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barreau.qc.ca/journal Poste-publication canadienne : 40013642 Janvier 2013 Vol. 45 n o 1 La négociation intégrative Surmonter les impasses en négociation par la créativité Philippe Samson Suivez le Barreau #JdBQ Table des matières PARMI NOUS 4 PROPOS DU BÂTONNIER 6 PROPOS DU DIRECTEUR GÉNÉRAL 7 DROIT DE REGARD 8 LES CONTES DE LA FÉE DÉONTO 15 CAUSE PHARE 18 VIE ASSOCIATIVE 32 PROJETS DE LOI ET COMITÉS 34 JURICARRIÈRE 35 ET 36 TAUX D’INTÉRÊT 37 PETITES ANNONCES 38 Que ce soit à l’occasion d’une entente à l’amiable, d’une négociation commerciale contractuelle, d’une convention collective ou dans tout autre contexte, la négociation peut aboutir à une impasse. Pourquoi ? Comment s’en sortir ? Suite page 9 DOSSIER Justice administrative (2 e partie) PAGES 26 À 30 NOUVEAU Les contes de la Fée déonto PAGE15 Le modèle distributif de négociation Parmi les différents défis auxquels font face les avocats, celui de surmonter les impasses en négociation est certainement l’un des plus complexes. Selon M e Jean-François Roberge, directeur des programmes en prévention et règlement des différends de la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, les impasses surviennent principalement parce que les négociateurs survalorisent le modèle distributif de négociation. Ce modèle crée une dynamique compétitive où les parties tentent à tout prix de rechercher l’exclusivité du pouvoir pour forcer un compromis à court terme par le biais de concessions de l’autre partie. La négociation est ainsi conçue sur un rapport de force (issu de la preuve ou de contraintes d’une partie sur l’autre, par exemple) qu’il faut faire balancer en sa faveur afin de maximiser son gain aux dépens de celui de l’autre. Le résultat de ce modèle de négociation largement répandu correspondra au rapport de force que chacune des parties possède. Or, selon M e Roberge, ce modèle de négociation présente d’importantes limites qui conduisent souvent à des impasses. « C’est le cas, par exemple, lorsque le rapport de force est égal entre les parties et qu’on n’arrive pas à faire un gagnant et un perdant, aucune des parties ne pouvant forcer l’autre à faire un compromis satisfaisant. La négociation s’étire alors au fil du temps, jusqu’à ce que les parties soient au pied du mur, toutes deux perdantes », explique-t-il. C’est ce qui serait arrivé, selon lui, dans le conflit de travail du Journal de Montréal où les employés ont été en négociation avec leur employeur pendant plus de 764 jours pour finalement arriver à un résultat aussi insatisfaisant pour l’une et l’autre des parties. La négociation distributive implique également souvent le recours à des tiers influents pour exercer de la pression sur une des parties afin d’arriver à un règlement. « Dans les conflits de travail chez Air Canada, par exemple, il y avait toujours la menace d’une loi spéciale du gouvernement en cas d’impasse sur la négociation des conditions de travail au motif que cela avait une incidence sur les activités économiques du pays », illustre M e Roberge. Par ailleurs, en plus du risque d’impasse, l’avocat qui survalorise le modèle distributif de négociation risque d’empêcher son client d’obtenir le sentiment de justice attendue. Selon M e Roberge « le client qui négocie pour une “question de principe” lance en fait le message à son avocat et à l’autre partie que la solution négociée doit être “équitable“ à défaut de quoi il préfèrera qu’un juge rende une décision conforme à la justice du droit. Or, la négociation distributive aboutit à une solution correspondant au rapport de force détenu par chacune des parties. En d’autres termes, l’équité ou la légitimité de la solution négociée n’est pas pertinente dans la méthodologie de négociation distributive ». Photo : iStockphoto www.groupemontpetit.com 514.395.1115 n Experts-conseils en recrutement Avocat(e) – Parajuriste – Personnel de soutien n Services-conseils en gestion des ressources humaines n Conférence en gestion du capital humain Solutions pour gestionnaires

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barreau.qc.ca/journalPoste-publication canadienne : 40013642

Janvier 2013 Vol. 45 no 1

La négociation intégrative

Surmonter les impasses en négociation par la créativité Philippe Samson

Suivez le Barreau #JdBQ

Table des matières

PARMI NOUS 4 PROPOS DU BÂTONNIER 6 PROPOS DU DIREcTEUR géNéRAl 7 DROIT DE REgARD 8 lES cONTES DE lA FéE DéONTO 15 cAUSE PHARE 18 VIE ASSOcIATIVE 32 PROJETS DE lOI ET cOMITéS 34 JURIcARRIÈRE 35 et 36 TAUX D’INTéRÊT 37 PETITES ANNONcES 38

Que ce soit à l’occasion d’une entente à l’amiable, d’une négociation commerciale contractuelle, d’une convention collective ou dans tout autre contexte, la négociation peut aboutir à une impasse. Pourquoi ? Comment s’en sortir ?

