortune, estiment que les hyper-riches dépensent quelque 16 mil-liards de livres [19,6 milliards d’euros] par an en Grande-Bretagne, dont les deux tiers à Londres.

Il y a une génération, les riches repré-sentaient une espèce en voie de dispari-tion. Aujourd’hui, Londres est devenue un centre d’affaires mondial, ce qui est une bonne nouvelle non seulement pour les milliardaires, mais aussi pour le reste de la population.

—John ArlidgePublié le 12 mai

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14. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

Inde. La génération qui adule Narendra Modi Avec le triomphe des nationalistes hindous aux élections, le pays écrit une nouvelle page de son histoire. Les jeunes urbains, quelle que soit leur caste, ont voté en masse pour le nouvel homme fort de Delhi.

s’est trompé du tout au tout, moi le premier. Nous venons de vivre un moment historique et non pas une simple élection. Ainsi, il est temps de se demander ce qu’il s’est réel-lement passé. Comment expliquer que Narendra Modi fasse l’objet d’une adoration et d’une popula-rité inédites depuis Indira Gandhi [Première ministre de 1966 à 1977, puis de 1980 à 1984] ?

Dans les petites villes et les vil-lages, les plus fervents adeptes de Narendra Modi sont de jeunes hommes qui ne savent que faire de leur colère. Ils représentent l’explosion démographique qu’a connue le nord de l’Inde et ils n’ont aucun souvenir de 1984 [l’assas-sinat d’Indira Gandhi et les mas-sacres de sikhs qui ont suivi], voire de 1991 [date des réformes écono-miques, entre autres]. Le pays a cependant enfin pris conscience de leur existence : il était certain que ces jeunes entreraient dans l’histoire indienne, comme tous les baby-boomers – les Etats-Unis en sont un bon exemple.

Promesses. Narendra Modi s’adresse à ces jeunes hommes comme personne ne l’avait jamais fait. Il évoque une Inde sans chô-mage, un fléau qui aurait déjà dis-paru de l’Etat du Gujarat [qu’il a dirigé de 2001 à 2014]. Il évoque une Inde si intimidante que la Chine et le Pakistan n’oseraient plus s’y opposer. Les jeunes sont persuadés que, si Narendra Modi peut tenir tête aux médias, il saura terrifier le géant chinois. Il évoque une Inde où la population n’aura plus envie d’aller aux Etats-Unis, car ce sont les Américains qui rêveront de venir en Inde. Il a su vendre ces rêves et l’électorat a été conquis. Aucun mythe d’une telle ampleur n’avait été fabriqué sur le sous-continent indien depuis Indira Gandhi et son programme de lutte contre la pauvreté, inti-tulé Garibi Hatao. Narendra Modi détient la majorité et le mandat de ses rêves. S’il s’avère incapable de tenir ses promesses au cours des prochaines années, son échec ne décevra pas seulement quelques électeurs : il rendra furieux une génération entière qui est déjà insatisfaite.

Les jeunes hommes impatients des métropoles tentaculaires ne sont pas les seuls à placer leurs espoirs en Narendra Modi. Dans les villes plus petites, les membres de castes intermédiaires et même certains intouchables rêvent d’une nouvelle vie. A leurs yeux, Narendra

Moyen-Orient ..... 18Amériques ........ 22Afrique .......... 25Europe ........... 27France ........... 29

d’uncontinentà l’autre.asie

—Business Standard Bombay

Il arrive des moments où l’histoire d’un pays bascule. Le 16 mai 2014, l’Inde a viré

à droite avec bien plus de force et de vitesse que quiconque ne l’avait imaginé. C’est une victoire spec-taculaire à tous points de vue et toutes époques confondues. Depuis 1984, aucun parti n’avait obtenu une majorité absolue à la Lok Sabha [Chambre basse du Parlement indien]. Ces résultats sont toute-fois doublement spectaculaires et décisifs en raison de la nature du scrutin et de l’homme qui en est sorti vainqueur. En effet, il s’agit là de la victoire d’un seul homme, Narendra Modi, cela ne fait aucun doute : un homme particulièrement doué pour les affaires publiques a compris exactement ce que son électorat voulait entendre et le lui a accordé. Si c’était juste un vote sanction à l’encontre du parti du Congrès, pourquoi le Bahujan Samaj Party (BSP, parti des intou-chables) a-t-il essuyé un échec cui-sant dans l’Uttar Pradesh [Etat le plus peuplé du pays, situé dans le Nord] ? pourquoi le Bharatiya Janata Party (BJP, parti nationa-liste hindou) est-il arrivé en deu-xième place dans les districts sud et nord de Calcutta [alors qu’il y est peu implanté] ?

Historique. Il est bien pratique et facile de supposer que le phé-nomène Narendra Modi est tem-poraire – une illusion aisément justifiable par le dégoût général qu’ont suscité les quelques confé-rences de presse arrogantes du parti du Congrès, l’amateurisme vénal des partis régionaux et la comédie de l’Aam Aadmi Party (AAP, Parti de l’homme ordinaire). Non. Nous vivons un moment his-torique : l’ampleur et la nature de la victoire indiquent que nous ne sommes pas confrontés à l’oppo-sition ordinaire que subissent les gouvernements sortants. Narendra Modi s’est emparé d’un parti qui aurait été comblé d’obtenir 180 sièges [sur 543 au total] et il en a fait le parti majoritaire [avec 282 sièges]. En 2013, lorsque le site Internet Mission 272 [sièges] a été lancé, je m’en suis allègre-ment moqué, comme quasiment tout le monde. Et tout le monde

Les plus fervents adeptes : des jeunes hommes en colère

↙ Un partisan de Modi laisse un message de soutien au QG du BJP à Delhi le jour du dépouillement. Photo Adnan Abidi/Reuters

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ASIE.Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014 15

New Delhi New Delhi

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Elections législatives indiennes

600 kmNB : l’Inde inclutl’ensemble du Cachemiredans ses cartes officielles.

20142009

Circonscriptions électorales gagnées par :

le parti du Congrès et ses alliésautres

le BJP et ses alliés

Le prochain Parlement indien, la 16e Lok Sabha, comptera 543 députés. Le BJP a obtenu à lui seul, à l’issue de plus de cinq semaines de scrutin, une confortable majorité absolue avec 282 sièges, tandis que le parti du Congrès essuie une défaite retentissante avec seulement 44 sièges. Ce raz de marée safran doit cependant être nuancé. Le scrutin est uninominal à un tour, ce qui signifie qu’il suffit qu’un candidat ait une seule voix de plus que ses concurrents pour l’emporter. Le BJP a en fait remporté 31 % des votes exprimés. C’est, en pourcentage de voix, le score le plus bas pour un parti majoritaire au Parlement depuis 1967, même si, en nombre de sièges, la victoire est la plus importante depuis 1984.

Modi incarne quelque chose – une volonté de puissance, peut-être – qui transcende les origines. Il leur certifie que leur présent sordide pourrait se transformer en un avenir glorieux – car cet avenir existe déjà dans le glorieux Etat qu’est le Gujarat [d’après Modi et ses partisans]. Et ce n’est pas qu’une question d’emplois, comme certains veulent le faire croire : c’est aussi une question d’estime de soi, comme lors de chaque raz de marée électoral. Pour nombre de ces jeunes hommes, avoir été dirigé pendant dix ans par une jeune fille au pair née en Italie (Sonia Gandhi) et un vieillard bafouillant (Manmohan Singh) est une pro-fonde humiliation nationale et une atteinte à leur machisme. Un tel affront ne pouvait être effacé qu’en élisant l’homme qui a exprimé leur mépris avec le plus de vigueur.

Il ne faut pas non plus oublier une génération entière de jeunes citadins inf luents qui appar-tiennent aux castes supérieures et à la classe moyenne. Ces jeunes détestent la modération et ils esti-ment que Narendra Modi est le seul dirigeant qui ne soit pas cor-rompu par les politiques identi-taires, car l’hindouisme n’est pas à leurs yeux juste une identité religieuse [mais un mode de vie]. Ces jeunes se félicitent discrète-ment du fait qu’il y aura moins de musulmans que jamais au sein de

la prochaine Lok Sabha. Ces jeunes sont convaincus que leur Etat ne défend pas leurs intérêts, mais ceux des populations anonymes des campagnes. Ces jeunes refusent d’accepter un scénario qui nie à l’Inde un passé aussi inven-tif que la Chine ou aussi glorieux que l’Egypte. Ces jeunes pensent que Narendra Modi subit la haine des libéraux, mais ils n’admettent pas que les musulmans soient haïs à Ahmedabad [la capitale économique du Gujarat]. Pour ces jeunes, le parti du Congrès ne sera plus désormais qu’une plaisanterie : la jeunesse actuelle n’a pas connu les luttes du passé, mais seule-ment les blagues ridiculisant Rahul Gandhi [l’héritier de la dynas-tie Nehru-Gandhi, qui a mené le parti du Congrès aux élections] sur Internet.

Ces jeunes n’ont jamais vu de gouvernement majoritaire au sein de la Lok Sabha. Ils n’ont pas peur d’avoir un dirigeant puissant, c’est au contraire ce qu’ils espèrent. Pour certains d’entre nous, il est difficile d’accepter le futur Premier ministre à cause des émeutes de 2002, à la suite desquelles il a mini-misé les violences [qu’il a orches-trées et qui ont fait des milliers de victimes musulmanes] et s’en

est pris aux médias qui les avaient exposées. Pour ses sympathisants, en revanche, ces choix incarnent précisément la définition de la fer-meté. Tous les pontes de la classe

dirigeante de gauche ont déjà déclaré que l’Inde sortirait

indemne de l’ouragan Modi. Ils ont peut-être raison. Le pays sur-vivra-t-il toutefois à Narendra Modi et à la

génération qui l’adule ? Rien n’est moins sûr.

—Mihir S. SharmaPublié le 16 mai

qu’il considère comme des étran-gers et des envahisseurs.

Fier de son 1,42 mètre de tour de poitrine, Modi a remplacé le mahatma Gandhi, l’icône de la non-violence, par Vivekananda, qui avait remis l’hindouisme à l’hon-neur au xixe siècle et voulait à tout prix que les Indiens deviennent une nation “virile”. Par ailleurs, il se présente comme un humble vendeur de thé [de basse caste], un fils de la terre décidé à défier la dynastie arrogante du Congrès. Son bilan de ministre en chef [du Gujarat] se caractérise avant tout par le transfert, par privatisation ou don pur et simple, des ressources nationales aux plus grandes entre-prises du pays. Ses alliés les plus proches, c’est-à-dire les plus grands hommes d’affaires d’Inde, ont donc engagé leurs médias grand public dans le culte de Modi et louent ses talents de gestionnaire. Les jour-nalistes dissidents ont été licen-ciés ou réduits au silence.

Séduction. Peu après le pogrom antimusulman de 2002 [orchestré par Modi et son administration au Gujarat], le premier à grande échelle qu’ait connu l’Inde, cer-tains grands patrons indiens, par exemple le suave Ratan Tata et Mukesh Ambani, qui possède une résidence de 27 étages, ont com-mencé à paver la voie pour favoriser l’ascension de Modi à la respecta-bilité et au pouvoir. Les stars de Bollywood sont tombées à ses pieds – littéralement. Depuis quelques mois, chroniqueurs et journalistes progressistes se joignent à leurs compatriotes de droite pour cer-tifier qu’il est un “modéré” sou-cieux de développement.

Modi mélange en permanence les dates et les événements histo-riques, et affiche une ignorance abyssale du passé du pays, qu’il espère conduire vers un avenir glorieux. Et il combine révision-nisme historique et nationalisme hindou avec futurisme révolution-naire. Il sait que ce sont les senti-ments, les images et les symboles – Vivekananda ainsi que des holo-grammes et des masques à son effigie – plus que les arguments rationnels ou l’exactitude historique qui galvanisent les individus. Modi esthétise la vie politique de masse et fascine les jeunes, il est l’artiste le plus malin de l’Inde nouvelle.

Il ressemble aux démagogues européens et japonais du début du xxe siècle qui réagissaient aux nom-breuses crises du libéralisme et de la démocratie – et aux reculs

—The Guardian (extraits) Londres

M odi est membre depuis toujours du Rashtriya Swayamsevak Sangh

(RSS), une organisation natio-naliste hindoue paramilitaire qui s’inspire des mouvements fascistes d’Europe et dont le fondateur était convaincu que l’Allemagne nazie avait fait preuve d’une “extrême fierté raciale” en éliminant les Juifs, une conviction qui n’a rien d’ex-ceptionnel parmi les partisans de l’hindutva [littéralement “hin-douité”, nom de l’idéologie extré-miste hindoue]. C’est un ancien membre du RSS qui a assassiné Gandhi en 1948 pour sa tolérance vis-à-vis des musulmans. Cette organisation, qui est dominée par des hindous de caste supérieure, a mené de nombreuses attaques contre les minorités. Un homme célèbre pour avoir tué des dizaines de musulmans dans le Gujarat en 2002 s’est vanté d’avoir ouvert le ventre d’une femme enceinte avec son épée et d’en avoir extrait le fœtus. Modi lui-même a qualifié les camps qui abritent des dizaines de milliers de musulmans dépla-cés de “centres de reproduction”.

C’est ce discours qui lui a permis de remporter scrutin après scrutin dans le Gujarat. Dans les dépêches publiées par WikiLeaks, un diplo-mate américain le décrit comme “une personne méfiante, étroite d’es-prit”, qui “règne par la peur et l’inti-midation”. Ses partisans répandent en permanence les vapeurs nocives de la haine et de la méchanceté sur Facebook et Twitter, et accusent leurs ennemis d’être des “terro-ristes”, “djihadistes”, “agents pakis-tanais”, “pseudo-laïcs”, “laïcards”, “socialistes” et “cocos”. Modi a tou-tefois adopté une stratégie électo-rale plus policée pour viser le poste de Premier ministre, même s’il appelle plus ou moins ouvertement à la solidarité hindoue contre ceux

Le dangereux nouvel homme fort de l’Inde

Cet autocrate extrémiste et ultralibéral attise les haines, galvanise les foules et courtise les milieux d’affaires.

SOURCE

BUSINESS STANDARDBombay, IndeQuotidienLe deuxième grand quotidien économique indien, fondé en 1975, est connu pour le sérieux de ses analyses économiques et politiques. Il publie aussi plusieurs éditions régionales. De grandes personnalités signent régulièrement dans ses colonnes.

↓ Dessin de Taylor Jones, Etats-Unis.

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ASIE16. no 1229 du 22 au 27 mai 2014

franceculture.fr

en partenariat avec

—Outlook New Delhi

L’élection d’un nouveau gouvernement en Inde est le fruit d’un proces-

sus démocratique si gigantesque qu’il impose le respect. Et la cri-tique n’est pas une tâche facile, plus encore si ces critiques anti-cipent sur l’avenir. Et pourtant il y a de bonnes raisons de s’in-quiéter. Commençons par cette promesse de développement ressassée à longueur de cam-pagne et l’enthousiasme déli-rant suscitée par le modèle du Gujarat [Etat que Narendra Modi a dirigé de 2001 à 2014] auprès des classes moyennes et des élites. Rappelons que cet Etat a toujours été l’un des plus entreprenants et les plus prospères du pays. Et que, ces dix dernières années, même à l’aune simpliste de la croissance économique, les Etats du Maharashtra, du Bihar et du

Tamil Nadu ont fait mieux que le Gujarat. Par ailleurs, la crois-sance économique n’est pas le seul indice de la réussite d’un pays, puisqu’un grand nombre d’Indiens sont encore exclus de cette croissance et connaissent de nombreuses diffi cultés. Comment pourront-ils se faire entendre dans un modèle économique où les grandes entreprises dicteront leur loi ? Quelle sera la priorité accordée aux mesures sociales indispensables aux plus défavo-risés ? Et ce développement sera-t-il vraiment pour tous ?

On nous demande de ne pas ressasser le passé en évoquant le carnage de 2002 [pogroms antimusulmans perpétrés par l’administration de Modi dans le

Gujarat] ! Sans exiger un mini-mum de remords, de regrets ou de compassion à l’égard de ceux dont les cicatrices sont encore à vif, c’est surtout la montée inquiétante des préjugés et de leur légitimité qui m’inquiète. Car le discours empreint de religio-sité relayé tout au long de la cam-pagne révèle que, sous couvert du développement, c’est surtout la division qui est mise en avant. Les discours d’Amit Shah [bras droit et directeur de campagne de Modi] à Muzaff arnagar [ville où ont été orchestrées des émeutes intercommunautaires à visée élec-toraliste en septembre dernier], le refus de Modi de porter une calotte [musulmane], alors qu’il a porté toutes sortes de couvre-chef durant la campagne, la demande de Pravin Togadia [dirigeant nationaliste hindou] de sortir les musulmans des “zones hin-doues” n’augurent rien de bon.

Mais ma plus grande inquié-tude pour l’instant concerne la liberté d’expression. Notre démo-cratie fonctionne parce qu’il y a de la place pour les diff érences, une place qui permet aux gens de changer d’avis et de gouver-nement et d’exprimer leur désac-cord de manière démocratique. Le Bharatiya Janata Party [BJP, Parti du peuple hindou, formation nationaliste désormais au pouvoir] et ses partisans ont toujours été prompts à faire taire les critiques

Une ombre plane sur les libertésUn actrice engagée parle de ses craintes pour la minorité musulmane et pour la liberté d’expression des artistes et des journalistes sous l’ère Modi.

de la construction étatique et de la modernisation – en fusion-nant le pouvoir économique et le pouvoir politique, et en exhortant à l’unité devant les menaces inté-rieures et extérieures. Cependant Modi appartient aussi aux jours sombres du début du xxie siècle.

Les nouveaux horizons de désir et de peur ouverts par le capita-lisme mondialisé ne favorisent assurément pas la démocratie ni les droits de l’homme. Les hommes forts qui ont supervisé les purges sanglantes de peuples économi-quement aff aiblis et improductifs étaient également des “majori-tariens” impitoyables consacrés par des triomphes électoraux. Les régimes de Thaksin Shinawatra en Thaïlande et de Vladimir Poutine en Russie ont été inaugurés par des off ensives féroces contre les minorités ethniques. Le pogrom du Gujarat, si bénéfi que sur le plan électoral, apparaît aujourd’hui comme un premier rite d’initia-tion pour l’Inde de Modi.

—Pankaj Mishra*Publié le 16 mai

* Romancier et essayiste indien.

Un discours empreint de religiosité

en pratiquant la censure et l’in-timidation. Personnellement, j’ai beaucoup souff ert lors de la sortie du fi lm Fire [réalisé par Deepa Mehta en 1996, il évoque les vio-lences faites aux femmes et l’ho-mosexualité] et lors du tournage de Water [réalisé par Deepa Mehta en 2005, il dénonce le sort des veuves hindoues]. Mais je n’avais jamais imaginé qu’inviter les élec-teurs à voter pour des partis laïcs m’attirerait autant les foudres des partisans de Modi qu’un déluge de tweets désobligeants comme “Prends ton gosse et va vivre au Pakistan !” dont le message impli-cite faisait froid dans le dos.

Menaces. En 2008, j’ai réalisé Firaaq, un long-métrage qui décri-vaient comment les gens ordi-naires avaient vécu les suites du carnage du Gujarat. Sans dési-gner personne en particulier, ce fi lm était clairement un plaidoyer contre la violence. Et si j’ai reçu de nombreuses félicitations et autres encouragements, j’ai également été vivement critiquée par ceux qui avaient choisi d’en faire une lecture plus partiale. Pour justi-fi er l’accueil glacial reçu par le fi lm, on m’a expliqué que c’était à cause de l’imminence des élec-tions [législatives de 2009]. Le fi lm est tout de même sorti. Mais si je devais le réaliser aujourd’hui, même après les élections et la vic-toire des nationalistes hindous, ma tâche serait sans doute plus compliquée. Aujourd’hui, en tant qu’artiste, je me sens plus vulné-rable et plus menacée que jamais. Pour la première fois, j’ai le sen-timent que les médias s’autocen-surent et marchent sur des oeufs, ce qui laisse présager le pire. Je m’attends à un silence assour-dissant et à une grande solitude de ceux qui oseront dire non. J’espère que c’est seulement le fruit de mon imagination.

—Nandita Das*Publié le 26 mai

* Actrice et réalisatrice, Nandita Das milite contre les discriminations.

A la une

PROPAGANDE Le dernier numéro de l’hebdomadaire Open chante les louanges de Narendra Modi et salue “le triomphe de la volonté”, titre du plus célèbre fi lm de propagande nazi. Cette référence sans doute inconsciente refl ète le changement en cours dans la rédaction. En pleine campagne électorale, le chef du service politique d’Open avait été licencié par les actionnaires pour ses positons trop critiques envers le BJP. Le rédacteur en chef avait ensuite donné sa démission.

↙ Le lendemain de la victoire de son parti aux législatives, Narendra Modi est allé prier sur les bords du Gange. Photo Kevin Frayer/Getty Images/AFP

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18. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

—Al-Araby Al-Jadid Londres

Le maréchal [Abdelfattah Al-Sissi] flotte dans les habits de feu son pré-

décesseur Gamal Abdel Nasser [président nationaliste égyptien, 1956-1970]. L’impression de ridi-cule, et même d’absurde, est à la mesure de la distance qui sépare le drame de la farce, selon l’expres-sion de Karl Marx. On ramasse les débris du passé pour les coller à Sissi en tant qu’emblèmes de gloire et faire de lui une nouvelle fi gure de légende. Exactement comme lors de l’alliance du sabre et du goupillon avec Napoléon III, l’au-teur du coup de force contre les valeurs de la Révolution française.

Dans le cas égyptien, cette alliance tripartite s’élargit aux hommes d’aff aires égyptiens. Eux aussi veulent raviver les braises du passé. Pourtant, les hommes de religion et ceux des aff aires nourrissaient une franche hosti-lité contre la dictature de Nasser. Aujourd’hui, ils la mettent sous le boisseau afi n de s’assurer le confort que seule une nouvelle dictature peut leur procurer.

Sacralité. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre des discours venus tout droit des années 1950 et 1960, pour vanter les vertus d’une dictature de ce troisième millénaire. On parle de lui [Sissi] comme du “nouveau zaïm [chef incontesté] nécessaire”. Et pour faire passer cette idée on entoure “l’ancien zaïm” [Nasser] d’un halo de sacralité et on eff ace toutes ses erreurs et défaites.

En réalité, Sissi n’est ni Nasser ni Sadate [1970-1981], mais seu-lement Moubarak, dans toute sa splendeur. A savoir un mendiant qui parcourt les allées de la poli-tique internationale en off rant ses services à qui veut bien l’aider à se maintenir au pouvoir afi n d’y perpétuer ad aeternam le règne de l’arbitraire et de la corruption.

Sous le nouveau maréchal tout autant qu’à l’époque de Moubarak,

cela veut dire off rir ses services en tant que gendarme régional, en parfaite conformité avec l’agenda américano-israélien pour la région. Cela ne va pas plus loin que “la guerre contre le terrorisme” et “le contrôle des soubresauts régionaux afi n d’assurer la sécurité d’Israël”.

Alors que cette réalité saute aux yeux, il y en a qui persistent à le présenter comme le zaïm d’une puissance régionale, voire mon-diale, dominante. Pour compléter le tableau, on dirait qu’ils vou-draient ressusciter Nehru, Tito et Khrouchtchev.

C’est le même scénario qui s’est joué en France lors du coup d’Etat de 1851, à propos duquel Karl Marx écrivait, dans son livre Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte : “La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et, même quand ils semblent occupés à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c’est précisément à ces époques qu’ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu’ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d’ordre, leurs cos-tumes, pour apparaître sur la nouvelle scène de l’histoire sous ce déguise-ment respectable.”

On dirait que Marx a voulu décrire la situation de l’Egypte d’aujourd’hui, pays où précisément on essaie de ressusciter un héroïque passé [nassérien] d’outre-tombe.

—Waël QandilPublié le 28 avril

Egypte. Des élections contre la démocratie

Un an après le coup d’Etat militaire qui a évincé le président islamiste Mohamed Morsi, les Egyptiens sont appelés aux urnes les 26 et 27 mai pour élire un nouveau président.

La victoire de l’homme fort, le maréchal Abdelfattah Al-Sissi, semble acquise.

FOCUS

moyen-orient Le maréchal

Sissi BonaparteAu-delà de la terminologie nationaliste chère au candidat-militaire, son élection perpétuera le règne de l’arbitraire et de la corruption.

↙ Dessin d’Andeel, Egypte.

SOURCE

AL-ARABY AL-JADIDLondres, Royaume-UniSite panarabewww.alaraby.co.ukFondé en 2014 à Londres, le site du “Nouvel Arabe” est fi nancé par le Qatar et dirigé par l’ancien député arabe israélien Azmi Bishara, devenu le conseiller du nouvel émir. Il fera partie d’un grand empire médiatique en construction.

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MOYEN-ORIENT.Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014 19

Sissi échouera. Quand il aura échoué, nous devrons convaincre ses partisans que la solution consiste à condamner la dicta-ture, et non pas à chercher un dictateur de remplacement dans l’espoir que celui-ci réussira là où tous les autres avant lui ont échoué.

—Tamer Abou ArabPublié le 13 mai

la priorité des médias devrait être de rassembler l’opinion publique derrière “l’objectif stratégique” que constitue la “préservation de l’Etat égyptien”.

“Je crains qu’en pratiquant [la démocratie] nous ne parvenions pas à retrouver la nation”, a-t-il déclaré à vingt responsables des principaux journaux du pays. Difficile d’igno-rer les nombreux commentaires du candidat défendant la néces-sité d’un profond “recalibrage” social dans le but de sauver l’Etat. Difficile également d’ignorer son attitude face à une future oppo-sition lorsqu’il déclare si habile-ment pouvoir la “tolérer”, et non “l’accepter”.

De l’autre côté, un candidat issu de la société civile, Hamdine Sabahi, homme à la longue car-rière politique, mène campagne sur les thématiques révolutionnaires pour attirer les jeunes Egyptiens, les révolutionnaires et tous les citoyens soucieux des droits et des libertés en Egypte. Sabahi a également insisté sur son inten-tion de “déclarer la guerre” à la pauvreté, un message qui trouve un certain écho auprès d’une caté-gorie de la population. Après l'un de ses entretiens sur la chaîne Rotana Masryia, une Egyptienne a déclaré qu’elle le soutenait parce qu’il serait “aux côtés des pauvres”. Sabahi sera toutefois confronté à d’énormes obstacles. Le candidat est également handicapé par des moyens financiers limités et une campagne de faible envergure. Reste que c’est un homme poli-tique habile qui a su présenter sa candidature comme une alterna-tive crédible à celle de Sissi.

“Nos peurs”. Les interventions télévisées de Sissi ont en outre poussé de nombreux militants décidés à boycotter les élections à revoir leurs positions et à procla-mer leur soutien à Sabahi. “Sabahi nous parle de nos rêves les plus chers alors que Sissi exploite nos peurs”, m’a confié un ami du Caire.

Les bonnes prestations de Sabahi lui ont incontestablement fait gagner des partisans, ce que le camp adverse ne doit pas voir d’un bon œil. Sissi pourrait toute-fois être plus soucieux de sa légiti-mité que de son score électoral. Il souhaite se présenter au reste du monde comme le dirigeant légitime de l’Egypte. Il pourrait donc s’ac-commoder d’un résultat inférieur à 90 % des suffrages, et une vic-toire avec 70 % des voix ne serait pas une mauvaise nouvelle.

Morsi avait déclaré qu’il serait impitoyable avec les fouloul [figures de l’ancien régime], tandis que Chafik promettait d’en finir avec les révolutionnaires et leurs mani-festations à répétition. Après la victoire de Morsi au second tour, Chafik s’est senti tellement en danger qu’il s’est enfui aux Emirats arabes unis.

Depuis, Morsi a été contraint de quitter le pouvoir. Ses propres partisans l’ont assommé de cri-tiques, non pas à cause de son échec dans la gestion des affaires publiques, mais pour ne pas avoir écrasé l’adversaire avant que celui-ci ne l’écrase.

Aujourd’hui, des millions d’Egyp-tiens se félicitent que Sissi ait dit qu’après son élection “il n’y [aurait] plus de Frères musulmans”. Personne ne lui a demandé comment il comp-tait faire disparaître des centaines de milliers de personnes de la sur-face du globe. Les Egyptiens savent que ce n’est possible qu’en répri-mant et en tuant. Une perspective qui leur paraît acceptable.

