finance d’entreprise 3e édition -...

13
1 Finance d’entreprise 3 e édition Jonathan Berk, Peter DeMarzo Gunther Capelle-Blancard, Nicolas Couderc Chapitre 28 Les fusions-acquisitions Introduction En France, la plus grosse fusion dentreprises à ce jour est le rapprochement entre Suez et GDF en 2004, lopération portant sur un montant de 62,4 milliards deuros. Si les opérations de cette taille ne sont pas très fréquentes, plusieurs dizaines de milliers de telles fusions sont conduites chaque année dans le monde : en 2007, avant la crise, elles ont ainsi représenté plus de 3 000 milliards deuros. Les opérations de fusions-acquisitions participent du marché du contrôle des entreprises : quelles que soient les modalités pratiques de lopération et sa forme juridique, il sagit toujours dun rachat dentreprise, donc dune modification de sa propriété, potentiellement accompagnée dune modification de son contrôle. Plan 28.1. Les fusions-acquisitions : une histoire de vagues 28.2. La réaction du marché aux annonces de rachat 28.3. Pourquoi acheter une entreprise ? 28.4. Comment racheter une société cotée ? 28.5. Comment se défendre contre une OPA hostile ? 28.6. Qui profite de la valeur créée à loccasion dune fusion ?

Upload: others

Post on 26-May-2020

2 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Finance d’entreprise 3e édition - univ-lille.frmoodle.univ-lille2.fr/pluginfile.php/266421/mod... · 28.4. Comment racheter une société cotée ? Comment une entreprise procède-t-elle

16/12/2016

1

Finance d’entreprise 3e édition

Jonathan Berk, Peter DeMarzo

Gunther Capelle-Blancard,

Nicolas Couderc

Chapitre 28

Les fusions-acquisitions

Introduction

En France, la plus grosse fusion d’entreprises à ce jour est le rapprochement entre Suez et GDF en 2004, l’opération portant sur un montant de 62,4 milliards d’euros. •  Si les opérations de cette taille ne sont pas très fréquentes, plusieurs

dizaines de milliers de telles fusions sont conduites chaque année dans le monde : en 2007, avant la crise, elles ont ainsi représenté plus de 3 000 milliards d’euros.

Les opérations de fusions-acquisitions participent du marché du contrôle des entreprises : quelles que soient les modalités pratiques de l’opération et sa forme juridique, il s’agit toujours d’un rachat d’entreprise, donc d’une modification de sa propriété, potentiellement accompagnée d’une modification de son contrôle.

Plan

28.1. Les fusions-acquisitions : une histoire de vagues 28.2. La réaction du marché aux annonces de rachat 28.3. Pourquoi acheter une entreprise ? 28.4. Comment racheter une société cotée ? 28.5. Comment se défendre contre une OPA hostile ? 28.6. Qui profite de la valeur créée à l’occasion d’une fusion ?

Page 2: Finance d’entreprise 3e édition - univ-lille.frmoodle.univ-lille2.fr/pluginfile.php/266421/mod... · 28.4. Comment racheter une société cotée ? Comment une entreprise procède-t-elle

16/12/2016

2

28.1. Les fusions-acquisitions : une histoire de vagues

Les entreprises peuvent croître de trois manières : • Croissance interne (ou organique) de l’entreprise, nécessairement progressive.

• Alliance avec une autre entreprise dans le cadre d’un contrat ou d’une société commune (joint-venture).

• Croissance externe : plus rapide, mais souvent plus coûteuse, cette méthode consiste à racheter une autre entreprise ou à fusionner avec elle. Les fusions-acquisitions (en anglais mergers and acquisitions, ou M&A) sont des opérations très courantes : chaque année, plusieurs dizaines de milliers d’entreprises sont rachetées

Les fusions-acquisitions : une histoire de vagues L’immense majorité de ces opérations concerne des petites ou moyennes entreprises. Seules une vingtaine d’opérations annuelles ont trait à des grandes entreprises pour des montants dépassant les 20 milliards d’euros. Les « mégafusions », dépassant 50 milliards d’euros, sont encore plus rares, bien que leur fréquence ait tendance à augmenter ces dernières années. La plus grosse fusion à ce jour a été lancée par Vodafone, qui a consacré plus de 200 milliards d’euros au rachat de Mannesmann en 2000.

