schramm f. inflammation cutanée

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 ÉCOLE DOCTORALE VIE ET SANTÉ EA 4438 Physiopathologie et médecine translationnelle Groupe borréliose de Lyme THÈSE présentée par : Frédéric SCHRAMM soutenue le : 29 mars 2012 pour obtenir le grade de : Docteur de l’université de Strasbourg Discipline/ Spécialité : Vie et Santé / Aspects cellulaires et moléculaires de la biologie Inflammation cutanée et borréliose de Lyme  – étude in vitro  des interactions entre les cellules résidentes de la peau et Borrelia  THÈSE dirigée par : BOULANGER-CHICOIS Nathalie Docteur, Université de Strasbourg JAULHAC Benoît  Professeur, Université de Strasbourg RAPPORTEURS : LOZNIEWSKI Alain Professeur, Faculté de Médecine de Nancy GUEIRARD Pascale Docteur, Institut Pasteur de Paris AUTRES MEMBRES DU JURY : LIPSKER Dan Professeur, Université de Strasbourg BOYE Thierry Docteur, Hôpital d'instruction des armées, Toulon UNIVERSIT DE STRASBOURG

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  • 7/14/2019 Schramm F. Inflammation cutane

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    COLE DOCTORALE VIE ET SANT

    EA 4438 Physiopathologie et mdecine translationnelle

    Groupe borrliose de Lyme

    THSE prsente par :Frdric SCHRAMM

    soutenue le : 29 mars 2012

    pour obtenir le grade de : Docteur de luniversit de Strasbourg

    Discipline/ Spcialit: Vie et Sant / Aspects cellulaires et molculaires dela biologie

    Inflammation cutane et borrliose deLyme

    tude in vitrodes interactions entre lescellules rsidentes de la peau et Borrelia

    THSE dirige par :

    BOULANGER-CHICOIS Nathalie Docteur, Universit de Strasbourg

    JAULHAC Benot Professeur, Universit de Strasbourg

    RAPPORTEURS :

    LOZNIEWSKI Alain Professeur, Facult de Mdecine de NancyGUEIRARD Pascale Docteur, Institut Pasteur de Paris

    AUTRES MEMBRES DU JURY :

    LIPSKER Dan Professeur, Universit de StrasbourgBOYE Thierry Docteur, Hpital d'instruction des armes, Toulon

    UNIVERSIT DE STRASBOURG

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    REMERCIEMENTS

    Madame le Docteur Nathalie Boulanger et Monsieur le Professeur Benot Jaulhac. Je vous

    remercie davoir dirig ce travail de thse.

    Aux membres du jury, Monsieur le Professeur Professeur Alain Lozniewski, Madame le

    Docteur Pascale Gueirard, Monsieur le Professeur Dan Lipsker, Monsieur le Docteur Thierry

    Boye. Je vous remercie davoir accept dvaluer la qualit scientifique de ce travail.

    Je tiens galement remercier Cathy Barthel, lodie Colin, Chantal Delna, Aurlie Kern,

    Sylvie de Martino et Claire Marchal. Merci pour votre gentillesse, votre disponibilit et toute

    laide que vous mavez apporte durant de ce travail.

    mes parents et grands-parents qui mont soutenu tout au long de mes tudes.

    toute ma famille.

    Galle, Thomas et Valentine, avec tout mon amour.

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    ACA : acrodermatite chronique atrophiante

    ADN : acide dsoxyribonuclique

    ARN : acide ribonuclique

    BCR :B cell receptor

    Bgp :Borrelia gag binding protein

    Bip :B-cell inhibitory protein

    Bmp :Borreliamembrane protein

    BSK : Barbou Stoenner Kelly

    CD : clusterde diffrenciation

    CFHRs : complement factor H-related proteins

    CLA : cutaneous lymphocyte-associated antigenCMH : complexe majeur dhistocompatibilit

    CPA : cellule prsentatrice dantigne

    CRASP : complement regulator-acquiring surface protein

    CSF : colony stimulating factor

    Dbp : decorin binding protein

    DC-SIGN : dendritic cell-specific intercellular adhesion molecule-

    3-grabbing non-integrin

    ELAM-1 : endothelial leukocyte adhesion molecule 1

    Erp : OspE-F related lipoprotein

    FGF :fibroblast growth factor

    Fnbp :fibronectin binding protein

    GAG : glycosaminoglycane

    GM-CSF : granulocyte/macrophage colony-stimulating factor

    hBD : human -defensin

    ICAM-1 : intercellular adhesion molecule 1

    IFN : interfron

    IL : interleukineIrac :Ixodes ricinus salivary anticomplement protein

    IRIS :Ixodes ricinus immunosuppressor

    Ir-LBP :Ixodes ricinus leukotriene B4-binding protein

    IRS-2 :Ixodes ricinus serpin-2

    Isac :Ixodes scapularis salivary anticomplement protein

    KGF : keratinocyte growth factor

    LFA-1 : lymphocyte function-associated antigen 1

    LIPER : lipocalin from Ixodes persulcatus

    LIR : lipocalin from Ixodes ricinus

    LPS :lipopolysaccharide

    MCP-1 : monocyte chemoattractant protein 1

    MFAP : microfibril-associated glycoprotein

    MMP : matrix metalloprotease

    MSCRAMMs : microbial surface components recognising

    adhesive matrix molecules

    Msp : major surface protein

    MyD88 : myeloid differentiation primary response gene 88

    NK :natural killer cell

    NKT : natural killer T lymphocyte

    NLR : nucleotide-binding domain and leucine- rich repeat-

    containing molecule

    NOD :nucleotide oligomerization domain

    Oms66 : outer membrane-spanning 66-kDa protein

    Osp : outer surface protein

    PAI :plasminogen activator inhibitor

    PAMPs :pathogen associated molecular patterns

    PBMCs :peripheral blood mononuclear cells

    PBS :phosphate buffered saline

    PCR : polymerase chain reaction

    PRR :pattern recognition receptor

    RFLP : restriction length fragment polymorphism

    RST : ribosomal spacer type

    Salp : salivary protein

    Serpin : serin protease inhibitor

    Sfbp :streptococcal fibronectin binding protein

    STARI : southern tick-associated rash illness

    TBE virus : tick-borne encephalitis virus

    TGF : transforming growth factorTIMP : tissue inhibitors of metalloproteases

    TLR : Toll-like receptor

    TNF :tumor necrosis factor

    tPA : tissue-type plasminogen activator

    Tpr : Treponema pallidum repeat

    TROSPA : tick receptor forOspA

    uPA : urokinase-type plasminogen activator

    VEGF : vascular endothelial growth factor

    VlseE : VMP (vesicular membrane protein)-like sequenceE

    LISTE DES ABRVIATIONS

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    TABLE DES MATIRES

    INTRODUCTION 8I LA PEAU:SA STRUCTURE ET SES PRINCIPALES COMPOSANTES 8A LPIDERME ET LES KRATINOCYTES 10B LA JONCTION DERMO-PIDERMIQUE 14C LE DERME:FIBROBLASTES ET MATRICE EXTRACELLULAIRE 151 Les fibroblastes 172 La matrice extracellulaire 21

    Composants principaux de la matrice extracellulaire 23Les enzymes protolytiques : mtalloprotases et srine-protases 25

    D LES DFENSES IMMUNITAIRES DE LA PEAU 271 La rponse immunitaire inne 27

    La cascade du complment 29Les peptides antimicrobiens 30Activation de la composante cellulaire de limmunit inne 31

    2 La rponse immunitaire adaptative 35II BORRLIOSE DE LYME:ASPECTS PIDMIOLOGIQUES ET CLINIQUES 37A HISTORIQUE 37B PIDMIOLOGIE DE LA BORRLIOSE DE LYME 40C MANIFESTATIONS CLINIQUES 411 Aspects cliniques principaux et histoire naturelle de la maladie 412 Manifestations cutanes de la borrliose de Lyme 49

    Lrythme migrant 49Le lymphocytome borrlien 51Lacrodermatite chronique atrophiante 52

    III BORRLIOSE DE LYME:LE VECTEUR,LA BACTRIE ET SA TRANSMISSION 56A BIOLOGIE DES TIQUES 56

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    4

    1 Gnralits 56Taxonomie 56Anatomie 56Cycle de dveloppement 58Biotope et rpartition gographique des espces vectrices de la borrliose de Lyme 62

    2 La salive de tique 65Activit anti-hmostatique 65Activit anti-inflammatoire de la salive et modulation de la rponse immunitaire inne 66Effet sur la rponse immunitaire adaptative 70

    B BIOLOGIE DESBORRELIA 75Taxonomie et rpartition gographique 75Structure et organisation gnomique de la bactrie 78

    C TRANSMISSION DEBORRELIA 801 Dynamique de la transmission 81

    volution topographique et dynamique deBorreliachez le vecteur 81Dlai de transmission du vecteur lhte 82

    2 Bases molculaires de la transmission 83Situation avant la prise du repas sanguin 83Modifications molculaires engendres par le gorgement 84Initiation de linfection chez lhte vertbr 85Lhistoire du vaccin 86

    IV INTERACTION DEBORRELIAAVEC LA PEAU ET SON SYSTME IMMUNITAIRE 881 Interaction deBorreliaavec la matrice extracellulaire 88

    Les adhsines deBorrelia 88Borreliaet destruction de la matrice extracellulaire 91

    2 Initiation de la rponse immunitaire parBorrelia 93Interaction deBorreliaavec les TLRs 94Interaction deBorreliaavec les autres PRRs 96Activation des rponses immunitaires spcifiques 97

    3 Mcanismes dchappement deBorrelia la rponse immunitaire 101

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    5

    Mcanismes dchappement laction du complment 101Mcanismes dchappement la rponse immunitaire humorale 103Mcanismes physiques dchappement la rponse immunitaire 105Contribution de la salive de tique aux mcanismes dchappement deBorrelia 108

    PRSENTATION DU PROJET 1121 Contexte gnral 1122 Prsentation du projet de recherche 113ARTICLE 1 115ARTICLE 2 129DISCUSSION 145I DISCUSSION TECHNIQUE 1451 In vitroet in vivo 1452 Choix des cellules tudies : kratinocytes et fibroblastes 1473 Choix des spirochtes utiliss et conditions exprimentales de culture 1494

    Prparation des extraits de glandes salivaires de tique 151

    5 Analyse des microarrays 152II DISCUSSION SCIENTIFIQUE 1541 La salive de tique dans la transmission deBorrelia 154

    Effet antialarmine de la salive de tique 155Effet lytique de la salive de tique sur les fibroblastes cutans humains 156

    2

    Inflammation cutane dans la borrliose de Lyme 158

    3 Recherche dune signature inflammatoire lie lorigine de la souche 1604 Peau, immunit et maladies transmission vectorielle 163CONCLUSIONS 166BIBLIOGRAPHIE 167

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    TABLE DES ILLUSTRATIONS

    FIGURE 1 : PRINCIPALES STRUCTURES DE LA PEAU ................................................................................. 7FIGURE 2 : ORGANISATION DE L

