Éducation - le devoir

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MARIE-HÉLÈNE ALARIE L es services de garde sont les derniers en date à écoper des compressions imposées par le gouvernement Couil- lard aux commissions scolaires. Effec- tivement, depuis le 1 er octobre, les ta- rifs journaliers sont passés de 7 $ à 7,30 $. Cette augmentation a permis un recalcul du finance- ment des services de garde, qui dorénavant va- riera en fonction du nombre d’enfants qui fré- quentent ces services. Ce sont les grandes com- missions scolaires qui sont le plus touchées par ces nouvelles règles, puisqu’elles accueillent de nombreux enfants. Pour la Commission scolaire de Montréal (CSDM), ce sont des coupes de 1,1 million, alors que, pour la Commission sco- laire Marie-Victorin sur la Rive-Sud de Mont- réal, on parle de réductions d’un demi-million. Au lendemain du dépôt du budget, les commis- sions scolaires devaient ajouter les nouvelles coupes de 150 millions aux 640 millions déjà consentis depuis quatre ans. Toutefois, Yves Bolduc, le ministre de l’Éducation, souhaite que ces coupes n’affectent pas les services aux élèves. Est-ce rêver en couleur ? Ces restrictions budgétaires font mal. Mais, ce qui risque de blesser plus encore, c’est cette affir- mation faite le 29 septembre par le ministre Bol- duc, qui admet que le réseau subira « des transfor- mations au cours des prochaines années ». Il a fait cette déclaration à la suite de rumeurs voulant que son gouvernement songe à la fusion ou en- core à l’abolition pure et simple des commissions scolaires, ce que le ministre n’a pas voulu confir- mer, attendant les résultats des élections sco- laires du 2 novembre prochain pour annoncer les nouvelles mesures. Toutefois, abolition ou pas, ce qu’on sait aujourd’hui, c’est que les commis- sions scolaires souffrent, mais plus encore la CSDM, qui, elle, est complètement étranglée. C’est en juillet que tombe la nouvelle d’un scénario catastrophe à la CSDM : la commis- sion scolaire est confrontée à un déficit de 29,3 millions de dollars. Il faut rappeler que, sur les coupes de 150 millions, le budget de la CSDM est à lui seul amputé de 15 millions. C’est une somme colossale pour une commis- sion scolaire qui doit répondre aux besoins de plus de 112 000 élèves, dont la moitié n’ont pas le français pour langue maternelle et dont 40 % vi- vent sous le seuil de la pauvreté. C’est sans comp- ter le fait que le programme pour lutter contre les moisissures dans les écoles, qui ne reçoit au- cun financement de Québec, coûte trois millions et que les écoles à mandat régional accueillant les handicapés engendrent des coûts excéden- taires de 10 millions. Catherine Harel-Bourdon, la présidente de la CSDM, le répète de toutes les manières possibles : « On a un sous-financement et des besoins accrus. » Mais, selon Yves Bolduc, «malgré la main que nous lui avons tendue à maintes reprises », le ministre de l’Éducation dé- plore le manque de volonté «évident» de la CSDM et son entêtement à ne pas vouloir faire un budget qui respecte les balises. Pour cette rai- son, afin d’avoir la « juste mesure de [sa] situation financière », il n’exclut pas la mise sous tutelle. Au mois d’août dernier, on apprend que les bi- bliothèques scolaires risquent de voir leur bud- get d’achat de livres diminuer de moitié pour l’année 2014-2015. En fait, c’est une consé- quence directe des coupes, puisque dorénavant les commissions scolaires ne seront plus obli- gées d’investir les 7 $ par élève exigés antérieu- rement par le ministère de l’Éducation pour l’ac- quisition de livres. Cette mesure fera dire au mi- nistre Bolduc, en entrevue au Devoir, cette mal- heureuse phrase : « Il n’y a pas un enfant qui va mourir de ça et qui va s’empêcher de lire, parce qu’il existe déjà des livres [dans les biblio- thèques]. J’aime mieux que les commissions sco- laires achètent moins de livres. Nos bibliothèques sont déjà bien équipées. » À la suite de cette décla- ration, le premier ministre a corrigé le tir et a même contredit son ministre en soulignant que « c’est vrai que les commissions scolaires doivent faire leurs choix. Mais, entre nous, je pense qu’il y a d’autres choix à faire. […] L’important, c’est qu’il y ait de nouveaux livres disponibles », a-t-il noté, en insistant pour dire que « la base de notre éducation est la qualité de notre langue, qui s’ob- tient notamment par la lecture ». Puis viendront les propos nuancés du principal intéressé, qui précisera qu’il n’y « a jamais assez de livres » dans les bibliothèques, et finalement les excuses arri- veront accompagnées d’une promesse d’exiger que les commissions scolaires rétablissent les budgets des bibliothèques pour l’achat de livres. Après les libraires, c’est au tour des artistes et des écrivains d’être inquiets, puisque le pro- gramme « La culture à l’école » est en situation précaire, vu qu’il revient à chaque commission scolaire de décider d’adhérer ou non à ce pro- gramme. « La culture à l’école » profite depuis 2009 de fonds stables de 3,2 millions, dont deux millions proviennent du ministère de l’Éduca- tion et le reste du ministère de la Culture et des Communications. C’est ce programme qui per- met de recevoir en classe des artistes profes- sionnels de toutes les disciplines ou d’organiser des sorties culturelles. À Montréal et sur la Rive-Sud, on tient à ce programme, mais, pour ce qui est de la Commission scolaire de la Ré- gion-de-Sherbrooke, par exemple, rien n’a en- core été décidé. Récemment, il a été question de la fermeture des conservatoires d’art dramatique et de mu- sique en région, mais c’est un autre dossier, et celui-ci ne relève pas du ministère de l’Éduca- tion, mais bien du ministère de la Culture… Collaboratrice Le Devoir ÉDUCATION ÉCOLE PUBLIQUE CAHIER THÉMATIQUE G LE DEVOIR, LES SAMEDI 4 ET DIMANCHE 5 OCTOBRE 2014 Effort budgétaire : un marché de dupes? Page G 4 Considérer l’école comme un investissement et non comme une dépense Page G 3 5 octobre 2014 Le couperet tombe le 4 juin dernier, lors de la présentation du premier budget de Carlos Lei- tao, ministre des Finances du gouvernement du Québec : les commissions scolaires subiront des coupes de plus de 150 millions. Depuis, rien ne va plus, on va d’annonces officielles en rumeurs et d’inquiétude en colère. Au cœur du débat, des enfants pris dans la tourmente. É DUCATION L’été de tous les dangers JACQUES NADEAU LE DEVOIR Depuis la présentation du nouveau budget du ministre des Finances, Carlos Leitao, en juin dernier, tous les secteurs subissent des coupes. L’éducation n’en est pas exempte.

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Page 1: ÉDUCATION - Le Devoir

M A R I E - H É L È N E A L A R I E

L es services de garde sont les derniersen date à écoper des compressionsimposées par le gouvernement Couil-lard aux commissions scolaires. Effec-tivement, depuis le 1er octobre, les ta-

rifs journaliers sont passés de 7$ à 7,30$. Cetteaugmentation a permis un recalcul du finance-ment des services de garde, qui dorénavant va-riera en fonction du nombre d’enfants qui fré-quentent ces services. Ce sont les grandes com-missions scolaires qui sont le plus touchées parces nouvelles règles, puisqu’elles accueillent denombreux enfants. Pour la Commission scolairede Montréal (CSDM), ce sont des coupes de1,1 million, alors que, pour la Commission sco-laire Marie-Victorin sur la Rive-Sud de Mont-réal, on parle de réductions d’un demi-million.Au lendemain du dépôt du budget, les commis-sions scolaires devaient ajouter les nouvellescoupes de 150 millions aux 640 millions déjàconsentis depuis quatre ans. Toutefois, YvesBolduc, le ministre de l’Éducation, souhaite queces coupes n’af fectent pas les ser vices auxélèves. Est-ce rêver en couleur?

Ces restrictions budgétaires font mal. Mais, cequi risque de blesser plus encore, c’est cette affir-

mation faite le 29 septembre par le ministre Bol-duc, qui admet que le réseau subira «des transfor-mations au cours des prochaines années». Il a faitcette déclaration à la suite de rumeurs voulantque son gouvernement songe à la fusion ou en-core à l’abolition pure et simple des commissionsscolaires, ce que le ministre n’a pas voulu confir-mer, attendant les résultats des élections sco-laires du 2 novembre prochain pour annoncer lesnouvelles mesures. Toutefois, abolition ou pas,ce qu’on sait aujourd’hui, c’est que les commis-sions scolaires souffrent, mais plus encore laCSDM, qui, elle, est complètement étranglée.

C’est en juillet que tombe la nouvelle d’unscénario catastrophe à la CSDM : la commis-sion scolaire est confrontée à un déficit de29,3 millions de dollars. Il faut rappeler que, surles coupes de 150 millions, le budget de laCSDM est à lui seul amputé de 15 millions.