Les fusions-acquisitions : une histoire de vagues

Les fusions-acquisitions : une histoire de vagues Les opérations de fusions-acquisitions sont marquées par une cyclicité très forte, avec des périodes d’intense activité suivies de périodes plus calmes. •  Les fusions sont plus nombreuses en période de croissance économique

qu’en période de récession et sont positivement corrélées aux mouvements des marchés actions.

Les dernières vagues de fusions-acquisitions ont chacune marqué de leur empreinte une décennie différente (1960, 1980, 1990 et 2000). Chacune de ces vagues a été caractérisée par un type particulier d’opérations. •  Formation de conglomérats dans les années 1960, recentrage sur le cœur

de métier dans les année 1980, fusions « stratégiques » et « globales » dans les années 1990 et consolidation dans les années 2000.

Page 3: Finance d’entreprise 3e édition - univ-lille.frmoodle.univ-lille2.fr/pluginfile.php/266421/mod... · 28.4. Comment racheter une société cotée ? Comment une entreprise procède-t-elle

16/12/2016

3

Les fusions-acquisitions : une histoire de vagues

Les fusions-acquisitions : une histoire de vagues

28.2. La réaction du marché aux annonces de rachat Lorsqu’une entreprise (l’acquéreur) propose aux actionnaires d’une entreprise cible cotée de racheter leurs actions, il semble logique que le prix d’achat proposé soit au moins égal au prix de marché de l’action avant l’annonce. Dans la pratique, la plupart des offres de rachat offrent aux actionnaires de l’entreprise cible une prime par rapport à la valeur de leurs actions avant l’annonce de l’opération.

Comment réagissent les marchés à une annonce de rachat ?

Page 4: Finance d’entreprise 3e édition - univ-lille.frmoodle.univ-lille2.fr/pluginfile.php/266421/mod... · 28.4. Comment racheter une société cotée ? Comment une entreprise procède-t-elle

16/12/2016

4

Comment réagissent les marchés à une annonce de rachat ? La réaction est très contrastée selon que l’on regarde les actions de la cible, qui augmentent de 15 % en moyenne, ou celles de l’acquéreur, qui ne bougent pas. Plusieurs questions : •  Pourquoi l’entreprise initiatrice offre-t-elle aux actionnaires de l’entreprise

cible une prime ? En fait, cette question est double : 1) La prime offerte est-elle justifiée ? 2) Si oui, pourquoi n’est-il pas possible d’acheter la cible à sa valeur de marché initiale (avant annonce de l’opération) ?

•  Lors d’une annonce d’offre de rachat, pourquoi les actions de l’entreprise cible augmentent-elles moins en moyenne que la prime offerte ?

•  Lors d’une annonce d’offre de rachat, pourquoi le prix des actions de l’entreprise initiatrice ne varie-t-il pas en moyenne ?

28.3. Pourquoi acheter une entreprise ? Pour la plupart des investisseurs individuels, l’achat d’actions est un investissement à VAN nulle. Comment est-il possible qu’une entreprise en rachète une autre en offrant une prime aux actionnaires de cette dernière et réalise tout de même une opération à VAN positive ? Cela implique que l’acheteur soit capable de faire augmenter la valeur de l’entreprise rachetée. •  Cette création de valeur peut provenir de différentes sources, en

particulier de synergies. •  Quelles sont les sources de telles synergies ? En quoi l’addition de deux

entreprises peut-elle contribuer à augmenter leurs ventes totales ou à réduire leurs coûts ?

Réaliser des économies d’échelle et de gamme

Lorsqu’une entreprise augmente sa taille, il est fréquent qu’elle profite d’économies d’échelle. •  Ces économies d’échelle apparaissent lorsque l’entreprise fait

face à des coûts fixes élevés ou qu’elle peut profiter de prix plus intéressants de ses fournisseurs lorsqu’elle commande en grande quantité.

Une entreprise peut également profiter d’économies de gamme. •  Lorsque la production conjointe de biens différents entraîne des coûts de production

plus faibles et/ou des prix de vente plus élevés que dans le cas où les biens seraient produits par des entreprises différentes.