    PIDERME ET DES KRATINOCYTES ............................................ 9

    FIGURE 3 : PRINCIPAUX LMENTS DE LA JONCTION DERMO-PIDERMIQUE ................................ 13FIGURE 4 : ULTRASTRUCTURE DES FIBROBLASTES ............................................................................... 16FIGURE 5 : HTROGNIT ANATOMIQUE ET INTRATISSULAIRE DES FIBROBLASTES .............. 16 FIGURE 6 : PRINCIPAUX LMENTS DE LA MATRICE EXTRACELLULAIRE ...................................... 22FIGURE 7 : SYSTME DU COMPLMENT ..................................................................................................... 28FIGURE 8 : LES RCEPTEURS DE TYPE TOLL ............................................................................................. 32FIGURE 9 :BORRELIA BURGDORFERI, MALADIE DE LYME ORIGINE DES MOTS ............................ 39FIGURE 10 : MANIFESTATIONS CUTANES DE LA BORRLIOSE DE LYME ....................................... 47 FIGURE 11 : ASPECTS HISTOLOGIQUES DES MANIFESTATIONS CUTANES DE LA BORRLIOSE DE LYME. 48FIGURE 12 : POSITION TAXONOMIQUE DES TIQUES DU GENREIXODES............................................ 55FIGURE 13 : PRINCIPAUX LMENTS ANATOMIQUES DE LA TIQUE ET DE SES PICES PIQUEUSES ..... 55FIGURE 14 : STASES DE DVELOPPEMENT DE LA TIQUE I. RICINUS................................................... 57FIGURE 15 : ORGANE DE HALLER................................................................................................................. 57FIGURE 16 : CYCLE DE DVELOPPEMENT DE LA TIQUE ........................................................................ 59FIGURE 17 : TIQUE LAFFT SUR LA VGTATION, EN ATTENDANT LE PASSAGE DUN HTE.... 61FIGURE 18 : PIQRE DE TIQUE....................................................................................................................... 61FIGURE 19 : DISTRIBUTION GOGRAPHIQUE DES PRINCIPALES TIQUES VECTRICES DE LA

    BORRLIOSE DE LYME ................................................................................................................................... 61FIGURE 20 : POSITION TAXONOMIQUE DES BACTRIES DU GENREBORRELIA................................ 74FIGURE 21 : STRUCTURE DES BACTRIES DU GENREBORRELIA......................................................... 77

    TABLEAU 1 : PROTINES ANTI-HMOSTATIQUES ET IMMUNOMODULATRICES DE LA SALIVE DE TIQUE. . 64

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    piderme

    Derme

    Hypoderme

    glandesbace

    glandesudoripare

    folliculepileux

    rete cutaneum

    derme rticulaire

    derme papillaire

    rete subpapillare

    papilledermique

    crtepidermique

    Figure 1 : Principales structures de la peau

    Daprs Grice et coll., 2011.

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    Introduction8

    INTRODUCTION

    I LA PEAU:SA STRUCTURE ET SES PRINCIPALES COMPOSANTES

    La peau est un tissu complexe qui constitue une barrire contre les agressions

    physiques et chimiques du milieu extrieur [Proksch et coll., 2008]. Elle constitue galement

    une barrire immunologique contre les microorganismes qui colonisent de faon transitoire ou

    permanente sa surface [Grice et coll., 2011], ou qui y pntrent au bnfice dune effraction

    cutane, limage des bactries, virus, ou parasites des maladies transmission vectorielle

    [Nestle et coll., 2009]. Outre son rle de protection, la peau est galement un organe sensoriel

    [Birder et coll., 1994]. Elle exerce aussi diverses fonctions mtaboliques (synthse de la

    vitamine D3, par exemple [Holick, 1988]), et participe la rgulation thermique de

    lorganisme. La peau est constitue dun pithlium lpiderme qui repose sur un tissu

    conjonctif le derme (Figure 1). La peau repose elle-mme sur le tissu adipeux sous-cutan

    lhypoderme , qui assure la jonction entre celle-ci et les organes et tissus sous-jacents.

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    Introduction9

    Figure 2 : Organisation de lpiderme et des kratinocytes

    Daprs Denecker et coll., 2008.

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    Introduction10

    A LPIDERME ET LES KRATINOCYTES

    Lpiderme constitue la couche la plus superficielle de la peau. Son paisseur est faible,

    de lordre du dixime de millimtre, mais varie considrablement selon la partie du corps

    considre1[Kanitakis, 2002]. Lpiderme est un pithlium pavimenteux stratifi kratinis

    dorigine ectodermique. Les kratinocytes y sont trs largement majoritaires puisquils

    reprsentent eux seuls plus de 95 % des cellules de lpiderme [Kanitakis, 2002].

    Lagencement et la diffrenciation des kratinocytes permettent dindividualiser quatre

    couches successives au sein de lpiderme [Stevens et coll., 2006].

    La couche basale est la couche la plus profonde (Figure 2). Elle est constitue dune

    seule assise de kratinocytes non diffrencis : les kratinocytes basaux. Ce sont des cellules

    hautes, cylindriques, dont le grand axe est perpendiculaire la jonction dermo-pidermique.

    Elles sont relies entre elles et aux cellules de la couche pineuse adjacente par des

    desmosomes ; elles sont galement relies la lame basale sous-jacente par des

    hmidesmosomes [Kanitakis, 2002]. Les kratinocytes basaux sont des cellules souches dont

    la prolifration, puis la migration vers les couches suprieures et la diffrenciation cellulaire

    permettent le renouvellement constant de lpiderme. Les cellules basales qui migrent dans la

    couche pineuse perdent leur morphologie cylindrique, elles saplatissent et prennent un

    aspect polygonal. Sur les prparations histologiques, o existe une certaine rtraction du

    cytoplasme, les kratinocytes de la couche pineuse semblent accrochs entre eux par des

    pines (do le nom donn cette couche de cellules), qui correspondent autant de

    desmosomes permettant lancrage des filaments de kratine2[Kanitakis, 2002]. La production

    de kratine dans ces cellules augmente, les filaments de kratine deviennent plus pais et plus

    1En peau fine (paupires par exemple) son paisseur ne dpasse pas 50 m, alors quen peau paisse (paume des

    mains et plante des pieds) son paisseur peut atteindre 1 mm en raison de limportance de la couche corne.2Les kratines sont les composants des filaments intermdiaires des cellules pithliales.

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    Introduction11

    denses. Les kratinocytes de la couche pineuse de l'piderme forment plusieurs ranges

    cellulaires (3 4 assises cellulaires en peau fine et 8 10 en peau paisse). La couche

    granuleuse, situe au-dessus de la couche pineuse, est forme par 2 3 ranges de cellules.

    Les kratinocytes de la couche granuleuse sont trs aplatis et leur noyau commence

    dgnrer [Stevens et coll., 2006]. Ces cellules sont caractrises par laccumulation de

    matriel cytoplasmique majoritairement compos de kratine et de lipides. Laspect granuleux

    est d la prsence de grains de kratohyaline3 et de petits grains lamellaires riches en

    lipides, les kratinosomes4. La couche corne reprsente la couche la plus superficielle de

    lpiderme. Cest elle qui confre le plus la peau sa fonction de barrire physique [Proksch

    et coll., 2008]. Elle est compose de 5 10 assises de cellules mortes, les cornocytes. Ces

    cellules sont compltement aplaties, dpourvues de noyau et dorganites intracellulaires, et

    leur cytoplasme est compos de kratine et de filaggrine5. Les cornocytes les plus

    superficiels se dtachent de lpiderme aprs la lyse du ciment intercellulaire et des

    desmosomes6. Dans certaines rgions corporelles (en peau paisse uniquement), on distingue

    encore une 5e couche, la couche claire (stratum lucidum) qui correspond une zone

    intermdiaire de transition entre la couche granuleuse et la couche corne et dont le rle

    principal est de limiter les forces de friction entre ces deux structures [Stevens et coll., 2006].

    Outre les kratinocytes, lpiderme comprend galement les mlanocytes, les cellules de

    Merkel7, ainsi que des cellules immunitaires spcialises dorigine hmatopotique : il sagit

    3 Les grains de kratohyaline contiennent de multiples copies de profilaggrine. Dans la couche corne, la

    profilaggrine se transforme en filaggrine qui participe formation de la matrice cytoplasmique des cornocytes.4Les kratinosomes dversent leur contenu par exocytose dans les espaces intercellulaires de la couche corne ;

    ils y forment un ciment intercornocytaire fait de lamelles lipidiques.5La filaggrine agrge les filaments de kratine et permet leur organisation en faisceaux dans les cornocytes.

    6Cest le phnomne de desquamation.

    7

    Ces cellules ont pour fonctions celles de mcanorcepteurs, et pourraient galement exercer des fonctionstrophiques sur les terminaisons nerveuses priphriques et les annexes cutanes.

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    Introduction12

    majoritairement des cellules de Langerhans, mais galement de lymphocytes T,

    principalement CD8+ [Nestle et coll., 2009]. Les cellules de Langerhans sont les cellules

    dendritiques de lpiderme, leur fonction principale est de capturer les antignes et de les

    prsenter aux lymphocytes T CD4+ aprs avoir migr vers les ganglions lymphatiques.

    Lpiderme ne contient ni vaisseaux sanguins ni vaisseaux lymphatiques. Il est spar du tissu

    conjonctif sur lequel il repose le derme , par une lame basale qui constitue la jonction

    dermo-pidermique.

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    Introduction13

    Figure 3 : Principaux lments de la jonction dermo-pidermique

    NOTE.BPAG1 : bullous pemphigoid antigen-1. BPAG2 : bullous pemphigoid antigen-2.

    Daprs http://www.netzwerk-eb.de/e14/e193/e249/index_eng.html.

    Laminadensa

    Kratinocytebasal

    Laminalucida

    Derme

    collagne IVperlcane

    collagne XVII

    Hmidesmosome

    laminine

    intgrine 64

    plectine - BPAG1

    laments de kratine

    intgrine 31

    nidogne

    Filaments

    dancrage

    BPAG2

    laminines

    collagne VIIFibresdancrage

    Adhsion focale

    collagnes I et III

    laments dactine

    piderme

    Lame basale

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    Introduction14

    B LA JONCTION DERMO-PIDERMIQUE

    La jonction dermo-pidermique reprsente une structure spcialise de la matrice

    extracellulaire, qui spare lpithlium sus-jacent lpiderme du tissu conjonctif sous-

    jacent le derme (Figure 3). La jonction dermo-pidermique est une lame basale, synthtise

    conjointement par les fibroblastes du derme et par les kratinocytes de la couche basale de

    lpiderme. La lame basale joue un rle fondamental comme support mcanique permettant

    ladhsion entre derme et piderme. Elle intervient galement comme support ladhsion et

    la migration des kratinocytes lors de la restauration de lpiderme aprs blessure cutane

    [Martin, 1997]. Enfin, la lame basale se comporte galement comme une barrire rgulant les

    changes mtaboliques et les migrations cellulaires (cellules de Langerhans, lymphocytes)

    entre derme et piderme [Kanitakis, 2002].