C’est une somme colossale pour une commis-sion scolaire qui doit répondre aux besoins deplus de 112000 élèves, dont la moitié n’ont pas lefrançais pour langue maternelle et dont 40% vi-vent sous le seuil de la pauvreté. C’est sans comp-ter le fait que le programme pour lutter contreles moisissures dans les écoles, qui ne reçoit au-cun financement de Québec, coûte trois millionset que les écoles à mandat régional accueillant

les handicapés engendrent des coûts excéden-taires de 10 millions. Catherine Harel-Bourdon,la présidente de la CSDM, le répète de toutes lesmanières possibles : «On a un sous-financementet des besoins accrus.» Mais, selon Yves Bolduc,« malgré la main que nous lui avons tendue àmaintes reprises», le ministre de l’Éducation dé-plore le manque de volonté « évident » de laCSDM et son entêtement à ne pas vouloir faireun budget qui respecte les balises. Pour cette rai-son, afin d’avoir la «juste mesure de [sa] situationfinancière», il n’exclut pas la mise sous tutelle.

Au mois d’août dernier, on apprend que les bi-bliothèques scolaires risquent de voir leur bud-get d’achat de livres diminuer de moitié pourl’année 2014-2015. En fait, c’est une consé-quence directe des coupes, puisque dorénavantles commissions scolaires ne seront plus obli-gées d’investir les 7$ par élève exigés antérieu-rement par le ministère de l’Éducation pour l’ac-quisition de livres. Cette mesure fera dire au mi-nistre Bolduc, en entrevue au Devoir, cette mal-heureuse phrase : «Il n’y a pas un enfant qui vamourir de ça et qui va s’empêcher de lire, parcequ’il existe déjà des livres [dans les biblio-thèques]. J’aime mieux que les commissions sco-laires achètent moins de livres. Nos bibliothèquessont déjà bien équipées.» À la suite de cette décla-ration, le premier ministre a corrigé le tir et amême contredit son ministre en soulignant que«c’est vrai que les commissions scolaires doiventfaire leurs choix. Mais, entre nous, je pense qu’il ya d’autres choix à faire. […] L’important, c’estqu’il y ait de nouveaux livres disponibles », a-t-il

noté, en insistant pour dire que «la base de notreéducation est la qualité de notre langue, qui s’ob-tient notamment par la lecture». Puis viendrontles propos nuancés du principal intéressé, quiprécisera qu’il n’y «a jamais assez de livres» dansles bibliothèques, et finalement les excuses arri-veront accompagnées d’une promesse d’exigerque les commissions scolaires rétablissent lesbudgets des bibliothèques pour l’achat de livres.

Après les libraires, c’est au tour des artisteset des écrivains d’être inquiets, puisque le pro-gramme « La culture à l’école » est en situationprécaire, vu qu’il revient à chaque commissionscolaire de décider d’adhérer ou non à ce pro-gramme. « La culture à l’école » profite depuis2009 de fonds stables de 3,2 millions, dont deuxmillions proviennent du ministère de l’Éduca-tion et le reste du ministère de la Culture et desCommunications. C’est ce programme qui per-met de recevoir en classe des artistes profes-sionnels de toutes les disciplines ou d’organiserdes sorties culturelles. À Montréal et sur laRive-Sud, on tient à ce programme, mais, pource qui est de la Commission scolaire de la Ré-gion-de-Sherbrooke, par exemple, rien n’a en-core été décidé.

Récemment, il a été question de la fermeturedes conservatoires d’art dramatique et de mu-sique en région, mais c’est un autre dossier, etcelui-ci ne relève pas du ministère de l’Éduca-tion, mais bien du ministère de la Culture…

CollaboratriceLe Devoir

ÉDUCATIONÉCOLE PUBLIQUE

C A H I E R T H É M A T I Q U E G › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 4 E T D I M A N C H E 5 O C T O B R E 2 0 1 4

Effort budgétaire :un marché de dupes? Page G 4

Considérer l’écolecomme uninvestissement etnon comme unedépense Page G 3

5 octobre 2014

Le couperet tombe le 4 juin dernier, lors de la présentation du premier budget de Carlos Lei-tao, ministre des Finances du gouvernement du Québec : les commissions scolaires subirontdes coupes de plus de 150 millions. Depuis, rien ne va plus, on va d’annonces of ficielles enrumeurs et d’inquiétude en colère. Au cœur du débat, des enfants pris dans la tourmente.

ÉDUCATION

L’été de tous les dangers

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Depuis la présentation du nouveau budget du ministre des Finances, Carlos Leitao, en juin dernier, tous les secteurs subissent des coupes. L’éducation n’en est pas exempte.

Page 2: ÉDUCATION - Le Devoir

R É G I N A L D H A R V E Y

E n juin 2012, la CSN arendu publique sa plate-

forme en éducation, intituléeUn droit humain, une responsa-bilité sociale : une étudeexhaustive et une prise de po-sition ferme sur le systèmed’éducation pilotées alors parsa première vice-présidente,Denise Boucher, qui est au-jourd’hui à la retraite. Véro-nique De Sève assure larelève : «Ce dossier est très fon-dateur et, avec tout ce qui sepasse aujourd’hui, il est aussitrès pertinent. »

Et comment réagit ce mouve-ment syndical aux compres-sions à l’heure actuelle ? « Lacentrale et les trois différentes fé-dérations qui travaillent en édu-cation se montrent très in-quiètes. On est en présence d’ungouvernement qui est en trainde saccager littéralement le pro-gramme et les filets sociaux quenous nous sommes donnés. Onparle beaucoup de la santé,mais on oublie que l’éducation,c’est fondamental ; elle fait ensorte que les gens deviennent cu-rieux, s’investissent dans leursmilieux et développent leur sensde la citoyenneté. » Elle sert àaméliorer les conditions de vieet représente un moyen de lut-ter contre la pauvreté.

Mme De Sève appartient à lagénération des cégeps et a ob-tenu un bac en psychoéduca-tion à l’Université du Québec àTrois-Rivières. Elle n’en faitpas moins référence à la révo-lution en éducation qui a mar-qué le Québec au tournant desannées 1960 : « Je n’ai pasconnu cette période d’ébullitionqui a fait en sorte qu’on a crééces établissements-là en démo-cratisant le système d’éducation,ce qui a représenté une formed’épanouissement pour le peu-ple québécois à cette époque ; iln’avait pas accès à de telles res-sources parce que l’éducationétait beaucoup plus élitiste. Au-jourd’hui, je redoute énormé-ment les changements qui sonten train de s’effectuer et qui ris-quent de nous retourner à cestemps-là. »

Si la CSN occupe une place

prépondérante en enseigne-ment supérieur par le biais dela Fédération nationale des en-seignantes et enseignants duQuébec (FNEEQ), elle cha-peaute aussi un regroupementde 30 000 travailleurs, soit laFédération des employés deservices publics (FEESP) ; ilssont présents dans 31 commis-sions scolaires francophoneset dans deux anglophones.

Les personnels de soutienapportent leur contribution aubon fonctionnement de l’écoleet au déroulement efficace desactivités du réseau de l’éduca-tion. Véronique De Sève en té-moigne à la suite d’une expé-rience de travail comme éduca-trice en service de garde : «Leconcierge ou le surveillantd’élèves sont en mesure de détec-ter cer tains problèmes chezceux-ci et de servir d’amorce àleur règlement. »

Elle ajoute, sur un autre re-gistre : « À Montréal, lesconcierges sont ceux qui ontamorcé les grands dossiers parrapport à la moisissure. Si onn’avait pas des gens compétentsde cet ordre pour amener unetelle situation sur la place pu-blique, les enfants seraient pé-nalisés au bout du compte. »Elle déplore que les compres-sions entraînent la per ted’heures de travail chez cesgens : « Ce sont eux qui, entreguillemets, font un bon ménageà l’école pour justement garderces lieux-là sanitaires pour desenfants qui sont plus vulnéra-bles à attraper des microbesparce qu’ils sont en train de for-ger leur système immunitaire. »

Le statut particulierscolaire

« L’idée même du réseau desécoles publiques est remise enquestion, parce qu’on ne donnepas à celui-ci les moyens d’assu-mer la mission qu’on lui a no-tamment confiée dans la Loisur l’instruction publique » :voilà comment, de façon glo-bale, Sylvain Mallette, prési-dent de la FAE, perçoit lescompressions actuelles.