Ces économies d’échelle et de gamme ne justifient pas toujours la croissance : au-delà d’une certaine taille, des coûts apparaissent, venant contrebalancer ces économies.

Réduire le pouvoir de marché des clients ou des fournisseurs

Il y a intégration verticale lorsque deux entreprises situées l’une en amont de l’autre dans la chaîne de valeur (stades de production ou de distribution différents) fusionnent. •  Une entreprise peut fusionner avec l’un de ses fournisseurs (intégration amont) ou l’un de ses clients (intégration aval). Parmi les motifs pouvant justifier une telle intégration peut figurer le souci de contrôler une ressource, des compétences ou un réseau de distribution, afin de ne plus dépendre de facteurs externes.

Page 5: Finance d’entreprise 3e édition - univ-lille.frmoodle.univ-lille2.fr/pluginfile.php/266421/mod... · 28.4. Comment racheter une société cotée ? Comment une entreprise procède-t-elle

16/12/2016

5

Maîtriser une compétence spécifique

Pour être efficaces, tenir à distance les concurrents et répondre aux demandes de leurs clients, il est fréquent que les entreprises soient obligées de recourir à des compétences spécifiques. Il peut être plus simple ou plus rapide de racheter une entreprise détenant les compétences souhaitées plutôt que de les développer en interne.

Profiter d’une rente de monopole

Il est possible que certaines entreprises en rachètent d’autres pour réduire l’intensité de la concurrence sur un marché donné et augmenter ainsi leurs profits. De ce fait, pour limiter l’apparition de tels monopoles ou oligopoles, qui imposent à l’ensemble de l’économie un coût élevé, la plupart des pays développés se sont dotés de lois qui limitent le pouvoir de marché d’une entreprise (lois antitrust). •  En France, le droit de la concurrence a été renforcé en 2001 par la loi

relative aux nouvelles régulations économiques, qui impose un contrôle plus systématique des concentrations d’entreprises.

•  Aux USA, Sherman Act, Clayton Act et Hart-Scott-Rodino Act.

Améliorer la manière dont la cible est gérée

Lorsqu’une entreprise est mal gérée (existence de doublons, mauvaise organisation, etc.), il est rationnel d’accepter de payer une prime pour la racheter : une meilleure gestion augmentera en effet sa valeur. Il est souvent difficile de racheter une entreprise pour en améliorer la performance. •  Remplacer son dirigeant est souvent insuffisant pour améliorer la

performance, et la résistance au changement d’une organisation peut être forte…

•  Ainsi, de nombreux rachats d’entreprises justifiés par la volonté d’améliorer leur efficacité ont été des échecs.

Profiter d’économies d’impôt

Lorsqu’une entreprise affiche un résultat courant positif, elle paie l’impôt sur les sociétés. Une entreprise bénéficiaire peut donc avoir intérêt à en acheter une autre, dans l’espoir que les pertes éventuelles de l’une compenseront les bénéfices de l’autre. En France, néanmoins, cette motivation est plus faible que dans d’autres pays, car les pertes réalisées par une entreprise lors d’un exercice peuvent être reportées sur les exercices suivants pour en réduire l’impôt à payer.

Page 6: Finance d’entreprise 3e édition - univ-lille.frmoodle.univ-lille2.fr/pluginfile.php/266421/mod... · 28.4. Comment racheter une société cotée ? Comment une entreprise procède-t-elle

16/12/2016

6

Exemple 28.1 - L’imposition d’une entreprise diversifiée

Tirer parti de la diversification

La diversification d’une entreprise est un motif fréquemment avancé pour justifier une opération de croissance externe. Il convient néanmoins de s’en méfier, les gains potentiels liés à la diversification étant rarement présents là où on les attend. •  Réduction du risque. En se diversifiant, une entreprise réduit son

risque idiosyncratique. Cet argument n’a souvent pas grand sens : une telle diversification ne sert à rien, car les actionnaires bénéficient de cette diversification au niveau de leur portefeuille.

