memoire la crise des subprimes vers une reforme de la regulation financiere

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  • 8/8/2019 Memoire La Crise Des Subprimes Vers Une Reforme de La Regulation Financiere

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    MEMOIRE

    LA CRISE DES SUBPRIMES :

    VERS UNE REFORME DE LA REGULATION

    FINANCIERE

    Par M. Franois-Charles LOUDOT

    Mmoire ralis sous la direction de

    M. Bessis

    Jouy-en-Josas

    Anne 2009

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    Je tiens remercier M. le Professeur Bessis davoir assur la direction de ce mmoire et

    de mavoir suivi et conseill tout au long de cette recherche.

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    Rsum : La crise des subprimes a mis jour un nouveau mode de contagion financire,

    n des lacunes et des incohrences des trois niveaux de rgulation des institutions

    financires (les rgulations comptables et prudentielles ainsi que la gestion des risques au

    sein des banques). La prsente rflexion a pour but de dcrire et de dfinir cette nouvelle

    contagion, par comparaison avec lancien modle de contagion, dits des dominos, afin de

    pouvoir analyser cette lumire les rformes envisages en matire de rgulation des

    institutions financires. Les trois principaux thmes de rforme abords sont la

    restauration de la transparence, en vue de restaurer de restaurer la confiance, aprs les

    problmes connus durant la crise, et surtout, la mise en place dune rgulation approprie

    de la gestion du risque de liquidit par les banques, ainsi que le ralignement de la

    rglementation comptable avec les normes prudentielles et la gestion des risques. Cedernier thme renvoie aux problmes de procyclicit des normes actuelles, qui, aprs

    avoir contribu amplifier la bulle financire (ne de lemballement sur le march

    immobilier), a, une fois la crise dbute, augmenter considrablement les pertes durant la

    crise, et ainsi mis le systme financier en pril. Cette recherche relve donc dune

    approche la fois micro et macro-prudentielle, en abordant les problmes mis au jour par

    la crise, et les solutions envisages face ces difficults, la fois du point de vue des

    incitations et des comportements des oprateurs de march et du point de vue de la

    prservation de la stabilit financire.

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    SOMMAIRE

    Introduction

    Chapitre premier : La crise dessubprimes et lmergence dune nouvelle forme

    de contagion financire

    I. Le modle de dominos inoprant pour expliquer la crise dessubprimes

    A. La crise des subprimes : au-del des dominos

    B. Imperfections du modle des dominos

    II. Une nouvelle forme de contagion financire : des dominos la crise de

    liquidit

    A. La spirale liquidit-valorisation

    B. Transparence : les marchs face au risque inconnu et non mesurable

    Chapitre deuxime : Liquidit, transparence et risque de contrepartie :

    assurer la confiance et le bon fonctionnement des marchs

    I. Transparence et risque de contrepartie

    A. Rformer les agences de notation

    B. Drivs de crdit et effet dominos : des remdes prouvs

    II. Liquidit de march et liquidit bancaire

    A. La liquidit de march

    B. La liquidit de financement

    Chapitre troisime : La valorisation : enjeux pour les rgulateurs comptables

    et prudentiels et pour la gestion des risques

    I. Transparence et incertitudes sur la valorisation durant la crise des

    subprimes

    A. Application des normes comptables par les banques

    B. Les modles de valorisation externes

    II. Mise en cohrence des rgulations comptables et prudentielles et de la

    gestion des risques

    III. Rglementations comptables et prudentielles : la question de la

    procyclicit

    Conclusion

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    Introduction

    Les interrogations lorigine de ce mmoire sont conscutives la crise dite des

    prts hypothcaires risque subprimes, qui depuis juin 2007, au moins, touche le secteur

    financier dans sa quasi globalit. Cette crise a rvl un certain nombre de faiblesses et

    de lacunes, voire dincohrences des dispositifs de rgulation des institutions financires.

    Si lon retient pour linstant, comme dfinition de dpart, que la rgulation, de manire

    gnrale, a pour objet dharmoniser les systmes de gouvernance, on peut la qualifier,

    pour reprendre la formule de Roland Prez (la gouvernance dentreprise, 2003), de management de la gouvernance , en loccurrence, des institutions financires. Comme

    tout modle de gouvernance dentreprise, le modle dominant que nous connaissons

    aujourdhui et depuis le dbut des annes 1980, tant au sein des institutions financires

    que des autres entreprises, cest--dire la gouvernance dentreprise oriente actionnaire

    (modle shareholder)1, peut tre dfini, avec Perez (2003), comme dispositif

    institutionnel et comportemental rgissant les relations entre les dirigeants dune

    entreprise plus largement, dune organisation et les parties concernes par le devenir

    de ladite organisation, en premier lieu celles qui dtiennent des droits lgitimes sur celle-

    ci . Il est donc clair que la gouvernance dentreprise a pour objet de rgir des situations

    dagence2, avec un agent, le dirigeant, et des principaux, en loccurrence pour le modle

    shareholder, les actionnaires. La rgulation a quant elle pour fonction de grer et

    dencadrer les dispositifs de gouvernance des institutions bancaires, cest--dire des

    dispositifs qui visent des situations qui prsentent, diffrents niveaux, de nombreuses

    potentialits de conflits dintrts. Il est ds lors aisment imaginable non seulement que

    les dispositifs de la gouvernance des banques, dans la configuration3, qui a largement t

    1 Contrairement la plupart des entreprises ainsi quun certain nombre de banques, dans lesquelles le modle de

    gouvernance shareholder a progressivement t mis en place partir du dbut des annes 1980, certaines banques,

    notamment amricaines, nont intgr ce systme de gouvernance que plus tardivement, aprs avoir abandonn le

    statut de partnership ( loccasion de leur IPO). Cest notamment le cas de Goldman Sachs en 1999 ou encore de

    Lazard en 2005.2

    La thorie de lagence est la principale thorie fondant la nouvelle conception noclassique de la firme. Cest sur

    cette conception, et donc sur la thorie de lagence que la GE est fonde. Une relation dagence se dfinit comme uncontrat par lequel une ou plusieurs personnes (le principal) engage(nt) une autre personne (lagent) pour excuter en

    son nom une tche quelconque qui implique une dlgation dun certain pouvoir de dcision lagent (cf. infra)3 Le terme de configuration est tir du vocable de Norbert Elias (cf. Quest-ce que la sociologie ? 1970)

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    la leur travers le monde depuis les annes 1980, puissent connatre des imperfections et

    des dysfonctionnements, mais aussi, et peut-tre de faon encore plus vidente, que les

    systmes de rgulation puissent galement en connatre. Cependant, un des traits qui

    semblent caractriser cette crise des subprimes, et qui nont fait que renforcer nos

    interrogations originelles, est que les dispositifs de rgulation en place ont non seulement

    t incapables de prvenir certains comportements lorigine de la crise, mais ont aussi,

    du fait de certaines incohrences quils comportent, contribu aggraver la crise actuelle.

    Avant danalyser ces incohrences et denvisager les rformes possibles, il convient donc

    tout dabord de revenir sur la crise elle-mme, son droulement et ses origines.

    Les origines de la crise

    La crise dite des subprimes, partie des Etats-Unis, a fait suite une priode

    dexpansion (2003-2007) marque par un trs fort recours au levier financier ainsi que

    par une hausse de la valeur des actifs, notamment immobiliers.

    En effet, aprs la crise de 2001, les banques centrales, commencer par la Federal

    Reserve amricaine, ont men une politique trs expansive de taux dintrt bas. Ainsi,

    les taux dintrts, aux Etats-Unis, sont rests de faon prolonge 1%, ce qui, mme en

    priode dinflation modre, quivaut des taux dintrt rels ngatifs. Cette situation a

    abouti lmergence de deux phnomnes concomitants et interdpendants.

    Dune part, les banques, dans ce contexte favorable leur permettant de se financer

    bon compte sur les marchs court terme, ont poursuivi marche force le mouvement

    entam depuis la fin des annes 1980 de remplacement de leur ancien business model

    originate and hold par un nouveau modle appel originate and distribute (octroi puis

    cession des crdits travers leur titrisation). Ce nouveau modle, leur permettant

    doptimiser la gestion de leur bilan en transfrant, grce la titrisation, le risque de non-

    remboursement un grand nombre dinvestisseurs dissmins tout en augmentant leur

    volume daffaires, a conduit au dveloppement exponentiel des ABS (Asset Backed

    Securities), MBS (Mortgage Backed Securities) et autres produits structurs de crdit de

    type CDO (Collateralized Debt Obligation) ou CLO (Collateralized Loan Obligation)

    ainsi que des drivs de crdit ( commencer par les Credit Default Swaps ou CDS).

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    Dautre part, cette volution du business model des banques et les taux pratiqus

    par la Fed4

    ont permis que les mnages sendettent massivement, en gageant leur

    logement, ce qui a conduit une hausse considrable des prix sur le march immobilier

    amricain. Ainsi selon lindice amricain Nationwide, les prix des maisons ont connu

    entre 2000 et 2005 une croissance annuelle de 8% en nominal, soit 5.5% en termes rels.

    Ces deux phnomnes se sont auto-entretenus sans rel accroc tant que les prix de

    limmobilier ont continu crotre. Cette hausse des prix tait en effet ncessaire la

    bonne continuation de cette phase dexpansion dans la mesure o les banques, par souci

    doptimisation de lutilisation de leur bilan et de leur capital, en sont venues dmarcher

    des couches de population de plus en plus modestes qui, peu ou pas solvables,

    sendettaient, taux variable, des conditions telles que leur seule planche de salut

    venait de la hausse des prix de limmobilier et de la possibilit que celle-ci leur offrait de

    se refinancer. Pour ces catgories demprunteurs dnommes Alt-A (ou alternative A,

    cest--dire presque de qualit A) et subprime (par distinction avec les emprunteurs

    solvables, ditsprime), le processus de refinancement intervalle rgulier leur permettait

    de ne jamais sortir de la priode de teasing rate (taux dappel pratiqu gnralement

    durant les deux trois premires annes, avant le reset). Au sommet de la bulle

    immobilire aux Etats-Unis, au dbut du deuxime semestre 2006, le montant des prts

    hypothcaires amricains atteignait 12 000 milliards de dollars, parmi lesquels 42%5

    avaient t titriss sous forme de RMBS (Residential Mortgage Backed Securities).