Il entre dans les détails :« Dans les faits, ça se traduitpar des coupes de services, par

des prestations de servicesmoins impor tantes que cellesqui devraient être rendues pourrépondre aux besoins des élèveset pour soutenir les profs quidoivent travailler auprès deceux qui éprouvent des dif ficul-tés particulières. »

Le président s’en prend par-ticulièrement au double mes-sage véhiculé : « Pendant quele gouvernement nous incite àfaire notre part de travail pourassainir les finances publiques,il continue à subventionneravec près d’un demi-milliardde dollars par année le réseaudes écoles privées. Il demandeau secteur public d’accomplirsa mission et il ne lui fournitpas les ressources nécessairespour y arriver ; d’autre part, il

continue de soutenir le réseauprivé, qui mène une concur-rence déloyale à l’endroit del’école publique. »

La FAE et ses dix syndicatsaffiliés couvrent un territoireen grande par tie situé dansdes milieux fortement urbani-sés ; ses membres travaillententre autres pour les troiscommissions scolaires pré-sentes sur toute l’île de Mont-réal. Sylvain Mallette recon-naît qu’il se pose en pareil casdes dif ficultés autres qu’ail-leurs dans le réseau : « L’écolemontréalaise est appelée à re-lever des défis supplémen-taires. On est ici dans des mi-crosociétés où la pauvreté, uneexpression que je n’aime pasmais qui est utilisée, est la rè-

gle généralisée ; on est en pré-sence d’une population, de pa-rents d’élèves qui la vivent auquotidien. C’est un enjeu spéci-fique à cet endroit. »

S’ajoute à cette réalité « cetautre défi que représente l’im-migration. Sur l’île, il y a desclasses où 90 % à 95 % desélèves sont issus de cette im-migration et i ls arrivent àl ’école avec leur propre ba-gage culturel, mais aussi avecleurs dif ficultés inhérentes ;ça n’existe pas en banlieue ouen région. » Il s’ensuit doncque « Montréal vit des pro-blèmes beaucoup plus criantsà cause de son tissu socioéco-nomique et de sa c l ientèlemultiethnique, ce dont le gou-vernement ne t ient pas

compte dans les compressionsqu’il impose ».

Cela dit, il soutient que, par-tout dans le réseau, « les profes-seurs tiennent l’école à bout debras. Et on leur dit qu’ils n’enfont pas encore assez, qu’on valeur couper leurs moyens en exi-geant qu’ils en accomplissentdavantage avec moins de res-sources. » Le gouvernements’en lave les mains : «Les ensei-gnants perçoivent la situationcomme suit : le gouvernementne leur fournit pas les moyensrequis pour remplir adéquate-ment leurs fonctions et il lesrend responsables des échecsdans le réseau.»

CollaborateurLe Devoir

ÉCOLE PUBLIQUEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 4 E T D I M A N C H E 5 O C T O B R E 2 0 1 4G 2

R É G I N A L D H A R V E Y

L a Centrale des syndicats du Québec (CSQ)ratisse très large en éducation : d’hier à au-

jourd’hui, elle rassemble sous sa bannière syn-dicale l’ensemble du personnel enseignantdans le secteur des jeunes ; elle réunit des per-sonnels de la petite enfance jusqu’à l’université,tant dans le domaine de l’enseignement quedans celui des intervenants professionnels etde soutien.

Il est question ici de 130 000 membres enéducation qui sont susceptibles d’être touchésdirectement ou autrement par les compres-sions en cours. Louise Chabot por te au-jourd’hui le chapeau de présidente de la CSQ ;membre de l’exécutif depuis 14 ans, elle posece regard global sur les événements actuels :« Il est très attristant qu’on puisse penser que desabrer ou de comprimer dans des budgets d’édu-cation, cela peut faire en sorte qu’on n’hypothé-quera pas l’avenir d’une société et qu’on va réus-sir à la rendre, de cette manière, plus prospère eten meilleure santé. »

Elle livre ce message : « S’il y a un détermi-nant majeur pour assurer la santé financière del’État et la santé de la population, c’est bien celuide l’éducation. Le fait que les gouvernementss’acharnent à réduire la portée de son rôle essen-tiel soulève énormément de questions sur le choixde société qu’on veut donner aux gens. » Il y a 50ans, le rapport Parent allait conduire à des pro-grès majeurs sur le plan de l’accessibilité auxétudes, tant pour les jeunes que pour lesadultes : « On prônait l’égalité des chances pourtous par le savoir et les connaissances issus del’éducation, ce qui relève de la démocratie même.Ma grande désolation aujourd’hui, c’est que cetteéducation semble davantage être vue sous la lu-nette comptable que sous celle du développementd’une société. »

Il y a incohérence entre le discours politiqueet la pratique à l’heure actuelle : «On est en pré-sence d’un premier ministre qui arrive avec deux

thèmes précis quand il laisse savoir que “ notreobjectif, c’est l’emploi et la prospérité ”. Pourcontribuer à l’atteindre, comme toutes les étudesle démontrent, il faut se donner les moyensd’avoir une éducation forte et solide ; et là, onfait tout le contraire. »

Les cas se multiplientLouise Chabot entre dans le détail des

compressions et fournit de nombreux exem-ples des coupes réduisant les ser vices auxélèves : « Les enveloppes qui étaient dédiéespour leur venir en aide sur plusieurs plans ontété fusionnées pour en arriver à un seul mon-tant, qui a été amputé de 70 millions de dol-lars au final. Voilà pourquoi se succèdentmaintenant les annonces comme celles-ci : onne pourra plus fournir l’aide aux devoirs, le

soutien à l’alimentation des enfants ou l’achatdes livres pour les bibliothèques scolaires. »

Il en résulte que « tout cela fait partie des en-veloppes qu’on qualifie d’aide à l’apprentissage,et on est là au cœur des services aux élèves et nonpas dans le périphérique ou dans la bureaucra-tie. Il y a quelques années, on affirmait qu’il nefallait pas que les compressions atteignent cesservices-là, ce qui n’est plus vrai. » À la seuleCommission scolaire de Jonquière, le quart dubudget destiné au personnel professionnel, telsles orthophonistes, les psychologues et les psy-choéducateurs, a été sacrifié ; 15 postes sur 69ont disparu.

Un jour ou l’autre, les effets pervers de cesmesures apparaîtront quelque par t dans letemps : «Le plus crucial qu’on peut voir poindreest celui qui se produira sur les élèves les plus dé-munis. Une autre coupe qui fera mal, ce sont lestrois millions de dollars qui existaient pour lesservices éducatifs à la petite enfance, dont le butest de soutenir les enfants qui ont des probléma-tiques ; trois millions, c’est peu, mais c’est ce quifaisait toute la différence pour eux. »

Tout en se réjouissant des gains obtenus icisur le plan de la persévérance et des perfor-mances scolaires des élèves québécois sur lascène internationale au cours des dernières an-nées, Louise Chabot prévoit des lendemainsdifficiles : « Il y a des moyens qui ont été mis enplace et qui ont fait la différence pour en arriverlà ; les coupes pourraient anéantir ce qu’on aréussi à bâtir et on pourrait faire des reculs. » Etde conclure : « La cour te vue de maintenantaura un impact à la fois sur la réussite desjeunes et sur le développement de notre société, àmoyen et à long terme.»

Austérité et personnel enseignantJosée Scalibrini, la présidente de la Fédéra-

tion des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ), dont les membres enseignants sont àl’œuvre auprès des élèves de 35 commissionsscolaires, assure spontanément que les com-

pressions minent les profs sur le plan de l’exer-cice de la profession : « On ressent encore unefois toute la dévalorisation dont on fait preuveenvers celle-ci, ce qui vient jouer directement surla motivation des gens. On vient une fois de plusleur demander de faire plus avec moins. »

Elle s’explique et fait valoir leur point de vue :« Ce qui a joué dans la dévalorisation depuisquelques années, c’est que les enseignants ne sesentent plus comme des partenaires en éducationqui possèdent l’expertise indispensable ; ils sontconsidérés comme des exécutants : les décisions seprennent en haut lieu et on leur laisse savoirque, dans les milieux scolaires, “ c’est de cette fa-çon que ça va se passer ”. Ils ne se sentent pluscomme des associés. »

Elle aborde la question sous cet angle dans lecontexte actuel : «Le plus difficile et le plus péni-ble pour eux, c’est qu’ils ont toujours le sentimentque ce sont leurs élèves les plus vulnérables quisont touchés, parce que les services disparaissenten même temps que l’aide qu’ils seraient en me-sure de leur fournir. À cet égard, ils vivent unsentiment d’impuissance. »

La présidente cerne les vrais problèmes :« Les gouvernements disaient : “ on veut couperdans le gras, dans l’administration des commis-sions scolaires ”. De notre côté, on disait : “ cen’est pas vrai, on touche aux services aux élèves ”,ce qui est devenu encore plus vrai cette annéeparce qu’on a regroupé 39 mesures qui rele-vaient directement de ces services. » Elles n’exis-tent plus et on a exigé encore davantage, selonelle : « Oui, c’est l’aide aux élèves en général etaux devoirs, oui, c’est le soutien alimentaire etpour le retour à l’école, qui ont écopé. On coupedans les interventions des professionnels et on de-mande aux enseignants d’être des psychologues,des infirmières, etc. Et pourtant, on a des person-nels qui pouvaient offrir ces soutiens et les aiderdans l’accomplissement de leur tâche. »

CollaborateurLe Devoir

Le développement et la prospérité d’une société passent par l’éducation

La Confédération des syndicats nationaux (CSN) s’insurgecontre les récentes mesures administratives du gouvernementCouillard en éducation. Un autre regroupement syndical, laFédération autonome de l’enseignement (FAE), juge sévère-ment les présentes démarches politiques dans le secteur del’éducation.

COMPRESSIONS EN ÉDUCATION

Les syndicats craignent un retour en arrière

FÉDÉRATION DES SYNDICATS DE L’ENSEIGNEMENT

Josée Scalabrini, la présidente de la Fédérationdes syndicats de l’enseignement

MICHAËL MONNIER LE DEVOIR

L’école Saint-Gérard, dans Villeray, a dû fermer ses portes en janvier 2012 en raison de la présence de moisissures dans l’enceinte de l’établissement.