“Il n’y aura plus de ‘dirigeants religieux’. Le seul responsable de ce qui se passe dans le pays, y com-pris au niveau religieux, est le chef d’Etat. Je me présente devant les gens et je leur dis : c’est moi le res-ponsable des valeurs, des principes, des mœurs et de la religion.”

Dictature . C’est ce que Sissi a dit lors de l’entretien qu'il a accordé à la chaîne de télévision SkyNews. Dans ce même entretien, il a montré que la jeunesse révolutionnaire était le cadet de ses soucis. Cette jeunesse précisément lui ressortira cette phrase et s’égosillera à son sujet sur les réseaux sociaux. Mais, si les partisans de Sissi apprennent qu’il s’occupera des menus détails de leur pratique religieuse, établira des interdits et punira les outre-cuidants, ils n’en seront peut-être que plus fervents encore.

Nous perdons notre temps à donner l’alerte contre le risque de dictature. C’est précisément ce que les adeptes de Sissi sou-haitent. Ce n’est pas contre Sissi qu’il faut mener bataille, mais contre le phénomène populaire consistant à renoncer à ses droits économiques et politiques au profit d’un candidat qui promet d’effa-cer l’adversaire politique.

—Al-Masri Al-Youm Le Caire

M on père est un fervent soutien du maréchal Abdelfattah Al-Sissi. Il

trouve que c’est la personne qu’il faut au moment et à la place qu’il faut. Il croit qu’il est capable de réformer l’économie, de rétablir la sécurité, de ramener les touristes et d’en finir avec le terrorisme. Il ne me comprend pas quand je lui parle de mes craintes d’une nouvelle dictature, avec tous les rouages de l’Etat à sa disposition et la plupart des forces politiques d’opposition prêtes à se coucher devant lui. A la fin il me demande toujours de modérer mes critiques, par souci, dit-il, de ménager mon avenir et celui de mes enfants.

Mon père sait que Sissi est un dictateur potentiel. Mais il s’en accommode car il croit que le pays retrouvera plus rapidement la stabilité s’il est gouverné par un “mâle”, c’est-à-dire quelqu’un qui sache se faire respecter. Je com-prends mon père, mais lui ne me comprend pas. Comme moi, il veut vivre dans la dignité, mais il n’a pas la même conception que moi de la dignité. Et moi je souhaite comme lui la stabilité, mais je ne me fais pas la même idée que lui de la stabilité.

Pendant longtemps je pensais que le mot “dictateur” faisait peur et que tout candidat à une élection devait s’en distancier. Il s’avère que ce mot passe désormais pour valorisant et que le candidat [Sissi] cherche à se l’attribuer.

Lors de la précédente élection présidentielle [juin 2012], plu-sieurs candidats réformateurs défendaient les idées d’Etat de droit, de libertés et de droits de l’homme. Mais au premier tour les électeurs ont préféré les deux candidats les plus intransigeants, c’est-à-dire d’un côté le candidat des Frères musulmans Mohamed Morsi, de l’autre celui de l’ancien régime Ahmed Chafik [23,66 %].

—Al-Monitor (extraits) Washington

La campagne pour l’élection présidentielle en Egypte a officiellement démarré et

les candidats, Abdelfattah Al-Sissi et Hamdine Sabahi, se pressent sur les plateaux des émissions politiques. La prestation télévisée des deux candidats a modifié leur image auprès de certains électeurs et déclenché un signal d’alarme chez d’autres. De manière géné-rale, ils ont rendu l’issue du scru-tin plus incertaine. Nombreux sont ceux qui jugeaient vaine la candi-dature de Sabahi et se demandent à présent s’il ne pourrait pas en effet rassembler un nombre important d’électeurs. Reste à savoir quel pourcentage de voix il parvien-dra à obtenir.

La scène politique égyptienne est mouvante, pour ne pas dire agitée, et rend difficile toute anticipation des résultats de l’élection. Au bout du compte, les interventions télé-visées des deux candidats ont eu l’effet de coups de projecteur et placent les électeurs devant une alternative clairement déterminée.

D’un côté, un ancien chef mili-taire, aux tendances incontestable-ment autocratiques, bat le rappel au nom du salut de l’Etat, arguant que l’Egypte ne peut pas se per-mettre de flirter avec le chaos. Sissi a répété à plusieurs reprises que la pratique des libertés devait être ajustée en fonction des pro-blèmes de sécurité nationale et que

Le “président mâle”Donner l’alerte contre le risque de dictature est une perte de temps, car des millions d'Egyptiens y aspirent.

Le “petit candidat” Sabahi

Le score du candidat opposé au maréchal Al-Sissi déterminera les chances d’émergence d'une opposition civile.

Bio express

ABDELFATTAH AL-SISSINé en 1954 au Caire, Abdelfattah Al-Sissi est un militaire de carrière qui a fait ses études dans les académies militaires britanniques et américaines. Il commence sa carrière militaire dans l’infanterie. Le “printemps égyptien” le met sur le devant de la scène politique. Il devient en 2012 ministre de la Défense et commandant des forces armées, puis en 2013 vice-Premier ministre, et du coup passe du grade de général à celui de maréchal. Il est le candidat favori à l’élection présidentielle.

HAMDINE SABAHINé en 1954, Hamdine Sabahi, l’unique candidat civil à l’élection présidentielle, se présente comme un homme politique et poète égyptien. Son opposition aux régimes de Sadate puis de Moubarak lui a valu dix-sept séjours en prison. Nassérien (nationaliste antioccidental), il a fondé en 1996 le Parti de la dignité. En 2011, il a soutenu la révolution et s'est porté candidat à l’élection présidentielle de 2012, où il est arrivé au premier tour en troisième position.

Ces élections ne seront peut-être pas aussi ouvertes que cer-tains pouvaient l’espérer, mais au moins seront-elles probable-ment libres. Leur issue sera un bon indicateur de la solidité du mandat dont disposera le prochain président égyptien. Sabahi reste un petit candidat et Sissi sortira peut-être vainqueur de cette élec-tion, mais plus Sabahi obtiendra un score élevé, plus l’opposition civile sera solide demain.

—Nervana MahmoudPublié 12 mai

“C’est moi le responsable des valeurs, des mœurs et de la religion”

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MOYEN-ORIENT FOCUS ÉGYPTE.20. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

—Al-Shourouk (extraits) Le Caire

Une des choses embarras-santes, dans cette élection, est l’absence de pro-

gramme. Certes, Hamdine Sabahi a annoncé, avant même le début de la campagne officielle et en contravention aux règles édictées par le Haut Comité électoral, qu’il allait détailler son programme. De même, [le maréchal] Abdelfattah Al-Sissi parle beaucoup de son pro-gramme, et entre dans les détails... [évoquant comme réponse aux coupures d’électricité l’utilisation] des ampoules basse consomma-tion. Mais la campagne touche à sa fin et les électeurs ne dis-posent toujours pas d’une ver-sion [des programmes] en bonne et due forme.

Des conseillers politiques de Sabahi ont déclaré qu’ils avaient achevé la rédaction de son pro-gramme. Mais où est-il donc ? L’un d’eux a même parlé, dans une émis-sion télévisée, de son “volet écono-mique”. Quand la présentatrice lui en a demandé une copie, il a répondu que celui-ci serait dis-ponible dans les quarante-huit heures. Dix jours plus tard, j’ai demandé à mon tour de pouvoir le consulter, ce qui m’a valu la colère de l’équipe de campagne, qui m’a expliqué que le projet politique de Sabahi était suffisamment clair. Quand j’ai exprimé mon étonne-ment de ne pas pouvoir le consul-ter, on m’a répondu qu’il n’était pas encore imprimé. Finalement j’ai appris qu’il existait bel et bien, puisqu’on me l’a envoyé sous forme de courriel. C’est un document de quatre-vingts pages, mais dont tout le monde ignore l’existence et qui n’est donc pas disponible pour les électeurs.

Chez le candidat Sissi, la situa-tion est des plus étranges, elle est même choquante. En effet, le

—Now. Beyrouth

Le chef du renseignement ég y pt ien, Moha med Tohami, puis le ministre

des Affaires étrangères, Nabil Fahmi, se sont récemment rendus à Washington. A l’automne der-nier, les Etats-Unis avaient gelé une partie de leur aide au Caire en raison de l’affligeant bilan du gouvernement égyptien dans le

Y a-t-il un programme dans cette campagne ?

Les deux candidats ont trouvé tous les prétextes pour ne pas présenter leur programme aux électeurs.

L’indulgence américaineAlors que Sissi ne cesse d’attaquer les Etats-Unis, Washington a toujours cédé aux desiderata de l’armée égyptienne.

porte-parole officiel de la cam-pagne a déclaré que le candidat Sissi se contenterait d’exposer son programme à travers ses interven-tions dans les médias. En revanche, si on devait l’imprimer, il faudrait consacrer trop de temps à répondre aux questions qu’il risquerait de soulever. Comment le candidat le mieux placé peut-il prendre pré-texte de ses chances de gagner pour justifier cette “discrétion” à propos de son programme ?

L’attitude des deux candidats est totalement incompréhensible. C’est contraire à toutes les règles de transparence.

—Amr KhafaguiPublié le 12 mai

domaine des droits de l’homme. Aujourd’hui, Washington débloque 300 millions de dollars et lève son interdiction sur les livraisons de matériel militaire lourd.

Bien que la situation des droits de l’homme en Egypte ne se soit pas améliorée, Washington a donc cédé. Cette concession pour-rait toutefois ne pas suffire au nouvel homme fort de l’Egypte, Abdelfattah Al-Sissi, qui soutient que les relations bilatérales ne pourront pas redevenir normales tant que les Etats-Unis n’auront pas présenté des excuses. Mais des excuses pour quoi exactement ?

Depuis février 2011, Washington a rarement pris position vis-à-vis de l’Egypte sans avoir préalable-ment consulté l’armée égyptienne. Ainsi, la Maison-Blanche n’a poussé le président Hosni Moubarak à démissionner que quand les géné-raux ont ordonné au vice-prési-dent Omar Suleiman de lire un communiqué – vraisemblable-ment de Moubarak – annonçant son retrait.

Les relations des Etats-Unis avec le président [islamiste déchu] Mohamed Morsi passaient par son ministre de la Défense, le maré-chal Al-Sissi. Quand ce dernier a évincé Morsi, les Etats-Unis n’ont pas parlé de coup d’Etat : ils ont préféré éluder la question en disant que l’affaire était en cours d’exa-men. Le sous-secrétaire d’Etat William Burns a été le premier haut diplomate américain à se rendre au Caire et à rencontrer le gouvernement [intérimaire] mis en place par Sissi.

De son côté, le maréchal a lancé une campagne populiste

contre les Etats-Unis en accu-sant Washington de prendre parti pour les islamistes “terro-ristes”. A l’heure où il s’apprête à monter sur le trône égyptien [être élu président], il se présente comme l’homme qui a réussi à forcer la main des Américains, une manœuvre populiste à laquelle des démagogues comme Poutine aiment se livrer. A l’instar de Poutine, Sissi se dit probablement qu’en dirigeant la haine contre les Etats-Unis, il détourne la colère populaire des faiblesses de son gouvernement, y compris dans le domaine des droits de l’homme.

Les principaux intérêts de Washington en Egypte sont défi-nis en ces termes : le gouverne-ment égyptien garantit la sécurité des frontières du pays avec Israël, veille à ce que le canal de Suez reste ouvert et accorde aux Etats-Unis le droit de survoler le territoire. En contrepartie, l’Egypte reçoit près de 2 milliards de dollars d’aide par an, la majeure partie sous forme de matériel militaire lourd.

Droits de l’homme. Comme les différents gouvernements égyp-tiens ont toujours exaucé les vœux de Washington, les Etats-Unis se sont abstenus d’intervenir dans les conflits politiques internes de l’Egypte. De temps à autre, ils ont rappelé aux autorités égyptiennes les atteintes aux droits de l’homme commises dans leur pays. Mais

personne, au Caire, ne prend plus Washington au sérieux.

Le maréchal Al-Sissi tient tou-tefois à ce que les Etats-Unis cau-tionnent pleinement sa version des événements survenus depuis juin dernier [le coup d’Etat contre le président Morsi] : seuls 15 % des 55 millions d’électeurs égyptiens ont accordé leur suffrage à Morsi, ce qui a conféré aux Frères musul-mans une majorité parlementaire.

C’est pourquoi, en juin 2013, des millions d’Egyptiens ont envahi la place Tahrir pour réclamer la démission de Morsi. Sissi ne pouvait qu’écouter ces “reven-dications populaires” et jeter Morsi en prison. Le maréchal et ses partisans soutiennent qu’un rassemblement peut l’empor-ter sur la voix des urnes. Ils en veulent pour preuve le renverse-ment de Moubarak. Mais l’élec-tion de ce dernier n’a jamais été validée par de respectables orga-nisations internationales comme la Fondation Cartier, qui a certifié la régularité de l’élection de Morsi et du dernier scrutin parlementaire.

Quand le mince argument de la légitimité populaire vole en éclats, les chargés de communication de Sissi à Washington ressortent l’un des plus vieux arguments des régimes autoritaires arabes : la sta-bilité. Mais si la stabilité l’emporte sur la démocratie, alors pourquoi avoir pris parti pour le renverse-ment de Bachar El-Assad en Syrie, de Muammar Kadhafi en Libye et même de Moubarak ?

Démographie. L’argumentation de Sissi est encore moins convain-cante quand il fait valoir que l’Egypte peut prêter main-forte à d’autres pays de la région. Depuis des décennies, Le Caire n’a aucune influence régionale. Les experts chargés de redorer le blason du maréchal mettent alors en avant la “bombe à retardement démogra-phique” de l’Egypte. L’un de ses chargés de communication a ainsi fait valoir que la population égyp-tienne, de 94 millions d’habitants, augmentait de 1 million par an et que le pays allait avoir besoin d’un taux de croissance d’au moins 7 % pour pouvoir assurer un nombre d’emplois suffisant.

Les Etats-Unis paient pour assurer leurs intérêts en Egypte, mais n’ont pas besoin de flatter l’ego de militaires mégalomanes ni de souscrire à leur version des événements.

—Hussain Abdul-HussainPublié le 28 avril

↓ Dessin d’Andeel paru dans Mada Masr, Le Caire.

Personne, au Caire, ne prend plus Washington au sérieux

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ENQUÊTE

22. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

Etroitement lié à la CIA, Haji Gulalai a fait torturer des centaines de prisonniers en Afghanistan. Il vit aujourd’hui aux Etats-Unis. Exfi ltré par les services américains ?

—The Washington Post (extraits) Washington

En Afghanistan, sa seule présence suffi sait à faire trembler les prisonniers.

Des centaines d’individus incarcé-rés par son agence de renseigne-ments étaient battus, torturés à l’électricité ou soumis à d’autres mauvais traitements. Certains auraient disparu. Puis Haji Gulalai a fi ni, lui aussi, par disparaître.

Gulalai a dirigé les services de renseignement afghans à Kandahar après l’invasion améri-caine de 2001, puis il a été nommé à la tête de la section des déten-tions et des interrogatoires. Après 2009, sa trace se perd.

Du fait de sa réputation de brutalité, on souhaitait dans les deux camps voir disparaître Gulalai. Par deux fois au moins, les talibans ont essayé de l’élimi-ner. Malgré ses liens avec la CIA et le président afghan, Hamid Karzai, de hauts fonctionnaires

des Nations unies et des parte-naires de la coalition américaine cherchaient à le mettre au pas ou à le faire évincer.

Aujourd’hui, Gulalai habite une maison en stuc rose à la périphé-rie de Los Angeles. On ne sait pas très bien comment il a fi ni par se retrouver aux Etats-Unis. Des responsables afghans et d’anciens collègues de Gulalai affi rment que ses rela-tions aux Etats-Unis – et l’inquié-tude grandissante au sujet de sa sécurité – expliquent son éton-nante réinstallation.

Mais la CIA se défend d’avoir joué le moindre rôle dans le départ de Gulalai. Des responsables du Département d’Etat et du minis-tère de la Sécurité intérieure se sont refusés, au nom de la pro-tection de sa vie privée, à tout commentaire concernant son transfert ou son statut vis-à-vis des services d’immigration.

A l’heure où les Etats-Unis s’ap-prêtent eux aussi à quitter l’Afgha-nistan, l’aff aire Gulalai soulève des questions critiques quant à ce désengagement. Que vont devenir les milliers d’Afghans qui veulent

partir dans les bagages des Américains ? Et comment les institu-tions mises en place par les Etats-Unis – en particulier la Direction nationale de la sécu-rité (NDS), le service de

renseignements afghan – vont-elles traiter ceux qui restent au pays ?

Malgré ses lourds antécé-dents de violations des droits de l’homme, Gulalai a pu fran-chir les barrières de l’immigra-tion imposées aux Afghans dont le travail pour les Etats-Unis fai-sait des cibles potentielles des talibans. Bon nombre d’entre eux ont été refoulés à la frontière pour des raisons de sécurité secrète-ment soulevées par des agences de renseignements américaines.

Depuis sa fondation, la NDS dépend de la CIA, à tel point qu’il s’agit presque d’une fi liale – fondée, entraînée et équipée par la maison mère. Dans ce partenariat, Gulalai était réputé pour son effi cacité mais jugé dangereux. Il était un féroce adversaire des talibans et un parfait représentant des méthodes employées par la NDS.

“C’est le tortionnaire en chef”, assure un haut diplomate occiden-tal qui a rencontré un prisonnier dans un centre de la NDS à Kaboul pour enquêter sur la manière dont il avait été traité. Lors de l’entre-tien, Gulalai est entré sans s’an-noncer. Le détenu est devenu agité et a baissé la tête en signe de sou-mission. “Il était terrorisé.”

Des responsables américains affi rment que la CIA a pris des mesures pour enrayer les abus de la NDS, notamment en sensi-bilisant ses agents aux droits de l’homme et en incitant l’agence à permettre l’accès des locaux au Comité international de la Croix-Rouge et à d’autres organismes de contrôle. Mais, même après le départ de Gulalai, des rapports de l’ONU ont conclu que les pri-sonniers faisaient fréquemment l’objet de mauvais traitements.

Gulalai, la petite soixantaine, vit dans une maison de location, dans la banlieue de Los Angeles, où la chaleur sèche et les collines dénudées aux alentours rappellent Kandahar. Devant la maison, le jardin est entouré d’une haute palissade au portail verrouillé. A l’arrière, Gulalai fait pousser des agrumes.

Gulalai, dont le vrai nom est Kamal Achakzai, partage la maison avec plusieurs membres de sa famille, dont sa femme et ses enfants. “Ils restent entre eux,

assure un voisin. Ils ne nous parlent pas, à part pour dire bonjour.”

En Californie du Sud, Gulalai est entouré d’un réseau d’Afghans, qu’il connaît parfois depuis l’en-fance. “Nous nous voyons tous les week-ends, nous jouons aux cartes”, assure Bashir Wasifi , qui a fré-quenté la même école que Gulalai à Kandahar dans les années 1960, avant de s’installer aux Etats-Unis en 1979.

Diffi culté d’adaptation. Wasifi affi rme que Gulalai est arrivé sans prévenir avec une bonne dizaine de proches il y a quelques années, après le meurtre de deux de ses frères et de l’un de ses fi ls par les talibans. Les circonstances de ce voyage ont convaincu cer-tains Afghans que Gulalai avait reçu une aide spéciale des Etats-Unis. “Il a été amené ici par votre gouvernement”, assure Wasifi .

Gulalai a eu du mal à s’adapter. Il n’a pas d’emploi et parle mal l’an-glais. On ne sait pas de quoi vit sa famille, même si ses amis et ses proches assurent que les fi ls de Gulalai travaillent et que la famille possède des biens en Afghanistan.

Wasifi assure que Gulalai a renoncé à la violence liée à son ancien mode de vie et qu’il tente de tirer le meilleur parti de sa nouvelle situation. “Son rôle était ingrat, il devait faire des choses cruelles, mais dans le fond il n’est pas comme ça, affi rme Wasifi . Il a traqué Al-Qaida pendant dix ans. On n’en ressort pas indemne.”

Etats-Unis. Le tortionnaire afghan réfugiéà Los Angeles

amériques

Aujourd’hui, Gulalai habite une maison en stuc rose à la périphérie de Los Angeles.

↓ Dessin de Medi, Albanie.

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AMÉRIQUES.Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014 23

Après les attentats du 11 sep-tembre 2001, Gulalai faisait partie d’un groupe de Pachtounes recru-tés par la CIA pour aider l’agence, ainsi que certaines équipes des forces spéciales, à s’emparer de Kandahar, fi ef des talibans. Gulalai avait grandi dans cette ville, entouré de combattants émi-nents qui, avec l’aide de la CIA, avaient entrepris de chasser les Soviétiques d’Afghanistan. Parmi ces combattants, bon nombre ont rallié les talibans ou sont deve-nus de hauts responsables dans le gouvernement Karzai.

Gul Agha Sherzai, un ancien camarade de classe de Gulalai, l’appelait “le gamin le plus dur de l’école”. Sherzai, candidat à la présidence de l’Afghanistan, a pris la tête de l’off ensive pour reprendre Kandahar en 2001. Quand il a été nommé gouver-neur de la province, un an plus tard, il a confi é à son ami Gulalai les fonctions de sécurité et de renseignement. A l’époque, la CIA essayait de bricoler un ser-vice de renseignements national qui puisse protéger les autorités afghanes contre les menaces inté-rieures tout en débusquant les agents d’Al-Qaida.

Les séances de formation por-taient, entre autres, sur les lois contre la torture. “Cette partie de la formation était obligatoire”, sou-ligne un ancien responsable du renseignement américain. Mais dans le même temps la CIA amé-nageait des prisons secrètes où les suspects d’Al-Qaida subis-saient des tortures, notamment la simulation de noyade. En 2002, dans l’un des centres de déten-tion afghans de l’agence, connu sous le nom de Salt Pit [la mine de sel], un prisonnier est mort de froid après avoir été aspergé d’eau

et laissé seul jusqu’au lendemain.La NDS est devenue une extension de la CIA. Forte de 20 000 sala-riés, elle s’est dotée d’un réseau de dizaines de prisons. Dans une guerre qui a fi ni par se résumer à une escalade d’incursions et d’arrestations, la NDS est deve-nue un rouage essentiel de la sécurité. Ses centres de déten-tion comptaient des milliers de prisonniers capturés par la CIA, l’armée américaine et les forces de la coalition.

L’antenne de la NDS à Kandahar était une destination privilégiée pour de tels “arrivages” : il y avait une grande prison près de l’aéro-port de Kandahar ainsi que des cellules d’interrogatoire clandes-tines dans des quartiers résiden-tiels, à en croire d’anciens détenus et des responsables occidentaux.

Un haut responsable afghan qui a travaillé pour la NDS assure que Gulalai s’est servi de ses préro-gatives pour régler des comptes tribaux et enrichir son clan. Des armes saisies par la NDS ont été envoyées dans un dépôt d’armes de Gulistan, la ville natale de Gulalai. Les familles étaient obligées de payer une rançon pour obtenir la libération d’un prisonnier. “Il les torturait et leur extorquait de l’argent”, précise ce responsable.

Les défenseurs de Gulalai affi r-ment que son travail titanesque et dangereux – sécuriser une pro-vince qui avait servi pendant des années de base d’opérations aux talibans et à Al-Qaida – exigeait qu’il soit impitoyable. Sherzai,

l’ancien gouverneur de Kandahar, nie les accusations portées contre son chef du renseignement. “C’était un homme fort, très cou-rageux, assure-t-il. Il n’a torturé personne. Il était sous mes ordres et je ne l’aurais pas laissé faire une chose pareille.”

En 2005, Gulalai avait sur-vécu à plusieurs tentatives d’as-sassinat et les autorités faisaient l’objet de pressions croissantes pour obtenir son éviction. Par deux fois, des fonctionnaires de l’ONU ont convaincu Amrullah Saleh, alors à la tête de la NDS, de donner des ordres pour limo-ger Gulalai. Mais ces ordres ont à chaque fois été annulés à la suite de pressions ethniques.

Loin d’être renvoyé, Gulalai a été promu au quartier général de la NDS, à Kaboul, et s’est vu confi er la section des enquêtes de l’agence, connue sous le nom de “département 17”. Ce poste lui donnait autorité sur la principale prison de la NDS à Kaboul, vers laquelle des prisonniers de tout le pays étaient envoyés pour des détentions de longue durée. Des plaintes pour mauvais traitements ont commencé à apparaître.

Tortures systématiques. Une note secrète diff usée parmi de hauts responsables de l’ONU et des diplomates occidentaux, fi n 2007, dénonçait les tortures “sys-tématiques” pratiquées par la NDS et désignait Gulalai comme prin-cipal responsable.

“Il participait personnellement à des séances de tabassage assi-milables à des actes de tortures, il faisait arrêter des suspects illégale-ment et arbitrairement, et les arres-tations ne faisaient l’objet d’aucun contrôle”, affi rmait la note, qui évoquait aussi des “disparitions”. Parmi les méthodes de Gulalai, la note cite “des coups de bâton assé-nés jusqu’au sang, des privations de sommeil pouvant aller jusqu’à treize jours, de longues séances pen-dant lesquelles le supplicié est atta-ché au plafond par des menottes et des chaînes”. Le traitement le plus dur était réservé aux “prisonniers spéciaux” de Gulalai, ceux qui étaient suspectés d’avoir parti-cipé à des attentats contre sa famille ou son clan.

Finalement, face au danger grandissant auquel lui et sa famille étaient exposés, Gulalai a orga-nisé son départ. En mars 2007, il a échappé de justesse à un atten-tat suicide près de l’entrée d’une importante mosquée de Kaboul.

Le mois dernier, dans une brève interview téléphonique, le fi ls de Gulalai, Raqib Achakzai, a expli-qué que sa famille avait été obli-gée de fuir. “Ils ont tué mes cousins et quatre de mes oncles, c’est pour cela que nous sommes venus ici”, déclare Achakzai, qui travaille aujourd’hui comme sous-trai-tant pour l’armée américaine en Caroline du Nord. Mais il a refusé d’entrer dans les détails du départ de sa famille d’Afghanistan.

La CIA nie toute implication dans la fuite de Gulalai. “La CIA n’a joué aucun rôle dans la réins-tallation de Haji Gulalai aux Etats-Unis”, a déclaré le porte-parole de l’agence, Dean Boyd. Le droit d’asile est destiné à assurer un refuge sûr aux étrangers suscep-tibles d’être arrêtés, torturés ou tués s’ils rentrent dans leur pays. Mais la loi américaine interdit d’accorder l’asile à des personnes qui en ont persécuté d’autres.

Tandis que Gulalai s’habituait à sa nouvelle vie en Californie du Sud, les Nations unies et d’autres organismes internationaux se lançaient dans une enquête plus approfondie sur les sévices infl igés aux prisonniers par la NDS, ainsi que par l’armée et la police afghanes. En 2011 et 2013, la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan a publié des rapports fondés sur des interviews de centaines de pri-sonniers. Il en ressort que la NDS pratiquait la torture à l’échelle de tout le pays et en particulier sur cinq sites, dont Kandahar, où les deux tiers des prisonniers inter-rogés disent avoir été “systémati-quement torturés”. Ces rapports, publiés dix ans après le début de la guerre, ont entraîné des réformes importantes, quoique tardives.

Gulalai est retourné plusieurs fois en Afghanistan ces derniers mois pour y vendre des biens immobiliers, selon des membres de sa famille. S’ils ont eff ective-ment eu lieu, ces voyages vont à l’encontre de l’idée selon laquelle l’Afghanistan serait devenu trop dangereux pour lui. De quoi com-pliquer sa demande d’asile.

Des Afghans qui ont travaillé pour l’armée américaine ou des agences américaines, notamment comme interprètes ou agents de sécurité, ont saturé de demandes le service chargé de traiter un pro-gramme de visas spéciaux pour les Etats-Unis. Ils cherchaient à quitter le pays avant le départ des forces américaines. Le départe-ment d’Etat a accordé des visas

à environ 3 000 Afghans dans le cadre de ce programme, assure une porte-parole. Mais pas moins de 5 000 autres sont maintenant en concurrence sur moitié moins de créneaux.

Wasifi affirme que Gulalai a obtenu un statut de résident per-manent aux Etats-Unis l’année dernière et qu’il a entrepris des démarches pour obtenir la natio-nalité américaine. Les accusations portées contre lui, aux dires de Wasifi , ne devraient pas y faire obstacle.