Suite page 9

DOSSIeR Justice administrative (2e partie) PAgES 26 À 30 NOUVeAU Les contes de la Fée déonto PAgE15

Le modèle distributif de négociation

Parmi les différents défis auxquels font face les avocats, celui de surmonter les impasses en négociation est certainement l’un des plus complexes. Selon Me Jean-François Roberge, directeur des programmes en prévention et règlement des différends de la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, les impasses surviennent principalement parce que les négociateurs survalorisent le modèle distributif de négociation. Ce modèle crée une dynamique compétitive où les parties tentent à tout prix de rechercher l’exclusivité du pouvoir pour forcer un compromis à court terme par le biais de concessions de l’autre partie. La négociation est ainsi conçue sur un rapport de force (issu de la preuve ou de contraintes d’une partie sur l’autre, par exemple) qu’il faut faire balancer en sa faveur afin de maximiser son gain aux dépens de celui de l’autre. Le résultat de ce modèle de négociation largement répandu correspondra au rapport de force que chacune des parties possède.

Or, selon Me Roberge, ce modèle de négociation présente d’importantes limites qui conduisent souvent à des impasses. « C’est le cas, par exemple, lorsque le rapport de force est égal entre les parties et qu’on n’arrive pas à faire un gagnant et un perdant, aucune des parties ne pouvant forcer l’autre à faire un compromis satisfaisant. La négociation s’étire alors au fil du temps, jusqu’à ce que les parties soient au pied du mur, toutes deux perdantes », explique-t-il. C’est ce qui serait arrivé,

selon lui, dans le conflit de travail du Journal de Montréal où les employés ont été en négociation

avec leur employeur pendant plus de 764 jours pour finalement arriver à un résultat aussi insatisfaisant pour l’une et l’autre des parties.

La négociation distributive implique également souvent le recours à des tiers influents pour exercer de la pression sur une des parties afin d’arriver à un règlement. « Dans les conflits de travail chez Air Canada, par exemple, il y

avait toujours la menace d’une loi spéciale du gouvernement en cas d’impasse sur la négociation

des conditions de travail au motif que cela avait une incidence sur les activités économiques du pays »,

illustre Me Roberge.

Par ailleurs, en plus du risque d’impasse, l’avocat qui survalorise le modèle distributif de négociation risque d’empêcher son client d’obtenir le sentiment de justice

attendue. Selon Me Roberge « le client qui négocie pour une “question de principe” lance en fait le message à son avocat et à l’autre partie que la solution négociée doit

être “équitable“ à défaut de quoi il préfèrera qu’un juge rende une décision conforme à la justice du droit. Or, la négociation distributive aboutit à une solution correspondant au rapport de force détenu par chacune des parties. En d’autres termes, l’équité ou la légitimité de la solution négociée n’est pas pertinente dans la méthodologie de négociation distributive ».

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n Services-conseils en gestion des ressources humaines

n Conférence en gestion du capital humain Solutions pour gestionnaires

Suite de la page 1

La négociation intégrative

Surmonter les impasses en négociation par la créativité

Le JOURNAL – BARReAU DU QUÉBeC JANVIER 2013 PAGE 9

Le modèle de négociation intégrative

Plutôt que de surmonter l’impasse en mettant de la pression sur l’autre pour qu’il concède, Me Roberge suggère la négociation intégrative qui mise sur la créativité face aux situations difficiles et favorise le sentiment de justice chez le justiciable. Comme il l’explique, la négociation intégrative - ou à valeur ajoutée - est une dynamique d’intention collaborative où les parties recherchent le partage du pouvoir dans le but de faciliter un consensus dont le résultat est un investissement mutuellement satisfaisant. « Il s’agit donc d’une approche complètement différente de la négociation distributive, car elle exige une préparation d’ouverture stratégique à l’autre avant les rencontres et une attitude de partenariat pendant celles-ci », soutient l’avocat.

La négociation intégrative se distingue par le fait que le problème est conçu plutôt comme un conflit que comme un litige, explique Me Roberge. « Le litige se négocie généralement par la négociation distributive “classique”, qui vise à maximiser le gain individuel par le rapport de force. Voir le problème comme un litige est un réflexe pour le juriste, car il se construit à partir de faits pertinents en droit. Pourtant, une bonne négociation ne peut se réaliser en se concentrant uniquement sur la collecte des faits pertinents en droit et le conseil juridique. Il faut apprendre à s’intéresser de façon plus large au conflit en accordant la même importance aux motivations non juridiques des parties, car c’est souvent cela qui représente leurs motivations réelles ». La négociation intégrative se distingue également par le fait qu’elle exige une préparation plus approfondie que celle nécessaire pour la négociation distributive.

Pour ce faire, Me Roberge conseille de travailler à l’aide d’une grille de sept éléments qui vont permettre d’obtenir une solution mutuellement satisfaisante pour les parties. C’est d’ailleurs cela qui explique en partie pourquoi la négociation intégrative est dite à valeur ajoutée. Ainsi, le praticien doit se préparer en se questionnant au sujet de son client et des parties liées au litige sur : leurs intérêts (besoins, valeurs, désirs); leurs options (qui pourraient devenir en fait des pistes de solution); leur vision de l’équité (responsabilité, égalité, capacité); leur alternative (le classique plan B); leurs relations (impact sur le réseau et la réputation); leurs communications (information recherchée et à valider); et leur engagement (la latitude conférée par leur mandat).