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    Introduction15

    C LE DERME:FIBROBLASTES ET MATRICE EXTRACELLULAIRE

    Le derme est un tissu conjonctif dorigine msodermique sur lequel repose lpiderme. Il

    contient des vaisseaux sanguins, des vaisseaux lymphatiques, des nerfs, ainsi que les annexes

    cutanes (glandes sudoripares, follicules pileux et glandes sbaces). La diversit cellulaire du

    derme est plus importante que celle de lpiderme. Outre les fibroblastes qui y reprsentent

    les cellules rsidentes principales, le derme comprend galement de nombreuses cellules

    immunitaires spcialises (cellules dendritiques dermiques, mastocytes, macrophages,

    lymphocytes T CD4+

    , lymphocytes T et lymphocytes NKT8

    ), et les cellules de soutien des

    fibres nerveuses et des vaisseaux sanguins et lymphatiques. Lpaisseur du derme, de lordre

    du millimtre, est plus grande que celle de lpiderme, mais varie selon la partie du corps

    considre9 [Kanitakis, 2002]. La surface du derme au contact de lpiderme prsente de

    nombreuses projections papilles dermiques qui simbriquent avec des projections

    pidermiques crtes pidermiques (Figure 1, page 7). Linterdigitation entre derme et

    piderme renforce la jonction dermo-pidermique et augmente considrablement la surface

    dchange entre les deux structures. Le derme est divis en deux couches : le derme papillaire

    (en superficie) et le derme rticulaire (en profondeur), spars par le plexus vasculaire sous-

    papillaire (rete subpapillare). Un plexus vasculaire dermique profond (rete cutaneum) spare

    le derme rticulaire de lhypoderme sous-jacent. Le derme, limage de lpiderme, est un

    tissu en renouvellement constant qui rsulte dun quilibre entre synthse et destruction des

    composants protiques de la matrice extracellulaire.

    8NKT : lymphocyte natural killer T.

    9

    Lpaisseur du derme peut atteindre prs de 4 mm au niveau du dos, des paumes des mains ou des plantes despieds.

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    Introduction16

    piderme

    Derme

    Hypoderme rete cutaneum

    derme rticulaire

    derme papillaire

    rete subpapillare

    A B1

    2

    3

    4

    Figure 4 : Ultrastructure des fibroblastes

    Figure 5 : Htrognit anatomique et intratissulaire des fibroblastes

    NOTE. A : Les fibroblastes des rgions anatomiques 14 prsentent des diffrences importantes dans leur

    expression gnique [Chang et coll., 2002]. B : Au sein dune mme zone anatomique, les fibroblastes du derme

    papillaire, du derme rticulaire et les fibroblastes associs aux follicules pileux prsentent galement des

    diffrences fonctionnelles.

    Daprs : http://www.rejuvenal.info/images/Terminology/FibroblastImage.jpgDaprs : http://medinfo.ufl.edu/~dental/denhisto/em/em2_fibroblast.jpg

    microtubule

    appareil

    de Golgi

    rticulum endoplasmique

    rugueux

    brilles de

    collagne

    prolongement

    cellulaire

    cytoplasme

    mitochondrie

    ribosome

    granule

    de scrtion

    nuclole

    noyau

    A B

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    Introduction17

    1 LES FIBROBLASTES

    Les fibroblastes sont les cellules rsidentes principales du derme. Ce sont des cellules

    allonges de morphologie fusiforme ou toile. En microscopie optique, leur cytoplasme est

    peu visible, au contraire de leur noyau. En microscopie lectronique, on y observe tous les

    organites cellulaires habituels et en particulier les organites impliqus dans la synthse des

    protines (Figure 4).

    Les fibroblastes du derme reprsentent une population htrogne de cellules.

    Lhtrognit des fibroblastes se dcline deux niveaux : anatomique et intratissulaire

    (Figure 5). Lhtrognit anatomique relative la zone corporelle considre est lie

    lorigine embryologique multiple de ces cellules, msodermique ou neurectodermique [Sorrell

    et coll., 2009]. Limpact fonctionnel de cette htrognit anatomique est important : des

    tudes transcriptomiques ralises sur des fibroblastes cutans issus de sites anatomiques

    varis ont montr lexistence de diffrences significatives dans lexpression de gnes

    impliqus dans la synthse de la matrice extracellulaire, dans le mtabolisme lipidique, ainsi

    que dans les mcanismes de migration et de diffrenciation cellulaire [Chang et coll., 2002;

    Rinn et coll., 2006; Rinn et coll., 2008]. Par ailleurs, au sein dun mme site anatomique, les

    fibroblastes cutans prsentent une htrognit intratissulaire, galement objective par des

    diffrences fonctionnelles entre trois sous-populations cellulaires distinctes de fibroblastes :

    les fibroblastes superficiels du derme papillaire, les fibroblastes profonds du derme rticulaire

    et les fibroblastes associs aux gaines des follicules pileux [Sorrell et coll., 2004; Pflieger et

    coll., 2006].

    Les fibroblastes synthtisent les quatre grandes classes des constituants de la matrice

    extracellulaire : les collagnes, llastine, les protoglycanes et les glycoprotines de liaison

    (fibronectine et laminines) [Alberts et coll., 2011]. Les fibroblastes synthtisent galement des

    enzymes protolytiques (mtalloprotases matricielles et srine-protases) dont le rle

  • 7/14/2019 Schramm F. Inflammation cutane

    19/203

    Introduction18

    principal est le clivage des diffrents constituants protiques matriciels [Shapiro, 1998]. Dans

    le derme, les fibroblastes sont donc la fois les cellules principales de soutien et les matres-

    architectes du remodelage de la matrice extracellulaire. Nanmoins, la restriction des

    fibroblastes ce seul rle a longtemps conduit considrer ces cellules comme les moins

    spcialises du tissu conjonctif. Cest oublier les nombreuses autres fonctions joues par ces

    cellules qui sont au centre de nombreux processus de rgulation cellulaire [Sorrell et coll.,

    2009].

    Les fibroblastes du derme interagissent avec les autres cellules rsidentes de la peau,

    comme les kratinocytes et les cellules endothliales des vaisseaux dermiques. Des boucles

    paracrines permettent une interaction troite entre kratinocytes et fibroblastes : la production

    dIL-1par les kratinocytes induit notamment la synthse par les fibroblastes dermiques de

    KGF-110et de GM-CSF11[Maas-Szabowski et coll., 1996], deux facteurs de croissance qui

    agissent en retour sur la croissance et la diffrenciation des kratinocytes [Maas-Szabowski et

    coll., 2001]. Les boucles paracrines de stimulation cellulaire entre fibroblastes et cellules

    pithliales (kratinocytes, cellules endothliales des vaisseaux dermiques) jouent un rle

    majeur dans la prolifration et la diffrenciation cellulaire pidermique [Yamaguchi et coll.,

    1999], dans la constitution et lorganisation de la jonction dermo-pidermique [Marinkovich

    et coll., 1993] ainsi que dans les processus de cicatrisation des blessures cutanes [Martin,

    1997; Werner et coll., 2007]. Les fibroblastes sont des cellules cls dans la cicatrisation

    cutane aprs une blessure, et ce toutes les tapes successives de ce processus phase

    inflammatoire, phase pithliale, phase de remodelage tissulaire , et linteraction des

    fibroblastes avec les kratinocytes et les cellules endothliales y contribue largement. De plus,

    les fibroblastes jouent un rle important dans la synthse de la nouvelle matrice

    10

    KGF-1 : keratinocyte growth factor-1.11

    GM-CSF : granulocyte/macrophage colony-stimulating factor.

  • 7/14/2019 Schramm F. Inflammation cutane

    20/203

    Introduction19

    extracellulaire (riche en collagne, fibronectine et acide hyaluronique) et participent ainsi la

    formation du tissu de granulation12[Martin, 1997]. Enfin, la diffrenciation des fibroblastes

    en myofibroblastes13, stimule par lexpression forte de TGF-114et de fibronectine dans la

    plaie, confre ces cellules des proprits contractiles qui contribuent au rapprochement des

    parois de la plaie [Martin, 1997; Lorena et coll., 2002].

    Enfin, les fibroblastes interagissent avec les cellules immunitaires spcialises. Lors dun

    processus cutan pathologique (tumoral ou infectieux, par exemple), les fibroblastes

    contribuent au recrutement et linfiltration des cellules immunitaires dans la peau par la

    synthse de cytokines et de chimiokines (comme lIL-8, lIL-6 ou encore MCP-1 15) [Brouty-

    Boye et coll., 2000; Galindo et coll., 2001; Silzle et coll., 2004]. Lexpression de CD40 16par

    les fibroblastes permet galement une interaction directe avec les cellules immunitaires

    exprimant CD40-ligand (lymphocytes B, lymphocytes T, cellules dendritiques,

    macrophages ) [Smith et coll., 1997; Brouty-Boye et coll., 2000]. Linteraction

    CD40/CD40-ligand contribue dune part lactivation des leucocytes recruts et dautre part

    laccentuation du recrutement de ces dernires par une stimulation de la synthse des

    chimiokines et cytokines pro-inflammatoires [Banchereau et coll., 1994]. De plus, les

    fibroblastes dermiques sont galement capables dinduire la maturation des cellules

    dendritiques cutanes, lors de leur migration depuis la peau vers les ganglions lymphatiques

    de drainage [Saalbach et coll., 2007]. Les fibroblastes peuvent ainsi tre considrs comme de

    12Le tissu de granulation est un tissu conjonctif richement vascularis qui remplace le caillot de fibrine lors de la

    phase prolifrative du processus de cicatrisation cutane. Il est compos dune matrice extracellulaire riche en

    collagne de type III, synthtise par les fibroblastes.13

    Les myofibroblastes prsentent des caractristiques ultra-structurales et fonctionnelles proche de celles des

    muscles avec une forte expression d-actine musculaire.14

    TGF-1 : transforming growth factor 1.

    15

    MCP-1 : monocyte chemoattractant protein 1.16

    CD40 est un membre de la superfamille des rcepteurs au TNF-.

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    21/203

    Introduction20

    vritables cellules sentinelles du systme immunitaire inn [Smith et coll., 1997; Silzle et

    coll., 2004; Saalbach et coll., 2007].

  • 7/14/2019 Schramm F. Inflammation cutane

    22/203

    Introduction21

    2 LA MATRICE EXTRACELLULAIRE

    Dans la peau, la matrice extracellulaire est un rseau tridimensionnel complexe de

    macromolcules au sein duquel les cellules du derme sont disperses. La matrice

    extracellulaire nest pas seulement un chafaudage structural qui supporte les tensions

    mcaniques auxquelles le tissu est soumis, elle joue aussi un rle important dans les

    mcanismes qui rgulent ladhrence, la migration, la prolifration ainsi que la diffrenciation

    cellulaire [Alberts et coll., 2011]. Dans la peau, la matrice extracellulaire est principalement

    synthtise par les fibroblastes. Parmi les composants molculaires de la matrice

    extracellulaire, les protines fibreuses que sont les collagnes et llastine (organiss sous

    forme de fibres) reprsentent les lments de structure les plus importants. Les autres

    lments protiques principaux de la matrice extracellulaire (fibronectine, laminine)

    contribuent la fois organiser les lments structuraux de la matrice et favoriser

    l'adhrence des cellules celle-ci. Enfin, des chanes polysaccharidiques de

    glycosaminoglycanes17 viennent constituer une substance de base fortement hydrate dans

    laquelle les protines fibreuses et les cellules sont incluses. La matrice extracellulaire est un

    tissu dont le remodelage permanent repose sur lquilibre entre synthse et destruction de ses

    constituants : cette dernire fonction est assure par des mtalloprotases matricielles et des

    srines-protases.