“Les Etats-Unis n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes, estime ce dernier. S’il a fait du tort à la société, c’est votre faute. C’est vous qui l’avez nommé à ce poste. La NDS n’exis-tait pas avant. Vous l’avez créée. Si vous occupez un pays, c’est vous qui êtes responsables.”

—Greg Miller, Julie Tate et Joshua Partlow

Publié le 29 avril

●●● La totalité des troupes américaines vont-elles être retirées d’Afghanistan avant le 31 décembre 2014, date de la fi n de la mission de combat de l’Otan dans le pays, mettant fi n à treize ans de guerre ? La Maison-Blanche semble de plus en plus privilégier cette voie en l’absence de signature d’un nouveau traité de sécurité avecles autorités afghanes, qui aurait permis de laisser quelques milliers de soldats stationnés dans le pays en 2015. Il reste actuellement 51 000 soldats de l’Otan en Afghanistan, dont 33 000 Américains. La CIA a également annoncé la fermeture de l’ensemble de ses stations provinciales en Afghanistan pour le début de l’été et son recentrage sur la région de Kaboul. Washington pourrait cependant tenter de négocier un nouveau traité de sécurité avec le successeur du président Hamid Karzai, qui sera désigné le 14 juin, lors du second tour de l’élection présidentielle afghane.

Contexte

Tabassages, supplices, disparitionsfaisaient partie de ses méthodes

↑ Haji Gulalai (à droite avec des lunettes) aux côtés du président afghan Hamid Karzai, à Kandahar en août 2002. Photo Thomas Van Houtryve/AP-Sipa

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AMÉRIQUES24. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

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pour la première fois depuis 1994, date à laquelle il en avait fait l’axe principal de sa politique de lutte contre la drogue, l’Etat colombien envisage désormais l’épandage de puissants herbicides comme “une possibilité envisageable dans les cas les plus extrêmes”.

Ces avancées ont été obtenues au terme du troisième volet des pourparlers de La Havane [qui en comprennent six], signé vendredi 16 mai entre le gouvernement de Bogotá et les Farc, qui ouvre une nouvelle perspective : celle de la collaboration de la principale orga-nisation clandestine colombienne dans la lutte contre le narcotrafi c.

Or la guérilla est un acteur de premier plan du marché de la drogue en Colombie, grâce à sa pré-sence dans les principales enclaves productrices de coca mais aussi parce que plusieurs de ses fronts (ceux du Sud-Ouest, mais aussi les fronts du Meta, du Guaviare, du Chocó et du Catatumbo) sont totalement engagés dans le trafi c.

La Colombie produit chaque année quelque 300 tonnes de

—El Tiempo (extraits) Bogotá

Pour la première fois depuis 1993, date à laquelle l’orga-nisation avait décidé d’ex-

ploiter au maximum le trafi c de drogue pour fi nancer la multipli-cation de ses fronts, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) viennent d’an-noncer publiquement leur volonté de “mettre fi n à tous les liens de la rébellion avec ce phénomène”. Et

cocaïne. Et les Farc auraient la mainmise sur au moins la moitié de ce marché, aux stades les plus avancés de la chaîne : élabora-tion de la pâte de base à partir des feuilles de coca, gestion des routes de transit, vente aux trafi -quants locaux et contacts avec les cartels mexicains (surtout celui du Sinaloa).

Selon Daniel Mejía, directeur du Centre sur la sécurité à l’université des Andes, le narcotrafi c rapporte-rait aux Farc environ 2,5 milliards de dollars par an, soit la moitié du “chiff re d’aff aires” que réalise en Colombie cette activité illégale.

L’accord de La Havane insiste par ailleurs sur la nécessité de renfor-cer les politiques de développement et d’accentuer leurs volets régional et local, d’intensifi er la lutte contre la corruption dans les institutions de l’Etat noyautées par le narco-trafi c, de réformer voire d’enrichir la réglementation permettant de combattre le trafi c, mais aussi de dépénaliser les maillons les plus faibles de la chaîne (consomma-teurs et cultivateurs).

Le point sur lequel le gouver-nement colombien se montre le plus souple, la fumigation, est subordonné à la participa-tion [des Farc] au déminage des champs, criblés de mines antipersonnel.

Car la fumigation ne sera plus l’axe principal de la politique de lutte antidrogue, c’est un point clé de ces derniers accords. Depuis 1994, quelque 1,9 million d’hectares de coca ont été asper-gés de pesticides. Cette stratégie polémique a néanmoins permis de réduire la superfi cie des plan-tations de 75 % depuis la fi n des années 1990 : de 200 000 hec-tares de coca il y a quinze ans, on est passé à 50 000 aujourd’hui.

L’ancien vice-ministre Farid Benavides rappelle que “les rap-ports de l’ONU montrent que le replantage est plus limité dans les zones où parviennent l’Etat et les services publics, et au contraire plus important là où l’Etat ne montre que sa face répressive”.

—Jhon Jairo TorresPublié le 17 mai

COLOMBIE

La guérilla renonce au narcotraficLe gouvernement et les Farc viennent de signer un accord décisif pour le processus de paix.

●●● “Fait sans précédent”, selon Semana, à dix jours du premier tour de l’élection présidentielle du 25 mai, les Farc et l’ELN, la deuxième guérilla colombienne, ont annoncé un cessez-le feu unilatéral du 20 au 28 mai. Les deux favoris des sondages, l’actuel président Juan Manuel Santos (droite) et le dauphin de l’ex-président Alvaro Uribe, Oscar Zuluaga (encore plus à droite), s’aff rontent dans une campagne très virulente. Santos a misé sa réélection surles négociations de paix, tandis qu’Alvaro Uribe et Oscar Zuluaga sont au cœur d’un scandale d’écoutes illégales visant à saboter le processus de paix.

Contexte

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Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014 25

—El-Watan (extraits) Alger

Les réseaux de rencontres pour les musulmans connaissent un grand

succès sur le Net. De nombreux Algériens et Algériennes se sont laissé tenter, espérant trouver, si Dieu le veut, l’âme sœur sur la Toile. “Vous êtes musulman et vous recherchez un musulman ou une musulmane pour un mariage musulman.” Là, au moins, il n’est pas possible de se tromper : la récurrence des mots “islam”, “valeurs” et “traditions” est suffisamment distillée dans les pages du site Meetarabic pour attirer des jeunes qui cherchent l’âme sœur sans offenser leurs principes.

Ces sites à consonance maghré-bine font f lorès sur la Toile. Ils portent des noms tels que InchAllah, Mektoube, Lehlel [le

halal], Muslima, Meetarabic. Le design est moderne et le discours est simple : tous promettent aux célibataires de leur faire rencon-trer la perle rare afin de parta-ger leur vie dans “le respect de la religion et des valeurs ethniques communes”.

Des slogans sur mesure. “Sur les autres sites, on ne trouve pas les profils recherchés, il y a beau-coup de plaisantins. Là au moins il y a des gens sérieux, des Algériens et des Maghrébins avec lesquels nous avons beaucoup de choses en commun”, nous explique Naïma, 27 ans, célibataire. Inscrite sur le site InchAllah.com depuis près de deux mois, elle n’a pas encore trouvé l’amour. “Je ne désespère pas”, dit-elle avec un grand sourire.

C’est que, sur ce genre de sites, il est d’usage de mentionner ses

recherchent. Nous ne faisons que leur apporter notre aide avec un lieu sécurisé facilitant l’échange. Notre participation s’arrête ici, le reste c’est le destin !”

Sur la Toile, la concurrence est rude et le nombre de sites de rencontres spécialisés est croissant. Le site InchAllah.com, à en croire Nissaf Hajaj, 37 ans, directeur de la société Cajis, qui l’édite, revendique pas moins de 2,5 millions de membres depuis sa création, en 2010. Il compte environ 300 000 ins-crits en Algérie et 600 000 ins-criptions émanant d’Algériens. Les concepteurs du site insistent sur le fait que l’islam auquel ils adhèrent n’est point celui qui est “instrumentalisé de part et d’autre, politisé ou même com-mercialisé”. L’explosion des sites religieux ne répondrait aucu-nement, d’après Nissaf Hajaj, à une “explication sociologique”. “Il s’agit simplement, dit-il, d’une ten-dance de fond observée sur le web, qui tend à la spécialisation des sites. On l’observe aisément sur les sites d’e-commerce, qui se spécia-lisent fortement. Les sites de ser-vices n’échappent pas à cette règle et on voit apparaître des sites pour toutes les religions et, plus globale-ment, pour toutes les convictions (religieuse, politique…).”

Derrière l’aspect religieux, le business reprend vite ses droits. Le site Muslima.com est géré par Cupid Media, leader internatio-nal des sites de rencontres, basé en Australie. L’entreprise pos-sède pas moins de trente-cinq sites de niches, dont un site de rencontres pour les parents céli-bataires, un pour les chrétiens et un pour les Noirs.

—Amel BlidiPublié le 8 mai

Algérie. Le business de l’amour halalMeetarabic, InchAllah, Mektoube ou Muslima : les sites de rencontres islamisés se multiplient sur la Toile et sont très sollicités dans les pays du Maghreb.

préférences, ses hobbys, mais aussi son rapport à la religion. Certains sites, à l’exemple d’e-Moqabala [e-Rencontre], qui doit être mis en ligne très bientôt, soumettent un questionnaire à leurs inscrits pour savoir s’ils ont recours à l’usure [illicite selon les préceptes de l’islam], s’ils pra-tiquent la zakat [l’“aumône” ; le premier sens de la zakat, qui est le troisième pilier de l’islam, est la “purification”] ou s’ils ont déjà consommé un verre d’alcool.

Le visage encadré par un fou-lard bariolé, la jeune assistante de direction nous confie : “Je ne m’imagine pas épouser un homme

qui ne fait pas la prière, c’est mon principal critère de sélection.” Les sites de rencontres dits musul-mans prennent ainsi le soin d’éla-borer des slogans sur mesure. Lehlel.com proclame qu’il s’agit d’un site réservé aux “relations sérieuses et halal”.

“Notre volonté première”, dit Rachid Dhimane, gérant de Lehlel.com, “est de permettre à des per-sonnes de faire des rencontres, et ce dans le respect de valeurs com-munes. Effectivement, la religion fait partie des critères de certains inscrits et notre équipe d’admi-nistrateurs veille au quotidien à ce que certaines règles et bonnes mœurs soient strictement respec-tées. Ainsi, toutes les annonces et photos sont visionnées une par une avant d’être publiées. En cas d’an-nonces suspectes ou de photos dou-teuses, Lehlel.com se réserve le droit de refuser l’inscription.”

Spécialisation. L’idée de créer un site communautaire dédié à la recherche de l’âme sœur lui est venue en observant son entou-rage. “Je me suis rendu compte, dit-il, que l’on était loin de l’époque de nos parents, où l’on pouvait ren-contrer son mari ou sa femme à 18 ans, échanger quelques mots et se marier dans les mois qui sui-vaient. Aujourd’hui, les personnes de ma tranche d’âge, les 25-35 ans, finissent leurs études de plus en plus tard, pensent davantage à leurs loi-sirs, à s’amuser, à voyager.”

“Beaucoup de personnes dans mon entourage me disent ne pas savoir où rencontrer des per-sonnes de confession musulmane qui répondent à tous leurs critères, dans un cadre sécurisé, sans que cela prenne des années”, explique-t-il, précisant que les Algériens ou les émigrés d’origine algérienne pré-sents sur le site Lehlel.com repré-sentent environ 35 % des inscrits.

“Le point commun à toutes ces personnes est qu’elles ont toutes des critères bien définis. Autrement dit, elles savent ce qu’elles veulent et surtout ce qu’elles ne veulent pas. Certains sont attirés par les grands, d’autres par les petits. Certains apprécient les bruns, d’autres les blonds”, explique Rachid Dhimane en réfutant l’appellation “site communau-taire”. “L’origine et la communauté auxquelles appartiennent les ins-crits ne sont que des critères parmi d’autres. Il ne faut pas voir dans notre site autre chose qu’un lieu per-mettant la rencontre de personnes qui savent déjà très bien ce qu’elles

afrique

Les annonces et les photos sont visionnées une par une

“L’origine et la communauté ne sont que des critères parmi d’autres”

ARCHIVES courrierinternational.com

“Tunisie : les sex-shops halal, un créneau porteur”, l’article du site tunisien Leaders.

“Algérie : femmes de Noirs”, le reportage du quotidien algérien El-Watan.

↙  Dessin de Damien Glez, Ouagadougou.

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AFRIQUE26. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

—Le Pays (extraits) Ouagadougou

F rançois Hollande mène une fois de plus, comme au Mali et en Centrafrique,

le bon combat. C’est tout à son honneur et à celui de son pays, la France. Certes, en étant de toutes les batailles pour la sécu-rité en Afrique, la France défend d’une manière ou d’une autre ses propres intérêts. Mais c’est tout à l’honneur d’un Etat de savoir aussi défendre ses intérêts avec, qui plus est, la possibilité de sauver des vies

NIGERIA

Boko Haram : une faillite africaineIl aura fallu le sommet du 17 mai à Paris, convoqué par François Hollande, pour que les chefs d’Etat de la région réagissent à la menace du groupe islamiste.

humaines là où le laxisme et l’in-capacité des dirigeants africains se sont révélés au grand jour. Car, il faut bien l’avouer, cette gran-deur de la France contraste bien avec la faillite morale dont font preuve les chefs d’Etat africains [le sommet du 17 mai a réuni les pré-sidents nigérian, tchadien, came-rounais, nigérien et béninois, et des représentants des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de l’Union européenne].

Comme le dit la sagesse de chez nous, “la chèvre qui mord le visiteur indésirable aura humilié le chien”

en palliant sa défaillance. C’est une énième humiliation. En eff et, les présidents africains ainsi que l’Union africaine (UA) et ses orga-nisations sous-régionales brillent par leur absence du débat. Même la Communauté économique du déve-loppement des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), dont le siège est à Abuja, au Nigeria, n’a pas eu une réaction à la hauteur du crime de Boko Haram [près de 300 ly –céennes, enlevées le 14 avril et le 4 mai, sont détenues par ce groupe].

Indiff érence. Comment l’Afrique peut-elle espérer être prise au sérieux quand elle se montre inca-pable ne serait-ce que de crier son indignation quand ses enfants tombent entre les griff es de tels fous ? Car ce qui indigne dans cette aff aire, c’est moins le fait de man-quer de moyens et d’expertise pour combattre avec effi cacité le terro-risme que celui de ne pas daigner lever le petit doigt, tenter quelque chose pour ramener les enfants dans leurs familles, quitte à deman-der le soutien du reste du monde.

Le président nigérian, Goodluck Jonathan, incarne aujourd’hui le symbole de cette faillite morale. Il aura pris tout son temps pour avouer son impuissance et appe-ler à l’aide. Car il a fallu que des femmes sonnent la révolte pour l’arracher à sa torpeur.

C’est bien là le malheur de cette Afrique qui ne manque jamais l’occasion de montrer au reste du monde qu’elle demeure une “mineure” qui n’a pas encore le sens des responsabilités. Cette Afrique-là se caractérise essen-tiellement par deux défauts.

Le premier est le manque d’ini-tiative. Aujourd’hui, l’Afrique n’a plus de visionnaires à la tête de ses Etats. Par conséquent, elle est toujours surprise par les événe-ments et ne tire presque jamais de leçon de ce qui arrive dans l’un ou l’autre de ses Etats. Le deuxième défaut est l’indiff érence des chefs d’Etat africains quant au sort de leurs compatriotes. Ils se font un malin plaisir à exploiter la misère et l’ignorance des peuples, occu-pés qu’ils sont à “régner”. C’est

cette indiff érence que l’on perçoit à travers la banalisation de la vie humaine et le refus de respecter l’âme de leur Etat, la Constitution.

Société civile. A l’opposé de leurs homologues occidentaux qui ne ménagent aucun eff ort quand un seul de leurs compatriotes est en danger, les chefs d’Etat africains, dans leur écrasante majorité, ne se remuent que si leur fauteuil est menacé. Il faut espérer que l’indi-gnation et la mobilisation tous azi-muts permettront de sonner le glas de Boko Haram, qui aura prouvé par cet acte toute sa barbarie.

Il est, du reste, heureux que des voix se soient élevées des profondeurs de l’Islam, avec la sortie d’autorités musulmanes, pour condamner avec la dernière énergie le fondamentalisme de ces terroristes. La société civile afri-caine doit elle aussi se réveiller. Il lui appartient de combler le vide béant laissé par les chefs d’Etat dans la défense des intérêts des populations.—

Publié le 15 mai

Page 27: Courrier 20140522 courrier full 20140606 093312

Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014 27

↙ Dessin de Kazanevsky, Ukraine.

Ukraine. Un scrutin pour sortir de la criseL’Est doit trouver sa place au sein d’un Etat décentralisé, estime un expert russe, à la veille de la présidentielle du 25 mai.

—Gazeta.ru Moscou

Le drame ukrainien est proche de son acmé. Le scrutin du 25 mai sera le

dernier acte, qui débouchera sur une partition définitive ou, au contraire, un début de dialogue à l’échelle du pays. Les référendums qui ont eu lieu le 11 mai dans l’est du pays peuvent aussi bien lais-ser présager une scission finale qu’amener un débat constructif.

Que s’est-il passé en Ukraine au cours de l’hiver et du printemps derniers ? Une crise politique, provoquée par l’incurie des diri-geants et encouragée par des inté-rêts extérieurs, qui a fini par faire tomber le gouvernement. La chute du régime a donné le pouvoir à une coalition opportuniste qui

rôle. Kiev a pensé que son mandat, gagné à la faveur de troubles mas-sifs, lui donnait le droit d’ignorer tout désaccord en taxant celui-ci de “contre-révolutionnaire” ou de “reliquat du passé”.

Prudence de Moscou. Les référendums de Donetsk et de Louhansk pourraient difficile-ment être considérés comme des bases juridiques acceptables pour toute décision ultérieure, mais tel n’était pas leur objectif. Le taux de participation élevé a démon-tré que ces républiques autopro-clamées n’étaient pas dirigées par une clique de criminels marginaux sans aucun soutien populaire. Les violences, puis les référendums ont rappelé à Kiev qu’il était impossible de mettre ces populations devant le fait accompli et de décider de leur avenir sans elles. Sans ce terrible rappel, les nouveaux dirigeants auraient préféré ignorer l’opinion de ces régions idéologiquement “arriérées”. Aujourd’hui, deman-der l’avis des régions du Sud-Est est devenu une pratique normale, recommandée même par le dépar-tement d’Etat américain.

Impossible de savoir si, le 25 mai, il y aura des élections à Donetsk et dans les autres villes de l’Est. L’Occident est prêt à en accepter les résultats, quels qu’ils soient, pourvu que ces élections aient bien lieu. Quant à la Russie, à en juger par les déclarations de Vladimir Poutine, elle pourrait fermer les yeux sur les éventuelles irrégularités de scrutin. Si l’on en croit les son-dages, les hommes de paille de Batkivchtchina, dont l’image est désormais indissociable des “opé-rations antiterroristes” menées dans l’est du pays, devraient laisser la place à Petro Porochenko, actuel favori du scrutin présidentiel. Les vainqueurs pourront donc béné-ficier d’une nouvelle marge de manœuvre, si tant est qu’ils sou-haitent manœuvrer.

La construction du nouvel Etat ukrainien devra intégrer les repré-sentants des régions orientales où ont été organisés ces référendums, qui ont bénéficié d’une participa-tion massive. Miser à nouveau sur la répression, sur la neutralisation des fédéralistes aurait des consé-quences déplorables. Ce qui inté-resse Moscou, c’est le dialogue, dans la mesure où celui-ci inclu-rait les nouvelles “républiques populaires”. La réaction prudente de la Russie face aux référendums montre qu’elle mesure bien les graves conséquences qu’aurait pour

europeelle une annexion (ou la reconnais-sance de l’indépendance) de ces territoires, en termes de dépenses et de riposte de l’Occident. Ce scénario n’est envisageable que dans le pire des cas – si les acti-vistes de l’Est devaient subir une répression de grande ampleur – et prendrait la forme, plutôt que d’une victoire désirée, d’une opé-ration contrainte de sauvetage de vies humaines et de l’honneur de la Russie. En revanche, une Ukraine décentralisée où les intérêts des régions de l’Est seraient représen-tés, notamment par le mouvement fédéraliste, répondrait davantage aux intérêts de la Russie. Moscou pourrait se contenter de soutenir moralement, politiquement et, éventuellement, économiquement les “républiques populaires”. En cas de nécessité extrême, il pourrait recourir à des actions concrètes, comme il l’a fait fin avril en orga-nisant des manœuvres militaires à la frontière.

Droit de veto. Mais Moscou doit aussi éviter de se trouver pris au piège de sa propre rhétorique et des radicaux prorusses de l’est de l’Ukraine. Ce qui conviendrait au Kremlin, ce serait un Etat ukrai-nien qui compterait parmi ses “actionnaires” une véritable force prorusse. Reste à fabriquer cette force, ou à favoriser son appari-tion. Durant les vingt dernières années, une telle force politique n’a jamais existé.

Le chaos a provoqué la divi-sion du pays, mais cela a permis à l’Ukraine de l’Est d’affirmer son identité et de prendre conscience de ses intérêts face à ses “autres” concitoyens. C’en est fini de la cohabitation amorphe et de la politique de l’autruche. Le pays a besoin d’une législation qui garan-tirait les droits et les devoirs de tous dans une Ukraine décentra-lisée. Il est évident que, même en cas de stabilisation politique, les forces pro-occidentales seront de toute façon majoritaires. En parti-culier parce que, avec la Crimée, l’Ukraine a perdu une grande partie de son électorat russe et prorusse. Cependant, dans l’agi-tation actuelle et dans la pers-pective des changements à venir, pourrait émerger un parti influent qui rassemblerait cette minorité prorusse, laquelle aurait ainsi un “droit de veto”. Ce scénario semble utopique mais toute autre issue serait destructrice.

—Fiodor LoukianovPublié le 15 mai

tire sa légitimité, non pas d’un processus légal, mais de l’élan révolutionnaire de Maïdan et du soutien moral et politique de l’Oc-cident. Le pouvoir exécutif est passé principalement aux mains de Batkivchtchina [la Patrie], le parti de Ioulia Timochenko, res-tant de fait dans le giron de l’es-tablishment. Quant à la façade idéologique, elle est l’œuvre des forces nées de la vague de protes-tation emmenée par le parti natio-naliste Svoboda et des formations radicales telles que Pravy Sektor [plateforme de groupuscules d’ex-trême droite].

Le Pa r t i des rég ions a implosé, perdant avec la fuite de Viktor Ianoukovitch sa capa-cité d’initiative, mais surtout sa structure institutionnelle et toute

espèce d’intelligibilité publique. Ainsi, lorsque les “hommes forts” de Donetsk ont été destitués, le pouvoir est passé dans d’autres mains, tout aussi habiles, qui ont pensé que Maïdan leur donnait carte blanche pour construire l’Ukraine à leur idée. Plus d’un mois et demi est passé entre la fuite de Ianoukovitch et l’explosion poli-tico-sociale du Donbass, et pas un seul des nouveaux dirigeants ne s’est donné la peine de s’occuper du problème des régions de l’Est. C’est d’autant plus étonnant que, après la perte de la Crimée, il était évident qu’une sérieuse menace de soulè-vement et de sécession couvait à l’Est. Le manque de professionna-lisme des dirigeants de Kiev n’est pas seul en cause. L’arrogance révo-lutionnaire a également joué son

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EUROPE28. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

circonstance, en particulier avec des représentants de l’ancien pouvoir, dont il pourrait aisé-ment devenir le jouet.

Porochenko s’entoure donc de gens aux qualités morales dou-teuses au lieu de s’appuyer sur la jeune génération, propre et sans tache, issue des éléments révolutionnaires des derniers mois. Par ailleurs, il entretient des liens politiques avec Vitali Klitchko [leader du parti Oudar, qui s’est retiré de la course], qui en réalité sert de relais à l’in-fl uence de Dmitro Firtach, oli-garque désormais recherché par

—Oukraïnska Pravda (extraits) Kiev

L’organisation de la cam-pa g ne électora le de Petro Porochenko a mis

en lumière les points faibles de celui qui s’annonce comme le vainqueur probable de la course à la présidence. Dès à présent, il est possible de déterminer les problèmes auxquels il sera confronté s’il est élu.

Pour commencer, Porochenko ne dispose pas de sa propre équipe politique. Il doit par conséquent s’appuyer sur des alliances de

Jouet de l’ancien pouvoir ?L’industriel Petro Porochenko, surnommé le “roi du chocolat”, caracole en tête dans les sondages à quelques jours de la présidentielle. Mais celui qui semble être l’homme providentiel n’a en réalité pas de programme, ni même de parti.

la justice internationale. Même si Porochenko n’a aucune obli-gation envers Firtach, les rela-tions de Klitchko avec le groupe RossOukrEnergo [société d’im-portation de gaz, détenue à 50 % par le géant russe Gazprom] influenceront inévitablement le comportement politique du vainqueur présumé de la prési-dentielle quand il lui faudra attri-buer des postes au sein de son nouveau gouvernement.

Ensuite, Porochenko n’a pas de parti politique. Solidarnist, sa formation, n’est qu’une marque vide de tout sens réel. Ce “parti” n’a aucune base véritable parmi l’électorat, et les gens qui disent vouloir voter pour lui sont tous des déçus d’autres partis. Pour l’heure, il est porté par la vague enthousiaste des sondages, des chiff res qui ont de quoi le motiver [le 7 mai, il était cré-dité de 33 % des intentions de vote, contre 9,5 % seulement pour sa principale adversaire, Ioulia Timochenko, qui occupe la seconde position]. Mais il ne tardera pas à voir ces résultats dégringoler quand il devra rele-ver les défi s de la présidence. Est-il prêt à accepter cette perte de soutien quand il tentera de lancer les changements néces-saires à l’évolution du pays ? Ou suivra-t-il au contraire les traces de Viktor Ianoukovitch et de Ioulia Timochenko, qui, eux aussi, avaient bénéfi cié d’une vraie popularité avant de bas-culer dans le populisme ?

La formation de Porochenko s’est constituée selon des principes corpora-tistes, les membres en étant ses parte-naires en affaires et des responsables de ses entreprises. Des gens qui ne parlent pas au nom du peuple et de la so-ciété, mais qui serviront f idèlement

leur principal actionnaire. Ce système reproduit les traditions de l’équipe de Ianoukovitch et risque de favoriser l’autorita-risme. Dans la structure politique de la formation de Porochenko, il manque un mécanisme de blo-cage interne et il n’y a aucune concurrence. C’est, littéralement, un parti créé par lui et pour lui.

Un mythe. Etant dépourvu de structure réelle et d’implan-tation physique dans le pays, Solidarnist a eu par exemple recours à des cadres du Parti des régions [la formation du président déchu] pour gérer la campagne électorale de son can-didat dans les régions de Soumy et de Kirovohrad. Porochenko n’hésite donc pas à s’appuyer sur les élites locales. Le parti Solidarnist n’est guère plus qu’un mythe, c’est tout juste s’il existe. Il n’a pas de siège offi ciel, pas d’adresse ni de numéro de télé-phone. Si l’on souhaite en deve-nir membre, il n’existe aucune offi cine vers laquelle se tourner. Oukraïnska Pravda a demandé à Iouri Stets, PDG de la cin-quième chaîne [propriété de Porochenko], député et dirigeant offi ciel de Solidarnist, de fournir des informations sur le nombre de membres de son parti et sur son programme politique. Il ne nous a toujours pas répondu.

Tout cela montre que cet “engin politique” a été bâti de toutes pièces pour Petro

Porochenko. La croissance rapide de ses résultats dans

les sondages est une sur-prise pour tous, tant pour la classe politique que pour les électeurs. Et sans doute pour lui-même. Il y

a un an, il avait tenté d’être le candidat unique de l’oppo-sition aux muni-cipales de Kiev.

Aujourd’hui, le voilà favori à la prési-dentielle. La fuite de Ianoukovitch et le discrédit qui

En lice●●● Vingt et un : c’est le nombre de candidats offi ciels à la présidentielle. Celle-ci était prévue pour le 29 mars 2015, mais les manifestants qui ont chassé Viktor Ianoukovitch exigeaient qu’elle ait lieu dès que possible. Les candidats se bousculent. Parmi eux, beaucoup d’indépendants, dont Petro Porochenko, largement en tête avec 33 % des intentions de vote (selon Interfax-Ukraine). Eternelle candidate, Ioulia Timochenko, du parti Batkivchtchina (la Patrie), ne semble pas en bonne position avec 9,5 % des intentions de vote. Les autres sont à la traîne, qu’il s’agisse de Serhiy Tihipko (5,1 %), de Mikhaïl Dobkine (4,2 %), tous deux transfuges du Parti des régions de l’ancien président, d’Oleh Tiahnibok (moins de 3 %), de Svoboda, et de Dmitro Iaroch (à peine plus de 1 %), de Pravy Sektor, deux formations d’extrême droite.