•  Amélioration des conditions de financement. Les entreprises diversifiées ont une probabilité plus faible que les autres de faire faillite. Elles ont donc une capacité d’endettement supérieure et peuvent bénéficier d’économies d’impôt plus importantes sans subir d’augmentation de leurs coûts des difficultés financières.

•  Amélioration de la liquidité. Les actionnaires d’une entreprise non cotée détiennent souvent des portefeuilles peu diversifiés. La diversification de cette dernière constitue un bon moyen de réduire le risque des investisseurs.

Accroître les bénéfices

Une fusion peut permettre à l’entreprise résultant de la fusion d’afficher un bénéfice par action plus élevé que ceux des deux entreprises de départ, alors même que la fusion ne crée aucune valeur économique. Mais il est évident pour tous les actionnaires qu’une telle fusion ne créant pas de valeur économique, elle n’enrichira personne.

Exemple 28.2 - Fusion et bénéfice par action

Page 7: Finance d’entreprise 3e édition - univ-lille.frmoodle.univ-lille2.fr/pluginfile.php/266421/mod... · 28.4. Comment racheter une société cotée ? Comment une entreprise procède-t-elle

16/12/2016

7

Exemple 28.3 - Fusions et PER Servir les intérêts du dirigeant

De nombreuses études empiriques ont montré que l’annonce d’une acquisition fait, en moyenne, baisser le prix des actions de l’entreprise à l’initiative de l’offre, tout particulièrement lorsque la première est grande ou que la cible est une société cotée. Deux explications possibles : •  Les conflits d’intérêts. Plus l’entreprise qu’il contrôle est grande, plus la

rémunération du dirigeant est élevée et plus grand est son prestige. •  L’excès de confiance. La plupart des individus surestiment leurs

compétences (voir chapitre 13) : ils sont victimes d’excès de confiance. Un dirigeant ayant une confiance excessive en ses capacités risque de se lancer dans des acquisitions à rentabilité faible, voire négative, car il surestime sa capacité à créer de la valeur.

28.4. Comment racheter une société cotée ? Comment une entreprise procède-t-elle pour en racheter une autre ? L’étape préalable consiste à valoriser la cible. Ensuite, il faut passer à l’action. Il existe deux méthodes principales : •  L’achat en Bourse •  Le lancement d’une offre publique

Dans tous les cas, un cadre réglementaire précis doit être respecté, afin de garantir l’égalité de traitement des actionnaires et la défense des intérêts de toutes les parties prenantes.

Comment valoriser une cible ? Une entreprise cible d’une opération de croissance externe se valorise comme n’importe quelle autre entreprise (voir chapitre 19). Il existe deux principales méthodes d’évaluation : •  La méthode des multiples est facile à mettre en œuvre mais

ne fournit une estimation de la valeur de l’entreprise que par rapport aux entreprises comparables et ne tient pas compte des changements opérationnels consécutifs à la fusion ni des synergies potentielles.

•  Si l’on souhaite disposer d’une estimation plus précise, l’actualisation des flux de trésorerie futurs, estimés à partir d’une analyse détaillée des changements postérieurs à la fusion, est conseillée.

Page 8: Finance d’entreprise 3e édition - univ-lille.frmoodle.univ-lille2.fr/pluginfile.php/266421/mod... · 28.4. Comment racheter une société cotée ? Comment une entreprise procède-t-elle

16/12/2016

8

L’achat en Bourse La méthode la plus simple pour acheter une entreprise cotée consiste à acheter ses actions sur le marché. Pour ce faire, l’acquéreur peut procéder à un ramassage en Bourse, mais cela doit être discret. Il est également possible d’acheter un bloc d’actions, de gré à gré avec un investisseur acceptant les conditions proposées par l’acquéreur. Des obligations strictes de transparence sont imposées aux acquéreurs. •  Toute transaction de bloc doit obligatoirement être portée à la connaissance

du public dès sa conclusion. •  Déclaration de franchissement de seuil obligatoire lorsqu’un actionnaire

dépasse 5, 10, 20, 33, 50 et 66 % du capital ou des droits de vote d’une entreprise.