Page 3: ÉDUCATION - Le Devoir

M A R I E - H É L È N E A L A R I E

N ormand Baillargeon estreconnu pour ses prises

de position mordantes sur lemonde de l’éducation. Lé-gendes pédagogiques, son plusrécent essai, déboulonne lesidées reçues en pédagogie, unmonde traversé par les modesmais qui, selon l’auteur, de-vrait au contraire s’appuyersur des méthodes qui ont faitleurs pr euves . D ’emblée ,quand on lui demande quelleest sa vision de l’éducation, laréponse fuse : «Première chose,on doit éradiquer du monde del’éducation ces croyancesfausses, infondées, voire aber-rantes qui y circulent et les pra-tiques, souvent coûteuses,qu’elles inspirent. » Il citecomme exemples les exer-cices Brain Gym, l’enseigne-ment qui devrait se faire selonle style d’apprentissage propreà chaque enfant, la croyancequ’il y a des cerveaux droits etdes gauches ou encore l’affir-mation que nous n’utiliserionsque 10 % de notre cer veau…«Sottises ! Cesser de diffuser desidées fausses dans un milieuconsacré à la vérité serait déjàun premier pas et qui ne coûtepas cher ! »

« Il faut hausser les critèresd’admission aux programmesde formation des maîtres et lesexigences de ces diplômes. Ondevrait doter les futurs ensei-gnants d’une solide formationculturelle, disciplinaire, en uti-lisant les méthodes les mieuxéprouvées. » Présentement,Normand Baillargeon juge laformation des maîtres éton-namment faible, et cela n’estpas sans rapport avec sa pre-m i è r e a f f i r m a t i o n . P o u rcontrer ce malaise, l’auteurpréconise d’enseigner selondes méthodes scientifique-ment éprouvées : « Souvent,on s’éloigne de ces méthodespour toutes sor tes de raisons,alors qu’on devrait y appuyernos pratiques. »

Tout ça étant dit, le derniersouhait de Normand Baillar-geon, mais peut-être le plusimpor tant, serait le suivant :« Que nous accordions un trai-tement préférentiel aux milieuxdéfavorisés, où on ne couperaitpas, par exemple, dans l’aidealimentaire ou dans l’aide auxdevoirs, ce qui est ignoble…»

Louise Chabot, la présidentede la Centrale des syndicatsdu Québec (CSQ), abonde.« Nous avons fait des choix desociété en accordant une valeur

forte à l’égalité des chances enéducation et nous devons conti-nuer à bâtir là-dessus.» Elle nesouhaite donc pas tout chan-ger dans le système actuel :« Parce qu’il y a des gens extra-ordinaires dans le réseau publicet que, quand on nous compareavec les pays de l’OCDE, leQuébec se démarque. » QuandMme Chabot se prend à rêver,elle imagine des bibliothèquesscolaires colorées et garniesde livres à profusion : « Parceque, parmi les défis que nousavons à relever, il y a bien sûrle taux de réussite, et il ne fautminimiser aucun ef for t pourque les apprentissages soient aucœur de nos programmes,comme la lecture et l’écriture,qui stimulent l’éveil aux ma-tières de base. »

Louise Chabot souhaiteune reconnaissance profes-sionnelle du personnel del’éducation, « ce qui manquegrandement actuellement », etelle poursuit en af f irmantqu’il est temps « de miser surl’opinion du personnel, de leconsulter et de le faire partici-per à tout ce qui touche les ré-formes et les changements desprogrammes, parce que c’estlui qui est au cœur du système.Il faut renverser cette tendance

qui fait de ses mem-bres des exécutantsdu système scolaire».

Pour finir, LouiseChabot le répète : « Ilfaudrait que nos gou-vernements, une foispour toutes, reconnais-sent que l’éducationest la priorité. À par-tir de ce moment-là,

les conditions gagnantes sontau rendez-vous pour que l’écoledevienne plus forte. Quand onconsidère l’école comme une dé-pense et non pas comme un in-vestissement, on fait des choixdouloureux pour les générationsà venir. »

Humaniste vs utilitaireDans la dernière livraison

de la revue Relations, Anne-Marie Claret, professeure dephilosophie au Cégep duVieux-Montréal, signe Pour unhumanisme renouvelé, un texteque Le Devoir a reproduit danssa page Idées du 16 septembredernier. Dans ce texte, inspirépar l’ouvrage de la philosopheaméricaine Mar tha Nuss-baum, Les émotions démocra-tiques. Comment former le ci-toyen du XXIe siècle (Flamma-rion, 2011), Mme Claret affirmeque, « en développant l’imagi-nation empathique, les bar-rières qui ont tendance à sedresser entre soi et les autres de-viennent plus poreuses».

«Dans un contexte où le déve-loppement économique sembleplus important que le dévelop-pement humain pour les gou-vernements, il est important derecentrer le projet éducatif au-tour de l’humain », nous dit

Anne-Marie Claret, tout enajoutant qu’« on a souvent ten-dance à opposer radicalementéducation humaniste et éduca-tion utilitaire ouinstrumentale. Il serait peut-être temps de sortir de cette op-position». Quand on parle d’unhumanisme renouvelé, c’esttenter de partir de cette expé-rience d’humanisation qu’onveut faire vivre à l’élève par lalittérature, la danse ou l’ar tdramatique, ainsi que de sortirle mot « utilitaire » de son car-can technocratique pour mon-trer que l’utilité ne se réduitpas à l’économie. «L’éducation,c’est une condition nécessairede la participation citoyenne,ça aussi c’est “ utilitaire ”. Au-jourd’hui, on associe l’utilitaireaux diktats de l’industrie. »

« Ce qui me trouble de plusen plus comme citoyenne, c’estde voir qu’on est dans un sys-tème scolaire — particulière-ment au secondaire — à deuxvitesses. » Anne-Marie Claretdéplore que, en voulant amé-liorer le secteur public, onn’ait pas trouvé mieux que decopier le secteur privé : « Onpourrait penser que, pour laclasse moyenne, envoyer sonenfant dans une école publiquedu quar tier qui n’aurait pasun projet particulier basé surune sélection, ce serait commeune hérésie ou comme de pren-dre un risque. » Pour tant,quand on y regarde de plusprès, même le programme

des écoles internationales im-plantées en sections particu-lières dans les écoles régu-lières est un leur re, selonMm e Claret : « Auparavant,tous les élèves suivaient lemême programme, ils pou-vaient cependant profiter decours enrichis dans cer tainesmatières. Aujourd’hui, il existeune espèce de ségrégation so-ciale. C’est ça, le paradoxe del’humanisme ; parler d’huma-nisme dans le programme in-ternational, c’est apprendre levivre-ensemble. Par exemple,faire du bénévolat à l’extérieurde l’école, alors qu’au quoti-dien ces élèves sont complète-ment coupés de ceux qui n’ontpas été sélectionnés pour êtredans leur programme. »

Anne-Marie Claret souhaiteelle aussi qu’on se préoccupeplus encore des populationsvulnérables : « L’éducationdoit permettre à l’élève de par-ticiper à la société, de s’y insé-rer et doit aussi permettre dela critiquer et de la transfor-mer. Si on a seulement une vi-sion de l ’école comme lieud’apprentissage de culture gé-nérale, on oublie qu’elle se doitde donner aux élèves un pou-voir d’action sur la société au-tant que sur leur vie. »

En juin 2012, la CSN a pu-blié sa plateforme en éduca-tion. Deux ans plus tard, lapremière recommandation dudocument est toujours d’actua-lité : « Que le gouvernement

fasse de l’éducation publiqueune véritable priorité nationaleet qu’il prenne tous les moyenspour la valoriser. » VéroniqueDe Sève, vice-présidente de laCSN et responsable politiquede l’éducation, croit que, au-delà de l’accessibilité, du fi-nancement et de la reconnais-sance du personnel de l’éduca-tion, qui sont des prioritéspour la centrale syndicale, « cequ’il faut retenir, c’est que no-tre système d’éducation doit for-mer nos travailleurs de de-main, mais sur tout nos ci-toyens. L’école doit leur permet-tre d’avoir un accès aux di-verses sphères de la vie pour

qu’ils puissent expérimenter, dé-velopper leur sens critique,commenter et réfléchir. C’estvrai de la petite enfancejusqu’à l’université, et pourtous, sans exception. »

Véronique De Sève, psy-choéducatrice dans une an-cienne vie, croit fermementque « favoriser l’intégration desélèves handicapés ou en dif fi-culté d’apprentissage fait ensor te qu’on peut partager desexpériences et que ça apportebeaucoup à tous, et ça, ça nes’évalue pas sur un bulletin. »

CollaboratriceLe Devoir

ÉCOLE PUBLIQUEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 4 E T D I M A N C H E 5 O C T O B R E 2 0 1 4 G 3

Ils sont quatre, quatre penseurs et acteurs du monde de l’édu-cation. Le gouvernement ne les consultera pas pour entre-prendre sa grande réforme du système scolaire, mais nous,nous avons voulu connaître leur vision de l’école idéale.