← Dessin de Kazanevsky, Ukraine.

↓ Petro Porochenko. Sur la tablette de chocolat, le nom de son entreprise, Roshen. Dessin paru dans Politrada.com, Russie.

pèse sur les leaders des princi-pales forces de l’ancienne oppo-sition ont provoqué un transfert des sympathies électorales sur la personnalité de Porochenko. Mais il s’agit d’un phénomène au caractère tellement spontané qu’il est synonyme d’un large éven-tail de risques. Si, dans son dis-cours, Porochenko se réclame de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, qui seraient ses sources d’inspiration, dans les faits il est probable qu’il s’abstiendra d’ap-pliquer toute réforme susceptible d’être impopulaire.

—Serhiy LechtchenkoPublié le 16 mai

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Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014 29

Marseillaise. Le droit de se tairePour n’avoir pas chanté l’hymne national lors de la commémoration de l’abolition de l’esclavage, Christiane Taubira est sévèrement critiquée. Mais est-ce vraiment une obligation, s’interroge cette romancière anglo-pakistanaise ?

—The Guardian Londres

U n tel scandale ne se pro-duirait pas en Grande-Bretagne”, se dit-on

spontanément, à tort ou à raison, en apprenant que la ministre française de la Justice, Christiane Taubira, est vilipendée pour ne pas avoir chanté La Marseillaise lors d’une cérémonie publique fi lmée. Ce n’est pas la première fois qu’une personnalité politique garde le silence pendant l’hymne national, Premiers ministres compris. Christiane Taubira, née en Guyane, est néanmoins appelée à la démission par des politiciens de droite.

J’ai récemment eu l’occasion de réf léchir à cette question des hymnes nationaux. Je suis devenue citoyenne britannique en 2013 et, pendant la cérémonie, j’ai à peine murmuré l’hymne du

du pays où j’ai choisi de vivre. Chaque fois que je suis confron-tée à l’hymne national, je me rends compte à quel point la rela-tion des immigrés à leur nation d’adoption est lourde de sens.

J ’imagine que j’entonne-rais La Marseillaise si j’étais en France. Toutefois, je ne l’inter-préterais pas comme un hymne, mais plutôt comme un chant révolutionnaire (sauf les pas-sages comme “... que la victoire/Accoure à tes mâles accents”). Nous devrions tous avoir le droit d’interpréter une chanson et sa symbolique selon les occa-sions. Quelles que soient les paroles, tous les hymnes natio-naux posent problème quand cer-taines personnes s’abstiennent de les chanter : l’interprétation de cette attitude revient à juger de l’“authenticité” des citoyens de telle ou telle nation.

Hostilité. Les Pakistanais qui ne chantent pas leur hymne alors qu’ils pratiquent l’ahmadisme – un mouvement réformiste musulman victime de violentes persécutions – seront bien plus sévèrement blâmés que moi, même si j’ai quitté le pays. Si une ministre française née en Guyane garde le silence pen-dant La Marseillaise à l’occa-sion d’une cérémonie publique pour commémorer l’abolition de l’esclavage, elle fera face à une plus grande hostilité, bien que d’autres ministres s’abstiennent souvent de chanter. C’est vrai même si – sinon parce que – c’est cette même ministre qui a contribué de façon cruciale à l’élaboration d’une loi qui fait de l’esclavage un crime.

Chauvinisme, nationalisme, patriotisme, appartenance à une communauté. J’ai tendance à me méfi er de quiconque néglige le dernier concept et privilégie le premier. Les deux autres sont plus complexes. Aux yeux des citoyens, l’hymne national est susceptible de refl éter ces quatre termes – ou aucun d’eux. Les membres d’une nation devraient pouvoir choisir de chanter ou non. Enfi n, il est évident que nous devrions prêter attention aux propositions de lois des per-sonnalités politiques plutôt qu’à leur comportement lorsqu’un orchestre se met à jouer. Plutôt qu’à leur lieu de naissance ou à la couleur de leur peau.

—Kamila ShamsiePublié le 14 mai

france↙ Dessin de Falco, Cuba.

La relation des immigrés à leur nation d’adoption est lourde de sens

Royaume-Uni, God Save the Queen. Jusqu’alors, l’hymne pakistanais était le seul que j’avais entonné au Royaume-Uni. Avant de tirer des conclusions hâtives sur ma loyauté envers ces deux pays dont j’ai la nationalité, donnez-moi une chance de m’expliquer.

Conviction. En 2012, une com-pagnie pakistanaise s’est produite au théâtre du Globe [à Londres] et la représentation a commencé par l’hymne du Pakistan. J’ai d’abord été gênée, et puis j’ai considéré mon rapport aux symboles du nationalisme à l’aune d’un senti-ment qui a mûri au cours de ma vie adulte : la nostalgie. Chaque semaine à l’école, nous chan-tions l’hymne pakistanais et mon ami Zerxes, qui nous accompa-gnait au piano, ajoutait des fi o-ritures humoristiques entre les accords. J’entends encore ces

notes supplémentaires lorsque j’écoute l’hymne pakistanais et cela me fait sourire chaque fois. Par ailleurs, les paroles sont en persan, c’est pourquoi elles sont en grande partie inintelligibles pour la majorité des Pakistanais. Nous pouvons ainsi leur attri-buer le sens qui nous convient : “Debout, c’est l’heure de la révolu-tion !” ou “Nous voulons plus de chaînes de télé !”

En revanche, l’hymne natio-nal britannique pose problème, car il suffi t d’une connaissance rudimentaire de l’anglais pour comprendre les paroles : God Save the Queen [Que Dieu protège

la reine]. Je ne veux aucun mal à la reine, mais, si vous voulez me voir chanter avec convic-tion, remplacez les paroles par : “Cher Premier ministre, proté-gez nos bibliothèques”. En vérité, vous pourriez sûrement me faire chanter n’importe quoi tant que la musique est plaisante et que les paroles n’exigent pas simul-tanément une gratitude sincère à l’égard de Dieu, de la reine et de la nation – c’est vraiment trop d’un coup.

Quand je me trouve au milieu de personnes qui chantent l’hymne britannique, je donne toujours l’impression d’en faire autant. Je choisis de bouger les lèvres de façon insignifi ante et je n’énonce que les passages comme “les hommes doivent être frères”. J’ai bien conscience que mon refus de chanter peut être inter-prété comme un grossier rejet

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Belgique.Le roi desnégociateurs

Ses conciliabules et son sens de la discrétionsont restés légendaires. Mais, à la fin de sa carrière,la méthode Dehaene ne fonctionnait plus.

—De Standaard Bruxelles

Fin avril 2010. Yves Le-terme est Premier minis-tre mais le roi Albert II a

confié ses dossiers les plus déli-cats à Jean-Luc Dehaene. L’an-cien Premier ministre passe plu-sieurs mois à chercher un com-promis sur la scission del’arrondissement électoralBruxelles-Hal-Vilvorde.Ce soir-là, les présidents de

partis n’y sont toujours pas arri-vés mais l’affaire n’est pas en-core perdue. Ils se sont séparésvers minuit en se promettant depoursuivre les négociations etjusque-là, l’agenda est respecté.Mais un peu plus tard, Alexan-der De Croo se fend d’un com-muniqué de presse. Il estimetout à coup qu’il y a une rupture

de confiance au sein du gouver-nement. La rue de la Loi entreen ébullition. Le lendemain ma-tin, Vincent Van Quickenborneannonce joyeusement sur Twit-ter, en direct du bureau de partide l’Open VLD, que son partiquitte le gouvernement. YvesLeterme apprend la chose d’unemanière encore plus baroque :en découvrant au cours d’uneréunion du CD&V un texto en-voyé à son vice-premier minis-tre, Steven Vanackere, par le li-béral Guy Vanhengel.Toute cette désinvolture post-

moderne, Jean-Luc Dehaenen’en croit pas ses yeux. Il ne ca-che pas sa colère : “Et après tou-tes ces péripéties, De Croo ose en-core me téléphoner pour me de-mander si je serais prêt àpoursuivre les négociations ! Vous

pouvez imaginer un truc pareil ?”L’ex-Premier ministre n’envi-sage pas une seconde d’accep-ter : il file au Palais royal pour yrendre son tablier. Au cours desmois qui suivent, alors que lepays s’enfonce dans la crise poli-tique, il n’arrivera pas davantageà en démêler l’écheveau. Sa mé-thode ne fonctionne plus.La méthode en question était

pourtant légendaire. Chaquefois qu’une question politiqueétait en rade, Jean-Luc Dehaenearrivait à dégager un compro-mis. Il avait quelques recettesimmuables pour ça. Il prenait àpart les différents protagonisteset tentait de savoir jusqu’où ilsvoulaient et pouvaient aller. Ilmontrait des parties d’un ac-cord possible mais gardait la vi-sion globale pour lui seul. Il se

faisait assister par des techni-ciens hors pair et maîtrisait sesdossiers comme personne. Unjour, il a raconté qu’un collabo-rateur était venu tout fier luisoumettre une nouvelle trou-vaille communautaire et que,peu impressionné, il lui avait ré-pondu : “On a déjà essayé ça il y adix ans”.

Gérard Deprez a déclaré unjour qu’il ne fallait pas réduire lerôle de Dehaene pendant les né-gociations à celui d’une sorte demodérateur. Cet ancien prési-dent des chrétiens-démocratesfrancophones estimait quec’était bien trop réducteur. “Le-terme laissait tout le monde s’ex-primer encore et encore. Il n’osaitpas forcer le compromis quand ce-lui-ci passait à sa portée. Martenslaissait aussi parler tout le monde.Il laissait la discussion tourner enrond mais arrivait quand même àtrancher au moment opportun.Dehaene était encore différent. Ilfaisait continuellement des propo-sitions, cherchait de nouvelles pis-tes, ajoutait des dossiers quin’avaient a priori rien à voir. Ilétait très créatif dans sa recherched’une solution.”Comme au cours de la se-

conde moitié des années 80,lorsque la politique belge était enpleine impasse autour de la ques-tion des Fourons. C’était un pro-blème du même ordre que BHV,totalement en noir et blanc :Happart comme bourgmestre,oui ou non, et aucune voie inter-médiaire possible entre ces deuxoptions. Difficile de débloquer cegenre de dossier. Et donc, Jean-Luc Dehaene a brodé toute uneréforme de l’Etat autour du dos-sier en question, la troisièmepour être précis. A l’époque, celaa inspiré une image amusante àHugo De Ridder [à l’époque jour-naliste politique au Standaard],celle d’un type qui met une voi-ture sur le toit juste pour vider lecendrier.

“Même un cinglé est facile àcomprendre si on connaît bien sesprincipes de fonctionnement”.C’était l’une des boutades préfé-rées de Jean-Luc Dehaene etaussi l’une des raisons qui expli-quaient pourquoi il restait muet

comme une tombe en périodede négociations. Les fuites, cen’était vraiment pas son genre.Il avait besoin de discrétionpour appréhender les marges demanœuvre et pouvoir jauger lescinglés qu’il avait autour de lui.Et, par la suite, il n’utilisait ja-mais ces informations pourabattre un de ses concurrentspolitiques. Il tissait de réelsliens avec des membres de sonparti, comme Herman Van Rom-puy, mais aussi avec des adver-saires politiques. Comme ElioDi Rupo, qui n’oubliera jamaiscomment il a continué à le sou-tenir sans faille lorsqu’il se re-trouva accusé à tort de pédophi-lie. Ou avec Louis Tobback, quiestimait que Dehaene était unhomme de parole – contraire-ment à Leo Tindemans. AvecPhilippe “Flupke” Moureauxégalement. “Je pouvais lui expli-quer précisément où il y avait desproblèmes internes au PS”, a unjour déclaré le socialiste franco-phone. “Et lui me disait ce qui setramait à l’intérieur du CVP. Maisjamais personne n’en avait con-naissance à l’extérieur. Parce queJean-Luc était un homme d’Etat.”C’est l’une des raisons qui ont

fait que sa méthode n’a plusfonctionné en 2010. Soudain, ilse retrouvait avec des hommespolitiques qui étaient en traind’envoyer des textos à la presseen pleine réunion. Lui-mêmen’était en rien esclave des mé-dias. A l’époque où il était Pre-mier ministre, sa porte-parole,Monique Delvou, était connuede toute la rue de la Loi pour sacapacité à expliquer avec beau-coup de mots et toute la cour-toisie du monde qu’elle ne pou-vait rien dire du tout. Et plustard, lorsque Dehaene lui-mêmeétait en théorie joignable enpermanence sur son téléphoneportable, les conversations sedéroulaient le plus souventcomme suit :– Allô ?– Bonjour, Monsieur Dehaene.Je vous dérange ?

– Qu’est-ce que vous voulez sa-voir ?

– Est-ce qu’une interview... ?– Non.– Mais peut-être pourriez-vousnous donner quelques infor-mations sur... ?

– Non.– J’ai pensé qu’on avait toujoursle droit de vous poser desquestions.

– Et moi, j’ai celui de refuser.– (Tûût)N’en avait-il donc absolu-

ment rien à cirer du monde ex-térieur ? Bien sûr que non, mais

↙ Dessin de Gaëlle Grisardpour Courrier international.

En 2010, il s’estsoudain retrouvéavec des hommespolitiques quienvoyaient destextos à la presseen pleine réunion.

I. D'UN CONTINENT À L'AUTRE Courrier international – n° 1229 du 22 au 28 mai 2014

Page 31: Courrier 20140522 courrier full 20140606 093312

—De Standaard Bruxelles

La campagne est arrivéeexactement là où BartDe Wever voulait qu’elle

soit : l’enjeu des électionstourne maintenant autour de sapersonne et de la N-VA. Lesautres partis, y compris les par-tis francophones, ne peuventplus échapper à sa manie de lierle socio-économique et l’idéolo-gie au communautaire.Le CD&V en a déjà tiré ses

conclusions en envoyant KrisPeeters au front sur le marchéélectoral pour se positionnercomme facteur de stabilité in-dispensable. Et voilà que le SP.Alaisse à son tour tomber toutesles autres approches pour setourner vers Bart DeWever.Apparemment, les partis es-

timent désormais que ne pasparler du président de la N-VAserait encore pire que l’inverse.Et, après le débat national en-tre Bart De Wever et le prési-dent du PS, Paul Magnette,

c’est maintenant au tour duPremier ministre lui-même,Elio Di Rupo, d’entrer dansl’arène. Il va former un frontavec Johan Vande Lanotte. So-cialistes flamands et franco-phones à nouveau la main dansla main. Le pari est osé. Le ré-cit poignant d’Elio Di Rupo sursa jeunesse misérable et le faitqu’il trouve intolérable que leprésident de la N-VA utilise sesorigines modestes pour “défen-dre une politique asociale”, illus-tre à quel point cette campa-gne a pris un tour émotionnelet personnel.Pour Johan Vande Lanotte,

ce qui est en jeu, c’est ni plusni moins que “l’œuvre d’unevie”. “C’est la société que nousavons construite qui est remiseen question”, a-t-il déclaré.L’émotion peut prendre le re-lais dès lors qu’il met un quartde siècle d’engagement politi-que dans la balance.Si tout cela ne trahit pas en-

core de l’affolement, cela dé-

note au moins une peur exis-tentielle. Johan Vande Lanottea 58 ans, Elio Di Rupo en a 62.S’ils ratent le bateau cettefois-ci, ce sera la fin de leurscarrières politiques à tous lesdeux. Alors que, lors des élec-tions précédentes, le défin’était pas si considérable.La gauche et la droite sont

de retour. Le mérite en revientà la N-VA, dont les proposi-tions sont si à droite qu’ellessemblent irréalistes tout enbousculant brutalement lagauche. Et, dans le mêmetemps, le parti fait pendre uneépée de Damoclès communau-taire au-dessus de la constella-tion fédérale. De quoi mettreles nerfs à tout le monde.C’est pour toutes ces rai-

sons que les partis se battentcette fois pour leur existencemême. Il n’y a qu’à voir ledoute, entremêlé d’espoirs, quirègne au CD&V. Il se pourraitbien que l’électeur oublie leschrétiens-démocrates le 25mai. Kris Peeters a déjà fait sa-voir à ses électeurs qu’il n’avaitpas d’alternative. Ce sera soitle pouvoir, soit un trou noir.Mais, si cette campagne est

si intéressante, avec toutes sespetites phrases et ses émo-tions, c’est bien parce qu’au fi-nal, il ne s’agit pas d’une his-toire de personnages et d’am-bitions personnelles mais biende savoir dans quelle directionceux-ci entendent envoyer lasociété et l’Etat-providence.

—Karel VerhoevenPublié le 15 mai

↙ Dessin de duBusparu dans La Dernière Heure.

ELECTIONS

Une campagneexistentielleBart De Wever n’a pas encore remporté lesélections mais il a déjà gagné la campagne : auNord comme au Sud, le débat tourne entièrementautour de sa personne et de la N-VA

le monde extérieur d’alorsétait bien différent de celuid’aujourd’hui. Avant de com-mencer, Dehaene tâtait tou-jours le terrain auprès duCVP, des syndicats, des orga-nisations patronales et desgroupes de pression. Il me-nait ces négociations à uneépoque où le tempo étaitmoins rapide, où Twittern’existait pas et où les élec-teurs étaient moins versati-les. Il connaissait bien, trèsbien même, les points sensi-bles de sa base. Mais il ne selaissait pas influencer par lessondages.Un autre aspect qui l’aidait

à être un bon négociateur,c’est qu’il n’a jamais été unidéologue, un dogmatique.Contrairement à un Guy Ve-rhofstadt, par exemple, il nelui arrivait jamais de dévelop-per de grandes théories. Il se-rait injuste de lui reprocherun manque de vision : il enavait bien une mais il étaitégalement le roi des pragma-tiques. Ce n’est pas qu’unequalité : en politique, on aaussi besoin de rêveurs.

Son pragmatisme le rendaitcapable de continuer à dirigerle pays en période de turbu-lences. Les têtes de mulel’exaspéraient. C’est pour celaqu’il a pu s’irriter du côté têtudes nationalistes flamands àl’époque du cartel de son partiavec la N-VA. Il n’était vrai-ment pas fan de Bart De We-ver : “Celui qui n’arrive pas àfaire des compromis n’a pas saplace en politique”, nous avait-ilencore déclaré lors d’une in-terview voici deux ans.Au cours du même entre-

tien, sa souplesse lui avait valuune dernière fois les éloges deGérard Deprez: “C’est la raisonpour laquelle, à brûle-pourpoint,je n’arrive pas à me rappelervraiment d’un moment-clef pen-dant les négociations avec lui.C’est un crack, parce qu’avectant d’expérience, il arrive mal-gré tout à garder une grandeflexibilité. Dehaene n’a vraimentrien d’un caractériel.”

—Ruud GoossensPublié le 16 mai

Les têtes de mulel’exaspéraient.C’est pour celaqu’il a pu s’irriterdu côté têtu desnationalistesflamands.

Edito

Tueurs :un espoir, pasune certitude●●● C’étaient les années 80,les années de plomb,marquées par la campagned’attentats perpétrés par lesCCC, le drame du Heysel et,bien sûr, les “tueries duBrabant”.Pendant la première moitié dela décennie, des criminels ontfait régner la terreur et seméla mort en divers endroits dupays (surtout en province duBrabant, d’où leur surnom),faisant au total 28 victimes.Près de 30 ans plus tard, onne savait toujours rien d’eux.Deux commissionsparlementaires ont planchésur le sujet, six jugesd’instruction, des dizainesd’enquêteurs se sontsuccédé, cent pistes ont étéouvertes, des milliers dedevoirs ont été accomplis. Envain… jusqu’à lundi peut-être.Diverses thèses ont étééchafaudées. Il a été questiond’une tentative de racketmenée par la mafiaaméricaine contre la chaîneDelhaize. On a parléd’assassinats ciblés, masquéspar des tueries massives,histoire de brouiller lespistes. Certains ont vul’action d’un groupe depsychopathes. La filièreboraine, composée de petitstruands, fut suspectée, àtort. D’aucuns ont privilégiéla piste d’un groupe de (para)militaires chargés dedéstabiliser l’Etat afind’installer un pouvoirpolitique fort.Quoi qu’il en fût, les prochesdes victimes restaient avecleur chagrin et leurs doutes.Un espoir, un vrai, est né avecl’arrestation d’un suspect.Mais faut-il rappeler qu’en 30ans, on a compté… 16inculpations avant celle demai 2014 ? Et qu’il a bien falluse rendre à l’évidence que les16 suspects n’étaient pas lestueurs ? C’est dire qu’à cestade, la prudence s’impose.Il ne faudrait surtout pas queles familles connaissent unenouvelle désillusion.

—Jean-Claude MatgenLa Libre Belgique

Publié le 17 mai

IIBELGIQUE.Courrier international – n° 1229 du 22 au 28 mai 2014

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III. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

utilisateurs et les clients n’est pas seule-ment précieux sur le plan économique, cela permet aussi de diriger les hommes.

Bien entendu tout individu est respon-sable de ce qu’il fait de ses données person-nelles. Le fait que les gens de l’ère numérique aient tendance à étaler les choses les plus intimes sur des canaux même non sécuri-sés ne peut qu’avoir des conséquences sur la protection des données personnelles et les droits de la personne. Il n’en reste pas moins que ce sont leurs informations et le Net n’oublie rien, paraît-il.

Internet n’est pas un phénomène natu-rel mais une construction humaine, comme Google. Or celui-ci cherche avant tout à rendre toutes les informations visibles.

Quand on peut être associé en permanence à des rumeurs déshonorantes, quand on est mentionné en relation avec des dettes réglées depuis longtemps ou des crimes capitaux expiés depuis longtemps, on en garde des stigmates. Même si les infor-mations originelles encore accessibles sur Internet sont vraies, les évoquer peut violer les droits de la personne. La Cour de justice européenne reconnaît qu’il est diffi cile de trouver un équilibre en la matière : il faut bien peser les divers éléments en cause – et les personnalités publiques devront bien entendu accepter plus que les autres. Il appartiendra au législateur européen, aux autorités nationales en charge de la pro-tection des données personnelles et aux tribunaux des Etats de formuler les pres-criptions des juges européens et de trouver des solutions applicables. La liberté d’opi-nion ne doit pas disparaître pour préser-ver les utilisateurs.

Mais le plus important, c’est la respon-sabilité de Google. Ses intérêts écono-miques ne sont pas déterminants en la matière et sa liberté d’entreprendre n’est pas atteinte. Google ne saurait se consi-dérer comme une espèce de curateur de la liberté de la presse : les articles peuvent demeurer dans ses archives, mais les liens qu’il crée pourront être supprimés dans certaines conditions.

Cet arrêt tombe à point. Il est aff olant de voir à quel point même les experts mini-misent le monopole de Google. Dans d’autres domaines, cette position dominante aurait provoqué une intervention de l’Etat ou de l’UE. Les organismes américains en charge de la législation antitrust et la Commission européenne ont beau reprocher à Google d’abuser de sa situation au détriment des autres exploitants, ils traitent le géant du Net avec des gants de velours.

Indépendamment des rouages des machines à légiférer européenne et natio-nale, ce sont désormais les normes posées par les juges européens qui priment : toute personne concernée peut demander à Google de supprimer ses données sensibles. Il existe certes un droit fondamental à la liberté de l’information, mais il lie l’Etat et non Google. L’accès de tous à ce que pro-pose Google n’est cependant pas un droit.

Cet arrêt, qui va à l’encontre des conclu-sions de l’avocat général dans une procé-dure où l’Allemagne s’est fait remarquer par son absence embarrassante, tombe à point nommé. On avait l’impression qu’ap-pels impuissants et humbles suppliques étaient le seul moyen de remettre le géant du Net à sa place. Non, Google, qui est par-tout mais se veut insaisissable, n’est pas au-dessus des lois. Il faut maintenant mettre ces idées en application et cela est valable pour les utilisateurs, qui sont les premiers à avoir fait du groupe ce qu’il est. Eux aussi sont responsables.

—Reinhard MüllerPublié le 14 mai

Multimédias.Google : le géant est touchéAprès l’arrêt de la Cour de justice de l’Union, la société américaine est sommée de retirer des liens vers les contenus ayant trait à la vie privée des individus qui en feraient la demande.

—Frankfurter Allgemeine Zeitung (extraits) Francfort

L’entreprise la plus puissante au monde a dû plier devant une puis-sance démunie de troupes. Le

13 mai, la Cour de justice européenne a fait passer le citoyen avant tout et imposé des limites au moteur de recherche Google. Moteur de recherche ? Bel euphémisme ! Google analyse et stocke des informa-tions personnelles, comme l’ont énoncé sans équivoque les juges européens. Et c’est exactement ce qui le rend plus puis-sant que nombre de pays et rend la col-lecte massive de données si importante pour les Etats-Unis. Car connaître les

unioneuropéenne

—El Mundo (extraits) Madrid

La Cour de justice de l’Union euro-péenne a reconnu le droit à l’oubli numérique, une revendication chère

aux partisans de l’eff acement des données personnelles sur Internet. Cette décision pourrait avoir de graves conséquences sur le fonctionnement de Google et de tous les fournisseurs de contenus qui existent sur la Toile, y compris les médias d’infor-mation, en Europe. Car, en défi nitive, les juges ont tranché la question du droit au respect de la vie privée et du droit à l’in-formation en privilégiant le premier au détriment du second. Le tribunal consi-dère en eff et que les moteurs de recherche “traitent” les informations qu’ils off rent dans les résultats des recherches et que, conformément à la directive sur la pro-tection des données personnelles, ils en sont donc responsables.

Pour Google, le jugement a fait l’eff et d’une douche froide. La direction espa-gnole s’est immédiatement exprimée en qualifi ant cette décision de “décevante pour les moteurs de recherche et tous ceux qui publient des contenus en ligne en général”.

Prenons un exemple concret. Ana Torroja [chanteuse du groupe Mecano, très célèbre dans les années 1980] a été condamnée à payer 1,4 million d’euros pour fraude fi scale. Selon la Cour de justice de l’UE, une fois l’amende acquittée la chanteuse pourra, au nom de la protection de sa vie privée, demander à Google d’éliminer des moteurs de recherche toute référence à cette information. Cela semble absurde, mais c’est bien ce que signifi e cette déci-sion de Luxembourg. Sans parler du risque de multiplication des litiges entre moteurs de recherche et particuliers, qui pour-rait avoir des conséquences dramatiques.

Google doit respecter ce jugement, mais un média ne peut se réjouir de cette décision qui touche directement le droit à l’information. Si quelqu’un estime être victime de diff amation, il doit s’adresser au titre de presse qui a publié l’informa-tion. Mais, si les faits sont attestés, l’af-faire en reste là. Personne ne penserait à les supprimer. Pourquoi serait-ce diff é-rent pour Google et les autres moteurs de recherche ? —

Publié le 14 mai

CONTREPOINT

Une décision absurdeEn touchant directement au droit à l’information, le jugement de Luxembourg représente un danger pour la démocratie.

↙ Dessin de Caro, Suisse.

Page 33: Courrier 20140522 courrier full 20140606 093312

UNION EUROPÉENNE.Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

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secrétaire général joue un rôle détermi-nant pour décider si un document sera soumis ou non à l’examen des chefs de cabinet de tous les commissaires, pour ensuite être soumis à l’ensemble du col-lège (la Commission fonctionne comme un organe collégial).

Il est un point sur lequel tout le monde, ou presque, s’accorde : Catherine Day est une travailleuse infatigable. Certains disent que c’est une workaholic – une accro au travail. Au Berlaymont [l’immeuble où siège la Commission] circule même le surnom de “Night and day”, en référence à ses horaires de travail infernaux. On dit aussi d’elle qu’elle ne s’accorde pas de loi-sirs, hormis quelques soirées au théâtre et quelques randonnées estivales dans des régions reculées du monde.