    17Associs de faon covalente avec un corps protique, les glycosaminoglycanes forment des protoglycanes.

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    Introduction22

    acide hyaluronique

    kratane sulfate

    chondrotine sulfate

    coeur protique

    protines de liaison

    Protoglycanes

    N-term C-term

    S S

    S S

    brine collagne brine brine brine

    hparinesyndcane

    brine

    domaines de liaison

    Fibronectine

    modules de type I, II et III

    rgion variable

    ponts disulfuresS S

    intgrine

    --R-G-D--Daprs Alberts et al., 2011

    N-term

    C-term

    auto-assemblage

    auto-assemblage

    intgrine

    chane

    chane

    chane

    nidogne

    intgrine

    perlcane

    Laminines

    chanes procollagne tropocollagne

    brilles de collagne

    10 - 300 nm

    bres de collagne

    0,5 - 3 m

    Collagne

    liaison croise

    Rseau de bres lastiques

    tirementrelaxation

    lastine

    micro brilles

    ( brilline)

    MFAP

    Fibre lastique

    Fibres lastiques

    Figure 6 : Principaux lments de la matrice extracellulaire

    Daprs http://en.wikipedia.org/wiki/Fibronectin

    Daprs Alberts et coll., 2011.

    Daprs Alberts et coll., 2011.

    Daprs Alberts et coll., 2011.

    Daprs Alberts et coll., 2011.

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    Introduction23

    Composants principaux de la matrice extracellulaire

    Les fibres de collagne : une molcule de collagne est forme par lassemblage

    hlicodal de trois chanes , la polymrisation des molcules de collagne permet la

    formation de fibrilles de collagne (10 300 nm de diamtre) et lagrgation finale de ces

    polymres permet la constitution des fibres de collagne (plusieurs micromtres de diamtre)

    [Alberts et coll., 2011]. La grande majorit des fibres prsentes dans le derme sont des fibres

    de collagne de type I et III18: le derme rticulaire contient plus de collagne de type III que

    le derme papillaire et les fibres de collagne y sont plus organises [Kanitakis, 2002]. Les

    fibres de collagne sont responsables de la rsistance aux tensions mcaniques qui sexercent

    sur le derme.

    Les fibres lastiques : les fibres lastiques sont constitues dun noyau protique fibreux

    central llastine , recouvert dune gaine de microfibrilles. Les microfibrilles sont elles-

    mmes principalement composes dune glycoprotine qui se lie llastine la fibrilline ,

    associe de petites molcules, les microfibril-associated glycoproteins (MFAP) [Alberts et

    coll., 2011]. Le rseau de fibres lastiques dans la matrice extracellulaire du derme confre

    la peau son lasticit.

    La fibronectine : la fibronectine est un dimre compos de deux sous-units19runies par

    des ponts disulfures lune de leurs extrmits, et chaque sous-unit est replie en une srie

    de domaines fonctionnels distincts, connects par des segments polypeptidiques flexibles

    [Alberts et coll., 2011]. Les diffrents domaines fonctionnels reprsentent des sites

    18Plus de 42 gnes humains codent des chanes de collagne diffrentes et 27 types de collagnes rsultent des

    diffrentes combinaisons dassemblage de ces chanes .19

    Dans le gnome humain, un seul gne code la fibronectine, mais lpissage alternatif des transcrits est lorigine de nombreuses isoformes diffrentes de la fibronectine.

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    25/203

    Introduction24

    spcifiques d'interaction avec d'une part les constituants molculaires de la matrice

    extracellulaire (comme le collagne ou lhparine) et d'autre part les cellules. Une squence

    particulire de trois acides amins arginine/glycine/acide aspartique (ou RGD) constitue

    un site dinteraction important pour la fixation des intgrines et reprsente ainsi une des

    composantes de linteraction entre cellules et matrice extracellulaire [Alberts et coll., 2011].

    Les laminines : les laminines sont une des composantes principales de la lame basale. Il

    sagit dune famille de protines flexibles, composes de trois longues chanes

    polypeptidiques (, et )20 relies par des ponts disulfures, arranges la manire dun

    bouquet trois fleurs dont les tiges sont enroules et les ttes restent spares [Alberts et coll.,

    2011]. Les molcules de laminine jouent un rle majeur dans lassemblage et lorganisation

    de la lame basale et dans son ancrage aux cellules (par son domaine de liaison aux intgrines).

    Les glycosaminoglycanes et les protoglycanes : les glycosaminoglycanes (GAG) sont

    des chanes polysaccharidiques composes de rptitions dunits disaccharidiques21. Il existe

    quatre groupes de GAG les acides hyaluroniques, les chondrotines/dermatanes sulfates, les

    hparines sulfates et les kratanes sulfates , et lexception de lacide hyaluronique, tous les

    GAG tablissent une liaison covalente avec une protine pour former un protoglycane

    [Alberts et coll., 2011]. Parmi les protoglycanes dintrt, on peut citer le perlcane qui est

    un composant de la lame basale, et la dcorine qui se lie aux fibres de collagne et en

    contrle lassemblage.

    20 Cinq types de chanes , trois types de chanes et trois types de chane sont connues, mais seules 12

    isoformes de laminines sont dcrites chez lhomme.21

    Un des deux sucres qui composent le disaccharide rptitif est toujours amin et aussi le plus souvent sulfat.

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    26/203

    Introduction25

    Les enzymes protolytiques : mtalloprotases et srine-protases

    La capacit des cellules du derme dtruire la matrice extracellulaire est aussi

    importante que leur capacit la synthtiser et se lier elle. Cette capacit est mise profit

    dans les processus de rparation tissulaire, mais galement dans les mcanismes de

    prolifration et de migration cellulaire. Ainsi, mme dans un tissu sain, la matrice

    extracellulaire nest pas statique, il sagit vraiment dun tissu dynamique soumis un lent

    renouvellement constant. La destruction des composantes de la matrice extracellulaire repose

    sur lactivit denzymes protolytiques (protases) qui appartiennent principalement la

    classe des mtalloprotases22matricielles ou la classe des srines-protases23.

    Certaines mtalloprotases comme la collagnase MMP124(qui clive le collagne de type

    I et II) ou llastase MMP12 (qui clive llastine des fibres lastiques) sont assez spcifiques,

    dautres comme la stromlysine MMP3 ou la matrilysine MMP7 ont une activit catalytique

    sur un plus grand nombre de substrats, et le spectre protolytique de ces diffrentes

    mtalloprotases est parfois chevauchant [Vu et coll., 2000]. Lintgrit structurale de la

    matrice est obtenue grce un contrle troit de lactivit des mtalloprotases matricielles.

    La rgulation de cette activit est assure par le contrle de lactivation des prcurseurs

    enzymatiques, la scrtion dinhibiteurs tissulaires de mtalloprotases (TIMP25), et le

    confinement de certaines protases la surface cellulaire (mtalloprotases membranaires

    MMP14, MMP15, MMP16 et MMP17) [Vu et coll., 2000]. Outre leur rle majeur dans leremodelage de la matrice extracellulaire, les mtalloprotases matricielles interviennent

    galement dans le contrle et la modulation de la rponse inflammatoire et de limmunit

    22Le site catalytique des mtalloprotases contient un ion mtallique (zinc le plus souvent), do leur nom.

    23La squence peptidique du site catalytique des srines-protases contient toujours une srine, do leur nom.

    24

    MMP : matrix metalloprotease.25

    TIMP : tissue inhibitors of metalloproteases.

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    27/203

    Introduction26

    inne, par leur action potentialisatrice ou inhibitrice sur lactivit des cytokines et des

    chimiokines [Parks et coll., 2004]. Par exemple, la mtalloprotase MMP9 induit le clivage et

    lactivation de la chimiokine IL-8 [Van den Steen et coll., 2000]. linverse, dautres

    mtalloprotases comme MMP1, -3, -13 et -14 induisent le clivage et linactivation des

    chimiokines CCL2, CCL8 et CCL13 [McQuibban et coll., 2002].

    Des srines-protases participent galement la destruction des composants protiques

    matriciels. Lexemple typique de ces srines-protases est la plasmine, enzyme cl du

    processus de fibrinolyse, et dont le rle tissulaire est moins souvent voqu. La plasmine est

    synthtise sous forme dun prcurseur inactif le plasminogne. Lactivation du

    plasminogne en plasmine est sous la dpendance dactivateurs du plasminogne (tPA26 et

    uPA27), eux-mmes contrls par les inhibiteurs de lactivateur du plasminogne (PAI-128et

    PAI-2). Dans les tissus, la plasmine est capable de dtruire directement les composants

    protiques de la matrice extracellulaire ( lexception du collagne) [Saksela et coll., 1988],

    ou indirectement par lactivation des mtalloprotases (comme MMP1 et MMP9) [Davis et

    coll., 2001].

    26tPA : tissue-type plasminogen activator.

    27

    uPA : urokinase-type plasminogen activator.28

    PAI :plasminogen activator inhibitor.

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    28/203

    Introduction27

    D LES DFENSES IMMUNITAIRES DE LA PEAU

    La premire ligne de dfense de la peau contre les agents pathognes est la barrire

    physique que lpiderme (et en particulier sa couche corne) constitue. La flore commensale

    cutane contribue galement la protection de la peau contre les agents pathognes, dans la

    mesure o les germes commensaux entrent en comptition avec les germes pathognes pour

    la mme niche cologique [Alberts et coll., 2011]. cette premire protection sajoutent les

    dfenses immunitaires spcialises, dont les composantes inne et adaptative sont troitement

    lies.

    1 LA RPONSE IMMUNITAIRE INNE

    La principale fonction du systme immunitaire inn (dans la peau mais galement dans

    tous les autres organes) est dassurer la dfense immdiate de lorganisme contre les agents

    pathognes, avant que les mcanismes plus spcifiques mais aussi plus lents se

    dvelopper du systme immunitaire adaptatif ne se mettent en place. De plus, le systme

    immunitaire inn contribue, par lintermdiaire des cellules prsentatrices dantignes et des

    trs nombreuses molcules de signalisation extracellulaires quil produit, lactivation des

    rponses adaptatives. Le systme immunitaire inn de la peau sarticule autour de mdiateurs

    solubles varis (cascade du complment, peptides antimicrobiens, cytokines et chimiokines),

    de cellules immunitaires spcialises, et de cellules pithliales et conjonctives (kratinocytes,

    fibroblastes), qui participent la synthse des mdiateurs solubles.