    Si sur ce montant, les prts dits subprime ne reprsentaient quun peu moins de

    1000 milliards de dollars, cest bien le retournement du march de limmobilier au

    second semestre 2006 coupl la hausse des taux courts depuis 2004 et des taux longs

    depuis le second semestre 2005 qui a mis en difficult les emprunteurs subprime,

    conduisant ainsi une monte des taux de non-remboursement, qui conduisit au dbut de

    la crise des subprimes.

    4Aprs une priode de politique expansive de 2001 2004, la Fed a commenc en 2004 une longue remonte de son

    taux directeur (et par l-mme de tous les taux courts), celui-ci passant de 1% 5,25% au printemps 2007.

    Cependant, comme le note Michel Aglietta (cfLa crise. Pourquoi en est-on arriv l ? Comment en sortir ? 2008),les taux dintrt longs sont quant eux rests trs bas, du fait notamment de la demande massive de titres

    amricains de la part des pays mergents. Du fait de cette perte de contrle momentane des taux longs par la Fed,quAlan Greenspan a qualifi d nigme du dcouplage des taux longs, les taux longs sont rest des niveaux

    historiquement bas de 2001 jusquau second semestre 2005.5 Chiffres cits par Paul Jorion (La crise. Des subprimes au sisme financier plantaire, 2008)

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    Le droulement de la crise

    Sans procder une description exhaustive de la crise (cela a dj t fait avec

    prcision par un certain nombre dinstitutions6, dont la Banque des Rglements

    Internationaux dans son rapport annuel de juin 2008, et dauteurs, dont C. Borio The

    financial turmoil of 2007- ?: a preliminary assessment and some policy considerations,

    2008), on peut considrer trois phases successives par lesquelles elle a transit.

    Au sens strict, la crise proprement parler des subprimes ne constitue que la

    premire phase, de juin (voir mme fvrier) aot 2007, de la crise actuelle. Durant cette

    phase, la crise est reste relativement confine dans le march des produits structurs de

    crdits qui ont vu leur valeur baisser suite laccroissement des probabilits de dfaut de

    crdit (du fait de la baisse des prix immobiliers) au sein des catgories demprunteur les

    plus basses. Le mouvement sest acclr quand, au printemps 2007, les agences de

    notation ont commenc dgrader les notes attribues aux titres mis sur les crdits.

    A partir daot 2007, une nouvelle phase sest ouverte. Les innovations financires

    des annes prcdentes ayant abouti une certaine confusion quant aux sources de

    risques auxquelles certains produits taient exposs7, un phnomne de perte de

    confiance des investisseurs, et par suite de tarissement de la liquidit, sest propag des

    titres sur crdits insolvables aux autres marchs de la dette et, finalement, au march

    montaire des financements court terme, dont Bagehot ( Lombard Street, 1873)

    soulignait dj au XIXme sicle la fonction centrale (y compris le march interbancaire

    et les marchs du commercial paper et de lABCP Asset Backed Commercial Paper

    trs utilis par les banques mais aussi leurs vhicules de titrisation hors-bilan ainsi que

    par les hedge funds pour se financer court terme). Pendant cette deuxime phase, les

    banques, et par extension tout le systme financier, par le jeu des normes comptables,

    bases sur le principe de la juste valeur, des rgles prudentielles (et des rgles de gestion

    des risques) sont entres dans un cercle vicieux que Sylvie Matherat8

    qualifie de spirale

    liquidit-valorisation (on pourrait mme parler de spirale liquidit-valorisation-vente

    6 Le Conseil dAnalyse Economique (CAE) a galement publi un rapport sur le sujet (La crise des subprimes,2008)

    7 Le compactage des prts accords diffrentes catgories demprunteurs, y compris subprime, qui avait t opren vue de leur titrisation a conduit une vritable difficult pour les investisseurs ayant investi dans des ABS ou

    autre MBS, et fortiori pour ceux ayant achet des parts de CDO, de CLO et de CDO squared .8 Cf.Juste valeur et stabilit financire : enjeux de march et dynamiques stratgiques, 2008.

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    force). Ce phnomne procyclique a abouti de nombreuses dprciations par les

    banques, et ainsi des pertes, dabord values entre 300 et 400 milliards de dollars fin

    dcembre 2007 puis entre 900 et 1000 milliards de dollars fin juin 20089

    et mme

    plus de 4 000 milliards de dollar en avril 200910

    . Ces pertes, dvastatrices pour le niveau

    de capital des banques, ont pouss ces dernires de massives recapitalisations, values

    302 milliards de dollars fin juin 200811

    . Elles ont galement incit les Etats et les

    banques centrales intervenir pour assurer la fois la survie des banques (le cas du

    sauvetage de la banque Bear Sterns par JP Morgan Chase, avec laide de la rserve

    fdrale, le 16 mars 2008 en est un bon exemple) et le bon fonctionnement du march

    interbancaire (avec des injections massives de liquidits ralises, de manire de plus en

    plus concerte, par les banques centrales).

    Enfin, aprs cette seconde phase de tarissement gnralis du crdit que Paul

    Jorion12

    qualifie de drle de crise , par rfrence la drle de guerre de 1939-1940, la

    crise sest aggrave en septembre 2008, changeant ainsi vritablement de nature pour

    prendre une tournure de nature systmique. Lentre dans cette troisime phase est

    intervenue, comme le note Michel Aglietta, lorsque de nombreuses banques

    amricaines et europennes ont laiss voir quelles navaient pas assez de capital pour

    faire face la monte des pertes . La faillite de la banque Lehman Brothers, le 15

    septembre 2008, a symbolis lentre dans cette troisime et dernire phase (pour

    lheure). Suite la srie dvnements intervenus dbut septembre 2008 (nationalisation

    des Government sponsored entities Fannie Maie et Freddie Mac le 7 septembre, faillite

    de Lehman Brothers et rachat de Merrill Lynch par Bank of America le 15, sauvetage

    dAIG par la Fed le 16, adoption par Goldman Sachs et Morgan Stanley du statut de

    banque commerciale le 21, pour ne citer que les faits les plus traumatisants) ont

    vritablement achev le mouvement, luvre depuis aot 2007, de disparition du

    march interbancaire et de ce fait forc les Etats renforcer leur intervention (le Troubled

    Assets Relief Plan ou plan Paulson annonc le 19 septembre et mis en place lautomne

    2008, ainsi que les mesures dextension de la garantie des dpts prises par de nombreux

    pays en sont les exemples les plus marquants).

    9Chiffres cits par Henri Bourguinat et Eric Briys (Larrogance de la finance. Comment la thorie financire a

    produit le krach, 2008)10 Cf. Global Financial Stability Reportdu FMI davril 2009.11

    Chiffres cits par S. Matherat (2008),12 Cf.La crise. Des subprimes au sisme financier plantaire, 2008.

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    Durant cette troisime phase, toujours luvre, les dprciations et les pertes

    bancaires ont t encore plus importantes que lors de la deuxime phase. Ainsi, le FMI,

    dans son Global Financial Stability Reportdavril 2009, estime les pertes gnres par la

    crise (estimation portant sur les pertes potentielles de 2007 2010) 4 053 milliards de

    dollars, alors que dans son rapport doctobre 2008, il ne chiffrait les pertes qu 1 400

    milliards de dollars. Il convient de noter que sur ce montant, le FMI nestime qu 1 068

    milliards de dollars les pertes crdit (aux Etats-Unis). Les pertes bancaires totales sont

    donc trs largement suprieures aux pertes de crdit qui en sont la source. Ce phnomne

    damplification a t une constante tout au long de la crise, ou du moins depuis le dbut

    de sa deuxime phase. En effet, Matherat (2008) estimait dj fin juin 2008 que les

    recapitalisations, values 302 milliards de dollars, reprsentaient prs de 80% du

    total des dprciations et plus de huit fois les pertes de crdit . Cette amplification tient

    en bonne partie la spirale liquidit-valorisation quvoque Matherat. Cette spirale

    est, de lavis de nombreux observateurs, de au manque de coordination entre les

    diffrents organes de rgulation, et aux incohrences qui en ont dcoul entre les normes

    quils produisent ainsi qu certaines lacunes, notamment concernant la gestion du risque

    de liquidit par les banques.

    Un cadre danalyse historique et mthodologique du systme de rgulation

    La configuration, cest--dire la mission et les principes, des dispositifs de

    rgulation tels que nous les connaissons aujourdhui, du Comit de Ble sur le contrle

    bancaire (CBCB) lIASB (International Accounting Standards Board) en passant par

    toutes les institutions nationales, sont intimement lis lvolution quont connue le

    capitalisme, en gnral, et la finance, en particulier. Ils se sont donc adapts aux profonds

    changements quont connus le capitalisme et la finance depuis le dbut des annes 1990

    (voire 1980). La situation est en effet depuis lors bien diffrente de celle qui avait cours

    la fin des annes 1960 et au dbut des annes 1970. Ce changement correspond

    lachvement de la priode fordiste et lavnement progressif dune nouvelle

    configuration du capitalisme, constat par de nombreux observateurs. Suite un nombre

    consquent douvrages sur cette nouvelle configuration, la terminologie sembleaujourdhui stre fixe sur lexpression capitalisme patrimonial (ou capitalisme

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    actionnarial , cf. Dominique Plihon13

    ), la suite notamment de lcole rgulationiste,

    dvoue dailleurs toute entire ltude de la fin du fordisme et aux volutions du

    capitalisme qui en ont dcoules.

