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1 La Fabrique de la Cité La Fabrique de la Cité Michel LADET Vice-président de Sociovision : « De l’activisme urbain » D’abord juste deux phrases sur Sociovision - nous sommes spécialistes des gens - nous ne sommes ni urbanistes, ni architectes, ni spécialistes de la ville, par contre, sur les gens, nous avons vocation de suivre, de mesurer, d’anticiper l’évolution des mentalités et des modes de vie des gens, d’essayer d’anticiper le plus loin possible, autant que l’on peut. En France depuis 1975 et à l’international, depuis une dizaine d’années. Et cette année, on a fait un saut nouveau, de façon à monter en puissance, avec la compréhension de la partie digitale, réseaux sociaux etc. Vous allez avoir très rapidement la synthèse du regard que nous avons porté sur l’ensemble de cette grande étude internationale que nous faisons au prisme des problématiques de La Fabrique de la Cité. Nous avons posé quelques questions plus spécifiques sur la ville dans notre enquête, mais nous avons aussi écouté toute l’information qui était à notre disposition pour comprendre quelles étaient les conditions aujourd’hui de l’acceptation sociale des projets urbains. Vous allez voir uniquement ce que nous considérons comme étant le plus nouveau dans nos résultats. Je vais vous présenter deux choses. - La première va être la présentation de deux grandes tendances. Uniquement deux parmi toutes celles que l’on peut trouver. Ce sont des tendances qui traversent ces sept pays de l’enquête (Royaume-Uni, Italie, Espagne, France, Allemagne, Etats-Unis, Brésil). Deux grandes tendances qui changent la façon dont aujourd’hui s’articulent la notion de ville, la notion de projets urbains et d’acceptation avec les demandes des populations et la façon dont elles veulent interagir avec les différents acteurs. A l’intersection de ces deux grandes tendances se trouvent l’engagement citoyen et la concertation. Et là, nous avons découvert qu’en faisant une typologie des différentes formes d’interaction, on pouvait avoir une sorte de typologie des activistes urbains. - Et c’est ma deuxième partie qui vous donnera cette typologie des activistes urbains, mais qui n’est compréhensible que si on la voit comme effectivement le résultat aujourd’hui de ces deux grandes dimensions qui sont des tendances lourdes et qui ne sont pas réversibles. D’autres petits groupes d’activistes pourront apparaître selon des problématiques nouvelles, locales, etc. Mais les deux premières grandes tendances, nous ne les voyons pas réversibles à l’horizon d’une dizaine d’années. Je vais d’abord commencer par vous donner quelques petits exemples d’évolutions quantifiées dans nos résultats, et puis vous aurez chaque fois à la fin notre synthèse, puisque Sociovision, je dirais, ne sort pas de son chapeau ces résultats. Nous avons d’abord des mesures, nous avons des faits que nous mesurons, que nous trouvons. Et ensuite, on en tire un certain nombre de réflexions en faisant la synthèse de ce que d’autres, je dirais, parfois plus brillants que nous, ont pensé au niveau académique. Nous ne sommes pas des académiques. Donc nous essayons ensuite de retrouver des théories qui collent au fait que nous mesurons.

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La Fabrique de la Cité

La Fabrique de la Cité

Michel LADET Vice-président de Sociovision : « De l’activisme urbain »

D’abord juste deux phrases sur Sociovision - nous sommes spécialistes des gens - nous ne sommes ni urbanistes, ni architectes, ni spécialistes de la ville, par contre, sur les gens, nous avons vocation de suivre, de mesurer, d’anticiper l’évolution des mentalités et des modes de vie des gens, d’essayer d’anticiper le plus loin possible, autant que l’on peut. En France depuis 1975 et à l’international, depuis une dizaine d’années. Et cette année, on a fait un saut nouveau, de façon à monter en puissance, avec la compréhension de la partie digitale, réseaux sociaux etc.