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    29/203

    Introduction28

    Figure 7 : Systme du complment

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    30/203

    Introduction29

    La cascade du complment

    Le systme du complment29(Figure 7) est compos de plus dune trentaine de protines,

    prsentes la fois dans le compartiment plasmatique et dans les espaces extracellulaires

    tissulaires. Il est organis sous la forme dune cascade enzymatique comportant trois voies

    dactivation, un composant central (C3) et une voie effectrice commune. Le systme

    comprend galement un ensemble complexe de protines rgulatrices qui assurent son

    contrle et permettent de protger les cellules de lhte. La voie classique(activation initiale

    de C1) est initie par la fixation danticorps de type IgG ou IgM leurs antignes cibles30; la

    voie des lectines (activation initiale de la lectine liant le mannane) et la voie alternative

    (activation directe de C331) sont inities par divers rsidus (comme le mannose ou la N-actyl-

    glucosamine pour la voie des lectines, ou le lipopolysaccharide (LPS) des bactries Gram

    ngatif pour la voie alternative) prsents la surface des microorganismes [Male et coll.,

    2007]. Les trois voies conduisent limmobilisation du fragment C3b la surface du

    pathogne, qui dclenche son tour lactivation des composants tardifs du complment (C5

    C9), dont lassemblage en complexe dattaque membranaire aboutit la formation dun

    pore transmembranaire qui entrane finalement la lyse du pathogne cible. Outre laction

    lytique directe exerce sur les agents pathognes, le complment participe galement au

    recrutement des cellules phagocytaires (effets chimiotactiques de petits composants forms

    comme C3a et C5a), linduction du processus de phagocytose (opsonisation de la cible), et

    29Le terme complment a t propos par Paul Ehrlich en 1897 pour dsigner les capacits de ce systme

    amplifier (ou complmenter ) les proprits bactricides du srum.30

    Cette voie ncessite que lhte ait pralablement dvelopp des anticorps spcifiques contre le

    pathogne cible. ce titre, la voie classique du complment est lie la rponse immunitaire adaptative.31

    Lhydrolyse naturelle de C3 permet la gnration permanente bas bruit de C3a et C3b.

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    31/203

    Introduction30

    la slection de lymphocytes B spcifiques (reconnaissance simultane des complexes

    C3d/antignes par les rcepteurs CR2 et BCR32) [Male et coll., 2007].

    Les peptides antimicrobiens

    Les peptides antimicrobiens sont de petites molcules cationiques33qui, comme leur nom

    lindique, exercent une activit antimicrobienne directe sur un large spectre de

    microorganismes (bactries Gram positif et ngatif, champignons, parasites, virus). Dans la

    peau, les deux principales familles de peptides antimicrobiens sont les dfensines et les

    cathlicidines [Yamasaki et coll., 2008], mais dautres peptides possdant une activit

    antimicrobienne y sont galement synthtiss, comme la psoriasine [Glser et coll., 2005], la

    dermcidine [Schittek et coll., 2001], la RNase7 [Harder et coll., 2002] ou encore le lysozyme

    [Klenha et coll., 1967]. Lunique membre des cathlicidines chez lhomme LL-37 est

    produit par de nombreuses cellules cutanes, incluant les kratinocytes, les polynuclaires

    neutrophiles et les mastocytes. Les dfensines les plus exprimes dans la peau chez lhomme

    sont les -dfensines34: les kratinocytes participent notamment la synthse de hBD-135, -2

    et -3. Outre leur activit antimicrobienne, les peptides antimicrobiens ont une activit

    chimiotactique sur une large varit de cellules immunitaires spcialises36 [Yamasaki et

    coll., 2008] ; ils stimulent galement la migration, la prolifration et la production de

    cytokines par les kratinocytes ( ce titre, ils contribuent galement aux mcanismes de

    cicatrisation cutane) [Niyonsaba et coll., 2007]. Les peptides antimicrobiens reprsentent

    32BCR :B cell receptor.

    33Les peptides antimicrobiens sont riches en acides amins basiques (arginine et lysine).

    34La distinction entre -, - et -dfensines est lie la rpartition des ponts disulfures qui unissent les feuillets

    dont ces molcules sont constitues ; lhomme ne produit pas de -dfensines.35

    hBD : human -defensin.

    36 LL-37 stimule le recrutement des polynuclaires neutrophiles, des monocytes/macrophages et des

    lymphocytes T ; les -dfensines stimulent le recrutement des polynuclaires neutrophiles, desmonocytes/macrophages, des lymphocytes T, des cellules dendritiques, et des mastocytes.

  • 7/14/2019 Schramm F. Inflammation cutane

    32/203

    Introduction31

    donc dimportants signaux de dangers , et le concept mergeant d alarmine qui leur

    est attach [Oppenheim et coll., 2007] rsume la diversit de leurs effets sur les rponses

    immunitaires inne et adaptative.

    Activation de la composante cellulaire de limmunit inne

    De nombreuses cellules participent la rponse immunitaire inne cutane. Les cellules

    immunitaires spcialises qui rsident dans la peau, ou qui y sont recrutes la faveur dun

    processus inflammatoire, en font bien entendu partie au premier plan : il sagit des cellules

    dendritiques (cellules de Langerhans et cellules dendritiques dermiques), des

    monocytes/macrophages, des polynuclaires neutrophiles, des mastocytes, et des cellules

    NK37[Nestle et coll., 2009]. Les fonctions principales de ces cellules sont :

    la phagocytose : elle est assure par les cellules phagocytaires professionnelles

    (macrophages et polynuclaires neutrophiles) ;

    la lyse directe des pathognes ou des cellules les ayant internaliss : elle repose sur la

    libration dans le milieu extracellulaire du contenu des granules des polynuclaires

    neutrophiles (lysozyme, hydrolase acide, peptides antimicrobiens) et des cellules NK

    (perforine et granzymes) [Male et coll., 2007] ;

    lapprtement puis la prsentation des antignes aux cellules de limmunit adaptative par

    les cellules prsentatrices dantigne (cellules dendritiques) ;

    De plus, les mastocytes [Kumar et coll., 2010] ainsi que les principales cellules rsidentespithliales (kratinocytes) ou conjonctives (fibroblastes) de la peau participent galement

    linitiation et la coordination de la rponse inflammatoire gnre lors dun processus

    infectieux.

    37NK : natural killer.

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    33/203

    Introduction32

    TLR2 TLR6TLR1

    lipopeptidesdiacyls

    acidelipotichoque

    lipopeptidestriacyls

    peptidoglycane

    TLR5

    agelline

    TLR4

    LPS

    PAMPs bactriens

    TLR10

    ??

    TLR9

    TLR3

    TLR8

    TLR7

    ilts CpG

    PAMPs viraux

    ARNsimple brin

    ARNdouble brin

    compartimentextracellulaire

    cytoplasme

    endosome

    noyau

    Cytokines

    Peptidesantimicrobiens

    Interfrons

    Figure 8 : Les rcepteurs de type Toll

    Daprs Kapetanovic et coll., 2007 ; Nestle et coll., 2009.

  • 7/14/2019 Schramm F. Inflammation cutane

    34/203

    Introduction33

    Lactivation de ces diffrents types cellulaires ncessite au pralable la reconnaissance

    slective des agents pathognes par ces cellules. Cette reconnaissance repose sur des

    rcepteurs capables de distinguer les immunostimulants associs aux pathognes (non-soi)

    des molcules de lhte (soi). Ces immunostimulants sont frquemment prsents sous forme

    de motifs rpts la surface des pathognes, et sont ainsi appels motifs molculaires

    associs aux agents pathognes ou PAMPs38. Le peptidoglycane et les flagelles bactriens,

    les ilots dinuclotidiques cytosine polyguanine (CpG) non mthyls de lADN bactrien et

    viral, le LPS des bactries Gram ngatif, ou encore le mannane et la chitine des

    champignons font partie des PAMPs les mieux caractriss [Alberts et coll., 2011]. Ces

    PAMPs sont reconnus par des rcepteurs de reconnaissance de motif ou PRRs39. Les PRRs

    incluent la famille emblmatique des rcepteurs de type Toll40 ou TLRs41,42[Medzhitov et

    coll., 1997], mais dautres familles de rcepteurs comme les rcepteurs intracellulaires de type

    NOD ou NLRs43 et certains rcepteurs de type lectine ( lexemple du rcepteur au

    mannose, DC-SIGN44, ou dectine-1 et -2, exprims notamment par les cellules phagocytaires

    mononucles et les cellules dendritiques) sont galement impliqus dans la reconnaissance

    des pathognes [Kapetanovic et coll., 2007]. lheure actuelle, dix TLRs fonctionnels

    (Figure 8) ont t identifis chez lhomme [Kawai et coll., 2011]. TLR1, -2, -4, -5, -6, et -10

    sont exprims la surface des cellules, alors que TLR-3, -7, -8 et -9 sont des rcepteurs

    38PAMPs :pathogen associated molecular patterns.

    39PRR :pattern recognition receptors.

    40 Chez la drosophile, la protine Toll, initialement dcrite comme un rcepteur cellulaire impliqu dans le

    positionnement embryonnaire de laxe dorso-ventral, est implique dans la dfense immunitaire anti-fongique.41TLR : Toll-like receptor.42

    Les TLRs (homologues de la protine Toll de drosophile) ont t dcrits pour la premire fois chez lhomme

    la fin des annes quatre-vingt-dix.43

    NLR : initialement acronyme de NOD (Nucleotide Oligomerization Domain)-like receptors, le terme NLR

    reprsente actuellement lacronyme de nucleotide-binding domain and leucine- rich repeat-containing

    molecules.44DC-SIGN : dendritic cell-specific intercellular adhesion molecule-3-grabbing non-integrin.

  • 7/14/2019 Schramm F. Inflammation cutane

    35/203

    Introduction34

    intracellulaires situs dans la voie endosomale [Blasius et coll., 2010]. Chez lhomme, les

    TLRs sont trs largement exprims par les cellules immunitaires, mais galement par les

    kratinocytes [Nestle et coll., 2009] et les fibroblastes [Wang et coll., 2011].

    La stimulation de ces diffrents rcepteurs active les voies de signalisation intracellulaire

    (et notamment la voie NF-B45) qui conduisent la synthse de cytokines pro-

    inflammatoires. Les cytokines contribuent initier, amplifier et coordonner les rponses

    immunitaires inne et adaptative. Il est impossible ici den faire une description dtaille

    tant le nombre et la diversit de ces mdiateurs solubles sont grands. Les cytokines sont

    classes dans un certain nombre de catgories, dont les principales sont :

    les interleukines : elles sont produites majoritairement par les leucocytes, mais les

    kratinocytes et les fibroblastes sont galement capables de les synthtiser ;

    les chimiokines46: leur principale fonction (chimiotactisme) est de stimuler la migration et

    le recrutement cellulaire sur le site dune raction inflammatoire ; elles sont produites par les

    cellules immunitaires spcialises, mais aussi par les cellules pithliales et conjonctives ;

    les familles du TNF47, du TGF (lments cls du processus inflammatoire), et les CSF48

    (qui contrlent la division et diffrentiation des cellules dorigine hmatopotique) ;

    les interfrons : les interfrons de type I (IFN- et IFN- en particulier) sont

    principalement produits par les cellules infectes par un virus ; linterfron de type II (IFN-)

    est produit par les lymphocytes T et les cellules NK. Bien connus pour leur rle dans

    limmunit antivirale [Sadler et coll., 2008], les interfrons sont galement impliqus dans la

    dfense contre les bactries intra- [Perry et coll., 2005] et extracellulaires [Mancuso et coll.,

    2009].