L’offre publique

Il est également possible à l’acquéreur de lancer une offre publique d’achat sur la cible. Une telle opération consiste à proposer aux actionnaires de la cible de racheter leurs actions, sans limite de quantité, à un prix fixé et pendant une période donnée. Cette offre peut être formulée : •  après négociation avec les dirigeants de la cible (il s’agit alors d’une offre

amicale) ; •  sans consultation de ceux-ci, voire après échec des négociations (offre

hostile ou non sollicitée).

L’offre publique

L’offre peut prévoir un paiement des titres en numéraire (en euros, en dollars…) ; on parle alors d’offre publique d’achat (OPA). Le paiement peut aussi être réalisé en actions de l’acquéreur (en « papier »), l’opération étant alors une offre publique d’échange (OPE). Il est également possible que l’acquéreur décide de laisser le choix aux actionnaires de la cible entre numéraire et actions, dans le cadre d’une offre mixte.

L’offre publique

Dans le cas d’une OPE, comment convaincre les actionnaires de la cible ? • Les actionnaires de la cible seront actionnaires de l’entreprise fusionnée à la fin de l’opération, si elle réussit. Il faut donc à la fois les inciter à échanger leurs actions et les convaincre de la pertinence de l’opération.

Une partie de la réponse réside dans le calcul du taux d’échange : il s’agit du nombre d’actions de l’acquéreur reçues pour chaque action de la cible apportée à l’offre.

Page 9: Finance d’entreprise 3e édition - univ-lille.frmoodle.univ-lille2.fr/pluginfile.php/266421/mod... · 28.4. Comment racheter une société cotée ? Comment une entreprise procède-t-elle

16/12/2016

9

L’offre publique Soit VInit, VCib et VSyn – respectivement la valeur de l’entreprise initiatrice avant l’opération, celle de la cible et celle des synergies associées à la fusion – et NInit et NNouv – respectivement le nombre d’actions de l’entreprise initiatrice avant la fusion et le nombre de celles émises pour financer l’OPE. Le prix des actions de l’entreprise initiatrice augmente à la suite de l’opération si la valeur des actions de l’entreprise fusionnée qu’ils détiendront est supérieure à celle des titres qu’ils détenaient avant l’opération :

L’offre publique

La résolution de l’équation (28.1) permet d’obtenir NNouv pour que la VAN de l’opération soit positive pour les actionnaires de l’entreprise initiatrice :

Donc :

Il est possible d’exprimer ce taux d’échange en fonction des prix des actions avant la fusion, en posant PCib = VCib / NCib et PInit = VInit / NInit :

Exemple 28.4 - Taux d’échange maximal

Les arbitrages de fusion

Lors du lancement d’une offre publique, nul n’est certain de son succès. L’incertitude sur le succès de l’offre accroît la volatilité du cours des actions de la cible et attire des spéculateurs qui parient sur le succès (ou l’échec) de l’opération. Ces investisseurs sont des arbitragistes de fusion, qui essaient de prévoir le résultat de l’offre et prennent des positions sur les actions des entreprises concernées en fonction de leurs anticipations.

Page 10: Finance d’entreprise 3e édition - univ-lille.frmoodle.univ-lille2.fr/pluginfile.php/266421/mod... · 28.4. Comment racheter une société cotée ? Comment une entreprise procède-t-elle

16/12/2016

10

28.5. Comment se défendre contre une OPA hostile ?

Il n’est pas rare que le Conseil d’administration d’une cible rejette une offre d’achat et s’oppose à une fusion, même lorsqu’elle prévoit une prime élevée pour les actionnaires de cette entreprise. Il s’agit alors d’une offre hostile. Pourquoi un Conseil d’administration s’opposerait-il à un rachat offrant aux actionnaires de la cible une prime ? Quels sont les moyens de défense d’une cible ?

Pourquoi refuser une offre d’achat ?

Le Conseil d’administration peut avoir plusieurs raisons pour refuser une offre : •  Il peut penser que le prix proposé est trop faible, et qu’il est possible de

trouver une autre entreprise prête à payer plus ou de convaincre l’acquéreur d’augmenter le prix de son offre.

•  Il peut considérer que les actions de l’entreprise initiatrice sont surévaluées, diminuant ainsi l’intérêt de l’offre pour les actionnaires de la cible.