    Pour reprendre le vocable de la thorie de la rgulation (cf. Plihon, 2003, et

    Aglietta14), lmergence de la configuration moderne de la finance est un des lments

    caractristiques de ce nouveau capitalisme , tout comme son mode de rgulation

    actuel, qui a t mis en place de faon quasi concomitante (ainsi, le Comit de Ble sur le

    contrle bancaire a t mis en place en 1975 et les accords de Ble I ont t adopts en

    1988). En effet, partir du dbut des annes 1980, les oprateurs financiers ont retrouv

    un degr de libert quils navaient plus connu depuis, au moins, la crise de 1929, suite

    ce que l'conomiste franais H. Bourguinat15

    nommait, ds 1982, le mouvement des

    3D : drglementation (de tous les flux), dcloisonnement16

    (des flux montaires et

    des flux financiers), et dsintermdiation (des moyens de financement de l'investissement

    qui tendent passer de moins en moins par le crdit bancaire et de plus en plus par le

    financement direct auprs des marchs financiers qui drainent l'pargne) et tout ceci de

    plus en plus directement au niveau mondial. On retrouve bien ici, dans le vocabulaire de

    lcole de la rgulation, la dynamique dvolution du business model des banques du

    modle originate and holdvers le modle actuel originate and distribute.Si le systme de rgulation actuel, conu la suite de ces transformations du

    capitalisme et de la finance, est, comme on vient de le voir, un animal historique , il

    est galement un rseau dinstitutions et de normes quil convient danalyser comme tel.

    Un cadre conceptuel est en effet un outil ncessaire afin dapprhender en quoi le

    systme de rgulation constitue vritablement une des cls de vote du systme financier,

    et mme du capitalisme patrimonial, en ce sens quelle interagit avec les diffrents

    niveaux de mcanismes et dispositifs de ces derniers. En effet, afin de remplir sa mission

    de maintien de la stabilit financire, le systme de rgulation, daprs le paradigme

    13 Cf.Le nouveau capitalisme, 2003.14 Cf.Rgulation du mode de production capitaliste dans la longue priode. Exemple des tats-Unis (1870-1970),1974. Il sagit de la thse de doctorat de Michel Aglietta qui est louvrage fondateur de lcole de la rgulation.15 Cf.La tyrannie des marchs financiers, 199516 Le plus bel exemple de cette dynamique de dcloisement est sans doute labrogation du Glass-Steagall Act aux

    Etats-Unis par le Gramm Leach Bliley Act en 1999. Cette loi, vote en 1933 suite au krach de 1929, et que certains

    souhaiteraient aujourdhui voir rintroduite, interdisait la runion en une mme institution financire dactivits debanque de dpts et dactivits de banque daffaires, de sorte que le mme tablissement ne pouvait pas prter de

    largent une entreprise, et promouvoir et vendre les titres de cette mme socit. Elle constituait au fond un mode

    de jugement indpendant, opr par les banques de dpts, de la solvabilit des entreprises.

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    SPC17

    , se compose de structures (S), de procdures (P) et de comportements (C). Les

    structures sont la fois les instances internes lorganisation (comit scientifique, organe

    de production des textes, organes de contrle) et les instances externes, qui recouvrent

    la fois, en aval, les services de gestion des risques et les inspections gnrales des

    banques, et en amont, les institutions ayant transfr leur pouvoir de contrle lautorit

    de rgulation (comme cest par exemple le cas de lUnion Europenne avec lIASB). Ces

    instances sont chacune en charge dun aspect du systme de gouvernance tabli dans

    lorganisation en question. Le volet institutionnel des autorits de rgulation se voit

    complt par les procdures, ensemble de rgles (lgales, professionnelles, ) qui

    imposent le respect dun certain nombre de modalits, notamment quant la circulation

    de linformation entre les instances. Enfin, les institutions ntant rien sans les individus

    qui les animent, les comportements des agents, au sein des institutions financires,

    viennent se greffer, plus ou moins prudents et scrupuleux, sur ce dispositif institutionnel.

    A travers le paradigme SPC, outre une vision de la rgulation telle quelle sinsre dans

    les dispositifs qui lencadrent (tant au niveau des instances politiques que du management

    des institutions financires), on acquiert une comprhension plus prgnante de la

    difficult que reprsente toute tentative de rforme compte tenu du nombre et de la

    diversit des acteurs concerns. La mise en perspective historique montre pourtant bien

    que, compte tenu du rle que joue la rgulation financire dans la finance moderne et le

    capitalisme contemporain, la rforme de ce systme de rgulation, aujourdhui pris en

    dfaut, est un enjeu de premire importance pour les annes venir.

    *

    Si, en crivant ce mmoire, nous nous sommes moins donn comme objectif de

    revenir sur la crise dite des subprimes, dj trs tudie, notamment sous langle des

    dfaillances de la rgulation financire quelle a mis au jour, que dtudier les voies de

    rforme, tant au niveau rglementaire quinstitutionnel, des dispositifs de rgulation, cest

    17 Le paradigme SPC (ou SCP), cest--dire structure-comportement-performance , ici appliqu la GE, est

    originaire du champ de lconomie industrielle. Dvelopp par Mason et Bain, il a depuis lors t largement utilis

    pour analyser des industries et des stratgies concurrentielles. Dans sa forme la plus simple, ce paradigme soutientquil y a un rapport causal unidirectionnel reliant la structure du march au comportement des firmes en prsence et

    ensuite la performance. En dautres termes, la structure du march affecte le comportement des firmes dans une

    industrie et cela affecte son tour la performance.

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    par conscience tant de la ncessit et de limportance que de la difficult de rformer ce

    systme complexe. Cet exercice est dailleurs dautant plus difficile que la crise nest pas

    encore termine et nous rserve peut-tre de nouveaux dveloppements.

    Lenjeu dune telle rforme a aujourdhui clairement t identifi tant par les

    autorits de rgulation elles-mmes que par les milieux politiques et scientifiques. Nous

    nous appuierons donc principalement sur les travaux qui ont commenc tre raliss par

    les autorits de rgulation financire et comptable, tant dans le cadre de colloques que de

    parutions priodiques, ainsi que sur les avis que des personnalits du monde

    professionnel, scientifique ou politique ont pu mettre dans les principaux quotidiens et

    revues spcialiss (Financial Times, The Economist, Barrons).

    Sur la base de ces premiers travaux, il sagit donc pour nous dinterroger les

    normes actuelles la fois sous langle de leur coordination et de leur cohrence, et sous

    langle des incitations quelles crent pour les institutions financires. En effet, la mission

    de toute rgulation financire tant dassurer le maintien de la stabilit financire tout en

    laissant aux institutions financires un degr de libert suffisant pour quune innovation

    financire, source de progrs, soit possible, toute tentative de rforme se doit dtre un

    compromis entre supervision et incitation.

    Dans ce cadre, il semble ncessaire denvisager dabord la question de la liquidit que la

    crise actuelle a replace au centre des dbats. Cela implique danalyser le nouveau

    modle de contagion financire que la crise des subprimes a mis en vidence. Il sera

    ensuite possible denvisager les nouveaux lments que la rgulation doit prendre en

    compte ce sujet, tant au niveau de la transparence et de la gestion du risque de

    contrepartie qu celui de la gestion du risque de liquidit par les banques. Enfin, nous

    aborderons la question de la rforme des rglementations comptables et prudentielles,

    notamment sous langle de leur procyclicit. Il sagira sur ce point danalyser les

    interrelations quentretiennent les normes comptables, les rgles prudentielles et les

    modles de gestion des risques afin dtre mme dvaluer les voies de rforme

    envisages.

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    Chapitre premier

    La crise dessubprimes et lmergence dune nouvelle forme de

    contagion financire

    Dans cette premire partie, notre propos est de montrer la suite de quelle

    conjonction dvolutions du systme financier est advenu un nouveau type de contagion

    financire. Cet exercice relve donc avant tout dune analyse de la crise des subprimes en

    tant que crise de liquidit. Il sagit de remonter aussi haut que possible dans la srie des

    causes qui a eu pour effet final lmergence de cette nouvelle forme de contagion

    financire. Cela nous permettra ensuite, dans le deuxime chapitre, denvisager les

    actions correctives que pourraient prendre les autorits de rgulation en matire de

    liquidit. Il nous sera alors possible, dans le troisime chapitre danalyser, en lien avec la

    liquidit bancaire, le cas des normes comptables (en particulier en matire de

    valorisation) et prudentielles.

    I. Le modle de dominos inoprant pour expliquer la crise dessubprimes

    Comme nous lavons vu, la crise des subprimes est partie de la dtrioration de la

    qualit des crdits hypothcaires risque aux Etats-Unis, qui, la veille de la crise tait

    loin dtre quantitativement la catgorie de crdit hypothcaire la plus importante. De ce

    point de dpart, elle sest tendue tous les marchs de crdit, puis mme au cur du

    systme financier, le march interbancaire, prenant ainsi une tournure systmique. Cest

    dans cet apparent paradoxe que se tient la preuve quune nouvelle forme de contagion

    financire a t luvre durant les derniers mois.

    A. La crise dessubprimes : au-del des dominos

    A bien des gards, la taille des expositions aux crdits hypothcaires subprimes

    tait plutt rduite. En effet, comme nous lavons vu, au dbut de la crise, ceux-ci

    constituaient la catgorie de crdit hypothcaire la moins dveloppe avec un peu moins

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    de 1000 milliards de dollars sur les 12 000 milliards que totalisait lpoque le march

    amricain des crdits hypothcaires. De plus, les missions ralises sur ce segment entre

    2006 et 2007, au moment du pic de limmobilier amricain, ne constituaient quune

    fraction de ce montant. Cest pour ces raisons que Adrian et Shin (liquidit et contagion

    financire, 2008) estimaient, en fvrier 2008, que les pertes de crdit sur ce segment

    sinscriraient dans une fourchette comprise entre 100 et 200 milliards de dollars, soit bien

    peu de chose compar aux 58 000 milliards de dollars de patrimoine que dtiennent les

    mnages aux Etats-Unis ou la capitalisation de 16 000 milliards de dollars affiche par

    les marchs boursiers amricains. Comme ils le font remarquer, une hausse ou une

    baisse de 1% sur le march boursier amricain, variation qui est observe de manire

    presque quotidienne, est quasiment du mme ordre de grandeur que les pertes probables

    qui seront progressivement constates sur les prts risque dans les prochaines annes .