—Linkiesta (extraits) Milan

C’est sans doute la femme la plus puissante de la Commission euro-péenne. Elle est en tout cas plus

puissante que la plupart des commissaires, au point que certains disent que seul le président José Manuel Barroso a plus de pouvoir qu’elle. Catherine Day, cette Irlandaise qui aura 60 ans cette année, est secrétaire générale de la Commission depuis 2005 – depuis le début du “règne” du Portugais. Elle a sous ses ordres une équipe de 600 personnes, essentielle dans le fonctionnement de l’exécutif commu-nautaire. Car c’est par le secrétariat géné-ral que passent les projets de propositions de directives élaborés par les services des différents commissaires. Et que le

PORTRAIT

Catherine Day, la dame de fer de BruxellesLa secrétaire générale de la Commission est la véritable éminence grise de son président, José Manuel Barroso. Aucun dossier n’échappe à cette Irlandaise libérale et partisane de la rigueur.

Sa carrière éclair semble le confirmer. Après une scolarité chez les bonnes sœurs, elle a suivi des études d’économie à Dublin et décroché un master de commerce inter-national. A 20 ans, elle est entrée à l’Invest-ment Bank of Ireland. A 24, elle a réussi le concours d’entrée de la Commission euro-péenne. Trois ans plus tard, elle était déjà au cabinet du commissaire irlandais Richard Burke (Fiscalité). Elle a ensuite intégré celui de son compatriote Peter Sutherland (Concurrence), puis celui du Britannique sir Leon Brittan (Relations extérieures) pendant deux mandats, avant de devenir directrice adjointe de cabinet. En 1996, à 42 ans, elle a obtenu le grade de directrice, travaillant d’abord à la Direction générale des relations extérieures, puis à la Direction générale de l’élargissement.

A partir de 1997, elle a été responsable du “big bang” : l’élargissement de l’UE aux pays d’Europe centrale et orientale (en vigueur au 1er mai 2004). Ensuite, en 2002, à 47 ans, elle a été nommée directrice générale de l’Environnement. C’est après avoir occupé cette fonction que, en 2005, elle est arrivée à son poste actuel alors que la Commission européenne prenait une orientation plus libérale. Catherine Day se positionne de fait sur la même ligne que Barroso, que le commissaire aux Affaires économiques Olli Rehn et que l’Allemagne pour ce qui est des programmes douloureux impo-sés aux pays aidés financièrement, y com-pris le sien, l’Irlande. “Je comprends que les Irlandais trouvent que le poids de la dette est énorme et aimeraient simplement s’en décharger, mais la vie n’est pas aussi simple”, a-t-elle dit il y a quelque temps.

Discipline budgétaire. Catherine Day fait partie des grands promoteurs d’un renforcement de la coordination écono-mique de l’UE, et plus particulièrement de la zone euro, et du net durcissement de la discipline budgétaire que l’on a observé ces dernières années. “Il est nécessaire que toutes les économies européennes avancent dans la même direction de manière coordon-née”, a-t-elle déclaré il y a quelques années dans un entretien au site EurActiv. “Si l’une d’elle reste en arrière ou se trouve en difficulté, il faut comprendre que cela freine l’ensemble de l’Union.” Cette Irlandaise à la main de fer s’intéresserait moins, en tout cas à en croire ceux qui la connaissent, à une coor-dination des politiques sociales, davantage

laissées à la discrétion des Etats membres.Dans les couloirs du Berlaymont, on

entend souvent résonner cette phrase : “Catherine Day a bloqué le texte.” Depuis son poste, décisif dans la mécanique de la Commission, elle a le pouvoir d’enterrer un texte en refusant de le soumettre à la consultation “interservices”, comme on dit dans le jargon, c’est-à-dire aux différents services de la Commission. Or si un texte ne passe pas par cette consultation, il n’ar-rivera jamais sur la table de la réunion des chefs de cabinet, et partant ne sera jamais soumis au collège des commissaires.

C’est ce qui est arrivé, selon diverses sources institutionnelles, mais aussi selon des députés européens, à la controversée directive antitabac, qui témoigne de la puis-sance des lobbys du secteur. Nombreux sont ceux qui affirment que Catherine Day, qui est intervenue au moins deux fois en 2012, a joué dans cette affaire un rôle détermi-nant, mettant des bâtons dans les roues au texte préparé par le commissaire maltais chargé de la Santé et des Consommateurs, John Dalli (lequel a été contraint de démis-sionner en 2012 en raison de contacts pré-supposés avec un lobbyiste).

L’hebdomadaire allemand Der Spiegel a parlé d’un courrier envoyé par Catherine Day à la directrice générale chargée de la Santé et des Consommateurs, Paola Testori Coggi, courrier qui, écrit le jour-nal, “aurait tout aussi bien pu avoir été envoyé par un représentant de l’industrie du tabac”. Toujours est-il que la directive finale était fortement édulcorée par rapport au projet initial de Dalli (remplacé depuis par son compatriote Tonio Borg).

Bref, la toute-puissante Catherine Day fait la pluie et le beau temps à la Commission. Mais, à la fin de l’année, la présidence de José Manuel Barroso s’achèvera. Et l’arri-vée de la nouvelle Commission s’accompa-gnera probablement de celle d’un nouveau secrétaire général, même si ce n’est pas automatique. Cela dit, il y a fort à parier que Catherine Day ne resterait dans ce cas pas longtemps au chômage.

—Giovanni Del RePublié le 7 mai

↙ Dessin de Kountouris paru dans Eleftheros Typos, Athènes.

Depuis son poste, crucial au sein de la Commission, elle a le pouvoir d’enterrer un texte

IV

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30. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

LES POPULISTES À L’ASSAUT DE L’EUROPESi l’on en croit les sondages,

les élections au Parlement européen, du 22 au 25 mai,

pourraient se traduire par une vague populiste (lire

ci-contre). Ces partis souvent issus de l’extrême

droite, résolument anti-UE, ont aussi une touche

de modernité qui manque aux formations classiques

(p. 31). De l’ascension de Marine Le Pen en

France (p. 32) à celle des nationalistes britanniques

de l’Ukip (p. 33) en passant par la Hongrie, le seul pays

du continent qui ait un gouvernement populiste

(p. 35), l’Union européenne voit avec inquiétude la

montée de partis qui ont comme objectif ultime de

la démanteler. La carte politique de l’Union

européenne est-elle sur le point d’être redessinée ?

—Service Europe

à la uneà la une

Un signal d’alarmeLes citoyens européens sont en colère contre les mutations économiques et socialesqui traversent le continent. Mais c’est aux partis traditionnels de répondre à leurs préoccupations, et non aux populistes.

—The Guardian (extraits) Londres

P artout en Europe, des gens voient leur vie aff ectée par des changements qu’ils n’ont pas souhaités, pour lesquels ils n’ont pas voté et dont ils ne veulent pas. Dans leurs villes les plus prospères, la ligne d’horizon est modifi ée par des tours métalliques qui

surgissent à la place d’anciens jardins ou pubs, et dans leurs villes les plus pauvres des détritus jonchent des rues aux magasins fermés. Les cam-pagnes sont rongées par l’expansion des banlieues ou divisées entre zones d’agriculture industrielle et concentrations de riches propriétés.

Des éléments de notre environnement qui semblaient éternels ne sont soudain plus là. De grandes entreprises dont nos pays s’enorgueillis-saient à juste titre disparaissent ou sont rachetées par des groupes étrangers. Des établissements anciennement réputés sont privatisés, rebaptisés, et perdent de leur prestige. De nouveaux venus s’installent sans y avoir été invités, parlant des langues diff érentes et pratiquant des religions diff érentes. Eux aussi sont mécontents de voir les usines et les bureaux fermer, et leurs enfants

incapables de trouver un emploi ou un logement. Les Etats eux-mêmes sont touchés, menaçant d’imploser ou de se morceler. Rien d’étonnant donc si des citoyens, pour peu que ce mot signi-fi e encore quelque chose, lèvent les bras au ciel en disant : “Qui a voulu tout ça ?” Voilà l’image qu’offre notre continent aujourd’hui, mais à quelques détails près il off rait la même hier, voire avant-hier. Quand l’Europe n’est pas ravagée par une guerre, elle est e n proie au mécontentement, minée par la colère, assaillie de récriminations, et elle constitue un terrain propice aux partis populistes de droite comme de gauche.

Dans un passé pas si lointain, il n’existait pas de structure transnationale à part entière comme l’Union européenne pour attirer la colère popu-liste. Mais la situation actuelle, où les partis rebelles de beaucoup de pays vont probablement envoyer un gros contingent d’élus antieuropéens à Bruxelles, n’est pas fondamentalement nouvelle. Les “nouveaux” partis ne sont pas nouveaux en Europe. Il suffi t de se remémorer ceux d’Oswald Mosley [homme politique britannique, fonda-teur de l’Union britannique fasciste en 1932], Pierre Poujade et Jörg Haider pour voir que le

↗ “Coucou, coucou”. Dessin de Horsch, Allemagne.

Page 35: Courrier 20140522 courrier full 20140606 093312

Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014 LES POPULISTES À L’ASSAUT DE L’EUROPE. 31

—Süddeutsche Zeitung (extraits) Munich

Pour la première fois de l’histoire de l’Union européenne, les populistes de droite semblent partis pour constituer une part notable des députés européens – jusqu’à un tiers, selon certains. Le fait est qu’ils sont désormais présents dans presque tous les

Etats de l’UE. Leurs partis veulent limiter l’im-migration, en particulier celle des réfugiés, des demandeurs d’asile et des musulmans, nour-rissent de sérieuses réserves envers les profes-sionnels de la politique et leurs institutions, et s’opposent aux alliances politiques dont les effets s’étendent au-delà du pays – ce qui ne les empêche pas de voir dans l’UE un bon moyen de faire passer leur programme. On qualifie souvent d’incohérence leur participation aux élections européennes, mais c’est un tort. En effet, la plupart des responsables et des élus européens sont patriotes : s’ils tentent leur chance au niveau européen, c’est parce qu’ils sont convaincus que les ressources de l’UE leur permettront de servir au mieux les inté-rêts de leur pays.

“Le peuple” : une fiction. Un samedi matin de printemps, un petit groupe de manifestants se rassemble devant la statue de Tito Speri dans la vieille ville de Brescia, dans le nord de l’Italie. Au printemps 1849, ce nationaliste italien s’était soulevé contre l’armée autrichienne pendant dix jours avec une poignée de francs-tireurs et il avait fallu au maréchal Radetzky tout un corps d’armée pour les battre. La douzaine de manifestants de Brescia Patria qui brandissent des drapeaux bleu et blanc sous l’œil vigilant d’autant de policiers n’ont du nationalisme qu’une conception très limitée : ils ne demandent certes pas l’indépendance de leur ville natale mais celle de la Vénétie (même si Brescia se trouve en Lombardie), parce que cette région abrite l’histoire de la république de Venise, à laquelle leur ville a appartenu. “Chi paga commanda !” scande le meneur – celui qui paie commande.

Il veut dire par là que Brescia et la région versent bien plus à l’Etat italien qu’elles n’en reçoivent. Brescia Patria a beau n’être qu’un groupuscule séparatiste à l’imagination fertile, il a des liens évidents avec la Ligue du Nord, le parti populiste du nord de l’Italie qui

Le repli nationalLes partis populistes de droite pourraient être les grands vainqueurs de ces élections européennes. Pourquoi un tel succès ? Peut-être parce qu’à bien des égards ils sont plus modernes que les partis traditionnels.

populisme d’aujourd’hui est moins pernicieux que celui d’hier. D’abord, ces partis sont telle-ment différents les uns des autres qu’on peut douter de leur capacité à travailler ensemble. Certains d’entre eux sont résolument opposés à l’UE, d’autres préfèrent la réformer plutôt que l’abolir ou la quitter. Un ou deux sont franche-ment néofascistes, d’autres ont renié, et ce avec plus ou moins de conviction, leurs origines d’ex-trême droite, et d’autres encore viennent de la gauche de l’éventail politique.

Une déliquescence du débat. Les politiciens des partis traditionnels se plaisent à souligner que, pendant qu’ils ont la lourde charge d’appli-quer de nécessaires mais douloureuses mesures d’austérité, de coopérer avec le grand capital et de veiller au bon fonctionnement de l’UE, les partis populistes raflent les suffrages. La réalité est plus complexe. Les gens ne voient pas d’un bon œil ce qui est en train de se produire dans leur pays et sur leur continent. Plutôt que de répondre claire-ment à leurs inquiétudes, les politiciens tradition-nels tendent à les esquiver. Les partis marginaux jouent un autre jeu, proposant des politiques

simples, voire simplistes, comme celle visant à mettre un terme à l’immigration ou à déclarer une guerre ouverte aux entreprises. Des sor-nettes d’un côté, de l’indignation de l’autre. Il ne peut que s’ensuivre une déliquescence du débat politique, une perte de nuances et d’intelligence.

Pourtant, on peut considérer avec optimisme l’actuelle vague populiste. C’est à la fois une incitation à corriger le tir et un signal d’alarme. L’influence, au sein des institutions européennes et nationales, de dirigeants d’entreprise qui se rémunèrent trop, qui se désintéressent du coût social de leurs initiatives et qui amplifient les inégalités a pris trop d’importance. Le processus de démantèlement de l’Etat providence doit être inversé. Il faut mettre un terme au saccage de nos villes et de nos campagnes. L’accroissement de la précarité est un scandale. Et l’homogénéisation de la culture, du mode d’alimentation, des cam-pagnes, des villes et des rues commerçantes de l’Europe, un véritable cauchemar. Ça ne devrait pas être au Front national français de signaler tous ces problèmes. La tâche incombe au centre de l’éventail politique, et non à ses extrémités. —

Publié le 28 avril → 32

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32. À LA UNE Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

Une majorité d’Européens pensent que l’UE ne les prend pas en compte“Ma voix compte dans l’Union européenne.” Etes-vous d’accord ou non avec cette affirmation ?

SOURCE : “EL PAÍS” (sondage Eurobaromètre réalisé dans les 28 pays de l’UE et publié en octobre 2013)

DANEMARK

BELGIQUE

ALLEMAGNE

FRANCE

ROYAUME-UNI

ESPAGNE

ITALIE

GRÈCE

CHYPRE

UE À 28

57 %

47 %

41 %

36 %

19 %

18 %

17 %

13 %

11 %

29 %

74 %

80 %

79 %

86 %

86 %

66 %

59 %

54 %

41 %

51 %

d’accord pas d’accord

existe depuis la fi n des années 1980, et les Forconi [les fourches] – le mouvement des paysans, des routiers et des petits entrepreneurs. Or la Ligue du Nord compte des maires dans nombre de villes du Nord et c’est le parti le plus ancien du Parlement italien. Brescia Patria n’a donc rien d’anodin.

De ce côté-là de l’échiquier politique – les Vrais Finlandais, qui ont fait leur entrée au Parlement avec 20 % des voix ; le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, qui souhaite sortir de l’UE ; le Parti de la liberté autrichien, qui scande “Notre argent aux nôtres !” ; le Parti pour la liberté néerlandais –, on est uni par une même idée, qui vaut pour tous les peuples d’Europe : on est mieux entre soi, quand on a aff aire à ses semblables, au moins dans la vie de tous les jours. On a déjà tenté un nombre incalculable de fois de justifi er l’absurdité historique que représente cette conception du mot “peuple”, mais, même s’il est évident que tout “nous” national est une fi ction dépourvue de base ethnique, linguistique, sociale et économique, certains s’y accrochent inlassablement avec tous les moyens que la société et l’Etat mettent à leur disposition. Si l’on voulait vraiment lutter contre le populisme de droite, il faudrait commencer par le nationalisme.

Quand un peuple est-il “entre soi” ? Les Vrais Finlandais souhaitent priver la population suédoise de sa langue. Le Vlaams Belang veut être “maître” chez lui et diviser la Belgique. Les nationalistes conservateurs du Fidesz, au pouvoir, permettent aux extrémistes de droite du Jobbik (Mouvement pour une meilleure Hongrie) d’identifi er la vraie Hongrie et de manifester escortés par leur propre “gendarmerie” pour clamer haut et fort que les Juifs, les Roms et les homosexuels n’en font pas partie. Si l’on veut parvenir au “vrai” peuple, on doit faire un tri et séparer les bons des méchants. C’est notamment pour cette raison que le nationalisme radical se transforme vite en séparatisme.

On peut même pousser les choses jusqu’à considérer une ville relativement petite comme Brescia comme une patrie. Or il est impossible de défi nir ce qui entre dans le cadre du “vrai” peuple. Il faut donc décider qui a le droit d’en faire partie, quitte à recourir à des critères arbitraires. Les mouvements populistes affi chent un dégoût de la démocratie, un rejet des processus complexes de l’égalité, un refus des compromis qui leur semblent aller contre leurs intérêts, des minorités, du droit d’asile ou même des étrangers pauvres. Comment ce dégoût est-il apparu ? Peut-être parce qu’avec la supranationalité il fallait un nouveau régionalisme pour compenser. Et très certainement parce que les citoyens d’un Etat démocratique attendent de celui-ci qu’il serve leurs intérêts. Et, quand ce n’est pas le cas, ou pas assez, ils recherchent un parasite à qui en fait porter la responsabilité.

La Hongrie s’est payé des infrastructures modernes en s’endettant dans l’espoir d’attirer les investisseurs, mais ceux-ci se sont révélés exigeants et diffi ciles. Si la situation fi nancière calamiteuse, la corruption endémique et le nationalisme latent favorisent le populisme de droite, c’est toujours par le biais des mêmes arguments : ils nous ont tous menti, ils nous ont volés – surtout l’ancien gouvernement –, ils ont vendu le pays – surtout aux étrangers. Le moyen que préconise le Fidesz pour rétablir la situation, et qui rencontre un grand succès auprès des électeurs, c’est la purifi cation nationale : il faut nettoyer l’Etat et la société de tous les éléments qui n’ont pas pour priorité le bien de la nation. Il lui arrive même de s’en prendre aux investisseurs étrangers, à la grande horreur de l’UE et du Fonds monétaire international.

Un personnel jeune. Quand Jimmie Akesson, président des Démocrates suédois, s’est exprimé pour la première fois lors de la semaine politique d’Almedalen, un forum qui se déroule chaque été sur l’île de Gotland et où tous les chefs de parti suédois exposent leur programme de l’année, il a lancé sous les acclamations de ses partisans : “Nous sommes pour l’Etat social et contre l’immigration.” Le coût de celle-ci dépasse de loin son utilité, a-t-il ajouté. Bien entendu, les progressistes et la gauche lui ont répliqué que l’immigration rapportait plus qu’elle ne coûtait. Il est évident que cette polémique ne débouchera jamais sur rien, ma is elle explique les diffi cultés que connaissent les partis traditionnels face aux populistes de droite. La dose de nationalisme susceptible de servir les intérêts nationaux est un élément qui diff érencie les camps politiques, qu’il est toutefois possible de contourner en pratique : quand un populiste de droite est expérimenté, on ne peut que rarement prouver qu’il est ouvertement raciste, du moins en Europe de l’Ouest. En revanche, le nationalisme

Le FN, un faux séismeDepuis trente ans, la montée du Front national alimente les peurs françaises, mais Marine Le Pen aura bien du mal à parvenir au pouvoir

—Financial Times (extraits) Londres

Le Front national de Marine Le Pen pourrait-il battre tous les autres partis politiques fran-çais aux élections européennes ? Après le score impressionnant du FN aux municipales de mars dernier, plusieurs sondages indiquent qu’il passerait devant les socialistes du pré-

sident François Hollande et les conservateurs de l’UMP. Les commentateurs français parlent déjà d’un “séisme” politique. Deux mots en grosses lettres barraient la une du quotidien de gauche Libération : “Le choc”.

Mais n’allons pas si vite en besogne. En réalité, ce titre en référence au succès électoral du FN est paru au lendemain du scrutin européen de juin 1984. Depuis trente ans, le parti d’extrême droite soulève à intervalles réguliers des vagues de consternation, voire de panique, en France. Ce fut le cas en 1988, puis en 1995, lorsque Jean-Marie Le Pen, fondateur du parti, rafl a près de 15 % des voix au premier tour de la présidentielle,

Le nationalisme radical se transforme vite en séparatisme

est partout considéré comme une vertu. “Nous sommes le réveil français”, promettait le Front national, les populistes de droite français, avant les élections municipales de mars. Le parti a conquis toute une série de mairies, en particulier dans le Sud, en Lorraine et dans l’extrême nord du pays, des régions qui n’ont jamais été industrialisées ou qui sont restées au stade industriel. Et dans ce contexte il faut désormais prendre cette promesse de “réveil” bien plus au sérieux qu’auparavant. Car elle ne signifi e pas seulement nationalisme et repli sur soi, mais aussi modernité.

Ce n’est pas un hasard si partout en Europe les partis populistes de droite disposent d’un personnel relativement jeune et maîtrisent à la perfection les nouveaux moyens de communication. Ce n’est pas un hasard non plus si le groupe parlementaire du Dansk Folkeparti [Parti populaire danois] enregistre des chansons rock tandis que les séparatistes de Vénétie font campagne sur Internet. La promesse d’un avenir meilleur, plus glorieux, qui appartenait jadis au répertoire de certains partis conservateurs et avait été abandonnée, vit encore dans le populisme de droite sous la forme d’une contradiction : on vise une société moderne mais activement fermée.

—Thomas SteinfeldPublié le 3 mai

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FRANCE

LE RETOUR D’AUBE DORÉELe premier tour des élections municipales et régionales, le 18 mai dernier, a révélé une montée du parti néonazi Aube dorée. “Cette poussée se concentre principalement à Athènes et dans l’Attique, la région de la capitale, tempère le quotidien Ta Nea, mais le parti a gagné du terrain, ce qui est inquiétant”, ajoute ce journal de centre gauche. Malgré ses déboires avec la justice, ce parti néonazi n’a pas changé de méthodes. “Ses membres organisent à nouveau des soupes populaires réservées aux Grecs, ils sont moins présents dans les médias ou se donnent une image de personnes assagies, mais ils sont toujours aussi négationnistes”, relève Eleftherotypia. Et pour cause, seuls 9 des 18 députés ont été condamnés et 6 emprisonnés, dont leur chef Nikos Michaloliakos.“Ilias Kasidiáris, le porte-parole du parti, arrive en quatrième position pour la mairie d’Athènes et son comparse Ilias Panagiotaros à la même position pour la région de l’Attique. Tous deux surfent sur les problèmes de l’immigration”, souligne I Kathimerini. Ainsi, Aube dorée pourrait obtenir 2 ou 3 sièges sur les 21 attribués à la Grèce au Parlement européen.

GRÈCE

↗ Tremble, barcasse ! Alliance eurosceptique. Dessin de Paresh, Inde.

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Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014 LES POPULISTES À L’ASSAUT DE L’EUROPE. 33

se plaçant à quelques points à peine derrière des candidats de partis institutionnels. En 2002, avec un score frisant les 17 % au premier tour, il est arrivé devant Lionel Jospin, le Premier ministre socialiste de l’époque, se qualifiant ainsi pour le second tour (au cours duquel la gauche, en se pinçant le nez, a propulsé Jacques Chirac, candidat du RPR d’alors, vers une victoire décisive).

A supposer même que le FN arrive en tête du scrutin européen – que les électeurs français considèrent traditionnellement comme une occasion de protester contre leur élite politique –, il ne devrait pas dépasser de beaucoup la barre des 20 %. A court terme, ses chances de remporter une élection présidentie lle ou législative restent presque nulles, en dépit des déclarations de Mme Le Pen, qui s’est dite “prête à gouverner”. En bref, même si le “séisme” se produit, les piliers et la charpente de la Ve République ne risquent guère de s’effondrer. Ne nous y trompons pas, cependant : depuis 1984, le FN ne se limite plus à donner des sueurs froides aux intellectuels de gauche. Par son poids électoral, il a d’ores et déjà modifié la façon dont la France gère l’immigration et les immigrés. S’il enregistrait une forte progression ce mois-ci, il pourrait étendre bien plus loin son influence, notamment en matière de politique européenne.

Les lois sur l’interdiction des symboles religieux “ostentatoires”, comme le foulard islamique dans les écoles, et de la burqa dans les lieux publics sont

Nigel Farage, l’escroc bien-aiméRacisme, hypocrisie, abus d’aides européennes…, rien ne semble freiner le leader de l’Ukip, le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni.

—New Statesman (extraits) Londres

P ourquoi personne ne peut-il arrêter Nigel Farage ? A la veille des élections européennes, la menace que représentent l’Ukip et son leader charismatique est enfin prise au sérieux, mais il est bien trop tard. Trop longtemps, la classe politique a réagi avant

tout en méprisant ce parti qui parle le langage des comédies populaires télévisées, bourdes racistes comprises. Sauf qu’il n’y a pas de quoi rire.

Farage n’est pas seul : il s’inscrit dans une logique redoutable. Dans toute l’Europe, des candidats issus de la mouvance nationaliste et antiestablishment viennent combler le vide où il pourrait y avoir de l’espoir, proposant un cocktail empoisonné de préjugés et de haine de la poli-tique. Leur fonds de commerce : le mécontente-ment généralisé vis-à-vis des élites financières et politiques ainsi que l’aspiration populaire au changement, à n’importe quel changement.

C’est un voyou. Etant donné que la base conser-vatrice partage une bonne partie des convictions de l’Ukip en matière d’immigration et d’intégra-tion européenne, les leaders du Parti conser-vateur peuvent espérer que leur électorat se satisfera d’une version édulcorée du programme de Farage. En attendant, ils font mine de l’igno-rer. Ils ne peuvent pas non plus opter pour l’op-tion nucléaire – à savoir, rappeler que Farage est un ancien banquier gavé de subventions, qui a été éduqué dans l’enseignement privé: cela vaut éga-lement pour une bonne partie des membres du gouvernement. De toute façon, l’intégrité n’est pas l’argument de vente de Farage. Le fait qu’il retire un salaire confortable de son travail politique, qu’il ne crache sur aucun financement européen payé par le contribuable et qu’il emploie comme secrétaire sa femme allemande n’a pas pénalisé Farage. Les Britanniques ne croient plus aux poli-tiques honnêtes et ils préfèrent encore voter pour quelqu’un qui ne se cache pas d’être un escroc.

Les gens n’attendent pas de Farage qu’il soit intègre ou honnête. Il ne risque donc pas de les décevoir. Très télégénique, omniprésent en prime time, il reconnaît, semble-t-il, ses propres hypocri-sies. Quand les journalistes ont fini par lui poser la question des dépenses [Farage aurait abusé des aides européennes en 2013], il a confirmé qu’il ne voyait aucun inconvénient à dépouiller

DU CÔTÉ DE VIENNE : LE TRUBLIONLe Parti de la liberté d’Autriche (FPO) s’est retrouvé sans tête de liste quelques semaines avant les européennes. Andreas Mölzer, 61 ans, vétéran du parti d’extrême droite, a en effet dû retirer sa candidature après des semaines de polémique au sujet de ses déclarations racistes. Il avait notamment parlé de l’Union européenne comme d’un “conglomérat de nègres”. C’est un jeune cadre du parti qui lui succède : Harald Vilimsky, 48 ans, est un véritable semeur de troubles, note l’hebdomadaire Falter. D’après les derniers sondages, le FPO talonne de près les deux grands partis SPO (26 %) et VPO (25 %) avec 20 % des suffrages.

censées refléter l’attachement historique de la France à la laïcité. Mais le Parlement les aurait-il votées si le FN n’avait pas fait pression pour l’obliger à montrer qu’il s’occupait du “problème” de l’immigration ?

Depuis qu’elle a succédé à son père à la tête du FN, en 2011, Marine Le Pen s’est efforcée de faire oublier l’idéologie ouvertement raciste et antisémite du parti. Elle s’en est également pris à la mondialisation, au néolibéralisme et aux Etats-Unis en des termes qui rappelaient parfois étrangement ceux de l’extrême gauche (ce sont bien entendu les Français qui ont inventé l’expression “les extrêmes se touchent”). Elle a appelé au retrait de la France de l’Otan – mais pour les Français c’est l’UE qui représente le mieux, et de loin, la principale incarnation de l’intégration mondiale. Mme Le Pen a dénoncé l’illégitimité du traité de Lisbonne, exigé un retour au franc et proposé un référendum sur le maintien du pays au sein de l’UE. Cette tactique lui a permis de capitaliser sur les victoires électorales de son père. Si elle parvient à transformer l’essai le 25 mai, il y a fort à parier que les représentants des grands partis politiques durciront leur position sur l’Europe, tout comme leurs prédécesseurs l’ont fait sur l’immigration.