    45NF-B : nuclear factor B.

    46Lespacement des deux premires cystines dfinit quatre catgories de chimiokines (CC, CXC, C, et CX 3C).

    47

    TNF : tumor necrosis factor.48

    CSF : colony stimulating factor.

  • 7/14/2019 Schramm F. Inflammation cutane

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    Introduction35

    2 LA RPONSE IMMUNITAIRE ADAPTATIVE

    La rponse immunitaire adaptative est un systme de dfense contre les pathognes,

    propre aux vertbrs. Contrairement la rponse immunitaire inne, la rponse immunitaire

    adaptative se caractrise par sa spcificit lgard de lagent pathogne qui linduit, et sa

    capacit conserver une mmoire immunologique, mme dassurer plus efficacement et

    plus rapidement la destruction dun pathogne connu lors dune rinfection. Nanmoins,

    la distinction dichotomique (dont lobjectif didactique fait pourtant sens) entre rponse

    immunitaire inne et adaptative est trs rductrice, car les deux systmes sont

    interdpendants. Lactivation efficace du systme immunitaire adaptatif ncessite par exemple

    quil soit pralablement stimul par le systme immunitaire inn, et plusieurs types cellulaires

    de mme que de nombreux mdiateurs solubles participent aux deux systmes. Les deux

    bras arms du systme immunitaire adaptatif la rponse mdiation cellulaire et la rponse

    de type humorale (mdie par les anticorps) reposent respectivement sur les lymphocytes de

    type T et les lymphocytes de type B (ainsi que leur forme mature plasmocytaire). Alors que

    les lymphocytes B reconnaissent les antignes associs aux pathognes dans leur

    configuration native, les lymphocytes T reconnaissent des fragments antigniques apprts

    par les cellules prsentatrices dantignes, en association aux protines CMH49.

    Dans la peau, on retrouve les cellules prsentatrices dantigne capables dinitier la

    rponse adaptative : ce sont les cellules dendritiques dermiques et les cellules de Langerhans

    dans lpiderme [Nestle et coll., 2009]. Elles sont lexemple type des cellules situes

    linterface entre immunit inne et adaptative. Aprs avoir capt lantigne, les cellules

    dendritiques quittent la peau par les vaisseaux lymphatiques pour rejoindre les ganglions

    lymphatiques locorgionaux correspondants, au sein desquels ils prsentent lantigne aux

    lymphocytes T nafs. La stimulation (spcifique de lantigne prsent) et lexpansion clonale

    49CMH : complexe majeur dhistocompatibilit.

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    37/203

    Introduction36

    des lymphocytes conduisent la gnration dun grand nombre de lymphocytes effecteurs et

    de lymphocytes mmoires. Dans lpiderme, la majorit des lymphocytes T rsidents sont des

    lymphocytes T CD8+mmoires, alors que dans le derme la proportion entre lymphocytes T

    CD8+et lymphocytes T CD4+(mmoires pour la plupart) est approximativement quivalente

    [Nestle et coll., 2009]. La plupart de ces lymphocytes expriment le marqueur CLA50 dont

    laffinit pour la E-slectine (ou ELAM151) exprime plus spcifiquement par les cellules

    endothliales dun site cutan inflammatoire permet leur adressage spcifique dans la peau

    [Picker et coll., 1991]. Lors dun processus inflammatoire cutan, les diffrentes chimiokines

    et autres mdiateurs solubles chimiotactiques exprims localement contribuent au recrutement

    appropri des leucocytes circulants et leur migration depuis le courant circulatoire vers la

    peau, au niveau du site inflammatoire. Les lymphocytes T auxilliaires (T helper), dont la

    capacit stimuler la production danticorps par les lymphocytes B est essentielle pour

    llimination des pathognes extracellulaires, sont galement prsents dans la peau, en

    particulier lorsquune raction inflammatoire sy produit. Les Th1, Th2 et Th17 en sont les

    principaux sous-types [Nestle et coll., 2009] ; cependant, une autre catgorie de lymphocytes

    T auxilliaires les Th22 scrtant lIL-22 mais ( la diffrence des Th17) pas lIL-17 ni

    lIFN-, semblent galement impliqus dans la rponse immunitaire adaptative cutane

    [Eyerich et coll., 2009].

    50

    CLA : cutaneous lymphocyte-associated antigen.51

    ELAM-1 : endothelial leukocyte adhesion molecule 1.

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    Introduction37

    II BORRLIOSE DE LYME:ASPECTS PIDMIOLOGIQUES ET CLINIQUES

    A HISTORIQUE

    Les premires descriptions de la maladie de Lyme ont t rapportes en Europe ds la fin

    du XIXe sicle. Buchwald en 1883 [Buchwald, 1883], puis Pick en 1894 [Pick, 1894],

    dcrivaient les caractristiques cliniques de ce qui fut identifi par Herxheimer et Hartmann

    en 1902 [Herxheimer et coll., 1902] comme lacrodermatite chronique atrophiante52 (ACA).

    La manifestation clinique cardinale de la maladie de Lyme, lrythme migrant, a t dcrite

    ds le dbut du XXesicle. Afzelius en 1910 [Afzelius, 1910] dcrivait un rythme faisant

    suite une piqre de tique, voquant dj ainsi la possibilit dune maladie infectieuse

    transmission vectorielle, puis Lipschtz en 1913 [Lipschtz, 1913] proposa le terme

    d erythema chronicum migrans53. Garin et Bujadoux en 1922 [Garin et coll., 1922] furent

    les premiers dcrire les manifestations neurologiques de la maladie54. Garin et Bujadoux

    dcrivaient alors le cas dune mningoradiculite survenue chez un patient ayant prsent un

    rythme migrant. La notion dune piqre de tique pralable et dun test de Bordet-

    Wassermann55 positif chez ce patient en labsence darguments cliniques en faveur dune

    syphilis a conduit ces auteurs ds cette poque voquer lhypothse dune spirochtose

    transmise par les tiques. Quelques annes plus tard, Bannwarth rapporta la premire

    description de mningite lymphocytaire aprs piqre de tique [Bannwarth, 1941]. Parmi les

    autres manifestations cutanes de la maladie de Lyme, le lymphocytome cutan bnin (dont le

    52Lacrodermatite chronique atrophiante est galement connue sous le nom de maladie de Pick-Herxheimer.

    53Lrythme migrant (terme prfrer celui drythme chronique migrant) est galement connu sous le nom

    drythme de Lipschtz.54

    Latteinte mningoradiculaire de la neuroborrliose prcoce est galement appele syndrome de Garin-

    Bujadoux-Bannwarth.55

    Le test de Bordet-Wassermann est un test srologique bas sur la raction de fixation du complment, utilis cette poque pour le diagnostic biologique de la syphilis.

  • 7/14/2019 Schramm F. Inflammation cutane

    39/203

    Introduction38

    terme fut introduit en 1943 par Bfverstedt [Bfverstedt, 1943], et dont lusage consacre

    dsormais le nom de lymphocytome borrlien ) fut dcrit pour la premire fois en 1911

    par Burckhardt [Burckhardt, 1911].

    Bien que les aspects dermatologiques et neurologiques de la maladie aient t identifis

    ds le dbut du XXesicle en Europe, il aura fallu attendre le dbut des annes soixante-dix

    pour que soit dcrite par Scrimenti la premire observation clinique de la maladie (un

    rythme migrant) en Amrique du Nord [Scrimenti, 1970]. Le nom de la maladie de Lyme

    provient de celui de la commune dOld Lyme (Connecticut, tats-Unis, Figure 9) o, en

    1977, les manifestations articulaires de la maladie ont t dcrites pour la premire fois par

    Steere [Steere et coll., 1977a]. Steere et ses collaborateurs ont ensuite pu tablir un lien entre

    les manifestations cutanes et articulaires observes avec les autres aspects neurologiques et

    cardiaques de la maladie [Steere et coll., 1977b]. Les diverses manifestations cliniques de la

    maladie nont t finalement regroupes dans le cadre nosologique de la borrliose de Lyme

    que dans les annes quatre-vingt, aprs la dcouverte de lagent tiologique par Burgdorfer

    [Burgdorfer et coll., 1982], un spirochte dont lespce type, Borrelia56burgdorferi, porte

    dsormais le nom.

    56

    La dnomination du genre bactrien est un hommage Amde Borrel, directeur de l'Institut d'hygine et debactriologie de Strasbourg, de 1919 1936.

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    40/203

    Introduction39

    Figure 9:Borrelia burgdorferi, maladie de Lyme origine des mots

    NOTE. (A) Localisation gographique de la commune de Old Lyme, (Connecticut, tats-Unis).

    (B) Amde Borrel (http://www.pasteur.fr/ip/portal/action/WebdriveActionEvent/oid/01s-00000f-025)

    (C) Willy Burgdorfer (http://www.sciencephoto.com/image/)

    http://www.pbase.com/csw62/image/51179027

    A

    B C

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    41/203

    Introduction40

    B PIDMIOLOGIE DE LA BORRLIOSE DE LYME

    La borrliose de Lyme est la maladie transmission vectorielle la plus frquente de

    lhmisphre nord. Elle survient en Europe, en Amrique du Nord, en Asie ainsi que dans

    quelques pays du Maghreb, suivant ainsi la distribution gographique de son vecteur (Figure

    19, page 61). En labsence de systmes de dclaration obligatoire de la maladie dans la

    plupart des pays concerns, les chiffres dincidence rapports sont considrer avec

    prcaution : dans une rcente revue de la littrature, le nombre annuel moyen de cas tait

    estim environ 65 000 en Europe, 16 000 en Amrique du Nord et 3 000 en Asie [Hubalek,

    2009]. En Europe, les taux dincidence prsentent dimportantes variations gographiques

    avec un gradient dcroissant dest en ouest : les plus fortes incidences sont observes en

    Europe centrale avec plus de 100 cas pour 100 000 habitants en Autriche et en Slovnie

    [Hubalek, 2009]. En France, lincidence de la borrliose de Lyme a t estime 9,4 cas pour

    100 000 habitants57 avec galement de fortes variations rgionales, les incidences les plus

    leves tant observes dans le Nord-Est (et en particulier en Alsace) et dans le Limousin

    [Letrilliart et coll., 2005]. Enfin, aux tats-Unis, lincidence est estime environ 6 cas pour

    100 000 habitants et par an [Hubalek, 2009].

    57Estimation obtenue sur une priode dobservation de mai 1999 avril 2000.

  • 7/14/2019 Schramm F. Inflammation cutane

    42/203

    Introduction41

    C MANIFESTATIONS CLINIQUES

    1 ASPECTS CLINIQUES PRINCIPAUX ET HISTOIRE NATURELLE DE LA MALADIE

    La maladie de Lyme volue en deux phases, prcoce et tardive. La phase prcoce

    localise (anciennement phase primaire) correspond lapparition dun rythme migrant qui

    survient aprs un dlai de quelques jours le plus souvent, et parfois jusqu quelques semaines

    aprs la piqre de tique. Sa frquence est variable en fonction des tudes, mais se situe

    environ autour de 70 80 % des patients prsentant une borrliose de Lyme confirme [Strle

    et coll., 2009]. La lsion cutane volue gnralement sur plusieurs semaines, voire plusieurs

    mois avant de rgresser spontanment ; ladministration dun traitement antibiotique adapt

    permet de rduire la dure globale de son volution.