    Compte tenu de ces lments, le modle des dominos de contagion financire ne

    permet clairement pas dexpliquer les dveloppements qua connus la crise depuis lt

    2007. En effet, le modle des dominos considre des dfaillances en chaine :

    A ayant emprunt B, qui lui-mme a emprunt C, la faillite de A se rpercute sous

    forme de pertes de crdit sur B, qui, si la perte est trop importante pour pouvoir tre

    absorbe par son capital, fait faillite son tour. C est alors frapp, et ainsi de suite. Le

    modle des dominos envisage donc la question de la contagion financire sous langle

    des problmes de solvabilit, les pertes de crdit entrainant une dtrioration du niveau

    de capital de la banque, qui se trouve dans lincapacit de faire face ses engagements.

    Sur la base de ce modle, la crise des subprimes naurait jamais d dgnrer en

    crise systmique, ce quelle a pourtant fait. En effet, avant la crise, les institutions

    financires semblaient tout dabord tre suffisamment dotes en capital pour faire face

    ces pertes sans aucun problme. Par ailleurs, les institutions auraient eu dautant moins de

    difficult faire face ces pertes que, comme cela tait largement admis jusquau dbut

    de lt 2007, la titrisation (rappelons que prs de la moiti des crdits hypothcaires

    amricains taient titrise cette date) avait rparti les expositions entre un grand nombre

    de cranciers, aboutissant une dispersion du risque. Avant la crise, comme le rvlent

    Adrian et Shin (2008), plusieurs simulations ont t ralises par des banques centrales

    sur la contagion de type dominos. Toutes ont conclu un impact limit, les seuls casaboutissant une contagion significative supposant un choc initial dune ampleur

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    improbable, sans commune mesure avec ce qui sest produit sur le segment des

    subprimes.

    Lampleur qua prise la crise des subprimes a donc remis en cause le modle de

    type dominos en tant que modle dominant de contagion financire.

    B. Imperfections du modle des dominos

    Le modle de contagion financire de type dominos est en effet imparfait, en ce

    sens quil ne correspond plus vritablement aux structures de la finance moderne. Deux

    critiques au moins peuvent lui tre faites.

    Tout dabord, ce modle nest pas adapt une finance vritablement

    dsintermdie. En effet, lavnement du business modeloriginate and distribute, fruit de

    la dsintermdiation et de ce que C. Borio appelle la marchisation de la finance , a

    profondment chang la donne en matire de contagion. A lpoque o le modle

    originate and holdtait encore la norme, les banques conservaient les actifs, enregistrs

    leur valeur comptable historique. Dans cette configuration, le modle de dominos tait

    parfaitement adapt puisquil envisage la transmission du choc initial par le biais des

    dfauts de paiement. En revanche, dans le cadre de la finance moderne, de telles

    hypothses conduisent une nette sous-estimation de la contagion. En effet, dans le

    contexte actuel, une grande partie du phnomne de contagion passe par la variation des

    prix des actifs, qui sont cots, et par la mesure et la gestion des risques par les banques.

    Les nouveaux modes de contagion peuvent donc se produire sans quil y ait de dfaut de

    paiement majeur, seul le recul des cours de bourse suffit.

    La seconde critique qui peut tre adresse au modle de contagion financire de

    type dominos dcoule de la premire. En effet, comme lindiquent Adrian et Shin (2008),

    ce modle fait lhypothse que les institutions financires sont passives face la srie des

    dfauts. Si, la rigueur, une telle hypothse pouvait tre admise dans le contexte dune

    finance intermdie, cela nest pas envisageable dans le contexte actuel. En effet, les

    banques grent activement leur bilan en fonction des variations de prix et de risques, et,

    en consquence, prennent par anticipation des dfauts de paiement, des mesures pour se

    protger.

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    Le modle des dominos est donc, pour citer Adrian et Shin (2008), dfectueux,

    et ne facilite en rien la comprhension du phnomne de contagion financire dans un

    systme financier moderne, rgi par les marchs . Mais il faut noter que les banques

    centrales auraient pu faire ce constat depuis plusieurs annes. En effet, pendant lt

    2002, les socits dassurance-vie ont dj pu donner, en Europe, un exemple du nouveau

    type de contagion financire. Bien que contrairement aux banques, les socits

    dassurance ne sempruntent pas les unes aux autres, ces dernires ont connu durant cette

    priode des difficults lies la chute des cours des actions suite la crise initie par la

    faillite dEnron. Dans ce contexte, les assureurs-vie se sont retrouvs dans une situation

    o il devenait difficile pour eux dtre en conformit avec leurs contraintes

    rglementaires de solvabilit. Ces institutions ont alors d cder des titres de faon

    diminuer leurs expositions. Ces ventes forces ont conduit renforcer le mouvement

    baissier sur les bourses europennes, mettant par l-mme les assureurs-vie dans une

    situation encore plus dlicate. Les autorits de rgulation des assureurs-vie ont donc

    finalement d lever temporairement les contraintes rglementaires dans les pays

    concerns.

    Il convient donc de dresser un portrait prcis de ce nouveau type de contagion

    financire. Ce travail, qui, comme nous venons de le voir, aurait eu intrt tre ralis

    plus tt, ds 2002, constitue un incontournable pr requis toute rflexion sur une

    rforme de la rgulation financire.

    II. Une nouvelle forme de contagion financire : des dominos la crise de

    liquidit

    Il semble aujourdhui possible de discerner deux composantes principales qui, en

    interaction lune avec lautre, ont aliment la contagion depuis le dbut de la crise. En

    effet, le corpus de rgles comptables et prudentielles, coupl au processus de gestion des

    risques, a dune part abouti ce que Matherat appelle la spirale liquidit-valorisation .

    Dautre part, les problmes de transparence quont connus un certain nombre de marchs

    ont conduit la diffusion de risques inconnus et non mesurables, entrainant une

    modification des incitations et des comportements des institutions financires qui nont

    fait quajouter la procyclicit des mcanismes dj luvre.

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    A. La spirale liquidit-valorisation

    Cette spirale constitue (cf. annexe n1) aujourdhui un vritable successeur du

    modle de contagion financire de type dominos, et se trouve ce titre au cur des

    proccupations de tous les rgulateurs. Il convient donc de le qualifier. Pour ce faire, le

    plus simple est encore de reprendre le droulement de la crise.

    1. Valorisation en juste valeur et solvabilit

    Le choc qua constitu la dgradation de la qualit des crdits subprimes a

    provoqu chez les banques, notamment, une srie de dprciations, ces actifs tant

    comptabiliss selon le principe de la juste valeur 18

    . Du fait de la titrisation, les

    dprciations ont concern la quasi-totalit des tablissements bancaires. Cest dailleurs

    pour cette raison, comme le notent Caballero et Krishnamurthy19

    que, lorsque certains

    tablissements ont commenc tre suspects de connaitre des difficults, aucun

    phnomne de grande ampleur de flight-to-quality, cest--dire fuite des dpts vers les

    tablissements encore en bonne sant, na vritablement t observ. Les dprciations

    ont t prcdes par les dgradations de notes, effectues par les agences de notation (les

    Nationally Recognized Statistical Ratings Organizations). Ces dgradations ont t

    souvent brutales20

    , en ce sens quelles portaient sur une rtrogradation de plusieurs crans

    la fois, et les dprciations nen ont t que plus importantes. Ces dgradations ont eu

    une double consquence.

    Dune part, face la rapidit dconcertante avec laquelle les agences de notation

    se sont mises dgrader des produits structurs de crdit, les investisseurs ont commenc

    sinterroger sur la valorisation dautres actifs structurs de la mme manire. Ce

    phnomne a donc conduit un largissement du primtre des actifs touchs par une

    baisse de leur cours de bourse.

    18 En effet, les banques, une fois leurs crdits hypothcaires titriss ont souvent conserv une partie des tranches de

    titrisation ou de produits structurs de type CDO leur bilan. Cest ce qui conduit certains auteurs parler de

    granularisation du risque plutt que de dispersion du risque.19 Cf.Les chaises musicales : un commentaire sur la crise du crdit, 2008.20

    Plusieurs commissions ont t mises en place pour essayer dexpliquer les raison de la brutalit de ces

    dgradations. La SEC a publi ses conclusions sur le sujet le 8 juillet 2008 (cf.NRSRO Examination Report)

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    Dautre part, les baisses de cours, et donc les dprciations, toujours plus importantes,

    sont entres en interaction avec les rgles prudentielles et les pratiques bancaires de

    gestion des risques.

    En effet, Ble II21

    prvoit que la dotation en capital rglementaire des banques, pour les

    produits issus de la titrisation notamment, soit calcule sur la base des notes accordes

    par les agences de notation22

    ( chaque chelon de notation correspond une pondration

    de lexposition au risque). En dautres termes, au moment mme o la baisse de la valeur

    de march des actifs venait diminuer leurs fonds propres ligibles (dans le calcul des

    fonds propres rglementaires), les banques se sont retrouves, du fait de laugmentation

    de leur exposition aux risques, et donc de leurs actifs pondrs par les risques, dans une

    situation o leur besoins de fonds propres rglementaires augmentaient. Prises dans cet

    effet de ciseaux, elles ont t contraintes de rduire leurs expositions23

    .

    2. Procyclicit du levier

    On parle souvent ce propos de ventes forces. Mais comme le montrent Adrian

    et Shin (2008), ce mcanisme renvoie la procyclicit du levier des institutions

    financires. Cette procyclicit provient elle-mme directement des modles de gestion

    des risques et de capital conomique sur lesquels les institutions financires se servent

    pour oprer la gestion active de la Value at risk24

    (la VaR), via des ajustements du bilan.