Vous allez avoir très rapidement la synthèse du regard que nous avons porté sur l’ensemble de cette grande étude internationale que nous faisons au prisme des problématiques de La Fabrique de la Cité.

Nous avons posé quelques questions plus spécifiques sur la ville dans notre enquête, mais nous avons aussi écouté toute l’information qui était à notre disposition pour comprendre quelles étaient les conditions aujourd’hui de l’acceptation sociale des projets urbains. Vous allez voir uniquement ce que nous considérons comme étant le plus nouveau dans nos résultats.

Je vais vous présenter deux choses.

- La première va être la présentation de deux grandes tendances. Uniquement deux parmi toutes celles que l’on peut trouver. Ce sont des tendances qui traversent ces sept pays de l’enquête (Royaume-Uni, Italie, Espagne, France, Allemagne, Etats-Unis, Brésil). Deux grandes tendances qui changent la façon dont aujourd’hui s’articulent la notion de ville, la notion de projets urbains et d’acceptation avec les demandes des populations et la façon dont elles veulent interagir avec les différents acteurs.

A l’intersection de ces deux grandes tendances se trouvent l’engagement citoyen et la concertation. Et là, nous avons découvert qu’en faisant une typologie des différentes formes d’interaction, on pouvait avoir une sorte de typologie des activistes urbains.

- Et c’est ma deuxième partie qui vous donnera cette typologie des activistes urbains, mais qui n’est compréhensible que si on la voit comme effectivement le résultat aujourd’hui de ces deux grandes dimensions qui sont des tendances lourdes et qui ne sont pas réversibles. D’autres petits groupes d’activistes pourront apparaître selon des problématiques nouvelles, locales, etc. Mais les deux premières grandes tendances, nous ne les voyons pas réversibles à l’horizon d’une dizaine d’années.

Je vais d’abord commencer par vous donner quelques petits exemples d’évolutions quantifiées dans nos résultats, et puis vous aurez chaque fois à la fin notre synthèse, puisque Sociovision, je dirais, ne sort pas de son chapeau ces résultats.

Nous avons d’abord des mesures, nous avons des faits que nous mesurons, que nous trouvons. Et ensuite, on en tire un certain nombre de réflexions en faisant la synthèse de ce que d’autres, je dirais, parfois plus brillants que nous, ont pensé au niveau académique. Nous ne sommes pas des académiques. Donc nous essayons ensuite de retrouver des théories qui collent au fait que nous mesurons.

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Premier élément, vous avez sur la carte les sept pays dans lesquels la problématique urbaine a été appréciée et des pourcentages. Les pourcentages sont calculés pour les pays européens et pour les Etats-Unis sur 80 % de la population. En gros, toutes les classes moyennes. Et pour le Brésil, sur les top 20 %, c'est-à-dire les classes moyennes supérieures ou les nouvelles classes moyennes pour aller très vite. De 15 à 70 ans. Donc là, nous avons une représentation de la population dans son ensemble et des pourcentages. Et vous avez l’évolution 2007-2012, uniquement dans les cinq dernières années, donc entre le gris et le vert.

I wish to participate actively and contribute to society:

Première chose, on nous dit partout que l’individualisme n’a cessé de progresser dans les sociétés, et que nous avons un désengagement à l’égard du politique, que les citoyens ne s’expriment que lorsqu’ils veulent dire du négatif, et qu’il est de plus en plus difficile de les mobiliser. Ce chiffre et la phrase « je souhaite participer et contribuer activement à la vie de la cité » nous disent en fait qu’il n’en est rien.

Ce que nous avons, c’est une crise des systèmes de représentation des individus. C’est une crise de l’intermédiation. Mais le désir de participation, le désir de contribuer et de coproduire la société n’a jamais été aussi haut, non seulement en France dans nos résultats, mais dans la plupart des pays européens. Et vous voyez la tendance, ça progresse. Nous sommes en crise, on devrait avoir un repli des gens sur leur pré carré et sur la problématique économique et identitaire : nous voyons l’inverse et nous en sommes persuadés. Après tout, si nous étions en tel repli, comment Facebook aurait-il pu passer de 0 à 600 millions de personnes inscrites en l’espace simplement de six ans ?