Or ce revirement arriverait au plus mauvais moment. L’euro était peut-être une mauvaise idée, mais à l’heure où l’Ukraine est en ébullition, où la Russie de Vladimir Poutine affirme sa puissance et où l’influence des Etats-Unis décline, l’unité européenne est, à n’en pas douter, plus importante que jamais. En ce sens, même si le dernier “choc” du parti de Mme Le Pen n’aura rien de nouveau, il pourrait tout de même faire encore plus de dégâts que tous ceux qui l’ont précédé.

—David BellPublié le 14 mai

ROYAUME-UNI

→ 34

AUTRICHE

Les piliers et la charpente de la Ve République ne risquent guère de s’effondrer

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34. À LA UNE Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

l’Europe. Farage passe pour un brave fi lou, en fait, c’est un voyou. Il est à la tête d’un parti qui n’hésite pas à exploiter la haine des étran-gers pour élargir sa base. L’Ukip est un parti qui ne parle au nom du peuple qu’en faisant appel aux ressorts les plus sombres de la psyché col-lective. C’est un parti qui défend les intérêts du patronat tout en parlant le langage du socialisme.

L’Ukip est un parti qui se sent obligé de préve-nir qu’il n’est pas raciste, comme n’importe quel raciste ordinaire. Mais, si l’Ukip réussit ce tour de force, et plus encore, c’est qu’il est le seul parti à incarner le ras-le-bol à l’égard de ce que Farage appelle “les politiciens carriéristes et leurs amis patrons”, comme s’il n’était pas l’un des leurs.

Les gens ne sont pas idiots. La classe poli-tique britannique n’a pas l’air de comprendre à quel point elle s’est aliéné sa base. Elle n’a pas la moindre idée du dégoût qu’inspire aux élec-teurs ce système démocratique incapable d’of-frir une solution cohérente et crédible à la baisse des salaires, à la hausse des loyers et au chômage récurrent. Or, même lorsqu’ils ont abandonné tout espoir, les gens utilisent leurs dernières forces pour chercher un bouc émissaire, et cela l’Ukip l’a bien compris. L’ensemble des médias, à gauche comme à droite, considère les gens qui ont l’inten-tion de voter pour l’Ukip ou d’autres partis d’ex-trême droite comme débiles, comme des moutons qu’il faut ramener dans le droit chemin. Ils sont persuadés qu’il suffi t de démontrer que c’est un parti raciste pour que les moutons reviennent à la raison. Et leur dernier eff ort désespéré, la créa-tion du néologisme “euroraciste” pour désigner l’Ukip, en est un exemple navrant.

Le problème, c’est que les gens ne sont pas idiots. Evidemment, ils vont peut-être un peu chipoter sur la défi nition du mot “raciste”, mais au fond d’eux-mêmes les gens savent bien que l’Ukip est un parti fondamentalement injuste et qu’il suffi t d’être diff érent, de parler une autre langue et de ne pas être né ici pour qu’il vous accuse d’être à l’origine de tous les maux de la société. Les gens en ont bien conscience, mais cela ne les dérange pas au point de changer leur intention de vote. Ils s’en fi chent, parce que, même s’ils aiment leurs voisins, leur détestation de la classe politique et leur peur de l’avenir sont encore plus fortes. George Orwell écrivait en substance que le fas-cisme ne passerait pas en Grande-Bretagne, car ses bottes cirées et son pas de l’oie seraient la risée du pays. Malheureusement il avait tort. Si l’extrême droite s’installe au Royaume-Uni, elle sera tout aussi ridicule. Elle oppo-sera sa bouff onnerie à l’odieux sérieux des hommes politiques, et les Britanniques, surtout les Anglais, se tiendront les côtes jusqu’à ce qu’elle arrive à Downing Street. La raison pour laquelle rien ne semble pouvoir arrêter l’Ukip est que personne ne propose une alternative crédible qui prenne en compte l’exaspération des élec-teurs sans attiser la haine. Cela nécessite une vision d’avenir et surtout un vrai respect de l’électorat, or les partis de gauche n’en ont pas encore fait preuve.

—Laurie PennyPublié le 30 avril

—La Stampa Turin

L orsqu’il s’agit de le défi nir, on range souvent le Mouvement 5 étoiles dans la catégorie “anti-système”. Une défi nition correcte – aussi fl oue soit-elle – si l’on se penche sur quelques-unes des caractéristiques du “grillisme” : la défi ance envers les professionnels de la poli-

tique, l’intégrisme en matière judiciaire, l’impa-tience face aux pesanteurs administratives, le désintérêt pour les cultures politiques tradition-nelles. Le mouvement de Beppe Grillo se com-prend toutefois mieux vu sous un autre angle, non pas celui de l’“antipolitique”, mais bien de la “politique anti”. Car les adeptes du Mouvement 5 étoiles ne veulent pas moins, mais davantage de politique. A l’heure actuelle, ils ne sont toute-fois capables de décliner cette exigence que sur le mode de la négation.

La dernière grande période d’ivresse politique que l’Occident ait connue date de la deuxième moitié des années 1960. Entamé à la fi n de la

décennie suivante, le refl ux a été marqué par le rétrécissement progressif de l’espace politique au bénéfi ce de la technocratie.

Suscitant l’impression grandissante, chez l’homme de la rue, de ne plus avoir le contrôle politique de son avenir, ce resserrement devait forcément engendrer tôt ou tard une forme de réaction, quelle qu’elle soit. Il est tout aussi déplai-sant de se sentir chaperonné par des technocrates que de se retrouver sur une table d’opération. On peut pourtant y trouver des avantages. Mais, pour qu’il en soit ainsi, deux conditions au moins sont nécessaires : la première, que le savoir du techno-crate soit irréfutable, la seconde, qu’il fasse son travail. Si les technocrates se chamaillent, révé-lant ainsi au monde combien leur “vérité” est pré-caire, et surtout si leur action n’apporte aucune amélioration, il ne reste plus alors à l’homme de la rue que l’impression désagréable d’avoir renoncé pour rien à son libre arbitre.

Or ce sont précisément les conditions dans les-quelles nous nous trouvons aujourd’hui. La “vérité”

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→ Beppe Grillo. Dessin de Ruben, Pays-Bas.

↑ Nigel Farage. Dessin de Gary Barker, Royaume-Uni.

Beppe Grillo : la révolte contre les technocratesLe mouvement populiste du comique devrait faire une grande percée aux élections européennes. Son succès se fonde sur le refus de la technocratie, qui aurait peu à peu remplacé la politique.

ITALIE

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Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014 LES POPULISTES À L’ASSAUT DE L’EUROPE. 35

Viktor Orbán et son meilleur ennemi, BruxellesLe seul Premier ministre populiste du continent, Viktor Orbán, a la réputation de ne pas mâcher ses mots à l’égard de l’UE. Pourtant, il n’ose pas risquer une véritable rupture entre Bruxelles et Budapest.

—Deutsche Welle (extraits) Bonn

Lorsque le Parti populaire européen (PPE) a organisé son congrès au début du mois de mars, en amont des élections européennes, Viktor Orbán s’est montré proeuropéen. Le chef de l’Etat hongrois a félicité José Manuel Barroso pour le sauvetage de l’euro et exhorté l’Eu-

rope à défendre ses valeurs démocratiques face à la crise en Crimée. Une semaine plus tard, il a fait une apparition à Budapest devant des milliers de sympathisants et tenu un discours diamétrale-ment opposé. La Hongrie, a-t-il déclamé devant la foule, lutte contre des ennemis bien plus grands et plus puissants que le pays lui-même – une réfé-rence au siège de l’UE à Bruxelles. Son gouver-nement, a-t-il ajouté, doit protéger les familles hongroises contre “les profi teurs, les monopoles, les cartels et les bureaucrates impériaux”, ces der-niers étant les commissaires et les responsables européens.

Ce type d’intervention publique est typique de Viktor Orbán, qui aime être perçu comme modéré et proeuropéen lorsqu’il est à l’étranger, mais qui change de tactique sur la scène natio-nale. Lors des élections législatives d’avril 2010,

il a remporté avec son parti de droite, le Fidesz (Union civique hongroise), une majorité de deux tiers au Parlement. Depuis, le Premier ministre et les députés du Fidesz tiennent un discours de plus en plus opposé à l’Europe et à l’UE. Selon le phi-losophe Gáspár Miklós Tamás, la Hongrie a une nouvelle idéologie d’Etat, qu’il appelle “un mélange de nationalisme et d’ethnicisme eurosceptiques”.

Cette année, pour sa campagne électorale, le Fidesz s’est concentré sur le coût des factures en Hongrie, où les prix de l’électricité, du gaz, de l’eau et du traitement des ordures ménagères sont relativement élevés. En 2013, le gouverne-ment a baissé d’environ 10 % les prix de ces ser-vices à deux reprises, et a réitéré l’opération en février 2014 – un cadeau à l’électorat qui a mani-festement pour but de doper la popularité du parti au pouvoir. Cette décision a été accompa-gnée d’un discours nationaliste visant à la fois les entreprises étrangères du secteur de l’énergie et l’UE, qui cherche actuellement à déterminer si ces baisses de prix sont contraires au droit européen.

Malgré le discours antieuropéen du gouverne-ment, la Hongrie ne prévoit pas actuellement de quitter l’UE. Les membres du Fidesz et les chefs d’entreprise favorables à ce parti profi tent net-tement des fonds et des subventions agricoles consentis par l’UE – un facteur économique non négligeable pour ce pays touché par la crise. Parallèlement, la Hongrie se tourne vers l’Est dans l’espoir de créer de nouveaux liens commer-ciaux. En janvier 2014, Viktor Orbán s’est rendu à Moscou, où il a signé un accord avec le prési-dent russe, Vladimir Poutine, pour obtenir un prêt de 10 milliards d’euros qui servira à agran-dir la centrale nucléaire hongroise de Paks avec des technologies russes.

Pessimisme croissant. Le Premier ministre hongrois est particulièrement désireux d’am-plifi er le mouvement eurosceptique : il milite ainsi pour une plus grande autonomie des Etats membres et une “Europe des nations”, au sein de laquelle les valeurs conservatrices reprendraient le dessus. Il estime que l’UE est actuellement déso-rientée, mais la plupart des Hongrois n’adhèrent pas pleinement aux tendances antieuropéennes de Viktor Orbán et du parti au pouvoir. Les son-dages montrent certes qu’un nombre croissant de citoyens hongrois ont une opinion négative de l’Europe et de l’UE depuis quelques années, mais leur euroscepticisme reste en deçà de la moyenne par rapport à l’ensemble des Etats membres.

Le pessimisme croissant de la Hongrie vis-à-vis de l’UE est peut-être dû à l’impression que l’adhé-sion à l’UE a été ponctuée de nombreuses erreurs. Non seulement l’accès aux fonds européens a été plus diffi cile que prévu, mais des sommes consi-dérables d’argent ont été redirigées immédiate-ment vers les cabinets-conseils et les fournisseurs de l’Europe occidentale. L’élargissement de l’UE, associé à l’ouverture et à la libéralisation des marchés, s’est avéré lucratif pour les entreprises d’Europe occidentale. En revanche, pour les pays comme la Hongrie, cette conjoncture a semé le chaos dans de nombreux secteurs. Beaucoup de petites exploitations agricoles et de maraîchers n’ont pas survécu à la transition.

—Keno VerseckPublié le 23 avril

des technocrates est mise à mal par les disputes au sein non seulement des sciences sociales, mais également des sciences dures – il n’est que d’as-sister à leurs divergences relatives au réchauff e-ment climatique. Quant aux résultats obtenus par les technocrates de l’économie et de la mondiali-sation, il suffi t de songer à la récession.

Face à ces désordres, ce que réclament les mou-vements antisystème, à commencer par celui de Beppe Grillo, est en réalité un retour en force de la politique : les technocrates ayant fait chou blanc, l’homme de la rue doit se réapproprier sa souveraineté et chercher son salut non pas dans les compétences, mais dans l’action collective. Ce n’est pas un hasard si Beppe Grillo recueille autant de suff rages chez les jeunes, les hommes, les diplômés et les actifs. C’est-à-dire dans les tranches de l’électorat qui, plus que les autres, sentent l’urgence de reconquérir l’avenir, et qui se jugent habilitées à y parvenir.

Voilà pour la politique. Mais pourquoi “poli-tique anti”? Pour deux raisons. D’abord, parce que l’échec des technocrates a été précédé par l’échec de la politique. Les grandes idéologies du xxe siècle qui promettaient à l’homme de la rue de reconquérir son avenir à travers l’action collective – non seulement le fascisme ou le communisme, mais aussi la social-démocratie – sont défuntes ou moribondes, les deux premières après avoir causé des dégâts incommensurables. Ensuite, parce que les processus d’intégration supranationale et l’ex-tension du champ alloué aux technocrates ont quasiment atteint le point de non-retour – plus exactement, des compétences techniques hors du commun seraient (paradoxalement) néces-saires pour faire machine arrière.

Vérité technocratique. La volonté de réap-propriation politique de l’avenir de chacun ne peut prendre que des formes apolitiques, engen-drer un agglomérat incohérent d’exaspérations et de micro-exigences et nourrir des mythes improbables et dangereux, comme la démo-cratie directe sur le web. Elle se mue néces-sairement en une politique du “non” et rejette forcément d’emblée les excès de la technocra-tie, qualifi ée de mystifi cation, mais aussi une appréciation raisonnable et réaliste des com-pétences techniques. D’où le mythe “grilliste” de la femme au foyer à la tête du ministère de l’Economie. D’où la provocation du chef de fi le de la Ligue [du Nord], Matteo Salvini, qui, voilà quelques jours, a fait part de son intention d’at-taquer en justice quiconque s’aventurerait à prédire des répercussions négatives en cas de sortie de l’euro.

Si elle se décline surtout sur le mode négatif, la “politique anti” adresse en tout état de cause un signal clair. Le recul de la sphère politique engagé dans les années 1970 par les vagues technocratiques a engendré un sentiment de frustration généralisé, et en Italie plus encore qu’ailleurs. Cette frustra-tion doit être organisée, et elle ne peut l’être que politiquement. Penser que le rétrécissement de l’espace politique revenait à réduire la politique à l’insignifi ance a été, au fond, une grave erreur. Les technocrates, du reste, sont pour l’essentiel très peu politisés, voire antipolitiques.

—Giovanni OrsinaPublié le 18 mai

DANEMARKLES EUROSCEPTIQUES EN TÊTEAu Danemark, ce sont les nationalistes du Parti populaire danois (Dansk Folkeparti) qui sont en tête des sondages, avec 25-26 % des intentions de vote. Une victoire le 25 mai serait un progrès plus que remarquable pour ce parti qui a obtenu 15 % des voix aux élections européennes de 2009. Eurosceptique depuis sa création, en 1995, le Parti populaire danois se démarque surtout par sa ligne très hostile à l’immigration. Il critique les accords de Schengen et l’ouverture des frontières entre les pays signataires, et a fait campagne contre le droit des citoyens européens (en l’occurrence surtout originaires d’Europe de l’Est) à l’allocation familiale dès leur premier jour de travail au Danemark.

HONGRIE

↘ Viktor Orbán. Dessin de Christo, Bulgarie.

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36. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

Ecologie ......... 38Médias ........... 40Signaux .......... 41

Partager son frigoInternet. L’économie du partage ne se cantonne plus aux voitures et aux appartements. Elle s’applique aussi aux aliments.

—The Guardian Londres

Il vous reste une demi-pizza et vous ne pouvez pas vous résoudre à la jeter ? Une

start-up de Seattle a la solution. Son application pour smart-phones, LeftoverSwap [littéra-lement “Echange de restes”], vous permettra d’offrir la part restante à l’un de vos voisins qui, une fois enregistré, sera informé chaque fois que de la nourriture gratuite sera disponible dans le quartier.

“Certains sont choqués et jugent l’idée carrément dégoûtante, d’autres la trouvent géniale ou se demandent si ce n’est pas une blague”, explique l’un des deux créateurs de LeftoverSwap, Dan Newman. Mais avec quelque 10 000 uti-lisateurs aux Etats-Unis et en Europe, en Australie et en Asie, cette application [gratuite] est bien réelle. Elle s’inscrit même dans un mouvement en plein développement : celui de l’éco-nomie du partage alimentaire.

“C’est un phénomène encore mar-ginal, reconnaît Dan Newman. Les gens commencent à peine à se faire à l’idée de partager leurs chambres via des sites comme Airbnb. Mais je pense qu’une grande partie de la population est prête à faire le maxi-mum pour partager ses ressources.”

Les pays développés gaspillent 40 % de leur production alimen-taire – les foyers britanniques, par exemple, jettent 20 % de la nourriture qu’ils achètent, et les pertes sont encore plus impor-tantes avant l’arrivée des produits en magasin. Il semble donc rai-sonnable de partager le contenu de son réfrigérateur.

Légumes et pain. Dans de nom-breuses villes allemandes, les gens donnent non pas les restes de leurs pizzas, mais les légumes et le pain qu’ils ne peuvent consommer. “Le gaspillage alimentaire est devenu un sujet très sensible ici, et parallè-lement l’économie du partage est en plein essor”, fait observer Barbara Merhart, coordinatrice du site Foodsharing.de à Munich. “Le gas-pillage alimentaire et l’économie du partage forment une bonne combi-naison. Personnellement, je n’achète plus de produits alimentaires. A quoi bon dépenser pour ça ?”

A la différence de LeftoverSwap, Foodsharing.de est une orga-nisation à but non lucratif. [Les créateurs de l’application LeftoverSwap ont une autre acti-vité professionnelle et ne semblent pas préoccupés, pour l’instant,

de dégager des revenus.] Mais les deux plateformes ont la même mission : mettre en contact des gens qui ont des denrées comes-tibles à donner avec d’autres qui souhaitent en recevoir. Selon Barbara Merhart, les bénéficiaires de Foodsharing.de n’ont pas forcé-ment un budget serré : beaucoup sont des cadres comme elle, qui veulent simplement éviter que la nourriture ne finisse à la pou-belle et qui ne voient pas l’inté-rêt de payer quelque chose qu’ils peuvent avoir gratuitement.

“L’idée initiale était de deman-der aux particuliers d’indiquer sur notre site s’ils avaient dans leur réfrigérateur des restes qu’ils sou-haitaient donner, poursuit-elle. Mais aujourd’hui des épiceries, des boulangeries et des restaurants par-ticipent eux aussi.” Ecouler des produits bientôt périmés pouvant poser des problèmes juridiques, il est plus difficile qu’il n’y paraît de faire collaborer les commerces de bouche. Mais ces dons de nour-riture ne bénéficient pas seule-ment à la planète, ils améliorent aussi les relations entre voisins, si bien qu’aujourd’hui des épi-ceries et même certains hôtels haut de gamme s’enregistrent sur Foodsharing.de.

D’une certaine façon, le partage alimentaire est la composante la plus sociale de l’économie du par-tage. Parce que des produits péris-sables sont en jeu et parce qu’il serait aberrant de traverser une ville pour récupérer des restes, le donneur et le bénéficiaire vivent généralement à proximité l’un de l’autre. “Vous regardez sur le site ce qui est disponible dans votre quartier, puis vous convenez avec le donneur d’un lieu de rencontre”, explique Barbara Merhart. Selon les calculs de Foodsharing.de, quelque 33 tonnes de nourriture ont été ainsi sauvées du gaspillage par les 40 000 membres de l’orga-nisation, répartis dans 218 villes d’Allemagne mais aussi d’Au-triche, de Suisse, du Mexique, d’Israël et du Royaume-Uni.

Et si les bananes sont noires ou le pain rassis ? La note moyenne de satisfaction sur Foodsharing.de est de 4,95 sur 5, et pour sa part Barbara Merhart affirme n’avoir

jamais reçu de produits impropres à la consommation. L’hygiène et la qualité des restes proposés par des inconnus n’en demeurent pas moins un problème. LeftoverSwap envisage de le résoudre en met-tant en place un système de nota-tion des participants comparable à celui d’Airbnb ou du service de covoiturage Uber.

Le site Cropmobster, en Californie, offre un autre type de service : des agriculteurs pro-posent leur production excéden-taire, qui finirait autrement en compost, et des volontaires s’en-gagent à aller la chercher pour la distribuer à des associations caritatives. A Londres, la start-up Eatro rassemble des cuisiniers amateurs désirant mettre leurs services à la disposition des habi-tants de leur quartier. “Pour beau-coup de nos cuisiniers, c’est une étape avant de monter leur affaire, explique le cofondateur d’Eatro, Bar Segal. D’autres sont juste pas-sionnés de cuisine et souhaitent faire partager la leur.” Les clients paient le même prix que dans un restau-rant ou chez un traiteur, et Eatro prélève une commission de 15 % sur chaque transaction. La notion de partage est néanmoins pré-sente : les cuisiniers livrent eux-mêmes leurs plats, dans un rayon de moins de 2 kilomètres.

Les pionniers du partage ali-mentaire sont enthousiastes. Mais, pour qu’il se développe, il faudra qu’un grand nombre de personnes surmontent leur dégoût ou leurs appréhensions, comme elles ont vaincu leurs hésitations à laisser des incon-nus utiliser leur chambre d’amis.

—Elisabeth BrawPublié le 5 mai

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

Sur l’économie du partage : “Etes-vous prêts à partager vos Lego ?” (23 avril 2014) ; “L’appli qui donne vos restes” (28 août 2013) ; “Particulier loue domicile à la journée” (CI n° 1092, du 6 octobre 2011). Sur le gaspillage : “Quand fruits et légumes partent en fumée” (CI n° 1112, du 24 février 2012) ; “En finir avec le gaspillage alimentaire” (26 janvier 2012).

trans-versales.

économie

“Certains jugent l’idée dégoûtante, d’autres se demandent si ce n’est pas une blague”

↙ Dessin de Cost paru dans Le Soir, Bruxelles.

Retrouvez sur Télématin la chronique de Marie Mamgioglou sur “Partager son frigo” dans l’émission de William Leymergie, jeudi 22 mai à 7h38.

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TRANSVERSALES.Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014 37

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Pressions

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2011

2012

2013

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15,6

Prix du houblon américain (en dollars par livre*)

Production de bière artisanale aux Etats-Unis (en millions de barils*)

* 1 livre = 0,45 kg

2000 2005 20132010

* 1 baril = 117 litres

SOURCE : “FINANCIAL TIMES” (USDA)

—Financial Times Londres

A Brooklyn comme dans le quar-tier londonien de Hackney, la bière artisanale fait désormais partie de

la panoplie de tout hipster qui se respecte. Mais l’engouement pour ces bières produites par de petits brasseurs indépendants s’est traduit par une ruée sur le houblon, l’ingré-dient qui donne au breuvage son arôme et son amertume. Aux Etats-Unis, où la ten-dance est née, le secteur de la bière arti-sanale représente près de 14 milliards de dollars [10,2 milliards d’euros] et a enregis-tré une croissance moyenne supérieure à 10 % par an au cours des dernières années. Résultat : le prix des savoureux houblons préférés des brasseurs artisanaux a doublé et oscille entre 7 et 10 dollars [5 et 7,3 euros] la livre depuis ces cinq dernières années, un record inégalé depuis la grande séche-resse de 2007-2008. Les bières artisanales contiennent jusqu’à dix fois plus de hou-blon qu’une lager ordinaire produite par une multinationale et sont souvent décrites comme des “bombes de houblon”.

“J’achète du houblon depuis trente ans et ça n’a jamais été aussi difficile”, déclare Steve Dresler, maître brasseur de Sierra Nevada, une société californienne créée par des bras-seurs amateurs à la fin des années 1970.

Aux Etats-Unis, la demande de nouvelles bières a fait grimper le nombre de brasse-ries artisanales à 2 768 l’année dernière, soit 15 % de plus qu’en 2012. Les bières artisa-nales représentent désormais presque 8 % du marché américain. Elles rencontrent éga-lement un fort succès au Royaume-Uni, en Europe continentale, au Japon, ainsi que dans certains pays émergents. La concur-rence devient ainsi de plus en plus rude pour mettre la main sur les récoltes de houblon dans le monde entier.

“C’est une sorte d’épidémie qui est en train de gagner toute la planète. Même la Chine compte près d’un millier de brasseurs artisanaux”, explique Alex Barth, directeur de Barth-Haas Group, un acteur majeur du marché du houblon, dont le siège est en Allemagne.

Parmi les divers styles de bières arti-sanales, la India Pale Ale (IPA), réputée pour sa forte teneur en houblon, est la plus demandée. Créée par les Britanniques au xixe siècle, l’India Pale Ale a fait des émules aux saveurs plus marquées.

“L’industrie du houblon a du mal à faire face”, reconnaît Sean McGree, de BSG CraftBrewing, un fournisseur américain d’ingrédients de fabrication de la bière. Les microbrasseries sont les premières à souffrir de cette situation. La faiblesse des réserves de houblon complique en effet la tâche des petites entreprises qui n’ont pas de contrat à terme avec les cultivateurs. Si l’un de leurs nouveaux produits fait un tabac, ils peuvent difficilement obtenir la matière première nécessaire pour répondre à cette demande inattendue.

Ainsi, quand le produit phare de Sierra Nevada, la Torpedo Extra IPA, a été lancé, en 2009, les ventes annuelles ont grimpé de 50 à 60 % et l’entreprise a eu des pro-blèmes d’approvisionnement, se souvient Steve Dresler. “Je n’ai pu vendre qu’un nombre limité de fûts [de Torpedo Extra ] par semaine avant de pouvoir refaire le plein de houblon”, explique-t-il.

Concurrence. Pour les brasseries artisa-nales, le plus dur reste sans doute à venir : dès l’année prochaine, les grandes multi-nationales reconstitueront leurs stocks et commenceront à négocier avec les produc-teurs. “Les prochaines années devraient être intéressantes, les brasseurs seront en concur-rence autant pour vendre que pour acheter”, commente Steve Dresler.

Les Etats-Unis ne comptent que 35 à 40 houblonniers – des exploitations fami-liales depuis quatre ou cinq générations –, installés pour la plupart dans l’Oregon, l’Idaho et l’Etat de Washington. D’autres agriculteurs ont commencé à cultiver cette plante dans le nord de l’Etat de New York, dans le Michigan et dans le Colorado, mais les volumes sont encore modestes. “Nous partons de zéro”, rappelle Steve Miller, un spécialiste du houblon chargé de développer cette production dans l’Etat de New York.

—Emiko TerazonoPublié le 12 mai

Le houblon a la gueule de boisMatières premières. Aux Etats-Unis, l’engouement pour les bières artisanales provoque une pénurie de houblon et fait grimper son prix de vente.

↙ Dessin de Boligán paru dans El Universal, Mexico.

La France aussi brasse local●●● Comme aux Etats-Unis, les bières artisanales font fureur en France. Des bières de petites marques régionales, comme la Mora en Corse, la Bière des cossettes à la chicorée, brassée à Saint-Omer, ou encore la Ceven’ale en Ardèche ont fait leur apparition ces dernières années. Et le nombre de microbrasseries ne cesse d’augmenter depuis le début des années 2000. L’Hexagone en compte près de 530, dont la capacité de production dépasse rarement le millier d’hectolitres par an, selon l’association Brasseurs de France. C’est en région Rhône-Alpes qu’on dénombre le plus de brasseries (81, contre 42 dans le Nord-Pas-de-Calais, par exemple). Avec 18 millions d’hectolitres en 2012, la France est le huitième producteur de bière en Europe.

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TRANSVERSALES38. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

—The Sydney Morning Herald (extraits) Sydney

En novembre 2013, Scott Poynton avait pratiquement convaincu Kuok Khoon Hong, patron du groupe [sin-

gapourien] Wilmar, le plus grand produc-teur d’huile de palme au monde, de renoncer à déboiser les forêts tropicales pour créer des parcelles destinées à la culture. Mais certains acteurs du secteur n’étaient pas d’accord. L’homme qui contrôle 45 % du marché mondial de l’huile de palme a alors fait marche arrière, anxieux à l’idée de faire le grand saut tout seul.

Scott Poynton, qui avait négocié avec Wilmar pendant des mois, a plaidé sa cause auprès de Kuok Khoon Hong dans un long courriel, en lui rappelant les arguments commerciaux en faveur du changement. Enfin, il a recouru à l’arme la plus puissante de son arsenal : il a envoyé au magnat sin-gapourien un strip du [cartooniste austra-lien] Michael Leunig.

“Au sommet de l’immeuble le plus haut du monde était assis l’homme le plus triste du monde”, commence cette histoire en forme de conte. La dernière vignette montre un ange mal-en-point mais souriant, vêtu de blanc et allongé dans la boue, au plus profond du cœur de cet homme seul. “J’ai envoyé ça au PDG de Wilmar et je lui ai dit : ‘Je pense qu’au fond de vous il y a un ange prêt au change-ment. J’ai vu cet ange et maintenant vous niez son existence. Ecoutez-le et passez à l’action’” se souvient Poynton.