    Adrian et Shin dmontrent25

    que la nature procyclique du levier traduit [] directement

    21Il convient de noter que la crise est intervenue durant la priode pendant laquelle le passage de Ble I Ble II

    tait en cours, avec un degr davancement plus ou moins important selon les rgions du globe. Ainsi, Ble II a t

    repris en droit europen en 2006 et appliqu partir de dbut 2007 (pour les approches standards et de dbut 2008

    pour les approches avances), alors que les Etats-Unis, plus lents lappliquer, ont travers le plus gros de la crisesur la base des accords de Ble I. Cependant que ce soit pour Ble I ou Ble II, le niveau de fonds propres

    rglementaires doit tre gal au minimum 8% des actifs pondrs par les risques.22

    De manire gnrale les accords de Ble II ont tendu le primtre des expositions valus sur la base de modles,

    aussi bien internes aux banques quexterne, cest--dire manant des agences de notation. Cette volution a t acte

    par le Comit de Ble dans le but damender le traitement trop indiffrenci, et par l-mme de nature encore plus

    procyclique, quoprait Ble I (qui utilisait des coefficients de pondration standardiss et dtermins par le Comit

    de Ble).23 Allen et Carletti (la valorisation aux prix de march convient-elle aux institutions financires ?, 2008) parlent de contagion artificielle due la comptabilisation en valeur de march.24 La VaR, base sur lhypothse dune distribution normale des rendements, se dfinit comme le niveau de perte

    maximum attendu sur un portefeuille, dfini pour un certain niveau de niveau de probabilit. Ainsi, si le niveau de

    confiance retenu pour le calcul de la VaR est de 99%, la VaR sera lestimation du niveau maximum de perte qui est

    susceptible dintervenir dans 99% des cas.25 Adrian et Shin [2008] procdent la dmonstration suivante :

    Notons V la VaR pour un dollar dactifs dtenu par une banque. En dautres termes, la VaR totale de la banque est

    donne par V x A, o A reprsente le total des actifs. Ainsi, si la banque maintient le capital K pour faire face la

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    la nature contra-cyclique de la VaR . Compte tenu des cycles que connaissent les risques

    (lev en priode de crise et faibles en priode dexpansion), la VaR est par nature

    cyclique. Ainsi, les banques, lorsquelles cherchent maintenir leur VaR total un

    niveau relativement stable (comparativement leur niveau de fonds propres) tout au long

    du cycle, ce qui est la fois permis par les rgles prudentielles et tout fait dans leur

    intrt, au moins court terme, puisque que cest une faon pour elles dutiliser au

    maximum leur capital pour gnrer une rentabilit sur fonds propres la plus leve

    possible, font varier leur levier, par le jeu des ajustements de bilan, de faon procyclique.

    En dautres termes, lorsque le prix des titres baisse, lendettement de la banque restant au

    mme niveau quun instant auparavant, la diminution de la valeur se traduit par une

    rduction des fonds propres et donc par une hausse du levier. A ce stade, la banque est

    donc surexpose par rapport son niveau de capital. Cest pourquoi elle cde des titres,

    lui permettant ainsi de rembourser une partie de son endettement (et donc de faire baisser

    son levier). Son niveau dexposition, autrement dit sa VaR, se retrouve alors de nouveau

    en adquation avec son niveau de fonds propres. La rciproque de ce raisonnement est

    galement vraie.

    La crise des subprimes nous a donc montr les consquences de cette procyclicit

    du levier des institutions financires. En effet, les ventes forces qui dcoulent de cette

    procyclicit contribuent aggraver la tendance baissire du prix des actifs cds. Cest

    ce stade quon peut commencer entrer dans une crise de liquidit.

    Il est noter que deux autres phnomnes aggravent encore, ce stade de la

    contagion, la chute des cours. Dune part, comme Allen et Gale26

    lont montr plusieurs

    reprises, les marchs financiers ont une capacit limite absorber les cessions dactifs.

    Dautre part, Bernardo et Welch27

    ont montr, avec leur modle de dsengagement

    (financial market runs), que, dans de telles situations, les investisseurs prts investir sur

    replis du march peuvent avoir tendance, connaissant les difficults de liquidit des

    vendeurs, diffrer stratgiquement leurs ordres, par anticipation dune nouvelle baisse

    des prix (Ewerhart et Valla28

    ).

    VaR totale, nous avons K = V x A, et le levier L [gal la somme des fonds propres et des dettes sur les fonds

    propres] satisfait lquation L = A / K = A / (AV) = 1 / V . Le levier est donc bien gal linverse de la VaR.

    26 Cf. Financial contagion, 2000 ; Financial fragility, 2002 et From cash-in-the-market pricing to financial fragility,2005.27

    Cf.Liquidity and financial market runs, 2004.28 Cf.Liquidit des marchs financiers et prteur en dernier ressort, 2008.

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    Compte tenu de ces lments, lorsque le risque est trs largement dispers dans le

    systme financier, les mcanismes que nous venons de dcrire peuvent conduire non

    seulement une aggravation svre de la baisse des titres mais galement, les

    phnomnes de baisse des cours de bourse et dajustement la baisse du levier en venant

    sautoentretenir, des difficults plus graves, pouvant aller jusqu atteindre le

    processus de fixation des prix sur les marchs, comme cela a pu tre le cas par moment

    durant la crise des subprimes.

    3. La crise de liquidit

    Lorsque de tels phnomnes se produisent, la crise devient vritablement une crise

    de liquidit. La confiance ntant plus le matre mot, et lincertitude sur la valeur des

    actifs, notamment des banques tant importante, les institutions financires commencent

    alors connatre des difficults se refinancer. Une enqute du Systme europen de

    banques centrales (SEBC), cite par Praet et Herzberg29

    , montre en effet quentre 2000 et

    2006 la part des oprations sur la march montaire assorties dune sret est passe de

    22% 30%. Cest donc prs du tiers des financements des banques sur le march

    montaire qui se trouve compromis avec les problmes de fixation du prix de march des

    autres actifs, de quoi asscher le march montaire (sans compter les comportements de

    rtention des liquidits que certaines banques, prenant peur, peuvent avoir).

    Dans le cas de la crise des subprimes, la contagion est mme encore alle plus

    loin. Son dernier stade a t atteint lorsque, suite au tarissement du march des ABCP, les

    conduits et autres SIV (Special Investment Vehicle) hors-bilan, mis en place par les

    banques notamment pour les oprations de titrisation, se sont retourns vers leurs socits

    mres, les banques, qui leur avaient, bien souvent, accord des lignes de crdit autorises

    et des facilits de liquidit disponibles en cas de problme. Ces vhicules, finanant des

    investissements de long terme (en bonne partie dans les produits de la titrisation) avec

    des missions dABCP court terme, ont donc conduit une rintermdiation, dautant

    plus involontaire de la part des banques quelle a eu lieu au pire moment pour elles. Les

    craintes que les banques ne puissent pas faire face ce besoin de liquidit ont finalement

    29 Cf.Liquidit de march et liquidit bancaire : interdpendances, vulnrabilit et communication financire, 2008.

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    conduit de fortes tensions sur le march interbancaire ds lautomne 2007, qui nont t

    que renforces en septembre 2008.

    La crise des subprimes est donc alle bien au-del du modle de contagion

    financire de type dominos. Elle a constitu le premier exemple grande chelle dune

    contagion financire dun nouveau type. Quon parle de spirale liquidit-valorisation ,

    comme Matherat, ou, comme un certain nombre dauteurs, d acclrateur financier

    (cf. Clerc30

    ), ce mode de contagion par les prix et par la liquidit, fruit entre autre des

    incohrences interactives des normes de rgulation, constitue une menace plus

    dangereuse encore pour la stabilit financire que ne ltait le modle des dominos,

    puisquil peut mme atteindre rapidement le march interbancaire.

    B. Transparence : les marchs face au risque inconnu et non mesurable

    Au-del du changement de dynamique de contagion, certains lments sont venus

    alimenter le manque de transparence sur certains marchs. Deux en particulier ont tendu

    aggraver les mcanismes de contagion.

    1. Le march des produits structurs de crdit

    En premier lieu, le point de dpart de la crise, le march des crdits hypothcaires

    et des produits structurs de crdit, ntait pas un march caractris par la transparence.

    En effet, les produits structurs de crdit, comme les CDO, les CLO ou encore les CDO

    squared, constituent un triple problme du point de vue de la transparence.

    Tout dabord, et ce fut sans doute le point crucial qui a conduit la crise se

    propager du march des crdits hypothcaires aux autres marchs du crdit, les produits

    structurs de crdit manquent clairement de transparence. En effet, ils sont constitus

    dun nombre si important de prts que cela rend lidentification des risques auxquels le

    produit est expos quasi impossible. Ainsi, dans une structure deux ou trois degrs,

    voire plus (le CDO squared tant compos entre autre de parts de CDO, eux-mmes

    constitus de parts dans des ABS, MBS, ou RMBS, qui sont chacun constitus de

    plusieurs centaines voire plusieurs milliers de prts), il est extrmement difficile

    30 Cf. Valorisation et fondamentaux, 2008.

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    didentifier lexposition au risque subprime par exemple. Cela rend ce que Clerc (2008)

    appelle la discrimination des risques impossible, ce qui conduit, en cas de choc,

    comme cela a t le cas au dbut de lt 2007, une crise de confiance (du fait de la

    dispersion de risques inconnus et non mesurables, que les marchs ne savent pas bien

    grer contrairement au risque mesurable), qui ne fait quaccentuer la rapidit avec

    laquelle les mcanismes de contagion que nous venons de voir saccomplissent. Lide

    lorigine de telles structures est certes quune diversification peut permettre de rduire

    lexposition au risque du portefeuille, mais en temps de crise, lorsque les corrlations se

    rapprochent de 1, cet argument ne tient plus vritablement (la preuve en est que les

    agences de notation ont massivement dgrad nombres de CDO tout au long de la crise).

    Seul reste alors labsence de transparence, et ses consquences nfastes.

    Dautre part, cette absence de transparence entraine, selon de nombreux auteurs,

    ce quEichengreen31

    rsume par la formule suivante : avec la titrisation, celui qui

    octroie le prt est moins incit valuer la qualit du crdit contrairement [ lpoque o]

    les banques inscrivaient leurs prts au bilan . Bien que ce point soit encore discut, il

    semble probable que la titrisation ne fasse pas que rpartir le risque mais contribue aussi

    laccrotre.