Donc un désir de participation qui est à un record historique, mais c’est vrai, dans un contexte dans lequel la plupart des intermédiaires, la plupart des représentants traditionnels, ne sont plus légitimes ou ne sont plus crédibles, ou ne fonctionnent plus de manière efficace, ou sont inadaptés à des exigences du temps réel et du continu.

Donc ce désir-là, il va générer une nouvelle logique qui fait que l’activisme aujourd’hui est parfois tout simplement la traduction d’un désir légitime ou massif de participation.

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Deuxième fait, et c’est un corollaire du premier, l’activisme n’est plus le phénomène de marge ou d’une minorité qui revendique de se défendre contre l’oppression de la majorité, mais presque l’inverse, la revendication de la majorité d’être écoutée.

Auparavant, historiquement l’activisme était presque un âge de la vie. C’étaient les jeunes. C’était quasiment une adolescence citoyenne, montrer que l’on était contre, avant de devenir personnel. Il n’en est rien aujourd’hui. On s’aperçoit que les activistes les plus actifs, y compris sur le plan des class actions aux Etats-Unis sont des jeunes familles, des jeunes parents, des gens en situation de responsabilité pour lesquels le mot « liberté » n’est pas du tout un mot dissocié de responsabilité.

Aujourd’hui, nous voyons que par exemple, « Je suis prêt à me joindre à des associations pour défendre mes droits comme consommateurs », c’est basique, et que les pourcentages ne sont guère différents entre les jeunes et les gens de 55 ans, 60 ans ou 70 ans. Le fait de vouloir défendre ses droits n’est plus un âge de la vie ou l’apanage de ceux qui sont libres d’aller au conflit.

On voit également avec l’histogramme à droite que les hauts revenus, sont ceux qui sont prêts à aller au conflit juridique – on parlait des class actions – pour défendre des intérêts qui sont parfois patrimoniaux, mais qui de plus en plus touchent à la qualité de vie. Défendre la qualité de vie autour de son espace résidentiel, ou défendre la qualité de vie de sa ville en général, défendre son patrimoine éducatif, défendre la localisation de ses universités, etc. Nous avons aujourd’hui les classes moyennes supérieures qui sont rentrées dans l’activisme. Cela change la tonalité, cela change la logique de l’engagement, et effectivement, on ne peut plus communiquer avec ces nouvelles populations comme on le faisait dans le passé avec une classe moyenne inférieure, moins éduquée. Le mot clé était pédagogie. La pédagogie ne suffit plus. Souvent, ces gens-là en savent plus que vous. Donc on le voit notamment sur le juridique qui intervient de plus en plus, par des consommateurs professionnels qui interviennent directement avec parfois des moyens supérieurs à ceux de l’entreprise concernée.

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Troisième phénomène, nous avons une citoyenneté volontaire. Plus de gens devraient donc venir aux grandes assemblées. Oui, à condition que la confiance soit là. Et la confiance n’est plus là. Dans une société horizontale, dès qu’on met du vertical, de l’autorité, c’est suspect. Il faut justifier le fait de verticaliser la société. Il faut justifier le fait qu’il y ait des gens en haut et des gens en bas. Il faut justifier le fait qu’il y ait des gens qui aient de l’autorité et que d’autres n’en aient pas. L’autorité et le leadership doivent se justifier. Si on ne le fait pas, on exige l’horizontal. Et l’horizontal a une seule règle : la transparence. Dans un monde horizontal, tout doit être transparent, tout le monde doit avoir accès à toute l’information. Sauf si on a légitimé une certaine verticalité pour des soucis d’efficacité.