    De faon parfois presque concomitante, ou plus souvent dcale par rapport la phase

    prcoce localise, peut suivre une phase prcoce dissmine. Cette phase prcoce dissmine

    (anciennement phase secondaire) correspond la dissmination du pathogne, par voie

    sanguine, vers ses organes cibles profonds (systme nerveux central et priphrique,

    articulations, cur, il notamment), mais aussi superficiels puisque la peau est lun des sites

    de dissmination possible et mme privilgi de la bactrie. La dissmination hmatogne de

    la bactrie peut se traduire par des signes gnraux type de syndrome pseudogrippal. Les

    manifestations cliniques observes ce stade sont trs varies avec une prdominance des

    formes neurologiques et rhumatologiques ; les atteintes dermatologiques, cardiaques ou

    ophtalmologiques tant plus rares. Latteinte neurologique58se manifeste principalement par

    des mningo-radiculites sensitives, et les localisations crniennes de la mningo-radiculite

    sont frquentes [Oschmann et coll., 1998]59. Toutes les paires de nerfs crniens peuvent tre

    58

    On parle ce stade de neuroborrliose prcoce.59

    Dans cette tude, latteinte des nerfs crniens concernait 47 % des 330 cas de neuroborrliose tudis.

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    43/203

    Introduction42

    potentiellement touches, mais latteinte uni- ou bilatrale du nerf facial est prpondrante

    [Oschmann et coll., 1998], en particulier chez lenfant [Christen et coll., 1993]. La borrliose

    de Lyme reprsente dailleurs en zone dendmie une des tiologies les plus frquentes des

    paralysies faciales de lenfant [Jenke et coll., 2011]60. Des atteintes mninges ou motrices

    priphriques pures isoles sont possibles, mais plus rares ; il en est de mme pour les

    atteintes encphalitiques, crbelleuses ou mdullaires, qui surviennent principalement lors de

    la phase tardive de la maladie [Strle et coll., 2009]. Les manifestations rhumatologiques sont

    essentiellement des arthrites inflammatoires, mono- ou plus rarement oligoarticulaires, qui

    concernent principalement les grosses articulations comme le genou [Strle et coll., 2009]. Les

    manifestations dermatologiques de la phase dissmine prcoce sont reprsentes par

    lrythme migrant multiple et par le lymphocytome borrlien (anciennement lymphocytome

    cutan bnin). Les manifestations cardiaques de la borrliose de Lyme sont principalement en

    rapport avec des troubles de la conduction type de bloc auriculo-ventriculaire [Strle et coll.,

    2009]. Latteinte oculaire peut concerner toutes les tuniques de lil61(conjonctive, corne,

    corps vitr, rtine) ainsi que le nerf optique [Bodaghi, 2007]. Le spectre clinique des

    manifestations oculaires associes la borrliose de Lyme tant particulirement large et sa

    frquence particulirement faible, leur diagnostic demeure difficile.

    Les manifestations tardives de la maladie (anciennement phase tertiaire) peuvent

    survenir plusieurs mois voire plusieurs annes aprs le dbut de linfection ; elles sont de

    nature cutane, neurologique ou articulaire et elles voluent sur un mode chronique. Latteinte

    cutane tardive de la borrliose de Lyme correspond lACA. Le rle pathognique de

    Borreliadans la survenue dautres dermatoses chroniques comme les morphes, les lichens

    sclreux ou encore les dermatites granulomateuses interstitielles [Moreno et coll., 2003] a t

    60Dans cette tude, les neuroborrlioses reprsentaient 23,5 % des cas de paralysie faciale (106 enfants inclus).

    61

    Dans le cadre dune neuroborrliose, la symptomatologie oculaire peut aussi tre lie latteintemningoencphalitique ou latteinte des nerfs crniens III, IV et VI (oculomoteurs) ainsi que du V et du VII.

  • 7/14/2019 Schramm F. Inflammation cutane

    44/203

    Introduction43

    voqu. Les tudes dont le diagnostic tiologique est bas sur la srologie sont non seulement

    contestables par leur mthodologie (la srologie ne permettant pas elle seule d'apporter la

    preuve d'une infection active Borrelia) mais galement contradictoires, les unes affirmant

    [Aberer et coll., 1985; Aberer et coll., 1987b; Aberer et coll., 1987c; Weber et coll., 1988;

    Aberer et coll., 1991b] et les autres infirmant [Hansen et coll., 1987; Hoesly et coll., 1987;

    Vaillant et coll., 1992; Akimoto et coll., 1996] l'existence d'un lien entre infection Borrelia

    et survenue de morphes/lichens sclreux. Par ailleurs, les tudes bases sur la recherche de la

    bactrie par PCR dans ces lsions cutanes sont galement contradictoires, car mme si la

    plupart d'entre elles excluent ce lien de causalit [Meis et coll., 1993; Ranki et coll., 1994;

    Dillon et coll., 1995; Fan et coll., 1995; Wienecke et coll., 1995; Weide et coll., 2000;

    Goodlad et coll., 2002], deux tudes suggrent cependant que certaines espces particulires

    deBorrelia(B. afzeliietB. gariniinotamment) pourraient tre responsables de morphes ou

    de lichens sclreux dans des zones gographiques bien dtermines (Allemagne, Japon)

    [Schempp et coll., 1993; Fujiwara et coll., 1997]. La controverse sur ce sujet pourrait tre li,

    en partie au moins, la confusion des diffrentes entits nosologiques, trs proches sur le plan

    anatomo-clinique, ainsi qu' la coexistence, chez un mme individu, de ces diffrentes

    manifestations cliniques [Aberer et coll., 1987a; Coulson et coll., 1989; Carlesimo et coll.,

    2010]. Les complications neurologiques62 sont essentiellement des encphalomylites

    chroniques et des polyneuropathies sensitives axonales qui surviennent principalement chez

    des patients atteints dune ACA, dans les dermatomes concerns par latteinte cutane

    [Kindstrand et coll., 1997; Oschmann et coll., 1998]. Enfin, les manifestations

    rhumatologiques tardives sont caractrises par des arthrites chroniques qui viennent

    compliquer lvolution des arthrites de la phase prcoce.

    62On parle ce stade de neuroborrliose tardive.

  • 7/14/2019 Schramm F. Inflammation cutane

    45/203

    Introduction44

    Une prsentation complte de la maladie un rythme migrant aprs piqre de tique,

    suivi de manifestations dissmines neurologiques ou articulaires, et le dveloppement tardif

    dune acrodermatite ou de lsions neurologiques ou articulaires chroniques est relativement

    rare. Si la description schmatique de lhistoire naturelle de la maladie sous forme de phases

    (primaire localise, primaire dissmine et tardive) prsente un avantage didactique

    indniable, elle prsente aussi malheureusement linconvnient dune vue trop thorique et

    parfois dcale par rapport la ralit des observations rapportes par les praticiens de terrain.

    Les diffrentes phases de la maladie peuvent tre chevauchantes et la progression de la

    maladie dune phase une autre nest pas systmatique. Mme en labsence de traitement, les

    manifestations de la phase prcoce (localise ou dissmine) peuvent rgresser spontanment

    sans jamais conduire au dveloppement des manifestations de la phase tardive. Inversement,

    la phase prcoce peut tre totalement asymptomatique ou ses manifestations cliniques peuvent

    passer inaperues, les manifestations tardives de la maladie survenant alors de faon

    inaugurale sans quaucun lment de la phase prcoce de la maladie ait pu tre dcel.

    Le seul signe clinique permettant dtablir de faon formelle le diagnostic de borrliose

    de Lyme est la prsence dun rythme migrant typique, quon peut ce titre considrer

    comme une manifestation pathognomonique de la maladie. Cependant, aux tats-Unis,

    lexistence dune autre pathologie transmise par les tiques, le STARI63, responsable de lsions

    cutanes de prsentation trs similaire celle de lrythme migrant, ne permet pas dtre

    aussi catgorique et doit faire voquer la possibilit dun diagnostic diffrentiel [Strle et coll.,

    2009]. Dautres manifestations cliniques, comme le lymphocytome cutan bnin et lACA, de

    diagnostic parfois difficile, sont galement extrmement vocatrices dune borrliose de

    Lyme. Les autres manifestations cliniques de la maladie ne sont pas spcifiques de la

    borrliose de Lyme : cest lexposition possible des piqres de tique en zone dendmie

    63

    STARI : southern tick-associated rash illness. Le STARI est d Borrelia lonestari (espce gntiquementproche du groupe desBorreliades fivres rcurrentes), transmise par la tique dureAmblyomma americanum.

  • 7/14/2019 Schramm F. Inflammation cutane

    46/203

    Introduction45

    associe des arguments cliniques et des donnes biologiques compatibles qui permettent

    dvoquer le diagnostic. lexception de lrythme migrant typique, la positivit dun test

    biologique est requise pour confirmer le diagnostic de borrliose de Lyme [Schramm et coll.,

    2009].

    Linfection par Borreliaest plus souvent symptomatique aux tats-Unis (90 % des cas

    avec sroconversion) quen Europe (

  • 7/14/2019 Schramm F. Inflammation cutane

    47/203

    Introduction46

    (lymphocytome et ACA) [Lenormand et coll., 2009; Smetanick et coll., 2010]. Cependant,

    lorganotropisme attribu aux diffrentes espces de Borrelia nest pas exclusif. titre

    dexemple, bien queB. afzeliisoit lespce la plus souvent associe lACA [Ruzic-Sabljic et

    coll., 2002], trois autres espces B. burgdorferiss, B. garinii et B. valaisiana ont

    galement t occasionnellement dtectes dans des lsions dACA [Rijpkema et coll., 1997;

    Picken et coll., 1998].

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    Introduction47

    Figure 10:Manifestations cutanes de la borrliose de Lyme

    NOTE. (A, B, C) rythme migrant. (D, E, F) Lymphocytome borrlien. (G, H, I, J) Acrodermatite chronique

    atrophiante.Illustrations : Mllegger et coll., 2008 ; Strle et coll., 2008 (dans Current problems in dermatology Lipsker D, Jaulhac B, eds ; Karger) ;

    Stanek et coll., 2003 ; http://www.zeckenrollen.de/Zeckenschutz/Zecken-und-Krankheiten#.

    A B C

    D E F

    G H I J

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    Introduction48

    Figure 11: Aspects histologiques des manifestations cutanes de la borrliose de Lyme

    NOTE. (A, B) rythme migrant. (C, D) Lymphocytome borrlien. (E, F) Acrodermatite chronique atrophiante.