    Enfin, les produits structurs de crdit ont galement paus problme au niveau de

    leur notation. En effet, comme nous lavons vu, les accords de Ble II ont donn un grand

    rle aux agences de notation dans le cadre de la rgulation prudentielle en matire de

    solvabilit ainsi que dans celui de la gestion des risques. Pourtant, Eichengreen rsume

    lopinion quasi gnrale en affirmant que la crise des prts subprime laisse penser que

    la qualit de la prestation des agences de notation a t sous-optimale . Lune des

    raisons de ce constat tient dans le fait que les agences ont appliqu aux titres adosss

    des prts hypothcaires rsidentiels, ainsi qu leurs drivs, les mmes modles quils

    utilisaient dj depuis bien longtemps (plus dun sicle pour deux dentre elles) pour

    valoriser les obligations dentreprises. Mason et Rosner (Where did the risk go? How

    misapplied bond ratings cause mortgage backed securities and collateral debt obligation

    disruptions, 2007) expliquent dans le dtail les raisons pour lesquelles, bases sur ces

    modles, les agences de notation ne pouvaient obtenir que de pitres performances.

    Eichengreen quant lui en donne un exemple : daprs lui, les performances dune

    31 Cf.Dix questions propos de la crise des prts subprime, 2008.

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    obligation dentreprise dpendent la fois de la situation de lmetteur et de la

    conjoncture macroconomique alors que les titres adosss des paniers de prts

    hypothcaires dpendent davantage du cycle macroconomique, et sont donc plus

    fortement corrls .

    A vrai dire, le problme de la notation des titres adosss des crdits

    hypothcaires et de leurs produits structurs va plus loin. En effet, la dlgation de

    lautorit publique ces agences qua opre Ble II a conduit des conflits dintrts

    particulirement nfastes pour la transparence de ces marchs. Comme laffirme

    Eichengreen (2008), les banques ont logiquement ragi [] en exerant de subtils

    pressions sur les agences de notation afin que ces dernires relvent de deux crans la note

    de lensemble de lunivers obligataire, sans forcment dissimuler les informations sur les

    risques relatifs .Face ce conflit dintrts, les agences de notation ne pouvaient que

    cder, compte tenu du fait que les banques, dans le cadre de leur activit de titrisation,

    constituaient pour elles une trs large part de leur chiffre daffaires. En effet, les banques

    taient clientes des agences de notation la fois au niveau des activits de notations mais

    aussi de celles de conseil (les agences faisaient du conseil en matire de structuration

    pour les obligations et les drivs). Ce double conflit dintrts, en relevant de deux crans

    lunivers obligataire, comme le dit Eichengreen, et en faussant la distinction entre le

    niveau de risque des diffrents titres, a conduit attirer plus de capitaux que cela naurait

    d tre le cas sur les marchs en question, et, surtout, dstabiliser ces marchs (lorsque

    les agences ont du prendre en compte dans leur notation la monte de la probabilit de

    dfaut sur les prts sous-jacents).

    2. Le march des drivs de crdit et le retour des dominos

    Un autre march a prsent certaines imperfections, qui sont venues aggraver la

    crise de confiance et donc la contagion financire. Il sagit du march des drivs de

    crdit, commencer par les CDS32

    (Credit Default Swap). Ce march a fait

    particulirement parler de lui au moins trois reprises, avec la quasi-faillite de Bear

    32 Un CDS est un type dassurance o le vendeur du swap est lassureur et lacheteur est lassur. Pour se prmunircontre le risque de dfaut, lacheteur verse au vendeur une prime, dont le montant est dtermin par le march en

    fonction du risque peru sur le sous-jacent. Les CDS ont donc t conus lorigine pour pouvoir dissocier le risque

    de dfaut des autres risques dans le cadre dun prt.

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    Sterns, la faillite de Lehman Brothers et le sauvetage (ou plutt les sauvetages )

    dAIG. Mis au point dans les annes 1990 par les quipes de JP Morgan, les CDS ont

    connu un dveloppement considrable du fait notamment de leur utilisation dans le cadre

    des CDO synthtiques. Comme le note Paul Jorion (2008), le montant global des CDS

    contracts aux Etats-Unis se montait, fin 2007, 62 000 milliards de dollar, un chiffre

    proche du total atteint alors par les dpts bancaires lchelle mondiale .

    Les CDS ont t critiqus bien des niveaux. Cependant, il semble quune critique

    surpasse nettement les autres. En effet, les drivs de crdit ont rintroduit un risque

    deffet dominos dans le systme financier. Deux lments plaident en ce sens.

    Tout dabord, les drivs de crdit sont changs sur des marchs de gr gr,

    donc sans passer par lintermdiaire dune chambre de compensation. Il existe donc un

    vritable risque de contrepartie.

    Dautre part, les CDS, comme nous venons de le voir, sont devenus en quelques

    annes un march de taille systmique (Jorion affirme (2008) mme que les CDS ont

    multipli artificiellement par dix le risque rel qui prexistait leur cration puisque le

    montant total des contrats reprsentait environ dix fois les pertes qui seraient

    effectivement encourues sans les CDS). Cela est dautant plus vrai que presque toutes

    les grandes catgories dacteurs de la finance participent ce march en tant que vendeur

    de protection33

    , toutes ntant dailleurs pas sujettes aux mmes normes de rgulation.

    Les CDS ont donc bien constitu une source de risque de contagion

    supplmentaire. Le mode dchange, de gr gr, de ces contrats a en effet eu deux

    consquences. Dune part labsence de gestion du risque de contrepartie sur ces marchs,

    en labsence de chambre de compensation, a rintroduit le risque quune contagion de

    type dominos apparaisse (la rapidit et lampleur de la raction des pouvoirs publics

    amricains aux problmes de Bear Sterns et AIG tient prcisment la conscience quils

    avaient de ce problme). Dautre part, labsence de chambre de compensation rend le

    march des CDS compltement opaque : aucune information nest publiquement

    disponible sur le montant des expositions des diffrents vendeurs de protection. Aprs la

    faillite de Lehman Brothers, galement trs impliqu sur le march des CDS, cest cette

    33 Daprs The Economist (Briefing, Credit Derivatives, The great untangling, 8 novembre 2008) les banquesreprsentaient 44% des vendeurs de CDS, les hedge funds 32%, les socits dassurance 17%, et les fonds depension & mutual funds 7%.

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    absence dinformation qui a pu conduire des mouvements de panique lautomne 2008,

    notamment.

    Nous avons donc jusqu prsent dcrit les mcanismes de contagion qui ont t

    luvre durant la crise des subprimes. Ceux-ci relvent en fait dune triple nature. En

    effet, le mcanisme le plus caractristique et indit procde dune contagion par les prix

    et la liquidit. Crockett34

    parle ce sujet des forces endognes qui sexercent sur la

    liquidit, par opposition aux facteurs objectifs et exognes (efficacit des structures

    du march, nombre dacheteurs, caractristiques de transparence des actifs changs)

    qui jusqu prsent taient souvent considrs comme les principaux dterminants de la

    liquidit sur un march. Caballero et Krishnamurthy (2008) comparent ces

    comportements ou forces endognes un jeu de chaises musicales o, ne comprenant pas

    bien les rgles du jeu, chacun des joueurs est convaincu dtre celui qui sera limin (le

    jeu devient alors rapidement chaotique). A ce premier mcanisme sajoutent deux autres,

    dj bien connus, savoir la crise de confiance, conscutive un manque de

    transparence, et la contagion de type dominos, mais cette fois travers le march des

    drivs de crdit. Il convient donc maintenant denvisager, dans le deuxime chapitre, les

    rponses, en termes de rgulation, qui doivent tre apportes ces problmes de faon

    rtablir durablement la stabilit financire.

    34 Cf.Liquidit de march et stabilit financire, 2008.

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    Chapitre deuxime

    Liquidit, transparence et risque de contrepartie : assurer la

    confiance et le bon fonctionnement des marchs

    Nous avons mis en vidence deux grandes catgories de problmes que la crise

    mis au jour, lune englobant des difficults auxquelles les rgulateurs ont lhabitude

    dtre confronts, lautre, des difficults plus nouvelles. Il convient donc maintenant,

    dans ce deuxime chapitre, danalyser les diffrentes solutions qui ont pu tre proposes

    tant par les professionnels de la finance que par les auteurs acadmiques et politiques.

    Nous commencerons par envisager les problmes les mieux connus de la

    littrature financire, sur lesquels auteurs et rgulateurs ont des visions assez proches.

    Nous aborderons ensuite le dbat, beaucoup moins consensuel, concernant le nouveau

    mode de contagion financire. A ce sujet, nous nous concentrerons, dans ce deuxime

    chapitre, uniquement sur la question de la liquidit et de la gestion du risque de liquidit.

    Les autres questions, concernant la rgulation comptable et prudentielle, seront abordes

    dans le troisime chapitre.

    I. Transparence et risque de contrepartie

    Dans cette premire partie, nous allons aborder la question des actions correctives

    concernant les problmes de transparence dont nous avons parl ainsi que la gestion du

    risque de contrepartie, en particulier sur le march des CDS, dont nous avons vu quelle

    pouvait tre lorigine dune contagion de type dominos.

    A. Rformer les agences de notation

    Rformer les agences de notation est depuis longtemps un sujet de travail pour les

    rgulateurs. En effet, Standard & Poors, Moodys et Fitch ont eu leur part de

    responsabilit dans les dernires grandes crises. Ainsi, comme le rappelle Bourguinat et

    Briys (2008) durant la crise asiatique en 1997, on leur a reproch leur trs nette lenteur

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    adapter leur notation. Les reproches ont t les mmes au moment de lclatement de la

    bulle internet en 2001. En 2002, avec les faillites retentissantes dEnron et Worldcom,

    les agences ont connu un svre dmenti, elles qui jusquaux derniers jours avaient

    maintenu de bonne notes pour ces socits. On constate donc que malgr les codes de

    bonne conduite , que ds 2004 la Securities and Exchange Commission (SEC) et

    lOrganisation Internationale des Commissions de Valeurs35

    (OICV) avaient labors, la

    situation na gure chang dans la mesure o lon reproche aujourdhui, nouveau, aux

    agences de notation davoir indment accord des notes AAA bon nombre doprations

    de titrisation, y compris subprime, et davoir attendu 2008 pour procder aux

    dgradations qui auraient d commencer tre ralises ds le retournement du march

    de limmobilier amricain au dernier trimestre 2006.