Et donc on est dans l’ère du soupçon aujourd’hui. Et effectivement, comme dans les séries télévisées, la théorie du complot, c’est ce qui marche le mieux d’ailleurs. Vous la verrez partout, dans toutes les séries, dans tous les pays. Dès qu’un chantier s’ouvre, forcément on nous cache des choses, surtout si on met des grandes palissades. Dès qu’on a un projet urbain et qu’on limite les choses à un plan, on a aussi le même problème.

Bref, alors que dans le passé l’activisme urbain revendiquait surtout la justice, défendre l’opprimé contre les promoteurs oppresseurs, mais aujourd’hui, nous avons la demande de transparence qui est avant toute chose l’exigence éthique des classes moyennes. Et cette revendication a trouvé son terreau. Elle a trouvé son territoire, son amplificateur : Internet.

Vous avez ici des pratiques que font des gens sur les réseaux sociaux. Je ne parle pas de ce qu’ils font dans les forums. Les pourcentages ici s’appliquent uniquement de ce que l’on fait directement dans Facebook ou dans Twitter, ou dans les réseaux. De ce que l’on envoie à travers son réseau social.

• Donner mon opinion sur des affaires publiques : 35 %. Une personne sur trois fait ça. Un citoyen sur trois, dans la totalité de nos sept pays, fait ça au moins une fois par mois. A travers le réseau social. Dans le contexte, dans Facebook, qui est quand même un univers semi-privé.

• Et puis vous avez le chiffre peut-être plus inquiétant mais qui explique peut-être beaucoup de choses sur la vitesse aujourd’hui des réactions ou des occupations de territoire. C’est le dernier chiffre en bas : 22 % des gens qui utilisent le réseau social pour au moins une fois par mois organiser des évènements offline. Concrètement, la question c’est offline. Alors parfois c’est l’anniversaire des enfants, bien sûr, mais parfois on vous donne rendez-vous sur le chantier, à 3 000 personnes, la veille pour le lendemain. Ou des maisons à occuper. La capacité, les compétences qui sont celles aujourd’hui des compétences des classes moyennes sont celles qui étaient auparavant les compétences et les moyens réservés aux militants des appareils politiques. Et cela change beaucoup la donne puisque ça exige une veille continue et une interaction continue avec les gens pour éviter d’être pris par surprise.

Si on fait la synthèse de ça, on s’aperçoit qu’il y a trois mots clés.

• Le premier est que l’activisme aujourd’hui est au service de la majorité. La grande tendance est une revendication des classes moyennes que le common good soit respecté. Les activistes modernes parlent au nom de leur ville, ils ne parlent pas au nom d’une classe sociale à défendre, au nom d’une minorité exclue qui devrait être ré-inclue.

• Deuxième chose, l’apriori que vous allez cacher des choses. Et ça, c’est 70 %, dans tous les pays, qui pensent que systématiquement la verticalité sert surtout non pas à être efficace mais à cacher.

• Et en troisième, c’est effectivement votre réputation, la confiance, c’est en tout premier lieu une e-réputation.

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Quand on parle de société horizontale, probablement beaucoup d’entre vous ont déjà acheté sur eBay ou en tout cas utilisé le système internet. C’est consumer to consumer. Aujourd’hui, sur l’ensemble de la zone Europe et Etats-Unis, nous avons eu l’année dernière, 25 % des classes moyennes qui ont soit acheté, soit vendu sur un équivalent d’eBay. Donc les gens sont habitués à échanger non seulement des idées, mais des marchandises et des services. Donc le goodwill, la suspicion et le e-power sont les trois mots clés qui définissent ce grand mégatrend.

Avec là encore trois faits que je considère comme très important, avec l’ensemble de l’équipe Sociovision. Premier point, la liberté est un élément que l’on défend certes aujourd’hui. Mais le mot « liberté » n’est pas le mot aujourd’hui recherché par la majorité des populations. Si on avait un mot aujourd’hui, ce serait plus réassurance, protection. Et pas uniquement à cause de la crise économique. C’est une réaction face à la globalisation, réaction face à un monde digital, abstrait, qui déstabilise les gens qui ont besoin d’ancrer leur mémoire.