Deux jours plus tard, Kuok Khoon Hong lui répondait : “Nous sommes prêts à passer à l’action.”

Scott Poynton est un homme rationnel, un scientifique et un spécialiste des forêts. Avec les employés de son organisation à but non lucratif, The Forest Trust (TFT), l’Australien analyse et étudie en détail la chaîne d’approvisionnement des plus grands distributeurs et producteurs de matières premières pour identifier les dégâts éco-logiques et sociaux que provoquent leurs actions. Il leur montre ensuite comment travailler autrement. Grâce à son modèle, TFT a réussi à convaincre des entreprises comme Wilmar, Nestlé, Ferrero et Asia Pulp & Paper de poursuivre leurs activi-tés sans déboiser et sans causer de tort aux

ÉCOLOGIE

Des rimes contre les tronçonneusesPortrait. L’Australien Scott Poynton veut changer le monde, et surtout les pratiques des entreprises. Pour les convaincre d’épargner les forêts tropicales, ce scientifique utilise volontiers une arme puissante : la poésie.

populations qui dépendent des forêts. Scott Poynton ne se contente pas d’exposer les faits. Souvent, il touche les patrons grâce à la poésie, à la fantaisie et aux métaphores. “Le changement vient de l’âme autant que du cerveau, et si je n’ai qu’un talent, c’est celui de trouver la personne qui tire les ficelles, de comprendre comment elle fonctionne et de l’encourager”, explique-t-il.

Depuis la création de TFT, il y a quinze ans, son approche s’est avérée bien plus effi-cace que toutes les interminables procé-dures engagées par les Nations unies pour ralentir la déforestation, qui provoque 10 à 20 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Si Scott Poynton s’exprime aujourd’hui, c’est parce qu’il est convaincu que le modèle de TFT peut réussir. Mais la mission est tellement colossale que son organisation n’y arrivera pas toute seule.

En 1979, à l’âge de 15 ans, Poynton est tombé par hasard sur l’émission de radio Science Show et c’est là que tout a com-mencé. Le scientifique invité ce jour-là était “le forestier le plus célèbre du monde”, Richard St. Barbe Baker, qui avait planté des millions d’arbres au cours de sa vie et qui avait fondé en 1922 un mouvement de préservation appelé Men of the Trees. Au moment de l’entretien, Richard Baker avait 90 ans et le jeune Scott a été subjugué.

“Ce vieux monsieur avait un fantastique accent britannique et il racontait des his-toires extraordinaires en faisant appel à la poésie, à la science et à l’art. Il abordait les gens par tous les moyens imaginables… j’ai été embarqué dans cette aventure.” Dans l’une des histoires, Richard Baker plantait des arbres sur les monts de Judée. A côté de chaque arbre, un rocher était déposé pour

offrir un habitat frais et humide aux vers qui apportaient de l’eau et des nutriments depuis le sous-sol. “Après l’émission, je me suis demandé d’où pouvaient bien venir ces vers. Et ces rochers ? J’ai trouvé ça génial !” se souvient Poynton. Lui qui avait grandi dans une banlieue pauvre de Melbourne enten-dait pour la première fois parler du métier de forestier. Bien avant la fin de l’émission, il avait trouvé sa vocation.

Scott Poynton est donc entré comme étudiant au département de foresterie de l’université nationale d’Australie, en 1984 [la foresterie rassemble les activités d’amé-nagement et d’exploitation des forêts].

Il s’est alors passionné pour un projet de coopération avec le Népal, dans le cadre duquel des forestiers australiens aidaient des agriculteurs à reboiser les collines népalaises. C’est aussi à cette époque qu’il a côtoyé les différents groupes qui fréquen-taient le bar de l’université, au milieu des années 1980 : “Les forestiers étaient plan-tés là, comme des idiots. Il y avait aussi les juristes, les féministes radicales et les écolos. Et pendant que chacun restait dans son coin, je faisais le tour pour discuter et essayer de comprendre tous ces gens.”

Après avoir obtenu son diplôme, Scott Poynton a travaillé pour Forestry Tasmania, puis il a décroché une bourse pour faire son master à Oxford. Il a ensuite trouvé un travail au Vietnam, dans un projet visant à trouver le meilleur moyen de reboiser une friche de 150 000 hectares dans le delta du Mékong.

C’est au Vietnam que le scientifique a eu un premier aperçu de la façon dont les circuits d’approvisionnement jouaient un rôle dans les pratiques des entreprises : en septembre 1995, la chaîne britannique de magasins de bricolage B & Q a décidé que le bois servant à fabriquer son mobilier de

jardin devait être abattu dans des condi-tions éthiques. Scott Poynton a été engagé pour analyser la forêt vietnamienne d’où le bois était censé venir. Mais il savait que cette forêt n’existait pas : “Le bois était abattu illégalement au Cambodge et acheminé par voie d’eau jusqu’au Vietnam, se souvient-il. Tous les responsables ont flippé.”

Orangs-outans et barres chocolatées. Il connaissait néanmoins la solution : une forêt gérée de façon responsable permet-trait de se procurer le bois nécessaire. Deux ans plus tard, alors que les discussions se poursuivaient, un rapport de l’ONG Global Witness intitulé “Made in Vietnam, Cut in Cambodia” [fabriqué au Vietnam, abattu au Cambodge] ébranla tout le secteur du mobilier de jardin. “Et les écolos ont fait ce qu’ils font le mieux… Ils se sont suspendus à des immeubles et ont traumatisé les entre-prises, pendant que je restais là, avec ma solu-tion”, raconte Poynton.

Finalement, en 1999, il a été embauché par ScanCom – le géant danois du mobilier de jardin –, qui était d’accord pour essayer d’assainir sa chaîne d’approvisionnement. Scott Poynton a alors créé The Forest Trust et ScanCom s’est engagé à ce que dès 2001 ses produits ne soient plus fabriqués à partir de bois abattu illégalement.

C’était un choix courageux, précise-t-il, car personne n’avait la moindre idée d’où venait la matière première. “Ils se sont engagés à s’emparer des problèmes de la chaîne d’approvisionnement et à y remé-dier. C’était le principe d’origine et ce modèle n’a pas changé.”

Lorsque sa mission chez ScanCom a pris fin, les compétences de Poynton étaient très recherchées, du Brésil à la Chine. Il savait alors que son modèle fondé sur la chaîne d’approvisionnement pouvait changer les

Scott Poynton : “Les écolos ont fait ce qu’ils font le mieux : se suspendre à des immeubles et traumatiser les entreprises”

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TRANSVERSALES.Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014 39

méthodes des entreprises, mais il s’est rendu compte qu’il ne travaillait pas avec celles qui engendraient 95 % de la destruc-tion des forêts : les producteurs de produits agricoles de base, comme le soja et le bétail en Amazonie, ou l’huile de palme en Asie.

Il a lancé un dialogue avec les super-marchés, sans grand succès, puis a passé deux ans à tenter de comprendre comment fonctionnait le secteur de l’huile de palme. Mais ce n’est qu’en 2010, à la suite d’une effrayante campagne de Greenpeace, qu’il a pu contacter l’un des plus grands utilisa-teurs mondiaux d’huile de palme. En mars de cette année-là, Greenpeace a mis en ligne une fausse publicité pour les barres Kit Kat de Nestlé : un salarié qui s’ennuie au bureau fait une pause et ouvre un sachet du célèbre en-cas, sauf qu’il croque dans le doigt d’un orang-outan mort et fait gicler du sang partout. Scott Poynton a demandé à rencontrer la direction de Nestlé, qui était horrifiée par cette publicité et “très dési-reuse” de régler le problème.

Peu après, Nestlé a annoncé un parte-nariat avec TFT et élaboré un ensemble de cinq principes directeurs contre la déforesta-tion et pour un approvisionnement respon-sable. Grâce à Nestlé, Poynton a pu accéder à Golden Agri-Resources [appartenant au conglomérat Sinar Mas], un fournisseur indonéso-singapourien d’huile de palme, qui a signé un accord avec TFT en 2011.

Puis Asia Pulp & Paper (APP) [l’un des plus importants producteurs de pâte à papier du monde, appartenant également à Sinar Mas] a fait de même. APP était deve-nue l’archétype de la société qui inflige tous les dommages imaginables à l’environne-ment. Elle avait déboisé au moins 2 mil-lions d’hectares de forêt tropicale sur l’île indonésienne de Sumatra depuis 1994, ainsi que 180 000 hectares de tourbières riches

en carbone. Des endroits où vivent tigres, orangs-outans et rhinocéros. Greenpeace s’employait à anéantir l’entreprise par le biais d’une campagne mondiale et les clients fuyaient en masse.

Scott Poynton a commencé à travail-ler avec APP en 2011 malgré les avertisse-ments de ses amis. “Les gens d’APP étaient si toxiques qu’aucune ONG ne voulait avoir affaire à eux”, se rappelle-t-il. Il les a contac-tés quand même, mais a rompu le dialogue après plusieurs mois de discussions stériles. “Votre image s’améliorera en fonction de ce qui se passera sur le terrain, et non avec des vœux pieux, des opérations médiatiques et des communiqués de presse”, leur a-t-il expliqué.

Un travail au corps. Avant de partir, il a envoyé à la direction un poème sur le thème du changement, écrit par l’Américaine Portia Nelson et intitulé Autobiography in Five Short Chapters [Autobiographie en cinq courts chapitres]. Il a expliqué aux patrons d’APP qu’ils étaient embourbés dans le deu-xième chapitre du processus décrit par le poème : ils tombaient constamment dans le même trou et en rendaient les autres responsables.

Cinq mois plus tard, en janvier 2012, les dirigeants l’ont rappelé : ils étaient prêts à changer. Scott Poynton voulait être cer-tain que ce désir était partagé par tous, y compris par les propriétaires sino-indoné-siens du groupe [la riche famille Wijaya, proche de Suharto]. Ce n’est qu’après s’en être assuré qu’il a accepté de revenir.

Au cours des douze mois qui ont suivi, son équipe a analysé en détail toutes les activités d’APP tout en menant un dia-logue soutenu avec les dirigeants.

“Scott et son équipe nous ont aidés à envi-sager nos activités autrement, explique Dewi Bramono, directeur du développement durable d’APP. Il nous a aidés à définir pré-cisément les valeurs que nous voulons perpé-tuer et à trouver comment adapter ces valeurs aux attentes mondiales.”

En causant du tort aux entreprises, Greenpeace et d’autres associations peuvent les convaincre de changer, explique Poynton, mais ces ONG ne disposent ni de l’exper-tise ni du modèle fondamental permet-tant de mettre en œuvre les changements nécessaires. “Il faut des gens comme nous, qui travaillent les gens au corps”, ajoute-t-il.

Bustar Maitar, directeur de campagne chez Greenpeace sur les forêts indoné-siennes, partage cet avis : “S’il s’agit de modifier la culture d’une entreprise, peu d’or-ganisations peuvent, comme TFT, pénétrer à l’intérieur et avoir même accès à l’actionnaire.”

A la suite de l’engagement d’APP, Scott Poynton s’est de nouveau tourné vers le secteur agroalimentaire. Faire en sorte

que les négociants modifient leurs com-portements est un défi d’une tout autre ampleur qui pourrait bouleverser les mar-chés mondiaux du soja, du sucre, du blé, du riz, du cacao et du café. Pour le scien-tifique, la méthode restera la même : per-suader les clients d’être plus exigeants vis-à-vis de leurs fournisseurs, coopérer avec les hauts dirigeants pour qu’ils conti-nuent à approvisionner la planète en nour-riture, tout en éliminant la déforestation et l’exploitation. “Si ces personnes ont été assez intelligentes pour créer un tel système de commercialisation des matières premières, elles sont assez intelligentes pour trouver un moyen de le démanteler pour le reconstruire autrement. J’en suis convaincu”, explique-t-il.

Dans sa mallette, Poynton conserve des copies écornées des poèmes et des car-toons qui l’inspirent – il possède certains d’entre eux depuis vingt ans. Il distribue à ses employés le livre de Michael Leunig Prières d’en rire [éditions de l’Atelier, 2002] ; leur réaction lui permet d’évaluer s’ils cor-respondent effectivement à leur poste.

Il a également demandé à Robyn Williams [le journaliste scientifique du réseau ABC, le réseau national australien] une copie de l’émission de radio qui a changé sa vie. Elle était conforme à ses souvenirs. “Je me consi-dère comme le rocher, confie-t-il. Je suis celui qui est assis à côté de l’arbre, qui réconforte et qui crée les conditions nécessaires au chan-gement… Mon rôle est de pousser les gens au moment où ils en ont besoin, je les soutiens lorsqu’ils ont besoin d’être rassurés.”

Pour expliquer ce qui le motive, Scott Poynton sort de son portefeuille une copie usée d’un autre poème. C’est un extrait de Between Two Worlds: Science, the Environmental Movement and Policy Choice [Entre deux mondes : la science, le mou-vement écologique et les choix politiques ;

Déclassement programméLe gouvernement australien vient de demander à l’Unesco de déclasser 74 000 hectares de forêt en Tasmanie. Une zone protégée par un accord signé en 2011 par le précédent gouvernement (une coalition écologiste et travailliste) et inscrite au patrimoine mondial de l’humanité depuis 2013. L’objectif du Parti libéral au pouvoir est d’ouvrir cette zone à l’exploitation forestière – ainsi que 400 000 hectares supplémentaires sur le territoire australien. L’Unesco doit rendre sa décision lors de la prochaine session du Comité du patrimoine mondial, qui aura lieu à Doha, au Qatar, du 15 au 25 juin, indique le réseau australien ABC.

non traduit]. Le poème comporte les vers suivants :

L’homme est périssable, mais ne périssons pas sans résister.

Et si le néant nous attend,Faisons en sorte qu’il ne soit qu’une injuste

destinée.“Je pense qu’il y a un très grand risque que

nous finissions tous comme des cafards, ajoute Poynton. Le climat va bientôt se réchauffer de 6 °C. J’ai peur que nous ne puissions rien y faire. Toutefois, nous devons pouvoir nous regarder dans le miroir au moment de mourir et dire ‘j’ai fait tout ce que j’ai pu’.”

—Michael BachelardPublié le 29 mars

“Ces gens étaient si toxiques qu’aucune ONG ne voulait avoir affaire à eux”

← Dessin de Beppe Giacobbe, Italie.

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TRANSVERSALES40. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

—New Scientist (extraits) Londres

Il y a quelques années seulement, le “web 2.0” – une expression désor-mais aussi démodée que les “auto-

routes de l’information” – devait changer la face du monde. Délaissant les grands médias antédiluviens, les gens allaient pouvoir réaliser leurs propres vidéos et exprimer leurs opinions directement sur Twitter ou YouTube. La campagne pré-sidentielle de Barack Obama en 2008 et l’éclatement du “printemps arabe” ont démontré que les citoyens pouvaient uti-liser les médias sociaux pour s’organiser, se mobiliser et faire avancer la démocra-tie. Les nouvelles technologies nous pro-mettaient un avenir libérateur.

En 2008, j’ai déménagé à San Francisco afin de mener une étude ethnologique sur les individus qui, à l’époque, étaient les premiers utilisateurs des médias sociaux aux Etats-Unis : les employés des start-up 2.0. Je voulais voir comment les spé-cialistes de ces nouvelles technologies

utilisaient ces outils et découvrir ce que leurs comportements laissaient présager pour le reste de la population.

Loin des grandes sociétés établies de la Silicon Valley, le monde des start-up de San Francisco était un réseau social informel essentiellement constitué de jeunes employés dans des entreprises financées par le capital-risque, comme Twitter, Digg ou Facebook.

Mais au lieu d’être utilisés à des fins mili-tantes ou créatives, les réseaux sociaux ser-vaient surtout à booster la popularité et le statut de leurs utilisateurs. Je remarquais alors que ces gens se souciaient énormé-ment du nombre d’abonnés à leur compte Twitter et du nombre de lecteurs de leur blog. Résultat : ils apportaient un soin tout particulier à leurs interactions en ligne afin de dissimuler ou d’améliorer certains aspects de leur existence, créant ainsi des person-nages conçus pour séduire leur public.

Cinq ans plus tard, on peut dire que les réseaux sociaux ont – d’une certaine manière – tenu leur promesse. Leur usage

MÉDIAS

Des réseaux mégalosOpinion. Loin des idéaux révolutionnaires de leurs débuts, Twitter ou Facebook sont surtout utilisés pour renforcer la popularité d’une élite obsédée par son image et sa réussite.

est plus répandu que jamais : Facebook compte 1 milliard d’utilisateurs, Twitter plus de 600 millions et des applications comme Instagram, WhatsApp et Snapchat rencontrent un immense succès. Et les stratégies d’autopromotion que j’avais observées s’étendent désormais au-delà des geeks et des lanceurs de tendances.

A peu près toutes les cultures accordent de l’importance au statut social et les gens consacrent énormément de temps et d’éner-gie à améliorer le leur. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’ils se servent des médias sociaux à cette fin. On note toutefois deux grandes différences dans le monde en ligne. Les réseaux sociaux permettent de s’adres-ser à des audiences considérables aux-quelles seuls les médias de masse avaient accès jusqu’à présent. Et bien que la plu-part des contenus en ligne ne s’adressent qu’à un public très limité, le simple poten-tiel d’audience modifie radicalement la rela-tion des individus à leur auditoire.

Microcélébrités. L’une des stratégies que j’ai pu observer à San Francisco est la microcélébrité. Les microcélébrités uti-lisent les réseaux sociaux pour promou-voir une image parfaitement maîtrisée d’elles-mêmes. Depuis 2008, cette ten-dance touche toutes les catégories d’utili-sateurs, des blogueuses spécialisées dans la mode aux militants.

La seconde différence est que les réseaux sociaux comme Facebook amalgament des publics traditionnellement séparés : amis, collègues, connaissances, famille. Dans le cadre du travail, cela signifie que les gens se créent des images de profes-sionnels à toute épreuve, supprimant tout contenu politique ou personnel.

Les sociétés de nouvelles technologies vantent leur fonctionnement méritocra-tique mais le succès ne dépend pas seu-lement de l’intelligence, du talent ou des efforts de chacun. Le réseautage est un fac-teur majeur de réussite. Dans ce milieu, les réseaux sociaux ont rendu visibles les rela-tions entre individus, entérinant ainsi des hiérarchies sociales par l’utilisation des technologies de communication. Au lieu de mettre tout le monde au même niveau, les réseaux sociaux ont concrétisé et codi-fié les hiérarchies sociales en les quantifiant et en les révélant à tout le monde.

Plutôt que d’encourager l’ouverture, la transparence ou l’authenticité – et encore moins la liberté ou le militantisme –, les réseaux sociaux ont réaffirmé une vision très limitée de la réussite. Certes il existe des nuances entre groupes sociaux, cultures et nationalités, mais les grandes promesses des réseaux sociaux ont néan-moins cédé la place à une course à la popularité qui n’a rien de révolutionnaire.

—Alice Marwick*Publié le 10 mai

* Sociologue, spécialiste des médias à l’université Fordham, à New York.

LA SOURCE DE LA SEMAINE

“New Statesman”

L’hebdomadaire de référence de l’intelligentsia britannique de gauche.

Depuis sa création, en 1913, ce magazine politique est réputé pour le sérieux de

ses analyses et la férocité de ses com mentaires. Le New Statesman est considéré comme le journal de référence de l’intelligentsia britannique de gauche, même si ses colonnes sont ouvertes à d’autres opinions.

Les problèmes financiers qu’il a rencontrés et son passage entre les mains de différents proprié-taires lui ont valu le surnom de The Staggers (“Le Tournis”), ce qui est aujourd’hui le titre du blog politique sur son site web.

Depuis 2009, le New Statesman accueille régulièrement des rédac-teurs en chef invités, dont Alastair Campbell (ancien conseiller tra-vailliste), Jemima Khan (à pré-sent rédactrice en chef adjointe permanente et héritière de James Goldsmith, homme d’affaires et milliardaire franco-britan-nique), Richard Dawkins (célèbre biologiste spécialiste de l’évolu-tion) et l’artiste dissident chinois Ai Weiwei.

Lire les articles du New Statesman, p. 13 et p. 33

NEW STATESMANLondres, Royaume-UniHebdomadaire, 28 900 ex.www.newstatesman.com

↙ Dessin de Walenta, Pologne.

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TRANSVERSALES.Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014 41

71 %

55 %

14%

La taille du carré représente le pourcentage de développeurs qui utilisent chaque plateforme. Un développeur peut en utiliser plusieurs.

Plateformes actuellement utilisées

Principales plateformes utilisées par les développeurs % de développeurs qui ont l’intention d’adopter une plateforme Android

15 %

iOS16 % HTML5

16 %

8 %BlackBerry 10

% de développeurs qui ont abandonné la plateforme ou ont l’intention de le faire

% de développeurs vivant au-dessous du seuil de pauvreté (avec moins de 500 dollars par mois par appli)

La majeure partie des développeurs ne gagnent pas assez d’argent pour vivre

Certains ont décidé d’abandonner la plateforme

Si certains s’en sortent bien, la majeure partie des développeurs ne gagnent pas autant d’argent qu’ils l’espéraient. Quelque 60 % d’entre eux vivent au-dessous du seuil de pauvreté.

Source : Developer Economics Q1 2014, Vision Mobile

101-200 500-1.000 51-100201-350

Recettes moyennes par appli (en dollars)

1-50

20 %Windows Phone

26 %

52 %

2 % 2 % 2 % 5 % 10 %

Ont été pris en compte

les principaux systèmes

d’exploitation utilisés

pour concevoir ces applis :

Android de Google, iOS d’Apple,

HTML5, Windows Phone

de Microsoft et BlackBerry 10

de BlackBerry.

SEUIL DE PAUVRETÉ

Sur ces 71 %, 46 % vivent au-dessousdu seuil de pauvreté

59 % 62 %76 %

89 %

signaux Chaque semaine, une page

visuelle pour présenter l’information autrement

Pauvre comme un développeurCeux qui conçoivent les applications pour mobile sont les grands perdants de ce marché.

DR

MÓNICA SERRANO. Cette graphiste espagnole a travaillé pour plusieurs quotidiens espagnols et pour le Corriere della Sera, en Italie. Elle enseigne depuis 2012 à l’Institut européen du design, à Madrid. Cette page, publiée le 30 mars dernier dans le

quotidien italien, représente l’activité et la situation économique des développeurs d’applications. L’utilisation d’applications sur mobiles a beau avoir plus que doublé en 2013, la plupart d’entre eux ne reçoivent que des miettes.

L’auteure

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LITTÉRATURE

42. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

dans The Castle of Knowledge [“Le château de la connaissance”, publié en 1556], du mathémati-cien gallois Robert Recorde [l’inventeur du sym-bole mathématique = (égal à)]. Vingt ans plus tard, l’astronome Thomas Digges est le premier Anglais à publier une explication détaillée de cette théorie. Son ouvrage comprend même un diagramme du système solaire dans lequel les étoiles s’étendent vers un extérieur sans limite – remarquable vision d’un cosmos infini.

L’intérêt pour le système copernicien prend une nouvelle dimension quand, en 1609, l’astro-nome italien Galilée pointe un télescope – une nouvelle invention – sur le ciel nocturne. Mais même à l’œil nu, on a déjà vu à certains signes que l’ancien modèle géocentriste n’était pas si solide. En novembre 1572, une nouvelle étoile apparaît dans la constellation de Cassiopée. On sait aujourd’hui qu’il s’agissait d’une supernova : l’explosion d’une énorme étoile. Elle est telle-ment brillante que son éclat dépasse celui de Vénus pendant plusieurs mois. Elle est obser-

vée par Digges en Angleterre et Tycho Brahe au Danemark, qui en publie une description. Cette

étrange apparition, qu’on appelle aujourd’hui l’“étoile de Tycho”, réfute l’immuabilité des sphères célestes et porte un coup à l’ancienne cosmologie.

—New Scientist (extraits) Londres

Il fait nuit noire quand le fantôme du roi Hamlet apparaît au château d’Elseneur. Une vive lumière dans le ciel annonce son arrivée, ainsi que le raconte Bernardo, l’un des gardes, à Horatio, l’ami du jeune prince Hamlet. “C’était justement la nuit

dernière, alors que cette étoile, là-bas, qui va du pôle vers l’ouest, avait terminé son cours pour illuminer cette partie du ciel où elle flamboie maintenant”*, dit-il avant d’être interrompu par une nouvelle apparition du spectre.

L’œuvre de Shakespeare (1564-1616) déborde d’allusions astronomiques, mais celles-ci étaient traditionnellement considérées comme des pro-cédés narratifs. Ou bien envisagées à la lumière de la pensée médiévale, dans laquelle les corps célestes étaient souvent vus comme des présages. Mais les réflexions sur l’astronomie shakespea-rienne ont récemment pris un nouveau tour. Un astronome contemporain va jusqu’à affirmer que Hamlet serait une allégorie de la révolution scien-tifique qui balayait l’Europe à son époque. En ce 450e anniversaire de la naissance de Shakespeare, il est donc temps de réévaluer l’intérêt que por-tait l’auteur au monde naturel.

Plusieurs décennies avant que naisse le drama-turge, en 1564, un véritable séisme avait commencé

à bouleverser la conception médiévale de l’Univers. Depuis des siècles, on croyait que la Terre était au centre de l’Univers. Mais, en 1543, Copernic publie De la révolution des sphères célestes, où il avance que c’est la Terre qui tourne autour du Soleil (héliocentrisme) et non l’inverse (géocentrisme). Au début, ses thèses ne modifient pas l’opi-nion générale, mais elles séduisent quelques personnes en Angleterre et sont mentionnées

Shakespeare ou la science apprivoiséeFin observateur, esprit curieux, l’auteur de Hamlet, dont on célèbre cette année le 450e anniversaire de la naissance, s’est intéressé de près aux théories qui ont chambardé le XVIe siècle. On trouve dans son œuvre de nombreuses allusions aux découvertes astronomiques de son époque.

MAGAZINELe ghetto ougandais trouve sa voix Tendances ...48 La légende erronée de saint Georges Histoire ...50360

→ Dessin d’Angus Greig, Grande-Bretagne.

Hamlet serait une allégorie de la révolution scientifique qui balayait l’Europe de la Renaissance

→ 44

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360°44. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

Shakespeare est-il au courant de ces évé-nements quand il commence à écrire ses pièces, dans les années 1590 ? On ne possède ni lettres ni journaux susceptibles de le démontrer, mais certains éléments laissent penser qu’il a pu avoir connaissance des idées nouvelles. Les spé-cialistes relèvent de nombreuses connections entre Shakespeare et la famille Digges, qui vit à quelques pâtés de maisons du dramaturge, dans le nord de Londres. Par exemple, Leonard, le fils de Thomas Digges, est un admirateur de la première heure du dramaturge et écrit un vers pour le frontispice du premier recueil publié de ses pièces. Shakespeare a également pu avoir eu connaissance des idées de Giordano Bruno, qui parcourt alors l’Europe pour expliquer le modèle copernicien. Il a bien dû avoir vent des hypo-thèses qui circulaient parmi les astronomes. Mais qu’est-ce qui prouve que son œuvre reflète ces théories ?

Hamlet constitue une source fructueuse de réflexion. Songez au remarquable passage de l’acte II où le prince se voit comme “le roi d’un espace infini”. Ferait-il allusion à l’Univers infini décrit pour la première fois par Digges ? Et puis

il y a cette étoile allant “du pôle vers l’ouest” qui annonce l’arrivée du fantôme du roi Hamlet à l’acte I. Shakespeare avait 8 ans quand la supernova a fait son apparition, mais il a pu y repenser en lisant les Holinshed’s Chronicles [“Chroniques de Holinshed”, publiées en 1577], une encyclopédie historique considérée comme la source de plusieurs de ses pièces. Et l’on sait que, pour un observateur anglais ou danois, l’“étoile de Tycho” était parfaitement visible dans le ciel en novembre, mois où est supposée se dérouler l’action d’Hamlet.