    Le premier point sur lequel les rgulateurs doivent se pencher est celui des conflits

    dintrts auxquels les agences de notation sont confrontes. Ces conflits dintrts,

    dautant plus problmatiques quils interviennent dans un secteur oligopolistique propice

    aux comportements mimtiques, ont eu des effets particulirement nfastes concernant la

    qualit et la ractivit de la notation. Ces difficults ne sont pas sans faire penser aux

    problmes qui ont t rencontrs lors de la crise de 2002, conscutive la faillite

    dEnron, avec les conflits dintrts au sein des cabinets daudit (et de conseil

    lpoque), les clbres big five , devenus fat four aprs la faillite dArthur

    Andersen.

    La premire rforme adopter, de lavis quasi gnral, consisterait augmenter le

    degr de concurrence afin de mettre un terme cette situation doligopole (cf. Christian

    de Boissieu36

    , Prsident du Conseil dAnalyse Economique - CAE). Cette volution

    parat incontournable, et ce depuis plusieurs annes. En effet, le cadeau fait aux agences

    de notation par la SEC, qui a consist leur donner le statut prfrentiel37

    de Nationally

    Recognized Statistical Ratings Organizations (NRSRO) avait conduit prenniser

    loligopole. La SEC en a dailleurs rapidement pris conscience. Ainsi, en 2006, le Credit

    Ratings Reform Act, mis en uvre par la SEC partir de 2007, avait dj pour but

    damliorer la concurrence en facilitant lobtention de statut prfrentiel. Cependant,

    35 LOICV regroupe depuis 1983 les rgulateurs des principales bourses du monde36 Cf.Implications de la crise pour la rgulation bancaire et financire, 2008.37

    Ce statut prfrentiel restreint aux seules notations mises par les agences en bnficiant la capacit dtre

    utilises par les autorits de contrle et par les banques pour le calcul des exigences de fonds propres.

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    cette loi amricaine ne semble pas avoir port ses fruits. De nouvelles dmarches en ce

    sens sont donc ncessaires, et ce dautant plus que lextension de la rigueur de march

    aux agences de notation permettrait de pousser dans le sens dune amlioration des

    modles utiliss, les agences ayant le meilleur modle devant tre les seules survivre

    la concurrence. Cela rglerait donc par l mme une grande partie du dbat sur les

    modles des agences de notation.

    Comme le note Aglietta (2008), la concurrence en matire de notation, quoique

    souhaitable pour toutes les catgories de marchs, est particulirement ncessaire pour les

    marchs hypothcaires, et plus gnralement pour tous les marchs concerns par la

    titrisation. En effet, comme le dit Aglietta propos des agences de notation, lorsque

    celles-ci notent des obligations dentreprise, [ leur] valuation peut [] tre confronte

    celle des brokers et celle du march. Linvestisseur institutionnel peut donc considrer

    la notation de lagence comme un point de vue parmi dautres. Ce nest bien

    videmment pas le cas pour les marchs de crdits titriss. Partant du fait que, sur ces

    marchs, la structuration du produit et sa notation ne font quun, Aglietta propose ce

    sujet daugmenter les obligations de disclosure, considrant que le fait de fournir un

    maximum dinformation est le seul moyen pour que les investisseurs puissent tenter

    une valuation contradictoire sur le risque encouru . Compte tenu de la complexit de

    ces produits, ns du compactage de centaines de prts individuels, cette proposition parat

    aller dans le bon sens mme si Aglietta semble attendre beaucoup dinvestisseurs qui,

    comme il le dit, avant la crise, ne se sont mme pas demand pourquoi cette nouvelle

    classe dactifs qui leur rapportait davantage que les obligations ordinaires (un taux de

    rendement suprieur de 0,5% 1%) tait aussi bien not que ces dernires ( vrai dire,

    mme les rehausseurs de crdits, ou monolines, ne se sont semble-t-il pas vraiment paus

    cette question non plus puisquils ont massivement accept de garantir des tranches

    dactifs titriss ayant des notes exagrment optimistes, ce qui, pendant la crise, les a mis

    en difficult, et a fait deux un autre vecteur de contagion).

    Cependant, par l, Aglietta pointe bien le besoin de rgler la question du conflit

    dintrts entre les activits de notation et de conseil des agences de notation. Il propose

    ce sujet de faire de ces agences des organismes publics grs comme tels, puisquelles

    produisent un bien public dont tout le monde a besoin . Si cette proposition peut tout fait se comprendre, plus particulirement aprs dix ans de dbats sur lamlioration de la

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    rgulation des agences de notation, il est probable que les rgulateurs nauront pas la

    volont politique pour affronter les oppositions des financiers un tel projet. Ainsi, si

    lUnion Europenne a rcemment propos de superviser les agences de notation, elle na

    nullement voqu la possibilit de les transformer en organismes publics.

    Deux autres propositions paraissent plus aisment applicables. Eichengreen (2008)

    propose tout dabord quune loi du type Glass-Steagall, interdisant aux agences de

    proposer la fois des prestations de conseil et de notation soit adopte. Une telle

    rforme permettrait sans doute damliorer grandement la situation. En effet, un dispositif

    du mme type a bien t mis en place avec succs aprs la faillite dEnron aux Etats-

    Unis, interdisant aux cabinets daudit de proposer des prestations de conseil. Par ailleurs,

    aux cts de bien dautres auteurs, Bourguinat et Briys (2008) reprennent la proposition

    de faire rmunrer [les agences de notation] plutt par les investisseurs que par les

    metteurs de la dette . Les agences de notation se retrouveraient alors dans la mme

    situation que les dpartements de recherche des brokers, qui avaient eux aussi trs

    vivement t mis en cause aprs la faillite dEnron. En mettant un terme la pratique

    actuelle qui veut que ce soit la mme personne qui soit charge de la discussion des

    commissions et de la notation, cela permettrait trs certainement de faire disparaitre les

    phnomnes de retard, consquent, de dgradation qui ont pu tre observs lors des trois

    dernires crises importantes.

    Certains auteurs (cf. Pietro Calice dans le Financial Times du 11 juillet 2008,

    Sanctions and enforcement rules are needed to regulate the rating agencies) ont

    galement pu mettre le souhait quun dispositif de sanction soit instaur. Sil semble en

    effet cohrent que lavantage dun statut privilgi soit accompagn dventuelles

    sanctions (qui seraient dcides par la SEC en loccurrence), il ne sagit pas

    ncessairement de la mesure la plus urgente.

    La question de lutilisation des notations des agences dans le cadre du calcul des

    fonds propres rglementaires constitue bien videmment un dernier sujet de

    questionnement que nous aborderons un peu plus loin.

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    B. Drivs de crdit et effet dominos : des remdes prouvs

    Comme nous lavons vu, le march des drivs de crdit, dans sa configuration

    actuelle, pose problme. Bien quils ne soient pas vritablement lorigine de la crise des

    subprimes, les drivs de crdit ont, comme le rsume The Economist38, contribu

    amplifier la bulle de la titrisation en permettant de crer des CDO synthtiques avec des

    CDS, et, par l, ont encore distendu le lien qui unit les banques leurs emprunteurs,

    diminuant encore lincitation pour elles de slectionner les emprunteurs les plus

    solvables. Quoi quil en soit, le march des drivs de crdit est aujourdhui un chantier

    de rforme ouvert. En effet, aprs que la Fed de New York ait propos il y a quelques

    temps dtre le rgulateur des marchs de CDS couverts (coveredCDS, par opposition

    aux naked CDS), le Secrtaire au Trsor amricain, Timothy Geithner, a prsent, aux

    cts de la SEC et de la CFTC (Commodity Futures Trading Commission, autorit de

    rgulation des marchs des matires premires aux Etats-Unis) le 13 avril 2009 un plan

    pour rguler les produits drivs normaliss , prvoyant lobligation pour ces produits

    dtre traits par des chambres de compensation, et non plus de gr gr.

    La migration du gr gr vers des marchs organiss, disposant dune chambre de

    compensation, semble en effet tre la premire tape de toute rforme des marchs de

    CDS. En effet, comme nous lavons vu prcdemment, en tant traits de gr gr, les

    CDS ont t lorigine dun risque systmique deffet dominos dans le systme

    financier. Lintroduction dun organe central de compensation permettrait de grer le

    risque de contrepartie dans la mesure o le jeu des appels de marges garantirait le bon

    droulement des transactions et dissuaderait les vendeurs de protection de se lancer dans

    une fuite en avant comme a pu le faire AIG, et de se retrouver dans limpossibilit, en cas

    de choc conomique, de faire face ses engagements. A lheure o nous parlons,

    plusieurs projets, monts par des oprateurs boursiers (comme par exemple le CME ou

    encore NYSE Euronext) et des chambres de compensation, sont en prparation.