Un mot dans lequel on réagit par rapport à des exigences de mobilité. La mobilité est de plus en plus perçue comme contrainte et de moins en moins choisie. Et face à une mobilité exigée, les gens ont besoin de territoire d’ancrage. Bref c’est la montée de ce que nous appelons urban routing. La ville territoire dans laquelle on cherche à s’ancrer plus qu’à bouger. Cela pose des questions. Cela se traduit parfois par des épiphénomènes politiques extrêmes, mais c’est une exigence de l’ensemble des classes moyennes.

Nous voyons comment ce sentiment d’urgence de protection de la ville est important pour ses habitants dans ce processus d’humanisation des villes. Défendre effectivement et protéger, en un seul mot c’est faire de la ville pour certains et pour certains moments, un sanctuaire. Le mot sanctuaire est important. Chacun a son sanctuaire quelque part. Les villes ont besoin de créer des sanctuaires, des lieux dans lesquels on se sent protégés même au milieu de la foule, où on se sent dans l’humain également.

Donc c’est en premier une exigence qui va être d’autant plus grande que nous allons digitaliser les villes. Parce que le digital veut dire transparence totale, disparition des espaces privés traditionnels et donc l’exigence de retrouver des espaces privés nouveaux.

• Une exigence, la conversation. On a parlé des gens effectivement qui voulaient vivre chez eux, qui pianotaient sur Internet mais qui ne sortaient plus. Il n’en est rien. « J’aimerais effectivement que les espaces publics et marchands me permettent dans mon quartier …», on n’est pas dans les grands shopping mall, on est dans mon coin, là où j’habite.

« Me donner l’occasion d’avoir des conversations de qualité, améliorer la qualité non pas simplement de l’air et de l’eau mais de la conversation entre les individus. » Demande majoritaire, certes culturellement plus latine, historiquement, mais qui touchent aussi les Etats-Unis (57 %), et l’Angleterre (58 %). Le monde anglo-saxon a découvert cette exigence de la conversation comme productrice d’humain et de social. Le monde latin le connaissait par la rue. Nous avons aujourd’hui là-dessus un consensus. Et le social media ne suffit pas.

• Autre mot : héritage. Une ville se veut effectivement – et Amsterdam nous l’a beaucoup prouvé dans ses présentations – héritière, fière de son passé. Et montrer les transformations du passé est beaucoup plus important à la limite que montrer la succession des monuments, montrer comment la ville s’est faite et comment la ville s’est défaite et refaite. C’est l’histoire de la ville qui compte plus que ses traces écrites ou que ses traces dans la pierre. Et nous voyons aujourd’hui cette exigence des populations de faire en sorte que la ville soit le repository de leur propre mémoire, de la même façon que la ville pense un peu trop parfois à ne mettre sa propre mémoire que dans les monuments. La mémoire des villes ce sont les gens qui l’ont faite, ce sont les gens qui l’ont vécue. Et je rappellerais pour ça que les gens échangent aujourd’hui plusieurs

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millions de photos par jour sur Facebook et sur Twitter, et les deux tiers de ces photos sont prises dans le quartier dans lequel les gens vivent.

• Et donc, si on fait la synthèse sur ce deuxième mégatrend urban routing, on a commr mot clé, communauté. Mais ce n’est pas la communauté de quartier. La communauté a surtout pour but de protéger, d’apporter des sanctuaires aux gens, des sanctuaires dans les relations humaines, des sanctuaires physiques, et de permettre des relations émotionnelles entre les individus. On nous a aussi parlé d’efficience. Mais la productivité des systèmes a un effet pervers et crée de la solitude. Or on a 66 % des gens, dans l’ensemble des pays développés, qui ont peur de souffrir de solitude..

A l’Interaction de ces deux mégatrends, qui sont statistiquement indépendants, on a fait des analyses statistiques et nous obtenons cinq groupes qui chacun défend une vision de ce que doit être la ville et défend une logique d’interaction avec ces acteurs.