En somme, « travailler avec ces sept éléments permet d’adopter une attitude très importante dans la négociation intégrative, soit la capacité de se mettre dans les souliers de l’autre. Ce n’est que de cette façon que l’on peut réussir à trouver l’apport ou la valeur ajoutée qui permettra de mettre fin au conflit par une solution légitime procurant un sentiment de justice aux parties », soutient Me Roberge.

Penser à l’extérieur du cadre

Après s’être préparé, vient le moment de la rencontre, de la négociation. Me Roberge explique que la clé du succès de la négociation intégrative se résume à encourager les parties à sortir des sentiers battus en pensant différemment et en faisant preuve de curiosité et de créativité. Selon lui, faire preuve de curiosité consiste à poser des questions ayant pour objectif de stimuler la curiosité des négociateurs pour qu’ils comprennent leurs différences,

leurs préférences, leurs intérêts communs et qu’ils puissent explorer le potentiel de collaboration. Me Roberge suggère de poser des questions sur cinq aspects particuliers, soit les priorités parmi les intérêts, l’importance des délais pour les parties au conflit, les prédictions contingentes futures et la tolérance au risque, les compétences et capacités des parties, et enfin les intérêts communs des parties. « C’est en se questionnant sur ces cinq piliers que l’avocat aura l’information nécessaire pour être créatif dans le but de surmonter les impasses et procurer un sentiment de justice aux parties », soutient Me Roberge.

Faire preuve de créativité, poursuit l’avocat, consiste à être capable de créer des options de solution basées sur les priorités, les différences et les intérêts communs des parties impliquées. « La participation directe des clients est alors nécessaire pour gagner en efficacité, car à ce point on discute d’éléments de solution très spécifiques à leurs besoins et leurs motivations au-delà l’aspect juridique », rappelle Me Roberge.

Plusieurs techniques peuvent être employées par les parties en conflit pour arriver à un arrangement avantageux et légitime. Elles peuvent, par exemple, concéder certaines de leurs positions initiales si cela permet d’atteindre un objectif plus important, choisir de travailler ensemble dans le but de créer un nouvel objectif conjoint ou encore décider d’ajouter à leurs offres des ressources additionnelles pour faciliter l’atteinte des objectifs principaux, explique Me Roberge.

Développement de nouveaux réflexes et partenariat

La négociation intégrative peut trouver sa place dans plusieurs aspects procéduraux propres au système judiciaire. Le médiateur peut, par exemple, faciliter une négociation intégrative en favorisant le climat de confiance entre les parties. Il en va de même avec les juges dans le cadre des conférences de règlement à l’amiable. Elle pourrait également être mise en application dans les négociations commerciales et de relations de travail.

Me Roberge déplore cependant le fait que la négociation intégrative ne soit que peu ou mal employée. « Cela fait en sorte que malgré leurs efforts, lorsque les avocats sont mal préparés ou peu disponibles à écouter, ils risquent de retomber plus facilement dans le réflexe de la négociation distributive et ainsi persister à limiter l’interaction à de simples propositions et contre-propositions. Pour aller au-delà de cette habitude, il faut mieux faire connaître la négociation intégrative, à la fois dans les facultés de droit et dans la formation continue des juristes ».

C’est notamment en ce sens que le Barreau de Montréal a récemment organisé un déjeuner-conférence lors duquel Me Roberge a été invité à explorer avec des juristes d’entreprise la négociation intégrative en tant qu’outil de négociation.

Enfin, Me Roberge souhaite que le milieu universitaire agisse en partenariat avec les cabinets d’avocats, les contentieux d’entreprise et les centrales syndicales pour créer une chaire de recherche et de formation sur la négociation. « Cela permettrait de combiner nos forces pour travailler ensemble à améliorer notre image, notre efficacité et notre responsabilité sociale de favoriser l’accès à la justice », conclut-il.

Lancement

le Service aux membres du Barreau du Québec a procédé au lancement d’une nouvelle section du site Web du cAIJ entièrement dédiée aux avocats en entreprise, fruit de la collaboration du comité des avocats et avocates de l’entreprise du Barreau du Québec et du cAIJ.

le lancement, qui a eu lieu le 28 novembre dernier à la bibliothèque du cAIJ, a réuni plusieurs avocats oeuvrant en entreprise. c’est d’ailleurs à eux que s’adresse cette nouvelle section, qui leur permettra d’avoir accès à une sélection quotidiennement mise à jour d’informations en législation, jurisprudence et doctrine ainsi que sur des sujets aussi divers que la gouvernance, l’éthique, la gestion des conseils d’administration, les contrats, les systèmes de retraite etc.

la nouvelle section est disponible dans l’onglet Actualités juridiques du site du cAIJ : www.caij.qc.ca.

Actualités juridiques pour avocats en entreprise

De gauche à droit : Me Alain Doré, Me Dyane Perreault, Mme Isabelle Pilon et Me Mathieu Piché-Messier.