Shakespeare a peut-être été influencé par les écrits de Tycho lui-même, qui a rédigé des obser-vations détaillées de la nouvelle étoile depuis l’île danoise de Hven, à un jet de pierre à peine du château d’Elseneur (Helsingor en danois), où se situe Hamlet. De plus, Tycho avait deux parents nommés Rosencrans et Guildensteren, comme l’atteste une gravure qui circulait lar-gement dans les années 1590. Si la plupart des personnages de la pièce ont un nom classique, le fait que Shakespeare ait choisi d’appeler Rosencrantz et Guildenstern les courtisans envoyés pour espionner le prince n’est sans doute pas qu’une coïncidence.

Peter Usher, un astronome qui a pris récemment sa retraite de l’université d’Etat de Pennsylvanie, se fonde sur ces indices pour avancer que toute la pièce constitue une allégorie des différentes conceptions de l’Univers qui se faisaient concur-rence à l’époque. Il note que Claudius, le méchant de la pièce, porte le même prénom que Ptolémée, le chantre grec du modèle géocentrique, et iden-tifie une autre série de correspondances entre les personnages et divers astronomes.

Selon Peter Usher, le conflit se reflète dans l’action et les dialogues. Quand Hamlet annonce son intention de retourner à Wittemberg pour reprendre ses études, Claudius déclare : “Quant à votre projet […] il est en tout contraire à notre désir.” Usher voit là une allusion au mouvement contraire ou rétrograde des planètes [par rapport au Soleil], qui a poussé les astronomes à chercher à comprendre les mouvements célestes. Cette interprétation exagère sans doute l’influence de l’astronomie sur la pièce, mais la lecture de Hamlet laisse à tout le moins supposer que son auteur avait assimilé certaines des nouvelles théories.

Ce n’est que vers la fin de la carrière de Shakespeare que Galilée fait ses observations au télescope, mais certains éléments de Cymbeline, une pièce créée en 1611, montrent que le drama-turge était au courant de ses découvertes. Dans le dernier acte de la pièce, Posthumus, le héros, tombe dans une espèce de rêverie : les fantômes de quatre membres de sa famille apparaissent et se déplacent en cercle autour de lui en invoquant le dieu romain Jupiter. En entendant leurs cris,

Claudius, le méchant de la pièce, porte le même prénom que Ptolémée, le chantre grec du modèle géocentrique

→ Dessin d’Angus Greig, Grande-Bretagne.

42 ←

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Courrier international

celui-ci descend sur la scène. Nous avons donc Jupiter et quatre spectres qui se déplacent en cercle. La scène ferait-elle allusion à la planète Jupiter et à ses quatre lunes, qui venaient d’être décrites par Galilée ? Usher et deux spécialistes de Shakespeare, Scott Maisano, de l’université du Massachusetts, à Boston, et John Pitcher, de l’université d’Oxford, sont de cet avis.

Ces idées commencent à peine à éveiller l’intérêt de la communauté scientifi que, mais ce serait une erreur que de surestimer le rôle de la science dans la production littéraire de Shakespeare. Comme les scientifi ques, le dra-maturge possédait une curiosité insatiable qui ne se limitait pas aux êtres humains mais s’étendait à la nature. C’est cependant en tant qu’artiste qu’il s’est inspiré de ces thèses et de ces idées pour créer des œuvres dramatiques qui comptent parmi les plus fortes au monde.

—Dan FalkPublié le 18 avril

* Traduction de François-Victor Hugo.

A lireLA SCIENCE DE SHAKESPEARELes thèses de l’article ci-contre sont développées dans The Science of Shakespeare : A New Look at the Playwright’s Universe [“La science

de Shakespeare, un nouveau regard sur l’Univers de l’auteur”, inédit en français], paru aux éditions Thomas Dunne Books le 22 avril. L’ouvrage, écrit par le journaliste scientifi que canadien Dan Falk – également auteur de l’article du New Scientist –, recense les dernières recherches qui démontrent l’intérêt de Shakespeare pour les découvertes scientifi ques de son temps.

SOURCE

NEW SCIENTISTLondres, Royaume-UniHebdomadaire, 82 800 ex.www.newscientist.comStimulant, soucieux d’écologie et bon vulgarisateur, le New Scientist est l’un des meilleurs magazines d’information scientifi que du monde. Créé en 1956 et détenu par le groupe Reed Elsevier, le titre réalise un tiers de ses ventes papier à l’étranger. L’un de ses objectifs avoués est de jeter des ponts entre les disciplines et ses dossiers centraux peuvent aussi bien traiter d’astrophysique que d’art ou d’économie. En avril, pour le 450e anniversaire de la naissance de Shakespeare, il a ainsi consacré sa une au poète et dramaturge.

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360°46. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

—New Scientist (extraits) Londres

Epilepsie, décompensation psychiatrique, troubles du sommeil… Aussi sommaire qu’ait été la médecine du xvie siècle,

William Shakespeare a émaillé son œuvre dra-matique de descriptions cliniques d’une éton-nante modernité. Le comportement de certains de ses personnages correspond de façon frap-pante à la description de troubles neurologiques telle qu’établie par des médecins d’aujourd’hui, et les observations du dramaturge continuent, des siècles plus tard, de nourrir les travaux scientifi ques.

Shakespeare a ainsi inspiré Sigmund Freud, qui l’avait lu dans son enfance et cite plusieurs pièces dans ses ouvrages. “Les poètes et les philo-sophes ont découvert l’inconscient avant moi”, esti-mait le père de la psychanalyse. Une affi rmation dans laquelle le critique littéraire Harold Bloom croit voir une référence directe au Barde. Il sou-tient même que la cartographie de l’appareil psy-chique que nous attribuons à Freud serait en fait l’œuvre du dramaturge anglais.

L’intérêt de Freud pour Shakespeare pour-rait s’être cristallisé pendant les séminaires qu’il a suivis auprès de Jean-Martin Charcot, pionnier de la neurologie. Charcot fut le décou-vreur de théories sur la névrose et l’hystérie qui conduisirent Freud à passer de la neurologie à

Médecin malgré luiLa façon dont le tragédien décrit les aff ections de ses héros vaut tableau clinique. Encore aujourd’hui, il inspire les spécialistes des maladies nerveuses.

la psychologie. Or le Français puisait fréquem-ment dans Shakespeare des exemples de com-portements et de traits de caractère éclairants pour établir ses diagnostics.

Des enseignements qu’apprécient encore bien des neurologues. “L’art de la médecine pré-sente des ressemblances étonnantes avec celui du conte”, estime Brandy Matthews, neurologue à la faculté de médecine de l’université de l’Indiana, à Indianapolis. “Aussi incroyables que soient les technologies modernes à la disposition des prati-ciens, encore aujourd’hui, rien ne vaut un méti-culeux examen clinique.”

Mettant leurs pas dans ceux de Charcot, des neurologues, tel Brandy Matthews, conti-nuent de truff er leurs cours de références à Shakespeare. Mieux, certains ont procédé à une véritable analyse de son œuvre afi n d’en extraire des exemples précis de troubles men-taux. Si l’on peut aisément confondre fi ne obser-vation médicale et licence poétique, la richesse des descriptions shakespeariennes laisse cepen-dant penser que le dramaturge, pour certains symptômes, a puisé dans son expérience et les rencontres qu’il avait pu faire. Peut-être aussi avait-il eu vent de certaines histoires survenues au St. Mary of Bethlehem Hospital, fameux asile londonien plus connu sous le nom de Bedlam.

—Rowan HooperPublié le 19 avril

Cas d’écoleHAMLET PRINCE DU DANEMARK, ÉTUDIANT DILETTANTE

MACBETH ET LADY MACBETH COUPLE ÉCOSSAIS MARIÉ, PRIVILÉGIÉ, D’ÂGE MOYEN

OTHELLO GÉNÉRAL VÉNITIEN D’ORIGINE MAURE

“L’homme, cette glorieuse créature, ne me satisfait pas, ni la femme non plus…”Etudiant approchant la trentaine, Hamlet a tout récemment perdu son père – et le goût de l’existence : “Je n’estime pas ma vie au prix d’une épingle.” Mélancolique et impulsif, il tue accidentellement le père de celle qu’il aime. La plupart du temps, l’humeur de Hamlet alterne entre des hauts euphoriques et des bas désespérés. Il peut se montrer tendre envers Ophélie, puis subitement cruel (“Va-t’en dans un couvent ! A quoi bon te faire nourrice de pécheurs ?”)

et presque violent. Capable d’une fi nesse d’esprit et d’une perspicacité sans égales, il verse parfois dans une logorrhée extrême et se révèle incapable de mesurer le danger. Il est aussi très indécis. A en croire les psychiatres, les symptômes de Hamlet dessinent un tableau de trouble bipolaire, ce que ne conteste pas Farah Karim-Cooper, chercheuse au théâtre du Globe, à Londres. “Vous pouvez assister à ses sautes d’humeur et à ses crises de rage dans sa chambre avec sa mère, mais aussi dans ses échanges avec Ophélie.”

MacBeth : “Voilà mon accès qui revient.”Lady MacBeth : “Va-t’en, maudite tache… ; va-t’en, te dis-je.”MacBeth fait état d’hallucinations, dont celle d’un poignard fl ottant devant lui, et entend des voix lui dire qu’il ne connaîtra plus le sommeil. Outre

ces symptômes, il souff re de fonctions cognitives défi cientes, de mouvements anormaux involontaires, d’insomnie et de décompensation psychiatrique. MacBeth a été en contact avec un chaudron qui contenait peut-être des prions, des protéines de conformation anormale, ce qui étaierait un diagnostic de maladie de Creutzfeldt-Jacob (Clinical

Infectious Diseases, vol. 42, p. 299). Lady MacBeth est un cas bien diff érent. Elle peut se lever de son lit et écrire une lettre, “tout cela pourtant dans le plus profond sommeil”. C’est un exemple typique de parasomnie, trouble du sommeil lors duquel l’individu peut agir comme en état d’éveil. Lady MacBeth est également atteinte de troubles obsessionnels compulsifs. Elle se lave les mains à répétition pour faire disparaître une souillure imaginaire : “Quoi ! ces mains-là ne seront donc jamais propres ?” On sait aujourd’hui que se laver les mains contribue à réduire le stress émotionnel.

“Et pourtant j’ai peur de vous ; car vous êtes fatal quand vos yeux roulent

ainsi”, lui dit Desdémone.Othello est un soldat courageux et honorable, un homme au tempérament franc et ouvert. Mais il est aussi enclin à des accès souvent violents. Ces transformations sont spectaculaires. “Monseigneur est tombé en épilepsie, explique Iago. La léthargie doit avoir son cours tranquille ; sinon, l’écume lui viendrait à la bouche, et tout à l’heure il éclaterait en folie furieuse.”

Othello scelle son tragique destin lorsque, précisément au cours de l’un de ces accès, il tue son épouse Desdémone en l’étouff ant. Les liens entre crises d’épilepsie et actes de violence sont controversés, et ce depuis des siècles. L’analyse d’archives judiciaires de 1880 à 2013 a révélé 178 cas d’homicide dans lesquels l’épilepsie a été invoquée comme circonstance atténuante. “On est frappé, dans ces aff aires, par la férocité et la démesure des violences commises”, soulignent les auteurs de cette étude.Source : New Scientist

LE ROI LEAR PÈRE ET SOUVERAIN D’ÂGE AVANCÉ

“Où suis-je ? […] Je suis un pauvre bon radoteur de vieillard.”A plus de 80 ans, le roi Lear a largement dépassé l’espérance de vie moyenne [du xvie siècle]. Il tient des propos incohérents, avec une élocution dont le rythme s’emballe parfois sans crier gare, deux symptômes d’une possible maladie de Parkinson. Il oscille entre état psychotique, comme lorsqu’il ne reconnaît pas sa propre fi lle (“Vous êtes un esprit, je le sais”), et moments de lucidité (“Je crois que cette dame est ma fi lle Cordélia”). Le roi semble même se croire mort (“Vous me faites

bien du tort de me tirer du tombeau”), un type de délire souvent associé au syndrome de Cotard [un état délirant]. Dans l’ensemble, le tableau clinique soutient l’hypothèse d’une démence à corps de Lewy, souvent associée à la maladie de Parkinson. “La lucidité vacillante du roi Lear, ses mauvaises décisions et son tempérament soupçonneux vont dans le sens d’un tel diagnostic”, confi rme Adam Zeman, spécialiste en neurologie cognitive à l’université d’Exeter, en Angleterre.

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présente

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L’épée du PaladinBill Ballantine et Bob Morane se reposent en Dordogne,dans le monastère de ce dernier. Ils reçoivent la visite du professeur Hunter qui vient leur demander d’expérimenter sa nouvelle machine à voyager dans le temps.Le lendemain, Bob Morane et Bill Ballantine se retrouvent plongés au coeur du XIVe siècle où ils font la connaissance de la comtesse Yolande de Mauregard, frappée d’une étrange malédiction…

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Visuels non contractuels. Dans la limite du stock disponible, l’éditeur se réserve le droit d’interrompre la parution en cas de mévente. © Forton-Vance-Coria-Vernes © Le Lombard, 2014 ©2014 Planeta DeAgostini pour la présente édition. Société éditrice : Planeta deAgostini, S.A. Unipersonal. Avenida Diagonal, n°662-664-08034-Barcelona. Registro Mercantil de Barcelona, hoja 80.461, Tomo 6776, Libro 6055, Inscripción 1a.

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Le n° 3

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360°48. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

tendances.

Ramassés par le collierARGENTINE — “Des chiens à colliers verts.” C’est avec cette annonce énigmatique que le maire de Buenos Aires, Mauricio Macri, a lancé la nouvelle campagne de salubrité publique de la capitale argentine. “Une idée simple, reconnaît La Nación : si vous faites partie des propriétaires de chiens qui ramassent les excréments de leur animal dans la rue, alors signalez-vous en lui mettant un collier vert ou une autre identification bien visible.” Le résultat a été quasi immédiat, selon le journal argentin, qui a constaté que “de très nombreuses photos de chiens à colliers verts ont envahi les réseaux sociaux” après le lancement de l’initiative. Une manière efficace de nettoyer les rues “par l’exemple, et non par la loi”, assure de son côté l’édile.

Défilé de bonnesLIBAN — Pour défendre ses droits le 1er mai, on défile en général dans la rue. Des employées de maison migrantes ont, elles, choisi de défiler sur les podiums à Beyrouth, à l’initiative de l’association libanaise Insan. L’objectif de ce défilé de mode, “synonyme de liberté”, selon le quotidien L’Orient-Le Jour, était de “lutter contre la violence faite aux employées de maison, mais aussi demander que leur profession soit mieux organisée, en fixant des horaires de travail, en améliorant leur salaire, en leur donnant une liberté de circulation et en annulant le système du garant”, qui rend les immigrées complètement dépendantes de leurs employeurs à leur arrivée dans le pays, explique l’association.

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—El País (extraits) Madrid

L’Ouganda est le pays le plus jeune au monde, avec 78 % de sa popula-tion qui a moins de 30 ans. Parmi ces

jeunes, huit sur dix sont au chômage. Et si le rap était utilisé comme un moyen de ras-sembler ? Et si la musique servait à interpel-ler directement le spectateur ? “Et pourquoi pas ?” répondent en chœur les jeunes rap-peurs ougandais aux commandes de Newz Beat, le nouveau créneau d’informations du week-end, sur la chaîne de télévision NTV.

Ils ne passent que par sessions de cinq minutes à l’antenne, mais c’est plus que ce qui leur est nécessaire pour faire du hip-hop “le meilleur moyen d’affronter l’actualité sans restrictions, tout en évitant les problèmes [avec les autorités]. Nous mêlons la satire, l’iro-nie et parfois même ajoutons une touche de sarcasme pour enrober les nouvelles dans un flux de mots à la mode. Nous pouvons traiter les actualités tristes avec un peu d’humour et aborder certains thèmes plus facilement que dans un format de journal classique”, font-ils valoir. Et de convoquer les idoles du genre : “Nous en revenons toujours à cette citation de Chuck D – rappeur américain, principal chanteur et auteur du groupe Public Enemy – disant que le hip-hop, c’est la CNN du ghetto. Et c’est de là que nous venons !”

Leur fierté, c’est d’utiliser une voix dif-férente pour rapprocher le spectateur de l’actualité en utilisant un langage adapté aux jeunes, grâce au hip-hop ou au lugaflow (rap en luganda, une des langues parlées

dans le pays). “Il y a trop de gens qui ont le sentiment de ne pas voir de rapport entre leur quotidien et le contenu des journaux. Du coup, quand nous leur présentons les informations différemment, ils sont plus attentifs et nous en profitons pour évoquer des thèmes impor-tants pour notre société. Par ailleurs, en diffu-sant notre programme sur la première chaîne d’Ouganda (NTV), nous participons égale-ment à la légitimation progressive du hip-hop en tant qu’art. Grâce à ça, les artistes de la scène hip-hop sont désormais plus respec-tés, mieux considérés.”

L’émission Newz Beat aspire aussi à déve-lopper la conscience de chacun par rap-port à l’utilisation de sa langue maternelle. “Cinquante-deux langues sont parlées en Ouganda, mais l’anglais supplante aujourd’hui les langues indigènes comme langue véhicu-laire. Le lugaflow permet d’explorer le poten-tiel du luganda, et nous espérons en encourager d’autres à être plus créatifs dans leur langue natale plutôt qu’en anglais.”

L’émission surgit dans un contexte com-pliqué pour les médias ougandais. Il y a un an, la police nationale faisait irruption dans les bureaux du Daily Mirror, du Red Pepper et de deux stations de radio, Dembe FM et KFM, qui avaient publié le contenu d’une lettre ayant fuité : elle témoignait des pro-jets du président Museveni [au pouvoir depuis 1986], qui comptait préparer son fils à sa succession lors des élections de 2016. Par ailleurs, d’après le rapport “Liberté de la presse en Ouganda en 2013”, élaboré par le Réseau des droits de l’homme pour les

journalistes en Ouganda, 124 attaques ont été perpétrées contre des journalistes l’an-née dernière. L’un des défis de Newz Beat est donc de trouver comment aborder les nouvelles sensibles. “Nous essayons toujours de dénicher des angles différents et de mettre les choses en perspective pour le spectateur, au lieu de trop nous attarder sur les faits.”

Une dynamique semblable frappe de l’autre côté du continent. Au Sénégal, une musique électrique et lancinante vient réveiller les spectateurs toutes les semaines [depuis avril 2013] : c’est le Journal rappé. “Bienvenue, nous avons des nouvelles pour vous* !” Xuman, qui rappe en français, et Keyti, qui rappe en wolof, informent la majo-rité de ce pays, lui aussi très jeune, dans leur langage musical et poétique : le hip-hop. Et Newz Beat suit de près ces étoiles revendicatrices qui ont su se mettre les jeunes dans la poche. Chapeau !*

“Ces garçons sont un grand exemple pour nous. Nous étudions de près leurs méthodes de production, nous suivons leurs émissions en ligne et nous espérons entrer en relation avec eux. Nous aimerions vraiment que des journaux de ce genre se répandent et que d’autres pays nous imitent. Nous voudrions un jour rassembler la communauté hip-hop de toute l’Afrique, partager nos inquiétudes et nous inspirer les uns des autres”, concluent les présentateurs ougandais.

—Sebastián RuizPublié le 12 mai

*En français dans le texte

Le ghetto ougandais trouve sa voixDes actualités présentées sous forme de hip-hop et de rap : c’est possible en Ouganda. L’émission Newz Beat espère bien faire des émules en Afrique.

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A méditer cette semaine : Songe à une belle chose que tu n’avais jamais été capable de faire avant cette année.

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Ados en “emo”ARABIE SAOUDITE — “Des collégiennes et des

étudiantes adoptent des comportements nouveaux et bizarres”, constate Al-Sharq. Le quotidien saoudien, évoquant le phénomène “emo” qui

se développe dans le royaume, décrit “des attitudes étrangères à notre culture, telles que du maquillage noir, de la musique à tue-tête et un état d’esprit las, triste et pessimiste”. Un universitaire saoudien cité

par le journal y voit une simple imitation de l’Occident : “De nos jours, ce n’est plus comme

avant. Les générations passées ne connaissaient des autres sociétés que ce qu’elles percevaient

de loin, alors qu’aujourd’hui il n’y a plus de barrières entre les continents.” Plus terre à terre,

la psychologue Muna Youssef explique que “ces jeunes cherchent à exprimer leur rejet de l’autorité et à affi rmer leur individualité”. Bref, ils adoptent

simplement “l’attitude de rébellion contre la société” propre aux adolescents.

Bien plus qu’un jouetQuand elle a lu l’histoire d’un enfant de 5 ans qui, dans le Kentucky, avait accidentellement tué sa sœur de 2 ans par arme à feu, la photographe An-Sofi e Kesteleyn a su qu’elle tenait son prochain sujet. “Car il ne

s’agissait pas de n’importe quelle arme à feu, mais de celle du petit garçon, souligne The New York Times : un fusil conçu spécialement pour les enfants et commercialisé en rose, orange, bleu ou multicolore.” Face aux raisons invoquées par les parents américains pour armer leurs enfants (“autodéfense” et “peur de l’agression”), la photographe a demandé à ces derniers de mettre sur le papier leurs propres peurs, qu’elle affi che près de leurs portraits.

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Eclair de survieROYAUME-UNI  — Diffi cile pour un cycliste d’être vu la nuit, même avec un éclairage conventionnel. “Un problème qui devrait être résolu avec la Blaze Laserlight”, affi rme le magazine Fast Company. Ce système d’éclairage “projette l’image d’un vélo quelques mètres devant la roue avant du cycliste, avertissant les autres utilisateurs de la route de l’arrivée d’un deux-roues.” D’après le mensuel, “les voitures ont tendance à laisser plus d’espace aux cyclistes grâce à cet éclairage, ne se rabattant qu’après avoir dépassé l’hologramme”. Le concept a été mis au point dès 2011 par Emily Brooke, une jeune designer britannique, qui était alors encore à l’université. Trois ans plus tard, une campagne de fi nancement participatif en ligne lui a permis de récolter plus de 800 000 dollars (580 000 euros) pour mener son projet à terme. Rouler derrière cet hologramme salvateur va tout de même coûter près de 150 euros.

“J’ai peur des requins.” Halex, 6 ans.

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360°50. Courrier international — no 1229 du 22 au 27 mai 2014

—Al-Hayat (extraits) Londres

Du xie au xiiie siècle, les seigneurs revenus des croisades, de Godefroy de Bouillon à Richard Cœur de Lion, pour ne citer

qu’eux, se sont vantés d’avoir été soutenus dans leur lutte contre “les infidèles” par des chevaliers blancs chevauchant des montures tout aussi blanches. Et ces chevaliers auraient été com-mandés par saint Georges [Mar Girgis en arabe].

Cette légende est devenue partie intégrante de l’histoire. Elle s’est répandue, agrémentée de moult ajouts, pour subsister jusqu’à nos jours. Elle mérite qu’on s’y arrête un peu. Car elle a une saveur particulière, étant à la fois palestinienne et occidentale. Au Moyen-Orient, la figure de Mar Girgis se superpose en effet à celle d’Al-Khidr [dans le Coran]. En Occident, il a connu une autre destinée. Son iconographie, qui le montre à cheval, livrant un combat contre le dragon, s’est profondément ancrée dans l’imaginaire popu-laire. Rien qu’en Angleterre, plus de 100 villages portent son nom, tout comme quantité d’autres sur le reste du continent. Il a également donné son nom à la croix de saint Georges, le drapeau anglais [une croix rouge sur fond blanc], et pen-dant plus de mille ans d’innombrables soldats anglais ont péri sous cette bannière.

Dès le ive siècle, l’icône de saint Georges ornait des sanctuaires en Palestine. Les Arabes chrétiens célébraient en lui un martyr [Georges de Lydda aurait été victime, en 303, de la Persécution de Dioclétien, une vague de répression du christia-nisme] ; les musulmans, eux, célébraient Al-Khidr, qui assistait Moïse dans la sourate coranique de la Caverne. Nous sommes donc ici loin des récits colportés en Europe par les anciens croi-sés. Sous prétexte de libérer Jérusalem des “infi-dèles” – alors qu’il ne s’agissait en réalité que d’accaparer des territoires et des richesses –, l’Europe a érigé le personnage en emblème guerrier. Selon la légende, Mar Girgis n’avait combattu personne d’autre que le dragon. Et encore faut-il souligner la portée symbolique du fait qu’il avait subjugué la bête avant de la tuer. Ce qui voulait dire, pour les croyants d’Orient, qu’il l’avait emporté par la force de sa volonté et de sa foi, non par un acte guerrier à propre-ment parler.

A Lod, la ville considérée comme son lieu de naissance [aujourd’hui située dans le centre d’Israël], chrétiens et musulmans vénéraient chacun à leur manière le même personnage sous le nom d’Al-Khidr ou de Mar Girgis. Les récits religieux et historiques s’imbriquaient étroite-ment et le fond du message restait dans les deux religions identique, avec une même insistance sur les valeurs de cohabitation, de résistance au Mal et de vaillance face à l’adversité. C’est ainsi que, sur le terrain, monastères et églises avoisinaient mosquées et lieux de prière, tous dédiés au même héros ; les fidèles des deux reli-gions se croisaient et échangeaient des vœux pour les fêtes des uns et des autres.

Cette tolérance respectueuse était la chose la mieux partagée, effaçant nombre de diffé-rences entre les communautés [chrétiennes et musulmanes]. Au point que, au xviiie siècle, les voyageurs occidentaux en Palestine ne pou-vaient distinguer un chrétien d’un musulman.

Il n’y avait ni quartiers séparés, ni spécifici-tés vestimentaires, ni aucun autre signe dis-tinctif entre les religions. C’est l’histoire d’une cohabitation naturelle. Et c’est cela qu’incarne pour les Palestiniens le personnage d’Al-Khidr-Mar Girgis-saint Georges. Lui qui était né d’un père venu d’Asie Mineure et d’une mère pales-tinienne, et qui était resté en Palestine jusqu’à sa mort.

Quand Jérusalem est tombée aux mains des croisés, au xie siècle, les armées occidentales ont passé les habitants de la ville au fil de l’épée. Jérusalem, mais aussi Bethléem et toutes les villes de la région ont connu des bains de sang sans précédent. Non seulement les envahis-seurs tuaient, pillaient les richesses et faisaient régner l’arbitraire, mais ils prétendaient que saint Georges était apparu aux soldats pour bénir leurs faits d’arme. Sa légende s’est répandue et a été agrémentée de nombreux ajouts par le fer-tile imaginaire populaire, au point que toutes les victoires des armées chrétiennes ont fini par lui être attribuées. C’est ainsi que le saint palestinien a été transformé en chef de guerre.

De retour dans leurs pays, les croisés ont hissé son drapeau partout sous son nouveau nom de saint Georges, devenu “prince des martyrs”. La récupération de l’image du saint oriental s’est perpétuée aux cours des siècles suivants. A l’époque des grandes découvertes, le drapeau orné de l’effigie de saint Georges flottait sur les bateaux espagnols et portugais qui écumaient les océans. Christophe Colomb l’a porté jusqu’aux Amériques, où la figure du saint a accompagné les Blancs dans l’extermination des Indiens. La même histoire s’est reproduite lors des conquêtes en Afrique et en Asie et l’extension de la zone d’in-fluence des Européens. Des siècles plus tard, le colonialisme, qu’il soit anglais, français ou italien, a repris saint Georges pour emblème. Et, avec le temps, saint Georges est devenu l’un des mythes fondateurs de l’identité britannique.

—Khaled HroubParu le 3 mai

histoire.

La légende erronée de saint

GeorgesIVe siècle Palestine

Le saint patron de l’Angleterre est souvent représenté en armes

et à cheval, tel un guerrier. Une image à mille lieues de ce qu’incarnait

autrefois ce martyr palestinien.

En savoir plusGARE AU DRAGONAu xiiie siècle, la légende de saint Georges est adaptée par Jacques de Voragine, futur archevêque de Gênes, dans La Légende dorée. Cet ouvrage, destiné aux prédicateurs, retrace la vie de quelque 150 saints et certains épisodes de la vie de la Vierge et du Christ. Il va devenir le plus célèbre recueil hagiographique du Moyen Age. La légende de saint Georges y est ainsi relatée : un jour, monté sur son cheval blanc, saint Georges traverse Silène, dans la province romaine de Libye. Un dragon terrorise la ville, dévorant chaque jour un adolescent tiré au sort. C’est au tour de la fille du roi d’être sacrifiée. Saint Georges accepte d’aider les habitants à condition que ceux-ci se convertissent au christianisme. Il dompte la bête avant de la tuer.

↙ Saint Georges combattant le dragon. Image extraite d’un livre d’heures français du xive siècle. Photo British Library/Robana/Leemage

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