Vous voyez, ils ont des tailles très différentes. Certains sont tout petits, des « global activists » à 6 % et d’autres comme les « active followers » à 34 %. Cependant leur pouvoir d’influence est quasiment identique et considérer que l’on peut oublier les 6 % serait une grave erreur. La ville de demain ne peut pas se permettre tout simplement à cause d’Internet et de l’horizontalité croissante, d’oublier, ou de faire l’impasse sur l’un de ces acteurs parce qu’effectivement ces acteurs un jour ou l’autre reprendront du pouvoir.

• Le premier qui est le plus intéressant parce que peut-être aujourd’hui, c’est celui avec lequel on peut construire. Ce sont ce qu’on a pu appeler les grass root champions. On n’arrive pas à l’équivalent du mot en français. Ce sont des mutants. Ils sont à égalité. Ces gens sont totalement enracinés dans leur ville et en temps totalement globalisés, experts dans l’usage des technologies nouvelles. Ils sont à la recherche de codesign, de coproduction. Ils ne

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cherchent pas simplement à s’exprimer dans le Wiki. Ils veulent construire la ville au quotidien et ne pas être interrogés une année et oubliés l’année d’après. Ils veulent être intégrés dans un processus permanent. Il leur faut des métriques. Il faut qu’on leur restitue l’information. Il leur faut du feed-back. Tout un système d’interaction avec eux. Sinon, ils se débrouillent.

L’image que vous avez avec le passage piéton, c’est tout simplement the urban repair squad de Toronto. Là aussi, ce sont ces gens issus des classes moyennes, qui tout simplement, lorsqu’ils considèrent que dans un endroit il manque le passage piéton et que la mairie n’a pas agi, et bien on le fait, et on le fait selon les normes de l’urbanisme, avec le

conseil de professionnels tels que des avocats. On met sur Wiki toutes les conditions, les dimensions, la peinture à utiliser etc. Ils ont fait des émules à Mexico, à Adélaïde en Australie et à Los Angeles. Donc cette notion d’ urban repair squad, c’est une façon par les gens de coproduire la ville, non pas dans une logique négative, mais pour la compléter. Certaines des choses sont temporaires. Ils font des pistes cyclables, ils peuvent aussi mettre tout simplement des signalétiques,

des panneaux de signalisation pour indiquer des choses.

Donc vous avez ici un exemple de comment un grass root champion met le collaboratif dans une logique de production et pas simplement dans une logique d’échange d’idées. On est dans la fabrication de la ville. Vous avez également bien sûr tous les autres mots clés. Le mot créatif vient en second. Le premier est la collaboration productive. La créativité est une ressource. Ce n’est pas une idéologie.

Les autres mots bien sûr : la ville open-data, la ville effectivement dont les métriques, dont tous les systèmes partagés sont des ressources permettant à ces gens d’être des acteurs et des partenaires possibles. Et comme ce sont des gens de génération plus jeune, je dirais moins de 35 ans pour la plus grande majorité, jouer avec eux, c’est une façon d’être sérieux. Les serious game par exemple ici, la ville d’Amiens qui demande aux gens de jouer à créer la piscine municipale. Mais c’est un engagement permanent le jeu. Parce qu’à quoi sert un jeu qui n’aurait qu’un seul niveau ? Vos adolescents vous le diront. Il faut plusieurs niveaux. Donc il faut en permanence créer de nouveaux défis, de nouveaux niveaux à développer de la ville.

Des exemples ici de ce que veut dire le mot créatif. Je trouve très important de vivre autour de gens créatifs. Oui, ils veulent de la créativité dans leur ville, ils ne se prennent pas pour des artistes. On a une culture, je veux de la créativité inclue dans ma ville.