L’école, un investissement plutôt qu’une dépense

JACQUES GRENIER LE DEVOIR

« Ce qui me trouble de plus en plus comme citoyenne, c’est de voir qu’on est dans un système scolaire — particulièrement au secondaire — à deux vitesses», remarque la professeure de philosophie au Cégep du Vieux-Montréal, Anne-Marie Claret.

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

La présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ),Louise Chabot

CSN

La vice-présidente de la CSN, Véronique De Sève

Quand on considère l’école comme une dépense et non pas comme un investissement, on fait des choix douloureux pour les générations à venirLouise Chabot, la présidente de la Centrale des syndicats du Québec

«»

«On doit éradiquer du monde del’éducation ces croyances fausses,infondées, voire aberrantes qui ycirculent et les pratiques, souventcoûteuses, qu’elles inspirent»

Page 4: ÉDUCATION - Le Devoir

ÉCOLE PUBLIQUEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 4 E T D I M A N C H E 5 O C T O B R E 2 0 1 4G 4

C L A U D E L A F L E U R

C es der nières années,l’ensemble des cégeps et

des universités ont été dure-ment frappés par de sévèrescompressions budgétaires.C’est ainsi qu’un économistede la CSQ estime que, depuis2011, les coupes imposéespar le gouvernement du Qué-bec totalisent 300 millions dedollars. Cette année seule-ment, on demande un « ef fortbudgétaire » de 21 millionsaux cégeps et de 172 millionsaux universités.

Voilà qui aura des consé-quences importantes, mais en-core indéterminées, rappor-tent les représentants des troisfédérations syndicales qui re-présentent les professeurs decégep et d’université, le per-sonnel de soutien et d’aidespécialisée ainsi que les char-gés de cours.

« Je vous dirais que noussommes en mode austérité,coupe, compression, restrictionbudgétaire, réingénierie… de-puis aussi longtemps que jeme souvienne, déclare CarolineSenneville, la présidente de laFédération nationale des ensei-gnantes et enseignants du Qué-bec (FNEEQ-CSN). Et, ce quifait le plus mal, c’est l’effet cumu-latif de toutes ces compressions.»

«Nous ne savons pas trop oùils vont encore couper, indiqueMario Beauchemin, le prési-dent de la Fédération des en-seignantes et enseignants decégep (FEC-CSQ). Mais, si onse fie aux années passées, c’estsouvent le personnel de soutien— les techniciens en éducationspécialisée, les techniciens quiaident les profs dans les labora-toires, etc. — qui écoperont. »

« À Concordia, on vient denous annoncer la mise en placed’un programme de départ à laretraite volontaire, rappor teMichel Tremblay, présidentde Fédération des profession-nèles (CSN). Et, comme ilmanque déjà 1000 professeursdans les cégeps et universités,ces coupes ne vont pas aider àremédier à la situation !»

Entraver la réussite desétudiants?

Caroline Senneville s’attendà ce que les universités soient

tentées d’augmenter la tâchedes professeurs et ainsi de pri-ver de travail les chargés decours. « Les profs risquentd’avoir plus d’étudiants dansleurs cours, ce qui aura un effetdirect sur ceux-ci, dit-elle. Et ilrestera moins de cours pour leschargés de cours…»

Quant aux cégeps, on risquede réduire les services de sou-tien professionnel, prévoit Ma-rio Beauchemin. « Ce sont lesservices aux étudiants ayant desbesoins particuliers et à ceux quiont un handicap qui risquentd’être affectés», dit-il. Ces com-pressions risquent en effet d’af-fecter le personnel profession-nel et de soutien dont les pro-fesseurs ont justement besoinpour encadrer ces étudiants. Ily a aussi une quantité de pro-jets liés à la réussite qui vontpeut -être être supprimés.«Voilà qui, en plus d’alourdir lacharge de travail des profs, nuiraà la réussite des étudiants.»

Pourtant, M. Beauchemin in-dique que l’aide aux étudiantsayant des besoins particulierset les projets liés à la réussiteferont partie des priorités syn-dicales lors des négociationspour le renouvellement desconventions collectives qui dé-buteront l’an prochain.

Le gouvernementimposera une « loi 3»!

De son côté, Michel Trem-blay rapporte que sa fédérationvient de se faire dire que le gou-vernement a l’intention d’impo-

ser les mêmes contraintes auxrégimes de retraite du person-nel collégial et universitaire quecelles qu’il veut imposer auxemployés municipaux.

«Dès le début d’une rencontre,la semaine dernière, avec le mi-nistre Blais [ministre de l’Em-ploi et de la Solidarité sociale]et Denys Jean, le président de laRégie des rentes du Québec, onnous a dit que ce qui s’en vientdans les universités, c’est un pro-jet de loi dans le sillage du projetde loi 3», rapporte-t-il.

Pourtant, rapporte M. Trem-blay, lors d’une précédenterencontre avec M. Jean, celui-ci avait été surpris de constaterqu’il y a harmonie entre lesemployeurs et les employés ausujet des régimes de retraite.

« Ce que le gouvernementnous dit, c’est tout simplementqu’il veut exporter le modèle duprojet de loi 3, alors que, dansles universités, ni les recteurs niles employeurs ne constatentqu’il y a un problème avec les ré-gimes de retraite », indique-t-il(il n’y a en fait qu’une univer-sité qui a un problème à ce cha-pitre : l’Université Laval). « Legouvernement va donc imposerun modèle qui n’est souhaité parpersonne!», lance, incrédule, lereprésentant syndical.

Le jour où nos«infrastructures»céderont…

«Tout cela a un effet cumula-tif, obser ve Caroline Senne-ville. Prenons le simple exempled’une année où on a un budgetmoindre pour renouveler les li-vres dans les écoles, dit-elle.L’année suivante, on n’a passeulement les achats réguliers àfaire, mais il faut aussi tenterde combler le retard…»

« On nous dit que c’est unecrise financière, poursuit-elle,que c’est un mauvais momentà passer, deux mauvaises an-nées, mais qu’après on va pou-voir réinvestir. Mais, malheu-reusement, on aura peut-êtrecreusé des trous qu’on nepourra plus combler. »

Il y a pire, relate-t-elle,puisqu’en réalité le gouverne-ment annonce que, lorsqu’onaura atteint l’équilibre budgé-taire et qu’il y aura des sur-plus, ceux-ci seront af fectéspour moitié à des baisses d’im-

pôt et pour moitié au Fondsdes générations (donc au rem-boursement de la dette).

« C’est donc un marché dedupes !, lance-t-elle, puisqu’onnous dit qu’on n’augmentera

pas nos impôts — on aura peut-être même des diminutions —alors qu’on va avoir moins deservices. N’oublions pas que,avec nos impôts, on s’achète desservices… dont une éducation et

des soins de santé de qualité !»Et nous sommes déjà passés

par là, rappelle encore Mme Sen-neville. «C’est comme pour les in-frastructures routières, énonce-t-elle. Durant des années, on a re-porté les sommes qu’on devait dé-bourser pour leur entretien…jusqu’au jour où des viaducs sesont écroulés. C’est seulementalors qu’on s’est rendu compte desconséquences. Le prix à payerpour toutes ces coupes est là…»

De son côté, Michel Trem-blay rappelle que, « lorsque, leprintemps dernier, le Parti libé-ral nous disait que sa prioritéserait l’économie, personne n’acompris que ce ne serait quepour faire des coupes ! On pen-sait plutôt que le nouveau gou-vernement allait développerl’économie du Québec ! »

CollaborateurLe Devoir

«Effort budgétaire» :un marché de dupes?

C L A U D E L A F L E U R

E n quatre ans, les cégeps sesont vu imposer cinq com-

pressions budgétaires — dont21,5 millions de dollars en juindernier — pour un total de90 millions. « Voilà qui nousfait mal, très mal même, in-dique Jean Beauchesne, prési-dent-directeur général de laFédération des cégeps, l’orga-nisme qui regroupe la direc-tion des 48 cégeps publics. Leproblème, c’est l’ef fet cumulatifde ces coupes, année après an-née, poursuit-il. Chaque fois,nous nous demandons ce qu’onpourrait bien faire pour ne pasaf fecter les services que nousdonnons à nos étudiants. »

Jusqu’à présent, malgré les« ef forts budgétaires » imposéspar les gouvernements succes-sifs de Jean Charest, de Pau-line Marois et maintenant dePhilippe Couillard, M. Beau-chesne relate que les cégepssont par venus à ne pas tou-cher aux ser vices aux étu-diants. « Mais voilà qu’on y estpresque», prévient-il.

« Nous en sommes à notrecinquième compression budgé-taire en quatre ans, insiste-t-il.Il y a deux ans, nous avonsmême vécu deux compressionsla même année, du jamais vudans l’histoire des cégeps ! Com-ment voulez-vous qu’on planifiela palette des services que nousdevons of frir afin de remplirnotre mission? !»

Des citoyens de demain…handicapés?