•  Il peut être sceptique quant aux synergies annoncées et/ou aux perspectives de l’entreprise fusionnée.

•  Mais il peut aussi essayer de se protéger contre un acquéreur qui justifie l’opération par la mauvaise gestion de la cible...

Les défenses contre une OPA hostile

Les stratégies anti-OPA à la disposition d’une entreprise se répartissent en deux grandes familles : •  Les dispositions à prendre avant toute menace précise :

•  Mise en place de pilules empoisonnées •  Définition de règles particulières sur le renouvellement des mandats des membres du Conseil

d’administration (renouvellement échelonné) •  Parachutes dorés

•  Les moyens de défense après le lancement d’une offre hostile, beaucoup plus limités et contrôlés : •  Action en justice •  Offre concurrente par un chevalier blanc •  Contre-offre (stratégie du Pacman) •  Modification de la structure financière •  Communication financière (et extra-financière)

28.6. Qui profite de la valeur créée à l’occasion d’une fusion ? Pourquoi le cours de l’entreprise initiatrice n’augmente-t-il pas lors de l’annonce d’une opération ? Pourquoi l’entreprise initiatrice doit-elle offrir une prime aux actionnaires de l’entreprise cible ? La réponse à ces deux questions est simple, mais paradoxale : c’est parce que ce ne sont que rarement les investisseurs à l’origine de la fusion qui en tirent le plus de profit. •  La prime offerte aux actionnaires de la cible est approxima-tivement

égale à la valeur créée par l’opération. Cela implique que ce sont les actionnaires de la cible, et non de l’initiatrice, qui captent la valeur créée par cette dernière.

Page 11: Finance d’entreprise 3e édition - univ-lille.frmoodle.univ-lille2.fr/pluginfile.php/266421/mod... · 28.4. Comment racheter une société cotée ? Comment une entreprise procède-t-elle

16/12/2016

11

Le problème du passager clandestin

L’entreprise Trankil a 1 million d’actionnaires détenant chacun une seule action. •  Les actions Trankil souffrent actuellement d’une décote par rapport à leur

valeur potentielle : elles valent 45 €. La valeur de marché de Trankil est donc de 45 millions d’euros.

•  Avec un dirigeant compétent, l’entreprise vaudrait 75 millions d’euros. Il est possible de prendre le contrôle de Trankil en achetant 50% des actions. Cette situation attire Agressor qui décide de lancer une OPA sur Trankil, en proposant un prix de 60 € (prime : 15 € par action) •  L’offre porte sur la totalité des titres de l’entreprise, mais prévoit une

condition suspensive : elle est annulée si moins de 50 % des actions sont apportées à l’offre.

Le problème du passager clandestin

L’idée d’Agressor paraît excellente •  Si 50 % des actionnaires apportent leurs actions, le coût de l’opération

sera de 60 € × 500 000 = 300 millions d’euros. •  Une fois le contrôle acquis, le fonds pourra améliorer la gestion de Trankil

et sa valeur de marché augmentera à 75 millions d’euros. •  Les actions détenues par Agressor vaudront chacune 75 € et le bénéfice

du fonds sera de 15 € × 500 000 = 7,5 millions d’euros. •  Si Agressor peut racheter l’intégralité des actions de Trankil, son gain

sera de 15 millions d’euros : (75 – 60) × 1 million d’actions = 15 millions d’euros.

Cette stratégie va-t-elle fonctionner ?

Le problème du passager clandestin

Le prix proposé par Agressor (60 €) est supérieur à la valeur actuelle de l’action Trankil. Mais si 50 % des actionnaires apportent leurs titres à l’offre, attirés par la prime de 15 €, la situation des autres actionnaires de Trankil n’en sera que meilleure puisque leurs actions vaudront 75 €, et non 60 €, lorsque Agressor aura pris le contrôle de Trankil. Si les actionnaires sont rationnels, tous conservent leurs titres, et l’offre d’Agressor est un échec. Pour sortir de ce dilemme du prisonnier, et que les actionnaires décident d’apporter leurs actions à l’offre, il faut leur proposer au moins 75 € par action, ce qui empêche Agressor de réaliser un profit => problème du passager clandestin.