Lorsqu’on va plus loin nous avons posé dans l’enquête plein de questions sur parmi un certain nombre de projets urbains : lesquels êtes-vous prêts à soutenir parce que cela va dans votre intérêt ? Lesquels considérez-vous comme des nuisances et vous êtes prêts à vous y opposer ? Lesquels vous laissent indifférents ou neutres ? Et nous avons comme ça, c’est comme la logique Facebook : oui j’adhère, ou non je suis contre.

Tout ce qu’il faut retenir c’est qu’on n’est contre rien, on est ouvert à tout. Et 75 % d’entre eux sont prêts à soutenir a priori leur maire. Le grass root champion. Deuxième idée reçue que l’on pouvait avoir sur le grass root champion, qui n’est donc pas un artiste mais un collaborateur qui adore les artistes, c’est ce que ce n’est pas le jeune nomade skateboarder, célibataire, qui passe d’une ville à l’autre et pour qui le nomadisme est la

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valeur suprême. Le groupe modal, celui qui est le plus représenté, c’est le couple avec des jeunes enfants en bas âge, et pour qui le trajet pour aller à l’école, les problèmes d’horaires, les problèmes très concrets, sont au centre des préoccupations. Et là, nous avons une population qui aujourd’hui a les moyens, les compétences de devenir les vrais partenaires pour du crowdsourcing, mais dans la durée.

Regardons ce que font certains acteurs tels que Sitra, un fonds d’innovation du Gouvernement finlandais. Sitra a créé toute une plateforme, qui permet à des projets microlocaux de se développer. Ainsi le site gère tout le processus d’approbation, en interaction avec les services municipaux qui possèdent la même interface. Le dialogue avec les services de l’urbanisme, les services d’hygiène, se fait par la même interface. Ce fonds d’investissement prend en charge jusqu’à 30 % des projets. Le reste va être financé par les entreprises, par le système classique.

Donc on voit se développer des systèmes d’interface avec les grass root champion qui vont bien au-delà de l’évènementiel.

• Il y a ceux dont tout le monde a peur, les global activists, et ils ont des noms. On les appelle les Anonymous, on les appelle les Wikileaks. Mais ils sont quand même 6 %, ce n’est pas petit. Ils recrutent beaucoup aujourd’hui parmi les étudiants, dans les grandes villes. Donc on les recrute beaucoup parmi les gens qui sont un peu les victimes de surdiplômes par rapport aux potentialités économiques et qui de plus en plus viennent de l’activisme Internet. Ils ont une logique de bloggeur extrême dans lequel il n’y a pas de système d’affiliation. La seule affiliation qui existe est celle d’avoir des amis sur son compte Twitter et d’avoir de nombreux liens avec de personnes.

Ces global activists commencent à avoir des ressources. L’image représente un groupe d’académiques américains qui se proposent d’aider les global activists à partager des expériences et des façons de faire pour bloquer des sites et surtout, surtout pour obtenir de force la transparence. La transparence est l’objectif des global activists. Ils partent du principe qu’il y a forcément un plan caché au service d’acteurs moins recommandables. Et donc leur but est de hacker votre système. Et bien ces global activists, il y a forcément des moyens de dialoguer avec eux mais cela commence effectivement par dévoiler les choses.

Leur marotte, c’est la voiture. Il faut tuer la voiture dans les villes. Ceux sont plus des hommes que des femmes. Ils ont une logique anti-business, anti-voiture et anti-haute densité. Ils considèrent la haute densité

comme le fait de donner le pouvoir au business dans les villes.

Donc les global activists, vous connaissez les Anonymous. Enfin vous ne les connaissez pas justement, parce qu’ils se cachent. Vous ne les verrez jamais dans les réunions, mais ils seront sur Internet.