Jean Beauchesne rappelleque la mission des cégeps nese limite pas à enseigner et àformer des étudiants, mais

aussi à développer les citoyensde demain. À cette fin, leurmission est d’of frir plusq u ’ u n e g a m m e d e p r o -grammes et de cours, maiségalement un éventail d’activi-tés qui « forment » l’individu,notamment des activités socio-culturelles et spor tives. Ilconsidère que celles-ci se si-tuent à la périphérie immé-diate de la formation collé-giale, périphérie for t impor-tante aux yeux de toutes les di-rections de cégep. « Jusqu’àprésent, la plupart des cégepssont parvenus à protéger ces ac-tivités de première périphérie,dit-il, mais, avec les plus ré-centes coupes, on est arrivé àcette limite. »

Il rapporte que certains cé-geps ont d’ailleurs commencéà sabrer dans certaines activi-tés. « Au moins 17 des 48 cé-geps ont maintenant annulé oumodifié leur participation à desactivités comme Cégeps en spec-tacle ou des tournois dehockey», dit-il.

De plus, l’une des missionsdes cégeps étant de favoriserla poursuite des études par leplus grand nombre possiblede personnes, ils continuentd’of frir des services aux étu-diants handicapés et de l’aidepédagogique individuelle àceux et celles qui éprouventdes dif ficultés de chemine-ment. « Pour le moment, nouscontinuons de dispenser ces ser-vices », indique le p.-d.g. de laFédération des cégeps.

Il relate en outre qu’il y abelle lurette que les cégepsont « fait le ménage » en sa-brant partout dans l’adminis-tration où ils le pouvaient.« Comme ça fait longtemps

qu’on nous impose des coupes,rappelle Jean Beauchesne, ona donc coupé par tout où onpouvait le faire sans affecter lesservices aux étudiants. »

C’est dire que bon nombrede cégeps ne peuvent plus sa-brer dans leur administration,quand bien même ils le vou-

draient. « Nous n’avons vrai-ment pas de structure à couper,insiste Jean Beauchesne. Pre-nez l’exemple d’un cégep où il ya 800 ou 900 étudiants, commecelui d’Alma, pose-t-il. On y re-trouve beaucoup de postesuniques, par exemple une per-sonne à la paie. On ne pourrait

donc pas procéder à de nou-velles réductions de poste ! »

Il révèle même que lescoupes commencent à affecterla formation des étudiants. C’estainsi qu’il cite l’exemple desmannequins vir tuels utilisésdans les programmes de soinsinfirmiers. «Tous les cégeps veu-lent se procurer de tels manne-quins virtuels, dit-il, puisqu’onpeut simuler, grâce à eux, toutessor tes de maladies et de pro-blèmes de santé, ce qui est extrê-mement formateur. Toutefois, cesmannequins coûtent si cher queje connais au moins trois cégepsqui ont dû y renoncer.»

De même, nombre de cé-geps cherchent à stimuler l’es-p r i t en t r epr eneur ia l desjeunes. « Il y a beaucoup de pro-jets parascolaires où on tente dedévelopper leur intérêt de lan-cer des entreprises, indiqueM. Beauchesne, mais nombrede ces projets ont dû être missur la glace… Pour l’instant,nous sommes dans la périphériede ce qu’on considère comme es-sentiel pour former des citoyensresponsables. »

En outre, rapporte-t-il, de-puis six ou sept ans, les direc-tions de cégep sont parvenuesà « geler » l’augmentation desfrais d’entretien et d’électri-cité. « Mais comme, en réalité,le coût de ces services a conti-nué de croître, on utilise notrebudget de fonctionnement pourcompenser ces augmentations. »

« C’est dire que, après cinqcompressions successives, oncommence à être sur le fer ,poursuit-il. En fait, on rouledéjà fer sur fer et, bientôt, onne pourra plus maintenir tousles services aux étudiants… Ona vraiment fait tout le ménage

qu’on pensait être capable defaire sans af fecter l’of fre desservices qu’on rend aux étu-diants », insiste-t-il.

Le p.-d.g. de la Fédérationdes cégeps révèle d’ailleursque, selon une analyse réali-sée à partir des rapports finan-ciers que viennent de déposerles cégeps publics pour l’an-née 2013-2014, « au moinstrente d’entre eux ont fini leurannée financière dans le rouge !Trente sur quarante-huit ! »,lance-t-il.

À la croisée des cheminsJean Beauchesne rappelle

que le gouvernement a an-noncé son intention de réduirela croissance des dépenses del‘État à 1,8 % cette année et àseulement 0,7 % l’an prochain.« C’est dire que, si cette année,on a subi une coupe de 21 mil-lions, ça n’augure rien de bonpour l’an prochain !», lance-t-il,presque découragé.

«On est toujours prêt à fairenotre bout de chemin, on l’a faitet on le fait encore cette année,poursuit-il, et je comprends nosélus, mais nous, nous ne pouvonspas prétendre que d’autres coupesn’affecteront pas, d’aucune façon,notre prestation de services. Ce se-rait faux de dire cela!»

De fait, Jean Beauchesne es-time que les directions de cé-gep sont maintenant confron-tées à des choix cruciaux. «Onest vraiment à la croisée deschemins, dit-il, où on va devoirfaire le choix entre les servicesqu’on rend et ceux qu’on nerend plus ! On n’a plus demarge de manœuvre…»

CollaborateurLe Devoir

FÉDÉRATION DES CÉGEPS

« On roule déjà sur le fer ! »

JACQUES GRENIER LE DEVOIR

«Ce sont les services aux étudiants ayant des besoins particuliers et ceux qui ont un handicap quirisquent d’être af fectés», relate le président de la Fédération des enseignantes et enseignants decégep (FEC-CSQ), Mario Beauchemin.

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Jean Beauchesne est le président-directeur général de laFédération des cégeps, l’organisme qui regroupe la direction des48 cégeps publics.

Je comprends nos élus, mais nous,nous ne pouvons pas prétendre que d’autres coupes n’affecteront pas,d’aucune façon, notre prestation de services. Ce serait faux de dire cela !Jean Beauchesne

«

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FNEEQ

Caroline Senneville, la présidentede la Fédération nationale desenseignantes et enseignants du Québec

Lorsque, le printemps dernier, leParti libéral nous disait que sa prioritéserait l’économie, personne n’a comprisque ce ne serait que pour faire descoupes ! On pensait plutôt que lenouveau gouvernement allaitdévelopper l’économie du Québec !Michel Tremblay, le président de la Fédération des professionnèles

«

»

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Page 6: ÉDUCATION - Le Devoir

V I C K Y F R A G A S S O - M A R Q U I S

S elon la même analyse de M. Proulx, lemanque d’intérêt des électeurs serait

aussi un des premiers facteurs pour justifierleur abstention.

Toutefois, le taux de participation aux électionsdans les commissions scolaires anglophonesest historiquement plus élevé que chez les fran-cophones. En 2007, 16,7 % des anglophones sesont rendus aux urnes, alors que 7,9 % des élec-teurs étaient allés voter dans les circonscrip-tions francophones.

«Pour eux, l’éducation est un facteur de vitalitéculturelle, les minorités sont très proches de leursécoles», a précisé Denis Dion, porte-parole du Di-recteur général des élections du Québec (DGEQ).

Les élections scolaires sont organisées parles commissions scolaires elles-mêmes. LeDGEQ se contente d’un rôle de soutien, a indi-qué M. Dion. Par exemple, il enverra des avisaux adresses où aucun électeur n’est inscrit.

La Fédération des commissions scolaires duQuébec (FCSQ) indique, de son côté, qu’elletravaille for t pour intéresser les Québécoisaux élections.

Richard Flibotte, vice-président de la FCSQ,mentionne entre autres la mise en place d’unsite Internet dédié spécifiquement aux élec-tions scolaires. Il croit aussi que la réduction dunombre d’élus, qui est passé de 1144 à 712,pourrait contribuer à faire augmenter le tauxde participation.

M. Flibotte ajoute que la FCSQ est actuellementen pourparlers avec le ministère de l’Éducationpour jumeler les élections scolaires avec lesélections municipales en 2017.

« On parle d’un seul rendez-vous électoral,alors on réduit les coûts et on accroît le taux departicipation», a-t-il souligné, mentionnant quel’Ontario le fait depuis 40 ans.

Gardien de la qualité des servicesPlus de 1000 commissaires scolaires inter-

viennent directement dans l’éducation desenfants québécois, mais leur travail est pour-tant encore inconnu et souvent contesté. « Ilsjouent un rôle important, c’est le lien entre lapopulation et la commission scolaire », estimeRichard Flibotte, vice-président de la Fédéra-tion des commissions scolaires du Québec(FCSQ).

Les commissaires scolaires ont pour missionpremière de répondre aux besoins des citoyensde leur circonscription. Leur travail est assezsemblable à celui d’un conseiller municipal. Ilsdoivent se présenter chaque mois à un conseildes commissaires, dirigé par le président de lacommission scolaire, pour défendre les revendi-cations de leurs électeurs. «Le commissaire estlà pour s’assurer que la qualité des services édu-catifs réponde aux besoins du milieu et que l’éga-lité des chances soit préservée», explique M. Fli-botte, qui est lui-même le président de la Com-mission scolaire de Saint-Hyacinthe.

Les élus des commissions scolaires ont aussila responsabilité d’adopter le budget qui leurest alloué par le ministère de l’Éducation, duLoisir et du Sport (MELS). «Le grand principe,c’est de répartir de façon équitable les ressources[…]. Il y a des milieux qui sont plus ou moins

nantis, donc on veut que tous les établissementsaient les ressources nécessaires pour favoriserl’apprentissage et la réussite », a indiqué le vice-président de la FCSQ.