Pourquoi les fusions existent-elles ?

Suivant le raisonnement précédent, les investisseurs n’ont aucun intérêt à lancer des offres publiques. Pourquoi les fusions existent-elles alors ? •  Avant de lancer son OPA, le fonds peut acheter des actions Trankil sur le

marché grâce à un ramassage en Bourse, par exemple à 50 € pièce. •  Si Agressor attend de détenir 10 % des actions Trankil pour révéler ses

intentions, l’OPA ne porte « que » sur les 90 % d’actions restantes, et il peut offrir un prix de 75 € par action.

•  À ces conditions, après avoir pris le contrôle total de l’entreprise, le fonds réalisera un gain de (75 € – 50 €) × 1 000 000 × 0,10 = 2,5 millions d’euros.

•  Ce gain est plus faible que la valeur créée par l’opération, mais peut suffire à justifier celle-ci !

Page 12: Finance d’entreprise 3e édition - univ-lille.frmoodle.univ-lille2.fr/pluginfile.php/266421/mod... · 28.4. Comment racheter une société cotée ? Comment une entreprise procède-t-elle

16/12/2016

12

Les opérations de LBO (Leveraged Buy-Out) Les opérations de LBO (voir chapitre 24) peuvent constituer un moyen pour les acquéreurs de capter une plus grande partie des bénéfices d’une OPA et d’éviter le problème de passager clandestin. •  Agressor décide d’annoncer son souhait de racheter l’intégralité des

actions Trankil au prix de 50 €, soit une prime de 5 € par action. •  Agressor finance l’opération par emprunt, la banque recevant les actions

achetées en collatéral du prêt. En cas de succès de l’opération, Agressor pourra faire peser les charges afférentes à l’emprunt sur Trankil et libérer les actions placées en collatéral.

•  À l’issue de l’opération, les actions apportées à l’offre seront détenues par Agressor, alors qu’elles auront été achetées à crédit, remboursé par Trankil !

Les opérations de LBO (Leveraged Buy-Out)

Pourquoi les actionnaires de Trankil accepteraient-ils cette opération ? •  Ils reçoivent pour chaque action apportée à l’offre 50 €. S’ils décident de

ne pas apporter leurs titres, mais que l’offre réussisse, quelle sera leur situation ?

•  La valeur de marché de Trankil augmentera à 75 millions d’euros, mais l’entreprise se retrouve endettée, car Agressor a emprunté pour acheter les actions présentées à l’offre.

•  Si on suppose que 50 % des actions Trankil ont été apportées à l’offre, l’emprunt se monte à 50 € × 1 000 000 × 0,50 = 25 millions d’euros. Cette dette étant supportée par Trankil, la valeur des capitaux propres de l’entreprise VCP est de :

Les opérations de LBO (Leveraged Buy-Out) Le prix d’une action Trankil après le LBO est de 50 / 1 million d’actions = 50 €. En cas de réussite de l’OPA, il est donc indifférent pour les actionnaires de garder leurs titres ou de les apporter à l’offre. En revanche, les actionnaires ont intérêt à la réussite de l’offre ; sinon, le prix de leurs actions restera de 45 € : il se trouvera donc logiquement beaucoup d’actionnaires prêts à vendre leurs titres et l’OPA d’Agressor sera une réussite.

Exemple 28.5 - Une opération de LBO

Page 13: Finance d’entreprise 3e édition - univ-lille.frmoodle.univ-lille2.fr/pluginfile.php/266421/mod... · 28.4. Comment racheter une société cotée ? Comment une entreprise procède-t-elle

16/12/2016

13

L’effet de la concurrence La valeur créée lors des opérations de fusions-acquisitions revient principalement aux actionnaires de la société cible. Pourquoi les entreprises initiatrices acceptent-elles donc de payer une prime si élevée alors que la valeur créée profite aux actionnaires de la société cible ? L’explication la plus probable réside dans la concurrence existant sur le marché des OPA : •  Si une entreprise détecte une cible particulièrement attractive en termes

de synergies, il est probable que cela attire d’autres acquéreurs potentiels, qui formuleront des offres plus attractives pour les actionnaires de la cible jusqu’à atteindre le prix d’équilibre.