    Illustrations : Strle et coll., 2008 (dans Current problems in dermatology Lipsker D, Jaulhac B, eds ; Karger)

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    Introduction49

    2 MANIFESTATIONS CUTANES DE LA BORRLIOSE DE LYME

    Lrythme migrant

    Lrythme migrant est la fois la plus frquente des manifestations cliniques de la

    borrliose de Lyme64 et la premire apparatre aprs le dbut de linfection [Berglund et

    coll., 1995] : cest la manifestation cardinale de la maladie. Lrythme migrant dbute

    quelques jours quelques semaines aprs le dbut de linfection par une lsion

    maculopapuleuse rythmateuse, centre par le site de la piqre de tique, qui stend

    progressivement de manire annulaire et centrifuge sur une priode de quelques jours

    quelques semaines pour former une lsion cutane qui peut atteindre jusqu plusieurs

    dizaines de centimtres de diamtres [Mllegger et coll., 2008]. Bien quinconstant, un

    claircissement central progressif partiel ou total de la lsion peut survenir et lui donner son

    aspect annulaire typique centre clair et bordure inflammatoire. La bordure active de la

    lsion reprsente le front de migration desBorreliadans la peau et la raction inflammatoire

    cutane, mais lisolement de la bactrie par culture partir du centre de la lsion [Jurca et

    coll., 1998] ou en peau saine prilsionnelle [Berger et coll., 1992] est possible. La

    topographie de la lsion est variable puisquelle dpend de la localisation de la piqre de

    tique : les localisations prfrentielles sont les membres infrieurs, les zones de striction des

    vtements et les plis chez ladulte ; la partie suprieure du corps, la face, le cou et les oreilles

    sont plus frquemment concerns chez lenfant [Berglund et coll., 1995]. Mme en labsence

    de traitement, la lsion est spontanment rsolutive, mais la disparition complte de celle-ci

    peut prendre plusieurs mois alors quelle est obtenue en quelques jours aprs instauration

    dune antibiothrapie efficace.

    64Dans cette tude sudoise, la survenue de lrythme migrant concernait 77 % des cas (1 471 patients inclus).

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    Introduction50

    Les lsions multiples drythme migrant ont une signification bien diffrente de

    lrythme migrant unique , puisquelles sont la consquence dune diffusion hmatogne

    de la bactrie puis de sa localisation et de sa multiplication dans la peau distance du site

    dinoculation. Lrythme migrant multiple est dfini par la prsence dau moins 2 lsions

    cutanes vocatrices. Ces lsions secondaires sont gnralement de taille quivalente, mais

    sont cependant de plus petite taille que la lsion initiale et sont dpourvues de linduration

    centrale correspondant au point de piqre de la tique [Mllegger et coll., 2008]. Lrythme

    migrant multiple est plus frquent chez lenfant que chez ladulte et son incidence est plus

    leve aux tats-Unis quen Europe [Berglund et coll., 1995; Gerber et coll., 1996].

    Lanalyse histologique de biopsies ralises dans la partie centrale de lsions drythme

    migrant montre un infiltrat interstitiel et privasculaire du derme prdominance

    lymphohistiocytaire, et la prsence dans une moindre mesure de plasmocytes, de

    polynuclaires neutrophiles et de cellules de Langerhans [de Koning, 1993; Hulinska et coll.,

    1994]. Laspect histologique de la bordure inflammatoire des lsions et de la peau saine

    prilsionnelle montre galement un infiltrat lymphohistiocytaire du derme, essentiellement

    privasculaire. Lpiderme est pargn, mais linfiltration lymphohistiocytaire en regard de la

    jonction dermo-pidermique en zone centrale de la lsion peut saccompagner dune rupture

    de la membrane basale [de Koning, 1993; Hulinska et coll., 1994]. Les caractristiques

    histologiques de lrythme migrant sont donc peu spcifiques, mais la prsence de

    plasmocytes au sein de linfiltrat ainsi que son caractre neurotrope et syringotrope permettent

    dvoquer une tiologie infectieuse en particulier borrlienne [Lipsker, 2007].

    La production accrue dans les lsions drythme migrant de cytokines pro-inflammatoires,

    comme lIFN- [Mllegger et coll., 2000] (stimulant le recrutement et lactivation des

    macrophages), et des chimiokines CXCL9 et CXCL10 (stimulant le recrutement des

    lymphocytes T) [Mllegger et coll., 2007] est bien corrle avec les observations

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    Introduction51

    histologiques montrant la prdominance des lymphocytes et des macrophages activs dans

    linfiltrat lsionnel. Linfiltrat lymphocytaire, dimmunophnotype T, associ

    laugmentation du nombre de cellules de Langerhans suggre une participation forte de la

    rponse immunitaire mdiation cellulaire dans la rponse initiale de lhte linfection par

    Borrelia.

    Le lymphocytome borrlien

    Le lymphocytome est lune des manifestations cutanes dissmines de la borrliose de

    Lyme. Cette manifestation de la maladie ne concerne presque que les borrlioses de Lyme

    europennes ; elle est exceptionnelle en Amrique (de rares cas ont t rapports aux tats-

    Unis [Finkel et coll., 1990; Strle et coll., 2009] ainsi quau Mexique [Gordillo-Perez et coll.,

    2007]). En Europe, le lymphocytome demeure une manifestation relativement rare de la

    maladie : dans une cohorte sudoise, sa frquence tait respectivement de 2 % et 7 % chez les

    adultes et les enfants prsentant une borrliose de Lyme confirme65[Berglund et coll., 1995].

    Laspect clinique est celui dun nodule solitaire, ou plus rarement dune plaque ferme, de

    quelques centimtres de diamtre et dont la couleur est variable rose, rouge, voire bleu

    violac. Ses localisations prfrentielles sont le lobe de loreille (chez lenfant) et la rgion

    arolo-mamelonnaire (chez ladulte) [Stanek et coll., 2003], mais le visage, le tronc et le

    scrotum peuvent galement tre concerns par cette lsion [Mllegger et coll., 2008].

    Laspect histologique de ces lsions montre un infiltrat dermique dense prdominancelymphocytaire, structur en follicules lymphocytaires avec centre germinatif : linfiltrat est

    mixte, prdominance de lymphocytes B66, mais comprend galement des plasmocytes, des

    macrophages et des polynuclaires osinophiles [de Koning, 1993]. La lsion respecte

    lpiderme et en est spare par une bande dermique daspect normal. la diffrence de

    65

    Confirmation clinique et biologique (srologique) des cas dans cette tude.66

    Le diagnostic diffrentiel avec un lymphome cutan de type B peut se poser.

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    Introduction52

    lrythme migrant et de lACA o la production des chimiokines CXCL9 et CXCL10

    stimulant le recrutement des lymphocytes T est majoritaire, les lsions cutanes du

    lymphocytome montrent au contraire une faible expression de CXCL9 et CXCL10 et une

    forte expression de CXCL13 dont lactivit principale est le recrutement des lymphocytes B

    et leur organisation au sein des follicules lymphocytaires [Mllegger et coll., 2007].

    Lacrodermatite chronique atrophiante

    Lacrodermatite chronique atrophiante est la manifestation cutane de la phase tardive de

    la borrliose de Lyme. Cette atteinte cutane nest que trs rarement rencontre aux tats-

    Unis [DiCaudo et coll., 1994; Smetanick et coll., 2010], elle reste donc lapanage des

    borrlioses europennes. Dans une tude sudoise, sa frquence globale tait estime 3 %

    des cas confirms de borrliose de Lyme [Berglund et coll., 1995]. Par ailleurs, lACA

    concerne un peu plus souvent la femme que lhomme67[Aberer et coll., 1991a; de Koning et

    coll., 1995; Brehmer-Andersson et coll., 1998] et cette manifestation clinique est trs

    exceptionnellement rencontre chez lenfant [Brzonova et coll., 2002; Zalaudek et coll., 2005;

    Andres et coll., 2010]. Du fait de la trs longue dure dincubation et dvolution des lsions

    [Asbrink et coll., 1986; Brehmer-Andersson et coll., 1998], il est trs difficile dtablir un lien

    prcis entre la notion dune piqre de tique, sa topographie et la survenue dune ACA.

    Nanmoins, si la majorit des patients relatent une exposition frquente des piqres de tique,

    seuls 10 % 20 % dentre eux se souviennent avoir prsent un rythme migrant localisdans le mme territoire que lACA dans les quelques mois ou annes prcdents [Asbrink,

    1985; Mllegger et coll., 2008]. Lvolution de lACA se fait en deux phases. Elle dbute par

    une phase initiale inflammatoire caractrise par lapparition de plaques rythmateuses

    infiltres, plus ou moins dmateuses, parfois cyanotiques, et dont la localisation prdomine

    67

    Ratios femme/homme : 1,7 19 patients dans ltude de Aberer et coll., 1991 ; 2,3 23 patients dansltude de de Koenig et coll., 1995 ; 2 111 patients dans ltude de Brehmer-Andersson et coll., 1998.

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    Introduction53

    sur les faces dextension des membres, dans leur rgion acrale et en regard des surfaces

    articulaires [Mllegger et coll., 2008]. Un traitement antibiotique efficace administr ce

    stade peut permettre une rgression complte des lsions inflammatoires, mais en labsence

    de traitement lACA progresse en quelques mois vers une phase atrophique irrversible qui

    lui confre son nom et son aspect caractristique [Lipsker, 2007]. En zone lse, la peau

    devient plus fine, elle prend un aspect en papier cigarette et laisse apparatre par

    transparence le rseau veineux sous-jacent. Au toucher, la peau est lisse et a perdu son

    lasticit. Des lsions fibrotiques peuvent se surajouter aux lsions atrophiques, elles prennent

    alors laspect de nodules fibrotiques ou de bandes fibreuses [Marsch et coll., 1993; Brehmer-

    Andersson et coll., 1998]. Par ailleurs, une allodynie68et lassociation dune ACA avec une

    polyneuropathie sensitive axonale plus symptomatique dans le territoire de lACA sont trs

    frquentes (environ deux patients sur trois) [Kindstrand et coll., 1997]. Enfin, des troubles

    osto-articulaires type de luxation ou subluxations des petites articulations et des arthralgies

    voire des arthrites des grosses articulations situes dans le territoire des lsions cutanes

    peuvent aussi sobserver [Mllegger et coll., 2008].

    la phase inflammatoire, ltude histopathologique des lsions montre un infiltrat

    lymphoplasmocytaire dermique privasculaire et priannexiel pouvant stendre

    lhypoderme, mais respectant lpiderme , des modifications vasculaires type de

    tlangiectasies69, ainsi quun certain degr ddme [Brehmer-Andersson, 1993]. ce stade,

    lpiderme peut encore tre intact ou prsenter un lger amincissement. Au stade atrophique,

    le derme est trs aminci et la fibrose dermique est nette. Le nombre des fibres de collagne et

    des fibres lastiques est trs rduit, linfiltrat cellulaire est beaucoup moins dense, mais

    constitu dune plus grande proportion de plasmocytes, et les annexes sont rarfies [de

    68

    Lallodynie est une douleur ressentie la suite dune stimulation non nociceptive.69

    La tlangiectasie est une dilatation vasculaire anormale par sa taille et par sa permanence.

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    Introduction54

    Koning et coll., 1995; Brehmer-Andersson et coll., 1998]. Lpiderme est lui aussi trs

    atrophique et linterdigitation dermo-pidermique disparat au profit dune ligne basale

    aplatie. La rponse immunitaire cellulaire de type T observe dans les lsions dACA

    objective par linfiltrat lymphocytaire, dimmunophnotype majoritai