• Et puis vous avez ceux auxquels vous ne pensez pas, parce que ces gens-là ne se voient pas comme citoyen de la ville. Ils se voient comme consommateur de la ville. Les actifs followers sont au milieu. Ce sont des gens qui sont issus du monde marchand et qui considèrent la ville comme une ville servicielle, une ressource. Ces consommateurs de la ville veulent des services, et non des projets. Ils considèrent la ville comme une marque, avec un ensemble de gammes, de ressources, de produits, etc. Quand on n’est pas content, et bien on utilise tous les moyens à sa disposition pour se faire rembourser. On veut du service après-vente et pas simplement la vente. Et c’est le service après-

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vente sur lequel on va mettre des étoiles sur Internet. Et là, nous voyons la logique des class actions, le système légal qui est pris par ces consommateurs de la ville pour bloquer le système. Et les armes, se battre contre une ville et ses partenaires comme on se bat contre une grande marque aujourd’hui, c’est plus facile que de le faire par le système politique et le système légal offre plein de possibilités. Pensez aux class actions.

Alors les villes se défendent. Certaines utilisent effectivement la vente. Elles se vendent comme des plateformes de services. Et c’est une façon différente de présenter les projets. Et bien certaines villes américaines font des cartes privatives. Les cartes platinium de certaines villes sont en préparation. D’autres comme Amsterdam font l’inverse. Des cartes inclusives qui donnent aux non-résidents des droits juridiquement réservés habituellement aux résidents pour une période temporaire. Donc considérer la ville comme un espace de vente de service c’est aussi une chose qui fait partie des projets de demain. Le consommateur, lui, veut gagner du temps. Les trois quarts de ces gens habitent dans les villes suburbaines. Le temps que vous leur faites gagner semble la mesure de la qualité de vos projets.

• Et puis il y a les community defenders. Ceux-là, vous les connaissez bien. Ce sont ceux qui ont vu que vous allez toucher à leur sanctuaire. Et c’est quoi un sanctuaire pour une petite communauté ? C’est tout l’écosystème de solidarité qui existe dans une communauté. Les ethnologues les identifient afin de pouvoir les protéger ou les relocaliser. Et la grande défense des community defenders, c’est par exemple le ralentisseur. C’est le ralentisseur que l’on fait mettre par l’élu local, municipal, et qui vous fait baisser de 20 % la vitesse moyenne de l’axe routier que vous imaginez extraordinaire pour relier l’autoroute. Ils veulent du slow les community defenders.

• Les derniers, et je m’arrêterai là, ce sont les passive citizens. Eux, ils vont vous inviter peut-être à prendre le thé. Ils ne vont rien dire pendant l’opération et simplement, ils auront une seule réaction, ils ne vont pas réélire le maire. C’est ce qu’ils feront. Ils ne bougent pas de chez eux, mais ils appuient sur le bouton non lorsqu’il faut voter. Et eux, ils ont un mot clé. Le silence. Je veux du silence. Alors effectivement, eux, c’est le chantier qui est l’ennemi..

En conclusion, si on a remis ici tous les types d’activisme à la même taille, c’est parce qu’effectivement, on ne peut plus faire l’impasse sur l’un des types. Les types « passive citizens », et bien ils vont prendre leur revanche sur le système politique et les élus qui eux vont être obligés de s’ajuster. Il faut donc anticiper et aller vers eux parce qu’ils ne viendront pas vers vous. Allez prendre le thé chez eux.

Les global activists - Wikileaks et autres Anonymous, il faut effectivement leur permettre de jouer un peu avec vous. Il faut que dans le système, certaines choses soient révélées de temps en temps pour que l’exigence de transparence apparaisse crédible. Si rien n’apparaît surprenant, rien n’apparaît dans les médias ou sur Internet, ce n’est pas possible dans les systèmes d’aujourd’hui. Donc on s’aperçoit aujourd’hui qu’il est indispensable d’avoir des plateformes à géométrie variable qui permettent d’appréhender le jeu de tous ces acteurs.

Chacun influence les autres. Ceux qui sont les moins impliqués politiquement, ceux qui ont une attente de ville servicielle (les « active followers »)sont paradoxalement le plus impliqués partout, et représentent 34 %. Mais tant que vous ne maîtrisez pas tous les petits groupes autour, ceux qui pèsent 34 % des votes et de l’approbation, vous ne les aurez jamais.