    Le passage des marchs organiss permettrait galement damliorer

    considrablement la transparence. En effet, le march des CDS tait jusqu prsent

    caractris par son opacit. Aucune information ntait vritablement disponible

    concernant le montant des engagements des participants, ce qui a pu conduire des

    38 Cf.Briefing, Credit Derivatives, The great untangling, 8 novembre 2008.

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    vagues dincertitude. Certes, comme certains auteurs le font remarquer, le march des

    CDS tait dj trs rsilient puisquil a russi surmonter la faillite de Bear Sterns, la

    nationalisation de Fannie Mae et de Freddie Mac, ainsi que la faillite de Lehman Brothers

    et la quasi-nationalisation dAIG. Mais, comme le relve Jorion (2008), les marchs

    nauraient certainement pas ragi de la sorte sil avait t connu ds le dbut que les

    rglements lis aux CDS allait tre, aprs la faillite de Lehman Brothers, de lordre de

    quelques milliards de dollar, et non de plusieurs centaines de milliards de dollar comme

    cela a t craint un certain moment. De manire gnrale, tous les marchs de drivs

    gagneraient ce que les contraintes en matire de disclosure soient plus importantes,

    comme le montre lexemple de la prise de contrle de Volkswagen par Porsche

    lautomne 2008. Concernant les CDS, la DTCC (Depository Trust & Clearing

    Corporation) a commenc partir de lautomne 2008 publier, sur une base

    hebdomadaire, des donnes sur les engagements contracts, mais ces donnes ne sont pas

    encore disponibles pour chaque participant.

    Au-del de la migration vers un march organis, le chantier de la rforme des

    marchs de CDS devrait passer par deux autres sujets. Le premier est celui de la

    rduction des volumes globaux. En effet, comme laffirmait Robert Pickel, Prsident de

    lInternational Swaps and Derivatives Association (ISDA), en novembre 2008, le

    vritable montant des risques couverts ne reprsente que 3% de la somme des valeurs

    notionnelles des contrats (1 300 contre 62 000 milliards de dollars). Si, comme Jorion le

    pense, un march organis permettrait chacune des parties engages de savoir avec

    prcision qui contracte avec qui, et, simplifiant du fait mme les positions, encouragerait

    les contractants lis en bout de chaine traiter directement lun avec lautre,

    liminant les intermdiaires qui ne contribuent qu accroitre la fragilit de la chane en y

    introduisant sans ncessit des maillons supplmentaires , il nest pas certain que ce

    mouvement de dtricotage du rseau dinterdpendances que les teneurs de march ont

    cr se fera spontanment. En effet, ceux-ci percevaient des commissions et des frais

    artificiellement importants grce ces montages. Cette complexit excessive est pourtant

    un facteur fragilisant pour le march des CDS, et pour le secteur financier dans sa

    globalit, quil conviendra pour les rgulateurs de simplifier au maximum.

    Le deuxime sujet de rforme est aujourdhui moins abord par la littrature surles CDS. Il constitue pourtant un sujet de rflexion important. Il sagit de la prise en

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    compte des CDS dans le calcul des exigences de fonds propres. Pour linstant, Ble II

    prvoit que la banque qui transfre le risque de dfaut une autre institution par le biais

    dun CDS na plus se constituer de rserves de capital pour le prt en question. Bien

    que cette disposition paraisse parfaitement logique, elle a conduit multiplier les prts

    accords par les banques et une sous-capitalisation globale du systme financier

    (lutilisation de drivs a en ce sens constitu une augmentation cache du levier pour le

    systme financier dans son ensemble). En effet, le risque de dfaut tait transfr vers les

    vendeurs de protection qui ntaient pas tous soumis la rglementation sur les exigences

    de capital (il en est ainsi par exemple des hedge funds qui reprsentent prs dun tiers des

    vendeurs de CDS). Face cet tat de fait, deux solutions semblent envisageables. La

    premire, reprise par le plan que Geithner a prsent le 13 avril, consiste tendre les

    exigences de capital tous les vendeurs de CDS. Cela parat en effet bien

    comprhensible, cependant le risque est que dune part cela entre en conflit avec dautres

    rgles auxquelles ces vendeurs peuvent tre soumis (je pense notamment aux compagnies

    dassurance) et que dautre part cela fasse fuir une partie des participants qui offrent de la

    liquidit sur le march des CDS. La seconde solution sappuie quant elle sur

    lexprience de certains pays, comme lEspagne (cf. Aglietta, 2008), o la

    rglementation financire imposait une rserve en capital quivalente au prt, quil y ait

    ou non transfert de risque . Cette solution, qui consisterait ne pas tenir compte des

    CDS aurait lavantage de concentrer la rglementation sur les banques, acteurs centraux

    de la finance, et renforcer leur stabilit financire. Les banques ny perdraient pas

    beaucoup puisquelles sont de toute faon, et de loin les premiers vendeurs de CDS, avec

    44% du march.

    Si de telles rformes russissent tre mises en uvre, la prophtie suivante : in

    20 years the CDS may well be as little remarked as equity future is now 39

    devrait

    russir sans peine se transformer en ralit.

    Aprs avoir trait des remdes les plus consensuels et les plus rapidement

    applicables, nous devons maintenant nous tourner vers le cur du dbat actuel sur la

    rforme de la rgulation : la liquidit.

    39 Cf. The Economist, Giving credit where it is due, 8 novembre 2008.

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    34

    II. Liquidit de march et liquidit bancaire

    Comme le rappelle Goodhart40

    , la rgulation de la gestion de la liquidit nest pas

    vritablement un sujet rcent. En effet, sa cration, le Comit de Ble navait pas pour

    seul objectif de rguler les questions dadquation des fonds propres. Il stait galement

    donn pour mission de parvenir un accord sur la gestion du risque de liquidit, ce en

    quoi il a malheureusement chou (bien quil publie rgulirement des recommandations

    sur ce sujet, comme en 2000 avec ses Sound Practices for Managing Liquidity in Banking

    Organizations, mis jour en 2008). La consquence de cette situation est sans

    quivoque : alors que depuis la mise en place des accords de Ble, on a observ une

    inversion de la tendance baissire des ratios de fonds propres, ceux de liquidit nont pasconnu une volution aussi favorable. Ainsi, comme la soulign Tim Congdon (Financial

    Times, septembre 2007), la part des actifs liquides dans les bilans des banques

    (principalement bons du trsor et titres publiques court terme) anglaises est passe,

    entre les annes cinquante et aujourdhui, de 30% 1% de leur actif total.

    La gestion de la liquidit est le cur de toute activit bancaire, puisquune banque

    a pour rle principal de faire de la transformation dchance, en finanant court terme

    les prts long terme quelle consent ses clients. Le terme liquidit recouvre une

    double ralit. Comme le rsume bien Crockett (2008), la liquidit peut tre dcrite

    comme tant la facilit avec laquelle il est possible dextraire de la valeur partir

    dactifs. Cette extraction de valeur peut tre ralise, soit en utilisant sa solvabilit pour

    obtenir des financements externes, soit en vendant son papier sur le march . Deux

    concepts se dgagent donc, ceux de liquidit de financement ( funding liquidity) et de

    liquidit de march (market liquidity). La liquidit de financement peut se dfinir pour

    une institution financire comme la capacit faire face ses flux de trsorerie, prsents

    et futurs, attendus et inattendus, ainsi qu ses besoins de srets (collateral) sans que

    cela naffecte ni ses oprations quotidiennes, ni sa situation financire. Quant la

    liquidit de march, elle peut tre dfinie comme la capacit pour une institution

    financire de raliser des transactions de faon pouvoir ajuster ses portefeuilles et ses

    profils de risque un cot raisonnable (cest--dire sans que le prix de march soit

    significativement modifi, sansprice impacttrop important). Les diffrentes instances de

    40 Cf.La gestion du risque de liquidit, 2008.

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    rgulation sentendent de faon presque parfaite sur ces dfinitions, quil sagisse du

    Comit de Ble41

    ou encore du Comit Europen des Contrleurs Bancaires42

    , ou CECB.

    Cependant, comme le note Goodhart (2008), avec la majorit des auteurs, ces deux

    lments sont de plus en plus imbriqus43

    puisque plus les actifs dune banque sont

    liquides et cessibles tout moment un prix ferme [cest--dire plus le risque de liquidit

    de march est faible], moins la banque doit se proccuper de la transformation de ses

    chances [cest--dire de son risque de liquidit de financement] , et rciproquement.

    De plus, comme le rappelle Crockett (2008), les marchs ont besoin des lignes de

    liquidit offertes par les institutions financires et celles-ci comptent sur la permanence

    de la liquidit de march pour mettre en uvre leurs stratgies de gestion du risque . Les

    rgulateurs ne sauraient donc orienter leur action sur un seul de ces lments en

    dlaissant lautre.

    A. La liquidit de march

    La liquidit de march a vocation tre au centre des proccupations des

    rgulateurs financiers pour au moins trois raisons. En premier lieu, les techniques

    modernes de gestion des risques reposent sur lhypothse que laccs aux marchs est

    toujours disponible, puisque, comme le dit Crockett (2008), elles sappuient sur laccs

    en continu la liquidit sur les marchs court terme pour assurer la couverture

    dynamique des risques . En second lieu, les actifs et les passifs des banques tant

    comptabiliss la juste valeur, une monte de lilliquidit sur les marchs, entrainant une

    volatilit accrue de la valorisation des actifs et des passifs, peut tre la cause dune

    importante volatilit des ratios sur la base desquels la solidit des banques est value,

    mettant ainsi en jeu la stabilit du systme financier. Enfin, en cas de problme de

    liquidit dune banque, la doctrine des banques centrales en la matire, tablie depuis

    bien longtemps, veut que la banque centrale se porte au secours de la banque en question

    en lui faisant crdit, un taux lev, contre lapport dune sret de qualit (cf. Ewerhart

    et Valla, 2008). Pour que cette doctrine puisse fonctionner, la banque centrale a donc

    41 Cf. Principles for Sound Liquidity Risk Management and Supervision, 2008.42 Cf. Second Part of CEBSs Technical Advice to the European Commission on Liquidity Risk Management, 2008.43

    Cf. aussi Praet et Herzberg (2008) pour une analyse dtaille des interdpendances entre les deux formes de

    liquidit

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    intrt ce que la sret quelle se voit accorder ait une valeur importante, mais encore

    faut-il pour cela que le march sur lequel cet actif est cot soit liquide. La liquidit de

    march est donc un sujet de rflexion fondamental pour les rgulateurs.

    Comme le rappelle Crockett (2008), la liquidit de march a longtemps t

    analyse comme la rsultante de facteurs exognes . Ainsi, un march tait considr

    comme liquide si ses infrastructures