Aux prochaines élections scolaires, envertu de changements apportés à la Loi surl’instruction publique en 2008, il y aura 712postes de commissaire à pourvoir, au lieu de1144. De plus, pour la première fois, les élec-teurs pourront choisir les 69 présidents descommissions scolaires.

M. Flibotte estime que les commissions sco-laires ont une réelle importance, malgré toutle débat sur leur abolition éventuelle. Selonlui, cette str ucture entre le ministère etl’école est nécessaire pour s’assurer que lesser vices dispensés soient adaptés à chaquecirconscription. « Il y a et il y aura toujours desdétracteurs, c’est à nous de faire connaître cequ’on fait », a-t-il souligné.

Le taux de participation aux élections sco-laires a rarement atteint des sommets. Aux der-niers scrutins de 2003 et 2007, il n’a pas réussià dépasser le seuil des 9%.

CollaboratriceLe Devoir

ÉCOLE PUBLIQUEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 4 E T D I M A N C H E 5 O C T O B R E 2 0 1 4G 6

R É G I N A L D H A R V E Y

L a Fédération des commis-sions scolaires du Québec

(FCSQ) milite résolument enfaveur de la démocratie sco-laire, à l’approche des élec-tions prévues le 2 novembre,en ces jours où plane le projetpolitique d’une réforme enéducation : leur statut seraitsusceptible d’être modifié etil serait même envisagé deles rayer de la carte. La Fédé-ration dénonce plutôt unmanque de vision à plus longterme en éducation, quiprend la forme de compres-sions à l’aveugle.

Ethnologue de profession,Josée Bouchard, la présidentede la FCSQ, s’est tournée versla politique scolaire en 1994 àtitre de mère désireuse de semêler de la gouvernance enéducation ; elle devient succes-sivement commissaire et prési-dente de la Commission sco-laire du Lac-Saint-Jean, avantd’accéder à la présidence de laFédération en 2009. Elle évalueà 800 millions de dollars lescompressions budgétaires quele réseau a été contraint d’ab-sorber depuis 2010 ; cette an-née, les allocations regroupéesdans trois enveloppes pour untotal de 1,2 milliard ont été am-putées de 150 millions : aprèsles efforts consentis précédem-ment pour réduire les coûts ad-ministratifs, les services auxélèves écopent à leur tour.

Elle invite à la réflexion surles chambardements envisa-gés : «Ce n’est pas la structurequi fait fausse route, c’est la fa-çon dont on finance l’éducationpublique au Québec, dont il fauttrouver une façon d’assurer lapérennité. » À ceux qui scan-dent qu’il y a encore du gras àenlever dans l’administration,elle rétorque : « Sur 100 pourcent de l’enveloppe budgétaire,la moyenne provinciale descoûts qui sont alloués à la ges-tion est de 4,6 % actuellement,ce qui est trois fois moins quedans les municipalités, les cé-geps ou les agences de la santé.»

Les mesures préconiséesLes commissions scolaires

avaient jusqu’au 15 septembrepour soumettre au ministèreleur plan de redressement re-latif à l’austérité financièrequ’il préconise : « Les gens ontobtempéré pour ne pas aller àl’encontre de la loi, à l’excep-tion de la Commission scolairede Montréal (CSDM), qui a enquelque sor te lancé un signald’alarme en agissant de lasorte ; il est porté par l’ensembledes commissions scolaires, dansle sens qu’on dit que le tempsest venu de s’asseoir et de révi-ser la situation pour en arriverà un nouveau pacte fiscal avecle gouvernement en matièred’éducation publique. » Il esturgent d’examiner le finance-ment des commissions quimultiplient les déficits depuisdéjà quelques années : « L’andernier, 75 % d’entre elles sesont retrouvées dans le rouge etcette année 34 ou 35 ont eu àréaliser des plans de redresse-ment, ce qui est du jamais vu. »

En présence d’un manque àgagner d’une telle ampleur, la

présidente a tendu la main auministre Bolduc lors d’unerencontre tenue il y aquelques jours : «Soutenue parune résolution unanime demon conseil d’administrationreprésentant tous les présidentsdes commissions scolaires, j’aimis sur la table une propositionallant dans ce sens-là : c’est trèsclair, il y a une situation qui estintenable et il y aurait peut-êtreencore des sommes à aller cher-cher du côté administratif. S’ily a cer tains de nos membresqui sont intéressés à faire desregroupements de la taxe sur leplan régional et sur le plan dela formation professionnelle ouencore qui le sont par le par-tage de services, la Fédérationest prête à les accompagneravec le gouvernement danscette direction ; à condition que,analyse financière à l’appui, ily ait des économies à générerdans une pareille démarche. »

La porte reste aussi ouvertesur les regroupements desterritoires, dans cette mêmeoptique de la possibilité d’éco-nomiser des sous : « On veuttravailler avec le gouverne-ment mais travailler intelli-gemment avec lui. Il faut pré-server au Québec la valeur fon-damentale de notre réseaud’éducation public en s’assu-rant de l’équité des services àla grandeur du territoire. »Pour l’heure, l’appareil gou-vernemental s’en tient à pré-senter le sombre portrait desfinances publiques de l’État.

Josée Bouchard signale en-core que le redressementamorcé entraîne présentementune diminution des services àl’élève sur plusieurs fronts,sans entrer dans les détails.Elle pose principalement leconstat qu’il y a des mesuresmajeures qui ont été appli-quées en matière de persévé-rance scolaire au cours des 15dernières années ; les résultatsont suivi et sont probants :«Tout le monde met l’épaule àla roue dans cette direction pourréaliser le plan stratégique delutte contre le décrochage descommissions scolaires, qui se dé-ploie en harmonie avec celui duministère de l’Éducation. Àl’heure actuelle, à la Commis-sion scolaire du Lac-Saint-Jeanet dans bien d’autres, on faittomber des pans de mur de ceplan stratégique dans l’applica-tion du plan de redressement. »L’argent qui servait au dévelop-pement pédagogique à titre devaleur ajoutée, pour conduiredes projets dans des écoles etdes milieux ciblés auprès declientèles vulnérables, est demoins en moins disponible.

Il y aura des électionsDans le but de faire contre-

poids à la morosité qui enve-loppe la démocratie scolaire etqui se traduit par une participa-tion anémique des électeurslors du déroulement des élec-tions, la présidente de la FCSQla définit comme suit : «Dans lefond, c’est de donner à la popu-

lation la possibilité et le pouvoirde décider en matière d’éduca-tion, en fonction des besoins etdes valeurs de son milieu.» Elletrace ce portrait des élus : «Ou-blions la perception qu’il s’agitde “ vieux monde ” qui s’endortpendant les réunions. Un son-dage réalisé au cours des der-nières années montre que cesont des gens très scolarisés, quisont issus de divers milieuxcomme les mondes professionnelou des affaires ; et il y a de plusen plus de jeunes parents quimilitent en politique scolaire.»

Il va de soi qu’elle défendses couleurs : « Il faudra tou-jours des commissions scolairespour organiser toute la vie sco-laire au cours d’une année.Grâce à la présence d’un gou-vernement local entièrement dé-dié à l’éducation, on s’assureque l’argent va en éducation.Dans toutes les autres provincesdu Canada comme aux États-Unis, il existe des conseils sco-laires et on ne remet pas enquestion leur existence. On acompris en Amérique du Nordque, pour coordonner l’ensembledes services en éducation et leurqualité, pour assurer leur rap-prochement avec la populationen les décentralisant, il nousfaut un gouvernement local quis’appelle une commission ou unconseil scolaires. » Elle invite,bien sûr, les gens à voter engrand nombre le 2 novembre.

CollaborateurLe Devoir

L’équité du système d’éducation est en jeu

Depuis 1994, la participation des Québécois aux élections scolaires a toujours diminué. Celas’explique en partie, selon une étude de 2008 rédigée par Jean-Pierre Proulx, professeur enéducation, par une méconnaissance du processus électoral et surtout des candidats.

FAIBLE PAR TICIPATION AUX ÉLECTIONS SCOLAIRES

Le rôle des commissaires est mal connu

Dans toutes les autres provinces duCanada comme aux États-Unis, il existedes conseils scolaires et on ne remetpas en question leur existenceJosée Bouchard, la présidente de la FCSQ

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ARCHIVES LE DEVOIR

«Ce n’est pas la structure qui fait fausse route, c’est la façon dont on finance l’éducation publique au Québec, dont il faut trouver une façon d’assurer la pérennité»,remarque la présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ), Josée Bouchard.

FCSQ

Josée Bouchard, la présidente de la Fédération des commissionsscolaires du Québec

Page 7: ÉDUCATION - Le Devoir

ÉCOLE PUBLIQUEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 4 E T D I M A N C H E 5 O C T O B R E 2 0 1 4 G 7

M A R I E L A M B E R T - C H A N

L e débat est pratiquement aussi vieux quel ’ inst i tut ion el le -même : encore au-

jourd’hui, la per tinence des cégeps est re-mise en quest ion. Cet été, c ’étaient lesjeunes libéraux qui en réclamaient l’aboli-tion. Au début de l’année 2013, c’était PierreMoreau qui rouvrait le débat pendant lacourse à la chef ferie du Par ti l ibéral. En2004, c’étaient les commissions scolaires quiproposaient de faire rayer le réseau collégialde la carte.

La Fédération des cégeps et les directionsde ses 48 collèges veulent mettre un point fi-nal à cette contestation perpétuelle. « On estrendu là. Le cégep a fait ses preuves », estime leprésident-directeur général de la Fédération,Jean Beauchesne. Pour illustrer ses argu-ments, le regroupement a lancé à la mi-sep-tembre une grande campagne publicitaire quis’étirera sur trois ans, pour culminer avec le50e anniversaire des cégeps en 2017. Sous lasignature toute simple de « CÉGEP » — un peuà l’image des publicités « Le lait » des Produc-teurs de lait du Québec — la Fédération rap-pelle l’importance de son modèle d’enseigne-ment supérieur, qui regroupe programmespréuniversitaires et techniques. « On me de-mande souvent pourquoi on ne fait pas commele reste du Canada. Je réponds : pourquoi abolirune institution qui réussit ? », souligne celuiqui a annoncé récemment qu’il quittera sesfonctions en mars 2015.

Le p.-d.g. s’appuie sur une série de chiffres.

Près de 50 % des 18-24 ans ont un diplôme post-secondaire au Québec, ce qui place la provinceau premier rang au Canada, loin devant l’Onta-rio (29,9%) et la Colombie-Britannique (25,5%).Ce taux augmente sans cesse, de même que letaux de rétention des étudiants, qui est passéde 52 % à 64 % au cours des 15 dernières an-nées. « Notre clientèle évolue. Les étudiantschangent de programme plus fréquemment, ilstravaillent pendant leurs études, ils veulents’acheter des biens… Mais, au moins, ils ne dé-crochent pas ! », observe Jean Beauchesne. Il secrée par ailleurs une certaine émulation entreles étudiants inscrits au parcours préuniversi-taire et ceux qui évoluent dans les domainestechniques : environ 30 % des étudiants qui ontun DEC technique en poche poursuivent leursétudes à l’université.

Selon Jean Beauchesne, on oublie trop sou-vent que les cégeps jouent un rôle primordialdans toutes les régions du Québec. « Contrai-rement aux universités, nous sommes réelle-ment partout, affirme-t-il. Nous sommes un em-ployeur de choix et nous contribuons à la vita-lité sociale, économique et culturelle des ré-gions. Notre proximité est à elle seule un avan-

tage incomparable pour les étudiants, car ellefavorise leur persévérance, leur réussite et leurmaintien dans la collectivité. »

Le modèle a prouvé sa valeur, certes, maisil doit demeurer en phase avec son époque.La formation générale est la même depuis1993 : quatre cours de français, trois cours dephilosophie, trois cours d’éducation physique,deux cours d’anglais et deux cours complé-mentaires. « Des directeurs d’études me deman-dent, par exemple, si c’est encore le rôle des cé-geps de faire de l’éducation physique. Nos étu-diants sont des adultes majeurs. S’ils n’ont pasencore pris en charge leur santé physique, est-ceà nous de le faire ? On doit y réfléchir », recon-naît Jean Beauchesne.

Le p.-d.g. est bien conscient du mécontente-ment que cela soulève chez les syndicats. Cepen-dant, les astres s’alignent pour que la révision sefasse. Le ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, yest favorable. La seconde partie du rapport De-mers sur l’offre de formation collégiale — uneinitiative née du Sommet sur l’enseignement su-périeur de 2013 — devrait bientôt être connue.La révision du règlement sur le régime d’étudescollégiales est également sur la table.

Autre défi qui attend le réseau des cégeps :celui du déclin démographique. Les collègespublics devraient faire face à une pénurie de20 000 étudiants d’ici 2020, quoique les der-niers chiffres de la Fédération fassent mentirun peu cette projection. « Depuis deux ans,nous remarquons une légère hausse des inscrip-tions, un phénomène entre autres attribuable àune augmentation de la diplomation au secon-daire, indique Jean Beauchesne. Impossiblepour le moment de savoir quelle sera l’ampleurde la pénurie, mais une chose est sûre : il y enaura une. »

C’est pourquoi la Fédération des cégeps éla-bore déjà une stratégie pour éviter le pire. Ellesouhaite d’abord faire doubler le nombre d’étu-diants étrangers — environ 3000 présentement— d’ici quatre ans. «Nous voulons les amener às’inscrire dans les régions où la baisse démogra-phique sera importante, je pense notamment à laGaspésie et au Saguenay–Lac-Saint-Jean », ex-plique M. Beauchesne.

En collaboration avec ses services d’admis-sion, la Fédération tentera aussi de redirigervers les cégeps des régions les jeunes qui, fautede résultats scolaires suf fisamment élevés,n’auront pu s’inscrire dans un programmecontingenté à Montréal ou à Québec. Un siteWeb qui énumérera les places disponibles dansles divers programmes collégiaux à l’échelle dela province devrait être lancé au cours des pro-chains mois.

CollaboratriceLe Devoir

Une campagne publicitaire pour mettre fin au débat sur les cégeps

R É G I N A L D H A R V E Y

I l y a quelque 2200 per-sonnes en provenance de 21

associations qui sont mem-bres de la Fédération québé-coise des directions d’établis-sement (FQDE). Ces gens-là,qui dirigent des écoles, traver-sent au quotidien à la fois lesréussites, les petites misèreset les difficultés majeures en-gendrées par le systèmed’éducation du Québec. Et lescompressions leur font mal…

« Si on parle de valorisationde l’école publique, on a vécuune rentrée scolaire qui n’étaitvraiment pas une bonne occa-sion pour s’exprimer dans cesens-là. Le ministre n’a vrai-ment aucune idée de la façondont les coupes se traduisentdans les écoles ; il est faux d’af-firmer que le service à l’élèven’est pas af fecté ; dans les faits,il l’est », assure avec aplomb laprésidente de la FQDE, Lor-

raine Normand-Charbonneau.Il y a déjà plusieurs années

que le réseau de l’éducationsubit des compressions, qui,selon elle, ont atteint leurpoint l imite : « Depuis troisans, on dénonce le fait que ceservice est ef fectivement ré-duit. » La population et le mi-lieu de l ’éducation avaientcerné une série de problèmesaigus dans le réseau, dontceux relevant de l’aide aux de-voirs, de l’inactivité physique,de la lecture à l ’école, dessaines habitudes de vie, etc. ;des sommes avaient été injec-tées pour les régler depuisune dizaine d’années, maisvoilà que les gouvernementsse succèdent et s’appliquent àréduire les enveloppes budgé-taires destinées à cette fin.

Elle déplore les impacts detelles mesures administra-tives à cour te vue : « Le plustriste dans ce constat, c’est queces montants-là ne se tradui-

sent pas de la même façon se-lon l’endroit où on se trouve :les milieux défavorisés sontplus af fectés, mais les mieuxnantis peuvent en souf frird’une autre manière. » La pré-s i d e n t e s i g n a l e q u e l e scoupes vont inévitablementgruger les budgets destinés àla francisation ou le soutienfourni aux décrocheurs poure f fec tuer un r e tour auxétudes : « Il y a des mesuresqui touchaient ces clientèles-làqui vont être af fectées ; les com-pressions surgissent à dif fé-rents échelons selon la saveurde la semaine. »

Elle lance une sorte de cridu cœur, après avoir évalué àquel point l’aide aux devoirspeut faciliter l’accès à la réus-site de l’élève dans son che-minement scolaire : « On de-mande aux écoles des reddi-tions de comptes avec des indi-cateurs de per formance et,d’un autre côté, on les prive de

cer taines ressources finan-cières susceptibles de les aug-menter. Je ne peux pas croireque, dans ce réseau de l’éduca-tion, on a revu de fond en com-ble nos façons de faire pour enarriver finalement à couperdans l ’aide directe aux en-fants ; c’est facile d’en arriverlà. La direction d’établisse-ment, c’est elle qui est sur leterrain, qui pilote son école,qui travaille avec son équipeécole, avec les parents et avecles par tenaires ; on le sait oùsont les besoins des enfants.Quand on en est rendu à sa-brer dans des allocations di-rectes à ceux-ci, il faut biendire que ça va mal ! »

Elle invite à effectuer une ré-flexion sur une vision à courtterme : « Je pense qu’un décro-cheur, ça coûte plus cher à la so-ciété que l’aide aux devoirs. »

CollaborateurLe Devoir

FÉDÉRATION QUÉBÉCOISE DES DIRECTIONS D’ÉTABLISSEMENT

Un pas en avant, deux pas en arrière

CÉGEP BEAUCE-APPALACHES

Selon le président-directeur général de la Fédération des cégeps, Jean Beauchesne, on oublie trop souvent que les cégeps jouent un rôle primordial dans toutes les régions du Québec.

PD

La présidente de la Fédération québécoise des directionsd’établissement (FQDE), Lorraine Normand-Charbonneau

Le réseau collégial a fait ses preuves et on veut ledémontrer une fois pour toutesJean Beauchesne, le p.-d.g. de la Fédération des cégeps

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